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© ESKA | Téléchargé le 03/09/2023 sur www.cairn.info via Université Paris 2 (IP: 91.161.170.220)
Charles MOUMOUNI
Université Laval, Québec
Charles.Moumouni@com.ulaval.ca
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Résumé : Cet article montre comment les médias sociaux et l’intelligence artificielle sont à la fois
une menace et une opportunité pour le système judiciaire en tant qu’organisation. D’une part, ils
subvertissent l’édifice du droit étatique, marginalisent les juridictions traditionnelles et aliènent les
justiciables. D’autre part, ils impulsent un nouveau paradigme de communication judiciaire avec des
postulats de relations publiques. Leur planification stratégique, allant des objectifs diffusionnistes aux
finalités délibératives, guide les juges dans leurs usages personnels et professionnels. Ils contribuent
ainsi à une nouvelle légitimité judiciaire s’appuyant non seulement sur la légalité, mais aussi sur la 19
sociabilité et la socialité des acteurs de justice.
Mots-clés : intelligence artificielle, IA, médias sociaux, communication, relations publiques,
droit, système judiciaire
PROLÉGOMÈNES
L’intelligence artificielle (IA) est une programmation informatique algorithmique qui permet à une
machine ou à un système de données quelconque d’apprendre à exécuter automatiquement des tâches
caractéristiques de l’intelligence humaine. Les médias sociaux sont une catégorie de plateformes1 infor-
matiques2 qui permettent à leurs utilisateurs d’échanger de façon interactive des informations d’intérêt
privé, public ou associatif. Se nourrissant l’une des autres, le développement exponentiel de l’IA et des
médias sociaux depuis les années 2010 impacte toutes les dimensions de la vie sociale. Ainsi, les agents
d’IA (robots) ont le pouvoir redoutable de comprendre les règles de conduite de l’action économique et
de prédire les préférences des consommateurs, en analysant les traces documentaires que ces derniers
laissent durant leurs activités de navigation sur Internet, participant ainsi « à l’instauration de nouvelles
formes de cadrage cognitif et relationnel » (Vayre et al., 2017). La publicité est désormais ciblée en
fonction des processus algorithmiques de l’IA qui calculent l’attention des internautes. Les plateformes
comme Facebook sont conçues de manière à permettre aux organisations ou acteurs qui veulent y faire
de la publicité de diriger leurs messages « vers les usagers dont le profil de consommation d’images, de
textes et de sons correspond aux types de consommateurs visés » (Trudel, 2019).
Par ailleurs, les interactions des médias sociaux et le pouvoir d’influence de l’IA affectent les droits
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individuels. En déposant certains éléments de sa vie intime dans le domaine public afin d’avoir un retour
sur leur valeur, l’internaute exprime un « désir d’extimité » qui contribue, certes, « à la construction de
l’estime de soi et à la création d’une intimité plus riche et de liens plus nombreux » (Tisseron, 2011),
mais il s’expose à la violation de sa vie privée par des pratiques déviantes. Cette exposition de soi le
rend aussi vulnérable aux dispositifs de surveillance électronique et de contrôle, qui donnent « à des
acteurs publics comme privés matière à alimenter une kyrielle de fichiers » (Schweitzer, 2011) ou des
20 « fermes de données » (Renucci, 2015).
L’IA a des implications sur la formation du droit et le fonctionnement du système judiciaire et
administratif. La structure logique, hiérarchisée et complexe du droit se prête à l’utilisation de cet outil
technologique en matière légistique ou de rédaction de textes normatifs (Bouwer, 2019; Bourcier,
2011), de rédaction et de gestion de contrats et de recherche juridique (Lavoie, 2019). Sur le plan
judiciaire, l’IA influence aujourd’hui la prévision policière (predictive policing), la prédiction de la
récidive (recidivism prediction), la reconnaissance faciale, le profilage d’ADN, les décisions de libération
sous caution, la détection de fraude (Ruths, 2019). Dans une étude menée par la Cour suprême de la
Colombie-Britannique au Canada, 49,6 % des acteurs juridiques interrogés pensent que les décisions
judiciaires sur les litiges et les infractions se prendront à un moment donné par intelligence artificielle
(Masuhara, 2019). Mais, pour le juge en chef de la Cour suprême des États-Unis, John G. Roberts Jr.,
ce moment est déjà arrivé (Liptak, 2017).
1. Les plateformes de médias sociaux réfèrent strictement à Facebook, YouTube, Instagram, Qzone, Douyin/Tik Tok, Sina Weibo,
Twitter, Reddit, LinkedIn et Pinterest. Mais, les médias sociaux incluent généralement les plateformes de messagerie, de discussion
et de communication multimédia que sont WhatsApp, Facebook Messenger, Snapchat, Skype, Viber, Line, Weixin/WeChat, QQ
et Telegram. Voir à ce sujet la liste établie par l’agence Kepios pour le compte de Hootsuite et We Are Social [en ligne] : https://
datareportal.com/reports/digital-2018-q3-global-digital-statshot.
2. Dans cet article, les termes « plateforme informatique », « plateforme numérique », « multinationale du numérique », « industrie
du numérique » ou « géant du Web » sont utilisés au sens large pour inclure les sites d’hébergement, les sites Web, les sites de
commerce électronique et les médias sociaux.
L’IA pourrait déterminer aussi les prises de décisions administratives automatisées, comme l’assistance
sociale, les services de santé, les services éducatifs (Raso, 2019) et les services d’immigration, des réfugiés
et de la citoyenneté (Molnar et Gill, 2018). Or, son processus n’est pas exempt de biais ou d’erreurs.
Même si l’informatique algorithmique procède de modélisations rationnelles auxquelles on peut accorder
de « possibles consciences appareillées », il est aussi soumis à des subjectivités computationnelles
(Masure, 2016), qui peuvent se décliner en des modalités d’articulations inhérentes à l’expérience
humaine de programmation avec toutes ses limites et erreurs (Citton, 2016). L’IA peut être biaisée si
les données et le processus qui la sous-tendent ne sont pas exacts (Ruths, 2019; Molnar et Gill, 2018).
Elle peut affecter les droits et libertés individuels, accentuer les inégalités sociales (Eubanks, 2018) et
même menacer la démocratie (O’Neil, 2016; Sadin, 2015). La justice qui utilise les outils technologiques
dont les processus ne sont pas transparents fonctionne dans une boîte noire, en confinant le justiciable
dans l’antichambre du droit.
D’un point de vue épistémologique, les technologies de l’information et de la communication
devraient permettre d’envisager des avancées dans les sciences humaines et sociales. C’est tout l’enjeu
des humanités numériques dont l’approche transdisciplinaire vise à faire évoluer les objets, les méthodes
et les sujets de recherche vers plus de compréhension et une représentation plus fidèle du rapport entre
l’humain et le numérique (Bouzidi et Boulesnane, 2017). La communauté juridique n’est pas restée en
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marge des quêtes des humanités numériques. Interpellée par les transformations technologiques, elle
cherche les moyens de les faire porter dans la juste mesure par le droit et la justice.
C’est dans cette optique que l’Institut canadien d’administration de la justice (ICAJ) a organisé, du 16 au
18 octobre 2019 à Québec, une conférence sur L’impact de l’IA et des médias sociaux sur les institutions
juridiques. Cette conférence a réuni plus d’une centaine de participants, dont des juges, des avocats,
des universitaires, des ingénieurs, des responsables d’entreprise et autres professionnels, pour poser
un regard interdisciplinaire critique sur les défis que les tribunaux et les professions juridiques doivent 21
relever afin de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice. Les grandes lignes
du présent article ont été présentées à l’occasion de cette conférence3. Elles ont été aussi présentées
à l’assemblée générale des juges de la Cour d’appel du Québec, qui s’est tenue dans la région de
Baie-Saint-Paul au Québec, le 10 octobre 2019.
Le principal constat à noter dans la mise en contexte de cet article est le suivant : le développement
des technologies de l’information et de la communication – en l’occurrence, l’IA et les médias sociaux –
par des multinationales toutes puissantes, change le rapport que les justiciables entretiennent avec leur
État de droit, au point de les aliéner de leur système juridique et judiciaire. En effet, les technologies
de l’industrie juridique LegalTech conquièrent tous les marchés du cycle de la justice : identification du
litige, détermination du droit applicable, conseil juridique, tentative de résolution du conflit, représen-
tation, décision et exécution judiciaires (Sossin, 2019). Plusieurs outils technologiques disponibles au
Canada et ailleurs (Sossin, 2019) prétendent offrir un service juridique à valeur ajoutée aux juristes et
au public. Par exemple : Blue J Legal permet l’utilisation de l’IA pour prédire les décisions rendues par
3. Charles Moumouni (2019), « Médias sociaux et communication judiciaire : vers un nouveau paradigme », Communication dans
le panel 10 de la 44e Conférence annuelle de l’Institut canadien d’administration de la justice (ICAJ), sur le thème « L’impact
de l’IA et des médias sociaux sur les institutions juridiques », Québec, 17 octobre 2019. [Programme en ligne] : https://ciaj-icaj.ca/
wp-content/uploads/events/2018/08/brochure_2019-annual-conference_fr.pdf. Le présent article citera de nombreuses commu-
nications présentées à cette conférence dont les actes et les captations vidéo devraient être disponibles sur le site Web de l’Institut
canadien d’administration de la justice (ICAJ) au courant de l’année 2020 : https://ciaj-icaj.ca/fr
les tribunaux et trouver des affaires pertinentes ; Blawx permet aux non programmateurs de numériser
des contenus juridiques et d’utiliser l’IA pour fournir des avis juridiques; Thomson Reuters fournit un
assistant juridique optimisé par l’IA qui aide à trouver des cas en instance, à présenter des avis juridiques
et à appuyer la collecte de données; CanLII met à disposition du public un répertoire de l’ensemble
des lois et des règlements fédéraux, provinciaux et territoriaux au Canada, et une base de données
exhaustive des cas en instance; Wonder.Legal propose des dizaines d’exemples de lettres, de contrats
et d’actes juridiques et administratifs pour les professionnels et les particuliers; il suffit de remplir un
formulaire et le modèle se construit automatiquement; Lex Machina exploite des données sur les litiges,
révélant des informations jamais disponibles sur les juges, les avocats, les parties et les sujets des affaires
elles-mêmes, tirées de millions de pages d’informations sur les litiges; Ross Intelligence dispose d’une
équipe diversifiée d’ingénieurs, de scientifiques, d’avocats et de concepteurs, qui collaborent à créer
un système d’IA visant à renforcer les compétences et le raisonnement de l’avocat.
Le développement de ces solutions technologiques4 peuvent avoir des répercutions sur l’image du
système judiciaire et affecter les relations d’autorité qu’il entretient avec les justiciables. Il amène même
à se demander si, à terme, l’IA ne remplacera pas les avocats et les juges (Lavoie, 2019).
À l’échelle globale, les multinationales du numérique forment un monde à part, une « planète + » où se
déroulent des normativités parallèles à celle de l’État traditionnel. Même si la confiance dont elles bénéficient
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de la part du public est en déclin, elles continuent tout de même de jouir, dans les faits, du statut de
nouveaux États, avec leur territoire immense, leurs populations nombreuses, leur capitalisation étourdissante
et leurs normes dominantes (Moumouni, 2018; Alcantara, 2018). En fait, alors que les États traditionnels sont
confinés dans des frontières bien définies qui font partie de leur souveraineté, les géants du Web ont toute
la planète comme territoire. L’État le plus peuplé de la planète est la Chine, environ 1,4 milliard d’habitants
en 2019. Cette même année, Facebook a 2,4 milliards d’utilisateurs ou de citoyens Facebook. La puissance
22 économique de l’industrie du numérique est bien connue : Apple, Amazon et Google ont dépassé les 1 000
milliards de dollars de capitalisation boursière; si ces trois entreprises étaient des pays, elles feraient partie
au moins du G20. Conscients de leur prégnance sur les affaires du monde, le Danemark a posé, en 2017,
un geste inédit en nommant un ambassadeur du numérique auprès de la Silicon Valley.
Plus préoccupant encore, « la transformation numérique transforme également la norme démocratique
qu’est le droit, jusqu’à la diminuer, voire l’exclure » (Iteanu, 2016 : 12). Cet auteur lance des cris d’alarme
concernant les fameuses Conditions générales d’utilisation (CGU) que les utilisateurs des médias sociaux
doivent accepter avant de créer un compte sur Facebook, Twitter, Instagram, Google et autres. Le droit
étatique traditionnel est en concurrence avec les normativités du Web qui défient le droit étatique et
court-circuitent les processus judiciaires et décisionnels (Trudel, 2019). Les normes applicables aux médias
sociaux sont d’abord celles établies par les plateformes numériques elles-mêmes. Celles de Facebook sont
même érigées au statut de « Constitution ». La multinationale met aussi en place une « Cour suprême »
qui statuera en dernier ressort sur les décisions prises par les instances inférieures à l’égard des contenus
diffusés par les utilisateurs. Dans bien des cas, l’État lui-même abdique sa souveraineté en donnant les clés
de la normativité aux plateformes, qui peuvent ainsi déréférencer un site ou un lien, voire supprimer un site,
retirer du contenu, exclure un internaute, ou même sanctionner les propos du président des États-Unis.
Outre l’application de leurs propres règles qui régissent l’activité quotidienne de milliards d’individus
à travers le monde – à noter, en passant, que 84% des internautes canadiens utilisent Facebook et 59%,
4. Voir le site Web de ces solutions LegalTech en procédant par mot clé dans les moteurs de recherche.
YouTube5 –, les plateformes numériques prévoient, à quelques exceptions près, qu’en cas de litige,
le juge californien sera compétent et la loi californienne s’appliquera. Or, les dispositions des lois
américaines qui s’appliquent aux fournisseurs numériques, notamment la Communications Act (47
U.S. Code, section 230) sont interprétées par les tribunaux comme procurant une immunité presque
absolue aux services en ligne, dès lors que le contenu émane d’un tiers (Trudel, 2019), ce qui amène
un auteur à conclure à une évasion juridique » (Iteanu, 2016 : 20).
Face à cette tendance à la privatisation du droit et des procédures judiciaires, certains pays réagissent
en affirmant leur souveraineté juridique (Iteanu, 2016). En France, la Cour d’appel de Pau a jugé, dès
2012, que la clause de compétence des juridictions californiennes intégrée aux Conditions générales
d’utilisation de Facebook était abusive et non opposable aux consommateurs (Cour d’appel de Pau,
23 mars 2012, n° 11/03921)6.
Le droit communautaire européen, notamment le Règlement 2016/679/UE du Parlement européen
et du Conseil du 27 avril 2016, en abrégé Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui
est entré en application le 25 mai 2018, renforce cette volonté d’affirmation de la souveraineté juridique.
Ce règlement exige, entre autres conditions de licéité, le consentement explicite de l’utilisateur avant
la collecte de ses données personnelles (article 6). Il interdit la collecte de certaines données sensibles
(article 9). Le RGPD réitère des droits qui existaient sous la Directive 95/46/CE (par exemple, le droit
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de rectification des erreurs) et accorde à l’utilisateur des droits nouveaux : le droit à l’effacement des
données ou droit à l’oubli (article 17), le droit à la portabilité des données pour faciliter leur transfert
entre prestataires de services (article 20) et le droit d’être informé du piratage ou de la violation des
données personnelles (article 33). En cas d’infraction par les fournisseurs, des amendes sévères sont
prévues, pouvant atteindre 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires mondial annuel total de
l’entreprise ou de l’opérateur mis en cause (article 83), sans préjudice des poursuites en responsa-
bilité civile (Moumouni, 2018). Le droit à l’autodétermination informationnelle en Europe tend ainsi à 23
l’emporter sur la conception patrimoniale des données personnelles aux États-Unis (Mouron, 2017)7.
Mais, en attendant l’effectivité de ces nouvelles dispositions, les Conditions générales d’utilisation des
médias sociaux sont encore maintenues, aliénant des milliards de citoyens à travers le monde de leurs droits
et tribunaux nationaux pour les soumettre à ceux des États-Unis. Par leurs activités quotidiennes, dont une
grande partie se déroule en ligne, les citoyens ont de moins en moins conscience de leur droit national et de
5. Au 18 juillet 2018, Q3 Global Digital Statshot a établi les statistiques de l’ensemble des médias sociaux. Elles se présentent
comme suit en ordre d’importance, en million d’utilisateurs : Facebook, 2196; YouTube, 1900 ; WhatsApp, 1500; FB Messenger,
1300; Weixin/WeChat, 1040; Instagram, 1000; QQ. 806; Qzone, 560; Douyin/Tik Tok, 500; Sina Weibo, 411; Twitter, 336; Reddit,
330; Baidu Tieba, 300; Skype, 300; LinkedIn, 394; Viber, 260; Snapchat, 255; Line, 200; Pinterest, 200; Telegram, 200.
6. Cette décision a été confirmée par celle de la Cour d’appel de Paris du 12 février 2016 et la jurisprudence ultérieure. Ainsi, le
7 août 2018, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris a décidé que l’adhésion à Twitter est un contrat de consommation. Il a
ainsi déclaré que 265 des 269 clauses des Conditions générales d’utilisation de Twitter sont abusives et illicites; voir le résumé de
cette affaire sur le site de Legalis : https://www.legalis.net/actualite/ladhesion-a-twitter-est-un-contrat-de-consommation (consulté
le 13 février 2020). Le 12 février 2019, le TGI de Paris a aussi déclaré abusives ou illicites dix-huit clauses des Conditions d’uti-
lisation et une vingtaine de clauses des Règles de confidentialité de Google+ : voir le site de Lagalis : https://www.legalis.net/
jurisprudences/tgi-de-paris-jugement-du-12-fevrier-2019/ (consulté le 13 février 2020). Le 9 avril 2019, le TGI de Paris a également
déclaré abusives et illicites 430 clauses des Conditions générales d’utilisation de Facebook : https://www.legalis.net/actualite/430-
clauses-des-cgu-de-facebook-abusives-et-illicites (consulté le 13 février 2020).
7. L’Union européenne va plus loin en renforçant son arsenal juridique au soutien de son rapport de force avec les géants du
numérique. Le 15 décembre 2020, elle lance un projet de règlementation plus contraignante en deux volets : un règlement sur
les marchés numériques (Digital Markets Act) et une loi sur les services numériques (Digital Services Act).
leurs juridictions territoriales. Enfermés dans la régulation interne des plateformes numériques, les citoyens
ne sont pas toujours portés à faire sanctionner la violation de leurs droits par les tribunaux traditionnels,
témoignant ainsi d’une érosion de leur conscience juridique et judiciaire. Vion-Dury démontre, à travers son
ouvrage La nouvelle servitude volontaire : Enquête sur le projet politique de la Silicon Valley (2016), que « les
modèles prédictifs, les algorithmes et les objets connectés instaurent une société du contrôle dans laquelle
l’individu, comme le collectif, abandonne la maîtrise de son destin ». Il soupçonne que ce ne soit le but visé
par les entreprises de haute technologie, porteuses d’une idéologie et d’un nouveau projet de civilisation.
Considérant la situation de millions de justiciables qui sont ainsi captifs d’un État de droit alter-
natif, soustraits dans les faits à leurs juridictions nationales en déperdition de souveraineté, le système
judiciaire national est appelé à réagir. Outre le renforcement des responsabilités et la limitation des
pouvoirs des plateformes numériques par des dispositifs législatifs et règlementaires et des décisions
jurisprudentielles qui ont démontré leurs limites (Manara et Roquilly, 2011), le système judiciaire peut,
en tant qu’organisation, reconquérir ses justiciables par des approches novatrices complémentaires.
Cette branche du pouvoir de l’État n’est certes pas habituée à communiquer avec ses publics comme les
autres organisations, mais l’érosion de l’État de droit traditionnel par l’autorégulation des plateformes
numériques devrait l’amener à envisager des stratégies de communication qui aideraient à réinstaller
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les juges dans la cité, y compris la cité Web.
Partant du constat précédent de l’aliénation juridique et judiciaire des justiciables Web, un nouveau
paradigme de communication judiciaire s’offre, dont les postulats viseraient une meilleure gestion des relations
de la justice avec le public. Ce paradigme appelle une approche stratégique et pragmatique des médias sociaux
et de l’IA, orientée par la communication institutionnelle et les modèles de relations publiques.
plus facile du public aux salles d’audience. Elle signifierait désormais que la justice a accès facile au
public et peut être davantage proche de lui en prenant part à la « bataille » pour son attention. Dans
le contexte des médias sociaux, la justice peut proactivement jouer son rôle de recours, mais aussi de
repère : si le public va vers la justice, la justice aussi doit aller vers le public. Dans l’étude menée par la
Cour suprême de la Colombie-Britannique au Canada, 51,9 % des juristes interrogés pensent que l’IA
améliorera l’accès à la justice (Masuhara, 2019).
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BBC en ces termes [traduction libre] :
« En règle générale, il n’est pas souhaitable qu’un membre de la magistrature participe à une radiodiffusion
ou paraisse à la télévision [...] Tant qu’un juge garde le silence, sa réputation de sagesse et d’impartialité
demeure inattaquable : mais chaque énoncé qu’il prononce en public, sauf dans l’exercice de ses fonctions
judiciaires, doit nécessairement le placer sous le feu de la critique » (Wicksteed, 2008).
L’avènement des médias sociaux et de l’IA devrait permettre aux tribunaux, non seulement d’améliorer
25
leurs relations avec les médias, mais d’avoir un accès direct au public. Le principe de justice ouverte (open
justice) requiert dans une certaine mesure l’intervention du juge dans l’espace public. La justice, une
des trois branches du pouvoir de l’État, est redevable envers un public qui exige qu’elle ne fonctionne
plus dans une boîte noire. Le judiciaire devra désormais participer aux délibérations de la l’espace public
sur les enjeux qui le touchent en tant qu’institution, dans la mesure de ses principes déontologiques.
8. Voir R. v. Sussex Justices; Ex parte McCarthy [1924] KB 256, 259 (Lord Hewart CJ).
loi et les décisions de justice. Mais en cette ère du numérique où le droit étatique est en concurrence
avec d’autres normativités qui régissent le quotidien des justiciables, la loi et les décisions de justice
sont ignorées sans conséquence. En fait, elles deviennent des normes périphériques de dernier recours,
soit parce que les transgressions et litiges ne leur sont plus soumis, par abandon volontaire ou forcé,
soit parce qu’elles ne connaissent que quelques cas symboliques, ou encore qu’elles ne connaissent
que les cas les plus graves. Les médias sociaux et l’IA, qui sont en partie responsables de l’érosion du
droit étatique, peuvent être en revanche mobilisés pour faire connaître davantage au public la loi et les
décisions de justice, afin de le conscientiser et l’aider à accomplir son devoir d’information.
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s’enfermer dans sa propre logique interne, comme le prétendent les partisans de la théorie pure du
droit (Kelsen, 1962), de l’autoréférentialité ou de l’autopoïèse du droit (Teubner, 1993). Le droit est
consubstantiel à la société. Selon la maxime romaine reprise d’Aristote et remontant probablement à
l’Égypte pharaonique, « Ubi societas, ibi jus » (là où il y a une société, il y a un droit). Le droit doit être
alors l’expression de la société et non sa juxtaposition.
Il ne s’agit pas pour le système judiciaire de se laisser ballotter par les innovations et influencer par
26 l’opinion du moment, mais au moins de les comprendre comme éléments de contexte. Les médias sociaux
et l’IA donnent aujourd’hui à la justice les moyens d’interagir avec la société pour mieux la connaître et saisir
ses réalités et ses tendances. Les nouvelles techniques de recherche basées sur le numérique permettent
d’ailleurs d’affiner les mesures de l’opinion publique (Kotras, 2018; Severo et Lamarche-Perrin, 2018). Les
juges ont besoin de prendre les mesures de la société pour rendre des décisions de condamnation, de
libération et de réhabilitation qui soient non seulement légales, mais humaines, pertinentes ou réalistes.
Par ailleurs, sous réserve des limites des technologies numériques dans le processus judiciaire
(Masuhara, 2019), la justice a en main des outils pour rechercher la collaboration du public en termes
d’expertise, de témoignage, de corroboration, de solutions innovantes, bref, en terme de justice parti-
cipative. La participation du public n’est pas recherchée seulement dans la formulation des lois, des
règlements et d’autres normes de droit, mais aussi dans leur système de mise en oeuvre, de contrôle
et de sanction. L’utilisation de l’IA dans la mécanique judiciaire doit être envisagée dans le sens de la
participation des justiciables.
sociaux peuvent porter atteinte à cette image, mais s’ils sont bien utilisés, ils peuvent au contraire
contribuer à la rehausser.
1.6. La réputation
À l’ère de la démocratisation de l’information, la réputation du juge est plus que jamais exposée
(Salas, 2004). Mais à travers les médias sociaux, la justice en tant qu’organisation peut, chaque fois
que de besoin, préserver ou défendre sa réputation et sa e-réputation (Charest et al., 2017; Alcantara,
2015), en se positionnant comme la branche du pouvoir aux plus hauts standards professionnels et
déontologiques. L’IA permet aujourd’hui de « tirer immédiatement parti de milliers de données en
mettant en évidence les informations essentielles » pour répondre rapidement au public et conforter
l’image et la réputation d’une organisation (Guilain, 2015).
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d’aliénation judiciaire auquel font face les internautes, la justice doit être proactive en renforçant ses
liens avec ses justiciables. Ces derniers devraient s’approprier leur système judiciaire, en être fiers, pour
ainsi le défendre quand il est attaqué par des forces internes ou externes. Les médias sociaux peuvent
être utilisés pour renforcer ce sentiment d’appartenance.
1.8. La confiance
27
La justice doit travailler davantage pour maintenir la confiance du public, condition sine qua non de
son efficacité. Cette confiance se dégage naturellement d’une bonne administration de la justice, mais
elle peut être activement recherchée par la mise en évidence et la valorisation des actions judiciaires qui
méritent d’être portées à l’attention du public et saluées. Les médias sociaux peuvent servir à cette fin.
1.10. La légitimité
Il n’est plus suffisant pour le système judiciaire de fonder sa légitimité ou sa domination uniquement
sur une rationalité légale ou sur son exercice traditionnel d’une branche du pouvoir de l’État (Weber,
2015). L’autorité et la légitimité conférées au système judiciaire par la loi et autres normes demeurent
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déterminantes en démocratie, mais elles doivent aussi être recherchées dans l’ancrage plus grand du
système judiciaire dans la société. La justification rationnelle de l’obéissance à l’autorité judiciaire doit
s’accompagner d’une objectivation de la responsabilité sociale et sociétale du système judiciaire, en
tant que dernier rempart de la démocratie, comme l’a démontré la Cour suprême des États-Unis pour
mettre un terme au contentieux de l’élection présidentielle de 2020.. L’autorité de la justice n’est pas
seulement fonctionnelle (basée sur une rationalité instrumentale), mais aussi existentielle (portée par
un agent moral responsable) (Cyr, 2015; Cyr 2019).
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Yates, 2018). Trois points méritent une attention particulière dans cette optique : (1) le recensement des
cas d’utilisation problématique des médias sociaux par les juges ; (2) la détermination de la politique et la
planification de l’intervention au plus haut niveau de la hiérarchique judiciaire pour assurer une discipline
collective des acteurs du système; (3) la modélisation des relations du système judiciaire avec les citoyens.
9. Il faut noter qu’en France, la Cour de cassation, dans un Arrêt du 5 janvier 2017, a confirmé la décision de la Cour d’appel à
l’effet que « le terme d’« ami » employé pour désigner les personnes qui acceptent d’entrer en contact par les réseaux sociaux ne
renvoie pas à des relations d’amitié au sens traditionnel du terme et que l’existence de contacts entre ces différentes personnes par
l’intermédiaire de ces réseaux ne suffit pas à caractériser une partialité particulière, le réseau social étant simplement un moyen de
communication spécifique entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, et en l’espèce la même profession » :
Arrêt n° 1 du 5 janvier 2017 (16-12.394) - Cour de cassation - Deuxième chambre civile.
deux collègues juges. Enfin, une juge du Manitoba a dû démissionner suite à la révélation de son « bagage
numérique », composé entre autres de trente photos à caractère sexuel et de très mauvais goût.
Aux États-Unis, divers cas de dérapage commis par les juges entre 2018 et 2019 ont été recensés
par la US National Center for State Court (NCSC, 2019). Par exemple, un juge de la Californie a été
sanctionné pour avoir posté des messages de haine; un juge du Kentucky a été réprimandé pour
avoir partagé sur sa page Facebook la nouvelle concernant un meurtrier relâché de prison, avec un
commentaire inconvenant ; au Texas, un juge a posté un « mème » Internet endossant l’extermination
des musulmans ; dans l’Utah, un juge a été suspendu pour six mois sans solde en raison de ses messages
anti-Trump dans les réseaux sociaux ; dans l’État de Washington, un juge a reçu un avertissement pour
avoir posté sur sa page Facebook un message publicitaire invitant le public à participer à son activité
charitable de vente de crêpe.
Ces dérapages individuels en ajoutent à l’affaiblissement de l’autorité judiciaire par les pratiques
numériques et à l’érosion de l’image de la justice entretenue par les « tweets » et déclarations subversifs
du président américain Donald Trump. Une intervention stratégique de l’institution judiciaire s’impose
donc pour cadrer l’utilisation des médias sociaux par les juges à titre personnel ou professionnel.
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2.2. Le niveau de planification et d’intervention
Au Canada, aux États-Unis, en France ou ailleurs, une intervention au plus haut niveau de la
hiérarchie judiciaire est souhaitable. L’étude menée par le Centre canadien de technologie judiciaire
révèle « l’absence généralisée de politiques sur les médias sociaux dans les tribunaux de droit commun
ou administratifs canadiens » (CCTJ, 2015 : 15-16). C’est pourquoi, en mars 2019, le Conseil canadien
de la magistrature (CCM) a initié une consultation publique en vue de recueillir des propositions sur
la modernisation de ses Principes de déontologie judiciaire, incluant la question des médias sociaux. 29
Aux États-Unis, les systèmes judiciaires des États commencent à énoncer des balises, mais en rang
dispersé. Il en est ainsi de la Cour suprême de la Californie, de la Cour suprême du Massachusetts et
de la Cour suprême de New York (NCSC, 2019). Ces encadrements fragmentaires ne permettent pas
d’avoir un portrait unifié de la justice américaine à l’ère des médias sociaux et de l’IA.
Les pays membres de la Francophonie essaient, de leur côté, de se donner des lignes directrices
communes dans le cadre du Réseau francophone des conseils de la magistrature judiciaire. Même si les
recommandations formulées par ce réseau portent sur les réseaux et médias sociaux, elles pourraient
aussi s’appliquer à l’utilisation des outils d’IA par les juges.
Le système judiciaire en tant qu’organisation devrait se doter de stratégies de relations publiques
(Verreault, 2018) pour réaliser les objectifs exposés plus haut. Dans cet esprit, les juges et l’institution
judiciaire peuvent inscrire leurs interventions dans des modèles normatifs de relations publiques, tout
en se donnant une approche pragmatique (Yates et Turbide, 2018).
Dans une étude portant sur l’évaluation des comptes Facebook, Twitter et YouTube des systèmes
judiciaires de cinq États fédérés des États-Unis (Caroline du Nord, Floride, Michigan, New York et Washington
D.C.), le chercheur Ure propose une typologie des relations entre les systèmes judiciaires et leurs publics,
qui rejoint mutatis mutandis les modèles unidirectionnels et bidirectionnels de Grunig et Hunt, sans y
faire explicitement référence : le modèle de l’information directe (disintermediated information), le
modèle de l’interaction conversationnelle (conversational interaction) et le modèle de la collaboration
délibérative (deliberative collaboration) (Ure, 2019). Cette typologie peut être aussi rapprochée de celle
de Lavigne (2002), qui fait une lecture relationnelle de la communication institutionnelle des organisations,
en distinguant trois types de réseaux: les réseaux de contrôles, de transactions et de liens. Le système
judiciaire a de tout temps été un système relationnel de contrôles. Il devra, dans le contexte des médias
sociaux et de l’IA, envisager des relations transactionnelles et des relations de création de liens sociaux.
En pratique, l’étude de Ure montre que les tribunaux américains adoptent pour la plupart des stratégies
de médias sociaux se limitant à la diffusion d’informations. Mais quelques expériences concrètes d’interaction
conversationnelle et même de collaboration délibérative sont identifiées. Par exemple, la Cour suprême de
la Floride a invité le public à contribuer à la réforme des règles relatives aux médiateurs certifiés nommés par
le tribunal. Au Michigan, les tribunaux ont ouvert au public la révision des procédures internes relatives aux
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successions et aux personnes protégées (Ure, 2019 : 7). Dans tous les cas, le choix des usages des médias
sociaux devrait tenir compte de leurs configurations sociotechniques et du genre de positionnement, de
participation et de visibilité recherché (Stenger et Coutant, 2013) par les tribunaux.
Quant aux systèmes judiciaires du Canada, la plupart se limitent aussi à l’information directe, mais
certains vont un peu plus loin en essayant des activités d’interaction conversationnelle. Il en est ainsi des
systèmes judiciaires de la Nouvelle-Écosse (Stairs, 2019), du Québec (Rondeau, 2019), de l’Ontario et de
la Colombie-Britannique (Masuhara, 2019; Kerr, 2019). La Cour suprême du Canada, de son côté, joue son
30 rôle d’avant-garde par une utilisation intensive de Twitter et de Facebook. La consultation publique menée
en mars 2019 par le Conseil canadien de la magistrature pour moderniser ses Principes de déontologie
judiciaire, incluant la question des médias sociaux, peut être qualifiée de collaboration délibérative. Si ces
tendances observées se maintiennent, le système judiciaire 2.0 deviendra la norme au Canada.
CONCLUSION
Le système judiciaire est habitué à une structure et une culture organisationnelles formalistes, hiérar-
chisées et rigides. L’image du juge qui s’en dégage est plutôt austère, détachée du public et de la
société (Salas, 2004). Cet article a montré comment l’irruption et l’explosion des médias sociaux et de
l’intelligence artificielle sont en train de subvertir l’édifice du droit étatique au point de marginaliser
les juridictions traditionnelles. Pour contrer cette aliénation juridique et judiciaire de ses justiciables,
le système judiciaire est appelé à s’inscrire dans un nouveau paradigme de communication dont les
principaux postulats sont ceux de la communication institutionnelle et des relations publiques : la
proximité avec le public, la transparence des procédures, la redevabilité envers la société, la visibilité
dans l’espace public, la notoriété nationale et internationale, l’interactivité avec le public, la collaboration
avec les justiciables, la projection d’une bonne image, la défense ou le maintien d’une bonne réputation,
le renforcement du sentiment d’appartenance et de la confiance du public, la prévisibilité et la crédi-
bilité des décisions judiciaires, enfin, la recherche d’une nouvelle légitimité judiciaire s’appuyant non
seulement sur la légalité, mais aussi sur la sociabilité et la socialité des acteurs de justice.
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Plutôt que de percevoir les médias sociaux et l’intelligence artificielle comme des menaces pour le
temple du droit étatique, le système judiciaire devrait au contraire se les approprier pour se renouveler
et être au diapason avec la société. Toutes les recommandations internationales sur l’IA demandent que
ses valeurs soient axées sur l’humain, l’inclusion, le bien-être, l’autonomie, l’équité, la transparence,
l’explicabilité, la responsabilité, la justice (OCDE, 2019).
Une planification stratégique s’impose au niveau institutionnel pour éviter que les juges ne procèdent
en rang dispersé dans leurs usages personnels et professionnels des technologies de l’information et
de la communication. Ces usages peuvent relever de l’un des trois modèles de relations judiciaires avec
le public proposés par Ure (2019), allant des plus simples aux plus complexes : l’information directe,
l’interaction conversationnelle et la collaboration délibérative.
En définitive, la posture du juge à l’ère des médias sociaux et de l’IA devrait être celle de Janus, dieu
du panthéon romain à deux faces. D’une part, le juge a besoin d’un regard tourné vers le passé, parce
que le droit substantiel, la jurisprudence, le décorum et le rituel des tribunaux tiennent d’une tradition
et d’un héritage qui remontent à des siècles, voire à des millénaires, si l’on remonte jusqu’au au Papyrus
judiciaire de Turin de l’Égypte pharaonique, datant de près de 1200 avant Jésus-Christ. D’autre part, le
juge doit être de son temps et son regard tourné vers un avenir numérique et inclusif. Étant le gardien
institutionnel ultime de la cité, le système judiciaire devrait se donner les moyens technologiques et
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communicationnels de réconcilier ces deux faces de Janus.
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