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Aux origines américaines de l'Internet : projets militaires,

intérêts commerciaux, désirs de communauté


Paul E. Ceruzzi
Dans Le Temps des médias 2012/1 (n° 18), pages 15 à 28
Éditions Nouveau Monde éditions
ISSN 1764-2507
ISBN 9782365833202
DOI 10.3917/tdm.018.0015
© Nouveau Monde éditions | Téléchargé le 23/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.155.65.117)

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Aux origines américaines de l’Internet :
projets militaires, intérêts commerciaux,
désirs de communauté

Paul E. Ceruzzi*

Un ouvrage populaire sur l’histoire le développement du télégraphe élec-


de l’Internet débute par la citation d’un trique et des câbles sous-marins. Ces
de ses précurseurs,souhaitant que les his- inventions ont transformé le monde
toriens dissipent le mythe, presque pré- des affaires, le commerce, et la trans-
dominant, selon lequel l’Internet aurait mission des informations3. Les racines
été inventé « …pour défendre la sécu- de l’informatique électronique remon-
rité nationale face à une attaque tent au moins aux années quarante,
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nucléaire »1. De nombreuses inventions lorsque des appareils furent inventés
ont engendré des mythes sur leurs ori- pour aider le calcul mathématique :
gines.Souvent,ceux-ci ne sont pas faux; d’où le nom de « computer » (« calcula-
ils sont simplement sortis de leur teur»=« ordinateur » en français), appel-
contexte. L’actuel Internet possède un lation donnée aux personnes qui réa-
lien fort, bien qu’indirect, avec la guerre lisaient ces calculs à la main (de « com-
nucléaire. Il s’est développé à partir d’un pute» = « calculer »)4. La communica-
projet conçu par l’ARPA (Advanced tion en réseau et l’ordinateur eurent des
Research Projects Agency) du Ministère effets à longue portée sur la société,
américain de la Défense, fondée en mais ce fut leur combinaison, qui n’in-
1958, à la suite de la mise en orbite de tervint que des dizaines d’années plus
Spoutnik une année plus tôt par tard avec ARPANET, qui déclencha
l’Union soviétique2.Le réseau fondé par une transformation de la vie moderne.
l’ARPA, ARPANET,fut l’ancêtre tech-
nique de l’Internet actuel. Cela signifie
Les composants techniques
qu’il fut à l’origine de certains principes
de la mise en réseau
techniques fondamentaux de l’Internet.
On peut faire remonter les racines Au début des années soixante, un
de la mise en réseau au XIXe siècle, avec scientifique travaillant à Cambridge

* Chair Space History Division, National Air and Space Museum.

N °1 8 – Printemps 2012 15 Le Temps des M édias


DOSSIER : HISTOIRE DE L’INTERNET, L’INTERNET DANS L’HISTOIRE

dans le Massachusetts, J. C. R. Lickli- – University of California at Los Angeles)


der, commença à développer l’utilisa- montra que la commutation par
tion des ordinateurs comme dispositifs paquets s’avérait la meilleure méthode
de communication, et pas uniquement de transmission des données informa-
comme calculateurs5. En 1962, il fut tiques. C’est le travail de Paul Baran qui
nommé directeur de l’Information Pro- donna naissance au mythe selon lequel
cessing Techniques Office6 (IPTO) de l’objectif du réseau aurait été de com-
l’ARPA, et bénéficiant d’un finance- muniquer pendant le déroulement
ment généreux du Ministère américain d’une éventuelle guerre nucléaire. Des
de la Défense, s’efforça de réaliser cette années plus tard, lorsqu’on lui demanda
vision. Larry Roberts, qui rejoignit si c’était vrai, il répondit que son but
l’ARPA en 1966, entendit parler l’an- avait été d’empêcher l’éclatement d’une
née suivante d’une méthode de com- guerre nucléaire, en permettant de
munication, appelée commutation de maintenir les canaux de communica-
paquets, qui offrait de nombreux avan- tion ouverts en cas de crise diploma-
tages sur la manière dont la compagnie tique7.
téléphonique nationale américaine En 1967, le projet de mise en réseau
AT&T transmettait l’information sur des ordinateurs financés par l’ARPA
son réseau. La commutation par prit le nom d’ARPANET. La première
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paquets avait été conçue séparément connexion fut réalisée en 1969 ; vers
par le physicien britannique Donald 1971, quinze nœuds étaient connectés
Davies et un mathématicien travaillant à travers les Etats-Unis. En octobre
à la RAND Corporation de l’US Air 1972, Robert Kahn, un mathématicien
Force, Paul Baran. Cette technique de l’ARPA, organisa une démons-
découpe le message en blocs, appelés tration à l’International Conference on
paquets, chacun d’entre eux étant placé Computer Communication (Conférence
dans une « enveloppe » électronique, Internationale sur la communication
qui indique son adresse de destination, informatique) à Washington8. Ce fut
ainsi que d’autres informations. Les un succès, et l’ARPANET fut connu
conventions pour définir les informa- du public9. Dans les années qui suivi-
tions fournies par ces « enveloppes élec- rent, les chercheurs de l’ARPA, sous la
troniques » sont baptisées protocoles. Les direction de Robert Kahn, se consa-
paquets pouvaient être aiguillés sépa- crèrent à rechercher une manière de
rément sur différentes routes et à dif- relier non seulement des ordinateurs
férents moments, et ré-assemblés à leur mais aussi des réseaux possédant des
destination finale. Bien que le coût du architectures diverses et présentant des
routage des paquets semblât à priori degrés variés de fiabilité. En 1973, cet
déraisonnable, une analyse mathéma- effort donna naissance à un nouveau
tique méticuleuse (réalisée par le Pro- protocole, dû principalement à Robert
fesseur Leonard Kleinrock de UCLA Kahn et Vinton Cerf. Nommé Trans-

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Aux origines américaines de l’Internet

mission Control Protocol (« Protocole de sante, les connexions locales sont réa-
Contrôle de Transmission », TCP), il lisées sans fil.
mettait l’accent sur les questions de fia-
bilité et de contrôle des erreurs. En
Les composants sociaux
1978, Vinton Cerf et ses collègues
de la mise en réseau
développèrent un second « Protocole
Internet », qui faisait simplement cir- Le composant social et culturel
culer les paquets d’un nœud à l’autre. constitue de loin la différence la plus
En 1983, le réseau ARPA passa à une grande entre ARPANET et l’actuel
combinaison des deux, restée en usage Internet. Parallèlement au travail de
à ce jour : TCP/IP10. l’ARPA, des processus sociaux ont eu
Les nœuds d’ARPANET étaient une influence, notamment ceux qui
connectés par des câbles en cuivre, à ont conduit au développement du
une vitesse d’environ 50 000 bits par phénomène de l’ordinateur personnel.
seconde. Ceci ouvrit la voie aux ondes Les premiers utilisateurs d’ordinateurs
radios et satellites, puis aux fibres personnels les utilisèrent pour des jeux,
optiques. Les grands ordinateurs con- puis comme tableurs et machines de
nectés à ARPANET évoluèrent vers traitement de texte, et non pour com-
des « fermes de serveurs », grappes de muniquer. Les premiers ordinateurs
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systèmes de petite ou moyenne taille. personnels avaient le potentiel d’être
La topologie d’ARPANET évolua vers mis en réseau, mais ils réclamaient, pour
un ensemble de backbones à haut débit ceci comme pour tout le reste, un effort
à travers le globe, comprenant une hié- de la part de leurs usagers. Dans un
rarchie de sous-réseaux, et aboutissant ouvrage paru en 1977, Alfred Gloss-
en définitive à la connexion d’appareils brenner affirmait que les possesseurs
au niveau individuel. Cette topologie d’ordinateurs personnels qui ne les uti-
bénéficia aussi d’une innovation qui lisaient pas pour communiquer man-
n’avait pas été prévue par les pionniers quaient la dimension la plus importante
d’ARPANET : celle d’Ethernet, au de cette révolution12. Il établissait une
Centre de Recherche Palo Alto de liste de dizaines de bases de données,
Xerox en Californie. Ethernet reliait qui avaient débuté comme services
en local des ordinateurs entre eux à spécialisés pour des sociétés ou des
haute vitesse, et était généralement des- clients professionnels, et étaient main-
tiné à des bureaux ou à des campus uni- tenant disponibles pour les utilisateurs
versitaires. Aujourd’hui, les utilisateurs individuels. Comme de plus en plus de
ont souvent accès à l’Internet grâce à personnes avaient accès à ces services,
un ordinateur portable connecté à les fournisseurs offraient des informa-
Ethernet, lui-même relié à un réseau tions de plus en plus variées, attirant par
régional, puis à un backbone (« dor- là encore plus de clients. Glossbrenner
sale »)11. Au XXIe siècle, de façon crois- n’était pas le seul : Alan Kay, du Centre

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DOSSIER : HISTOIRE DE L’INTERNET, L’INTERNET DANS L’HISTOIRE

de Recherche Palo Alto de Xerox, lorsque les tarifs des appels longue dis-
remarquait qu’« un ordinateur est tout tance étaient meilleur marché15. Il
d’abord et avant tout un dispositif de s’agissait d’efforts gratuits et désinté-
communication »13. Brand, du Whole ressés d’amateurs fervents et passion-
Earth Catalog, affirmait : « la télécom- nés, mais les compagnies commerciales
munication est notre domaine fonda- commencèrent également à offrir ces
teur »14. Vers la fin des années 1970, services. Elles disposaient de la res-
cependant, l’ordinateur personnel source de numéros de téléphone
n’était pas en premier lieu un disposi- locaux déjà établis dans les régions
tif de communication. C’était à peine métropolitaines, et pouvaient connec-
un ordinateur. Tout comme il a fallu ter les lignes les unes aux autres par leur
des visionnaires comme Steve Jobs et propre réseau privé. Elles établirent dif-
Steve Wozniak chez Apple pour trans- férentes grilles de tarif 16.
former les ordinateurs personnels en
machines viables, il a également fallu
Le social et le commercial :
des esprits imaginatifs comme Brand,
The Source, Prodigy
Glossbrener et Kay pour faire de la mise
en réseau une réalité pour les utilisa- Un des nombreux services com-
teurs extérieurs au monde privilégié merciaux qui émerga alors est resté
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de l’armée. dans l’histoire. The Source basé en Vir-
Dans les années 1970, utiliser un ginie, créa un nouvel empire d’inter-
ordinateur personnel pour communi- actions sociales, tel que l’ARPA l’avait
quer n’était pas chose facile. Il fallait ins- envisagé uniquement parmi les scien-
taller un logiciel de communication, tifiques et l’armée. The Source a disparu
relier l’ordinateur à un modem, le bran- depuis longtemps, mais son esprit sur-
cher sur une ligne de téléphone, com- vit chaque jour, lorsque des millions de
poser un numéro local et se connecter personnes mettent à jour leur page sur
à un service. Celui-ci devait être local, Facebook. Par-dessus tout, il a apporté
car les utilisateurs hésitaient à effectuer une vision de ce qu’un service en ligne
des appels longue distance, très coûteux pouvait et devait être17. The Source fut
aux Etats-Unis. Malgré ces difficultés, le fruit de l’imagination de William
les systèmes de BBS (Bulletin Board Sys- von Meister, qui fonda la compagnie,
tems, « bulletins électroniques » locaux) mais en fut éjecté en 197918. Sans se
se développèrent à travers le pays. Ils décourager, il créa une nouvelle
reposaient sur de simples ordinateurs société, la ControlVideo Corporation, dans
personnels équipés d’un logiciel de l’intention de permettre aux posses-
communication et d’un disque dur (un seurs d’ordinateurs personnels et de
luxe à cette époque !), configurés pour consoles de jeux de participer à des jeux
recevoir des appels téléphoniques. Cer- en ligne. Steve Case, un jeune employé
tains faisaient suivre les données la nuit, de la chaine de restaurants Pizza Hut,

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Aux origines américaines de l’Internet

en devint un adepte après s’être con- le sexe opposé (ou du même sexe, car
necté de son appartement à Wichita qui peut connaître le sexe de la per-
dans le Kansas. Il rejoint Control Video, sonne connectée ?). Comme sur Face-
puis en 1985 forma le Quantum Com- book vingt ans plus tard, le sexe, l’une
puter Services, renommé plus tard Ame- des principales raisons du succès
rica Online (AOL)19. Vers la fin des d’America On line, était « caché en
années 1990, AOL avait connecté à pleine lumière ».
Internet plus d’individus (jusqu’à 30 Notons le contraste entre ces ser-
millions de personnes) que n’importe vices, réalisés indépendamment de la
quel autre service. croissance de l’Internet, et le réseau
Case ne fut pas le seul. En 1984, une envisagé par ARPA. L’ouvrage précur-
société nommée Prodigy fut créée, avec seur de Stewart Brand, Whole Earth
le soutien d’IBM. Elle lança l’utilisa- Software Catalog, publié en 1984, par
tion d’interfaces graphiques, à une exemple, ne mentionne pas du tout
époque ou les PC faisaient tourner des Internet20. Pas plus que Glossbrenner
systèmes d’exploitation fonctionnant dans les premières éditions de son livre,
uniquement en mode texte. Le gra- et dans les dernières, il mentionna
phisme ne rendait pas uniquement le « l’Internet » comme l’un des nom-
service plus attirant, il fournissait aux breux réseaux existants.
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annonceurs une manière de placer des
publicités devant les abonnés de Pro-
Les réseaux universitaires
digy, et de compenser par là la plus
grande partie des coûts. Prodigy antici- A mi-chemin entre l’Internet et ces
pait donc le modèle commercial du connexions personnelles se trouvaient
WorldWideWeb, riche en images numé- plusieurs réseaux académiques, qui
riques et en annonces publicitaires. Il contribuèrent également au paysage du
proposait également l’e-mail et des cyberespace moderne. L’un d’entre eux
forums de discussion, appréciés des uti- était BITNET, construit en 1981 pour
lisateurs, mais qui utilisaient beaucoup relier les ordinateurs centraux d’IBM
de temps de connexion sans générer de sur les campus universitaires21. Ce ser-
revenu. La tentative de censure des dis- vice était accessible aux étudiants et aux
cussions par Prodigy conduisit à une enseignants en lettres et en sciences, et
réaction hostile des abonnés, alors mettait le réseautage à la portée de
qu’America On line avait adopté une nombreuses personnes qui n’y auraient
politique moins restrictive sur ses pas eu accès autrement. L’une de ses
« chats », dont le contenu était contrôlé caractéristiques était le forum de dis-
par des volontaires. Ceux-ci suivaient cussion « Listserv ». Un autre service,
les discussions en exerçant très peu de Usenet, débuta en 1980 comme inter-
censure. Beaucoup de « chats » étaient connexion entre les ordinateurs qui
axés sur les relations personnelles avec utilisaient le système d’exploitation

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DOSSIER : HISTOIRE DE L’INTERNET, L’INTERNET DANS L’HISTOIRE

Unix. Usenet n’était pas connecté à Ministère américain du Commerce a


Internet. Néanmoins, il eut une grande le contrôle de la gestion de l’Internet,
influence sur le réseau des réseaux. y compris l’attribution de noms, bien
Grâce au financement d’ARPA, les qu’il ait attendu 2005 pour le déclarer
protocoles TCP/IP étaient distribués officiellement24.
avec Unix, qui devint un système d’ex- La National Science Foundation vou-
ploitation de facto du matériel de com- lait fournir un accès aux superordina-
mutation d’Internet. En définitive, les teurs, appareils onéreux installés seu-
ordinateurs personnels utilisant le sys- lement dans certains endroits en rai-
tème d’exploitation Microsoft Win- son de leur coût. En 1986, la NSF relia
dows purent également se connecter à cinq centres de superordinateurs, et
Internet, mais pendant des années, les pris trois décisions cruciales pour la
programmeurs écrivant des logiciels de suite de l’histoire. La première fut
réseau devaient maîtriser couramment d’adopter les protocoles TCP/IP ; à
Unix, et passèrent de longs moments à posteriori, cette décision semble évi-
débattre de programmation et de sujets dente ; elle ne l’était pas à l’époque. La
techniques associés dans les groupes de seconde fut de créer un réseau géné-
Usenet. Ceux-ci avaient tendance à ral, disponible pour l’ensemble des
être plus libres que ceux de BITNET, chercheurs. La troisième fut de finan-
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et à côté des débats techniques détaillés cer la construction d’une « dorsale » à
sur Unix, on y trouvait des discussions haut débit, traversant le pays, à laquelle
sur « le sexe, les drogues et le rock and les réseaux locaux et régionaux pour-
roll », comparables à ce qui se passait raient se connecter25. En 1987, la NSF
sur AOL22. lança un appel d’offre pour remplacer
le backbone d’origine par un nouveau,
fonctionnant à une vitesse de 1,5 mil-
Politique : de la Défense à la
lions de bits par seconde (Mbps), amé-
National Science Foundation
lioré plus tard à 45 Mbps. Un des
En 1983, le Ministère de la Défense contrats fut obtenu par une compagnie
divisa ARPANET en deux. Il établit nommée MCI (actuellement filiale de
un réseau pour l’utilisation interne et Verizon), qui constitue jusqu’à ce jour
mit le reste sous la responsabilité de la le principal canal du trafic Internet. En
National Science Foundation (NSF), qui 1990, le réseau NSF reliait environ 200
à son tour conclut des contrats avec des universités, et était connecté à d’autres
fournisseurs commerciaux pour la réseaux gouvernementaux, y compris
construction d’un réseau réservé à la ceux opérés par la NASA et le minis-
recherche et aux besoins universitaires. tère de l’Energie. BITNET et Usenet
En quelques années l’Internet fut établirent des connections, de même
entièrement ouvert à l’usage commer- que beaucoup d’autres réseaux inter-
cial23. Depuis l’année 1995 environ, le nationaux. L’ARPANET d’origine,

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Aux origines américaines de l’Internet

rendu ainsi obsolète, fut mis hors ser- sur la Science et la Technologie, qui prit
vice en 1990. force de loi en automne 199228. Le para-
graphe (g) statuait, entre autres que:
[…] la Fondation [nationale pour
Du gouvernement
la Science] a le droit de stimuler et de
à l’usage commercial
soutenir l’accès par des communau-
Les réseaux commerciaux furent tés de recherche et d’éducation aux
autorisés à se connecter au backbone de réseaux informatiques qui peuvent
la NSF, mais ce trafic fut réglementé par être utilisés de manière substantielle
une « Acceptable Use Policy » (« Politique pour des buts autres que la recherche
d’Utilisation Acceptable »). Le Congrès et l’éducation dans le domaine des
américain ne pouvait plus autoriser la sciences et de l’ingénierie, si ces
NSF à entretenir un réseau que d’autres usages supplémentaires29 tendent à
utilisaient à des fins commerciales. La accroitre les capacités globales des
convention spécifiait que les compa- réseaux à soutenir de telles activités
gnies à but lucratif pourraient se de recherche et d’éducation30.
connecter au réseau mais pas l’utiliser
à des fins commerciales26. Cependant, Ces deux termes, « autres » et « sup-
en 1988, la NSF autorisa MCI à se plémentaires », ont marqué la naissance
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connecter à son service e-mail, initia- de l’Internet moderne31.
lement dans des « buts de recherche »,
afin d’explorer la faisabilité de ce type
La fermeture de la « boîte noire» :
de connexion27. Cette décision fut
l’Internet se normalise
encouragée par Vint Cerf, qui était
passé à MCI après avoir quitté l’ARPA. Au début des années 1980, le Séna-
Le « MCI-mail » offrait aux clients un teur Al Gore, Jr (qui deviendra Vice-
accès à l’Internet en développement, Président des Etats-Unis), proposa de
et peu après, d’autres bénéficièrent financer un réseau informatique natio-
d’une connexion similaire, toujours nal pour la communauté scientifique,
sous la rubrique « recherche ». auquel il espérait voir contribuer de
L’« Acceptable Use Policy » encoura- nombreuses agences fédérales appelées
geait les entités commerciales à créer à en bénéficier32. Gore envisageait un
d’autres colonnes vertébrales de réseau, réseau beaucoup plus rapide que le
permettant à la NSF de se concentrer NSFNET existant, qui serait le « suc-
sur la recherche scientifique. Vers 1995, cesseur » d’Internet33. Avec le temps,
toutes les colonnes vertébrales de le projet se transforma en loi, et l’idée
réseau étaient exploitées par des enti- fut dépassée par les évènements. L’In-
tés commerciales, et l’« Acceptable Use ternet se succéda à lui-même. Le nou-
Policy » fut assouplie. Ce tournant fut vel Internet devint de plus en plus un
consigné dans un amendement à la Loi ensemble de réseaux locaux d’ordina-

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DOSSIER : HISTOIRE DE L’INTERNET, L’INTERNET DANS L’HISTOIRE

teurs personnels et de stations de tra- quartier général d’AOL en Virginie,


vail, et le courrier électronique une contrôla 50% de l’ensemble du trafic
source de trafic fondamentale. Les Internet, fait ironique au regard de la
superordinateurs perdirent de leur vision populaire selon laquelle l’Inter-
importance. L’ouverture des réseaux au net était destiné à survivre à une guerre
trafic commercial libéra le capital nucléaire. De même, à mesure que l’In-
risque, qui gouverna l’Internet après ternet s’étendait vers l’étranger, les
1993. Lorsque l’on parle du rôle du fournisseurs européens trouvèrent
gouvernement américain dans le déve- meilleur marché et plus facile politi-
loppement de l’Internet, il faut com- quement de connecter leur pays, au
prendre que ce « gouvernement » moyen de câbles sous-marins traversant
inclut un grand nombre d’agences en l’Océan Atlantique, d’abord à un Point
concurrence les unes avec les autres. d’Accès aux Etats-Unis, et de là à un
Alors que l’ARPA mettait en place autre pays européen (d’où les brèves
TCP/IP, d’autres organismes dévelop- perturbations des services intra-euro-
paient une alternative, appelée « In- péens après les attaques du 11 sep-
terconnexion de Systèmes ouverts» tembre 2001 sur le World Trade Center
(OSI)34. Vers le milieu des années à Manhattan, à proximité d’un Point
quatre-vingt, on pouvait lire des articles d’Accès Réseau géré par Verizon).
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sur la manière dont TCP/IP serait
absorbé par l’OSI, ou remplacé par lui.
L’émergence du contrôle :
Ceci ne s’est jamais produit.
le système des noms de domaines
En 1993, la National Science Founda-
tion négocia un accord pour remplacer Les réseaux privés créèrent en effet
son backbone par des backbones à haut un Internet alternatif, qui n’était pas
débit exploités par des entreprises com- soumis au contrôle de la NSF. De
merciales. Les réseaux régionaux pou- même, la croissance rapide des services
vaient s’y connecter à un certain personnels comme America Online
nombre de points appelés Points d’Ac- offraient une alternative aux connec-
cès au Réseau (Network Access Points). tions de la NSF. Peut-être le monde
Ceux-ci se transformèrent rapidement moderne du cyberespace serait-il né de
en carrefours de connexions encom- toute manière, sans rapport avec l’ac-
brés et en goulots d’étranglement tion de la National Science Foundation36.
congestionnés35. Deux d’entre eux Ce n’est pas ce qui s’est passé, en par-
étaient exploités par la compagnie tie en raison de l’avantage de la philo-
Metropolitan Fiber Systems et connus sophie d’inclusion et d’ouverture de
sous le nom d’« Echangeur d’Accès l’Internet. Le maintien d’une supervi-
Metropolitan - Ouest » et « Est », ou sion réduite au minimum, qui permet-
« MAE-Est » et « MAE-Ouest ». A un trait des apports provenant de diffé-
moment, MAE-Est, situé en face du rentes parties, indépendamment du

22
Aux origines américaines de l’Internet

contrôle d’un organisme lucratif, était lorsque seuls quelques nœuds existaient
lié à cette philosophie. en dehors des Etats-Unis, eut des
L’Internet exige un schéma d’adres- conséquences plus tard, quand l’Inter-
sage commun, comparable à la néces- net eut une portée globale et devint
sité pour chaque téléphone connecté vital également pour des pays utilisant
à un réseau téléphonique national, de les lettres accentuées de l’écriture
posséder un numéro se présentant sous latine. L’Internet commença à adopter
une forme identique. Pour éviter la ce système en 1984, et s’y convertit
confusion, l’assignation et l’enregistre- totalement en 1987.
ment des adresses Internet doivent être
contrôlés par une entité unique. Avec
Qui contrôle Internet ?
l’évolution de l’Internet, ce contrôle est
Controverses (1992-2005)
devenu pratiquement assimilable à son
administration générale37. D’un point de vue social le DNS a
L’ARPANET possédait un dossier fonctionné, au moins au début. Vers la
qui contenait l’adresse numérique de fin de l’année 1992, les adresses uni-
chaque ordinateur connecté au réseau. versitaires (.edu) étaient supérieures en
Ce dossier ne cessant de croître, les frais nombre aux nœuds commerciaux
généraux entrainés par sa mise à jour (.com) : 370 000 contre 304 000. Ces
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devinrent ingérables38. En 1982, des deux catégories ensemble dépassaient
chercheurs proposèrent de remplacer largement toutes les autres39. Après
ce système par une convention hiérar- l’amendement de l’« Acceptable Use
chique, le Système des Noms de Policy », l’équilibre changea en faveur
Domaines (Domain Name System, du .com, et les adresses Internet com-
DNS). Initialement, il y eu un en- mencèrent à se compter en millions.
semble de huit « domaines supérieurs »: Les inventeurs du système n’avaient pas
.com, .edu, .mil., .net, .org, .gov et .int., prévu le jour où les domaines .com
qui nous sont tous familiers excepté le seraient achetés et vendus pour des mil-
dernier. Celui-ci, réservé aux organi- lions de dollars.
sations internationales, fut remplacé Mais qui tiendrait les registres ? Le
plus tard par des codes de pays de deux Ministère de la Défense garda le
lettres en accord avec les conventions contrôle des adresses du domaine .mil.
de l’ISO, par ex. « fr » pour la France. Pendant un temps, il contrôla égale-
Un domaine fut prévu pour les Etats- ment le reste du réseau NSF, mais créa
Unis, «.us », bien que celui-ci fut sou- plus tard un « Centre d’Information
vent inutile. Les lettres utilisées pour pour le Réseau Internet » pour gérer
nommer les hébergeurs étaient res- les immatriculations. Les candidats à un
treintes aux 26 lettres de l’alphabet nom de domaine envoyaient une
anglais et quelques caractères spéciaux. demande au Centre, et si celle-ci était
Cette décision, évidente à l’époque, acceptée et que personne d’autre ne

23
DOSSIER : HISTOIRE DE L’INTERNET, L’INTERNET DANS L’HISTOIRE

possédait ce nom, il était accordé. La 2000, juste avant l’éclatement de la bulle


procédure était gratuite. Il n’y avait pas Internet, SAIC vendit le registre à Veri-
non plus de test pour déterminer si le sign, pour un bénéfice estimé à 3 mil-
demandeur était le mieux qualifié pour liards de dollars41.
le recevoir. Les pays étrangers impo- Des pionniers de l’Internet critiquè-
saient souvent des restrictions concer- rent cet arrangement et proposèrent
nant l’enregistrement sous leur code de d’ajouter des domaines supérieurs et de
pays de deux lettres, et par conséquent, mettre d’autres compagnies en concur-
beaucoup de sociétés étrangères s’en- rence avec Network Solutions. Aucune
registraient simplement sous une de ces suggestions ne fut adoptée. L’ac-
adresse .com disponible. Inversement, cord avec Network Solutions entra dans
certaines compagnies américaines enre- le nouveau millénium. La controverse
gistraient des noms de domaine dans conduisit en 1998 à la création d’une
des pays étrangers; la minuscule nation nouvelle entité, l’Internet Corporation for
de Tuvalu dans l’Océan Pacifique était Assigned Names and Numbers, considé-
populaire en raison de son code «.tv ». rée comme gérant aujourd’hui toutes
En 1993, la NSF pris le contrôle de les questions pratiques de l’Internet.
cette fonction. S’ensuivit la décision la Les problèmes sont loin d’être réso-
plus controversée de la politique de l’In- lus. La question du contrôle américain
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ternet. En 1992, le Système des Noms a été particulièrement aigue. Le débat
de Domaine fut transféré à une com- devint public lors du Sommet mondial
pagnie appelée Government Systems, Inc. sur la société de l’information organisé
L’année suivante, la National Science par l’ONU. Lors de la deuxième phase,
Foundation signa un contrat avec Net- à Tunis en novembre 2005, environ 70
work Solutions, Inc., pour gérer l’enre- pays y pressèrent les Etats-Unis de
gistrement de cinq des domaines supé- renoncer à leur surveillance sur Inter-
rieurs : .com, .org, .net, .edu et .gov. net au profit des Nations Unies. Ils refu-
L’enregistrement était gratuit40. Deux sèrent.
ans plus tard, l’entreprise contractante
du secteur de la défense Science Applica-
Le World Wide Web:
tions International Corporation (SAIC)
le « maillon manquant »
acheta Network Solutions ; après quoi
celle-ci renégocia son contrat avec la Pour la masse des usagers l’Internet
National Science Foundation pour lui per- est quasiment synonyme d’un pro-
mettre de facturer des honoraires gramme mis en œuvre sur le réseau, le
annuels pour l’enregistrement des noms WorldWideWeb,introduit en 1991.L’his-
de domaine. Les adresses .com prenant toire de l’Internet révèle comment
de la valeur, ce changement de politique celui-ci prit le contrôle de réseaux plus
fit soudain de Network Solutions une anciens, parce qu’il s’agissait d’un réseau
compagnie hautement profitable. En ouvert capable de s’interconnecter avec

24
Aux origines américaines de l’Internet

des réseaux existants de conceptions dif- construction des pages Web pour les
férentes. Le Web (la Toile), développé débutants. Grâce au soutien administra-
par Tim Berners-Lee et Robert Cailliau tif et technique de Robert Cailliau, le
dans le cadre de l’Organisation euro- système fut mis en fonctionnement sur
péenne pour la Recherche nucléaire les machines du CERN le jour de Noël
(CERN) près de Genève, poursuivit 1990, et commença à s’étendre tout
cette tendance en permettant le partage autour du globe l’année suivante.
harmonieux de diverses sortes d’infor- Tim Berners-Lee écrivit également
mations sur Internet. Tim Berners-Lee un programme, appelé navigateur, que
fut inspiré par les divers groupes de phy- les utilisateurs installaient pour déco-
siciens du CERN qui se croisaient dans der l’information et l’afficher. En 1992,
les couloirs du Centre et échangeaient la Toile commençant à s’étendre parmi
des informations42. Les réseaux infor- les laboratoires universitaires et gouver-
matiques facilitaient les échanges d’in- nementaux, un groupe appartenant à
formation structurés, mais ils leur man- un centre de superordinateurs de l’Illi-
quaient cette serendipity, que personne nois poussa le concept du navigateur
ne peut forcer. Tim Berners-Lee avait encore plus loin, y ajoutant de riches
eu vent du concept connu sous le nom éléments graphiques. Le programme fut
d’hypertexte ou écriture non linéaire,mis nommé Mosaic; ses créateurs s’installè-
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en œuvre par Apple sous forme de pro- rent plus tard dans la Silicon Valley et y
gramme dans ses ordinateurs Macin- fondèrent une compagnie, Netscape,
tosh. L’hypertexte avait également été pour en lancer une version commer-
développé par Ted Nelson, voisin de ciale sur le marché. Un autre « héritier »
Stewart Brand dans le nord de la Cali- de Mosaic devint le modèle du propre
fornie et auteur d’un manifeste publié navigateur de Microsoft, Microsoft Inter-
à compte d’auteur, Computer Lib. Le net Explorer. Une des caractéristiques
Web possédait trois composants de base. principales du navigateur de Netscape
Le premier était un Uniform Resource résidait dans sa manière de transmettre
Locator,ou URL (« adresse universelle »), l’information, en particulier les numé-
qui pouvait diriger un ordinateur vers ros de carte de crédit, sécurisés par un
toutes les localisations sur Internet avec codage du flot des données. Ceci
la même facilité. Le deuxième était un ouvrit l’Internet aux transactions com-
protocole, appelé Hypertext Transfer Pro- merciales. Une autre caractéristique
tocol, ou HTTP, qui facilitait l’échange introduite par Netscape permettait le
de dossiers provenant d’une variété de suivi des interactions de l’utilisateur
sources. Le troisième était un simple avec un site spécifique à travers des
Hypertext Markup Language, ou HTML, écrans successifs, caractéristique évi-
sous-ensemble d’un langage de forma- dente mais non inhérente au Web. La
tage déjà en usage chez IBM. HTML méthode du navigateur de Netscape
était facile à apprendre et facilitait la consistait à identifier un numéro appelé

25
DOSSIER : HISTOIRE DE L’INTERNET, L’INTERNET DANS L’HISTOIRE

« cookie » (témoin de connexion - le compris American Online, avec Inter-


nom venait d’une émission pour enfants net.
populaire aux Etats-Unis, Sesame Street). • L’établissement d’un système de
Lorsque Netscape offrit des parts de la contrôle pour tenir le Registre des
compagnie au public en août 1995, la Noms de Domaine.
frénésie qui en résulta donna naissance • Enfin, le développement du World
à une bulle qui transforma instantané- Wide Web, programme lancé en 1991,
ment ses créateurs et tous les fournis- qui permettait un accès facile à « l’au-
seurs de produits similaires en million- toroute de l’information ».
naires. La bulle éclata environ cinq ans
plus tard, mais elle avait fait du Web Les racines conflictuelles de l’Inter-
non seulement un service d’informa- net, provenant d’une part d’un pro-
tion, mais aussi un solide moyen de gramme militaire destiné à faire face à
faire des affaires, et fut à de nombreux une crise dans le cadre de la Guerre
titres le « maillon manquant » qui fit le froide, de l’autre venu d’un mouve-
succès de l’Internet. ment de fond promu par des organisa-
teurs de la « contre-culture », rendent
son histoire particulièrement fascinante
L’Internet ouvert
et contribuent également à son succès
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soumis à un siège
actuel dans le monde entier.
Vers 1995, presque tous les compo- Evidemment l’histoire ne s’est pas
sants constitutifs de l’Internet com- terminée en 1995, et les changements
mercial étaient en place. Soit, pour depuis cette époque ont été considé-
résumer : rables. L’idéal harmonieux d’ouverture
• Plusieurs « backbones » (« dorsales ») préconisé par Vinton Cerf, Robert
à haut débit, exploitées par des entités Kahn et d’autres, semble avoir disparu,
commerciales. bien que les avantages qui lui sont inhé-
• Le remplacement des réseaux régio- rents laissent supposer qu’il persistera
naux à but non lucratif par des four- encore. Les réseaux sociaux comme
nisseurs de services commerciaux. Facebook restent isolés des recherches
• L’adoption d’Ethernet comme réseau web courantes, sur Google ou autre. Il
local à haute vitesse pour relier les existe également des tentatives de four-
postes de travail individuels. nisseurs de services Internet pour res-
• L’existence d’ordinateurs personnels treindre ou « étrangler » les réseaux à
possédant de bonnes capacités gra- bande large. Les évènements des années
phiques, un modem intégré, des logi- à venir pourront changer radicalement
ciels de communication et un système une grande part de cette épopée, qui
d’exploitation incluant TCP/IP. reste néanmoins l’une des plus fasci-
• La fin de l’ « Acceptable Use Policy ». nantes dans l’histoire de la volonté de
• L’interconnexion de réseaux privés, y communication entre les hommes.

26
Aux origines américaines de l’Internet

Notes berg et Judy O’Neill, Transforming Computer


1Katie Hafner et Matthew Lyon, WhereWiz- Technology, Baltimore, MD : Johns Hopkins
ards Stay Up Late : the Origins of the Internet University Press, 1996.
(New York, 1996), p. 10. 10April Marine, Susan Kirkpatrick, Vivian
2
L’ARPA fut fondée en 1958 et rebaptisée Neou et Carol Ward, Internet: Getting Started,
plus tard Defense Advanced Research Projects Englewood Cliffs, NJ, 1993, p. 156.
Agency (DARPA). C’est l’acronyme d’origi- 11Robert M., Metcalfe,“How Ethernet was
ne qui est utilisé ici. invented,” IEEE Annals of the History of Com-
3 Tom Standage, The Victorian Internet : The puting, 16, 1994, p. 81-88.
12
Remarkable Story of the Telegraph and the nine- Alfred Glossbrenner, The Complete Hand-
teenth Century’s On-Line Pioneers, New York, book of Personal Computer Communications,
Walker & Company, 1998. New York ; la deuxième édition fut publiée
4 en 1983, et la troisième en 1990. La citation
Paul E. Ceruzzi, A History of Modern Com-
provient de la troisième édition, p. XIV.
puting, 2nd Edition, Cambridge MA, MIT
13
Press, 2003. Alan Kay, cité dans Stewart Brand, éd.,
5
Whole Earth Software Catalog, New York,
J.C.R. Licklider, “Man-Computer Sym-
Quantum Press/Doubleday 1984, p. 139.
biosis”, IRE Transactions on Human Factors in
14
Electronics 1,1960, p. 4-11 ; J.C.R. Licklider Stewart Brand, ibid., p. 139.
and Welden C. Clark,“On-Line Man-Com-
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15
Ce système était appelé “Fidonet,” nom
puter Communication”, AFIPS, Proceedings populaire du chien qui ramène les objets
Spring Joint Computer Conference,1962, p. 113- pour son maître.
128 ; et J.C.R. Licklider, et Robert C. Tay- 16 Ibid., tableau p. 140.
lor, “The Computer as a Communication
17
Device”, Science and Technology 76, 1968, p. Glossbrenner, Complete Handbook, édition
21-31. de 1983, p. 68.
18
6
Bureau des Techniques de Traitement de Kara Swisher, AOL.COM : How Steve Case
l’Information. beat Bill Gates, Nailed the Netheads, and made
7
Millions in the War for the Web, New York,
Paul Baran, entretien personnel avec l’au-
1998, chapitre 2.
teur, 24 avril 2001. Baran mentionna en par-
19
ticulier la crise des missiles de Cuba en 1962, Ibid., voir aussi Glossbrenner, Complete
lorsque les Etats-Unis et l’URSS furent au Handbook, édition de 1983, chapitre 10.
bord de la guerre nucléaire. 20 Daniel P. Siewiorek, C. Gordon, Bell, et
8
ARPA Network Information Center, Palo Allen Newell, Computer Structures : Readings
Alto, CA, “Scenarios for Using the and Examples, New York, 1982, p. 387-438 ;
ARPANET at the International Conference Stewart Brand, Whole Earth Software Catalog,
on Computer Communication, Washing- p. 138-157.
ton, DC, October 24-26, 1972.” Une copie 21 Ibid.
se trouve en possession de l’auteur. 22Peter Salus, Casting the Net : From
9Janet Abbate, Inventing the Internet, Cam- ARPANET to INTERNET and Beyond,
bridge, MA : MIT Press, 1999 ; Arthur, Nor- Reading, MA, Addison-Wesley, 1995.

27
DOSSIER : HISTOIRE DE L’INTERNET, L’INTERNET DANS L’HISTOIRE

23 32
William Aspray & Paul Ceruzzi, eds., The Conseil américain pour la Recherche
Internet and American Business, Cambridge, nationale, Commission des Télécommuni-
MA, 2008, Chapitre 2. cations et de la Science informatique,“Evol-
24
Ministère américain du Commerce, ving the High Performance Computing and
Administration nationale des Télécommu- Communications Initiative to Support
nications et de l’Information, “Noms de the Nation’s Information Infrastructure”,
domaine : principes nationaux américains Washington, DC, 1995, p. 1
concernant les noms de domaines et identi- 33Al Gore,“Infrastructure for the Global Vil-
fiants Internet” lage,” Scientific American, Numéro spécial sur
<http://www.ntia.doc.gov/ntiahome/doma la Communication, l’informatique et les
inname/USDNSprinciples_06302005.htm> réseaux, septembre 1991, p. 150-153.
dernière visite 5 septembre 2006.
34
25
Janet Abbate, Inventing the Internet, Chap. 5.
“NSFNET— Réseau de la National Sci-
35
ence Foundation” Living Internet, ressource en Stimson Garfinkel, “Where Streams
ligne, sur Converge,” Hot Wired, 11 septembre 1996,
<www.livingInternet.com/i/ii_nsfnet.htm> consulté par Internet.
dernière visite 10 novembre 2005; voir égale- 36Voir par exemple, Peter, Salus, Casting the
ment Jay P., Kesan et Rajiv C., Shah, “Fool Net, p. 237, ainsi que diverses discussions sur
Us Once, Shame on You—Fool Us twice Usenet sur “La privatisation de l’Internet”,
Shame on Us : What we can Learn from the
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dans alt.folklore.computers, ca. 7 Sept. 2000,
Privatization of the Internet Backbone Net- consulté sur le site Internet Archive, mai 2006.
work and the Domain Name System,”
37
Washington University, Law Quarterly, 79, Milton L. Mueller, Ruling the Root : Inter-
2001, p. 106, consulté électroniquement. net Governance and the Taming of Cyberspace,
26
Cambridge, MA, 2002.
Ed, Krol, The Whole Internet User’s Guide
38
and Catalog, Sebastopol, CA, 1992, Anne- U.S. National Research Council, Signposts
xe C. in Cyberspace : the Domain name System and
27 Internet Navigation, Washington, DC, 2005,
Robert Kahn, échange personnel avec l’au-
teur. Chapitre 2.
39
28Site Web du représentant au Congrès Rick Marine et al., Internet: Getting Started, p. 195.
Boucher <www.boucher.house.gov> der- 40U.S. National Research Council, Signposts
nière visite juin 2006. in Cyberspace, p. 75.
29 Souligné par P. E. Ceruzzi. 41
Ibid., voir aussi National Research Coun-
30Section 1862, of Title 42, of the United cil, Signposts in Cyberspace, p. 76; Steven, Pearl-
States Code. stein,“A Beltway Bubble About to Burst ?”,
31
Washington Post, 20 juin 2003, p. E1.
Stimson Garfinkel, “Where Streams
42
Converge” , Hot Wired, 11 septembre 1996, Tim Berners-Lee, Weaving the Web, San
consulté sur Internet. Francisco, Harper, 1999.

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