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Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et

symptôme
Incidences cliniques
Didier Castanet
Dans L'en-je lacanien 2004/2 (no 3), pages 107 à 123
Éditions Érès
ISSN 1761-2861
ISBN 2749202965
DOI 10.3917/enje.003.0107
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Le réel du corps :
phénomènes psychosomatiques
et symptôme
Incidences cliniques

Didier CASTANET
« Le corps, ça devrait vous épater plus. »
Jacques Lacan 1.
« L’ambigu du corps avec lui-même, est justement le fait de jouir. »
Jacques Lacan 2.
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D ans l’enseignement de Lacan, comme chez Freud, le corps
occupe une place centrale. Jacques Lacan s’est intéressé au corps et,
parmi les successeurs de Freud, il est le seul qui ait su donner une articu-
lation cohérente avec la découverte de la psychanalyse.
Dans le séminaire Le sinthome (1975-1976), que le corps soit de
la matière organique, c’est un fait, dit Lacan. Dans le Séminaire XI, il
réélabore le concept de pulsion, reprenant cette limite entre le biologique
et le psychique. Il donne alors une définition claire de la pulsion et pro-
pose une doctrine cohérente du corps en psychanalyse, c’est-à-dire le

Didier Castanet, psychanalyste à Toulouse, membre de l’École de psychanalyse des


Forums du Champ lacanien.
1. J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p. 99.
2. J. Lacan, Le séminaire …Ou pire.
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corps comme corps du symbolique et la pulsion comme ce qui advient de


la demande quand le sujet s’y évanouit.
Sans refaire l’historique du concept de psychosomatique et de ses
rapports avec la psychanalyse, la psychosomatique reste du point de vue
freudien un domaine mal délimité. Bien que Freud ne se soit pas directe-
ment intéressé à l’étude des phénomènes psychosomatiques, le corps est
omniprésent dans ses préoccupations. La théorie analytique s’est élabo-
rée à partir du corps.
Le point essentiel dans le champ des phénomènes psychosoma-
tiques est la distinction entre phénomène et symptôme. Extraire la
spécificité du phénomène au regard du symptôme, c’est aussi essayer de
dégager, s’il y a lieu, une position clinique quant au phénomène psycho-
somatique.

Une faille dans le savoir


En 1966, au cours d’une rencontre avec des médecins 3, Lacan
évoque une « faille épistémologique », soit une faille dans le savoir entre
psychanalyse et médecine.
L’éthique de la médecine ne doit pas perdre de vue qu’elle a
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affaire à un corps, nous dit Lacan, « qui est fait pour jouir, pour jouir de
soi-même. […] Ce qui est exclu du rapport épistémologique est justement
ce qui va proposer à la médecine le corps dans son registre purifié ». La
dimension de la jouissance en est exclue et le corps auquel s’adresse la
médecine est celui de la « dichotomie cartésienne de la pensée et de
l’étendue ».
Il est évident pour Lacan que, si la science moderne continue à
ignorer « l’effet sujet », se creusera de plus en plus « une faille épistémo-
somatique » entre le savoir scientifique sur le corps et ce corps d’un sujet
désirant, qui jouit, ce corps laissé en plan par la science.

3. J. Lacan (1966), « Conférence au Collège de médecine », Lettres de l’Ecole freu-


dienne, n° 1, 1967.
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Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme —— 109

Ce corps dont nous parlons


L’entrée dans le langage, le symbolique, est une réalité et, en tant
que réalité, il est du registre du symbolique.
Lacan nous donne plusieurs indications dans le texte « Radio-
phonie ». « Le premier corps fait le second de s’y incorporer. D’où
l’incorporel qui reste marqué le premier, du temps d’après son incorpo-
ration. » Cette incorporation dont parle Lacan est ce qui du corps-
organisme par l’intermédiaire du langage lui donne son statut dans la
psychanalyse. « De ce que le symbolique ayant pris corps s’incorpore, le
corps se fait verbe. »
L’Autre, c’est le corps du symbolique incorporé (corps du symbo-
lique entre guillemets), car le symbolique n’a pas de corps à proprement
parler, mais sa vocation est de devenir corps, de s’incorporer. Lacan for-
mule cela de plusieurs façons, entre autres : « Le corps se fait le lit de
l’Autre 4. »
La corpsification, terme que Lacan substitue à l’incorporation, c’est
l’incorporation du corps du symbolique. La symbolisation du corps
comme organisme vivant par l’incorporation de ce corps du symbolique
est ce qui fait que les chairs sont négativées. À partir de cette corpsifica-
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tion et de la négativation des chairs, Lacan envisage la jouissance comme
une grandeur négative. La jouissance qui n’émerge que de la négativa-
tion des chairs émerge en étant radicalement séparée du corps corpsifié.
Lacan dit : « Le corps est un désert de jouissance. »
Dans le domaine psychosomatique, le corps n’est pas pris dans
une fonction d’organe, c’est-à-dire une fonction symbolique. Le corps saisi
par ce biais de la fonction définit ce qu’est l’Autre du corps. Du point de
vue de la fonction symbolique de cet Autre du corps, il y a là émergence
d’un point de réel, le réel de la jouissance de cet Autre à l’endroit d’un
signifiant, point particulier où la prise du corps par le signifiant s’avère
nulle. Ce corps-là réalise un traitement imaginaire du réel.

4. « De la psychanalyse dans ses rapports avec la réalité », Scilicet, n° 2, p. 60.


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Lacan nous indique que la psychose réintroduit la jouissance dans


le lieu de l’Autre. Cette formule est questionnante mais aussi d’une
logique sans faille. En effet, si c’est le Nom-du-Père qui avec l’opération
de la castration vide le corps de sa jouissance, on peut s’attendre que, à
défaut, il ne soit pas vidé. C’est ce que Schreber manifeste : il décrit un
corps qui n’est pas un désert de jouissance.
Lorsque Freud parle de libido narcissique, d’investissement du moi,
l’équivalent chez Lacan est le corps vidé de sa jouissance. Si l’imaginaire
est ce qui supporte la consistance, l’homme pourrait dire qu’il est un
corps puisque c’est une chose sûre qu’il consiste en un corps. Mais, pour
Lacan : « Ce sur quoi l’homme insiste, c’est non pas qu’il est un corps,
mais comme il s’exprime sur un mode tout à fait saisissant, qu’il l’a. » On
peut alors se demander ce qui fait dire au parlêtre qu’il a un corps. Lacan
nous répond : « Au nom de la manière dont il le traite. »
Pour illustrer cela, Lacan dans son séminaire sur Joyce se sert de ce
que rapporte ce dernier à propos d’une raclée magistrale qu’il a subie à
l’adolescence et qui l’aurait laissé quasiment dans le dégoût de son
propre corps, qui l’aurait en quelque sorte laissé tomber.
Cette scène est décrite par Joyce dans Portrait de l’artiste. Joyce
s’est fait maltraiter et battre par des camarades. Il s’est fait ficeler et ligo-
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ter contre des fils barbelés. Ce n’est que plus tard, en pensant à une jeune
femme qu’il aime et à la manière dont elle venait de ses doigts frôler et
presser sa propre main, qu’il repense à cette scène, dont le souvenir
n’évoque plus en lui de colère.
Avec cet exemple, Lacan donne une sorte de support clinique à la
nécessité de la consistance imaginaire, celle qui est dite narcissique, c’est-
à-dire celle qui supporte le corps comme image. Avec cet épisode, Lacan
nous fait remarquer le rapport de Joyce à son propre corps, mais aussi
au corps de l’autre, de cette jeune femme aimée qui lui avait un jour ten-
drement pressé la main. On peut dire qu’ici, pour Joyce, le corps comme
image n’a pas fonctionné. Le narcissisme est resté en panne.
Pour Lacan, le réel se spécifie du nouage de l’imaginaire, du réel
et du symbolique, dont le nouage borroméen donne l’écriture. Seul le
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nouage des trois registres permet d’aborder l’existence du réel, l’imagi-


naire en favorisant la consistance, alors que le trou provient du symbo-
lique. Le corps, structuré par le symbolique, n’en est pas moins imagi-
naire, car la seule façon qu’a le sujet de le penser, c’est l’illusion de
l’unité spéculaire, nécessaire, car le défaut rend caducs la consistance du
corps et, de fait, le nouage des trois registres.
Pour rendre compte que Joyce n’a rien éprouvé au moment de la
raclée, sinon que quelque chose tombait comme une pelure, Lacan parle
d’un ratage du nœud, évoquant un ratage équivalent pour l’écriture de
la manifestation de l’inconscient au niveau du langage. Lacan nous dit :
« Le rapport n’a pas eu lieu, la loi qui est la loi de l’amour n’a pas fonc-
tionné. »
En traçant un nœud borroméen, on peut montrer l’erreur de
nouage entre R et S, l’imaginaire pouvant alors glisser, s’évacuer. C’est
d’ailleurs ce qui se passe quand Joyce a été battu.
Si Joyce, par l’écriture, tente d’échapper à cette fuite de l’imagi-
naire en encadrant l’image par la lettre et le jeu de mots, cette sup-
pléance n’est pas présente dans le cas des troubles psychosomatiques,
où apparaissent un certain nombre de phénomènes que l’on retrouve
aussi chez Joyce, mais qui sont résolus chez lui par le travail d’écriture.
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On sait aussi que lorsque Joyce n’écrivait pas, il souffrait de phénomènes
psychosomatiques.

L’articulation nécessaire des trois registres du corps humain


Le corps de l’homme, c’est le corps propre, dans sa présence
brute, le corps vivant, appareillé par la libido, c’est-à-dire l’organe incor-
porel de la jouissance. Cet organisme, à partir de l’incorporation de la
structure langagière, se définit selon les trois registres, du réel, du symbo-
lique et de l’imaginaire.
Le corps réel, c’est le corps vivant, celui de la chair avec sa pulsa-
tion de jouissance. Il faut noter que le réel de la science, en dehors de la
structure, n’est pas celui de la psychanalyse, pour laquelle le réel s’ap-
proche par la structure, car s’y adjoint la jouissance.
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Le corps du symbolique, comme nous l’avons déjà mentionné, est


celui qui est vidé, séparé de la jouissance, par l’opération du signifiant.
Cette jouissance va se loger sur les bords que sont les zones érogènes.
C’est cela qui fait dire à Lacan que l’Autre, c’est le corps, l’Autre pris
comme surface d’inscription du signifiant.
Le corps imaginaire, c’est celui qui donne forme, consistance de
corps vivant. À ce titre, on peut dire que c’est un sac vide comme pouvant
ne rien contenir. C’est le sac qui donne une idée de la consistance. Le
corps est le support physique pour que quelque chose soit pensable.
Si le corps se situe dans l’imaginaire, il n’entre dans la perspective
analytique qu’en tant qu’il fait orifice, qu’il se noue à quelque chose de
symbolique ou de réel. Il permet que le dire résonne dans ce corps, don-
nant alors des pulsions qui s’originent autour du trou (bouche, oreille,
yeux, anus). C’est dans ce champ qu’est suscité le désir et que se trouve
le système des représentations du sujet.
Ce qui nous intéresse se situe au niveau du « vrai trou », par
opposition au faux trou, ensemble symbolique-symptôme. C’est donc
cette triplicité du corps dans sa structure qui est affectée dans le phéno-
mène psychosomatique.
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Les phénomènes psychosomatiques sont de l’ordre de la réalité
sensible, et non de la réalité intelligible. Ils concernent le réel impliquant
le corps. Lacan les situe à la jonction du réel et de l’imaginaire. C’est
donc le corps dans sa consistance imaginaire qui se signe de l’existence
d’une lésion dans le réel (du corps) pris comme Autre ; le corollaire de
cela est le retour d’une jouissance spécifique.

À propos du signifiant : le phénomène psychosomatique


n’est pas un symptôme
Dans l’enseignement de Lacan, on relève essentiellement quatre
références aux phénomènes psychosomatiques : le Séminaire II, le
Séminaire III, le Séminaire XI et la « Conférence de Genève sur le symp-
tôme » en 1975. À cela, on peut ajouter un texte plus ancien, de 1953,
cosigné par J. Lacan, R. Lévy et H. Danon-Boileau, intitulé « Considé-
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Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme —— 113

rations psychosomatiques sur l’hypertension artérielle 5 ». Dans ce texte,


où l’on trouve des références « classiques » sur la question psycho-
somatique, Lacan se réfère à sa propre contribution au 51e congrès fran-
çais de chirurgie, de 1950, et reste mobilisé sur la problématique du nar-
cissisme et de l’agressivité, telle qu’il l’a développée dans les deux textes
de 1948-1949 des Écrits, « L’agressivité en psychanalyse » et « Le stade
du miroir comme formateur de la fonction du Je ».
Dans la première référence, il situe le phénomène psychosoma-
tique en dehors « du registre des constructions névrotiques », et « à la
limite de nos élaborations conceptuelles », à situer « au niveau du réel ».
En reconsidérant la définition freudienne du symptôme comme une for-
mation de l’inconscient, une métaphore, donc une structure langagière,
déjà se dégage le fait que le phénomène psychosomatique n’est pas un
symptôme.
À la différence du symptôme qui est un message propre du sujet,
qui a une signification phallique, qui a à voir avec la castration, le phé-
nomène psychosomatique est une incidence du signifiant sur le corps,
mais qui ne représente pas le sujet. Il serait plutôt du côté de la monstra-
tion que de la représentation. Lacan nous parlera de « limite » concernant
ces phénomènes. Dans le Séminaire III, il reprendra ce terme de phéno-
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mène « qui se mobilise de façon directe, sans dialectique ».
Le signifiant est concerné dans le phénomène psychosomatique,
mais la logique du signifiant est défaillante. À ce propos, dans le
Séminaire XI, Lacan évoque l’holophrase et la série psychose–débilité
mentale–psychosomatique. L’holophrase est un terme de linguistique qui
désigne un mot-phrase qui donnerait à lui seul la signification de
l’ensemble.
Dans le Séminaire XI 6, Lacan nous dit : « La psychosomatique
c’est quelque chose qui n’est pas un signifiant, mais qui tout de même,

5. J. Lacan, R. Lévy et H. Danon-Boileau, « Considérations psychosomatiques sur l‘hyper-


tension artérielle », L’évolution psychiatrique, n° 3, 1953, reproduit dans Ornicar?,
n° 43, octobre-décembre 1987, p. 5-16.
6. J. Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse,
Paris, Le Seuil, 1973, p. 206.
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n’est concevable que dans la mesure où l’induction signifiante au niveau


de sujet s’est passée d’une façon qui ne met pas en jeu l’aphanisis du
sujet. » Cette phrase explique d’abord que les phénomènes psycho-
somatiques sont liés à des effets de langage, mais qu’un « dérapage »
s’est produit dans la réalisation au lieu de l’Autre. Il n’y a pas eu apha-
nisis ou fading 7. Dans ce processus, un signifiant S1 ne représente pas le
sujet pour un autre signifiant.
Le sujet au lieu de l’Autre se constitue par l’intermédiaire de l’apha-
nisis, c’est-à-dire son effacement, par la chute du signifiant. « Ce signifiant
vient à constituer le point central de l’Uverdrängung. » L’aliénation est
liée inextricablement au processus de séparation qui fait émerger l’objet
cause du désir, l’objet a.
L’absence d’aphanisis entraîne une interruption dans le processus
de séparation ; cela explique peut-être l’énigme de l’holophrasisation S1-
S2. Et Lacan de nous dire dans le Séminaire XI 8 de l’effet psychosoma-
tique : « J’irai jusqu’à formuler que lorsqu’il n’y a pas d’intervalle entre
S1 et S2, lorsque le premier couple de signifiants se solidifie, nous avons
le modèle de toute une série de cas […] ».
Dans ce séminaire, Lacan compare le phénomène psychosoma-
tique avec ce qui s’opère dans le réflexe du chien de Pavlov. L’animal
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répond aux stimuli par une fonction physiologique. De la même façon, le
patient psychosomatique répondrait à certains signifiants qui s’imposent
à lui sur le mode du besoin. Les signifiants agissent comme des signes et
non comme des signifiants, sauf pour la personne qui induit ce signifiant.
À partir de cette première proposition de Lacan, on peut déduire
que, l’aliénation ne se faisant pas, la séparation ne peut alors s’effectuer.
Il y a fixation, gélification de deux signifiants, entraînant l’impossibilité
d’ouverture dialectique au désir de l’Autre. Au lieu de se représenter, le
sujet se présente par un signifiant : le signifiant holophrasique. Il n’y a pas
constitution du sujet, celui-ci se logeant dans l’intervalle S1-S2.

7. Ibid., p. 189.
8. Ibid., p. 215.
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Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme —— 115

Lacan ponctue, à la page 207 du Séminaire XI : « C’est dans la


mesure où un besoin viendra à être intéressé dans la fonction du désir
que la psycho-somatique peut être conçue comme autre chose que ce
simple bavardage qui consiste à dire qu’il y a une doublure psychique à
tout ce qui se passe de somatique […]. C’est en tant que le chaînon désir
est ici conservé, même si nous ne pouvons plus tenir compte de la fonc-
tion aphanisis du sujet. ».
Dans ce passage, il y a une ouverture vers le champ de l’Autre,
mais quelque chose est gélifié. Il faudrait alors envisager le signifiant
inducteur de la lésion, directement issu du lieu de l’Autre, sans passer par
la subjectivation (au sens d’émergence du sujet).
Cela a une implication clinique, et en effet, la doctrine lacanienne
est sans ambiguïté : la production de ce nouveau signifiant issu de la soli-
dification S1-S2 ne doit pas être entendue comme un nouveau S1 à
décomposer, pour restituer un message au sujet, sinon il y aurait confu-
sion entre phénomène psychosomatique et symptôme. On pourrait consi-
dérer la lésion comme l’incarnation de l’objet cause du désir, par un effet
de court-circuitage pulsionnel.
À partir de ces considérations, on peut avancer que le phénomène
psychosomatique n’est pas une structure. Il est même transstructural puis-
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qu’on l’observe aussi bien dans les névroses et les psychoses que les per-
versions. Ce qui va nous renseigner, c’est la façon toute particulière dont
il se situe par rapport à la jouissance.
L’incorporation du symbolique, dans la névrose, entraîne une
séparation du corps et de la jouissance, de vider le corps de sa jouis-
sance. Avec le phénomène psychosomatique, il y aurait une inscription
de la jouissance sur l’organisme.
On sait que dans la psychose paranoïaque il y a une oscillation
de la jouissance entre le corps et l’Autre. Le cas Schreber en est une par-
faite illustration. Dans la schizophrénie, c’est le corps dans son ensemble
qui est emparé par la jouissance. Dans le phénomène psychosomatique,
il y a un retour de cette jouissance sur le corps, sur quelques zones « bien
choisies ».
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116 —— L’en-je lacanien n° 3

« La jouissance spécifique » des phénomènes psychosomatiques


Le nombre et l’écrit
La conférence que Lacan a donnée à Genève en 1975 sur le symp-
tôme a lieu la même année que le séminaire sur Joyce. Lacan s’intéresse
à ce moment-là à la fonction de l’écrit comme suppléance. On trouve
dans cette conférence la dernière référence sur les phénomènes psycho-
somatiques dans l’enseignement de Lacan. Au cours de la discussion qui
suit cette conférence, Lacan précise que les lésions psychosomatiques sont
des traces écrites sur le corps : « C’est tout de même de l’ordre de l’écrit.
Dans beaucoup de cas nous ne savons pas les lire. Il faudrait dire ici
quelque chose qui introduirait la notion d’écrit dans le corps, quelque
chose qui est donné comme une énigme. Il n’est pas du tout étonnant que
nous ayons ce sentiment comme analyste 9. »
Il précisera par la suite que c’est non pas de l’ordre du signum
(signe), mais plutôt de la signature, identique à des hiéroglyphes que
nous ne savons pas lire. Ces lésions seraient de l’ordre de l’écrit, mais
Lacan les considère comme « pas à lire ».
En passant de la lettre (Séminaire III) au nombre, Lacan se tourne
vers un comptage de la jouissance dont témoignerait le phénomène
psychosomatique, plutôt que vers une subjectivation du désir : « Le corps
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se laisse aller à écrire quelque chose qui est de l’ordre du nombre. » Il y
a là quelque chose de nouveau avec cette référence au nombre.
Dans ses Fondements de l’arithmétique (1884), Frege tente de
déterminer le plus justement possible ce qu’est un « nombre ». Pour lui,
rien ne peut se construire si le concept de nombre entier est incertain, et
il se demande ce qu’on peut lui attribuer comme propriété en fonction de
la question de savoir s’il subsume ou non quelque chose. C’est dans la
mesure où ce concept est établi avec précision qu’un système théorique
peut être produit, système dans lequel on peut définir, sans ambiguïté ni
contradiction, le concept d’entier et enchaîner les énoncés de propriétés
du domaine des entiers ainsi produits. Ce qu’on appelle « le logicisme »
de Frege résulte de la mise en œuvre de cette exigence.

9. « Conférence à Genève sur le symptôme », Bloc note de la psychanalyse, n° 5, p. 19.


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Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme —— 117

Pour Frege, « un nombre est ce que représente la classe de tous les


ensembles équinumériques à un ensemble donné 10 ». Un nombre est
donc assigné à un concept qui subsume des objets. Partant de là, Frege
montre comment on obtient le zéro, en quelque sorte le premier 1, et
fonde de ce fait la suite des nombres par succession, c’est-à-dire compter
n + 1. Cela conduit Frege à exposer la solution concernant la question
de l’identité et de la discernabilité des unités, car tel était son objectif.
Comment comprendre alors ce que Lacan dit dans sa conférence
de Genève : « […] écrire quelque chose du nombre » ? En se référant à
Frege, on peut penser qu’il s’agirait d’une répétition qui s’organiserait
comme la suite des nombres entiers.
Dans une conférence à Baltimore en 1966, intitulée « De la struc-
ture en tant qu’immixtion d’un Autre préalable à tout sujet possible 11 »,
Lacan nous dit : « Compter n’est pas un fait empirique et il est impossible
de déduire le fait de compter à partir des seules données empiriques. […]
Frege a démontré parfaitement l’ineptie d’une telle tentative. La véritable
difficulté tient au fait que tout nombre entier est lui-même une unité. »
Il poursuit : « Si vous lisez les théories des mathématiciens concer-
nant les nombres, vous trouverez la formule n + 1 à la base de toutes les
théories. C’est cette question du 1 en + qui représente la clé de la genèse
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des nombres et, au lieu de cette unité unifiante que constituerait le deux
dont je viens de vous parler, je vous propose de considérer la genèse
numérique du deux. Il faut que ce deux constitue le premier nombre entier
qui n’existe pas en tant que nombre avant l’apparition du deux. Ce qui
rend la chose possible, c’est le fait que deux est là pour garantir l’exis-
tence du premier un. Mettez deux à la place de ce un. Aussitôt, à la place
du deux, vous voyez apparaître trois. Nous avons là quelque chose que
j’appellerai la marque avec quelque chose qui est marqué et quelque
chose qui n’est pas marqué. C’est avec la première marque que nous
avons le statut de ce quelque chose. C’est exactement de cette façon que

10. G. Frege (1884), Les fondements de l’arithmétique, Paris, Le Seuil, 1969, p. 195.
11. J. Lacan (1966), « De la structure en tant qu’immixtion d’un Autre préalable à tout sujet
possible », Bulletin de l’Association freudienne, n° 41, 1991.
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118 —— L’en-je lacanien n° 3

Frege explique la genèse du nombre […], le deux ne vient pas compléter


le un pour faire deux, mais doit rejeter un pour permettre au un d’exister.
À elle seule, cette première répétition suffit à expliquer la genèse des
nombres entiers. »
Quel lien pouvons-nous alors établir entre l’holophrase signifiante
et ce qui dans le phénomène psychosomatique « écrit quelque chose du
nombre » ? Lacan lisant Frege nous éclaire.
Cela repose immédiatement la question du passage du 0 au 1
dans la suite des nombres entiers, le un n’étant rien d’autre que ce qui
vient nommer le 0. La nomination de cet objet 0, c’est-à-dire le nom
propre de cet objet 0, figure comme étant l’objet qui subsume le concept
« identique à 0 ».
Ce passage au 1 permet la discernabilité, qui se situe au niveau
non plus du concept mais des choses comptées. Le passage du 0 au 1
suppose l’effacement de la trace du 0. C’est à partir de cette « unité uni-
fiante » qu’évoque Frege qu’on peut penser que l’holophrase constitue-
rait un obstacle à l’apparition de n + 1. L’holophrase serait le maintien du
un unifiant qui empêcherait la répétition que suppose le un comptable
dans la suite des nombres entiers.
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La non-apparition du n + 1 entraînerait dans la suite des signifiants
la non-émergence de l’objet, corrélative de la séparation des signifiants
S1 et S2. Cet objet serait alors réintégré dans le signifiant lui-même, le
signifiant de l’holophrase. Cela se passe comme dans la suite des nombres
telle que Frege nous l’expose : c’est avec la reprise de la première marque
que va s’inscrire le suivant, comme non identique à soi-même.
On peut établir un parallèle dans la chaîne signifiante où la conca-
ténation de S1 à S2 ne peut s’établir que sur un trait de pure différence.
Dans l’effet psychosomatique, cette différenciation ne pourrait pas se
faire. Reste à savoir pourquoi c’est « le corps qui se laisse aller à écrire
quelque chose de l’ordre du nombre ».
Dans le séminaire La logique du fantasme, à la leçon du 10 mai
1967, Lacan nous dit : « En ce point, alors, qu’est-ce que c’est que cet
Autre […] L’Autre à la fin des fins, vous ne l’avez pas encore deviné, c’est
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Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme —— 119

le corps. » Et de poursuivre dans le paragraphe suivant : « C’est d’abord


le corps, notre présence de corps animal qui est le premier où mettre des
inscriptions. »
Entre le corps ou l’apparition du sujet, dans l’effet psychosoma-
tique, c’est le corps qui fait la démonstration de cette indétermination.
Lacan nous dit, soulignons cela, « où mettre les inscriptions ». Certai-
nement, mais il précisera plus tard : pour ne pas être lues.
Dans cette conférence de Genève, Jacques Lacan pose de nou-
velles et dernières directions de recherche quant aux phénomènes psy-
chosomatiques. Cette voie tracée par Lacan peut paraître dans une pre-
mière approche paradoxale. Elle peut être énoncée ainsi : comment
peut-on dire que se fabrique quelque chose qui est comme un nom, qui a
un rapport avec la marque (référence à Stuart Mill), mais qui pour autant
ne se prend pas dans la logique signifiante et qui est fait avec ce qui est
totalement extérieur au signifiant, à savoir la jouissance ?
La jouissance du névrosé est liée à la parole. Le psychosomatique
est le seul dont la jouissance s’inscrit sur l’organisme. Il y aurait réalisa-
tion de l’objet a sur le corps. Du fait de l’absence de métaphore pater-
nelle surgirait un nom fabriqué avec de la jouissance – de la jouissance
corporelle –, traduction de la souffrance psychosomatique.
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En quoi cette jouissance, en suivant Lacan, serait-elle spécifique ?
Reprenons là ce qu’il nous disait dans son Séminaire II de 1954-1955 12
à propos de l’érotisation de l’organe : « Les investissements proprement
intra-organiques qu’on appelle en analyse autoérotiques, jouent un rôle
certainement très important dans les phénomènes psychosomatiques.
L’érotisation de tel ou tel organe est la métaphore qui est venue le plus
souvent, par le sentiment que nous avons de l’ordre de phénomènes dont
il s’agit dans les phénomènes psychosomatiques. »
Dans les phénomènes psychosomatiques, à classer dans les phé-
nomènes autoérotiques, il y a du plaisir (Lust), ce qui les différencie du
symptôme, davantage à rapprocher du déplaisir (Unlust). En étant rangés

12. J. Lacan (1954-1955), Le séminaire, Livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans
la technique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1978.
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120 —— L’en-je lacanien n° 3

du côté de l’autoérotisme, les phénomènes psychosomatiques se trouvent


du côté du narcissisme primaire, avec une jouissance fermée sur elle-
même, sorte d’instrument dans le rapport à l’Autre.
Freud en 1905, à propos de l’autoérotisme nous dit, parlant de la
pulsion : « L’objet s’efface en faveur de l’organe, qui est la source de
celle-ci, et coïncide en règle générale avec lui. » Cela est à situer avant
le stade du miroir, donc avant l’unification du corps. Il s’agit donc là
d’une jouissance sur un corps morcelé.
De Freud à Lacan, concernant deux aspects de la pulsion, le repré-
sentant psychique et le quantum d’affect, le concept de jouissance nous
permet de rendre compte de ces deux dimensions.
Concernant le retour de la jouissance dans le corps, dans sa confé-
rence de Genève, Lacan nous indique : « C’est par le biais, c’est par la
révélation de la jouissance spécifique qu’il a dans sa fixation qu’il faut
toujours viser à aborder le phénomène psychosomatique. C’est en ça
qu’on peut espérer que l’inconscient, l’invention de l’inconscient puisse
servir à quelque chose. C’est dans la mesure où ce que nous espérons,
c’est lui donner le sens dont il s’agit. » De la même façon que le phéno-
mène psychosomatique ne représente pas le sujet, la jouissance qui n’est
pas régulée par le signifiant vient à la place de la jouissance phallique.
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Toujours dans la conférence de Genève, Lacan déclare : « Je pose
qu’il ne peut y avoir de définition du Nom Propre que dans la mesure où
nous nous apercevons du rapport de l’émission nommante avec quelque
chose qui dans sa structure est de l’ordre de la lettre. » Dans la clinique
psychosomatique, la lettre serait à considérer dans sa fonction d’inscrip-
tion de cette jouissance spécifique et semble plutôt d’un « pas à lire »,
d’un pas à déchiffrer.
Dans le Séminaire XVIII, D’un discours qui ne serait pas du sem-
blant, dans le texte « Litturatere », le 12 mai 1971, Lacan nous dit : « La
lettre n’est-elle pas à proprement parler le littoral, le bord du trou dans le
savoir […] entre la jouissance et le savoir, la lettre ferait le littoral. »
Par rapport à la fonction de la lettre, ce texte « Litturatere » est
essentiel. Lacan précise que la lettre ne doit pas être considérée comme
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Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme —— 121

une écriture en attente d’être « significantisée ». En effet, il la sépare net-


tement du signifiant et précise : « L’écriture, la lettre, c’est dans le réel et
le signifiant dans le symbolique. »
Il avait auparavant précisé que « l’écriture ne décalque pas le
signifiant ». D’autre part, il insiste sur le fait qu’il ne faut pas confondre le
signifiant et la lettre : « C’est là vous définir par quoi l’écriture peut être
dite dans le réel le ravinement du signifié. » La lettre est la matérialité du
signifiant. Elle reste inscrite comme une sorte de a qui n’est pas extériori-
sable de l’Autre sur le mode de la névrose.
La lésion somatique s’explique par une position du sujet à l’Autre
qui ne se déchiffre pas. Dans le phénomène psychosomatique, c’est non
plus tant le désir qui est interrogé que la jouissance.

Structure et clinique
Le phénomène psychosomatique n’est pas une forme d’assujettis-
sement. On le rencontre aussi bien dans la névrose ou dans la psychose
que dans la perversion. C’est un phénomène transstructural.
Si on retrouve des éléments rappelant la psychose, il n’y a cepen-
dant pas identité. La fonction du Nom-du-Père est en partie ratée, mais il
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n’y a pas forclusion. La psychanalyse peut rompre ce manque d’aphani-
sis et faire de nouveau fonctionner le symbolique.
Quant à la psychose, deux questions se posent : le phénomène
psychosomatique serait-il une barrière contre la psychose ? Serait-il la
marque d’un « mieux » dans le cas d’une psychose ?
Il n’est pas sans intérêt de voir la fonction du phénomène psycho-
somatique dans certains cas de psychose. Rappelons-nous Joyce ou
Samuel Beckett. Pour tous les deux, la maladie psychosomatique apparaît
dès que la suppléance constituée par leur art d’écrire ne fonctionne plus.
Mais le phénomène psychosomatique peut-il être considéré comme une
suppléance de relais par rapport à cet artifice qu’est déjà l’écriture, et qui
vient constituer ce quatrième rond que Lacan appelle le sinthome ? Il qua-
lifiera ce rond de névrotique précisément parce qu’il a pour fonction de
tenir le sujet hors des phénomènes délirants.
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Il faut noter toutefois que l’écriture est une suppléance du registre


symbolique, alors que le phénomène psychosomatique est du registre du
réel, de la jouissance donc. Cette remarque concerne les sujets de struc-
ture psychotique et n’est donc pas généralisable aux autres structures.
On peut ajouter que le phénomène psychosomatique est un
symptôme sans métaphore, c’est-à-dire un phénomène qui tout en étant
hors sens n’est pas hors de portée de l’action symbolique. Mais il y a
absence d’effet de sens (on a affaire à un S1 absolu, S1 issu de la soli-
dification S1-S2). À prendre les phénomènes psychosomatiques du côté
du signifiant, on s’essouffle très vite.
L’ouverture est du côté de la jouissance, de cette jouissance spéci-
fique comme tentative de jouir du corps de l’Autre, comme tentative
d’écriture du rapport sexuel.
Une définition minimale de la jouissance, c’est que ça s’éprouve.
Le sujet atteint de phénomène psychosomatique ne peut rien dire de cette
jouissance si ce n’est qu’elle atteint certaines parties bien localisées de
son corps. En ce sens, le phénomène psychosomatique évoque l’auto-
érotisme par l’érogénéisation d’un organe. Cette modalité de jouissance,
cette solution à laquelle s’astreint le sujet, n’est pas sans nous rappeler ce
que Freud appelle un « masochisme originaire ».
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En abordant les phénomènes psychosomatiques par le biais de la
jouissance, ne faudrait-il pas retrancher de ce champ les affections sen-
sibles ? La lésion, l’incarnation, le phénomène psychosomatique ne serait
pas à considérer comme un retour de la jouissance vers le corps mais
concernerait bien plutôt la façon dont le verbe se fait chair. C’est ce que
Lacan aborde dans la question II du texte « Radiophonie 13 » : ce qui du
réel du corps n’a pas fait l’épreuve du symbolique, avec son corollaire,
la déperdition de jouissance.
C’est ainsi que l’on peut avancer que la jouissance en jeu dans le
phénomène psychosomatique concernerait ce qui n’a pas été négativé
comme chair. L’incarnation serait la « corpsification » dans le réel.

13. J. Lacan (1970), « Radiophonie », Scilicet, n° 2/3.


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Le réel du corps : phénomènes psychosomatiques et symptôme —— 123

Cette élaboration d’une construction théorique pertinente dans


l’approche des phénomènes pose maintenant la question de savoir quoi
en faire. La seule ouverture possible pour progresser et pour arriver enfin
à une véritable clinique des phénomènes psychosomatiques est la cure
analytique sous transfert. Certains auteurs ont souligné la difficulté de
transfert avec de tels sujets. Si tant est que leur position implique un défaut
de séparation, c’est bien dans cette séparation que « pointe le transfert ».
L’appui que l’on peut espérer est celui de l’acte analytique. En
effet, par son acte, l’analyste opère en créant une mise à la tâche de ce
qui devient un sujet. L’analyste est non pas du côté du sujet, mais en posi-
tion de semblant d’objet, indéfini, dans un « je ne pense pas » qui instaure
son acte. Et cet acte fonde un sujet à se mettre au travail. C’est cela que
l’on peut espérer d’une clinique sous transfert.
Nous avons noté l’originalité de cette jouissance spécifique. Le
phénomène psychosomatique a un effet de recentrage, un pouvoir endo-
scopique, comme un miroir interne. La difficulté par rapport à cette jouis-
sance est celle d’abord de la repérer et ensuite que le sujet puisse lui don-
ner un sens, cela afin d’opérer une séparation entre le désir et la
jouissance, pour faire que ce désir apparaisse. C’est à partir du vécu
propre d’un sujet, qui est un cas particulier, unique, non reproductible que
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la généralité pourra progresser.

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