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Pierre Goguelin
Dans Négociations 2005/1 (no 3), pages 149 à 170
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1780-9231
ISBN 2-8041-4736-3
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INTRODUCTION
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4. Epargné : servus en latin, d’où, plus tard les serfs du haut Moyen Age en France.
5. Labor signifie travail, fatigue, peine, et, plus, souffrance et douleur. Voir dans Le management
psychologique des organisations, t. I, l’étymologie du mot français travail.
6. Au sens où nous parlons encore des règles de l’art.
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intermédiaire, etc.). Mais une affaire, c’est ce qu’on a à faire, ce qu’on doit
faire, ce qu’il est parfois difficile de faire ; cette occupation n’est pas celle de
l’otium du patricien. C’est cet état de non-loisir (nec : non, otium : loisir) mais
sans travail manuel7 qui se représente par le mot negotium qui caractérise
cette « bourgeoisie d’affaires »8.
Qu’il s’agisse d’affaires publiques ou d’affaires privées, il faut concilier des
besoins, des désirs, des intérêts divergents ; il faut donc négocier, ou bien
pour établir, régler un accord entre deux parties (négocier une affaire) – d’où
négociation et négociateur – ou bien pour faire du commerce (en réalisant des
accords fournisseur-client) – d’où négociation et négociant.
7. Travail manuel jugé d’autant plus servile que l’accroissement du nombre des esclaves est tel que,
vers le IIIe siècle après J.-C., le plébéien sera dispensé de tout travail et recevra gratuitement sa
nourriture et les jeux du cirque (panem et circenses, Juvenal, Satyres).
8. On peut comparer avec intérêt l’évolution du monde romain et celle de la société française du haut
Moyen Age à nos jours.
9. Cf. en latin negotia, pluriel de negotium : les affaires.
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mais non de marchandises qui sont rejetées sur le négoce et le négociant qui
fait commerce (du latin merx : la marchandise en elle-même).
Au Robert de 1978, nous retrouvons la même différence : le négociateur
est une personne ou un agent diplomatique chargé de négocier une affaire, un
traité, un accord. A négociation, il rappelle d’abord le sens ancien d’action de
faire du commerce en lui opposant le sens moderne de transmission des
effets de commerce. La négociation, écrit-il, désigne depuis 1544, « une série
d’entretiens, d’échanges de vues, de démarches qu’on entreprend pour par-
venir à un accord, pour conclure une affaire ». Plus spécifiquement, c’est « un
échange de vues, soit entre deux puissances par l’intermédiaire de leurs
agents diplomatiques, ou envoyés spéciaux et de leur gouvernement, soit
entre plusieurs puissances au cours de congrès ou de conférences, en vue
d’aboutir à la conclusion d’un accord ». Il précise que la négociation est un
moyen d’action politique par opposition à la force, à la guerre.
En droit international, le Larousse du XXe siècle écrit : « Le droit de négo-
cier, qui est la première partie du droit de traiter, appartient aux États indépen-
dants et souverains ».
Enfin, H. Touzard écrit10 à propos des conflits du travail : « Chaque partie
envoie des représentants avec le but de défendre les positions de leur orga-
nisation et d’arriver à une solution acceptable pour les deux camps ».
Nous pouvons donc tirer, d’ores et déjà, plusieurs conclusions. Toute
négociation implique :
– qu’il existe au moins deux camps ;
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10. Hubert TOUZARD, dans Sociologie du travail, « La médiation dans les conflits du travail », Paris,
Le Seuil, p. 91-102.
11. Ainsi un salarié, subordonné de son patron peut discuter de son salaire avec ce dernier, mais il
n’est pas en position de négocier. Par contre, un groupement de salariés (syndicat) peut négocier
les salaires avec le patron. De même, l’expression « négocier les objectifs » dans la direction
participative par objectifs, est partiellement un leurre.
12. Si les deux camps ont privilégié la guerre et qu’il y ait un vaincu, celui-ci ne peut négocier un
armistice, mais, une fois l’armistice signé, il peut négocier les conditions du règlement définitif.
13. Guy SERRAF, « La négociation et ses niveaux » dans Revue française de marketing, n°15, 2ème
trimestre 1965, p. 33-51.
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– qu’ils soient implicitement d’accord pour trouver une solution qui sera un
compromis et entraînera un déplacement de l’équilibre antérieur ;
– qu’ils soient au moins implicitement d’accord pour mettre en acte la solu-
tion négociée.
Le schéma d’une négociation pourrait être :
Par champ sémantique d’un mot, nous entendons le graphe des mots aux-
quels un dictionnaire (ici Le Robert) renvoie lorsqu’on cherche à ce mot. Par
exemple, négocier envoie à discuter qui renvoie à négocier : la liaison est bila-
térale, c’est-à-dire que négocier implique que l’on discute et discuter est une
des composantes de négocier. Sur la figure 1, les liaisons bilatérales qui signi-
fient que, dans de nombreux cas, un des deux mots peut être substitué à
l’autre dans une phrase, sont en trait plein. Mais si négocier implique de régler
14. Nous avons choisi le champ de négocier car il est plus riche que celui de négociation, en tant
qu’acte de négocier.
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une affaire, on peut aussi la régler sans négocier d’où une liaison unilatérale
matérialisée par une flèche en pointillé.
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L’accord, écrit Le Robert, est « l’état qui résulte d’une communauté ou d’une
conformité de pensées, de sentiments » ; comme on le voit, ce n’est sûrement
pas le cas. « Un accord », continue Le Robert, « est un arrangement entre
ceux qui se mettent d’accord ». Sur le champ sémantique d’accord (fig.2),
nous constatons qu’arrangement envoie à accord qui renvoie à arrange-
ment... ce qui maintient toute l’ambiguïté.
L’examen plus complet de ce champ nous réserve une première
surprise : le graphe d’accord n’a pas de liaison directe avec négociation, ni
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16. En rappelant que le sens ancien d’entendre est comprendre. Il y a entente si les deux adversai-
res se sont compris, c’est-à-dire s’ils ont bien pris la même chose ensemble.
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17. En rappelant que pacte, qui vient de pax : la paix en latin, désigne une convention de caractère
solennel. On est passé du conflit à la paix en évitant le recours à la force, à la guerre, ce qui nous
ramène à la définition de la négociation.
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18. Par exemple on va « renégocier » telle convention collective, telle convention salariale, etc.
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NÉGOCIATION ET PERSUASION
Nombreux sont ceux qui pensent que, dans une négociation, il s’agit de per-
suader l’autre camp.
Persuader vient du latin per-suadere, per renforçant le sens de suadere :
conseiller. On persuade une personne (Le Robert) lorsqu’on « l’amène à
croire, à penser, à vouloir, à faire quelque chose par une adhésion complète
(sentimentale autant qu’intellectuelle) ».
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Nous avons jusqu’à présent considéré qu’il y avait au moins deux camps en
conflit, mais nous n’avions pas examiné comment se présentait structurelle-
ment la négociation. Le schéma général est alors :
Un cas particulier est celui où il y aurait plusieurs camps, avec des sché-
mas du type 8 si chaque camp ne comporte qu’une personne, ou du type 9 si
chaque camp comporte par exemple 3 personnes.
Ce cas est différent des deux précédents (schémas 6 et 7) car on peut voir
se développer des stratégies d’alliance temporaire entre certains camps pour
obtenir tel ou tel avantage particulier.
Ces trois grandes structures de négociation ont en commun une donnée
fondamentale : chacun y parle directement, en son nom. Nous les appelle-
rons Négociations directes, même si chaque camp se fait assister d’un ou
plusieurs conseillers, à condition que ceux-ci n’interviennent pas directe-
ment dans le débat.
Si au moins une des parties ne se sent pas la compétence ou la force de
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1 LE CONCEPT DE CONCILIATION
21. Autrement dit, s’il y a médiation, alors il peut y avoir arbitrage, mais s’il y a arbitrage il ne peut y
avoir médiation.
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2 LE CONCEPT D’ARBITRAGE
Arbitrage vient du latin arbiter, à la fois témoin (cf. le conciliateur) et juge entre
les parties (l’arbitre d’un match)22. Arbitrer, sur le champ sémantique de la
figure 2, renvoie à décider et à trancher. Pour Le Robert, l’arbitrage est « le
règlement d’un différend ou la sentence rendue par une ou plusieurs person-
nes auxquelles les parties ont décidé, d’un commun accord, de s’en
remettre ». L’arbitre est, en droit, « la personne désignée pour trancher un
différend, un litige » ; il peut être nommé par une tierce instance sur la
demande des parties ; il est aussi « celui que son autorité désigne pour con-
cilier des intérêts opposés ». H. Touzard (op.cit.) définit l’arbitrage comme
22. D’où arbitre, arbitrer, arbitrage, mais aussi arbitraire, c’est-à-dire qui dépend de la décision du
seul juge et qui, progressivement, a pris une valeur péjorative.
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« négociation »23 conduite par un arbitre, à savoir une tierce personne neutre,
qui, après audition des deux parties en présence, prend une décision qui les
lie toutes les deux et qu’elles auront à respecter ».
Le schéma simple d’un arbitrage pourrait distinguer trois phases :
3 LE CONCEPT DE MÉDIATION
23. Ce qui paraît inexact car l’arbitrage a généralement lieu lorsque la négociation a échoué.
24. L’image la plus naïve du médiateur est celle de celui qui s’interpose entre deux adversaires pour
les empêcher de se battre.
25. Même remarque que pour l’arbitrage sur l’inadéquation du mot.
26. En droit international, il est souvent appelé « Monsieur bons offices ».
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On constate qu’en principe, tout passe par le médiateur qui, à la limite, fait la
navette entre A et B sans que A et B discutent directement, ce qui établit de
la souplesse dans les relations A B (cf. la conférence de Madrid, suite à la
médiation des États-Unis entre Israël et les Palestiniens). D’une autre façon,
si la médiation n’est pas une négociation, elle est l’articulation de deux négo-
ciations, l’une de A avec le médiateur27, l’autre du médiateur avec B, jusqu’au
moment où les points de vue de A et B se sont suffisamment rapprochés pour
qu’ils puissent accepter un dialogue plus direct.
Il est alors possible que le médiateur, A et B s’assoient autour de la même
table : le schéma 14 décrit cette situation où le médiateur est devenu l’anima-
teur neutre d’une réunion-discussion en étude de problème avec A et B.
27. Voir en France, le médiateur chargé du rapprochement entre l’administration et les administrés.
28. Nous disons bien règlement, car on ne résout pas un conflit, on le règle. Par contre, on résout
un problème, mais on ne le règle pas.
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31. Cf. la même idée, défendue par MacGregor à propos des systèmes en théorie X et des systèmes
en théorie Y, dans Le Management psychologique des organisations, op. cit., t. II. p. 9.
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ticipe, les causes des dysfonctionnements. Ceci est non moins vrai pour le
management à courte vue, au jour le jour, car la négociation engendre des
compromis, générateurs de conflits larvés, qui, tôt ou tard, deviennent
ouverts ; alors on négocie à nouveau... sans fin prévisible. Il est curatif et ne
traite que les symptômes. Ceci est tout aussi vrai pour le management autori-
taire car la moindre incartade du vaincu (et seul le subordonné peut l’être) doit
être écrasée. Le manager autoritaire a toujours raison, nie les réalités qui lui
déplaisent et dépense son énergie à étouffer les symptômes qui refont pério-
diquement surface. Tout à fait à droite de la figure 6, en sortant du domaine
des organisations, nous trouvons les systèmes de gouvernement totalitaires
qui éliminent les opposants et engendrent guerre sur guerre jusqu’à leur dé-
faite totale.