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Point de vue

La mesure et la responsabilité sociale et sociétale


Marc Arbouche
Dans Humanisme et Entreprise 2010/2 (n° 297), pages 81 à 88
Éditions A.A.E.L.S.H.U.P
ISSN 0018-7372
DOI 10.3917/hume.297.0081
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Point de vue
La mesure et la responsabilité sociale
et sociétale
Marc ARBOUCHE1

Résumé Les entreprises, en particulier multinationales, doivent se déterminer vis-à-vis


des enjeux du développement durable et de la responsabilité sociale ou sociétale dans un
contexte de prolifération de référentiels normatifs. Ces référentiels sont essentiellement
élaborés au sein d’organismes internationaux selon des procédures de discussion et de
négociations. Ils concernent essentiellement, mais non exclusivement, les entreprises
multinationales. Par ordre de généralité, ces référentiels sont : la Déclaration des Droits de
l’Homme de 1948, du Pacte Mondial ou Global Compact, des principes directeurs de
l’OCDE à l’intention des multinationales et de la norme ISO 26000 en cours
d’élaboration. Parmi les différents référents internationaux nous interrogeons plus
particulièrement le Global Reporting Initiative sous l’angle de sa capacité à permettre de
valoriser les initiatives propres à chaque entité en matière de développement durable et de
responsabilité sociale ou sociétale. Une double problématique s’impose dès lors : quelle
compatibilité entre les différents référents ? Quelle possibilité d’usage de ces référents
pour le management comme guide d’évaluation et de décision ?

Mots clés Responsabilité sociale, Mesure, Indicateur, Référentiel.

Abstract Corporations, especially multinational ones, should have precise policies


regarding social responsibility and sustainable development within a multiple standards
environment. Those standards are mainly established within international organizations
according to discussions and negotiation procedures. The former deal with the
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multinational firms essentially, but not exclusively. Those standards from the most
general to the most specific ones are : The Human Rights declaration of 1948, the Global
Compact, the OECD master principles to the benefit of the multinational firms, and the
ISO 26000 standard in progress. In this multiple-standard environment they have to
document various indicators under much diversified forms. Among the various
international reference systems we especially analyze the Global Reporting Initiative
concerning its ability to point out the specific initiative of each body as concerns
sustainable development and social and corporate responsibility. Then two issues are
being faced : what is the degree of consistency between the different sets of standards ?
What use can be made of those standards in a managerial approach as a guiding tool for
assessment and decision making ?

key words Corporate Responsibility, Measure, Indicator, Standard.

1
Professeur de management des ressources humaines et d’éthique du management, École Supérieure de
Commerce et de Management (ESCEM), Poitiers - marbouche@escem.fr

HUMANISME & ENTREPRISE - http://humanisme-et-entreprise.asso-web.com/


N° 297 - Avril 2010 - Auteur : Marc ARBOUCHE
Toute reproduction et diffusion des articles et conférences publiés dans “Humanisme et Entreprise” -quels qu’en soient les supports- sont interdites sans la double autorisation des auteurs et éditeur.

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Personne ne doute de la nécessité de la mesure en management et que


celle-ci est consubstantielle aux activités de gestion. On dit couramment que
l’on ne gère que ce que l’on mesure. En disant cela nous n’entendons pas parler
de la gestion par les chiffres. On mesure en effet pour assurer et s’assurer de
l’efficience et de l’efficacité. On mesure l’activité, la performance, on mesure
les attitudes (pour apprendre sur la satisfaction des salariés ou des clients). On
mesure pour objectiver les améliorations dans un processus de changement
organisationnel. Mais on mesure aussi pour donner des gages, pour avoir une
légitimité, asseoir sa réputation. Ainsi beaucoup d’efforts de mesure et de
mise au point d’indicateurs se doivent de donner une information vérifiable
par des tiers (agences de notation, d’accréditation, de certification,
autorités…) Toutes ces initiatives se traduisent par des reportings plus ou
moins formalisés, des rapports, des redditions de compte en interne et en
externe. La plupart des rapports s’accompagnent de ratios, d’indicateurs dont
l’élaboration et la documentation demandent une spécification au contexte
propre à chaque entité concernée.
Relativement à la responsabilité sociale et au développement durable
on voit proliférer des référentiels donnant sens à des « redditions de compte »
et à la production d’indicateurs portant sur toutes les dimensions du
management des entreprises. Les différents référentiels internationaux
concernent, essentiellement mais pas exclusivement, les entreprises
multinationales. Il s’agit essentiellement, par degré de généralité, de la
Déclaration des Droits de l’Homme de 1948, du Pacte Mondial ou Global
Compact, des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des
multinationales et de la norme ISO 26000 en cours d’élaboration.
Il est important de souligner que la plupart de ces normes ont été
élaborées dans l’orbite des Nations-Unies, source estimée la plus légitime
pour imposer des standards mondiaux sur ces sujets. En effet, que ces
référents soient issus du processus de gouvernance internationale détermine
largement le caractère soit impératif (conventions internationales ; lois
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internes) soit facultatif (codes de conduite ; chartes éthiques ;
recommandations des organisations internationales…) de ces normes de fond
et de forme applicables à la RSE et au D.D.
De même, la source onusienne détermine largement les modes
d’action qui s’en déduisent. On parle ainsi de régulation, de réglementation
(hard Law, soft Law), d’incitation, de persuasion. On remarquera aussi que
peu de ces référentiels ont un caractère obligatoire (au sens juridique) mais
suppose un engagement volontaire. Notre analyse interroge ces différents
référentiels, mais plus spécialement le GRI issu du Global compact, sous
l’angle de leur capacité à permettre de valoriser les initiatives propres à
chaque entité en matière de développement durable et de responsabilité
sociale ou sociétale.
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Une double problématique s’impose dès lors :


1. Quelle compatibilité entre les différents référents ? Quelle
possibilité d’usage de ces référents comme guide d’évaluation et de décision ?
2. Cela repose à nouveaux frais des questions pérennes de
management en matière de production d’indicateurs : comment expliciter les
valeurs sous-jacentes au référentiel ? Comment éviter la confusion entre les
indicateurs et leur contenu ?
Ainsi on entend se pencher, d’une part, sur ce qui détermine et
délimite le mesurable et qui donne le sens de la mesure ; ce qui conditionne la
lisibilité des indicateurs. Et d’autre part, sur le niveau pertinent de mesure.
Plus essentiellement insister sur la nécessité de disposer d’un cadre englobant
donnant un sens - direction et finalité - à l’usage des différents référentiels.

1. Le contexte normatif : un univers incertain et ambigu


L’univers normatif qui nous intéresse se présente comme un ensemble
de référentiels internationaux relatifs au développement durable et à la
responsabilité sociale. Aux référents principaux (Déclaration des Droits de
l’Homme de 1948, Pacte Mondial, principes directeurs de l’OCDE à
l’intention des multinationales et la norme ISO 26000 en cours d’élaboration)
se rattachent, par exemple, les principes fondamentaux de l’Organisation
Internationale du Travail, résumés dans une déclaration de 1998 qui reprend
le contenu des six principales conventions de l’organisation (liberté syndicale
et de négociation ; interdiction du travail des enfants ; égalité
homme/femme…) ; les Pactes de 1966 relatifs aux droits civils et politiques
d’une part, aux droits économiques et sociaux d’autre part, puis par toutes les
conventions postérieures relatives aux droits de l’enfant, des femmes… qui
sont la mise en œuvre de la Déclaration universelle de 1948. Enfin, les
conventions internationales adoptées après le Sommet de Rio sur la protection
de l’environnement et les principes directeurs de l’OCDE concernant
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exclusivement la « responsabilité sociale » des multinationales.
Ainsi, tous les outils envisagés (à l’exception de la Déclaration des
Droits de l’Homme) se fondent ou se référent à des déclarations, protocoles,
pactes, conventions et directives, recommandations, principes directeurs…
autant de termes à connotation politico-juridique. À titre d’illustration, la
norme ISO 26000 ne prétend pas créer de nouvelles normes internationales
mais diffuse celles existantes. Ainsi, cette norme en cours se réfère à : la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, aux conventions de l’OIT,
aux déclarations de Rio et de Johannesburg, au Protocole de Kyoto, au Pacte
Mondial des Nations-Unies. Elle se réfère en outre à des principes généraux :
respect des conventions, déclaration et instruments internationaux, principe de
légalité, droits des parties prenantes.

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Une distinction utile est de séparer le référent ontologique et


anthropologique que constitue la Déclaration des Droits de l’Homme de 1945
d’avec les référents « politiques » et de gouvernance (le Global Compact, les
principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales) et le
référentiel managérial en cours d’élaboration qu’est ISO 26000.
Cette distinction suppose une hiérarchie cybernétique : le niveau le
plus haut est le plus riche en information et le plus faible en énergie. Il suffit
d’observer les confrontations et controverses sur les droits de l’homme, tantôt
accusés « d’occidentalisme », tantôt comme garant de toute revendication. À
ce niveau, il y a peu de chances d’aboutir à un consensus opérationnel.
Toutefois, il semble que le noyau dur des Droits de l’Homme est la notion de
dignité humaine. Ce qui est le niveau le plus haut et « l’ultima ratio ». Ce
niveau ultime appelle une éthique englobant les droits positifs qu’elle permet
d’évaluer.
D’ailleurs, il n’y a pas à l’intérieur des droits de l’homme une
hiérarchie contraignante de normes. Les droits de l’homme internationaux ne
distinguent pas des « droits fondamentaux » par rapport aux droits civils,
sociaux et culturels. Tous sont considérés comme indivisibles, placés sur le
même plan et extensibles à l’infini. Or la vision initiale ne professe pas une
vision de l’homme abstraite ou fixiste. Elle se fonde sur le droit naturel qui est
réinterprétation ou réajustement constant de ce qui est juste à la lumière de la
raison et de la conscience morale. Il nous suffit de constater pour le moment
que le droit et le droit international, en particulier, sont devenus le lieu d’un
affrontement philosophique majeur entre une conception réaliste, où l’on
constate ce qu’est l’homme - comme c’est le cas dans la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme de 1948 -, et un système de droit
purement positif, où il n’y a plus de norme objective et où tout est objet de
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négociations. Dans une telle perspective, les droits de l’homme ne sont plus
reconnus mais négociés. Une première remarque s’impose ici. Cette
« négociation » dépasse largement la sphère de responsabilité des entreprises
concernées en premier lieu. Il faut passer par la médiation de la réalité
politique locale qui assure ou n’assure pas l’effectivité de ces droits. La
question essentielle à envisager est la difficulté à conduire le processus de
spécification ou d’explicitation des valeurs sous jacentes au référentiel en
critères pertinents pour documenter les indicateurs fournis. Cette explicitation
ne va pas de soi et le chemin qui mène des valeurs « universelles »
(Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et conventions
fondamentales de l’OIT) aux indicateurs n’est pas linéaire et sans ambiguïté.
On verra cela à travers le cas du GRI.

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2. Les indicateurs comme produits d’un processus de spécification : le cas GRI


Le « Global Compact » s’articule autour de dix principes (Droits de
l’homme, Droit du travail, Environnement, Lutte contre la corruption) que
l’on regroupe par catégories. Ces dix principes sont référés aux déclarations et
conventions internationales (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ;
déclaration de l’Organisation Internationale du Travail relative aux principes
et droits fondamentaux au travail ; déclaration de Rio sur l’environnement et
le développement ; convention des Nations-Unies contre la corruption). Du
« Global Compact » s’est construit le « Global Reporting Initiative » qui est
une sorte de bilan d’origine américaine assorti d’indicateurs quantitatifs et
qualitatifs et de méthodes de comparaison portant sur les dimensions
environnementale, sociale et sociétale.
Le GRI est devenu un des standards de référence en matière de bilan
RSE. Il repose notamment sur des projets pilotes dans certains secteurs afin
de prendre en compte les spécificités des entreprises qui en font partie. La
notation du Global Reporting Initiative partage en commun une grande partie
des domaines déjà couverts par le référentiel de qualité totale (EFQM). Ainsi,
les indicateurs « ressources humaines » du GRI sont à rapprocher des indices
« capital humain » :
- rotation des effectifs ;
- emplois offerts sur emplois occupés ;
- classement de l’entreprise comme employeur ;
- preuve que le personnel connaît la vision et influence la gestion ;
- procédures d’expression des griefs ;
- ouverture aux syndicats ;
- suivi ultérieur des employés licenciés, etc.
On admettra que la documentation d’un indicateur se doit d’éviter un
premier risque qui est celui du paralogisme dit du concret mal placé (the
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Fallacy of Misplaced Concreteness) : confondre les indicateurs avec le
contenu. On sait que toute standardisation, à l’instar de celle des normes
comptables, peut avoir des effets pervers en incitant les entreprises à se
soucier du niveau des indicateurs plutôt que de la réalité qu’ils sont censés
indiquer. À supposer cet obstacle levé, la question cruciale est celle de
l’établissement d’indicateurs pertinents, en rapport avec des critères eux-
mêmes expression de valeurs. Les indicateurs se rapportent à des critères qui
eux-mêmes sont l’expression de valeurs, plus ou moins explicitées.
L’explicitation des valeurs sous-jacentes au référentiel choisi est
indispensable, puisqu’elle est le fondement de la transparence.
Autrement dit, qu’est ce qui préside à l’élaboration des indicateurs ?
Les indicateurs traduisent-ils bien les critères et les valeurs ? Prenons

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l’exemple de l’indicateur « proportion de femmes à l’échelon directorial (ou


au conseil d’administration) ». Est-ce que « la proportion de femmes au
conseil d’administration » est la seule mesure pertinente de la discrimination
de genre ? Cette discrimination se cantonne-t-elle à l’existence du plafond de
verre ? Cet indicateur aura été construit en référence au critère de mixité des
emplois qui lui-même se réfère à la valeur de non discrimination. Cette non
discrimination entre les genres pour l’accès aux emplois est elle-même issue
de l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : « Tous
les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » et au
quatrième point de la déclaration de l’Organisation Internationale du Travail
relatif aux principes et droits fondamentaux au travail : « l’élimination de la
discrimination en matière d’emploi et de profession ». Or, les indicateurs du
« Global Reporting Initiative » ne prennent en compte le genre que dans la
composition de la direction générale - explicitement et implicitement - dans la
description de la politique d’égalité des chances, si on considère les femmes
comme « personnes ayant historiquement fait l’objet d’une discrimination ».
Mais ils ignorent le genre en matière de formes particulières d’emploi et de
formation. Pourtant, le fait que les femmes soient à temps partiel et les
hommes à temps complet est grandement significatif des discriminations
réelles, comme l’est le fait que les uns ont plus accès à la formation que les
autres. Cette zone aveugle du GRI peut paraître étrange mais il est dans la
droite ligne d’une conception du monde qui reconnaît aux « célibattantes » le
droit d’avoir « une carrière d’homme » et réclame pour les mères de famille la
conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle sous la forme d’un
emploi à temps partiel.
Il suffit de poursuivre l’analyse des indicateurs présentés par le Global
Reporting Initiative pour faire apparaître des lacunes complémentaires des
deux côtés de l’Atlantique touchant l’égalité des sexes, des races, les organes
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de résolution des conflits, la place des syndicats, les rémunérations
injustifiables. Plusieurs de ces indicateurs se veulent « qualitatifs » : par
exemple, touchant l’égalité des chances, l’information, les déclarations de
principe publiées par la direction de l’entreprise, le soutien aux initiatives de
développement local, l’information financière - ce qui rend bien difficile une
mesure objective. Car le qualitatif n’est pas étranger au quantitatif ; il est une
manière d’agencer le quantitatif que tout indicateur doit pouvoir mettre au
jour sous peine de prêter à suspicion. À défaut d’une traduction quantifiable
de ces appréciations qualitatives, l’utilisateur ne peut que démissionner et s’en
remettre à l’autorité de l’évaluateur externe ; ce qui signifie, le plus souvent,
qu’il se repose sur la notoriété produite par un marché particulier
(analogiquement avec l’agence de notation pour le marché financier) qui est

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celui de la réputation dont les mécanismes sont loin d’être transparents. Dans
cette ligne, « l’indicateur-clé » paraît être celle de « sphère d’influence ».
Parmi les notions les plus controversées, elle est celle qui appelle le plus de
vigilance et sollicite le plus l’entreprise comme unité active. Cette notion pose
en ce sens une question pérenne qui est celle des frontières de l’entreprise.
Question qui engage les dimensions essentielles assurant la viabilité et la
continuité de l’entreprise et de son organisation hic et nunc.
Le débat sur la sphère d’influence (présent dans le Global Compact
repris par ISO 26000) se concentre sur plusieurs thématiques : pour quels
événements survenant dans son environnement politique et social l’entreprise
peut-elle être tenue pour responsable ? Les entreprises sont-elles seulement
responsables à l’égard de leurs seuls employés et pendant le temps de travail,
ou également à l’égard de leurs familles, de leur formation et de leur retraite,
de leurs droits fondamentaux, ou encore à l’égard de tous les effets sur
l’environnement tout au long du cycle de production ? L’extension ou la
restriction dans l’interprétation de cette notion évolue donc selon un
continuum qui n’a rien d’homogène : traiter les externalités, transiger avec les
parties prenantes (lesquelles ?), degré d’implication dans la prise en charge des
spécificités locales, financement de projets… Dans tous les cas, il s’agit de
définir et redéfinir le périmètre de l’entreprise et d’affirmer ce à quoi
l’entreprise peut s’engager. Rendant possible par là l’intégration de la RSE à la
ligne opérationnelle (structure) et avec les valeurs et principes d’action de
l’entreprise (culture). Les indicateurs documentés et communiqués sont à cette
condition lisibles tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ils témoignent dès lors des
différentes formes de responsabilités de l’entreprise qui correspondent à ce
que l’on peut nommer de façon globale sa responsabilité éthique. L’entreprise
est un acteur économique inséré dans la cité et c’est à ce titre qu’elle doit
évaluer son impact, positif et négatif, sur son environnement. Il en découle un
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ensemble de responsabilités, définies dans un ouvrage récent :
- une responsabilité économique, qui concerne sa contribution à la
croissance via la fiscalité ;
- une responsabilité sociale par l’intégration de travailleurs locaux
dans de bonnes conditions ;
- une responsabilité sociétale par la minimalisation et la réparation des
dommages collatéraux sur l’environnement, et la contribution au
développement des compétences et à la santé du tissu socio-économique
local ;
- une responsabilité politique, enfin, par le respect de règles de bonne
gouvernance, la lutte contre la corruption et le refus d’être complice de
violations de droits de l’homme.

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Conclusion
Faute d’un référentiel univoque et universellement accepté auquel il
s’agit de se conformer (compliance) et d’une batterie d’indicateurs
universellement admis, le management, d’une entreprise dans un contexte
surtout mondialisé et globalisé, se doit de tenir ensemble la double exigence
de communication en interne et en externe. Cela sollicite fortement l’identité
de l’unité active qu’est une entreprise. Aucun tiers (agences de notation
sociétale…) ne peut se substituer au jugement prudentiel du management en
charge de l’entité concernée, qui, à ses propres risques, doit combiner les
indicateurs et pondérer les critères.
Les indicateurs sont des instruments de gestion très utiles à condition
de ne pas les ériger en fins. Il y a toujours lieu de préserver un jugement
discrétionnaire (qui est l’essence du management, bien plus que ne le sont les
indicateurs) et surtout de les manier avec prudence. Ils peuvent dans
beaucoup de cas aider à y voir plus clair dans une situation confuse, ils
peuvent aider à comprendre sinon à corriger les erreurs, mais ils ne ferment
jamais tout à fait les débats sur la performance. C’est chaque entreprise
utilisatrice qui aura le soin de composer indicateurs, critères et pondérations,
osant la méthode contradictoire du procès plutôt que la méthode linéaire de la
rhétorique « objectiviste ».
Un indicateur n’est pas censé dire le vrai et le faux ; il faut
l’accompagner d’un cadre interprétatif. En tirer les conséquences, c’est
s’astreindre à l’effort de véracité qui est l’attitude éthique la plus convenable
en la matière. La manière dont sont élaborés les indicateurs importe autant
que le contenu, dans la mesure même où leur communication interne et
externe affecte l’efficacité et l’efficience globale de l’entreprise. En fait, il
s’agit de documenter des indicateurs sans prétendre les rassembler en un seul
et même jugement. Ce processus perdra les illusions d’objectivité exhaustive,
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globale et en surplomb ; mais pourra, dès lors, devenir un processus
établissant les faits en laissant émerger la pluralité des valeurs derrière celle
des indicateurs. Mais, cette pluralité est l’expression de l’unité active qu’est
l’entreprise, c’est-à-dire qu’elle est l’expression d’une entité ayant défini sa
sphère d’influence.

Références
Renouard C. (2007), La responsabilité éthique des multinationales, PUF.

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