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Prévention des conflits d’intérêts et institutionnalisation

des référents déontologues : quels enjeux pour la Sécurité


sociale ?
Elsa Foucraut
Dans Regards 2023/2 (N° 62), pages 179 à 190
Éditions EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale
ISSN 0988-6982
© EN3S-École nationale supérieure de Sécurité sociale | Téléchargé le 13/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 92.89.167.97)

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

ÉCLAIRAGES
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179  Prévention des conflits d’intérêts et institutionnalisation
des référents déontologues, quels enjeux pour
la Sécurité sociale
Elsa Foucraut, Formatrice à l’EN3S et enseignante à
Sciences Po Paris

191  Vingt ans après la loi du 21 août 2003


Pierre Mayeur, Associé chez YCE Partners

201  Quel soutien aux assurances sociales


dans la population française ?
Elvire Guillaud, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
et Sciences Po Paris, et Michaël Zemmour, Université
Lumière Lyon 2 et Sciences Po Paris

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Prévention des conflits d’intérêts et


institutionnalisation des référents déontologues :
quels enjeux pour la Sécurité sociale ?

Par Elsa Foucraut, Formatrice à l’EN3S et enseignante à Sciences Po Paris

Elsa Foucraut est formatrice à l’EN3S, chargée de concevoir


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et d’animer l’offre de formation en déontologie. Spécialiste de
la prévention de la corruption et de la transparence de la vie
publique, elle travaillait auparavant au sein de l’ONG Transparency
International. Elle se consacre désormais à l’enseignement et à la
formation professionnelle, ainsi qu’à des missions d’évaluation de
politiques publiques pour des acteurs publics ou des organisations
internationales. Elle enseigne notamment à Sciences Po Paris.

L
’EN3S a récemment ajouté à son catalogue une offre de formation sur la préven-
tion des conflits d’intérêts dans les organismes de sécurité sociale. Ces forma-
tions s’adressent aux agents de direction, aux référents déontologues et aux
conseillers et administrateurs de caisses. Le développement de cette offre de forma-
tion fait suite à une série de textes réglementaires publiés entre février 2022 et mai
20231, qui viennent rénover et harmoniser le cadre de prévention des conflits d’inté-
rêts au sein de la Sécurité sociale. De nouvelles obligations émergent : déclarations
d’intérêts à remplir pour les conseillers et administrateurs de caisse et pour certains
agents, nomination de référents déontologues et instauration d’un collège de déonto-
logie interbranche, modification des règlements intérieurs des organismes, et rappel
systématique des règles de prévention des conflits d’intérêts dans les réunions des
conseils d’administration.

1 Arrêté du 23 février 2022 (publié au JORF du 27 février 2022) fixant les dispositions obligatoires à insérer
au règlement intérieur des caisses primaires d’assurance maladie, des caisses d’assurance retraite et de la
santé au travail, des caisses d’allocations familiales et des unions de recouvrement des cotisations de sécurité
sociale et d’allocations familiales et autres organismes locaux du régime général de sécurité sociale ;
Instruction interministérielle N° DSS/SD4B/2022/185 du 1er août 2022 (publiée au Bulletin officiel du 16 août
2022) relative aux règles déontologiques au sein des organismes du régime général de sécurité sociale,
particulièrement en matière de prévention des conflits d’intérêts et de moyens mis en œuvre pour cesser
immédiatement toute situation contrevenant à ces règles ;
Instruction interministérielle n° DSS/SD4B/SG/SAFSL/2023/62 du 11 mai 2023 relatives aux règles
déontologiques applicables aux personnels des organismes de Sécurité sociale, particulièrement en matière
de prévention des conflits d’intérêts et de moyens mis en œuvre pour les faire cesser.

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PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS ET INSTITUTIONNALISATION DES RÉFÉRENTS
DÉONTOLOGUES : QUELS ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

Cette actualité est l’occasion de faire le point sur ces évolutions et de contri-
buer ainsi à combler un manque : alors que la déontologie de la vie publique et la
prévention des conflits d’intérêts ont fait l’objet d’une profusion de publications ces
dernières années, la déclinaison de ces enjeux au sein de la Sécurité sociale a été très
peu commentée.
Dans quel contexte s’inscrivent ces évolutions ? Quels sont les enjeux managé-
riaux et juridiques de ces nouvelles dispositions, et quelles sont leurs implications en
termes de qualité du service public et de confiance des citoyens envers l’institution
de la Sécurité sociale ? À travers cet article, nous reviendrons d’abord sur le contexte
général d’émergence de la déontologie et de la prévention des conflits d’intérêts dans
la sphère publique depuis les années 1990, avant d’étudier les enjeux spécifiques à
la Sécurité sociale. Nous nous attarderons notamment sur la figure émergente du
référent déontologue, en tant qu’instrument administratif à interroger. Nous termi-
nerons par des réflexions d’ordre pédagogique : comment enseigner ou former à la
déontologie ?
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I- RENFORCER LA PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS :
UNE DYNAMIQUE DE FOND DANS TOUTE LA SPHÈRE
PUBLIQUE
I.1/ Deux décennies de réformes pour la déontologie publique

Du grec deontos (ce qui est convenable) et logos (connaissance), la déontologie


renvoie aux droits et devoirs professionnels qui régissent une profession ou un domaine
d’activité. Cette notion ancienne2 est particulièrement bien connue des professions
juridiques et des métiers du soin, pour la plupart régis de longue date par des codes
de déontologie. La déontologie générale des fonctionnaires et agents chargés d’une
mission de service public est également très ancrée dans notre culture politique et
administrative, avec des racines qui remontent au Moyen-Âge3. Ces dernières décen-
nies, on observe un regain d’intérêt notable pour cette matière, avec une emphase
sur les enjeux de probité et d’intégrité, plaçant la question des conflits d’intérêts au
cœur de l’analyse - au point que l’on pourrait presque penser, à tort, que la déontologie
publique se résume à cela4.
Les termes « déontologie », « conflits d’intérêts » et « probité » se sont imposés
progressivement dans le débat public à partir des années 1990. Cette période coïn-
cide avec l’adoption de lois fondatrices (création d’une commission pour la transpa-
rence financière de la vie politique en 1988, de Tracfin en 1990, de la Commission de
déontologie de la fonction publique et du service central de prévention de la corrup-

2 Pour un panorama de l’historicité du concept, de Montesquieu à Jérémy Bentham en passant par Saint-Just et
Hippocrate, voir Jean-François Kerléo, « La déontologie, sa nature, sa valeur », dans La déontologie publique :
trajectoire et présence d’une notion ambiguë (dir. Guillaume Tusseau), Institut Francophone pour la Justice et la
Démocratie, 2019.
3 Mentionnons notamment les ordonnances de Saint Louis sur « la réforme de l’administration et la police
du royaume », citées et commentées par Christian Vigouroux, Déontologie des fonctions publiques. Droits,
obligations, garanties, discipline, deuxième édition (2013), éditions Dalloz, collection Dalloz Action.
4 Joël Moret-Bailly et Didier Tuchet, Introduction à la déontologie, PUF, 2023

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tion - ancêtre de la HATVP - en 1993, renforcement du régime des incompatibilités


parlementaires en 1995, adoption des règles de l’OCDE qui proscrivent la corruption
d’agents publics à l’étranger, etc.), suivies du scandale financier de l’affaire Enron, qui
entraînera un renforcement de la régulation en matière de gouvernance d’entreprise,
d’audit et de contrôle financier partout dans le monde. C’est d’ailleurs d’abord dans le
secteur privé que seront nommés les premiers « déontologues » français à la fin des
années 19905.
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Source : base Europresse – données compilées par l’autrice.

Dans la sphère publique, les lignes directrices pour la gestion des conflits d’intérêts
dans le service public de l’OCDE (2003) se diffusent progressivement, en France comme
partout en Europe, et sont emblématiques d’un changement d’approche. La corruption
n’est plus uniquement abordée sous l’angle des pots-de-vins, mais dans une approche
plus holistique6 : on s’intéresse de manière croissante aux causes de la corruption, et
donc à des problématiques qui ne sont pas en soi illégales, mais qui constituent un
terrain favorable à la corruption - les conflits d’intérêts, mais aussi le lobbying et le
manque de transparence. L’idée s’affirme que la diffusion d’une culture déontologique
est un levier efficace pour lutter contre la corruption, en complément de la régulation
traditionnelle par la sanction pénale. En France, une « commission de réflexion sur la
prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique » est établie en 2010, et un « déon-
tologue » est nommé à l’Assemblée nationale en 2011. Trois scandales joueront le rôle
d’étincelles sur ce terrain mûr pour les réformes : l’affaire du Mediator en 2011, dans le
champ de la santé publique, et les affaires Cahuzac et Woerth-Bettencourt7 pour la vie
politique et l’action publique générale. Ces affaires facilitent l’adoption de la loi Bertrand
sur les conflits d’intérêts dans l’industrie pharmaceutique et chez les professionnels de
santé, et des lois d’octobre 2013 sur la transparence de la vie publique qui instaurent la
Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

5 Pour une des premières occurrences du terme, se référer à l’article « Fierté bancaire, l’originalité se cultive »,
dans Le Monde du 1er avril 1992, et à l’article « Gardien de la morale des banques » dans Le Monde du
14 novembre 1995 pour un article de fond.
6 Sofia Wickberg, « Political Corruption in a World in Transition: The Fluctuating Boundaries of Corruption » dans
Political Corruption in a World in Transition (Jonathan Mendilow and Eric Phelippeau eds, Vernon Press, 2019).
7 Ces deux affaires ont en commun d’impliquer un ministre du Budget, et de revêtir un volet individuel et pas
seulement systémique. L’impact de l’affaire Woerth-Bettencourt est moins souvent commenté que celui
de l’affaire Cahuzac, alors qu’il s’agissait d’une affaire touchant plus directement à la question des conflits
d’intérêts. Gamgani, Lisa, et Aurélia de Tonnac. « Des dispositifs évolutifs pour la prévention et la répression de
la corruption », Revue française d’administration publique, vol. 175, n° 3, 2020, pp. 677-691.

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PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS ET INSTITUTIONNALISATION DES RÉFÉRENTS
DÉONTOLOGUES : QUELS ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

La loi pour la transparence de la vie publique introduit également une définition


explicite des conflits d’intérêts qui, auparavant, n’étaient définis qu’indirectement par
leur conséquence pénale, la prise illégale d’intérêts. Cette définition s’accompagne
d’une exigence, pour toute personne « chargée d’une mission de service public », de
veiller activement à « prévenir ou à faire cesser immédiatement tout conflit d’intérêts ».
En complément, les lois sur la fonction publique du 20 avril 2016 et du 6 août 2019
codifient les principes déontologiques communs à l’ensemble des agents publics
(sans préjudice des règles déontologiques propres aux différents corps de métiers) et
instituent un droit pour tout fonctionnaire de consulter un référent déontologue.
L’intérêt pour la déontologie est exprimé par les citoyens - électeurs, contribuables
ou usagers du service public -, par les agents publics, mais aussi par les autorités de
contrôle, en particulier la Cour des comptes8 qui s’intéresse de plus en plus systé-
matiquement à la gestion des risques déontologiques dans les organismes qu’elle
contrôle. Tout ceci a conduit plusieurs auteurs à parler d’un « moment déontologique »
pour caractériser l’époque. Les arrêtés et instructions interministérielles de 2022 et
2023 applicables à la Sécurité sociale s’inscrivent dans ce mouvement général.
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I.2/ La probité et l’intégrité, un enjeu de confiance dans la vie
publique

Cette montée en puissance des questions de probité et d’intégrité dans le débat


public s’accompagne souvent d’un discours sur le thème de la « confiance ». En 2015,
l’ancien président de la HATVP Jean-Louis Nadal a par exemple publié un rapport de
référence intitulé « Renouer la confiance publique », et en septembre 2017, à la suite
de l’affaire Fillon, une loi « pour la confiance dans la vie politique » est adoptée.
La défiance est un phénomène qui touche l’ensemble des démocraties euro-
péennes, mais qui se révèle particulièrement marqué en France. En 2020, dans le
baromètre du Cevipof, à la question « diriez-vous qu’en règle générale, les élus et
les dirigeants politiques sont plutôt honnêtes ou corrompus ? », 71 % des Français
répondaient « plutôt corrompus », contre 46 % des citoyens en Allemagne et 42 % au
Royaume-Uni - pays avec un niveau de corruption comparable. Le même constat s’ob-
serve s’agissant de la confiance dite interindividuelle : à la question « d’une manière
générale, diriez-vous que la plupart des gens cherchent à tirer profit les uns des
autres ? », 62 % des Français répondent positivement contre 45 % des Allemands et
44 % des Anglais.9
Face à la crise de confiance, trois grandes catégories de réponses politiques sont
généralement invoquées : garantir un niveau irréprochable d’intégrité et de probité
des représentants politiques et des agents publics, accroître la transparence et la
participation citoyenne, et améliorer la qualité du service public et l’efficacité des
politiques publiques. Une meilleure prévention des conflits d’intérêts ne suffit pas à
résoudre seule les problèmes de défiance qui traversent la société - personne ne peut
sérieusement le prétendre -, cela y contribue. Le lien entre déontologie et confiance
peut s’analyser selon deux prismes. D’abord, le service public est commun à tous les
citoyens, et l’on ne choisit pas la personne qui va traiter notre dossier : pour avoir

8 Samuel Dyens et Pierre Villeneuve, « Contrôle de la prévention des conflits d’intérêts par les Chambres
régionales et territoriales des comptes. Un marchepied pour la compliance ? », AJCT, Juillet-Août 2023
9 Baromètre du Cevipof, vague 11 (février 2020).

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confiance dans l’administration, celle-ci doit être impartiale, irréprochable et insoup-


çonnable10. Par ailleurs, les sanctions en cas d’atteinte à l’intégrité sont à la fois
pénales et « sociales » : prévenir les conflits d’intérêts, c’est une manière de gérer le
risque médiatique, d’image et de réputation.
Plusieurs ouvrages ont étudié plus spécifiquement les conséquences de cette
défiance pour le système de protection sociale11. 68 % des Français déclarent avoir
« très confiance » ou « plutôt confiance » envers la Sécurité sociale12, un niveau globa-
lement stable avec des pointes autour de la période Covid (jusqu’à 74 % pour la vague
de janvier 2022 du baromètre). L’enjeu pour l’institution est donc de conserver ce
capital de confiance relativement élevé, en s’assurant que tous les moyens ont été mis
en œuvre pour qu’un scandale ne puisse survenir.
En revanche, la confiance envers les partenaires sociaux est nettement plus
dégradée. Si le paritarisme en tant que tel n’est pas mesuré, seuls 36 % des Fran-
çais déclarent avoir « très confiance » ou « plutôt confiance » envers les syndicats.
Malgré une dynamique plutôt positive (27 % en 2018-2020), cela reste un niveau de
défiance élevé. On peut formuler l’hypothèse raisonnable qu’un scandale touchant le
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conseil d’administration d’une caisse de Sécurité sociale serait jugé par les citoyens
avec la plus grande intransigeance. Ce risque est d’ailleurs bien compris par les
partenaires sociaux eux-mêmes, plusieurs organisations ayant pris des mesures pour
renforcer leurs règles internes en matière de prévention des conflits d’intérêts, dans
une logique préventive.

II- PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS À LA SÉCURITÉ


SOCIALE : UN MODÈLE SPÉCIFIQUE ?
II.1/ Entre obligations nouvelles et harmonisation interbranche
et inter-organismes

Le modèle de prévention des conflits d’intérêts à la Sécurité sociale repose sur deux
piliers, avec des règles applicables aux administrateurs et conseillers de caisses d’une
part (déployées dès 2022, concomitamment au renouvellement des mandats), et des
règles pour les agents d’autre part (depuis mai 2023). Globalement, il s’agit de déployer
à la Sécurité sociale la même combinaison de dispositifs qu’ailleurs dans la sphère
publique, sans pour autant s’inscrire dans le cadre des lois sur la fonction publique13.
À défaut d’avoir légiféré, la base juridique de ces dispositions est d’ordre réglemen-
taire : arrêtés, instructions interministérielles, et modification des règlements inté-
rieurs des organismes.

10 Christian Vigouroux, « La déontologie de la fonction publique », Justice et Cassation, 2022, p. 129.


11 Yann Algan et Pierre Cahuc, La Société de défiance : comment le modèle social français s’autodétruit., éditions
Rue d’Ulm, coll. Cepremap, 2007 ; Yann Algan, Elisabeth Beasley, Daniel Cohen et Martial Foucault, Les Origines
du populisme. Enquête sur un schisme politique et social, Éditions du Seuil, 2019.
12 Baromètre de la confiance dans la vie politique, vague 14, février 2023. Question posée : « Q25. Avez-vous très
confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas confiance du tout dans chacune des organisations
suivantes… ? ». Échantillon de 3 072 individus.
13 On rappellera à toutes fins utiles que l’arrêt « Caisse primaire Aide et protection » du Conseil d’État du 13 mai
1938 consacre le statut de service public de la Sécurité sociale, indépendamment du fait que les organismes
de Sécurité sociale sont de droit privé et emploient leurs agents sous contrat de droit privé. Le personnel de la
Sécurité sociale entre donc dans la catégorie des personnes chargées d’une mission de service public, sans
pour autant appartenir à la fonction publique.

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PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS ET INSTITUTIONNALISATION DES RÉFÉRENTS
DÉONTOLOGUES : QUELS ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

D’abord, les conseillers et administrateurs, ainsi que les agents de direction et


certains agents particulièrement exposés, sont désormais soumis à l’obligation de
remplir une déclaration d’intérêts. Un modèle unique est inclus par les arrêtés minis-
tériels, le même que celui qui s’applique aux personnels et experts des ARS et des
autorités de santé sur le site dpi.sante.gouv.fr. Les problématiques n’étant pas tout à
fait les mêmes entre ces publics, on peut regretter que ces formulaires ne soient pas
toujours parfaitement adaptés au contexte de la Sécurité sociale.
Ensuite, la pratique du déport, c’est-à-dire le fait de renoncer à prendre part à une
décision, est encouragée et formalisée. Le rappel des obligations déontologiques au
début de chaque réunion de conseil ou de conseil d’administration devient même un
enjeu du contrôle de légalité des décisions. Enfin, le droit au conseil déontologique est
introduit au sein des organismes, incarné par des référents déontologues. Naturelle-
ment, tout ceci s’inscrit en complément des dispositifs de maîtrise des risques et de
prévention et de lutte contre la fraude, qui continuent d’être le socle fondamental et de
la prévention des risques d’atteinte à la probité.
Le changement est particulièrement significatif pour les administrateurs et
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conseillers des caisses de sécurité sociale. Jusqu’à présent, ils n’étaient soumis qu’aux
incompatibilités prévues par le Code de la sécurité sociale14. L’obligation nouvelle de
remplir une déclaration d’intérêts permet de mieux prendre en compte les conflits
d’intérêts de moindre intensité et/ou ponctuels, qui ne remettent pas en cause la légi-
timité du mandat et peuvent être gérés par la pratique du déport. Les déclarations
d’intérêts viennent responsabiliser les individus quant à la gestion de leurs propres
conflits d’intérêts : à la Sécurité sociale comme ailleurs, chacun devient responsable
de la prévention de ses propres conflits d’intérêts, et responsable de ne pas parti-
ciper à une décision (déport) en cas de conflit d’intérêts. En contrepartie, il appartient
aux organismes de Sécurité sociale de fournir aux agents et aux administrateurs les
moyens de cette responsabilité, via des actions de formation et de sensibilisation, via
la nomination d’un référent déontologue chargé de conseiller et d’orienter et pouvant
être saisi par qui le souhaite. La responsabilité déontologique est ainsi partagée entre
les individus et les organismes, ce qui reflète bien le caractère à la fois systémique et
individuel de la probité publique.
Concernant les agents, la Sécurité sociale n’a pas attendu qu’un rapport soit
remis en 2020 à la ministre de la Santé15 pour renforcer ses procédures internes en
matière de prévention des conflits d’intérêts pour son personnel. La branche famille
s’est dotée de dispositifs de prévention des conflits d’intérêts en 2013, suivie par la
branche recouvrement en 2014 et par la branche maladie en 2017. De nombreuses
initiatives ont par ailleurs été prises localement par des caisses. De manière géné-
rale, de nombreux agents de la Sécurité sociale étaient et restent soumis - sous
des formes et selon des procédures variables, plus ou moins formalisées et plus
ou moins bien cartographiées - à des obligations de déclarations de leurs liens
d’intérêts, ne serait-ce que pour appliquer le principe du « droit d’en connaître ».
L’enjeu de la circulaire interministérielle du 11 mai 2023 est donc en grande partie
d’homogénéiser et de systématiser les dispositifs.

14 Article L231-6 du Code de la sécurité sociale.


15 « Sécu : vers des règles de déontologie renforcées ? », Liaisons Sociales du 23/12/2020 https://www.liaisons-
sociales.fr/psi/2020/12/22/secu-vers-des-regles-de-deontologie-renforcees

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Pour les conseillers comme pour les agents, la philosophie générale des décla-
rations d’intérêts est clairement préventive16. Celles-ci doivent être remplies avec
« sincérité » et « exhaustivité », mais peu de sanctions et de contrôles sont prévus. Le
principe d’actualisation annuelle des déclarations contribuera peut-être à améliorer la
qualité des déclarations : l’absence de mécanisme d’actualisation régulière est plutôt
corrélée à des déclarations insuffisamment mises à jour17.

II.2/ Une architecture de la déontologie strictement interne à la


Sécurité sociale

Le choix retenu par le gouvernement a été d’inscrire la déontologie des adminis-


trateurs et agents de la Sécurité sociale dans un dispositif strictement interne à la
Sécurité sociale, en dehors du périmètre de la HATVP (même pour les agents de direc-
tion et pour les salariés de caisses nationales, et même pour le conseil déontologique
de deuxième niveau).
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Le dispositif retenu à la Sécurité sociale repose sur une architecture à trois niveaux,
avec un référent déontologue de proximité dans chaque organisme de sécurité sociale,
un déontologue national dans chaque branche, et un collège de déontologie réunis-
sant les déontologues nationaux sous l’égide de l’UCANSS. Cette configuration semble
adéquate pour garantir la qualité et l’homogénéité des conseils déontologiques
déployés partout dans le réseau, ce qui est bienvenu à l’heure où l’on peut craindre une
atomisation des voix déontologiques avec la nomination de référents dans toutes les
collectivités territoriales sans institution centralisatrice18. Les rapports de déontologie
des branches et/ou du collège de déontologie devraient permettre de faire émerger
une doctrine déontologique sur les cas d’espèce soulevés au sein du réseau.
Autre spécificité : les textes n’autorisent la nomination des référents déontolo-
gues qu’en interne, contrairement à la sphère publique qui autorise la nomination de
déontologues extérieurs. Seule la possibilité de nommer un agent d’un autre orga-
nisme de sécurité sociale est autorisée, une souplesse qui n’a pour l’heure pas été
retenue. Il n’est pas non plus possible de nommer des collèges de déontologie plutôt
que des individus, contrairement là encore au reste de l’administration. La collégialité,
si importante en matière de déontologie, s’exerce ainsi au sein des branches pour les
référents locaux, avec un rôle d’animation de réseau confié aux déontologues natio-
naux, et en interbranche au sein du collège de déontologie.
Outre cette architecture à trois niveaux, l’animation de la déontologie au niveau
local repose aussi sur les présidents de conseil et les managers d’équipe. Les
premiers sont désignés par les textes comme « les acteurs idoines pour veiller
au respect des principes en matière de déontologie dans les instances »19, aux
côtés des directeurs et avec l’appui éventuel des référents locaux ou nationaux.

16 Contrairement à d’autres types de déclarations (déclaration d’avantages reçus, déclaration de patrimoine, etc.).
À ce sujet, voir Jean-François Kerléo, « État des lieux des déclarations déontologiques », RFDA, 2018.
17 L’actualisation annuelle est une recommandation régulièrement formulée pour améliorer la qualité des
déclarations. Voir par exemple, pour le Parlement, les propositions de l’ONG Transparency International https://
transparency-france.org/wp-content/uploads/2022/07/Rapport-Parlement-exemplaire-2022-2027_
Transparency-France_WEB.pdf
18 Il a été confié à la HATVP un rôle d’animation de réseau, mais la HATVP n’a pas autorité sur les référents
déontologues.
19 Instruction interministérielle d’août 2022.

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PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS ET INSTITUTIONNALISATION DES RÉFÉRENTS
DÉONTOLOGUES : QUELS ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

Cette configuration, qui confère une sorte d’autorité morale aux présidents et vice-pré-
sidents de conseils et de commissions, évoque un mode de régulation par le contrôle
par les pairs, une méthode qui peut s’avérer pertinente et efficace20.
Sans que cela soit aussi explicite que dans la fonction publique générale,21 les
supérieurs hiérarchiques continuent de jouer un rôle d’animation et de contrôle
déontologique de premier niveau, selon des modalités qui peuvent varier selon les
branches. Ils restent chargés, par exemple, de s’assurer que les agents ayant accès
aux dossiers des usagers ne traitent pas les dossiers de leurs proches. Désormais, ils
peuvent également solliciter le référent déontologue au sujet des problématiques qui
concernent les agents placés sous leur responsabilité. Il sera intéressant d’observer
comment les managers s’empareront ou non de leur droit au conseil déontologique.
Dans d’autres sphères, on a pu observer qu’ils étaient d’abord hésitants à consulter
les instances de conseil en déontologie, mais s’en saisissent progressivement22.

II.3/ L’institutionnalisation des référents déontologues


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« Signe que le droit transite mal par les autorités ou organes qui ont le pouvoir de
le poser »23, la figure du « référent » est désormais un instrument administratif clas-
sique, mais qui reste peu questionné et peu évalué, et qu’il convient donc d’interroger
avec lucidité. Jouant un rôle préventif, de coordination, d’information et de relais, les
référents incarnent une conception du droit visant à faire respecter des normes d’in-
térêt général par la sensibilisation. On recensait une trentaine de « référents » dans la
fonction publique à la mi-202024, sur des thèmes variés. Le mécanisme du référent est
parfois perçu avec cynisme ou désabusement par certains agents, tentés de réduire
leur nomination à un simple enjeu de mise en conformité. De fait, le référent déon-
tologue est une figure finalement ambivalente, qui joue à la fois un rôle de diffusion
d’une culture déontologique tout en participant aussi à une certaine « bureaucratisa-
tion des déontologies »25.
Organisés en réseau de branche, les référents déontologues des organismes de
sécurité sociale sont chargés de diffuser la culture déontologique. À travers eux, les
organismes de sécurité sociale instituent un droit au conseil déontologique pour les
administrateurs et les agents. Leur rôle est centré dans les faits sur la probité, l’in-
tégrité, l’impartialité et l’égalité de traitement, mais l’instruction interministérielle du
11 mai 2023 mentionne également les devoirs de réserve, de confidentialité et de
secret professionnel, ainsi que les principes de non-discrimination, de neutralité et de
laïcité (ce dernier principe échappant, a priori, au champ d’action des référents déon-
tologues à ce jour, sauf à endosser plusieurs casquettes).

20 Pierre Januel, « Déontologie en politique : la France est-elle la nouvelle Suède ? », Dalloz, 17 novembre 2020
21 Selon l’article L124-1 du code de la fonction publique, « il appartient à tout chef de service de veiller au respect
des principes énoncés aux articles L. 121-1 et L. 121-2 dans les services placés sous son autorité. Tout chef de
service peut préciser, après avis des représentants du personnel, les principes déontologiques applicables aux
agents placés sous son autorité, en les adaptant aux missions du service ». L’instruction interministérielle du 11
mai 2023 applicable aux agents de la Sécurité Sociale positionne les supérieurs hiérarchiques en interlocuteurs
des agents signalant un conflit d’intérêts, et leur demandent d’organiser les déports au sein des équipes.
22 Alain Ménéménis, « Déontologie, une affaire de culture », AJDA n° 14-2020.
23 Sandrine Perera, « Le référent, une figure à interroger », Pouvoirs n° 176, 2021.
24 Sandrine Perera, Ibid.
25 Joël Moret-Bailly et Didier Truchet, Ibid.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

À quoi tient la capacité d’un référent déontologue à assurer pleinement ses préro-
gatives et à insuffler une culture de probité au sein d’un organisme ? On peut formuler
plusieurs hypothèses, en commençant par l’implication de la direction de l’organisme :
les enjeux déontologiques sont-ils portés par les équipes de direction, ou bien ne sont-ils
envisagés que sous le prisme étriqué de la mise en conformité réglementaire ?
Ensuite, le référent déontologue doit exercer ses fonctions « en toute autonomie »,
et doit inspirer confiance aux agents et aux administrateurs. Le bon profil pour cet
équilibre délicat varie d’un organisme à l’autre. Trop proches de la direction, ils peuvent
intimider ; trop éloignés, ils peuvent craindre un manque d’autorité et de crédibilité et
être exposés à de possibles conflits de loyauté vis-à-vis de leur hiérarchie. La question
de la confidentialité des échanges en cas de révélation d’informations illégales n’est
pas totalement réglée (à la Sécurité sociale comme ailleurs) : un déontologue doit-il
taire ou dénoncer une pratique illicite dont il aurait connaissance dans le cadre de ses
fonctions ? Si des déontologues indépendants ont pu se prononcer pour une concep-
tion large de la confidentialité26, la question est plus délicate s’agissant d’agents sala-
riés qui ne bénéficient pas du statut de salarié protégé.
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À ce jour, on observe une assez grande diversité dans les profils de référents déon-
tologues au sein du réseau. Si la branche famille se distingue par une nette prépondé-
rance des directeurs comptables et financiers à cette fonction, héritage de pratiques
établies27, les autres branches recensent des profils plus diversifiés : fonctions juri-
diques, RH, médiateurs, attachés de direction, DPO, etc.

II.4/Identifier les problématiques déontologiques spécifiques à


la Sécurité sociale ?
L’un des enjeux des instances de déontologie est d’identifier des problématiques
spécifiques à un domaine et de formuler des recommandations. Par exemple, le déon-
tologue du ministère de la Culture s’est intéressé aux conflits d’intérêts dans l’attri-
bution des subventions artistiques, le ministère des Affaires étrangères à l’activité
professionnelle des conjoints d’expatriés, et le CNRS aux enjeux d’intégrité scienti-
fique. Il est attendu du collège de déontologie de la Sécurité sociale qu’il fasse émerger
à son tour un cadrage doctrinal sur des réalités spécifiques à la Sécurité sociale.
Les formations à la déontologie sont un espace utile pour identifier des problé-
matiques déontologiques émergentes, en tant qu’espace où des agents ou adminis-
trateurs peuvent s’exprimer sur des situations qu’ils ont vécues ou dont ils ont été
témoins. Par exemple, la problématique des conflits d’intérêts entourant les opérations
immobilières autour des maisons d’assistantes maternelles (MAM) a été plusieurs fois
citée par des stagiaires issus de CAF. De manière assez intéressante, le même sujet a
été concomitamment évoqué au congrès des maires28.
Les liens entre qualité du service public et risques d’atteintes à la probité ressortent
par ailleurs régulièrement des échanges entre participants. Par exemple, des délais
de traitement des dossiers excessivement longs risquent d’accroître les demandes
de traitement individuel des dossiers ou de dossiers signalés (dossiers dits « VIP »).

26 Élise Untermaier-Kerléo, « Le secret est-il une question ? », AJ Collectivités Territoriales 2020, p. 563.
27 Dans la circulaire de la branche famille publiée en 2013, les questions de prévention des conflits d’intérêts
étaient fléchées vers les DCF.
28 Table ronde sur le service public de la petite enfance au 104e congrès des maires (2022).

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PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS ET INSTITUTIONNALISATION DES RÉFÉRENTS
DÉONTOLOGUES : QUELS ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

L’enjeu sur ces dossiers est de trouver le bon équilibre entre les valeurs d’impartialité
et d’égalité de traitement et de bonne gestion : éviter le passe-droit sans se priver de
remontées de terrain utiles qui contribuent à la qualité du service public. Le cumul
relativement fréquent des fonctions de référent déontologue et de médiateur, proba-
blement encouragé par le fait que deux déontologues nationaux sont eux-mêmes
médiateurs, est une spécificité de la Sécurité sociale intéressante, qui invite à envi-
sager la déontologie comme un enjeu de qualité du service rendu aux usagers.
Si certains enjeux sont spécifiques à la protection sociale, d’autres probléma-
tiques récurrentes peuvent en revanche facilement s’inspirer de la jurisprudence et la
doctrine applicables ailleurs : par exemple, les situations concernant des inspecteurs
du travail ou des médecins inspecteurs de santé publique qui sont discutées dans
les rapports de déontologie des ministères sociaux peuvent sans trop d’efforts être
adaptées aux inspecteurs d’Urssaf ou de Carsat ou aux médecins-conseils de CPAM.
Enfin, notons que les problématiques déontologiques des conseillers et adminis-
trateurs d’organismes de sécurité sociale sont aussi des enjeux pour les partenaires
sociaux et associations, en tant qu’organisations mandatantes. Bien que plusieurs
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organisations syndicales et patronales ont entamé des démarches en interne pour
sensibiliser à la déontologie, ce champ est encore mal connu et peu documenté.

III- FORMER À LA DÉONTOLOGIE AU SEIN DES ÉCOLES DU


SERVICE PUBLIC : QUELQUES RÉFLEXIONS
La formation des cadres publics à la déontologie est encore largement perfectible.
En 2018, un rapport parlementaire préconisait notamment de la renforcer29. Encore
récemment, l’enseignement de la déontologie était considéré comme relevant du
savoir-vivre personnel, donc de l’éducation personnelle et des expériences de la vie30.
Comment former à la déontologie publique/du service public ? Un consensus s’im-
pose sur le fait que ces formations doivent être théoriques et pratiques, s’appuyer sur
des cas pratiques, et intégrer un volet positif d’une part - promotion des valeurs du
service public - et négatif d’autre part - risques juridiques et administratifs en matière
d’atteintes à la probité. S’il existe quelques ressources publiques mobilisables31, il
n’existe pas de manuel, et les méthodes pédagogiques employées pour enseigner ou
former à la déontologie sont encore peu documentées.

29 Fabien Matras et Olivier Marleix. Rapport parlementaire n° 611, 15e législature de la mission d’information sur
la déontologie des fonctionnaires et l’encadrement des conflits d’intérêts. https://www.assemblee-nationale.
fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b0611_rapport-information#
30 Fabrice Larat, « La formation des agents publics à la déontologie », dans Les Outils au service de la déontologie
(dir. Alexis Zarca), Dalloz, 2020.
31 Citons les quiz de l’Agence française anticorruption, intéressants pour leur caractère auto-apprenants ; le
niveau 1 est adapté à des actions de sensibilisation, et les niveaux 3 et 4 sont des outils d’auto-formation
adaptés à un public plus expert (typiquement un référent déontologue ou un juriste). L’AFA et la CNFPT ont
également développé un module d’e-learning gratuit et en libre accès (« Probité »). En termes de ressources
écrites, les guides de déontologie de la HATVP sont incontournables. Du côté des serious games, le jeu « Le Bon,
la Brute et le Truand » est un support pédagogique intéressant, à accompagner d’une discussion.

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DÉCEMBRE 2023 • N°62

Les formations dispensées par l’EN3S incorporent des études de cas adaptées à
partir de situations réelles. Rédigés de manière volontairement succincte, afin de faire
émerger les éléments de contexte, ils sont étudiés en groupe de manière collaborative
et guidée. Cette méthode permet de former à l’importance d’une juste appréciation des
conflits d’intérêts : ne pas les surestimer, ni les sous-estimer, et analyser finement le
contexte propre à chaque cas d’espèce. Quiconque s’est déjà intéressé à la préven-
tion des conflits d’intérêts sait que cette juste appréciation est un exercice délicat.
Par ailleurs, ces résolutions délibératives de cas pratiques sont aussi des mises en
situation, qui permettent d’explorer les différentes postures du référent déontologue :
rassurer, conseiller un déport, alerter sur un risque juridique, formuler des avis posi-
tifs mais assortis de réserves, ou aider à la résolution des dilemmes éthiques lorsque
se confrontent deux principes d’intérêt général.
Prenons un exemple. « Un agent de direction en Urssaf est sollicité par un ami qui ne
parvient pas à résoudre une difficulté personnelle liée à ses cotisations d’auto-entrepre-
neur. Il demande personnellement à ses équipes de traiter le dossier. En remerciement,
l’ami lui propose de l’inviter à dîner. » À partir de cet énoncé, inspiré d’une situation
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réelle, mais adapté de manière à ce que la situation et les protagonistes ne puissent
pas être reconnus, les participants sont invités à réfléchir aux éléments de contexte
susceptibles de caractériser la situation. La mise en situation commence par s’inter-
roger sur la personne qui sollicite le référent déontologue : s’agit-il du directeur qui,
de bonne foi, souhaite un conseil sur la réponse à apporter, du directeur ou de la direc-
trice de l’organisme, qui souhaite mettre un terme à certaines pratiques bien ancrées,
ou bien d’une personne mal à l’aise avec la consigne de son supérieur hiérarchique ?
La posture du référent déontologue ne sera naturellement pas du tout la même. Pour
analyser ensuite cet exemple, les stagiaires doivent réfléchir aux éléments suscep-
tibles de qualifier ou non un conflit d’intérêts. Quels sont les liens d’intérêts en jeu et
comment interfèrent-ils ? Sont-ils de nature à caractériser un doute ou une apparence
de doute sur l’indépendance et l’impartialité de l’agent ? Quelle est la nature de la
difficulté ? L’invitation à dîner consiste-t-elle à se retrouver pour un dîner simple au
domicile de l’ami, ou bien s’agit-il d’une invitation dans un restaurant trois étoiles (ce
qui pourrait qualifier une contrepartie, et donc faire basculer la situation vers un cas
de corruption) ? Un tel cas invite à réfléchir à des réponses pragmatiques mais respec-
tueuses de la déontologie. La discussion guidée permet de montrer que cet intitulé
succinct et en apparence simple peut cacher des réalités différentes, qui n’appelleront
pas les mêmes réponses et les mêmes solutions. Seule une formation à la méthode
d’analyse des conflits d’intérêts peut permettre de résoudre un tel cas.
Un autre enjeu des formations est de sensibiliser les stagiaires au fait que la
matière déontologique est vivante. Un référent déontologue doit rester en veille, et
accepter de ne pas pouvoir s’appuyer sur des réponses de type « oui ou non ». Pour
cette raison, l’EN3S propose aux référents déontologues une demi-journée d’appro-
fondissement et de consolidation des savoirs, au cours de laquelle des points d’ac-
tualité sont discutés, pour sensibiliser aux évolutions doctrinales et jurisprudentielles.

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PRÉVENTION DES CONFLITS D’INTÉRÊTS ET INSTITUTIONNALISATION DES RÉFÉRENTS
DÉONTOLOGUES : QUELS ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ SOCIALE ?

V- CONCLUSION
Le modèle de déontologie de la Sécurité sociale repose sur la même combinaison
d’outils qu’ailleurs dans la sphère publique – déclarations d’intérêts, déport, droit
au conseil déontologique, charte de déontologie, le tout s’appuyant sur un système
robuste de maîtrise des risques. La Sécurité sociale se distingue en revanche par son
modèle strictement interne, hors champ de la HATVP et avec des référents déontolo-
gues salariés de leur organisme.
À la Sécurité sociale comme ailleurs, la probité et l’intégrité sont à la fois des
valeurs et des procédures. Au fond, l’institutionnalisation de la prévention des conflits
d’intérêts repose sur une forme d’ambivalence : on cherche à la fois à diffuser une
culture déontologique et des valeurs, tout en prenant le risque qu’elles soient réduites
à des enjeux de conformité administrative - au risque de générer de l’anxiété32, ou de
dépolitiser les préoccupations sociales légitimes qui entourent les conflits d’intérêts33.
Les référents déontologues, les cadres de la Sécurité sociale, les administrateurs
et conseillers, mais aussi les représentants syndicaux ont tous un rôle à jouer pour
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que la déontologie favorise l’éthique individuelle et collective, la qualité des services
publics et la démocratie sociale - au-delà des enjeux, certes importants, de simple
mise en conformité juridique.

32 Marie Malaterre, « Amaury Brandalise (AATF) : “Il faut passer de l’anxiété déontologique au réflexe
déontologique !” », Acteurs Publics, 13 avril 2023, https://acteurspublics.fr/articles/amaury-brandalise-aatf-
il-faut-passer-de-lanxiete-deontologique-au-reflexe-deontologique
33 Thomas Perroud, « L’encadrement des conflits d’intérêts dans l’Administration : de l’urgence à sortir d’une
vision uniquement punitive », dans Les outils au service de la déontologie (dir. Alexis Zarca), Dalloz, 2020.

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