Vous êtes sur la page 1sur 21

Le dispositif de microcrédit personnel garanti : une

nouvelle forme de solidarité pour lutter efficacement


contre la pauvreté et l'exclusion sociale ?
Georges Gloukoviezoff, Nicolas Rebière
Dans Revue française des affaires sociales 2014/1, pages 100 à 119
Éditions DREES Ministère de la santé
ISSN 0035-2985
DOI 10.3917/rfas.141.0100
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-francaise-des-affaires-sociales-2014-1-page-100.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour DREES Ministère de la santé.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
RÉSUMÉ

Le dispositif de microcrédit personnel garanti : une nouvelle forme de solidarité


pour lutter efficacement contre la pauvreté et l’exclusion sociale ?
Plus de 44 000 personnes exclues du crédit bancaire ont déjà eu recours au micro-
crédit personnel. Dispositif mis en place fin 2005, ce prêt d’un montant limité à
3 000 euros et faisant l’objet d’un accompagnement personnalisé n’en est qu’au
stade de l’expérimentation. Ni parfaitement produit marchand ni parfaitement
aide sociale, et c’est là son originalité, il mobilise une multiplicité d’acteurs – éta-
blissements de crédits, associations, services sociaux – qui interagissent, parfois en
dehors de leur logique habituelle. L’action publique intervient avant tout en met-
tant en œuvre la garantie du Fonds de cohésion sociale qui fait prévaloir le prin-
cipe de solidarité sur celui de mutualisation du risque entre emprunteurs. À partir
des résultats d’une étude mettant au jour les impacts de ce dispositif pour les
emprunteurs (interrogation de plus de 2 000 demandeurs de microcrédits et 350
professionnels) mais également ses limites, notamment en termes d’accompagne-
ment social, cet article s’interroge sur les conséquences des choix organisationnels
et économiques qui seront faits pour favoriser son développement selon que ceux-
ci privilégieront un ancrage marchand ou solidaire de cet outil hybride.

Personal guaranteed microcredit system – a new form of social solidarity


to successfully tackle poverty and social inclusion?
Over 44,000 individuals deemed ineligible for a bank loan have already benefited
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


from a microcredit. Although it was introduced at the end of 2005, this system
providing loans (capped at 3,000 euros) and personalised support is still in the
experimental stage. This original solution – not quite a market commodity and not
quite social assistance – involves different stakeholders such as credit institutions,
associations and social services and sometimes requires them to operate – and
co-operate – in different ways from their usual approach. Public policy has the key
role – that of implementing the guarantees provided by the Social Cohesion Fund
(Fonds de cohésion sociale) where the principle of solidarity prevails over that of
pooling risk among borrowers. Based on the findings of a study (2,000 microcre-
dit-applicants and 350 professionals included) updating the impact of this system
on borrowers as well as its limitations – in terms of social support in particular
– this study questions future organisational and economic choices regarding the
development of this system and their consequences – depending on whether a
commodity or solidarity based approach is adopted to this hybrid tool.

100  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 100 12/06/2014 09:54:55


Le dispositif de microcrédit personnel garanti :
une nouvelle forme de solidarité pour lutter efficacement
contre la pauvreté et l’exclusion sociale ?
Georges Gloukoviezoff et Nicolas Rebière *
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

* Georges Gloukoviezoff, post-doctorant, Geary Institute, University College (UCD) Dublin, Irlande.
Nicolas Rebière, maître de conférences en démographie, centre de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale (COMPTRASEC), UMR 5114 CNRS/université Montesquieu-Bordeaux IV.

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 101

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 101 12/06/2014 09:54:55


Introduction

Acheter une voiture d’occasion, réparer une chaudière tombée en panne, payer
une caution pour accéder à un logement, financer une formation professionnelle ou
un permis de conduire sont autant de dépenses d’un montant raisonnable pouvant
s’avérer primordiales pour la préservation ou l’amélioration de la situation des
personnes. Certaines ne parviennent pourtant pas à y faire face.
Parce que leurs revenus sont trop faibles et qu’elles n’ont que peu ou pas
d’épargne, elles ne peuvent assumer seules ces coûts. Elles n’ont pas plus la pos-
sibilité de recourir à des financements extérieurs parce qu’elles ne désirent pas
solliciter leurs proches ou que ceux-ci n’ont pas les moyens de leur venir en aide ;
parce qu’elles-mêmes ou les besoins à financer ne sont pas éligibles aux dispositifs
d’aide sociale ; et parce que l’accès au crédit leur est refusé par les établissements
prêteurs.
Cette impossibilité d’accéder à une forme de financement appropriée alimente
alors le processus d’exclusion sociale soit en interdisant à ces ménages d’échapper
à leur situation de pauvreté, soit en contribuant à leur basculement vers la préca-
rité. En ce sens, ils sont victimes de l’articulation des processus d’exclusion ban-
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


caire et d’exclusion sociale (Gloukoviezoff, 2010).
Mis en œuvre suite à la révolte des banlieues de 2005 et au constat selon lequel
leurs habitants avaient moins souvent que les autres l’opportunité d’accéder au
crédit, le microcrédit personnel tente d’apporter une réponse pragmatique à cette
difficulté 1. L’État avait alors fortement incité les banques à remédier à cette iné-
galité, notamment en garantissant ces prêts à hauteur de 50 % grâce au Fonds de
cohésion sociale. Ce dispositif s’est développé progressivement sous le contrôle du
Comité d’orientation et de suivi de l’emploi des fonds (COSEF) du Fonds de cohé-
sion sociale qui a contribué à en délimiter les contours jusqu’à ce que la loi du
1er juillet 2010 dite « loi Lagarde » 2 lui confère une reconnaissance légale indispen-
sable à son développement.
Hormis les créations d’activité et le rachat de dettes bancaires, les microcré-
dits personnels financent l’ensemble des projets d’insertion sociale des personnes
ayant des difficultés d’accès au crédit, sans toutefois se substituer aux éventuelles
prestations ou aides sociales disponibles. Ils peuvent ainsi favoriser l’employabi-
lité d’une personne en rendant possible l’obtention du permis, l’achat/réparation
d’un véhicule ou l’accès à une formation. Ils financent également l’amélioration ou

1. Souvent rapproché du microcrédit professionnel en France ou du microcrédit tel qu’il est pratiqué dans
les pays du Sud, le microcrédit personnel s’en distingue significativement en dépit de proximités réelles
(cf. Gloukoviezoff et Rebière, 2013b, p. 13-14).
2. Loi no 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation. Son chapitre III est consacré
au microcrédit.

102  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 102 12/06/2014 09:54:55


la préservation de la situation des personnes dans des domaines aussi variés que
le logement, la santé ou la cohésion familiale.
Ces prêts d’un montant pouvant varier de 300 à 3 000 euros, à un taux d’intérêt
limité et sans frais de dossier, impliquent un partenariat entre un établissement de
crédit (la Caisse d’épargne, le Crédit mutuel, etc.), qui assurera le financement, et
une association (le Secours catholique, la Croix-Rouge française, etc.) ou un service
social (un centre communal d’action social [CCAS], une union départementale des
associations familiales [UDAF], etc.) qui effectuera un accompagnement personna-
lisé de l’emprunteur, du diagnostic initial jusqu’à l’issue du remboursement, afin
de s’assurer qu’aucun imprévu ne vienne déstabiliser sa situation.
Fin 2013, le ministre de l’Économie et des Finances et le ministre délégué
chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation ont confié à
la Caisse des dépôts la mission d’organiser un groupe de travail devant remettre
fin mars 2014 des propositions concrètes afin de favoriser le développement du
microcrédit personnel. La lettre de mission invite à examiner les modalités de
promotion du microcrédit auprès de son public potentiel, la définition et l’enca-
drement de l’accompagnement, l’évolution du périmètre des objets éligibles à ce
financement, la réorganisation et le renforcement des partenariats, la simplifica-
tion des procédures d’octroi, ainsi que la redéfinition, le renforcement et la péren-
nisation des moyens humains et financiers qui lui sont nécessaires. Les éléments
constitutifs du microcrédit personnel (objet éligible, accompagnement, partenariat
et modèle économique) pourraient donc être modifiés lors de cette réflexion.
Si ces propositions devront répondre à des problématiques concrètes comme
le fait que le contenu de l’accompagnement soit très hétérogène d’un partenaire
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


à l’autre ou que de nombreuses personnes sollicitent un microcrédit pour rem-
bourser des dettes alors que cet objet est en théorie exclu, les choix qui seront
faits ne seront pas seulement déterminés par des considérations en apparence
techniques mais également influencés par la manière de concevoir ce que sont ces
microcrédits. S’agit-il de développer un nouveau produit bancaire à destination de
la clientèle exclue du crédit, ou bien un outil hybride de l’action sociale au sens où
l’effort de la collectivité pour maintenir sa cohésion et pour apporter son soutien
à ses membres en difficulté repose en partie sur la mobilisation de mécanismes et
d’acteurs issus de la sphère marchande ? Chaque acception est recevable.
Bien que le microcrédit personnel ne corresponde pas à une aide sociale, ce qui
supposerait une obligation légale à la charge des collectivités publiques (Glémain,
2010), il peut être considéré comme l’expression d’une nouvelle forme de soli-
darité. Tout d’abord, sa mise en œuvre ne répond pas à la recherche du profit
et sa viabilité repose aujourd’hui largement sur le bénévolat et les subventions
publiques. Le diagnostic et le suivi des emprunteurs sont ainsi très majoritaire-
ment à la charge d’associations caritatives et de services sociaux. « Le microcrédit,
dans les pays du Nord, apparaît sûrement davantage fondé sur un modèle social,
plutôt que sur un modèle économique », souligne l’Observatoire de la microfinance
(2010). Le rôle de l’action publique se traduit de plus par la mise en œuvre du
Fonds de cohésion sociale qui fait prévaloir en matière de prise en charge du risque
de crédit le principe de solidarité sur celui de mutualisation entre les emprun-
teurs (Lecomte, 2008). Enfin, cette action repose sur la Caisse des dépôts pour
accompagner au niveau national le développement de cet outil (conventionnement

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 103

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 103 12/06/2014 09:54:55


des partenaires, animation du dispositif, formation des accompagnateurs associa-
tifs ou sociaux), ou à un niveau local sur des institutions ou collectivités comme
le Conseil régional de Poitou-Charentes (Caire, 2010).
Si pour toutes ces raisons, les microcrédits personnels ne peuvent être consi-
dérés comme des crédits de trésorerie habituels, ils partagent avec eux des points
communs d’importance. Non seulement le droit du crédit à la consommation s’ap-
plique à leur égard mais surtout ils sont octroyés par des établissements de crédit
ou des institutions de microfinance pouvant refuser toute demande selon des cri-
tères qui leur sont propres ou négociés avec leurs partenaires.
Sur la base des résultats d’une étude nationale d’évaluation menée à la demande
du COSEF 3, cet article se propose d’explorer les enjeux du développement du
microcrédit personnel selon que celui-ci est compris comme une nouvelle forme
de solidarité financière ou bien comme une extension du marché du crédit.
Préalable indispensable, la première partie sera consacrée à l’évaluation de
l’utilité sociale de cet outil tel qu’il est actuellement mis en œuvre. Cela permet-
tra d’identifier les domaines au sein desquels il s’avère une réponse pertinente
et plus généralement s’il peut effectivement jouer un rôle d’amortisseur social
pour les personnes exclues du crédit. Cette partie mettra également au jour les
faiblesses et dysfonctionnements du dispositif. Ces tensions, découlant souvent
de la difficile coordination d’acteurs aux logiques différentes (associations et ser-
vices sociaux d’un côté, établissements de crédit de l’autre), correspondent aux
domaines pour lesquels des améliorations sont nécessaires, améliorations influen-
cées par la conception des microcrédits personnels finalement retenue. La seconde
partie discutera les enjeux du développement du microcrédit en analysant pour-
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


quoi, alors que cet outil est jusqu’à présent une forme innovante de solidarité
financière, une conception marchande pourrait finalement s’imposer et quelles en
seraient les conséquences potentielles.

PRÉSENTATION DE L’ÉTUDE D’IMPACTS [ENCADRÉ 1]

Cet article est basé sur une étude d’impacts du microcrédit personnel menée à la demande
du Comité d’orientation et de suivi de l’emploi des fonds (COSEF) du Fonds de cohésion
sociale. Cette étude s’inscrit dans le cadre plus large d’un programme de recherche
scientifique international s’achevant en 2015 cofinancé par la Région Aquitaine (appel à
projet « recherche 2012 »), des partenaires français (Caisse des dépôts et Fonds d’action
sociale pour le travail temporaire) et irlandais (Central Bank of Ireland et Social Finance
Foundation). Ce programme de recherche, que mènent conjointement le centre de droit
comparé du travail et de la sécurité sociale (COMPTRASEC, UMR 5114 CNRS/université de
Bordeaux), l’institut 2G recherche et le Geary Institute (University College Dublin, Irlande),
analyse dans quelle mesure le microcrédit accompagne les évolutions institutionnelles
à l’œuvre ou bien constitue une potentielle alternative en offrant une opportunité de
renouveler la mise en œuvre de solidarités nationales, régionales et locales.
L’étude d’impacts du microcrédit personnel, à l’origine des développements du présent article,
repose sur quatre sources d’informations complémentaires :

3. Cette étude d’impact réalisée à la demande du COSEF s’est achevée en octobre 2013 après près de deux
années d’enquête et d’exploitation (Gloukoviezoff et Rebière, 2013a et 2013b). Pour plus d’information, cf. enca-
dré 2.

104  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 104 12/06/2014 09:54:55


• La première source est une analyse de l’ensemble des rapports d’évaluation publiés tant
par les parties prenantes du dispositif que par des chercheurs depuis 2005 et portant sur
les impacts et l’efficacité des dispositifs de microcrédit personnel. Si la quarantaine de
rapports étudiés sont peu cités au sein de cet article, leur apport a été considérable pour
le développement de notre grille d’analyse (Gloukoviezoff et Palier, 2008).
• Le cœur des résultats alimentant cet article tient à la mise en œuvre de janvier à août
2012 de plusieurs enquêtes téléphoniques auprès d’échantillons représentatifs du public
du microcrédit personnel :
– 1 495 emprunteurs ayant sollicité le dispositif de microcrédit personnel entre janvier 2006
et août 2011 ont été interrogés. L’échantillon fut constitué par tirage aléatoire dans
la base de sondage fournie par la Caisse des dépôts (liste exhaustive des bénéficiaires
de 12 organismes prêteurs ayant accepté de participer à la collecte représentant
22 000 dossiers des 25 000 microcrédits personnels souscrits depuis l’origine).
Une stratification de l’échantillon selon le réseau prêteur et la présence d’impayés
de microcrédit depuis la demande a été opérée ;
– concernant les demandes inabouties, le seul moyen d’obtenir une liste de coordonnées
était de se rapprocher des réseaux accompagnateurs. L’étude fut circonscrite aux dossiers
traités en 2010 et 2011, les personnes ayant fait leur demande il y a plus de deux ans se
souvenant vraisemblablement plus difficilement de leur passage éphémère dans le dispositif.
Là aussi un tirage aléatoire a été opéré de manière à ce que l’échantillon – constitué de
507 répondants – soit représentatif de la population de référence ainsi constituée. Si seuls
26 partenaires parmi plus de 100 organismes accompagnant un nombre significatif de
dossiers ont collaboré, ils sont malgré tout représentatifs de la diversité des partenaires (UDAF,
chambre régionale du surendettement [CRESUS], missions locales, CCAS, etc.).
Le contenu et la durée des questionnaires variaient selon le type de personne interrogée (de
10 minutes environ pour les abandons-refus jusqu’à 25 minutes environ pour un bénéficiaire
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


n’ayant fait face à aucun impayé de microcrédit).
• La troisième source d’information est un questionnaire en ligne auquel ont répondu
125 prêteurs et 238 accompagnateurs. Faute d’une base de données recensant les prêteurs
et accompagnateurs, nécessaire pour constituer un échantillon parfaitement représentatif,
nous avons dû nous en remettre à la bonne volonté des différentes « têtes de réseaux » pour
relayer le mail d’invitation à participer à ce questionnaire auprès de leurs collaborateurs.
Il s’avère a posteriori que les principaux prêteurs en termes de volume de prêts étaient
également ceux qui étaient les plus représentés parmi les répondants et que la quasi-totalité
des réseaux accompagnateurs avaient participé.
• Enfin, l’enquête quantitative a été complétée par une quatrième source d’information,
une enquête qualitative prenant la forme de 6 focus groups rassemblant 19 emprunteuses
et 11 emprunteurs. L’accent fut ici mis sur la variété des profils d’emprunteurs (âge, sexe,
situation professionnelle et familiale, objet financé, nature du projet poursuivi, survenue ou
non d’impayés, etc.) plutôt que sur la pondération des différentes populations concernées.
Dans ce but, les focus groups ont été organisés avec des partenaires de nature différente
(association, service social communal et départemental) intervenant sur des territoires
variés (zone rurale, petite ou grande agglomération) et avec des organisations hétérogènes
(travaillant avec un ou plusieurs partenaires prêteurs).

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 105

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 105 12/06/2014 09:54:55


Des résultats prometteurs mais des faiblesses réelles

Le dispositif de microcrédit personnel joue un rôle efficace


d’amortisseur social

En vue d’évaluer les impacts des microcrédits personnels, il est nécessaire de


distinguer les « objets » du financement (achat d’un véhicule, réparation d’un véhi-
cule, équipement du ménage, etc.), du ou des « projets » (professionnels, liés au
logement, à la cohésion familiale) que ces biens ou services doivent permettre de
réaliser, un même objet pouvant avoir des finalités alternatives ou simultanées 4.
74 % des bénéficiaires financent un bien ou service ayant trait à la mobilité.
L’équipement du logement arrive en seconde position avec 23 % des emprunteurs
concernés. 88 % des achats de mobilité financent un projet professionnel et 15 %
des projets liés au logement, expliquant en grande partie les 72 % des bénéficiaires
concernés par un projet de nature professionnelle.
Le premier constat est donc celui d’une prédominance de l’emploi dans les fina-
lités des microcrédits personnels. Il existe toutefois un « effet de sélection » au sein
du dispositif de microcrédit personnel garanti. L’employabilité des emprunteurs
en est un objectif prioritaire en raison principalement de l’origine des fonds qui
alimentent le Fonds de cohésion sociale 5 (IGF, 2009). Cet effet de sélection résulte
également de l’hypothèse selon laquelle les projets liés à l’emploi seraient les seuls
à même d’assurer une hausse des revenus suffisante pour assumer le rembourse-
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


ment du crédit.
La proportion très élevée de projets à finalité professionnelle chez les béné-
ficiaires reflète donc en partie l’orientation du dispositif lui-même comme l’en-
quête semble l’illustrer en mettant en évidence une surreprésentation des projets
liés au logement dans les demandes inabouties (34 % contre 23 % chez les seuls
bénéficiaires).
Les résultats de l’étude mettent toutefois au jour des finalités et besoins alter-
natifs ou complémentaires à l’emploi trop souvent laissés dans l’ombre. L’insertion
sociale est une finalité explicite pour un peu plus de 20 % des emprunteurs et
la cohésion familiale pour 10 % d’entre eux, alors que ces finalités sont généra-
lement ignorées par les nomenclatures actuelles. Parmi les emprunteurs, 16,7 %
ont eu recours au microcrédit pour financer plus d’un bien ou service et 23,9 %
poursuivent une multiplicité de projets. Le plus souvent, le projet principal est
accompagné d’un projet d’insertion sociale. Au total, seuls 50 % des bénéficiaires
ont un projet exclusivement professionnel, 22 % un projet professionnel couplé à
un projet non professionnel, 22 % un projet exclusivement non professionnel et 5 %
une combinaison de divers projets non professionnels.

4. Exemple : dans le cas d’une personne divorcée ayant besoin d’acheter une voiture pour faciliter sa recherche
d’emploi et voir plus souvent ses enfants, on comptabilisera un projet professionnel et un projet relevant de
la cohésion familiale. Nous avons classé les projets en 5 catégories en fonction des déclarations des enquêtés :
insertion professionnelle, logement, insertion sociale (autonomie, éviter l’isolement relationnel, etc.), cohésion
familiale (créer, conserver ou resserrer des liens familiaux), santé, dettes.
5. La Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.

106  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 106 12/06/2014 09:54:55


Cette clarification des objets et projets effectivement financés était un préa-
lable indispensable à l’évaluation des impacts directs et indirects des microcrédits
(cf. encadré 2). Concernant la sphère professionnelle, le microcrédit a un impact
direct positif dans 66 % des cas, c’est-à-dire que le microcrédit a permis d’amélio-
rer la situation professionnelle, au moins temporairement, ou de la préserver si
l’emploi en cours était menacé.

CATÉGORISATION ET MESURE DES IMPACTS [ENCADRÉ 2]

Le recours aux microcrédits personnels peut avoir des impacts :


– « directs », lorsqu’ils se développent dans le domaine ciblé par le projet (l’achat d’un
véhicule en vue de faciliter la recherche d’emploi a un impact direct attendu dans la sphère
professionnelle) ;
– ou « indirects », lorsqu’ils se développent dans des domaines connexes (l’amélioration de
l’employabilité de l’emprunteur peut être une conséquence indirecte d’un prêt destiné à un
véhicule dont la finalité était la cohésion familiale).
• Huit domaines d’impact ont été listés et étudiés, sur la base des recommandations de
l’Inspection générale des finances (IGF, 2009) : l’insertion professionnelle, l’insertion sociale,
les conditions de logement, la cohésion familiale, la santé, la situation budgétaire, l’inclusion
bancaire et l’estime de soi.
Les impacts en matière budgétaire, bancaire et d’estime de soi sont par nature des impacts
indirects dans le sens où leur amélioration n’est pas la finalité explicite du projet financé. Dans
l’enquête, une série de questions était consacrée à chacun de ces domaines, de manière à
évaluer objectivement l’évolution de la situation du bénéficiaire depuis la demande (évolution
de son activité professionnelle, de son équipement bancaire, de ses ressources, etc.).
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


Par la suite il était demandé au bénéficiaire d’apprécier l’influence qu’avait pu avoir
le dispositif de microcrédit personnel sur l’évolution de ce domaine d’impact, en distinguant
le financement de l’accompagnement éventuellement proposé.
• Bien que les personnes refusées ou ayant abandonné ne constituent pas un échantillon
témoin totalement satisfaisant, on observe que seuls 50 % d’entre elles parviennent à financer
leur projet d’insertion sociale ou professionnelle, contre 98 % des emprunteurs, par le biais
avant tout d’emprunts auprès des proches (31 %), de restrictions de consommation (26 %), de
recours au crédit revolving ou au découvert bancaire (19 %) ou d’aides alternatives (11 %).
• L’ampleur des différences est telle et les évolutions favorables si fréquemment reliées au
microcrédit par les bénéficiaires qu’il est raisonnable de considérer les impacts observés du
dispositif comme significatifs.

Concrètement quelle est la situation professionnelle au moment de la demande


et comment évolue-t-elle par la suite ? 62 % des bénéficiaires ayant un projet pro-
fessionnel sont en emploi au moment de la demande : 44 % d’entre eux souhaitent
améliorer les conditions de leur emploi (faire plus d’heures, de missions, etc.), 37 %
conserver leur emploi (nécessité par exemple de remplacer un véhicule tombé en
panne pour assurer ses missions) et les 19 % restants changer d’emploi. Ces actifs
occupés sont pour une grande part des travailleurs pauvres (79 % des bénéficiaires
ont au moment de la demande un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté
monétaire). Parmi ceux qui ne sont pas en emploi, on trouve des chômeurs sur
le point de concrétiser une promesse d’embauche (10 % des bénéficiaires) et des
personnes en recherche d’emploi et désireuses de faciliter cette recherche (28 %).

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 107

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 107 12/06/2014 09:54:55


La proximité initiale avec l’emploi exerce une influence sur la probabilité de
réaliser le projet poursuivi : 74 % de ceux qui sont en emploi ou proches de l’emploi
indiquent avoir atteint leur objectif de manière durable alors que la proportion de
chômeurs n’ayant au moment de la demande aucune opportunité concrète d’em-
bauche faisant le même constat n’est que de 55 %. 77 % de ces résultats positifs et
durables sont associés par les répondants au bien financé par le biais du microcrédit.
Parmi les emprunteurs sans emploi au moment de la demande, 48 % sont
salariés au moment de l’enquête (dont 41 % de ceux qui n’avaient alors aucune
opportunité d’emploi) et les trois quarts d’entre eux attribuent cette évolution au
microcrédit. De plus, la moitié des emprunteurs qui avaient travaillé moins de
la moitié du temps au cours des deux années précédant leur demande de micro-
crédit (41 % des emprunteurs) estiment avoir travaillé plus de la moitié du temps
depuis cette demande et expliquent cette amélioration par le recours au micro-
crédit pour 73 % d’entre eux. Il faut cependant noter que 16 % des emprunteurs
indiquent n’avoir atteint leur objectif que pour quelques mois (la moitié d’entre
eux estimant que le microcrédit a joué un rôle positif).
Les impacts directs sont également majoritairement positifs pour les projets
ayant trait au logement et à l’insertion sociale 6 (cf. graphique 1). Si l’on y ajoute
le fait que l’enquête a mis en évidence que les projets à vocation non profession-
nelle ne génèrent pas plus d’impayés de microcrédit que les projets profession-
nels 7, la préférence affichée par le dispositif pour les projets professionnels paraît
artificiellement fondée.
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


GRAPHIQUE 1
Les impacts directs du microcrédit personnel

Santé 29 % 4% 67 % 0%

Cohésion familiale 32 % 6% 61 % 1%

Logement 63 % 5% 32 % 0%

Insertion sociale 53 % 10 % 36 % 0%

Professionnel 51 % 15 % 33 % 1%

0% 20 % 40 % 60 % 80 % 100 %

SOURCES • Gloukoviezoff et Rebière (2013a).


LECTURE • 51 % des emprunteurs ayant financé un projet portant sur leur insertion professionnelle ont vu
leur insertion professionnelle s’améliorer et 15 % être préservée grâce au microcrédit. Pour 33 % d’entre eux,
le microcrédit n’a eu aucune influence sur la situation professionnelle que cette dernière ait évolué ou non.
Pour 1 % d’entre eux, la situation s’est dégradée à cause du microcrédit ou est restée stable alors qu’elle se
serait améliorée sans microcrédit.

6. À noter que ce constat reste valable si l’on exclut de l’analyse tous les projets combinant plusieurs dimensions
car les résultats restent quasiment identiques.
7. La survenue d’incidents de remboursement de microcrédit est corrélée avant tout avec des « aléas de la vie »
subis au cours du remboursement.

108  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 108 12/06/2014 09:54:55


Concernant les impacts indirects – ceux qui ne sont pas explicitement recher-
chés au moment de la demande –, on relève en premier lieu que l’évolution du
niveau de vie des bénéficiaires est favorable. Le revenu par unité de consomma-
tion passe de 756 à 859 euros, ce qui se traduit par une diminution de 12 % de
la proportion de ménages vivant sous le seuil de pauvreté.
De plus, près de 45 % des emprunteurs de microcrédit considèrent que le micro-
crédit a amélioré leur estime de soi et près de 7 % supplémentaires qu’il a évité
qu’elle ne se dégrade. Cette amélioration tient particulièrement au fait que, pour
certains, le besoin financé va bien au-delà de son utilité. Les focus groups notam-
ment ont mis en évidence que le véhicule ou le fait d’avoir la confiance d’un créan-
cier amélioraient fortement l’estime de soi.
L’impact est, par contre, très faible en matière d’inclusion bancaire, seuls 17 %
ayant perçu une amélioration. L’équipement bancaire (accès à une offre diversifiée
en matière de produits bancaires et autorisations de découverts) évolue peu et l’on
note des progrès limités en matière de frais bancaires.
Si l’on considère la situation des emprunteurs dans sa globalité, on relève un
effet de ruissellement significatif des projets des emprunteurs, matérialisé par des
impacts positifs en moyenne dans au moins deux ou trois domaines d’impacts sur
les huit analysés. Malgré tout, 22 % des projets peuvent être considérés comme
des échecs : 80 % de ces emprunteurs estiment que le microcrédit n’a pas eu d’im-
pact sur leur situation globale, les 20 % restants considérant qu’il l’a dégradée
(les impacts négatifs se concentrant sur la situation budgétaire, l’inclusion ban-
caire et l’estime de soi). Parmi les causes identifiées se trouvent les problèmes avec
le bien financé (la voiture tombant en panne) ou la survenue d’aléas entraînant
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


une diminution des ressources du ménage et des impayés de microcrédit.
Ces résultats globalement très positifs sont toutefois à relativiser. Les réponses
des accompagnateurs au questionnaire en ligne indiquent que, pour un dossier
financé, il est nécessaire d’en étudier en moyenne 4,6. Si les impacts observés sont
aussi forts, ce serait donc au prix d’une sélection importante conduisant à privilé-
gier les profils les moins risqués. L’analyse des demandes inabouties confirme en
partie cette hypothèse, sans la valider totalement. Ces demandes inabouties sont
significativement surreprésentées parmi les chômeurs (38,1 % des personnes refu-
sées ou ayant abandonné contre 24,3 % des emprunteurs), les projets liés au loge-
ment (34 % contre 23 %), les revenus inférieurs à 600 euros (16 % contre 10 %). On
note toutefois presque 27 % d’abandons volontaires, tenant avant tout à la lenteur
de la procédure, l’incapacité à réunir les pièces nécessaires, la méfiance vis-à-vis
du crédit ou d’autres solutions trouvées pour satisfaire le besoin. Rien ne dit que
ces personnes n’auraient pas été éligibles.

Les tensions affectant l’efficacité du dispositif

Les impacts observés tiennent à la rencontre des attentes et situations des emprun-
teurs avec les possibilités qu’offre le dispositif. Celui-ci est à la fois une opportunité
de financement mais également, comme le spécifie l’article 23 de la loi Lagarde,

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 109

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 109 12/06/2014 09:54:55


« d’accompagnement social ». Si les caractéristiques du prêt sont fixées avec préci-
sion (montant, durée, etc.), ce n’est pas le cas de l’accompagnement.
Préciser ce que recouvre cette notion suppose tout d’abord d’en distinguer les
différents temps. En amont de l’octroi du microcrédit, l’accompagnement corres-
pond successivement à l’orientation de l’emprunteur vers le prêt (prescription),
puis à l’évaluation de sa demande (diagnostic). Ensuite, dans les cas où le prêt
est octroyé, il tient au suivi devant favoriser autant que possible le succès de
l’opération.
Outre les différents temps de l’accompagnement, il est également nécessaire
d’en distinguer les différents « champs ». Trois principaux peuvent être identifiés
(Beaujouan, 2007) :
– l’accompagnement « socioprofessionnel » portant sur la réalisation du projet de
l’emprunteur ;
– l’accompagnement « bancaire » concernant le suivi du remboursement mais
aussi parfois celui du fonctionnement du compte bancaire ;
– l’accompagnement « budgétaire » tenant à la gestion du budget de l’emprunteur.
Préciser ce que recouvre l’« accompagnement social » invite à s’interroger sur
la réalité de la mise en œuvre de ses différentes composantes. S’il est impossible de
fixer les contours de cette activité de manière standardisée pour l’ensemble des
emprunteurs en raison de leurs besoins hétérogènes, il est indispensable de s’as-
surer de la cohérence entre ces besoins et l’accompagnement proposé.
Au niveau de la prescription, il apparaît que seuls 15 % des emprunteurs inter-
rogés ont été orientés vers le microcrédit personnel par l’organisation qui a réalisé
le diagnostic. Les structures accompagnant leur propre public (comme les missions
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


locales par exemple) ne touchent donc, en réalité, qu’un nombre d’emprunteurs
relativement faible en comparaison de la prescription réalisée par des structures
qui ne sont pas partie prenante du dispositif. Dans près de 40 % des cas et en dépit
de réticences à l’égard du crédit fréquemment pointées du doigt (Gloukoviezoff et
Palier, 2008 ; ADIE, 2008 ; Audencia, REM, 2011 notamment), cette orientation est
le fait de services sociaux et dans une moindre mesure d’associations caritatives.
Les partenaires bancaires représentent seulement 9 % des orientations, le reste
des bénéficiaires ayant été orientés grâce au bouche à oreille ou aux médias. Cette
dépendance en matière de prescription à l’égard des travailleurs sociaux et des
associations caritatives se doit d’être soulignée car, comme l’analysera la seconde
partie, développer le dispositif en s’inspirant de principes marchands (notamment
en matière d’élévation du taux d’intérêt) pourrait conduire à leur désinvestisse-
ment et compromettre l’augmentation espérée du nombre de prêts accordés.
Au niveau du diagnostic, les emprunteurs sont très majoritairement satisfaits
du rôle joué par l’accompagnateur : seuls 7,5 % d’entre eux indiquent avoir souf-
fert d’un manque de conseil pour évaluer l’objet financé. Par ailleurs, cette étape
est potentiellement l’occasion pour l’accompagnateur ou le prêteur de prodiguer
des conseils personnalisés allant au-delà de l’obtention du prêt. Les emprunteurs
n’ayant pas connu d’impayés sont ainsi 75 % à avoir expérimenté ces autres effets
positifs : 30 % estiment que cela a permis de clarifier leur situation budgétaire et
la même proportion indique mieux connaître les différentes aides sociales aux-
quelles ils peuvent prétendre.

110  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 110 12/06/2014 09:54:55


Une majorité de structures accompagnantes souligne de plus que cette
étape est également bénéfique pour ceux qui n’obtiennent pas de microcrédits
notamment grâce aux conseils budgétaires et financiers prodigués ou encore aux
réorientations vers d’autres dispositifs d’aides (Audencia, REM, précité ; FORS,
2010). L’étude amène à douter de ces vertus. D’une part, 81,5 % des personnes
interrogées n’ayant pas obtenu de microcrédit considèrent que la phase de
diagnostic ne leur a servi à rien. D’autre part, seules 14 % des personnes dites
« réorientées » (représentant 4,6 % des demandes seulement) se voient finalement
proposer un prêt ou une aide sociale. Hors financement, l’impact de la phase de
diagnostic est donc à relativiser.
Enfin, en matière de suivi des bénéficiaires, l’étude a mis en lumière des
dysfonctionnements et une hétérogénéité des pratiques. Tout d’abord, la com-
munication entre accompagnateurs et prêteurs est largement perfectible. Alors
qu’en théorie la survenue d’un impayé implique que l’accompagnateur contacte
l’emprunteur, seuls 39 % des accompagnateurs sont informés par le prêteur dès
le premier impayé et 46 % des prêteurs estiment que l’accompagnateur joue un
rôle mineur ou inutile dans la gestion des dossiers.
En dehors de ces problèmes de coordination, le suivi lui-même est parfois
inexistant : 42 % des emprunteurs n’ont jamais eu de contact avec un accompa-
gnateur après la signature du microcrédit et 69 % de contact avec l’organisme
prêteur. Seuls 28 % d’entre eux ont bénéficié de contacts périodiques de la part
des accompagnateurs pour faire le point sur leur situation. Les facteurs explica-
tifs sont multiples : l’effectivité du suivi est plus fréquente dans les structures où
le microcrédit est un outil parmi un ensemble d’aides dispensées ; la continuité du
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


suivi est plus difficile à assurer dans certaines structures mobilisant des bénévoles,
où le turnover est fréquent ; dans certaines organisations le suivi est conditionné
par l’éligibilité aux prestations sociales (dans les CCAS, par exemple, le suivi cesse
dès lors que la personne ne perçoit plus le revenu de solidarité active [RSA]) ou
peut être stoppé en cas de déménagement hors de la zone géographique gérée par
le dispositif.
Cela paraît préjudiciable dans un contexte où certes 96,4 % des sommes prê-
tées sont remboursées sans intervention de la garantie du Fonds de cohésion
sociale mais où 45,5 % des emprunteurs dont le prêt est achevé ont au moins
une fois fait face à un incident de remboursement (15,9 % d’incidents mineurs
pouvant normalement être régularisés dès le mois suivant et 29,6 % d’incidents
qualifiés de « problématiques » où le débiteur était dans l’impossibilité de faire
face à l’échéance). Or l’étude montre que les emprunteurs confrontés à un impayé
problématique considèrent qu’un suivi régulier produit une véritable différence
(cf. graphique 2). Systématiser et homogénéiser l’accompagnement semble néces-
saire mais l’enjeu est de se donner les moyens de financer un tel processus.

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 111

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 111 12/06/2014 09:54:55


GRAPHIQUE 2
Utilité du suivi selon sa nature en cas d’impayés problématiques
84 %

59 % 59 %

32 %
20 % 21 %
11 % 10 %
5%

Utile (solution ou soutien) Inutile Cela dépend

Points périodiques 1 ou 2 contacts de routine Contacts en cas d'impayés uniquement


SOURCES • Gloukoviezoff et Rebière (2013a).
LECTURE • 84 % des emprunteurs ayant connu des impayés problématiques et ayant bénéficié d’un suivi pre-
nant la forme de points périodiques avec l’accompagnateur estiment que ce suivi leur a été utile.

Un statut à préciser, entre solidarité et marché


© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


Le dispositif de microcrédit personnel garanti est à un tournant de sa jeune his-
toire. Suite à la loi sur la consommation votée en février 8, le gouvernement doit
indiquer au 1er juillet 2014 quelles sont les orientations retenues pour assurer son
développement. Le défi est de concilier un développement quantitatif ayant tiré les
leçons de l’évaluation réalisée (notamment en termes d’amélioration de la qualité
du suivi et de la gestion des impayés) et la mise en œuvre d’un modèle économique
assurant que les différentes parties prenantes aient les moyens de jouer le rôle leur
incombant. Les réponses qui seront apportées auront des conséquences radicale-
ment différentes sur la nature et le potentiel du microcrédit personnel selon que
sera privilégiée une conception de cet outil comme moyen d’étendre le marché
du crédit en direction d’une clientèle jusqu’alors ignorée, ou comme expression
renouvelée d’une forme de solidarité financière.

Un ancrage marchand à risque

Aujourd’hui, le dispositif de microcrédit personnel fonctionne sur la base de sub-


ventionnements publics et privés, le taux d’intérêt payé par les emprunteurs ne
couvrant pas les coûts engagés. Les établissements de crédit interviennent ainsi
dans le cadre de la responsabilité sociale de l’entreprise et ne facturent pas leur

8. Projet de la loi relatif à la consommation, texte adopté le 13 février 2014, no 295.

112  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 112 12/06/2014 09:54:55


prestation au coût réel. Quant aux accompagnateurs, une partie est bénévole,
d’autres interviennent dans le cadre de leur activité principale, enfin un troisième
groupe est financé par les subventions accordées par la Caisse des dépôts.
Ce mode de financement correspondant à l’expression volontaire de formes
de solidarité – les acteurs contribuant au-delà de ce qu’ils en retirent – n’est
tenable que dans la mesure où les montants engagés restent de faible ampleur.
Prêteurs et accompagnateurs ne maintiendraient pas leur engagement s’ils
devaient contribuer de manière significativement plus importante. Ce désengage-
ment est d’autant plus à craindre que les améliorations nécessaires au bon fonc-
tionnement du dispositif en termes de systématisation d’un suivi régulier et de
gestion plus personnalisée des impayés s’accompagnent inévitablement de coûts
accrus pour toutes les parties. La question du modèle économique retenu est donc
absolument essentielle.
Deux options principales s’offrent aux promoteurs de ce dispositif : la reconnais-
sance de l’ancrage solidaire du microcrédit et la pérennisation des subventionne-
ments publics et privés ou son inscription dans l’espace du marché et la recherche
de l’autofinancement grâce à la combinaison d’une augmentation des revenus et
une réduction des coûts. La seconde l’emporte pour le moment comme le tra-
duisent les conclusions du groupe de travail consacré au modèle économique du
microcrédit personnel organisé fin 2011 par la Caisse des dépôts 9 et les débats qui
ont pris place au cours des deux dernières années lors des journées d’échanges
entre parties prenantes organisées en région par la Caisse des dépôts ou à Paris
par le Crédit coopératif, les Caisses d’épargne ou l’Union nationale des centres
communaux d’action sociale (UNCCAS) notamment. Privilégier une conception des
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


microcrédits personnels d’inspiration marchande aura de sérieuses conséquences
tant sur la mise en œuvre du dispositif que sur sa finalité.
Tout d’abord, l’hypothèse selon laquelle il serait possible d’accroître les revenus
du dispositif en mettant davantage à contribution les emprunteurs se heurte à de
sérieuses difficultés. Comme l’ont montré les travaux de l’Inspection générale des
finances (IGF, 2009), l’autofinancement complet du dispositif (activité de prêt et
accompagnement) par le taux d’intérêt pratiqué est illusoire. Quand bien même,
cet autofinancement ne porterait que sur la partie la moins coûteuse (l’activité
de prêt), il resterait difficilement atteignable. En dépit des économies d’échelles
que les banques de détail peuvent réaliser, il leur faudrait pratiquer un taux de
12 à 14 % pour couvrir leurs coûts alors que ce taux dépasserait les 30 % pour les
organismes de microfinance, taux totalement incompatible avec la législation sur
l’usure. Toutefois, même un taux d’intérêt de 12 % pose problème. Il pourrait en
effet conduire à un désengagement des accompagnateurs dans la mesure où ceux
ayant pris part au questionnaire en ligne estiment qu’un taux supérieur à 6 % est
trop élevé pour le public concerné.
Si une hausse des taux d’intérêt risque de compromettre la dimension parte-
nariale du dispositif, la voie de la réduction des coûts met en péril la capacité des
microcrédits personnels à répondre aux besoins des emprunteurs. En raison des
lacunes en matière de suivi et de gestion des impayés, la nécessité de rationaliser

9. Le rapport qui résume les débats et les pistes de réflexions envisagées n’a pas été rendu public (Cavalli et
Tocqué, 2011).

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 113

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 113 12/06/2014 09:54:55


la manière dont les microcrédits sont proposés est une idée largement acceptée.
Cependant, derrière cette notion de rationalisation se cache une volonté d’indus-
trialiser le dispositif, mot d’ordre martelé par les prêteurs. Il s’agirait alors de
mettre en place un modèle organisationnel standardisé où la performance serait
évaluée sur la base de la productivité et de la quantification au détriment de
la prise en compte de la singularité de chaque demande et des résultats pour les
emprunteurs 10. Concrètement, cela signifierait :
– un recours accru à des formes de scoring plutôt qu’à une évaluation des
demandes reposant entièrement sur la relation établie entre l’accompagnateur et
l’emprunteur potentiel ;
– un suivi qui se concentre sur les temps forts que sont les survenues d’impayés
en dépit de son utilité pour les emprunteurs même en l’absence de ces incidents ;
– une évaluation de l’efficacité du dispositif sur la base du nombre de crédits
octroyés et du taux d’impayés constaté ignorant les impacts du dispositif.
Cette rationalisation, qui rapprocherait le microcrédit personnel du crédit ban-
caire, conduirait progressivement à concentrer le dispositif sur les publics et les
projets requérant le moins d’attention, réduisant les impacts positifs potentiels de
cet outil. En imposant un modèle gestionnaire inspiré des pratiques bancaires, il
est probable de voir se répéter les mécanismes d’exclusion ayant pourtant justifié
l’expérimentation des microcrédits personnels.
Enfin, mettre l’accent sur les résultats quantitatifs induit un changement
d’échelle en termes de distribution des microcrédits qui pourrait remettre en
cause leur caractère aujourd’hui subsidiaire. Alors que les demandes de micro-
crédit sont en théorie une opportunité pour les accompagnateurs de s’assurer que
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


l’ensemble des droits sociaux accessibles ont bien été mobilisés, faire du nombre
de microcrédits octroyés une finalité pour le dispositif rend contre-productif
la recherche d’alternatives. Ce risque de voir ces prêts progressivement empiéter
sur ce qui est aujourd’hui du ressort des aides sociales doit être considéré avec
sérieux pour plusieurs raisons.
La première est que cette pratique est d’ores et déjà à l’œuvre. Que ce soit au
travers du questionnaire en ligne ou lors d’échanges à l’occasion de la présenta-
tion de nos résultats, plusieurs travailleurs sociaux ont expliqué qu’il était à pré-
sent demandé un justificatif de refus de microcrédit personnel avant de pouvoir
accéder à certaines aides. Bien qu’il nous soit impossible de quantifier l’ampleur
de ce phénomène, la récurrence des témoignages au sein d’organisations diffé-
rentes atteste de l’émergence de cette pratique.
La deuxième raison est pragmatique et tient à l’épuisement des dispositifs
d’aide sociale suite aux cinq années de crise écoulées et aux politiques d’austérité
mises en œuvre (Bontout et Lokajickova, 2013). Dans l’incapacité de répondre
à l’ensemble des demandes qu’ils reçoivent, recourir aux microcrédits person-
nels lorsque les demandeurs ont la capacité financière de les rembourser peut
apparaître aux acteurs de l’action sociale comme une manière pertinente de gérer
le manque.

10. La rationalisation « industrielle » décrite ici se distingue de la rationalisation « professionnelle » tenant


compte de la singularité des demandes (Gadrey, 1994).

114  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 114 12/06/2014 09:54:56


Enfin, cette possibilité est d’autant plus crédible que le recours au microcrédit
est cohérent avec les valeurs qui gouvernent les politiques de lutte contre la pau-
vreté, qualifiées de « politiques actives », à savoir personnalisation et exigences
de contrepartie. Il s’inscrit également dans la tendance plus large qui voit la res-
ponsabilité de se prémunir contre certains risques, jusqu’alors assumée collec-
tivement, être transférée aux individus eux-mêmes (Castel, 2009 ; Finlayson,
2009 ; Supiot, 2010). Ce sont alors des réponses marchandes qui sont sollici-
tées : complémentaires santé, retraite par capitalisation et crédits de trésorerie.
Si cette « mise en marché » d’une partie de la protection sociale en lui substi-
tuant différentes formes de crédit est moins marquée en France qu’elle ne peut
l’être au Royaume-Uni (Grover 2008), au Canada (Buckland, 2012), aux États-Unis
(Standing, 2011) ou en Australie (Marston et Shevellar, 2014), la possibilité de voir
le microcrédit y participer ne peut cependant être ignorée.
Faire des microcrédits personnels une extension du marché du crédit par
la modification d’éléments essentiels à son fonctionnement en réduirait radica-
lement l’utilité économique et sociale. Dès lors, il importe d’explorer les raisons
pour lesquelles le développement de cet outil pourrait se faire dans le cadre d’un
ancrage solidaire réaffirmé.

L’affirmation d’un ancrage solidaire légitime et prometteur

L’émergence du microcrédit tient à l’incapacité tant des pouvoirs publics que


© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


des acteurs bancaires à apporter une réponse à des besoins sociaux. En cela,
elle rappelle les conditions ayant conduit à l’apparition du mouvement bancaire
mutualiste en France au cours du xixe siècle. À l’instar de cet exemple historique,
le microcrédit est une expression renouvelée de formes de solidarités financières
s’inscrivant naturellement dans le cadre d’activités non lucratives participant à
la cohésion sociale. Entre l’État et le marché, il évolue alors dans le champ de ce
qu’il est convenu de nommer « économie sociale et solidaire ».
Parmi les principes de cette dernière se trouve celui de mixité des ressources :
en raison de l’indépendance à l’égard des pouvoirs publics et de l’utilité sociale ou
collective de ces projets, les financements utilisés mêlent ressources privées,
publiques et recours au bénévolat. C’est pour le moment le modèle qui prévaut
au sein du dispositif. Plutôt que de tenter d’appliquer aux microcrédits personnels
un modèle marchand, il serait plus prometteur d’explorer les moyens d’assurer
la continuité de cette mixité des ressources pour faire face aux besoins de finance-
ment croissant inhérents au développement attendu du dispositif.
L’une des hypothèses envisagées notamment par le groupe de travail « Inclusion
bancaire et lutte contre le surendettement », établi par le gouvernement en 2012
préalablement à la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion
sociale, tient à la refonte du Fonds de cohésion sociale tant du point de vue de ses
moyens que de ses fins (Soulage, 2012). Alors qu’il est aujourd’hui financé par les
pouvoirs publics et qu’il est utilisé pour garantir les microcrédits personnels et
professionnels, deux modifications pourraient être apportées.

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 115

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 115 12/06/2014 09:54:56


La première modification porte sur l’emploi des fonds. Outre leur rôle de garan-
tie, ils pourraient financer en partie l’accompagnement et ainsi en pérenniser
le subventionnement. Cette réorganisation implique une seconde modification :
accroître le montant global du Fonds de cohésion sociale. Cela pourrait être réalisé
en mettant à contribution plus largement les pouvoirs publics 11 mais également
les acteurs privés (au premier rang desquels les établissements de crédit) qui sont
directement ou indirectement parties prenantes du dispositif.
Cette mise à contribution élargie est légitime avant tout en raison des retombées
immédiates des microcrédits personnels en tant que réponse à l’urgence sociale.
Par la solution qu’ils apportent aux difficultés de financement des emprunteurs,
ils évitent des coûts économiques et sociaux tant pour les emprunteurs que pour
la collectivité bien supérieurs aux sommes investies. De plus, ces prêts favorisent
la participation économique et sociale de personnes qui sans cela n’en auraient
plus eu la possibilité. Si évaluer les montants économisés reste une tâche à réali-
ser, ce type de retombées n’est pas inconnu pour les acteurs du microcrédit.
Il existe cependant un second groupe de retombées, jusqu’à présent largement
ignoré, justifiant une mise à contribution élargie des parties prenantes du
microcrédit personnel : l’utilité de ce dispositif, non plus pour répondre à l’urgence
sociale, mais pour s’attaquer aux causes des difficultés de financement ayant
conduit ces emprunteurs à solliciter un microcrédit. À condition de saisir cette
opportunité, la mise en œuvre des microcrédits personnels peut être l’occasion
d’apprentissages quant aux limites actuelles tant du marché du crédit que de
l’action sociale au sens large.
En matière de lutte contre la pauvreté, participer au dispositif de microcrédit
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


contribue à changer le regard porté sur les pauvres et la pauvreté comme ce fut
le cas pour 55 % des accompagnateurs et 74 % des prêteurs. Un quart des prêteurs
estiment ainsi les emprunteurs plus autonomes qu’ils ne l’auraient cru, ce qui
favorise potentiellement le développement d’une relation où ceux-ci ont davan-
tage la possibilité de faire entendre leurs besoins et contraintes. La pertinence de
la réponse apportée ne sera en théorie que plus grande.
Outre ce changement de regard, découvrir de nouveaux profils de personnes en
difficulté ou de nouveaux besoins, que les organisations en charge de l’accompa-
gnement méconnaissaient, a été l’occasion – selon un accompagnateur sur cinq –
de mettre en place des réponses innovantes, financières ou non. Les partenariats
entre associations et garages solidaires pour répondre au besoin de mobilité à
moindre coût en sont une illustration parmi d’autres.
Si ces potentialités du microcrédit personnel sont encore largement inexploitées
(seuls 13 % des prêteurs estiment que leur employeur a appris de cette expérience),
elles sont une réalité qui légitime la mise à contribution des parties prenantes
publiques et privées. Elles le justifient même d’autant plus que sans la pérenni-
sation de cette dimension solidaire, il est peu probable que ces retombées de
plus long terme ne soient recherchées et valorisées. Une impulsion politique forte
fixant des objectifs clairs aux acteurs, et se crédibilisant via des sanctions ou des

11. La majorité des fonds sont actuellement fournis par la Délégation générale à l’emploi et à la formation
professionnelle.

116  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 116 12/06/2014 09:54:56


incitations financières, est dès lors plus que jamais indispensable à la matérialisa-
tion d’une telle forme de solidarité.

Conclusion

Au vu des résultats de l’étude menée en 2012, le dispositif de microcrédit person-


nel a fait ses preuves en termes d’utilité pour les emprunteurs. Les impacts posi-
tifs du microcrédit sont riches à la fois par leur ampleur mais également par leur
variété (insertion professionnelle, cohésion familiale, logement, etc.). Se réjouir
de tels résultats ne doit pas aveugler quant au fait que le développement de ce
dispositif devra franchir nécessairement certaines étapes délicates. Si l’accompa-
gnement des emprunteurs est encore perfectible, un autre élément doit particuliè-
rement retenir l’attention : avec 44 000 prêts accordés en un peu plus de 6 ans, il
reste encore des efforts à faire pour satisfaire les besoins existants en la matière
estimés à environ 600 000 ménages. Atteindre ces exclus du crédit est un défi
qui suppose de repenser en profondeur la manière dont cet outil est aujourd’hui
distribué, promu et régulé. Ni totalement produit marchand ni totalement aide
sociale, le microcrédit personnel relève selon nous de l’économie sociale et soli-
daire et ne pourra se développer de façon cohérente si la logique marchande l’em-
porte : la recherche de la rentabilité conduirait à des taux d’intérêt incompatibles
avec la nature partenariale du dispositif et à une volonté de réduction des coûts
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


affectant nécessairement l’accompagnement des bénéficiaires (on a pu démon-
trer l’importance de cet accompagnement pour limiter les impayés et maximiser
les impacts directs et indirects). Expression renouvelée des solidarités indispen-
sables à la cohésion sociale, le dispositif pourrait, s’il est pris au sérieux par les
différentes parties prenantes, favoriser l’insertion sociale et professionnelle des
bénéficiaires, mais être également une composante prometteuse d’une politique
ambitieuse d’inclusion financière. Il présente en effet non seulement les qualités
suffisantes pour répondre aux difficultés de financement des ménages au revenu
modeste, mais également pour identifier et agir sur les causes de ces difficultés.
À un autre niveau, il participerait à une redéfinition du partage des responsabilités
dans la mise en œuvre de cette politique puisqu’il conduirait à articuler l’action
et les investissements (financiers ou en nature) des pouvoirs publics, des associa-
tions, des services sociaux et des établissements de crédit.

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 117

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 117 12/06/2014 09:54:56


Références bibliographiques

ADIE (Association pour le droit à l’initiative économique) (2008), Évaluation du microcrédit


social aux particuliers, Paris.
Audencia, REM (Réseau européen de la microfinance) (2011), Évaluation de l’efficacité
organisationnelle des partenariats noués par la Caisse des dépôts avec des associations
nationales pour la construction d’un réseau d’accompagnement des bénéficiaires potentiels
de microcrédits personnels, Paris, Caisse des dépôts.
Beaujouan J. (2007), Le développement du microcrédit social : une contribution à l’insertion
sociale, rapport pour France Bénévolat, Paris, France Bénévolat.
Bontout O., Lokajickova T. (2013), Social Protection Budgets in the Crisis in the EU, Working
paper, n° 1-2013, Bruxelles, Commission européenne.
Buckland J. (2012), Hard Choices. Financial Exclusion, Fringes Banks and Poverty in Urban
Canada, Toronto, University of Toronto Press.
Caire G. (2010), Seconde évaluation du dispositif Micro-Crédit Poitou-Charentes, rapport
pour la Région Poitou-Charentes.
Caisse des dépôts (2011), Le dispositif de microcrédit personnel, Paris, Caisse des dépôts.
Castel R. (2009), La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu, Paris,
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)


Le Seuil.
Cavalli B., Tocqué F. (2011), Groupe de travail modèle économique du microcrédit personnel,
rapport pour le COSEF, Paris.
Finlayson A. (2009), «Financialisation, Financial Literacy and Asset-Based Welfare», The
British Journal of Politics and International Relations, vol 11, p. 400-421.
FORS (Recherche sociale) (2010), Étude et évaluation du dispositif de microcrédit accompa-
gné, rapport pour la FNARS, Paris, FORS-Recherche sociale.
Gadrey J. (1994), « La modernisation des services professionnels : rationalisation indus-
trielle ou rationalisation professionnelle », Revue française de sociologie, 35, 2, p.163-195.
Glémain P. (2010), Éléments pour une analyse interdisciplinaire des expérimentations du
Microcrédit sociale en régions Ouest, rapport final pour le Haut-Commissariat aux solidari-
tés actives et la délégation interministérielle à l’innovation, à l’expérimentation sociale et à
l’économie sociale (DIIEES), Angers, FIMOSOL.
Gloukoviezoff G., Palier J. (2008), Évaluation d’impact des Crédits Projet Personnel du
Secours Catholique, Lyon, université Lyon II.
Gloukoviezoff G. (2010), L’exclusion bancaire, le lien social à l’épreuve de la rentabilité,
Paris, PUF.
Gloukoviezoff G., Rebière N. et al. (2013a), Étude d’impacts du microcrédit personnel
garanti, rapport de recherche, Paris, Caisse des dépôts.
Gloukoviezoff G., Rebière N. (2013b), Microcrédit contre pauvreté : des prêts entre solida-
rité et marché, Paris, Les Éditions de l’Atelier.
Grover C. (2008), «Loaning Supplementary Benefit and the Introduction of the Social Fund»,
Social Policy & Administration, 42, (5), p. 470-486.

118  | 2014 - N°s 1-2 - RFAS

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 118 12/06/2014 09:54:56


IGF (Inspection générale des finances) (2009), Le microcrédit, rapport no 2009-M-085-
03, Paris, ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi/ministère du Budget, des
Comptes publics, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État.
Lecomte M. (2008), « La microfinance solidaire », Revue d’économie financière, no 92,
p. 183-195.
Marston G., Shevellar L. (2014), «In the Shadow of the Welfare State: The Role of Payday
Lending in Poverty Survival in Australia», Journal of Social Policy, 43 (01), p.155-172.
Observatoire de la microfinance (2010), Rapport annuel de l’Observatoire de la microfinance,
Paris, Banque de France.
Soulage F. (2012), Inclusion bancaire et lutte contre le surendettement, Conférence natio-
nale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, Paris.
Standing G. (2011), The Precariat. The New Dangerous Class, Londres, Bloomsbury
Academic.
Supiot A. (2010), L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Paris,
Le Seuil.
© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

© DREES Ministère de la santé | Téléchargé le 04/04/2024 sur www.cairn.info (IP: 105.73.96.140)

RFAS - 2014 - N°s 1-2 | 119

(RFAS) n° 1-2 - 2014 IV.indd 119 12/06/2014 09:54:56

Vous aimerez peut-être aussi