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Quels financements pour l’entrepreneuriat féminin à

Madagascar ?
Lovanirina Ramboarison-Lalao
Dans Entreprendre & Innover 2015/2 (n° 25), pages 35 à 48
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 2034-7634
ISBN 9782807300835
DOI 10.3917/entin.025.0035
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Quels financements
pour l’entrepreneuriat
féminin à Madagascar ?
> Lovanirina Ramboarison-Lalao 1

Résumé

L’entrepreneuriat féminin revêt une importance grandissante pour le développement du Grand continent
noir. Mais la problématique de son financement se pose avec acuité dans de nombreux pays africains, carac­
térisés par une culture patriarcale et une situation socioéconomique précaire, à l’instar de ce qu’on observe
à Madagascar. Si la microfinance, instaurée dans la Grande Ile depuis près d’une vingtaine d’années, apparaît
comme un nouveau mode de financement prometteur, beaucoup de défis rester à relever.
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Les points forts
• L ’entrepreneuriat féminin peut être un levier pour le développement de
Madagascar dans le cadre des Objectifs du nouveau Millénaire pour le
Développement (OMD).
• L e financement reste toutefois une problématique majeure, en particulier
pour les entrepreneures ayant un faible niveau d’éducation, notamment en
milieu rural.
• L es fonds propres et les emprunts informels restent aujourd’hui la
principale source de financement. Plusieurs barrières d’ordre culturel et
socioéconomique limitent l’accès aux sources de financement alternatives.
Il reste par exemple beaucoup reste à faire pour la vulgarisation de la
microfinance.

1 L’auteur tient à remercier le Dr Ida Rajaonera, DGA de l’INSTAT de Madagascar, pour la mise à disposition des données
exploitées dans cet article.

Entreprendre & Innover / Novembre 2015 / 35


Financement des entreprises innovantes, vol. 2 (25), 2015
Dossier : Quels financements pour l’entrepreneuriat féminin à Madagascar ?

«N os pays ont tout à y gagner ! Les


femmes sont une force écono­
mique qui doit être mobilisée. Elles créent
Ce travail apporte un éclairage sur les
femmes entrepreneures malgaches et
sur les différents types de financement
des petites entreprises qui génèrent qu’elles peuvent solliciter, et analyse le
de l’emploi et renforcent le tissu socio­ rôle de la microfinance en milieu rural et
économique de nos pays. Elles font preuve urbain dans la promotion de l’entrepre­
d’innovation. Il s’agit donc de leur donner neuriat féminin.
l’appui nécessaire à leur épanouissement
professionnel »2. Ces propos d’un respon­ Qui sont les femmes
sable de la Commission de l’Océan Indien entrepreneures malgaches ?
soulignent l’importance stratégique gran­
dissante que peut jouer l’entrepreneuriat Pour mieux cerner l’enjeu stratégique du
féminin dans un pays en développement financement de l’entrepreneuriat féminin
comme Madagascar. à Madagascar, nous éclairons le contexte
lié à notre problématique en proposant
L’entrepreneuriat féminin est relativement
une catégorisation duale des femmes
peu connu du grand public à Madagascar.
entrepreneures malgaches et en analy­
Pourtant, la 49ie session ordinaire des
sant les incidences de cette segmentation
Nations Unies sur la condition de la femme
sur l’accès aux financements.
qui s’est tenue à New York en 2005 s’est
donnée pour objectif d’atteindre l’égalité
Ű Ű L’enjeu majeur de la dynamique
effective hommes-femmes dans le monde
en 20153. Sachant que cet Objectif du
entrepreneuriale
Millénaire pour le Développement OMD Madagascar est connu pour sa grande
N°3 ratifié par Madagascar vise en parti­ richesse en matière de ressources
culier l’égalité des sexes et l’autonomisa­ humaines, minières et de biodiversité. La
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tion des femmes dans cette perspective, Grande Ile a connu plusieurs crises poli­
le nouveau Gouvernement malgache tiques depuis l’avènement du nouveau mil­
mise sur l’entrepreneuriat, notamment lénaire. Le taux de croissance de 2 %, atteint
féminin, pour dynamiser la relance écono­ par la Grande Ile en 2012 selon les estima­
mique. tions de l’Institut National de la Statistique
(INSTAT), est très en-dessous des 10 % assi­
En 2014, l’Observatoire de l’Entrepre­
gnés dans le cadre des huit Objectifs du
neuriat (ODE) a vu le jour. Malgré cette
Millénaire pour le Développement (OMD)
nouvelle donne, le financement des
fixés par les Nations Unies. Ces huit objec­
initiatives entrepreneuriales reste une
tifs étaient de réduire l’extrême pauvreté et
problématique majeure, s’agissant en par­
la faim ; d’assurer une éducation primaire
ticulier des femmes entrepreneures qui se
pour tous ; de promouvoir l’égalité des
heurtent à de nombreuses barrières dans
sexes et l’autonomisation des femmes ; de
un contexte économique précaire où la
réduire la mortalité infantile ; d’améliorer
culture gérontocratique prédomine.
la santé maternelle ; de combattre le VIH/
SIDA, le paludisme et d’autres maladies ;
2 Ces propos ont été rapportés par Seenayen, J., (2014),
“Madagascar : placer l’entrepreneuriat féminin au centre
d’assurer un environnement durable ; de
de la stratégie économique », Business Magazine N°1127. mettre en place un environnement mon­
3 Source : http://www.un.org dial pour le développement.

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Lovanirina Ramboarison-Lalao

Les 22 millions d’habitants de Madagascar Le tableau 1 ci-dessous illustre la part


constituent un melting-pot de 18 eth­ très importante des entreprises indivi­
nies. Environ 90 % de la population vit duelles créées à Madagascar (89,5 %) et
aujourd’hui avec moins de 2$ par jour, leur contribution majeure au développe­
pour un salaire minimum mensuel proche ment économique. Les mêmes données
de 40 euros. Située au coeur de l’Océan montrent que les hommes exercent en
Indien, Madagascar fait partie des pays majorité ces activités indépendantes.
africains en développement, avec un Indice Toutefois, force est de constater que la
de Développement Humain (IDH) de 0,533 participation féminine est non négli­
contre 0,493 pour l’Afrique Subsaharienne, geable avec un taux de 38 % des femmes
0,916 pour les pays de l’OCDE et 0,743 qui accèdent à ce statut.
pour le monde entier (RNDH, PNUD 2010).
Dans le secteur non agricole, l’enquête
Selon l’enquête INSTAT/ENSOMD 2012‑ INSTAT/ENSOMD (2012-2013) montre par
20134, 49 % des actifs occupés en 2012 ailleurs que 37,5 % des ménages dirigés par
exercent à Madagascar des emplois indé­ des hommes contre 35,6 % des ménages
pendants (47,3 % en milieu urbain et dirigés par des femmes, possèdent une
49,4 % en milieu rural). Autrement dit, entreprise non agricole. Le tableau 2 ci-
près de la moitié de l’économie malgache dessous illustre la répartition sectorielle
repose sur la dynamique entrepreneuriale. genrée de ces entreprises.

Forme juridique 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
AUTRES 14 95 139 127 147 160 536 1 367 800
EI 2 186 14 785 9 606 11 852 8 289 9 147 14 570 13 501 16 250
EURL 43 274 315 333 252 279 245 235 364
SA 4 27 14 26 32 19 12 14 89
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SARL 121 803 841 900 497 572 548 469 781
Total 2 368 15 984 10 915 13 238 9 217 10 177 15 911 15 586 18 284
Source : INSTAT, 2013.
Tableau 1 : Création d’entreprises de 2005 à 2013

Branche Autres Arts et activités


Primaire Industrie Commerce Transport Total
d’activité services culturelles
Milieu de résidence
Urbain 9,2 23,7 50,9 4,2 11,7 0,4 100
Rural 30,1 30,4 32,6 1,9 4,6 0,5 100
Genre du chef de ménage
Masculin 27,3 28,3 35,2 2,8 5,9 0,5 100
Féminin 18,1 31,1 42,4 0,9 7,4 0,1 100
Ensemble 25,4 28,9 36,7 2,4 6,2 0,4 100
Source : INSTAT/ENSOMD 2012-2013.
Tableau 2 : Structure genrée des entreprises non agricoles dirigées par les ménages
4 Enquête Nationale du Suivi des Objectifs du Nouveau
Millénaire à Madagascar, réalisée de septembre 2012 à
Novembre 2013 par l’INSTAT.

Entreprendre & Innover / Novembre 2015 / 37


Dossier : Quels financements pour l’entrepreneuriat féminin à Madagascar ?

Ű Ű Structure duale et disparités dans l’événementiel. Nommée prési­


d’accès aux financements dente des Femmes Entre­ preneures à
Madagascar (FEM) puis administratrice
Comme partout ailleurs, plusieurs profils
du Congress of Black Women en 2004,
de femmes entrepreneures cohabitent à
elle se présente à l’élection présidentielle
Madagascar. Si le profil-type de la femme
malgache en 2006 et devient ministre de
entrepreneure malgache n’existe pas,
la Culture par la suite. Sylvia Pagès, fille
une dualité de typologie, présente dans
de l’ancien maire de la grande ville por­
de nombreux pays en développement
tuaire de Majunga, est une autre figure
notamment africains, se retrouve toute­
emblématique de l’entrepreneuriat fémi­
fois dans la Grande Ile. Les activités dans
nin à Madagascar. Elle a commencé sa
lesquelles les entrepreneures malgaches
carrière d’entrepreneure à 24 ans en
sont engagées permettent en effet de
s’impliquant en tant qu’antenne du FEM
distinguer le secteur formel (agence de
à Majunga. Aujourd’hui gérante de la
voyage, magasin de prêt-à-porter…) du
société Exofruimad et membre du réseau
secteur informel (coiffure, couture, bro­
Femmes Chefs d’Entreprises Mondiales,
derie, mini agro-élevage…). Remarquons
elle préside la Plateforme Entreprendre
que cette segmentation duale (formel
au Féminin Océan Indien (EFOI) et
versus informel), est souvent corrélée aux
promeut l’entrepreneuriat féminin à
différences sociales et de niveau d’éduca­
Madagascar. D’autres femmes chefs d’en­
tion entre les deux catégories d’entrepre­
treprises, comme Monique Andrianasolo,
neures, ainsi qu’à la dualité urbain versus
DG de la Société d’Investissement pour la
rural.
Pro­motion de l’Entreprise à Madagascar
D’un côté, les « femmes d’affaires (SIPEM) sont en particulier engagées
modernes » urbaines ayant reçu une dans la promotion et le soutien de l’en­
éducation à l’occidentale sont le plus trepreneuriat, notamment féminin, par
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souvent engagées dans des activités à le biais de la microfinance. Ces femmes
forte valeur ajoutée qui relèvent souvent entrepreneures malgaches n’ont pas de
du secteur formel. Ces femmes entrepre­ difficulté majeure d’accès aux finance­
neures, qui sont de véritables modèles ments.
pour de nombreuses malgaches, se sont
De l’autre côté, et comme dans de nom­
généralement affranchies de la domi­
breux pays en développement africains,
nation masculine propre à la culture
la majorité des femmes malgaches n’ont
gérontocratique patriarcale malgache
pas reçu une éducation élevée et sont
(selon une approche bourdieusienne) ce
parfois illettrées. Ces femmes s’occupent
qui leur confère une légitimité et une
principalement des tâches reproduc­
reconnaissance dans le monde socioé­
tives de ménagère au foyer et sont for­
conomique. Parmi ces figures de proue
tement concentrées géographiquement
qui incarnent un idéal-type pour de nom­
en milieu rural. En effet, de nombreuses
breuses malgaches, citons l’exemple
femmes conservent encore les préceptes
d’Elia Ravelomanatsoa. Ayant créé sa
traditionnels de la culture patriarcale
première entreprise de produits agricoles
gérontocratique qui attribuent les rôles
à 19 ans, cette femme d’affaires a créé
productifs à l’homme chef de famille et
le Groupe FCB-Synergy Communication
confinent la femme aux rôles reproductifs

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Lovanirina Ramboarison-Lalao

d’épouse et de mère. Face à la précarité instauré depuis les années 90, ouvre des
qui prévaut à Madagascar, notamment perspectives prometteuses, avec un taux
en milieu rural, où la pauvreté avoisine de pénétration qui est à ce jour estimé
le taux de 90 %, le seul revenu du mari entre 17 %5 et 25,7 %6. Si le microcrédit
suffit cependant rarement à subvenir est relativement nouveau dans le paysage
aux besoins des ménages. Pour pallier malgache, nous nous focaliserons en par­
cette situation, les femmes mariées ticulier sur le cas des microentreprises
s’impliquent dans des activités produc­ rurales et urbaines dirigées notamment
tives secondaires génératrices de revenu par des femmes.
complémentaire, au-delà des rôles repro­
ductifs qui leur sont traditionnellement Quels financements
assignés. Il n’est pas rare que les enfants pour les créatrices
soient également impliqués pour leur
prêter main-forte, et ce même si le tra­
d’entreprises malgaches ?
vail infantile est légalement proscrit. À Sans être exhaustif, nous présentons
Madagascar, près de 54 % des personnes quelques sources de financement que
sans aucune instruction occupent un les femmes entrepreneures malgaches
travail indépendant. Certaines d’entre peuvent mobiliser ou potentiellement sol­
elles créent des microentreprises infor­ liciter sur place.
melles, de même que de nombreuses
femmes monoparentales ou célibataires Le recours
en situation précaire. En milieu rural, il à l’autofinancement
s’agit le plus souvent de mini-élevage, de
polyculture à petite échelle ou d’activités À Madagascar, les fonds propres sont un
artisanales informelles. En milieu urbain, mode de financement auquel ont recours
les femmes de cette deuxième catégorie de nombreux entrepreneurs hommes ou
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d’entrepreneures génèrent dans le cadre femmes (voir tableau 3). Dans ce pays en
d’un processus entrepreneurial informel, développement, beaucoup de gens sont
un revenu à travers des activités de petits encore méfiants vis-à-vis des institutions
commerces de détails ou des activités bancaires et préfèrent garder des espèces
de mercerie, couture, coiffure... Les ini­ à leur domicile plutôt que de les déposer à
tiatives entrepreneuriales informelles la banque. En milieu rural comme urbain,
de cette deuxième catégorie de femmes beaucoup de malgaches sont en effet
sont très souvent confrontées à la problé­ réfractaires au système bancaire classique,
matique de recherche de financement. En en particulier à cause de la complexité
effet, leur situation précaire ne leur per­ des procédures. Les prêts informels leur
met ni de s’autofinancer en autonomie, semblent plus faciles à mettre en œuvre.
ni d’offrir suffisamment de garanties per­ Les entrepreneurs hommes ou femmes
sonnelles aux organismes prêteurs, occa­ peuvent contracter des emprunts auprès
sionnant de fortes barrières en matière de membres de la famille ou d’usuriers
d’accès aux financements. pour compléter les fonds propres. Dans
La microfinance offre une solution pour
surmonter l’insolvabilité individuelle. 5 Source : http://www.afd.fr
Ce « nouveau » mode de financement, 6 Source : http://www.madamicrofinance.mg

Entreprendre & Innover / Novembre 2015 / 39


Dossier : Quels financements pour l’entrepreneuriat féminin à Madagascar ?

le secteur non agricole par exemple, le 60 % dans le financement des activités


tableau 3 ci-dessous illustre la prégnance entrepreneuriales non agricoles pour les
des fonds propres avec un taux proche de deux sexes, en milieu rural comme urbain.

Epargne du

entreprises
auprès des

auprès des

financiers
Bénéfices
Aides des

Aides des
bancaire
Emprunt

Emprunt

Emprunt

Emprunt

Revenus
d’autres
ménage

usuriers
parents

parents
finance

auprès
d’amis

Autres
Micro

Total
amis
Milieu de résidence
Urbain 59,7 0,7 1,4 0,7 0,9 0,3 0,2 1,5 8,2 12,5 13,8 100
Rural 58,6 0,3 0,6 0,4 1,1 0,2 0,6 1,7 7,5 12 17 100
Genre du chef de ménage
Masculin 60 0,5 0,8 0,4 0,9 0,2 0,5 1,2 7,3 12,1 16,2 100
Féminin 54,7 0,1 0,7 0,8 1,6 0,2 0,7 3,2 9 12,1 16,9 100
Source : INSTAT/ENSOMD 2012-2013.
Tableau 3 : Sources de financement des entreprises non-agricoles

Ű Ű Le secteur bancaire classique franche par exemple) sont « ciblées » par


et ses limites ces banques, occasionnant un fort écré­
mage de l’entrepreneuriat notamment
Le tableau 3 précédent montre le faible
féminin ayant un besoin de financement.
recours à l’emprunt bancaire des entrepre­
Les entrepreneurs malgaches, hommes
neurs malgaches, avec un taux de 0,1 %
ou femmes, qui ouvrent des comptes et
seulement pour les emprunts bancaires
obtiennent des crédits de financement
contractés par des femmes entrepreneures
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pour leurs activités auprès de ces banques
en 2012. À Madagascar, on compte 1,43
prestigieuses sont peu nombreux. Pour
agence bancaire pour 100 000 habitants7
le plus grand nombre, les conditions
et moins de 5 % des foyers malgaches ont
requises en termes de garantie auprès
accès à des services bancaires classiques8.
de ces banques commerciales sont réd­
Si de nombreuses filiales de banques hibitoires, même si des sociétés de fonds
commerciales étrangères, à l’instar de la de garantie comme SOLIDIS, offrent des
BNI-Crédit Lyonnais ou de la BMOI-BPCE, solutions facilitatrices d’intermédiation
sont présentes dans la Grande Ile, ces en matière de cautionnement. L’enquête
banques appliquent aux entreprises qui INSTAT/ENSOMD (2012-2013) montre que
sollicitent des crédits des critères d’éligi­ seulement 3 % des entreprises non agri­
bilité souvent similaires à ceux utilisés par coles ont effectué une démarche pour
la maison-mère. Par conséquent, seules l’obtention d’un crédit, qu’elle soit ou non
les entreprises à forte valeur ajoutée, couronnée de succès ou encore en cours,
locales ou d’origine étrangère, implan­ auprès des institutions bancaires et assi­
tées à Madagascar (entreprises de zone milées en 2012.
Dans le secteur agricole, rappelons que
7 Source : http://www.madamicrofinance.mg
l’ancienne banque nationale Bankin’ny
8 Source : http://www.afd.fr

40 /
Lovanirina Ramboarison-Lalao

Tantsaha Mpamokatra (BTM) qui signifie chances d’octroi de crédits sont très limi­
littéralement « Banque des Agriculteurs », tées pour la majorité des entrepreneures
a été rachetée en 1999 par le Groupe malgaches car seules, elles n’offrent pas
International Banque of Africa (BOA). les garanties de solvabilité requises par
Ayant sponsorisé en 2013 « le Forum de ces banques classiques. En milieu rural
l’agrobusiness » organisé par l’association par exemple, de nombreux exploitants
des entrepreneurs malgaches (FIVPAMA) passent plutôt par des crédits informels
dans le cadre du développement du sec­ sous forme de prêts usuriers ou d’avance
teur agricole, la BOA-Madagascar propose en intrants à taux élevé, afin de financer
des crédits de faisance-valoir, des crédits leur campagne pour compléter les fonds
de stockage et d’équipements aux exploi­ propres : 35 % des éleveurs et 40 % des
tants individuels agricoles et aux entre­ agriculteurs malgaches ont exprimé en
prises agricoles. Par rapport à la vocation 2012 des difficultés de trésorerie lors de
première de l’ex-BTM en faveur des agricul­ l’enquête INSTAT/ENSOMD (2012-2013).
teurs, l’accès à ces financements bancaires Cette situation suggère que des solutions
classiques relève souvent du parcours du telles que les tontines ou la mutualisation
combattant. Hormis les grands exploi­ des cautions de garantie par le biais de la
tants de plantations de vanille, litchis, microfinance peuvent être judicieuses.
etc. la majorité des exploitants agricoles
malgaches n’ont en effet pas les moyens Ű Ű Le Mobile-Banking, une solution
d’offrir les cautions individuelles de garan­ innovante ?
tie suffisantes qui conditionnent le déblo­
L’accès aux financements bancaires tradi­
cage des fonds. Certains travaux9 ayant
tionnels comme à la microfinance reste
souligné l’intérêt grandissant des banques
problématique pour les bénéficiaires po­ ­
pour la microfinance, la BOA-Madagascar
tentiels parfois situés dans des zones rurales
s’adapte à cette nouvelle demande en
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enclavées et reculées. L’enquête INSTAT/
offrant des solutions de crédits de refinan­
ENSOMD de 2012 montre par exemple que
cements aux organismes de microfinance
68 % des éleveurs et 64 % des agriculteurs
et de mésofinance agréés. Soulignons que
n’ont pas accès ou ne savent pas trouver
la BOA-Madagascar élargit par ailleurs son
des financements à travers la microfinance.
portefeuille de prestations aux particuliers,
professionnels, TPE et PME : Corporate lea­ Le Mobile Banking ou « M-Banking » offre
sing, opérations internationales, grandes une solution innovante pour contourner
entreprises, institutionnel10. ces problèmes. En 2011, l’accès aux ser­
vices financiers via un téléphone portable
En milieu urbain ou rural, le financement
aurait concerné près de 700 000 mal­
bancaire classique est difficilement acces­
gaches, chiffre correspondant au nombre
sible au plan individuel pour l’entrepreneu­
actuel de clients de la microfinance à
riat féminin à Madagascar. Au-delà d’une
Madagascar. Les services disponibles de
certaine forme de réticence culturelle, les
M Banking s’appellent M-Vola pour l’opé­
rateur téléphonique Telma, Orange Money
9 Nsabimana, A. (2009), « Articulation Banques-Microfi­
nance en Afrique : impact sur la gouvernance et la perfor­ pour Orange et Airtel Money pour Airtel11.
mance des IMF », Reflets et perspectives de la vie écono-
mique, Tome XLVIII, p. 29-38.
10 Source : http://www.boa.mg 11 Source : http://www.afd.fr

Entreprendre & Innover / Novembre 2015 / 41


Dossier : Quels financements pour l’entrepreneuriat féminin à Madagascar ?

Cette solution sur mobile pourrait à terme les USA à travers l’USAID, la France à tra­
contribuer à dynamiser l’entrepreneuriat vers l’AFD, l’Allemagne à travers la GTZ, etc.
féminin, mais sous certaines conditions. offrent des appuis techniques ou en numé­
Préalablement, pour que les femmes raire sur le terrain par le financement de
entrepreneures malgaches aient un accès projets et d’ONGs qui œuvrent dans cette
direct au service, elles devront disposer dynamique, au-delà des aides institution­
d’un téléphone équipé de l’application et nelles du FMI ou de la Banque Mondiale.
être capables d’en maîtriser les usages, ce Pour l’amélioration de la condition fémi­
qui requiert en amont une phase d’infor­ nine malgache face à la culture patriar­
mation, voire de formation, qui nécessite cale dominante, l’approche « genre » ou
des moyens conséquents. le Gendermainstreaming est par exemple
mis en œuvre par des ONGs, à l’instar du
L’accès au M-banking peut s’opérer de
Projet Initiatives Genre et Développement
manière indirecte. C’est ce que pro­
(IGED) financé par le FED en milieu rural,
pose MicroCred Madagascar. Cette IMF
auprès des femmes malgaches. Ce projet
œuvrant dans le domaine de la microfi­
aide ces femmes du milieu rural à s’orga­
nance qui offre des financements aux PME
niser autour des tâches non seulement
exclues du système bancaire tradition­
reproductives traditionnelles de mère et
nel, a démarré l’activité de la première
d’épouse, mais également productives
banque mobile à Madagascar en 2013. Il
en leur faisant prendre conscience de
s’agit d’un camion aménagé en agence,
leurs potentialités notamment entrepre­
qui peut parcourir différents villages de
neuriales, afin qu’elles s’affranchissent
la Grande Ile en autonomie, étant équipé
culturellement de leur subordination à la
d’un panneau solaire. Pour les mères de
domination masculine et s’inscrivent dans
famille ayant des velléités entrepreneu­
une dynamique égalitaire. Des aides sous
riales, cette initiative peut offrir des pers­
forme de formation, de dons financiers ou
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pectives intéressantes en termes d’accès
matériels peuvent impulser à petite échelle
aux crédits. Elles n’ont pas besoin de se
les initiatives entrepreneuriales informelles
déplacer en centre-ville pour effectuer
des femmes-cibles, par le biais d’octroi de
les transactions financières. La banque
matériel de couture par exemple.
mobile propose en effet différents ser­
vices sur place en temps réel : dépôt et La France, par le biais de l’Agence
retrait d’argent, demande de crédit, trans­ Française de Développement (AFD), reste
fert d’argent national et international via un partenaire privilégié pour Madagascar
Airtel Money, etc.12 en matière d’appui au développement. De
2004 à 2013, l’AFD a débloqué au total une
Ű Ű Le financement par des bailleurs subvention de près de 20 millions d’euros.
de fonds étrangers Parmi ses domaines d’intervention, l’AFD
soutient en particulier la promotion de
Madagascar bénéficie de plusieurs types
l’entrepreneuriat solidaire notamment
d’aide internationale qui ont pour vocation
féminin, par le financement des institu­
d’appuyer les initiatives en faveur du déve­
tions de microfinance13, comme nous le
loppement du pays. L’UE à travers le FED,
verrons plus loin.

12 Source : http://www.microcred.mg 13 Source : http://www.afd.fr

42 /
Lovanirina Ramboarison-Lalao

La microfinance, promesse efficacité en matière de financement de


d’un nouveau mode l’entrepreneuriat féminin à Madagascar.
de financement ?
Ű Ű Microfinance en milieu urbain :
Le recours à la microfinance reste encore
modeste à Madagascar, comme l’a mon­
les apports de l’AFD
tré le tableau 3. Cependant, son taux de L’Agence Française de Développement ap­­
pénétration progresse, sachant que près porte un appui majeur au développement
de la moitié des bénéficiaires en 2014 sont de Madagascar. Elle a notamment initié
des femmes, avec un taux de 43 % dans les dans les années 90 l’un des dispositifs pion­
institutions mutualistes contre 59,32 % niers de microfinance dans la Grande Ile.
dans les institutions non mutualistes14. L’ADéfi (Action pour le Développement de
Madagascar étant membre de l’Alliance et le Financement des Microentreprises)
Financière pour la promotion de l’Inclu­ constitue en effet le pilier central de l’ap­
sion Financière (AFI), ce mode de finan­ pui français en matière de microfinance
cement initié il y a près d’une vingtaine en milieu urbain à Madagascar. L’ADéfi a
d’années dans le paysage malgache offre été créé en 1995 dans le cadre du Projet
des perspectives prometteuses, notam­ d’Appui aux microentreprises financé par
ment pour les femmes entrepreneures, l’AFD et comptait 9 000 adhérents en
comme le montre le tableau 4 ci-après. 2007. C’est une IMF privée spécialisée
dans le financement des très petites entre­
Pour terminer ce parcours, nous nous inté­
prises urbaines. Une étude DIAL/ INSTAT15
resserons à deux cas illustrant les enjeux
sur l’impact du projet ADéfi auprès des
du microcrédit en milieu urbain et rural,
emprunteurs a révélé une représentation
afin de mieux cerner les promesses de son
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Année 2011 2012 2013 juin-14
Nombre de points de services 738 785 820 850
Taux de pénétration des ménages 19,50 % 22,69 % 24,61 % 25,70 %
Nombre de membres et/ou clients 836 375 984 683 1 098 075 1 164 544
Pourcentage de femmes membres et/ 46,02 % 45,92 % 47,03 % 47,31 %
ou clients
Encours de crédit 244 576 314 791 387 682 445 428
(En millions MGA)
Encours d’épargne et/ou dépôts 193 095 233 530 309 434 344 299
(En millions MGA)
1 $US = 2 609,36 MGA (30/01/2015)
1 euro = 2 964,36 MGA (30/01/2015) La monnaie malgache est l’Ariary MGA.
Source : http://www.madamicrofinance.mg

Tableau 4 : Statistiques consolidées de la Microfinance à Madagascar

15 Gubert, F., Roubaud, F., Rakotomanana F. et Ravelosoa


Rabemananjara, I. (2005) « Analyser l’impact d’un projet
de microfinance : l’exemple d’ADéFI à Madagascar » étude
14 Source : http://www.madamicrofinance.mg AFD.

Entreprendre & Innover / Novembre 2015 / 43


Dossier : Quels financements pour l’entrepreneuriat féminin à Madagascar ?

majoritaire des micro-entrepreneurs de Notons que l’AFD a octroyé en 2011 un


sexe féminin (58 %) soit 3 596 femmes sur prêt de 1.650.000 euros à l’IMF ACEP pour
6 217 clients, ce qui souligne l’importance dynamiser la Microfinance et a financé
de son appui spécifique à l’entrepreneu­ 350.000 euros pour la mutuelle couver­
riat féminin dans l’accès au financement. ture santé gratuite des 10.000 micro-
Dans la confection, les auteurs montrent entrepreneurs emprunteurs ACEP-ADéfi.
que 71 % des micro-entrepreneurs sont
Le 23 juillet 2014, l’AFD a par ailleurs signé
des femmes. Dans la restauration, elles
un accord de partenariat pour une conven­
représentent 69 % des micro-entrepre­
tion de garantie de 500 000 euros avec
neurs, ce qui s’explique par une politique
SOLIDIS Garantie, société de fonds Mutuel
de discrimination positive opérée par
de garantie qui offre un accompagne­
cette IMF lors de l’octroi de prêt. ADéfi
ment des PME malgaches pour l’accès aux
cible en effet majoritairement les femmes
financements auprès des établissements
micro-entrepreneures malgaches relative­
financiers dans le BTP, le commerce ou
ment éduquées. D’après l’étude, 84 % des
l’agriculture. Les témoignages de femmes
adhérents à ADéfi interrogés en 2004 affir­
entrepreneures malgaches gérantes d’une
ment que leur adhésion s’est accompa­
entreprise de textile et prêt-à-porter, ou
gnée d’une amélioration de leur niveau de
gérantes d’une entreprise de transport
vie, ce qui souligne un bilan globalement
et de collecte de produits locaux, dispo­
positif de ce dispositif qui dynamise incon­
nibles en ligne sur le site web de SOLIDIS
testablement le micro-entrepreneuriat 16
illustrent les enjeux de la facilitation
(Cf. tableau 5) notamment féminin à
d’accès aux financements pour l’entrepre­
Madagascar, même si les projets sont loin
neuriat féminin grâce à cet organisme.
d’être tous viables à long terme. Il serait
L’accord de SOLIDIS signé avec l’AFD cible
particulièrement intéressant de répliquer
en particulier les très petites entreprises,
cette étude dans une perspective compa­
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y compris en milieu rural, en offrant des
rative longitudinale.

Dans quel(s) domaine(s) portent les changements Proportion de réponses


survenus depuis l’adhésion à ADéFI ? positives
Alimentation de la famille 79,6
Habillement de la famille 75
Équipement du logement 67,3
Santé et soins de la famille 65,6
Éducation 64,5
Logement 56,4
Responsabilités sociales 48,7
Transport et communication 47,1
Loisirs 31,3
Source : enquête quantitative auprès de la clientèle de l’IMF 2004, DIAL/INSTAT.

Tableau 5 : Perception de l’impact d’ADéFI par les micro-entrepreneurs (en pourcentage)

16 Source : http://www.solidis.org/les-entreprises.html

44 /
Lovanirina Ramboarison-Lalao

mécanismes de garantie solidaire au pro­ Trois catégories de microentreprises


fit de la microfinance. rurales ont été identifiées au travers de
cette étude :
Ű Ű L’appui du programme PROSPERER
−− Les MER en croissance (total clients
aux micro-entreprises rurales potentiels estimés à 200 en 2014) dont
Le Programme de soutien aux Pôles de le profil du dirigeant est plutôt mascu­
Microentreprises Rurales (MER) et aux lin, avec un niveau d’études secondaire,
Economies Regionales (PROSPERER), placé doté de compétences acquises grâce à des
sous tutelle du ministère de l’Agriculture formations spécifiques ou à des emplois
malgache, s’est donné pour objectif glo­ précédents. L’activité principale cible
bal de promouvoir l’augmentation des des « niches » spécialisées et fonctionne
revenus des populations vulnérables par sur toute l’année à différents niveaux.
la consolidation des Microentreprises L’activité est la source principale du
rurales au niveau local et régional. Son revenu du ménage. Ces MER souvent for­
champ d’action gravite autour de cinq melles, ont accès au microcrédit des IMF
axes : l’Identification, la mobilisation des voire des banques commerciales, avec un
MER et la structuration des interprofes­ fort potentiel de croissance et une capita­
sions, les Services d’appui aux MER et la lisation élevée.
formation professionnelle, les Finances
−− Les MER à potentiel (Total clients poten­
rurales et la gestion des risques, les
tiels estimés à 1 200 en 2014) dont la capi­
Infrastructures de marché et investisse­
talisation initiale est souvent la même.
ments structurants, le Suivi-évaluation, la
Le profil du dirigeant est mixte avec un
capitalisation et la communication.
niveau d’éducation faible. Les compé­
Le Programme intervient dans cinq Régions tences du dirigeant sont consolidées d’ex­
de Madagascar et appuie onze filières périences acquises traditionnellement ou
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et clusters ruraux. Une étude compara­ par des emplois antérieurs. Les activités
tive des MER ayant accédé à des finance­ constituent souvent la source principale
ments par rapport à ceux sans expérience des revenus du ménage et sont peu affec­
de crédit, commanditée par PROSPERER tées par la saisonnalité. La MER a recours
a été réalisée par le Cabinet Finance à la main-d’œuvre familiale et occasion­
et Développement Conseil (FIDECO) en nellement à la main-d’œuvre salariée. Les
2013.17 Nous analysons les principaux élé­ bénéfices sont réinvestis dans l’activité
ments issus de cette étude, en lien avec sinon pour le ménage. L’accès au crédit
la problématique d’accès au financement est limité avec la possibilité du recours
des MER dirigées par les femmes. L’étude à l’usure. Le potentiel de croissance est
a porté sur 43 309 MER validées après faible mais le nombre de salariés élevé
suppression des doublons, soit 52,3 % des avec la présence de main-d’œuvre perma­
MER enregistrées. nente ou occasionnelle.
−− Les MER naissantes, (Total clients
17 Razakaharivelo, C., Rajaonera, I., Randrianasolo, D., potentiels estimés à 23 800 en 2014)
Ranaivo, S., et Ravoniarisoa, F. (2013) « Analyse approfon­ vulnérables, sont dirigées en majorité
die des MER : Analyse comparative entre des MER ayant
eu accès au Financement et des MER sans expérience de par des femmes au niveau d’éducation
crédit », rapport FIDECO. relativement faible, sauf en matière de

Entreprendre & Innover / Novembre 2015 / 45


Dossier : Quels financements pour l’entrepreneuriat féminin à Madagascar ?

connaissances traditionnelles et compé­ difficilement de mobiliser un micro-crédit


tences artisanales (broderie, vannerie, pour les financer. Notons que les secteurs
couture, etc.). Ces activités secondaires de prédilection des femmes entrepre­
qui assurent un complément des reve­ neures relèvent des métiers « tradition­
nus agricoles au ménage sont soumises nellement féminins ». À titre d’exemple,
à la saisonnalité en fonction du cycle des 91,6 % de MER vanniers de l’échantillon
cultures, de l’école… et génèrent peu de sont des femmes. Les vannières ayant
marge. La main-d’œuvre est familiale, accès au crédit validé représentent 12 %
les faibles marges ou surplus en nature de l’ensemble des MER. Dans la brode­
sont destinés au ménage. L’accès au cré­ rie et couture, 94 % des MER sont des
dit formel reste difficile car ces MER sont femmes avec un âge moyen de 37,6 ans,
elles-mêmes souvent informelles et ont dont 36 % ont été éduquées au niveau
recours à l’usure. Ces MER dirigées par des primaire, 4 % sont analphabètes, 40 %
femmes ont une croissance limitée par la ont été au collège et 17 % au lycée. Leur
demande, la disponibilité des matières accès au crédit validé représente 5 % de
premières et les ressources physiques l’ensemble des MER. D’une manière géné­
(main-d’œuvre, possibilités de stockage). rale, le niveau d’éducation faible handi­
cape les femmes entrepreneures rurales,
Si la microfinance revêt une importance
d’où l’impérieuse nécessité des pro­
capitale pour les investissements en
grammes d’appui en matière de formation
milieu rural18, l’accès pour les femmes
comme celles proposées par PROSPERER
micro-entrepreneures reste donc encore
ou le projet IGED que nous avons évoqué
problématique dans un pays comme
plus haut.
Madagascar. En effet, le modèle cultu­
rel patriarcal dominant les confine prin­ Le tableau 6 ci-dessous montre l’impact
cipalement à des tâches reproductives, positif de l’appui technique des MER par
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les MER restent une activité secondaire PROSPERER sur l’accès des dirigeants aux
complémentaire informelle qui permet financements.

Régions Nombre MER Nombre MER Nombre MER avec % financement en


formées appuyées un financement fonction de l’appui
Analamanga 9 458 2 414 1 063 44 %
Haute-Matsiatra 5 138 1 198 1 616 134 %
Itasy 4 324 1 107 414 37 %
Sofia 8 891 1 979 900 45 %
Vatovavy-Fitovinany 5 848 1 308 465 35 %
Total de MER appuyés 33 659 8 006 4 458 56 %
+32 non validés
Source : Rapport FIDECO, 2013.

Tableau 6 : Lien entre l’accès au crédit et les appuis/formations aux MER

18 Niyongabo, E., Perilleux, A., (2010), « Microfinance et


financement de l’investissement en milieu rural. Poten­
tiel des coopératives et synergies avec les politiques pu­
bliques. », Mondes en développement, n° 152, p. 45-56.

46 /
Lovanirina Ramboarison-Lalao

Le taux de 56 % dans le tableau ci-dessus leur permettre d’accéder au financement


n’indique toutefois pas que la formation de leurs activités.
et l’appui technique règlent tous les pro­
−− Niveau d’instruction : le faible niveau
blèmes d’accès aux financements. En
d’instruction constitue un frein pour
effet, d’autres contraintes et barrières
conduire des structures associatives. La
doivent être levées pour permettre aux
personnalité du micro entrepreneur et
femmes entrepreneures d’accéder de
l’aversion au risque constituent parfois un
facto aux microcrédits. Le rapport FIDECO
frein à son accès au crédit.
pointe plusieurs barrières :
−− Insécurité : la recrudescence des vols de
−− Niveau de taux de garantie : le taux
matériel de production (ruches, bétails,…)
de 150 % demandé par les IMF est perçu
prive une partie de MER, des moyens de
comme trop élevé, le taux d’intérêt de 3 %
subsistance, etc.
est perçu comme exorbitant par rapport
au taux escompté entre 1,5 % et 2 %. Aujourd’hui, Madagascar ne peut faire
l’impasse sur le rôle de plus en plus stra­
−− Insuffisance de garantie : les IMF n’ac­
tégique de l’entrepreneuriat féminin
ceptent pas les garanties sous forme de
dans la relance de son Economie. Face
« zébus » ou d’autres biens. Les garanties
à la culture gérontocratique patriarcale
acceptées sont des terrains alors que ce
qui limite l’accès de la femme malgache
sont des biens indivis.
à l’épargne du ménage pour financer ses
−− Procédures : les MER se découragent projets entrepreneuriaux d’un côté, et
du fait de la complexité des formalités devant les difficultés d’accès au système
administratives. Les IMF n’acceptent plus de crédit bancaire classique de l’autre, la
des documents délivrés par les autorités microfinance offre une alternative inno­
locales comme les Communes à titre de vante pour la promotion d’une diversifi­
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preuve de propriété d’un terrain. Pourtant, cation entrepreneuriale notamment en
la plupart des infrastructures des MER ne faveur des initiatives de la gent féminine.
sont ni cadastrées ni titrées. La microfinance étant en quête de matu­
rité 19, ce mode de financement instauré
−− Montant de crédit : le montant
récemment depuis une vingtaine d’an­
demandé par les MER est parfois diminué
nées dans la Grande Ile, enregistre un
par les agents de crédit arguant que la
taux de pénétration en progrès, estimé
demande est surévaluée. Les MER pensent
entre 17 %20 et 25,7 %21 en 2014. Ce nou­
que le montant de crédit octroyé au sein
veau mode de financement offre en milieu
des groupes de caution solidaire est trop
urbain et rural, de réelles opportunités
faible.
d’expression de l’entrepreneuriat fémi­
−− Niveau de discrimination ressentie : Les nin, au-delà des sources traditionnelles
MER naissantes dirigées par les femmes et de financement. Devant les objectifs pla­
en croissance ont exprimé un ressenti très nétaires de développement du Nouveau
fort sur un blocage de leur financement.
19 Labie, M., Lelart, M., et Montalieu, T., (2010), « Micro­
−− Méfiance : les MER se méfient entre finance : le temps de la maturité ? », Mondes en dévelop-
pement, n° 152, p. 7-11.
elles. Elles ont une difficulté à constituer
20 Source : http://www.afd.fr
des groupes de caution solidaire pouvant
21 Source : http://www.madamicrofinance.mg

Entreprendre & Innover / Novembre 2015 / 47


Dossier : Quels financements pour l’entrepreneuriat féminin à Madagascar ?

Millénaire (OMD, Nations Unies), la Lovanirina Ramboarison-Lalao est enseignant-


microfinance apparaît en Afrique, comme chercheur membre du Laboratoire HuMaNiS de
un levier incontournable de promotion l’EM Strasbourg. Titulaire d’un doctorat en Gestion
des Ressources Humaines et qualifiée Maître de
de l’entrepreneuriat féminin au sens de
conférences, ses recherches portent sur l’approche
Yitamben22 même si beaucoup reste à
genre, le management de la diversité, le leadership
faire pour sa vulgarisation.
et la RSE.
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22 Yitamben, G. (2004), « La microfinance en Afrique : en


lutte contre la pauvreté », Finance & Bien Commun n°20,
p. 74-78.

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