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Vingt ans après… la loi du 21 août 2003

Pierre Mayeur
Dans Regards 2023/2 (N° 62), pages 191 à 200
Éditions EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale
ISSN 0988-6982
© EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 92.89.167.97)

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Vingt ans après… la loi du 21 août 2003

Par Pierre Mayeur, Associé chez YCE Partners

Ancien administrateur des services du Sénat, Pierre Mayeur a


été notamment conseiller technique en cabinet ministériel (2002-
2004 puis 2007-2009), directeur de la Caisse nationale d’assurance
vieillesse (2009-2016) et directeur général de l’Organisme commun
des institutions de rente et de prévoyance (OCIRP) (2017-2022). Il est
aujourd’hui associé chez YCE Partners, cabinet de conseil en stratégie
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spécialisé dans le domaine de la protection sociale et de l’assurance.

C
’était il y a vingt ans. La France sortait d’une longue période de canicule qui allait
rester célèbre. Le Journal officiel du 22 août 2003 déclinait les 116 articles de
la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites, appelée
également « loi Fillon », du nom du ministre des Affaires sociales, du Travail et de
la Solidarité.
À défaut de « célébration » officielle1, le présent article entend mettre en lumière
sept éléments clefs de la loi de 2003, permettant - espérons-le - de mieux comprendre
la réforme de 2023.

I- PREMIER ÉLÉMENT CLEF, PARCE QUE « LA FORME EMPORTE


ET RÉSOUT LE FOND »2, LA RECHERCHE D’UN DIAGNOSTIC
PARTAGÉ
Intervenue seulement sept ans après la crise de l’automne 19953, la réforme de
2003 a fait l’objet d’une importante contestation, déclenchant une mobilisation de
l’Éducation nationale. Des manifestations ont rassemblé des centaines de milliers de
personnes le 25 mai 2003, alors même qu’un compromis avait été trouvé avec deux
organisations syndicales4.

1 On permettra à l’auteur, conseiller technique chargé des retraites au cabinet de François Fillon en 2003, de
recourir à ses souvenirs pour mieux illustrer le propos.
2 Selon la formule de Léon Gambetta en 1869.
3 D’où le choix tactique de ne pas traiter les régimes spéciaux d’entreprise (SNCF, RATP, industries électriques et
gazières…).
4 Cf. Des milliers de personnes manifestent à Paris (lemonde.fr). https://www.lemonde.fr/archives/ar-
ticle/2003/05/25/des-milliers-de-personnes-manifestent-a-paris_321505_1819218.html. Les manifesta-
tions cessèrent dès le début de la discussion du projet de loi à l’Assemblée nationale : une grande différence
avec la contestation de 2023.
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Mais l’une des grandes différences entre 2003 et 2023, c’est l’absence, en 2023,
de consensus sur le diagnostic portant sur l’état financier et sur le fonctionnement
même du système de retraite. En 2003, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a
pu s’appuyer sur le diagnostic porté par le Conseil d’orientation des retraites (COR).
Le premier rapport paru en décembre 20015 constituait un matériau solide ayant direc-
tement inspiré la réforme. Il a d’ailleurs servi de référence - voire de livre de chevet - à
l’ensemble des acteurs. Bien sûr, il y eut de fortes divergences sur les mesures prises
dans le cadre du projet de loi, mais au moins le diagnostic était partagé. La création
du COR en 2000 - après la publication de rapports divergents - avait justement pour
objectif de parvenir à un consensus sur le diagnostic, selon le triptyque 3D de Lionel
Jospin : « Diagnostic, dialogue, décision. »
Le gouvernement de l’époque avait même souhaité poursuivre le travail de
diagnostic à travers un « groupe de travail confédéral », réunissant en février-mars
2003 autour des directeurs de cabinet des ministres des Affaires sociales et de la
Fonction publique les responsables patronaux et syndicaux en charge du dossier des
retraites6. Ce groupe de travail confédéral était parvenu à un texte de compromis qui -
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s’il n’a pas été explicitement validé - figure à la suite de l’exposé des motifs du projet
de loi. Les quatre premiers articles de la loi en constituent un résumé, avec notam-
ment la reconnaissance du principe contributif : « Tout retraité a droit à une pension en
rapport avec les revenus qu’il a tirés de son activité » (article 2) et du principe d’équité :
« Les assurés doivent pouvoir bénéficier d’un traitement équitable au regard de la retraite,
quels que soient leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes dont ils
relèvent » (article 3).
Vingt ans après, au-delà bien sûr de la mesure « phare » de l’âge légal porté à
64 ans, au-delà même des polémiques sur le financement, quelle confusion sur la
situation réelle et les enjeux mêmes de notre système de retraite !
La France dispose pourtant d’un arsenal particulièrement sophistiqué, puisqu’elle a
ajouté au COR un Comité de suivi des retraites (CSR), le second produisant comme
le premier des rapports annuels de grande qualité7. Mais la clarté du débat public
semble s’obscurcir de manière inversement proportionnelle au nombre de pages
produites par ces deux organismes.
Le débat public de 2023 a consisté ainsi pour un grand nombre à nier l’existence
d’un déficit structurel, tandis que d’autres - il est vrai nettement moins nombreux -
mettaient au contraire en exergue un « déficit caché » supplémentaire de l’ordre de
30 milliards d’euros en raison des impasses de financement des régimes de la fonc-
tion publique, mises sous le boisseau par les conventions du COR8.

5 Rapport du COR décembre 2001 - Retraites : renouveler le contrat social entre les générations. https://www.
cor-retraites.fr/rapports-du-cor/rapport-cor-decembre-2001-retraites-renouveler-contrat-social-entre-
generations
6 C’est ce groupe de travail, avec les ministres et les numéros un des confédérations syndicales et patronales,
qui s’est réuni pour la concertation de mai 2003, ayant abouti au matin du 15 mai au fameux « compromis »
avec la CFDT et la CFE-CGC, formalisé par un « relevé de décisions ».
7 Différence notable, le COR ne produit en aucun cas de recommandation, au contraire du CSR dont c’est le rôle
après avoir pris connaissance du rapport du COR.
8 Jean-Pascal Beaufret, à l’origine de cette « révélation », chiffre même le déficit à 71 milliards d’euros : Le déni
de réalité sur la contribution des retraites aux déficits publics, https://www.lopinion.fr/economie/le-deni-de-
realite-sur-la-contribution-des-retraites-aux-deficits-publics. Le terme de « révélation » montre que l’auteur
n’a pas suivi le débat, prégnant depuis le tout début de la création du COR, au sujet du traitement adéquat du
CAS pensions dans ses projections financières.

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La question même d’un solde financier global du « système de retraite » mérite


certes d’être relativisée, puisqu’elle comprend des régimes dont les équilibres
dépendent de la politique de recrutement de la fonction publique, politique qui est
elle-même soumise à d’autres contraintes ou objectifs que la seule recherche d’un
équilibre du système de retraite. Pour le dire de manière différente, il serait absurde
de recruter des fonctionnaires dans le seul objectif d’équilibrer le régime des fonction-
naires de l’État ou la CNRACL.
On a pu constater également la limite de la démarche utilisée par le COR consis-
tant à s’exprimer « en points de PIB ». Ce choix relativise les enjeux de financement,
en laissant penser qu’il va peut-être y avoir un problème non insurmontable dans
les années à venir, vite oublié puisque les dépenses exprimées en points de PIB vont
baisser d’ici 2070. Selon une vérité de La Palice, ce choix « met la pression » sur les
recettes… tout simplement parce qu’il a tendance à évacuer la question des dépenses !
La chute de croissance liée au Covid en 2020 aurait pu sonner le glas de ce type de
présentation, puisqu’il a bien fallu « présenter » une hausse temporaire des dépenses
de retraite à 15,5 % - en raison du recul du PIB - et surtout assumer (et financer par la
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dette) un déficit important.
Imaginer que les dépenses de retraite baissent en points de PIB à l’avenir repose
sur des hypothèses périlleuses d’évolution de la productivité du travail. Et conduirait à
un appauvrissement relatif des retraités probablement excessif.
Plus que jamais, il est nécessaire, pour la compréhension la plus large possible, de
se concentrer sur les régimes pour lesquels la notion d’équilibre comptable présente
le plus de sens9 : le régime général, dont les paramètres sont déterminés par l’État, et
le régime AGIRC-ARRCO, régime complémentaire et articulé au régime général, mais
dont les paramètres sont déterminés par les partenaires sociaux. L’affichage dans
le débat public de l’évolution du solde du régime général à 15-20 ans permettrait de
gagner en clarté. La référence à des horizons aussi lointains que 2060 et 2070 laisse
en effet songeur, sauf à croire que le papy-boom est juste « un mauvais moment à
passer, vite oublié »… sur le modèle proposé par l’officier san-théodorien chargé d’exé-
cuter les Dupondt10.
Mais la question du diagnostic dépasse celle du financement. Tout débat sur les
retraites devrait commencer par le constat suivant : le système permet aujourd’hui
à une personne bénéficiant d’une carrière complète et cotisant à temps plein de
disposer d’un montant de pension satisfaisant, à un âge sensiblement inférieur à
celui constaté dans les autres pays européens. Alors même que la durée de cotisa-
tion affichée pour bénéficier du taux plein est importante et que l’âge du taux plein11
est plutôt élevé (67 ans).

9 Et pour lesquels « le politique » sera bien obligé d’agir à un moment ou un autre.


10 Tintin et les Picaros, p. 59.
11 L’âge où le taux plein est acquis, quelle que soit la durée d’assurance.

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Première caractéristique majeure, le système de retraite favorise les carrières


longues ; il serait vain de reprocher au système d’aboutir à ce résultat, puisqu’il a été
justement construit dans ce but. Le bénéfice d’une retraite anticipée avant l’âge légal,
ouvert par la loi de 200312, les favorise encore davantage, alors même que les assurés
carrières longues sont loin d’être « les plus défavorisés »13.
Deuxième caractéristique majeure, le système de retraite repose sur un principe
majoritairement contributif, même si des correctifs importants de solidarité existent,
principalement dans le régime général.
Ce constat ne garantit pas contre l’injustice dénoncée et ressentie par beaucoup :
on a beau avoir travaillé toute sa vie, si l’on a peu cotisé et/ou si l’on a été peu déclaré,
la retraite sera faible. Mais verser une retraite forfaitaire pour tous, quelle que soit la
durée de cotisation, irait à l’encontre du principe contributif.

II- DEUXIÈME ÉLÉMENT CLEF, L’EXTENSION DU CONCEPT DU


TAUX PLEIN À L’ENSEMBLE DES RÉGIMES.
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Le mode de calcul des retraites est aujourd’hui harmonisé dans la quasi-totalité
des régimes autour de deux durées d’assurance : la durée d’assurance tous régimes,
qui détermine si la personne a droit au « taux plein » par la durée et la durée d’assu-
rance dans le régime, qui permet de calculer la pension due, en la proratisant le cas
échéant. Si la durée d’assurance tous régimes n’est pas atteinte, mais que la personne
souhaite néanmoins procéder au calcul de sa pension avant l’âge d’annulation de la
décote - ce qui est possible à partir du moment où l’âge d’ouverture des droits est
atteint - une décote est appliquée, car elle n’a pas « le taux plein ». Si la durée d’as-
surance tous régimes est dépassée et que la personne souhaite ne pas procéder au
calcul de sa pension, les trimestres cotisés au-delà de l’âge légal lui donneront droit
à une surcote.
C’est la retraite à 60 ans qui a créé la notion de durée d’assurance tous régimes
et la décote. La retraite à 60 ans à taux plein et pour tous (c.-à-d., quelle que soit la
durée d’assurance) n’a jamais existé en France. Le dispositif conçu en 1983 consis-
tait à donner le taux plein à 60 ans aux seuls salariés ayant la durée nécessaire (150
trimestres, donc, puis 160 trimestres à partir de 1993). Comme il s’agissait de généra-
tions ayant commencé à travailler tôt, la condition de durée ne posait le plus souvent
aucune difficulté aux hommes. C’était évidemment beaucoup plus compliqué pour les
femmes aux carrières plus courtes.
La loi Fillon a transposé ce dispositif aux régimes de la fonction publique : elle
a été à l’origine de l’extension de la notion de durée d’assurances tous régimes, du
concept du taux plein et du dispositif de décote/surcote à l’ensemble des régimes
(régimes spéciaux d’entreprise à partir de 2008). Mettre en place une durée d’assu-
rance tous régimes pour le bénéfice du « taux plein » conduit en effet à mettre en place
une décote, dispositif montant en charge de manière très progressive pour la fonction

12 Cf. infra.
13 Les travaux de Patrick Aubert l’ont parfaitement montré : https://blog.ipp.eu/2023/03/06/les-departs-
anticipes-pour-carriere-longue-permettent-ils-de-compenser-une-plus-grande-penibilite-des-metiers/. Il
n’a cessé d’exposer ce sujet depuis des travaux initiés en 2010 (voir leur évocation dans https://www.cor-
retraites.fr/sites/default/files/2019-06/doc-2553.pdf), sans avoir un grand écho avant 2023.

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publique entre 2004 et 2020 et diminuant au régime général entre 2004 et 2008 pour
aboutir à un taux de 5 % par année manquante.
C’est peut-être le point le plus structurant de la loi. La réalisation de l’affirmation
politique de départ « faire passer les fonctionnaires aux 40 ans » était tout sauf simple.
Elle reposait sur l’idée que les fonctionnaires étaient restés aux 37 années et demie
- le nombre d’années nécessaires pour atteindre avec une valeur d’annuité à 2 %, le
taux de liquidation de 75 % - contrairement aux salariés du secteur privé, « passés
aux 40 ans » par les décrets d’août 1993. Or, seule la durée d’assurance tous régimes,
nécessaire pour avoir le taux plein dès 60 ans, était passée de 150 à 160 trimestres.
Mais la durée d’assurance du régime général était bien restée à 150 trimestres, de
sorte que, par analogie, la « valeur d’annuité » du régime général - implicitement à
1,33 % (soit 50/37,5) - était restée inchangée14.
La loi de 2003 a fait coïncider les deux durées : durée d’assurance tous régimes et
durée d’assurance dans le régime. De sorte qu’elle a réellement fait passer les salariés
du secteur privé aux 40 ans.
Une telle coïncidence n’était pas et n’est pas une évidence. L’augmentation du
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nombre de trimestres pour la proratisation a pour effet de faire baisser le montant de
la pension, ce qui n’est pas le cas de l’augmentation du nombre de trimestres pour la
durée taux plein.
Mais cette coïncidence était une conséquence mécanique d’une réforme des
régimes de la fonction publique : il aurait été incompréhensible de laisser inchangée
la valeur d’annuité applicable dans ces régimes.

III- TROISIÈME ÉLÉMENT CLEF, LE CHOIX DE L’AUGMENTATION


PROGRAMMÉE DE LA DURÉE DE COTISATION.
La question de l’âge de la retraite était encore taboue. Dans ces conditions, les seuls
paramètres pouvant être utilisés étaient la durée de cotisation et le taux de cotisation.
Le dispositif introduit par l’article 5 de la loi du 21 août 2003 imaginait à l’avance
trois rendez-vous retraite d’ici à 2020 (2008, 2012, 2016). Une augmentation de la durée
d’assurance était prévue par la loi, pour atteindre une durée proche de 168 trimestres
en 2020. Cette augmentation de la durée d’assurance était justifiée par l’augmenta-
tion de l’espérance de vie, dont il apparaissait logique de « répartir » les gains entre
la période de travail et la période de retraite. La période de retraite continuait ainsi
à progresser.
L’augmentation de 160 à 164 trimestres était déjà actée à partir de 2009. La loi
instituait également « une commission de garantie des retraites », composée du
président et vice-président du Conseil d’État, du président du Conseil économique
et social, du premier président de la Cour des comptes et du président du Conseil
d’orientation des retraites et chargée de se réunir à l’amorce de chaque rendez-vous
pour indiquer notamment si les conditions de l’augmentation décidée (2008) ou prévue
(2012, 2016) étaient réunies.

14 Plusieurs légendes existent sur les raisons de ce maintien à 150 trimestres… y compris une erreur de la
direction de la Sécurité sociale.

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VINGT ANS APRÈS… LA LOI DU 21 AOÛT 2003

Le dispositif technique avait été imaginé15 par le ministère de l’Économie et des


Finances (direction du Budget), sur le modèle de « stabilisateurs automatiques » qui
laissent espérer - proprement à tort - que la décision sera ensuite politiquement moins
douloureuse. En revanche, l’idée des « rendez-vous » réguliers et de la commission de
garantie avait été plutôt conçue au ministère des Affaires sociales, pour donner aux
partenaires sociaux l’assurance d’une plus grande souplesse par rapport à l’applica-
tion mécanique de paramètres.
La loi a connu une seule réelle application, pour le rendez-vous de 2008. Dès 2010,
compte tenu du relèvement de l’âge légal décidé par le gouvernement Fillon, puis plus
encore en raison de l’alternance politique intervenue en 2012, il apparaissait évident
que le rendez-vous de 2012 n’aurait pas lieu. Pour autant, la réforme de 201316 a fina-
lement entériné une augmentation de la durée de cotisation à un rythme conforme
à celui imaginé dix ans auparavant : 167 trimestres pour la génération 1960, avec
une augmentation modérée jusqu’à la génération 1973 (172 trimestres), avant que la
réforme de 2023 n’accélère finalement cette augmentation de la durée de cotisation
pour la rendre pleinement applicable dès la génération 1968.
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Aller au-delà de quarante-trois ans de cotisations est bien sûr techniquement
possible. Mais pour des générations entrées en moyenne plus tardivement dans la
vie active, une durée de cotisation de quarante-cinq ans, par exemple, signifierait une
quasi-certitude de ne jamais bénéficier de l’intégralité de la pension, par le jeu de
la proratisation.

IV- QUATRIÈME ÉLÉMENT CLEF, LES « CARRIÈRES LONGUES »


Le paramètre « durée d’assurance » est souvent considéré comme plus « juste »
que le paramètre « âge »17. La durée bénéficie en effet aux assurés ayant commencé
à travailler tôt, ce qui peut correspondre à des salariés modestes et moyens n’ayant
pas fait d’études, le cas échéant ayant été soumis ou soumis à des travaux pénibles.
C’est l’un des grands paradoxes de la réforme de 2003. Censée reculer l’âge moyen
de départ en retraite, la réforme a eu pour effet, dans un premier temps, de contri-
buer à l’avancer « grâce » ou « à cause » du dispositif des carrières longues18. La
revendication d’un départ anticipé, sous réserve de justifier d’une durée d’assurance
suffisante, était fortement portée par des organisations syndicales comme la CFDT.
Cette dernière y voyait un moyen de réduire une des grandes disparités de traitement
entre les salariés de droit privé et les catégories actives de la fonction publique. La CGT
préférait mettre l’accent sur le retour aux trente-sept ans et demi de cotisations ainsi
que sur des possibilités de départ anticipé pour travail pénible.
Alors que les discussions préalables portaient sur un dispositif limité, ouvert

15 L’idée du partage des gains d’espérance de vie entre, aux deux tiers, la durée d’assurance et, pour un tiers, à la
durée de retraite avait initialement été lancée par François Lagarde, alors secrétaire général du COR.
16 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites. https://www.
legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000028493476
17 L’exposé des motifs de la loi de 2003 fait directement référence à cette notion de justice : https://www.
assemblee-nationale.fr/12/projets/pl0885.asp
18 Cette diminution intervenue entre 2003 et 2008 apparaît clairement sur le graphique du rapport d’évaluation
des politiques de sécurité sociale : https://evaluation.securite-sociale.fr/home/retraite/27-accroitre-lage-
effectif-au-de.html

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à l’âge de 58 ans, et à destination des personnes ayant commencé à 14-15 ans, le


compromis du 15 mai 2003 a été trouvé sur des bases très généreuses19 : le départ
était possible dès l’âge de 56 ans pour des personnes ayant commencé à travailler
dès l’âge de 14 ans (durée d’assurance de quarante-deux ans, soit la durée d’assu-
rance tous régimes majorée de 8 trimestres), dès l’âge de 58 ans pour des personnes
ayant commencé à 16 ans… C’est la deuxième condition de durée cotisée - évidente
complication supplémentaire - qui a pu limiter quelque peu le flux des effectifs, pour-
tant de 113 000 pour le seul régime général dès 200420. L’augmentation de la durée
de cotisation, conjuguée à un resserrement des conditions de validation a posteriori
des trimestres et à la fin de l’arrivée à la retraite d’assurés n’étant pas soumis à la
scolarité obligatoire à 16 ans, semblait être de nature à réduire au fur et à mesure
l’ampleur de la mesure.
Mais, en forme de contrepartie du recul de l’âge d’ouverture des droits, la condition
de durée cotisée a fait l’objet d’assouplissements successifs, par le décret de 2012 et
la réforme des retraites de 2014.
Et surtout, le paramètre « début d’activité », apprécié par la validation de trimestres
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avant un certain âge, a évidemment évolué avec le recul de l’âge d’ouverture des droits.
Sont entrées dans le champ du dispositif les personnes ayant commencé à travailler
à l’âge de 18 et de 19 ans, puis à l’âge de 20 ans, enfin à l’âge de 21 ans, dans le cadre
de la dernière réforme. Bien sûr, les bornes d’âges ne sont pas les mêmes : une borne
à 60 ans, pour les assurés ayant démarré avant 18 ans, une borne à 62 ans pour
les assurés ayant démarré avant 20 ans, une borne à 63 ans pour les assurés ayant
démarré avant 21 ans… Mais il n’en reste pas moins que le ciblage initial « social » de
la mesure a perdu encore davantage en efficacité.
Notre système récompense un paramètre, celui de la durée d’assurance, dont on
peut penser qu’il est aujourd’hui survalorisé. Dans le même temps, cela relativise l’im-
pact d’un relèvement de l’âge de la retraite. Avant même la réforme de 2023, presque
130 000 assurés, soit 20 % de l’effectif, partaient en retraite en carrière longue, donc
avant l’âge de 62 ans21. À la suite de la réforme, en ajoutant les personnes partant à
l’âge de 62 ans pour invalidité et inaptitude, près de 50 % des assurés prendront leur
retraite avant l’âge légal de 64 ans… statistique dont on comprend qu’opposants et
défenseurs de la réforme se soient sur ce point entendus pour éviter de la mettre
en exergue.

19 Notons que la décision a été prise sans chiffrage de la mesure.


20 Rapport du Conseil d’orientation des retraites de janvier 2007, https://www.cor-retraites.fr/sites/default/
files/2019-06/doc-1707.pdf, p. 20.
21 Cf. Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, https://evaluation.securite-sociale.fr/home/
retraite.html

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VINGT ANS APRÈS… LA LOI DU 21 AOÛT 2003

V- CINQUIÈME ÉLÉMENT CLEF, L’OBJECTIF SOCIO-POLITIQUE


D’UNE RETRAITE MINIMALE À 85 % DU SMIC NET
Notre système de retraite, pour les salariés du secteur privé, n’est pas un régime
de retraite à prestations définies. Pour autant, le discours socio-politique a besoin de
s’appuyer sur des repères collectifs pour déterminer le montant d’une retraite globale,
c’est-à-dire le taux de remplacement. Cette notion reste bien sûr particulièrement
ambiguë : s’agit-il du rapport entre la pension de retraite et le dernier salaire ou le
salaire annuel moyen ? Implicitement, le chiffre de référence reste le 75 % de la fonc-
tion publique. 50 % du salaire annuel moyen (des 25 meilleures années) sont censés
provenir du régime général, 25 % du régime complémentaire. Pour le cas type d’un
salarié moyen non-cadre, cette référence continue de faire sens.
La question d’un objectif de montant de retraite minimale d’un salarié dispo-
sant d’une carrière complète est donc ainsi parfaitement légitime. Ce montant est
souvent comparé à celui de l’allocation spéciale pour personnes âgées (ASPA), soit
961,08 euros, le plus souvent pour déplorer le faible différentiel. C’est oublier un peu
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vite que l’ASPA est un revenu d’existence, soumis à condition de ressources, de rési-
dence et à récupération sur succession. C’est oublier également que les gouverne-
ments successifs sont facilement enclins à revaloriser l’ASPA de manière dynamique,
puisqu’il s’agit d’une mesure sociale à bon compte.
Le régime général dispose avec le « minimum contributif » (MICO) d’un véritable
« booster », créé en 1983 dans le cadre de la retraite à 60 ans pour améliorer le
montant de la retraite de base. C’est ce MICO qui a été utilisé en 2003 pour viser un
montant de retraite minimal égal à 85 % du SMIC net pour une carrière complète,
en revalorisant sur trois années de suite (2004, 2006, 2008) de 3 % le montant du
MICO. Cette revalorisation a porté sur les trimestres cotisés, puisque l’objectif était de
donner clairement un coup de pouce aux personnes ayant travaillé par rapport à celles
qui avaient simplement validé des trimestres.
Ce montant constitue tout sauf une garantie juridique ou financière, puisqu’il
comprend la part de pension des régimes complémentaires. Les régimes complé-
mentaires sont en points et n’ont pas choisi jusqu’à présent d’accorder des coups de
pouce. On peut même considérer qu’une telle logique est éloignée de la conception de
régimes contributifs en points.
C’est donc un « objectif de pension »22, selon le terme retenu par l’exposé des
motifs de la loi de 2003 et son article 4 : « La Nation se fixe pour objectif d’assurer en
2008 à un salarié ayant travaillé à temps complet et disposant de la durée d’assurance
nécessaire pour bénéficier du taux plein un montant total de pension lors de la liquidation
au moins égal à 85 % du salaire minimum de croissance net lorsqu’il a cotisé pendant
cette durée sur la base du salaire minimum de croissance. »
En 2008, les 85 % du SMIC net étaient atteints, comme l’a montré le rapport du
COR de janvier 2007 : ils étaient quasiment atteints en cas de taux réduit de CSG et
dépassés en cas de taux zéro de CSG, ce qui correspondait bien a priori aux retraités
modestes ciblés par la mesure.

22 N° 885 - Projet de loi portant réforme des retraites, https://www.assemblee-nationale.fr/12/projets/pl0885.


asp

198 •
DÉCEMBRE 2023 • N°62

Par la suite, le minimum contributif a continué à être revalorisé sur les prix, ce qui
a créé inévitablement une distorsion avec les revalorisations du SMIC.
Les améliorations décidées dans le cadre de la réforme de 2023, ainsi que surtout
le principe de retenir une revalorisation sur le SMIC, sont de nature à garantir dans la
durée cet objectif de pension minimale.

VI- SIXIÈME ÉLÉMENT CLEF, L’EXTENSION AUX SALARIÉS DU


SECTEUR PRIVÉ DE DISPOSITIFS D’ÉPARGNE RETRAITE
L’objectif consistait à donner aux salariés du secteur privé la possibilité d’épargner
pour la retraite, via une incitation fiscale à l’entrée, sur le modèle des dispositifs exis-
tants pour les professionnels libéraux (loi Madelin) et les fonctionnaires et assimilés
(Préfon). L’idée n’était donc pas de ressusciter la loi Thomas du 25 mars 1997 créant
« les fonds de pension à la française », jugée trop conflictuelle.
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Un article croupion, visant davantage à fixer un objectif, avait été inséré dans le
projet de loi, avant le Conseil d’État. C’est ce qui explique dans le texte final la présence
de l’article 107 : « En complément des régimes de retraite obligatoires par répartition,
toute personne a accès, à titre privé ou dans le cadre de son activité professionnelle, à
un ou plusieurs produits d’épargne réservés à la retraite, dans des conditions de sécurité
financière et d’égalité devant l’impôt. »
C’est lors de la discussion de l’Assemblée nationale que le dispositif des plans
d’épargne retraite, porté par le monde de l’assurance, a été ajouté. L’article 108
institue les plans d’épargne individuelle pour la retraite. Le PEIR ne s’est cependant
jamais imposé comme acronyme ; postérieurement à la loi, la dénomination retenue
fut celle des « plans d’épargne retraite populaire » (PERP).
Mais la partie épargne retraite allait s’enrichir encore davantage. Depuis la loi
Fabius de 2001, la France disposait de « plans partenariaux d’épargne salariale volon-
taire » (PPESV). Il suffisait d’ajouter un R pour retraite et de faire sauter le plafond
de dix ans pour les transformer en « plans partenariaux d’épargne salariale volon-
taire pour la retraite » (article 109). Les « plans d’épargne retraite collective » (Perco)
étaient nés.
Il a fallu attendre la loi Pacte de 2019 pour que ces dispositifs soient à nouveau
fortement modifiés.

• 199
VINGT ANS APRÈS… LA LOI DU 21 AOÛT 2003

VII- SEPTIÈME ET DERNIER ÉLÉMENT CLEF : LA CRÉATION


DU DROIT À L’INFORMATION RETRAITE.
La réforme suédoise avait mis en avant « l’enveloppe orange », envoyée à chaque
assuré pour lui faire connaître ses droits à retraite23.
Cet exemple a marqué les esprits ; la loi de 2003 a joué un rôle fondateur en étant
à l’origine de la création des « relevés individuels de situation » (RIS), disponibles tous
les cinq ans à partir de 35 ans, et des « estimations indicatives globales » (EIG), dispo-
nibles à partir de 55 ans. Pour mener à bien des chantiers particulièrement complexes,
et articuler les efforts de régimes différents, le GIP info retraite a été créé par la loi.
Sur ce point, la loi de 2003 est un succès majeur. Malgré un nombre important
de régimes de retraite, une distinction très forte entre régimes de base et régimes
complémentaires, des règles de liquidation différentes, il a été possible - en un temps
finalement réduit - de sortir des RIS et des EIG dès 2007. Ce résultat a été atteint
principalement grâce à la bonne coopération entre les régimes Cnav et AGIRC-ARRCO
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et au travail de maïeuticien de Jean-Marie Palach (ainsi qu’à la maîtrise technique de
François Lagarde).
Depuis quinze ans, les progrès réalisés sont spectaculaires, dépassant le cadre
de la seule information retraite. Il est possible désormais de demander sa retraite en
ligne à l’ensemble des régimes « en une seule fois », choix opéré désormais par la
majorité des demandeurs. La complexité inhérente à l’existence de plusieurs régimes
de retraite est en train d’être pour partie gommée. Le directeur du GIP Union Retraite
faisait remarquer récemment24 que la France se classait au 2e rang des pays de l’OCDE
sur la qualité de l’information retraite. Le compte retraite retrace même désormais
l’ensemble des dispositifs d’épargne retraite auxquels l’assuré a cotisé. Lors de la
dernière réforme des retraites, des millions d’utilisateurs ont pu découvrir l’applica-
tion « Mon compte retraite », en mesure de simuler ou d’évaluer leur date et leur
montant de retraite quelques semaines seulement après l’adoption de la loi du 14 avril
2023.
Beaucoup d’autres dispositions mériteraient un commentaire : création du régime
additionnel de la fonction publique, refonte du régime de base des professions libérales
autour d’un régime en points, taxation des dispositifs de pré-retraite, tentative d’évolu-
tion de la réversion, réforme des régimes de l’article 39, etc. La loi de 2003 comprend
certainement comme nombre de textes législatifs son lot d’erreurs, de maladresses et
de malfaçons. Mais le recul du temps permet de mieux apprécier - y compris pour un
acteur direct ! - tous les éléments systémiques de cette réforme paramétrique.

23 La question de l’information était à vrai dire absolument cruciale dans le cadre de la réforme mettant en place
des comptes notionnels et visant à développer une épargne retraite obligatoire.
24 Conférence donnée par Stéphane Bonnet le 4 juillet 2023 lors de la Masterclass « Retraite et bien vieillir » de
la Chaire Protection sociale et territoires (Sciences Po Lyon/EN3S).

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