LIBERTÉ DES RÉSEAUX SOCIONUMÉRIQUES, CONTRAINTE DES

CHERCHEURS

Yves Gingras

C.N.R.S. Editions | « Hermès, La Revue »

2011/1 n° 59 | pages 85 à 85
ISSN 0767-9513
ISBN 9782271071651
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-1-page-85.htm
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 Liberté des réseaux socionumériques, contrainte des chercheurs
Au moment même où l’on constate que l’engoue-
ment pour les réseaux socionumériques donne lieu à une
forme d’exhibitionnisme, où tout un chacun raconte et
montre sa vie privée à qui veut bien la lire et la regarder
sur la toile, on observe que les chercheurs en sciences
sociales ont des difficultés accrues à avoir accès à des
terrains d’enquête au nom de droits à « l’image » et à la
« vie privée » de plus en plus contraignants.
L’apparition, aux États-Unis au début des années
1980, au Canada à la fin des années 1990 et aujourd’hui
en France, de Comités d’éthique de la recherche (CER)
permet en effet de contrôler les projets de recherche sur
les « sujets humains ». Visant d’abord, pour des raisons
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évidentes de santé et de sécurité, les recherches en
sciences biomédicales qui utilisent des humains pour
tester des médicaments, la réflexion sur les « risques »
potentiels des recherches s’est curieusement étendue
aux sciences humaines et sociales qui interrogent ou
simplement observent des sujets humains.
On est ainsi entré dans l’ère du « tout à l’éthique »
et une enquête auprès de groupes considérés « à
risque » (femmes, autochtones, enfants et autres
groupes considérés comme « dominés ») peut être
refusée par des comités d’éthique au nom de critères
plus ou moins bien définis et qui varient d’un comité
à l’autre et d’une institution à l’autre. Après plus de
dix années d’emprise de plus en plus tentaculaire de
ces comités sur la pratique de la recherche en sciences
humaines et sociales, on assiste enfin à une riposte
de la part des chercheurs francophones qui, à l’instar
de leurs collègues anglophones une décennie plus tôt,
publient des ouvrages d’analyse critique de ce qui
est souvent une forme d’infantilisation des acteurs
HERMÈS 59, 2011
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sociaux que l’on croit vouloir protéger. Deux ouvrages
parus en 2010 sont à signaler : La Malréglementation.
Une éthique de la recherche est-elle possible et à quelles
conditions ? sous la direction de Pierre Trudel et
Michèle Jean (Presses de l’Université de Montréal)
et Enquêter : de quel droit ? Menaces sur l’enquête en
sciences sociales coordonné par Sylvain Laurens et
Frédéric Neyrat (Éditions du Croquant).
La « malréglementation » survient lorsque « s’ap-
puyant sur des principes admis de tous, l’on multiplie les
contraintes sans justifications sérieuses et ce, sans pour
autant accroître les protections qui sont recherchées
pour ceux que l’on veut protéger ». Les deux ouvrages
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contiennent de nombreuses études de cas de contrôle
de la recherche qui font parfois dresser les cheveux sur
la tête ! Toutefois, ce qui manque dans ces ouvrages,
par ailleurs excellents, est une réflexion sérieuse sur le
type même de personnes (et collègues !) qui se retrou-
vent généralement membres des CER. Il y a souvent un
côté moralisateur, contrôlant et suspicieux chez ceux et
celles qui, souvent sans rien y connaître, commentent les
protocoles de recherche, au lieu de s’en tenir strictement
à la question des risques, lesquels sont le plus souvent
inexistants dans des projets fondés sur des archives ou
des entretiens avec des adultes consentants et vaccinés.
La question est posée : pendant que les acteurs
sociaux se dévoilent sur les réseaux socionumériques,
l’emprise des CER va-t-elle rendre certaines recherches
en sciences sociales et humaines impossibles ?
Yves Gingras
Université du Québec à Montréal
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31/03/11 16:52