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Les cercles de la solidarité dans la protection sociale

Gilles Huteau
Dans Regards 2023/2 (N° 62), pages 47 à 57
Éditions EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale
ISSN 0988-6982
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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Les cercles de la solidarité dans la protection


sociale

Par Gilles Huteau, Professeur à l’université de Rennes, EHESP, DCS UMR-CNRS 6297

Gilles HUTEAU est docteur en droit et ancien élève de l’École nationale


supérieure de Sécurité sociale (CNESSS, 28e promotion). Il a occupé
plusieurs postes de directeur de caisse primaire d’assurance maladie
avant de poursuivre sa carrière professionnelle dans l’enseignement
supérieur. Il est aujourd’hui professeur de droit social à l’École des
hautes études en santé publique (EHESP), établissement composante
de l’université de Rennes où il dirige le master droit et gouvernance
du secteur sanitaire et social. En tant qu’enseignant-chercheur, il est
membre du laboratoire Droit et changement social de l’université de
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Nantes (UMR-CNRS 6297) et a produit de nombreux articles et rapports
sur les questions de protection sociale. Il est également l’auteur de l’ouvrage Le Droit
de la sécurité sociale. Système et finalités (Presses de l’EHESP, 2e éd., 2021).

Résumé

Il existe de multiples cercles de solidarité dans la protection sociale. Aussi, leur


fragmentation rend illusoire le passage à une solidarité universelle monolithique
vis-à-vis des risques et besoins sociaux, d’autant plus que les grandes composantes
structurelles de la protection sociale (sécurité sociale, aide sociale, protection sociale
complémentaire) renvoient, le cas échéant de façon concomitante, à des cercles de
solidarité différents (solidarité nationale, solidarités socioprofessionnelles), ceux-ci
pouvant eux-mêmes être déclinés en de nombreuses catégories ou sous-catégories
de bénéficiaires et se superposer ou s’enchevêtrer, à telle enseigne qu’ils aboutissent
à former une architecture complexe. Promouvoir la solidarité nationale est certes plus
que jamais nécessaire, mais la garantie collective d’un haut niveau de solidarité invite
à s’écarter de scénarios d’évolution sinon utopistes, tout au moins trop radicaux, dans
la mesure où à l’épreuve des faits, leur mise en place serait compromise. Il semble
en revanche judicieux, pour relever les défis actuels et à venir de la protection sociale,
que l’État s’attache à créer les conditions d’une articulation efficiente entre les diffé-
rents cercles de solidarité.

Il y a des mots qui ont une fortune singulière. Celui de solidarité en fait manifeste-
ment partie. Alors qu’il s’agissait à l’origine d’un terme réservé au langage juridique, il
a acquis par la suite une acception autrement plus large comme l’illustrent, au-delà du
discours public ayant trait à la protection sociale, les appels récurrents à la solidarité
dans la société contemporaine.
• 47
LES CERCLES DE LA SOLIDARITÉ DANS LA PROTECTION SOCIALE

Une telle invocation de la solidarité invite à en cerner le sens d’autant plus qu’il
s’agit d’une notion non exempte d’une certaine ambiguïté, s’étant forgée au croise-
ment de divers courants de pensée1. À vrai dire, cette « idée floue »2 est révélatrice
de la difficulté de penser l’articulation entre l’individu et le collectif au lendemain de
la Révolution française : sachant que les individus sont devenus libres et égaux en
droit et que la loi Le Chapelier a aboli les groupements corporatifs, la solidarité s’est
trouvée sollicitée au vu d’une interrogation devenue cruciale : comment parvenir à
tisser le lien social entre les individus ? Aussi n’est-il guère étonnant que cette notion
aux contours vagues ait été aussi souvent sollicitée compte tenu de la récurrence du
problème soulevé. Peut-être même son ambiguïté est-elle de nature à expliquer pour-
quoi son emploi suscite autant d’engouement ?
Sans doute convient-il pour éclairer la signification du mot « solidarité » de se
référer tout d’abord à son étymologie, qui est commune avec celui de « solidité »,
ces deux termes ayant la même racine latine solidus c’est-à-dire « entier, massif,
compact ». Il est désigné de la sorte « le caractère de ce qui forme un tout, indivisible,
au sein duquel existe un rapport d’interdépendance de fait entre les parties, comme
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si elles étaient soudées, non séparables, qu’il s’agisse de choses, de phénomènes,
d’organismes vivants ou d’une société »3. Introduite dans le Code civil de 1804, la soli-
darité est initialement entendue dans la langue française comme une technique juri-
dique destinée à régler les hypothèses de pluralité de créanciers ou de débiteurs d’une
même obligation. L’usage de ce vocable permettait de penser le rapport d’obligation
sur un plan collectif, et non pas seulement sur un plan individuel tel que généralement
en droit civil4. Néanmoins, c’est plus tard, à partir du milieu du XIXe siècle, notamment
sous l’influence du sociologue Émile Durkheim5, que la notion de solidarité a acquis
une acception plus large, avant de connaître un nouvel essor sous la IIIe République
à la faveur du solidarisme prôné par Léon Bourgeois6, alors un homme politique de
premier plan. Selon cette doctrine, la solidarité est comprise dans l’acception d’une
responsabilité mutuelle entre les hommes, d’une même communauté d’appartenance,
constituée de droits et obligations les uns envers les autres.
Aussi, l’école solidariste érige la solidarité en principe d’action publique, ce qui
va créer un contexte favorable à la prise en compte par l’État des risques et besoins
de l’existence humaine. Au passage du XIXe au XXe siècle, les premières formes obli-
gatoires d’assistance sociale et d’assurances sociales instituées par la loi appa-
raissent en France. Elles concrétisent deux types de rapports de solidarité auxquels
se réfèrent les cercles de leurs bénéficiaires respectifs : l’assistance est destinée aux
indigents incapables de se procurer par le travail les moyens nécessaires à leur exis-
tence, tandis que l’assurance sociale concerne les seuls travailleurs salariés. Autre-
ment dit, la première met en œuvre la solidarité nationale envers les personnes les
plus démunies, alors que la seconde renvoie aux solidarités socioprofessionnelles.

1 Pour une vue d’ensemble de l’histoire juridique et politique de la solidarité, voir l’ouvrage de référence de
Michel Borgetto, La notion de fraternité en droit public français. Le Passé, le Présent et l’Avenir de la solidarité,
LGDJ, 1993 ; également pour les aspects sociologiques, voir M.-Cl. Blais, La Solidarité : histoire d’une idée,
Gallimard, 2007.
2 P. Dubois, « Mise au point sur une idée floue : la solidarité », La revue économique et sociale, mars 1987, pp. 7-17.
3 J.-Y. Barreyre, B. Bouquet, Nouveau dictionnaire critique d’action sociale, 2e éd., Bayard, 2006, p. 552.
4 A. Supiot, « Sur le principe de solidarité », Zeitschrift des Max-Planck-Instituts für europäische Rechtsgeschichte,
n° 6, 2005, p. 70.
5 E. Durkheim, De la division du travail - Étude sur l’organisation des sociétés supérieures, PUF, 2007 (éd.orig.1893).
6 L. Bourgeois, Solidarité, PU du Septentrion, 1998 (éd. orig. A. Colin 1886).

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Eu égard à cette dualité, la solidarité n’est pas seulement à ériger au rang de principe
fondamental de la protection sociale, mais elle trouve également à s’incarner comme
des techniques de couverture des risques et besoins sociaux qui relèvent de deux
logiques différentes, en fonction des cercles de bénéficiaires concernés.
À partir du moment où ils en sont les matrices structurantes, les cercles de soli-
darités, auxquels correspondent autant de cercles de bénéficiaires, représentent une
question cruciale pour la protection sociale. Sécurité sociale, aide et action sociales,
protection sociale complémentaire…, les sous-ensembles du système français sont
diversifiés, et englobent eux-mêmes de nombreux sous-ensembles aux périmètres plus
restreints. C’est particulièrement le cas dans la Sécurité sociale, où sont juxtaposés au
régime général le régime agricole et une grande variété de régimes spéciaux ; ou encore,
dans la protection sociale complémentaire, où coexistent la mutualité et les institutions
de retraites ou de prévoyance. On pourrait être tenté de croire en se référant à la distinc-
tion primitive entre solidarité assistancielle et solidarité socioprofessionnelle, que ce
sont là autant de composantes du système de protection sociale qui institutionnalisent
chacune un cercle de solidarité bien identifié. Or, une telle assertion serait aujourd’hui en
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grande partie fausse compte tenu des évolutions substantielles du système de protec-
tion sociale depuis la création de la sécurité sociale. Il y a de plus en plus de glissements
entre les frontières traditionnelles des composantes de la protection sociale. L’exemple
le plus significatif en est fourni par la Sécurité sociale, laquelle ne se limite plus à un
cercle de solidarité entre travailleurs, mais a élargi son périmètre d’intervention, à
l’image de cercles concentriques, à l’ensemble des citoyens, et combine à cette fin des
techniques de solidarité relevant de la logique des assurances sociales et de la logique
assistancielle. Issu de l’accumulation de mesures conjoncturelles et éparses, ce brouil-
lage des frontières entre les composantes de la protection sociale s’est accompagné
d’une superposition et d’un enchevêtrement des cercles de solidarité, qui sont non
seulement préjudiciables à la lisibilité du système de protection sociale, mais sont aussi
susceptibles de laisser place à des situations inéquitables et à des « angles morts »
dans la couverture des risques et besoins sociaux.
C’est pourquoi l’exigence d’une cohérence d’ensemble des cercles de solidarité
semble devoir s’imposer au sein de la protection sociale, sans qu’il soit pour autant
opportun d’envisager la remise en cause de leur pluralité au profit d’une solidarité
universelle monolithique. Ce serait vraisemblablement un dessein voué à rester une
utopie tant il semble difficile de faire table rase, tout au moins à courte ou moyenne
échéance, de l’ordonnancement actuel des cercles de solidarités au sein de la protec-
tion sociale, d’autant plus qu’ils procèdent des communautés d’appartenance de leurs
bénéficiaires. Il conviendrait plutôt, en vue d’aboutir à une meilleure cohérence et par
suite, à une plus grande performance de la couverture des risques et besoins sociaux,
de parvenir à une articulation plus pertinente des différents cercles de solidarité.
Encore faudrait-il être en mesure de pouvoir le faire en inscrivant cette démarche
dans une optique de projet global et en associant tous les acteurs parties prenantes.
Aussi, la solution au problème soulevé est à rechercher du côté de l’État, entendu
comme un tiers garant reconnu de tous7, à la condition qu’il ne prétende pas dicter
unilatéralement sa conception des solidarités, et qu’il soit à la fois le garant de la
solidarité nationale et « l’assemblier » des différents cercles de solidarité, voire même
au-delà des seules solidarités publiques.

7 Sur cette figure constitutive du droit, voir A. Kojève, Esquisse d’une phénoménologie du droit, Gallimard, 1981,
p. 73.

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LES CERCLES DE LA SOLIDARITÉ DANS LA PROTECTION SOCIALE

I- 
L’INDIVIDU AU CENTRE DE DIFFÉRENTS CERCLES DE
SOLIDARITÉ EN FONCTION DE SES COMMUNAUTÉS
D’APPARTENANCE
L’échec du Plan français de sécurité sociale de 1945 d’établir une configuration
unique des solidarités dans le cadre du régime général a laissé place à d’autres
institutions de la protection sociale incarnant de nouveaux cercles de solidarité (I.1).
Adoptées sous l’effet des mutations sociologiques, économiques et politiques, les
transformations contemporaines de la protection sociale ont abouti à une fragmenta-
tion et une complexité des cercles de solidarité devenues difficilement maîtrisables au
détriment d’une cohérence d’ensemble (I.2).

I.1/ Une extension des cercles de solidarité perceptible dans le


paysage institutionnel de la protection sociale
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Si elle vise à concrétiser la solidarité nationale8 vis-à-vis des risques de l’existence
humaine, pour autant la sécurité sociale n’instaure pas à ce titre un cercle de solidarité
homogène. À partir du moment où elle a été généralisée à l’ensemble de la population
active et inactive, elle a fait coexister deux grandes logiques, celle des assurances
sociales et celle de l’assistance sociale, chacune d’elles correspondant à une commu-
nauté d’appartenance distincte :
 la logique d’assurance sociale en vertu de laquelle les prestations
sont dues en contrepartie de cotisations. Se référant à la solidarité
socioprofessionnelle, elle dessine un cercle de solidarité englobant les
travailleurs et le cas échéant, les membres de leurs familles appelés
ayants droit. C’est notamment le cas, en ce qui concerne les prestations
en espèces de l’assurance maladie-maternité (indemnités journalières),
de l’assurance invalidité (pension d’invalidité), ou encore dans celui de
l’assurance vieillesse (pension de retraite) et de l’assurance accident du
travail et maladie professionnelle ;
 la logique d’assistance sociale, à laquelle peut se rattacher de façon connexe
la logique d’universalité. Au contraire de la précédente, elle consiste à
déconnecter le droit aux prestations de l’obligation de contribuer, avec un
financement fiscalisé, de sorte qu’il puisse être attribué sur simple condition
de résidence stable et régulière en France. Elle dessine un cercle de solidarité
englobant les personnes sans ou à faibles ressources, ou selon la logique
d’universalité, la quasi-totalité de la population au-delà du seul périmètre
des travailleurs et de leurs ayants droit, c’est-à-dire celles faisant partie de
la communauté nationale (hormis précisément les personnes en situation
irrégulière) ; le cas échéant, en reconnaissant à chacun un droit social propre
comme le matérialise la protection universelle maladie (PUMA)9. C’est
notamment le cas pour les prestations relatives à la prise en charge des
frais de santé, les prestations familiales, ainsi qu’en assurance vieillesse
avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

8 Article LO 111-1 du Code de la sécurité sociale


9 D. Tabuteau, « La protection universelle maladie (PUMA) : une transfiguration législative de l’assurance
maladie », RDSS, n° 6, décembre 2015, p.1058 et s.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

De surcroît, le morcellement de la Sécurité sociale en une pluralité de régimes


socioprofessionnels qui incarnent autant de solidarités propres à certaines catégories
de travailleurs salariés (régime des marins, régime de la SNCF, régime des employés
et clercs de notaire…), ou encore, de travailleurs indépendants (régime des exploi-
tants agricoles, régime d’assurance vieillesse des professions libérales), a abouti à la
juxtaposition, en sus de ceux prévus dans le régime général, d’autres cercles de soli-
darités qui, s’ils se rapportent aux mêmes ensembles de risques sociaux, sont le plus
souvent assortis de règles de prise en charge et de cotisations différentes.
Condition première de la mise en œuvre de la solidarité nationale face aux risques
et besoins sociaux, l’universalité de la Sécurité sociale reste néanmoins une notion
relative. Les contours en sont à géométrie variable, ce qui a laissé place au maintien
ou à l’apparition d’autres composantes de la protection sociale, lesquelles constituent
autant de socles de cercles de solidarité venant s’ajouter à ceux de la Sécurité sociale.
Sans doute convient-il de citer en premier lieu l’aide et l’action sociales, principa-
lement mises en œuvre d’une façon décentralisée par les Départements. Elles four-
nissent un cadre juridique propice à l’exercice de la solidarité nationale envers les
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personnes démunies comme l’illustrent leurs formes d’intervention traditionnelles,
mais les cercles de leurs bénéficiaires s’apprécient département par département, à
charge pour chaque conseil départemental, s’il le souhaite, et dans certaines limites,
de compléter au titre des solidarités de proximité les prestations d’aide sociale. De leur
côté, les centres communaux d’action sociale conduisent une action sociale faculta-
tive en faveur de leurs ressortissants. Héritières de la charité religieuse puis laïcisées
sous la forme de lois d’assistance, l’aide et l’action sociales matérialisent des cercles
de solidarité d’autant plus indispensables qu’elles concourent à la cohésion nationale
à la faveur de leur rôle dans les politiques de lutte contre les exclusions sociales.
Il y a aussi d’autres cercles de solidarité qui procèdent de l’institution de régimes
d’origine conventionnelle, rendus par la suite obligatoires par la loi, en l’occurrence les
régimes de retraites complémentaires (ex. régime Agirc-Arrco) et le régime d’assurance
chômage. Prenant leur essor dans les années 1950-1960 à l’initiative des partenaires
sociaux, ils concernent pour l’essentiel des champs de bénéficiaires constitués de
travailleurs salariés, ainsi protégés sur le fondement des solidarités professionnelles.
L’indemnisation du chômage distingue entre le régime d’assurance chômage propre-
ment dit et le régime de solidarité à logique assistancielle, financé par l’État et destiné
aux chômeurs en fin de droits, soit la juxtaposition ici de deux cercles de solidarité.
S’agissant de la couverture des risques de santé au-delà de la Sécurité sociale, les
cercles de solidarité existants jusqu’alors se sont étendus à l’ensemble des salariés
du secteur privé à compter de 2016 avec la généralisation obligatoire des régimes
de complémentaires santé dans le cadre de la protection sociale d’entreprise. Cette
mesure est à mettre en regard de l’apparition à la même période de dispositifs de
solidarité nationale dans la cadre de la sécurité sociale, telle la complémentaire santé
solidaire qui est destinée aux personnes sans ou à faibles ressources et très large-
ment financée par la collectivité nationale au point de lui conférer, en dépit de son
appellation, une connotation d’aide sociale.
Sans prétendre à l’exhaustivité, cet état des lieux en surplomb des principaux
cercles de solidarité existants dans la protection sociale suffit à montrer que leurs

• 51
LES CERCLES DE LA SOLIDARITÉ DANS LA PROTECTION SOCIALE

périmètres ne se confondent pas forcément avec ceux des institutions de la protec-


tion sociale. Une même composante, comme on l’a vu avec la Sécurité sociale, peut
recouvrer plusieurs cercles de solidarité distincts, ceux-ci correspondant à autant de
catégories ou de sous-catégories de bénéficiaires. La superposition ou l’enchevêtre-
ment des solidarités conduit à une graduation des droits sociaux10 variable selon les
cercles de bénéficiaires, comme il ressort de l’architecture de plus en plus complexe
des cercles de solidarité.

I.2/ Une architecture de plus en plus complexe des cercles de


solidarité au préjudice de leur cohérence d’ensemble

Appréhender l’enchevêtrement des cercles de solidarité au sein de la protection


sociale invite à garder à l’esprit que la notion de solidarité est par nature évolutive. Elle
est avant tout déterminée par la représentation que s’en fait la société à un moment
donné, et est elle-même influencée par des éléments de contexte à la fois écono-
miques, politiques et sociaux. Aussi le schéma des cercles de solidarité qui s’était
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dessiné au moment du Plan français de sécurité sociale de 1945 et dans les décennies
suivantes ne pouvait qu’être l’objet de remaniements ultérieurs, notamment dans les
années 1970-1980, alors que l’État-providence se trouvait remis en cause en raison
de son impuissance à répondre à la montée de la pauvreté et des exclusions sociales.
Ainsi la segmentation originelle des cercles de solidarité sur la base de la distinc-
tion entre assurances sociales et assistance sociale fut de plus en plus battue en
brèche11. À partir des années 1970, l’introduction d’une solidarité verticale dans le
champ de la Sécurité sociale a constitué un tournant majeur, qui s’est amplifié au
cours des décennies suivantes. Elle a consisté à mettre sous conditions de ressources,
certaines prestations, surtout les prestations familiales, ce qui a conduit à déterminer
de nouveaux cercles de solidarité, circonscrits en fonction des revenus des foyers
familiaux. Sachant que jusqu’alors, la solidarité horizontale, celle entre bien-portants
et malades, ou entre actifs et retraités, était toujours de mise en matière de Sécu-
rité sociale. Quelques autres mesures significatives ont également contribué à rendre
plus fragmentée et donc plus complexe l’architecture des cercles de solidarité dans
la protection sociale, comme par exemple : l’instauration d’un revenu minimum d’in-
sertion, devenu aujourd’hui le revenu social d’activité (RSA) dû à toute personne d’au
moins 25 ans ; plus récemment la prime d’activité destinée aux travailleurs à faible
rémunération qui, contrairement à ce que laisse croire son appellation, est une presta-
tion sociale ; l’universalisation de prestations d’aide sociale (allocation personnalisée
d’autonomie, prestation de compensation du handicap) pourtant initialement desti-
nées aux personnes les plus démunies, et dont les mécanismes vont se rapprocher de
ceux des prestations de sécurité sociale, etc.
On observe plus généralement un brouillage des frontières traditionnelles entre
les cercles de solidarités existant jusqu’alors dans la protection sociale sous l’effet
d’un glissement progressif de la logique d’assurance sociale vers la logique d’assis-

10 M. Badel, « La gradation des droits sociaux : l’emprise de l’appartenance professionnelle sur la protection
sociale », RDSS, 2018, n° 1, févr. 2018, pp. 162-174.
11 M. Borgetto, « Les convergences/divergences au sein du système français de protection sociale : quelle
portée ? » in M. Borgetto, A.-S. Ginon, F. Guiomard (dir.), Quelle(s) Protection(s) Sociale(s) demain ?, Dalloz, coll.
« Thèmes et commentaires », 2016, pp. 39-59.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

tance sociale, ou inversement comme le manifeste la création de la 5e branche Auto-


nomie de la sécurité sociale. On constate aussi la réintroduction surprenante d’une
logique d’assurance sociale dans la couverture complémentaire santé à la faveur de
sa généralisation au profit des salariés, bien qu’au même moment la couverture de
base, en l’occurrence la nouvelle PUMA mettait délibérément l’accent sur la logique
d’universalité de l’assurance maladie de base.
Un autre phénomène marquant remonte aux années 1990, avec l’entrée dans la
période de l’État social actif12. Alors qu’elles pouvaient bénéficier à tous leurs ressortis-
sants, les solidarités mises en œuvre dans certaines composantes de la protection sociale
sont devenues conditionnelles, leur attribution étant aussi subordonnée au respect de
certaines normes comportementales conformément à la politique dite de l’activation des
dépenses sociales. Ainsi, le droit aux prestations de l’assurance chômage est de plus en
plus conditionné à un effort de recherche effective d’emploi ou de formation profession-
nelle. De même, pour le revenu de solidarité active (RSA), à la dénomination évocatrice,
l’octroi de l’allocation est soumis à l’inscription de son titulaire dans une démarche d’in-
sertion sociale, notamment de reprise d’activité professionnelle, avec comme sanction
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possible la mise à l’écart des bénéficiaires en cause du cercle de la solidarité concerné.
Un tel foisonnement des cercles de solidarité procède de réformes et de mesures
prises dans un contexte donné, sans doute nécessaires à l’époque, mais leur fragmenta-
tion actuelle laisse perplexe à partir du moment où elle laisse transparaître un manque de
cohérence d’ensemble. Sauf à laisser place à une architecture des cercles de responsa-
bilité susceptibles de créer des problèmes d’équité sociale et de régulation13, il se révèle
opportun de veiller à leur articulation en vue de parvenir, à défaut d’une solidarité univer-
selle, à une solidarité suffisamment équitable et efficiente au sein de la protection sociale.

II- L’ÉTAT AU DÉFI DE L’ARTICULATION DES CERCLES DE


SOLIDARITÉ EN VUE D’ASSURER AUX INDIVIDUS UNE
COUVERTURE SOCIALE ÉQUITABLE ET EFFICIENTE
Sauf à adhérer à l’idée d’une solidarité nationale se confondant avec une solidarité
universelle qui serait condamnée à rester une vue de l’esprit à l’épreuve des faits (II.1), la
recherche sous l’égide de l’État d’une articulation plus étroite entre les différents cercles
de solidarité est plus pertinente au prisme de la performance de la protection sociale (II.2).

II.1/ L’illusion d’une solidarité universelle, garante d’une


protection sociale complète pour les membres de la
collectivité nationale

Il serait illusoire de croire qu’une reconfiguration des cercles de solidarité autour


de la seule Sécurité sociale en vue d’instituer une solidarité universelle soit de nature
à introduire davantage d’équité dans la couverture des risques sociaux. À vrai dire, et
même s’il s’agit de constats empiriques, le large échec du Plan français de sécurité

12 Sur ce point, v. not. P. Vielle, P. Pochet, I. Cassiers (dir), L’État social actif. Vers un changement de paradigme ? PIE
Peter Lang, 2005.
13 M. Elbaum, « Protection sociale et solidarité en France ? », Revue de l’OFCE, n° 102, été 2007, not. pp. 573-574.

• 53
LES CERCLES DE LA SOLIDARITÉ DANS LA PROTECTION SOCIALE

sociale dans l’application du principe de l’unité organisationnelle, et plus encore, au


cours de la période récente, l’abandon de projets de réformes visant à instituer un
système universel des retraites ou une « Grande Sécu » laissent dubitatif quant à la
pertinence de recourir à une solution aussi radicale.
Ainsi, la volonté de parvenir à une seule et même organisation des retraites
ordonnée autour du régime général pouvait-elle apparaître séduisante lorsque le
projet en a été lancé en 2017. Il semblait devoir se dessiner en la matière un seul
cercle de solidarité, puisque le projet de réforme envisagé initialement avait pour
credo « pour chaque euro cotisé, le même droit à pension pour tous », alors même
que la mosaïque des régimes de base et de régimes complémentaires (42 régimes)
existant alors cristallisait autant de cercles de solidarité afférents à certaines catégo-
ries socioprofessionnelles. Or, à l’épreuve des faits, le passage à un système unique a
soulevé une importante résistance de toute une partie de la population, et notamment
des ressortissants de régimes dont les règles relatives aux prestations et aux cotisa-
tions étaient plus favorables que celles du régime universel envisagé. À telle enseigne
que les pouvoirs publics se sont trouvés contraints de recréer au sein de celui-ci des
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dispositifs de retraites spécifiques en faveur des membres de certaines professions,
au motif de leurs conditions de travail spécifiques14, ce qui avait dès lors abouti à la
reconstitution de cercles de solidarité propres à chacune de ces catégories… Cette
réforme fut finalement abandonnée en mars 2020 avant qu’une nouvelle réforme des
retraites ne voit le jour en 2023, sans que soit poursuivi pour autant un objectif d’uni-
fication aussi ambitieux que le précédent15.
Un chantier de réforme aurait pu en revanche s’avérer plus propice au passage
à un cercle unique de solidarité. C’est celui dit de la « Grande Sécu ». Il consistait à
faire prendre en charge par l’assurance maladie de base la totalité des frais de santé
entrant dans un panier de soins et biens médicaux déterminé, de façon à supprimer
l’essentiel du reste à charge ; d’où la disparition en plus grande partie des institutions
gestionnaires des complémentaires santé (mutualité, institutions de prévoyance, assu-
rances privées en santé). Selon son instigateur, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assu-
rance maladie, il s’agissait d’un projet ayant l’avantage de renforcer l’équité verticale
dans le financement, de limiter les renoncements aux soins, de restituer aux ménages
une fraction des charges de gestion des organismes complémentaires et enfin, de
permettre une simplification organisationnelle. Cependant, il est resté lettre morte,
ayant non seulement suscité des réserves du gouvernement, notamment quant à son
financement, mais aussi des oppositions farouches des organismes complémentaires
et de certaines organisations syndicales comme la CFDT. Il s’est ainsi constitué un
front du refus face au passage au tout-État dans le domaine de l’assurance maladie,
d’autant plus que la mise en place du projet de « Grande Sécu » n’était pas exempte
d’incertitudes et de coûts supplémentaires pour les finances sociales16.
Il est donc permis de s’interroger, au vu de l’abandon de ces projets, sur la faisabi-
lité de parvenir sinon à un cercle de solidarité universel, tout au moins qui soit identique
pour tous les individus en vertu de leur appartenance à la communauté nationale ; en

14 Par ex., engagement gouvernemental en janvier 2020 de maintenir la caisse de retraite complémentaire des
pilotes de ligne.
15 A. -M. Guillemard, « La réforme universelle des retraites : sa place dans les évolutions de la protection sociale,
son ambition systémique et son retour à une logique comptable », Revue d’histoire de la protection sociale,
n° 13, 2020/1, pp. 96-117.
16 Sur ce point, v. not. G. Huteau, « Solidarité, responsabilité et égalité sociale vis-à-vis de l’accès aux soins »,
chap.18 in J. Raimondeau (dir.), Manuel de santé publique, 2e éd., Presses de l’EHESP, 2023, pp. 592-597.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

particulier lorsque l’État n’est pas ou guère en capacité financière de garantir une
solidarité nationale à la hauteur des risques et besoins de l’existence à couvrir sauf
à consentir à une nouvelle augmentation des prélèvements sociaux obligatoires. Par
ailleurs, le constat de difficultés chroniques pour abonder en ressources suffisantes
la prise en charge de la perte l’autonomie est lui aussi révélateur des limites de la
mobilisation des seules solidarités publiques17, d’autant plus que la dégradation des
finances sociales et plus généralement des finances publiques fait peser une lourde
contrainte sur l’équilibrage des comptes de la sécurité sociale.
Il serait malgré tout tentant dans l’absolu de souscrire à la perspective de reconfi-
gurer, sur le fondement de la solidarité nationale, la protection sociale autour d’un
cercle de solidarité unique en vue de lutter contre les égoïsmes catégoriels, et ainsi,
englober dans une même entité la couverture de base et la couverture complémen-
taire. Cette formule résiste pourtant mal à l’analyse, de surcroît lorsqu’elle est éclairée
des enseignements de modèles étrangers. La force de la solidarité nationale est certes
de libérer les individus de leurs liens d’allégeance personnelle et d’autoriser une
très grande mutualisation des risques sociaux, mais comme le précise Alain Supiot,
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« cet anonymat attise l’individualisme en faisant disparaître tout lien direct entre les
personnes solidaires. Devenu débiteur universel, l’État social engendre un peuple de
créanciers qui ne se reconnaissent plus mutuellement solidaires »18. Et c’est pour-
quoi, selon le professeur au Collège de France, « cette solidarité nationale ne doit pas
être exclusive. Elle doit admettre en son sein des solidarités plus étroites »19, et en la
matière, les régimes complémentaires qui sont fondés sur les solidarités profession-
nelles ont montré que leur gestion est en mesure de concilier solidarité entre leurs
membres et responsabilité collective. Il est donc plutôt judicieux d’articuler avec perti-
nence les cercles de solidarité recensés, qu’ils se rapportent à la solidarité nationale
ou aux solidarités socioprofessionnelles, voire aux solidarités civiles ou familiales, ceci
à l’avantage de l’ensemble de ses bénéficiaires.

II.2/ La nécessité d’une meilleure articulation des cercles de


la solidarité en vue d’accroître l’efficience de la protection
sociale

On peut aisément admettre que l’État est le seul acteur des solidarités à disposer
de la légitimité politique suffisante et des moyens normatifs requis pour jouer un rôle
d’« assemblier » des différents cercles de solidarité existants. Ainsi compris, il est
voué à en devenir au premier chef responsable, tout au moins en termes d’atteinte,
d’une meilleure performance globale du système de protection sociale. Pour autant,
souscrire à ce point de vue ne signifie pas qu’il est la seule institution à devoir s’im-
pliquer dans la recherche d’une plus grande cohérence entre les différents cercles de
solidarité. Il lui incombe néanmoins de réaliser une médiation permanente en vue de
tracer une perspective qui soit commune aux diverses composantes de la protection
sociale en matière de solidarité vis des risques et besoins sociaux.

17 P. Mayeur, « Quel avenir pour l’assurance dépendance ? », Regards n° 57, 2020/1, pp. 213-224.
18 A. Supiot (dir), La solidarité. Enquête sur un principe juridique, Odile Jacob, 2015, p. 16.
19 Ibidem.

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LES CERCLES DE LA SOLIDARITÉ DANS LA PROTECTION SOCIALE

Une fois précisées les conditions générales de son intervention, il s’agirait pour
l’État, en tant que « Grand instituteur du social »20, de faire en sorte, à la faveur de sa
puissance législative, que les différents cercles de solidarité puissent s’articuler dans
une architecture cohérente, où chacun d’eux verrait clairement définis son objet, sa
place et ses relations avec les autres cercles.
Il serait possible à cette fin d’émettre une hypothèse de recomposition structurelle
de la protection sociale, en distinguant des grands blocs de protection sociale corres-
pondant à autant de grands cercles de solidarité. Ainsi, il pourrait être envisagé un
grand cercle de solidarité nationale à partir des actuelles prestations universelles et
des minima sociaux (prestations non contributives) auquel pourrait venir s’adjoindre
divers socles de solidarités socioprofessionnelles pour les prestations en espèces
correspondant à des revenus de remplacement de rémunérations d’activité (presta-
tions non contributives). S’il aurait le mérite de permettre une clarification des cercles
de solidarité au sein de la protection sociale, le schéma organisationnel auquel renvoie
une telle réforme structurelle demanderait une reconfiguration en profondeur de ses
composantes. Or, une telle exigence serait vraisemblablement très délicate à satis-
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faire à moyen terme, sauf à s’inscrire dans un scénario de rupture radicale avec le
modèle actuel ce qui reste improbable.
C’est pourquoi une voie pragmatique conduit plutôt à aller plus loin qu’aujourd’hui
dans l’articulation des différents cercles de solidarité. De nombreuses mesures légales
ont déjà été prises dans ce sens s’agissant des solidarités publiques comme l’illustre
d’ailleurs la construction de la cinquième branche « Autonomie » de la Sécurité sociale
articulée avec l’aide et l’action sociales aux personnes âgées et aux personnes handi-
capées préexistante. Dans le champ de la couverture des risques de santé, il en est de
même avec la mise en place du 100 % santé ou encore de l’option tarifaire maîtrisée
(Optam) pour les médecins conventionnels à honoraires libres, lesquels dispositifs
articulent l’assurance maladie de la Sécurité sociale et l’assurance maladie complé-
mentaire, étant précisé que les personnes sans ou à faibles ressources peuvent
prétendre à la complémentaire santé solidaire (C2S) contributive ou non contributive.
Même s’il s’agit de dispositifs encore perfectibles, ils n’en participent pas moins, il
est vrai au prix de l’enchevêtrement de nouveaux cercles de solidarités, à accroître la
solidarité nationale vis-à-vis des risques de la vie humaine.
Par ailleurs, afin de conduire son action dans le champ des solidarités, l’État est
de plus en plus souvent amené à contractualiser des accords avec les collectivités
territoriales dans de nombreux champs comme la protection de l’enfance, la prise en
charge des personnes en situation de handicap, la lutte contre la pauvreté, etc. Il lui
incombe un rôle d’autant plus important, comme l’a souligné la Cour des comptes dans
des préconisations récentes21, qu’il est le garant d’une aide et d’une action sociales
suffisamment homogène sur le territoire national, et d’une bonne articulation entre
politique nationale et des politiques conduites dans les départements.
Dans un autre registre d’intervention en faveur des solidarités, le législateur a
également institué une « portabilité des droits sociaux »22, ce qui est notamment

20 Sur ce débat, voir R. Lafore, L’individu contre le collectif. Qu’arrive-t-il à nos institutions ?, Presses de l’EHESP,
2019.
21 Cour des comptes, « Les politiques sociales décentralisées : une coordination à conforter, des financements à
réformer » in Rapport public annuel, 2023.
22 Sur cette notion, v. not. A.-S. Ginon et F. Guiomard, « Les nouvelles formes de mutualisation », Droit social, n° 11,
nov. 2009, p. 1054-1064.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

précieux pour les salariés du secteur privé en matière d’assurance chômage ou


prévoyance maladie-invalidité, en vue de garantir la continuité de la protection sociale
en cas de passage d’une entreprise à une autre.
Au-delà des formules d’articulation déjà existantes de différents cercles de soli-
darité, la protection sociale devrait connaître à l’avenir d’autres développements dans
le sens de leur renforcement, comme semble l’annoncer les projets de service public
territorial de l’autonomie23 ou de service public territorial à l’enfance. Il s’agit d’ail-
leurs de la sorte d’élargir l’articulation des cercles de solidarité au-delà des solidarités
publiques en vue de prendre également en compte les solidarités familiales24 en vue
de les conforter, voire d’autres solidarités civiles comme celles mises en œuvre par
certaines associations œuvrant dans le domaine social.
Au vu de ses déterminants, la question des cercles de solidarité se prête mal à
une conclusion finale, tant il est vrai qu’elle est vouée à connaître un sort évolutif.
Penser ce sujet au prisme de la protection sociale invite néanmoins à considérer,
qu’au-delà des configurations possibles de leurs socles institutionnels, ils se réfèrent
à un concept, celui de solidarité, dont la mise en œuvre oscille au fil du temps entre
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permanence et mutations en vue de répondre aux risques et besoins sociaux, qu’ils
soient pris en compte à l’échelle de l’individu ou collectivement. N’est-ce d’ailleurs
pas en cela que la solidarité constitue et constituera toujours un lien puissant entre
l’individu et le collectif ?

23 D. Libault, Vers un service public territorial de l’autonomie, Rapport au Gouvernement, 17 mars 2022.
24 Sur cette notion, v. not. F. Maisonnasse, L’articulation entre la solidarité familiale et la solidarité collective, LGDJ,
coll. « Bibliothèque de Droit social », 2016.

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