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Par
Bertel De Groote
Université de Gand
avec la collaboration de
Jean-François Derroitte
Avocat au barreau de Liège
Bertel DE GROOTE1
avec la collaboration de Jean-François DERROITTE2
1. Introduction
1. Université de Gand.
2. Avocat au barreau de Liège.
Extrait de la Revue Ubiquité - Droit des technologies de l'information n°16, septembre 2003, pp. 61-82, reproduit avec l'aimable
autorisation des Éditions Larcier, Bruxelles.
3. Les caractéristiques d’Internet Selon les critiques, le mariage entre
soulignent l’importance des questions l’Internet et le droit international privé
62 précitées. Elles font appel à l’aptitude est boiteux, puisque celui qui envisage
du droit international privé à gérer le l’usage d’Internet verra son comporte-
trafic transfrontalier incité par les ment confronté à toutes les législations
réseaux électroniques. Le citoyen, con- du monde et doit se préparer à se
fronté aux effets « internationaux » de défendre en justice n’importe où. Un
l’usage d’Internet, dont il est souvent entrepreneur qui veut user du web pour
peu conscient, risque de se perdre dans faire connaître son entreprise ou qui a
un labyrinthe juridique. La complexité, l’intention d’installer un réseau de distri-
conséquence de l’extranéité d’Internet, bution sera contraint de procéder à des
ne lui permet guère de prévoir le cadre investissements majeurs en matière de
législatif auquel il doit conformer son conseil juridique. A quoi bon alors
comportement sur le web. l’Internet?
3. Dow Jones & Company Inc. v. Gutnick, [2002] HCA 56 (10 december 2002), http://www.worldlii.org/cgi-worldlii/
disp.pl/au/cases/cth/high%5fct/2002/56.html?query=%7e+gutnick (20 décembre 2002).
Pour un commentaire récent: A. VAN HOEK, « Australia’s High Court upholds local (private law) jurisdiction in case of
defamation over the Internet », International Enforcement Law Reporter, 2003, 167-170. Sur la problématique, voy.
aussi B. DE GROOTE, « Onrechtmatige daad en Internet - Een rechtsvergelijkende analyse van art. 5, sub 3 EEX-
Verordening en de Amerikaanse bevoegdheidsregeling aan de hand van het internet » (tekst van de inleidende uiteen-
zetting op de verdediging van het gelijknamige doctoraal proefschrift aan de Universiteit Gent, Faculteit rechtsgeleerd-
heid), 24 janvier 2003, 15 p., ainsi que B. DE GROOTE, « Onrechtmatige daad en Internet - Een rechtsvergelijkende
analyse van art. 5, sub 3 EEX-Verordening en de Amerikaanse bevoegdheidsregeling aan de hand van het internet »
(doctoraal proefschrift, onder leiding van prof. dr. R., de Corte, verdedigd aan de Universiteit Gent, Faculteit rechts-
geleerdheid), 24 janvier 2003, 441 p. Le lecteur peut se renseigner sur ces documents, ou trouvera de plus amples
références, auprès d’un des auteurs (Bertel.DeGroote@UGent.be).
4. Y., POULLET, « L’affaire Yahoo! Inc. ou la revanche du droit sur la technologie », Revue Ubiquité, 2001/9, pp. 81-86.
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prestataire de services d’Internet améri- Par conséquent, Yahoo! se trouve-
cain très connu. La Ligue internationale rait dans une impasse. L’Internet rend la
contre le racisme et l’antisémitisme souveraineté française « sur-effective » 63
(L.I.C.R.A.) et l’Union des étudiants juifs ou « sous-effective ». Illustrons-le.
de France (U.E.J.F.), plus tard soutenues
par le Mouvement contre le racisme et Si Yahoo! Inc. a l’intention de se
l’antisémitisme et pour la paix conformer au jugement du tribunal de
(M.R.A.P.), assignent Yahoo! en justice grande instance, l’intermédiaire se voit
devant le tribunal de grande instance obligé de rendre inaccessibles les sites
de Paris. Sur le site de vente aux enchè- contestés et ce d’où que provienne la
res de Yahoo! (« Auction »), accessible contestation et que l’on souhaite consul-
en France par le site Yahoo.com, des ter l’information. Le contenu n’est pour-
memorabilia du nazisme sont mis en tant pas nécessairement illégitime par-
vente. En plus, Geocities, un service de tout. Pensons in casu aux Etats-Unis où
Yahoo!, héberge des sites sur lesquels le contenu d’un site est protégé par le
des extraits de Mein Kampf sont mis à premier amendement à la Constitution,
la disposition du public. garantissant la liberté d’expression. En
fait, l’ordre juridique le plus sévère ser-
6. Par jugement du 22 mai 2000 le virait de norme minimale à respecter
juge français ordonne à Yahoo! Inc. de pour les sites hébergés sous le portail
prendre les mesures requises afin de de Yahoo!. Il s’ensuivrait que le pouvoir
déconseiller au public, et même de ren- technique d’Internet serait tout à fait
dre impossible, la consultation des sites contre-productif. A la suite des enjeux
nazis, absolument inacceptables du juridiques, le médium entraverait la
point de vue de l’ordre juridique fran- communication au lieu de la stimuler.
çais. Cette décision donne lieu à une
discussion relative aux mesures qu’il 8. Il est évident que la décision doit
s’impose dès lors de prendre pour res- toutefois être lue et comprise en fonc-
pecter cette exigence. tion de la place du nazisme dans la
mémoire collective européenne. La sen-
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Quiconque fait usage du réseau b. Yahoo! sous l’angle de l’article
mondial pour communiquer des infor- 5, 3, du règlement Bruxelles I
64 mations au public doit, selon l’ensei-
gnement de la jurisprudence Yahoo!, 10. Le point focal des critiques de
les examiner à la lumière de tous les l’affaire Yahoo! est le fait que la déci-
ordres juridiques au sein desquels ces sion prononcée par le juge Gomez rat-
informations sont accessibles. Cela tache la souveraineté française, et en
implique une étude à l’échelle mon- particulier la compétence internatio-
diale et risque de jeter un froid certain nale d’un juge français, à l’accessibilité
même chez les plus enthousiastes des par des internautes français à des
partisans de l’utilisation d’Internet et de enchères portant sur un thème et des
ses atouts socio-économiques. articles « interdits » en France. De cette
considération découlerait l’existence
9. En raison du risque de diver- d’une faute et d’un dommage, en
gence entre les opinions des différents France à tout le moins. Par conséquent
ordres juridiques sur ce qui est admissi- le tribunal de grande instance de Paris
ble ou ne l’est pas, le trafic transfronta- s’estime compétent, sur la base de
lier sur l’Internet comprend bon nombre l’article 46 du nouveau Code de procé-
de pièges. Dans l’affaire Yahoo! ces dure civile, pour juger les demandes de
différences se trouvent illustrées par le l’U.E.J.F., de la L.I.C.R.A. et du
fait qu’un tribunal californien refuse par M.R.A.P.
contre l’exécution forcée du jugement
du tribunal de grande instance de Il s’agit d’une approche assez clas-
Paris. En Amérique, il fut considéré que sique, également appliquée à l’encon-
la réaction française face à la publica- tre de la diffusion d’information par le
tion de contenus nazis sur le web se biais d’autres moyens (plus classiques)
heurte à l’ordre public américain et de communication. Pensons, en ce qui
plus précisément au principe de liberté concerne la compétence internationale
d’expression reconnu dans le premier à l’interprétation que la Cour de justice
amendement à la Constitution améri- des Communautés européennes a don-
Revue Ubiquité – Droit des technologies de l’information – n° 16/2003
5. C.J.C.E, 7 mars 1995, C-68/93, Shevill e.a. c. Presse Alliance, Rec., 1995, p. I-415 ; http://europa.eu.int/cj/fr/
transitpage.htm (20 juin 2003).
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11. Pourquoi alors contester l’appli- des fautes existent mais que la marge
cation d’une logique analogue dans dans laquelle elles se situent peut dimi-
l’affaire Yahoo! ?6 nuer. Il en va de même pour les consé- 65
quences négatives des techniques de
Tout d’abord, l’application de la contrôle géographique sur la vitesse et
logique de l’affaire Shevill est compli- la qualité de la prestation de services
quée par le fait que le contenu contesté électroniques.
dans l’affaire Yahoo! ne vise pas spéci-
fiquement un des requérants avec pour Il faut en plus toujours se rendre
corollaire une localisation du dom- compte du fait que si quelqu’un se sert
mage nullement évidente à effectuer. d’Internet, il le fait en pleine conscience
du caractère global du réseau. Le plus
12. Un fait plus frappant est que la souvent, il s’agira de la raison même
Cour de justice des Communautés euro- de son choix.
péennes accepte la compétence des tri-
bunaux britanniques bien que la diffu- 13. Quoi qu’il en soit, l’affaire
sion dont il s’agit soit plutôt minime. La Yahoo! est la base d’un débat : ne faut-
logique sous-jacente consiste à présu- il finalement pas envisager de nou-
mer l’effectivité du contrôle d’une diffu- veaux points de rattachement de la
sion par les voies de communication compétence d’un ordre juridique dans
classiques. Une telle maîtrise de la dif- le cadre des problèmes liés à l’usage
fusion serait par contre absente dans le d’Internet ? Il serait peu souhaitable
contexte électronique d’Internet... où que, faute d’harmonisation du droit
des diffusions minimes mais néanmoins matériel à la suite de différences socio-
dommageables échapperaient au con- économiques et culturelles de sociétés
trôle du prestataire de services. diverses reflétées dans les ordres juridi-
ques, l’information mondialement
L’argument présente certes des méri- accessible sur Internet puisse être sou-
tes. Néanmoins, il y a lieu d’avoir mise à l’examen des règles de
égard au fait que le contrôle au niveau n’importe quel ordre juridique... aux
6. A. VAN HOEK, « Australia’s High Court upholds local (private law) jurisdiction in case of defamation over the Internet »,
International Enforcement Law Reporter, 2003, mentionne dans sa note 9 une décision similaire, en matière pénale,
de la cour de cassation italienne. Une traduction anglaise de l’arrêt du 27 décembre 2000 (n° 4741) peut être
consultée à l’adresse : http://www.cdt.org/speech/international/001227/italiandecision.pdf (20 juin 2003).
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tion ou de la façon dont elle est présen- visiteurs. Qui plus est, ces services ne
tée. sont pas expressément destinés à la
66 France et l’usage que l’on y fait ne peut
15. De telles considérations lui être reproché. Yahoo! ne peut pour-
auraient évité au tribunal de grande tant véritablement et raisonnablement
instance de Paris une bonne part des être surpris.
critiques. Selon l’avocat de Yahoo! Inc.
et pour les prestataires de services élec- 16. En plus, il faut examiner si ce ne
troniques en général, le juge a perdu sont pas surtout les effets des sites –
de vue que le site aux enchères était Yahoo! – qui doivent être distingués de
rédigé en anglais et utilisait le dollar l’accessibilité au site pour décider si oui
comme unité monétaire. D’ailleurs, on ou non l’exercice de la souveraineté
n’y vendait que des objets de petite française peut raisonnablement sur-
valeur. Une livraison en France n’était prendre Yahoo!.
par conséquent pas envisageable. En
bref, la défense de Yahoo! Inc. consiste
à affirmer que seul un Français qui se d. Yahoo! et Stanley K. Young
serait égaré sur le web aurait pu se
retrouver sur le site contesté dédié au 17. Cependant, on ne peut nier que
nazisme. la jurisprudence Yahoo! ne s’inscrit pas
dans une logique qui lie la compétence
L’argument, selon lequel il s’agit (juridique) à l’intention claire de focali-
d’un site purement local, est attractif. ser sur un public français les informa-
Mais ne perd-il pas de vue quelques tions mises en ligne. Une autre décision
détails considérables? La question se récente (du 13 décembre 2002), ren-
pose de savoir si les caractéristiques due de l’autre côté de l’Atlantique par
des sites contestés ne pouvaient pas la Court of Appeals for the Fourth Cir-
être qualifiées d’argument en faveur de cuit dans l’affaire Stanley K. Young v.
la portée mondiale de l’information. New Haven Advocate7 illustre notre
Est-ce stupide de croire que des sites propos.
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7. A consulter via le site web du Centre for Democracy and Technology (www.cdt.org/speech) à l’URL suivante :
http://pacer.ca4.uscourts.gov/opinion.pdf/012340.P.pdf (20 juin 2003).
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rateurs. La Court of Appeals est d’avis with a place for classified ads. The
qu’il n’existe pas de base en faveur de websites are not designed to attract
la compétence des tribunaux de Virgi- or serve a Virginia audience. 67
nie contre les défendeurs du Connecti- We also examine the specific arti-
cut, puisque « they did not manifest an cles Young complains about to deter-
intent to aim their websited or the pos- mine whether they were posted on
ted articles at a Virginia audience »8. the Internet with the intent to target a
Virginia audience. The articles
18. La Court of Appeals examina included discussions about the alleg-
les journaux contestés “manifest, edly harsh conditions at the Wallens
through the Internet postings, an intent Ridge prison, where Young was war-
to target and focus on Virginia readers” den. One article mentioned Young
ainsi que les sites contestés en général by name and quoted a Connecticut
et le contenu des articles condamnés State senator who reported that
par Young. In casu, la Court of Appeals Young had Confederate Civil War
for the Fouth Circuit est d’opinion que memorabilia in his office. The focus
les conditions requises ne sont pas rem- of the articles, however, was the
plies. Connecticut prisoner transfer policy
and its impact on the transferred pris-
La Cour conclut alors comme suit : oners and their families back home
« We therefore turn to the pages in Connecticut. The articles reported
from the newspapers’ website that on and encouraged a public debate
Warden Young placed in the in Connecticut about whether the
record, and we examine their gen- transfer policy was sound or practi-
eral thrust and content. The overall cal for that State and its citizens.
content of both websites is decid- Connecticut, not Virginia, was the
edly local, and neither website con- focal point of the articles9.
tains advertisements aimed at a Vir- The facts in this case establish
ginia audience. For example, the that the newspapers’ websites, as
website that distributes the Courant, well as the articles in question, were
8. Comparez: ALS Scan, Inc. v. Digital Service Consultants, Inc., 293 F.3d 707 (4th. Cir. 2002).
9. La Court of Appeals fait référence à l’affaire Griffis v. Luban, 646 N.W.2d 527, 536 (Minn. 2002), et en particulier à
la considération suivante : « The mere fact that [the defendant, who posted allegedly defamatory statements about the
plaintiff on the Internet] knew that [the plaintiff] resided and worked in Alabama is not sufficient to extend personal
jurisdiction over [the defendant] in Alabama, because that knowledge does not demonstrate targeting of Alabama as
the focal point of the...statements ».
10. La Court of Appeals rappelle ici à l’arrêt de la Supreme Court dans l’affaire Calder v. Jones, 465 US 783, 790 (1984).
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19. Alors que nous avons apporté compétence judiciaire qui en découle-
des tempéraments aux critiques relati- rait serait manifestement inacceptable,
68 ves au choix opéré par le juge Gomez tant du point de vue du défendeur que
de ne pas prendre en compte la de point de vue des autres Etats avec
« destination » de l’information diffusée lesquels l’affaire présente des points de
via Internet sur base de laquelle il aurait rattachement. Bien que la destination
en effet pu (dû) refuser de reconnaître de l’information sur Internet ne nous
la compétence du tribunal de grande semble pas être le critère unique et pri-
instance de Paris, la décision améri- mordial dans ce jugement qui doit sur-
caine analysée ci-dessus offre une tout prendre en considération les effets
approche tout à fait différente de celle du comportement contesté, il est clair
retenue en Europe. L’application des qu’il s’agit d’une considération qui
règles d’un ordre juridique européen, pourra sûrement être prise en compte,
par exemple en ce qui concerne la surtout dès le moment ou les autres cri-
détermination de la compétence inter- tères de rattachement à un quelconque
nationale, est, au moins en matière ordre judiciaire sont ténus11.
quasi délictuelle, fondée sur la localisa-
tion (présumée) des effets dommagea-
bles du contenu diffusé via Internet. La 2. Gutnick
destination de l’information déduite des
caractéristiques d’un site et de son con- a. Présentation du litige
tenu n’est pas pour autant, dans l’état
actuel du droit, prise en compte. 20. Bien que la décision Gutnick
analysée ci-dessous n’accorde pas
Cette approche consistant à pren- expressément une valeur déterminante
dre en considération tant les intérêts de à la destination que le content provider
la victime que de l’ordre juridique où a voulu donner au contenu à l’origine
les effets dommageables se sont pro- du litige, le critère de rattachement
duits – sans que ce pays soit pour nous semble plus aisément conciliable
autant visé – n’est pas nécessairement avec la jurisprudence américaine de
Revue Ubiquité – Droit des technologies de l’information – n° 16/2003
sans intérêt. Néanmoins, Internet nous l’affaire récente Young v. New Haven.
place face à une interrogation : une Comme l’analyse le démontrera, on
telle approche peut-elle garantir que pourrait soutenir que l’article contesté,
l’exercice de la compétence judiciaire publié sur le site de Dow Jones, peut –
ou, en général, l’exercice de la souve- entre autres – implicitement causer des
raineté sera raisonnable et loyal ? Il effets dommageables en Australie
s’agit de deux mots clés provenant du (« targetting »).
droit américain. En droit américain
« reasonableness » et « fairness » sont 21. La décision de la High Court of
deux critères inhérents à la reconnais- Australia du 10 décembre 2002 dans
sance, au fondement de la compétence l’affaire Dow Jones & Company Inc. v
judiciaire. Il faut envisager la nécessité Gutnick, une des premières décisions
de pouvoir conclure à l’inexistence de d’une Cour supérieure relative aux
points de rattachements suffisants si la aspects transfrontaliers de la responsa-
11. Pour les détails, voy. B. DE GROOTE, « Onrechtmatige daad en Internet - Een rechtsvergelijkende analyse van art. 5,
sub 3 EEX-Verordening en de Amerikaanse bevoegdheidsregeling aan de hand van het internet », tekst van de inlei-
dende uiteenzetting op de verdediging van het gelijknamige doctoraal proefschrift aan de Universiteit Gent, Faculteit
rechtsgeleerdheid, 24 janvier 2003, 15 p., ainsi que B. DE GROOTE, « Onrechtmatige daad en Internet - Een rechts-
vergelijkende analyse van art. 5, sub 3 EEX-Verordening en de Amerikaanse bevoegdheidsregeling aan de hand van
het internet », doctoraal proefschrift, onder leiding van prof. dr. R. DE CORTE, verdedigd aan de Universiteit Gent,
Faculteit rechtsgeleerdheid, 24 janvier 2003, pp. 314 et s.
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bilité civile de Internet content providers Court of Australia rappelle l’affaire
a, elle aussi, été placée sous les feux de Renault en soulignant que « in trying an
la rampe. Les critiques à son égard se action for tort in which the parties or the 69
situent dans la lignée de la jurispru- events have some connection with a
dence Yahoo!: elle constitue aussi un jurisdiction outside Australia, the
vrai danger pour le développement choice of law rule to be applied is that
d’Internet comme vecteur de communi- matters of substance are governed by
cation. Est-ce la vérité ou une effroyable the law of the place of commission of
erreur ? De ce point de vue, une assimi- the tort »12.
lation totale entre les affaires Yahoo! et
Gutnick ne se justifie pas. 23. L’affaire Gutnick illustre qu’en
matière d’Internet, l’interprétation de
22. Pour commencer, précisons le cette règle abouti à s’interroger quant à
nœud du problème. Dans l’affaire Gut- la localisation de la publication contes-
nick, la compétence de la Supreme tée.
Court of Victoria est contestée sur la
base du mécanisme du forum non con- Concrétisons la question d’interpré-
veniens. Dow Jones est d’avis que, bien tation à l’aide des faits soumis à la High
que le Rule 7.01 des General Civil Pro- Court of Australia dans l’affaire récente
cedure Rules de 1996 du Supreme – du 10 décembre 2002 – Dow Jones
Court of Victoria fonde la compétence & Company Inc. v. Gutnick. La question
du tribunal de Victoria, celle-ci serait semble un point de départ intéressant
toutefois inacceptable en fonction des pour quelques observations concernant
données concrètes du litige... parce que la détermination du locus deliciti du
non convenient. Selon cette règle de point de vue d’un site web. Bien que
compétence, le rattachement créé par sensu stricto faites à l’occasion de
l’acte dommageable ou le dommage l’interprétation d’une règle de conflit,
qui en est la conséquence peut suffire. les observations seront également vala-
La Rule 7.01 stipule sous (1) que : bles pour la délimitation de la portée
« Originating process may be géographique d’autres formes d’exer-
12. Régie Nationale des Usines Renault s.a. v. Zhang, [2002] 76 A.L.J.R. 551.
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c’est précisément ce qui détermine le b. La décision de la Supreme
choix de ce médium. Il s’ensuit que le Court of Australia
70 comportement auquel l’Internet sert de
base fera naître d’autant plus de points 25. La Supreme Court of Victoria
de rattachements territoriaux. Ne pour- est d’avis que l’information hébergée
rait-on pas craindre que Dow Jones sur le site WSJ.com est publiée à Victo-
perde de vue ces arguments et ria (Australie) au motif que : « when
« mythologise » le fantôme de la com- downloaded by Dow Jones subscribers
pétence mondiale ? Par le biais de who had met Dow Jones’s payment
l’accessibilité globale des informations and performance conditions and by
sur le réseau Internet, elle contraindrait the use of their passwords ». Il est utile
de rendre le contenu concerné con- de souligner ici que les consultations
forme à tous les ordres juridiques du « abusives » ne peuvent, selon Dow
monde. Pour autant que la décision Jones, être qualifiées de publication
mette en balance l’option soit d’une australienne.
base plutôt étroite ou d’une base assez
large en vue de la détermination de L’argument de Dow Jones & Com-
« l’Etat souverain », elle ne constituera pany Inc. selon lequel la publication de
pas alors forcément une menace quant l’article litigieux dans Barron’s Online
à l’usage d’Internet comme moyen de se situe en Amérique et plus spécifique-
communication. ment au New Jersey où se trouvent les
serveurs utilisés par Dow Jones n’est,
24. Entamons l’analyse: Dow Jones pour la Cour, pas décisif.
& Company Inc. est l’éditeur du Wall
Street Journal et du magazine Barron’s. 26. En droit australien il semble
Dow Jones gère aussi un site d’actua- que l’on accentue plutôt le fait que le
lité, WSJ.com. Après inscription, il est message publié y est téléchargé. Car
possible d’accéder à la partie payante c’est ce téléchargement qui a porté
du site. Une autre partie de WSJ.com préjudice à la réputation de Joseph
est accessible gratuitement. L’informa- Gutnick en Australie. Par conséquent,
Revue Ubiquité – Droit des technologies de l’information – n° 16/2003
tion publiée sur WSJ.com inclut Bar- l’ordre judiciaire australien s’estime
ron’s Online, soit la réplique on line de compétent pour ordonner la répara-
l’édition « papier » Barron’s. L’édition tion de l’atteinte à la réputation de
du 28 octobre 2000 de Barron’s Gutnick.
Online publie l’article « Unholy
Gains » lequel fait mention de Joseph 27. La décision est attaquée devant
Gutnick. Ce dernier considère que la High Court of Australia. Durant
l’article le présente sous un faux jour. cette procédure, les différentes parties
Sur la base de cette diffamation présu- au litige ont développé des arguments
mée, il entame une procédure en vue semblables à ceux élaborés en
de l’obtention de dommages et intérêts première instance. Ils forcent à se
à Victoria (Australie). C’est en effet là pencher sur la nécessité d’une appro-
qu’il réside et que se situe l’établisse- che nouvelle et adéquate – du point de
ment général de ses entreprises. Bien vue des prestataires de services élec-
qu’il fasse aussi commerce hors de troniques (et surtout le content provi-
l’Australie – par exemple aux Etats-Unis der), de la victime et de la détermina-
– et qu’il contribue à des projets carita- tion de l’ordre judiciaire compétent –
tifs en Amérique et Israël, le point focal de l’ampleur éventuelle d’une publica-
d’une partie majeure de sa vie écono- tion sur Internet. La force intrinsèque
mique et sociale se situe à Victoria. de ce nouveau moyen de communica-
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tion peut donner une autre dimension 30. En plus, même si le contenu liti-
aux déclarations sur Joseph Gutnick gieux n’est pas poussé dans un ordre
que de simples commérages entre juridique spécifique, l’ubiquité est un 71
voisins. atout d’Internet. Les effets qui en résul-
tent ne peuvent dès lors pas être niés.
Au-delà des remarques quant au peu
c. La High Court of Australia de contrôle sur la localisation des
et la localisation du serveur effets, il est utile d’être précis sur
l’ubiquité des effets et sur l’impossibi-
28. Dow Jones, attaquant la déci- lité de les localiser. Ces caractéristi-
sion de la Supreme Court of Victoria, ques seraient à l’origine du danger
persiste à souligner le rôle central, au d’une mondialisation de la souverai-
moins en principe, de la localisation neté.
des serveurs. Le magazine contesté,
Barron’s, y est accessible pour téléchar- Le considérant 184 de l’arrêt de la
gement. Ce facteur permettrait le ratta- High Court of Australia est parlant :
chement aux Etats-Unis et en particulier « ...The most important event so
au New South Brunswick. far as defamation is concerned is
the infliction of the damage, and
A l’appui de son argumentation, that occurs at the place (or the
Dow Jones souligne le rôle purement places) where the defamation is
passif du content provider. C’est l’usa- comprehended. Statements made
ger final, à la fin de la chaîne de com- on the Internet are neither more nor
munication, qui cherche et « ramasse » less “localized” than statements
l’information à l’aide de son browser, made in any other media or by
qui lui permet l’exploration du World other processes. Newspapers have
Wide Web. always been circulated in many
places. The reach of radio and tele-
Sur ce point, l’Internet se distingue vision is limited only by the capacity
des médias (de masse) classiques, of the technology to transmit and
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vée13, la portée globale d’Internet ne 33. A juste titre la High Court se
bouleverse pas, à son estime, le droit pose la question de savoir s’il ne s’agi-
72 international privé. La puissance iné- rait pas d’un faux argument trop ins-
dite d’Internet ne nécessite pas a priori piré, trop proche, des spécificités tech-
un traitement juridique nouveau et diffé- niques d’Internet. Il ne faut pas perdre
rent. de vue que l’éditeur met le contenu à la
disposition du public sur le réseau mon-
dial pour qu’il soit consulté, c’est son
d. La localisation fortuite seul but. D’ailleurs, la communication
ou opportuniste des serveurs entre le site et le browser est, tout
comme sur le plan technique, interac-
32. La High Court of Australia ne tive. La communication est clairement
suit donc pas les arguments de Dow bidirectionnelle.
Jones pour qui, sauf dans l’hypothèse
où le choix de la localisation des ser- 34. Une autre question surgit
veurs serait purement opportuniste ou immédiatement : quel est le serveur
fortuit (« merely adventitious or dont la situation sera déterminante si le
opportunistic »), la localisation de la contenu est, sous l’autorité du content
machine qui héberge le contenu serait provider, mis à disposition du public à
déterminante. partir de machines installées dans diffé-
rents pays ? Et quid des serveurs qui
Le prestataire (c’est-à-dire le content disposent, à la demande du prestataire
provider) qui joue dans ce cas, selon originaire, d’une « copie cache »?
Dow Jones, un rôle passif ne devrait Sera-t-il déterminant de savoir quel ser-
tenir compte que d’un ordre juridique veur a précisément répondu à la
contrairement à l’internaute qui cher- requête particulière à l’origine du litige
che de manière active de l’information ou s’agira-il dans ce cas d’une localisa-
au moyen de son browser. Cette protec- tion fortuite ? D’ailleurs, si l’on devait
tion de l’éditeur ne serait pas requise décider dans ce cas de prendre en
dans un contexte classique où la disper- compte chaque serveur concerné,
Revue Ubiquité – Droit des technologies de l’information – n° 16/2003
sion exige un rôle plus actif de l’éditeur. l’avantage de l’unité du traitement juri-
dique serait vain. Et, enfin, quelle serait
dans ce cas la pertinence de la locali-
13. Sous le titre « The outcome: a result contrary to intuition », Justice Gaudron nuance les menaces d’une approche
classique d’Internet, dont il ne dénie pas le caractère révolutionnaire. En plus, il souligne l’importance d’un équilibre
entre le droit à la liberté de parole et le droit à la protection de la réputation. Il qualifie les deux de droit de l’homme.
Cependant il critique l’approche qui garantit l’intervention législative nationale mais prône une discussion globale
relative à la répartition de l’exercice de souveraineté et au contenu des normes à appliquer. Gaudron considère que:
« The dismissal of the appeal does not represent a wholly satisfactory outcome. Intuition suggests that the remarkable
features of the Internet (which is still changing and expanding) make it more than simply another medium of human
communication. It is indeed a revolutionary leap in the distribution of information, including about the reputation of
individuals. It is a medium that overwhelmingly benefits humanity, advancing as it does the human right of access to
information and to free expression. But the human right to protection by law for the reputation and honour of indivi-
duals must also be defended to the extent that the law provides. The notion that those who publish defamatory material
on the Internet are answerable before the courts of any nation where the damage to reputation has occurred, such as
in the jurisdiction where the complaining party resides, presents difficulties: technological, legal and practical. It is true
that the law of Australia provides protection against some of those difficulties, which, in appropriate cases, will obviate
or diminish the inconvenience of distant liability. Moreover, the spectre of “global” liability should not be exaggerated.
Apart form anything else, the costs and practicalities of bringing proceedings against a foreign publisher will usually
be a sufficient impediment to discourage even the most intrepid of litigants. Further, in many cases of this kind, where
the publisher is said to have no presence or assets in the jurisdiction, it may choose simply to ignore the proceedings.
It may save its contest to the courts of its own jurisdiction until an attempt is later made to enforce there the judgement
obtained in the foreign trial. It may do this especially if that judgment was secured by the application of laws, the
enforcement of which would be regard as unconstitutional or otherwise offensive to a different legal culture. However,
such results are still less than wholly satisfactory. They appear to warrant national legislative attention and to require
international discussion in a forum as global as the Internet itself ».
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sation des serveurs pour la détermina- puisse faire relever les concurrents et
tion de l’objet du litige, question qui les consommateurs de la compétence
semble aussi se poser s’il n’y a qu’une des tribunaux d’un pays vis-à-vis duquel 73
machine en cause. l’offre est de facto indifférente? Quand
l’ordre juridique dans lequel est loca-
35. Quid d’un prestataire qui ins- lisé le serveur (lieu d’émission) présente
talle ses serveurs dans un pays où les des idées nettement différentes de celle
coûts d’opération sont inférieurs ou retenues dans l’ordre juridique du pays
dans le pays qui a créé le climat le plus de réception, la constatation semble
stimulant (par exemple un pays qui sub- d’autant plus importante.
ventionne les activités des prestataires
de services électroniques) ? S’agit-il Justice Callinan indique clairement
d’un choix purement opportuniste dont – au considérant 199 – le déséquilibre
il ne sera dès lors pas tenu compte..., entre le risque d’une manipulation du
va-t-on nier le rattachement si la volonté rattachement par les prestataires de ser-
de fuir vers une oasis juridique est vices électroniques et les intérêts des
claire et quels sont les critères pour en personnes touchées par un contenu dif-
décider? Le rattachement est quand fusé sur l’Internet.
même une réalité. On touche peut-être
ici la raison pour laquelle Dow Jones Il l’exprime comme suit:
reste muet lorsqu’il s’agit de préciser les « The appellant’s submission that
conditions permettant de conclure à un publication occurs, or should hence-
rattachement opportuniste ou fortuit. forth held to occur relevantly at one
place, the place where the matter is
provided, or first published, cannot
e. La balance des intérêts withstand any reasonable test of
de la High Court certainty or fairness. If it were
accepted, publishers would be free
36. La proposition de Dow Jones to manipulate the uploading and
semble attirante mais l’alternative du location of data so as to insulate
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sion, radio, newspaper or maga- f. La clause « marché intérieur »,
zine originate in New South Wales. un problème analogue
74 The result of the adoption of a rule
of a single point of publication as 39. Une analogie à la discussion
submitted by the appellant is that développée dans l’affaire dont eu à
many publications in Victoria, South connaître la High Court of Australia
Australia, Tasmania, Western Aus- peut être trouvée relativement au droit
tralia and Queensland would be applicable aux questions spécifiques
governed by the Defamation Act du commerce électronique dans le con-
1974 which provides, in its present texte européen et à la difficulté de
form, for a regime by no means s’accorder quant à la signification pré-
commanding general acceptance cise de la clause « marché intérieur ».
throughout this country. Choice of Y a-t-il une vraie règle de conflits ? Il
law in defamation proceedings in faut déterminer si l’obligation faite aux
this country raises a relatively sim- Etats membres de veiller à ce que les
ple question of identifying the place services de la société de l’information
of publication as the place of com- fournis par un prestataire établi sur son
prehension: a readily ascertainable territoire respectent les dispositions
fact ». nationales applicables dans cet Etat
membre relevant du domaine coor-
38. Les arguments de Dow Jones donné est l’équivalent d’une règle de
font clairement paraître son intérêt – et conflit en faveur de la loi du pays d’ori-
en général les intérêts des prestataires gine. Dans cette analyse, il faudra
de services électroniques – de voir les prendre en considération l’article 3, 2
services offerts soumis à l’exercice de qui interdit aux Etats membres de res-
souveraineté d’un seul Etat. Une appro- treindre, pour des raisons relevants du
che nuancée s’impose. Il faut souligner domaine coordonné, la libre circulation
que le soi-disant avantage pour le pres- des services de la société de l’informa-
tataire est surtout un boni pour le pres- tion en provenance d’un autre Etat
tataire qui offre ses services à partir membre.
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directive. Songeons par exemple à cipe du « pays d’origine » – peut avoir
l’organisation de la publicité sur Inter- intérêt à sauvegarder sa réputation. Du
net, matière incluse dans le domaine point de vue desdits prestataires, il peut 75
coordonné. Le constat n’est pas sans être intéressant de pouvoir se rattacher
importance. En plus, la marge dans à l’ordre juridique du pays où les effets
laquelle on peut déroger au principe du du comportement contesté sont consta-
pays d’origine est étroite. Il en résulte tés; c’est-à-dire là où l’on relève un
que l’évaluation de la clarté de la qua- dommage à la réputation ou la pertur-
lification de la clause « marché bation des mécanismes du marché
intérieur » comme règle de conflit détruisant les intérêts de consomma-
devra prendre en compte le degré dans teurs et/ou concurrents.
lequel le domaine coordonné, couvert
par l’article 3, est lui aussi harmonisé. Le droit matériel des différents Etats
La question se pose donc de savoir si la n’apprécie pas nécessairement de
clause « marché intérieur » n’a pas manière identique les comportements
voulu adoucir les difficultés analogues sur le réseau. Par conséquent, le choix
à celles signalées par Dow Jones qui du rattachement peut avoir une
sont la conséquence d’un manque influence considérable quant à leur
d’harmonisation matérielle dans le appréciation finale. L’affaire Gutnick
domaine coordonné. Ladite harmonisa- en est une bonne illustration. La néces-
tion semble pourtant une nécessité pour sité d’un équilibre entre les différents
le bon fonctionnement de la clause. intérêts en cause doit alors être reflétée
Une harmonisation réelle pourrait au niveau du droit international privé. Il
remédier aux conséquences négatives ne s’agit pas seulement des intérêts des
de l’approche qui entraîne une distinc- personnes ou des organisations visées,
tion entre l’ordre juridique qui règle un mais aussi des Etats concernés.
comportement et la localisation des
véritables conséquences dudit compor- 42. Justice Callinan de la High
tement. Court of Australia souligne l’impor-
tance pratique de ces considérations. Il
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protégé sous le parapluie de la loi du l’affaire Gutnick illustrent qu’il n’y a de
pays d’origine. dommage qu’au moment où l’informa-
76 tion diffamatoire est lue et comprise. La
Illustrée dans l’affaire Gutnick, on publication au sens strict, considérée
verrait croître la prédominance de la comme un acte unilatéral de l’éditeur,
liberté illimitée d’expression. D’autres est sans importance. C’est au moment
valeurs, dont les affaires Gutnick et où l’information a trouvé un soi-disant
Yahoo! montrent l’importance respecti- « bouillon de culture » qu’elle est nuisi-
vement dans l’ordre juridique austra- ble et par conséquent illégitime. La
lien et français (c’est-à-dire européen), High Court considère (considérant
risquent d’être minimisées. Callinan 26) :
l’exprime comme suit, dans le considé- « Harm to reputation is done
rant 200: when a defamatory publication is
« I agree with the respondent’s comprehended by the reader, the
submission that what the appellant listener, or the observer. Until then,
seeks to do, is to impose upon Aus- no harm is done by it. This being so
tralian residents for the purposes of it would be wrong to treat publica-
this and many other cases, an Amer- tion as if it were a unilateral act on
ican legal hegemony in relation to the part of the publisher alone. It is
Internet publications. The conse- not. It is a bilateral act – in which the
quence, if the appellant’s submis- publishers make it available and a
sion were to be accepted would be third party has it available for his or
to confer upon one country, and one her comprehension ».
notably more benevolent to the com-
mercial and other media than this 44. La High Court en conclut que
one, an effective domain over the l’opportunité de la détermination de la
law of defamation, to the financial compétence judiciaire ne doit pas être
advantage of publishers in the examinée du point de vue du droit
United States, and the serious disad- applicable. Ainsi l’argument de Dow
vantage of the unfortunate enough Jones tiré de la dissémination étendue
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dry without any geographical une machine à New York, où se situent
restriction ». les bureaux éditoriaux de Dow Jones. Il
s’agit pourtant d’une société dont le 77
Ce qui veut dire que le progrès tech- siège social se situe au Delaware. Dans
nologique, qui est à la base du choix une phase ultérieure le texte est trans-
pour le médium que constitue Internet, mis aux machines hébergeant l’infor-
le World Wide Web, ne bouleverse mation à South Brunswick.
pas nécessairement les équilibres tra-
duits jusqu’alors dans le droit internatio- Il n'y a alors aucun doute que même
nal privé. si la publication est censée être un acte
singulier, la détermination d’un ratta-
45. Malgré les « risques » liés à chement pertinent ne va pas de soi. La
l’usage d’Internet, la High Court of Aus- High Court le souligne dans le considé-
tralia est convaincue que l’approche du rant 42 comme suit:
droit international privé doit tenir « Many of these territorial con-
compte du fait qu’une publication impli- nections are irrelevant to the inquiry
que au moins deux parties: celui qui which the Australian common law
envoie le contenu et celui qui le reçoit. choice of law requires by its refer-
La publication n’est accomplie qu’au ence to the law of the place of the
moment de la réception. Il s’ensuit tort. In that context, it is defama-
qu’une publication reçue par plusieurs tion’s concern with reputation, and
personnes peut engendrer des rattache- the significance to be given to dam-
ments pluriels, à différents ordres juridi- age (as being the gist of the action)
ques. Bien qu’une complexité juridique that require rejection of Dow Jones’s
puisse en être la conséquence, il s’agit contention that publication is neces-
d’une réalité indéniable. sarily a singular event located by
reference only to the publisher’s con-
La High Court of Australia est d’avis duct. Australian common law choice
que la publication n’est pas un acte sin- of law rules do not require locating
gulier, dont la localisation doit être liée the place of publication of defama-
14. Voy. F. KUITENBOURWER, « Uitspraak over forumkeuze en Internet », Computerrecht, 2003, p. 97.
15. Considérant 43.
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47. La High Court situe par contre h. La High Court
la diffamation là où le dommage à la et le Single publication rule
78 réputation est localisé... il s’agit du lieu
où il pourra effectivement y avoir 49. In concreto, l’approche de la
atteinte à la réputation et où les publi- High Court of Australia ne risque pas
cations offensives sont lues et compri- d’engendrer un conflit entre une multi-
ses. C’est là que se trouve le véritable tude d'ordres juridiques qui voudraient
centre du litige, c’est-à-dire de la s’imposer et exercer leur souveraineté.
demande en réparation. C’est aussi là Au cours de la procédure en première
que les valeurs sur lesquelles repose instance, Joseph Gutnick a limité sa
l’ordre juridique sont mises en danger, réclamation à la réparation du dom-
ce qui justifie l’intervention de l’état mage à Victoria (Australie), à la suite
concerné et donc le rattachement de la de la publication de Barron’s Online
cause à ses tribunaux. On peut envisa- dans cet Etat. Pour la Cour il est par
ger une approche analogue dans une conséquent évident que la procédure
série d’autres hypothèses dans lesquel- est maîtrisée par le droit matériel de
les l’information diffusée (par Internet) l’état de Victoria17. Le considérant 48
est à la base d’un dommage. Le dom- ne laissant pas la place au doute sur ce
mage est déterminant et non pas le point:
comportement16. Dès lors que l’on uti- « The place of commission of the
lise Internet, l’information n’est disponi- tort for which Mr. Gutnick sues is
ble en forme compréhensible qu’au [...] readily located in as Victoria.
moment où elle est téléchargée par That is where the damage to his rep-
l’ordinateur de l’utilisateur, qui en utation of which he complains in this
prend connaissance... ce qui cause le action is alleged to have occurred,
dommage à la réputation. for it is there that the publications of
which he complains were compre-
48. Bien que la High Court consi- hensible by readers. It is his reputa-
dère que des situations dans lesquelles tion in that State, and only that
les caractéristiques du comportement State, which he seeks to vindicate. It
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16. La Cour supérieure s’exprime en son considérant 44 comme suit: « In defamation, the same considerations that
require rejection of locating the tort by reference only to the publisher’s conduct, lead to the conclusion that, ordinarily,
defamation is to be located at the place where the damage to reputation occurs. Ordinarily that will be where the
material that is alleged to be defamatory is available in comprehensible form assuming, of course, that the person
defamed has in that place a reputation, which is thereby damaged. It is only when the material is in comprehensible
form that the damage to reputation is done and it is damage to reputation, which is the principal focus of defamation,
not any quality of the defendant’s conduct. In the case of material on the World Wide Web, it is not available in
comprehensible form until downloaded on to the computer of a person who has used a web browser to pull the
material from the web server. It is where that person downloads the material that the damage to reputation may be
done. Ordinarily then, that will be the place where the tort of defamation is committed ».
17. Voy. le considérant 6: « In the course of the proceedings before the primary judge, Mr Gutnick preferred an undertak-
ing to sue in no place other than Victoria in respect of the matters which founded his proceeding. The primary judge
recorded in his reasons that Mr Gutnick seeks to have his Victorian reputation vindicated by the courts of the State in
which he lives [and that he] is indifferent to the other substantial parts of the article and desires only that the attack on
his reputation in Victoria as a money-launderer should be repelled and his reputation re-established ».
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compréhensible que la Cour ne sous- 51. La Cour est peu enthousiaste à
crive pas à l’application du single l’égard de l’application du single publi-
publication rule qui, selon Dow Jones, cation rule proposée par Dow Jones. 79
mènerait à l’application du droit améri- Tout d’abord le mécanisme oblige à
cain puisque les serveurs sont installés concentrer la réparation de la globalité
au South Brunswick. du dommage d’une publication en une
action en justice. La concentration
Dow Jones fait alors référence au requise n’est dans le § 577 pas expres-
droit américain et conclut qu’en ce qui sément liée à la compétence (exclusive
concerne la diffamation, l’usage de ?) de l’Etat de la localisation du serveur
moyens de communication de masse, ou à l’applicabilité du seul droit maté-
oblige à qualifier l’édition ou l’émission riel de cet Etat. Selon Dow Jones, le sin-
comme une publication singulière. gle publication rule inspire la procé-
Pourtant, en principe, chaque commu- dure de la détermination du juge com-
nication à un tiers est censée être une pétent et de la détermination du droit
publication en soi. applicable, dans l’ordre juridique du
lieu de publication au sens strict. Le
Le single publication rule provient texte fait référence au lieu où celui qui
du § 577, a , du Restatement of Torts publie a littéralement agit.
(2d) 1977, qui est adopté par 27 Etats
américains. §577 dispose que : 52. Il est peu probable que cette
« (1) Except as stated in Subsec- localisation procure un rattachement
tions (2) and (3), each of several dont la puissance permette d’y accro-
communications to a third person by cher la souveraineté d’un ordre juridi-
the same defendant is a separate que sur tous les aspects de la publica-
publication. tion.
(2) A single communication
heard at the same time by two or Par analogie, on pourrait douter de
more third persons is a single publi- l’approche de la Cour de justice des
cation. Communautés européennes. Dans son
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illégitime. Il est clair qu’une telle arate questions: one about how to
« union » des différents aspects géo- prevent multiplicity of suits and vex-
80 graphiques du comportement contesté ation of parties, and the other about
ne pourrait être envisagée que si elle what law must be applied to deter-
est indispensable pour opérer un ratta- mine substantive questions arising in
chement raisonnable à un ordre juridi- an action in which there are foreign
que vis-à-vis de toutes les parties con- elements ».
cernées. Les caractéristiques du litige
doivent écarter le moindre doute quant Selon la High Court of Australia, le
à la nécessité ou l’opportunité de recou- common law est plutôt favorable à la
rir à une approche globale. N’oublions concentration des litiges entre parties
pas que contrairement à cette sugges- en une action qu’à des procédures suc-
tion, dans le même arrêt Shevill, la cessives. La Cour supérieure souligne
Cour de justice a limité la compétence en même temps que c’est la base de
du juge du lieu du dommage au dom- concepts tel que res judicata et (issue or
mage « local ». Anshun) estoppel19. Mais la Cour souli-
gne que ces principes n’impliquent pas
53. Quoi qu’il en soit, la High Court qu’un lieu unique de publication doive
of Australia ne fait pas application du être identifié dans chaque litige en dif-
single publication rule. Selon la Cour, famation, peu importe en effet l’impor-
le mécanisme ne doit pas être utilisé en tance de la diffusion des informations
vue de la détermination du droit appli- diffamatoires. Pour la High Court of
cable. Il a plutôt pour but d’éviter une Australia il est clair que les correctifs
multitude de procédures qui engen- mentionnés n’ont pas d’influence
drent le risque de contrariétés et qui directe sur les questions relatives à la
peuvent être vexatoires pour les/une détermination du juge compétent ou à
(des) partie(s). La Cour s’exprime à ce la détermination de la loi applicable20.
sujet dans le considérant 35:
« For present purposes, what it is 54. L’approche de la Cour semble
important to notice is that what saine. Elle peut inspirer l’interprétation
Revue Ubiquité – Droit des technologies de l’information – n° 16/2003
19. Pour des éclaircissements, voy. les références dans le considérant 36 de l’arrêt Gutnick et les notes y relatives. Sur
l’argument du single publication rule dans l’arrêt, voy. également : A. VAN HOEK, « Australia’s High Court upholds
local (private law) jurisdiction in case of defamation over the Internet », International Enforcement Law Reporter, 2003,
167-170.
20. La High Court le precise comme suit (considérant 36): « ... Effect can be given to that policy by the application of well-
established principles about preclusion, including principles of Anshun estoppel. Conversely, where a plaintiff brings
one action, account can properly be taken of the fact that there have been publications outside the jurisdiction and it
would be open to the defendant to raise, and rely on, any benefit it may seek to say flows from applicable foreign law.
If some of the publications of which complaint is or could be made are publications that have occurred outside
Australia, or if action has been instituted outside Australia in respect of publications made in this country, or overseas,
there is no evident reason why the questions thus presented are not to be answered according to the established
principles just mentioned. The application of these principles, however, says nothing about questions of jurisdiction or
choice of law ».
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pourrait pourtant envisager de soumet- l’exercice de la souveraineté de l’état
tre le litige, relatif à la globalité du où ce rattachement se concrétise. Bien
dommage, à l’ordre juridique du lieu que la publication soit dans ce cas 81
du dommage qui représente un ratta- traité comme un seul événement, l’ana-
chement majeur. Ce rattachement doit logie n’implique pas l’assimilation avec
être tellement pertinent qu’il entraîne le single publication rule.
des effets « extraterritoriaux » dans
3. En guise de conclusion
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est soulignée par l’existence d’un Ceci dit, la localisation de l’effet ne
régime « libéral » de responsabilité des doit pas automatiquement mener à
82 prestataires de services intermédiaires. l’exercice de la souveraineté de l’Etat
où cet effet est localisé. Si le résultat en
Mais n’oublions pas l’éventualité était surprenant pour une des parties
d’une performance croissante des concernées21, le rattachement est trop
moyens permettant de « territorialiser » faible pour garantir une raisonnable
l’usage d’Internet. Qui plus est, l’utilisa- division de compétence entre états.
teur d’Internet connaît l’étendue mon-
diale du web. D’ailleurs il ne peut, peut- Des défauts manifestes doivent être
être, survenir guère de dommages aux- corrigés. Du point de vue de l’article 5,
quels la victime ne devrait s’attendre. 3, du règlement Bruxelles I, cette obser-
Dans les affaires commentées, il n’est vation touche surtout le lien entre le
pas exclu que l’information était implici- dommage, la compétence judiciaire
tement destinée à la France (Yahoo!) ou ainsi que la restriction de l’exercice de
l’Australie (Dow Jones). Le rattachement compétence au dommage local22.
n’est d’ailleurs ni négligeable ni fortuit.
L’éditeur de Barron’s savait par exem- 61. Quoi qu’il en soit, le soin
ple fort bien où Gutnick travaillait et apporté à définir la délimitation de la
vivait. La localisation du dommage n’a souveraineté nationale n’est pas uni-
par conséquent pas pu le surprendre. quement requis en matière d’Internet.
Les problèmes dévoilés touchent cha-
60. En tout cas, les affaires Yahoo! que situation où il y a une pluralité de
et Gutnick ont démontré l’importance points de rattachement. Les affaires
du rattachement engendré par le dom- Gutnick et Yahoo! ne sont ni les premiè-
mage. Il se trouve à l’origine du litige et res ni les dernières à explorer les limites
complète l’acte dommageable. La desti- du fonctionnement du droit internatio-
nation de l’information mise à disposi- nal privé. Au contraire, elles illustrent
tion des internautes ne peut pas être que les remèdes du droit international
décisive. Des effets, même ceux qui privé ne sont pas totalement déséquili-
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21. Songeons par exemple au content provider qui a fait des efforts sérieux, du point de vue technique ou du point de vue
du contenu de l’information publiée et de sa présentation, dans le but d’éviter des effets dommageables dans l’Etat
dont l’exercice de souveraineté est l’enjeu.
22. D’un point de vue analogue, il est bon de souligner que Gutnick n’a pas compliqué le jugement du comportement
de Dow Jones & Company Inc. Il a limité sa plainte aux conséquences de la publication dans l’Etat de Victoria
(Australie).
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