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Du traumatisme à l'événement

Jean-Jacques Barreau
Dans Topique 2006/2 (no 95), pages 103 à 125
Éditions L’Esprit du temps
ISSN 0040-9375
ISBN 2847950761
DOI 10.3917/top.095.0103
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Du traumatisme à l’événement

Jean-Jacques Barreau

« Il ne vous arrivera jamais d’autre événement que vous-même. »


F. NIETZSCHE

1. AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE TRAUMA


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Le Trauma, avec la théorie de la séduction, est attaché à la première
conception freudienne de l’étiologie des névroses. En cherchant à « ramener à
l’empreinte laissée par une influence externe s’exerçant précocement quelque
chose qu’on aurait volontiers conçu comme spécificité constitutionnelle » (37),
Freud relance la question de la causalité psychique que la psychiatrie de l’époque
rabattait sur la notion de dégénérescence. La constitution, qui devient avec
Freud une disposition par fixation de la libido, garde une place dans l’étiologie
des névroses à côté du Trauma avec lequel elle forme une « série complémen-
taire » (35). Mais elle est, elle-même, le produit d’une « série complémentaire »
associant aux événements de la vie infantile, la constitution sexuelle formée des
événements de la vie préhistorique. L’étiologie des névroses est ainsi rapportée
à la rencontre d’une série d’événements phylogénétiques, infantiles et
accidentels.
À la suite de son voyage à Paris, et partant de l’hystérie traumatique décrite
par Charcot où la maladie se déclare à la suite « d’une grande et unique frayeur »
(14), Freud va construire sa théorie des névroses sur le modèle traumatique. En
1894, la « défense », qui est au cœur de l’hystérie de défense, a pour but de
traiter toute représentation « inconciliable » (unverträglich) ou « insupportable »
(unerträglich), associée à un affect pénible d’effroi, comme une représentation

Topique, 2006, 95, 103-125.


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« non arrivée » (15). Mais c’est dans trois articles de 1896 que Freud expose sa
théorie de la séduction (18) (19) (20) : Les symptômes hystériques y sont
présentés comme des « symboles mnésiques », c’est-à-dire la répétition symbo-
lique d’expériences traumatiques passées. Pour Freud, la cause de l’hystérie
n’est plus l’incident traumatique, comme le pense Charcot, mais son souvenir
refoulé qui agit à la manière d’un « corps étranger ». Les hystériques souffrent
de « réminiscences », leurs symptômes sont « les résidus mnésiques » d’expé-
riences émotives que Freud et Breuer appellent « traumas psychiques » (24) en
référence aux traumatismes physiques auxquels Charcot rattachait la paralysie
hystérique et qui sont, pour Freud, « un ou plusieurs vécus d’expérience sexuelle
prématurée. » (20) Aussi, partant des expériences insignifiantes que révèle
parfois le discours de ses patientes hystériques, il est amené à supposer l’exis-
tence d’une expérience sexuelle plus précoce pour expliquer la force pathogène
d’expériences anodines plus tardives et à découvrir l’effet d’après-coup. Cet
écart que la théorie de la séduction introduit entre la cause de la névrose et
l’incident traumatique se creusera jusqu’à faire le lit de la « réalité psychique ».
C’est en septembre 1897, sous l’effet de son autoanalyse stimulée par ses
voyages en train et par le décès de son père, « l’événement le plus significatif,
la perte la plus radicale intervenant dans la vie d’un homme » (22), que la
position de Freud va changer. Le 21 septembre, au retour de son voyage en
Toscane et en Ombrie, il écrit à Fliess sa fameuse lettre où il annonce qu’il ne
croit plus à sa « neurotica » (13). Il renonce à fonder la théorie de la séduction,
et donc l’étiologie des névroses, sur un traumatisme identifié comme une
séduction sexuelle agie par un adulte pervers sur un enfant innocent, ce qui va
lui permettre de voir « la vie sexuelle de l’enfant se dérouler devant lui dans
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toute son ampleur » (32).
Avec la prise en compte de la réalité psychique, la conception de la causalité
psychique et la temporalité de la cure seront totalement remaniées, avec pour
conséquence le passage de la méthode cathartique à l’application de la règle
fondamentale de la libre association. La méthode cathartique était l’expulsion
de ce « corps étranger » entré par effraction dans la psyché ; il s’agissait de la
liquidation de la « valeur affective » par les voies de la décharge ou par celles
de l’association psychique. Il s’agira par la suite d’accueillir le trauma, de
l’assimiler au « grand complexe des associations », et l’appareil psychique se
dessinera comme un espace destiné à accueillir ce qui le pénètre par un processus
de frayage puis de liaison, première forme de symbolisation. L’alternative à
l’expulsion du « corps-étranger » (Fremdkörper), expression par laquelle les
nazis qualifiaient les juifs, l’alternative à l’exil sera l’assimilation.
Si la méthode cathartique se soutenait d’une causalité linéaire où la scène
traumatique refoulée était directement responsable de l’état pathologique et où
la temporalité de la cure était celle de la remémoration, la temporalité de la cure
analytique se déploiera dans un sens non plus seulement régrédiant mais
également progrédiant. Le Trauma ne sera plus uniquement un lieu de conver-
gence du discours de l’analysant, il deviendra aussi un point d’irradiation de
JEAN-JACQUES BARREAU – DU TRAUMATISME À L’ÉVÉNEMENT 105

ce discours selon le modèle que Freud défendra contre Jung dans À partir de
l’histoire d’une névrose infantile (33). Ainsi, le Trauma comme cause dit
l’origine, mais comme horizon, comme événement à venir. Il dit l’origine dissé-
minée dans ses devenirs, sur les modes de la répétition, du transfert et de
l’après-coup.
Dans les Études sur l’hystérie, Freud montre comment plus il pénètre en
profondeur les souvenirs des patients, plus ces souvenirs se présentent avec
difficulté jusqu’au moment où il rencontre le « noyau central des souvenirs »
dont le patient persiste à nier l’existence (17). Il pose alors la question suivante :
« S’agit-il réellement de pensées inachevées ayant simplement eu la possibilité
d’exister ? En pareil cas, la thérapeutique consisterait-elle simplement en l’achè-
vement d’un acte psychique resté jadis inaccompli ? » (17) Cet acte psychique
reste inaccompli en raison de la précocité de la survenue du trauma alors que
l’appareil psychique n’est pas prêt à l’accueillir. La prématurité de l’infans et
de sa psyché est partout soulignée par Freud qui cherche toujours à situer plus
précocement l’expérience traumatique qui doit être vécue à une période où les
traces mnésiques ne trouvent pas les moyens de leur traduction, comme il l’écrit
à Fliess dès 1896 (13). Cette conception du Trauma comme « lacune dans le
psychisme » conduira à la conceptualisation de la répétition et du transfert
comme actualisation en lieu et place de ce qui est « non arrivé ». L’accent se
portera sur les conditions de fonctionnement du processus psychique, il se
déplacera du contenu de la scène traumatique à l’événement d’un processus
selon le modèle du travail du rêve. L’accent se déplacera de la recherche d’un
incident traumatique comme cause à la définition de l’événement comme
devenir. Le Trauma, qui était un événement psychique traité comme « non
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arrivé » par désinvestissement de sa trace mnésique, deviendra une impression
non arrivée au statut d’événement psychique, ce qui pose la question de la
nature d’une inscription qui ne trouverait pas l’événement de sa représentation,
donc les moyens de son investissement. Car, si la représentation est l’investis-
sement d’une trace mnésique, peut-on concevoir une trace qui ne soit pas
investie ? C’est, en tout cas, le rêve de Thanatos !
L’accent se déplacera de la question de l’expérience vécue (Erlebnis) à celle
de l’héritage d’un passé en attente de son événement. Ainsi le Trauma, à la
place de la théorie dominante de la dégénérescence, se donne comme une pensée
de l’héritage :
« La constitution elle-même ne serait-elle pas la résultante de tous les événe-
ments fortuits qui ont influencé la série infinie de nos ancêtres » (27)
L’opposition entre la réalité externe et la réalité psychique sera relayée par
la conflictualité interne entre le Moi, représentant du monde extérieur, et l’Idéal
qui deviendra, par l’intermédiaire du Surmoi, le représentant du monde intérieur
(39). Le trauma comme impression originaire en deçà des possibilités de
remémoration – car il est, comme oubli, ce qui rend possible une remémoration
à venir – pose une origine absolue sans passé. Cette impasse conduira Freud,
à travers l’hypothèse phylogénétique, à poser la question de l’héritage à partir
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d’une inscription non perçue et non vécue par le sujet lui-même, mais condition
de la possibilité de l’événement du vécu. Cette mémoire phylogénétique du
non-vécu – c’est-à-dire de ce qui n’est pas présent et non de ce qui n’est pas
réel – est le socle sur lequel la mémoire individuelle comme oubli peut
fonctionner. Cette mémoire phylogénétique ne revient pas sur le mode du
souvenir mais comme répétition, comme « automaton », ce qui est le mode
d’expression de l’angoisse traumatique. Cette mémoire non vécue est du
domaine de l’idéalité, le Surmoi étant le support de sa transmission (39).
Si, à partir de 1897, Freud doit prendre en compte, à côté de la « réalité
matérielle » (Realität) (35), une « réalité effective » (Wirklichkeit) (44) et la
production d’effets de réalité palpables – car c’est un sentiment d’effectivité
(Wirklichkeitsgefühl) qui caractérise la réalité psychique – la question de la
réalité matérielle du traumatisme ne sera jamais close. Freud y reviendra tout
au long de son œuvre et, sur ce point, la discussion sur la réalité de la scène
primitive de « l’homme aux loups » est exemplaire (33). Si le mot « trauma »
n’est pas prononcé dans l’article de 1937, Constructions dans l’analyse (46),
la question de la réalité matérielle n’y est pas absente. Freud y use de la
métaphore archéologique et parle de « vérité historique », notion qui sera au
centre de son Moïse (48). Il reconnaît néanmoins, comme il avait déjà dû le faire,
qu’il est souvent impossible d’accéder aux souvenirs infantiles ; c’est d’ailleurs
ce qui justifie et nécessite les constructions élaborées par l’analyste.
Si, progressivement, le modèle traumatique fait place au modèle pulsionnel,
celui-ci restera toujours hanté par celui-là. Non seulement le trauma ne disparaît
pas du corpus freudien, mais il continue comme modèle à imprégner, voire à
orienter de nombreux concepts. Il reviendra en force avec la guerre et la névrose
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traumatique, et la théorie de la séduction, elle-même, ne sera jamais totalement
abandonnée comme en témoigne cette note ajoutée en 1924 à un texte écrit en
1896 :
« La séduction a conservé une certaine importance pour l’étiologie, et aujour-
d’hui encore je considère comme valable un certain nombre des développements
psychologiques présentés ici. » (19)
Nul doute en effet que, parmi la « langue d’image » de la psychanalyse (38),
le « trauma » occupe une place singulière, tel un index ouvrant sur de nombreux
concepts, un « point nodal » (35) où se croisent plusieurs voies spéculatives. Si
le détour métaphorique est le chemin de la spéculation freudienne, la métaphore
traumatique en est le carrefour, lieu des retrouvailles entre Œdipe et Laïos, car
elle se présente comme la scène primitive de la psychanalyse et du Sujet
freudien. Non seulement comme la métaphore de la source et de l’origine, que
Freud traque jusqu’à la complicité de la vie et de la mort, mais encore, par les
voies allant de l’altération à l’altérité, comme la source même de la métapho-
ricité. Le trauma est cet événement originaire qui n’implique pas sa
remémoration, mais qui rend pensable l’activité mnésique et qui fraye la voie
du remaniement pulsionnel, de l’élaboration psychique et du processus de civili-
sation. Toujours associé aux occasions de théorisation des origines dans l’œuvre
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freudienne, Il est la condition de l’événement de nombreux concepts et de la


psychanalyse elle-même dont il est comme l’index programmatique. En effet,
le Trauma est toujours lié à la question des origines : origine de la névrose avec
la théorie de la séduction, origine de l’inconscient et du sujet désirant avec le
refoulement primaire, les fantasmes originaires et la scène primitive, origine
de l’humanité avec le meurtre du père de la horde.
Mais, si Freud a toujours tenu à réaffirmer la réalité d’expériences infan-
tiles qui, pour être vécues hors de toute conscience, n’en trouvaient pas moins
leur inscription psychique faisant trace et frayage, il laisse dans son œuvre deux
conceptions du Trauma. La première suppose un sujet auquel un événement
serait arrivé, se serait présenté puis aurait été refoulé et continuerait, comme
corps étranger, à « jouer un rôle actif » (17). La seconde où le Trauma est l’évé-
nement qui fait arriver le sujet, ou auquel le sujet arrive. Jamais présent à la
conscience, ni ensuite refoulé dans un inconscient prêt à l’accueillir, il est,
comme événement, le sujet qui vient et l’inconscient qui se constitue. Cette
seconde conception habite la première dès l’origine. La distinction entre un
traumatisme survenant à un sujet déjà constitué et un traumatisme antérieur à
la constitution d’un sujet dont-il constitue le point d’ancrage, recouvre la
distinction entre un inconscient conçu comme un réservoir de souvenirs oubliés
susceptibles d’être remémorés et un inconscient fait de traces qui frayent les
voies par lesquelles se construit un passé. Un passé qui a eu lieu sous la forme
d’une inscription topique sans jamais avoir été présent. Les deux conceptions
coexistent tout au long de la théorisation freudienne sous la forme d’une tension,
d’une oscillation, d’une indécidabilité.
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2. L’INDÉCIDABLE OU LE PAS DE LA BALLERINE

Le 30 mai 1893, Freud suggère à Fliess de parler de l’étiologie sexuelle des


névroses lors de sa communication au congrès de Wiesbaden sur la névrose
nasale réflexe et lui écrit : « Montre aux gens le passe-partout, la formule étiolo-
gique » (13). Instrument qui permet d’entrer par effraction, le « passe-partout »
est aussi, en technique d’encadrement, un cadre dans le cadre sous la forme de
cette surface découpée dans un carton pour y laisser paraître l’œuvre. C’est
pourquoi, dans La vérité en peinture (9), Jacques Derrida fait de ce terme
l’emblème d’une topologie sans dedans ni dehors. Comme entame, ouverture,
effraction, le Trauma est un « passe partout » qui introduit à une topologie de
la limite et du bord qui oriente la théorisation freudienne du cadre analytique.
Le trauma comme « corps étranger interne » trouble les limites entre le dedans
et le dehors et, par là-même, les rapports entre la réalité et la fiction :
« La réalité est une question de dehors et de dedans. Le non-réel, le
simplement représenté, le subjectif n’est que dedans ; l’autre, le réel, est présent
au-dehors aussi. » (42)
En 1897, le fait nouveau, qui conduit Freud à prendre en compte la « réalité
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psychique » à côté de la « réalité pratique », c’est que les hystériques rattachent


leurs symptômes à des « traumatismes inventés » (32), à des « fictions
mnésiques » (Erinnerungsdichtungen). Le sol de la réalité fuit sous ses pieds,
et Freud ne sait plus « à quel appui s’accrocher » (32). Il est désorienté par
l’absence dans l’inconscient « d’indice de réalité » permettant de distinguer la
réalité de la fiction investie d’affect (13). Il est désorienté car « l’inquiétante
étrangeté surgit souvent et aisément chaque fois que les limites entre imagination
et réalité s’effacent. » (36) L’apparition de Gradiva dans les ruines de Pompéi,
sous le soleil de midi, l’heure des esprits, laissera aussi Freud « péniblement
désorienté » (23). Gradiva était d’abord « une image de pierre » puis « une
figure de rêve », mais que penser maintenant de cette apparition : hallucination,
« véritable fantôme » ou être en vie ? Après avoir écarté comme « invraisem-
blable » la réalité matérielle, Freud écarte l’hallucination et se pose l’étrange
question d’une autre réalité, la réalité d’une rediviva :
« Ainsi, ce n’est pas une hallucination, c’est quelque chose qui se situe à
l’extérieur des sens de notre rêveur. Or la réalité d’une rediviva pourrait-elle
déranger un lézard ? » (23)
La capacité de modifier la réalité et de s’y soustraire, contrairement aux
revendications pulsionnelles, est caractéristique de la réalité matérielle, et la
projection vise à traiter la réalité psychique comme une réalité extérieure pour
pouvoir lui attribuer cette caractéristique et ainsi lui échapper. Aussi, c’est « un
effet dans le réel » qui signe la réalité matérielle, de chair et de sang, de Zoé
Bertang : la fuite d’un lézard, symbole de la castration selon L’interprétation
des rêves. Finalement, Gradiva s’avère être une jeune Allemande bien réelle,
et Freud se sent humilié, non pas d’avoir cru cette fois à la réalité des scènes
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traumatiques relatées par les hystériques, mais de ne pas avoir cru à la réalité
matérielle de Gradiva. Il se sent humilié de s’être laissé abusé non par l’ima-
gination des hystériques, mais par « le petit délire » de Jensen. Les constructions
dans l’analyse et la théorie psychanalytique elle-même resteront marquées par
ce doute concernant la réalité, ce que les critiques n’ont pas manqué de renvoyer
à Freud : « Un conte de fée scientifique », telle fut par exemple la réaction de
Kraft-Ebing à la conférence de Freud sur l’étiologie de l’hystérie devant la
société de psychiatrie et de neurologie de Vienne (54).
Dans son texte autobiographique, Freud confie qu’il fut convaincu que la
psychanalyse n’était pas une formation délirante mais une précieuse partie de
la réalité le jour où il monta à la chaire de l’université de Worcester pour y
donner sa série de conférences :
« Ce fut comme la réalisation d’un rêve diurne auquel je n’aurais pu croire,
ce moment où je montai à la chaire de Worcester pour donner mes « cinq leçons
sur la psychanalyse ». La psychanalyse n’était donc plus une formation délirante,
elle était devenue une part précieuse de la réalité. » (40)
Cette conviction restera fragile car, en 1937, Freud s’interroge encore sur
les parentés entre la théorie psychanalytique et le délire (46). L’efficacité de la
construction analytique n’est pas de l’ordre d’un savoir apporté à l’analysant
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sur son histoire. Un tel s’avoir n’apporte rien, pas plus que les explications
sexuelles apportées aux enfants ne modifient leurs théories sexuelles auxquelles
ils ne sont pas disposés à renoncer, comme le note Freud dans un autre article
de 1937, L’analyse avec fin et l’analyse sans fin (45). Le vrai en psychanalyse
est en rapport avec le sentiment de « conviction » (Überzeugung) souvent
accompagné de l’intensité et de l’hyper netteté (Überdeutliche) d’une repré-
sentation, caractères qui sont pourtant sans rapport avec le facteur de réalité,
mais déterminés par deux éléments : l’accomplissement du désir et le degré de
condensation :
« L’intensité la plus grande porte sur les éléments du rêve dont la formation
a exigé le plus grand travail de condensation. Nous pouvons donc penser que
cette dernière condition et celle de l’accomplissement du désir sont exprimées
en une seule formule. » (22)
L’hyper netteté du souvenir-écran et l’intensité des images du rêve, qui sont
liées au transfert de l’intensité des représentations inconscientes sur des repré-
sentations préconscientes, conduisent à une conviction profonde qui ne se
distingue en rien de celle qui est fondée sur le souvenir, et le rêve lui-même est
une modalité du « remémorer » :
« Or, je ne suis pas d’avis que ces scènes devraient nécessairement être des
fantaisies du fait qu’elles ne reviennent pas en tant que souvenirs. Il me semble
absolument équivalant au souvenir qu’elles se remplacent – comme dans notre
cas – par des rêves dont l’analyse ramène régulièrement à la même scène et qui
dans un inlassable remaniement reproduisent chaque morceau de son contenu.
Rêver n’est-il pas également un remémorer, même dans les conditions propres
à la période nocturne et à la formation du rêve. Par ce retour dans les rêves, je
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m’explique que se forme peu à peu, chez les patients eux-mêmes, une ferme
conviction touchant à la réalité de ces scènes originaires, conviction qui ne le
cède en rien à celle fondée sur le souvenir. » (33)
En posant le rêve puis le transfert comme des équivalents du souvenir, la
théorie freudienne de la mémoire révèle que le souvenir n’est accessible que
par le détour de sa traduction, de sa construction. Comme le rêve peut tenir lieu
de souvenir, ce qui équivaudra dans la construction analytique à la remémo-
ration sera le sentiment de réalité (Wirklichkeitsgefühl), la sûre conviction
(sichere Überzeugung). Mais, si la vérité d’une construction ou d’une inter-
prétation repose sur la conviction, en quoi l’action de l’analyse est-elle différente
de l’illusion et de la suggestion ? Si une pensée intensément investie peut être
tenue pour réelle, si les constructions analytiques s’apparentent aux délires des
psychotiques, en quoi l’analyse est-elle différente d’un délire à deux ? Il faut
prendre ici toute la mesure de l’insistance de Freud à rechercher « le socle de
réalité » (Boden der Realität) de la scène traumatique, primitive ou phylogé-
nétique. Il faut prendre la mesure de son insistance à rechercher « les moellons
et les colonnes » des ruines qui servent de support aux constructions nouvelles
(22). Si « la théorie du refoulement est le pilier sur lequel repose l’édifice de
la psychanalyse » (32), la « réalité » du Trauma est le matériau du socle dont
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Freud a besoin pour construire son édifice et qui, pour Lacan, fonde la persis-
tance même du nom de Freud :
« C’est autour du terme de réalité, du vrai sens de ce mot, toujours employé
par nous d’une façon si inconsidérée, que se situe la puissance de la conception
de Freud, et qu’il faut mesurer à la persistance du nom même de Freud dans le
déploiement de notre activité analytique. » (51)
Ce socle pour « installer sa colonne » (13), qu’il cherchera un temps dans
la théorie biologique de Fliess, il le trouvera finalement dans le rêve :
« Dans ce bouleversement de toutes les valeurs, seul ce qui relève du psycho-
logique est resté intact. Le rêve est là en toute certitude…» (13)
Mais c’est un socle fragile qui toujours menace de se dérober sous ses pieds,
comme son Moïse « statue d’airain aux pieds d’argile » (48), ce qui imprime à
sa démarche spéculative cette claudication si caractéristique : réalité-fantasme,
réalité-fantasme… Claudication qui contraste avec la démarche de Gradiva
dont le pied semble ne jamais prendre appui sur le sol. Cette oscillation de la
démarche freudienne se développe de manière exemplaire au cours de la
discussion, qui se termine par un « non liquet », sur le caractère réel ou fantas-
matique de la scène primitive de « l’homme aux loups » (33). L’indécidabilité
entre le fantasme et la réalité, ce « rythme-hésitation » (Zauderrythmus) (38),
est le rythme même de ce texte alors que le « mouvement constant d’oscil-
lation » (33) des investissements libidinaux, trait caractéristique de l’inconscient,
domine le tableau clinique de Serguei Constantinovitch Pankejeff.
Cette vacillation permanente entre le réel et l’imaginaire témoigne, selon
Lacan, de la naissance de la vérité dans la parole qui lui donne sa « structure
de fiction » (52). Mais pour Freud la vérité, comme la réalité, est plurielle, et
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il distingue la « vérité historique » (historische Wahrheit) (40) (48) de la « vérité
matérielle » (materielle Wahrheit) (40) ou de la « vérité réelle » (reale
Wahrheit) (1). Ce glissement du terme de « réalité » à celui de « vérité », on le
rencontre pour la première fois sous la plume de Freud lorsqu’il assied les
fantasmes originaires sur le socle de « la vérité préhistorique » (35). Les lacunes
de la vérité individuelle sont comblées à l’aide de la vérité préhistorique par la
médiation des fantasmes originaires et l’on retrouve, sous une autre forme, la
« lacune dans le psychique » qui résultait d’une absence d’intégration de la
représentation traumatique dans « le grand complexe des associations ».
L’intégration se fait, cette fois, par la voie du rappel d’expériences de la vie
primitive de l’humanité ; elle est intégration dans l’Histoire et dans la commu-
nauté humaine.
Après avoir étayé sa théorie des névroses sur une réalité historique infantile,
Freud s’appuie sur une réalité préhistorique et phylogénétique. Cette remontée
vers l’origine conduit à substituer à la figure du père celle de la mère comme
« génératrice » de névrose. Dans la dimension historique, la mère séductrice,
en érogénéïsant les zones corporelles au cours des soins et caresses des premiers
échanges, remplace le père séducteur alors que dans la dimension préhisto-
rique on retrouve le père, ou plutôt le meurtre du père comme origine. La nature
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du Trauma se déplace de la séduction par le père à son meurtre, le « grand


événement par lequel la civilisation a débuté et qui depuis lors n’a cessé de
tourmenter l’humanité » (29). Ainsi, l’événement inaugural n’est pas donné
une fois pour toute, mais continue sans cesse son travail, son tourment. Le
trauma n’en finit jamais de devenir événement, tel est le procès de la civilisation,
et la psychanalyse fait partie des sciences qui s’attachent à « reconstruire » les
origines de l’humanité :
« (…) Nous sommes amenés à espérer arriver, par l’analyse des rêves, à la
connaissance de l’héritage archaïque de l’être humain, à reconnaître chez lui
ce qu’il y a d’inné dans l’âme. De ces antiquités animiques, il semble que rêve
et névrose nous aient gardé d’avantage que nous ne pouvions le soupçonner,
de sorte que la psychanalyse est en droit de prétendre à un rang élevé parmi les
sciences qui s’efforcent de reconstruire les phases les plus anciennes et les plus
obscures des commencements de l’humanité. » (22)
Après Totem et tabou, la « vérité historique » que défend Freud dans son
Moïse, qu’il voulait sous titrer « Roman historique », est une vérité mythique,
celle d’un « mythe scientifique » : le meurtre du père primitif. Freud est embar-
rassé de la pauvreté des données historiques dont il dispose pour étayer cette
« vérité », et sa spéculation avance d’un pas instable mais précis, celui « d’une
ballerine faisant des pointes » (48).
« L’ensemble n’a rien à voir avec une expérience que j’aurais vécue au sens
habituel du mot ; c’est de part en part, comme le titre l’indique, une fantaisie ;
elle s’avance sur une arrête pas plus large qu’une lame de couteau, d’un pas
somnambulique. C’est au fond ce qui se produit dans toute création littéraire
(…) » (49)
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Cette fantaisie, qui s’avance d’un pas somnambulique sur une lame de
couteau et évoque le pas instable et périlleux de la ballerine, c’est Gradiva, la
« fantaisie pompéienne » de Jensen qui se montre, dans sa lettre à Freud, plus
proche que celui-ci d’une position psychanalytique. Cette lettre fait partie d’une
brève correspondance entretenue avec Freud, et à l’initiative de celui-ci, après
sa lecture de Gradiva. Dans une démarche plus proche de celle d’un détective
que de celle d’un archéologue telle qu’il la revendique en 1937 (46), Freud
cherche, comme pour la scène primitive de « l’Homme aux loups », les éléments
de la réalité de la vie de Jensen sur lesquels pourrait s’appuyer l’écriture de cette
nouvelle. Il a une hypothèse, faut-il dire une conviction : Jensen avait une sœur,
morte après qu’ils ont partagé dans leur enfance une « relation pleine
d’intimité » ; une sœur qui devait souffrir d’une déformation, sans doute un
pied bot. Il mène l’enquête, interroge Jensen, doute de ses réponses, cherche à
le faire avouer. Pourtant, pour Freud, le caractère de la réalité du trauma
demeurera toujours indécidable. Cette indécidabilité sera même une qualité
essentielle de la réalité psychique comme du travail analytique :
« Si les événements infantiles dégagés par l’analyse étaient toujours réels,
nous aurions le sentiment de nous mouvoir sur un terrain solide ; s’ils étaient
toujours faux, s’ils se révélaient dans tous les cas comme des inventions, des
112 TOPIQUE

fantaisies des malades, il ne nous resterait qu’à abandonner ce terrain mouvant


pour nous réfugier sur un autre. Mais nous ne nous trouvons devant aucune de
ces deux alternatives : les événements infantiles reconstitués ou évoqués par
l’analyse, sont tantôt incontestablement faux, tantôt non moins incontesta-
blement réels, et dans la plupart des cas, ils sont un mélange de vrai et de faux. »
(35)
Contrairement aux auteurs qui rattachent cette indécision et l’abandon de
la théorie de la séduction à une problématique personnelle de Freud1, je pense
que cette indécidabilité n’est pas extérieure à la définition même de l’évé-
nement psychique. Elle est une des caractéristiques de l’événement qui ne peut
être réduit à une réalité qui se présenterait une fois pour toute mais doit plutôt
se rejouer, selon le mouvement de la répétition et le rythme de l’après-coup,
comme le « jet séminal d’un coup de dé » (8). L’oscillation freudienne entre
fantasme et réalité s’épuise avec le concept de fantasme originaire. Si celui-ci
résout l’indécision en l’enfermant en son sein, c’est que le fantasme est le nom
même de l’oscillation entre un événement comme entame et un après-coup
représentatif comme borne ; entre l’inscription d’une trace et le frayage de sa
représentation symbolique.

3. UN « PETIT RIEN RÉEL » : L’ÉVÉNEMENT D’UNE INSCRIPTION


PSYCHIQUE

« Ce qui se passe dans le récit n’est du point de vue référentiel (réel), à la


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lettre : rien ; ce qui arrive, c’est le langage tout seul, l’aventure du langage, dont
la venue ne cesse jamais d’être fêtée. » (4)
Ce qu’écrit Rolland Barthes n’est pas la position de Freud qui n’a jamais
cédé sur la recherche d’un référent historique comme socle de toute construc-
tion psychique, fut-il un « petit rien réel » :
« Les fantaisies que les hommes se fabriquent, tardivement, sur leur enfan-
ce s’étayent même, en règle générale, sur des détails effectifs de ces premiers

1. Pour Nicolas Rand et Maria Torok, l’oscillation de Freud est le fait d’une « souffrance
interne de Freud » qui conduit à une impasse théorique. Ils rattachent cette « souffrance » à une
crypte de Freud, un pensé laissé par un secret de famille : la condamnation, en 1865, de son oncle
Joseph à dix ans de prison fermes pour une affaire de fausse monnaie et, surtout, le rôle qu’au-
raient tenu ses demi-frères, installés en Angleterre, dans cette affaire. L’indécision serait la
résultante d’une volonté de savoir et d’un mouvement inverse : Voir N. Rand et M. Torok,
questions posées à Freud. Pour d’autres auteurs, cette indécision consécutive à l’abandon de la
théorie de la séduction entendue comme faute des pères, est liée au refoulement par Freud de la
faute de son propre père : Marie Balmary, dans L’homme aux statues : la faute cachée du père,
Grasset, Paris, 1979, reprend l’hypothèse d’une troisième épouse de Jacob, Rebecca, répudiée
et morte de chagrin. Pour Marianne Krull, dans son livre : Sigmund fils de Jacob, la faute cachée
du père serait sa rupture coupable avec la communauté juive orthodoxe.
JEAN-JACQUES BARREAU – DU TRAUMATISME À L’ÉVÉNEMENT 113

temps par ailleurs oubliés. C’est pourquoi un motif secret est bel et bien
nécessaire pour extraire ce petit rien réel et le mettre en forme à la manière
dont en a usé Léonard avec l’oiseau baptisé vautour et son curieux agisse-
ment. » (26)
En revanche, une autre citation de Rolland Barthes est davantage en
accord avec la conception freudienne du référent :
« J’appelle référent photographique, écrit R. Barthes, non pas la chose
facultativement réelle à quoi renvoie une image ou un signe, mais la chose
nécessairement réelle qui a été placée devant l’objectif, faute de quoi il n’y
aurait pas de photographie. La peinture, elle, peut peindre la réalité sans
l’avoir vue. » (5)
Cette distinction entre « la chose nécessairement réelle » et « la chose
facultativement réelle » rejoint la position de Freud sur la réalité de la scène
primitive de « l’homme aux loups ». Il y a une réalité facultative, que Freud
est disposé à abandonner, et une réalité nécessaire qu’il défendra jusqu’au
bout, celle de l’inscription. La photographie réunie deux des modèles utilisés
par Freud pour représenter l’appareil psychique : le modèle optique et le
modèle de l’inscription, ici de l’impression argentique sur la pellicule. La
photo propose un support à l’inscription de la perception qui ne se donne que
dans l’après-coup de son développement sur le film puis de sa révélation sur
le papier :
« Une analogie grossière, mais qui n’est pas inadaptée, avec cette relation
supposée entre l’activité consciente et l’activité inconsciente pourrait être
tirée du domaine de la photographie ordinaire. Le premier stade de la photo-
graphie est le « négatif » ; toute image photographique doit passer par le « tira-
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ge négatif », et ceux des négatifs qui ont réussi l’examen sont admis au « tira-
ge positif » qui aboutit à l’image. » (28)
La peinture peut peindre la réalité sans l’avoir vu et Dibutade peint à par-
tir de l’ombre d’un sujet, Apollon, qui n’a pas lui-même réalité humaine. Mais
dans la photographie, ajoute R. Barthes :
« Je ne puis jamais nier que la chose a été là. Il y a double position
conjointe : de réalité et de passé (…) Cela que je vois s’est trouvé là, dans
ce lieu qui s’étend entre l’infini et le sujet ; il a été là et cependant tout de
suite séparé ; il a été absolument, irrécusablement présent, et cependant déjà
différé. » (5)
La réalité est celle d’un passé dont l’événement est à venir. Ainsi du rêve
de « l’homme aux loups » qui donne forme à la perception d’un coït a tergo.
Déjà, dans son article Des souvenirs-couverture (21), Freud parlait d’un sou-
venir d’enfance qui a pris sa forme définitive par un événement ultérieur. Par
le même processus, la perception par l’enfant de la région génitale des petites
filles prend forme par un événement ultérieur : la menace de castration. En
1938, Freud parle à ce sujet de la manière « rusée de traiter la réalité » (47) de
l’absence de pénis chez la fille par le petit garçon : c’est par le travail psy-
chique, dans le cadre du complexe de castration, que la perception de la dif-
114 TOPIQUE

férence des sexes, d’abord traumatisme, fait événement d’une réalité d’abord
désavouée.
« Par l’entremise du rêve, l’observation du coït faite à un an et demi pro-
duit après-coup ses effets (...) La réactivation de l’image, de cette image qui
peut maintenant être comprise grâce au développement intellectuel plus avan-
cé, agit à la façon d’un évènement récent, mais aussi à la manière d’un trau-
matisme nouveau... » (33)
Le rêve de « l’homme aux loups » est événement en tant qu’il est l’élabo-
ration psychique d’une première scène dite traumatique et traumatisme dans
la mesure où il appelle une nouvelle élaboration psychique, un autre mouve-
ment d’après-coup qui sera celui de l’analyse. Le processus analytique s’ap-
parente à celui qui est décrit dans la cure de l’homme aux loups où un trau-
matisme requiert sa transformation psychique en événement, lui-même trau-
matisme pour une élaboration à venir. Le travail analytique répond à l’exi-
gence de travail psychique qu’impose le Trauma, et l’interprétation psycha-
nalytique peut se décrire comme l’événement dans la pensée de l’analyste et
de l’analysant d’un élément signifiant qui fait effraction dans le déroulement
des pensées flottantes et se comporte comme un corps étranger interne qui
cristallise et réorganise un réseau de représentations latentes :
« La cure se compose de deux parts, ce que le médecin devine et dit au
malade, et, du côté du malade, l’élaboration de ce qu’il a entendu » (25)
Le rêve de « l’homme aux loups », nous dit Freud, se rapporte à « un évé-
nement réellement arrivé » (33). Bien plus que sur la réalité de la scène du coït
a tergo dont Serguei Pankejeff aurait été témoin enfant, c’est la réalité de
l’événement d’une inscription qui fait date qui, pour Freud, est ici en cause.
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Pour définir cette réalité, Freud affirme « qu’il ne peut naturellement s’agir
que de la réalité de quelque chose d’inconnu » (33). S’il est vrai qu’inconnu
peut signifier « oublié », comme Freud l’écrit un peu plus loin dans ce texte,
cela vient, comme souvent dans le mouvement même de son écriture, contre-
dire une autre interprétation où il s’agit de l’inscription psychique de quelque
chose qui n’a jamais été conscient et qui, de fait, ne pourra jamais revenir sur
le mode du souvenir. En 1917, Freud se dit près à troquer la scène du coït des
parents contre celle de l’observation du coït des animaux (35), car le contenu
de la scène ne peut servir d’argument contre sa crédibilité (33). En effet, là
n’est pas pour Freud l’essentiel. Ce qui lui importe est la date de la survenue
de la scène, car un événement se marque par une date qui fait borne et ouvre
le frayage d’un chemin dans l’entre-deux de l’inscription d’une réalité incon-
nue et du développement de sa représentation à venir. Cette date peut donner
lieu à anniversaire ou commémoration ; c’est dire que la construction histo-
rique qu’elle rend possible garde la trace de la cohabitation originaire de la
naissance et de la mort, de la rencontre et de la séparation. L’âge de l’enfant,
précise Freud, pût être fixé à « environ un an et demi » et, en note de bas de
page, il indique même qu’on « pourrait aussi penser à l’age de six mois » mais
que « l’hypothèse semblait en fait à peine soutenable » (33). Et pourtant, aussi
JEAN-JACQUES BARREAU – DU TRAUMATISME À L’ÉVÉNEMENT 115

invraisemblable que cela puisse paraître, il y pense car l’essentiel à ses yeux
doit être l’absence de moyen de symbolisation du traumatisme. Il faut que la
scène fasse date avant l’apparition du langage ; le traumatisme doit être pré-
verbal. Il ne peut alors s’agir d’une scène oubliée, mais bien d’une scène
imprimée et non symbolisée avant sa reprise par le rêve. C’est par une note
de bas de page que Freud, sur ce point, s’exprime clairement pour la premiè-
re fois :
« À un an et demi il recueillit les impressions dont la compréhension dif-
férée lui fut rendue possible, à l’époque du rêve, de par son développement,
son excitation et son investissement sexuels. » (33)
Quelques soient les hésitations de Freud concernant la perception de la
scène primitive, il ne fait aucun doute pour lui qu’il y a eu inscription d’une
perception, d’une image mnésique déterminant les caractères de l’objet du
désir. La réalité de l’impression d’une perception, la réalité d’une inscription
psychique, d’un « petit rien réel », détermine sur quelle réalité viendra buter
le sujet. Le déterminisme freudien ne se réfère pas à une causalité linéaire à
partir d’un passé qui dicterait les événements du présent, mais à l’existence
d’un passé qui appelle sa représentation. La prédétermination freudienne par
les impressions infantiles a sa source dans une indétermination (réalité ou fan-
tasme) où l’indéterminé de l’impression prescrit sa détermination à venir et la
lecture qui en déterminera le sens. Ce qui est prédéterminé est l’indéterminé
comme possibilité, toujours différée, de son événement. La « réalité de
quelque chose d’inconnu » est la réalité d’une inscription dont le motif ne sera
figuré qu’après-coup dans le rêve puis dans la construction analytique.
L’afflux pulsionnel dont cet événement est l’occasion constitue l’impact trau-
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matique qui fait « voler la libido en éclats » (33), et le travail de liaison exigé
par cet afflux d’énergie libre contribue à la construction de l’instance psy-
chique qui en assume la charge. L’inscription, sur le modèle traumatique,
d’une trace mnésique chargée du désir inconscient de l’Autre est constitutive
de l’inconscient et du refoulement primaire, et c’est de l’action du trauma et
de son dépassement, par le moyen de la « répétition abrégée » des éprouvés
traumatiques, que se constitue un Moi capable d’affronter les exigences du ça
et du monde extérieur (43). La formalisation après-coup de l’événement dans
une figuration, un scénario ou un récit, conformes à la structure de l’appareil
psychique qui l’accueille, gardera la trace de l’impact traumatique d’une alté-
rité originaire où l’Autre est un corps étranger interne.

4. LE CRISTAL DE L’ÉVÉNEMENT

L’événement psychique n’est en aucun cas réductible à un incident, il est


le produit d’un processus psychique, le résultat d’un réseau complexe de
frayages que peut recouvrir la formule de Walter Benjamin : « Le cristal de
l’événement » (6). La thèse qu’expose Serge Viderman dans son livre La
116 TOPIQUE

construction de l’espace analytique, qui fit dans le milieu psychanalytique


traumatisme et événement comme en témoigne l’importance des débats qu’il
a suscités, est que la construction en analyse n’est pas celle du passé de l’ana-
lysant, car elle est créée, imaginée, inventée par l’analyste. L’auteur y déve-
loppe sa conception « d’un fantasme originaire organisateur de la psyché
indépendamment de toute référence contraignante à un événement vécu » (56)
et sans lien à une vérité historique. Pourtant, il y a bien dépendance et
contrainte du fait même du travail psychique exigé par l’événement. C’est
pourquoi, je dirais plutôt que c’est le fantasme qui qualifie historiquement une
réalité, ou plutôt que c’est une réalité comme trace qui entame une histoire
dont le fantasme est une des expressions psychiques.
C’est de « rencontre », de « points de contact », d’une trace mnésique qui
va à la rencontre du fantasme, dont Freud parle dans son article Des souve-
nirs-couverture (21). C’est à partir de cette rencontre que la scène et le fan-
tasme sont « remodelés », « ciselés », à la recherche de nouveaux points de
contact. Au cours de toutes les réflexions freudiennes sur les souvenirs d’en-
fance, l’existence de l’inscription psychique, sous la forme des traces mné-
siques de l’expérience vécue, n’est jamais remise en cause. Ce qui fait ques-
tion est la nature de la relation entre l’activité de remémoration et ces traces
mnésiques. Pour Freud, en ce qui concerne les souvenirs d’enfance et à la dif-
férence des souvenirs conscients de la maturité, il n’y a pas fixation puis répé-
tition à l’identique mais, à partir d’un « motif secret », exhumation posthume
d’un « petit rien réel » en vue de sa mise en forme et de sa transformation au
service des motions de désir. Ainsi, les souvenirs d’enfance et leurs récits ne
se laissent pas rigoureusement distinguer des fantaisies (26). Le souvenir d’un
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récit de la mère sur le temps de son enfance ne se laisse pas distinguer non
plus, pour l’adulte qu’il est devenu, du souvenir de sa propre expérience,
comme sa propre expérience vécue d’enfant ne se laissait pas alors rigoureu-
sement distinguer du récit et de l’interprétation qu’en donnait la mère. Tout
indique que la structure du récit et de la traduction s’applique dès l’origine à
l’expérience vécue, à la réalité et à l’événement psychique.
Dans L’inconscient, Freud écrit que la représentation de chose « consiste
en l’investissement, sinon des images mnésiques de choses directes, du
moins de traces mnésiques plus éloignées et dérivées d’elles. » (34). Si la
trace mnésique est l’inscription psychique d’un événement ou l’événement
d’une inscription psychique qui transpose « l’excitation momentanée » en
« traces permanentes » (22), cette inscription n’est jamais l’empreinte d’une
réalité extérieure au processus d’inscription lui-même. La remémoration
n’est pas l’exhumation d’un souvenir attendant sa mise au jour, contraire-
ment à ce que Freud laisse croire en recourant dans son commentaire de la
Gradiva de Jensen à la métaphore de Pompeï, ville ensevelie sous la cendre,
et en soulignant, jusque dans l’un de ses derniers textes, l’analogie entre la
psychanalyse et l’archéologie (46). La trace mnésique, ce « petit rien réel »,
est déjà, avant tout récit et transformation ultérieures, une traduction ; elle
JEAN-JACQUES BARREAU – DU TRAUMATISME À L’ÉVÉNEMENT 117

n’existe pas hors du frayage qui trace une voie. Que la trace mnésique ne soit
pas l’image de la chose, la conception freudienne de la mémoire comme
« processus de stratification » de plusieurs enregistrements en est une autre
confirmation :
« Tu sais que, dans mes travaux, je pars de l’hypothèse que notre méca-
nisme psychique s’est établi par un processus de stratification : les matériaux
présents sous forme de traces mnémoniques se trouvent de temps en temps
remaniés suivant les circonstances nouvelles. Ce qu’il y a d’essentiellement
neuf dans ma théorie, c’est l’idée que la mémoire est présente non pas une
seule fois mais plusieurs fois et qu’elle se compose de diverses sortes de
signes (...) J’ignore le nombre de ses enregistrements. Ils sont au moins trois
et probablement davantage. » (13)
C’est ce modèle de transcriptions multiples que reprendra Freud, en le
modifiant quelque peu, dans le chapitre VII de L’interprétation du rêve où
l’appareil psychique est représenté par une succession d’instances psychiques
(22). Pour Freud, le souvenir ne correspond ni à la perception, ni aux images
mnésiques conscientes. La mémoire est constituée des systèmes de traces et
de leurs enregistrements et transcriptions successives ou simultanées lors de
leur traversée de l’ensemble des systèmes de l’appareil psychique. Au cours
de cette traversée-traduction, ces traces sont investies par les pulsions, affec-
tées et transformées par l’action des fantasmes de désir inconscients qui cher-
chent inlassablement, répétitivement, une voie d’expression. Le passé est tou-
jours transformé, remanié, reconstruit par l’organisation fantasmatique, par la
mise en scène du désir. Pas davantage qu’une série de tableaux juxtaposés, le
passé n’est un panorama que le voyageur peut embrasser d’un seul regard. Le
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paysage qui défile à la fenêtre du compartiment, dans la métaphore ferroviai-
re utilisée par Freud pour présenter la règle fondamentale (31), n’est pas le
fruit d’un acte de perception mais d’un travail de traduction (Uebersetzung),
de construction, de mise en scène (3).
Un événement s’inscrit dans un système « d’archives complexes » (17) et
la représentation de chose est l’investissement de plusieurs traces.
L’inscription est, dès l’origine, diffractée en un réseau de traces qui sont,
elles-mêmes, la traduction de l’impression d’une perception. La trace mné-
sique n’est pas une trace finie, mais un réseau de traces discrètes qui s’articu-
lent. C’est cela que défend Freud, contre Jung, dans À partir de l’histoire
d’une névrose infantile: l’inscription, pendant l’enfance, de traces mnésiques
en tant qu’éléments discrets qui vont, après leur investissement par les pul-
sions, s’articuler pour composer un fantasme. Mais l’impression pure n’exis-
te pas, elle est toujours une surimpression, comme il apparaît dans la Note sur
le « Bloc magique » (41), et le sens en est toujours polymorphe et surdétermi-
né. Aussi, ce que cherche Freud derrière les symptômes, les manifestations
pathologiques, mais aussi bien dans des productions comme le rêve ou les
œuvres d’art, ce sont les impressions des événements de la petite enfance
(Eindrück des Kinderlebens) telles qu’elles apparaissent déformées et trans-
118 TOPIQUE

formées par le travail d’élaboration différée opéré par l’appareil psychique.


Ce qui intéresse Freud, plus que le contenu de ces impressions, est le chemin,
le détour, une façon de marcher. Souvent, ce n’est pas la quête de la cause der-
nière qui guide Freud mais la causalité en elle-même comme chemin ouvert
sur la possibilité de l’événement. Aussi, constructions et interprétations ne
tiennent leur valeur que de leur capacité à ouvrir la voie à l’exploration de
nouvelles chaînes associatives.

5. OÙ ÉTAIT LE TRAUMA, LE RÉCIT DOIT ADVENIR

Parler ici de récit demanderait de définir avec soin à quel récit s’intéresse
la psychanalyse. On peut déjà avancer qu’il s’agit d’un récit qui ne raconte
rien au sens traditionnel. D’un récit qui ne privilégie pas la mise en ordre des
éléments qui le composent mais qui s’intéresse à chacun de ces éléments, à
l’occurrence, à l’incidence… D’un récit qui n’est pas ordonné linéairement,
mais qui se dissémine dans un réseau de chaînes associatives à travers le
détour, le transfert et la répétition.
« On m’avait demandé : racontez-nous comment les choses se sont pas-
sées « au juste ». _ Un récit ? je commençai : Je ne suis ni savant ni ignorant.
J’ai connu des joies. C’est trop peu dire. Je leur racontai l’histoire tout entiè-
re qu’ils écoutaient, me semble-t-il, avec intérêt, du moins au début. Mais la
fin fut pour nous une commune surprise. « Après ce commencement,
disaient-ils, vous en viendrez aux faits. » Comment cela ! Le récit était ter-
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miné. » (7)
Le narrateur du récit La folie du jour de Maurice Blanchot répond à l’in-
terrogatoire de deux spécialistes, l’un de la vue, l’autre des maladies men-
tales. Ils l’interrogent dans les suites d’un traumatisme, situation devenue
courante aujourd’hui avec la mise en place de « cellules d’écoute psycholo-
gique » pour recueillir les paroles des victimes d’une situation traumatique.
Que lui est-il arrivé ? Il est incapable de former un récit avec ses impres-
sions et donc de les constituer comme événements. Il a perdu le sens de
l’histoire.
« Le sujet, lorsqu’il raconte l’événement le fait passer dans l’épos où il
rapporte à l’heure présente les origines de sa personne. » (50)
C’est à partir de l’impact de ses premières expériences vécues que le sujet
devra opérer un travail psychique infini de transformation, d’élaboration, de
refoulement. Traumatique est la rencontre d’une image mnésique et d’une
expérience de plaisir ou de déplaisir jusqu’à ce que son inscription comme
trace mnésique fraye l’événement d’une histoire libidinale. C’est par ce tra-
vail continu de construction d’un vécu passé que s’écrit une autobiographie
du sujet ou, selon l’expression de Jacques Derrida, une auto-hétéro-bio-tha-
natographie (11) qui a la forme d’un récit à « la manière dont l’histoire écrite
JEAN-JACQUES BARREAU – DU TRAUMATISME À L’ÉVÉNEMENT 119

est née chez les peuples anciens » (26).


On peut décrire le mouvement psychique qui conduit de l’effraction
traumatique à son événement psychique comme le processus qui répond à ce
«véritable besoin du Moi en représentations » dont parle Freud et qui, à partir
de l’appel adressé à l’Autre, trace le chemin de l’événement d’un récit.
À l’appel de la psyché comme demande de récit viendra répondre la psycha-
nalyse comme désir de récit. Je pense ici aux récits que Freud exigeait des
hystériques, au récit du rêve ou encore à la prescription contenue dans l’énon-
cé de la règle fondamentale sous sa forme la plus simple, « dites ce qui vous
vient à l’esprit…», ou dans sa présentation métaphorique de 1913 qui récla-
me une narration descriptive du paysage qui défile à la fenêtre d’un compar-
timent de chemin de fer (31) (3). De la même manière que le rêve s’offre à
l’analyse à travers son récit, le paysage de la libre association se donne à
travers sa description.
La « description » (die Beischreibung) est apparentée par le sens à la figu-
rabilité, ce qui indique que le récit dont il est question est travaillé par la
logique des processus primaires comme l’écriture du rêve, « écriture d’ima-
ge » (Bilderschrift) (22) (30) que Freud approchera à partir du modèle de
l’écriture hiéroglyphique (30) (35) qui est écriture en mouvement. Les hié-
roglyphes, qui utilisent les figures comme des signes, confèrent à l’écriture
une mobilité particulière du fait de la place importante qu’ils laissent à la
polysémie des significations, mais aussi du fait de la variabilité de leurs
fonctions. En effet, l’idéogramme est un signe mobile dans la mesure où sa
valeur change : selon le contexte, il peut avoir soit la valeur d’un idéogram-
me proprement dit, soit celle d’un phonogramme, soit encore celle d’une
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« clé », c’est-à-dire d’un déterminatif. Cette mobilité de l’écriture fait écho à
la dimension magique accordée dans l’Égypte pharaonique à la parole
comme à l’image ; elle est la trace d’une conception animiste des rapports au
réel.
« Description » est aussi le mot qu’utilise Freud dans les Études sur l’hys-
térie pour parler de la fonction traumatolytique de la parole et du récit qui
agissent en déblayant l’image traumatique. Le récit entame l’image visuelle
qui hante l’hystérique, il fragmente l’image traumatique qui s’effrite, s’émiet-
te. Le déblaiement (Abtragung), attaché à la description, renvoie à la méta-
phore archéologique. La description s’apparente au procédé de la fouille
archéologique qui est aussi une destruction des traces qu’il s’agira de recons-
tituer ultérieurement. L’émiettement de l’image traumatique par sa descrip-
tion est à l’image de l’interprétation du rêve qui est fragmentation de son récit
en chacun des éléments qui le composent. Elle est à l’image du travail analy-
tique qui est travail de dé liaison, et Freud a toujours souligné que le travail
de synthèse se faisait, lui, spontanément. Travail de détachement de la libido,
le récit est la trace d’une perte, il dessine, comme Dibutade la main guidée par
cupidon, l’objet d’amour à partir de son ombre.
Désir d’un récit, donc, mais d’un récit qui ne rapporte pas des événements
120 TOPIQUE

qui auraient déjà eu lieu et qui existeraient en dehors du récit qui les raconte.
Désir d’un récit qui produit les événements aussi bien qu’il les raconte :
« Ce qui arrive provoque le narrateur et la narration ; et les composantes
de la narration sont ce sans quoi l’événement sans doute n’aurait pas eu lieu.
C’est comme si la condition narrative était la cause de la chose racontée ;
comme si le récit produisait l’événement qu’il est supposé rapporter. C’est à
la condition du récit que l’événement raconté aurait eu lieu : qu’il aura eu lieu
(…) C’est le récit qui donne la possibilité de la chose racontée, la possibilité
de l’histoire comme l’histoire d’un don. » (12)
En 1897, Freud semble se dégager d’une sorte de sidération traumatique
par le discours des hystériques. Mais les remaniements théoriques qui vont se
développer après l’abandon de la « neurotica » étaient annoncés par le concept
d’après-coup, introduit une année plus tôt dans le manuscrit K (13) où déjà le
Trauma se donnait comme toujours reconstruit. C’est dans l’après-coup que
Freud développe ce qui, dès la première conception du Trauma, annonçait une
théorie de l’appareil psychique comme appareil d’écriture et de traduction. Le
Trauma n’est en rien réductible à l’incident ni de la première ni de la secon-
de scène : il est la rencontre de deux scènes comme exigence qu’il y ait tou-
jours une autre scène pour représenter la précédente. Il est à la lisière de la
trace comme négatif – au sens photographique d’impression (Eindrücke) sur
la pellicule psychique – et de son développement en positif dans le cadre d’un
processus où le cliché développé serait, lui-même, le négatif d’un développe-
ment à venir. Un développement qui se présente comme l’événement de la
traduction en tant qu’elle n’est pas simple reproduction, mais qu’elle engage
la répétition comme figure d’affirmation du sujet inconscient du désir dans le
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retour de ce qui a toujours la forme d’une première fois. Une répétition qui,
comme le développe Freud dans L’esquisse d’une psychologie scientifique
(16), est nécessaire au frayage qui trace sa trace pour préparer la psyché à
accueillir le Trauma.
Si Freud pouvait parler des « traumatismes inventés » par les hystériques,
c’est dans la mesure où le Trauma appelle l’invention. Si la réalité de la scène
primitive est « en opposition complète avec l’irréalité des contes de fées »
(33), il faut préciser qu’elle resterait inconnue sans le détour par l’irréalité de
la fiction, de la même manière que les processus psychiques resteraient incon-
nus sans le détour par la langue d’image de la psychanalyse (38). Que les his-
toires de malades (Krankengescichte) dont Freud fait le récit se lisent comme
des romans (Novellen), cela tient à la nature même de leur objet :
« Je suis moi-même frappé d’étonnement que les histoires de malades que
j’écris soient lisibles comme des romans et qu’elles manquent pour ainsi dire
du cachet de sérieux de la scientificité. Je dois m’en consoler par le fait que
ce résultat doit être imputé à la nature de l’objet plutôt qu’à ma préférence. »
(17)
Après l’abandon de la « neurotica », l’accent se déplace des événements
relatés au « transféré » (55) qui ne répète pas seulement des événements pas-
JEAN-JACQUES BARREAU – DU TRAUMATISME À L’ÉVÉNEMENT 121

sés mais qui développe, dans le champ tranféro-contre-transférentiel, les pos-


sibilités d’un a-venir pour l’événement. Le transfert ne se raconte pas, il est
comme le récit en acte. La structure d’enchaînement du trauma et de l’événe-
ment, décrite dans À partir de l’histoire d’une névrose infantile, devient le
modèle de la temporalité de la cure tel qu’il est encore exposé dans l’article
de 1937 :
« (…) Dans la construction d’une maison, il faut d’abord ériger tous les
murs et poser toutes les fenêtres avant de commencer la décoration intérieure
des pièces. Tout analyste sait qu’il en va tout autrement de la cure analytique,
où les deux sortes de travail se poursuivent parallèlement, l’une toujours d’un
pas en avant, l’autre la suivant de près. L’analyste achève un fragment de
construction et le communique à l’analysé pour qu’il agisse sur lui ; à l’aide
du nouveau matériel qui afflue, il construit un autre fragment, qu’il utilise de
la même façon, et ainsi de suite jusqu’à la fin. » (46)
D’une partie de ce récit, le sujet en hérite autant qu’il le transmet. Si Hegel
cherchait à résoudre la contradiction entre la liberté de l’esprit et le fait, pour
lui, d’être déterminé, la psychanalyse nous éclaire sur les conditions de l’évé-
nement d’un sujet à partir de la marque de l’Autre et de ses premiers repré-
sentants sur la scène psychique. Ceux-ci, pour l’introduire au monde symbo-
lique et à l’histoire, aliènent en effet le sujet aux chapitres d’une préhistoire à
partir desquels il devra écrire et signer sa propre histoire (2).
Dans l’Au-delà du principe de plaisir, le passage de la passivité à l’activi-
té, dans le « jeu de la bobine », est interprété comme volonté de maîtrise, mais
c’est aussi le moment constituant par lequel le sujet signe de sa main ce qui
lui vient de l’Autre. L’événement de cette signature est l’événement d’un
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contrat : contrat identificatoire, défini par Piera Aulagnier comme devant tenir
compte des premiers identifiés proposés par le discours des représentants de
l’Autre, et contrat de traduction qui est aussi reconnaissance de dette car, si la
traduction est endettée par rapport à l’original, celui-ci, comme le montre
Jacques Derrida (10), est endetté par rapport à sa traduction à venir.
Mais parfois, comme dans la névrose traumatique ou La folie du jour, la
tentative de récit d’un événement ou plutôt l’événement d’un récit avorte.
Parfois, le sujet, qui toujours est en retard sur sa propre origine, ne peut
s’identifier au narrateur d’un récit et encore moins le signer. Le récit n’en finit
pas de revenir à son point d’entame, il n’en finit pas de recommencer à com-
mencer. Emmanuel Levinas évoque « l’emprise traumatique de l’Autre sur le
même tendue au point de ne pas laisser au même le temps d’attendre l’Autre »
(53), et le trauma peut, en effet, être cette intrusion non métaphorisable de
l’autre. Il peut être la blessure non symbolisée de ce qui reste suspendu entre
les deux temps de l’après-coup, dans l’entre-deux d’une trace et de sa repré-
sentation symbolique. Si le Trauma appelle le récit, il est aussi la limite à toute
fiction et comme l’ombilic de la représentation. Si le Trauma pose la question
d’un en deçà de la « Worstellung », il pose aussi celle de son excès sous la
forme d’un mode particulier de l’installation et de l’érection de l’image trau-
122 TOPIQUE

matique, fascinante par l’oblitération des éléments discrets qui la composent.


Érigée tel un fétiche déniant la perte, elle ne trace plus alors à partir du deuil
de l’objet mais tient lieu de l’objet lui-même, soit de l’impossible.

Jean-Jacques BARREAU
22 Quai du Louvre
75001 Paris

BIBLIOGRAPHIE

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Gallimard, 1970, 487 p.
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Paris : Cerf, 1989, 477 p.
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(8) DERRIDA J. (1970), « La double séance », in La dissémination. Paris : Éditions du
Seuil, 1972, 407 p.
(9) DERRIDA J. La vérité en peinture, Paris, Champs Flammarion, 441 p.
(10) DERRIDA J. (1979) « Table ronde sur la traduction », in L’oreille de l’autre, sous la
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(11) DERRIDA J. (1980) La carte postale, de Socrate à Freud et au-delà. Paris : Aubier-
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Paris : P.U.F., 1956, 45-306.
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JEAN-JACQUES BARREAU – DU TRAUMATISME À L’ÉVÉNEMENT 123

(19) FREUD S. (1896) « Nouvelles remarques sur les névropsychoses-de-défense », in


Œuvres complètes, 3. Paris : P.U.F., 1989, 121-146.
(20) FREUD S. (1896) « Sur l’étiologie de l’Hystérie », in Œuvres complètes, 3. Paris :
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(22) FREUD S. (1899-1900) L’interprétation du rêve, Œuvres complètes, 4. Paris : P.U.F.,
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(23) FREUD S. (1907) Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen. Paris : Gallimard,
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(26) FREUD S. (1910) « Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci », in Œuvres complètes,
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(27) FREUD S. (1912) « Sur la dynamique du transfert », in Œuvres complètes, 11. Paris :
P.U.F., 1998, 105-116.
(28) FREUD S. (1912) « Note sur l’inconscient en psychanalyse », in Œuvres complètes,
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(29) FREUD S. (1912-1913) « Totem et Tabou », in Œuvres complètes, 11. Paris : P.U.F.,
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(30) FREUD S. (1913) « L’intérêt que présente la psychanalyse », in Œuvres complètes, 12.
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(31) FREUD S. (1913) « Sur l’engagement du traitement », in Œuvres complètes, 12. Paris :
P.U.F., 161-184.
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(32) FREUD S. (1914) « Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique », in
Œuvres complètes, 12. Paris : P.U.F., 2005, 247-315.
(33) FREUD S. (1914) « À partir de l’histoire d’une névrose infantile », in Œuvres
complètes, 13. Paris : P.U.F., 1988, 1-118.
(34) FREUD S. (1915) « L’inconscient », in Œuvres complètes, 13. Paris : P.U.F., 1988,
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(35) FREUD S. (1915-1917) « Leçons d’introduction à la psychanalyse », in Œuvres
complètes, 14. Paris : P.U.F., 2000, 516 p.
(36) FREUD S. (1919) « L’inquiétant », in Œuvres complètes, 15. Paris : P.U.F., 1996, 147-
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(37) FREUD S. (1920) « De la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine », in
Œuvres complètes, 15. Paris : P.U.F., 1996, 233-262.
(38) FREUD S. (1920) « Au-delà du principe de plaisir », in Œuvres complètes, 15. Paris :
P.U.F., 1996, 273-338.
(39) FREUD S. (1922) « Le moi et le ça », in Œuvres complètes, 16. Paris : P.U.F., 1991,
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(40) FREUD S. (1924) « Autoprésentation », in Œuvres complètes, 17. Paris : P.U.F., 1992,
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P.U.F., 1992, 137-143.
124 TOPIQUE

(42) FREUD S. (1925) « La négation », in Œuvres complètes, 17. Paris : P.U.F., 1992, 165-
171.
(43) FREUD S. (1926) « La question de l’analyse profane », in Œuvres complètes, 18.
Paris : P.U.F., 1994, 1-92.
(44) FREUD S. (1932) « Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse », in
Œuvres complètes,19. Paris : P.U.F., 1995, 83-268.
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problèmes, 2. Paris : P.U.F., 1987 ; 231-268.
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(47) FREUD S. (1938) « Le clivage du moi dans le processus de défense », in résultats, idées,
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(48) FREUD S. (1939) L’homme Moïse et la religion monothéiste. Paris : Gallimard, 1986,
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(49) JENSEN W. (1907) « Lettre à S. Freud du 25-05-1907 », in S. Freud, Le délire et les
rêves dans la Gradiva de W. Jensen. Paris : Gallimard, 1986, 255-258.
(50) LACAN J. (1953) « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse »,
in Écrits. Paris : Seuil, 1966, 237-322.
(51) LACAN J. (1959-1960) Le Séminaire, Livre 7. Paris : Seuil, 1986, 375 p.
(52) LACAN J. (1960) « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient
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(53) LEVINAS E. Autrement qu’être ou au-delà de l’essence. Paris : Biblio-Essais, Le
Livre de poche, 1991.
(54) SCHUR M. (1972) La mort dans la vie de Freud. Paris : Gallimard, 1975, 688 p.
(55) VALABREGA J.P. (1977) « L’interprétation latente », in La formation du psychana-
lyste. Paris : Belfond, 1979, 135-158.
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(56) VIDERMAN S. (1970) La construction de l’espace analytique. Paris : Tel Gallimard,
1982, 348 p.

Jean-Jacques Barreau – Du traumatisme à l’événement

Résumé : Il s’agit de dégager une conception freudienne de la causalité psychique comme


frayage, comme chemin ouvert sur la possibilité de l’événement, à partir de ce que je décris
comme le processus d’élaboration psychique qui conduit à transformer le trauma en évé-
nement psychique. Processus qui répond à ce « véritable besoin du Moi en représentations »
dont parle Freud et qui s’apparente à celui qui est décrit dans la cure de « l’homme aux
loups » dont le rêve princeps est événement en tant qu’il est l’élaboration psychique d’une
première scène dite traumatique et traumatisme dans la mesure ou il appelle une nouvelle
élaboration psychique, un autre mouvement d’après-coup qui sera celui de l’analyse. La
métaphore photographique utilisée par Freud est alors appropriée à la description de ce
processus dans la mesure où le cliché développé serait lui-même le négatif d’un dévelop-
pement à venir.
Mots-clés : Traumatisme – Événement – Réalité – Causalité psychique – Inscription
psychique – Frayage – Après-coup – Récit.
JEAN-JACQUES BARREAU – DU TRAUMATISME À L’ÉVÉNEMENT 125

Jean-Jacques Barreau – From Trauma to Event

Summary : This article aims at elucidating a Freudian conception of psychic causali-


ty as facilitation, as a path towards the possibility of the event, based on the process of psy-
chic elaboration described here, and which transforms the trauma into a psychic event. This
process responds to the ‘real need for the Ego in representations’ that Freud identifies and
which is linked to that described in the cure of the ‘Wolf Man’ whose princeps dream is an
event, in that it is the psychic elaboration of an initial scene that is described both as trau-
matic and as the trauma, in that it calls for a new psychic elaboration, another develop-
ment in deferred action which is that of analysis. The photography metaphor used by Freud
is highly appropriate for the description of this process, in that the snap developed will
itself be the negative of the development to come.
Key-words : Trauma – Event – Reality – Psychic causality – Psychic inscription –
Facilitation – Deferred action – Story.
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