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Lafarge (1993-2004)

Comment on devient firme mondiale


Dominique Barjot
Dans Revue économique 2007/1 (Vol. 58), pages 79 à 111
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 0035-2764
ISBN 9782724630718
DOI 10.3917/reco.581.0079
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 06/09/2023 sur www.cairn.info par Manuela Moukoko (IP: 154.72.162.239)

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Lafarge (1993-2004)
Comment on devient firme mondiale

1Dominique Barjot*

À partir de 1993, le groupe Lafarge est devenu une firme mondiale. 1993
marque en effet le point de départ d’une croissance soutenue qui en a fait le
numéro un mondial du ciment et des granulats. Grâce à une excellente maîtrise
de ses coûts de production et à un taux élevé d’investissement, le groupe a pu
maintenir un niveau élevé de rentabilité. D’importantes opérations de croissance
externe, les acquisitions successives de Redland [1997] et de Blue Circle [2001]
ont cependant contraint à un endettement croissant à long et moyen terme ainsi
qu’à un appel grandissant à un actionnariat de plus en plus international. Soumis
à la tyrannie des cours de bourse, le groupe a concilié néanmoins le versement
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de dividendes accrus avec le maintien d’un autofinancement substantiel. Cette
réussite est due à une efficace stratégie de marché : prépondérant en Europe et en
Amérique du Nord, Lafarge s’est imposé en Afrique, a conquis de bonnes positions
en Amérique latine et a réussi une exemplaire percée en Extrême-Orient, notam-
ment en Chine, en Corée du Sud et en Inde. Sa réussite doit aussi beaucoup à sa
politique des ressources humaines, à sa stratégie cohérente de développement
durable et surtout à un intense effort de recherche-développement. Il constitue la
clé ultime de l’avance prise sur la concurrence.

How toBeCome a worLD firm

From 1993 the Lafarge group became a world firm. 1993 is indeed the starting
point of a sustained growth which led the group to be the world leader for cement
and aggregates. Thanks to an excellent control of production costs and to high
rates of investment, the group was able to maintain a high level of profitability.
Important operations of external growth, the acquisitions of Redland in 1997 and
Blue Circle in 2001 compelled the group to a growing debt, and to an increasing
appeal to an evermore international shareholding. Submitted to stock exchange
prices tyranny, the group nevertheless conciliated increasing dividends and subs-
tantial self-financing. This success is due to an efficient market strategy: leader in
Europe and North America, Lafarge compelled recognition in Africa, conquered
good positions in Latin America, and made an outstanding breakthrough in the Far
East, especially in China, South Korea and India. Its success is due to workforce
policy, coherent strategy of sustained development and to an important effort of
RD. It represents ultimate key for advance on competitors.
Mots clés / Key Words : Histoire des entreprises, croissance des firmes, finance-
ment des entreprises, matériaux de construction, industrie cimentière, mondialisa-
tion ; Business history, firm growth, bulding material, ciment industry, globalization

* Umr 8596 Centre roland mousnier, Université Paris-Sorbonne (Paris iV), maison de la
recherche, 28, rue Serpente 75006 Paris. Courriels : dominique.barjot@paris4.sorbonne.fr ; domi-
nique.barjot@recherche.gouv.fr
Cette étude a été menée à partir des rapports annuels d’activité du groupe Lafarge. L’auteur
remercie le groupe pour lui avoir communiqué rapidement tous les documents nécessaires.

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Revue économique

IntroductIon

en 2004, le groupe Lafarge se situe au troisième rang européen du secteur des


matériaux de construction. il est en outre numéro un mondial du ciment devant
les groupes Holcim (Suisse), Cemex (mexique), Heidelberger Cement (allema-
gne) et italcementi (italie).

Tableau 1. Les cinq premières entreprises européennes


du secteur des matériaux de construction au 31 décembre 2004
(par le montant du chiffre d’affaires ht en milliards d’euros)

1 Saint Gobain (france) .............................................................. 32 025


2 wolseley (royaume-Uni) ........................................................ 14 923
3 Lafarge (france) ....................................................................... 14 436
4 crh (irlande) ............................................................................ 12 820
5 Corus (royaume-Uni) .............................................................. 9 625
Source : Le Moniteur, « Spécial 10 000 entreprises », novembre 2005, p. 174.
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Cette position, il la doit à son internationalisation précoce1. fondée en 1833
par Léon Pavin de Lafarge, la maison Lafarge est demeurée familiale jusqu’en
1947 avant de devenir managériale2. Dès 1864, l’entreprise prend part, en
livrant de la chaux au canal de Suez, à son premier grand chantier internatio-
nal, puis, deux ans plus tard, s’implante en algérie. À la veille de la première
guerre mondiale, elle compte parmi les cinq premières entreprises mondiales du
secteur3. Servie par sa capacité d’innovation technique, elle passe mieux que
la plupart de ses concurrents la période de l’entre-deux-guerres, jouant un rôle
majeur dans la constitution, en 1937, du cartel international du ciment. après
la seconde guerre mondiale, échappant à la nationalisation, elle s’engage dans
la voie d’une multinationalisation rapide : sous l’impulsion de marcel Demon-
que, Lafarge surmonte les crises de la décolonisation, s’implante dès 1956 en
Colombie britannique, part à la conquête du marché nord-américain, renforce ses
positions au royaume-Uni, perce avec un inégal succès au Brésil et en espagne,
s’intéresse de plus en plus au plâtre et aux céramiques sanitaires, renforçant ainsi
sa vocation européenne (allemagne, Pays-Bas)4.
avec les deux chocs pétroliers, le groupe accroît ses ambitions internatio-
nales. il accède au leadership nord-américain grâce aux rachats successifs de

1. Dominique Barjot, « Lafarge : l’ascension d’une multinationale à la française [1833-2005] »,


Relations internationales, 124, octobre 2005, p. 51-67. Voir aussi Léon Dubois, Lafarge Coppée.
150 ans d’industrie, Paris, Belfond, 1988, 324 p.
2. Dominique Barjot, « Lafarge: the keys of a successful internationalisation process [1946-
1973] », dans H. Bonin (dir.), Transnational Companies (xix e-xx e siècles), 2002, Plage, p. 663-
680.
3. Bertrand Collomb, « L’industrie européenne du ciment au xxe siècle », Entreprises et
Histoire, 3, 1993, p. 97-100.
4. Jung-yeon Lee, Lafarge [1946-1974], mémoire de maîtrise d’histoire (sous la direction de
D. Barjot), Université Paris-Sorbonne (Paris iV), septembre 2004, 331 p.

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Canada Cement [1970] et de General Portland [1981]. il fusionne avec le groupe


belge Coppée [1980], s’impose comme le numéro trois en allemagne, avec la
prise de contrôle de Portland Zementwerk [1988] et le rachat, un an plus tard,
de Karsdorfer Zement, leader est-allemand [1989], développe une ambitieuse
stratégie européenne en direction de la Suisse [1989], puis de l’autriche, de l’es-
pagne et de la turquie, enfin de l’europe de l’est, dès 1991. À partir de 1993, la
multinationale à la française devient une firme mondiale. Ce passage à la firme
mondiale résulte d’une croissance soutenue, explicable par une efficace stratégie
de marché et l’originalité d’un modèle de développement.

Le marcHé : passage à La fIrme mondIaLe

Bénéficiant d’une croissance soutenue du chiffre d’affaires et des profits, le


groupe Lafarge appuie sa mondialisation sur la maîtrise de quatre métiers et une
géographie équilibrée de ses marchés.
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une croissance soutenue du chiffre d’affaires et des profits

en 1993, le groupe Lafarge est à la croisée des chemins. Certes, depuis sa


création, il a beaucoup progressé. Présent dans quarante pays, il dispose de
positions fortes : numéro deux mondial du ciment derrière Holderbank (actuel
Holcim) et numéro trois mondial des bétons et granulats. Bien installé dans le
secteur des bioactivités (numéro un mondial pour la lysine, grâce à sa filiale
orsan), il se trouve en position plus faible dans le secteur du plâtre (numéro trois
européen) et dans la fabrication de produits formulés prêts à l’emploi (leader en
france et en espagne).

Une santé financière rétablie, malgré la crise


Depuis 1989, cependant, le groupe connaît une stagnation.

tableau 2. Taux de croissance annuels moyens


du chiffre d’affaires et des profits de 1989 à 1993
(en %)

Chiffre d’affaires hors taxes ................................................................... 0


résultat brut d’exploitation .................................................................... – 0,5
résultat d’exploitation courant .............................................................. – 0,4
marge brute d’autofinancement ............................................................. – 2,0
résultat net part du groupe .................................................................... – 3,7
résultat net par action ............................................................................ – 5,7
Source : Lafarge.

Les résultats d’exploitation se sont contractés et le résultat net a régressé.


La conjonction des frais financiers, de pertes exceptionnelles et de la pression
fiscale contraint à sacrifier les actionnaires. or, à l’époque, Lafarge en compte

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123 000, et 40 % de son capital appartient à des non-résidents. La réduction de


la marge brute d’autofinancement limite de plus en plus les capacités d’autofi-
nancement des investissements.
tout n’est cependant pas négatif, car le groupe a assaini sa situation finan-
cière.

tableau 3. Taux de croissance annuels moyens


de 1989 à 1993
(en %)

investissements totaux ......................................................................................... – 9,7


effectifs employés ............................................................................................... – 0,2
Productivité annuelle du travail ........................................................................... + 0,2
endettement net ................................................................................................... – 2,0
fonds propres ....................................................................................................... + 2,8
Source : Lafarge.
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Certes, les investissements totaux connaissent un recul, mais la productivité
du travail progresse. il s’ensuit un désendettement net, corrélatif d’une progres-
sion substantielle des fonds propres. Dans un contexte marqué par la plus forte
récession qu’ait connue le marché mondial de la construction depuis la seconde
guerre mondiale, Lafarge fait front.

Une croissance retrouvée


1993 marque le point de départ d’une reprise de la croissance.

tableau 4. Taux de croissance annuels moyens du chiffre d’affaires


et des profits de 1993 à 2004
(en %)

Chiffre d’affaires hors taxes (caht) .................................................................... + 4,1


résultat brut d’exploitation (rbe) ........................................................................ + 5,1
résultat net part du groupe (rn) .......................................................................... + 4,7
Source : Lafarge.

La progression du chiffre d’affaires, relativement lente jusqu’en 1996 (+ 3 %


par an en moyenne), s’accélère entre 1997 et 2002 (+ 7,5 %). Cette époque voit
en effet la fusion avec redland, leader mondial des granulats et de la toiture,
puis le rachat de Blue Circle, sixième cimentier mondial1. ensuite, l’expansion
se tasse (– 0,3 % par an en moyenne de 2002 à 2004). Le pic de l’activité est
d’ailleurs atteint dès 2002 avec 14,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
L’on retrouve cette évolution dans le mouvement des profits.

1. il s’agit de deux importants groupes britanniques.

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tableau 5. Taux de croissance annuels moyens


des profits de 1993 à 2004 par période
(en %)

1993-1996 1996-2002 2002-2004


rbe .............................................................. + 3,6 + 8,6 – 0,5
rn ................................................................ + 2,5 + 7,2* + 3,0
* mais + 3,5 % seulement si l’on décompte du résultat net la provision constituée en 2002 afin de faire face à une
amende infligée par la Commission européenne en titre du cartel des cimentiers et à l’investigation de l’office
allemand des cartels.
Source : Lafarge.

La vigueur de la reprise s’accompagne d’un relèvement des marges d’exploi-


tation, qui semblent avoir bénéficié des opérations de croissance externe opérées
entre 1998 et 2002.

Tableau 6. Évolution des marges bénéficiaires


du groupe Lafarge entre 1989 et 1993
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(en % du chiffre d’affaires ht)

1989-1992 1993-1996 1997-2001 2002-2004


rbe/caht ......................... 15,0 17,0 20,8 20
rn/caht .......................... 5,5 6,0 5,6 5,5
Source : Lafarge.

Cette amélioration ne s’est pas traduite au niveau du résultat net, sauf entre
1993 et 1996, avant les grandes opérations de croissance externe.

une firme cimentière misant sur quatre métiers

entre 1993 et 2004, l’essor du groupe Lafarge s’appuie sur quatre métiers.
Seuls trois ont été conservés en cours de la période, le quatrième ayant donné lieu
à une réorientation stratégique, autour des années 1997-1998 : ciment, granulats
et béton, plâtre, le dernier (la toiture) s’étant substitué, à cette date, aux maté-
riaux de spécialité. Le groupe Lafarge produit d’abord du ciment1. Élaboré à
partir d’un mélange de calcaire et d’argile, progressivement porté à une tempé-
rature très élevée (1 450 °C), brutalement refroidi puis broyé, le ciment est une
poudre minérale qui forme, en présence d’eau, une pâte faisant prise et durcis-
sant progressivement. associé à des granulats, à de l’eau et à divers adjuvants,
le ciment peut devenir béton prêt à l’emploi. L’on comprend dès lors que, pour
produire ce béton au coût de revient le plus bas possible, les cimentiers se soient
intéressés à la production de granulats. Ces derniers sont des matériaux (sables,
graviers) extraits en carrière et qui, à la suite de traitements, deviennent des
produits industriels. il existe donc, à côté de la production de ciment, une branche
spécifique, dite granulats et béton.

1. Voir le rapport d’activité 1993.

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Le troisième grand métier historique de Lafarge est le plâtre : l’entrée dans le


groupe remonte à 1904, date de la fondation des Plâtres du Vaucluse1. Le plâtre
résulte de la déshydratation du gypse sous l’effet de la chaleur. il a la propriété
de pouvoir se recombiner à l’eau pour donner une pâte capable de faire prise et
de durcir. il est utilisé sous la forme de poudre, de carreaux et, de plus en plus,
de plaques. L’activité toiture, quatrième métier du groupe, est entrée dans le
champ des activités en 1998, avec le rachat de redland. Cette dernière activité
propose des tuiles béton ou terre cuite de tous types, ainsi que divers systèmes
pour conduits de cheminée et accessoires répondant à toutes les gammes de
clientèles.
La toiture a pris, à partir de 1998-1999, le relais des produits de spécialité.
Ceux-ci relèvent de deux catégories. en premier lieu, il s’agit des aluminates
de calcium. Ce sont des ciments à haute teneur en alumine, utilisés pour leurs
propriétés physiques et chimiques particulières (résistance à la corrosion, à
l’abrasion, à la chaleur) et des ciments à prise rapide. en second lieu, l’on trouve
des produits formulés prêts à l’emploi. ils résultent du mélange de composants
minéraux et (ou) organiques. ils se présentent sous forme de poudres (mortiers),
de pâtes (colles) ou de liquides (adjuvants, peintures).
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Des métiers de poids et de dynamisme très inégaux
Ces métiers se sont caractérisés, tout au long de la période, par un inégal
dynamisme.

tableau 7. Taux de croissance annuels moyens du chiffre d’affaires


par branche d’activité de 1993 à 2004
(en %)

1993-2004 1998-2004
Ciment ...................................................................................... + 5,1 + 5,3
Granulats et béton .................................................................... + 5,0 + 3,0
Plâtre ........................................................................................ + 4,8 + 5,0
matériaux de spécialités ........................................................... + 1,6 + 0,5*
toiture ...................................................................................... – 0,4
* activités cédées à matéris en 1999.
Source : Lafarge.

La branche ciment apparaît comme la plus dynamique. L’acquisition de Blue


Circle, en 2001, a été une bonne opération commerciale. Le plâtre se caracté-
rise aussi par une croissance vigoureuse, qui s’accélère au cours de la période.
Granulats et béton paraissent en retrait, en raison d’une vive concurrence dans
le secteur du béton prêt à l’emploi, face à des groupes tels que rmc (filiale de
Cemex, numéro un mondial du secteur) et Holcim. enfin, la toiture fait figure de
secteur mûr, en voie de tassement.
en poids relatif, le ciment domine. À lui seul, il assure environ 45 % du chiffre
d’affaires de la période.

1. rapport d’activité 2004, p. 85.

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Tableau 8. Poids relatifs des différents secteurs en termes de chiffre d’affaires

(% du total)

1993-1997 1998-2004
Ciment ...................................................................................... 44,9 45,3
Granulats et béton .................................................................... 28,7 32,4
Plâtre ........................................................................................ 9,5 8,2
matériaux de spécialités ........................................................... 16,9 1,3
toiture ...................................................................................... 0 12,8
total ......................................................................................... 100 100
Source : Lafarge.

Granulats et béton constituent nettement le second ensemble. L’année 1998


marque un saut quantitatif important, suite à l’absorption de redland. Ce fait,
joint à la prise de contrôle de Blue Circle, explique la diminution du poids relatif
du plâtre.
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en tonnage, la production de granulats apparaît la plus considérable :
230,3 millions de tonnes produits en 20041. mais la croissance de la production
physique apparaît toutefois moins forte et, surtout moins continue, que celle de
ciment.

Tableau 9. Croissance de la production physique des différentes branches :


taux de croissance annuels moyens

(en %)

1993-2004 1998-2004
Ciment ...................................................................................... + 5,0 + 5,0
Granulats .................................................................................. + 4,6 + 1,9
Béton ........................................................................................ + 2,9 + 1,2
Source : Lafarge.

entre 1993 et 2004, la production de ciment s’accroît de 31,4 à 112,7 millions


de tonnes, avec un saut quantitatif de près de 20 millions de tonnes entre 2000 et
2001, suite à l’absorption de Blue Circle. La progression demeure plus modeste
pour le béton : 36,6 millions de mètres cubes produits en 2004 contre 16,2 en
1993. il s’agit néanmoins d’un doublement au moins, suite aux acquisitions de
redland et de Blue Circle.

Disparité des niveaux d’emploi et de productivité


Ce poids inégal des secteurs se retrouve si l’on confronte les niveaux d’em-
ploi. La prépondérance du ciment apparaît plus nette encore.

1. Contre 81,4 seulement en 1993.

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Revue économique

tableau 10. Les effectifs employés : poids respectifs des différentes branches d’activité
(en % du total)

1939-1997 1998-2004
Ciment ...................................................................................... 47,7 48,4
Granulats et béton .................................................................... 29,2 26,6
Plâtre ........................................................................................ 8,3 6,4
matériaux de spécialités ........................................................... 14,8 2,0
toiture ...................................................................................... 16,6
total ......................................................................................... 100 100
Source : Lafarge.

Les employés du secteur cimentier représentent environ 48 % de l’effectif total.


Granulats et béton comptent entre 27 et 29 % de ce même effectif. C’est presque
deux fois plus que les matériaux de spécialités jusqu’en 1998 ou la toiture après
cette date. Quant au plâtre, il mobilise relativement moins de main-d’œuvre.
La demande en main-d’œuvre apparaît la plus forte dans l’industrie cimentière.
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Tableau 11. Taux de croissance annuels moyen des effectifs employés
par branche de 1993 à 2004
(en %)

Ciment .................................................................................................................. + 4,6


Granulats et béton ................................................................................................ + 3,2
Plâtre .................................................................................................................... + 3,5
matériaux de spécialités ....................................................................................... + 1,8*
toiture .................................................................................................................. 0**
* Jusqu’en 1998.
** À partir de cette date.
Source : Lafarge.

Si le mouvement s’est sans doute ralenti en fin de période, au total la main-d’œuvre


employée dans le ciment a été multipliée par plus de 3,5 en douze ans : 38 200 salariés
en 2004 contre seulement 11 923 en 1993. À cette date, granulats et béton emploient
20 100 personnes contre 11 700 pour la toiture et 6 000 pour le plâtre.

Tableau 12. Niveaux de productivité du travail


par branche sur l’ensemble de la période 1993-2004
(indice base 100 pour la moyenne des branches)

Ciment .................................................................................................................. 95
Granulats et béton ................................................................................................ 86
Plâtre .................................................................................................................... 112
matériaux de spécialités ....................................................................................... 105
toiture .................................................................................................................. 79
moyenne des secteurs .......................................................................................... 100
Source : Lafarge.

86

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Dominique Barjot

Le plâtre constitue en effet le secteur le plus performant en termes de producti-


vité du travail. Seuls les matériaux de spécialité et, surtout, le plâtre se caractérisent
par des niveaux de productivité supérieurs à la moyenne. Si le ciment n’en est pas
très éloigné, il n’en va pas de même des granulats et béton et surtout de la toiture.
Néanmoins, à partir de 1998, un rattrapage s’amorce au profit du ciment,
des granulats et du béton, secteurs dans lesquels le groupe doit défendre son
leadership face à la concurrence.

tableau 13. Taux de croissance annuels moyens de la productivité du travail


(en %)

1993-2004 1998-2004
Ciment ...................................................................................... + 0,5 + 2,6
Granulats .................................................................................. + 1,8 + 2,3
Plâtre ........................................................................................ + 1,3 + 0,3
matériaux de spécialités ........................................................... + 0,7
toiture ...................................................................................... – 0,4
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Source : Lafarge.

en revanche, les gains de productivité se ralentissent dans l’industrie du plâtre


et deviennent même négatifs pour la toiture, par suite du marasme prolongé de
son principal marché, l’allemagne.

Des activités inégalement rentables


La hiérarchie change si l’on se place sous l’angle de la rentabilité. Le ciment
demeure le secteur le plus rémunérateur.

tableau 14. Niveaux de rentabilité par branche : évolution du ratio revenu brut
d’exploitation/chiffre d’affaires hors taxes par période
(en %)

1993-1997 1998-2004 1993-2004


Ciment ......................................................... 22,8 10,2 11,7
Granulats et béton ....................................... 3,3 7,4 6,5
Plâtre ........................................................... 8,5 7,3 7,6
matériaux de spécialités .............................. 6,4
toiture ......................................................... 11,3
moyenne ..................................................... 13,1 11,2 11,5
Source : Lafarge.

Le rachat des usines de Blue Circle et l’extension dans activités dans les
pays neufs ont entraîné une réduction des marges d’exploitation. Une évolution
du même type s’observe pour le plâtre. en revanche, la progression apparaît
spectaculaire pour les granulats et le béton. Cette branche a le mieux profité
des opérations de fusion des années 1998-2001. autrement dit, redland a plus
apporté à Lafarge que Blue Circle. Le confirme le haut niveau de rentabilité de

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Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Revue économique

la branche toiture, moins concurrentielle que le ciment, le béton prêt à l’emploi


ou le plâtre.
Néanmoins, l’apport de Blue Circle n’a pas été négligeable. en effet, les
résultats d’exploitation de la branche ciment ont progressé à un rythme soutenu,
équivalent à celui du chiffre d’affaires.

tableau 15. Taux de croissance annuels moyens


du revenu brut d’exploitation du groupe Lafarge de 1993 à 2004
1993-2004 1998-2004
Ciment ...................................................................................... + 5,1 + 4,8
Granulats et béton .................................................................... + 9,7 + 2,5
Plâtre ........................................................................................ + 7,6 + 3,6
matériaux de spécialités ........................................................... + 6,1
toiture ...................................................................................... – 3,3
Source : Lafarge.

on observe, à partir de 1998, un fléchissement du rythme de la croissance


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du revenu brut d’exploitation. mais il n’a rien à voir avec le fort ralentissement
observé pour le plâtre et, plus encore, les granulats et le béton. Un optimum a
été atteint vers 1998-2002. ensuite, les gains de rentabilité fléchissent : redland
comme Blue Circle sont entrés dans Lafarge avec des installations en général
moins compétitives que celle du groupe acheteur ; de même, l’entrée de Lafarge
dans le secteur de la toiture s’est produite au moment où le marché allemand, le
plus important pour cette branche, entrait en dépression. Pour le plâtre joue l’in-
suffisance de taille face aux deux grands leaders mondiaux, l’américain United
States Gypsum Corporation (Usg) et le Britannique British Plaster Board (bpb).
il paraît difficile, comme le suggère le cas de la toiture, de ne pas prendre en
considération le paramètre géographique.

La géographie des marchés : trois zones majeures d’intervention

Les années 1993 à 2004 voient Lafarge devenir une firme mondiale. La part
de la france dans son activité ne cesse de décroître.

tableau 16. Évolution de la part de la France dans les effectifs employés


par le groupe Lafarge de 1993 à 1999
(en % du total)

effectifs employés Chiffres d’affaires ht


1993 ............................................................. 36 41
1994 ............................................................. 32 37
1995 ............................................................. 31 36
1996 ............................................................. 30 32
1997 ............................................................. 20 23
1998 ............................................................. 19 22
1999 ............................................................. 16 19
Source : Lafarge.

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Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Dominique Barjot

au fur et à mesure du développement du groupe, la france cesse d’être le


marché prédominant. Cette évolution se renforce encore avec les prises de
contrôle de redland, Blue Circle et warren. mais c’est aussi le fruit de la straté-
gie d’une firme mondiale : en 2004, le groupe est présent dans 75 pays du monde
contre 40 en 1993. Ce passage à la firme mondiale s’est accompagné d’un rééqui-
librage des marchés. même si l’europe occidentale est resté le plus important,
elle a perdu, à partir de 1998, sa prépondérance absolue. Ce rééquilibrage s’est
effectué au profit de l’amérique du Nord et, plus encore, des pays émergents1.
en 2004, ces pays représentent même 31 % contre 27 % pour l’amérique du
Nord et 42 % pour l’europe occidentale.
Les marchés des pays émergents apparaissent les plus porteurs, même si, à
partir de 1997-1998, le groupe opère aussi une percée en amérique du Nord :

tableau 17. Taux de croissance annuels moyens du chiffre d’affaires hors taxes
(en % du total et par période)

1992-2004 1993-1997 1997-2004


europe occidentale ...................................... + 2,7 + 1,6 + 3,5
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amérique du Nord ...................................... + 3,9 + 1,8 + 5,4
Pays émergents ............................................ + 8,6 + 8,0 + 9,0
Source : Lafarge.

Cette conquête des marchés émergents domine toute la période. elle se retrouve
en termes d’emplois. La poussée s’opère de façon continue au profit des pays
émergents. en revanche, les années 1993 à 1997 voient s’opérer un reflux des
effectifs tant en europe occidentale qu’en amérique du Nord. Celle-ci connaît
une progression forte des créations d’emplois à partir de 1997-1998, à un rythme
presque équivalent à celui des pays émergents. il s’ensuit un rééquilibrage plus
marqué encore que pour le chiffre d’affaires. entre 1993 et 1997, l’europe occi-
dentale offrait plus de 55 % des emplois contre un quart pour les pays émergents
et un cinquième pour l’amérique du Nord. À partir de 1998, les pays émergents
concentrent près de la moitié de l’effectif employé. La réorientation s’est faite de
l’europe vers ces pays la part de l’amérique du Nord demeurant stable.
Cette dernière bénéficie en effet d’un important avantage sur les deux autres
zones en terme de niveaux de productivité du travail.

tableau 18. Niveaux comparés de productivité annuelle du travail


entre les trois grands ensembles géographiques
(indice base 100 pour la productivité globale du groupe)

1993-2004 1993-1997 1998-2004


europe occidentale ...................................... 118 104 127
amérique du Nord ...................................... 145 136 148
Pays émergents ............................................ 62 61 62
total ............................................................ 100 100 100
Source : Lafarge.

1. À savoir europe centrale et de l’est, pays du Bassin méditerranéens, afrique et océan indien,
amérique latine et ensemble asie-Pacifique.

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Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Revue économique

L’écart demeure fort avec les pays émergents : il a tendance à s’accroître au


cours de la période. il est important vis-à-vis de l’europe occidentale, même si
l’écart se réduit à partir de 1998, à la suite de l’intégration des unités de produc-
tion apportées par redland, puis par Blue Circle, jugés moins efficaces par les
dirigeants de Lafarge1.
au début des années 1990, en dehors de l’europe occidentale et de l’amé-
rique du Nord, le groupe Lafarge paraît bien implanté surtout en amérique
latine : 9 % des effectifs employés du groupe en 1990. Cette part se maintient
jusqu’en 1995 : 9 % des effectifs encore. Néanmoins, depuis 1991, les effec-
tifs progressent beaucoup plus dans les zones afrique, asie et Pacifique : 3 %
des effectifs employés en 1990 et en 1991, 5 en 1993, 8 en 1995. entre 1995
et 2002, la part de l’amérique latine s’est réduite en terme d’effectifs, mais
est restée stable si l’on considère sa part du chiffre d’affaires total. il n’en va
plus de même après. Non seulement la productivité y progresse moins vite que
dans l’ensemble du groupe, mais en part relative du chiffre d’affaires comme
d’ailleurs des effectifs, elle se trouve rattrapée par l’afrique, l’océan indien
et, plus encore, l’ensemble asie-Pacifique, zones privilégiées d’expansion
du groupe. Celui-ci conserve mieux ses positions dans le bassin de la médi-
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terranée, où il bénéficie d’une productivité élevée de la main-d’œuvre. il
ne fait guère de doute que le marché des pays émergents a constitué, durant
ces années, un facteur déterminant de la vigueur de la croissance du groupe
Lafarge.

La productIon et ses facteurs :


une croIssance soutenue

Grâce à des performances enviables, Lafarge apparaît, depuis 1993, comme


un groupe rentable, bien que confronté à un besoin structurel de financement à
court terme. La logique de croissance se trouve ainsi subordonnée à la confiance
de l’actionnaire.

des performances enviables

Une bonne maîtrise de ses coûts de production assure au groupe une crois-
sance extensive, mais génératrice de gains de productivité, du fait d’une efficace
stratégie d’investissements.

Une bonne maîtrise des coûts de production


Sur l’ensemble de la période, la valeur ajoutée brute progresse plus vite que
les consommations intermédiaires, mais aussi que les frais de personnel.

1. « message du Président », rapports 1998 et 2002.

90

Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Dominique Barjot

tableau 19. Taux de croissance annuels moyens des différents éléments


du compte d’exploitation
(en % et par période)

1993-1997 1997-2004 1993-2004


Consommations intermédiaires ................... + 2,2 + 4,8 + 3,7
Valeur ajoutée brute .................................... + 2,7 + 5,9 + 4,6
frais de personnel ....................................... + 1,5 + 6,3 + 4,3
revenu brut d’exploitation ......................... + 4,5 + 5,5 + 5,1
Source : Lafarge.

Le revenu brut d’exploitation augmente le plus. toutefois, dès 1997, le rythme


de progression des consommations intermédiaires s’élève de manière sensible.
Surtout, à partir de cette date, les frais de personnel s’accroissent plus vite que
le revenu brut d’exploitation.
Cette dégradation revêt un caractère contingent. elle résulte de l’absorption
de redland. en effet, entre 1998 et 2004, la part des dépenses de personnel au
sein de la valeur ajoutée apparaît plus faible qu’au cours de la période précé-
dente, de 1993 à 1997.
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tableau 20. Structure du compte d’exploitation du groupe Lafarge
(en % du total et par période)

1) répartition du chiffre d’affaires hors taxes


Chiffre d’affaires Consommations Valeur ajoutée
hors taxes intermédiaires brute
1991-1997 ....................................... 100 56,6 43,4
1998-2004 ....................................... 100 51,8 48,2
2) répartition de la valeur ajoutée
Valeur ajoutée revenu brut
frais de personnel
brute d’exploitation
1991-1997 ....................................... 100 61 39
1998-2004 ....................................... 100 56,6 43,4
Source : Lafarge.

on observe en outre une progression marquée de la part de la valeur ajoutée


au sein du chiffre d’affaires.

Une croissance extensive génératrice de gains de productivité


entre 1993 et 2004, la valeur ajoutée s’accroît plus que le volume physique
des facteurs de production.

tableau 21. Taux de croissance annuels moyens de la valeur ajoutée


et du volume physique des facteurs de production de 1993 à 2004
(en %)

Valeur ajoutée brute ............................................................................................. + 4,6


effectifs employés ............................................................................................... + 3,3
Capital fixe productif brut .................................................................................... + 3,7
Source : Lafarge.

91

Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Revue économique

Le stock de capital productif brut1 augmente plus que les effectifs employés. il
s’est donc produit, au cours de la période, une substitution du capital au travail.
Les années 1993 à 2004 ont vu, en outre, des gains de productivité globale.

tableau 22. Taux de croissance annuels moyens de la valeur ajoutée


et des différents indicateurs de productivité de 1993 à 2004
(en %)

Valeur ajoutée brute ............................................................................................. + 4,6


Productivité annuelle du travail ........................................................................... + 1,3
Productivité du capital fixe productif brut ........................................................... + 0,2
Productivité globale des facteurs de production .................................................. + 0,9
Source : Lafarge.

La productivité globale des facteurs de production s’élève de près de 1 % par


an en moyenne. L’essentiel de la progression de la valeur ajoutée résulte donc
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de l’augmentation des facteurs physiques de la production (+ 3,7 % par an en
moyenne). Le groupe Lafarge conserve, entre 1993 et 1994, un mode de crois-
sance extensif. mais les gains de productivité, parce que réels, traduisent l’effi-
cacité de la stratégie d’investissements, dans une industrie très capitalistique.

Une efficace stratégie d’investissement


Le groupe a maintenu un effort soutenu d’investissement, tout en en freinant
la croissance. Durant les années 1993 à 2004, la formation brute de capital fixe
s’élève au rythme de + 3,1 % par an moyenne, soit à un rythme inférieur d’un
point et demi à la valeur ajoutée brute. Ce freinage des investissements découle
directement du caractère capitalistique de l’activité du groupe.

tableau 23. Évolution de la part des capitaux fixes au sein de l’actif


du groupe Lafarge pour chacune des périodes considérées
(en % du total de l’actif)

1993-1996 ............................................................................................................ 77,7


1997-2001 ............................................................................................................ 41,1
2002-2004 ............................................................................................................ 40,4
1993-2004 ............................................................................................................ 45,3
Source : Lafarge.

La stratégie adoptée par le groupe a permis ainsi d’améliorer la liquidité de


l’actif après 1997.
Sauf de 2002 à 2004, dans une phase d’assimilation des actifs de redland et
Blue Circle, le taux d’investissement est resté toujours élevé.

1. amortissements inclus.

92

Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Dominique Barjot

tableau 24. Évolution du taux d’investissement du groupe Lafarge entre 1993 et 2004
(en % du chiffre d’affaires hors taxes et par période)

fbcft/caht fbcf interne/caht fbcf externe/caht


1993-1996 .................................. 16,4 8,4 8,0
1997-2001 .................................. 33,7 10,6 23,1
2002-2004 .................................. 10,0 7,3 2,7
1993-2004 .................................. 21,9 9,0 12,9
Source : Lafarge.

il l’a été surtout entre 1997 et 2001, dans la phase d’acquisition, comme le
montre l’évolution des investissements externes. Ceux-ci ont en moyenne été
plus importants qui les investissements internes.
1997 a donc vu une nette inflexion au profit de la croissance externe, puis
celle-ci a fait place, à partir de 2002, à une politique de cessions et de recentrage
sur les usines et installations du groupe. il s’est agi, d’une part, de procéder aux
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désengagements imposés par l’application des règlements anticoncurrentiels ou
d’implantations jugées non stratégiques, d’autre part, de moderniser les installa-
tions acquises de redland et de Blue Circle.

tableau 25. La stratégie des investissements du groupe Lafarge de 1993 à 2004


(en % du total des investissements)

investissements acquisitions Cessions acquisitions nettes total


Périodes
industriels (1) brutes (2) (3) (4) = (2) – (3) (5) = (1) + (4)
1993-1996 ...... 65,1 65,4 – 30,5 34,9 100
1997-2001 ...... 37,7 87,7 – 25,4 68,3 100
2002-2004 ...... 132,9 47,4 – 80,3 – 32,9 100
N.B. :
1997-1998 ...... 26,3 84,0 – 10,3 73,7 100
2000-2001 ...... 40,3 94,7 – 37,0 59,7 100
Source : Lafarge.

De 1993 à 1996, la croissance interne a mobilisé presque les deux tiers des
investissements totaux contre un peu plus d’un tiers pour les acquisitions exter-
nes nettes. C’est donc la récession mondiale de la construction observée en 1993
qui a poussé le groupe à s’affirmer comme un leader mondial. Durant les années
1997 à 2001, la croissance externe prévaut. Les acquisitions nettes représentent
près des deux tiers du total contre moins de 40 % pour les investissements indus-
triels. L’écart apparaît plus net encore si l’on élimine l’effet des cessions. en
1997 et en 1998, les acquisitions brutes ont absorbé plus des quatre cinquièmes
des dépenses d’investissement ; si l’on ne considère que les acquisitions nettes,
le rapport reste de trois quarts à un quart entre celles-ci et les investissements
industriels. La prise de contrôle de redland s’est donc accompagnée de cessions
plutôt modestes. tel n’a pas été le cas avec le rachat de Blue Circle : la période
2002 à 2004 a vu un net mouvement de désinvestissement externe.

93

Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Revue économique

tableau 26. Évolution du taux d’autofinancement


des investissements cessions déduites du groupe Lafarge
(en % du total et par période)

1993-1996 ............................................................................................................ 64,8


1997-2001 ............................................................................................................ 32,5
2002-2004 ............................................................................................................ 104,1
1993-2004 ............................................................................................................ 48,8
Source : Lafarge.

Les investissements du groupe Lafarge ont été autofinancés néanmoins à


hauteur de 50 % durant la période 1993-2004. entre 1993 et 1996, le groupe
a même autofinancé ses investissements à hauteur des deux tiers, c’est-à-dire
qu’il a couvert ses investissements industriels à partir de ses seuls bénéfices. La
situation s’est dégradée de 1997 à 2001, car le groupe a dû s’endetter à long et
moyen terme : le taux d’autofinancement tombe à un tiers du total des investis-
sements cessions déduites. Les années 2002 à 2004 voient un net redressement :
le taux d’autofinancement dépasse alors 100 %, attestant d’une volonté marquée
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de désendettement à long et moyen terme. Cette stratégie d’investissements a
permis de préserver un haut niveau de rentabilité du groupe, lui-même confronté
à un besoin structurel de financement à court terme.

une firme rentable confrontée


à un besoin structurel de financement à court terme

Le groupe Lafarge se caractérise, entre 1997 et 2004, par une rentabilité et une
structure financière satisfaisantes, mais aussi par une trésorerie structurellement
tendue.

Une firme rentable


entre 1993 et 2004, le groupe Lafarge a toujours bénéficié d’une rentabilité
élevée.

tableau 27. Évolution des indicateurs de rentabilité


du groupe Lafarge entre 1993 et 2004
(en % par période)

1993-1996 1997-2001 2002-2004 1993-2004


revenu brut d’exploitation
ratio 1 = ...... 13,5 13,5 13,8 13,5
Capital fixe productif brut
marge brute d’autofinancement
ratio 2 = 11,2 18,4 18,5 17,9
Capitaux propres
Résultat net part du groupe
ratio 3 = ..... 6,8 7,7 7,6 7,1
Capitaux propres
Résultat net part du groupe
Ratio 4 = ..... 5,6 2,7 3,2 3,8
Total du passif
Source : Lafarge.

94

Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Dominique Barjot

Le rendement économique des immobilisations brutes1 a voisiné de façon


constante avec les 13,5 %, s’élevant même entre 2002 et 2004 : les désinvestisse-
ments ont été pertinents. De même, les acquisitions des années 1997 à 2001 se sont
traduites par une nette augmentation de la rentabilité des fonds propres2. Celle-ci
s’est au moins maintenue durant la phase de cessions en 2001, 2003 et 2004. Sous
l’angle de l’actionnaire, ces performances apparaissent intéressantes, comme le
montre l’évolution du ratio résultat net par du groupe/capitaux propres : les acqui-
sitions de redland, Blue Circle et warren se sont traduites par une augmentation de
près d’un point de la rentabilité financière, restée pratiquement stable de 2002 à 2004.
moins satisfaisante apparaît l’évolution de la rentabilité de l’ensemble des capitaux :
le rapport résultat net part du groupe/total du passif s’est abaissé de manière sensible
entre 1993-1996 et 1997-2001 avant de se redresser en 2002-2004.
Cette bonne rentabilité traduit une structure financière satisfaisante. entre
1993 et 2004, le groupe Lafarge se caractérise par un bon niveau d’indépendance
financière, la persistance d’un important endettement à long et moyen terme
ainsi qu’un bon niveau de couverture des dettes à long et moyen terme par la
marge brute d’autofinancement.
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tableau 28. Évolution de la structure financière du groupe Lafarge de 1993 à 2004
(en % par période)

1993-1996 1997-2001 2002-2004 1993-2004


Capitaux propres
Ratio 5 = ..................... 77,6 42,6 41,6 46,5
Total du passif
Dettes à long et moyen terme
Ratio 6 = 21,2 36,8 34,4 33,4
Total du passif
Marge bute d'autofinancement
Ratio 7 = 40,9 21,3 21,1 23,6
Dettes à long et moyen terme
Source : Lafarge.

Le ratio d’indépendance financière3 s’est fortement dégradé entre 1993-1996


et 1997-2001, sans pouvoir se redresser devant les années 2002, 2003 et 2004.
La marge brute d’autofinancement n’a pas progressé aussi vite que le montant
cumulé des dettes à long terme : le tassement semble même s’être accentué au
cours des trois années terminales. en revanche, sur l’ensemble de la période, les
capitaux propres ont représenté en moyenne plus de 45 % du total du passif. De
plus, on note entre 2002 et 2004 une diminution relative de l’endettement long.
Néanmoins, de 1993 à 2004, les dettes à long et moyen terme ont représenté
en moyenne le tiers du passif, alors que la marge brute d’autofinancement ne
couvrait qu’à peine le quart de ces mêmes dettes.

Une trésorerie structurellement tendue


Le groupe souffre, tout au long de la période, d’une trésorerie tendue. Les
capitaux fixes l’ont toujours emporté sur les fonds propres. L’endettement à

1. ou capital fixe productif brut.


2. À savoir marge brute d’autofinancement/capitaux propres.
3. exprimé par les rapports capitaux propres/total du passif.

95

Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Revue économique

long et moyen terme constitue donc, de 1993 à 2004, une nécessité constante
et irréfragable. il n’a pas suffi. Certes, les ressources permanentes1 ont dépassé,
par leur montant, celui des capitaux fixes en début de période, de 1993 à 1996,
puis en 1999, mais toutes les autres années ont connu un déficit, avec un point
critique en 2001 au moment de l’acquisition de Blue Circle. Ce déficit s’est accru
au cours de la période : exprimé par la différence entre ressources permanentes
et capitaux fixes, il s’élève à – 3,7 % en moyenne par an pour la période 1993-
2004, mais à – 5,7 % de 2000 à 2004. Le groupe a eu conscience du danger, car
le déficit s’est beaucoup réduit, presque de six fois, entre 2001 et 2004.
face à une trésorerie structurellement tendue, le groupe Lafarge doit en appe-
ler aux actionnaires. Le groupe procède de façon récurrente à des augmentations
de capital. Dès 1993, les dirigeants lancent, en octobre, une émission d’actions
aux États-Unis en vue de renforcer les moyens financiers de leur filiale Lafarge
Corporation. au terme de l’opération2, la maison mère dispose de 53,1 % du
capital. Ces moyens financiers nouveaux permettent la réorganisation de la plus
importante filiale du groupe. La maison mère elle-même3 émet en novembre de
nouvelles actions : elle en tire 1,5 millions de francs de fonds propres supplé-
mentaires. Cette augmentation de capital aide au désendettement du groupe. Le
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groupe renouvelle son appel aux actionnaires en mars 1998, cette fois à hauteur
de 3,2 milliards de francs, avec droit préférentiel pour les actionnaires anciens : il
s’agit à la fois de les fidéliser, d’accroître les moyens financiers du groupe et d’en
poursuivre le développement4. enfin, en 2003, le groupe émet pour 1,3 million
d’euros d’actions nouvelles, toujours avec droit préférentiel pour les actionnaires
anciens. il s’agit d’accompagner le processus de désendettement du groupe.
L’objectif est de constituer un actionnariat stable : tel est le sens des attribu-
tions d’actions gratuites auxquelles il est procédé par deux fois en janvier 1993 et
en juillet 1995. Les émissions d’actions auprès des salariés du groupe vont dans
le même sens. Dès le mois de décembre 1995, une première opération « Lafarge
en actions » concerne plus de 20 000 de ces salariés. elle reçoit un écho favorable
auprès de 15 000 personnes sur les cinq continents, travaillant dans 234 sociétés,
dont 136 en france. au terme de l’opération, les salariés détiennent 1,4 % du
capital social. Juillet 1999 voit se rééditer le processus : plus de 21 000 salariés
du groupe, dont 60 % hors de france, souscrivent à une augmentation de capital.
Ces augmentations de capital, quelle que soit leur forme, découlent à titre princi-
pal d’une logique de croissance subordonnée à la confiance de l’actionnaire.

une logique de croissance


subordonnée à la confiance de l’actionnaire

Dans un contexte marqué par l’importance des opérations de croissance


externe, le groupe Lafarge doit faire face à un actionnariat dispersé et volatile
ainsi qu’à la tyrannie des cours de Bourse. La stratégie des dirigeants vise à servir
des dividendes croissants sans sacrifier l’autofinancement.

1. Soit fonds propres + dettes à long terme.


2. D’un montant de 123 millions de dollars, dont 85,3 % couverts par des actionnaires exté-
rieurs au groupe. rapport d’activité sur l’année 1993.
3. encore appelée Lafarge Coppée.
4. rapport d’activité de 1998.

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Dominique Barjot

Deux opérations spectaculaires de croissance externe


entre 1993 et 2004, le groupe Lafarge procède à des cessions stratégiques.
Deux dominent la période. Dès le mois de mai 1994, le groupe se désengage
d’orsan, entreprise leader du secteur des biotechnologies1. Cette société constitue
l’un des principaux apports de la fusion Lafarge-Coppée, réalisée en 1980 avec
le soutien du Crédit agricole. mais l’expérience n’a pas répondu aux espoirs :
en 1994, orsan ne représente plus que 3 % de chiffre d’affaires hors taxes du
groupe. L’autre grande cession stratégique survient en nombre 2000. Soucieux
de se concentrer sur ses principaux métiers, Lafarge vend ses activités maté-
riaux de spécialités aux fonds d’investissement cvc Capital Partners, advent
international et Carlyle Group. Leur échappent seules les activités applications
routières vendues au groupe Burelle, et Chaux dont une partie est déjà en joint
venture aux États-Unis avec le groupe Carmeuse. en dehors de ces deux derniers
secteurs, l’ensemble présente une rentabilité suffisante pour donner naissance
à une société indépendante : matéris, dont Lafarge détient encore 34,6 % du
capital. La raison profonde de ce désengagement tient à la nécessité de réduire
l’endettement d’un groupe engagé dans l’acquisition de redland, puis celle de
Blue Circle.
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redland. redland constitue alors l’un des grands groupes britanniques du
secteur des matériaux de construction. fondé en 1919, il s’est rapproché dès
1953 de l’allemand Braas, spécialisé dans les travaux de toiture, où il prend alors
une participation au capital. en 1959, redland s’assure le contrôle de Braas et
engage sa diversification vers les granulats avant, un an plus tard, de s’intéresser
au béton prêt à l’emploi. en 1996, il crée redland Braas Building (rbb) pour
ses activités toitures en europe. au moment de son rachat par Lafarge, redland
emploie 18 000 salariés et réalise environ 3 milliards d’euros de chiffre d’affai-
res hors taxes. il exerce son activité dans les granulats et béton (33 % du total), la
chaux (4 %) et surtout la toiture (53 %), principalement en europe, mais aussi en
asie et en afrique. Dans ce dernier secteur, il se place au premier rang mondial,
mais bénéficie aussi de positions fortes dans les granulats et bétons (numéro un
en france, numéro trois aux États-Unis, numéro quatre au royaume-Uni).
La prise de contrôle s’opère vite. Le 13 octobre 1997, Lafarge lance une offre
publique d’achat (opa) sur 100 % des actions de redland Plc, société cotée
au London Stock exchange (les), au prix de 3,26 livres par action ordinaire,
pour un total de 1,66 milliard de livres. en novembre, Lafarge relève légère-
ment son offre à 3,45 livres par action ordinaire, soit 1,8 milliard de livres. Le
conseil d’administration de redland recommande alors à ses actionnaires d’ac-
cepter l’offre. Par suite, Lafarge renforce son leadership dans les matériaux de
construction, devient le numéro un mondial de la toiture, métier nouveau pour
le groupe, renforce sa compétitivité et améliore sa rentabilité, équilibre mieux
son portefeuille d’activité, réduit sa dépendance par rapport aux risques géogra-
phiques et crée de la valeur pour ses actionnaires. L’intégration s’effectue en
six mois : c’est une réussite. en 1998, le chiffre d’affaires progresse de + 53 %
dont + 50,9 % dus au seul effet de structure. Le seul problème réside dans la
progression de l’endettement : 3,3 milliards d’euros contre 2,7 avant la prise de
contrôle. Le groupe s’engage dès lors dans une politique de désinvestissement.

1. Voir Léon Dubois, Lafarge Coppée, op. cit., p. 181-249.

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Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


Revue économique

telle est l’origine de la vente de redland Stone Products, premier producteur de


granulats et d’asphalte du texas, dès décembre 1998.

blUe circle. L’acquisition de Blue Circle industries s’avère plus difficile.


il s’agit d’une firme prestigieuse, demeurée longtemps le premier producteur
d’europe, sous la raison sociale associated Portland manufactured Limited.
après la seconde guerre mondiale, elle a perdu sa position de leader face à ses
concurrents : Holdenbak (puis Holcim), Lafarge, Cemex, Heidelberger Cement,
italcementi. en 1989, Blue Circle demeure toutefois le sixième producteur
mondial de ciment. Cette même année voit s’opérer un premier rapprochement
en ouganda : les deux groupes acquièrent en joint venture la majorité des actions
d’Hima Cement, principal producteur du pays à travers leurs filiales locales
respectives. en 2000, les choses se précipitent. au cours du premier trimestre,
Lafarge lance une offre publique d’achat (opa) sur son concurrent. elle échoue :
Lafarge n’acquiert que 19,9 % du capital de Blue Circle, le conseil d’administra-
tion de cette dernière société ayant rejeté l’offre. Suite à une réduction de capital,
la part de Lafarge s’élève en juin à 22,6 %. La fin de l’année voit la reprise des
négociations et le dépôt par Lafarge d’une nouvelle opa amicale cette fois, en
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janvier 2001. L’intégration de Blue Circle s’effectue rapidement. il s’ensuit un
renforcement des positions stratégiques du groupe : il se hisse désormais au rang
de premier cimentier mondial devant Holcim, avec un accroissement de 35 % de
ses capacités de production. L’effet sur la croissance globale du groupe s’étale
sur trois ans : le chiffre d’affaires hors taxes augmente de + 16 % en 2000, de
+ 12 % en 2001 et de + 7 % en 2002.
Blue Circle apporte 17 000 collaborateurs supplémentaires, dont l’intégration
s’avère un succès : pour preuve, 90 % des responsables opérationnels restent
en place au milieu de 2002. Les synergies dégagées apparaissent plus fortes
que prévues. Surtout le groupe Lafarge acquiert une position de leader dans
plusieurs pays à fort potentiel de développement : royaume-Uni, Grèce, Chili,
malaisie, où le groupe prend pied. La situation apparaît plus difficile au Nigeria
et aux États-Unis, en raison d’une conjoncture temporairement moins favora-
ble et, surtout, aux Philippines du fait de la guerre des prix entre producteurs.
Les frais financiers augmentent beaucoup, en 2000, l’endettement du groupe.
Celui-ci accélère sa politique de cession. en octobre 2001, par exemple, Lafarge
vend à Holcim deux filiales de Blue Circle en ontario. il s’agit d’appliquer les
recommandations des autorités canadiennes et américaines. en 2002, l’explica-
tion des cessions est cette fois uniquement financière : Cimpor, groupe portu-
gais allié à Lafarge, reprend 33 % du capital de la société sud-africaine Natal
Portland Cement ainsi que des actifs cimentiers situés dans le Sud de l’espagne.
Ces dernières cessions doivent beaucoup au souci de préserver la confiance de
l’actionnariat.

Une double contrainte


Le groupe Lafarge doit faire face à une double contrainte : d’une part, celle
d’un actionnariat dispersé et volatile ; de l’autre, celle de la tyrannie des cours
de Bourse.

Un actionnariat dispersé et volatile. entre 1993 et 2004, le nombre des


actionnaires du groupe a très fortement augmenté. La progression a été continue

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jusqu’en 2000, avec une spectaculaire poussée cette dernière année suite à l’ac-
quisition de Blue Circle. ensuite, on observe un sensible tassement. au total, de
1993 à 2004, le nombre d’actionnaires a presque doublé, passant de 123 000 à
245 000. Le groupe se caractérise en effet par une structure très éclatée de son
capital. Le phénomène majeur réside dans l’internationalisation du capital. Celle-
ci s’est fortement accentuée en 1998-1999 à l’occasion du rachat de redland,
puis en 2001, suite à la réussite de l’opa sur Blue Circle. en définitive, la part des
investisseurs institutionnels non-résidents est passée de moins de 40 % à plus de
50 % sur l’ensemble de la période. Celle des actionnaires individuels est tombée
de 27 à 15 % et celle des institutionnels français de 36 à moins de 34 %.

tableau 29. Répartition de l’actionnariat


du groupe Lafarge par nationalités en 2003 et 2004
(en % du total)

2003 2004
france ....................................................................................... 42,3 40,1
royaume-Uni ........................................................................... 17,7 17,5
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autre pays européens ............................................................... 23,2 25,2
amérique du Nord ................................................................... 15,4 14,4
autres nationalités ................................................................... 1,4 2,8
Source : Lafarge.

Cette internationalisation apparaît flagrante en 2003 et en 2004. L’actionna-


riat français reste le plus important en termes relatifs, mais il n’est plus majori-
taire comme en 1993-1994. L’entreprise est devenue une firme européenne : en
2004, la part des investisseurs européens non français atteint 42,7 % soit plus
que la part des actionnaires français. on compte un nombre non négligeable
d’actionnaires nord-américains et l’on entrevoit à terme une amorce d’élargis-
sement au reste du monde. il n’en reste pas moins que l’actionnariat individuel
continue de peser notamment sur l’évolution des cours : ils sont 244 250 en
2004 contre 178 000 en 1999. on comprend les fluctuations de l’auto-détention
de titres Lafarge par le groupe lui-même : elle constitue un outil parmi d’autres
pour atténuer les fluctuations possibles du cours de l’action Lafarge, compte
tenu de l’éclatement et donc de la volatilité du capital. Un second moyen réside
dans l’appel l’actionnariat salarié : ceux-ci sont un nombre de 38 800 en 2003
contre 15 000 en 1995. Ces salariés constituent aussi un noyau dur d’actionnaires
fidèles dans un contexte marqué par la tyrannie du cours de Bourse.

La tyrannie du cours de la Bourse. Le groupe Lafarge se trouve dans


l’étroite dépendance de l’activité de la construction dans les pays où il inter-
vient comme producteur de ciment, de granulats et de béton, d’équipements
de toiture ou de plaques de plâtre. appartenant à un secteur très capitalistique
donc prédisposé aux cartels, il s’expose aux amendes des autorités de régulation
de la concurrence. Dès 1994, la Commission européenne inflige une amende à
plusieurs cimentiers européens, dont Lafarge : le danger est écarté, en appel, au
motif que les cimentiers grecs cassent les prix en pratiquant une concurrence
déloyale. La situation se répète en 2002, avec moins de bonheur pour Lafarge. La

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Revue économique

Commission inflige au groupe une amende de 250 millions d’euros pour entente
sur les marchés de la plaque de plâtre en allemagne et au royaume-Uni. L’appel
n’aboutit pas. en même temps, l’office allemand des cartels engage une enquête
anti-trust à l’encontre du groupe. au total, Lafarge doit constituer une provision
exceptionnelle de 300 millions d’euros. Certes, le groupe maintient son niveau
de dividende, mais l’annonce d’une diminution du revenu net par action pèse sur
l’évolution du cours de l’action (– 31,5 % en 2002).
Sur l’ensemble de la période, le cours de l’action Lafarge connaît des fluc-
tuations fortes. L’année 1993 voit une progression du titre, devenu alors la ving-
tième valeur du cac 40 en terme de capitalisation. L’action connaît trois années
de baisse de 1994 à 1996. Le titre traverse ensuite trois années fastes : 1997, 1998
et 1999. elles voient s’intensifier le volume des transactions, et Lafarge réalise
même, en 1998, la quatrième meilleure performance du cac 40. Néanmoins,
fin 1999, en raison d’une progression plus faible que celle de l’ensemble du
cac 40, le groupe ne se situe plus qu’au vingt-sixième rang. Dans un contexte
boursier indécis, Lafarge parvient fin décembre 2003 à remonter en dix-septième
position, grâce notamment à la vigoureuse spéculation sur le titre qu’engendre
le rapprochement avec Blue Circle. À cette date, en effet, le capital compte alors
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100 % de flottant. on comprend, dès lors, l’importance d’une politique visant
à servir des dividendes croissants, sans pour autant sacrifier l’autofinancement,
mais aussi à informer de mieux en mieux l’actionnaire.

La stratégie du groupe :
accroître les dividendes et informer l’actionnaire

Sous l’effet de cette double contrainte, le groupe Lafarge place l’actionnaire


au centre de sa stratégie. il lui faut servir des dividendes croissants sans pour
autant sacrifier l’autofinancement.

Servir des dividendes croissants sans sacrifier l’autofinancement. Sur l’en-


semble de la période, le bénéfice distribué a progressé plus vite que tous les
autres indicateurs du profit.

tableau 30. Taux de croissance annuels moyens des différents indicateurs


du profit de 1993 à 2004

(en %)

revenu brut d’exploitation .................................................................................. + 5,1


revenu d’exploitation courant ............................................................................. + 5,0
revenu net part du groupe ................................................................................... + 4,7
marge brute d’autofinancement ........................................................................... + 5,1
Bénéfice distribué ................................................................................................ + 5,7
Source : Lafarge.

Le groupe cherche donc, dans les années 1993-2004, à faire bénéficier l’ac-
tionnaire de la progression la plus rapide possible.

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Revue économique – vol. 58, N° 1, janvier 2007, p. 79-112


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tableau 31. Taux de croissance annuels moyens comparés du bénéfice distribué


et de l’autofinancement brut
(en %, par période)

Bénéfice distribué autofinancement brut


1993-1996 ................................................... + 4,5 + 4,1
1996-2001 ................................................... + 6,2 + 7,4
2001-2004 ................................................... + 5,8 + 1,5
1993-2004 ................................................... + 5,7 + 4,9
Source : Lafarge.

Certes, de 1996 à 2001, au cours de la phase d’accélération de la croissance


externe, l’autofinancement brut augmente plus vite que le bénéfice distribué,
mais la progression de ce dernier reste alors très soutenue. elle demeure presque
aussi rapide de 2001 à 2004, phase de net freinage de l’autofinancement. il est
vrai qu’à l’époque le taux d’autofinancement dépasse 200 %.
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tableau 32. Évolution du partage de la marge brute d’autofinancement
entre bénéfice distribué et autofinancement brut
(en % du total, moyenne annuelle par période)

autofinancement marge brute


Bénéfice distribué
brut d’autofinancement
1993-1996 .............................. 78,2 21,8 100
1997-2001 .............................. 81,5 18,5 100
2002-2004 .............................. 77,5 22,5 100
1993-2004 .............................. 79,4 20,6 100
Source : Lafarge.

Le groupe Lafarge n’a donc pas sacrifié l’autofinancement à l’actionnaire.


L’autofinancement a constamment absorbé les quatre cinquièmes de la marge
brute d’autofinancement total contre un cinquième pour le bénéfice distribué.
Sans doute le caractère très capitalistique de l’activité de Lafarge limite-t-il les
possibilités d’un recours accru à l’émission d’action nouvelles : il faudrait alors
servir des dividendes considérables, donc restreindre la part de l’autofinancement
et, par suite, obérer la marge d’indépendance stratégique du groupe. il n’en reste
pas moins que, pour préserver une structure financière équilibrée, la stabilité de
l’actionnariat demeure essentielle. or celle-ci requiert une bonne gouvernance et
le maintien des meilleures relations possibles avec l’actionnaire.

Une bonne gouvernance pour entretenir la confiance de l’actionnaire. au


cours des années 1993 à 2004, le groupe bénéficie de la stabilité de son mana-
gement. Bertrand Collomb, le p-dg, est arrivé aux commandes du groupe en
1989. il le reste jusqu’en mai 2003, date à laquelle Bernard Kasriel accède aux
fonctions de directeur général délégué, avant lui-même de s’effacer, en juin
2005, au profit de Bruno Laffont. en cela aucune rupture : l’équipe de direction
demeure homogène, avec la quasi-certitude pour les directeurs généraux d’accé-

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Revue économique

der, comme Jacques Lefèvre ou Bernard Kasriel, au conseil d’administration.


en 1947, date à laquelle alfred françois et marcel Demonque ont été nommés
respectivement p-dg et dg, Lafarge est devenu un groupe managérial. il l’a fait
sans rompre avec le passé : en 2004, un héritier de la famille fondatrice siège
encore au conseil, en la personne de rafaël de Lafarge. La scission des fonctions
de président du conseil d’administration, toujours dévolues à Bertrand Collomb,
et de directeur général, pour Bruno Laffont, s’effectue donc en douceur par une
sorte de retour à la tradition des années 1950, interrompue par la mort d’alfred
françois en 1960. même marcel Demonque, longtemps p-dg comme Bertrand
Collomb, avait souhaité se limiter en 1971 aux fonctions de président afin de
mettre en selle Jean-Charles Lofficier. Seul le décès subit de ce dernier l’en
empêcha.
en 1997, Bertrand Collomb est élu « manager de l’année » par le Nouvel
Économiste. Cette récompense traduit l’efficacité de la gouvernance du groupe.
Dès 2002, le conseil d’administration comporte au moins huit administrateurs
indépendants sur quinze. Cette recherche d’une bonne gouvernance bénéficie
aux actionnaires. Coté depuis longtemps à la Bourse de Paris (cac 40), Lafarge a
été admis à la Bourse de New York à partir du 23 juillet 2001 (Nyse) puis intégré
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à euronext en mars 2002 (DJ eurostoxx 50) : en contrepartie, le groupe s’est
retiré des Bourses de Londres, de francfort et de Düsseldorf. afin de demeurer
proche de ses actionnaires, le groupe a créé, dès 1994, un comité consultatif
d’actionnaires, a multiplié les rencontres avec ceux-ci, a cherché à formaliser ses
engagements vis-à-vis de l’actionnaire. Cette politique en faveur de l’actionnaire
n’aurait pu réussir sans une efficace stratégie de marché et la préservation d’un
modèle original de croissance.

à La recHercHe des facteurs du succès

Sa réussite, le groupe Lafarge la doit en effet à ces deux facteurs.

une efficace stratégie de marché

Dès 1974, à l’arrivée aux commandes du groupe, la multinationalisation de


ce dernier est déjà très affirmée. À partir de 1989, elle s’amplifie de manière
formidable, en direction de l’europe occidentale et de l’amérique du Nord, mais
aussi, de plus en plus, des pays émergents.

Une implantation de plus en plus réellement ouest-européenne


Dès 1980, la fusion Lafarge-Coppée place le groupe en position conquérante
sur le marché européen. Puis il s’implante en allemagne. Depuis longtemps,
Lafarge doit y faire face à des cimentiers de grande force. outre le Suisse Holcim,
il s’agit des deux plus grands cimentiers nationaux : Heidelberger Cement et
Dyckerhoff. La situation n’est pas meilleure dans le plâtre, avec Knauf, le prin-
cipal groupe national, et le Britannique bpb. Néanmoins, en 1988, Lafarge prend
le contrôle de Portland Zementwerk, le numéro trois national, avec plus de 80 %

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Dominique Barjot

du capital. Le groupe renforce encore ses positions en 1989 par accord avec
le cimentier est-allemand Karsdorfer, ce, avant même la fin du processus de
réunification. C’est le point de départ d’une grande stratégie européenne qu’il-
lustre le rachat, au début des années 1990, de Cementia, le numéro deux helvé-
tique derrière Holcim. Le groupe entre ainsi dans le capital d’asland sa, société
implantée en espagne, où se trouve son siège social, et en turquie.
Cette stratégie s’accompagne d’une réorientation au profit de l’europe occi-
dentale et au détriment de la france : 36 % des marchés en 1993. Le mouvement
s’est produit, pour l’essentiel, entre 1993 et 1997. 1993 voit ainsi la montée en
puissance de la cimenterie de Karsdorf, alors devenue la plus puissante d’eu-
rope, le renforcement de la participation majoritaire dans asland et, surtout,
la prise de contrôle total du premier cimentier autrichien Perlmooser. Puis,
le groupe Lafarge accroît son implantation allemande. Dans le même temps,
Lafarge consolide ses positions en autriche, dans le cadre d’une alliance avec
rhône-Poulenc [1994]. Cette stratégie de conquête s’étend à l’espagne1, aux
Pays-Bas et au royaume-Uni.
Le mouvement s’essouffle un peu partir de 1998. Néanmoins, Lafarge ne
reste pas inactif sur le front ouest-européen. Dès 1997, Lafarge a acquis Höganäs
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eldfast, leader scandinave des bétons réfractaires, ce qui permet, temporaire-
ment, à Lafarge de se hisser parmi les leaders mondiaux de ce secteur. Puis le
groupe s’intéresse à la Norvège, où il crée Lafarge réfractaires [1998] avant de
racheter une cimenterie en finlande [2001], et d’acquérir Kani, un producteur
suédois de tuiles métalliques, puis isokern, leader des composants de cheminées
en Suède et au Danemark. Bénéficiant du rachat de redland, Lafarge reprend, en
allemagne, plusieurs actifs du groupe britannique rmc [1998], Klöber, numéro
deux européen des accessoires pour toiture [2001], puis les activités plaques
de plâtre de bpb [2001]. en italie, le groupe Lafarge s’est doté, en 1994, d’une
nouvelle usine de plâtre (Corfinio) avant de prendre le contrôle de deux cimen-
teries et de deux centrales à béton prêt à l’emploi. enfin, dès 2000, Lafarge noue
une alliance stratégique avec le leader portugais du ciment, Cimpor, à qui, en
contrepartie, il cède, un an plus tard, ses intérêts dans le Sud de l’espagne.

Préserver son leadership nord-américain


Dès 1971, le rachat de Canada Cement a fait de Lafarge le numéro un au
Canada2. Dix ans plus tard, Lafarge réussit son opa amicale sur General Port-
land, le numéro trois du ciment aux États-Unis3. au terme de cette opération
et de la constitution de Lafarge Corporation, société cotée à la Bourse de New
York, le groupe Lafarge devient le premier producteur nord-américain, avec
environ 14 % du marché total. il reste à défendre cette position tout en évitant de
tomber sous le coup des dispositions anti-cartels. Pour cela, il convient de doter
Lafarge Corporation, holding nord-américain, des moyens financiers nécessai-
res, sans en perdre le contrôle : en 1993, le groupe réussit l’opération tout en
conservant une participation majoritaire de 53,1 %. De plus, en 2001, Lafarge
Corporation devient Lafarge North américan. il s’agit d’éviter des confusions
auprès du public, Lafarge Corporation étant également cotées au nyse. La stra-

1. Prise de participation dans le capital de Cementos molins en 1997, cédée en 2003.


2. Léon Dubois, Lafarge Coppée, op. cit., p. 109-173.
3. Ibid., p. 141-179.

103

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Revue économique

tégie du groupe se développe d’abord dans la branche ciment. en ce domaine,


Lafarge alterne les acquisitions (1993, 1998), les cessions (1994), les investis-
sements d’extension ou de modernisation (1995, 1997) et les accords de partage
de marché : ainsi avec Cemex (1994).
Lafarge fournit un effort considérable pour s’imposer sur le marché américain
de la plaque de plâtre : ce dernier absorbe en effet à lui seul 50 % de la production
mondiale. C’est pourquoi, dès 1993, le groupe prend une participation de 10 %
au sein de National Gypsum, le numéro deux de la plaque de plâtre aux États-
Unis. L’expérience s’avère peu concluante : deux ans seulement après la prise
d’intérêt, Lafarge cède part au sein du capital de National Gypsum. Le groupe
préfère se lancer seul, sous la raison sociale Lafarge Corporation : cette straté-
gie débouche, en 2002, sur le rachat de Continental Gypsum, une entreprise de
Newark (New Jersey).
on retrouve cette même volonté de renforcement des positions stratégiques
dans les autres domaines d’activité de Lafarge. Le succès est inégal. en 1998,
Lafarge s’associe avec Carmeuse, l’un des leaders mondiaux du secteur de la
chaux, avant de s’en dégager en 2001, faute de pouvoir augmenter sa partici-
pation de 40 %. en revanche, le groupe connaît plus de réussite avec Lafarge
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applications routières : en 1998, cette filiale contrôle 30 % de ce marché. Plus
spectaculaire encore est l’acquisition de warren, en 2000. Grâce à cet apport, le
groupe Lafarge se dote de 80 sites d’exploitation et d’une capacité de produc-
tion de 18 millions de tonnes de granulats par an. Parce que warren est aussi le
leader canadien des matériaux pour revêtements routiers. Lafarge se trouve en
concurrence directe avec Colas, filiale de Bouygues, et numéro un des travaux
routiers en amérique du Nord1. Ce type de concurrence se rencontre aussi dans
les pays émergents.

À la conquête des marchés des pays émergents


Déjà établi dans la partie orientale de l’allemagne, le groupe s’intéresse aux
marchés de l’europe centrale et orientale. Dès 1993, il s’implante en république
tchèque. en 1994, le groupe établit un bureau en Pologne. entre 1995 et 1997, par
croissance externe, Lafarge s’impose comme le leader du ciment sur le marché
polonais. Cette position privilégiée y ouvre, de 1999 à 2002, la voie à une stratégie
plus globale : usines de tuiles béton, carrières de gypse du pays et production de
plaques de plâtre. Dès 1996, le groupe a établi en autriche un centre technique
destiné à la conception et à l’étude des grands programmes de cimenteries situées
en europe centrale. La même année, il conclut avec la Banque européenne de
reconstruction et de développement (berd) un accord en vue de la rénovation
et de la modernisation des industries de matériaux de construction en europe
centrale et orientale. Cette aide permet, outre d’intervenir en Pologne, à Lafarge
romcim, dès sa création en 1998, de contrôler 40 % du marché roumain. 1996
voit l’implantation du groupe en russie. Deux ans plus tard, Lafarge rachète plus
de 40 % du capital de mykolaiev Cement, une énorme cimenterie ukrainienne.
il en prend le contrôle dès l’année suivante, en 1999. en 2003, enfin, Lafarge
acquiert 75 % du capital de la seconde plus importante cimenterie de l’oural.

1. D. Barjot, « Un leadership fondé sur l’innovation, Colas : 1929-1997 », dans L. tissot,


B. Veyrassat (dir.), Trajectoires technologiques, Marchés, Institutions. Les pays industrialisés, xix e-
xx e siècles, Bern, Peter Lang, 2001, p. 273-296.

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Dominique Barjot

Depuis longtemps, Lafarge manifeste un intérêt pour les pays méditerra-


néens. Le groupe est très actif au maroc et en turquie. Lafarge s’intéresse aussi
à l’Égypte dès 1999, s’implante en Grèce à travers sa filiale Héraclès, puis en
Serbie-monténégro. mais il regarde aussi vers le Proche et moyen-orient :
ainsi aux Émirats arabes unis et en Jordanie. Plus modeste est l’engagement
de Lafarge en afrique noire et dans l’océan indien. il s’amplifie néanmoins à
partir de 1996, suite à une montée en puissance dans le capital de la société
Cimencam, au Cameroun. Surtout, 1998 voit une entrée en force sur le marché
sud-africain, suite au rachat de la troisième entreprise cimentière du pays, mais
leader pour les bétons et granulats. L’année suivante, un nouvel accord avec
Blue Circle permet l’acquisition de Pan africam Cement Ltd, société active
au malawi, en tanzanie et en Zambie ainsi qu’une participation conjointe au
sein de Circle Cement Zimbabwe. 2002 voit l’établissement au Nigeria, suite
au rachat d’une cimenterie. enfin, en 2004, Lafarge Gypsum ouvre au groupe,
en afrique du Sud, un nouveau débouché pour sa production de plaque de
plâtre.
en amérique du Sud, le Brésil constitue depuis longtemps une implanta-
tion privilégiée du groupe Lafarge. Le groupe ne cesse de s’y renforcer. Dès
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1993, il rachète à Lone Star la totalité du capital de la Companhia Nacional
de Cimento Portland (cncp). Un an plus tard, c’est le tour de Concrebras,
spécialisée dans le béton prêt à l’emploi. en 1996, le groupe acquiert 20 % du
capital de tupi, troisième cimentier du pays, mais numéro un du béton prêt à
l’emploi. en 1998, Lafarge achète 60 % du capital de la cimenterie de maringa,
qui le met en position d’accéder au marché de São Paulo. au cours de 1999,
Lafarge Braas roofing s’assure le contrôle de 90 % du capital de telhas tegu-
las, premier producteur brésilien de tuiles béton. Lafarge ne limite pas son
action au Brésil. Le groupe s’implante au Venezuela dès 1994, suite au rachat
du second producteur national de ciment. Sa position se trouve renforcée en
1999, par l’acquisition de Premex, leader vénézuélien de béton prêt à l’emploi.
Puis il se tourne vers le Honduras, où, en 1998, il prend le contrôle du principal
cimentier du pays (60 % du marché). 2004 voit l’établissement en Équateur,
suite au rachat du second cimentier national. Surtout le groupe réalise une belle
percée au mexique, sur le sol même de Cemex, son plus redoutable concur-
rent mondial avec Holcim. en 2003, Lafarge s’engage dans la construction à
tula, d’une cimenterie ultramoderne afin de profiter des potentialités du second
marché latino-américain.

Une réussite exemplaire : la percée en Extrême-Orient

Lafarge s’implante d’abord en thaïlande et au Vietnam. Le mouvement


s’amplifie à partir de 1994 avec l’établissement à Sumatra. en 1998, le groupe
s’établit aux Philippines : en association avec des partenaires locaux, il s’impose
au second rang national. Depuis 1998, le groupe Lafarge s’intéresse beaucoup à
l’inde. À cette époque, en effet, il rachète la division ciment de tisco, le premier
sidérurgiste du pays, ouvrant au groupe le marché du Bihar et celui de Bengale
occidental, donc de Calcutta. L’année suivante, il lance la marque Lafarge
Cement dans l’ensemble du pays, étendant son action au Nord-est en particu-
lier. en 2000, le groupe fait l’acquisition de la division ciment de raymond Ltd :
il double sa capacité de production en inde, s’imposant ainsi comme un acteur
majeur dans l’est du pays. il pousse aussi en direction du Bangladesh.

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Revue économique

C’est en Chine que le groupe Lafarge obtient les résultats les plus spectacu-
laires. Précédant tous ses grands concurrents mondiaux, il s’y introduit en 1994.
avec un partenaire chinois, il crée un joint venture en vue de l’exploitation et du
développement d’une cimenterie près de Pékin. Puis, courant 1996, il s’associe
avec le groupe japonais ochiba onoda Cement (38 % du capital) et à la société
chinoise Shangai Shipping Corp (5 %) en vue de construire une usine de plaques
de plâtre à Shanghai, mais en tant qu’actionnaire majoritaire (57 %). elle ouvre
en 1998, date à laquelle Lafarge conclut un nouveau joint venture avec la société
chinoise Beijing Xingmi merchant Service Center à dessein d’exploiter un site
de granulats situé à 50 km de Pékin. Un an plus tard, le groupe conclut un accord
avec une compagnie chinoise en vue de construire pour 2005 la cimenterie la
plus moderne de Chine du Sud-ouest près de Chengdu. Le groupe ouvre ensuite,
en 2000, deux usines de production de tuile béton, qui viennent s’ajouter à celles
déjà exploitées par redland. en 2001, le groupe exploite au total six usines de
production de ce type de tuiles. L’année 2002 est marquée par l’ouverture, près
de Chengdu, d’une nouvelle cimenterie.
Cette réussite chinoise s’accompagne d’une percée en Corée du Sud et en
australie. Dès 1998, Lafarge Plâtres s’impose comme le leader coréen de la
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plaque de plâtre sur le second marché de la région après celui du Japon. Courant
2000, Lafarge rachète 39,9 % du capital de rH Cement Corp., quatrième cimen-
tier sud-coréen, qui se transforme dès lors en Lafarge Halla Cement Group.
Lafarge s’assure 35 % du marché coréen. en 2003, le groupe porte à 50,1 % sa
participation au sein de Lafarge Halla. À cette époque, il s’est également établi
en australie : en 1999, en effet, Lafarge, déjà propriétaire de 40 % des actions
de Pioneer Plasterboard, y porte sa participation à 100 %, s’imposant ainsi dans
le pays comme l’un des principaux producteurs de plaques de plâtre. il menace
ainsi les intérêts de Boral, le premier fournisseur local. Durant l’année 2000,
Lafarge (73 %) et Boral (27 %) forment un joint venture. il donne naissance à
une société leader, qui domine sur les marchés asiatiques à l’exception du Japon :
ainsi en Corée du Sud, en Chine, en indonésie, en malaisie et aux Philippines.
La nouvelle Lafarge Boral Gypsum in asia perce rapidement en thaïlande. Seul
le marché japonais lui échappe. toutefois, Lafarge a pu, en 2001, y établir une
tête de pont. Dans le cadre d’un joint venture avec aso Cement (5 % du marché
japonais), Lafarge en reprend les actifs cimentiers, en particulier ses deux usines
de Kyushu. Cette percée en extrême-orient atteste de l’efficience d’un modèle
original de croissance.

originalité du modèle de croissance

en effet, le groupe Lafarge se définit, entre 1993 et 2004, comme une firme
soucieuse de mobiliser efficacement sa main-d’œuvre autour d’un constant
effort d’innovation.

Une firme soucieuse de mobiliser efficacement la main-d’œuvre


firme managériale, Lafarge manifeste depuis longtemps une originalité
certaine en matière de gestion des ressources humaines : alfred françois,
marcel Demonque, puis olivier Lecerf ont su réaliser la synthèse d’une tradi-
tion paternaliste originelle et des pratiques les plus avancées du management à

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Dominique Barjot

l’américaine1. À partir de 1989, Bertrand Collomb poursuit dans la même voie


avec l’appui de la technostructure du groupe. Jusqu’à la fusion-absorption de
redland, la politique de gestion des ressources humaines vise à une meilleure
intégration au sein de l’entreprise : ouverture du capital aux salariés, politique
sociale en faveur de l’insertion des jeunes et de la lutte contre l’exclusion, inté-
gration des sociétés nouvellement acquises. elle se fixe aussi pour objectif une
internationalisation croissante : en dix ans la mutation est spectaculaire, puis-
qu’en 1997 on ne compte que 37 % de personnels français contre plus de 80 %
travaillant en france en 1987 : de plus, entre ces mêmes dates, le nombre des
cadres internationaux a été multiplié par cinq, plus de 400 se trouvant désormais
hors de leur pays d’origine. enfin, le groupe renouvelle son image autour d’une
nouvelle raison sociale2.
Les intégrations successives de redland et de Blue Circle constituent un défi
redoutable en termes de gestion des ressources humaines. Pour la première des
deux acquisitions, c’est une réussite : le groupe accueille 28 000 collaborateurs
nouveaux de trente nationalités différentes. en même temps, il se dote d’une
nouvelle organisation autour de quatre métiers dominants (ciment, granulats et
bétons, toiture et plâtre). Cette nouvelle organisation repose sur la décentrali-
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sation et la mise en place d’un nouveau système de gestion de la performance,
l’eva (Economic Value Added). Le dernier conduit à l’application, dès 2001, à
plus de 1 400 cadres d’un système de rémunération équitable et compétitif. À
cette époque, l’intégration de Blue Circle révèle plus de synergies que prévues.
Ces deux intégrations aboutissent à un changement d’échelle. C’est pourquoi
les dirigeants du groupe proposent, à partir de 2002-2003, un nouveau projet
destiné à mobiliser l’ensemble des personnels autour de performances accrues :
« Leader for to morrow ». il se fonde sur quatre engagements fondamentaux :
– générer de la valeur pour les clients ;
– donner aux collaborateurs toutes les opportunités de contribuer au succès
du groupe et de développer leurs talents ;
– contribuer, autour du groupe, à la création d’un monde meilleur ;
– répondre aux attentes de création de valeur des actionnaires.

Ces objectifs impliquent la diffusion d’une culture de la performance, elle-


même corrélative d’un benchmarking interne systématique. Le moyen réside
dans le lancement, en 2002, de programmes de performance établis pour toutes
les branches. Un an plus tard, le groupe ouvre la Lafarge University, qui atteste
de la permanence du souci de mieux former les hommes. mieux former les
hommes, c’est aussi développer chez eux un conscience plus solidaire : l’attestent
les programmes de développement local menés dès 2000 en Chine, aux Philippi-
nes et au Venezuela ou, plus tard, en 2004 et 2005, l’aide en faveur des victimes
de la catastrophe de Banda aceh en indonésie. en effet « il ne peut être de leader
mondial sans éthique, sans solidarité, sans ouverture et sans respect3 ».

1. Émilie Dyevre, Pavin de Lafarge, une lignée industrielle 1833-1914, mémoire de maîtrise
d’histoire, Université Paris-Sorbonne (Paris iV), dir. J.-P. Chaline, juin 2000, 235 p. ; martine
müller (dir. de félix torrès), Lafarge-Coppée : de mémoire d’hommes. De 1946 à demain : un demi-
siècle de croissance industrielle, Paris, Public Histoire, 1989, 156 p.
2. Lafarge au lieu de Lafarge Coppée dès juin 1995.
3. Bertrand Collomb, rapport 2004, p. 11.

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Revue économique

Un intense effort d’innovation : produits, procédés et réalisations


Le groupe Lafarge accorde depuis longtemps une place considérable à la recher-
che-développement. elle tire avantage de l’activité soutenue de ses laboratoires.

Le premier centre mondial de recherche sur les matériaux de construction :


L’Isle-d’Abeau. Dès 1887, la maison Lafarge a fondé le laboratoire central du
theil, en ardèche. il est alors dirigé par Henry le Châtelier, savant de réputation
mondiale et spécialiste de la résistance des matériaux. Sa créativité s’affirme à
travers la mise au point, en 1898, des premiers ciments de laitier, puis, en 1908,
du ciment fondu, obtenu par fusion de calcaire et de bauxite et doté de qualités
exceptionnelles : durcissement rapide, résistance aux hautes températures et à la
corrosion. Cette place accordée à la recherche ne se dément jamais par la suite.
en 1993, elle repose sur un effectif de 650 personnes, localisées au pôle tech-
nologique de l’isle-d’abeau, près de Lyon, ou dans les Centres techniques inter-
unités (cti). Ce pôle technologique fait l’objet d’importants investissements,
notamment en 2000 : il devient alors, par les effectifs employés et le budget
engagé, le premier centre de recherche du monde en matière de matériaux de
construction. il en va de même des cti, au nombre de vingt à l’époque, répandus
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dans le monde entier.
Le groupe Lafarge est ainsi engagé, dès 1993, dans des recherches sur les
aluminates de calcium, la réactivité des ciments, la mise au point d’adjuvants,
de ciments anticorrosion et de gypse de synthèse, mais aussi la valorisation des
résidus industriels, l’élaboration de techniques de recyclage. L’axe majeur de
l’effort d’innovation réside dans la mise au point de nouveaux produits. L’or-
ganisation de la recherche-développement, parce que orientée vers les marchés,
vise en effet à anticiper les tendances de la construction. Ces produits nouveaux
concernent le ciment, les granulats et bétons, en particulier les bétons autopla-
çants, la toiture, les plaques de plâtre, domaines dans lesquels la recherche-déve-
loppement apparaît inséparable du marketing. au total, chaque année le groupe
lance de nombreux produits nouveaux : trente en 1995 par exemple.
répondre aux besoins du client suppose cependant de concevoir « dès
aujourd’hui les matériaux de demain »1. C’est pourquoi le groupe développe,
autour de son centre de recherche de l’isle-d’abeau, des coopérations tantôt avec
les industriels (Bouygues et rhône-Poulenc, puis rhodia dès 1994), tantôt avec
de grands établissements de recherche (Polytechnique, les insa de Lyon et de
toulouse, les Universités de Berkeley, de Princeton et le massachusetts institute
de Boston aux États-Unis, celles de Laval et de Sherbrooke au Canada, ou encore
l’École polytechnique de Lausanne). en 2002, tous coopèrent activement avec
le centre de l’isle-d’abeau. À cette date, le groupe s’intéresse de près aux nano-
structures, qui ouvrent la voie à de nouvelles propriétés des matériaux. en 2004,
le mit considère d’ailleurs Lafarge comme « le seul acteur de la construction à
maîtriser l’approche nanométrique des matériaux2 ».

Des produits aux performances exceptionnelles. Ces recherches de haut


niveau débouchent sur des résultats probants3. en effet, le développement de

1. ag 1995.
2. ag 2004, p. 27.
3. ag 2004, p. 27.

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Dominique Barjot

prototypes autorise le lancement de nouveaux produits : dix-sept en 2004. trois


en particulier méritent une mention spéciale. en premier lieu, la plaque de plâtre
Sigma™, à quatre bords amincis : fabriquée en continu sur les lignes de produc-
tion, elle autorise la réalisation de plafonds et autres cloisons à grande hauteur.
La gamme des ciments agilia connaît, depuis 1999, un succès mondial. Lancés
en 1999, ils permettent un véritable « saut concurrentiel1 » : en tous lieux, il
devient possible, désormais, d’obtenir des bétons autoplaçants ou autonivelants
avec des matières premières locales, à des coûts compétitifs et avec une stabilité
assurée sur toute la durée d’un chantier…
Cependant, l’innovation la plus notable réside dans le ductal (1998). mis
au point en collaboration avec Bouygues et rhône-Poulenc, ce béton à ultra
haute performance fibré présente, grâce à sa micro-structure homogène et dense,
une capacité unique à se déformer en traction (ductilité) ainsi qu’une grande
résistance au vieillissement. il autorise la réalisation conjointe, par Bouygues et
Lafarge, de la passerelle de Séoul, d’une portée de 120 mètres pour 3 centimètres
d’épaisseur. mais les ciments plus ordinaires permettent aussi des performances
exceptionnelles : ainsi le viaduc de millau (2 460 mètres de longueur pour 245
de hauteur à la pile la plus élevée). Sa construction atteste de la collaboration
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étroite du groupe Lafarge avec les plus grands architectes du temps : ruddy
ricciotti (passerelle de Séoul) ou Norman foster (millau) par exemple. Depuis
1998, Lafarge s’est d’ailleurs doté d’un prix de l’innovation afin de stimuler la
créativité au sein du groupe. toutefois, cette importance accordée à l’innovation
s’inscrit dans une vision plus large : celle du développement durable.

Le développement durable : objectif majeur de l’entreprise


Dès 1993, le groupe Lafarge se préoccupe d’une démarche environnementale
active ; en particulier de dépoussiérage et d’élimination des déchets industriels.
Un an plus tard, le groupe en fait l’un des axes prioritaires de sa politique et
débute des échanges avec le world Business Council for Sustainable Develop-
ment. L’application de la charte s’en trouve facilitée : valorisation des déchets
industriels, mise au point de techniques de recyclage, réduction progressive des
émissions de Co2 par les usines et recherche d’une bonne insertion des installa-
tions dans le paysage. en 1996 et 1997, les premiers résultats commencent à se
faire sentir : le groupe consacre environ 15 % de ses investissements à l’appli-
cation de la charte. De la simple protection de l’environnement, le groupe et ses
dirigeants passent alors à une ambition plus large : le développement durable2.
Cette stratégie donne lieu à la publication, en 2003, du premier rapport de
développement durable. il s’organise autour de trois objectifs :
– renforcer le leadership de l’entreprise en inscrivant sa croissance dans la
durée ;
– collaborer avec les parties prenantes, en les identifiant afin de dialoguer
et d’agir avec elles dans le cadre d’actions ciblées. il s’agit, par exemple, de
coopérer avec le wwf autour de problèmes tels que les émissions de Co2, la
réhabilitation de la biodiversité dans les anciennes carrières, la restauration de

1. ag 2000, p. 6.
2. il se définit comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromet-
tre les capacités de générations futures à répondre aux leurs ». Source : Commission mondiale pour
l’environnement et le développement 1987.

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Revue économique

la stabilité écologique des forêts, tout en se préoccupant de contribuer aux poli-


tiques publiques ;
– gérer le développement durable, notamment en l’incorporant aux program-
mes performances des différentes branches. Une telle stratégie place Lafarge
au second rang mondial du secteur des matériaux de construction, après crh
(irlande), mais avant ses principaux concurrents : Hanson (royaume-Uni et
australie), Saint-Gobain (france), Holcim (Suisse), Cemex (mexique) et Heidel-
berger Cement (allemagne)1.

Cette stratégie du développement durable repose sur trois axes. il s’agit, en


premier lieu, de mieux mesurer les impacts économiques directs (distribution des
surplus de productivité) et indirects (sociaux et environnementaux) de la création
de valeur. Le second objectif est de contribuer au bien-être des employés et des
collectivités locales. Quatre moyens permettent d’y contribuer :
– une active politique de santé et de sécurité ;
– la recherche d’une plus grande satisfaction et d’un plus grand bien-être des
salariés ;
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– le respect des standards sociaux et d’emplois ;
– la gestion des risques et l’intégration dans les communautés locales.

Le troisième objectif consiste à réduire l’empreinte écologique du groupe.


Pour ce faire, le groupe préconise quatre moyens, que voici :
– réduire l’impact des extractions (politique de réhabilitation) ;
– diminuer les émissions de Co2. De fait, entre 1990 et 2002, elles ont dimi-
nué de – 10,7 % par tonne de ciment ;
– limiter les impacts locaux, grâce à la baisse des émissions atmosphériques,
à la protection de l’eau et à la diminution des déchets de production ;
– concevoir une architecture et une construction durables.

concLusIon

entre 1993 et 2004, le groupe Lafarge s’est imposé comme une firme
mondiale. il le doit à un recentrage sur ses métiers de base, ciment bien sûr,
mais aussi granulats, béton et plâtre, branche dans laquelle il est présent depuis
1904. il le doit, dans une moindre mesure, à une diversification vers la toiture,
suite à la prise de contrôle de redland, mais aussi à la cession de son secteur
« matériaux de spécialités ». Cette réussite découle d’une stratégie claire : ne
rester présent dans un secteur d’activité que dans la mesure où le groupe s’y place
au minimum au troisième rang mondial. tel est bien le cas dans le ciment : suite
entre autres au rachat de Blue Circle, sa production dépasse de 44 % celle de
son principal concurrent Holcim. en matière d’agrégats et bétons, il se place au
second rang mondial derrière le groupe britannique rmc, essentiellement spécia-

1. Lafarge passe même au premier rang sans l’amende infligée par la Commission européenne,
en 2002, pour entente illicite.

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Dominique Barjot

lisé dans le béton prêt à l’emploi. Le rachat de redland a cependant permis à


Lafarge de l’emporter pour les seuls agrégats. Surtout, il a conféré à ce dernier
un net leadership mondial pour la toiture. Plus fragiles sont les positions acquises
dans le domaine plâtrier, car ses deux principaux concurrents mondiaux, bpb en
angleterre et Us Gypsum Corporation aux États-Unis, produisent au moins deux
fois plus, et Lafarge est talonné par l’allemand Knauf.
La compétition mondiale demeure donc vive, comme l’illustre l’opa réussie
en novembre 2005 par Saint-Gobain sur le plâtrier britannique bpb. Lafarge doit
donc faire face, sur le marché du plâtre, à une offensive de grande ampleur. toute-
fois, même si Saint-Gobain l’emporte en taille (avec un chiffre d’affaires 2,2 fois
plus important en 2004), Lafarge apparaît à la fois plus rentable1 et plus produc-
tif 2. Néanmoins, une comparaison internationale révèle que l’avantage concur-
rentiel de Lafarge ne transparaît pas de façon indiscutable dans les chiffres.

tableau 33. Performances comparées du cinq plus grands groupes


cimentiers mondiaux en 2004
Lafarge Holcim Cemex Heidelberger italcementi
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(france) (Suisse) (mexique) Cement (allemagne) (italie)
marge d’exploitation :
rbe/caht (en %) .............. 20,8 26,7 30,9 17,4 24,3
rentabilité financière :
rn/fp (en %) ..................... 7,8 10 16 17,5 17,4
Niveaux de producti-
vité annuelle du travail
(Lafarge 100) ................... 100 98 nc 88 139
Source : rapports d’activités 2004 des cinq groupes.

en termes de rentabilité financière, Lafarge apparaît moins attractif que ses


concurrents, mais cela peut être trompeur car, hormis Holcim, Lafarge dispose de
fonds propres beaucoup plus importants. en revanche, le groupe Lafarge dégage
des marges d’exploitation moindres que celle de ses concurrents, à l’exception
d’Heidelberger Cement. il est probable que la toiture et, surtout, le plâtre pèsent
sur les performances d’ensemble : or, de tous les groupes en question, Lafarge
est, de loin, le plus diversifié. en revanche, à l’exception d’italcementi, sa
productivité annuelle dépasse celle de ses concurrents. Surtout, un examen par
zones mondiales d’activité montre que Lafarge domine en europe, y compris la
russie, et en amérique du Nord. il est aussi, moins nettement, en position de
leader en afrique et dans l’océan indien, et même en asie. il n’est distancé qu’en
amérique latine par Holcim et Cemex. en définitive, il a sans doute mieux réussi
que la concurrence son passage à la firme mondiale.

1. en 2004, le ratio bénéfice net/chiffre d’affaires ht s’élève à 6,3 % pour Lafarge contre 3,4
pour Saint-Gobain.
2. en 2004, la productivité annuelle du travail est 1,05 fois supérieure chez Lafarge à celle de
Saint-Gobain.

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