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Comment s'attache-t-on dans un couple ?

Michel Delage
Dans Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux 2009/1
(n° 42), pages 87 à 105
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1372-8202
ISBN 9782804102517
DOI 10.3917/ctf.042.0087
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 23/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 105.235.188.199)

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Comment s’attache-t-on dans un couple ?
Michel Delage 1

Résumé

Tout au long de notre existence nous avons besoin d’être et de nous sentir
attachés. La proximité physique et psychique d’un partenaire augmente notre sen-
timent de sécurité.
Ce travail propose d’aborder la vie du couple à travers la théorie de l’atta-
chement, et d’examiner les connexions avec les autres aspects des liens du couple.
L’auteur présente les aspects dysfonctionnels des attachements et leurs conséquen-
ces sur les pratiques thérapeutiques visant une restructuration des liens.

Abstract: How is created attachment in a couple ?


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All along our existence we need to be attached and to feel it. The physical
and psychological partner’s proximity increases our security feeling.
This article proposes to take up the couple’s live through the theory of attach-
ment and to study aspects of the couple’s bonds. The author presents the attachment’s
dysfunctionnality with its consequences on therapeutic practices tending to a bond’s
restructuration.

Mots-clés
Attachement amoureux – Modèles internes opérants – Scénarios relationnels
– Blessures d’attachement.

Key words
Love attachment – Internal working models – Relational scenarios – Attach-
ment injuries.

1 Professeur de psychiatrie du Service de Santé des Armées.


Centre de consultation de Thérapie familiale, Hôpital d’instruction des Armées
Sainte Anne – Toulon. Consultant Association « Vivre en Famille » - La Seyne sur
Mer.

DOI: 10.3917/ctf.042.0087
88 Michel Delage

Comment s’attache-t-on dans un couple ?

L’homme comme être social est dans la nécessité biologique d’être en


lien. Cela lui est nécessaire pour réguler ses émotions, pour apaiser les cir-
constances stressantes de son existence, et même pour mieux penser et donner
sens à sa vie. Ces trois éléments ne peuvent pleinement se déployer que dans
une grande proximité physique et psychique avec l’autre. Autrement dit, l’être
humain a besoin d’être attaché. Les fonctions de reproduction et même d’éle-
vage des enfants peuvent s’exercer en dehors d’une relation de couple. Mais
sans doute les hommes et les femmes sont toujours poussés à organiser entre
eux des relations de proximité stables et durables parce qu’ils ont besoin d’être
attachés, au sens donné par Bowlby (1978-1981) d’un besoin social primaire
dont on peut observer la construction dans la petite enfance, mais déployé
ensuite tout au long du cycle de vie.

L’attachement chez l’adulte et dans le couple :

Trois points majeurs différencient l’attachement adulte de ce que l’on


connaît chez l’enfant.
1) D’abord, il n’est plus question chez l’adulte d’un besoin vital de protec-
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tion comme Bowlby (1978) l’a affirmé à propos de l’enfant. Il nous faut
donc préciser en quoi consiste l’attachement adulte.
2) Ensuite, l’attachement n’est qu’un des aspects des liens du couple et il
s’agit de comprendre sa part au sein des caractéristiques relationnelles
développées entre les partenaires.
3) Enfin, s’il est relativement simple d’explorer le registre comportemen-
tal de l’attachement chez l’enfant d’âge préverbal, il devient beaucoup
plus difficile d’avoir accès aux caractéristiques représentationnelles
chez l’adulte. Ces difficultés s’accroissent encore si nous prétendons
nous centrer non plus sur les aspects individuels, mais sur les spécifi-
cités conjugales.
Examinons successivement ces différents points.

A) Que peut-être l’attachement chez l’adulte ?


1) Dans sa version « sécure » l’attachement apparaît comme procurant
un sentiment d’assurance et de quiétude grâce à :
– une bonne sécurité interne (qualité des représentations de soi en lien
avec l’autre, ce que Bowlby (1978) a nommé les modèles internes opé-
rants – MIO) ;
Comment s’attache-t-on dans un couple ? 89

– la certitude d’un accès possible à quelqu’un sur qui l’on sait pouvoir
compter inconditionnellement en cas de besoin.
Au niveau du couple, l’attachement permet de mieux comprendre les
relations dans un contexte de besoin de contact et d’apaisement. La tranquillité
obtenue offre une possibilité de régulation visant « l’homéostasie interne » du
couple et permettant en même temps l’ouverture et l’adaptation à l’environne-
ment. Tout cela peut être rassemblé dans les deux formulations suivantes : « se
sentir bien avec… », « pouvoir compter sur… », (ou « avoir confiance en… »).
Mais un autre aspect doit être ajouté. L’enfant était dans une relation asy-
métrique dans laquelle ses besoins étaient satisfaits par une figure d’attache-
ment (le caregiver), prenant soin de lui et répondant à ses attentes (Guedeney
& Guedeney, 2006).
Dans le couple, un basculement s’opère, de sorte que :
– d’une part, chacun devient figure d’attachement pour l’autre dans la réci-
procité du lien avec le partenaire,
– d’autre part, chacun est en potentialité de devenir parent.
Dans ces conditions, la version sécure de l’attachement adulte ajoute
une troisième formulation au bien-être et à la confiance. Il s’agit de « prendre
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soin de… (ou « faire attention à… »). C’est cette capacité à reconnaître et
comprendre les états affectifs de l’autre et à modifier ses réponses en fonction
des besoins de l’autre, qui est finalement responsable du niveau de satisfac-
tion conjugale.
2) Donc l’attachement adulte apparaît développé à l’intersection de deux
axes :
– d’un côté, il est hérité des attachements construits dans l’enfance avec
les figures parentales ;
– d’un autre côté, il se déploie dans les relations avec un partenaire. On
peut le comprendre comme un processus dynamique organisateur des
relations dans le couple. Ainsi, certaines personnes changent leurs atta-
chements au fur et à mesure de leurs engagements émotionnels avec leurs
partenaires (Davila, Karney & Bradbury, 1999) 2.

2 Il y a là une contradiction avec les premiers travaux qui considéraient l’attachement


dans une vision déterministe, de sorte que l’attachement construit dans la petite en-
fance restait stable et pouvait être alors assimilé à un trait de caractère. Mais les don-
nées issues de l’expérience clinique ont montré les changements qui s’opèrent au
gré de certaines circonstances et des expériences relationnelles.
90 Michel Delage

B) L’attachement n’est qu’un des aspects des liens


du couple
À mon sens, trois systèmes motivationnels de base, tous les trois innés
et présents dès la naissance, se développent dans la proximité physique et
psychique entre les individus.
1) La sexualité est orientée par la pulsionnalité et le désir. La sexualité
adulte est biologiquement connectée à la reproduction, mais l’être humain pré-
sente parmi les êtres vivant cette particularité d’avoir dégagé de la sexualité-
reproduction, une sexualité-désir (Godelier, 2007) pour la compréhension de
laquelle la psychanalyse garde toute sa pertinence.
2) L’intersubjectivité est une nécessité de notre esprit qui nous pousse
à rechercher la communication et le lien avec autrui pour penser avec lui. Très
jeunes, les bébés sont intéressés par l’être humain et cherchent à l’imiter.
L’intersubjectivité naît dans cette possibilité qui nous est offerte de res-
sentir et penser ensemble sans en avoir toujours pleinement conscience (Stern,
2003).
3) L’attachement apparaît connecté aux deux systèmes motivationnels
précédents. Les trois systèmes sont distincts mais étroitement reliés.
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a) Ainsi peut se comprendre la relation amoureuse : l’attachement joue
un rôle clef dans les interactions sexuelles, c’est-à-dire dans l’expression émo-
tionnelle qui accompagne ces dernières.
La sexualité associée à l’attachement qualifie ce que les anglo-saxons
nomment « l’amour romantique ». Cependant la passion amoureuse n’est pas
l’attachement. Dans l’amour, on est envahi par l’autre et par le désir. L’atta-
chement suppose au contraire une certaine tranquillité. L’amour est éphé-
mère, il peut naître d’un coup de foudre, mais aussi disparaître comme il est
venu. L’attachement ne peut s’installer que dans des échanges durables. Ainsi
des jeunes qui viennent de se rencontrer ne sont pas encore à proprement par-
ler attachés. Ils sont liés par l’intensité de ce qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.
Si leur amour dure, ils vont devenir attachés, de telle sorte que chacun va pou-
voir développer un lien affectif stable avec un partenaire considéré comme un
individu unique, non interchangeable et dont on a envie de rester proche
(Ainsworth, 1991).
D’ailleurs, on peut retenir des bases biologiques distinctes dans l’amour
et l’attachement, la première s’accompagnant de sécrétion de phénylethyla-
mine (dont l’action euphorisante est éphémère), tandis que le deuxième est
associé à la sécrétion d’ocytocine (Pierrehumbert, 2003).
Comment s’attache-t-on dans un couple ? 91

b) Ainsi peut se comprendre le développement du lien intersubjectif : en


effet trois niveaux caractérisent ce lien. Sur la base de la mutualité des esprits
réalisée dans la vie amoureuse, se développe dans le couple ce qui est partagé
et ce qui est différent dans une activité de mentalisation qui confère une
« conscience intersubjective » (Fonagy & Target, 1997). Chacun dans le cou-
ple a ainsi la possibilité de se représenter non seulement en lien avec l’autre,
mais aussi dans le lien qu’ils forment ensemble. L’activité narrative déployée
entre les partenaires à partir de leurs éprouvés, de leurs émotions, de leurs
expériences, enrichit les représentations de chacun. C’est ainsi qu’un sens est
donné, que les croyances s’organisent, que les vécus sont historisés et intégrés
à la vie psychique de chacun, en même temps que le sentiment d’appartenance
au couple est renforcé.
Une nouvelle fois, l’attachement joue ici un rôle clef si on veut bien
retenir l’idée d’un M.I.O systémique ou partagé (Marvin & Stewart, 1990), né
de la rencontre des M.I.O des personnes et selon lequel chacune est capable
d’évaluer en partie les M.I.O de l’autre, d’anticiper ses actions et ses projets,
de répondre à ses attentes.
La qualité de l’attachement est ainsi liée à la possibilité de mentalisa-
tion dans le couple, c’est-à-dire de représentations communicables et parta-
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geables.
c) L’évaluation :
1) Du côté de la recherche, beaucoup d’études ont été menées à visée
plutôt objectivantes et centrées sur l’individu ou sur les individus formant un
couple, plutôt que sur la relation de couple elle-même. Ces études, réalisées à
partir d’échantillons issus de la population générale, sont la plupart du temps
conduites à partir de questionnaires ou d’autoquestionnaires simples et par
conséquent réducteurs à l’égard à la complexité des liens interhumains. On en
trouvera une revue exhaustive chez Feeney (1999, 2003) et Byng-Hall (1999).
Les classifications obtenues à partir de ces recherches doivent être relativisées
en raison du caractère hétérogène des méthodologies utilisées. Ainsi, certains
travaux réalisent des évaluations dans la suite de ceux menés pour explorer
l’attachement chez l’enfant [c’est le cas de « l’adult attachment interview » ou
A.A.I établi par Main et al. (1985) à partir des réponses des parents d’enfants
observés à la situation étrange (Ainsworth & Wittig 1969)]. D’autres appro-
ches sont développées à partir du champ psychosociologique et sont centrées
sur les représentations d’attachement avec les partenaires actuels [voir notam-
ment Hazan & Schaver (1987), Bartholomew & Horowitz (1991), Simpson
(1990)]. Enfin, on doit distinguer dans ces études celles qui individualisent
92 Michel Delage

des catégories décrivant des types d’attachement exclusifs les uns des autres
(et répartis en « sécure », « évitants » ou « détachés », « ambivalents » ou
« préoccupés ») 3, et celles qui, retenant le caractère multifactoriel de l’atta-
chement adulte, évaluent des dimensions, c’est-à-dire des tendances dominan-
tes (Pierrehumbert et al., 1996).
On peut dans ce dernier cas concevoir plusieurs dimensions combinées
et par exemple des attachements « insécures » associant une dimension « déta-
chée » et une « dimension préoccupée ». Cette façon de considérer les choses
est sans doute plus proche des réalités rencontrées en clinique. Elle est mieux
compatible avec l’idée de l’attachement comme processus caractérisant une
des dimensions du lien dans un couple, et développé dans l’interaction entre
– ce qui a été construit dans le passé,
– et ce qui se développe entre les partenaires de la relation actuelle,
et entre
– ce qui relève des représentations déjà existantes,
– et ce qui relève de la réalité interpersonnelle et intersubjective expéri-
mentée au quotidien dans la vie de couple, dans ce qu’on peut nommer
un « style relationnel généralisé » du couple (Delage, 2007).
2) Du côté de la clinique, l’évaluation n’a d’intérêt que dans des inte-
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ractions au cours desquelles les partenaires du couple sont amenés l’un et
l’autre à percevoir leurs propres représentations d’attachement, les représen-
tations d’attachement du partenaire et la manière dont ils sont finalement atta-
chés entre eux avec les conséquences sur leur vie relationnelle.
Il s’agit donc d’une évaluation intersubjective médiatisée par un tiers,
le thérapeute, et dans la perspective qu’un changement soit ensuite possible.
i - On peut examiner les M.I.O de chacun des partenaires et apprécier
avec eux (tableau I) :
– Le niveau de confiance en soi,
– le niveau de confiance dans les autres (dont sont corollaires les impli-
cations personnelles et la qualité des relations sociales),
– la capacité ou non à reconnaître la détresse d’autrui et à lui venir en aide,
– la régulation des émotions négatives, notamment dans les situations de
stress et de séparation.

3 Une quatrième catégorie retenue chez les enfants disparaît de ces études. Il s’agit
des « attachements désorganisés ». Ce type d’attachement conduit à des organisa-
tions pathologiques de la personnalité.
Comment s’attache-t-on dans un couple ? 93

Il est possible de procéder à des commentaires croisés entre les partenai-


res du couple, et ainsi apprécier avec eux leur niveau d’accord ou de désaccord,
par exemple :
– Pensez-vous qu’il (ou elle) à confiance en lui (ou elle). Pouvez-vous
donner deux exemples ?
– Pensez-vous qu’il (ou elle) vous fait confiance. Pouvez-vous donner
deux exemples ?
On peut même apporter des précisions quantitatives en proposant une
cotation de 0 (absence totale de confiance) à 4 (confiance totale).
ii - On peut examiner le niveau de cohésion et la distance relationnelle
entre les partenaires, en évaluant :
– La qualité de la communication,
– l’expression des sentiments,
– la collaboration avec le partenaire dans la résolution des problèmes,
– la balance entre fermeture/et ouverture par rapport à l’environnement
(Tableau II).
iii - Certaines méthodologies utilisées dans la recherche peuvent être
intéressantes dans un travail clinique.
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– Ainsi Fischer & Crandell (1997) ont réalisé un questionnaire qui s’appa-
rente à l’A.A.I, appliqué au niveau du couple. En effet, dans ce « couple
attachment joint-interview », les partenaires sont interviewés ensemble
sur leurs émotions. Il leur est demandé comment ils répondent à la
détresse, à la séparation, au conflit, et comment ils dépendent ou non du
partenaire. Puis il leur est demandé de décrire des épisodes qui illustrent
leurs propos. Il est ainsi possible d’apprécier le degré de cohérence entre
le niveau sémantique et le niveau épisodique du discours. De même on
apprécie le niveau d’accord ou de désaccord dans le couple, chacun étant
invité à réagir aux propos de l’autre.
– Feeney (1998) utilise un questionnaire visant à explorer le style conflic-
tuel, c’est-à-dire la manière dont un couple parvient à gérer un conflit
ou non. Puis elle demande à chacun d’imaginer une situation conflic-
tuelle et de la jouer en séance avec le partenaire.
– De manière très empirique, nous avons avec Cyrulnik réalisé un ques-
tionnaire non validé permettant une exploration en séance de thérapie
des représentations d’attachement des deux partenaires dans ce qui a
été construit dans l’enfance et dans ce qui est construit dans le couple
(Cyrulnik, Delage et al., 2007).
94 Michel Delage

Tableau I. Les M.I.O selon les attachements

SECURE EVITANT AMBIVALENT

1. Confiance en soi
Bonne Apparemment bonne Mauvaise
2. Confiance en l’autre
Bonne Mauvaise Attente de soutien et de
3. Capacités réconfort
empathiques
Bonnes Mauvaises Variable car l’autre est perçu à
4. Régulation des travers ses difficultés personnelles
émotions négatives
Stratégies Stratégies Tentatives de contrôle
constructives d’évitement aboutissant souvent à l’échec

Tableau II. Capacités de partage dans les relations

SECURE EVITANT AMBIVALENT

1. Communication
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Bonne Faible Confuse
2. Expression des sentiments
Libre et satisfaisante Faible Exagérée. Tendance
3. Collaboration dans la à l’interdépendance
résolution des problèmes affective.
Bonne capacité à argumenter Evitement des conflits Situation conflictuelle
négative. Détresse
4. Fermeture ouverture post-conflictuelle
Bon équilibre Excès d’ouverture Excès de fermeture

L’intérêt d’utiliser ces divers instruments en thérapie réside dans le


caractère d’objets médiateurs qu’ils peuvent revêtir, permettant alors la mise
à jour des représentations et certaines mobilisations émotionnelles.

Vie du couple et qualité relationnelle

Dans une perspective capable de tenir compte à la fois des données


issues de la compréhension de l’attachement et des modes d’observation et de
raisonnement systémiques, on peut essayer de cerner les aspects dynamiques
Comment s’attache-t-on dans un couple ? 95

des liens susceptibles de s’établir dans un couple en fonction des caractéristi-


ques de chacun des partenaires. Mais jusqu’à quel point les M.I.O individuels
construits dans le passé s’influencent-ils mutuellement dans les relations de
proximité durable que réalise la vie de couple ? Une continuité persiste-t-elle
pour chacun avec les attachements construits dans l’enfance ? Quelles sont les
caractéristiques relationnelles qui résultent de la rencontre des attachements
individuels ? Comment les autres aspects des liens du couple sont-ils influen-
cés par l’attachement ?
A) À partir de la rencontre amoureuse, la vie du couple se construit et
se stabilise par une série « d’ajustages émotionnels aboutissant à la création de
schémas transactionnels automatisés » (Dumas, 1997). Ces schémas sont peu
conscients, implicites. Ils garantissent la stabilité et la continuité des relations. Ils
aboutissent à une sorte de « mise en pilotage automatique ». Cela permet dans
les situations habituelles du quotidien un abaissement du niveau général de stress.
En d’autres termes se constitue ainsi une « base de sécurité du couple » (Byng-
Hall, 1995) dans laquelle chaque conjoint est suffisamment « lisible » et « pré-
visible » pour l’autre, suffisamment disponible et accessible en cas de besoin.
Tout au moins, il en sera ainsi dans les situations relationnelles sécures. Mais
bien évidemment, les ajustements émotionnels vont s’avérer plus délicats dans
les situations d’insécurité relationnelle.
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1) Les éventuels changements que peuvent connaître les M.I.O indivi-
duels dans la relation de couple dépendent de leurs qualités initiales.
Les M.I.O des attachements sécures fonctionnent comme des systèmes
ouverts (Talbot & McHall, 2003). Cela signifie qu’ils sont suffisamment sou-
ples et flexibles pour s’adapter aux apports extérieurs, et par conséquent aux
représentations d’attachement de l’autre.
À l’opposé, les M.I.O des attachements insécures fonctionnent comme
des systèmes fermés. L’insécurité éprouvée oblige dans ces cas à se protéger du
changement. Les M.I.O sont rigides, peu modifiables par des apports extérieurs
(Talbot & McHall, 2003). Les perceptions dans les expériences relationnelles ont
tendance à subir des distorsions afin d’être conformes aux représentations déjà
construites. On peut notamment repérer le mécanisme « d’exclusion défensive »
(Bowlby, 1978) selon lequel une personne écarte les informations non conformes
à ses représentations. Les stratégies relationnelles qui tendent à se mettre en place
visent alors à adapter le partenaire à ses propres besoins plutôt que l’inverse.
2) Dans ces conditions, les couplages des attachements individuels
peuvent avoir des résultats différents.
96 Michel Delage

En principe, deux partenaires « sécures » vont développer de bonnes


capacités d’adaptation l’un à l’autre. Ils ne sont cependant pas à l’abri de dif-
ficultés relationnelles, notamment s’ils sont soumis à des conditions d’exis-
tence adverses.
Les couplages « sécure »/« insécure » donnent des résultats variables.
Bien souvent le partenaire sécure adopte les modèles représentationnels insécu-
res de son partenaire en raison de la plus grande flexibilité de ses M.I.O (Miljko-
vitch, 2001, Miljkovitch & Cohin, 2007). Cette affirmation est toutefois à
nuancer en raison des autres paramètres qui interviennent dans la relation.
On peut finalement distinguer :
i - Des situations où les expériences négatives antérieures d’un partenaire
insécure sont en partie « corrigées » par l’attention apaisante d’un partenaire
sécure, de sorte que finissent par s’établir des relations intimes satisfaisantes et
un « scénario relationnel » (Byng-Hall, 1995) relativement sécure.
ii - Des situations où l’insécurité d’un partenaire l’emporte et érode le
sentiment de sécurité de l’autre, de sorte que les échanges sont alors souvent
insatisfaisants et que se mettent en place des « scénarios relationnels » domi-
nés par la répétition de scénarios connus dans le passé (famille d’origine) ou
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quelquefois aussi par des tentatives de correction des scénarios du passé, con-
duisant à des solutions dysfonctionnelles (Byng-Hall, 1995).
iii - Les couplages d’attachements insécures ne conduisent pas obliga-
toirement à la dysfonctionnalité. Les scénarios relationnels qui se mettent en
place présentent bien sûr des zones de vulnérabilité, mais une certaine fonc-
tionnalité est possible pour peu qu’un certain nombre de croyances et de repré-
sentations du monde soient suffisamment partagées par les deux partenaires ou
acceptées par l’un ou l’autre.
Ainsi un couple insécure préoccupé dans son style relationnel généra-
lisé présente une assez grande vulnérabilité au stress, mais se trouve capable
de développer un bon niveau de cohésion et de solidarité. De même, deux par-
tenaires insécures détachés sont en accord pour éviter les conflits, pour limiter
leurs engagements émotionnels et pour s’investir préférentiellement dans des
activités extrafamiliales.
3) Des différences comportementales et relationnelles sont aussi à con-
sidérer selon le genre (Feeney, 2003).
– La femme se montre en général plus sensible au climat relationnel que
l’homme. Peut-être faut-il y voir des différences culturelles, peut-être
Comment s’attache-t-on dans un couple ? 97

aussi une plus grande aptitude féminine à l’expression et au décodage


des émotions apprise au contact des bébés et des jeunes enfants. Quoi
qu’il en soit, elle montre dans le couple plus d’aptitude que l’homme
au soutien, au réconfort, à la sollicitude. Elle est plus attentive à l’insé-
curité éventuelle de son partenaire pourvu, bien sûr, qu’elle soit elle-
même suffisamment sécure.
– L’homme est susceptible de son côté de jouer un rôle apaisant mais de
manière différente, c’est-à-dire davantage dans l’accueil et l’accepta-
tion de l’insécurité de sa partenaire que dans un soutien actif. C’est par
la sérénité qu’il affiche, que l’homme peut-être apaisant, par sa capacité
aussi à résoudre les problèmes qui se posent à l’autre.
La plus grande sensibilité de la femme peut apparaître comme une res-
source. Mais des inconvénients sont possibles. En effet si la femme est plus
sensible à l’insécurité de l’autre, elle est aussi plus sensible à la sienne propre.
Elle peut par exemple interpréter la tranquillité d’un partenaire comme un
manque d’intérêt à son égard.
B) Les relations qu’entretiennent l’attachement romantique, l’attache-
ment filial et le système du caregiver amènent à considérer plusieurs cas de
figure si nous voulons bien retenir un modèle trigénérationnel. En effet, la
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qualité des relations conjugales est connectée pour une grande part à la qualité
des relations avec les parents et des soins prodigués aux enfants.
1) Lorsque ce sont les composantes sécures de l’attachement qui dominent,
les scénarios relationnels dans le couple sont bien dégagés et différenciés
des scénarios relationnels qui avaient cours dans les familles d’origine et
des rôles parentaux de caregivers auprès des enfants. On est capable
ainsi de maintenir des relations positives avec les figures d’attachement
de l’enfance, tout en les mettant en perspective avec les relations actuel-
les dans lesquelles c’est désormais le partenaire qui est devenu la figure
principale d’attachement. Par ailleurs, il est possible de maintenir à la fois
lié et différencié ce qui relève de la conjugalité et ce qui relève de la
parentalité. Ainsi, les partenaires du couple fonctionnent selon une bonne
alliance coopérative dans lequel chacun se sent suffisamment assuré dans
son rôle conjugal comme dans son rôle parental.
2) Lorsque dominent les modalités insécures d’attachement, les insatis-
factions de la relation romantique donnent lieu à des stratégies plus ou
moins complexes visant la régulation émotionnelle et la distance rela-
tionnelle, à la fois auprès du partenaire, de la famille d’origine, et éven-
tuellement de l’enfant.
98 Michel Delage

Ainsi, la figure d’attachement du partenaire apparaît comme plus ou


moins associée ou en compétition avec les figures d’attachement de l’enfance
auprès desquelles est maintenue une certaine dépendance (« attachement
anxieux préoccupé ») avec des risques de confusions et d’empiètements inter-
générationnels, ou un refus de la dépendance (« attachement évitant, détaché »)
avec des risques de clivage.
L’enfant de son côté peut être triangulé comme tiers régulateur des
insatisfactions émotionnelles dans le couple.
Parfois, c’est un tiers extérieur (le travail, les amis, une relation extra-
conjugale, etc.) qui joue ce rôle, spécialement dans les attachements évitants.
C) Les relations de l’attachement avec les autres composantes du lien
conjugal.
1. La vie sexuelle et amoureuse :
– Dans sa version sécure, l’attachement est ici associé à la combinaison de
deux composantes : l’une érotique, du côté de la passion et du narcis-
sisme, l’autre altruiste (Schaver et al., 1998) du côté de l’agapè (Pierre-
humbert, 2003) et de l’intérêt pour l’autre. Dans ces conditions se
développe entre les partenaires un amour serein, c’est-à-dire confiant.
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– Les insatisfactions peuvent résulter d’un engagement insuffisant du
partenaire. C’est le cas dans l’attachement évitant où domine la pro-
pension à dissocier le sexe de l’amour proprement dit, une certaine
appétence pour les relations éphémères et les relations extraconjuga-
les, surtout du côté masculin (Brennan & Schaver, 1995).
– Mais d’autres types d’insatisfactions se développent dans l’amour
anxieux, lorsque les partenaires attachés sur un mode insécure préoccupé
se montrent peu assurés dans la relation intime, dépendants, possessifs et
plus orientés vers des satisfactions « périphériques » (caresses, expres-
sions corporelles de la tendresse) que vers des comportements sexuels
clairement engagés (Feeney, 1999).
2. L’intersubjectivité :
Les attachements sécures permettent une bonne empathie, c’est-à-dire
une bonne compréhension de l’autre avec qui existe un bon partage émotion-
nel et cognitif.
– Les choses sont beaucoup moins satisfaisantes dans l’attachement
anxieux préoccupé. Dans ce cas en effet, les émotions ont tendance à être
lues par le partenaire à travers ses propres préoccupations, dans une
Comment s’attache-t-on dans un couple ? 99

relative confusion entre soi et l’autre. L’activité narrative est saturée


par la charge émotionnelle lorsque survient une situation stressante
difficilement intégrée à la vie psychique.
– Les attachements évitants de leur côté confrontent à des défauts de
mentalisation, tandis que les émotions du partenaire ont tendance à ne
pas être prises en compte.
En clinique, une bonne approche de la qualité intersubjective réside dans
l’exploration des conflits.
– Ceux-ci sont gérés positivement dans un couple où dominent les attache-
ments sécures. Cela signifie qu’il est possible de discuter, d’argumenter
en négociant avec le souci de trouver une solution, soit en acceptant
l’argumentation du partenaire et en se rangeant à son avis, soit en accep-
tant un compromis.
– Les désaccords sont gérés de façon négative lorsque dominent les atta-
chements anxieux préoccupés. Le désaccord exprimé par un parte-
naire est vécu par l’autre comme une atteinte à sa personne. Dans ces
conditions, le sujet du désaccord tend à être perdu de vue. L’objectif
n’est plus de résoudre un problème. Il est d’avoir raison. Du côté des
femmes, le conflit a tendance à s’amplifier quand leur anxiété vient
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rencontrer la tranquillité d’un homme sécure, car cette tranquillité est
interprétée comme une incapacité à comprendre. Le conflit ouvert peu
déboucher sur des colères, des menaces, le chantage, tandis que l’insé-
curité s’aggrave. Lorsque les deux partenaires ont des attachements
anxieux préoccupés, les hommes ont tendance à esquiver le conflit,
mais à ressentir un profond malaise et une détresse post-conflictuelle
(Feeney, 2003).

Dysfonctionnalité des attachements et blessures


d’attachement

Les vulnérabilités dans les aménagements relationnels peuvent s’exa-


cerber lors des changements nécessaires qu’imposent certaines épreuves de la
vie ou les différentes phases du cycle de vie.
A) Du côté de la dysfonctionnalité, on peut notamment décrire deux
types de situations fréquemment rencontrées.
1. La première concerne le maintien homéostatique d’une distance
excessive et insatisfaisante entre un partenaire qui cherche une relation de plus
grande proximité avec un autre partenaire qui vise l’éloignement. Ce style
100 Michel Delage

relationnel peut concerner un couple où les deux partenaires sont sécures,


mais dans lequel l’un vit des difficultés personnelles, tandis que l’autre, pour
des raisons diverses, n’est pas disponible et ne réponds pas aux besoins du
premier. Mais le plus souvent, cette situation se développe entre un partenaire
« insécure préoccupé » (dont l’anxiété éventuellement s’aggrave du fait de
certaines circonstances de l’existence), et un partenaire sécure qui se sent
attaqué par des demandes émotionnelles insistantes. À plus forte raison, cette
situation se rencontre dans un couple associant un partenaire « anxieux
préoccupé » et un partenaire « évitant, détaché ». On peut alors décrire des
patterns interactionnels qui se développent selon un scénario du trop près,
trop loin [too-close, too-far (Byng-Hall, 1997 ; Pistole, 1994)]. L’un exprime
des demandes émotionnelles qui activent chez l’autre la prise de distance, tan-
dis qu’ainsi, cette mise de distance active les demandes émotionnelles du pre-
mier. Chacun est activé dans ses caractéristiques attachementales et se trouve
finalement conforté dans ses représentations initiales 4. Le scénario relation-
nel ainsi mis en place (Byng-Hall, 1995) amène à recruter des tiers régula-
teurs de la danse du couple (enfant, famille d’origine du côté du partenaire
« préoccupé », partenaires extérieurs du côté de l’évitant).
2. Une deuxième situation est celle dans laquelle deux partenaires qui
ont construit entre eux un attachement dominé par l’anxiété oscillent entre le
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rapprochement et la mise à distance, parce que le trop près est ressenti finale-
ment comme insupportable, tandis que le trop loin entraîne une souffrance.
Les insatisfactions sont exprimées sur un mode revendicatif. De nombreuses
tentatives de réajustages émotionnels qu’on peut décrire en termes de « pous-
ser-tirer » (Pusch-Pull, Feeney, 2003) sont ponctuées de nombreuses disputes
et débouchent sur des échecs. Là aussi, des tiers sont recrutés comme régula-
teurs émotionnels (enfants et familles d’origine).
En thérapie, il est particulièrement intéressant d’amener les partenaires
d’un couple au constat que le scénario relationnel répète ou tente de corriger
les dysfonctionnalités construites dans le passé avec les impasses douloureu-
ses auxquelles elles conduisent dans le présent.
B) Les blessures d’attachement :
Elles peuvent concerner un des partenaires du couple ou les deux
ensemble.

4 On peut ici sans doute établir un pont avec la notion de double contrainte réciproque
(Elkaïm, 1989) lorsque dans le couple, chacun est pris dans des distorsions relation-
nelles entraînées par les contradictions entre les demandes explicites (le programme
officiel) et les croyances « élaborées dans le passé (la carte du monde).
Comment s’attache-t-on dans un couple ? 101

1. Des événements extérieurs peuvent constituer des situations graves


(deuil, traumatismes, maladies) qui viennent bousculer la base de sécurité indi-
viduelle et/ou de couple. Dans ces conditions, l’un des partenaires déjà en souf-
france se sent de surcroît insuffisamment reconnu, soutenu et réconforté par
l’autre. Quelquefois les deux partenaires sont chacun dans de telles souffrances
qu’ils ne parviennent pas à être attentifs l’un à l’autre, notamment en raison de
l’intensité de la douleur ou du caractère complexe et contradictoire des émo-
tions éprouvées. On peut, dans ces cas, retenir l’idée d’une déchirure de l’intime
du couple, c’est-à-dire un véritable traumatisme relationnel (Delage, 2008).
2. Mais on peut aussi évoquer la blessure d’attachement lorsque l’un
des partenaires s’est soudain senti abandonné ou trahi par l’autre à l’occasion
d’un malentendu survenu dans la relation. Il peut s’agir de certaines attitudes,
de réflexions perçues comme spécialement blessantes et humiliantes. Ces
blessures enfouies et non perçues par l’autre partenaire sont pourtant respon-
sables de blocages relationnels durables. En thérapie, elles sont souvent réé-
voquées quand elles surgissent avec une grande intensité émotionnelle, à la
manière d’un flash traumatique (Jonhson & Best, 2003).
On peut particulièrement comprendre en termes de blessures d’attache-
ment associées à une épreuve qui peut prendre un caractère traumatique, les
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dysfonctionnalités instaurées dans un couple après une IVG, lorsque la femme
n’a pas reçu de son compagnon l’attention et le réconfort souhaité. En tous
cas, la blessure chez un des partenaires devient le pivot d’une relation désor-
mais développée autour d’un sentiment de non-reconnaissance et d’injustice
chez l’un, de retrait et de mises à l’écart de demandes jugées excessives chez
l’autre.

Applications thérapeutiques :

1. Le travail avec les couples, lorsqu’il est centré sur l’attachement, nous
amène à nous préoccuper :
– du sentiment de sécurité ou d’insécurité dans le couple ;
– des stratégies relationnelles utilisées par les partenaires comme activa-
tion ou désactivation des besoins d’attachement (Blanchard, 2007). La
danse interactionnelle du couple peut être comprise ici à travers la com-
munication émotionnelle (Feeney, 2003) ;
– des connexions avec les attachements construits dans l’enfance. Ainsi
la thérapie vise des stratégies relationnelles dégagées des répétitions ou
des tentatives de corrections des scénarios d’origine dysfonctionnels.
102 Michel Delage

2. Une première conséquence de l’attention accordée à l’attachement


dans la conduite pragmatique des séances est de pouvoir opérer un recadrage
des plaintes respectives des partenaires en termes d’insécurité relationnelle,
de besoins émotionnels, d’attentes affectives insatisfaites introduisant ainsi à
une méta-communication et à un engagement plus constructif dans les échan-
ges. Dans ces conditions, le thérapeute peut apparaître comme une base de
sécurité suppléante et provisoire à partir de laquelle sont explorés les besoins
de chacun des partenaires.
3. Le modèle de Jonhson intitulé « Emotionally focused couple therapy
(E.F.T) » propose une intervention thérapeutique structurée en neuf étapes qui
peuvent être regroupées en trois phases (Jonhson, 2002 ; Jonhson et Best, 2003).
Nous pouvons en rapprocher le travail en trois étapes que nous avons retenu
dans les thérapies familiales centrées sur l’attachement (Delage et al., 2006) et
applicables aux couples (Delage, 2005).

– Ainsi, dans le modèle de Jonhson, la première phase vise à établir l’apai-


sement des insécurités. À partir de son obtention, les partenaires sont
encouragés à explorer leurs représentations (M.I.O), leurs besoins d’atta-
chement, et à mieux accepter les attentes du partenaire : des questionnai-
res d’auto-évaluation comme ceux évoqués plus haut peuvent aider à ce
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travail. De même intervient ici la capacité du thérapeute à constituer une
base de sécurité (Byng-Hall, 1995) à reformuler et mettre en récits cohé-
rents et centrés sur les attachements (Byng-Hall, 1997) les apports res-
pectifs de chacun notamment à partir de leur histoire personnelle.
– Cela correspond dans notre propre modèle à la phase de travail sur les
insécurités relationnelles.
– Un moment clef est ici l’attention empathique apportée aux personnes
qui ont construit un attachement détaché (Jonhson, 2002 ; Blanchard,
2007). D’un côté, il est alors possible qu’ils se réengagent plus active-
ment dans la relation avec le partenaire, tandis que d’un autre côté,
celui-ci assouplit ses revendications.
– La deuxième phase concerne ce que nous avons appelé la période
« sensible » (Delage, Cyrulnik et al., 2006). Elle coïncide dans le modèle
de Jonhson avec le travail sur l’engagement émotionnel. L’utilisation de
la métaphore et d’objets médiateurs telles les sculptures de couple sont
ici du plus grand intérêt, permettant bien souvent une mobilisation émo-
tionnelle intense ouvrant à de possibles changements.
Comment s’attache-t-on dans un couple ? 103

– La troisième phase est celle qui, dans le modèle de Jonhson, permet


l’intégration des changements amorcés lors de la phase précédente.
Nous l’intitulons dans notre propre modèle la phase des élaborations,
c’est-à-dire de la construction de nouvelles représentations permises
par les mobilisations émotionnelles de la phase précédente. Une nou-
velle activité narrative peut alors se développer au sein du couple, ainsi
que des réajustages de la distance relationnelle.

Conclusion

Tout au long de notre vie, nous avons besoin de nous savoir attachés.
C’est même peut-être pour cela que nous cherchons à vivre en couple. En
général, la proximité physique et psychique d’un partenaire nous protège et
augmente notre sentiment de sécurité. Mais quand il arrive que l’inverse se
produise, la connaissance des caractéristiques d’attachement donne une con-
sistance nouvelle aux patterns transactionnels observés et aide la thérapie
dans le sens d’un travail sur les émotions pour chacun des partenaires et pour
tous les deux ensemble. Il devient possible d’aller des relations aux repré-
sentations et des représentations à une mobilisation émotionnelle à partir de
laquelle, dans un mouvement inverse, il s’agit de construire de nouvelles
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représentations et des stratégies relationnelles plus harmonieuses.

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