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Jakob Svensson
Dans Revue d'économie du développement 2006/2 (Vol. 14), pages 43 à 68
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1245-4060
ISBN 280415128X
DOI 10.3917/edd.202.0043
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 28/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 154.66.162.26)
Jakob Svensson 1
Stockholm University
Comment expliquer le comportement des donateurs et des receveurs ? Dans cet article, j’apporte
certains éléments de réponse en examinant les problèmes d’incitation des donateurs et des béné-
ficiaires. Certaines de ces contraintes, telles que la multiplicité des objectifs, les difficultés de mesure
des résultats ou de performance, et le manque d’incitation à être performant, sont communes à
la plupart des agences publiques, mais se posent avec une acuité particulière pour les organismes
d’aide. Plus important, le secteur de l’aide étrangère se distingue par certains traits caractéristi-
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Why do donors and recipients act the way they do? In this paper I provide some partial answers by
discussing some of the key incentive constraints facing donors and recipients. Some of these in-
centive constraints, like multiple objectives, difficulties in measuring output or outcomes, and weak
performance incentives, are problems most public agencies face, although they are often more
pronounced in donor agencies. More importantly, there are features that are unique to the foreign
aid sector, including multiple agents (donors) and a weak or broken information/accountability
feedback loop between beneficiaries (in the recipient country) and voters and politicians (in the
donor country). The donor agencies’ incentives also influence the recipients’ behavior, and their
ability to use aid productively. This paper will discuss the incentive problems in disbursing and
absorbing aid and how they interact in determining the efficiency of foreign aid. In so doing, it
will mostly highlight problems, but to some extent also discuss ways forward.
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44 Jakob Svensson
1 INTRODUCTION
Par de nombreux aspects, les agences d’aide sont semblables aux autres orga-
nisations publiques dans la mesure où elles partagent les problèmes d’incita-
tion inhérents au secteur public. Ces contraintes incluent la multiplicité des
objectifs ; les difficultés de mesure de résultat et de performance ; et de faibles
incitations à être performant. Toutefois, ces caractéristiques institutionnelles
sont souvent plus marquées dans le domaine de l’aide étrangère. De surcroît,
ce secteur présente certaines spécificités qui le rendent particulièrement sujet
aux distorsions d’incitation. Ces traits distinctifs comprennent la multiplicité
des principaux (donateurs), et une boucle informationnelle (de responsabilité)
rompue entre les donateurs et les bénéficiaires.
Pourquoi les donateurs et les bénéficiaires agissent-ils de la sorte ? Cet ar-
ticle tente d’apporter des éléments de réponse en examinant les problèmes
d’incitation susmentionnés. Le point central de l’article porte sur la nécessité
d’étudier les questions d’incitation pour comprendre le comportement des do-
nateurs et des bénéficiaires, bien que d’autres facteurs influencent la manière
dont l’aide est décaissée et utilisée. Afin d’accroître l’efficacité de l’aide, ces
problèmes doivent être, au moins en partie, surmontés.
L’article s’articule comme suit. Dans la section 2, je m’intéresse aux impli-
cations de la rupture de la boucle informationnelle (de responsabilité). Je sou-
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Comme la plupart des organismes du secteur public, les agences d’aide font face
à divers problèmes d’incitation qui influencent leur comportement, ainsi que
leurs priorités. La théorie de l’agence des administrations publiques a mis en
avant trois contraintes principales :
1) la multiplicité des objectifs ;
2) les difficultés de mesure de résultat et de performance ;
3) le manque d’incitation à être performant.
Comme je l’ai déjà souligné, bien que ces caractéristiques institutionnelles
soient communes dans le secteur public, elles sont souvent exacerbées dans
les agences d’aide. Toutefois, ces organismes se distinguent des autres organi-
sations du secteur public de manière importante. Tout particulièrement, les
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informés des programmes mis en œuvre dans leur intérêt. D’autre part, en tant
que citoyens, ils peuvent rendre leurs représentants responsables de leur action
en sanctionnant les gouvernants peu compétents.
Concernant l’aide étrangère, la séparation géographique et politique entre
les bénéficiaires (les consommateurs du pays receveur) et les donneurs (les
citoyens du pays donateur) limite fortement ces deux mécanismes. Les citoyens
du pays donateur ne connaissent pas les programmes financés par les agences
d’aide. De plus, il est très coûteux, pour les contribuables du pays donateur,
d’obtenir une information fiable quant aux résultats des programmes qu’ils
financent. D’autre part, les bénéficiaires ne sont pas les électeurs du pays qui
fournit l’aide et ils n’ont par conséquent aucun moyen de pression sur les déci-
deurs politiques qui approuvent ces programmes (Martens et al., 2002).
La rupture de la boucle informationnelle (de responsabilité) exacerbe les
problèmes liés à la multiplicité des objectifs, aux difficultés de mesure de
résultat et de performance, et au manque d’incitation à être performant. Cela
affecte aussi bien les donateurs que les bénéficiaires. De surcroît, cela engen-
dre de nouveaux problèmes d’incitation. Tout particulièrement, bien que de
nombreux agents – aussi bien dans le pays receveur que dans le pays donateur
– doivent assurer l’efficacité et la soutenabilité de l’aide, aucun n’est réellement
responsable (Ostrom et al., 2002). Il en résulte de nombreuses distorsions des
incitations.
Par exemple, les électeurs du pays donateur ne tirent aucun bénéfice direct
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et al., 2002). Les cabinets de conseil, les experts et les prestataires de biens
sont des bénéficiaires directs de l’aide (via les rémunérations contractuelles)
et disposent d’un moyen de pression direct sur les décideurs politiques du pays
donateur. Par conséquent, ils exercent une influence disproportionnée sur la
conception et la mise en œuvre des programmes d’aide. Les études transversa-
les sur les déterminants de l’allocation de l’aide apportent une preuve indirec-
te de ce biais. Par exemple, Alesina et Dollar (2000) et Collier et Dollar (2002)
montrent que près de la moitié de l’aide étrangère des pays de l’OCDE n’est
pas allouée en vue de réduire la pauvreté.
La rupture de la boucle informationnelle (de responsabilité) induit égale-
ment une plus grande influence des médias sur les programmes d’aide que sur
les projets nationaux. Etant donné que les électeurs ne connaissent pas ou très
peu l’aide étrangère, les médias sont l’unique source d’information. La presse
étant à l’affût des sujets médiatiques, cela introduit un biais dans la politique
d’aide. Certains travaux empiriques mettent en évidence cet effet. Eisensee et
Stromberg (2005) montrent que l’aide américaine aux victimes de catastro-
phes dépend dans une large mesure de l’occurrence d’autres événements média-
tiques lors de la catastrophe et non des besoins des victimes. Selon les auteurs,
les décisions d’aide sont guidées par la couverture médiatique des catastro-
phes, laquelle est évincée par de nouveaux sujets médiatiques. Les catastrophes
étant plus ou moins médiatiques, certains désastres, tels que les tremblements
de terre reçoivent beaucoup d’attention, au contraire des famines. Eisensee et
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2.1.1. L’Ouganda
Le premier PETS fut mis en place au milieu des années 1990. En effet, les rap-
ports officiels n’indiquaient aucune amélioration de la scolarisation primaire
alors que les dépenses d’éducation avaient considérablement augmenté. Plus
précisément, l’hypothèse consistait à penser que la fourniture de services,
approximée par le taux de scolarisation primaire, était plus mauvaise que ne
l’impliquaient les allocations budgétaires en raison de la capture des fonds pu-
blics (par les hommes politiques locaux et les fonctionnaires) lesquels ne par-
venaient pas aux infrastructures auxquelles ils étaient destinés (les écoles).
Afin de tester cette hypothèse, une étude fut réalisée sur 250 écoles primaires
tirées de manière aléatoire. L’étude comportait des données sur cinq ans con-
cernant les dépenses (y compris les transferts en nature), les résultats et les
caractéristiques des prestataires. Ces données furent ensuite reliées aux don-
nées d’enquêtes réalisées sur 18 gouvernements locaux (districts) et aux données
relatives aux déboursements détaillés de trois ministères du gouvernement
central (Reinikka et Svensson, 2004).
Ce type de programme – une dotation par capitation pour couvrir les dépen-
ses non salariales des écoles – est assez répandu dans les pays en développe-
ment. Comme beaucoup d’autres programmes de dépenses destinés aux pays
fortement dépendants de l’aide, il fut en grande partie financé par les fonds des
donateurs. Dans le cadre d’un plan d’ajustement structurel, la Banque Mon-
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les donateurs n’avaient pas la moindre idée (et ne firent pas grand-chose pour
se renseigner) de l’impact de ce dernier : les écoles recevaient-elles les fonds et
cela permettait-il d’améliorer la situation scolaire ? En réalité, les principaux
bénéficiaires de ce programme furent les officiels locaux et les politiques. Comme
le soulignent Ostrom et al. (2002), ce manque de connaissance de la réalité de
terrain est courant. Lorsque les donateurs ou le personnel ne sont pas respon-
sables de la performance, ils se concentrent sur d’autres tâches. Deuxièmement,
les bénéficiaires (les parents) ne disposaient d’aucune information concernant
le programme – la plupart ne connaissaient probablement pas son existence – ce
qui facilitait le détournement de fonds par les officiels et les hommes politiques
locaux.
4 Dans Reinikka et Svensson (2005a), nous montrons que l’accès de la population à l’infor-
mation peut réduire considérablement les détournements de fonds au niveau local.
Nous indiquons que les directeurs d’écoles proches d’un point de vente de journaux sont
plus au fait des règles régissant le programme et de la date des décaissements de fonds
par le gouvernement central. Ces écoles sont également parvenues à obtenir une part
plus importante de leurs droits une fois que la campagne d’information fut lancée.
Capacité d’absorption et contraintes de décaissement 51
2.1.2. La Tanzanie
Le Plan de Développement de l’Education Primaire (PDEP) débuta en 2002 en
collaboration avec le gouvernement de Tanzanie, divers donateurs bilatéraux,
et la Banque Mondiale. Le programme comprend trois volets : une dotation
par capitation versée sous forme monétaire et en nature (manuels scolaires) ;
un don de développement pour les investissements et un don pour les dépenses
de fonctionnement.
Une enquête de suivi des dépenses publiques sur le PDEP fut mise en place
en 2003-2004 (Voir Tungodden pour les détails). Par de nombreux aspects, les
résultats sont semblables à ceux observés dans le cas ougandais. Par exemple,
la communauté de l’aide manquait d’information sur l’impact du programme.
De manière plus frappante, les donateurs ne savaient pas que le programme
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5 La solution ne consiste pas à définir un objectif très large et général qui englobe pres-
que tout. Le problème est plus profond.
Capacité d’absorption et contraintes de décaissement 53
tâches sur un même laps de temps, les fonctionnaires auront tendance à privi-
légier les objectifs satisfaisant leurs ambitions carriéristes ou nécessitant le
moins d’effort. Dans la mesure où certaines tâches sont plus facilement con-
trôlables (telles que les activités d’input comme le budget, les achats, le recru-
tement des consultants), ces dernières recevront une attention disproportionnée
aux dépens des tâches plus difficilement contrôlables (par exemple, l’effort
consenti dans la mise en place d’un projet). Ainsi, la rupture de la boucle de
performance, la complexité de la mesure de la performance, et le fait que les
promotions ne soient souvent pas liées à la performance des projets anté-
rieurs, entraînent un intérêt disproportionné pour les activités d’input aux dé-
pens de l’attention accordée à la qualité des résultats, à savoir le véritable impact
des programmes d’aide (Martens et al., 2002).
Résoudre ce problème n’est pas évident. Premièrement, les objectifs étant
multiples, il est plus difficile d’établir, ou de se mettre d’accord sur des con-
trats de performance, tout particulièrement si certains buts sont plus difficiles
à mesurer ou à mettre en œuvre que d’autres. Deuxièmement, même si l’on
surmonte cette difficulté, un tel contrat implique que les salaires ou les promo-
tions soient liés à la performance des projets/programmes d’aide – un mode de
rémunération très éloigné du système traditionnel de la fonction publique de
la plupart des pays donateurs 6. Les actions visant à rétablir la boucle informa-
tionnelle (de responsabilité), telle que la mise en place d’une évaluation for-
melle des programmes d’aide, peuvent atténuer ce problème.
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6 Ostrom et al. (2002) indiquent que seulement 2 % des personnes interrogées à Sida
affirment que les promotions sont liées à la performance des projets pour lesquels les
agents ont travaillé par le passé.
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Même dans le cas d’une tâche unique, des problèmes d’incitation dans
l’agence d’aide attisent l’intérêt pour l’affectation et la dépense des budgets plu-
tôt que pour les résultats. Dans la plupart des organismes d’aide, il est courant
de séparer les décisions d’allocation et de déboursement 7. Alors que le proces-
sus d’allocation est centralisé (dans de nombreux pays, les directives générales
et les allocations aux pays sont établies par le parlement), les décisions relatives
aux déboursements sont décentralisées (c’est-à-dire spécifiques au pays ou au
projet). Ce schéma est également valable pour l’aide projet. La planification et
la mise en œuvre d’un projet vont de pair avec un engagement des fonds pour ce
projet. Vient ensuite la décision de déboursement (des fonds affectés).
Ce schéma institutionnel a engendré un biais important consistant à « tou-
jours » débourser les fonds alloués ex ante au bénéficiaire ou au projet, quelle
que soit la performance du gouvernement receveur, ou du projet, et les condi-
tions dans les autres pays bénéficiaires (projets) potentiels. Ainsi, les fonds ne
sont pas affectés aux pays ou projets où ils pourraient être le plus efficaces et
les « menaces » ex ante de ne pas débourser l’aide promise si le bénéficiaire ne
suit pas certaines politiques ne sont pas crédibles. Ce biais, à son tour, résulte
du faible coût d’opportunité d’un montant d’aide (ou d’un prêt d’ajustement)
pour le donateur.
Pourquoi le coût d’opportunité est-il faible ? Les études des agences d’aide
bilatérales affirment, qu’en pratique, « dépenser le budget » est devenu un
objectif central en soi (Paldam, 1997 ; Edgren, 1996), du fait de la multiplicité
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Les évaluations des prêts de la Banque Mondiale ont révélé des problèmes
d’incitation similaires. Mosley et al. (1995) affirment que les fonctionnaires de
la Banque Mondiale subissent d’importantes pressions pour respecter les four-
chettes de déboursement du pays bien que la performance future du gouver-
nement ne soit pas garantie. Outre l’argument de « maximisation du budget »,
les auteurs soulignent le problème de coordination/passager clandestin ; sa-
chant que les autres pays n’ont pas été inquiétés, le personnel de la Banque
sait qu’il ne sera pas financièrement intéressant de montrer l’exemple en re-
fusant de verser les fonds affectés à un pays ne respectant pas les conditions.
De plus, l’application de la conditionnalité peut entrer en conflit avec les autres
objectifs de la Banque, tels que le décaissement rapide de fonds afin d’éviter
un défaut de paiement 9.
Une fois encore, les incitations des donateurs influencent le comporte-
ment des pays receveurs. Lorsque l’assistance est fournie sous forme d’aide
conditionnelle, cela implique que les donateurs paient le bénéficiaire pour qu’il
entreprenne une réforme qu’il n’aurait pas faite le cas échéant. Pour que ce
contrat soit crédible, le donateur doit être incité ex ante à interrompre les
déboursements si les conditions ne sont pas respectées. Cependant, si le véri-
table objectif du donateur consiste à dépenser son budget, et non à assurer la
performance du projet/programme, un tel contrat ne sera pas crédible. En
effet, l’aide sera versée quelque soit le comportement du pays receveur. Cela
incitera par conséquent le bénéficiaire à ne pas respecter le contrat défini
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Notes : Les écarts-types sont reportés entre parenthèses. Toutes les variables, ex-
ceptée la constante (c), sont significatives au seuil de 5 %. 220 observations (épi-
sodes de réforme). Prédictabilité (p > .05) = .75. Log de vraissemblance: -119.8.
Source : Svensson (2003)
11 sfti représente la part des fonds engagés réellement déboursée au cours de la période de
réforme.
12 sfwbi représente la part des engagements de la Banque Mondiale déboursée durant la
période de réforme.
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non telle qu’elle devrait fonctionner. Par conséquent, on ne peut trouver aucu-
ne corrélation significative entre les flux d’aide et les réformes politiques.
Plus important, la réforme institutionnelle précédemment avancée concerne la
structure incitative de l’organisme d’aide. Même si les réformes politiques dé-
pendent uniquement des forces politico-économiques nationales et en aucun cas
de l’assistance étrangère, relier les décisions d’allocation et de déboursement
permettra d’inciter le donateur à allouer/débourser l’aide de manière efficace.
Une question demeure : pourquoi la communauté de l’aide ne relie-t-elle
pas les décisions d’allocation et de déboursement si cela permet d’améliorer
les résultats ? Une explication consiste à penser que le coût potentiel semble
très élevé (par exemple le coût lié au risque politique engendré par la concur-
rence entre les pays ou les projets). Cependant, le niveau de concurrence entre
les pays, et par conséquent le coût potentiel, peuvent être maîtrisés en faisant
varier la part d’aide déboursée sur la base d’un « tournoi ». De plus, le pro-
blème est beaucoup moins préoccupant pour l’aide projet. Le changement des
rapports de force au sein de la communauté de l’aide induit par une telle ré-
forme fournit une explication plus plausible. En particulier, cette réforme
réduirait le pouvoir discrétionnaire des directeurs en charge des débourse-
ments. De surcroît, en rendant le coût d’opportunité explicite dans le proces-
sus de décision, la direction devrait faire des choix plus « drastiques ». Les
groupes d’intérêt du pays bénéficiaire (les firmes nationales, les ONG), et par-
fois le gouvernement, pourraient également s’opposer à un tel changement
institutionnel qui rendrait les flux d’aide conditionnels à la performance, et non
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Une autre caractéristique distingue l’aide étrangère des services financés natio-
nalement : elle concerne non pas une mais de multiples agences. Lorsque les
donateurs ne sont pas parfaitement coordonnés, de sévères problèmes d’action
collective surviennent. Le succès du Plan Marshall permet un parallèle inté-
ressant (voir Knack et Rahman, 2004).
On a estimé que le succès relatif du Plan Marshall tenait aux caractéristi-
ques des bénéficiaires. Contrairement à la plupart des receveurs de l’aide
étrangère des dernières décennies, l’Europe occidentale présentait un avan-
tage indéniable pour utiliser l’aide efficacement. Elle disposait d’une main-
d’œuvre qualifiée, de directeurs et d’entrepreneurs expérimentés, ainsi que
d’institutions financières et juridiques relativement efficaces. Les administra-
tions publiques étaient également relativement compétentes. Cependant, les
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Le second type de coûts tient au fait que, dans la plupart des cas, les pro-
jets d’aide présentent des coûts fixes élevés et d’importants rendements d’échel-
le. Si chaque donateur se concentre sur ses propres projets, ces rendements
d’échelle ne seront pas exploités.
La troisième catégorie de coûts est moins évidente, dans la mesure où elle
concerne les possibilités financières et l’aptitude à gouverner du pays bénéfi-
ciaire (Knack et Rahman, 2004). Premièrement, les donateurs ont tendance à
soutenir l’aide projet – en travaillant avec les ministères, ou en engageant les
prestataires des gouvernements locaux et en finançant directement des pres-
tataires de première ligne (écoles et cliniques) – plutôt que le soutien budgé-
taire. Bien que cela évolue lentement et que le soutien budgétaire présente ses
propres inconvénients, cette solution, qui est censée être appropriée en raison
d’institutions et de compétences administratives inadéquates dans le pays
receveur, tient également au fait que chaque donateur internalise totalement
les coûts et bénéfices individuels d’un projet mais n’internalise pas le concept
plus flou de consolidation des systèmes financier, budgétaire et de la fourni-
ture de services tel que le permet le soutien budgétaire.
Deuxièmement, les donateurs ont tendance à ne soutenir que les dépenses
en capital (investissements), espérant ainsi que le gouvernement du pays rece-
veur assurera la fourniture des inputs complémentaires (personnel et entre-
tien). Chaque donneur considère le budget consacré aux dépenses récurrentes
comme des ressources communes (Brautigam, 2000), créant ainsi une tragédie
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13 L’appropriation devient problématique lorsque les donateurs financent des projets qui
n’intéressent pas les gouvernements receveurs. Si ce projet n’initie pas une nouvelle
approche, ou qu’il n’est pas spécifiquement conçu pour faire face à une situation parti-
culière, une telle pratique entre en contradiction avec l’appropriation et ne peut être
viable (Banque Mondiale, 2003).
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les salaires versés par les donateurs a un effet net positif sur le développement,
et ce malgré l’impact nocif sur le fonctionnement du gouvernement (Knack et
Rahman, 2004). Cependant, cela suggère également que des bénéfices identi-
ques pourraient être obtenus sans affecter la capacité du gouvernement à éla-
borer et à mettre en œuvre sa propre politique.
La priorité actuelle au soutien budgétaire est perçue par beaucoup comme
le moyen de réduire les coûts de transaction et d’inciter les donateurs et les
bénéficiaires à s’intéresser au renforcement des systèmes financier, budgétaire
et de fourniture de services publics.
Les arrangements institutionnels, tels que le choix d’un donateur domi-
nant pour un pays ou un secteur, afin que les donateurs internalisent pleine-
ment les coûts et les bénéfices du projet ou programme d’aide, pourraient être
une solution. Mais ces changements institutionnels risquent de se heurter à
un problème de faisabilité politique. Il existe également des initiatives visant
à améliorer en partie la coordination des donateurs. Ainsi, l’harmonisation des
politiques opérationnelles et des procédures, ainsi que la mise en place d’un
site Web diffusant l’information sur le travail réalisé et planifié des pays, visent
à réduire les coûts de transaction. Une évaluation de l’impact de ces initiatives
sur les résultats serait fort enrichissante.
6 LE DILEMME DE L’AIDE
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14 Fisher (2001) fournit un exemple repris par Ostrom (2002). Il s’agit d’une interview
d’un chef des rebelles Nuba de passage au Sud Liban dans une zone ayant reçu une aide
alimentaire conséquente de la part des Nations Unies. Le chef des rebelles explique que
bien que les gens de cette zone soient de grands agriculteurs, ils n’ont plus cultivé suite
à l’aide d’urgence.
Capacité d’absorption et contraintes de décaissement 65
7 CONCLUSION
Dans cet article, j’ai souligné les principaux problèmes d’incitation rencontrés
par les donateurs et les bénéficiaires. Certains de ces problèmes, tels que la mul-
tiplicité des objectifs, les difficultés de mesure de résultats et de performance,
66 Jakob Svensson
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