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Toute image est portée par le désir d'une hallucination qui devienne
réelle.
Serge Tisseron
Dans Champ psychosomatique 2008/4 (n° 52), pages 47 à 57
Éditions L’Esprit du temps
ISSN 1266-5371
ISBN 9782847951363
DOI 10.3917/cpsy.052.0047
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C
’est avec notre corps autant qu’avec notre esprit que
nous approprions les images, à travers les émotions et
les ébauches de gestes qu’elles suscitent. Chez l’enfant
jeune, l’influence des écrans est plus grande encore puisqu’ils
semblent intervenir sur la construction de l’image de soi. Et,
chez l’adolescent, ils sont inséparables de l’encouragement
aux identités multiples qui participent aujourd’hui à la fois à
l’estime de soi et à l’approche de la relation à l’autre. D’où leur
vient ce pouvoir ? Du fait que tout homme est la première
machine à fabriquer des images à laquelle il ait affaire.
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D’après mes propres recherches 4, les enfants de quatre ans 4. Etude menée en 2007
et 2008 sur trois écoles
qui regardent le journal télévisé présentent deux différences maternelles de Paris,
majeures par rapport à ceux qui ne le regardent pas : ils ont Argenteuil et Gonesse
d’abord tendance à s’imaginer beaucoup plus souvent en situa- (95). (À paraître).
tion de victime, mais lorsqu’on les invite à privilégier une
posture parmi plusieurs, ils plébiscitent celle de redresseur de
tort. Cette étude confirme celles qui indiquent que le profil
rêvé de la majorité des jeunes français est le héros humanitaire.
Mais « rêver » d’être un tel héros est souvent une façon de
tenter d’échapper à un présent angoissant. Et tel est bien la
situation de tous les enfants qui s’imaginent victimes. Rien ne
prouve pourtant que ce soit le fait de regarder les actualités
télévisées qui produisent cet effet, car le fait de laisser un
enfant regarder ces programmes peut être un élément parmi
d’autres d’un système d’interactions familiales susceptible de
générer une posture victimaire chez un enfant. Cette posture, et
le fait de regarder les actualités, seraient alors deux consé-
quences parallèles d’un certain système éducatif.
Les chercheurs semblent malheureusement plus intéressés
à étudier les conséquences des images quand elles s’exercent
dans le sens des comportements antisociaux que dans le sens
de la dépression ou de la soumission, et pourtant, ce danger est
tout aussi grand.
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moment est venu de préciser un peu mieux les uns et les autres.
Commençons par les pouvoirs de transformation. Ils
concernent chacun des trois pôles de l’image tels que je les
décrivais en 1995, à savoir ce qu’elle représente, son specta-
teur et elle-même. Tout d’abord, les images peuvent contribuer
à modifier l’objet qu’elles figurent, que les sémiologues appel-
lent leur « référent » : c’est, par exemple, les images de
synthèse qui servent de support pour mettre au point ou perfec-
tionner des objets réels. Les images peuvent également contri-
buer à changer leur spectateur : c’est le principe de toutes les
pédagogies en images, qu’elles visent la transformation d’une
personne ou seulement de ses connaissances. Enfin, toute
image constitue le point de départ d’une suite infinie d’images
légèrement différentes et pourtant presque semblables. Là
encore, la transformation des images selon une logique qui
échappe à leur spectateur – et même à leur créateur !– est au
cœur du désir d’en fabriquer, parce qu’elle est au cœur des
premières images intérieures que l’être humain se donne du
monde dans une succession continue de changements. Nos
paysages intérieurs d’images ne cessent de se transformer,
c’est pourquoi l’homme rêve, dès les débuts, de fabriquer des
images qui aient le pouvoir de se transformer toutes seules. Ce
n’est pas parce que les dispositifs actuels d’images se rappro-
chent de ce rêve – notamment dans les jeux vidéo – que celui-
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RÉSUMÉ
Serge Tisseron – Le corps et les écrans. Toute image est portée par le désir
d’une hallucination qui devienne réelle.
SUMMARY
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The first image-producing machine we all have contact with is our own
body. Man produces images right from the very outset of existence and
replays with them the relationship he entertains with the internal images
within him. All images are sustained by the desire to be a hallucination which
becomes real. This is the source of the powers we endow them with and the
anxieties they arouse.