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Pierre Bonfils
Dans LEGICOM 1996/1 (N° 11), pages 4 à 12
Éditions Victoires éditions
ISSN 1244-9288
DOI 10.3917/legi.011.0004
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MORALE, ÉTHIQUE
ET DÉONTOLOGIE
DANS LA COMMUNICATION
D
ANS le domaine de la communication, comme dans de très nombreux
autres domaines et secteurs d'activités professionnelles, nous avons
assisté au cours des dernières années à l'émergence, ou dans certains
cas au retour, d'un très fort courant moral, éthique et déontologique.
Résumé Cette émergence et ce retour, sur l'origine et la finalité desquels il faudra bien
s'interroger pour s'assurer qu'il ne s'agit pas que d'une mode, sait-on jamais,
La volonté de transparence
et de clarification a été très
n'ont pas été le produit du hasard, mais plutôt celui de la nécessité. Ils ont, du
sensible depuis la fin des reste, accompagné un courant législatif puisé aux mêmes sources d'inspiration
années 80. Ce souci s'est et qui les explique dans une large partie. La vague législative de la période
traduit par des réformes postérieure à 1988, qui correspond très précisément d'ailleurs à la législature de
législatives, visant notam- l'époque (1988-1993), en est elle-même très imprégnée. La morale, l'éthique et
ment à clarifier le finance- la déontologie apparaissent alors sous les traits de la transparence et de la clarté
ment de la vie politique,
quand ce n'est pas ceux de la clarification des procédures et des comportements.
mais cette volonté s'est
aussi inscrite dans des
La clarification implique, très modestement, que la clarté n'était pas la vertu
démarches d'entreprises ou cardinale du comportement des opérateurs d'un secteur donné ou, intrinsè-
d'organisations profession- quement, du secteur lui-même. La transparence, au contraire, implique une
nelles qui ont établi des clarté de tous les instants et devient dès lors une ligne de conduite qui s'impose
codes et chartes déontolo- à tous.
giques régulant dans un
même esprit "éthique",
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Dans le même ordre d'idées, c'est le financement politique qui traduit l'inspi-
ration et la quête de clarté et de transparence du législateur, lequel se propose
une nouvelle fois, après la première législation du 11 mars 1988 sur la trans-
parence financière de la vie politique, de remettre de l'ordre dans un secteur qui
n'a pas toujours brillé par la clarté et la transparence.
À la fin des années 80 on
observe une invasion de Cette nouvelle refonte du code des marchés publics et la création originale d'un
l'éthique dans les préoccu- cadre légal en matière de financement politique et électoral se doublent, avec
pations du législateur. la loi du 15 janvier 1990, d'une nouvelle législation sur la limitation des
Les années 1990, en particulier la législature 1988-1993, sont donc marquées du L'entreprise est, elle aussi,
sceau de la transparence et de la clarté et son corollaire thérapeutique de “clari- touchée par la vague
fication” dans des univers professionnels qui en manquaient singulièrement. Ces “éthique”.
mêmes notions sont elles-mêmes issues des concepts plus forts de morale,
d'éthique et de déontologie.
Si la perspective était celle du droit des affaires, on découvrira que cette analyse
est parfaitement transposable au domaine de la communication. C'est d'abord et
avant tout le contrecoup du retour de l'économie dans la décennie 1980-1990.
Après l'euphorie des années 1981-1982 et le retour, dès 1983, à l'analyse lucide
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A – LA MORALE
Elle serait l'ensemble des valeurs supérieures qui conduisent chacun à diffé-
rencier le bien du mal et qui devraient fonder les conduites humaines, tout au
moins pour les individus conscients de leurs devoirs et responsables de leurs
actes. Dans cette perspective, la morale demeure plus globalement la règle
La morale est immanente
morale qui se rapporte à tout comportement humain. En ce sens, elle présente au comportement humain,
une immanence et une constante de comportement, ce qui n'est peut-être pas le contrairement à la déonto-
cas de l'éthique et de la déontologie qui présentent des caractéristiques beaucoup logie, fruit d'une réflexion
plus immédiates et moins élevées. professionnelle.
B – L'ÉTHIQUE
Même si le mot, d'étymologie grecque, est plus ancien, en fait, son utilisation
dans le registre qui nous intéresse aujourd'hui est plus récente que la morale.
Jean-François Barbiéri, dans son article précité, n'y voit du reste, pour le
commun des mortels, qu'un « apport d'un peu d'ésotérisme ».
C – LA DÉONTOLOGIE...
Elle serait, quant à elle, la traduction éminemment professionnelle et corpora-
tiste, dans le cadre des activités d'entreprises, de règles codifiées et de sanctions
disciplinaires.
La déontologie peut se dé- Des observateurs y voient du reste le retour d'un fort courant corporatiste en
finir comme la traduction France. Ces codes de déontologie visent en effet la considération des profes-
professionnelle de règles sions qui s'en dotent ou s'en sont dotées. La confraternité oblige à serrer les
codifiées et de sanctions
rangs devant de possibles adversaires ou concurrents. Ces codes-là traduisent
disciplinaires.
un certain retour du corporatisme auquel on assiste.
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Des trois concepts très rapidement analysés, c'est la déontologie qui serait
aujourd'hui la plus encline à devenir un effet de mode au regard de la période
récente. De la sorte, on peut se poser la question de savoir quels seront les
lendemains de ces différents codes de déontologie et autres chartes d'entreprise,
ou de secteurs professionnels, plus ou moins récemment conçus et sur la
longévité desquels on pourra réfléchir.
Ces devoirs s'appliquent Au-delà des principes directeurs minimaux qui doivent guider le directeur de la
tant en interne, dans les communication, la partie strictement éthique et déontologique du code d'Entre-
relations avec les collabo-
prises & Médias est limitée par rapport aux principes que l'entreprise est en
rateurs de la même entre-
prise que dans les rapports
droit d'attendre de son directeur de la communication. Sur l'éthique et la déonto-
avec les partenaires exté- logie, on observe que le code hésite entre l'éthique et la déontologie et qu'il
rieurs ou même les concur- n'évoque de toutes manières ni la morale ni la moralité et qu'il s'inscrit dans
rents. cette perspective en retrait de cette notion de morale/moralité, ce qui semblerait
corroborer l'analyse ci-avant mentionnée selon laquelle l'éthique et, plus encore,
la déontologie ne seraient que des versions allégées de la morale générique.
On pourrait faire, dans une certaine mesure, une analyse assez proche du code
d'éthique du Groupe Lagardère. C'est un “code de groupe”. Ce n'est pas un code
global de corporation, comme celui d'Entreprises & Médias. Mais il s'adresse à
différentes entreprises et différents métiers, certains très éloignés les uns des autres.
C'est un code d'éthique du quotidien qui s'inspire de quatre principes de base Les grands groupes se
destinés à guider et à circonscrire l'activité professionnelle du groupe : la dotent aussi de chartes
rigueur, la transparence, la confidentialité et l'intérêt de l'entreprise. Dans la éthiques visant à codifier
les droits et devoirs de
présentation du code, il est encore précisé qu'il s'agit d'un regroupement en un chacun de leurs membres
seul document des différents principes et règles qui existaient déjà dans les dans un même esprit.
différentes composantes du groupe.
— La rigueur est celle du respect des délégations et limitations de pouvoirs,
sans dépassement de prérogatives.
— La transparence s'entend du respect des règles en vigueur dans la société et
en parfait accord avec sa hiérarchie. La confidentialité exige une parfaite
séparation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, dans le respect
d'une vigilance extrême dans la circulation et la diffusion de l'information.
— L'intérêt du groupe doit toujours prévaloir sur celui des tiers et des personnes
concernés.
Pour rester dans les limites du présent article, on se bornera à commenter celles L'éthique de la communica-
de ses dispositions qui relèvent de la communication car bon nombre d'autres tion d'entreprise s'attache
dispositions du code d'éthique du groupe concernent des secteurs particuliè- avant tout à assurer la
confidentialité des informa-
rement sensibles. On imagine aisément que l'éthique qui est exigée de cadres tions.
du secteur de l'armement ou de la commercialisation de missiles est très spéci-
fique et très éloignée, par exemple, de l'éthique des secteurs de la presse et de
la communication ou de l'audiovisuel.
La direction de la commu- Lorsque des informations peuvent et doivent être diffusées à l'extérieur sur le
nication joue à l'égard de groupe, en particulier des informations financières susceptibles d'affecter le
la diffusion de l'information
marché des titres cotés du groupe, un certain nombre de règles sont à observer,
un rôle de surveillance.
notamment la règle générique suivante :
« Les communiqués extérieurs et particulièrement de presse doivent être préala-
blement visés par les responsables adéquats. »
C'est notamment le cas des communiqués sur des événements dont l'importance
est significative pour le groupe. Ils doivent être visés par la direction de la
communication du groupe.
retrouvé une seconde jeunesse avec cette loi qui s'inscrit dans la sphère de la
protection du cadre de vie et vise, notamment, à ne pas surcharger de dispo-
sitifs publicitaires les propriétés susceptibles de les accueillir en nombre néces-
sairement limité.
Est à ce titre visé le masquage entre afficheurs que le code de pratiques loyales
prohibe très nettement en disposant que le masquage s'entend de tout dispositif
partiellement ou totalement masqué par un précédent dispositif installé avant
(géographiquement) mais après (chronologiquement), à une distance de
vingt (20) fois la plus grande dimension du dispositif masqué, en général
quatre-vingts (80) mètres auparavant.
En dehors de ces deux règles, qui constituent l'essentiel du code de pratiques
loyales des afficheurs, le code ne contient qu'un contrat type de location, ainsi
que les règles de solution des litiges entre afficheurs.
Au-delà de ces trois codes d'éthique, l'un s'appliquant à une profession (les
directeurs de communication), le second à un groupe (Lagardère Groupe), le
troisième à une corporation (celle des afficheurs), il convient de signaler et de
rappeler le rôle du Bureau de vérification de la publicité qui entend, par une
démarche autodisciplinaire et interprofessionnelle, promouvoir une expression
publicitaire, saine, loyale et véridique. Il diffuse, à cette fin, des recommanda-
tions interprofessionnelles de bonne pratique dont il assure la bonne exécution
et le suivi par tous les partenaires. Prises en considération par le pouvoir
judiciaire, elles sont devenues des valeurs de référence que la jurisprudence cite
régulièrement à l'appui des décisions rendues.
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CONCLUSION
Au cours de ces dernières années, le débat sur l'éthique et la déontologie a
envahi les colonnes, les écrans et les estrades des colloques. La communication,
publicitaire ou de presse, est devenue un enjeu majeur des grands groupes
industriels qui se sont intéressés à ces divers secteurs. Les médias de presse ont
été l'objet de toutes les convoitises.
Dans un article remarqué intitulé “Pour une éthique globale des médias” (Le
Monde, 31 mai 1995), Bernard Spitz, chargé de mission auprès du président de
Canal Plus, évoquait le « carré magique » de l'espace médiatique comprenant :
le divertissement, l'information, la technologie et la propriété capitalistique.
Toute réflexion sur la morale, l'éthique et la déontologie dans la communication
ne saurait s'exonérer d'une référence au carré magique de Bernard Spitz.
Le débat continue. S'il advenait que les chartes et codes de déontologie n'aient
été qu'une mode, on s'en apercevra assez vite et les errements d'hier réapparaî-
tront demain.
Pierre BONFILS
Directeur juridique de la SA Giraudy
NOTES
1. BARBERI (J.-F.), “Morale et droit des sociétés”, Les 3. Lire dans le même sens, COMBE (Pierre) et
Petites Affiches, n° 68, 7 juin 1995, p. 13-18. Cet DESCHAMPS (Philippe) Éthique en toc, le management
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À LIRE
COMBE (Pierre) et Deschamps (Philippe), Éthique en IGALENS (J.), Droit des affaires, éthique et déontologie,
toc, Les Presses du management, 1996. L'Hermès, 1994.
LAMARQUE (Patrick), Les désordes du sens, alerte sur MINC (Alain), La morale et l'argent, R.J.C., 1991.
les médias, les entreprises, la vie publique, ESF ETCHÉGOYEN (Alain), La valse des éthiques, Jeanne
Éditeur, 1993. Bourin, 1991.
BIBLIOGRAPHIE
Médiaspouvoirs, n° 36, 4e trimestre 1994, « OPA sur BARBIÉRI (Jean-François), “Morale et droit des
les médias » et, notamment, Soria (Carlos), “Éthique sociétés”, Les Petites Affiches, n° 68, 7 juin 1995.
de l'information”, même numéro p. 142-149.
SPITZ (Bernard), “Pour une éthique globale des “Dix propositions pour réhabiliter l'éthique dans
médias”, Le Monde du 31 mai 1995. l'entreprise”, Le Nouvel Économiste, n° 963, 16 sep-
tembre 1994.
Le Parlement européen en faveur d'un « code de
conduite des médias », Newsletter du 16 juin 1995. “ Communiquer pour entreprendre, directeur de la
La Gazette du Palais, n° spécial, “La publicité, droit communication : un métier, une déontologie”, Entre-
et déontologie”, 26-27 mai 1993. prises & Médias, juin 1992.