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PRÉSENTATION
1. Voir Sarkar Sumit, « Subalternité et histoire globale », Actuel Marx, n° 50, 2011, pp. 207-217.
2. Pour une réflexion sur les différentes formes possibles sur ce renouvellement, voir Traverso Enzo, « Marx, l’histoire et les histo-
riens. Une relation à réinventer », ibidem, pp. 153-165.
3. Sur le débat concernant l’eurocentrisme de Marx, voir Lindner Kolja, « L’eurocentrisme de Marx : pour un dialogue du débat
marxien avec les études postcoloniales », Actuel Marx, n° 48, 2010, pp. 106-128.
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cause de leur race, de leur apparte- Oui. Car la droite mondiale a été
nance ethnique ou de leur genre, de également libérée de son rattache-
leur sexualité. Les militants insistè- ment au libéralisme centriste. Elle a
rent sur le fait que les revendications profité de la stagnation économique
d’un traitement égal de tous ne pou- mondiale et de l’écroulement des
vaient plus être reportées à quelque mouvements de la « vieille gauche »
avenir lointain, quand les partis de (et des gouvernements qui l’incar-
la « vieille gauche » auraient enfin naient) pour lancer une contre-
réalisé leurs objectifs historiques. offensive que nous appelons « la
Ces revendications, disait-on, font mondialisation néolibérale » (qui est
partie des urgences du présent. Sous en réalité tout à fait conservatrice).
beaucoup d’aspects, le mouvement Ses objectifs principaux consistaient
du Black Power aux États-Unis en à supprimer tous les gains obte-
fournissait l’exemple typique. nus par les classes subordonnées
La révolution mondiale de 1968 pendant la « phase A » du cycle de
fut un énorme succès politique ; Kondratieff. La droite mondiale
elle fut également un énorme échec a alors cherché à réduire tous les
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bien conscients que nous nous trou- Alegre ». Mais les intitulés impor-
vons à un point de bifurcation et ils tent peu. Ce qui importe, c’est
savent aussi, même sans le dire, que, de discerner les stratégies organi-
à partir de ce point, il faudra choisir. sationnelles qui s’affrontent dans
Après coup, on pourra dire qu’une cette lutte déterminante – laquelle
décision a été prise, même si l’usage dure, sous une forme ou une autre,
du terme de « décision » a quelque depuis la révolution mondiale de
chose d’anthropomorphique. 1968 et ne trouvera peut-être son
On peut penser cette période de terme qu’aux alentours de 2050.
crise systémique comme le théâtre Toutefois, avant de considérer
d’une lutte dont l’objet est le sys- les stratégies, il faut relever deux
tème qui va succéder à celui qui caractéristiques cruciales de ce
existe. Le résultat est imprévisible, qu’est une crise structurelle. Tout
pour des raisons inhérentes à ce d’abord, les fluctuations sont si sau-
qu’est un système, mais la nature vages qu’il y a peu de chance de
de cette lutte est très claire. Nous retourner à l’équilibre. Au cours du
sommes face à une alternative dont, temps long, du temps « normal » de
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tion où le monde est régi par des lois qui souhaiteraient instituer un sys-
déterministes qui ne laissent aucune tème hautement répressif propa-
place à la nouveauté et la concep- geant ouvertement une vision du
tion d’un monde régi par un Dieu monde qui consacre le rôle de diri-
lanceur de dés, où tout est absurde, geants qualifiés, dissimulateurs, hau-
a-causal et incompréhensible. tement privilégiés, en face de sujets
La seconde caractéristique cru- serviles. Et ceux-là ne se contentent
ciale d’une crise structurelle consiste pas de propager une telle vision ; ils
en ce qu’aucune des deux forces en proposent aussi l’organisation d’un
présence n’a ni ne peut avoir de réseau de réformateurs armés pour
structure verticale composée d’un écraser l’opposition.
petit groupe au sommet tirant À côté d’eux, un second groupe
toutes les ficelles. Il n’y a ni comité pense que la voie du contrôle et du
exécutif de la classe dirigeante ni privilège passe par un système hau-
Politburo des masses opprimées, et tement méritocratique qui coopte
il ne peut y en avoir. Même ceux un grand nombre de cadres indis-
qui sont conscients et engagés dans pensables au maintien d’un système
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plus d’acuité et assurément conso- la lutte contre les trois inégalités fon-
lider une plus grande camaraderie, damentales que l’on trouve au niveau
tout en nous gardant peut-être de mondial : les inégalités de genre, de
tomber dans ce sectarisme qui, histo- classe et de race/ethnicité/religion.
riquement, a toujours mis en échec C’est la tâche la plus difficile de
les mouvements antisystémiques. toutes, car aucun de nous n’est inno-
La troisième chose que nous pou- cent, aucun de nous n’est pur. Toute
vons envisager, c’est de construire la culture dont nous avons hérité
ici et là, partout, à petite et grande résiste même à cette évolution.
échelle, des modes de production Enfin, nous devons fuir comme
alternatifs, démarchandisés. En nous la peste la croyance selon laquelle,
engageant dans cette voie, nous en deux solutions étant données, une
apprendrons sur les limites de nom- bonne et une mauvaise, l’histoire
breuses méthodes isolées. Nous pou- serait de notre côté : la bonne so-
vons, ce faisant, démontrer qu’il ciété adviendra nécessairement.
existe d’autres façons d’assurer une L’histoire n’est du côté de personne
production intelligente et soute- en particulier. D’ici à un siècle, nos
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B. K. GILLS, La théorie du système monde (tsm) : analyse de l’histoire mondiale, de la mondialisation et de la crise mondiale
LA THÉORIE DU SYSTÈME
MONDE (TSM) : ANALYSE
DE L’HISTOIRE MONDIALE,
DE LA MONDIALISATION
ET DE LA CRISE MONDIALE
Par Barry K. GILLS
B. K. GILLS, La théorie du système monde (tsm) : analyse de l’histoire mondiale, de la mondialisation et de la crise mondiale
2. Cette collaboration a donné lieu à une série de travaux écrits conjointement, commencés en 1989. Les travaux les plus substantiels
du point de vue théorique et conceptuel se trouvent dans : Gills Barry K., Frank André Gunder, « The Cummulation of Accummulation.
Theses and Research Agenda for 5000 Years of World System History », Dialectical Anthropology, vol.15, No.1, July 1990, pp. 19-
42 ; Gills Barry K., Frank André Gunder, « World System Cycles, Crises, and Hegemonic Shifts, 1700 BC to 1700 AD », Review 15(4),
1992, pp. 621-687. Les deux articles ont été reproduits dans : Frank André Gunder and Gills Barry K. (eds), The World System : Five
hundred years or five thousand ?, London, Routledge, 1993. Voir également l’article récent : « The Modern World System under Asian
Hegemony », op. cit. Dans les approches qui ont précédé les nôtres, en vue d’une compréhension du capital dans la théorie du sys-
tème monde et de l’économie politique de l’antiquité, il faut également citer la contribution centrale de Jonathan Friedman et Kasja
Eckholm, « Capital, Imperialism and Exploitation in Ancient World Systems », d’abord publié en 1979, et re-publié dans The World
System : Five hundred years or five thousand ?, édité par André Gunder Frank et Barry K. Gills, London, Routledge, 1993, pp. 59-80.
Eckholm et Friedman ont déjà défendu une approche qui mettait en valeur une similarité des processus systémiques globaux, une
interaction complexe entre processus locaux et globaux et des interactions significatives entre des systèmes régionaux datant de
plusieurs millénaires. Bien qu’ils se soient intéressés à la continuité, ils n’ont pas formulé le concept d’un système monde unique,
mais ils ont examiné les relations entre différents systèmes.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
3. Nous n’avons pas la place de proposer une bibliographie complète, relative aux débats sur l’origine du capitalisme historique.
On peut cependant se reporter aux ouvrages suivants : Hilton Rodney H. (ed.), The Transition from Feudalism to Capitalism, London,
New Left Books, 1976 ; Ashston Trevor H. and Philpin Charles H. E. (eds), The Brenner Debate, Cambridge, Cambridge University
Press, 1985 ; Blaut James, 1492: The Debate on Colonialism, Eurocentrism, and History, Trenton, N.J., Africa World Press, 1992 ;
Denemark Robert and Kenneth Thomas, « The Brenner-Wallerstein debate », International Studies Quarterly, n° 32, 1982, pp. 47-65 ;
Ekholm Kasja and Friedman Jonathan, « Capital imperialism and exploitation in ancient world-systems » (1982), réédité in Frank
André Gunder et Gills Barry K. (eds), The World System : five hundred years or five thousand ?, op. cit., pp. 59-80. Voir, d’ailleurs,
l’ensemble des contributions dans ce volume, en particulier celles de Janet Abhu-Lughod, Samir Amin, Eckholm et Friedman, David
Wilkinson et Immanuel Wallerstein ; Abu-Lughod Janet, Before European Hegemony. The World System A.D. 1250-1350, New York,
Oxford University Press, 1991. La perspective du système-monde est apparue dans les années 1970 avec les travaux précurseurs de
Wallerstein et Frank. Voir Wallerstein Immanuel, The Modern World-System, Vol. 1, New York, Academic Books, 1974 ; Frank André
Gunder, World Accumulation 1492-1789, New York, Monthly Review Press and Macmillan, 1978.
4. Brenner Robert, « The Origins of Capitalist Development : A Critique of Neo-Smithian Marxism », New Left Review, I/104, 1977,
pp. 25-92.
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B. K. GILLS, La théorie du système monde (tsm) : analyse de l’histoire mondiale, de la mondialisation et de la crise mondiale
B. K. GILLS, La théorie du système monde (tsm) : analyse de l’histoire mondiale, de la mondialisation et de la crise mondiale
B. K. GILLS, La théorie du système monde (tsm) : analyse de l’histoire mondiale, de la mondialisation et de la crise mondiale
9. Gills et Frank ont discuté cette thèse au début des années 1990, voir « The Modern World System under Asian Hegemony : the
silver standard world economy 1450-1750 », op. cit. Voir également l’ouvrage magistral de Frank, ReOrient : Global Economy in the
Asian Age, op. cit.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
B. K. GILLS, La théorie du système monde (tsm) : analyse de l’histoire mondiale, de la mondialisation et de la crise mondiale
10. Gills Barry K., « Hegemonic Transitions in the World System », in Frank André Gunder and Gills Barry K., The World System : Five
hundred years or five thousand, op. cit., pp. 137-138 ; et Gills Barry K., « Globalization, Crisis and Transformation : World Systemic
Crisis and the Historical Dialectics of Capital », in Gills Barry K. (ed.), Globalization in Crisis, London, Routledge, 2011, pp. 273-286.
Voir également Gills Barry K., « Going South : capitalist crisis, systemic crisis, civilizational crisis », Third World Quarterly, Vol. 31,
2010, n° 2, pp. 169-184.
Systèmes-mondes anciens. Processus de domination, de
co-évolution et de résistance. L'exemple de la côte est-
africaine avant le XVIIe siècle
Philippe Beaujard
Dans Actuel Marx 2013/1 (n° 53), pages 40 à 62
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0994-4524
ISBN 9782130617808
DOI 10.3917/amx.053.0040
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SYSTÈMES-MONDES ANCIENS.
PROCESSUS DE DOMINATION,
DE CO-ÉVOLUTION
ET DE RÉSISTANCE.
L’EXEMPLE DE LA CÔTE
EST-AFRICAINE
AVANT LE XVIIe SIÈCLE
Par Philippe Beaujard
5. Morin Edgar, Science avec conscience, Paris, Fayard, 1990, pp. 244-245. Les italiques sont miennes.
6. Beaujard Philippe, « Un seul système-monde avant le XVIe siècle ? L’Océan Indien au cœur de l’intégration de l’hémisphère Afro-
eurasien », in Beaujard Philippe, Berger Laurent et Norel Philippe (dir.), Histoire globale, mondialisations et capitalisme, Paris, La
Découverte, 2009, pp. 82-148 ; Beaujard Philippe, Les Mondes de l’Océan Indien, 2 volumes, Paris, Armand Colin, 2012.
histoire globale
7. Nurse Derek, Hinnebusch Thomas J., Swahili and Sabaki. A Linguistic History, Berkeley, Los Angeles, London, University of Ca-
lifornia Press, 1993.
8. Insoll Timothy, The Archaeology of Islam in Sub-Saharan Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 ; Horton Mark, « The
Islamic Conversion of the Swahili Coast 750-1500: some Archaeological and Historical Evidence », in Scarcia Amoretti Biancamaria,
(ed.), Islam in East Africa : New Sources, Rome, Herder, 2001, pp. 449-469.
9. La Violette Adria, « Swahili Cosmopolitanism in Africa and the Indian Ocean World, A.D. 600-1500 », Archaeologies, 4 (1), 2008,
pp. 24-49.
10. Iem ; Horton Mark, Middelton John, The Swahili, the Social Landscape of a Mercantile Society, Oxford, Blackwell, 2000.
11. Wright Henry T., « Early Sea-farers of the Comoro Islands : the Dembeni Phase of the IXth-Xth Centuries AD », Azania, XIX, 1984,
pp. 13-59.
12. Vérin Pierre, Histoire ancienne du Nord Ouest de Madagascar, Tananarive, Université de Madagascar, [1972] ; trad. anglaise,
David Smith, The History of Civilisation in North Madagascar, Rotterdam, Boston, A. A. Balkema, 1986, avec des remaniements du
texte original français.
13. Horton Mark C., « The Swahili Corridor », Scientific American, 257 (3), 1987, pp. 86-93.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
30. Alpers Edward A., Ivory and Slaves : Changing Patterns of International Trade in East Central Africa to the Later Nineteenth
Century, op. cit., p. 266.
31. Aglietta Michel et Orléan André, La Monnaie entre violence et confiance, Paris, O. Jacob, 2002, p. 107.
32. Ekholm Kajsa, Power and Prestige. The Rise and Fall of the Kongo Kingdom, Uppsala, Skriv Service AB, 1972.
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« moyens de paiement » lors des funérailles. Placés dans les tombes des
notables, ils représentaient des dons susceptibles d’attirer les faveurs sur-
naturelles. Par ailleurs, se procurer des produits exportés par les cœurs
dominants revenait à accaparer et à utiliser une part de leur puissance :
le pouvoir idéologique des cœurs amenait les Africains à intérioriser leur
position dominée. On prêtait aux céladons et aux porcelaines chinoises
un pouvoir protecteur et bénéfique. Enfin, les produits importés ser-
vaient aux élites à solidifier des rapports de type clientéliste, aidant ainsi
à l’édification d’un pouvoir (proto-)étatique. Les dirigeants est-africains
étaient ainsi conduits à encourager ou à promouvoir la collecte de maté-
riaux bruts et la traite des esclaves pour obtenir des biens de prestige qui
étaient – pour une part – redistribués. Selon le Portugais Silveira (1518),
« sans les biens importés, le [souverain du Mutapa] ne pourrait avoir
aucune armée33 ». Edward Alpers souligne : « Si les Africains souhaitaient
continuer à recevoir les produits de l’étranger, ils devaient nécessaire-
ment fournir les biens qui étaient demandés34. » Lorsque l’archéologue
Mitchell Rothman note que « tous les joueurs doivent être prêts à jouer,
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les échanges pour les régions qui les exportaient. Le Périple de la mer
Érythrée (Ier siècle) soulignait déjà les exportations d’étoffes en coton et
en soie (chinoise) à partir de divers ports indiens, et celles de tissus brodés
d’or de l’Asie occidentale vers l’Inde37. À partir du Xe siècle, arrivent sur la
côte est-africaine des cotonnades de l’Inde, des étoffes en lin d’Égypte38,
des soieries de Chine (convoyées par les Chinois eux-mêmes au XVe siècle,
lorsque les navires de l’amiral Zheng He atteignent par deux fois Malindi).
Le récit mythique de l’achat de l’île de Kilwa (censé être intervenu au
IXe siècle) par un « Shirazi » à un roi « païen » illustre ce pouvoir des
étoffes. Selon les termes du contrat, le Shirazi entoura l’île de tissus, geste
emblématique d’une transaction commerciale mais aussi marque d’une
« urbanisation » de l’espace et acte civilisateur. Dans une version de la
Chronique de Kilwa, le fondateur shirazi étale des tissus « sur le chemin
qu’emprunte le roi païen de la cité au continent », figuration des relations
clientélistes fondées sur l’octroi de tissus entre la cité swahilie et les com-
munautés de l’intérieur. Pour les Swahilis, la manière de se vêtir définit
socialement la personne. Un lien s’établit entre les différentes qualités et
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37. Casson Lionel (dir.), Periplus Maris Erythraei, Princeton, Princeton University Press, 1989.
38. Allen James de Vere, Swahili Origins. Swahili Culture and the Shungwaya Phenomenon, London, J. Currey, Nairobi, E.A.E.P.,
Athens, Ohio Univ. Press, 1993, p. 59.
39. Randles William G. L., L’Empire du Monomotapa du XVe au XIXe siècle, op. cit., p. 119.
40. Ibidem, p. 120.
41. Horton Mark, Shanga. The Archaeology of a Muslim Trading Community on the Coast of East Africa, London, British Institute in
Eastern Africa, 1996, p. 418.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
42. Dussubieux Laure, Kusimba Chapuruka M., Gogte Vishwas, Kusimba Sibel B., Gratuze Bernard, Oka Rahul C., « The Trading of
Ancient Glass Beads : New analytical Data from South Asian and East African Soda-Alumina Glass Beads », Archaeometry, 50 (5),
2008, pp. 797-821.
43. Robertshaw Peter, Wood Marilee, Popelka-Filcoff Rachel S., Glascock Michael D., « Glass Beads of Southern Africa and Indian
Ocean Trading Networks », communication présentée à la Conférence Biennale de la Society of Africanist Archaeologists, Calgary,
juin 2006.
44. Wood Marilee, Glass Beads and Pre-European Trade in the Shashe-Limpopo Region, Thesis, University of Witwatersrand Jo-
hannesburg, 2005.
45. Chittick Neville, Manda : Excavations at an Island Port on the Kenya Coast, British Institute in Eastern Africa Memoir n° 9, Nairobi,
British Institute in Eastern Africa, 1984.
46. Radimilahy Chantal, Mahilaka. An Archaeological Investigation of an Early Town in Northwestern Madagascar, Uppsala, Depart-
ment of Archaeology and Ancient History, 1998.
47. Hirth Friedrich et Rockhill William W., Chau-Ju-Kua : his Work on the Chinese and Arab Trade in the Twelfth and Thirteenth
Centuries, Entitled Chu-fan-chi, op. cit., p. 126.
48. Wright Henry T., « Trade and Politics on the Eastern Littoral of Africa, AD 800-1300 », op. cit.
histoire globale
bols et assiettes importés au-dessus des portes des maisons, sur les murs
des tombes et les mihrabs des mosquées : les deux éléments essentiels
qui fondent le pouvoir (commerce à longue distance et islam) sont ici
visuellement associés. L’utilisation ostentatoire de ces biens de prestige
fait partie intégrante des processus de compétition et de valorisation de la
richesse dans ces villes, richesse qui témoigne du pouvoir – économique,
politique et religieux – accaparé par un groupe ou un individu. L’emploi
des porcelaines dans les mosquées et les tombes représentait aussi – au
même titre que les étoffes – un don susceptible d’attirer en retour les
faveurs divines. Il avait, en outre, pour effet de retirer ces biens des
échanges, alimentant ainsi une demande constante.
Des chercheurs ont curieusement avancé l’idée que les matériaux bruts
exportés – or et ivoire – étaient sans valeur d’usage dans les périphéries
africaines et qu’il n’est donc pas possible de parler d’échange inégal. Cette
absence de valeur des matériaux bruts à l’intérieur des périphéries, en
contraste avec la désirabilité des produits importés, a aidé au contraire à
l’établissement d’un échange inégal, même s’il ne suffit pas à l’expliquer.
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49. Huffman Thomas N., « Mapungubwe and the Origins of the Zimbabwe Culture », in Leslie Mary et Maggs Tim (eds), African Nais-
sance : The Limpopo Valley 1000 Years Ago, South African Archaeological Society, Goodwin Series 8, Cape Town, 2000, pp. 14-29.
50. Pikirayi Innocent, The Zimbabwe Culture. Origins and Decline in Southern Zambezian States, Walnut Creek, Lanham, New York,
Oxford, Altamira Press, 2001, p. 103.
51. Newitt Malyn, East Africa, Aldershot, Ashgate, 2002, p. 38.
52. Randles William G. L., L’Empire du Monomotapa du XVe au XIXe siècle, op. cit., pp. 81, 122.
53. Beach David, The Shona and their Neighbours, Oxford, Blackwell, 1994, p. 104.
54. Randles William G. L., L’Empire du Monomotapa du XVe au XIXe siècle, op. cit., p. 121, d’après João de Barros (1552) et François
de Monclaro (1569).
présentation DOSSIER interventions en débat livres
permet d’acquérir de l’or, avec lequel on se procure des biens de luxe. Ces
derniers renforcent le pouvoir des élites, qui peuvent accroître leurs trou-
peaux. La question d’une utilisation d’une main-d’œuvre servile pour
l’extraction de l’or, par ailleurs, reste posée pour le Zimbabwe55. Dans les
anciens royaumes de Mapungubwe et même pour le Grand Zimbabwe,
toutefois, les élites tiraient leur richesse « du commerce plutôt que par
une exploitation directe56 ».
On pourrait penser à retourner l’argument précédent : pour les cœurs
aussi, les produits exportés (perles…) ont souvent une faible désirabilité,
au contraire des matériaux bruts importés. En outre, on pourrait estimer
que la manière dont chacun – à l’intérieur de sa propre société – envisage
les gains (économiques et politiques) induits par l’acquisition des biens
échangés détermine, pour une part, les conditions de l’échange. Toutefois,
les deux situations ainsi mises en miroir ne sont pas comparables. Les
produits échangés ne sont pas similaires : biens bruts, d’un côté, produits
manufacturés, de l’autre, produits dont les coûts de production, de trans-
port et de transaction peuvent être évalués par les marchands des cœurs et
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55. Magalhães-Godinho Vitorino, L’Économie de l’empire portugais aux 15e et 16e siècles, Paris, SEVPEN, 1969, p. 251, d’après
Barreto et Monclaro.
56. Coquery-Vidrovitch Catherine, « Recherches sur un mode de production africain », La Pensée, n° 144, 1969, p. 73.
57. Horton Mark, Middelton John, The Swahili, the Social Landscape of a Mercantile, op. cit.
histoire globale
ainsi qu’Adria La Violette58 notent que les Swahili ont restreint la diffusion
de marchandises importées d’outre-mer et fabriqué leurs propres produits
manufacturés, exportés vers les périphéries de l’intérieur et des îles : tissus,
perles en coquillage, cuirs… Ils n’ont pas cherché à diffuser l’islam à l’in-
térieur de l’Afrique, mais l’ont sciemment « conservé en monopole » (si
les sociétés et les classes dominantes cherchent généralement à contrôler
l’innovation et son transfert59, il est plus rare qu’elles tentent de freiner la
diffusion de leur religion : une telle diffusion a bien souvent représenté
pour elles un atout60). Dans la Chronique de Kilwa, le Shirazi fondateur fit
se creuser par son pouvoir magique un canal qui sépara l’île du continent.
Il réunit ainsi en sa personne deux traits majeurs des patriciens swahilis
aux yeux des Africains païens : ils sont possesseurs de produits de luxe
venus d’outre-mer et détenteurs d’un pouvoir magico-religieux attaché
à l’islam. Des conversions – localisées – se produisirent cependant dans
l’Afrique intérieure, aux XVe et XVIe siècles, dans la vallée du Zambèze
et sur le plateau rhodésien61, signe d’une connexion croissante avec des
réseaux océaniques.
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Les Zanj […] tuent les éléphants pour leur ivoire. C’est
de ce pays [Sofala et le Waqwaq] que viennent les défenses
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Limpopo puis du Grand Zimbabwe. Il est vrai que ce rôle a été débattu.
Certains auteurs ont relié la croissance de ces États à l’importance de
l’élevage, favorisé par un climat plus humide de 900 à 129073. D’autres
facteurs locaux sont encore à prendre en compte, comme les institutions
sociales et l’idéologie74. Par ailleurs, l’accroissement démographique dans
la vallée du Limpopo au XIIIe siècle indique des progrès dans l’agriculture.
Pour d’autres chercheurs, l’émergence de sociétés hautement stratifiées
est d’abord imputable à l’essor des échanges. « Le commerce avec la côte,
écrit Thomas Huffman, généra beaucoup plus de richesse que cela n’était
possible avec le bétail75 », richesse source de pouvoir et d’une hiérarchi-
sation sociale accrue. Le contrôle par l’élite de l’importation de biens de
luxe et de leur redistribution renforçait les relations de hiérarchie. Les
biens importés constituaient une forme nouvelle de capital, qui pouvait
être stockée, et distribuée différemment du bétail76. Exprimant un autre
point de vue, Lorraine Swan a récemment souligné que la complexité
sociale et la centralisation politique sont apparues avec le progrès d’un
commerce de cuivre dans l’intérieur de l’Afrique, à une époque où les
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73. Garlake Peter S., « Pastoralism and Zimbabwe », Journal of African History, 19 (4), 1978, pp. 479-493 ; Beach David, The Shona
and their Neighbours, op. cit. Waarden Catrien van, « The Later Iron Age », in Lane Paul, Reid Andrew, Segobye Alinah (eds), Ditswa
Mmung. The Archaeology of Botswana, Gaborone, Pula Press and the Botswana Society, 1998, pp. 115-160.
74. Vogel Joseph O., « The Cultural Basis. Development and Influence of a Socially Mediated Trading Corporation in Southern Zam-
bezia », Journal of Anthropological Archaeology, 9, 1990, pp. 104-147 ; Pikirayi Innocent, The Zimbabwe Culture. Origins and Decline
in Southern Zambezian States, op. cit.
75. Huffman Thomas N., « Mapungubwe and the Origins of the Zimbabwe Culture », op. cit., p. 25.
76. Pwiti Gilbert, « Southern Africa and the East African Coast », in Stahl Ann B. (ed.), African Archaeology. A Critical Introduction,
Malden, Oxford, Carlton, Blackwell Publishing, 2005, p. 386.
77. Swan Lorraine, « Economic and Ideological Roles of Copper Ingots in Prehistoric Zimbabwe », Antiquity, 81 (314), 2007, pp. 999-1012.
78. Wood Marilee, Glass Beads and Pre-European Trade in the Shashe-Limpopo Region, op. cit.
79. Robertshaw Peter et alii, « Glass Beads of Southern Africa and Indian Ocean Trading Networks », op. cit.
80. Insoll Timothy, The Archaeology of Islam in Sub-Saharan Africa, op. cit., p. 365.
81. Swan Lorraine, « Economic and Ideological Roles of Copper Ingots in Prehistoric Zimbabwe », op. cit.
histoire globale
POUVOIR ET MONNAIE
Les cœurs et les semi-périphéries ont aussi exercé une influence sur
les usages monétaires, l’adoption d’une monnaie dans les échanges trans-
régionaux et régionaux apparaissant pour une part comme le résultat d’un
rapport de pouvoir. Le drainage de la monnaie d’un cœur vers l’extérieur
ne représente pas nécessairement un signe de faiblesse. La monnaie, faut-il
le rappeler, n’a pas qu’une dimension économique. L’acceptation de la
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Le roi affirma à Afonso qu’« il traitait du mieux possible tous ceux qui
venaient dans son pays, surtout les marchands, car il recevait d’eux grand
profit95 ».
Avant l’arrivée des Portugais, le contrôle du commerce de l’or de Sofala
par le sultan de Kilwa – et la localisation de l’île – donnaient à ce dernier
et aux nobles de la cité une capacité de négociation que n’avaient pas les
dirigeants des autres cités-États swahilies. Contrairement à d’autres biens
primaires, l’or était rare et recherché ; il n’y a pas ici d’inélasticité de la
demande. Aux XIIIe et XIVe siècles, Kilwa dominait une partie de la côte
swahilie96, et le sultan était capable d’« imposer un système complexe de
taxation97 ». Certains groupes de l’intérieur, notamment les élites d’États
comme Bambandyanalo (XIe-XIIIe siècle), Mapungubwe (XIIIe siècle)
(vallée du Limpopo) et surtout Zimbabwe (XIVe-XVe siècle) avaient les
moyens d’agir sur les termes de l’échange avec les Swahili et de résister
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certain espace de liberté dans leurs échanges avec l’extérieur (toutefois, les
groupes victimes de raids esclavagistes pouvaient justement appartenir à
des « marges » peu impliquées dans le commerce supra-régional ou refu-
sant l’échange). Des sociétés ont résisté à l’incorporation, soit par refus
de ce qui pouvait être perçu comme une domination extérieure, soit par
crainte d’effets déstabilisateurs du commerce à longue distance, l’appari-
tion de biens de prestige induisant une complexification sociale qui allait à
l’encontre des principes de ces sociétés. Les villes côtières essayaient de leur
côté de fidéliser des alliances avec des marchands étrangers ou de jouer de
leur concurrence éventuelle. Cette stratégie éclaire les affiliations religieuses
mouvantes observées à Kilwa entre les XIe et XVe siècles, où les dirigeants
adhèrent à différentes écoles ou branches de l’islam ; ces changements
reflètent aussi des luttes de pouvoir entre des groupes nobles qui s’ap-
puient sur des réseaux distincts, ainsi que des arrivées de migrants venant
de divers centres du monde musulman101. Il apparaît ainsi clairement que
les relations cœur/semi-périphérie/périphérie n’étaient pas nécessairement
« sous-développantes » ; de plus, les situations étaient changeantes dans le
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101. Wilkinson Toby C., Sherratt Susan, Bennet John (eds), Interweaving Worlds : Systemic Interactions in Eurasia, 7th to the
1st Millennia BC, Oxford, Oxbow Books, 2011. Horton Mark, « The Islamic Conversion of the Swahili Coast 750-1500: some Archaeo-
logical and Historical Evidence », op. cit.
102. Viré François, « L’Océan Indien d’après le géographe Abû Abd-Allah Muhammad Ibn Idrîs al-Hammûdî al-Hasanî, dit Al-Sarîf
Al-Idrîsî (493-560 H./1100-1166) (Extraits traduits et annotés du « Livre de Roger ») », Études sur l’Océan Indien, Coll. des travaux de
l’Université de la Réunion, 1984, p. 20.
histoire globale
les dirigeants de l’île de Qays (golfe persique) mènent des raids sur la
côte des Zanj pour se procurer des esclaves. Le mauvais souvenir laissé
par les Wadebuli (« gens de Daybul », port à l’embouchure de l’Indus)
dans les traditions de la côte africaine semble lié également à l’emploi
de la force pour se procurer des esclaves. Des semi-périphéries éloignées
avaient aussi recours à la force : selon l’ancien Livre des Merveilles de l’Inde
(Xe siècle), « des gens de Waqwaq » (Indonésiens) attaquèrent Qanbalû,
sur l’île de Pemba, pour se procurer « ivoire, écaille [de tortue], [peaux
de] panthères, ambre gris », et esclaves (ces Indonésiens avaient aussi
« pillé des îles situées à six jours de route de Qanbaloh [les Comores ?]
et s’étaient rendus maîtres d’un certain nombre de villages et de villes de
Sofala des Zenj »)103.
Bien sûr, les pouvoirs idéologique, politique et économique se recou-
pent et agissent en synergie. Parlant des Européens, Andrew Sherratt
l’exprimait en ces termes : « Les Missionnaires apprenaient aux indigènes
qu’ils étaient nus et les traitants leur vendaient des étoffes104. » La diffusion
de l’islam et celle du christianisme apparaissent ainsi liées à des rapports
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103. Sauvaget Jean (dir.), Les Merveilles de l’Inde, trad. Sauvaget Jean, in Mémorial Jean Sauvaget, t. I, Damas, Institut Français
de Damas, 1954, p. 301.
104. Sherratt Andrew, « Envisioning Global Change : a Long-Term Perspective », in Denemark Robert A., Friedman Jonathan, Gills
Barry K., Modelski George (eds), World System History. The Social Science of Long-Term Change, London, New York, Routledge,
2000, p. 122.
105. Fauvelle-Aymar François Xavier et Hirsch Bertrand, « Voyage aux frontières du monde. Topologie, narration et jeux de miroir dans
la Rihla de Ibn Battûta », Afrique et Histoire, 1, 2003, pp. 75-122.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
Les élites swahilies ont pour une part bénéficié de leur appartenance
au monde musulman, et l’islam – dans ses différentes variantes – a été
adapté et métissé de croyances africaines106.
106. Pouwels Randall L., « The East African Coast c. 780 to 1900 C. E. », in Levtzion Nehemia, Pouwels Randall L. (eds), The History
of Islam in Africa, Athens, Ohio University Press, Oxford, James Currey Ltd, Claremont, David Philip Publish. Ltd, 2000, pp. 251-271 ;
Insoll Timothy, The Archaeology of Islam in Sub-Saharan Africa, op. cit. ; La Violette Adria, « Swahili Cosmopolitanism in Africa and
the Indian Ocean World, A.D. 600-1500 », op. cit.
histoire globale
L’ÉMERGENCE
DU CAPITALISME AU PRISME
DE L’HISTOIRE GLOBALE
Par Philippe NOREL
1. Norel Philippe, L’Histoire économique globale, Paris, Seuil, 2009, pp. 65-83.
3. Voir Wallerstein Immanuel, The Modern World System, tome I, New York, Academic Press, 1974, et, du même auteur, Le Ca-
pitalisme historique, Paris, La Découverte, 1985 ; Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde, Paris, La
Découverte, 2006 ; « La construction de l’économie-monde européenne, 1450-1750 », in Beaujard Philippe, Berger Laurent, Norel
Philippe (dir.), Histoire globale, mondialisations et capitalisme, Paris, La Découverte, 2009, pp. 191-202.
4. Franck André Gunder, « Transitional Ideological Modes : Feudalism, Capitalism, Socialism », in Frank André Gunder and Gills
Barry K., The World System, Five Hundred Years or Five Thousand ?, London, Routledge, 1993, pp. 200-217. Franck André Gunder,
ReOrient : Global Economy in the Asian Age, Berkeley, University of California Press, 1998.
5. Friedman Jonathan, « Concretizing the Continuity Argument in Global Systems Analysis », in Denemark et al., World System
History. The Social Science of Long Term Change, London and New York, Routledge, 2000, pp. 133-151.
6. Beaujard Philippe, « The Indian Ocean in Eurasian and African World-Systems before the Sixteenth Century », Journal of World
History, vol. 16, n° 4, 2005, version française remaniée in Beaujard Philippe, Berger Laurent, Norel Pierre (dir.), Histoire globale,
mondialisations et capitalisme, op. cit., 2009, pp. 82-148. Voir aussi Beaujard Philippe, Les Mondes de l’océan Indien, Paris, Armand
Colin, deux tomes, 2012.
histoire globale
sociale, sans doute contingente quant aux formes de son élaboration his-
torique, mais nécessaire dans son principe, dès lors que l’économie est
tournée vers le profit et que se pose la question de le pérenniser.
Ces conditions apparaissent précisément, dans leur cohérence globale et
pour l’essentiel, entre la fin du Moyen-âge et le XIXe siècle. L’appropriation
privée des moyens de production est certes très ancienne, apparaissant
dès l’empire romain et la Grèce antique, par exemple. Elle est cependant
alors orientée surtout vers l’approvisionnement de l’oïkos, du domaine : la
terre possédée permet de fournir les nécessités ou de produire un surplus
échangeable contre les produits que l’on ne peut fabriquer soi-même. Elle
ne commencerait à se tourner vers la production en vue du profit, selon
Weber, qu’au XIIe siècle en Angleterre et franchirait un palier décisif avec
la révolution des enclosures aux XVIe et XVIIe siècles. Quant à la liberté de
marché, elle correspond à la marginalisation des guildes et corporations,
laquelle progresserait significativement, aux Pays-Bas, au XVIIe siècle. La
technique rationnelle connaîtrait un incontestable franchissement de seuil
avec les innovations de la fin du XVIIIe siècle tandis que le droit rationnel
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9. Friedman Jonathan, « Concretizing the Continuity Argument in Global Systems Analysis », op. cit., p. 136.
histoire globale
moderne, qui n’a pas fait le capitalisme mais en a hérité, tantôt le favorise,
tantôt le défavorise ; tantôt il le laisse s’étendre, tantôt il en brise les res-
sorts. Le capitalisme ne triomphe que lorsqu’il s’identifie avec l’État, qu’il
est l’État13. » Si les intérêts privés des marchands de la sphère B sont donc
clairement considérés comme antérieurs à l’État, au risque de se trouver
ainsi naturalisés chez Braudel, ils n’en demeurent pas moins soumis aux
pratiques de ce dernier pour parvenir à leur plein développement.
Il apparaît alors évident que des pratiques capitalistes, au sens braudé-
lien de ce terme, ont pu exister, notamment en Asie, dans l’océan Indien
ou sur les routes de la Soie, bien avant la période moderne. Toutes les
analyses réalisées sur les chaînes marchandes propres aux diasporas arabes
ou juives au Proche-Orient, persanes ou sogdiennes en Asie centrale, guja-
ratis, cholas ou chinoises en Asie du Sud-Est, montrent la présence active,
intelligente et très organisée d’un capital marchand semblable en tout
point à celui que décrit Braudel. Néanmoins, lorsque ce capital marchand
relève de diasporas, il est moins fréquemment en connivence réelle avec
les pouvoirs politiques locaux. Plus théoriquement, on peut sans doute
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Pouvoir étatique
acceptée comme facteur de gains pour chacun, d’autre part. On serait tenté
de les privilégier et de voir, dans leur opposition, celle d’une autonomie
assez large des diasporas, dans le cadre d’un mode de production tribu-
taire très prégnant dans l’océan Indien, d’un côté, et d’un fonctionnement
propre aux cités-États italiennes de la fin du Moyen âge, de l’autre. Cette
opposition serait cependant par trop eurocentrique. En effet, les deux « so-
lutions » non-coopératives se rencontrent également et, en Asie, si la dis-
tance mutuelle est sans doute dominante, tous les cas de figure existent. On
sait ainsi que la dynastie Ming, après 1433, a voulu réprimer les marchands
privés au long cours pour les insérer de force dans les logiques d’une société
redevenue officiellement néo-confucéenne. On sait aussi qu’aux Maldives,
à la fin du XVe siècle, certains marchands parviendront à saisir le pouvoir
politique. Quant à la symbiose acceptée, elle est souvent présente hors
d’Europe : les liens étroits entre marchands du Karim et pouvoir Rasūlide
au Yemen, du XIIIe au XVe siècle, ont été décrits en détail14 ; la solidarité
entre marchands cholas (Sud de l’Inde) et le pouvoir de leur État d’origine
s’est illustré lorsque ce dernier est venu, en 1025, combattre l’État indo-
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18. Silver Morris, Economic Structures of Antiquity, Westport, Greenwood Press, 1995, et Bresson Alain, La Cité marchande, op. cit.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
engendrés. C’est sans doute en ce sens que le débat sur le capitalisme avant
1492 est sans doute assez vain…
Il n’en reste pas moins que des continuités fortes conduisent du capital
marchand de long cours au capitalisme. Arrighi19 a qualifié de « capita-
lisme diffus » ces marchands, diasporiques ou pas, qui ont fait l’histoire
afro-eurasienne depuis quelques millénaires. Pour lui, poser la question
de l’émergence du capitalisme territorialisé, incarné dans les institutions
qu’évoquent Weber ou Marx, revient à demander comment on a pu passer
d’un « capitalisme diffus » à un « capitalisme concentré ». Il trouve la clé
de ce passage dans l’équilibre subtil pratiqué par les cités-États italiennes
entre « territorialisme » (attitude identifiant le pouvoir à l’extension du
territoire et ne considérant la richesse que comme un moyen) et « capita-
lisme » (recherche de la richesse comme finalité, l’acquisition de territoires
n’étant plus qu’un moyen). Ainsi Venise développerait simultanément
les deux dynamiques, tout en veillant à ce qu’elles n’entrent jamais en
contradiction. Mielants20 reprend à son compte cette dialectique, en mon-
trant, par exemple, que les techniques de monopole pratiquées à Venise
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19. Arrighi Giovanni, The Long Twentieth Century, Money, Power and the Origins of our Times, London, Verso, 1994.
20. Miellants Eric, The Origins of Capitalism and the Rise of the West, Philadelphia, Temple University Press, 2008.
Où et quand le capitalisme est-il né ? Conceptualisations et
jeux d'échelle chez Robert Brenner, Immanuel Wallerstein
et André Gunder Frank
Yves-David Hugot
Dans Actuel Marx 2013/1 (n° 53), pages 76 à 91
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0994-4524
ISBN 9782130617808
DOI 10.3917/amx.053.0076
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OÙ ET QUAND
LE CAPITALISME EST-IL NÉ ?
CONCEPTUALISATIONS
ET JEUX D’éCHELLE
CHEZ ROBERT BRENNER,
IMMANUEL WALLERSTEIN
ET ANDRé GUNDER FRANK
Par Yves-David HUGOT
1. Wallerstein Immanuel, Le Système du monde du XVe siècle à nos jours, tome 1, Capitalisme et économie-monde (1450-1640),
Paris, Flammarion, 1980, p. 7.
2. Idem.
7. Ibidem, p. 78.
8. Idem.
9. Ibidem, p. 81.
10. Marx Karl, Le Capital, trad. dirigée par J.-P. Lefebvre, Paris, Puf, « Quadrige », 1993, p. 807.
11. Ibidem, p. 816.
12. Idem.
13. Ibidem, p. 836.
14. Ibidem, p. 813.
15. Ibidem, p. 816.
16. Idem.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
31. Idem.
32. Maucourant Jérôme, Avez-vous lu Polanyi ?, Paris, La Dispute, 2005, p. 62.
33. Wallerstein Immanuel, « A World-System Perspective on the Social Sciences », op. cit., p. 155.
34. Ibidem, p. 157.
35. Le féodalisme est une forme que peut prendre le mode de production tributaire-redistributif dans les empires-mondes dans
lesquels l’autorité centrale s’est dissoute et où les échelons intermédiaires ont acquis une grande indépendance. Ce qui caractérise
le mode de production tributaire-redistributeur est « l’unité politique de l’économie, que cette ’unité’ impliquât une décentralisation
administrative extrême (la forme féodale) ou une centralisation relativement élevée (un véritable ’empire’). » (« A World-Sytem
Perspective on the Social Sciences », op. cit., pp. 157-158). Il y a eu manifestement une inflexion de Wallerstein entre le premier
volume du Modern World-System (1974) et l’article « A World-System perspective on the social sciences » (1976). Dans le premier
ouvrage, il présente le féodalisme comme « le principal mode ou organisation sociale » de l’Europe médiévale, mais se refuse à faire
de l’ère féodale un système-monde. L’Europe féodale était « une ’civilisation’ » mais « ni un empire-monde, ni une économie-monde »
(Le Système du monde, op. cit., p. 37). En revanche, dans l’article de 1976, Wallerstein affirme que « la genèse [du système-monde
moderne] doit être localisée dans le processus de ’déclin’ d’un système-monde redistributif particulier, celui de l’Europe féodale »
(p. 161). Cette solution supprime une incohérence, mais elle fait subir une torsion à la notion d’empire-monde. Un empire-monde
décentralisé, est-ce encore un empire-monde ?
36. Wallerstein Immanuel, « The Rise and Future Demise of the World Capitalist System », The Essential Wallerstein, New York,
The New Press, 2000, p. 83.
37. Ibidem, p. 76.
38. Une économie-monde est-elle d’emblée capitaliste ou bien est-elle seulement la condition du capitalisme ? Parfois, Wallerstein
identifie sans reste économie-monde et capitalisme : « Le capitalisme et une économie-monde […] sont les deux faces de la même
médaille » (« The Rise and Future Demise of the World Capitalist System », op. cit., p. 76), parfois l’économie-monde n’en est qu’une
condition : « La transition du féodalisme au capitalisme implique avant tout (d’abord logiquement et d’abord temporellement) la
création d’une économie-monde » (« Societal Development, or Development of the World-Systems », The Essential Wallerstein, op.
cit., p. 121). Il ne nous semble pas qu’il y ait contradiction. Une économie-monde est d’emblée formellement capitaliste, mais pour
qu’elle s’affermisse et fasse preuve de ses capacités à dégager de la croissance, il lui faut du temps, une concurrence interétatique
durable, des instruments économiques, financiers et technologiques, particuliers.
39. Wallerstein Immanuel, Le Système du monde du XVe siècle à nos jours, tome 1, Capitalisme et économie-monde (1450-1640),
op. cit., p. 313. Traduction modifiée.
40. Idem.
histoire globale
nie par une multiplicité d’États en concurrence qui, s’ils veulent accroître
leur puissance, ont tout intérêt à aider leurs capitalistes dans leur entreprise
d’accumulation. Le capitalisme implique donc une pluralité d’États.
Au cours de l’histoire, les économies-mondes se sont toujours rapi-
dement désagrégées ou ont été absorbées par des empires-mondes. La
seule qui se soit établie durablement est l’économie-monde européenne,
née au tournant des XVe et XVIe siècles. La mise en place d’un espace
marchand régionalement spécialisé à l’échelle européenne fut le résultat
d’un choix fait par les « classes capitalistes locales – propriétaires terriens
pratiquant des cultures commerciales (souvent, et même normalement,
la noblesse) et marchands41 » – en vue de maintenir leurs profits après
que le féodalisme s’est décomposé durant les XIVe et XVe siècles. Entre le
XVIe et le XVIIIe siècle, le système-monde européen englobait les pays de
l’Europe occidentale, la Pologne et les colonies américaines42. Les diffé-
rentes régions de l’économie-monde se spécialisèrent rapidement chacune
dans un type d’activité, engendrant une polarisation de l’espace centre/
périphérie. Le capital s’accumula en Europe occidentale, où se concen-
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41. Wallerstein Immanuel, « The Rise and Future Demise of the World Capitalist System », op. cit., p. 86.
42. Avant de s’étendre au monde entier au cours des XIXe et XXe siècles.
43. Wallerstein Immanuel, Le Système du monde du XVe siècle à nos jours, tome 1, Capitalisme et économie-monde (1450-1640),
op. cit., p. 322.
44. Ibidem, pp. 321-322.
45. Même si elles tendent à l’être peu à peu au cours du temps.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
talisme n’est plus défini par un rapport de production particulier qui serait
le salariat. La transition du féodalisme au capitalisme n’a pas consisté dans
le remplacement d’un rapport de production (le servage) par un autre (le
salariat), mais dans la mise en place d’un système de marché. Ce système
est pleinement compatible avec l’esclavagisme (dans les plantations améri-
caines) et le servage (en Europe orientale) qui constituaient, dans les lieux
où ils existaient, les modes d’enrégimentement du travail les plus adap-
tés à l’accumulation. La période s’étendant du XVIe au XVIIIe siècle ne
constitue pas une « période de ‘transition’46 » durant laquelle les rapports
de production capitalistes ne seraient pas encore pleinement développés.
Wallerstein défend l’idée d’une adaptation fonctionnelle des rapports de
production au type de production et à leur localisation dans le système.
Durant toute la période du « capitalisme agricole47 », le salariat n’a d’im-
portance que dans les régions du centre abritant les activités intensives
en capital exigeant une main-d’œuvre qualifiée. Le triomphe du rapport
de production salarial avec l’industrialisation est une conséquence de la
croissance, non sa condition ou sa cause.
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Or, un processus qui s’étale sur trois siècles (comme l’atteste le concept
de proto-industrialisation) ne peut être qualifié de révolutionnaire.
Pourquoi l’Angleterre s’est-elle industrialisée la première ? La réponse
ne se trouve pas dans une structure foncière et sociale particulière, mais
dans l’issue de la rivalité séculière de l’Angleterre et de la France pour
l’accès à l’hégémonie parmi les nations du centre. Le traité de Paris, en
1763, en constitue le tournant, même s’il fallut attendre 1815 pour que
l’Angleterre écarte définitivement le danger français. Les victoires de la
Grande-Bretagne, qui consolidèrent et agrandirent son empire colonial et
46. Wallerstein Immanuel, « The Rise and Future Demise », op. cit., p. 84.
47. Ibidem, p. 85.
48. Wallerstein Immanuel, Le Système du monde du XVe siècle à nos jours, tome 1, op. cit., pp. 20-21.
49. Wallerstein Immanuel, The Modern World-System, 3, The Second Era of Great Expansion of The Capitalist World-Economy 1730-
1840s, San Diego, Academic Press, 1989, p. 22.
histoire globale
les défaites de la France qui l’en privèrent, expliquent que l’Angleterre soit
devenue pour un temps la nation hégémonique dans le système-monde
moderne. Thiers en avait déjà conscience :
50. Ibidem, p. 116, note 294. Cette importance donnée aux colonies anglaises atteste que le modèle de Wallerstein n’est peut-être
pas incompatible avec celui que développe Kenneth Pomeranz dans Une Grande Divergence, Paris, Fayard, 2010.
51. Wallerstein Immanuel, « A World-System Perspective on the Social Sciences », op. cit., p. 157.
52. Fernand Braudel constitue un chaînon entre Wallerstein et Frank. C’est lui qui ouvre la possibilité d’une régression chronologique
bien en deçà du XVIe siècle. Discutant Wallerstein dans le premier chapitre du troisième volume de Civilisation matérielle, économie
et capitalisme, il déplace la naissance de l’économie-monde capitaliste au XIIIe siècle dans les villes d’Italie du Nord. Mais il s’agit
d’un tout autre capitalisme que celui de Wallerstein. Il tourne autour du commerce au long cours de produits de luxe. Or, Wallerstein
a toujours refusé de considérer que le commerce de biens de luxe puisse faire système. Seul l’échange de produits agricoles et de
biens manufacturés courants peut fournir la base systémique d’une économie-monde.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
53. Frank André Gunder et Gills Barry K. (eds), The World System. Five Hundred years or Five Thousand ?, London/New York, Rout-
ledge, 1993, p. 82.
54. Ibidem, p. 45.
55. Ibidem, p. 107.
56. Ibidem, p. 90.
57. Ibidem, p. 6. Je souligne.
58. Ibidem, p. 92.
59. Idem.
histoire globale
60. Ibidem, p. 90 : « Dans la forme étatique d’accumulation, l’État cherche à créer de la richesse sociale en vue de l’extraire. En
posant les bases de l’accroissement de la production et en facilitant l’accumulation, l’État accroît son propre accès au surplus et par
conséquent ses capacités potentielles vis-à-vis des États rivaux. »
61. Ibidem, p. 97.
62. Idem.
63. Ibidem, p. 106.
64. Ibidem, p. 105.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
sant les orientaux et leur permettant d’acheter les biens précieux qu’ils
convoitaient. Le tournant du XVIe siècle n’a donc pas marqué la naissance
en Europe d’un système dont le mode de production serait inédit. Il a
seulement connu l’arrimage plus ferme de l’Europe au système mondial
préexistant. Il n’y a donc pas eu non plus de « transition »65, mais simple-
ment une adaptation des structures économiques de l’Europe à celles de
l’Asie. Mais si aucun système spécifique n’est né en Europe au début de la
période moderne, comment expliquer son essor ultérieur ?
La croissance européenne n’a pas été supérieure à celle des autres par-
ties du monde entre 1500 et 1800. Durant toute la période, l’Europe reste
à la traîne. Ce retard se lit dans la structure des échanges : « En 1615,
les biens manufacturés comptaient pour seulement 6 % de la valeur des
cargaisons exportées par la Compagnie hollandaise des Indes Orientales,
94 % était du numéraire66. » Ce qui signifie que, sans l’argent extrait aux
Amériques, « l’Europe aurait été presque totalement exclue de toute par-
ticipation à l’économie mondiale67 ». En 1750, encore, avec 66 % de la
population mondiale, l’Asie produisait 80 % de la richesse mondiale, alors
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78. Wallerstein Immanuel, « The Three Instances of Hegemony in the History of the Capitalist World-System », op. cit., p. 253.
79. Frank André Gunder, ReOrient, op. cit., p. XXVI.
80. Idem.
81. Wallerstein Immanuel, « The Rise and Future Demise of the World Capitalist System », op. cit., p. 101.
histoire globale
82. Idem.
83. Ibidem, pp. 101-102.
84. Wallerstein Immanuel, « The Three Instances of Hegemony », op. cit., p. 254.
85. Wallerstein Immanuel, L’utopistique ou les choix politiques du XXIe siècle, Paris, Éditions de l’Aube, 2000, p. 6 : « L’utopistique se
voudrait […] une évaluation sérieuse des alternatives historiques, l’exercice de notre jugement quant à la rationalité matérielle de
systèmes historiques alternatifs possibles. Il s’agit […] d’indiquer les zones encore ouvertes à la créativité humaine » (op. cit., p. 6).
86. Wallerstein Immanuel, « The Rise and Future Demise of the World Capitalist System », op. cit., p. 102.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
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87. Frank André Gunder, « Transitional Ideological Modes. Feudalism, Capitalism, Socialism », in Frank André Gunder et Gills Barry K.
(eds), The World System. Five Hundred years or five thousand ?, op. cit., p. 214.
Le rendement et le butin. Regard écologique sur l'histoire
du capitalisme
Pierre Charbonnier
Dans Actuel Marx 2013/1 (n° 53), pages 92 à 105
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0994-4524
ISBN 9782130617808
DOI 10.3917/amx.053.0092
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LE RENDEMENT ET LE BUTIN.
REGARD éCOLOGIQUE SUR
L’HISTOIRE DU CAPITALISME
Par Pierre CHARBONNIER
2. Descola Philippe, La Nature domestique, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1986, et Par-delà nature et culture,
Paris, Gallimard, 2005.
3. Braudel Fernand, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 3 vol., Paris, Armand Colin, 1979.
4. Wallerstein Immanuel, Le Système du monde du XVe siècle à nos jours, Paris, Flammarion, 1980.
histoire globale
5. O’Connor James, Natural Causes : Essays in Ecological Marxism, New York, Guilford Press, 1998.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
6. Meiksins Wood Ellen, L’Origine du Capitalisme : une étude approfondie, Montréal, Lux, 2009.
7. Smil Vaclav, Energy in World History, Boulder, Westview Press, 1994.
8. Pour un exemple de cette tentation naturaliste, voir Chakrabarty Dipesh, « The Climate of History : Four Theses », Critical Inquiry,
35(2), 2009, pp. 197-222.
histoire globale
dégage que par rapport à d’autres contextes sociaux – pas forcément aussi
destructeurs, mais tout aussi spécifiques.
Par contraste avec ces fausses pistes, la contribution la plus convain-
cante à ce jour pour une histoire du capitalisme d’un point de vue envi-
ronnemental vient de Kenneth Pomeranz. La démarche de cet historien
repose essentiellement sur une comparaison entre la Chine et l’Angleterre
du XVIIIe siècle. À partir d’une situation initiale selon lui comparable
d’un point de vue économique et démographique, l’une et l’autre se sont
lancées dans des aventures historiques très différentes, rendant difficile
l’explication de cette « grande divergence », pour reprendre le titre de
l’ouvrage9. Pomeranz fait alors intervenir deux critères qui, selon lui, sont
les mieux à même de rendre compte de cette différence et qui sont tous
deux liés à des considérations environnementales10. Il s’agit d’abord de
l’usage à grande échelle de l’énergie fossile du charbon. La Chine disposait
bien de ressources minières, mais, pour plusieurs raisons liées au hasard
(notamment leur éloignement par rapport aux villes principales), elle n’est
pas passée à une exploitation massive de ces énergies. L’industrialisation
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14. Polanyi Karl, La Grande Transformation (1944), Paris, Gallimard, 1983, p. 118.
15. Ibidem, p. 253.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
Polanyi est en réalité assez subtile, voire élusive, quant au statut exact de
la tension entre la fonction de la nature dans l’économie et son statut de
marchandise. Pour la comprendre, il faut y ajouter (ce qu’il ne fait jamais
explicitement) la contradiction matérielle qui existe entre la recherche du
profit tiré de la terre et les limites biophysiques de la nature elle-même.
De la même manière que le travail humain s’épuise, et avec lui la vie
humaine, s’il n’est pas compensé par certaines gratifications biologiques,
psychologiques et sociales, la nature a une vulnérabilité propre à laquelle
on devient aveugle dès lors qu’elle n’entre dans notre conscience écono-
mique qu’à titre de ressource productive. Le métabolisme des sols, pour
en rester à la question de l’exploitation agricole, est fait de contraintes sys-
témiques, c’est-à-dire de limites et de seuils de résilience, qui ne peuvent
être pris en charge que si l’on considère la nature comme une condition
de production plutôt que comme une valeur économique « comme les
autres ». Cela signifie que cette condition première doit faire l’objet d’un
entretien spécifique, qui ne peut être pris en considération dans le cadre
de la logique de la marchandise, puisque celle-ci doit avant tout produire
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16. Foster John Bellamy, Marx’s Ecology, Materialism and Nature, New York, Monthly Review Press, 2000.
17. Martinez-Alier Juan, Ecological Economics, Energy, environment and Society, Oxford, Basil Blackwell, 1987.
18. Charbonnier Pierre, « De l’écologie à l’écologisme de Marx », Tracés, n° 22, 2012, pp. 153-165.
19. Daly Hermann, Toward a Steady-State Economy, San Francisco, W. H. Freeman, 1973.
20. Lovelock James, La Terre est un Être Vivant : l’Hypothèse Gaïa, Paris, Flammarion, 1997.
histoire globale
21. McNeill John, Du Nouveau sous le Soleil. Une histoire de l’environnement mondial au XXe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2010.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
22. Gadgil Madhav et Guha Ramachandra, This Fissured Land : Ecological History of India, Delhi, Oxford University Press, 1992.
23. Voir Bunker Stephen, Underdeveloping the Amazon. Extraction, Unequal Exchange, and the Failure of the Modern State, Urbana,
University of Illinois Press, 1985, pour l’Amazonie, et Guha Ramachandra et Martinez-Alier Juan, Varieties of Environmentalism.
Essays on North and South, London, Earthscan Publications, 1997.
histoire globale
24. Guha Ramachandra, Environmentalism. A Global History, New York, Longman, 2000.
25. Guha Ramachandra, « Environnementalisme radical et préservation de la nature sauvage : une critique de la périphérie », in
Hache Émilie (dir.), Écologie Politique, Cosmos, Communautés, Milieux, Paris, Amsterdam, 2012, pp. 155-170.
26. Mies Maria et Shiva Vandana, Écoféminisme, Paris, L’Harmattan, 1998.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
L’enjeu central visé ici est au fond très bien synthétisé par la trilogie des
marchandises fictionnelles proposée par Polanyi. En ajoutant aux thèmes
classiques de l’accumulation du capital et de l’aliénation du travail celui de
la surexploitation de la nature, il permet d’enrichir notre compréhension
du capitalisme mondialisé. Non seulement, en effet, c’est un nouveau
moteur historique qui s’ajoute à notre grille de lecture historiographique,
mais aussi un domaine dans lequel des savoirs critiques peuvent être élabo-
rés. Cette perspective, dont on a tenté de donner les caractéristiques théo-
riques principales, a donné lieu à des réalisations déjà très abouties27, qui
laissent espérer un renouvellement profond de la pensée environnemen-
tale. Désormais ancrée dans une forme de connaissance socio-historique,
elle n’en passe plus seulement par une définition abstraite de la nature et
de sa valeur, mais identifie des contradictions inhérentes à la dynamique
conjointe du naturel et du social, rendant visibles les réactions collectives
concrètes nées de ces contradictions. n
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27. Hornborg Alf, Carol Crumley (eds), The World System and the Earth System. Global Socioenvironmental Change and Sustainabi-
lity since the Neolithic, Walnut Creek, Left Coast Press, 2006 ; et Hornborg Alf, Martinez-Alier Joan, McNeill John (eds), Rethinking
Environmental History. World System History and Global Environmental Change, Lanham, AltaMira Press, 2007.
Le marxisme face à l'histoire globale
Jacques Bidet
Dans Actuel Marx 2013/1 (n° 53), pages 106 à 120
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0994-4524
ISBN 9782130617808
DOI 10.3917/amx.053.0106
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LE MARXISME
FACE À L’HISTOIRE GLOBALE
Par Jacques BIDET
1. Dans le présent essai, je reviens sur un thème qui parcourt mon livre récent, L’État-monde, Paris, PUF, 2011, où l’on trouvera la
bibliographie qui ne peut trouver place ici.
2. Il introduit ce concept dans The Modern World-System, vol. I, New York/London, Academic Press, 1974, trad. fr., Capitalisme et
économie-monde, 1450-1640, Paris, Flammarion, 1980.
histoire globale
l’espoir que Marx mettait en lui : pour reprendre ses termes, celui de
nous procurer un « fil conducteur » pour une histoire universelle. Le
« système-monde » propose en effet tout à la fois un espace et un temps.
Une nouvelle spatialité – centre/périphéries – et, à partir de là, une série
de nouveaux concepts – route, diaspora, hinterland, etc. – qui définis-
sent une géographie, concrètement associée à une frontière écologique4.
Et une nouvelle temporalité : celle du cycle, avec sa phase ascendante
et sa phase descendante, etc., qui définit une histoire faite de séquences
d’hégémonies, liées entre elles par des « transitions hégémoniques ». Soit
un espace-temps lisible sur plusieurs millénaires.
Si le « système-monde » introduit une historicité que la conceptualité
marxienne ne parvenait pas à établir, c’est bien parce qu’il croise ainsi
l’histoire par la géographie. Le paradigme « structurel » marxien permet
certes d’envisager tout à la fois la dynamique propre à chaque société et la
dynamique d’ensemble du capitalisme. Mais le paradigme « systémique »
introduit l’idée que les entités particulières (et leurs mouvements) sont à
comprendre à partir de leur place dans une configuration globale. Dès lors,
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4. Voir Pomeranz Kenneth, The Great Divergence : China, Europe, and the Making of the Modern World Economy, Princeton, N.J.,
Princeton University Press, [2000], trad. fr., Une grande divergence. La Chine, l’Europe et la construction de l’économie mondiale,
Paris, Albin Michel, 2010.
histoire globale
5. Voir le dernier livre d'Arrighi Giovanni, Smith in Beijing : Lineages of the Twenty-First Century, London, Verso, [2007], trad. fr.
N. Vieillescazes, Adam Smith à Pékin, Paris, Max Milo, 2009.
6. Amin Samir, L’Échange inégal et la loi de la valeur, Paris, Anthropos, 1973.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
sation, qui se partagent les deux privilèges liés aux deux médiations, pour
les uns la propriété (Marx), pour les autres la « compétence » (Bourdieu)
ou « savoir-pouvoir » (Foucault). L’autre classe, la classe fondamentale, se
divise en diverses fractions, qui diffèrent en ce qu’elles se relient davantage
à l’une ou l’autre des deux médiations facteurs de classe : indépendants
(paysans, artisans, commerçants…), salariés du public ou du privé. Et ces
facteurs déterminent tout autant l’exclusion moderne. La lutte moderne
de classe – sa dynamique historique, avec la séquence d’hégémonies qui
la scande – s’analyse ainsi à partir de la relation entre les deux classes et
entre les deux forces sociales (les capitalistes et les dirigeants-compétents),
à la fois convergentes et divergentes, qui forment la classe dominante ou
mieux privilégiée. La lutte entre les deux classes est donc un jeu à trois acteurs.
Comment ce concept structurel de « forme moderne de société »
vient-il interférer dans la perspective systémique de l’histoire globale ?
Il suggère, tout d’abord, que la modernité n’a rien d’occidental, ni
dans son esprit, ni dans ses origines. Il la définit comme un processus
multiséculaire, émergeant en divers lieux du monde, à partir d’expériences
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9. On en trouverait cent exemples dans Beaujard Philippe, Berger Laurent, Norel Philippe (dir.), Histoire Globale, Mondialisations et
Capitalisme, Paris, La Découverte, 2009, ou dans Boucheron Patrick (dir.), Le Monde en 1500, Paris, Fayard, 2009.
10. Voir Schmitt Carl, Der Nomos der Erde, Berlin, Duncker & Humblot, [1988], trad. fr. L. Deroche-Gursel, Le Nomos de la terre, Paris,
Puf, 2001, notamment pp. 83 sq.
histoire globale
11. Voir Arendt Hannah, Origins of Totalitarianism, New York, Harcourt, Brace, [1951], trad. fr. de la deuxième partie, Les Origines du
totalitarisme. L’Impérialisme, Paris, Fayard, « L’espace du politique », 1982.
12. Kant Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Première partie, Doctrine du droit, Paris, Vrin, 1979, notamment Articles 13 et 15.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
13. J’insiste sur le fait que l’argumentation ici présentée demeure, dans ce cadre restreint, très fragmentaire, et donc simplement
suggestive, soulignant quelques points saillants. Je ne puis que renvoyer à L’État-monde, op. cit., où ils sont systématiquement
développés.
histoire globale
14. Toni Negri opère semblablement à partir d’une tendance à l’intellectualisation du travail (voir entre autres Multitude, War
and Democraty in the Age of Empire, New York, Penguin Press, [2004], trad. fr. N. Guilhot, Multitude, Paris, La Découverte, 2004,
pp. 174-186).
présentation DOSSIER interventions en débat livres
15. Althusser Louis, Sur la reproduction, Paris, Puf, 1995, pp. 111-113.
16. Sassen Saskia, Territory Authority, Rights [2006], trad. fr. F. Israel, Critique de l’État. Territoire, Autorité et Droits de l’époque
médiévale à nos jours, Paris, Demopolis, Le Monde Diplomatique, 2009.
histoire globale
17. Anderson Benedict, Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso [1983, 1991],
trad. fr. P. E. Dauzat, L’Imaginaire national, Paris, La Découverte, 1996 ; Hobsbawm Eric, Nations and Nationalism since 1780: Pro-
gramme, Myth, Reality, Cambridge, New York, Cambridge University Press [1990], trad. fr. D. Peters, Nations et nationalisme depuis
1780, Paris, Gallimard, 1992.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
RéVOLUTION ET
DéMYSTIFICATION
DANS LA PENSéE DE KARL MARX
Par Jean VIOULAC
1. Marx Karl, Ökonomisches Manuskript 1863-1865, MEGA II.4.1, p. 129 ; trad. fr. Œuvres II, p. 447.
Abréviations bibliographiques utilisées dans les notes : AK = Kant Gesammelte Schriften, hrsg. von der Preussi-chen Akademie der
Wissenchaften, Berlin, Walter-De-Gruyter ; ES = Œuvres de Karl Marx, Paris, Éditions Sociales ; GW = Hegel Gesammelte Werke,
Rheinisch-Westfälische Akademie der Wissenschaften, Hamburg, Felix-Meiner-Verlag ; Hua = Husserliana, Edmund Husserl Gesam-
melte Werke, Husserl-Archiv, Den Haag, Nijhoff ; MEGA = Marx Engels Gesamtausgabe, Berlin, Dietz-Verlag ; MEW = Marx Engels
Werke, Berlin, Dietz-Verlag ; Werke = Hegel. Werke in zwanzig Bänden, Theorie Werkausgabe, Krankfurt/Main, Suhrkamp-Verlag.
2. Marx Karl, à Kugelmann, 28 décembre 1862, MEW 30, p. 640 ; trad. fr. Correspondance VII, ES, p. 110.
3. Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Phénoménologie de l’Esprit, GW 9, p. 360 ; trad. fr. de G. Jarczyk et P.-J. Labarrière, Paris, Galli-
mard, 1993, p. 577.
4. Marx Karl, à Ruge, septembre 1843, MEGA III.1, p. 55 ; trad. fr. Correspondance I, ES, p. 298.
5. Marx Karl, Théories sur la plus-value II, MEW 26.2, p. 112 ; trad. fr. ES, p. 127.
6. Marx Karl, Le Capital, MEW 23, p. 562 ; trad. fr. J.-P. Lefebvre (dir.), Paris, réed. Puf-Quadrige, 1993, p. 605.
7. Ibidem, respectivement pp. 90, 52 et 86 ; trad. fr. pp. 87, 43 et 83.
8. Marx Karl, Manuscrits de 1857-1858, MEW 42, p. 202 ; trad. fr. ES, tome I, p. 218.
9. Marx Karl, Manuscrits de 1844, MEGA I.2, p. 295 ; trad. fr. ES, p. 136.
10. Marx Karl, Critique du droit politique hégélien, MEGA I.2, p. 30 ; trad. fr. ES, p. 67.
histoire globale
11. Marx Karl, à Engels, 27 juin 1867, MEW 31, p. 313 ; trad. fr. Correspondance VIII, ES, p. 397.
12. Marx Karl, Le Capital, Livre III, MEW 25, p. 825 ; trad. fr. ES, tome III, p. 196.
13. Marx Karl, Manuscrits de 1857-1858, MEW 42, p. 180 ; trad. fr. ES, tome I, p. 195.
14. Marx Karl, à Kugelmann, 28 décembre 1862, MEW 30, p. 640 ; trad. fr. Correspondance VII, ES, p. 110.
15. Marx Karl, à Kugelmann, 27 juin 1870, MEW 32, p. 685 ; trad. fr. Correspondance X, ES, p. 411.
16. Marx Karl, à Kugelmann, 6 mars 1868, MEW 32, p. 538 ; trad. fr. Correspondance IX, ES, p. 178.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
17. Marx Karl, Le Capital, MEW 23, p. 28 ; trad. fr. p. 18.
18. Marx Karl, à Engels, 20 février 1866, MEW 31, p. 183 ; trad. fr. Correspondance VIII, ES, p. 219.
19. Marx Karl, à Engels, 7 juillet 1866, MEW 31, p. 234 ; trad. fr. Correspondance VIII, ES, p. 290.
20. Hegel Georg Wilhelm Friedrich, Principes de la philosophie du droit, § 236 Rem., § 200 Rem. et § 189 Rem., Werke 7, pp. 385, 386
et 346 ; trad. fr. par R. Derathé, Paris, Vrin, 1982, pp. 248, 225 et 220.
21. Marx Karl, Manuskripte zum zweiten Buch des “Kapitals” 1868 bis 1881, MEGA II.11, p. 32.
22. Marx Karl, Le Capital, MEW 23, p. 27 ; trad. fr. p. 17.
histoire globale
23. Marx Karl, Critique du droit politique hégélien, MEGA I.2, pp. 24-25 ; trad. fr. ES, p. 60.
24. Ibidem, MEGA I.2, p. 40 ; trad. fr. ES, p. 81.
25. Ibidem, MEGA I.2, p. 65 ; trad. fr. ES p. 110.
26. Marx Karl, Manuscrits de 1844, MEGA I.2, p. 295 ; trad. fr. ES, p. 136.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
vrai de l’Infini » et qui exprime son essence dans l’universalité de ses produits.
L’exigence scientifique est celle de la réduction de la « forme phénoménale »
à « l’essence ». Si Marx reste en cela fidèle à la phénoménologie hégélienne,
il ne reconduit plus, néanmoins, le phénomène à l’universalité abstraite de
l’idée, mais à l’activité concrète du sujet fini.
La critique marxienne semble alors relever de la critique kantienne,
qui réduit le phénomène à l’activité de constitution du sujet et se présente
elle-même comme « une révolution totale ». La Critique de la raison pure
identifiait déjà la dialectique métaphysique au mysticisme, qui récusait la
« déduction mystique (mystische Deduktion) des idées »27 du platonisme
où la réalité objective des idées de la raison est postulée sans opérer leur
reconduction à leur source de droit qu’est la finitude de l’expérience.
Marx cependant radicalise la critique kantienne, puisque le sujet n’est plus
compris comme fonction transcendantale abstraite et formelle, mais saisi
« en tant que sujet vivant », et sujet qui agit continûment pour produire
ses conditions de vie, c’est-à-dire comme « sujet travaillant »28. À la thèse
métaphysique selon laquelle le commencement de la philosophie n’est rien
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35. Marx Karl, Manuscrits de 1861-1863, MEW 43, p. 88 ; trad. fr. ES, p. 101.
36. Marx Karl, Ökonomisches Manuskript 1863-1965, MEGA II.4.1, p. 79.
37. Marx Karl, Manuscrits de 1861-1863, MEW 43, p. 33 ; trad. fr. ES, p. 43.
38. Ibidem, MEW 43, p. 156 ; trad. fr. ES, p. 173.
39. Ibidem, MEW 43, p. 89 ; trad. fr. ES, p. 103.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
48. Marx Karl, Le Capital, Livre III, MEW 25, p. 274 ; trad. fr. ES, tome VI, p. 276.
49. Marx Karl, Ökonomisches Manuskript 1863-1865, MEGA II.4.1, pp. 64-65.
50. Marx Karl, Manuscrits de 1861-1863, MEW 43, p. 93 ; trad. fr. ES, p. 107.
51. Marx Karl, Manuscrits de 1857-1858, MEW 42, p. 230 ; trad. fr. ES, tome I, p. 248.
52. C’est que répondait J. Derrida à P. Macherey, qui lui reprochait de « dématérialiser » Marx : « La logique spectrale est nécessaire
pour rendre compte des processus et des effets de métaphysicalisation, si je puis dire, d’abstraction, d’idéalisation, d’idéologisation
et de fétichisation […]. Marx a passé sa vie à analyser la possibilité de l’abstraction, dans tous les domaines. Et il nous a appris en
autres choses qu’il ne faut pas hausser les épaules devant l’abstraction comme si ce n’était rien », Marx & Sons, Paris, Puf/Galilée,
2002, p. 61.
53. Marx Karl, Manuscrits de 1857-1858, MEW 42, p. 597 ; trad. fr. ES, tome II, p. 189.
54. Ibidem, MEW 42, p. 230 ; trad. fr. ES, tome I, p. 248.
55. Marx Karl, Manuscrits de 1861-1863, MEW 43, p. 153 ; trad. fr. p. 170.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
56. Ibidem, MEW 42, p. 220 ; trad. fr. ES, tome I, p. 237.
57. Marx Karl, Le Capital, Livre III, MEW 25, p. 887 ; trad. fr. ES, tome III, p. 255.
58. Marx Karl, Théories sur la plus-value, MEW 26.3, pp. 484-485 ; trad. fr. ES, tome III, p. 582.
59. Marx Karl, Le Capital, Livre III, MEW 25, p. 55 ; trad. fr. ES, tome I, p. 63.
60. Marx Karl, Ökonomisches Manuskript 1863-1865, MEGA II.4.1, p. 64.
histoire globale
61. Marx Karl, Théories sur la plus-value, MEW 26.3, p. 447 ; trad. fr. ES, tome III, p. 538.
62. Marx Karl, Le Capital, Livre III, MEW 25, p. 405 ; trad. fr. ES, tome II, p. 56.
63. Marx Karl, Manuscrits de 1857-1858, MEW 42, p. 722 ; trad. fr. ES, tome II, p. 323.
64. Marx Karl, Théories sur la plus-value, MEW 26.3, p. 162 ; trad. fr. ES, tome III, p. 162.
65. Marx Karl, Die Wertform, MEGA II.5, pp. 632 sq. ; trad. fr. dans P.-D. Dognin, Les « sentiers escarpés » de Karl Marx. Le chapitre I
du Capital traduit et commenté dans trois rédactions successives, Paris, Cerf, 1977, t. I, pp. 131 sq.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
RÉVOLUTION ET PHÉNOMÉNOLOGIE
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66. Marx Karl, Engels Friedrich, La Sainte famille, MEW 2, p. 7 ; trad. fr. ES, p. 13.
67. Marx Karl, Contribution à la critique de l’économie politique, MEW 13, pp. 34-35 ; trad. fr. ES, p. 27.
68. Marx Karl, Le Capital, Livre III, MEW 25, p. 835 ; trad. fr. ES, tome III, p. 205.
69. Marx Karl, Manuscrits de 1857-1858, MEW 42, p. 40 ; trad. fr. ES, tome I, p. 41.
histoire globale
70. Husserl Edmund, La Crise des sciences européennes, Annexe III, Hua VI, p. 347 ; trad. fr. par G. Granel, Paris, Gallimard, 1976,
p. 382.
71. Husserl Edmund, Expérience et jugement, hrsg. von Ludwig Landgrebe, Hamburg, Claasen Verlag, 1954, § 12, p. 52 ; trad. fr. par
D. Souche-Dagues, Paris, Puf, 1970.
72. Husserl Edmund, Sur l’intersubjectivité, Hua XIV, p. 203 ; trad. fr. par N. Depraz, Paris, Puf, 2001, tome II, p. 297.
73. Husserl Edmund, La Crise des sciences européennes, § 53, Hua VI, p. 183 ; trad. fr. p. 204.
74. Husserl Edmund, Psychologie phénoménologique (1925-1928), Hua IX, p. 539 ; trad. fr. par Ph. Cabestan, N. Depraz et A. Mazzú,
Paris, Vrin, 2001.
75. Husserl Edmund, Sur l’intersubjectivité, Hua XIII, pp. 98 et 103 ; trad. fr. tome II, pp. 203 et 209.
76. Husserl Edmund, La Crise des sciences européennes, §13, Hua VI, p. 69 ; trad. fr. p. 79.
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77. Marx Karl, Le Capital, Livre III, MEW 25, p. 46 ; trad. fr. ES, tome I, p. 56.
La démocratie entre conflit social et conflit identitaire
André Tosel
Dans Actuel Marx 2013/1 (n° 53), pages 136 à 152
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0994-4524
ISBN 9782130617808
DOI 10.3917/amx.053.0136
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2. Weber Max, « La profession et la vocation de politique », Le Savant et le Politique, Paris, La Découverte, 2003, pp. 117-206.
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qui empêche des masses en nombre croissant de vivre dans la décence. Elle
capture la puissance du travail social pour en faire un instrument de profit
et de jouissance exclusive d’oligarchies électives. Ces dernières se revendi-
quent de leur simple puissance appropriative pour faire alterner libre travail
contraint, chômage et apartheid durable. La dé-démocratie régime est
soutenue par le prêt-à-penser que le cirque médiatique impose à ceux qui
sont censés s’exprimer par des sondages mimant le vote et se voient invités
à s’identifier aux personnages fictifs des jeux de rôle et des story tellings.
Au sens large, ce conflit social entre dans une phase nouvelle marquée par
ce qu’Étienne Balibar4 nomme la violence hyperobjective d’un capitalisme
déchaîné qui radicalise la logique de la production par la destruction et
liquide tout ce qui lui fait obstacle. Désormais, ce sont les États faibles et
asservis par les mécanismes pervers de l’endettement sciemment organisé
qui sont en passe de disparaître pour que le monde humain devienne une
fonction d’ajustement de l’accumulation financière et de ses folies.
La renaissance des conflits sociaux en cette ultime période exprime
une lutte pour une vie plus sûre et libre, pour un travail assuré et allégé,
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sont « dehors », qui n’ont pas part aux conditions existentielles normatives
de la vie, du travail et de la parole, qui demandent accès à un « dedans »
pour lequel ils sont des « sans part », selon la belle formule de Jacques
Rancière5. Les conflits identitaires pour la reconnaissance émanent de
groupes qui se vivent comme un « nous » stigmatisé par un autre « nous »
en tant qu’ils sont « eux », des « eux » potentiellement amis-ennemis. C’est
ainsi que ces groupes peuvent demander des droits politiques en matière
de suffrage universel, des droits culturels et religieux spécifiques, des
sphères d’expression linguistique et politique propre. L’horizon limite des
revendications et de ces conflits est la lutte pour l’indépendance nationale
ou ethnique d’un nouveau « nous ». Ce « nous » peut exiger d’être inscrit
à côté des autres « nous » qui l’entourent et qui sont identifiés comme
susceptibles de se diviser à nouveau selon la dualité ennemis-amis.
Ces deux conflits n’ont pas la même relation au pouvoir politique et ils pro-
duisent des normes différentes. Le conflit social a pour visée immanente un
dedans inclusif universel que la différenciation des « nous » et des « eux »
ne pourrait pas remettre en cause. Il a pour corrélat un monde un, le
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7. Garcia Linera Alvaro, Pour une politique de l’égalité. Communauté et autonomie dans la Bolivie contemporaine, Paris, Les prairies
ordinaires, 2007.
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KEYNES ET LA CRISE.
HIER ET AUJOURD’HUI
Par Paulo NAKATANI et Rémy HERRERA
1. Voir Krugman Paul, Pourquoi les crises reviennent toujours, Paris, Seuil, 2009.
2. Pour une définition du « néolibéralisme », voir Herrera Rémy, Un Autre Capitalisme n’est pas possible, Paris, Syllepse, 2010,
chap. 5.
3. Keynes John Maynard, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Paris, Payot, 1977, p. 29, introduction, note 1
[souligné par l’auteur].
4. Kicillof Alex, Fundamentos de la Teoria General : las consecuencias teoricas de Lord Keynes, Buenos Aires, Eudeba, 2007, p. 154.
5. Ce modèle a été présenté par Hicks John R., « Mr. Keynes and the Classics : A Suggested interpretation », Econometrica, vol. 5,
n° 2, 1937, pp. 147-159.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
Keynes ouvre ainsi la Théorie générale par une critique adressée aux pos-
tulats de l’économie dite « classique » : « Le salaire est égal au produit mar-
ginal du travail » et « l’utilité du salaire, quand un volume donné de travail
est employé, est égale à la désutilité marginale de ce volume d’emploi »6.
Le premier déterminerait l’offre de travail par les entrepreneurs, comme
condition de l’équilíbre de la production maximisant leur profit à court
terme sur un marché en concurrence. Selon la loi des rendements décrois-
sants, à mesure que le volume de l’emploi augmente, le produit marginal
du travail diminue et les salaires réels baissent de façon à ce que l’offre de
nouveaux postes de travail augmente. Le second postulat déterminerait,
quant à lui, la demande de travail par les travailleurs, par l’équilibre de
l’utilité (ou niveau de satisfaction correspondant aux salaires) et de la dés-
utilité (ou effort consenti pour travailler). Ces postulats garantiraient que
l’équilibre obtenu sur le marché du travail est de plein-emploi, en d’autres
termes, que le chômage qui subsiste est volontaire, car la décision de
travailler ou non découlerait du choix rationnel du travailleur individuel
d’être employé ou non. Ainsi, cette situation ne serait pas vraiment du
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10. Say Jean-Baptiste, Cours d’économie politique et autres essais, Paris, Flammarion, 1996, p. 138.
11. Stuart Mill John, Principles of Political Economy, London, Longmans and co., 1900, et Ricardo David, Principles of Political Eco-
nomy and Taxation, London, G. Bells and Sons, 1891, p. 197.
12. Jevons William S., The Theory of Political Economy, London, Hayes Barton Press, 1978, p. 126.
13. Walras Léon, Œuvres économiques complètes, Paris, Economica, 2009, p. 179.
14. Keynes John Maynard, Théorie générale, op. cit., p. 177.
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20. Keynes John Maynard, Essays in bibliography (1933), London, Rupert Hart-Davis, 1951, p. 77.
21. Nakatani Paul et Herrera Rémy, « Keynes (et Marx), la monnaie et la crise », La Pensée, n° 364, 2010, pp. 57-68.
22. Keynes John Maynard, Théorie générale, op. cit., p. 96.
23. Mattick Paul, Marx et Keynes. Les Limites de l’économie mixte, Paris, Gallimard, 1972, p. 39.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
31. Cette théorie atteint son point culminant au chapitre 17 de la Théorie générale (pp. 229 et suiv.).
32. Nakatani Paul et Herrera Rémy, « Keynes (et Marx), la monnaie et la crise », op. cit.
33. Pour plus de détails : Nakatani Paul et Gomes Helder, « Dinheiro : natureza e funções », mimeo, Vitória, Universidade Federal do
Espírito Santo, 2010.
34. Marx Karl, Le Capital, op. cit., Livre premier (tome 1), pp. 113-114.
35. Ibidem, p. 140.
histoire globale
36. Voir Herrera Rémy, Un Autre Capitalisme n’est pas possible, op. cit., pp. 127 et suiv., pour le cas de l’économie française.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
des années à venir, avec un ratio de la dette fédérale détenue par le public
sur le revenu national qui croîtra à un rythme allant lui-même croissant. »
Il ajouta : « Par définition, […] des trajectoires insoutenables de déficits et
de dettes ne se prolongeront pas, parce que des créanciers ne seront jamais
disposés à prêter à un pays dans lequel le rapport entre la dette associée
au déficit budgétaire et le revenu national augmenterait sans limites. […]
Tôt ou tard, d’une façon ou d’une autre, les ajustements nécessaires à la
stabilisation du budget fédéral seront faits, assurément. La seule véritable
question est de savoir [s’ils] seront mis en œuvre à travers un processus
[…] qui réfléchit aux priorités et donne aux gens le temps de s’ajuster aux
changements dans les programmes du gouvernement […], ou si les ajus-
tements exigés seront des réactions rapides et douloureuses. »37 Une inter-
prétation de ce discours est donnée par Gary North : « [Bernanke] dit […]
que l’issue de secours actuellement maintenue ouverte par les créanciers
sera fermée. Dans l’éventualité où les intérêts payés par le gouvernement
continueraient à être bas, ils [ces créanciers] réduiront simplement leurs
achats de papiers de la dette et cesseront de financer le gouvernement.
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37. Bernanke Ben S., « Fiscal Sustainability and Fiscal Rules », Annual Meeting of the Rhode Island Public Expenditure Council,
Providence, 4 octobre 2010.
38. North Garry, « The Future of Dollar », 2010, disponible sur : http:// www.mises.org.
histoire globale
long terme39. » C’est donc là que l’essentiel des coupes budgétaires devront
être réalisées. Ce que de nombreux analystes « oublient » cependant de
prendre en considération, c’est qu’une proportion considérable du déficit
budgétaire étasunien ne trouve pas son origine dans l’envolée des dépenses
sociales, mais dans celle du fardeau militaire consécutif aux guerres menées
par l’hégémonie mondiale et aux charges de la dette qui les accompa-
gnent… En outre, la hausse du taux d’intérêt pourra entraîner des effets
négatifs sur le déficit budgétaire étasunien lui-même, en alourdissant le
coût de la dette. Et une revalorisation du dollar risquerait de relancer un
cycle de financement de la consommation aux États-Unis, par drainage de
ressources venant du reste du monde, sans garantir pour autant une reprise
de la croissance économique aux États-Unis. En bref, on ne saurait espé-
rer sans se leurrer que la situation de semi-stagnation et de très profonds
déséquilibres dans laquelle se trouve actuellement plongée l’économie
étasunienne, et avec elle celles de l’Europe et du Japon, ne soit résolue par
une simple variation (ici à la hausse !) des taux d’intérêt.
Comme nous l’avons souligné, la poursuite de la dépréciation du
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39. Bernanke Ben S., « Fiscal Sustainability and Fiscal Rules », op. cit.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
48. Une critique marxiste contre de telles argumentations est due à Foster John Bellamy et McChesney Robert W., « Listen
Keynesians, It’s the System! Response to Palley », 2010, disponible sur : http://monthly review.org/2010/04/01/listen-keyne-
sians-its-the-system-response-to-palley#.UIWcxm-HWU.
49. Keynes John Maynard, Théorie générale, op. cit., chapitre 16, p. 227. Voir Nakatani Paul et Herrera Rémy, « Critique des politiques
anticrise orthodoxes », La Pensée, n° 360, 2009, pp. 31-42.
50. Keynes John Maynard, Théorie générale, op. cit., chapitre 16, p. 228.
51. Ibidem, p. 229.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
52. Marx Karl, Le Capital, op. cit., Livre III, Section 5 (notamment à partir des chapitres XXV et, surtout, XXIX).
histoire globale
S. HABER et F. MONFERRAND, à propos de marx, prénom : karl, de pierre dardot et christian laval
UN CAPITALISME INFINI ?
à PROPOS DE MARX, PRéNOM :
KARL, DE PIERRE DARDOT
ET CHRISTIAN LAVAL
Par Stéphane HABER et Frédéric MONFERRAND
1. Dardot Pierre et Laval Christian, Marx, prénom : Karl, Paris, Gallimard, « Les Essais », 2012, 809 pages.
2. Ibidem, p. 11 : « La logique stratégique de l’affrontement, c’est-à-dire […] de la lutte des classes […] consiste à mettre à jour,
par l’analyse de situations historiques déterminées, la façon dont l’activité des hommes et des groupes en lutte les uns avec les
autres produit des séries de transformations dans les conditions de la lutte et les subjectivités des acteurs en lutte. »
3. Idem : « La logique du capital comme système achevé […] relève d’un effort qui se veut proprement scientifique, et qui consiste
à dégager à la fois le mouvement par lequel le capital se développe ’en une totalité’ et ’se subordonne tous les éléments de la
société’, et le ’jeu des lois immanentes de la production capitaliste’ qui conduit le ’système organique’ du capitalisme à accoucher
nécessairement d’un nouveau mode de production. »
4. Idem : « Le communisme est ce qui sert de ’colle’ pour faire tenir ensemble deux lignes de pensée aux histoires très diffé-
rentes : la logique ’objective’ du capitalisme et la logique ’pratique’ de la guerre civile entre les classes convergerait vers une
forme d’organisation sociale et économique supérieure. En d’autres termes, seule une projection imaginaire de l’avenir soude le
disparate des perspectives. »
les lois d’une quelconque dialectique, mais saisir la manière dont Marx
s’appuie de manière critique sur la logique spéculative dite de la « réflexion »
afin d’exhiber dans un premier temps le principe de l’activité pratique des
individus (dans L’Idéologie Allemande)5 puis celui du capitalisme comme
système autoreproducteur (à partir des Grundrisse)6. L’élaboration de la
théorie de l’exploitation comme extraction de « plus-de-valeur » (selon la
nouvelle traduction de « Mehrwert » proposée par les auteurs) ne repré-
senterait pas le haut fait de la « critique de l’économie politique », mais la
simple reformulation de certaines thèses développées par les ricardiens de
gauche, notamment William Thompson7. De même, il devient clair que
le communisme marxien ne se caractérise pas tant par sa « scientificité »,
puisque l’expression « socialisme scientifique » se trouvait déjà chez les saint-
simoniens et les proudhoniens, que par la manière dont l’auteur du Capital
s’est employé à l’arracher plus radicalement aux connotations religieuses
qu’il possédait encore chez Babeuf ou dans la « Ligue des justes ». Il s’agissait
de le présenter à la fois comme une science de l’histoire des sociétés, comme
une conséquence inévitable du mode de production capitaliste et comme
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S. HABER et F. MONFERRAND, à propos de marx, prénom : karl, de pierre dardot et christian laval
S. HABER et F. MONFERRAND, à propos de marx, prénom : karl, de pierre dardot et christian laval
15. Ibidem, p. 374 : « Le capital qui a achevé son devenir est en lui-même un procès d’autoposition. »
16. Marx Karl, Le Chapitre VI. Manuscrits de 1863-1867, Le Capital, livre I, trad. G. Cornillet, L. Prost et L. Sève, Paris, Éditions
Sociales, 2010.
présentation DOSSIER interventions en débat livres
17. Les passages du chapitre VIII du Capital consacrés à la législation sur les fabriques montrent ainsi comment l’historicité du
capital, en l’occurrence le passage de l’extraction de survaleur absolue à l’extraction de survaleur relative, dépend des conflits
de classe auxquels donne lieu l’exploitation de la force de travail. À partir de là, on peut certes considérer que ces conflits, dans
la mesure où ils génèrent des formes d’exploitation plus efficaces, font encore partie des présupposés posés du capital. Mais
on peut aussi y voir, comme y incitait l’opéraîsme, l’expression d’une certaine contingence historique du rapport de production
capitaliste, au sein duquel l’initiative reviendrait aux exploités.
histoire globale
S. HABER et F. MONFERRAND, à propos de marx, prénom : karl, de pierre dardot et christian laval
18. Harvey David, Le Nouvel impérialisme, trad. J. Batou et Ch. Georgiou, Paris, Les Prairies ordinaires, 2010.
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nôtre. Certes, ce type d’analyse implique que l’on s’aventure sur un terrain
que nos auteurs, à la suite de Foucault, rechignent à explorer : celui de
l’horizon normatif de la critique du capitalisme. Mais, à la réflexion, une
telle perspective n’est pas nécessairement étrangère au propos de P. Dardot
et Ch. Laval. Le concept d’émancipation introduit en conclusion du
livre pour éclairer la « logique du conflit », qui leur semble apparemment
manquer de boussole, ne peut, en effet, prendre sens que s’il y a quelque
chose dont il faut se libérer pour de bonnes raisons (par exemple parce que
cela provoque des souffrances inutiles, nuit à notre capacité de nous réa-
liser, d’exercer notre liberté, etc.), des raisons que le théoricien accepte de
prendre au sérieux. L’idée d’équilibres ou de ressources naturels menacés
peut en préfigurer la pertinence.
19. D’apparence métaphysique, l’idée selon laquelle le capitalisme produit, comme autant de présuppositions de sa reproduction,
des institutions et des formes de subjectivité fonctionnelles acquiert une plus grande vraisemblance et une plus grande précision
lorsqu’on la rapporte, par exemple, aux travaux de Ch. Laval sur l’école. Voir Laval Christian, Vergne Francis, Clément Pierre, La
Nouvelle école capitaliste, Paris, La Découverte, 2011.
20. Les auteurs justifient ainsi leur traduction de « Mehrwert » par « plus-de-valeur » par un rapprochement avec la manière dont
Lacan avait tiré de ce concept l’expression de « plus-de-jouir » (Marx, prénom : Karl, op. cit., p. 77).
21. Dardot Pierre et Laval Christian, La Nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.
22. Les auteurs soulignent ainsi que « l’État apparaît désormais, non comme un simple ’instrument’ du capital, mais comme
son partenaire actif, véritable co-producteur, avec les multinationales, les agences de notation, les institutions financières, des
normes qui président au fonctionnement du capital globalisé. » Partant, « jamais le capital n’avait à ce point montré sa puissance
de constitution d’un monde, précisément du ’monde du capital’, du capital-monde » (Marx, prénom : Karl, op. cit., pp. 676-677).
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23. Ibidem, pp. 16-17 : « La métaphore de la ’maturation’, qui sert à désigner le processus naturel qui mène du capitalisme au
communisme, comme la récurrence des métaphores issues de l’obstétrique (’accouchement’, ’gestation’, ’enfantement’, occur-
rences innombrables du verbe ’engendrer’ (erzeugen), etc.) qui est révélatrice de cette naturalisation du rapport du présent à
l’avenir, ne pouvait que laisser les militants engagés dans la lutte politique dans l’indécidable du fait même de la confusion des
registres à laquelle conduit cet évolutionnisme radical. »
24. Voir sur ce point Friot Bernard, L’Enjeu du salaire, Paris, La Dispute, 2012.
25. Dardot Pierre, Laval Christian, Marx, prénom : Karl, op. cit., p. 681.
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S. HABER et F. MONFERRAND, à propos de marx, prénom : karl, de pierre dardot et christian laval
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30. Chez P. Dardot et Ch. Laval, « l’idée d’une localisation ontologique du sujet de l’émancipation humaine » fait l’objet d’une
critique adressée aussi bien à Marx qu’à Negri, qui s’accorderaient sur ce point (ibidem, p. 12.) Voir aussi des mêmes auteurs avec
Mouhoub El Mouhoud, Sauver Marx ? Empire, multitude, travail immatériel, Paris, La Découverte, 2007, p. 95.
31. Nous retrouvons là une intuition centrale du dernier livre de J. Bidet : c’est, « en dernière instance », l’anticapitalisme qui
donne sa cohérence politique aux luttes et aux mouvements sociaux contemporains. Car chacun, à sa manière, vise un corrélat,
un aspect ou une conséquence du capitalisme mondialisé – pas seulement au sens d’une extension géographique maximale,
mais aussi au sens où il s’est mondanéisé, enchâssé dans le monde, fondu dans le paysage, s’accompagnant de soutiens et de
complicités dans de nombreuses sphères de la vie sociale (le droit, la politique, le psychisme, la culture, etc.). Voir Bidet Jacques,
L’État-monde. Libéralisme, socialisme et communisme à l’échelle globale, Paris, Puf, 2012.
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Marx
Norman LEVINE
Marx’s Discourse with Hegel, New York, Palgrave Macmillan, 2012, 360 pages.
Norman Levine signe un quatrième livre destiné à redécouvrir l’originalité de
Marx, ici par le rapport de Marx à Hegel, et plus précisément par la « première
appropriation » de Hegel, durant les années 1836-1848. Levine détermine les
continuités, les discontinuités et les mésinterprétations qui forment « la compré-
hension marxienne de Hegel » et défend trois thèses principales : Marx mécom-
prend partiellement Hegel ; cette mécompréhension s’explique par un accès
limité et biaisé au corpus hégélien ; Marx reprend méthodologiquement ce qu’il
comprend bien chez Hegel. Défendant une lecture continuiste, Levine dissocie
le « contenu », ou le « système » hégélien, que Marx rejetterait, et la « forme »
ou la « méthodologie » hégélienne que Marx incorporerait comme « méthode
d’explication en sciences sociales ». Quelle que soit la pertinence accordée à cette
dissociation classique, la démarche possède deux qualités rares dans l’appréhen-
sion du rapport Marx/Hegel. D’une part, Levine ne compare pas terme à terme
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Richard SOBEL
Capitalisme, travail et émancipation chez Marx, Lille, Presses universitaires du
Septentrion, 2012, 231 pages.
L’ouvrage de Richard Sobel fait fond sur une conviction très clairement
formulée dès les premières pages et exprimée au moyen des deux thèses sui-
vantes : 1) chez Marx « le travail n’est pas simplement un thème qui, certes,
serait important, mais qui resterait un thème parmi d’autres dans son œuvre ; il
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capitaliste. Toute la difficulté est évidemment de tenir ensemble ces deux affirma-
tions de la centralité du travail dans la mesure où elles semblent à première vue
être incompatibles l’une avec l’autre : l’une est une thèse naturaliste tandis que
l’autre est constructiviste ou institutionnaliste, l’une est anthropologique et au
moins potentiellement anhistorique, quand l’autre est une thèse profondément
historiciste. Est-il possible de les rendre compatibles, voire de les articuler, et dans
quelle mesure Marx l’a-t-il fait lui-même ou permet-il que nous le fassions ?
Telles sont les très pertinentes questions posées par ce livre. Il s’agit pour
R. Sobel de rendre possible une articulation des deux perspectives et son idée
fondamentale est que la philosophie sociale de Marx aurait précisément pour
caractéristique d’être parvenue à articuler en elle la dimension anthropologique
avec la perspective économico-sociale. La thèse anthropologique pose que, « pour
Marx, le travail est toujours une expérience dans laquelle se joue quelque chose
d’essentiel à la condition humaine ». Certaines sociétés (notamment les sociétés
esclavagistes) ont complètement recouvert, occulté ou refoulé cette expérience,
mais d’autres sociétés au contraire mettent cette expérience au grand jour et font
explicitement du travail un élément central de leur fonctionnement : c’est le cas
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thématisée. Car il y a tout de même ces passages des Manuscrits de 44 dans lesquels
Marx parle de l’homme comme d’un « être naturel » (« Naturwesen ») ou comme
d’une « partie de la nature » (« Teil der Natur »). Du point de vue de ce texte, il
peut paraître délicat d’affirmer « qu’on ne peut pas dire que l’anthropologie du
travail de Marx soit une anthropologie naturaliste ». Au contraire, il semble bien
qu’elle le soit, au moins pour une part, ou qu’elle l’ait été à un moment. Mais
on peut bien sûr dire que l’affirmation selon laquelle l’homme est un être naturel
ne signifie pas qu’il en soit un au sens où les autres êtres naturels le sont. En ce
sens, il y aurait une manière humaine d’être un être naturel, une façon humaine
d’appartenir à la nature, mais sans aucune référence à une quelconque essence
humaine – au sens donc d’un mode d’appartenance à la nature qui ne serait pas
chez les hommes le même que celui que connaissent les autres êtres naturels : c’est
là qu’on rejoint l’idée que les hommes ne sont pas « dans le monde » à la façon
dont les autres étants y sont. Les hommes ne sont pas des parties de la nature
simplement posées là à côté des autres parties de la nature, ils ne sont pas « dans le
monde » comme le manteau est « dans » le placard ou le ver « dans » le fruit. Les
hommes sont dans le monde parce qu’ils y sont projetés. Et c’est là qu’on retrouve
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Marcello TARÌ
Autonomie ! Italie, les années 1970, trad. É. Bodenesque, Paris, La Fabrique, 2011,
304 pages.
À travers ce livre dense et passionnant qui tient autant de l’historiographie
que du manifeste, Marcello Tarì se propose de nous faire revivre de l’intérieur les
expériences multiples qui firent la chair du « Mouvement » italien des années 1970
au cours duquel émergèrent de nouvelles figures révolutionnaires, une nouvelle
grammaire du conflit social et au fond, une nouvelle pratique de la lutte des classes.
L’auteur commence par exposer comment, après 1968, les classes dominantes
mirent en place à l’échelle globale un dispositif de crise (crise économique, crise
de commandement, crise de la démocratie), susceptible de justifier la reconquête
de l’initiative historique et politique par ce qui devait s’appeler plus tard le capita-
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d’un autre monde, d’un communisme au présent, que nous dépeint M. Tarì.
Sans gommer les profondes divergences entre les nombreux groupes constitutifs
de l’autonomie (notamment autour du rapport aux institutions ou à la violence),
le livre présente ainsi la formation progressive de deux camps irréconciliables –
l’autonomie contre le capital et ses divers gestionnaires, parmi lesquels le P.C.I.
du « compromis historique » ne fut pas le moins zélé – dont l’affrontement,
souvent armé, devait tourner au profit du second, libre alors de refouler cette
histoire sous le syntagme d’« années de plomb ». C’est cette histoire qu’entend
nous rendre accessible l’auteur : « S’il est sans doute vrai que tous les mouvements
naissent pour mourir, il est plus vrai encore qu’il existe un reste de ces luttes,
de ces mouvements, de ces vies, qui est indestructible et devient sans fin. Mais
pour se réapproprier ce reste, il faut avant tout pouvoir opérer une discontinuité
dans le présent, c’est-à-dire critiquer théoriquement et matériellement sa propre
époque » (p. 304).
Au-delà de son objet immédiat, on pourrait donc dire du livre de M. Tarì
qu’il nous propose une réflexion sur le sens, c’est-à-dire les conditions et les
modalités, d’une activité révolutionnaire susceptible de combattre le mode de
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Steve BROUWER
Revolutionary Doctors : How Venezuela and Cuba are Changing the World’s
Conception of Health Care, Monthly Review Press, New York, 2011, 256 pages.
En s'installant en 2007 pour 9 mois dans le village de Monte Carmelo au
Venezuela, Steve Brouwer entendait témoigner, comme écrivain et journaliste,
du processus de révolution bolivarienne en milieu rural. Il découvre des pratiques
de santé communautaire issues de la coopération avec Cuba. Enthousiaste, il
recueille des témoignages de médecins, de membres des communautés qui les
accueillent, d'étudiants en formation, assiste à des consultations, etc. Recoupant
avec des témoignages recueillis lors d'autres séjours et une variété de sources
latino-américaines, Brouwer rédige alors une passionnante enquête sur ces pra-
tiques de santé communautaire et leurs effets politiques.
Cuba est connue pour la qualité de sa médecine et pour sa diplomatie médi-
cale et éducative. Le premier tiers du livre en retrace l'émergence avec le rêve
d'une « médecine révolutionnaire » de Che Guevara (1960). De l'assistance au
Chili dans les années 1960 à la Brigade Henry Reeves au lendemain du séisme en
Haïti en 2010, en passant par des coopérations avec le Pakistan et le Honduras
se dessine une approche intégrée de la santé articulant soin d'urgence, appui
psychosocial et transfert de compétences par échange d'étudiants et de médecins,
présentation DOSSIER interventions en débat livres
THéORIEs CRITIQUEs
Deborah COOK
Adorno on nature, Durham, Acumen, 2011, 198 pages.
Interroger ce que l’œuvre d’Adorno peut signifier quant aux thématiques
actuelles liées à l’environnement et à l’écologie politique est l’objet de cet ouvrage
de Deborah Cook – spécialiste d’Adorno et de Théorie critique qui enseigne la
philosophie à l’Université de Windsor (Ontario). Plus précisément, c’est à partir
théories critiques
Jean-Marc DURAND-GASSELIN
L’École de Francfort, Paris, Gallimard, « Tel », 2012, 568 pages.
Sur l’histoire de la « Théorie Critique », en langue française, les deux ouvrages
les plus complets étaient jusqu’à présent celui de Martin Jay (L’Imagination dia-
lectique, Paris, Payot, 1977) et celui de Wolf Wiggershaus (L’École de Francfort,
Paris, Puf, 1993). Malgré leur richesse, on peut dire que le premier avait l’incon-
vénient de s’arrêter à la Seconde guerre mondiale, tandis que le second, plus large
chronologiquement, en restait souvent à la surface des textes. Le livre de J.-M.
Durand-Gasselin devrait, dès lors, s’imposer comme une synthèse majeure. Sans
négliger le contexte historique, mais préférant toujours l’analyse conceptuelle, il
présente un panorama intellectuel étendu de ce mouvement, depuis les premiers
textes programmatiques de Horkheimer jusqu’aux développements les plus
récents à l’intérieur desquels les idées d’A. Honneth forment le pôle le plus dense.
Deux aspects méritent plus particulièrement l’attention. Tout d’abord, pour
ce qui concerne la période « classique » de l’École (des années 1930 aux années
1960), l’auteur insiste sur la tension permanente et productive qui a existé dans
l’histoire de la « Théorie Critique » entre les acteurs centraux et une « périphé-
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Razmig KEUCHEYAN
Hémisphère gauche, Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Paris, La
Découverte, 2010, 316 pages.
L’ouvrage propose un panorama des idées qui se sont imposées sur la scène
internationale de la critique sociale et notamment du marxisme au cours des
trois dernières décennies. Dans l’esprit d’une histoire sociale des idées, le choix
se fonde à la fois sur l’importance, la notoriété et l’impact supposé des auteurs
considérés. Comme ce fut autrefois le cas de Paris pour l’art moderne, c’est
maintenant le monde universitaire nord-américain qui s’est imposé comme le
théories critiques
lieu qui accueille, confronte, combine, légitime et rediffuse une pensée radicale,
laquelle vient encore principalement des vieux centres européens (au sens large
où l’on compte l’essaimage argentin, l’immigration juive aux USA, les empreintes
impériales, etc.).
L’auteur souligne que les grands thèmes (aliénation, critique du pouvoir,
de l’humanisme…) émergent dans les années 1960-1970, se déclinant ensuite
« après la défaite » sur un mode plus pessimiste ; et il désigne, à la suite de Perry
Anderson, 1977 comme la date significative du grand basculement. Sur ce fond,
s’ouvrent de nouveaux registres autour des « minorités » (sexuelles, ethniques…),
des « sujets de l’émancipation » et surtout de l’écologie. Leur traitement pourtant
passe encore pour une large part par le recours à de grandes figures des périodes
antérieures : Gramsci, Lukács, École de Francfort, Althusser, Foucault, Lacan….
La nouveauté par rapport au marxisme classique, souligne-t-il, tient à ce que
la critique se développe sur le terrain universitaire, à distance de la pratique de
masse autrefois portée par le « mouvement ouvrier ». Cela ne l’empêche pas
d’être hautement politique, offerte à toutes révoltes ; mais son influence sociale
est difficile à apprécier.
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paie ici plus que sa part du prix de la « défaite ». Quoi qu’il en soit, la richesse
de ce livre, qui se fonde sur une connaissance approfondie de toute la littérature
connexe, est un trésor à partager. On me permettra d’ajouter, que les lecteurs
d’Actuel Marx, qui y retrouveront des auteurs qui ont été, pour la plupart, depuis
longtemps, partie prenante ou interlocuteurs de ses initiatives (revue, collection,
congrès), devraient y trouver un intérêt tout particulier…
Jacques BIDET
HISTOIRE
Luca PALTRINIERI
L’Expérience du concept. Michel Foucault entre épistémologie et histoire, Paris,
Publications de la Sorbonne, 2012, 298 pages.
Luca Paltrinieri prend d’abord acte des difficultés suscitées par les innom-
brables usages de Michel Foucault. Ce sont notamment les Cours au Collège
de France qui servent de boîte à outils où chacun, quel que soit son domaine
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TRAVAIL
Christophe DARMANGEAT
Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était, Toulouse, Smolny, 2012, 471 pages.
La réédition amendée et enrichie de ce livre paru initialement en 2009 nous
donne l’occasion de faire retour sur une contribution importante qui apporte
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activités a d’abord été organisée par l’humanité primitive selon le critère le plus
voyant, celui du sexe, et le versant imaginaire subjectif de l’écartement du sexe
féminin des activités guerrières, techniques et chasseresses a été la justification de
leur infériorité constitutive, notamment à travers le tabou étrange en soi mais tout
à fait universel lié aux menstruations, qui interdisait aux femmes par exemple,
par raisonnement métonymique, l’implication dans l’industrie métallurgique, ou
bien, dans certaines sociétés horticoles, l’usage de certaines plantes.
C’est seulement avec l’apparition du travail abstrait, c’est-à-dire d’un travail
conçu comme pure dépense d’activité échangeable contre un équivalent général
et comparable à toute autre activité, d’un travail donc détaché des formes spéci-
fiques en lesquelles il s’incarne, que le caractère sexué du travail a pu lentement
commencer à se dissoudre. Avec le début de ce processus, l’émancipation des
femmes peut commencer à prendre consistance. On retrouve alors la vieille
liaison entre libération féminine et résolution de la question sociale, mais par une
toute nouvelle route. Même si dans leur réalité les sociétés capitalistes jusqu’ici
ont maintenu des formes fortes d’exclusion des femmes de certains secteurs d’ac-
tivité, et se sont accommodées de discours justifiant l’oppression des femmes par
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Bruno TRENTIN
La Cité du travail. Le fordisme et la gauche, traduit de l’italien par J. Nicolas, Paris,
Fayard, « Poids et mesures du monde », 2012, 444 pages.
Dans ce qui constitue son ouvrage majeur, Bruno Trentin part du constat
suivant : la crise actuelle de la gauche provient des idéologies productivistes et
redistributives qui la dominent depuis un siècle et qui la rendent incapable de
faire face à la situation postfordiste. Pour comprendre l’origine des impasses
actuelles (auxquelles est consacrée la première partie « La gauche et la crise du
fordisme »), il s’engage dans une enquête historique à double volet (seconde
partie : « Gramsci et la gauche européenne face au ‘fordisme’ après la Première
guerre mondiale »). Il s’agit d’une part d’analyser les facteurs qui ont conduit
les courants réformistes et révolutionnaires à abandonner de concert la critique
travail
sont assurées par les représentants des travailleurs (confusion entre direction et
contrôle ruineuse tout autant dans la lutte pour la transformation du capitalisme
que pour la construction du socialisme…).
La force du livre vient également l’éclairage original qui se trouve jeté sur
l’histoire du marxisme. Marx lui-même apparaît comme un auteur ambigu ayant
initialement fondé sa critique sur l’aliénation du travail avant de considérer que
l’exploitation étant la cause de l’aliénation, il faut commencer par socialiser les
moyens de production avant de pouvoir parvenir enfin (dans la deuxième phase
de la société communiste) à faire du travail une activité libre. La même ambiguïté
est perceptible dans sa conception des rapports entre syndicat et parti. Il a tou-
jours considéré la résistance à l’exploitation du travail et au despotisme d’usine
comme la source de la politisation et de l’organisation de la classe ouvrière, ce
qui l’a conduit à dénoncer la thèse lassalienne selon laquelle les syndicats devai-
ent être subordonnés au parti : « Tous les partis politiques, quels qu’ils soient,
n’enthousiasment la masse ouvrière que pendant un certain temps, momenta-
nément. Les syndicats, par contre, conquièrent les masses de façon durable, eux
seuls sont capables de représenter un vrai parti ouvrier et d’opposer un glacis à
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Danièle KERGOAT
Se battre, disent-elles…, Paris, La Dispute, 2012, 354 pages.
Ce livre met à disposition du lecteur les principaux articles qui, de 1978 à
2010, rendent manifestes la trajectoire intellectuelle d’une chercheuse, l’effort de
« déconstruction/reconstruction » des catégories dominantes de la sociologie du
travail, qui a conduit Danièle Kergoat à en questionner les paradigmes fondamen-
taux, à commencer par la définition même de ce qu’on appelle « travail » en même
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ESTHéTIQUE
Jean-Marc LACHAUD
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Jean-Marc LACHAUD
Art et aliénation, Paris, PUF, 2012, 167 pages.
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