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2019/1 n° 40 | pages 77 à 93
ISSN 2034-7634
ISBN 9782807392724
DOI 10.3917/entin.040.0077
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2019-1-page-77.htm
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Résumé
Abstract
The world of entrepreneurial coaching is experiencing a real «tipping point,» a moment of transition
between a «before» and an «after» whose outlines are, however, still unclear. Today, the world is filled
with many contradictions. Some are old, but recently exacerbated. Others are radical and result from the
transformation of the world of work and digitalization. In this context, many coaches express a real distress
and a feeling of helplessness when faced with the consequences of decisions over which they might have had
no say. However, a consensus is emerging regarding the ongoing transformation of entrepreneurial coaching.
Coaches describe a Darwinian reinforcement of their work, with likely structural mergers, regroupings or
deletions. Furthermore, they predict a necessary increase in autonomy from public funders, an increase in
competition as well as cooperation with actors, a diversification of economic models, the use of new tools (in
particular digital ones), the invention of new coaching methods, both more playful and more educational. All
actors insist on maintaining the «fundamentals» of the profession: human-centered support, requiring time
and resources, which raises the question of financing, which is less certain than ever.
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Les pratiques qui se sont développées réalité des créations d’emplois dans les
sur le terrain depuis plusieurs décennies entreprises classiques, obligation de fac-
(le réseau des Boutiques de Gestion fête turer des services mais paupérisation
ses 40 ans en 2019 !), sont chahutées de la clientèle (…) ». Ces contradictions
par deux événements majeurs : la trans- ont toujours existé. Elles résultent de
formation du monde du travail et celle l’ambiguïté qui dure maintenant depuis
induite par le digital. Ces phénomènes une quarantaine d’années autour de
convergent, se renforcent mutuellement ce qu’il est convenu d’appeler l’appui à
et génèrent une transformation profonde la « Création d’Entreprise » : la tension
du métier d’accompagnateur. Mais pour entre d’un côté ce qui relève du déve-
aller vers quoi ? loppement économique et de la création
de valeur marchande et de l’autre ce
L’incertitude ressentie par les accompa-
qui relève de l’insertion et du retour à
gnants va de pair avec l’inconfort d’être
l’emploi. S’agit-il d’aider des entreprises
confronté à plusieurs types de situations
rentables à naître et à se développer et/
nouvelles, dans un contexte de baisse des
ou de permettre à des personnes de vivre
ressources : nouveaux métiers que l’on
de leur travail, au besoin en les aidant à
connaît mal, mais également nouveaux
créer leur propre et parfois microscopique
types de modèles d’affaires issus du
emploi ? Autrement dit, peut-on concilier
numérique devant lesquels l’écosystème
l’économique et le social ? Une même
d’accompagnement est parfois désem-
structure, un même dispositif peuvent-ils
paré. Les professionnels sont également
accueillir tout le monde, y compris ceux
confrontés à de nouvelles attentes, en
qui in fine ne créeront rien du tout, « et
particulier à l’évolution du comporte-
en même temps » travailler à la détec-
ment des jeunes qui cherchent plus de
tion et au développement des « gazelles »
sens, « veulent s’amuser », sont soucieux
et autre futures « licornes » ? Est-ce le
d’un équilibre vie privée/vie profession-
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font valoir que la diversité des structures l’accompagnement des créateurs d’entre-
accroît l’offre de services utiles au créateur. prises, par exemple dans le cadre des CCI
ou des CMA ? Pourquoi se poseraient-elles
Ű Ű Faut-il continuer d’aider la question « doit-on continuer ? » Après
les créateurs potentiels tout, elles ont par essence vocation à
et le faire gratuitement ? aider les entrepreneurs à se développer…
Il y a encore dix ans, personne n’aurait L’enjeu des politiques publiques territo-
posé la question de la légitimité ou de riales et le niveau d’aide financière per-
la pertinence d’un dispositif universel, tinent se situerait en fait dans la volonté
disponible sur l’ensemble du territoire et de conforter des projets plus ou moins
financé sur fonds publics pour les porteurs sélectivement, en fonction d’objectifs de
de projets. On considérait alors que les valeur ajoutée (par le degré d’innovation)
Français manquaient d’esprit entrepreneu- ou de création d’emploi (par type d’em-
rial. Pour y remédier, il fallait les sensibi- ploi dans des zonages). Le choix public est
liser, les accompagner en pré-émergence, ouvert entre aide à la personne payant
en émergence, en pré-incubation, en incu- pour une prestation et aide à la struc-
bation, en accélération, en financement, ture (on retrouve ici une analogie avec la
en création. Aujourd’hui, l’esprit d’entre- problématique du logement social). Les
prendre est là. L’appui lors des phases accompagnants évoquent d’ores et déjà
amont du processus demeure pertinent, un glissement naturel de leur activité vers
mais les moyens à y consacrer deviennent l’aide au développement des jeunes entre-
nettement moins importants. La volonté prises. Pourquoi en effet ne pas transpo-
publique de faire croître la création d’en- ser le savoir-faire des accompagnants à
treprise a généré du service incitatif gra- la création vers l’accompagnement des
tuit pour le bénéficiaire. jeunes entreprises ?
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Par ailleurs, s’exprime dans les réseaux sur les projets et leurs porteurs, on les
la prise de conscience d’un déficit de connecte aux moyens déployés dans une
ressources quant à la maîtrise du digital approche de contrôle de gestion. Il en
et du numérique. Les structures et leurs résulte des tentatives de normalisation de
écosystèmes ne savent pas répondre cor- l’acte d’accompagnement qui vont à l’en-
rectement à la demande des porteurs de contre de l’innovation, dans ce secteur
projets en compétences digitales. Deux comme ailleurs, mais surtout à l’encontre
publics distincts d’accompagnés sont de la primauté accordée à l’humain. Cette
insatisfaits : 1) ceux qui sont très au fait question est aussi liée à celle de l’évalua-
des technologies et veulent qu’on les tion, dont les critères ne peuvent pas être
aide à les mobiliser dans leur business ; définis uniquement dans une perspective
2) les personnes plus âgées ou plus éloi- purement productiviste. Recueillir des
gnées culturellement, qui ont encore une données sur le suivi des projets procure
pratique et une formation au digital très aussi une fabuleuse opportunité d’affiner
faible. Les professionnels de l’informa- l’évaluation en la centrant elle aussi sur
tique et du numérique sont « sur-deman- l’humain. Les structures d’accompagne-
dés » ailleurs, dans des organisations qui ment auraient avantage à organiser en
rémunèrent mieux que celles de l’accom- leur sein des comités d’éthique sur cette
pagnement en création. Question ouverte question.
et problème à résoudre.
La combinaison d’une vision expérientielle Un métier en voie
du projet entrepreneurial (la création- de disparition ?
reprise d’entreprise en tant qu’expérience
Au cours de notre enquête, un des répon-
professionnelle parmi d’autres) avec l’ac-
dants a affirmé que « le métier de tech-
cès facilité à l’information en temps réel
nicien à la création d’entreprise » était
accroît l’asymétrie temporelle et fonction-
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les hiérarchiser, repérer ce qui est perti- compétences nécessaires pour accompa-
nent), soutien psychologique, assistance gner la personne plutôt que le projet.
à la recherche de financements, accès à
des méthodes et des outils de gestion de Ű Ű Développer des
projet, enrichissement des projets par les « compétences douces »
mises en relation, les effets de réseau,
Les compétences mobilisées par l’accom-
guidage pour éviter les erreurs adminis-
pagnateur vont s’approfondir dans trois
tratives.
domaines : analyse du besoin, mobilisa-
tion de « soft skills » et aptitudes péda-
Ű Ű Du côté des accompagnants :
gogiques. L’analyse du besoin suppose
changer de posture d’inverser le processus d’accompagne-
« Le changement de posture » est un leit- ment en partant non pas des méthodes
motiv dans les discours des personnes prédéterminées requises par l’accompa-
interrogées. Mais qu’est-ce que cela sous- gnement technique, visant à atteindre le
tend ? Deux idées apparaissent, dessi- but final (la création ou la reprise de l’en-
nant les contours des transformations treprise) mais plutôt des besoins et des
à venir. Tout d’abord la transition d’un moyens présents au départ pour ensuite
service préfabriqué vers un service per- bâtir une démarche non anticipée (par
sonnalisé, qui répond d’abord au besoin l’accompagnateur et le porteur de pro-
initial du porteur de projet. Comme pré- jet) en vue de tendre vers la vision finale
cisé plus haut, le porteur de projet est (créer ou reprendre son entreprise) 8.
aujourd’hui bien mieux informé sur les Cela requiert des capacités d’écoute et
modalités de création-reprise d’entreprise d’adaptation permanente et fait évoluer
et sur le milieu entrepreneurial (connais- la position de l’accompagnateur : il n’est
sance du territoire) grâce au ressources plus le détenteur du savoir mais l’artisan
digitales faciles d’accès 7. Du coup, le pro- collaborateur dans l’édification progres-
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pourra pas être traitée par une solution en Mooc et wébinaires, « bootcamps », hac-
ligne ou par de l’intelligence artificielle. katons, autobiographie raisonnée, etc.
Les acteurs constatent l’apparition de nou- L’accompagnement va intégrer du collec-
veaux outils numériques, qu’ils utilisent tif et du « pair 2 pair » ou se rapprocher du
avec plus ou moins d’envie et de facilité. compagnonnage, qu’il faut savoir animer
Mais ce ne sont que des outils, « comme et encadrer. Accompagnement en présen-
en a un artisan qui change d’outil » : tout tiel, à distance, collectif : les porteurs de
le savoir-faire lié aux années d’expérience projets souhaitent les trois modes d’ac-
reste majeur pour faire correctement cès à l’accompagnement. Le présentiel
le métier. Seul ce savoir-faire permet à (s’occuper de moi, me rassurer) demeure
l’artisan-accompagnateur de modeler un souhaité. La communication numérique à
accompagnement adapté exactement distance facilite bien entendu les contacts.
aux besoins. De plus, s’ils constatent que Au départ d’un projet, le collectif n’est pas
le numérique permet au porteur de projet demandé, mais les séances collectives
de faire une première recherche d’infor- sont vite perçues comme efficaces, por-
mation, les professionnels de l’accompa- teuses de contacts et stimulantes.
gnement constatent que d’une certaine
Ces besoins, qui ont été à plusieurs reprises
manière cet accès plus simple aux infor-
mentionnés par les personnes interrogées,
mations techniques met plutôt en valeur
montrent les limites du bricolage entrepris
leur rôle.
par certains accompagnateurs – souvent
les plus expérimentés – pour transformer
Ű Ű De nouvelles compétences
une relation procédurale et processuelle
pour les chargés d’accompagnement centrée sur le projet, en relation de coa-
Cette volonté d’améliorer sensiblement la ching centré sur la personne. L’évolution
relation avec le porteur de projet bouscule du contexte actuel incite ainsi certains
encore un peu plus les conditions finan- professionnels de l’accompagnement à
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-et dans leur vie professionnelle en géné- collectifs eux-mêmes sont en nombre
ral-, cette relation devrait donc reposer croissant. Apparaît également un moindre
en partie, nous l’avons mentionné, sur attachement à la pérennité : je vais
la mobilisation et l’acquisition de “soft m’amuser quelque temps avec ce projet,
skills”. La question qui survient corollai- et après on verra. Plus délicat : les tout
rement est « comment permettre leur jeunes accompagnants pensent qu’il faut
acquisition » ? De manière assez inédite, en conséquence rajeunir les cadres pour
la pédagogie est apparue dans plusieurs animer les structures. On peut aussi miser
discours des personnes que nous avons sur la capacité des porteurs de projets à
interrogées. L’appel à la pédagogie, fon- faire eux-mêmes du gaming et des actions
dement de l’éducation, est relativement collaboratives entre accompagnés. Le col-
nouveau dans le champ de l’accompa- lectif et le collaboratif sont perçus par tous
gnement. Son apparition signe-t-elle une (accompagnants et accompagnés) comme
évolution sensible des pratiques d’accom- d’une redoutable efficacité.
pagnement basées sur le métier de conseil
Ces nouveaux comportements ancrés
vers celui du coaching et de la formation
dans l’instantanéité génèrent des défis
qui reposent sur la maîtrise profession-
et requièrent des compétences d’un
nelle de la relation ? Si tel est le cas, quels
genre nouveau pour l’accompagnateur.
en seraient les premiers contours ? Quelle
Car l’accès à la surabondance des infor-
pédagogie ? Faut-il privilégier certaines
mations, des méthodes et des outils via
approches plus que d’autres ?
le digital rend nécessaire de savoir sélec-
Dans certains entretiens, des accom- tionner, analyser et transformer cette
pagnateurs ont exprimé le fait que les masse d’informations en connaissances
outils numériques permettent de rendre utiles et actionnables. Comment concilier
facile ce qui était rébarbatif, en particu- le ludique, l’immédiateté dans la réponse
lier l’accès aux informations techniques. avec des fonctions de type maïeutique,
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