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Responsabiliser l’indifférence à la vaccination

Laurent Gerbaud, Marie Blanquet


Dans Regards 2023/2 (N° 62), pages 141 à 149
Éditions EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale
ISSN 0988-6982
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DÉCEMBRE 2023 • N°62

PARTIE C : LIBERTÉ, INDIVIDU ET


PROTECTION SOCIALE

Responsabiliser l’indifférence à la vaccination


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Par le Pr Laurent Gerbaud, Chef du pôle santé publique au CHU de Clermont-Ferrand et
le Dr Marie Blanquet, Médecin et économiste de la santé au CHU de Clermont-Ferrand

Laurent Gerbaud est chef du pôle santé publique du CHU de Clermont-


Ferrand et chef du pôle santé handicap étudiant à l’université
Clermont-Auvergne. Il fait partie de l’Institut Pascal-UCA CNRS Sigma.

Marie Blanquet est médecin généraliste et a exercé en libéral avant de


devenir praticienne hospitalière dans le service de santé publique du
CHU de Clermont-Ferrand. Elle est économiste de la santé et réalise
des évaluations médico-économiques pour des projets de recherche
clinique.

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RESPONSABILISER L’INDIFFÉRENCE À LA VACCINATION

Résumé

Le retour sur quinze ans d’expérience nous fait nous poser la question de l’exis-
tence d’une réelle politique vaccinale. La conduite d’actions synergiques incluant la
prise de conscience collective de l’importance de la vaccination par les profession-
nels de santé, les établissements de santé et les patients, l’interopérabilité des outils
numériques, le besoin de considérer conjointement la littératie en santé et l’empou-
voirement est indispensable. Les externalités négatives en perspective sociétale de la
non-vaccination sont humainement graves et médico-économiquement élevées. Les
ressources sanitaires humaines et financières sont limitées. Une réflexion sociétale
sur leur modalité de dispensation à l’échelle populationnelle est à mener et doit inté-
grer la capacité du système de santé à absorber d’autres crises sanitaires, sans quoi
ces crises exposeront la population à une augmentation des inégalités sociales de
santé et à un effondrement du système de santé.
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I- AVONS-NOUS UNE POLITIQUE VACCINALE : RETOUR SUR
QUINZE ANS D’EXPÉRIENCE
Les pratiques de vaccination, que ce soit en centre de santé, en pratique libérale ou
à l’hôpital, permettent d’interroger si nous avons réellement une politique vaccinale,
c’est-à-dire un ensemble cohérent d’actions synergiques entre elles. Bien sûr, des
actions ont été menées, des vaccins de la petite enfance ont été rendus obligatoires,
il existe un calendrier vaccinal…, mais sur une longue période les incohérences sont
nombreuses, ce qui favorise une perception floue des enjeux par le public. Pour citer
quelques exemples, en vrac, et tout aussi en vrac que les politiques vaccinales !
Les logiciels métier des professionnels de santé sont fort contrôlés en termes de
sécurité (label ASIP), mais aucun n’est conçu pour la traçabilité, le suivi et la recherche
des patients non vaccinés au sein d’une patientèle hospitalière comme ambulatoire.
Aucun n’est conçu pour intégrer un calendrier vaccinal modifié chaque année. D’ail-
leurs, il est difficile à suivre et à comprendre que ce calendrier change d’une année
sur l’autre. Certes, cela permet de coller plus vite à des consensus scientifiques, mais
l’impact de changements trop fréquents sur la faisabilité de la politique vaccinale n’a
jamais été pensé. Il y a cinq ans, les vaccins sont passés, pour les centres de vacci-
nation, d’une dotation par l’État à un remboursement par l’assurance maladie. Cela a
permis un transfert de charge de l’un vers l’autre (l’État se déchargeant sur l’assurance
maladie afin de paraître plus vertueux), mais cela a complexifié l’accès à la vaccination
ou à un rattrapage vaccinal de populations hors assurance maladie : étudiants étran-
gers primo-arrivants en attente d’ouverture de droits, personnes en situations irrégu-
lières… Bien sûr, il a fallu retrouver des budgets pour ces populations, mais il y a quand
même eu des agences régionales de santé ne reconnaissant plus qu’un seul centre
de vaccination par département afin « d’améliorer l’accès à la vaccination » et surtout
de réduire les dépenses et le nombre d’interlocuteurs. À l’hôpital, une demande de
dotation de vaccins antipneumococciques pour des patients précaires hospitalisés le

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nécessitant s’est initialement soldée par un refus, avec comme argumentaire le coût
unitaire élevé du vaccin et le fait qu’il pouvait être fait en ville. Il a fallu la présentation
du texte de loi rappelant l’obligation légale de prévention des établissements de santé
pour obtenir une dotation « exceptionnelle ».
En pratique courante, faire un test rapide d’immunisation contre le tétanos prend
moins de temps que d’interroger un patient, de retrouver un éventuel carnet de vacci-
nation ou d’appeler le médecin traitant. Certains patients ont encore un carnet de vacci-
nation papier, mais seuls de rares patients demandent spontanément aux médecins
de vérifier s’il y a un vaccin à mettre à jour. Aucun patient n’a trouvé pertinent le carnet
de vaccination dématérialisé lorsqu’il lui était présenté en consultation sous prétexte
que le médecin lui dira bien s’il y a besoin. Et de toute façon, quel est le sens d’un
carnet de vaccination dématérialisé, bien qu’il soit encore actuellement promu par les
autorités de santé, alors que l’on essaie de développer le dossier médical personnel de
chaque patient ? Comme si la vaccination n’en était pas un point essentiel.
Même si les personnes réellement opposantes à la vaccination sont rares, de tels
conflits peuvent apparaître en consultation et le praticien se retrouve fréquemment
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seul et sans soutien, comme face à ce père mettant neuf mois avant d’accepter la
vaccination antitétanique de sa fille, avant l’obligation vaccinale. Le déroulement d’un
conflit peut être générationnel, lorsqu’un parent réticent pour une vaccination contre
la coqueluche (avec l’argument qu’elle n’en voyait plus dans son entourage) a été
fustigé par le grand-parent également présent, qui lui a rappelé qu’un de ses frères
avait vécu avec des séquelles graves de la coqueluche et était mort prématurément,
faisant de cette infection une maladie grave. Ou lorsqu’un étudiant accepte une vacci-
nation contre l’hépatite B, mais à condition que ses patients, farouches opposants, ne
soient pas informés.
Malheureusement, la situation post-crise Covid a tendance à aggraver les choses.
Les invectives répétées d’une très petite partie des soignants, mais fortement relayées
par les réseaux sociaux et internet, concernant l’efficacité du vaccin contre la Covid-19
du type « tu disais que le vaccin était efficace, mais il y a plus de patients vaccinés qui
arrivent aux urgences que de patients non vaccinés » ont dominé médiatiquement les
explications données, dessin à l’appui pour désamorcer la situation. On aurait dû et pu
mieux relayer, écouter la colère et la fatigue des soignants, comme celle d’une de nos
consœurs qui réorientait une fois de plus son service de réanimation vers la prise en
charge des patients atteints de la Covid-19, « pour les entendre pleurer à l’arrivée dans
le service que s’ils avaient su ils se seraient fait vacciner ». Tout comme l’épuisement
de prendre en charge des patients atteints de pathologies non transmissibles à des
stades avancés, après une vague d’infection Covid dédiée lors de sa dernière année,
presque exclusivement à la prise en charge de personnes non vaccinées.
Dès lors, quels seraient les points par lesquels on pourrait parler de politique
vaccinale ?

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RESPONSABILISER L’INDIFFÉRENCE À LA VACCINATION

II- OBSTACLES IDENTIFIÉS À LA SYSTÉMATISATION DE LA


VACCINATION
II.1/ Se sentir concerné par le sujet

Les professionnels de santé devraient inclure systématiquement dans l’interroga-


toire du patient un point sur le statut vaccinal. Les établissements de santé oublient
que la réalisation d’actes de prévention fait partie intégrante de leurs missions
(article L6111-1 du code de santé publique) [1] et, mis à part en pédiatrie, le statut
vaccinal n’est exploré en hospitalisation que lorsqu’il y a une exposition directe à la
maladie (tétanos en présence d’une plaie) ou lorsqu’il y a des symptômes pouvant
l’évoquer (coqueluche en présence d’une toux persistante). Les patients ne sollicitent
que très peu les soignants concernant leur statut vaccinal. Les maladies cibles des
vaccins sont beaucoup moins fréquentes (voire en disparition), ce qui contribue à une
sous-estimation du risque. Le fait que les vaccins soient « recommandés » et non
« obligatoires » contribue également au doute concernant leur nécessité. Rappelons
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que 1,5 million de décès supplémentaires seraient évités si la couverture vaccinale
(hors Covid) était améliorée et en 2019, l’OMS avait classé l’hésitation à la vaccination
parmi les dix menaces pour la santé globale [2]. Dans le cadre du développement
professionnel continu des professionnels de santé, la question des vaccins devrait
figurer, quelle que soit la spécialité.

II.2/ Interopérabilité des outils

Chaque profession dispose d’un panel de logiciels métier qui ne sont pas inte-
ropérables entre eux et avec les autres professions et les établissements de santé,
complexifiant ainsi le développement d’une intégration des soins. Par contre, ces
logiciels font l’objet de contraintes fortes par l’État comme par l’assurance maladie
(par exemple la nécessité de labellisation ASIP2 des logiciels des centres de santé
adhérents à la convention). Il doit y avoir le même type de contraintes concernant
l’évaluation du statut vaccinal, la genèse de rappels automatiques et une mise à jour
automatique en fonction de l’évolution du calendrier vaccinal.
Les professionnels de santé disposent de liens vers d’autres logiciels (bilans biolo-
giques, examen d’imagerie) et vers le site de l’assurance maladie pour les déclarations
en ligne, une nouvelle application qui serait différente du logiciel métier ajouterait
en complexité. L’interopérabilité annoncée du carnet vaccinal numérique (CVN) avec
« Mon espace santé » permettra de disposer de l’information lors de la prise en charge
du patient et de données mises à jour concernant les indications de vaccination pour
chaque profil de patient (www.mesvaccins.net). Il ne faut cependant pas négliger le
fait que la mise en œuvre d’une nouvelle application concernant la prévention n’a de
pertinence que si le plus grand nombre de professionnels de santé et de patients
s’en empare, sans quoi l’outil perdra les objectifs opérationnels ayant un impact
populationnel : améliorer la couverture vaccinale de la population, améliorer la phar-
macovigilance et la sécurité vaccinale, produire des données factuelles pour établir
une politique vaccinale ou favoriser la réalisation d’études de recherche clinique [3].

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Il faudra en parallèle travailler la communication avec les patients, favoriser l’em-


pouvoirement de toutes et tous, notamment en s’assurant que les documents émis
suivent les règles du FALC - « facile à lire et à comprendre » - et favorisent la littératie
en santé vaccinale.

II.3/ Science et compétences, développer la littératie en santé

La littérature scientifique concernant les vaccins, leur efficacité, leur composi-


tion, leur sécurité est riche et accessible pour le grand public et les professionnels de
santé, mais sa compréhension nécessite des compétences spécifiques. Il est égale-
ment indispensable de vérifier que les données consultées sont issues de recherches
scientifiques et ont bénéficié d’une méthodologie adaptée. Le niveau de littératie en
santé des personnes est alors un déterminant clef. La littératie en santé est définie
par l’OMS comme « les caractéristiques personnelles et les ressources sociales
nécessaires des individus et des communautés afin d’accéder, comprendre, évaluer
et utiliser l’information et les services pour prendre des décisions en santé » [4]. Le
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Pr Van den Broucke explique que le concept de littératie s’est étendu à l’ensemble de la
santé publique et que la définition proposée par SØrensen et al. prend en considération
cette extension : « La littératie en santé implique la connaissance, les compétences,
la motivation et la capacité d’un individu à repérer, comprendre, évaluer et utiliser des
informations sur la santé lors de la prise de décisions dans les contextes des soins de
santé, de la prévention des maladies et de la promotion de la santé pour maintenir ou
améliorer la qualité de vie au cours de la vie. » [4,5]. Dans son rapport de 2013, l’OMS
Europe explique qu’une faible littératie en santé est associée à moins de choix favo-
rables à la santé, l’adoption de comportements à risque, une moins bonne santé, une
moins bonne autonomie de décision et plus d’hospitalisation. L’OMS rapporte égale-
ment que de faibles compétences en littératie sont significativement associées à une
plus grande utilisation des ressources humaines et financières du système de santé
[6]. Enfin, le rapport de l’OMS aborde la perspective médico-économique et l’associa-
tion entre faible niveau de littératie en santé et dépenses de santé élevées. Au Canada,
le coût d’une faible littératie en santé a été évalué à 8 milliards de dollars, soit 3 à
5 % du budget des soins, et aux États-Unis en 1998, les coûts avaient été estimés à
73 milliards de dollars. La faible littératie en santé d’une personne peut également
avoir des externalités négatives sur d’autres [7,8]. Morrison et al. expliquent qu’une
faible littératie en santé est associée à des connaissances et des comportements
alimentaires pauvres, un taux d’obésité plus élevé, plus d’erreurs médicamenteuses,
plus de passages aux urgences et des connaissances, comportements et résultats de
santé plus mauvais pour l’asthme [7]. Zaidman et al. démontrent que pour la prise en
charge des pathologies chroniques de l’enfant, le faible niveau de littératie en santé
des parents est associé à de plus mauvais résultats de santé [8].
En Europe, huit pays membres ont lancé le projet européen de la littératie en
santé qui a conduit à l’élaboration d’un auto-questionnaire afin de l’évaluer, et à une
étude pour mesurer le degré de littératie en santé de la population européenne. Au
total, 7 795 personnes ont complété le questionnaire et 47,6 % d’entre elles présen-
taient un niveau de littératie en santé inadéquate (12,4 %) ou problématique (35,2 %).
Ce pourcentage variait selon le pays avec un minimum de 28,7 % aux Pays-Bas et un
maximum de 62,1 % en Bulgarie. L’analyse multivariée a permis d’identifier comme

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RESPONSABILISER L’INDIFFÉRENCE À LA VACCINATION

facteur associé à un plus faible niveau de littératie en santé la présence d’une préca-
rité socio-économique, d’un bas statut social, d’un faible niveau d’éducation, d’un âge
élevé et du sexe masculin. Les auteurs concluent que le niveau faible de littératie qui
touche près de la moitié des personnes de l’étude représente un défi pour les poli-
tiques de santé publique des pays européens [9].

II.4/ Empouvoirement

Pekonen et al. décrivent le concept d’empouvoirement comme multidimensionnel,


sans qu’un consensus n’est pu être trouvé sur sa définition. Les définitions existantes
incluent les capacités des patients, leur pouvoir, leur connaissance, leurs compor-
tements (prises de décisions rationnelles, partagées et la gestion de sa maladie et
de sa vie) [10]. Dans leur article, Schultz PJ et Nakamoto K, développe le concept
d’empouvoirement et le lie à celui de littératie en santé. Augmenter l’empouvoire-
ment des patients signifie augmenter leur volonté d’être autonomes dans la prise de
décision concernant leur santé, mais le présupposé est que les patients disposent de
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l’expertise nécessaire. Les auteurs présentent les effets négatifs qu’a la présence de
seulement un des deux concepts. Un niveau de littératie élevé et un empouvoirement
faible conduisent à une dépendance du patient envers les professionnels de santé
et l’inverse conduit à une autogestion dangereuse, ce qui est illustré par le refus de
vaccination contre la rougeole aux États-Unis, notamment dans des communautés
religieuses intégristes de toutes sortes confondant allègrement exégèse de textes
sacrés et connaissances scientifiques [11].

II.5/ Vaccination et organisation des soins

L’organisation des soins n’est propice ni à la vérification systématique des vaccins


ni à leur administration à toute occasion. Le changement de paradigme de patho-
logie aiguë vers le parcours de santé nécessite une amélioration de la maturité des
organisations de soin avec une évolution vers le pluriprofessionnalisme, une diffusion
plus assumée et mieux répartie de tâches et une intégration des soins. La structura-
tion d’un parcours de santé basée sur une infirmière de parcours ou l’organisation
d’un cabinet médical autour d’un assistant médical ou d’une infirmière (Asalée ou
de pratique avancée) permet une systématisation de la requête du statut vaccinal, et
grâce aux évolutions réglementaires récentes, la réalisation d’actes vaccinaux dans
des situations plus fréquentes. Encore faut-il que la question du statut assurantiel, de
l’ouverture de droits, ne soit pas un motif de délai et à terme de freins. Vérifier le statut
vaccinal à toute occasion, informer et obtenir le consentement du patient suppose que
le vaccin soit effectué dans le même temps.

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II.6/ Coût sociétal de la non-vaccination

Tout d’abord, il ne faut pas oublier que la vaccination est un moyen de se débarrasser
définitivement de maladies purement humaines et graves. Cela a été le cas pour la
variole en 1978, cela pourrait être le cas aujourd’hui de la poliomyélite et de la rougeole.
Hors Covid, le coût sociétal de la non-vaccination est très élevé. Pike et al. ont
calculé le coût sociétal de l’épidémie de rougeole qui a eu lieu aux États-Unis dans
le comté de Clark entre le 31 décembre 2018 et le 26 avril 2019 [12]. Le coût sociétal
total de l’épidémie était de 3,4 millions de dollars, 2,3 millions pour la mobilisation
des ressources en santé publique pour la gestion de l’épidémie, 1 million de perte de
productivité et 76 000 dollars de coûts médicaux directs [12]. Les externalités posi-
tives de la vaccination sont majeures avec, par exemple aux États-Unis, 24 dollars
économisés pour chaque dollar dépensé pour le vaccin diphtérie-tétanos-coqueluche,
faisant de la vaccination l’intervention de santé la plus efficace en matière de coût
[13]. Le coût par année de vie sauvée de la vaccination est faible, 2 à 15 dollars pour
la rougeole par exemple, contre 4 300 à 73 000 dollars en prévention tertiaire pour la
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prescription d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion, dans les suites d’un infarctus
[14]. Kirson et al. ont modélisé les coûts évités par la vaccination Covid-19 et ont
retrouvé 1,27 billion de dollars correspondant aux coûts qui auraient été générés par
les cas de Covid en l’absence de vaccination, et 3,73 billions de dollars correspondant
aux coûts des restrictions sociales et de l’activité économique en l’absence de la vacci-
nation, soit un total de 5 billions de dollars (1,8 à 9,9 billions dans l’analyse de scénario)
[15]. Les analyses médico-économiques ci-dessous ne prennent pas en considération
les coûts issus du retard de prise en charge des patients atteints de pathologies non
transmissibles, qui sont engendrés par l’orientation unique du système de santé vers
la prise en charge de l’épidémie. Il y a eu un retard de dépistage pour les cancers au
moment de la première crise Covid de 2020 avec, par exemple aux États-Unis, une
chute de 89,2 % du nombre de tests de dépistage réalisés pour le cancer du sein, et
84,5 % pour le cancer colorectal jusqu’à mai 2020 [16]. Cela a eu pour conséquence
une diminution de 65,2 % de l’incidence des nouveaux cas de cancers diagnostiqués en
avril 2020, mais une influence de l’épidémie sur le stade plus avancé de diagnostic des
tumeurs n’a pas été retrouvée [17]. Le coût sociétal de la non-vaccination est majeur et
composé de la sollicitation des ressources de santé publique du pays pour la gestion
de l’épidémie, de la perte de productivité, des coûts médicaux et des coûts de retard de
prise en charge des pathologies non transmissibles.
Enfin, il faut toujours se rappeler que si le système de santé a tenu face à l’épidémie
de Covid, cela a été grâce au port du masque, dans un premier temps, qui a permis de
ralentir la vitesse de progression (hors périodes de confinement) et la proportion de
cas graves (en réduisant la charge virale initiale, facteur important de sévérité), puis
grâce à l’efficacité des vaccins : ceux-ci ont permis de protéger les patients des formes
graves (notamment pulmonaires). Les vaccins n’ont pas supprimé la contamination (et
la circulation) purement ORL de la maladie, mais la pression vaccinale a fait que les
variants circulant étaient ceux ayant un tropisme purement ORL - et donc beaucoup
moins fréquemment graves.

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RESPONSABILISER L’INDIFFÉRENCE À LA VACCINATION

III- CONCLUSION
Se vacciner contribue à une protection individuelle et collective en augmentant
la couverture vaccinale, qui diminue la circulation de l’agent pathogène, et en dimi-
nuant la consommation des ressources en soins, humaines et matérielles, qui sont
alors disponibles pour la prise en charge précoce des patients atteints de maladies
non transmissibles, pathologies chroniques ou cancéreuses, en particulier. Les exter-
nalités négatives en perspective sociétale de la non-vaccination sont graves et non
perçues. Les ressources humaines et matérielles dont nous disposons pour le soin
sont limitées, et une réflexion sociétale sur leur modalité de dispensation à l’échelle
d’une population est à conduire. La charge en soin ne pourra pas être absorbée tant
du point de vue des ressources humaines que financièrement sans prévention [18], et
a fortiori, s’il faut que le système de santé conserve une capacité d’absorption d’autres
crises sanitaires, toutes causes confondues. Ces crises exposeront la population à
une augmentation des inégalités sociales de santé et à un effondrement du système
de santé.
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