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cette hypothèse, largement discutés, ont été admis ou invalidés par des études
empiriques (Clarke, 1995 ; Ahluwalia, 1976).
Cette assertion peut être utilisée pour mettre en relief, à partir des approches
théoriques et des résultats empiriques contrastés, une relation non linéaire entre
l’accès au microcrédit et l’amélioration du bien-être, nous parlons ici de la
probabilité d’apparition d’un effet de seuil. Granovetter (1978) a développé la
théorie de seuil, en soulignant que le fait de disposer de deux alternatives et
d’être contraint de faire un choix, alors que les autres agents doivent au même
moment effectuer le leur, présente des avantages et des inconvénients. Le choix
d’une alternative sera celui où les coûts et les avantages pour l'agent de se
déterminer dépendra en partie de la manière dont les autres effectuent ce choix.
"The key concept is that a threshold: the number or proportion of others who must takes one
decision before a given actor does so; this is a point where net benefits begin to exceed net costs
for that particular actor" (Ibid., 2). L’effet de seuil se définit en mécanique
dynamique comme "le fait pour un système de voir ses performances varier
brutalement suite à l'accumulation de modifications minimes, conduisant à son
écroulement soudain"2. En économie de l’environnement, "un processus est dit
"à effet de seuil" quand il existe un niveau de perturbation, qualifié de seuil, en
dessous duquel la conséquence est proportionnelle à la perturbation, et au-delà
duquel les choses se mettent à évoluer de manière totalement différente".3 Ici, la
notion d’effet de seuil est abordée en termes de seuil d’impact et non en termes
de seuil de pauvreté, même si nous faisons référence explicitement aux pauvres.
La configuration de la microfinance aujourd’hui, notamment par certaines
expériences négatives, permet d’appréhender cette dimension de seuil dans la
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2
http://dictionnaire.phpmyvisites.net/definition-effet-de-seuil-12042.htm
3
http://www.cite-
sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/planete/portail/faq/reponse.php?id=31
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Le revenu de la femme désigne le revenu monétaire dont elle dispose à l’instant t pour
décider de sa consommation ou de son utilisation pour une activité de production ou pour
épargner. Le bien-être est considéré dans sa dimension économique, mais il peut s’agir aussi
de la dimension sociale, mentale… des femmes.
Elle peut être durable si le contexte du marché est porteur et dynamique. Ceci
n’est pourtant pas le cas de la plupart des marchés locaux, surtout en milieu
rural. Pendant cette première période, l’apport des femmes au revenu du
ménage ou au bien-être de la famille est valorisé. Toutefois, on peut supposer
que dans certains cas, des bénéficiaires sont confrontées à une sorte d’
"illusion". Après avoir constaté une augmentation de leurs revenus courants, à
la suite de l’accès au crédit (ou d’une hausse du montant du crédit), les
bénéficiaires peuvent croire à une augmentation durable de leur pouvoir
d’achat, et donc à une amélioration de leur bien-être, alors que cette
augmentation brutale ou progressive du revenu peut avoir un caractère
transitoire, notamment lorsque les prêts ne sont pas utilisés à bon escient. Par
conséquent, une deuxième phase (P2, c2, r2), qualifiée de stagnation, pourrait
intervenir. Elle se traduit par un plafonnement des bénéfices de l’activité et, par
la suite, les revenus ne varient plus. Cette situation est due à l’insatisfaction de
plusieurs conditions. Si cette situation perdure, après un temps de stagnation,
un déclin du revenu des femmes et de celui de leurs ménages respectifs (P3, c3,
r3) est constaté. Cette baisse du revenu est également la résultante d’une baisse
des bénéfices et d’une saturation du marché local. C’est la troisième phase, celle
d’une dégradation du bien-être économique des bénéficiaires, voire de leur
ménage. Ceci, à terme, pourrait jouer sur la dynamique de l’activité, le niveau de
remboursement des crédits et, par-delà, sur la survie de l’institution de
microfinance elle-même.
Figure 1 : Relation possible entre l’accès progressif au microcrédit et le bien-être
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Amélioration Dégradation
r2
r1, r3
P1 P2 P3 Périodes
c1 c2 c3 microcrédit
L’interprétation de cette analyse théorique suggère qu’il peut exister un effet de
seuil, un seuil au-delà duquel, si rien n’est fait, l’accès progressif aux services
microfinanciers se traduit inexorablement par la baisse des revenus des
bénéficiaires et par la dégradation de leur bien-être économique. Cette
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Selon Marek Hudon, dans son intervention lors du séminaire Éthique et microfinance à
Lille, il existerait un taux d’intérêt en dessous duquel chaque institution ne serait plus prête
à octroyer du crédit et se retirerait du marché. Ce taux d’intérêt de réserve tient compte des
coûts de transactions, du coût du capital, du risque encouru et des subventions.
dissimule des pièges dangereux. Bien que cette croissance permette de tirer
avantage des économies d'échelle, elle peut causer des problèmes si l'évaluation
et la supervision des systèmes ne sont pas mises en place, et si le suivi du
bénéficiaire dans l’utilisation du crédit n’est pas assuré. Généralement, la plupart
des institutions de microfinance, après analyse sommaire du projet d’activités
du prétendant au crédit, accorde le prêt. À partir de cet instant, des institutions
se retirent du suivi de leurs membres (clients) en avançant qu'elles ne sont plus
responsables de l’utilisation qui sera faite du crédit octroyé. Seul importe le
remboursement des prêts, quelle qu’en soit la manière. C’est ainsi que de
nombreuses bénéficiaires, sans véritable expérience et sans formation préalable,
sont laissées à elles-mêmes. Cette absence d’accompagnement durant la durée
du prêt constitue un facteur aggravant et supplémentaire de l’effondrement de
l’activité du bénéficiaire et, par la suite, de son portefeuille de prêt.
En plus de ces facteurs institutionnels, l’apparition d’effets pervers peut être liée
aux contextes socio-économiques des bénéficiaires, en particulier à leur profil
socio-économique.
de leur mari (ou d’autres personnes plus âgées de leur foyer), de participer aux
sessions de formation et de remboursement ou exercer des activités
économiques. En tant qu’adhérentes, 47,5% des femmes disposent de plus de
liberté de décider de leur temps et espace. 52,5% des femmes ne peuvent
toujours pas décider seules.
habillement et en nourriture) que des problèmes de remboursement des prêts. Ces problèmes
ont fait que j’ai même été appelée à la police et au tribunal afin de pouvoir rembourser le prêt.
Cela constitue une bassesse pour moi dans la communauté."
Une quatrième femme affirme "Un des problèmes de la caisse a été qu’ils ont prêté de
l’argent aux femmes sans analyser au préalable leur capacité de remboursement. Ce qui a fait
que de nombreuses femmes ont fui en laissant leurs enfants et leur foyer derrière elles. Moi je
n’ai pas voulu ça car j’assume mes responsabilités. Donc pour moi, au lieu de lutter contre la
pauvreté, comme cela avait été dit, la caisse est venue aggraver nos problèmes déjà existants."
Ces témoignages mettent en perspective les retombées négatives directes et
indirectes de la participation au programme. Au-delà du facteur "arrêt du train
voyageur" qui a fortement contribué à la baisse de l’activité économique dans la
zone, plusieurs femmes ont déclaré avoir fait face à des cas de décès d’un
proche, de maladies plus ou moins graves ou de vol de marchandises. Elles ont
utilisé le prêt pour répondre à ces besoins. Cette mauvaise utilisation (si l’on
peut la qualifier ainsi) a eu des conséquences négatives sur le dispositif de
remboursement des crédits. Les résultats sur l’empowerment montrent que l’accès
des femmes aux services microfinanciers a permis, selon elles, d’améliorer leur
position au niveau de la sphère privée et même publique. Au contraire, les
résultats sur le bien-être économique révèlent une dégradation, notamment au
cours de la troisième période. Cette contradiction peut s’expliquer par le
caractère transitoire ou durable des positions économiques et statutaires.
CONCLUSION
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de bien-être des bénéficiaires après des débuts encourageants, elle serait donc
source de grandes désillusions pour de nombreux bénéficiaires féminins.
L’amélioration de ces facteurs peut, en partie, permettre de réduire l’apparition
d’effets pervers, notamment à travers l’accompagnement de certains
bénéficiaires, si l’objectif est de contribuer à la réduction de la pauvreté. Même
s’il est vrai que cet accompagnement a un coût, dans la mesure où tous les
bénéficiaires n’en ont pas besoin, il pourrait être supporté en le diluant à travers
différents types de services. À long terme, ce coût peut être compensé par les
gains de production obtenus, grâce à la réussite de ces femmes.
L’analyse présentée repose sur le cas restreint d’un échantillon de femmes
bénéficiaires des services microfinanciers de Nyèsigiso. De ce fait, les résultats
ne doivent pas être extrapolés. L’allure du cycle d’impacts des services de
microfinance présenté est une forme simpliste approchant la trajectoire de l’état
de bien-être de ces femmes. Il convient de rappeler que la forme théorique de la
courbe n’est ni unique ni figée et qu’il pourrait exister plusieurs seuils compte
tenu de la diversité de trajectoire de l’impact de la microfinance sur le bien-être.
À ce niveau, il est nécessaire de considérer cette contribution comme une
première étape dans une analyse plus fine de l’apparition d’effet de seuil en
microfinance, et donc de cette relation non linéaire entre accès aux services
microfinanciers et amélioration du bien-être des bénéficiaires. L’utilisation de
données d’enquêtes plus spécifiques pour déterminer ce phénomène peut
permettre de comprendre, voire de valider, une partie des résultats obtenus.
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