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Jean-Maxence Granier
Dans Communication & langages 2011/3 (N° 169), pages 51 à 62
Éditions NecPlus
ISSN 0336-1500
DOI 10.4074/S033615001100305X
© NecPlus | Téléchargé le 04/05/2023 sur www.cairn.info (IP: 91.166.55.149)
La Communication
Du Contrat de Lecture
au Contrat de
Conversation
JEAN-MAXENCE GRANIER
4. Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, coll. « Tel », [1900] 1978.
5. « Contrat » vs « promesse », cf. François Jost, Introduction à L’analyse de la Télévision, Paris, Ellipses,
1999.
6. « Lecture » vs « communication », terme plus large renvoyant à une plus grande variété de dispositifs,
cf. les travaux de Patrick Charaudeau.
dans un dispositif sémiotique. Les études qui en découlent s’inscrivent à la fois dans
des approches « en émission », sous forme d’analyses sémiotiques d’un Contrat de
Lecture spécifique dans son champ de concurrence (les titres du même segment
de presse), et en « réception », sous forme d’analyses qualitatives du discours
rationnel, mais aussi imaginaire, « projectif » des lecteurs engagés dans ce type
de contrat. La plupart des dispositifs d’étude mis en œuvre dans ce domaine
articulent ces deux dimensions, vérifiant, dans des démarches qualitatives auprès
des lecteurs interrogés en groupe ou individuellement, des hypothèses sémiotiques
posées en chambre à travers l’analyse souvent comparative de corpus et portant sur
l’ensemble des dimensions du magazine : textes, images, mise en page, couverture,
etc. Ces approches ont vocation à contribuer au pilotage d’un titre dans le temps et
à son optimisation, justement quand l’éditeur pressent que le contrat est en train
de se dénouer ; mais elles sont aussi utilisées pour accompagner des lancements de
titres nouveaux, l’analyse des réactions des lecteurs et du champ de concurrence
permettant d’hypostasier une identité et un positionnement encore virtuels. Cette
méthodologie est aussi utilisée de manière un peu différente pour bâtir des
argumentaires visant à convaincre les annonceurs de la pertinence des supports
qu’ils peuvent choisir pour communiquer, puisque le « Contrat de Lecture »
permet de dessiner la figure idéalisée du récepteur. Si le concept s’est vulgarisé, si ses
fondements théoriques sont moins lisibles aux acteurs eux-mêmes, il est devenu,
en tout cas dans le champ de la réflexion française sur les médias, un repère fort et
une méthode effectivement mise en œuvre.
Le modèle, et c’est un autre signe de son succès, a été rapidement étendu avec
profit à la télévision, à la radio et à l’ensemble des médias. On a pu ainsi parler de
« contrat de chaîne » en télévision, mais aussi de « contrat d’émission », montrant
par là qu’il pouvait être utilisé à différents niveaux d’intelligibilités médiatiques.
Deux journaux télévisés du soir obéiront au même genre (celui du journal du
20 heures, par exemple de France 2 et de TF1) et traiteront des mêmes sujets,
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9. Fonction d’agenda setting analysée par Maxwell McCombs et Donald Shaw en 1968.
Au-delà des effets de mode, la blogosphère, les forums, les tags, les réseaux
sociaux, les mondes virtuels dessinent une nouvelle carte de la communication
et obligent les médias à muter et à y redessiner une place qui leur soit propre.
La crise du modèle économique, qui porte sur la production, la distribution et
la monétisation des contenus, dans laquelle ils sont engagés, mais aussi celle des
pratiques professionnelles appelées à se renouveler, sont les effets les plus apparents
de cette mutation en cours, forte au point de poser la question de l’existence et de
la légitimité même des médias dans leur définition traditionnelle. La réussite des
pure players tient à l’organisation de réseaux d’individus (Facebook), de réseaux
d’informations (Google ou Wikipedia) ou de conversations (Doctissimo), bien
plus qu’à la production directe de contenus organisés selon une certaine vision
du monde. La médiatisation globale d’un espace public, non pas virtuel mais bien
réel, puisque gardant gravé dans le silicium chacun de nos mots et chacune de
nos images, fragilise le rôle de médias confrontés aux « nouvelles conversations
numériques » et à des publics tentés de se constituer en se passant d’eux.
En réalité, ce nouvel âge conversationnel ne consiste pas en un retour à
l’accumulation de micro-conversations, mais en un mariage, inouï jusque-là, entre
le fonctionnement mass-médiatique qui a caractérisé la Modernité et des échanges
interactifs potentialisés par le support technologique fourni par le réseau mondial.
Dans ce cadre, les traits propres à la conversation (symétrie, coproduction) sont
élevés à la puissance de l’Internet qui conserve ses propriétés (publicité, duration)
et se mêlent à ceux du discours mass-médiatique pour dessiner un nouveau modèle
dont les contours apparaissent encore à peine.
une part de leur attrait associée à leur capacité à abriter et à enclore cette richesse
conversationnelle. Ils doivent faire face à l’émergence d’une interactivité entre
émetteur et récepteur (votes, commentaires des articles), plus ou moins prise en
compte par des équipes de rédaction quelquefois bousculées dans leurs habitudes,
car cette interactivité n’est plus seulement de l’ordre de la représentation mais bien
réelle, en tout cas actualisable par tout membre du public.
Désormais, les médias s’ouvrent à la conversation avec leur audience :
ils intègrent cet effet retour et modifient éventuellement leurs contenus en
conséquence en les classant, en les hiérarchisant, en les sélectionnant. Une
dimension supplémentaire s’instaure, celle des échanges entre lecteurs eux-mêmes
qui viennent rompre l’isolement interprétatif de chacun d’eux. Le média est ainsi
le terrain d’une conversation au sein même du public, en agrégeant à son espace
sa propre réception. Cette dimension est d’ailleurs encore assez peu reconnue et
pensée par les médias actuels, qui se contentent quelquefois de fournir les outils
du participatif sans en explorer les conditions de réalisation. Nombreuses sont
les entreprises de presse qui continuent à distinguer la rédaction numérique de la
rédaction traditionnelle, au risque de voir des cultures métier divergentes fragiliser
à terme la marque-média elle-même. De fait, si cette dimension reste limitée –
on parle de 1 % de « participants » actifs et de 10 % de lecteurs effectifs des
contenus générés par les utilisateurs (CGU) sur l’ensemble du lectorat –, cette
simple virtualité transforme le rapport que nous avons aux médias. Aujourd’hui
chaque article, chaque vidéo, chaque image affiche ainsi combien de personnes
l’ont vu, apprécié, commenté et cette intégration permanente de la réception,
rendue visible, change la donne.
Les médias interactifs créent des territoires de conversation qui permettent
d’échanger, de débattre, de discuter, à propos d’une information communiquée par
eux. L’intérêt ne se concentre plus seulement sur l’information, mais se déplace sur
le pouvoir de converser, d’interagir, de s’inscrire dans une communauté éphémère
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10. Ibid.
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