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L’ambiance comme aura

Le pouvoir atmosphérique des individualités


Bruce Bégout
Dans Communications 2018/1 (n° 102), pages 81 à 98
Éditions Le Seuil
ISSN 0588-8018
ISBN 9782021395693
DOI 10.3917/commu.102.0081
© Le Seuil | Téléchargé le 03/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 134.2.81.112)

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Bruce Bégout

L'ambiance comme aura


Le pouvoir atmosphérique des individualités

Aura et atmosphère.

Il n'est pas facile de déterminer avec exactitude ce qu'est une ambiance.


Si on laisse de côté l'usage courant du mot (l'ambiance comme atmosphère
chaleureuse et festive d'un lieu), on est confronté à une notion assez vague.
C'est peut-être ce caractère flou qui a conduit les chercheurs à reléguer
dédaigneusement l'ambiance hors du champ des analyses scientifiques 1.
Néanmoins cette absence de détermination précise ne doit pas être un pré-
texte pour ne pas relever le défi de la clarification. Nous sommes en effet
convaincu que, au-delà de son manque de définition, l'ambiance renvoie à
un phénomène particulier et qu'à ce titre elle peut recevoir un sens tout
à fait clair et distinct dans son genre. Elle peut donc faire l'objet d'une
enquête philosophique visant à expliciter son noyau conceptuel et ses
limites. Pour notre part, nous avons choisi de saisir le concept d'ambiance
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en le comparant avec son concept voisin d'aura. Nous aurions pu faire ce
travail de comparaison avec d'autres notions proches comme celles de
milieu, de climat, d'atmosphère, de paysage, mais, pour des raisons qui
vont se manifester rapidement dans notre étude, le rapprochement théo-
rique et phénoménologique avec l'aura a l'insigne avantage, selon nous, de
mettre en avant deux modalités fondamentales de l'ambiance elle-même :
sa présence diffuse et l'attrait affectif qu'elle dégage.
L'aura est un souffle. Mais un souffle particulier, qui sourd d'un lieu,
comme une brume matinale. L'aura n'est pas un vent qui circule rapide-
ment dans les airs, mais un courant d'air frais, doux et léger qui s'élève
depuis une origine terrestre 2. Phénoménologiquement, elle se caractérise
par l'ascension et l'enveloppement ; elle monte et drape, s'évapore et cou-
ronne. Mais elle est aussi associée à l'exhalaison finale du pneuma après
la mort, à la manifestation de l'échappée de l'âme. C'est donc l'air
d'une personne, ce que cette dernière diffuse autour d'elle, véhicule de

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sensations et d'idées. Peu à peu, l'aura quitte le monde matériel des rosées
et des brouillards, des miasmes insalubres et toxiques, pour définir l'éma-
nation locale d'un lieu ou d'un esprit plus caractérisé, exhalaison du spiri-
tus. Elle consiste alors en une atmosphère qui sort d'un individu et se
diffuse autour de lui. Ce n'est pas l'air qui entoure la terre, mais cet air
particulier qui se disperse à partir d'une source particulière. Toute aura
est conductrice. Elle transmet des informations, expédie des signaux. Les
poètes ont élargi ce sens de l'aura en le sentimentalisant : elle transporte
non plus de simples odeurs, sons, effluves ou simulacres, mais bel et bien
des humeurs. Dans Tristes, Ovide se plaint amèrement de l'aura irrespi-
rable et accablante de la Scythie 3. Le climat n'est pas ici simplement
sensible mais surtout pathique, il renvoie à l'affectivité. Ce qui entoure le
sujet l'affecte tout le temps et il en ressent immédiatement le ton. Sur les
rives du Pont-Euxin règne une ambiance morose, pénible et lourde. La
distance et l'exil font ressentir de manière plus aiguë cet air local qui gâte
tout. Tout ce qui l'entoure exsude l'atmosphère de la désolation.
Une aura peut également annoncer un sort ou une faveur ; son nimbe
modifiant l'atmosphère est alors le présage d'un événement important. Le
je-ne-sais-quoi est déjà là dans les signes précurseurs dont l'aura est por-
teuse. Elle est vectrice d'une pré-ambiance, d'un something in the air.
L'atmosphère s'en trouve modifiée, ouvrant sur quelque chose qui n'est pas
encore pleinement présent mais fait signe depuis son invisibilité. Subtile et
annonciatrice, l'aura est ainsi charme, émanation magique et air agui-
cheur. Lorsque cette vapeur reçoit la lumière, elle devient auri aura, aura
dorée, nimbe étincelant des saints. Sa luminisation la rend plus visible. Elle
n'est plus tant air qu'éclat. D'aura, elle passe à auréole, halo scintillant,
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rayonnement sacré. Mais, éclatante, elle conserve sa nature ascendante et
aérienne. Par conséquent, le sens classique de l'aura se stabilise autour de
ce rayonnement individuel qui transforme ce qui entoure en un climat
affectif. C'est l'atmosphère mystérieuse que dégage une chose, un site ou
une personne. À la différence du nimbe, l'aura n'a pas de contours très
précis et s'évapore dans l'air qu'elle imprègne de sa tonalité spirituelle. Son
cœur sémantique est là : une émanation locale qui change l'air ambiant en
ambiance, à savoir en situation affective. Ce n'est pas l'air global et sta-
tique, trop universel, mais, de manière plus précise, cet air singulier qui
irradie d'un centre rayonnant et se diffuse à ce qui se situe dans son voisi-
nage immédiat. Or ce que la tradition classe trop facilement dans le confus
et l'insaisissable doit être l'objet particulier d'une recherche sémantique et
phénoménologique. Il s'agit d'expliciter ce caractère ambianciel de l'aura,
ce voile pathique qui se soulève et drape les individus. Car l'aura désigne
non pas la vibration mystique d'un corps 4, mais sa capacité à diffuser

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autour de lui une atmosphère particulière au point de modifier l'ambiance


générale et d'en instaurer une autre.
Il revient à Hubertus Tellenbach d'avoir clarifié ce mode de manifesta-
tion particulier de l'aura. Dans Goût et atmosphère, il propose une phéno-
ménologie du sens oral-olfactif qui le conduit à s'intéresser aux résonances
atmosphériques des odeurs – l'odeur/saveur a cette propriété insigne
d'envelopper et de pénétrer le corps, de produire une atmosphère.

C'est que dans ce sentiment d'être affecté, plus que dans les affections
d'autres sens, est produite une homogénéisation de l'état humain, pour
ainsi dire : une mise en ambiance. Cette mise en ambiance est d'impor-
tance car elle est dans un rapport étendu avec la manière d'être de l'être
humain – s'il est bien vrai que cette manière d'être caractérise le plus
largement des états humains 5.

Le système oral-olfactif dissout les frontières du sujet et du monde.


Contre la sécabilité des autres sens, qui affichent ostensiblement leur
caractère de séparation – notamment la vue, qui pose ce qui est vu en face
de nous –, l'olfaction est toujours « homogène 6 ». L'odeur entre dans le
sujet comme « un courant de monde 7 ». Ce faisant, elle ouvre l'intériorité
sur le dehors et efface leurs contours respectifs. L'homogénéité signifie ici
le contraire de la fusion. Il n'y a pas de synthèse de l'intérieur et de l'exté-
rieur, mais un plongeon dans le même (homo) d'où l'on naît (génos). Cet
être-en-commun, c'est l'air qui le dispense, circulant partout et apportant
avec lui son atmosphère universelle. Dans l'olfaction et la gustation récep-
tives, « nous sommes par force liés aux conditions environnantes de notre
relation naturelle au monde 8 ». L'olfaction primitive, la respiration, est
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le mode originel de l'être-au-monde. Exister, c'est se tenir dehors au sein
de cette enveloppe atmosphérique ; on sent l'air comme on sent la vie. C'est
une forme pathique de participation à l'alentour. L'être humain est
d'abord un être humant. L'atmosphère nous démontre que nous ne
sommes pas une partie du tout, mais que le tout vit en nous en chacune de
nos parties.

L'odeur agit sur nos limites ; autrement dit : nous plongeons en elle.
Dans l'activité du sens de l'odorat comme de celui du goût, le sujet se
fond avec le monde qui se présente dans l'odeur et le goût 9.

Tellenbach nomme « mise en ambiance » cette capacité que possèdent


l'odeur ou la saveur d'homogénéiser les individus et leur environnement.
Elle possède la faculté d'associer le proche et le lointain, de rendre indis-
tincts gens et choses. Or cette union vécue est affective, c'est‑à-dire qu'elle

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plaît ou déplaît. Ce n'est pas une simple sensation porteuse de qualités


universelles ou particulières, premières ou secondes, c'est d'emblée un
affect, quelque chose qui touche et émeut, une modification agréable ou
désagréable de notre sensibilité.

Ainsi nous voyons la relation au monde du système sensoriel oral logé


dans la relation plus vaste qui s'effectue par la respiration et l'alimenta-
tion. Nous voyons comment ce qui sollicite le sens oral dispose de nous
en nous pénétrant d'une ambiance affective 10.

En flairant nos alentours, les parages, nous disposons à chaque instant


d'une compréhension ambiancielle de notre milieu. Car le sens oral annule
la distance et entremêle le sujet et l'objet.
Cependant, cette propriété atmosphérique des sensations qui entre-
mêlent « de façon la plus immédiate et la plus décisive 11 » sujets et monde,
et dénient la scission du visuel en fond et forme, dépasse le système oralo-
olfactif. Tellenbach montre que ce nimbe atmosphérique, où s'origine la
transcendance de l'existence, s'élargit à tous les sens. La diffusion apparte-
nant par essence à toute aura, il s'ensuit que, dans toute expérience senso-
rielle, « se trouve un plus qui reste inexprimé ». Ce plus, qui ne relève pas
du contenu sensoriel, mais de la manière dont il est senti, c'est ce que « nous
pouvons nommer atmosphérique 12 ». Cette atmosphère est dite « métasen-
sorielle 13 » car, d'une part, elle n'appartient plus à un sens particulier et,
d'autre part, elle se mêle constamment aux autres sens de manière synes-
thésique.
Tellenbach considère que ce nimbe atmosphérique ne peut émaner que
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de formations organiques. Le monde inorganique est dépourvu d'une telle
émanation (« étant pure matière, [il] n'irradie en soi nulle atmosphère 14 »),
à moins qu'il ne soit lui-même transformé en ambiance par des agents
atmosphériques. Aussi les villes, les hôpitaux, les casernes dégagent-ils une
atmosphère propre qui tient non seulement à leurs odeurs, mais à l'unité
métasensorielle de ce plus inexprimé et pourtant immédiatement ressenti
par ceux qui les habitent. Les individus transfèrent leur atmosphère aux
objets qu'ils fabriquent ; il n'est donc pas étonnant que ces derniers
conservent la trace sensible de leur émanation atmosphérique. Cette fusion
métasensorielle entraîne Tellenbach à examiner la formation organique qui
révèle dans sa « pureté maximale l'atmosphérique » : « l'homme dans son
existence individuelle 15 ». C'est précisément quand il se tourne vers l'indi-
vidu « qui répand l'atmosphère de façon plus ou moins intense comme un
rayonnement essentiel 16 » autour de lui que le psychiatre en vient à parler
d'« aura atmosphérique 17 ». « Aura » désigne alors le concept vital et pré-

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linguistique de l'émanation individuelle. Toute atmosphère n'est pas aura-


tique ; seule l'est celle qui sourd directement d'un individu.

Mais l'atmosphérique n'est pas pour ainsi dire disposé à l'extérieur des
traits détachés. Il règne aussi à travers eux, les pénètre. Si la modestie ou
l'orgueil est reconnu comme la qualité d'un homme, c'est de façon parti-
culière [qu']il est modeste ou orgueilleux ; c'est le timbre, le spécifique
atmosphérique de sa personne qui est visé. Cet atmosphérique pénètre la
personne dans tous ses traits, les plongeant tous dans une teinture parti-
culière, individuelle 18.

On ne saurait dire mieux que le rayonnement est à la fois intérieur et


extérieur, il traverse les corps et crée une ambiance. Ce ne sont pas les
traits manifestes de la physionomie qui créent l'aura, c'est l'impression
générale qui émane de l'individu et teinte l'atmosphère. Voilà donc, grâce
à Tellenbach, une première définition : l'aura est l'individualisation de
l'atmosphère. C'est l'air inimitable d'une personne, le ton individuel.
Les rapports quotidiens avec nos prochains sont ainsi, note-t‑il, condi-
tionnés par notre capacité à percevoir ces atmosphères individuelles.
L'aura détermine les rencontres interpersonnelles, elle leur donne leur ton
primordial et décide pour une part de la manière dont nous allons nous
comporter. Non seulement nous sommes nous-mêmes porteurs d'émana-
tions propres qui constituent notre nimbe spécifique, mais nous sommes
aussi capables à chaque instant de flairer le « don de soi atmosphérique 19 »
des autres. Nous appréhendons les situations en humant ainsi leur air sin-
gulier et surtout celui des personnes qui s'y trouvent. Notre sens pratique
lui-même, avant toute projection de la conscience dans des finalités parti-
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culières, s'appuie sur cette capacité à flairer l'air de la situation. Les pre-
mières impressions portent en effet à la connaissance des sujets présents ces
données ambiancielles et les renseignent aussitôt sur le ton général du hic
et nunc. De là découlent continuellement inclinations et préjugés que la
raison, ou l'intérêt, prolongera ou corrigera.

Dans le flair tourné vers l'atmosphérique, nous possédons un organe


permettant de saisir ce qui caractérise de façon tout immédiate et unitaire
le monde proche et le monde environnant. De ce flairement de l'impon-
dérable, de l'informé, naissent des préjugés marquants portant sur les
occurrences du prochain, naissent des ambiances qui peuvent être
l'adhésion sympathique primaire ou l'animosité du refus 20.

En somme, l'ambiance ne descend pas toujours du ciel comme un phé-


nomène absolument autonome : elle dépend des individus qui la com-
posent. Le caractère ambianciel d'une situation provient le plus souvent

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des émanations auratiques des personnes en chair et en os. Derrière une


atmosphère se cache fréquemment un individu. Ce que nous prenons pour
un air général trouve son origine dans un diffuseur plus ou moins reconnu.
Pour Tellenbach, l'ambiance d'un lieu ou d'un moment résulte surtout de
cette propagation subtile de l'aura personnelle. L'atmosphère n'existe pas
en soi, dans le ciel des idées ou des airs, elle est toujours ici et maintenant
la formation affective des rencontres interpersonnelles. C'est le déborde-
ment de l'aura hors de la personne qui, à la façon d'une émanation odo-
rante ou sonore, teinte le monde ambiant et le transforme en atmosphère.

Aura et nimbe.

La singularité de l'aura n'est néanmoins pas seulement humaine. Elle


touche aussi les lieux, les moments et les objets. Si les ambiances ne sont
pas des choses, elles peuvent cependant éclore de celles-ci. On peut décou-
vrir, en dehors des personnes, une origine individuelle aux atmosphères.
En effet, le flair ambianciel concerne également certains espaces, certains
objets. Il y a une aura authentique qui émane de certaines individualités
extra-humaines. Ainsi, d'une œuvre d'art. La thèse de Walter Benjamin
concernant la perte de l'aura de certains objets cultuels à l'ère de la
reproductibilité technique est devenue une sorte de « Sésame ouvre-toi »
de la Kulturkritik d'inspiration marxiste. Toutefois, si l'on a beaucoup
commenté cette théorie de la dégradation de l'aura sous le coup de la
mécanisation, on a rarement interrogé pour elle-même sa capacité atmo-
sphérique. Car, à première vue, la thèse benjaminienne du dépérissement
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auratique à l'époque moderne n'entraîne pas simplement la disparition de
l'ici-et-maintenant de l'œuvre, mais aussi celle de l'atmosphère unique et
authentique qui l'accompagnait comme un nimbe.
En quoi l'aura possède-t‑elle cette capacité d'irradier une atmosphère ?
Si Benjamin l'analyse tout d'abord en relation avec l'œuvre d'art pré-
moderne, il n'omet pas de signaler que tous les objets, et pas seulement
ceux qui ont une valeur artistique, possèdent une aura.

C'est aux objets historiques que nous appliquons plus haut cette notion
d'aura, mais, pour mieux l'éclairer, il faut envisager l'aura d'un objet
naturel. On pourrait la définir comme l'unique apparition d'un lointain,
si proche soit-il. Suivre du regard, un après-midi d'été, la ligne d'une
chaîne de montagne à l'horizon ou une branche qui jette son ombre sur
lui, c'est, pour l'homme qui repose, respirer l'aura de ces montagnes ou
de cette branche. Cette description permet d'apercevoir aisément les
conditionnements sociaux auxquels est dû le déclin actuel de l'aura. Il

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tient à deux circonstances, liées l'une et l'autre à l'importance croissante


des masses dans la vie actuelle. Car rendre les choses spatialement et
humainement plus proches de soi, c'est chez les masses d'aujourd'hui un
désir tout aussi passionné que leur tendance à déposséder tout phéno-
mène de son unicité au moyen d'une réception de sa reproduction. De
jour en jour, le besoin s'impose de façon plus impérieuse de posséder
l'objet d'aussi près que possible, dans l'image ou plutôt dans son reflet,
dans sa reproduction 21.

L'aura des œuvres d'art, qui n'est ni une qualité objective ni un simple
vécu, est un cas particulier des atmosphères objectales. C'est une sorte de
Gestalt affective, de figure sans figure du sentiment. On la ressent sans la
percevoir, et elle rend possible le perçu sans être elle-même perçue. Elle est
assurément sentie, mais comme ce qui entoure toute perception et lui
confère un éclat singulier qui saisit le sujet percevant et le surprend. Les
objets naturels comme historiques possèdent également leur halo fascinant
d'unicité. Cela signifie qu'un objet ne se limite pas à son enveloppe externe
ni à ses qualités internes, mais qu'il possède, au-delà de ses contours, des
qualités atmosphériques, des « extases sensibles 22 ». Dans le cas de l'œuvre,
la tradition condense pour ainsi dire dans un hic et nunc unique cette
vibration transcendante du passé. C'est là que résident l'expression du
lointain dans le proche, l'origine de la distance cultuelle qui stupéfie. Le
passé transforme l'objet en valeur, lui donne la patine auratique de ce qui
devient irremplaçable. Les « caractères qui se résument dans la notion
d'aura » appartiennent donc à l'histoire et au temps. Ils concourent à la
production sociale de l'attitude sacrée/esthétique.
À la lecture des analyses de Benjamin, l'aura apparaît ainsi comme cette
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atmosphère unique d'un moment historique qui se place dans le temps
tout en lui échappant. Elle repose tout entière sur la conversion de la
succession en simultanéité. L'irreproductibilité de l'aura ne signifie pas
qu'elle n'a pas été produite ; elle est, de fait, un produit de la tradition et du
culte, mais un fait involontaire qui ne peut être reproduit sans être altéré.
Le « travail de l'histoire » ne dégrade pas l'aura, il la forge, la fait rayonner
dans le temps. Les altérations de l'objet, comme les péripéties successives
de sa possession, le rendent original. Cette unicité nimbe l'objet et trans-
forme le regard. La qualité atmosphérique de l'aura réside justement dans
cette faculté à pénétrer à distance le spectateur, à la manière du « regard
perdu et délaissé » de Kafka qui lui donne « plénitude et assurance » 23. Les
premières productions photographiques captent cette aura qui s'évaporera
ensuite dans le commerce et la publicité. Il est à remarquer que la mécani-
sation un peu fruste et brutale de la photographie naissante n'entraîne pas
le dépérissement immédiat de l'aura. Au contraire, l'équipement primitif

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lui-même la suscite. Car, en ces premiers temps de la photographie, nous


dit Benjamin, l'objet et la technique se correspondent si rigoureusement
que la reproduction, loin d'effacer l'aura, cette « trame singulière d'espace
et de temps », la protège. C'est dire que la technique peut, dans certaines
circonstances, conserver l'enveloppe atmosphérique des choses et non les
en dépouiller pour en faire de simples marchandises.
On est donc en droit de supposer avec Benjamin que « l'aura authen-
tique apparaît sur toutes choses » : les choses naturelles, les choses histo-
riques, les choses artistiques, et même les choses reproduites sous certaines
conditions. L'aura est le mouvement de la chose, cette façon qu'elle a de ne
pas se limiter à un ensemble de qualités, mais d'irradier autour d'elle une
atmosphère. C'est la photogénie de tout apparaissant. Sentir l'aura d'une
chose, c'est ressentir ce besoin de « lever les yeux » vers elle pour saisir ce
halo vibratile et fascinant qui répand aussitôt ses qualités dans l'environ-
nement immédiat. Il y a là comme une expansion irrépressible de la tona-
lité affective, une ivresse des formes : « Rien ne donne de l'aura une idée
aussi juste que les toiles tardives de Van Gogh où l'aura est peinte en
même temps que l'objet 24. » Cependant, le halo ne s'étend pas bien loin. Et
il faut souvent motiver l'apparition par une injection de drogues.
Tout en contestant la lecture mystique de l'aura, Benjamin néglige sa
puissance atmosphérique. C'est parce qu'il voit en elle quelque chose qui
se tient essentiellement devant nous qu'il n'est pas assez attentif à sa puis-
sance ambiancielle et envahissante. L'aura demeure pour lui un spectacle
et non une plongée. Telle est l'origine même du lointain. Ce n'est pas
l'éloignement historique ni même physique qui détermine ce lointain, mais
la distance du style, la manière esthétique dont l'objet se donne. Le sacré
s'établit dans l'impossibilité de le toucher. Aussi l'aura, qui en est le vec-
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teur, se diffuse-t‑elle tout autour de sa source, mais sans jamais vraiment
faire fondre les limites dans lesquelles elle le fait. Son atmosphère particu-
lière ne se mêle pas à l'air ambiant, et c'est pourquoi elle reste esthétique,
objet de délectation et de jugement.
Alors que Tellenbach conçoit l'aura atmosphérique comme une mise en
ambiance du monde, Benjamin la cantonne au cercle immédiat de l'objet
qui, par là-même, se coupe du monde comme une forme sur un fond afin
d'affirmer sa singularité. Elle devient punctum mundi, milieu médian et
non médial, l'authenticité elle-même de l'aura ne désignant rien d'autre
que cette volonté possessive de ne pas se laisser exproprier de son nimbe.
Sans cette séparation spectaculaire, l'aura de l'objet ne pourrait recevoir de
valeur cultuelle. Elle s'institue par la distance. La proximité profane l'aura,
la démocratise et, ce faisant, l'annule. À la propriété exclusive de l'objet, à
savoir son aura non échangeable, elle oppose l'appropriation commune et
collective. L'aura perd ainsi son enveloppe singulière.

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Dégager l'objet de son enveloppe, détruire son aura, c'est la marque


d'une perception qui a poussé le sens de tout ce qui est identique dans le
monde au point qu'elle parvient même, au moyen de la reproduction, à
trouver de l'identité dans ce qui est unique 25.

Il va de soi que si l'aura avait été véritablement l'atmosphérisation de son


être-propre dans le monde, la question de son dépérissement ne se serait
pas posée dans les mêmes termes. Car l'aura individuelle de quelque chose
ne serait pas restée un bien unique et égoïste, mais elle se serait fondue dans
l'être-en-commun du milieu. Or, selon Benjamin, l'objet pourvu d'aura
retient son atmosphère ; il ne consent à diffuser ce halo sensible qu'autour
de soi dans le halo ivre de la vision et pas plus loin. Il répugne à l'épanche-
ment total dans l'Englobant, conservant jalousement auprès de soi, comme
une propriété inaliénable, sa singularité spectaculaire.
En un sens, l'aura telle que la pense Benjamin n'est pas aura, vent subtil
qui se répand dans l'air, comme une goutte de vin dans la mer, mais nimbe,
cercle rayonnant qui tranche avec le fond et fonde dans cette séparation sa
valeur sacrée. Certes, ce n'est pas le « nimbe magique et spiritualiste impec-
cable que les livres mystiques vulgaires reproduisent et décrivent 26 », mais
c'est tout de même un nimbe, une auréole singulière qui vit de la clôture.

Au contraire ce qui désigne l'aura authentique : l'ornement, une inclu-


sion ornementale dans le cercle où la chose ou l'être se trouve étroite-
ment enserrée comme dans un étui 27.

C'est cet enserrement, cette inclusion étroite dans le cercle, qui qualifie
mieux que tout autre terme l'aura. Et ce n'est pas un hasard si l'aura se
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retranche aux Temps modernes dans le visage.

Dans la photographie la valeur d'exposition commence à repousser la


valeur cultuelle sur toute la ligne […]. Dans l'expression fugitive d'un visage
d'homme, sur les anciennes photographies, l'aura nous fait signe une der-
nière fois. C'est ce qui fait leur incomparable beauté, pleine de mélancolie 28.

Mais ce refuge ultime en est aussi le révélateur. Ce qui brille une der-
nière fois, comme la lumière d'une étoile morte, reste dans les limites
matérielles de l'image. Le portrait photographique cadenasse l'aura dans
un gros plan. Il l'encadre, la ceint, la centralise. Elle continue certes à
vibrer, à scintiller, à faire lever les yeux, mais elle ne s'impose plus que par
la simple participation à une forme d'émerveillement. Ne rayonnant pas
au-delà, par une mise en ambiance, elle demeure en définitive un simple
objet de culte, sous la vitrine transparente de l'être séparé et distant.

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L'aura ne parvient pas à s'affranchir de l'objet pour se mêler au


médium. Elle se dispense, mais ne se disperse pas (seulement, et encore,
sous l'effet des drogues). Aussi reste-t‑elle cloîtrée derrière son nimbe
comme derrière les murs de sa propriété. Ce qu'elle gagne en fascination
sacrée et esthétique, elle le perd en diffusion affective. Là où l'ambiance
annule la distinction du proche et du lointain, du soi et du monde, l'aura
telle que la conçoit Benjamin se détache toujours de l'horizon. C'est plus
une figure qu'une tonalité affective. Or une ambiance n'est jamais fasci-
nante comme une fantasmagorie ; elle communie avec l'entourage et sup-
prime toute distance. Elle traverse, envahit et s'infuse, elle ne clignote pas
dans le lointain. À l'inverse, Walter Benjamin fait de l'aura un super-objet
qui entoure l'objet et en prolonge les contours. L'aura d'une œuvre devient
ainsi une œuvre. Ce halo ne se diffuse pas en se perdant mais tient le
monde et les autres en respect. D'où le fait que le philosophe allemand
circonscrit l'aura au lieu précis dans lequel elle se trouve comme dans
l'objet unique qu'elle ceint. Il en néglige continuellement la dissémination
affective et atmosphérique.
Or l'aura, en tant qu'atmosphère, en tant que radiation pathique et
sentiment de la situation, ne possède pas nécessairement, selon nous, de
valeur cultuelle ni même de valeur d'exposition. Son unique valeur est
celle d'immersion totale dans le médium affectif du monde. C'est l'inhibi-
tion visuelle de cette communion affective primaire et synesthésique qui
crée le pathos de la distance si caractéristique de l'aura. De cette abstrac-
tion, à savoir de cette coupure violente et illégitime, sort l'attirance, et le
cortège des divers modes captivants de l'impossible accès à ce qui captive.
C'est des cendres de la participation perdue que s'élève le Phénix de la
fascination. Mais, en raison de ce retrait en soi-même, l'aura au sens ben-
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jaminien ne possède qu'un sens sacré et esthétique 29.

Le médial et le radial.

L'ambiance est aura à partir du moment où l'on perçoit sa provenance.


On ne ressent pas simplement une atmosphère particulière, on sait immé-
diatement d'où elle vient et ce qui en est la source. Phénoménologiquement,
l'aura possède donc cette qualité insigne d'être associée à un individu. Elle
peut émaner d'une chose, d'un lieu, d'une personne, mais toujours elle
manifeste cette diffusion de la partie dans le tout. L'individualité auratique
devient ainsi centre de rayonnement. Mais, en même temps qu'elle irradie
son ton fondamental, elle se fond avec l'atmosphère générale qu'elle a
engendrée. Et c'est pourquoi l'aura est véritablement ambiance, et non
simplement nimbe.

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L'ambiance comme aura

Apparaît ainsi un double régime des ambiances : le médial et le radial.


Lorsqu'une ambiance est médiale, elle imprègne le milieu ambiant et colore
son humeur : joyeuse, réservée, tendue, exaltée, colérique, mélancolique,
abattue, etc. Dans ce cas, elle se donne comme une atmosphère générale
sans point de diffusion identifiable. Elle peut évoluer, se modifier, voire
disparaître, mais elle ne fait jamais référence à une chose particulière.
Lorsqu'elle est radiale au contraire, elle atteste directement de l'individua-
lité qui en est la source. Elle en porte le témoignage sensible. L'enveloppe-
ment affectif qui la définit se développe lui-même à partir d'un point
central. L'aura est donc radiale en son essence. Elle conserve constamment
la trace de sa naissance et révèle la capacité de certaines individualités
humaines et extra-humaines à disperser autour d'elles ces rayons affectifs
qui modèlent l'environnement et lui donnent son ton propre. Toute percep-
tion d'ambiance n'est donc pas auratique.
Les raisons qui confèrent à certaines individualités la capacité d'atmo-
sphériser sont multiples et complexes. Elles tiennent à l'histoire comme à la
nature, ressortissent au jeu des affinités sensibles. On peut considérer que
tout individu possède d'une certaine manière cette faculté « extatique »,
pour reprendre l'expression de Gernot Böhme 30, sauf qu'elle ne s'exprime
pas de la même manière ni avec la même force. Il y aurait ainsi des intensi-
tés différentes d'aura qui expliqueraient leur capacité à modifier le ton de
l'ambiance existante. Notre aura ne serait pas simplement un voile protec-
teur mais aussi une zone d'absorption. Elle pourrait, en se diffusant, modi-
fier l'atmosphère comme être modifiée par elle. Il existe un « imprévisible
va-et-vient 31 » entre l'air que nous dégageons et celui que nous captons.
Cependant, des individualités fortes du point de vue tonal porteraient en
elles des atmosphères qui, dans la plupart des situations, envahissent le
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milieu et le mettent en ambiance. Il n'y a rien là d'occulte, c'est l'un des
aspects les plus connus de la dimension quotidienne de l'expérience du
monde. Attraction et répulsion, épanchement et résistance. Telle est préci-
sément la vie subtile de notre sensibilité à l'aura. Nous nous laissons parfois
pénétrer par un timbre de voix, une atmosphère particulière, un air singu-
lier, et l'ensemble de la situation affective s'en trouve tout de suite changé.
Que cette aura soit attirante ou repoussante, elle remplit le lieu et le
moment. Il existe en nous une vulnérabilité « en regard de l'ambiance 32 ».
Une matière chaude (un bois exotique, par exemple) choisie pour l'intérieur
d'une maison lui confère aussitôt une certaine atmosphère ; une pierre ser-
tie autour du cou transforme la personne. Les hommes depuis longtemps
sont sensibles à ces airs particuliers et tentent même de les composer. Ils
captent ces auras comme ils les arrangent. Certaines choses possèdent
immédiatement pour eux cette puissance irradiante, voire démoniaque ;
elles ont une odeur, un souffle, une « âme » par laquelle elles se répandent

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et laissent pénétrer en elles la vie ambiante. Chacun exhale ainsi ce vent


subtil du thymique :

On dirait ainsi que toute personnalité vivante se trouve entourée comme


d'un fin nuage qui émane d'elle et qui en se répandant dans l'atmosphère
la rattache à celle-ci 33.

Mais cela est également valable pour les personnalités secondes, ces
sujets par procuration que sont les paysages et les choses. D'eux aussi
émane une atmosphère singulière qui teinte l'air, une phénoménogénie.
Saisir une atmosphère comme aura en modifie l'appréhension. Dans ce
cas, nous percevons la source comme fondamentale, et les modulations
ambiancielles résultent alors des évolutions de l'individualité radiale. La
compréhension radiale suit les aléas de l'émanation. Elle sait que
l'ambiance générale en dépend. Toutefois, elle ne perçoit pas la distinction
claire et franche entre la source et l'atmosphère. Les deux vibrent à l'unis-
son, les rayons individuels se perdent dans le ton général de la situation.
Est-ce à dire que toute ambiance médiale est en réalité une aura radiale qui
s'ignore ? Que, derrière une atmosphère, se cachent des individualités aura-
tiques ? Au vrai, du point de vue phénoménologique, cette hypothèse est
invérifiable. Si l'ambiance se donne sans directement manifester la source
d'où elle émane, c'est qu'elle est médiale et non radiale. Il n'y a donc pas
lieu de supposer une aura individuelle qui en serait l'origine dissimulée.
Là où l'ésotérisme objective l'auratique dans une « signature 34 », qui
n'est que l'expression de l'invisible dans le visible ou de l'intérieur dans
l'extérieur, la phénoménologie s'interdit d'interpréter ce phénomène et
s'attache plutôt à recueillir cette résonance. Elle approche l'aura non
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comme l'essence de la chose qui vibre au-dehors, mais comme l'expansion
atmosphérique de toute chose qui, baignant dans un médium, possède elle
aussi des qualités médiales. Car ce ne sont pas simplement les milieux
sensibles (air, eau, son, lumière, etc.) qui portent en eux des ambiances,
mais, comme on le voit dans les extases matérielles et charnelles chez
Proust, toute chose en tant que chose. La distinction chose/médium doit
être relativisée puisque les objets eux-mêmes diffusent autour d'eux des
halos affectifs et expressifs. Le milieu désobjective l'objet en le rendant
aussi atmosphérique que lui. Cette aura radiale se décline sous différentes
formes, du génie du lieu au charisme du chef, du charme d'un vieil objet
au je-ne-sais quoi antipathique. Mais, dans tous les cas, elle est le mouve-
ment aérien du radial au médial. Si l'individu, fabriqué ou organique, ne
coïncide pas avec les limites matérielles de son corps, c'est qu'il est pénétré
de telle manière par le medium qu'il possède à son tour une médialité.
L'aura, en tant qu'émanation individuelle, exprime cette vertu médiale qui

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n'entoure plus les choses comme un contexte neutre, mais rayonne d'elles.
Ce n'est pas seulement le milieu qui échappe à la choséité, il y a dans le
corps lui-même quelque chose qui s'évade des contours sages et définis et
se répand comme une ambiance dans les alentours. Les individus baignent
dans des milieux atmosphériques, tout en se comportant comme de tels
milieux. La remise en cause de la séparation de la chose et du médium doit
aller jusqu'à l'éclatement interne de la choséité par sa propre médialité.
Tout ce qui déborde une frontière objective et donne le ton à l'ambiance
est aura. C'est sans doute lorsqu'elle émane d'un homme que cette aura
est le plus forte pour nous. Si tout est atmosphère, les personnes portent
cette qualité radiale à un point de rayonnement inégalé. Il convient dès à
présent de noter que l'aura humaine condense l'essence de l'ambiancialité,
à savoir l'affectivité tonale. Car, comme le note Eugène Minkowski :

Les phénomènes se rattachant au moi le dépassent ainsi dans deux


directions : ils vont vers l'ambiance concrète, mais en même temps, sous
forme d'un vaste arc susceptible d'englober aussi bien le moi que cette
ambiance, ils nous révèlent, par-dessus et au-delà, la contexture géné-
rale du cosmos. L'une de ces directions est ainsi de nature plus concrète,
autour de moi, elle dessine l'ambiance 35.

Prolongeant les analyses du psychiatre français, Tellenbach cristallise


lui aussi la puissance auratique et affective dans les personnes. Dès les
premiers temps de la vie, l'enfant acquiert une confiance primitive en soi
et dans le monde grâce à l'aura familière de la mère.

Ce doit être quelque chose en tout cas qui ne peut être expérimenté que
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dans un flairement tout à fait immédiat. Un tel rayonnement, et le flai-
rement qui capte cette radiation en quoi nous voyons pour ainsi dire sa
confiance venir au monde, commence tout d'abord dans la relation du
petit enfant à la mère. Ce sont des prédicats déterminés de l'atmosphère
qu'irradie la mère qui, dans la phase prélinguistique de son développe-
ment, fondent la confiance de l'enfant : l'odeur et le goût de ce qu'elle
dispense et la finalité dont elle use pour le dispenser. L'enfant entre
dans cette atmosphère comme dans une aura qui enveloppe sa crois-
sance 36.

C'est dans cette « aura de la mère » que se développe l'« aptitude au flair
atmosphérique » 37. Si nous sommes sensibles aux ambiances, c'est parce
que, dans la relation à l'autre, nous avons acquis cette faculté de percep-
tion tonale. Autrui a été pour nous le révélateur primitif de l'ambianciel.
L'expressivité de l'Autour a d'abord pris l'aspect d'un visage ; puis, peu à
peu, chacun a été à même de s'ouvrir à la tonalité de son entourage extra-

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humain. Tellenbach laisse clairement entendre qu'à l'origine de toute


ambiance vécue se trouve donc une aura personnelle. Les premières rela-
tions intersubjectives baignent ainsi dans des échanges auratiques.

Un semblable échange atmosphérique peut s'épuiser en une seule phase,


mais le plus souvent, dans la rencontre rayonnante-flairante de l'indi-
vidu avec l'autre, il s'instaure une atmosphère commune qui ensuite
peut être expérimentée comme tonalité d'une relation au prochain tant
par les deux partenaires que par des tiers 38.

Les groupes initiaux ou successifs sont eux-mêmes, selon Tellenbach, les


produits de cette « intégrale atmosphérique ». Par là se constitue une « aura
commune » 39 qui a une valeur protectrice. Le groupe agit en première
instance comme une onde de sécurité et de familiarité. Dans ces combinai-
sons multiples de rayonnement se forment des « mondes communs », des
mondes qui possèdent leur phénoménalité propre, leur air de famille, fait
non pas de qualités objectives et discernables mais d'un nimbe atmosphé-
rique. Ces atmosphères de groupe peuvent aller de la classe sociale à l'aire
culturelle, du petit milieu des clochards ou des aristocrates à l'espace d'une
civilisation. À ce titre, le voyage, toujours sentimental, en représente une
sorte de captation auratique très particulière :

Cette appréhension vécue du nimbe atmosphérique fut – précisément


par alternance avec la conversation (en langue allemande) de mes amis
japonais – la plus forte impression de mon séjour au Japon. L'arrivant
se sent plongé dans une tout autre atmosphère, il sent celle-ci agir à
travers les personnes. On commence toujours par sentir cette puissante
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influence 40.

Mais à quoi faut-il attribuer cette vertu auratique des individus et des
groupes ?
On pourrait avancer ici que l'émanation de l'être personnel, son
« nimbe atmosphérique 41 », tient non pas à son odeur, à son timbre de
voix, à son air général, ni même à tout cela fondu ensemble, mais plus
simplement à sa présence tonale, à cette phénoménogénie particulière
de sa manifestation. Tout phénomène n'est pas que la manifestation de
quelque chose, il est aussi la manière dont ce quelque chose se manifeste,
son comment, son apparaître. Or cet apparaître de l'apparaissant apparaît
lui-même dans l'apparaissant. Il en émane. Il n'est donc pas une simple
condition formelle de l'apparition, mais, mêlée à elle, une apparition à
part entière. L'apparition ne se cache pas dans l'apparaissant, elle se livre
avec lui. Elle n'apparaît pas comme ce qui apparaît, elle apparaît avec lui

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et en lui. Rien ne reste en retrait dans ce qui apparaît, pas même son mode
d'apparaître. C'est de là que naît son éclat particulier, ce que nous nom-
mons sa phénoménogénie. Cet éclat est tout le contraire de l'éclipse, du
mystère et du retrait, c'est la profusion de l'apparaître qui s'étend au-delà
de tout apparaissant. Et c'est sans doute dans l'apparition d'une personne
que ce rayonnement phénoménal de l'air qu'elle arbore luit de la manière
la plus saisissante. Cette phénoménogénie n'est pas plus olfactive que
sonore, pas plus visuelle que tactile. Il est quelque peu inutile à cet égard
de se demander laquelle des dimensions sensibles est plus auratique que
les autres ; elles le sont toutes, dans la mesure où elles ne diffusent pas
uniquement des qualités sensibles, mais des valeurs tonales. Car c'est en
tant qu'affectif, comme impact plaisant ou déplaisant, que le phénomène
est phénoménogénique. S'il n'était que la présentation affectivement
neutre d'un simple contenu sensible, d'un quale, d'une information, il
ne rayonnerait pas au-delà de lui-même comme extase ou médium. Or, en
tant qu'expression, il dépasse toujours le stade de l'exposition. C'est ce
passage du radial vers le médial qui est à proprement parler l'origine
de sa phénoménogénie. La totalité des aspects expressifs et thymiques
d'un être forme son aura. Elle ne réside ni dans la chose ni autour d'elle,
elle se situe entre, et contredit précisément la séparation du corps et du
milieu. L'ontologie du défini méconnaît cette valeur phénoménogénique
des choses. Elle ignore le radial comme le médial, au profit du simple
chosal, de ce qui se tient à l'intérieur de ses contours. Or le phénomène
lui-même irradie hors de ses bornes, et c'est cette émanation auratique qui
lui confère sa tonalité affective.
Faisons un pas de plus. L'aura en tant qu'atmosphérisation indivi-
duelle de l'ambiance découle de cette phénoménogénie de tout phéno-
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mène. Il est inutile de projeter ici des agents spirituels, des résonances
mystiques. Tout ce qui apparaît ne demeure pas sagement blotti derrière
sa discrimination perceptive comme derrière une paroi de verre. Sa
nature expressive franchit le circonscrit. Le comment lui-même de tout
apparaissant est déjà directement affectif. Il ne manifeste aucun quoi,
mais le ton propre de sa manifestation, son style. C'est ce comment qui
condense l'expressivité originelle des milieux et des objets, le fonds thy-
mique du monde. Bien évidemment, à ce comment phénoménogénique
peuvent s'associer des images et des souvenirs ; l'aura de chaque indivi-
dualité absorbe les résonances multiples qui rayonnent d'elle ou vers elle.
Mais la première fois révèle comme nulle autre cette puissance auratique
de ce qui surgit. C'est ici le lieu de convenir que ce qui se détache comme
phénomène quel qu'il soit, et qui ne se réduit pas à l'apparition simple
d'un objet mais prend la forme d'une atmosphère médiale, interrompt
l'appréhension typique de la perception et laisse advenir quelque chose de

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neuf. Au premier coup d'œil, ce qui est saisi, ce n'est pas l'articulation
détaillée des qualités objectives, mais cet air particulier qui, malgré
l'explication ultérieure, ne se dissipera plus. Les premières impressions
faites par les lieux et les personnes ont toujours un caractère fortement
ambianciel. Notre rencontre soudaine avec le nouveau baigne tout
d'abord dans cette présence atmosphérique. Ce qui s'expose de manière
inédite, avant l'aperception réflexive et mémorielle, c'est cette charge
auratique. La phénoménogénie d'un moment original.

Bruce BÉGOUT
bruce.begout@u-bordeaux-montaigne.fr
Maître de conférences à l'Université Bordeaux-Montaigne/SPHE

NOTES

1. À part les études philologiques de Leo Spitzer, Karl Michaëlsson, Hans Nilsson-Ehle, etc.,
l'ambiance n'a pas encore reçu l'attention théorique qu'elle mérite. Le terme est souvent pourtant
employé dans les discours des urbanistes et des architectes contemporains, mais le plus souvent avec
une certaine désinvolture théorique qui n'aide pas à son appréhension véritable et lui fait même
parfois obstacle.
2. Sur l'histoire du terme, cf. Armelle Deschard, Recherches sur Aura. Variations sur le thème
de l'air en mouvement chez les Latins, Louvain/Paris, Peeters, « Bibliothèque d'études classiques »,
no 27, 2003.
3. Ovide, Tristes, V, 6, l. 19 : « Spiritus hic, Scythica quem non bene ducimus aura » (trad.
Jacques André, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 144).
4. En général, l'ésotérisme objective l'aura sous la forme d'un nimbe visible, quantifiable et
manipulable, niant ainsi sa nature ambiancielle pour la réduire à un être objectif et transcendant.
5. Hubertus Tellenbach, Goût et atmosphère, trad. Jean Amsler, Paris, Presses universitaires de
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France, 1985, p. 17.
6. Ibid., p. 19.
7. Ibid.
8. Ibid., p. 23.
9. Ibid., p. 25.
10. Ibid.
11. Ibid., p. 26.
12. Ibid., p. 40.
13. Ibid., p. 44.
14. Ibid., p. 40.
15. Ibid., p. 41.
16. Ibid.
17. Ibid., p. 44.
18. Ibid., p. 41.
19. Ibid., p. 42.
20. Ibid.
21. Walter Benjamin, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, trad. Rainer
Rochlitz, in Œuvres, Paris, Gallimard, « Folio », 2000, t. III, p. 278.
22. Gernot Böhme, Atmosphäre : Essays zur neuen Ästhetik, IV, « Ekstasen », I, Berlin,
Suhrkamp, 2013, p. 225-246.

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L'ambiance comme aura


23. Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, trad. Maurice de Gandillac revue par
Rainer Rochlitz, in Œuvres, op. cit., t. II, p. 307.
24. Walter Benjamin, « Protocoles d'expériences faites avec les drogues », in Sur le haschich et
autres écrits sur la drogue (1927-1934), trad. Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois,
1993, p. 56.
25. Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie, op. cit., p. 310-311.
26. « Premièrement l'aura authentique apparaît sur toutes les choses. Pas seulement sur certaines
comme les gens se l'imaginent. Deuxièmement l'aura se modifie entièrement et de fond en comble à
chaque mouvement que fait la chose dont le mouvement est l'aura. Troisièmement l'aura authen-
tique ne peut en aucune façon être pensée comme le nimbe magique et spiritualiste impeccable que
les livres mystiques vulgaires reproduisent et décrivent » (Walter Benjamin, Sur le haschich, op. cit.,
p. 56).
27. Ibid.
28. Walter Benjamin, L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, op. cit., p. 285.
29. En vérité, à l'aura ambiancielle peut correspondre une autre forme de sacré, celle de la
communion désindividualisante, de l'immersion dans le fond sauvage de la vie. Mais c'est là une
tout autre dimension de la religion, la dimension inquiétante et terrible de la proximité avec la
divinité.
30. Cf. Gernot Böhme, Atmosphäre, op. cit., p. 225-246.
31. Hubertus Tellenbach, Goût et atmosphère, op. cit., p. 44.
32. Eugène Minkowski, Vers une cosmologie, Paris, Payot, 1999, p. 133.
33. Ibid., p. 119.
34. Jacob Boehme, De la signature des choses, trad. Pierre Deghaye, Paris, Grasset, « Les écri-
tures sacrées », 1995, p. 49.
35. Eugène Minkowski, Vers une cosmologie, op. cit., p. 99.
36. Hubertus Tellenbach, Goût et atmosphère, op. cit., p. 43 (c'est nous qui soulignons).
37. Ibid., p. 44.
38. Ibid., p. 47.
39. Ibid.
40. Ibid., p. 48.
41. Ibid., p. 44.
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RÉSUMÉ

L'ambiance comme aura. Le pouvoir atmosphérique des individualités


Cet article vise à la clarification conceptuelle de la notion d'ambiance, qui, à la suite des travaux
de Schmitz, Böhme et Griffero, connaît depuis vingt ans un essor important dans les recherches
européennes. L'auteur a choisi de comparer ambiance et aura afin de dégager deux modèles de
diffusion atmosphérique d'un sentiment, le radial, où l'ambiance émane d'une source précise, et le
médial, où elle se répand dans l'espace sans signaler son origine particulière. L'aura est ainsi explici-
tée comme une ambiance qui manifeste aussitôt son centre d'émanation et retient toujours quelque
chose en elle de l'individualité, qu'elle soit celle d'une personne, d'un objet, d'un lieu, d'un événe-
ment, etc.

MOTS-CLÉS : aura, ambiance, atmosphère, phénoménologie, milieu

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Dossier : se351634_3b2_V11 Document : Communications_102_351634
Date : 5/4/2018 14h59 Page 98/256

Bruce Bégout

SUMMARY

Ambiance as aura. The atmospheric power of individualities


This article aims at conceptually clarifying the notion of ambiance, which, following the work of
Schmitz, Böhme and Griffero, has blossomed in the European scholarship over the last twenty
years. The author chose to compare atmosphere and aura in order to identify two models of atmos-
pheric diffusion of a feeling: the radial, by which the atmosphere emanates from a precisely identied
source, and the medial, by which it pervades the space without signaling its particular origin. The
aura is thus accounted for as an atmosphere that immediately heralds its point of emanation and
always retains something within itself of the individuality, be it that of a person, an object, a place,
an event, etc.

KEYWORDS: aura, ambiance, atmosphere, phenomenology, field

RESUMEN

La atmósfera como aura. El poder atmosférico de las individualidades


Este artículo tiene como objetivo la clarificación conceptual de la noción de atmósfera, que,
siguiendo el trabajo de Schmitz, Böhme y Griffero, ha conocido durante veinte años un auge impor-
tante en la investigación europea. El autor eligió comparar la atmósfera y el aura para identificar
dos modelos de difusión atmosférica de un sentimiento, el radial, donde el humor emana de una
fuente precisa, y el medial, donde se propaga en el espacio sin señalización su origen particular. El
aura se explica así como una atmósfera que inmediatamente manifiesta su centro de emanación y
siempre retiene algo en ella de la individualidad, que es la de una persona, un objeto, un lugar, un
evento, etc.

PALABRAS CLAVES: aura, ambiente, atmósfera, fenomenología, medio


© Le Seuil | Téléchargé le 03/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 134.2.81.112)

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