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© Agone | Téléchargé le 20/12/2023 sur www.cairn.info via Université Paris 8 (IP: 193.54.180.221)
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I l y a dans l’histoire de l’humanité bien des sortes de révolutions :
technologiques, démographiques, économiques, culturelles, idéo-
logiques, intellectuelles ou politiques, qui se chevauchent, s’entre-
lacent, s’imbriquent les unes dans les autres 1. Au cours des deux
derniers siècles, la Chine, du haut en bas de l’échelle sociale, a connu
toutes ces révolutions, et souvent plus d’une fois, offrant ainsi, comme
en un kaléidoscope, une diversité passionnante et parfois terrifiante.
On peut parler, et on le fait souvent, de deux révolutions chinoises,
celles de 1911 et de 1949, pour qualifier deux séries d’événements
politiques et militaires survenus au xx e siècle. Mais il ne s’agit là que
d’un raccourci schématique. Pour parvenir à saisir dans leur ensemble
les révolutions en tant que processus qui transforment la vie, le meil-
leur moyen est en effet de s’intéresser d’abord non à la seule politique,
aux événements politiques survenus durant une période relative-
ment brève, mais au changement, plus profond, des récits, inventés
mais dotés d’une puissante charge affective, dans le cadre desquelles
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la Révolution culturelle, soit à la fin des années 1970. Sans parler de
quelques floraisons éphémères, comme cette espèce de christianisme
« à la chinoise » emprunté aux missionnaires par les Taiping révoltés
dans les années 1850-1860, qui comprenait, vers la fin du mouvement,
un programme de modernisation du pays ; ou comme la tentative de
célébration de la pensée de Sun Yat-sen (Sanminzhuyi), un siècle plus
tard à Taïwan, tentative bien intentionnée mais intellectuellement
peu convaincante. Les rapports de la Chine avec le monde extérieur
connaissent eux aussi de grands changements pendant cette période.
À son déclin au xviiie siècle, elle qui était l’un des grands empires eura-
siens 3, puis à son humiliation au milieu du siècle suivant par les forces
armées occidentales 4 a succédé depuis quelques années un redresse-
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phénomènes se sont conjugués à des degrés divers avec la politique,
mais le seul aspect politique vraiment essentiel est sans doute l’ouver-
ture de la Chine au commerce et à la diplomatie avec le monde occi-
dental dans les années 1840 et 1850, du fait de ce que l’on a l’habitude
d’appeler improprement les « guerres de l’opium » 7.
Il y a quelques années, dans Changing Stories in the Chinese World,
j’ai essayé de montrer l’extraordinaire changement qui s’est opéré
depuis les années 1820 dans la façon dont les Chinois vivaient, dont ils
comprenaient le monde et son histoire, en m’appuyant essentiellement
étranger à Nankin, contrairement à ce qui s’est passé à New Delhi avec les
Britanniques, et je doute que la chose ait jamais été possible.
5. Pour le début de ce processus, lire Mark Elvin, « Le transfert des techno-
logies avant la Deuxième Guerre mondiale », Nouveaux Mondes, été 1993, n° 2.
6. Mark Elvin, « Some reflections on the use of “styles of scientific thinking”
to dissaggregate and sharpen comparisons between China and Europe from
Song to mid-Qing times, 960-1850 CE », History of Technology, 2004, n° 25.
7. Il y a quelques dizaines d’années, j’ai lu tous les articles mentionnant
l’opium dans les Vrais dossiers des Qing (Qing shilu) pour les années 1830 et
découvert que, juste avant la première « guerre de l’Opium », les références
aux problèmes intérieurs du commerce de l’opium — la Chine en était alors
un producteur très important — dépassaient de beaucoup les références à son
importation. Les Anglais n’ont pas imposé l’opium en Chine, ils l’ont vendu,
avec de gros bénéfices, aux réseaux de vendeurs chinois déjà bien installés.
sur certains passages de cinq romans (je n’en retiendrai que trois, ici)
qui témoignent directement ou indirectement de la société chinoise de
leur temps, et sur quelques poèmes de la dynastie Qing évoquant la vie
quotidienne 8. Commençons par esquisser un tableau du monde socio
politique qui se dégage de ces textes en récapitulant ce que montre leur
survol. Les choses ne sont pas simples.
Sonnettes d’alarme
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sans parler de l’incapacité de trop de lettrés, pourtant fort satisfaits
d’eux-mêmes. L’auteur se fait aussi le défenseur des femmes (et même
parfois des jeunes et des non-Chinois) qui, selon lui, méritent d’être
autant prises au sérieux et traitées avec autant de respect que les
hommes. À un niveau plus profond, l’œuvre offre un mélange contra-
dictoire, et riche par là même, de confucianisme et de bouddhisme
taoïste : Li Ruzhen croit fermement à la morale et aux pratiques confu-
céennes – en particulier l’obéissance filiale et le sacrifice des veuves
fidèles à leur défunt mari – mais tout autant à la justice karmique,
avec ses réincarnations sans fin des hommes, des animaux et même
des esprits. Plus profondément encore, Li Ruzhen pense qu’il existe
un réseau prédéterminé de causalités, à jamais inconnu des mortels
pour l’essentiel, mais réel, car, écrit-il, « les racines déterminent les
fleurs, tout comme l’aimant est attiré par le fer 9 ». Le roman révèle
une véritable fascination – fondée sur un savoir – pour la technologie,
par exemple pour les montres de précision (utiles, entre autres, pour
mesurer la vitesse du son), pour les machines volantes, ou pour le
détail des techniques nécessaires au contrôle hydraulique des voies
navigables. Il est aussi hanté par le sentiment du gouffre qui sépare
l’idéal du réel. La Chine est vue comme le pays où s’enracinent tous les
autres, sans aucun doute, mais un pays malheureusement imparfait,
qui a besoin de s’améliorer 10. L’univers est régi par une administra-
tion céleste composée de dieux et d’esprits inférieurs sous les ordres
du Souverain suprême (shangdi), un souverain connaissant les mêmes
imperfections, en butte aux mêmes brutales rivalités personnelles
que son homologue terrestre. Le plus important dans tout cela est la
conviction que la Chine est au centre de tout ce qui compte au monde,
dans l’histoire des hommes ou dans leurs idées – une conviction dont
il ne restera à peu près rien un siècle plus tard. De la perte de cette illu-
sion réconfortante naîtra la nostalgie douloureuse d’un passé glorieux
– mais pas seulement tel –, une nostalgie qui aujourd’hui encore n’a pas
entièrement disparu.
L’auteur des Fleurs dans le miroir appartenait, on le sent bien, aux
classes supérieures. Les sources dont nous disposons ne nous offrent
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pour ainsi dire aucun représentant des gens ordinaires capable de se
faire leur porte-parole. Mais nombre de poètes – certains d’origine
modeste, même si leur culture de lettrés faisait d’eux, virtuellement
ou effectivement, des membres de la classe « noble » – connaissaient
bien les injustices et les souffrances qui empoisonnaient la vie des
pauvres, des petites gens. Dans une anthologie publiée en 1859, La
Sonnette d’alarme de la poésie de notre dynastie (Guochao shiduo), Zhang
Yingchang présente environ deux mille œuvres de ces poètes, souvent
profondément émouvantes 11. Les sujets en sont très divers : les catas-
trophes naturelles – sécheresses, famines, inondations, noyades dues
aux grandes marées ou aux crues des fleuves – mais aussi les impôts,
la conscription, les exactions des potentats locaux et des usuriers,
sans oublier les loyers exigés par des propriétaires auxquels les auto-
rités locales prêtent main-forte, ou la misère qui amène des parents à
vendre leurs enfants et les conduit, après, à se suicider. Ces poèmes
parlent aussi du labeur épuisant des femmes à la ferme ou dans les
manufactures textiles (à l’époque Qing, ce type de travail féminin se
développe dans des régions où la densité de la population entraîne
une pression démographique très forte) et de la dureté avec laquelle
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demeurées inconnues. La plupart des poèmes sont animés d’un
sentiment humain chaleureux et bienveillant qui va de pair avec une
condamnation ouverte ou implicite de ceux qui exploitent les autres 12,
mais sans qu’il y ait conscience qu’un système social, politique ou idéo-
logique pourrait être au moins en partie responsable des souffrances du
peuple. Comprendre que pourtant tel était peut-être et même probable-
ment le cas aurait eu des implications potentiellement révolutionnaires ;
mais semblable changement de perspective ne devait se produire en
Chine que vers la fin du xixe siècle, essentiellement du fait d’influences
occidentales et, dans une certaine mesure, de l’exemple occidental.
Au début des années 1920 éclate dans les parties plus évoluées de la
société chinoise ce que l’on ne peut appeler qu’une « crise de l ’absurde ».
Dans le livre qu’il consacre à peu près à la même époque au satiriste
autrichien Karl Kraus, Timms voit dans « les contradictions entre une
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Ils éprouvaient aussi douloureusement le besoin de comprendre ce qui
se passait, au milieu de la confusion et de l’humiliation, ils avaient soif
de certitudes, de maîtrise et d’espoir, quel que fût, au bout du compte,
le prix à payer.
Plus d’un lecteur m’objectera qu’il ne manquait pas de bonnes raisons
pour que des gens veuillent s’engager ainsi. Ce n’est pas entièrement faux.
Une analyse marxiste réaliste, critique d’elle-même, non dogmatique,
appuyée sur des faits aurait pu être à la fois utile et stimulante. Mais dire
cela c’est passer à côté du problème. Car ce n’est pas ce que voulaient les
fondateurs du Parti. Une fois adoptée leur doctrine quasi religieuse puis,
le moment venu, la défense de leur pratique par l’idée du cheminement
sinueux de l’histoire – ce qui permettait d’accepter les changements
de ligne du Parti (intolérables autrement), comme Ai Siqi ne devait pas
tarder à l’expliquer dans sa Philosophie pour les masses (Dazhong zhexue) 14.
13. Edward Timms, Karl Kraus, Apocalyptic Satirist : Culture and Catastrophe in
Habsburg Vienna, New Haven, 1986, p. 10.
14. Je ne suis pas parvenu à trouver un exemplaire de l’édition originale,
mais, dans la mesure où on peut le savoir, la théorie était en place depuis
longtemps dès cette époque. L’idée de base est que, puisque les phénomènes
changent sans cesse dans le monde, nos idées doivent se modifier pour
s’adapter à ces changements. Ou, pour dire les choses crûment, différents
points de vue deviennent « vrais » selon les circonstances. Lire Philosophy of
the Masses, p. 123.
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La vie, pour Ping Jinya, est une chose surréaliste, aléatoire ; la sottise
y règne, et la superstition ; l’avidité, le désir, le mensonge mènent le
monde, un monde où les victimes sont les gens honnêtes, les doux et
les naïfs. La tristesse que cet état de choses inspire à Ping Jinya, et que
l’on devine sous-jacente à toute l’œuvre, est palpable par moments
derrière sa façon d’écrire, amusante mais froidement détachée. De
même son amour pour la beauté du monde de la nature, compa-
rée au bourbier qu’est le monde des hommes. Et quand il les laisse
s’exprimer, ces deux sentiments donnent tout d’un coup à la satire
une profondeur inattendue. Il n’est pas une croyance, pas une insti-
tution révérée depuis toujours que l’auteur ne dénonce comme fausse
ou mal fondée et pernicieuse. Ce sont les plus fieffés menteurs, les
pires hypocrites qui invoquent sans cesse le « Ciel ». Dans l’un des
épisodes du roman, la statue d’une divinité mineure, un dieu de la
ville (chenghuang), se trouve au centre d’une aventure burlesque et
scabreuse où l’on voit la tenancière d’une maison close de Shanghai
organiser, en grande pompe, le mariage post mortem de cette statue du
15. Ping Jinya, Renhai chao [1927], Shanghai, Zhongyang shudian, 1935.
Abrégé désormais en MOH. Ce livre a été republié en 1991 en caractères
simplifiés par le Shanghai guji chubanshe, avec quelques informations utiles
sur le contexte. Je tiens à remercier mon ancien collègue, le professeur Rudolf
Wagner, de l’université de Heidelberg, qui m’a aidé à dater la première édition.
dieu avec celle en cire d’une des filles du bordel, sa préférée – celle qui
lui rapporte le plus – et cela pour que le mari (car la fille est mariée)
ne puisse pas venir la réclamer. Lequel mari (les choses se corsent)
a été acheté, tout comme les autorités municipales, pour se prêter à
cette mascarade. Un faux cercueil est remis solennellement au faux
veuf, qui le jette ensuite discrètement dans un fossé pour s’éviter les
frais d’un enterrement.
Les gens simples ont beau souvent penser le contraire, Ping affirme
que le cours des événements humains n’est pas régi par la justice, une
justice morale, de style bouddhiste, avec rapport de cause à effet. Non,
la vie des gens est soumise aux coups du hasard ; elle peut être brisée
par un accident, ou du fait de la méchanceté personnelle, voire de
la mauvaise humeur passagère d’un petit potentat local qui parfois a
seulement mal interprété tel geste, mal compris telle intention. Mais
le même hasard peut tout aussi bien faire de vous un homme riche. Le
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roman présente la famille traditionnelle comme le lieu de l’oppression
et du malheur institutionnalisés, et Ping laisse entendre qu’une femme
fera souvent mieux, pour ce qui est de l’affection comme de l’argent,
de quitter son foyer – au besoin avec sa fille – et d’aller travailler dans
une maison close de bonne réputation. L’une des histoires les plus
cruelles est celle d’une jeune veuve, fidèle à son défunt mari comme
l’impose la tradition, mais que sa belle-famille, ajoutant foi à de pures
calomnies, traite si mal qu’elle en vient à se suicider. Pour Ping, la
tradition responsable de ce geste, qui s’appuie sur des idéaux confu-
céens dépassés auxquels on ne peut plus croire désormais, est double-
ment épouvantable, puisqu’elle est à la fois meurtrière et vide de sens.
L’histoire de la veuve est sinistre jusqu’au-delà de sa mort. En effet la
plupart des témoins de son suicide ne le prennent pas au sérieux, car
ils croient à un simulacre destiné à faire pression sur le beau-père. Et
la veuve se trompe en croyant qu’elle va retrouver son époux dans le
monde de l’au-delà, nous dit l’auteur, car tel que la tradition l’imagine,
ce monde n’existe pas.
L’auteur s’en prend aussi aux représentants de l’autorité dans les
villages, les petits juges locaux, toujours prêts à vous jouer un mauvais
tour. Il les montre presque tous en train de prêcher la morale et,
poussés par l’appât du gain, de faire exactement le contraire de ce
qu’ils prêchent, de se servir de la parcelle d’autorité dont ils disposent
pour faire du mal à ceux qui leur déplaisent et en tirer plaisir. On
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voit surtout des hommes exploitant leurs semblables habilement et
sans scrupules, une vie humaine coupée de la nature, le règne à peu
près sans partage de la tromperie, du faux-semblant séduisant et de
l’auto-parodie grotesque. Une série de scènes bien faites et convain-
cantes présente l’univers des mendiants de la ville comme un double
du monde « respectable », avec ses propres stratifications sociales, son
gouvernement et ses lois, ses patrons, ses territoires, ses intellectuels
et même sa modernisation des techniques – de mendicité –, un monde
dont le niveau moral vaut bien finalement celui de l’autre. Un certain
« Docteur Duplex » (Er xiansheng), qui jadis a brillamment passé les
examens impériaux, est devenu une espèce de mendiant, qui dénonce
le savoir traditionnel désormais inutile et gagne sa vie en disant la
bonne aventure et en enseignant à quelques enfants pauvres l’écriture
des idéogrammes chinois : « Je n’ai de haine qu’envers mes parents,
dit-il. Pourquoi m’ont-ils fait étudier dès ma plus tendre enfance ?
Pourquoi avaient-ils besoin de m’apprendre à déchiffrer les caractères
écrits ? Pourquoi ont-ils voulu me faire passer les examens, avancer
dans mes études, en m’infligeant ainsi cette espèce de supplice ? Si,
au lieu de cela, ils m’avaient envoyé, dès mes premières années, dans
une maison de plaisir pour que j’apprenne à faire bouillir l’eau, ou
dans une compagnie de pousse-pousse pour que j’apprenne à les tirer,
j’aurais été heureux tout de suite et le serais encore, je n’aurais pas eu à
souffrir pendant tant d’années 16. » Duplex ajoute qu’il a bien l’inten-
tion, quand il mourra et descendra en enfer, de régler ses comptes avec
son père. Et voilà pour la piété filiale.
Dans Les Marées de l’océan humain, la culture littéraire chinoise tradi-
tionnelle est devenue un mélange déplaisant de classiques à moitié
oubliés et d’idées occidentales mal digérées, comme celles de l’école
réaliste (xieshpai) dans lesquelles les littérateurs 17 puisent à bon compte
pour faire l’éloge de poèmes de troisième ordre consacrés à des sujets
tels que la présence de moustiques et de poux dans la chambre d’un
savant professeur 18. Pour gagner leur vie, les écrivains sont obligés de
tenir la rubrique des potins dans des journaux minables ou de rédiger
des publicités tout en fantasmant (stupidement) sur leur tragique gran-
deur 19. Il faut ajouter que Ping considère à peu près tout ce qui vient
spécifiquement de l’Occident comme prétentieux, surévalué et le plus
souvent nocif. Ainsi les journaux ne font qu’émoustiller leurs lecteurs
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au lieu de leur donner des informations utiles. Dans l’un des épisodes,
la directrice d’une école primaire, une jeune femme pleine de bonnes
intentions et qui se veut moderne, est en train de lire dans un quoti-
dien l’histoire déchirante d’un pékinois (il s’agit un chien) qui s’est fait
écraser par une voiture, à Shanghai. Et le mari de la jeune femme lui
fait observer que les grandes inondations à côté de chez eux qui, sans
qu’elle l’ait remarqué, ont emporté une école et obligé beaucoup de
paysans à fuir, son journal ne leur consacre pas une ligne.
De la magie du maoïsme
les unes intelligentes et les autres non, et qu’ils aient proposé au peuple
chinois une autre histoire dans laquelle vivre. Pour voir à quoi cela a
abouti dans sa forme la plus pure, le plus simple est de prendre un
exemple qui se situe vers la fin de la période que l’on pourrait appeler
celle du « maoïsme idéologiquement vivant », Les Enfants des grèves
occidentales (Xisha Ernü), de Hao Ran, publié en 1974 avec un premier
tirage d’un million d’exemplaires 20. Ce roman en deux volumes se
déroule dans des îles de la mer de Chine méridionale que plusieurs
gouvernements se disputent dans le cours de l’histoire 21. Le premier
volume traite de la guerre avec le Japon, le second des années qui
suivent 1949 et de la construction du socialisme dans ces îles. Le livre
est écrit en un style brillant et lucide, et les idéaux qu’il présente sont,
pour beaucoup, altruistes, valables et même nobles – dans l’abstrait.
Mais, sans même parler d’un chauvinisme qui l’emporte sur toute autre
préoccupation morale (problème qui n’est pas propre à la seule Chine),
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son plus grave défaut est qu’il présente la « pensée Mao Zedong »
comme dotée d’une qualité proprement magique – aveuglement lourd
de conséquences. Le plus triste dans le rôle que cette « pensée » a joué
dans l’histoire est cependant qu’elle a été propagée, essentiellement
avec des visées politiques à court terme, par les détenteurs du pouvoir,
qui ne se croyaient absolument pas tenus d’appliquer ses préceptes à
leur propre action.
Le roman raconte l’histoire d’Abao (« Bijou ») et de sa famille, en
commençant par sa naissance dans des conditions périlleuses, à bord
d’un bateau de pêche, pendant une tempête. On comprend que, si elle
a failli périr, c’est que son père, Cheng Liang, était occupé à supplier
les éléments célestes et marins de permettre aux pauvres et aux oppri-
més de voir l’aube du lendemain et aux filles d’être de nouveau appré-
ciées à leur juste valeur. Sa mère, une femme intrépide, meurt quelque
temps après en résistant à un patron de pêche local, collaborateur des
Japonais, qui voulait l’obliger à servir de nourrice dans la famille d’un
soldat japonais de ses amis. Elle s’enfonce, « le cœur léger, dans la
profondeur des mers de la Terre ancestrale, ne faisant plus qu’un avec
20. Hao Ran, Xisha Ernü, 2 vol., Pékin, 1974. Vol. I : Healthy Tendencies
(Zhengqi pian) ; vol. II : Lofty Ambitions (Qizhi pian). Abrégé désormais en EGO.
21. Il s’agit de l’archipel Xisha, connu hors de Chine sous le nom d’îles
Paracels. [ndt]
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tenir bon également, quand elle devient grande, face aux manifestations
du désir. Le contrôle de leurs pulsions par les jeunes de la nouvelle géné-
ration fait que, du point de vue de la morale, la proximité physique avec
des personnes de l’autre sexe ne présente plus de danger.
Plus tard, Cheng Liang participe avec enthousiasme au développe-
ment des Grèves occidentales, mais la société nouvelle, avec d’un côté
les cadres qui dirigent et de l’autre le peuple qui leur obéit, ne plaît
pas à tout le monde. Dans chaque famille ou presque on essaie de faire
partir les enfants, de les envoyer à Canton pour qu’ils y reçoivent une
bonne formation et fassent une carrière. Son père a inscrit sa fille à
l’université, mais Abao la quitte rapidement, car elle considère que les
étudiants sont là pour de mauvaises raisons, qu’ils ne songent qu’à leur
carrière individuelle et « feraient n’importe quoi pour éviter de revenir
dans un village de pêcheurs et attraper des poissons ». Son père la
soutient face aux violentes critiques dont elle est l’objet et déclare : « Tu
es bien plus en avance que nous ! Ton père a beaucoup à apprendre de
toi, toi qui es de la nouvelle génération ! […] Entre camarades, il n’y
a ni jeunes ni vieux 24. »Ainsi disparaît le plus vieux principe chinois,
celui de l’autorité supérieure de l’âge.
Sous la plume de Hao Ran, tuer quand on est en droit de le faire appa-
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raît comme une belle chose, dont la nature se fait volontiers la complice.
Le livre s’achève sur l’exaltation de ce qu’il y a de magique dans la
force morale. On voit d’abord Cheng refuser de prendre en compte
la simple économie quand il s’agit de faire des projets, déclarant par
exemple qu’un nouveau bateau ne coûte « que de la sueur ». Il est
également dangereux, dit-il, de dépendre des spécialistes pour des
choses comme les moteurs : le peuple doit pouvoir faire ces choses
techniques par lui-même. (Ce qui ne manque pas complètement
de bon sens.) Plus loin, cette exaltation prend une forme beaucoup
plus spectaculaire. L’auteur met en scène des habitants des îles, dans
un bateau de pêche, armés seulement de leur courage et de leur
volonté, qui défient du regard une force navale sud-vietnamienne et
la menacent de terribles représailles s’il leur est fait le moindre mal.
Le conflit s’aggrave et, au terme d’une bataille navale acharnée contre
les Sud-vietnamiens, la victoire revient au mari d’Abao, Hailong
(« Le Dragon de la mer »), alors même que les ennemis avaient mis
hors d’état le mécanisme du gouvernail de son navire. Comment y
parvient-il ? En suivant l’idée de son timonier : que l’équipage forme
un groupe qui manœuvrera le gouvernail à mains nues, même si
cela veut dire être plongé jusqu’au cou dans une mer ensanglantée,
tandis qu’une chaîne humaine relaiera les ordres du timonier jusqu’à
Fin du prestige
Dix ans plus tard, les réformes de Deng Xiaoping étant déjà bien
engagées, ce roman et ses rêves sont oubliés, comme s’ils n’avaient
jamais existé. Ou plutôt on s’en moque de plus en plus. Il ne faudrait
pas en conclure pour autant que l’histoire qui s’impose alors ne va
pas changer une fois encore. Comment et pourquoi se fait-il qu’aient
pu se produire si rapidement des changements si considérables entre
le monde des premières œuvres évoquées (Les Fleurs dans le miroir
et La Sonnette d’alarme) et celui des deux dernières (Les Marées de
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l’océan humain et Les Enfants des grèves occidentales) ? Au cœur de la
réponse se trouve le fait que, comparé à la plupart des autres, l’État
chinois à la fin de l’époque impériale était, à un degré exceptionnel,
une structure de prestige. Il faut expliquer brièvement pourquoi cela
est essentiel 26. Une structure de prestige dépend de la création et
du maintien d’une représentation qui inspire respect et crainte à
ceux qui sont en contact avec elle. De plus, elle doit se présenter
comme le garant d’un avenir qui est donc destiné à arriver ; il faut
que ceux qu’elle concerne lui soient associés pour profiter de leur
chance. Pour un pouvoir fondé sur un prestige de ce genre, c’est la
loi du tout ou rien : un régime, ou une idéologie, le possède ou ne
le possède pas.
Le concept ancien de « Mandat du Ciel » (Tianming) exprimait une
idée typique d’une structure de prestige : on considérait qu’une dynas-
tie possédait ou avait perdu le Mandat, selon qu’elle s’était attaché ou
non les cœurs et les esprits du peuple. À quoi semble avoir succédé, à
l’époque moderne, une version séculière implicite et plus complexe
de cette même idée : on considère qu’un gouvernement ou une société
possèdent ou ont perdu ce que l’on pourrait appeler un « Mandat de
26. Pour un examen antérieur de ces questions, lire Mark Elvin, « How did
the cracks open ? Origins of the subversion of China’s late traditional culture
by the West », Thesis Eleven, mai 1999, n° 57.
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fait, tant que les apparences sont sauves, ces structures se prêtent,
dans le secret, à bien des aménagements. Mais quand leur image
commence à se dégrader, un processus de réaction positive au chan-
gement peut s’accélérer et conduire à un effondrement soudain du
régime. Les gens vont très vite prendre le train en marche : d’abord
la plupart se refusent à changer d’allégeance, mais, à partir du
moment où ils estiment qu’un changement décisif est en train de se
produire, ils se dépêchent de s’y associer. Cela aide à expliquer à la
fois la rapidité avec laquelle les Chinois s’enthousiasment pour les
nouveaux mouvements et la soudaineté de leurs désillusions. Dans
un système fondé sur le prestige, maintenir les apparences est la
clef de la survie pour les gens au pouvoir. Ils refusent la moindre
concession, puisqu’il n’y a pas moyen de savoir à quel moment la
catastrophe que représente la réaction positive aux changements
peut déclencher l’effondrement du système. Pour assurer la survie
de celui-ci, il leur faut contrôler la disposition des esprits ; de leur
point de vue, la révélation de certains faits susceptibles de semer le
doute sur ce que cache la façade officielle est non seulement embar-
rassante mais aussi – à juste raison, en un sens – dangereuse. Il faut
souvent ajouter à ce tableau, sans que cela fasse contrepoids, les gens
intelligents qui comprennent dans une certaine mesure la logique
de ce genre de régime et n’ont aucune illusion sur ce qui se passe
réellement en coulisse. C’est une situation politique de ce type qui
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par la vision, grosso modo, d’une économie collectiviste. Elle bannit les
relations sexuelles extraconjugales, l’opium et le jeu. Elle développe
chez ses fidèles le sens de la culpabilité, le désir du repentir et l’espoir
de la rédemption. En d’autres termes, la « pensée Taiping » utilise et
développe les ressorts psycho-sociaux que le communisme maoïste
exploitera plus tard. La nature est considérée comme une manifesta-
tion de la puissance d’un dieu unique et non plus l’œuvre combinée
d’une multitude d’esprits et de divinités. L’humanité est une grande
famille, tous les hommes étant enfants de Dieu. Innovation dans le
contexte chinois, le Mal, pour les Taiping, n’est plus l’addition d’une
multitude d’afflictions distinctes les unes des autres, d’espèces de
maladies morales, mais il a une seule source, le Diable, identifié au
maître des purgatoires bouddhistes. Le système économique idéal des
Taiping ne sera jamais mis en place, mais l’égalité hommes-femmes
sera largement réalisée, y compris dans l’armée où les femmes seront
recrutées comme combattantes. Les écrits du cousin du fondateur
du mouvement, Hong Rengan, montrent qu’une synthèse entre des
éléments de la doctrine chrétienne et des éléments du confucianisme
sont tout à fait possibles. Il définit Dieu, par exemple, comme la puis-
sance auto-créée et maîtresse de sa propre fin qui a donné forme aux
formes de l’univers, ce qui Le rapproche du Tao. Par ailleurs, Hong
Rengan propose un programme de modernisation technique ainsi que
les éléments d’un État-providence.
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quelques officiers vont se former à l’étranger, une marine nationale est
créée, certes, mais c’est à peu près tout. Paradoxalement pourtant, c’est
durant cette période, en particulier les années 1890, que les idées qui
soutenaient le vieil ordre impérial se sont trouvées sapées, presque
sans que l’on s’en rende compte, par les questions que ne cessaient de
se poser un petit nombre de responsables politiques inquiets et par la
préoccupation croissante de quelques représentants – d’une qualité
exceptionnelle – de la classe des lettrés.
Aussi bizarrement qu’incontestablement, c’est avant tout pendant
ces décennies atones – ou presque – qu’une « révolution » politique
profonde a pu avoir lieu en Chine au cours de l’époque moderne. Pour-
quoi ? Parce qu’à la fin de ces années-là, le confucianisme, en tant que
vision du monde indiscutée, était effectivement mort. « Mort » en ce
sens qu’il n’y avait plus de penseurs originaux de quelque importance
capables de revitaliser et développer la pensée confucéenne 27. D’autre
part, et cela est tout aussi décisif, les grandes lignes d’une nouvelle
politique avaient été dessinées, même si l’on n’avait pas encore vrai-
ment compris toutes les difficultés que cela devait entraîner. La créa-
tion, dans la première décennie du xxe siècle, d’institutions démocra-
tiques à l’échelon local et, pendant une courte période, à un niveau
plus élevé 28, puis la révolution de 1911 (même si les réalisations n’ont
pas été à la hauteur des promesses) révèlent l’importance de l’impact
qu’a eu dans les faits le changement des idées. Et cet impact est encore
sensible aujourd’hui quand on voit que le gouvernement chinois adopte
comme une des lignes de force de sa stratégie dans les relations inter-
nationales une version perfectionnée et plus élaborée de celle qu’avait
proposée, il y a plus d’un siècle, Zhen Guanying, le plus important
peut-être des critiques de la pensée dominante de l’époque. Zhen est
en effet l’inventeur de l’idée de « guerre commerciale » (shang zhan)
comme moyen de battre les Occidentaux avec leurs propres armes 29.
Les auteurs qui écrivaient sur les problèmes d’actualité dans ces
années-là étaient presque tous d’accord sur le fait qu’il y avait quelque
chose qui n’allait pas dans leur pays, comparé à d’autres qui semblaient
prospérer. Leurs discussions (si l’on néglige quelques problèmes plus
circonstanciels) tournaient autour de six grandes séries de questions,
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les réponses aux questions posées engageant l’avenir à long terme. La
première concernait l’interprétation de l’Histoire : l’époque présente
n’était-elle que l’un des chapitres de la longue saga des conflits entre
la Chine et les « Barbares », ou s’agissait-il d’une ère radicalement
nouvelle ? Et si oui, en quoi ? Une manière de coopération, plutôt
qu’une opposition frontale, était-elle à la fois possible et souhaitable ?
Deuxième sujet abordé, la souveraineté : quelle était pour la Chine la
meilleure façon de résister aux menaces militaires et commerciales de
l’Occident ? Suffirait-il d’en appeler à « la détermination des masses »
(zhongzhi) – selon l’expression de Liu Xihong – sur laquelle tout le
monde était d’accord, en la combinant avec un armement traditionnel
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aux autres (ren) et le sens civique (yi) qui, selon Wang, avaient évité à
la Chine de connaître, à la différence d’autres civilisations fondées sur
la seule force, un essor rapide et un effondrement brutal ?
Quatrième ensemble, les questions économiques. Fallait-il recourir
aux machines, comme en Occident, pour remplacer la main-d’œuvre
et augmenter la production ? Si oui, quels effets risquait d’avoir sur
les valeurs morales la création d’une société exagérément attirée par
le profit ? Qu’en irait-il des emplois, puisque les machines allaient
en faire disparaître un certain nombre ? Et des ressources natu-
relles, dans lesquelles on puiserait tellement qu’elles s’épuiseraient ?
Même Xue Fucheng, admirateur passionné des avancées de la tech-
nologie occidentale et de ses bases expérimentales, observait qu’« il
y a une limite où s’arrête la croissance de toute chose vivante 32 ».
À quoi Wang Bing opposait, non sans pertinence, vu l’époque, que
bien des techniques de culture chinoises, qui exigeaient beaucoup
de main-d’œuvre, étaient trop délicates pour être mécanisées et que
30. Zhongguo shixehui (éd.), Yangwu yundong [Le Mouvement des Affaires
étrangères], Shanghai, 1962, vol. I, p. 284. Mis à part quelques éléments sur
Zheng Guanying, toute la documentation pour ce qui suit vient de ce livre,
p. 263-599.
31. Ibid., p. 512.
32. Ibid., p. 391.
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« Si la science expérimentale (gezhi) épuise les [secrets des]
sources du Ciel et de la Terre et explique les Premiers Prin-
cipes des Dix Mille Choses, c’est pour ajouter aux mécanismes
du Ciel [i.e. les processus naturels] par l’action des hommes et
pour mettre les mécanismes du Ciel au service des activités des
hommes. Une fois compris ces principes-modèles [i.e. les lois
de la nature], une personne est capable de produire pour mille,
dix mille, un million d’autres. Notre Chine, avec sa popula-
tion de quatre cents millions d’habitants, la première au monde,
peut-elle [continuer à] traiter son peuple comme s’il s’agissait
d’enfants, au lieu de faire d’urgence des plans pour “le nourrir
en l’instruisant” 34 ?»
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telles par l’histoire. Pour celle de 1911, ç’a été l’extraordinaire incom-
pétence des derniers responsables politiques Qing, qui auraient pu
parvenir à s’entendre avec les leaders du mouvement pour une consti-
tution, qui appartenaient à la noblesse et à la caste des officiers ; pour
celle de 1949, ç’a été le fait qu’une quinzaine d’années auparavant, le
PCC ait pu échapper aux forces nationalistes, obligées de faire face à
la tentative de conquête de la Chine par les Japonais. Par contraste, le
bouleversement culturel et conceptuel associé aux années 1870, 1880
et 1890 a beaucoup plus l’allure d’un processus presque inévitable et
irréversible. Une manière de voir qu’il n’est pas sans intérêt de prendre
au moins en considération.
M ark Elvin