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Matthieu Gillabert
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1. En parlant du séminaire sur les relations culturelles internationales inauguré en 1991 à l’Institut
d’histoire du temps présent, Pascal Ory fait lui-même le lien entre le « grand mouvement culturaliste »
et l’histoire des relations internationales. Pascal Ory, « Introduction », in Anne Dulphy, Robert Frank,
Marie-Anne Matard-Bonucci, Pascal Ory (dir.), Les Relations culturelles internationales au xxe siècle. De la
diplomatie culturelle à l’acculturation, Berne, Peter Lang, 2010, p. 16.
2. Volker Depkat, « The “Cultural Turn” in German and American Historiography »,
Amerikastudien/American Studies, vol. 54, n° 3, 2009, pp. 425-450.
3. Akira Iriye, « Postface », in Alain Dubosclard, Laurent Grison, Laurent Jean-Pierre, Pierre
Journoud, Christine Okret, Dominique Trimbur (dir.), Entre rayonnement et réciprocité. Contributions à
l’histoire de la diplomatie culturelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 182.
Relations internationales, no 169/2017
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les chercheurs à se pencher plus sur les différents acteurs des relations inter-
nationales que sur les relations internationales elles-mêmes4.
Or, la diplomatie culturelle se confond parfois avec la diplomatie
publique, concept proche, issu pourtant d’une autre tradition historiogra-
phique. Toutes deux se situent dans une nébuleuse qui englobe à la fois
les échanges culturels, le national branding et le soft power5. Elles articulent
la diffusion de représentations et de contenus culturels et leur impact sur
des publics plus larges que celui des diplomates. Elles ont également en
commun d’être prises en charge par des structures étatiques ou paraéta-
tiques, ce qui ne les empêche pas de s’appuyer sur des réseaux et des canaux
plus informels. Elles font appel à un « agencement d’éléments hétérogènes »
– différents acteurs institutionnels, mais également différents supports et
canaux d’informations – mis en place pour transformer les individus : en
suivant Nicolas Dodier et Jeannine Barbot, ces formes de diplomaties cor-
respondent bien à des dispositifs6. Promouvant la culture qu’ils véhiculent,
ces dispositifs ont pour but premier de l’utiliser pour favoriser les contacts
ou pour tenter de convaincre des opinions publiques étrangères. Dans cette
perspective, ils euphémisent le terme de propagande7.
Cependant, ces deux formes de diplomaties gardent leurs spécificités.
Pour sa part, la diplomatie culturelle conserve des liens – conceptuels,
voire institutionnels – très étroits avec la politique culturelle et, plus lar-
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4. Le réseau informel « New Diplomatic History », qui a organisé un premier colloque interna-
tional à Leyde en 2013, propose de renouveler l’histoire de la discipline grâce à l’interdisciplinarité et
en se focalisant sur l’étude des « individuals and groups of individuals who perform diplomatic roles » (des indi-
vidus et des groupes d’individus qui jouent des rôles diplomatiques). Blog « New Diplomatic History »,
http://newdiplomatichistory.org/about/, site consulté le 15 novembre 2016.
5. Ces multiples dénominations sont déjà pointées dans un rapport du Conseil de l’Europe
en 1974 cité dans Jessica C.E. Gienow-Hecht, Mark C. Donfried, « The Model of Cultural Diplomacy.
Power, Distance, and the Promise of Civil Society », in Jessica C.E. Gienow-Hecht, Mark C. Donfried
(eds.), Searching for a Cultural Diplomacy. Explorations in Culture and International History, New York/
Oxford, Berghahn, 2010, p. 13.
6. Nicolas Dodier, Janine Barbot, « La force des dispositifs », Annales. Histoire, Sciences Sociales 2016,
n° 2, pp. 422-423.
7. Étienne F. Augé, Petit traité de propagande à l’usage de ceux qui la subissent, Louvain-la-Neuve,
De Boeck, 2015, pp. 21-23.
8. Jean-François Fayet, VOKS. Le laboratoire helvétique, Chêne-Bourg, Georg éditeur, 2014, p. 12.
9. François Chaubet, Histoire des relations culturelles dans le monde contemporain, Paris, Armand
Colin, 2011, p. 117.
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10. Philip Taylor, Munitions of the mind. A history of propaganda from the ancient world to the present
day, Manchester/New York, Manchester University Press, 2003, pp. 158-159.
11. « Electric communications has made foreign relations domestic affairs ». Cité par Justin Hart,
« Foreign Relations as Domestic Affairs. The Rome of the « Public » in the Origins of U.S. Public
Diplomacy », in Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge (eds.), The United States and Public Diplomacy.
New Directions in Cultural International History, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2010,
p. 196.
12. Sandro Landi, « L’opinion publique », in Olivier Christin (dir.), Concepts nomades, vol. 2, Paris,
Métailié, 2016, p. 379.
13. Renaud Meltz, « Vers une diplomatie des peuples ? L’opinion publique et les crises franco-
anglaises des années 1840 », Histoire, économie & société, 2014, n° 2, p. 60. Pour Bertrand Badie, cette
distinction entre « mouvement social » et « ordre de la puissance » est à la base de la vulgate réaliste,
courant dominant de la théorie des relations internationales : Bertrand Badie, Le Diplomate et l’intrus.
L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2008, p. 20.
14. L’expression de « public diplomacy » apparue sporadiquement au xixe siècle, devient cou-
rante après 1918. Nicholas J. Cull, « Public Diplomacy before Gullion. The Evolution of a Phrase »,
in Nancy Snow, Philip M. Taylor (eds.), Routledge Handbook of Public Diplomacy, New York/Londres,
Routledge, 2009, pp. 19-21.
15. Anatole France, Diplomatie et démocratie, Paris, Librairie de l’Humanité, 1906, p. 3.
16. Frank A. Ninkovich, The Diplomacy of Ideas. U.S. foreign policy and cultural relations, 1938-1950,
Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 28.
17. La section culture du ministère allemand des Affaires étrangères est créée en 1920 : Carolin
Schober, Das Auswärtige Amt und die Kunst in der Weimarer Republik, Peter Lang, 2004, p. 27. Sur le
vocabulaire utilisé à l’occasion des expositions internationales : Jan Melissen, Wielding Soft Power : The
New Public Diplomacy, Netherlands Institute of International Relations, 2005, p. 2.
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18. Justin Hart, Empire of Ideas. The Origins of Public Diplomacy and the Transformation of U.S. Foreign
Policy, Oxford, Oxford University Press, 2013, pp. 15-40.
19. Justin Hart, op. cit., 2010, p. 219.
20. Matthieu Gillabert, Dans les coulisses de la diplomatie culturelle Suisse. Objectifs, réseaux et réalisa-
tions du rayonnement culturel helvétique durant le second xxe siècle, Neuchâtel, Alphil, 2013, pp. 32-35.
21. Pour Dominique Trimbur, les diplomaties culturelles sont toutes confrontées au défi de passer
d’un public élitaire aux masses. Dominique Trimbur, « Introduction », in Alain Dubosclard et al. (dir.),
op. cit., p. 20.
22. Cité par Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge, « The New International History meets the
New Cultural History: Public Diplomacy and U.S Foreign Relations », in Kenneth Osgood, Brian
C. Etheridge (eds.), The United States and Public Diplomacy. New Directions in Cultural International
History, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p. 12.
23. Nicholas J. Cull, « Public Diplomacy: Taxonomies and Histories », Annals of the American
Academy of Political and Social Science, vol. 616, 2008, p. 32.
24. Rasmus Kjærgaard Rasmussen, Henrik Merkelsen, « The new PR of states: How nation
branding practices affect the security function of public diplomacy », Public Relations Review, 2012,
vol. 38, n° 5, p. 812.
25. Albert Salon, L’Action culturelle de la France dans le monde, Paris, Nathan, 1983.
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26. Jean-Baptiste Duroselle a synthétisé son approche dans l’article « Opinion, attitude, mentalité,
mythe, idéologie : essai de clarification », paru dans la revue Relations internationales, n° 2, 1974. Robert
Frank, « L’historiographie des relations internationales : des « écoles » nationales », in Robert Frank
(dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, Puf, 2012, pp. 14-15, 345-346.
27. Jean-Baptiste Duroselle, ibid., p. 23.
28. Pierre Milza, « Culture et relations internationales », Relations internationales, n° 24, 1980,
p. 377.
29. Yves-Henri Nouailhat, « Aspects de la politique culturelle des États-Unis à l’égard de la
France de 1945 à 1950 », Relations internationales, n° 25, 1981, p. 110.
30. Sur l’opinion comme « système de représentations » : Pierre Laborie, « De l’opinion publique
à l’imaginaire social », Vingtième Siècle, revue d’histoire, 1988, n° 18, pp. 101-117.
31. Voir en particulier le n° 24 de la revue Diplomatic History, 2000.
32. Robert Frank, « La machine diplomatique culturelle française après 1945 », Relations interna-
tionales, n° 115, 2003, p. 344.
33. Pierre Milza, « Opinion publique et politique étrangère », in Opinion publique et politique
étrangère I (1870-1915), université de Milan / École française de Rome, 1981, pp. 663-687.
34. George Peden, « Public Opinion and British Foreign Policy Since 1945 », in Opinion publique
et politique extérieure, université de Milan / École française de Rome, 1985, p. 87.
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publique constitue la base du soft power et fut essentielle « in winning the cold
war » (pour remporter la Guerre froide)35. Et il est vrai que les historiens de
la période contemporaine n’hésitent pas à utiliser ce concept.
Comment expliquer finalement le peu d’engouement pour l’expres-
sion diplomatie publique parmi les historiens francophones de la diplomatie
culturelle ? Il est difficile de répondre de manière tranchée, mais l’on peut
avancer deux hypothèses, et en premier lieu, celle de la frontière linguis-
tique et des carcans nationaux. Le concept de diplomatie publique émerge
plutôt dans la sphère anglo-saxonne, autour de la politique extérieure de
Wilson, au moment où s’institutionnalise en France le Service des Œuvres
françaises à l’étranger (1920), lequel consacre 90 % de son budget à la
section universitaire et des écoles mais abrite une section artistique parti-
culièrement active36. Pendant la Guerre froide, l’USIA continue de faire
un important travail de communication, voire de propagande politique,
poursuivant dans la voie de la diplomatie publique. Le volet culturel, les
échanges universitaires notamment, apparaît alors progressivement dans la
catégorie des « cultural exchanges », dans le cadre du Mutual Educational and
Cultural Exchange Act37.
En second lieu, les significations données à public diplomacy restent
variables, de même que son rapport à la cultural diplomacy. Pour l’Améri-
cain Richard Arnt, avant tout un praticien puisqu’attaché culturel, les deux
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35. Joseph S. Nye, « Public Diplomacy and Soft Power », The Annals of the American Academy of
Political and Social Science, vol. 616, 2008, p. 94.
36. Robert Frank, « La machine diplomatique culturelle française après 1945 », op. cit., p. 327.
37. Voir l’article de Justine Faure dans ce numéro.
38. Richard T. Arndt, The Firs Resort of Kings. American Cultural Diplomacy in the Twentieth Century,
Washington, Potomac Books, 2005, p. xii.
39. John M. Mitchell, International Cultural Relations, Londres, Allen & Unwin, 1986.
40. Harvey B. Feigenbaum, Globalization and Cultural Diplomacy, Center for Arts and Culture,
2001, http://www.americansforthearts.org/sites/default/files/globalization_0.pdf, site consulté le
11 novembre 2016.
41. Jessica C.E. Gienow-Hecht, « The Anomaly of the Cold War: Cultural Diplomacy and Civil
Society since 1850 », in Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge (eds.), op. cit., p. 32.
42. Geraldo Zahran, Leonardo Ramos, « From hegemony to soft power: Implications of a concep
tual change », in Inderjeet Parmar, Michael Cox (eds.), Soft Power and US Foreign Policy. Theoretical,
historical and contemporary perspectives, Londres/New York, Routledge, 2010, p. 19.
43. Peter van Ham, « Place Branding: The State of the Art », The Annals of the American Academy
of Political and Social Science, vol. 616, 2008, p. 127.
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qui parcourent les médias et les réseaux sociaux à l’échelle globale, comme
le Nation Brands Index, développé par le groupe allemand Gesellschaft für
Konsumforschung, l’un des leaders mondiaux pour les études de marché.
L’UTILISATION DES CONCEPTS
Une fois ces concepts historicisés, il est possible de les utiliser pour relire
plus en amont l’histoire des relations culturelles internationales, même si
les acteurs eux-mêmes ne les mentionnent pas, voire ne les connaissent
même pas. Mais dans quelle situation utiliser l’un de ces concepts ? Faut-il
tenter de discerner une évolution où chaque dispositif – diplomatie cultu-
relle, diplomatie publique, nation branding – apparaîtrait successivement ?
Il semble qu’il n’y ait pas d’évolution linéaire. Les changements appa-
raissent plutôt en termes de flux et de reflux au niveau de l’intervention
étatique. Après la Première Guerre mondiale, on observe une prise en
main et une certaine centralisation de la diplomatie culturelle, du dispositif
destiné à accompagner, voire promouvoir le rayonnement du pays, puis
une tendance à privatiser, dès les années soixante, les structures mises en
place. On passe du telling (discours de séduction) au selling (promotion
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44. Nancy Snow, « Rethinking Public Diplomacy », in Nancy Snow, Philip M. Taylor (eds.),
op. cit., 2009, p. 5.
45. Thomas Kadelbach, « Swiss Made »: Pro Helvetia et l’image de la Suisse à l’étranger (1945-1990),
Neuchâtel, Alphil, 2013, pp. 135-144.
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CONCLUSION
52. Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge, « The New International History meets the New
Cultural History: Public Diplomacy and U.S. Foreign Relations », in Kenneth Osgood, Brian
C. Etheridge (eds.), op. cit., pp. 3-4.
53. Robert Frank, « Introduction », Relations internationales, n° 115, 2003, p. 323.
54. Manuel Castells, « The New Public Sphere: Global Civil Society, Communication Networks,
and Global Governance », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 616,
n° 1, 2008, p. 91.
Car les faits ne montrent pas, semble-t-il, une disparition des dispositifs,
mais leur complexité grandissante par l’agrégation de toujours davantage
d’acteurs poursuivant des objectifs hétérogènes. Au début du xxe siècle,
l’action culturelle promue par des organismes privés ou parapublics n’a pas
besoin de l’État pour diffuser un message relativement cohérent55. Après
la Seconde Guerre mondiale, le consensus autour de la projection natio-
nale au moyen de supports culturels semble être toujours aussi solide dans
de nombreux pays. Le renforcement étatique et l’institutionnalisation des
politiques culturelles vers l’étranger s’insèrent donc facilement dans les
structures préexistantes.
Alors que les dispositifs se multiplient dans chaque État, les distinctions
entre diplomatie culturelle et diplomatie publique permettent de classer
les actions entreprises et de mesurer le poids de la diplomatie au sens large
dans les différentes politiques de rayonnement. Certes, la frontière concep-
tuelle n’est pas clairement établie et les traditions historiques, s’ignorant
bien souvent, n’ont pas forcément les mêmes références. La réflexion théo-
rique, même si elle n’aboutit pas à des catégorisations définitives, permet
cependant de mieux identifier les enjeux entre l’implication de l’État, les
objectifs poursuivis, le rôle des différents acteurs et le choix du public cible.
Matthieu Gillabert
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55. Nous utilisons ici la distinction d’Alain Dubosclard entre « action culturelle », menée par des
acteurs privés ou parapublics et la « diplomatie culturelle », qui représente « l’ensemble des opérations
décidées et mises en place par ou sous l’impulsion du ministère des Affaires étrangères […] ». Alain
Dubosclard, « Les principes de l’action culturelle extérieure de la France aux États-Unis au xxe siècle :
essai de définition », in Alain Dubosclard et al. (dir.), op. cit., p. 25.