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ÉCONOMIE NUMÉRIQUE
ET INDUSTRIES DE CONTENU :
UN NOUVEAU PARADIGME
POUR LES RÉSEAUX
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poids grandissant de l’information et de la connaissance contenus et la forme même des échanges. L’arrivée,
(Cohendet et al., 2006 ; Brousseau, 2007) et ce sont juste- somme toute récente, des TIC a contribué à stimuler
ment les industries créatives et de contenus qui ont les très fortement de telles modalités d’organisation sociale,
premières été affectées par ces transformations. Rien non seulement dans le registre industriel, mais égale-
d’étonnant, dès lors, si on y trouve les exemples de ment dans d’autres contextes d’activités sociales : en
réseaux socionumériques les plus couramment mis en contribuant à structurer, progressivement, les relations
avant : Facebook, Myspace, Wikipédia… Ces industries et échanges d’informations autour de communautés
apparaissent en effet, aujourd’hui, pour tous les secteurs de pratiques ou de transactions, en instrumentant et
économiques de la société, comme le laboratoire d’ex- consolidant des réseaux d’échanges et de communi-
périmentation des nouvelles formes d’organisation, de cation préexistants − informels ou déjà structurés −,
travail et de marché (Benghozi, 2006 ; Menger, 2009 ; ou en générant ou stimulant de nouveaux réseaux de
Benhamou, 2009). Nous proposons, dans cet article, de consommateurs autour d’activités d’intermédiation
nous appuyer sur les traits dominants de ces secteurs pour économique, de commerce ou de distribution.
pointer les dynamiques économiques de ces réseaux et
les bases sur lesquelles s’organisent leurs modèles d’af- Derrière la même expression de « réseaux socio-
faires. Pour ce faire, nous situerons d’abord les princi- numériques », il convient donc de distinguer plusieurs
paux types de structuration des réseaux sociaux. Nous types de réseaux très différents. Diverses caractérisa-
identifierons ensuite leurs conséquences économiques : tions ont été avancées1, à partir notamment des moda-
centralité des hybridations entre modèles marchands lités d’engagement ou des types de relations sociales
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exploitation en commun : les organisations deviennent nauté et, ce faisant, de stimuler la communication et l’ap-
alors collectivement plus intelligentes, plus efficaces et propriation des conseils ou des prescriptions.
plus novatrices, car elles inscrivent dans des réseaux qui
se recouvrent tous les acteurs d’une pratique définie
pour qu’ils co-construisent et coproduisent des connais-
sances nouvelles. Des modèles d’hybridation
Une deuxième forme de structuration concerne les entre économie du don
communautés de production ou d’action collective. On
les trouve dans les wikis ou les structures Open source.
et économie commerciale
Les participants à de telles communautés sont d’accord
pour contribuer volontairement et régulièrement à un Les différentes formes de réseau ne se démarquent
projet commun dans un registre de connaissance ou donc pas simplement par leur organisation, leur mode
d’expertise bien défini. C’est par exemple le cas des de structuration ou la gouvernance associée. Elles
communautés de pratiques étudiées et définies par Lave renvoient également à des modalités différentes de
et Wenger (1991) : elles sont constituées de groupes de gestion et de valorisation du savoir. Les pratiques des
personnes engagées au sein d’une même pratique et utilisateurs dans les marchés en ligne montrent d’ailleurs
échangeant régulièrement à propos des activités qui que dans beaucoup de cas, le repérage et la conscience
y sont associées. Ces réseaux visent essentiellement à de l’existence d’un contenu est plus importante que le
développer collectivement des compétences indivi- contenu lui-même : ainsi de nombreux consommateurs
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tions alternatives à l’édition de logiciel (communautés socionumériques, des formes d’organisation inédites et
Open source tels que WordPress), dans d’autres cas d’uti- particulièrement performantes. Tapscott et Williams
liser l’identification des préférences, des compétences et (2006) résument, par exemple, ainsi les principes de
des pratiques pour générer des sources d’informations cette économie où la communauté constitue, d’emblée,
inédites (moteur de recherche Delicious ou réseaux une composante de l’offre de produit/service : ouverture,
professionnels tels que LinkedIn), pour créer de nouvelles organisation par les pairs, échanges et action globale
formes d’activités économiques associées à la gouver- sur le réseau social. Dans la plupart des cas, ces travaux
nance de réseaux sociaux (Facebook ou Second Life), ou considèrent les réseaux socionumériques pour leur
pour redéfinir des services commerciaux en les réorgani- importance en soi, mais ils ne les envisagent par contre
sant autour de l’intégration de tels réseaux (jeux en ligne que très rarement comme étant d’abord le résultat d’un
massivement multi-joueurs tels que World of Warcraft). compromis spécifique (un modèle d’affaires pourrait-on
La centralité de telles hybridations est clairement presque dire) portant sur les conditions d’articulation
attestée par l’omniprésence du débat et des interro- des relations sociales avec une infrastructure technique
gations sur la place de la gratuité dans les industries et une économie marchande.
culturelles. Ils constituent la trace manifeste de l’inter-
férence entre économie commerciale d’un côté, force De ce point de vue, les succès de sites User Generated
des échanges non monétaires de l’autre. Il est d’ailleurs Content d’agrégateurs de contenus tels que YouTube
symptomatique que ce sont les échanges Peer to Peer ou de sites de réseaux sociaux tels que Facebook sont
qui ont questionné la première fois, en l’occurrence à spécialement intéressants. Loin de reposer sur le seul
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Une manière d’affronter contenus disponibles, car ils font de chaque membre du
un marché d’abondance réseau un contributeur potentiel à même de produire
collectivement, dans certains cas, une offre quasi
professionnelle (voir FlickR ou Picasa et, plus générale-
La force de ces nouveaux modes de partage est telle ment, les sites de crowdsourcing). Mais ce renforcement
que l’idée reste largement répandue que le numérique de l’offre ne dissout que partiellement les traditionnels
contribue à « démocratiser » les industries culturelles goulots d’étranglement (accès à la production, accès à la
en permettant aux créateurs et aux indépendants de diffusion, accès à la notoriété) qui limitent la consom-
fournir directement leurs œuvres au consommateur. De mation de contenus : il se contente de les déplacer et de
nombreux auteurs avancent que ce sont les formes d’hy- modifier leurs poids respectifs, au profit de nouvelles
bridation se nouant dans les plateformes d’échanges, les formes d’intermédiation par exemple. Le caractère
espaces de collaborations ou les communautés qui font le pléthorique de l’offre instaure en effet, grâce notam-
succès d’Internet car les TIC permettent aux entreprises ment au déploiement des réseaux sociaux, de nouvelles
de se rapprocher plus facilement de l’utilisateur final, en formes de professionnalisation, de nouvelles modalités
court-circuitant en aval les autres chaînons de la chaîne de recommandations, voire enfin de nouvelles relations
de valeur. Malgré le poids des réseaux socionumériques, entre opérateurs des réseaux et éditeurs de contenus2.
cette idée doit pourtant être aujourd’hui largement Ce paradoxe révèle l’ambiguïté de la situation de sura-
nuancée. On constate toujours, de manière générale, bondance dans laquelle baignent les internautes, qu’il
le poids grandissant des intermédiaires de distribution s’agisse d’informations, de livres, de films, de chansons,
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Ces mécanismes reposent en effet sur des principes de des structures de partenariat et de co-production tout
compilation, d’accumulation et d’augmentation quanti- autant que de dissémination.
tative de l’offre sur le réseau où il n’y a plus de travail
éditorial ni de sélectivité a priori mais au contraire une
identification a posteriori des niveaux d’agrégation, de Par leur grande diversité, les industries de contenus
recommandation et de buzz dans les communautés marquent, avec Internet, la mobilisation de commu-
d’échange et les réseaux sociaux numériques. nautés et réseaux sociotechniques au service de nouveaux
paradigmes économiques. Mentionnons l’apparition
Cette dynamique opère de ce fait un couplage de formes radicalement nouvelles de marché (portails
inédit entre des contenus de faible qualité et des d’agrégation User Generated Content), l’utilisation des
produits de forte notoriété. À la logique proprement réseaux de recommandation pour créer des services à
éditoriale (choix et accompagnement de la création) valeur ajoutée, la parcellisation de consommation grâce
se substitue désormais, avec le développement des à la mobilisation de réseaux massifs (cas des jeux vidéos)
nouveaux réseaux, une logique de captation du consom- ou encore le couplage de contenus et services avec la
mateur autour de portails, de sites d’agrégation et de fourniture de technologie. L’émergence de ces nouveaux
« marques » des supports de diffusion. Pensons aux modèles a généré l’apparition de modèles économiques
marques d’Apple, Itunes, Ipad… qui se substituent désor- originaux qui ne doivent pas être envisagés comme les
mais, dans le développement des contenus numériques, simples décalques ou adaptations de configuration élabo-
aux marques de journaux, d’éditeurs ou de majors du rées dans d’autres industries. Ils font en effet intervenir
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les modèles d’entrepreneuriat industriels traditionnels question est d’une importance toute particulière dans le
en mettant en avant l’importance de la community-ship contexte de la culture où la mise en avant du leadership
au détriment des approches en termes de leadership. La artistique est justement toujours très présente.
NOTES
1. C’est d’ailleurs l’objet même de ce dossier de Hermès n° 59. 2. Tout le débat de la « neutralité du Net » tient d’ailleurs à cette
dernière alternative.
BENGHOZI, P.-J. et BENHAMOU, F., « The Long Tail: Myth or COHENDET, P., CRÉPLET, F. et DUPOUËT, O., La Gestion des connais-
Reality? », International Journal of Arts Management, vol. 12, n° 3, sances : firmes et communautés de savoir, Paris, Economica, 2006.
printemps 2010, p. 43-53.
DAVENPORT, T. H. et BECK, J. C., The Attention Economy: Unders-
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