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environnement
Un avant-propos*
Philippe Bontems, Marie-Françoise Calmette
Dans Revue économique 2010/1 (Vol. 61), pages 1 à 8
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 0035-2764
ISBN 9782724631760
DOI 10.3917/reco.611.0001
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L’idée de ce numéro spécial consacré aux relations entre la mondialisation, le commerce
international et l’environnement a pour origine un atelier de travail organisé sur ce thème par M.F.
Calmette, P. Bontems et I. Péchoux à TSE au cours des années 2002-2006. Nous tenons à remercier et
à associer à ce numéro spécial les différents chercheurs et doctorants d’ARQADE (Atelier de
Recherche Quantitative Appliquée au Développement Economique) et du LERNA (Laboratoire
d’Economie des Ressources Naturelles) qui ont participé à cet atelier de recherche.
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gouvernements mettaient en œuvre de « bonnes » politiques environnementales, c’est-à-dire
des politiques qui internalisent correctement les coûts sociaux de la dégradation
environnementale par la production et la consommation, le commerce international ne pouvait
qu’accroître le bien-être. Les modèles d’équilibre général intégrant commerce international et
environnement montraient en effet que les gains de l’échange étaient supérieurs aux surplus
de coûts engendrés par les effets néfastes du commerce sur l’environnement. Il n’y avait donc
pas de conflit entre mondialisation et environnement puisqu’une politique adéquate (par
exemple incitant correctement les firmes à accroître leur effort d’abattement) était en mesure
de concilier croissance et qualité de l’environnement. Mais ce monde idéal n’existe pas.
Le conflit entre mondialisation et environnement apparaît dès qu’existent
des défaillances de marchés. Une première cause de défaillance est qu’en pratique les
politiques environnementales nationales peuvent être inadéquates, voire inexistantes pour
toutes sortes de raisons. Le résultat est que de trop nombreuses ressources sont alors
consacrées à des activités liées à la croissance économique mais néfastes à l’environnement
tandis que trop peu sont investies dans des activités de réduction de la pollution.
La nécessité de nourrir une population mondiale de plus en plus nombreuse a entraîné une
exploitation extensive des terres par l’agriculture (par exemple au détriment des forêts) et une
course à la productivité par hectare avec une utilisation intensive d’eau, de pesticides et autres
produits chimiques sans que les coûts sociaux de ces usages soient correctement internalisés.
L’absence de droits de propriété conjuguée à l’accroissement de la demande mondiale
conduisent également le plus souvent à une surexploitation des ressources (forêts, eau,
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Voir par exemple Boyer, M. et Laffont, J.J., 1999 ; Calmette, M.F., 2000.
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consommation. Ce comportement est aggravé par la concurrence de pays émergents à faibles
coûts de production mais aussi à médiocres standards environnementaux. Se pose alors la
question de la répartition des activités polluantes dans le monde. S’oriente-t-on vers une
spécialisation internationale des pays riches (le « Nord ») dans la production de biens
« propres » alors que les pays pauvres (le « Sud ») se spécialiseraient dans la production de
biens polluants avec l’apparition de « havres de pollution »?
Enfin, les pollutions transfrontalières, les phénomènes de pluie acide ou de
changement climatique ont montré la nécessité d’une prise en compte collective et d’une
réglementation supranationale de ces problèmes.
Ce numéro spécial se propose d’apporter une contribution à ce débat sur les effets de
la mondialisation et du commerce international sur l’environnement. Les articles sélectionnés
dans ce numéro spécial devraient convaincre le lecteur de la Revue Economique du
dynamisme de la recherche française et internationale sur ces thèmes à la croisée de
l’économie de l’environnement et de l’économie internationale.
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commun avantage le petit pays dans la répartition de la rente oligopolistique. Enfin, une
coopération moins contraignante portant sur une interdiction de subvention du bien polluant
peut là encore décroître le bien-être du grand pays par rapport à la situation de non
coopération. Cette étude confirme que les asymétries de taille entre pays peuvent empêcher
une coopération sur les taxes environnementales et que les pays possédant un grand marché
sont plus susceptibles de s'
opposer à l'
établissement d'
une taxe commune.
Michel Cavagnac et Isabelle Péchoux s’intéressent à la question de la réforme fiscale
en France où une taxe locale sur l’emploi (taxe professionnelle) pourrait être remplacée par
une fiscalité environnementale (taxe carbone) déterminée au niveau national. Le changement
du centre de décision fiscal a des effets plutôt inattendus que met en lumière cette analyse. A
l’aide d'
un modèle similaire à celui de Cheikbossian (concurrence entre deux pays avec
dumping réciproque, à la Brander-Krugman 19833), les auteurs étudient la politique
environnementale unilatérale d’un pays selon que la taxe est décidée au niveau local ou
national. Par hypothèse, une autorité locale néglige l'
importance des externalités
transfrontalières et ne considère que la synergie existant entre la firme domestique et le tissu
économique local. L’étude montre qu'
une politique nationale peut s’avérer très efficace pour
protéger le profit et par là même prévenir les délocalisations mais dans le même temps peut
être peu performante d’un point de vue environnemental. En revanche, une politique locale
peut générer un niveau de bien-être national supérieur: on retrouve ici un exemple de
organisation industrielle 4,
« délégation stratégique », bien connu notamment en théorie de l'
où il est parfois commode de déléguer la prise de décision à un agent avec des préférences
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Brander, J.A. et P. Krugman, 1983.
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Caillaud B. et P. Rey, 1995.
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la frontière ne sont pas autorisés a priori par l'
OMC, l'
étude de Nicolaï et al. montre qu'
en
présence de concurrence imparfaite une telle politique aboutirait à fixer une taxe sur les
importations supérieure au prix des permis à polluer en vue de réduire les fuites de carbone,
ce qui pose bien évidemment la question de sa faisabilité.
Enfin Yollande Hiriart montre que, dans une petite économie ouverte en équilibre
général à la Heckscher-Ohlin, l’ouverture aux échanges n’est pas toujours bénéfique en
présence de coût de régulation de la pollution lié à l’existence d’information asymétrique.
Plus précisément, lorsqu’une ressource naturelle sert d’intrant à un secteur intermédiaire
protégé de la concurrence internationale et que l’utilisation de cette ressource crée de la
pollution contrôlée par une politique environnementale, l’ouverture aux échanges améliore le
bien-être collectif lorsque les conditions de production des firmes du secteur intermédiaire
sont parfaitement connues. En revanche, la présence d’asymétrie d’information, introduisant
une inefficacité dans la régulation du secteur intermédiaire peut invalider ce résultat en raison
des distorsions liées à l’arbitrage efficacité-extraction des rentes. Ainsi, se trouve confortée
l’idée développée par Bhagwati5 que le caractère bénéfique ou négatif de l’ouverture
internationale des marchés dépend de l’absence ou de l’existence de distorsions internes à
l’économie fermée.
Le deuxième thème abordé est lié à la nécessité d’étudier la relation entre commerce
international et environnement en tenant compte explicitement de la dimension temporelle et
donc de la dynamique de l’économie.
Bogmans et Withagen analysent l’accumulation de capital dans un modèle d’échange
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Bhagwati J.,1971.
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taxes déterminées par des pays souverains dans une économie internationale, par opposition à
un système de permis à polluer déterminé au niveau international. On retrouve que le choix
national des taxes favorise leur usage stratégique. Celui-ci est déterminé dans un contexte à
deux pays hétérogènes selon leur taille, leur productivité et leur dotation en ressource. Les
auteurs montrent que, même si les pays se coordonnent sur l’évolution optimale de leur taxe,
ce qui permet de corriger l’externalité de pollution, leurs choix stratégiques quant aux niveaux
des taxes nationales entraînent une mauvaise allocation internationale de l’activité
d’extraction de la ressource. En l’occurrence un pays pauvre en ressource choisit un taux de
taxe plus élevé qu’un pays riche en ressource. Cet écart s’accroît avec la taille et la
productivité relative du pays pauvre en ressource, ce qui est corroboré par les quelques
évidences empiriques disponibles. Pour conclure, l’analyse montre clairement les
désavantages des taxes relativement aux permis en raison de la difficulté de se coordonner
sur une politique de taxation future annoncée de façon crédible et des effets néfastes de la
concurrence fiscale entre pays souverains.
Enfin, Karp et Zhao étudient la mise en place et la structure d’accords internationaux
environnementaux comme, entre autres, le Protocole de Kyoto. Ils s’intéressent
particulièrement aux termes de ces accords qui permettraient d’encourager la participation, la
minimisation des coûts d’abattement et de créer des incitations pour les pays à se comporter
de façon conforme aux engagements. A l’aide d’un modèle dynamique de formation d’un
accord international, ils montrent que certaines clauses sont particulièrement utiles pour
atteindre ces objectifs. C’est le cas de la clause dite « d’échappement » qui offre la possibilité
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Bourgeon et Ollivier analysent les effets de la production et de l’échange des
bioénergies sur les émissions de gaz à effet de serre. Suivant les travaux de Copeland et
Taylor6, ils étudient un modèle d’équilibre général en économie ouverte entre deux régions, le
Nord et le Sud, comprenant un grand nombre de pays. L’économie comprend deux secteurs
polluants, le secteur industriel et le secteur agricole, tous deux à l’origine d’émissions de gaz à
effet de serre. Les biens industriels peuvent substituer dans leur processus de production des
bioénergies à une ressource énergétique fossile. En autarcie, tous les pays ont des niveaux
d’émission identique, aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie. Par contre, en
économie ouverte, la réallocation des productions selon les avantages comparatifs des régions
fait qu’à l’équilibre, les émissions dues au secteur agricole sont plus importantes dans les pays
du Sud, alors que les émissions industrielles sont concentrées dans le Nord qui devient
responsable de la majorité des émissions de gaz à effet de serre. Ce résultat est obtenu bien
que les pays du nord se spécialisent dans la production des biens « propres », c’est à dire des
biens pour lesquels le degré de substitution entre énergie fossile et bioénergies est plus grand.
Un autre résultat important est que le commerce international des bioénergies est à l’origine
d’une réduction au niveau mondial du total des émissions. Enfin, cet article offre, lui aussi,
une nouvelle interprétation des « havres de pollution » dans la mesure où même si la région
du Sud devient un tel havre en concentrant la production de biens industriels les plus
polluants, c’est la région Nord qui au final pollue le plus en devenant plus riche et en attirant
la localisation massive des activités industrielles.
Enfin, Chakravorty, Hubert et Moreaux, à l’aide d’un modèle dynamique et calibré
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B.R. Copeland, M.S. Taylor, 1994, 1995, 2003.
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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BHAGWATI J., [1971], The generalized Theory of Distortions and Welfare, in J. Bhagwati,
R. Jones, R. Mundell and J. Vaneck, eds. Trade, balance of payments and growth: Papers
in International Economics in Honor of Charles P. Kindleberger, North Holland.
BOYER M, LAFFONT J.J., [1999], « Toward a Political Theory of the Emergence of
Environmental Incentive Regulation », Rand Journal of Economics, 30, p.137-157.
BRANDER J.A., KRUGMAN P., [1983], «A reciprocal dumping model of international
trade », Journal of International Economics 15 , p. 313-321.
CAILLAUD B., REY P., [1995] « Strategic aspect of vertical delegation », European
Economic Review, 39 , p.421-431
CALMETTE M.F., [2000] « Régulation de firmes polluantes en libre échange : conséquences des
asymétries d’information et des groupes de pression », Économie et Prévision, vol. 143-144, n°2-3,
p. 101-116.
COPELAND B.R., TAYLOR M.S. [1994], « North-South trade and the environment », The
Quaterly Journal of Economics,109,issue 3, p.755-787.
COPELAND B.R., TAYLOR M.S. [1995], « Trade and transboundary pollution », The
American Economic Review,85, p.716-737.
COPELAND B.R., TAYLOR M.S. [2003], « Trade and the Environment : Theory and
Evidence», Princeton University Press.
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