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Microfinance et réduction de la
„ Microfinance pauvreté : la fin d’un mythe?
Solène Morvant-Roux, Chercheuse asso-
ciée, laboratoire d’Économie de la firme et
des institutions (Lefi), Université Lyon ,
D eux ans après l’année internationale de la microfinance,
parmi les concerts de louanges à ce secteur, rares sont les
voix qui s’élèvent contre son hégémonie dans le domaine de
solenmorvant@yahoo.fr___________________
l’aide au développement. Pourtant, des questions apparais-
sent çà et là sur l’impact réel de la microfinance… La parole à
Solène Morvant, chercheuse.

L
„ Pour en savoir ’ en octobre  des pauvres de cette région ¹, dissimule L’intervention publique demeure
plus : du prix Nobel de la paix à Mu- des disparités nationales très fortes, au indispensable au bon fonctionne-
Un dossier hammad Yunus et à la Grameen désavantage des zones rurales où vit ment du système. Dans ce contex-
toujours Bank qu’il a fondée constitue le cou- pourtant la grande majorité des pau- te, l’intervention publique a joué et
d’actualité : ronnement de dix années de média- vres (environ   des pauvres sont doit encore jouer un rôle primordial
« Éclairages sur la tisation intense de la microfinance. des ruraux). En Inde, deux États du dans l’essor de la microfinance en se
microfinance « Éradiquer la pauvreté grâce à une ap- Sud (Andhra Pradesh et Tamil Nadu), positionnant comme le garant d’une
rurale », GDS , proche alternative du capitalisme », la classés parmi les États les plus riches, certaine équité dans la lutte contre
septembre  promesse à l’origine de l’émergence de concentrent à eux seuls près des trois l’exclusion financière. Ainsi, dans de
( www.inter- la microfinance il y a plus de trente ans quarts de l’offre de microfinance ². Au nombreux pays l’État appuyé par des
reseaux.org). a été réaffirmée par le professeur Yu- Mexique, une étude du CGAP³ montre organismes internationaux a incité à
Vient de paraître : nus dans son discours devant le comité une corrélation négative entre le ni- un certain rééquilibrage. La volonté
Banquiers aux du prix Nobel. Dans cette conception veau de marginalisation économique de la microfinance de rompre avec la
pieds nus : La d’un capitalisme bienveillant envers les et sociale de l’État et l’offre en services philosophie de l’aide au développement
microfinance. J.- pauvres qui intervient dans un monde financiers. Ces résultats confirment la est donc restée limitée : les fonds ex-
M. Servet, éd. où la pauvreté est exclusivement liée situation bolivienne. térieurs sont substantiels et jouent un
Odile Jacob, Paris, aux défaillances ou à l’incomplétude La microfinance ne semble donc pas rôle crucial puisque la construction
. du marché financier, l’État se trouve d’emblée bienveillante avec les pauvres d’une véritable intermédiation finan-
marginalisé. C’est aussi le cas de l’aide comme le prétend le professeur Yunus. cière repose largement encore sur des
au développement fondée sur l’assis- La mise en place de services financiers initiatives et fonds publics. La Grameen
tance, telle que diffusée au sortir de adaptés aux besoins des populations Bank n’échappe pas à cette situation :
la seconde guerre mondiale et relayée vivant dans des zones rurales recu- entre  et , les subventions cu-
par les ONG. Face au consensus mé- lées marquées par la faiblesse des in- mulées ont atteint  millions de dol-
diatique sur la contribution supposée frastructures est davantage coûteuse lars (en valeur de ), ce qui ferait
de la microfinance et risquée. Elle im- de la Grameen le plus gros bénéficiaire
en matière de lutte
«
plique des efforts de l’aide au développement.
contre la pauvreté, l’écart entre les promesses particuliers et des
les voix discor- innovations multi- Évaluer l’apport réel de la microfi-
dantes remettant et la réalité est considérable, ples pour dépasser nance : un exercice complexe et mal
en cause non pas les principaux obs- maîtrisé. En référence à la conception
la légitimité de la notamment en ce qui concerne le tacles : l’échange de Muhammad Yunus, le capitaliste
microfinance mais
»
d’informations avec bienveillant va théoriquement rencon-
sa place hégémoni- monde rural des clients isolés ; la trer des « pauvres entrepreneurs » : il
que comme outil circulation de l’in- suffirait donc de doter les pauvres en
de lutte contre la formation et sa ges- « capital » par le biais du microcrédit
pauvreté ont bien du mal à se faire tion au niveau de l’institution et enfin pour développer leur potentiel entre-
entendre. Pourtant, l’écart entre les les coûts et risques liés au transport preneurial et vaincre la pauvreté. Les
promesses et la réalité est considéra- régulier d’argent dans des zones re- attentes envers la microfinance sont
ble, notamment en ce qui concerne culées et peu denses. alors immenses.
le monde rural. Ces espoirs sont entretenus par la
. Par comparaison avec l’Amérique latine complexité d’évaluation de l’apport réel
Une offre inégalement répartie. Si et l’Afrique dont les taux de couverture en de la microfinance pour les popula-
l’opposition microfinance rurale et  étaient respectivement de ,  et tions concernées : la rigueur scientifi-
urbaine n’est pas toujours opportune ,  que exige des procédures d’évaluation
en raison de relations intenses entre . Cf. C. Fouillet, Construction coûteuses et longues qui ne répondent
les populations des zones rurales et sociale, économique et spatiale de la pas le plus souvent aux contraintes et
urbaines d’un même pays, force est microfinance : le cas indien. èse de besoins des praticiens. Les contextes et
de constater que l’accès aux services doctorat en sciences économiques, modalités d’intervention limitent par
financiers illustre d’importantes iné- université Lumière Lyon  (à paraître). ailleurs la portée des comparaisons et
galités territoriales. La très forte con- . Consultative Group to Assist the rendent difficile toute généralisation.
centration de l’offre de microfinance en Poor : Groupe consultatif d’assistance Adoptant une approche macro-écono-
Asie, avec une couverture de la moitié aux plus pauvres. mique, une récente étude montre un Ü

Grain de sel 9
nº 38 — mars – mai 2007
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Û lien étroit entre l’emploi salarié (et non la migration demeure une stratégie bien à multiplier les emprunts soit auprès
l’auto-emploi véhiculé par la microfi- plus attractive. C’est pourquoi même d’autres IMF soit auprès du secteur
nance) et la réduction du nombre de dans des zones qui, historiquement, financier informel ou du réseau so-
pauvres en comparant la Chine, l’Inde ne sont pas des zones à forte intensité cial pour faire face aux échéances de
et le continent africain. migratoire vers les États-Unis, malgré remboursement. Ces stratégies garan-
En effet, toutes les analyses d’impact la présence prolongée d’un dispositif tissent le remboursement et laissent
réalisées en milieu rural à partir d’un de microfinance, la baisse des cours penser qu’il y a bien adéquation entre
travail de terrain approfondi aboutis- de vente du café (activité agricole de le montant prêté et la capacité réelle
sent à des résultats comparables : l’effet rente dans cette zone) se traduit par un de remboursement de l’emprunteur,
du microcrédit sur la création d’ac- accroissement très fort de la migration qui accède ainsi à de nouveaux prêts,
tivité et l’accroissement des revenus internationale. Le microcrédit est, dans le plus souvent de montant supérieur.
est limité. Le principal effet positif ce cas, utilisé pour financer la migration Mais elles risquent de se révéler drama-
du microcrédit se situe au niveau de ou pour faire face aux dépenses de la tiques au moment du remboursement
la gestion de la liquidité : l’apport en famille en attendant l’envoi d’argent du final si les emprunteurs n’ont pas les
liquidité que constitue le microcré- membre de la famille émigré. moyens de rembourser et se trouvent
dit permet à de nombreux ménages De même, les taux de rembourse- en situation de surendettement.
de réduire le décalage temporel entre ments affichés par les institutions de
les revenus et les dépenses et ainsi de microfinance (IMF) ne sont pas un La microfinance seule ne peut lutter
mieux gérer leur budget. En l’absence gage d’impact positif sur les revenus : contre la pauvreté et les inégalités.
d’opportunités locales de diversifica- ceux-ci ne fournissent pas d’informa- Pour autant, la légitimité de services
tion des revenus, le microcrédit garan- tion sur la nature productive de l’uti- financiers destinés aux pauvres et
tit au mieux la continuité de l’activité. lisation du crédit, ni sur les sources adaptés à leurs nécessités ne fait aucun
Mais il permet rarement d’en initier de remboursement et encore moins doute. Dans des contextes d’exclusion
une nouvelle ou d’accroître les reve- sur le bénéficiaire final du crédit. On financière touchant non seulement les
nus tirés des activités financées si le constate en effet que le renouvellement franges les plus pauvres mais aussi les
contexte local (demande solvable) ou du crédit assure dans bien des contex- classes moyennes urbaines des pays en
global (prix de vente des produits agri- tes une partie du remboursement du voie de développement, la microfinance
coles) n’est pas propice. crédit antérieur. a permis de repousser les barrières de
Dans les zones rurales du Mexique, Une autre stratégie courante consiste l’accès à ces services.
Quand bien même la pauvreté ne
serait liée qu’à l’accès au marché fi-
nancier (occultant les facteurs liés à
l’organisation sociale, la répartition
des richesses ou les investissements
publics), les potentialités de ce der-
nier à impulser un cercle vertueux
s’avèrent limitées.
Les publications récentes mettant
en doute les vertus de la microfinance
pour réduire la pauvreté et les inéga-
lités auront-elles un jour raison de la
force normative des discours qui la
présentent comme le remède contre
la pauvreté ? Il s’agira à ce moment-là
non pas de la remplacer par une nou-
velle solution-miracle mais de lui faire
porter un objectif plus réaliste, non
moins valable : celui de la lutte contre
l’exclusion financière que subissent en-
core les plus pauvres par la provision
de services variés et adaptés à leurs
besoins (épargne, crédit, transferts
d’argent, encaissement des chèques,
micro-assurance). En milieu rural,
seule une articulation volontariste de
la microfinance avec des programmes
publics sociaux, sanitaires, éducatifs et
une mise en cohérence des politiques
commerciales internationales consti-
tuera une démarche porteuse de lutte
contre la pauvreté et les inégalités. §

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nº 38 — mars –mai 2007

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