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Le concept de négociation

Pierre Goguelin
Dans Négociations 2005/1 (no 3), pages 149 à 170
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1780-9231
ISBN 2-8041-4736-3
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Le concept de négociation1
Pierre L.G. Goguelin

INTRODUCTION

Le champ d’application du mot négociation s’est développé au cours des der-


nières années. Il s’applique d’abord aux rapports entre les hommes ayant des
intérêts différents et cherchant à établir entre eux une situation d’entente, de
non-conflit. La théorie des jeux l’a étendu au domaine des rapports entre
l’homme et la nature, considérée comme un adversaire doté de mauvaises
intentions à son égard. Le langage quotidien a consacré cette extension : ne
disons-nous pas, par exemple, que tel conducteur a bien - ou mal – négocié
son virage2 ?
Nous allons, au cours de ce premier chapitre nous attacher à cerner le
concept de négociation depuis son sens originel et à en montrer les limites,
tant en ce qui concerne les techniques utilisées, que leur efficacité.

ORIGINE ET HISTOIRE DU MOT NÉGOCIATION


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Nous sommes dans la Rome antique, vers les années 700 avant J.-C. Une
centaine de familles de guerriers, en provenance d’au moins trois
« envahisseurs » successifs, ont décidé de faire la paix et viennent de fonder
la ville de Rome. Chacune de ces familles, qui possèdent les terres et les
chevaux, a son « grand ancêtre » d’origine quasi divine, son « pater », dont la
descendance porte le nom et constitue une « gens ». L’ensemble de ces
« gens » forme la caste des « patriciens » qui n’ont aucune activité productive,
mais gèrent, administrent la cité (sénateurs) en occupant les postes de
magistrature3.
A côté des patriciens, la deuxième caste est constituée des membres des
tribus (quatre tribus urbaines et trente tribus rustiques). Ils assument toutes les

1. Extraits du chapitre 1 de l’ouvrage de Pierre Goguelin, La négociation : frein et moteur du mana-


gement, publié en 1993 aux éditions ESF. Nous remercions cet éditeur pour son aimable autori-
sation de reproduction.
2. A l’origine, anglicisme : to negociate a curve qui est même maintenant utilisé au sens figuré… en
politique par exemple.
3. Littéralement, magistratus : celui qui a la maîtrise (du peuple).

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tâches de production artisanale et agricole et constituent la plèbe. Les plé-


béiens n’ont aucun droit civil et pas d’état civil, mais ils sont des hommes libres
(liber) et ont le droit de posséder.
En 578 avant J.-C., Servius Tullius décide que les plébéiens riches
seraient considérés comme citoyens, au même titre que les patriciens.
Enfin apparut une troisième caste : les peuples vaincus par Rome et qui
n’avaient pas été exterminés au cours ou après la bataille, c’est-à-dire qui
avaient été épargnés4, devenaient esclaves. Ils sont des objets, appartenant
à leur vainqueur ou à ceux qui les achètent. Ils accomplissent les travaux
domestiques et de divertissement, mais aussi, parfois, les travaux physique-
ment pénibles5.
L’esclave peut être affranchi (libertus), mais il reste jusqu’à sa mort sous
le « patronat » de son ancien maître. Les enfants d’esclaves sont eux-mêmes
esclaves alors que les enfants d’affranchis deviennent des citoyens libres.
Le schéma suivant résume la situation :

Au départ donc, les praticiens ne travaillent pas, mais occupent de droit


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les plus hauts postes de la vie administrative, juridique, religieuse et politique
de la cité alors que les plébéiens effectuent les activités productives. Opus
désigne l’œuvre et le travail au sens le plus général (manuel et mental)
d’exécution. A la base, on trouve les manœuvres et les ouvriers non qualifiés
(operarius), et, au-dessus, ceux (artifex) qui possèdent une habileté profes-
sionnelle et pratiquent un métier, un art6 : les artisans, les auteurs, les artistes.
Il y a aussi les commerçants (mercator). Les très riches plébéiens ont assez
rapidement un niveau de vie analogue à celui de bien des patriciens mais ces
derniers possèdent leurs propriétés terriennes qui leur permettent de vivre en
disposant de leur temps, en décidant de faire ce qui leur plaît et d’éviter ce qui
leur déplaît : c’est ce que les Romains appelaient otium, c’est-à-dire l’état de
loisir, de repos. Le riche plébéien « ne se salit plus les mains », il n’est plus
dans les activités manuelles productives, il entre dans les affaires publiques
(petite magistrature, fonction publique, etc.) ou dans les affaires privées (acti-
vités économiques et financières : banque, commerce en gros, immobilier,

4. Epargné : servus en latin, d’où, plus tard les serfs du haut Moyen Age en France.
5. Labor signifie travail, fatigue, peine, et, plus, souffrance et douleur. Voir dans Le management
psychologique des organisations, t. I, l’étymologie du mot français travail.
6. Au sens où nous parlons encore des règles de l’art.

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intermédiaire, etc.). Mais une affaire, c’est ce qu’on a à faire, ce qu’on doit
faire, ce qu’il est parfois difficile de faire ; cette occupation n’est pas celle de
l’otium du patricien. C’est cet état de non-loisir (nec : non, otium : loisir) mais
sans travail manuel7 qui se représente par le mot negotium qui caractérise
cette « bourgeoisie d’affaires »8.
Qu’il s’agisse d’affaires publiques ou d’affaires privées, il faut concilier des
besoins, des désirs, des intérêts divergents ; il faut donc négocier, ou bien
pour établir, régler un accord entre deux parties (négocier une affaire) – d’où
négociation et négociateur – ou bien pour faire du commerce (en réalisant des
accords fournisseur-client) – d’où négociation et négociant.

LE SENS DU MOT EN FRANÇAIS MODERNE

Repartons du latin negociatio qui désigne en premier sens le négoce et les


affaires de banque, en second le commerce et le trafic, et de negociator ou
negotians qui désignent en premier lieu le négociant, l’homme d’affaires,
l’entrepreneur, le banquier, voire le spéculateur, en second lieu le marchand,
le commerçant, voire le trafiquant, et, en troisième lieu, l’agent, l’intermé-
diaire.
Négoce apparaît en français dès le XIIe siècle, au pluriel (négoces)9, au
sens des affaires. Négocier apparaît au XIVe siècle au sens de faire du com-
merce, négociateur au sens de régisseur et négociation au sens d’affaires. Au
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XVIe siècle, négoce au singulier désigne « une affaire », un trafic, un com-
merce, d’où négociant ; négociation prend alors le sens d’action de s’entre-
mettre.
Les sens de négociant et de négociateur vont rester très voisins jusqu’au
siècle dernier. Le Larousse de 1923 en deux volumes établit clairement la
différence : est négociant celui qui fait le commerce alors que le négociateur
est « celui qui négocie une affaire considérable auprès d’un Prince ou d’un
État, et, par extension, celui qui négocie une affaire quelconque ». A propos
de négociation, il parle de « l’art de mener à bien les grandes affaires, les affai-
res publiques, de l’action de vendre ou de transmettre à un autre des effets de
commerce ou des lettres de change, enfin des rapports de deux ou plusieurs
États qui veulent traiter d’un acte ou d’une affaire ». On peut noter que la
négociation se produit à un niveau élevé, éventuellement à propos d’espèces,

7. Travail manuel jugé d’autant plus servile que l’accroissement du nombre des esclaves est tel que,
vers le IIIe siècle après J.-C., le plébéien sera dispensé de tout travail et recevra gratuitement sa
nourriture et les jeux du cirque (panem et circenses, Juvenal, Satyres).
8. On peut comparer avec intérêt l’évolution du monde romain et celle de la société française du haut
Moyen Age à nos jours.
9. Cf. en latin negotia, pluriel de negotium : les affaires.
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mais non de marchandises qui sont rejetées sur le négoce et le négociant qui
fait commerce (du latin merx : la marchandise en elle-même).
Au Robert de 1978, nous retrouvons la même différence : le négociateur
est une personne ou un agent diplomatique chargé de négocier une affaire, un
traité, un accord. A négociation, il rappelle d’abord le sens ancien d’action de
faire du commerce en lui opposant le sens moderne de transmission des
effets de commerce. La négociation, écrit-il, désigne depuis 1544, « une série
d’entretiens, d’échanges de vues, de démarches qu’on entreprend pour par-
venir à un accord, pour conclure une affaire ». Plus spécifiquement, c’est « un
échange de vues, soit entre deux puissances par l’intermédiaire de leurs
agents diplomatiques, ou envoyés spéciaux et de leur gouvernement, soit
entre plusieurs puissances au cours de congrès ou de conférences, en vue
d’aboutir à la conclusion d’un accord ». Il précise que la négociation est un
moyen d’action politique par opposition à la force, à la guerre.
En droit international, le Larousse du XXe siècle écrit : « Le droit de négo-
cier, qui est la première partie du droit de traiter, appartient aux États indépen-
dants et souverains ».
Enfin, H. Touzard écrit10 à propos des conflits du travail : « Chaque partie
envoie des représentants avec le but de défendre les positions de leur orga-
nisation et d’arriver à une solution acceptable pour les deux camps ».
Nous pouvons donc tirer, d’ores et déjà, plusieurs conclusions. Toute
négociation implique :
– qu’il existe au moins deux camps ;
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– que ces deux camps soient souverains et indépendants, l’un de l’autre11 ;
– qu’il y ait un certain équilibre conflictuel, une certaine tension entre les
deux camps, liée à des intérêts posés comme divergents ;
– que les deux camps préfèrent s’en remettre à la discussion plutôt qu’à la
force pour trouver une solution 12 : négocier, c’est « ignorer les solutions
du type tout ou rien pour rechercher un compromis acceptable pour
tous »13 ;
– qu’une interaction constante soit possible entre les deux camps ;

10. Hubert TOUZARD, dans Sociologie du travail, « La médiation dans les conflits du travail », Paris,
Le Seuil, p. 91-102.
11. Ainsi un salarié, subordonné de son patron peut discuter de son salaire avec ce dernier, mais il
n’est pas en position de négocier. Par contre, un groupement de salariés (syndicat) peut négocier
les salaires avec le patron. De même, l’expression « négocier les objectifs » dans la direction
participative par objectifs, est partiellement un leurre.
12. Si les deux camps ont privilégié la guerre et qu’il y ait un vaincu, celui-ci ne peut négocier un
armistice, mais, une fois l’armistice signé, il peut négocier les conditions du règlement définitif.
13. Guy SERRAF, « La négociation et ses niveaux » dans Revue française de marketing, n°15, 2ème
trimestre 1965, p. 33-51.

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– qu’ils soient implicitement d’accord pour trouver une solution qui sera un
compromis et entraînera un déplacement de l’équilibre antérieur ;
– qu’ils soient au moins implicitement d’accord pour mettre en acte la solu-
tion négociée.
Le schéma d’une négociation pourrait être :

à condition de préciser qu’il ne s’agit pas là du schéma d’une communication


entre un émetteur A et un récepteur B, où la flèche B ➔ A serait le canal
feedback de la communication (cf. Le management psychologique, op. cit.
t. II, p. 18). Ici chacun joue pour soi et il peut n’y avoir aucun rapport entre le
contenu de la liaison A ➔ B et celui de la liaison B ➔ A. B peut même, par
exemple, changer brusquement de sujet pour déstabiliser son adversaire A.
Ajoutons enfin que la négociation ne s’opère pas toujours directement
entre tous les membres des deux camps (cela risquerait d’être la guerre),
mais, soit par le canal de leurs chefs, soit par celui de négociateurs nommés
par chaque camp. Ces représentants, ces intermédiaires donnent de la sou-
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plesse à la négociation et ouvrent aux jeux de stratégie : ils peuvent, à tout
moment, se retrancher derrière l’insuffisance de leur délégation de pouvoir,
demander à consulter leurs mandants (leur « base »), voire être désavoués
par ces derniers.

LE CHAMP SÉMANTIQUE DE NÉGOCIER14

Par champ sémantique d’un mot, nous entendons le graphe des mots aux-
quels un dictionnaire (ici Le Robert) renvoie lorsqu’on cherche à ce mot. Par
exemple, négocier envoie à discuter qui renvoie à négocier : la liaison est bila-
térale, c’est-à-dire que négocier implique que l’on discute et discuter est une
des composantes de négocier. Sur la figure 1, les liaisons bilatérales qui signi-
fient que, dans de nombreux cas, un des deux mots peut être substitué à
l’autre dans une phrase, sont en trait plein. Mais si négocier implique de régler

14. Nous avons choisi le champ de négocier car il est plus riche que celui de négociation, en tant
qu’acte de négocier.
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une affaire, on peut aussi la régler sans négocier d’où une liaison unilatérale
matérialisée par une flèche en pointillé.
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Ce champ sémantique nous montre que le concept de discuter est cen-
tral et couvre tout un ensemble de modalités, dont la négociation propre-
ment dite.
Le champ restreint de négocier, c’est le « rectangle » négocier, traiter, dis-
cuter, parlementer, qui présente une liaison forte avec « opérer une
tractation » (nous avons écrit « tracter » sur la figure, ce qui est un néolo-
gisme) et deux implications relatives au sens le plus ancien : négocier peut
impliquer commercer et transmettre des effets de commerce. On notera, détail
amusant, que traiter implique aussi « soigner et régaler », ce qui marque,
dans la langue française, l’intérêt pour chaque camp de bien traiter l’autre par-
tie, à table15 ou ailleurs.
Mais traiter, discuter peut se réduire à agiter (des idées), à débattre, voire
marchander, à conférer, à parler, à causer... activités un peu brouillonnes de

15. « Entre la poire et le fromage ».



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conversations de salon. Celles-ci peuvent s’organiser sous la forme d’exami-


ner ou de critiquer pour étudier et analyser le problème (étude de problème en
groupe). Critiquer et examiner peuvent aussi conduire à juger, voire blâmer,
donc à porter des jugements de valeur.
Enfin, la discussion peut s’organiser autour des divergences : on va con-
tester les positions de l’autre, se lancer dans des controverses en argumen-
tant. C’est ce qui se passe en situation de conflit lorsque chacun des camps
se sent incapable de faire évoluer l’autre pour des raisons qu’il ne connaît
pas... Cela peut tourner au dialogue de sourds, nous en trouverons plus loin
un exemple. (...)

UNE NÉGOCIATION NE SE TERMINE JAMAIS


PAR UN VÉRITABLE ACCORD

L’accord, écrit Le Robert, est « l’état qui résulte d’une communauté ou d’une
conformité de pensées, de sentiments » ; comme on le voit, ce n’est sûrement
pas le cas. « Un accord », continue Le Robert, « est un arrangement entre
ceux qui se mettent d’accord ». Sur le champ sémantique d’accord (fig.2),
nous constatons qu’arrangement envoie à accord qui renvoie à arrange-
ment... ce qui maintient toute l’ambiguïté.
L’examen plus complet de ce champ nous réserve une première
surprise : le graphe d’accord n’a pas de liaison directe avec négociation, ni
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aucun des mots du champ de négociation (fig.1) sauf traiter et traité. Par
contre, en descendant du haut vers le bas de la figure, selon les cinq
« strates » de 1 à 5, nous trouvons d’abord aux strates 1 et 2 : arbitrage,
médiation et conciliation qui sont des situations particulières de résolution
de conflit, souvent considérées comme proches de la négociation, mais qui,
nous le verrons, sont de natures très différentes. La strate 3 (accommode-
ment, arrangement, composition, concession) qui conduit à une transaction,
à un compromis entre les parties, serait la strate la plus proche de ce qui se
passe au cours d’une négociation, mais on n’y trouve pas ce mot. La strate 4
nous montre que la transaction, le compromis, peuvent déboucher sur un
concordat, sur un accord et sur la concorde, trois mots dans l’étymologie
desquels on retrouve le mot cœur, et, de là, sur une entente16. Aussi faut-il
sans doute considérer l’accord comme découlant de l’acceptation d’une
solution que l’on ne peut refuser sans se retrouver dans une situation pire
(voir plus loin la notion de paire ou point d’équilibre dans la théorie des jeux).
Enfin, nous passons à la strate 5 qui marque la conclusion écrite de l’entente
(déjà présente dans concordat) : il y a une convention, un traité, un contrat,

16. En rappelant que le sens ancien d’entendre est comprendre. Il y a entente si les deux adversai-
res se sont compris, c’est-à-dire s’ils ont bien pris la même chose ensemble.
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un pacte17, voire un marché (retour au neg-otium), un échange, un achat,


une vente. La convention et le traité impliquent l’engagement des deux
parties.
Ainsi, la négociation est sous-jacente à tout ce graphe mais n’y figure pas.
Il serait d’une grande naïveté de croire qu’une négociation conduit à un accord

17. En rappelant que pacte, qui vient de pax : la paix en latin, désigne une convention de caractère
solennel. On est passé du conflit à la paix en évitant le recours à la force, à la guerre, ce qui nous
ramène à la définition de la négociation.

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au sens profond du mot. S’il y a concessions plus ou moins mutuelles, chaque


partie regrettera ce qu’elle a dû concéder et ne se privera pas de le récupérer
si, un jour, elle le peut. Ainsi une négociation fait-elle partie d’un processus
d’évolution sans fin prévisible, car il n’y a pas un accord, une entente qui scel-
lerait une situation18.
Nous manquons d’un mot dans la langue pour désigner cet état transitoire
de paix apparente dans un continuum de conflit. Pourtant, nous distinguons
bien un mariage d’amour où le cœur décide, d’un mariage de raison, où l’inté-
rêt immédiat des deux partenaires est la motivation essentielle. Le pire est que
ce mot existait au XIe siècle : au lieu d’être accœur et de s’accorder, on pou-
vait s’arraisonner, d’où arraisonnement qui a perdu son sens primitif de par-
venir à une solution raisonnable, acceptable par toutes les parties. Entendre
raison signifie bien en français moderne, acquiescer à ce qui est juste.

LA NÉGOCIATION EN TANT QUE PROCESSUS


DE RÈGLEMENT DES CONFLITS

Nous avons vu que la négociation est la voie de sortie pacifique lorsqu’il y a


conflit entre deux camps (ou plus). Le champ sémantique du mot conflit (fig.3)
va nous renseigner sur les moyens, pour les deux camps, de sortir d’une situa-
tion conflictuelle. En partant de la ligne « horizontale » lutte ↔ conflit ↔ hostilité,
trois voies de solution sont envisageables d’après ce graphe :
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– la première, vers le bas, consiste à recourir à la force : conflagration,
guerre, bagarre, heurt, combat et tout ce qui s’y raccroche. C’est la posi-
tion autocratique et dictatoriale ;
– la seconde, vers le haut gauche, concerne l’« acceptation » des règles
pacifiques de la compétition, de la concurrence : « Que le meilleur
gagne ! ». C’est la position libérale, le bras de fer sans recourir aux
armes ;
– la troisième, vers le haut droit, constate les positions antagonistes, les
oppositions, les dissensions et désaccords, les disputes et l’on va s’en
remettre à la discussion (cf. le graphe de la fig. 1), avec deux modalités pour
en sortir : l’étude du problème en commun (tendance pragmatique rationa-
liste) ou la négociation (tendance de l’organisation sociale concertée).
La négociation est donc un des quatre moyens de sortir d’un conflit. S’il
nous fallait classer ces quatre moyens au nom de nos préférences personnel-
les, nous placerions, en premier l’étude du problème en réunion-discussion ;
en second, la définition et l’acceptation d’une règle de compétition ; en troi-

18. Par exemple on va « renégocier » telle convention collective, telle convention salariale, etc.
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sième position, la négociation ; enfin, en quatrième position, le recours à la
force qui ne règle jamais les problèmes : les guerres répétitives entre les
nations en sont les exemples de parfaite inefficacité.

NÉGOCIATION ET PERSUASION

Nombreux sont ceux qui pensent que, dans une négociation, il s’agit de per-
suader l’autre camp.
Persuader vient du latin per-suadere, per renforçant le sens de suadere :
conseiller. On persuade une personne (Le Robert) lorsqu’on « l’amène à
croire, à penser, à vouloir, à faire quelque chose par une adhésion complète
(sentimentale autant qu’intellectuelle) ».

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Non seulement, en fonction de ce qui précède, il est clair q’une négocia-


tion ne conduit jamais à une adhésion complète, sentimentale autant qu’intel-
lectuelle, mais encore le sens même d’« amener l’autre à » modifie complè-
tement le schéma d’une négociation. En effet, la négociation implique deux
camps en interaction permanente et, a priori, de « force » sensiblement équiva-
lente ; autrement dit, le schéma 2 est celui d’une négociation (cf. ci-dessus
schéma 1).

La persuasion suppose que l’un des adversaires, A par exemple, est en


état moral, mental, etc., de supériorité sur B et donc capable de s’imposer à B
selon le schéma 3 où la flèche devient une liaison sinon contraignante (force),
du moins de pression (persuasion).

L’examen du champ sémantique de persuader (fig. 4) est très révélateur :


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persuader est d’abord lié à convaincre, ce qui implique, dès le départ, que l’on
va vaincre l’autre. Le graphe nous montre qu’il y a deux chemins pour
persuader : ou bien on passe « en force » ce qui implique d’amener l’autre à...,
de le décider, de l’entraîner à, de le déterminer à, en l’incitant, le poussant,
l’engageant à ; ou bien on passe plus en souplesse, « par la bande », en
insinuant et suggérant, ce qui va de sous-entendre, de susciter, de souffler
(autrement dit manipuler, pratiquer l’« intox » de l’autre), à proposer ou
conseiller (mais, attention, cela peut recouvrir un piège).
L’examen du champ sémantique de persuasion (fig. 5) apporte un
complément : la persuasion est un des moyens possibles pour entraîner la
conviction, la croyance, la certitude chez l’autre et, par là, lui donner
confiance, assurance, sûreté. La conviction peut alors engendrer l’adhésion,
l’approbation, le consentement et l’assentiment, et, de là, conduire à l’accord.
Cet accord est-il réel, est-il solide ? Un démarcheur à domicile peut persuader
un « client » que son produit est celui qui lui convient : tant qu’il est sous la
pression (l’emprise) du vendeur, le client est d’accord et signe le bon de
commande. Dès qu’il est seul avec lui-même, il doute et regrette : il a fallu une
loi pour régler ce genre de situation lui permettant de résilier sa commande
sous huit jours.
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La persuasion, en négociation, peut conduire à des victoires à la Pyrrhus.


Joubert (dans Pensées, cité par Le Robert) distingue entre convaincre et per-
suader : « On peut, dit-il, convaincre les autres par ses propres raisons et ne
les persuader que par les leurs », ou, d’une autre façon, une chose est de
persuader l’autre, une autre qu’il soit persuadé, et, pour qu’il soit persuadé, il
faut ou bien l’avoir persuadé, convaincu, ou bien qu’il se soit persuadé, qu’il se
soit convaincu.
Ceci nous ramène aux attitudes de Porter dans la communication19. Per-
suader l’autre, c’est utiliser vis-à-vis de lui des attitudes d’influence, de déci-
sion, d’évaluation, ou de support. Pour que l’autre se persuade, se convainc
que telle solution est intéressante pour lui, réaliste et réalisable, il faut lui faire
prendre conscience de cet intérêt, de ce réalisme, pour qu’il se persuade
lui-même de cette chose. Sous cet angle, la pratique d’attitudes de non-
influence telles les attitudes d’enquête et de compréhension peuvent consti-
tuer un intéressant moyen de progression.
Le schéma de la persuasion de A sur B devient alors :
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c'est-à-dire que l’attitude de A vis-à-vis de B et le contenu ainsi véhiculé
entraînent la réflexion de B qui va se persuader lui-même. Toutefois, il faut
remarquer qu’il sera difficile de pratiquer des attitudes d’enquête et surtout de
compréhension si l’on a, au préalable, durci le conflit.
Il faut donc tenir négociation et persuasion pour deux concepts bien diffé-
rents, la persuasion pouvant, en concurrence avec d’autres moyens, être uti-
lisée à ses risques et périls par un des négociateurs.

LES TYPES DE NÉGOCIATION ET LEURS STRUCTURES

Nous avons jusqu’à présent considéré qu’il y avait au moins deux camps en
conflit, mais nous n’avions pas examiné comment se présentait structurelle-
ment la négociation. Le schéma général est alors :

19. Le management psychologique des organisations, op. cit., t. II, p. 29-49.


162 Pierre L.G. Goguelin —————————————————————————————————————

Lorsque chaque camp est réduit à une seule personne, le négociateur se


confond avec le camp : chacun d’eux parle en son nom au cours de la discus-
sion de négociation. Par exemple, si vous mettez votre voiture en vente avec
un prix demandé (ou « à débattre »), l’acheteur éventuel va vous en proposer
moins, et lui et vous allez négocier selon le schéma 6.

Il se peut aussi que chaque camp comporte plusieurs personnes (disons,


moins de 5), parlant chacune en leur nom et celui de leur camp, et que les
deux parties se retrouvent au complet autour de la table de négociation. Même
si les membres de chaque camp sont bien d’accord sur les buts à atteindre en
ce qui les concerne, ils peuvent très bien ne pas avoir la même conception sur
les moyens et la façon de les atteindre. La solidité d’un camp réside dans sa
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cohésion et sa cohérence sur tous ces points et sur la solidarité et la fermeté
de chacun de ses membres. Au cours d’une telle négociation, chaque camp
cherchera à diviser l’autre, voire à utiliser des désaccords partiels déjà
connus : les jeux politiques, nationaux ou internationaux, en sont d’excellents
exemples. Le type de négociation (en supposant trois personnes dans chaque
camp) est alors celui du schéma 720.

Un cas particulier est celui où il y aurait plusieurs camps, avec des sché-
mas du type 8 si chaque camp ne comporte qu’une personne, ou du type 9 si
chaque camp comporte par exemple 3 personnes.

20. Cf. le schéma de la négociation de l’expérience de la NASA.



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— La Négociation : frein et moteur du management 163

Ce cas est différent des deux précédents (schémas 6 et 7) car on peut voir
se développer des stratégies d’alliance temporaire entre certains camps pour
obtenir tel ou tel avantage particulier.
Ces trois grandes structures de négociation ont en commun une donnée
fondamentale : chacun y parle directement, en son nom. Nous les appelle-
rons Négociations directes, même si chaque camp se fait assister d’un ou
plusieurs conseillers, à condition que ceux-ci n’interviennent pas directe-
ment dans le débat.
Si au moins une des parties ne se sent pas la compétence ou la force de
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caractère suffisantes pour obtenir ce qu’elle désire, elle peut faire appel à un
ou plusieurs tiers qui vont la représenter et qui sont, en quelque sorte, des
négociateurs experts dans un ou plusieurs des domaines concernés. Si une
partie est nombreuse, elle peut désigner un ou plusieurs de ses membres
considérés a priori comme efficaces. Les négociateurs jouissent alors d’une
délégation de pouvoir totale ou avec des « butées ». Nous appellerons ces
négociations des Négociations indirectes. Chaque camp, qu’il comporte
une seule personne, plusieurs ou un grand nombre, essayera d’avoir autant
de négociateurs (composant une délégation) que les autres camps autour
de la table. Là encore, les négociateurs désignés ont seuls droit à la parole,
mais ils peuvent être assistés de conseils. Ils ne parlent pas en leur nom
mais au nom de leurs mandants. S’ils doivent s’engager au-delà de leur
délégation de pouvoir, ils demandent à « consulter leur base » (cf. le réfé-
rendum sur Maastricht). Cette demande est parfois une simple stratégie
pour arracher à l’autre une concession, mais cela est dans la logique du
système.
Le schéma 10 explicite la situation dans le cas le plus simple (il suffit de
le « multiplier » comme 7, 8 et 9 s’il y a plusieurs négociateurs pour chaque
camp, ou plus de deux camps, ou les deux à la fois) :
164 Pierre L.G. Goguelin —————————————————————————————————————

Un cas particulier est celui où un seul camp affronte plusieurs camps


ayant entre eux certaines convergences et aussi divergences : en quelque
sorte, nous avons un camp unitaire et un super-camp multiple. C’est le cas,
par exemple, d’une négociation entre les syndicats de la fonction publique
(alliés « objectifs » mais divisés entre eux) et le gouvernement sur le problème
des salaires. Si cinq syndicats ont chacun deux représentants-négociateurs,
le côté gouvernement aura un groupe de dix négociateurs choisis et nommés
qui sont les copies conformes les uns des autres. Ce sont donc eux qui ont la
position forte : c’est la lutte du pot de terre contre le pot de fer.

NÉGOCIATION, CONCILIATION, ARBITRAGE


ET MÉDIATION

Au regard de la pensée courante, il existe un dénominateur commun important


entre la négociation d’une part, et, d’autre part, la conciliation, l’arbitrage et la
médiation que nous avons vu apparaître aux « strates » 1 et 2 du champ
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sémantique d’accord (fig. 2). Y aurait-il donc d’autres types de négociation que
ceux évoqués ci-dessus ?
Une première constatation s’impose : négociation n’appartient pas au
champ sémantique de conciliation, médiation, arbitrage. Médiation et arbi-
trage apparaissent bien comme deux modalités de la conciliation, mais si
la médiation implique la possibilité arbitrage, arbitrage n’implique pas média-
tion 21.

1 LE CONCEPT DE CONCILIATION

Etymologiquement, concilier vient du latin conciliare : assembler, réunir, ren-


dre bienveillant, mettre en rapport. Il signifie (Le Robert) : « Mettre d’accord,
amener à s’entendre des personnes divisées de sentiments, d’opinions,
d’intérêts. » Le graphe de la figure 2 nous renvoie à rapprochement et récon-
ciliation.

21. Autrement dit, s’il y a médiation, alors il peut y avoir arbitrage, mais s’il y a arbitrage il ne peut y
avoir médiation.

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— La Négociation : frein et moteur du management 165

H. Touzard (op.cit.) note que « l’initiative de la réunion (des parties)


revient en général à une partie marginale par rapport au conflit et dont le rôle
se limite là. » Massiolo précise ce rôle comme étant « une manière passive et
officieuse de réunir les opposants en vue d’une discussion ». En quelque
sorte, le conciliateur agirait par sa seule initiative de réunir les parties en sa
présence.
Le schéma 11 serait celui d’une conciliation.

En procédure de divorce, on appelle conciliation la formalité imposée aux


parties de se présenter devant un juge conciliateur pour tenter un arrange-
ment avant d’engager un procès.
Le Code du travail indique que les patrons et les ouvriers ou employés
entre lesquels s’est produit un différend d’ordre collectif portant sur les con-
ditions de travail peuvent soumettre les questions qui les divisent à un
comité de conciliation, et, à défaut d’entente dans ce comité, à un conseil
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d’arbitrage.
Le gouvernement vient de créer un corps de conciliateurs sociaux pour
aider au règlement des conflits privés interpersonnels.

2 LE CONCEPT D’ARBITRAGE

Arbitrage vient du latin arbiter, à la fois témoin (cf. le conciliateur) et juge entre
les parties (l’arbitre d’un match)22. Arbitrer, sur le champ sémantique de la
figure 2, renvoie à décider et à trancher. Pour Le Robert, l’arbitrage est « le
règlement d’un différend ou la sentence rendue par une ou plusieurs person-
nes auxquelles les parties ont décidé, d’un commun accord, de s’en
remettre ». L’arbitre est, en droit, « la personne désignée pour trancher un
différend, un litige » ; il peut être nommé par une tierce instance sur la
demande des parties ; il est aussi « celui que son autorité désigne pour con-
cilier des intérêts opposés ». H. Touzard (op.cit.) définit l’arbitrage comme

22. D’où arbitre, arbitrer, arbitrage, mais aussi arbitraire, c’est-à-dire qui dépend de la décision du
seul juge et qui, progressivement, a pris une valeur péjorative.
166 Pierre L.G. Goguelin —————————————————————————————————————

« négociation »23 conduite par un arbitre, à savoir une tierce personne neutre,
qui, après audition des deux parties en présence, prend une décision qui les
lie toutes les deux et qu’elles auront à respecter ».
Le schéma simple d’un arbitrage pourrait distinguer trois phases :

3 LE CONCEPT DE MÉDIATION

Médiation vient du latin mediatio, du verbe mediare : être à son milieu,


s’interposer24. Sur le champ sémantique de la figure 2, médiation envoie à
intermédiaire, intervention et entremise. Pour Le Robert, la médiation désigne
« l’entremise destinée à mettre d’accord, à concilier ou réconcilier des
personnes, des parties ». H. Touzard (op. cit.) précise à propos de la
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médiation : « La négociation25 est conduite par une tierce partie neutre,
appelée médiateur26. Par opposition à l’arbitre, le médiateur n’a pas pouvoir de
décider. Son but est simplement d’aider activement les parties en présence à
trouver un accord ».
Il est donc plus actif que le conciliateur, mais n’a pas l’autorité de l’arbitre,
car dit Ann Douglas « les parties conservent tout au long de la procédure et
jusqu’à la fin, le droit de déclarer le médiateur persona non grata ».
Un schéma simple de la médiation pourrait être :

23. Ce qui paraît inexact car l’arbitrage a généralement lieu lorsque la négociation a échoué.
24. L’image la plus naïve du médiateur est celle de celui qui s’interpose entre deux adversaires pour
les empêcher de se battre.
25. Même remarque que pour l’arbitrage sur l’inadéquation du mot.
26. En droit international, il est souvent appelé « Monsieur bons offices ».

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— La Négociation : frein et moteur du management 167

On constate qu’en principe, tout passe par le médiateur qui, à la limite, fait la
navette entre A et B sans que A et B discutent directement, ce qui établit de
la souplesse dans les relations A B (cf. la conférence de Madrid, suite à la
médiation des États-Unis entre Israël et les Palestiniens). D’une autre façon,
si la médiation n’est pas une négociation, elle est l’articulation de deux négo-
ciations, l’une de A avec le médiateur27, l’autre du médiateur avec B, jusqu’au
moment où les points de vue de A et B se sont suffisamment rapprochés pour
qu’ils puissent accepter un dialogue plus direct.
Il est alors possible que le médiateur, A et B s’assoient autour de la même
table : le schéma 14 décrit cette situation où le médiateur est devenu l’anima-
teur neutre d’une réunion-discussion en étude de problème avec A et B.

Nota : Le consultant d’entreprise est souvent amené à assumer ce rôle de médiateur.


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CONCLUSIONS : NÉGOCIATION, CONCILIATION,
MÉDIATION, ARBITRAGE OU ÉTUDE DE PROBLÈMES
EN RÉUNION-DISCUSSION ET LE RÈGLEMENT
DES CONFLITS

Négociation, conciliation, médiation et arbitrage sont des voies différentes


pour aborder le règlement des conflits28. Il convient donc de bien les distinguer
et d’identifier la façon dont le conflit se pose pour savoir quelle voie emprunter.
En général, les deux parties se placent d’abord en situation de négociation di-
recte ou indirecte. Si, pour une raison quelconque, les points de vue restent
trop éloignés les uns des autres et si l’échec définitif risque de créer une situa-
tion difficile pour tous les tiers qui, de près ou de loin, ont à connaître ces deux
camps, ces tiers vont faire pression sur les parties pour qu’elles se rencontrent
à nouveau sous le contrôle facilitateur d’un conciliateur neutre. Si la concilia-
tion échoue, le conciliateur, ou un autre tiers, peuvent devenir plus actifs, plus

27. Voir en France, le médiateur chargé du rapprochement entre l’administration et les administrés.
28. Nous disons bien règlement, car on ne résout pas un conflit, on le règle. Par contre, on résout
un problème, mais on ne le règle pas.
168 Pierre L.G. Goguelin —————————————————————————————————————

participants (donc médiateurs) et jouer entre les parties le rôle de « Monsieur


bons offices ». Si une ou les parties rejettent les suggestions du médiateur,
voire le médiateur lui-même, la pression de l’environnement peut devenir plus
ferme et faire accepter un arbitrage. Au-delà, c’est l’épreuve de force.

Mais, avant d’arriver à cette situation de conflit, il y a eu sans doute une


époque où les parties vivaient encore en bonne intelligence, ou, tout au moins,
sans conflit marqué, la situation étant globalement perçue par tous comme sa-
tisfaisante. Pour que celui-ci éclate, il a fallu qu’un ou des événements criti-
ques se produisent, entraînant une détérioration de la situation qui devient non
satisfaisante, tendue, sans pour autant que le conflit soit déjà ouvert. On re-
connaît là les conditions de naissance d’un problème qui peut, à ce stade, être
étudié et résolu en étude de problème en réunion-discussion, les parties étant
encore capables de se fixer des buts communs réalistes29. Si on laisse passer
cette occasion30, les éléments de tension deviennent de plus en plus explici-
tes jusqu’au moment où les parties vivent la situation comme un conflit ouvert.

Dans tout système vivant, et en particulier, dans toute organisation humai-


ne, il existe des tensions dont l’intensité et les points d’application se dépla-
cent, déterminant la dynamique d’évolution de ce système : sans tension, un
système est inerte, mort. S’il existe de bonnes tensions qui tendent à faire pro-
gresser le système, il en existe, aussi, beaucoup plus, de mauvaises, c’est-à-
dire des tensions qui dissipent de l’énergie à l’intérieur du système sans le fai-
re progresser, ou plus exactement, en freinant, voire bloquant sa progression.
A vrai dire, la même tension pourra souvent être positive ou négative selon la
façon de la prendre en compte. Prenons un exemple : l’exécution souhaite voir
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élever ses salaires ; cette pression sur l’entreprise peut la conduire à s’amé-
liorer et à se développer pour répondre à la demande ; si elle refuse de regar-
der le problème en face et bloque la valve de la cocotte-minute, elle
débouchera sur un conflit ouvert, qui, nous l’avons vu, peut coûter très cher à
toutes les parties.

Il y a, finalement, trois façons de prendre en compte une tension dans une


organisation :

– la première est l’étude des problèmes en réunion-discussion dès que


ceux-ci apparaissent. On peut alors réguler les tensions, et, surtout, désa-
morcer celles qui dévorent inutilement la substance active de l’organisa-
tion. Nous appellerons « mise en état permanent de résolution des
problèmes » cette politique face aux tensions. Cela nécessite de parfaite-
ment maîtriser la méthode d’étude des problèmes et de conduite des réu-

29. Cf. Le Management psychologique des organisations, op. cit., t. III.


30. Dans l’espoir que « ça va s’arranger tout seul », alors que nos expériences antérieures nous ont
appris qu’il est très rare qu’une situation qui se dégrade se mette à s’améliorer toute seule « pour
nous faire plaisir ».

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— La Négociation : frein et moteur du management 169

nions, telles qu’elles sont intégrées dans la démarche de management


dite Prado tropiques (cf. Le Management psychologique des organisa-
tions, t. II, p. 81) en résolvant les problèmes quand et là où ils se posent ;
– la seconde consiste à laisser évoluer les choses jusqu’au conflit ouvert et
à traiter les conflits par la voie politique de la négociation. Elle aboutit à des
compromis, pas toujours les meilleurs, à des états provisoires et instables,
où chacun ne pense qu’à récupérer ce qu’il a dû concéder ou à obtenir –
la prochaine fois – ce qu’il n’a pas obtenu (conflits larvés). A l’intérieur d’un
tel système, les négociations sont sans fin prévisible puisqu’elles ne peu-
vent se terminer par un accord réel. On pourrait, selon le cas, l’appeler ma-
nagement correctif à courte vue ou management d’attente ;
– la troisième est, évidemment, de recourir à la force, à l’autoritarisme (se
soumettre ou se démettre), à la violence et à la guerre. Le vaincu
demandera l’armistice dont les conditions ne sont jamais discutables ni
négociables, et, à partir de cet instant, songera à la revanche et la prépa-
rera.
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La figure 6 explicite synoptiquement ces trois formes de management qui sont


des systèmes qui s’autojustifient, s’autoalimentent et s’autoentretiennent 31.
Ceci est évident pour le management psychologique puisque, par nature, il se
pose en régulateur permanent des tensions. Il est préventif et traite, voire an-

31. Cf. la même idée, défendue par MacGregor à propos des systèmes en théorie X et des systèmes
en théorie Y, dans Le Management psychologique des organisations, op. cit., t. II. p. 9.
170 Pierre L.G. Goguelin —————————————————————————————————————

ticipe, les causes des dysfonctionnements. Ceci est non moins vrai pour le
management à courte vue, au jour le jour, car la négociation engendre des
compromis, générateurs de conflits larvés, qui, tôt ou tard, deviennent
ouverts ; alors on négocie à nouveau... sans fin prévisible. Il est curatif et ne
traite que les symptômes. Ceci est tout aussi vrai pour le management autori-
taire car la moindre incartade du vaincu (et seul le subordonné peut l’être) doit
être écrasée. Le manager autoritaire a toujours raison, nie les réalités qui lui
déplaisent et dépense son énergie à étouffer les symptômes qui refont pério-
diquement surface. Tout à fait à droite de la figure 6, en sortant du domaine
des organisations, nous trouvons les systèmes de gouvernement totalitaires
qui éliminent les opposants et engendrent guerre sur guerre jusqu’à leur dé-
faite totale.

Dans les trois premiers tomes du Management psychologique des organi-


sations, nous avons défendu un management qui s’efforçait de réduire au
maximum le nombre et l’intensité des situations de conflit. Cela nous avait
amené à considérer la négociation comme marginale par rapport à un vrai ma-
nagement psychologique. C’était là un idéal, mais il subsistera toujours des si-
tuations de conflit : mieux vaut les régler par la négociation que par la guerre.
Si personne ne souhaite la guerre, mieux vaut s’y préparer, et, de même, se
préparer à la négociation.
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