UNE PART MAJORITAIRE DE LA DETTE SOCIALE PROVIENT DE

L'ASSURANCE MALADIE

Didier Migaud, Didier Tabuteau, Mathieu Riboulet

Presses de Sciences Po | « Les Tribunes de la santé »

2013/3 n° 40 | pages 85 à 89
ISSN 1765-8888
DOI 10.3917/seve.040.0085
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2013-3-page-85.htm
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Didier Migaud
Une part majoritaire
de la dette sociale provient
de l’assurance maladie
photo DR.
Diplômé de l’Institut
d’études politiques de Lyon
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et titulaire d’un DESS de
droit public, Didier Migaud
a été député (PS) de l’Isère
sans interruption de 1988
à 2010. Rapporteur
général puis président de la
commission des Finances
de l’Assemblée nationale,
il est l’un des principaux
artisans de la loi organique
relative aux lois de finance
promulguée en 2001. Après
avoir quitté mandats électifs
et responsabilités politiques
au Parti socialiste, il devient
premier président de la
Cour des comptes en février
2010.
les tribunes de la santé n° 40 — automne
e n t r e t i e n
Les Tribunes de la santé :
Quelle est la place des questions de santé
et d’assurance maladie dans l’activité de la
Cour des comptes ?
Didier Migaud :
Ces questions occupent une place dans
la programmation des travaux de la Cour à
la mesure de leurs enjeux considérables, à
la fois financiers et de santé publique, qui
concernent tous les Français. La Cour
s’exprime sur l’assurance maladie chaque
année, en septembre, dans son rapport
sur la sécurité sociale, dans le cadre de sa
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mission d’assistance du Parlement et du
Gouvernement. Elle analyse à cette occasion
les comptes de la branche maladie et l’objectif
national de dépenses d’assurance maladie
(Ondam), ainsi que les composantes du
système de soins, comme l’optique correctrice
en 2013 ou les transports sanitaires l’an
dernier, et celles du système hospitalier,
comme l’hospitalisation privée à but non
lucratif et les hôpitaux locaux cette année
ou les activités de soins de suite ou de
réadaptation en 2012. S’agissant des questions
de santé publique, la Cour fait aussi au mois
de mars des constats et des recommandations
dans son rapport public annuel, ainsi en 2013
sur la lutte contre la maladie d’Alzheimer et le
parcours de soins coordonnés, en 2012 sur la
politique de périnatalité ou, en 2011, sur la
2013
85
 e n t r e t i e n
campagne de lutte contre la grippe A (H1N1).
La Cour publie aussi périodiquement des
rapports publics thématiques sur ces sujets,
notamment en 2011 sur l’organisation
des soins psychiatriques. Par ailleurs, la
Cour répond à des demandes croissantes du
Parlement sur ces questions, soit sous forme
d’enquêtes, qui ont porté par exemple sur le
coût du dossier médical personnel en 2012
et sur la prévention sanitaire en 2011, à la
demande de l’Assemblée nationale, ou sur le
patrimoine immobilier des centres hospitalo-
universitaires affecté aux soins en 2013 et
la politique vaccinale en 2012 à la demande
du Sénat ; soit, depuis 2011, sous forme
d’évaluations, avec l’an dernier un rapport
sur les politiques publiques de lutte contre
le tabagisme à la demande de l’Assemblée
nationale.
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Les Tribunes de la santé :
Quelle est la part de l’assurance maladie
dans la dette sociale ? Pensez-vous que le
recours à l’endettement pour financer les
régimes de sécurité sociale pose les mêmes
questions pour la branche famille, les
régimes de retraite et l’assurance maladie ?
Didier Migaud :
Une part majoritaire de la dette sociale
provient de l’assurance maladie. Jusqu’en
2011 inclus, les déficits cumulés de la seule
branche maladie représentent 60 % des dettes
du régime général et du fonds spécial vieillesse
(FSV) reprises par la Caisse d’amortissment
de la dette sociale (Cades) depuis sa création,
soit 107 milliards d’euros sur un total de
179. Selon les projections associées au projet
de loi de financement de la sécurité sociale
les tribunes de la santé n° 40 — automne
86
avec Didier Migaud
pour 2014, les déficits cumulés de 2012 à
2017 de la branche maladie du régime général
s’élèveraient à 32 milliards d’euros, soit près
de la moitié encore des déficits prévisionnels
cumulés du régime général et du FSV, estimés
à 69 milliards. Au total, fin 2017, l’assurance
maladie représenterait ainsi 56 % de la
dette cumulée depuis l’origine par le régime
général et le FSV, qu’elle ait été transférée à
la Cades ou qu’elle soit portée en trésorerie
par l’Agence centrale des organismes de
sécurité sociale (Acoss). En soi, la dette
sociale constitue une anomalie. Sa progression
entretient une spirale dangereuse. Son
amortissement et la charge d’intérêt qui y est
associée immobilisent 15 milliards d’euros
de prélèvements obligatoires chaque année,
soit plus que les remboursements annuels
d’honoraires de médecine libérale. Notre pays
reporte ainsi sur la prochaine génération la
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charge de régler une part des consultations
médicales, des prestations familiales ou des
retraites d’aujourd’hui, au risque de poser la
question de la légitimité même d’une sécurité
sociale dont le financement effectif serait
sans cesse différé et supporté par ceux qui
n’ont pas bénéficié de son soutien. C’est un
mal spécifiquement français : aucun de nos
grands voisins européens n’accepte que son
système de protection sociale soit durablement
en déficit. Les comptes des administrations
sociales de la zone euro sont revenus à
l’équilibre en trois ans alors que ceux de la
France sont en déficit de 0,6 point de PIB et
ceux de l’Allemagne dégagent un excédent
de 0,6 point de PIB en 2012. Résorber le
déficit de la sécurité sociale constitue une
priorité majeure. La voie du redressement
des comptes par la mobilisation de recettes
2013
 Une part majoritaire de la dette sociale…
supplémentaires ayant atteint des limites,
c’est essentiellement en pesant fortement
sur les dépenses et en mettant en œuvre
des réformes structurelles que la trajectoire
de retour à l’équilibre doit se poursuivre et
s’accélérer. La Cour recommande par ailleurs
de transférer sans délai à la Cades, en vue de
leur amortissement, les déficits aujourd’hui
financés à très court terme par l’Acoss, au
premier rang desquels ceux de l’assurance
maladie depuis 2012.
Les Tribunes de la santé :
Les rapports de la Cour sur la sécurité
sociale consacrent chaque année une
partie à l’analyse de l’efficience du système
de soins. Considérez-vous que le souci
d’efficience est suffisamment pris en
compte dans les différentes politiques
de santé ? Faut-il franchir une nouvelle
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étape en matière d’évaluation médico-
économique ?
Didier Migaud :
Le constat de la Cour est que des gisements
d’économies considérables existent dans
l’assurance maladie sans compromettre,
bien au contraire, la qualité des soins ni
l’égalité d’accès au système de santé. C’est
pourquoi la Cour recommande de ramener
la progression de l’Ondam à 2,4 % en
2014 et 2,3 % en 2015 et 2016, soit
une diminution de 0,2 point par rapport
à la trajectoire affichée dans la loi de
programmation des finances publiques.
L’ensemble des acteurs du système de
soins sont à même de participer à cet effort
indispensable pour accélérer le rééquilibrage
des comptes de l’assurance maladie. La Cour
les tribunes de la santé n° 40 — automne
e n t r e t i e n
a déjà illustré les importantes possibilités
d’économies qui existent dans nombre de
secteurs : l’imagerie médicale et les soins
dentaires dans son rapport annuel sur la
sécurité sociale de 2010, les médicaments
en 2011, les transports sanitaires en 2012,
en documentant notamment 450 millions
d’euros d’économies à ce seul titre. Cette
année, la Cour propose de réaliser
500 millions d’économies sur les dépenses
de biologie médicale, qui s’élèvent à près de
6 milliards, afin notamment de tenir compte
de l’insuffisante répercussion sur l’assurance
maladie des gains de productivité permis par
les progrès des techniques d’analyses et par
la très forte augmentation du nombre d’actes
sur longue période. S’agissant des évaluations
médico-économiques, la Cour a constaté
en 2011, dans le secteur du médicament,
l’absence de démarche systématique de ce
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type, contrairement à nombre de nos voisins,
permettant notamment de fixer le prix des
innovations thérapeutiques. La Cour a
recommandé de redéfinir les règles relatives à
l’admission au remboursement et à la fixation
des prix des médicaments en fonction d’une
approche médico-économique, qui devrait
être systématique pour tous les produits, y
compris déjà remboursés comme par exemple
ceux utilisés dans la lutte contre la maladie
d’Alzheimer, comme elle l’a recommandé
dans son rapport public annuel pour 2013.
Les Tribunes de la santé :
Le rapport 2013 sur la sécurité sociale
insiste sur la maîtrise des dépenses
hospitalières. Pourriez-vous illustrer
quelles réformes pourraient contribuer
prioritairement à cet objectif ?
2013
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 e n t r e t i e n
Didier Migaud :
La Cour consacre aux questions
hospitalières le tiers de son rapport 2013 sur
la sécurité sociale. Sa conviction est que le
système hospitalier recèle des gisements très
importants d’économies dont la mobilisation
pourrait permettre d’infléchir la progression
des dépenses hospitalières, qui s’élèvent à
75 milliards d’euros, soit 44 % des dépenses
d’assurance maladie, tout en concourant à
l’amélioration de la qualité des soins.
La Cour souligne en particulier le retard
persistant de la chirurgie ambulatoire en
France : quatre opérations sur dix sont
pratiquées en ambulatoire contre jusqu’à
huit sur dix dans certains pays qui nous sont
comparables, avec un net retard du secteur
public sur le secteur privé. Son développement
rejoint l’intérêt des patients, qui n’ont pas
à séjourner à l’hôpital avant comme après
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l’opération, comme celui de l’assurance
maladie par les économies majeures qu’elle
permet. Le nombre de places de chirurgie
ambulatoire a certes progressé depuis quelques
années grâce à une tarification incitative,
mais elles restent nettement sous-utilisées par
rapport aux pratiques constatées dans des pays
voisins. Dans le même temps, le nombre de lits
de chirurgie conventionnelle n’a pratiquement
plus diminué depuis dix ans et ils n’ont
qu’un taux d’occupation de 67 %. Ainsi,
l’assurance maladie paye en quelque sorte
deux fois : le développement des capacités de
chirurgie ambulatoire et le maintien de lits
de chirurgie conventionnelle insuffisamment
occupés. Selon certaines estimations, jusqu’à
5 milliards d’euros d’économies seraient
possibles à terme en utilisant mieux les
capacités de chirurgie ambulatoire existantes
les tribunes de la santé n° 40 — automne
88
avec Didier Migaud
et en fermant en conséquence les lits de
chirurgie conventionnelle sous-utilisés. Afin
d’accélérer cette substitution, la Cour propose
d’aligner la tarification des actes de chirurgie
conventionnelle sur les coûts de la chirurgie
ambulatoire pour des actes identiques. La
Cour illustre aussi cette problématique
avec l’hospitalisation à domicile, dont le
développement est encore très inférieur à
d’autres pays. La Cour constate enfin
que les modalités de fixation de l’Ondam
hospitalier n’incitent pas suffisamment les
établissements hospitaliers à mettre en œuvre
les indispensables réformes structurelles, en
particulier en n’ajustant pas suffisamment
les tarifs pour réguler efficacement l’activité
hospitalière. Elle a recommandé d’aller
plus loin dans l’utilisation de la tarification
pour mieux réguler l’activité et accélérer des
réorganisations encore trop lentes.
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Les Tribunes de la santé :
Vous appeliez dans le rapport 2012
sur la sécurité sociale à « clarifier le
positionnement institutionnel » des
agences régionales de santé. Pourriez-
vous préciser les attentes de la Cour en ce
domaine ?
Didier Migaud :
Créées en 2009, les agences régionales de
santé ont pour mission d’assurer, à l’échelon
régional, un pilotage unifié du système de
santé afin d’en renforcer l’efficience et de
mieux répondre aux besoins des patients
par une approche globale et cohérente du
parcours de soins. La Cour considère qu’il
s’agit d’une réforme majeure aux enjeux
essentiels, non seulement en termes de
2013
 Une part majoritaire de la dette sociale…
santé publique mais aussi de régulation
des dépenses de santé publique. La Cour
soulignait en 2012 que le conseil national de
pilotage ne jouait pas un rôle suffisamment
stratégique, que les administrations centrales
continuaient à fonctionner trop souvent en
« tuyaux d’orgue » avec les ARS, que des
difficultés de coopération étaient apparues
avec la Cnamts dans la gestion du risque,
en particulier pour l’accès aux systèmes
d’information de l’assurance maladie, et
que les relations entre préfets et directeurs
généraux d’ARS étaient complexes. La
Cour a illustré certaines de ces difficultés
institutionnelles sur les transports sanitaires
en 2012, en recommandant une meilleure
coordination entre les ARS et les caisses
d’assurance maladie en matière d’agrément,
de conventionnement et de contrôle des
entreprises de transports sanitaires et de
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taxis. Dans une analyse sur le redressement
financier des hôpitaux, la Cour recommande
en 2013, d’une part, de supprimer le fléchage
par l’administration centrale des dotations
relatives aux missions d’intérêt général (MIG)
justifiées au premier euro et de charger les
les tribunes de la santé n° 40 — automne
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ARS d’arrêter leur montant établissement par
établissement en fonction de critères et dans
la limite d’une enveloppe fixée nationalement,
d’autre part, de subordonner le passage d’un
établissement en difficulté financière devant
le comité national compétent (Copermo) à
une demande du directeur général de l’ARS,
qui doit être responsable, conjointement
avec le chef d’établissement, de la mise
en œuvre des recommandations du comité.
Dans une analyse de la permanence des
soins ambulatoires, la Cour recommande en
2013 de confier aux ARS la responsabilité
générale de l’organisation des gardes de tous
les professionnels de santé (permanence des
soins ambulatoires, gardes pharmaceutiques,
gardes ambulancières) et de leur financement
dans le cadre d’enveloppes régionales fermées
regroupant l’ensemble des dépenses, y compris
de rémunération des actes médicaux, calculées
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sur des bases objectives. De même, elle
propose de transférer le pouvoir de réquisition
du préfet au directeur général d’ARS.
Propos recueillis par Didier Tabuteau et
Mathieu Riboulet le 3 octobre 2013
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