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L'industrie pharmaceutique

Marion Navarro
Dans Regards croisés sur l'économie 2009/1 (n° 5), pages 210 à 214
Éditions La Découverte
ISSN 1956-7413
ISBN 9782707157393
DOI 10.3917/rce.005.0210
© La Découverte | Téléchargé le 25/02/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.154.15.22)

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210 Au chevet de la santé. Quel diagnostic ? Quelles réformes ?

L’industrie pharmaceutique
Marion Navarro (RCE)

S urconsommation de médicaments dans les pays riches, pénurie de


médicaments dans les pays pauvres : deux situations problématiques
dont on impute pour partie la responsabilité à l’industrie pharmaceuti-
que. Si les pouvoirs publics ont déclaré vouloir réagir à cette situation,
ils doivent faire face à un dilemme. « Dans une stratégie de long terme,
la politique de la santé et la politique industrielle doivent concilier des
objectifs antagonistes à court terme :
- permettre l’accès de l’ensemble de la population à des soins de qualité
à un coût acceptable,
- favoriser le développement d’une industrie fortement innovatrice,
pourvoyeuse d’emplois qualifiés et exportatrice » [Sessi, 2002].
Un droit des brevets très développé et très contraignant a favorisé l’in-
novation : il permet aux compagnies de jouir de situations de monopole,
donc de faire d’importants profits à la suite de la découverte d’une nou-
velle molécule. Revers de la médaille : les compagnies peuvent imposer
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des prix élevés sans avoir à craindre la concurrence ; elles rendent ainsi
inaccessible l’accès aux soins pour les pays les plus pauvres et grèvent les
comptes des organismes d’assurance maladie dans les pays riches. Mais
vouloir casser cette situation de monopole risque de freiner l’innovation.
Comment concilier incitation à l’innovation et diffusion des innova-
tions ? L’industrie pharmaceutique s’est constamment opposée à toute
évolution de la législation qui pourrait lui être défavorable. Du fait de son
poids économique colossal, elle a réussi à influencer nombre de décisions Regards croisés sur l’économie n° 5 – 2009 © La Découverte

publiques.

Une industrie prospère…


Le secteur de l’industrie pharmaceutique, s’il est certes légèrement tou-
ché par la crise actuelle, n’en reste pas moins un secteur très prospère
au poids économique important. En 2007, l’industrie pharmaceutique
française a réalisé un chiffre d’affaires de 45 milliards d’euros. Et compte
tenu de l’augmentation continue de la demande de soins, l’avenir sem-
ble assuré. Selon une étude de PricewaterhouseCoopers [2007], le marché
L’industrie pharmaceutique 211

mondial du médicament devrait tripler en valeur entre 2007 et 2020, pour


atteindre 1 300 milliards de dollars en 2020.
L’industrie pharmaceutique est de loin l’industrie la plus profitable : les
marges brutes y tournent autour de 70 % [Pignarre, 2004], là où les autres
industriels se réjouissent quand ils atteignent 15 %. Le remplacement des
médicaments par de nouveaux produits plus chers, le vieillissement de
la population et le développement des marchés émergents contribuent
à la croissance du secteur. En outre, les Français figurent parmi les plus
gros consommateurs de médicaments au monde ; l’industrie bénéficie
donc d’un large marché national solvable grâce à l’assurance maladie
obligatoire.

… qui doit néanmoins faire face à de nouvelles contraintes


Les coûts de production d’un nouveau médicament ne cessent de s’accroî-
tre. Officiellement, le coût moyen de production d’un médicament avoi-
sine aujourd’hui un milliard de dollar. Ce chiffre est néanmoins largement
surestimé (il est fourni par les industries pharmaceutiques elles-mêmes
pour justifier des prix élevés), notamment parce qu’il inclut les frais de
promotion qui ne peuvent raisonnablement être considérés comme des
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frais de recherche et développement (R&D).
Les coûts de R&D restent néanmoins importants, alors que les coûts de
fabrication sont eux extrêmement bas. La dynamique du secteur est donc
particulièrement liée à la dynamique des innovations de produits. C’est
pourquoi l’effort de l’industrie pharmaceutique porte naturellement sur la
R&D et la protection juridique des innovations. Malgré cela, les nouveaux
médicaments ont une efficacité plus faible que par le passé. L’industrie
pharmaceutique produit de moins en moins de nouveaux médicaments
Regards croisés sur l’économie n° 5 – 2009 © La Découverte

et a de plus en plus de mal à mettre au point des blockbusters.


De plus, les normes d’homologation publique des nouveaux médica-
ments se sont renforcées à la suite du constat de la dangerosité ou de
l’inutilité de certains nouveaux médicaments qui avaient été autorisés
à être mis sur le marché, renchérissant ainsi les coûts de production des
laboratoires.
Enfin, l’industrie doit faire face à la montée des génériques, car les
grands médicaments qui assuraient une bonne partie de ses revenus tom-
bent progressivement dans le domaine public.
212 Au chevet de la santé. Quel diagnostic ? Quelles réformes ?

Un lobby surpuissant
L’industrie pharmaceutique est réputée entretenir des liens particuliè-
rement étroits avec le pouvoir politique et les autres acteurs du secteur
médical. Sa puissance financière lui permet d’exercer un lobbying inten-
sif à même d’orienter les décisions publiques à son avantage. Elle oriente
aussi largement les comportements de prescription des médecins via son
marketing.
L’influence politique
En France, comme à l’étranger, l’industrie pharmaceutique dépend de
l’intervention publique (réglementations sanitaires, fixation des prix,
remboursement des médicaments). L’industrie pharmaceutique exerce
ainsi une pression importante pour influencer cette intervention publi-
que. Le Center for public integrity a publié en juillet 2008 un rapport sur
les dépenses record de l’industrie pharmaceutique en matière de lobbying
institutionnel : elles atteignent 189 millions de dollars en 2007 aux États-
Unis. L’industrie est le plus important lobby de Washington. Ce lobbying
est destiné à influencer la législation : pressions pour ne pas restreindre le
droit à la publicité sur les médicaments, les avantages fiscaux importants
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dont elle bénéficie, la protection des brevets…
L’industrie pharmaceutique soutient l’extension de la Sécurité sociale
(aux États-Unis, elle soutient Medicare et Medicaid), car cela signifie pour
elle plus de consommateurs solvables, et exerce sa pression directement
sur les mécanismes de fixation des prix des médicaments. Le syndicat
Pharmaceutical research and manufacturers association qui défend les
intérêts du secteur pharmaceutique aux États-Unis emploie 297 lobbyistes
professionnels, soit un pour deux membres du congrès [Pignarre, 2004]. Regards croisés sur l’économie n° 5 – 2009 © La Découverte

Cette débauche de moyens a permis à l’industrie de faire pencher les


pouvoirs publics en sa faveur dans l’arbitrage entre protection et innova-
tion. Si la mise en place des génériques a été âprement combattue, notam-
ment en France, les brevets restent très bien protégés dans le monde. Cette
protection a été particulièrement critiquée dans le cadre de l’accès aux
médicaments des pays du tiers monde. En 1997, le gouvernement sud-
africain a adopté une loi autorisant la production locale et l’importation
de génériques à bas prix qui copient des médicaments encore protégés
par un brevet. 39 des plus grands laboratoires pharmaceutiques ont alors
poursuivi l’Afrique du Sud pour violation des accords internationaux.
L’industrie pharmaceutique 213

S’ils ont finalement renoncé devant la pression médiatique, les groupes


pharmaceutiques ont obtenu en échange un renforcement du droit inter-
national sur les brevets.

L’influence sur les médecins


L’industrie pharmaceutique occupe une place centrale dans le dispo-
sitif d’information des médecins. Elle y consacre en France 3 milliards
d’euros, dont les trois quarts sous la forme de la visite médicale [IGAS,
2007]. Certes, cette information permet de diffuser de meilleures prati-
ques dans le corps médical. Mais l’information fournie est biaisée (sur-
valorisation des nouveaux produits, dévalorisation des produits anciens,
notamment ceux pour lesquels il existe un générique). De nombreuses
études ont comparé les comportements de prescription des médecins
ayant rencontré ou non un « visiteur médical », ayant été invité ou non
par les laboratoires pharmaceutiques à des congrès de formation : leurs
comportements de prescription sont, en moyenne, très différents. Or,
cette influence sur les prescriptions des médecins pèse sur les déficits des
organismes de Sécurité sociale.
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Des défis à relever
« Au cours des 20 dernières années, la part des pays en voie de déve-
loppement dans la consommation mondiale de médicaments a chuté,
passant de 25 % à 20 %. Autrement dit, 75 % de la population mondiale
consomme, en valeur, 20 % des médicaments vendus dans le monde »
explique Jonathan Quick, responsable de la division des médicaments
essentiels à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Développer les
Regards croisés sur l’économie n° 5 – 2009 © La Découverte

génériques dans les pays du tiers monde et plus largement l’accès de tous
aux médicaments suppose de réformer le droit international de la pro-
priété intellectuelle. Approuvé en 1995 lors de la création de l’Organisa-
tion mondiale du commerce (OMC), l’accord sur les aspects des droits de
propriété intellectuelle qui touchent au commerce est au cœur des débats
sur l’accès aux médicaments essentiels. De telles évolutions risquent
de nuire à l’innovation. Comment concilier meilleur accès de tous aux
médicaments et innovation ? Les médicaments tombés dans le domaine
public, par exemple, souffrent d’un grave problème : les entreprises phar-
maceutiques ne les étudient plus, car tout le monde aurait le droit de faire
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valoir les résultats obtenus. Faut-il dans ce cas développer la recherche


publique ? Et comment la financer alors ? Autant de questions qui sont
encore pour l’heure sans réponses…
Deux derniers défis se posent au régulateur. Tout d’abord, un grand
nombre de médicaments sont mis sur le marché à des prix bien supérieurs
à ceux qu’ils remplacent, pour une différence d’efficacité thérapeutique
quasi-nulle. Nombre de médicaments ont ainsi été retirés du marché après
quelques années d’exploitation, pour cause de service médical rendu trop
faible. Les régulateurs publics ont considérablement accru leurs contrô-
les sur les tests cliniques présentés par les laboratoires pharmaceutiques,
mais ils restent insuffisants.
Enfin, l’industrie doit combler l’écart entre les besoins de santé et les
ressources en médicaments. Trop de maladies sont aujourd’hui encore
sans traitement, en partie parce que l’industrie pharmaceutique ne s’inté-
resse qu’aux maladies « rentables ». Une étude récente de l’OMS révèle par
exemple que sur 1 233 médicaments de synthèse mis sur le marché entre
1975 et 1997, 11 seulement sont destinés à lutter contre les « maladies tro-
picales », maladies qu’on contracte surtout… dans des pays pauvres.
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Bibliographie
IGAS (2007), « L’information des médecins généralistes sur les médicaments »,
septembre.
Pignarre P. (2004), Le grand secret de l’industrie pharmaceutique, La Décou-
verte, Paris.
Regards croisés sur l’économie n° 5 – 2009 © La Découverte
PricewaterhouseCoopers (2007), « Pharma 2020 : the vision – which path will you
take ? ».
Sessi (2002), « La santé de l’industrie pharmaceutique française », Les quatre
pages de statistiques industrielles, n°157.

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