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Société Burkinabè de Droit

Constitutionnel
(SBDC)

« Une expertise sincère pour une démocratie prospère »

RRC
Revue des Réflexions Constitutionnelles
REVUE MENSUELLE DE PUBLICATION EN DROIT
CONSTITUTIONNEL

N° 025 – Septembre 2022

03 BP. 7104 Ouagadougou / Burkina Faso


associationsbdc@gmail.com
Tél. : (+226) 25 40 86 05 / 70 10 04 27

I
II
COMITE SCIENTIFIQUE
Professeur Abdoulaye SOMA
Professeur Valérie Edwige SOMA/KABORE
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Professeur Ousseni ILLY
Professeur Mathieu NAMOUTOUGOU
Professeur Frédéric Joël AÏVO
Professeur Gérard AÏVO
Professeur Godefroy MOYEN
Professeur Maya Hertig RANDALL
Professeur Michel HOTTELIER
Professeur Giorgio MALINVERNI
Professeur Ferdinand MELIN-SOUCRANAMIEN
Professeur Yédoh Sébastien LATH
Professeur Cheick Amala TOURE
Professeur Eric SANDJE
Professeur Makhtar CAMARA
Professeur Jean-Louis ESAMBO KANGASHE

COMITE DE LECTURE
Professeur Abdoulaye SOMA
Professeur Valérie Edwige SOMA/KABORE
Docteur Liliane SANOU/NIKIEMA
Docteur Vincent ZAKANE
Docteur Martial ZONGO
Docteur Pierre Claver MILLOGO
Docteur Aziz OUANDAOGO
Docteur Wendpanga Bienvenu Wenceslas OUEDRAOGO
Docteur Yann Marius SOMA
Docteur Samson DABIRE
Drs Aristide BERE
Drs Idrissa BALBONE
Drs Kélguingalé ILLY

III
Drs Marie-Charles Dorcasse SANOU
Drs Fouré Akim Alpha Daouda HEMA
Maître Samuel GUITANGA
Monsieur Désiré SAWADOGO
Monsieur Nicolas ZEMANE
Monsieur Olivier SOME
Monsieur Alain Clovis SANON
Madame Lidwine OUATTARA
Madame Stella Yineré KABORE

COMITE DE REDACTION
Professeur Abdoulaye SOMA
Drs Idrissa BALBONE
Drs Casimir YONLI
Monsieur Alain Clovis SANON
Monsieur Guy Wilfried YAOGO

IV
DIRECTIVES DE REDACTION EN VUE DE PUBLICATION
DANS LA REVUE DES REFLEXIONS
CONSTITUTIONNELLES (RRC) DE LA SBDC

Conformément à l’article 6 du règlement intérieur de la revue des réflexions constitutionnelles


(RRC) modifié, par arrêté n°2022-001/SBDC/CS/PRES du 04 janvier 2022 portant règlement
intérieur de la revue des réflexions constitutionnelles (RRC) de la Société Burkinabè de Droit
Constitutionnel (SBDC), les auteurs souhaitant publier leurs articles dans la RRC doivent se
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1. Les auteurs acceptent de respecter les règles de forme édictées ci-après. La RRC se
réserve le droit de refuser toute contribution qui ne respecterait pas ces spécifications.
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3. Si la RRC peut exceptionnellement accepter des textes déjà publiés par ailleurs, toutes
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V
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sans préjudice de la conformité des publications aux règles particulières de tel ou tel système
d’évaluation auquel l’auteur veut se soumettre. La RRC est ouverte sur le monde entier.

Professeur Abdoulaye SOMA


Professeur Titulaire de droit public
Président Emérite de la SBDC
Président du Conseil scientifique de la SBDC
Directeur de publication de la RRC
Avocat

VI
SOMMAIRE

DOCTRINE

À LA RECHERCHE DE CONTRE-POUVOIRS À LA FONCTION PRÉSIDENTIELLE


DANS LE CONSTITUTIONNALISME DES ÉTATS D’AFRIQUE FRANCOPHONE
SUBSAHARIENNE
MOUGNOL A MOUGNOL Stéphane, (Université de Yaoundé II / Cameroun)…….....………….…..1

COMMISSIONS « VÉRITÉ ET RÉCONCILIATION » EN AFRIQUE NOIRE


FRANCOPHONE : CONTRIBUTION A LA DÉFINITION DES ORGANES DE
JUSTICE TRANSITIONNELLE NON IDENTIFIÉS
AWONO ABODOGO Frank Patrick, (Université de Douala / Cameroun)………… ………………...31

LA NATURE DES ÉLECTIONS LOCALES EN DROIT ÉLECTORAL DES ÉTATS


D’AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE
Alassa MONGBAT, (Université de Dschang / Cameroun)……...................................................…...57

LA CONSTRUCTION JURIDICTIONNELLE DU DROIT DE LA PREUVE EN


MATIÈRE DE CONTENTIEUX ÉLECTORAL AU CAMEROUN
MATDA DEDE Rachel, (Université de Dschang / Cameroun)……………………… …..…….…...85

L’INCOMPÉTENCE NÉGATIVE DU LÉGISLATEUR AU GABON


ENYEGUE ESSO AYISSI Éric Valère, (Université de Douala / Cameroun)…………………......103

VILLES NOUVELLES ET PATRIMOINE COUTUMIER AU CAMEROUN


Pacôme VOUFFO, (Université de Dschang / Cameroun)………………… …………………………...131

LA GARANTIE DE L’EFFECTIVITÉ DE LA DÉMOCRATIE DANS LE CAMEROUN


D’AUJOURD’HUI : D’UNE FORMALISATION CERTAINE A UNE RELATIVE
MATÉRIALISATION ENTRE 2008 ET 2022
Fridolin Joël NTEUK Fridolin Joël, (Université de Douala / Cameroun)…….....................……..153

L’EXÉQUATUR DES SENTENCES ARBITRALES AU MALI : LÉGISLATION,


ÉTAT DE LA PRATIQUE
Hamadi DIALLO, (Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako / Mali )
Modibo Mohamed FOFANA, (ISPRIC)…….....…………………………………………….…………….189

LE POUVOIR PRÉSIDENTIEL ET LA DÉCENTRALISATION RÉGIONALE AU


CAMEROUN
François NAMA MAOH, (Université de Bertoua – FSJP / Cameroun )…….....……….…………….189

VII
LES BASES CONSTITUTIONNELLES DE LA GESTION DES DÉCHETS EN
REPUBLIQUE DU TCHAD
Mahadié OUTHMAN ISSA, (Université de Yaoundé II-Soa / Cameroun)…………….………….…..233

LE DROIT A LA JUSTICE ÉLECTORALE EN AFRIQUE NOIRE CONTRIBUTION


A LA CONSOLIDATION D’UN DROIT FONDAMENTAL EN DÉMOCRATIE : LE
CAS DU CAMEROUN
André Théodore OLOUME ANONG, (Université de Douala-Cameroun)……………..…………….261

JURISPRUDENCE

Jugement n° 07/CS/CA du 27 octobre 1994.


Dame NDONGO née MBONZI NGOMBO contre l’État du Cameroun……………..........299

LEGISLATION

Ordonnance n° 2011-167 du 13 juillet 2011 portant création de la Commission Dialogue,


Vérité et Réconciliation / République de Côte d’Ivoire …………………….………….……..303

VIII
À LA RECHERCHE DE CONTRE-POUVOIRS À LA FONCTION
PRÉSIDENTIELLE DANS LE CONSTITUTIONNALISME DES ÉTATS D’AFRIQUE
FRANCOPHONE SUBSAHARIENNE

Par

MOUGNOL A MOUGNOL Stéphane*


Maître assistant-CAMES Université de Yaoundé II-Cameroun

Résumé
Le regard porté par la doctrine sur les régimes politiques des États d’Afrique noire francophone
laisse entrevoir une prédominance de l’institution présidentielle sur tous les autres pouvoirs constitués.
Leur incapacité à pouvoir se constituer en contre-pouvoirs efficaces à celle-ci a conduit à réfléchir sur
leur pertinence à la fois comme expression de la séparation des pouvoirs, et aussi comme reflet de
l’État de droit. En effet, largement supplantés par les attributions du président de la République, les
pouvoirs législatif et judiciaire peinent à limiter, comme ils auraient dû, l’exorbitance des pouvoirs du
chef de l’État. Cette incapacité des contre-pouvoirs institutionnalisés à pouvoir matérialiser la théorie
des checks and balances a fait émerger des contrepoids non institutionnalisés dont les actions, bien
que non formalisées quelquefois sont susceptibles de rationaliser considérablement l’autorité du
Président de la République. Souvent à la limite de la licéité lorsqu’ils ne sont pas entièrement en
marge de la légalité, les moyens utilisés par ces nouveaux acteurs ne manquent pas d’influencer
l’évolution du constitutionnalisme dans ces pays. Par ce fait, les pouvoirs présidentiels se trouvent au
cœur des préoccupations que cette nouvelle tendance cherche à encadrer.

Mots clés : Constitution, Fonction présidentielle, Contre-pouvoirs, Séparation des pouvoirs,


États d’Afrique francophone subsaharienne.

Abstract
The view taken by the doctrine on the political regimes of the countries of French-speaking sub-
Saharan Africa suggests a predominance of the presidential institution over the other constituted
powers. Their inability to act as effective counter-powers to the presidential institution, has led to a
reflection on their relevance both as an expression of the separation of powers, and also as a reflection
of the rule of law. Indeed, largely overrided by the powers of the President of the Republic, the
legislative and judicial powers struggle to limit, as they should do, the exorbitant powers of the Head
of State. This inability of institutionalized counter-powers to be able to materialize the theory of
checks and balances, has given rise to non-institutionalized counterbalances whose actions, although
sometimes not formalized, are likely to considerably rationalize the authority of the President of the
Republic. Often at the limit of lawfulness when they are not entirely on the fringe of legality, the
means used by these new actors do not fail to influence the evolution of constitutionalism in these
countries. As a result, presidential powers and their limitation are at the heart of the concerns that this
new trend seeks to frame.
Key words: Constitution, Presidential function, Counter powers, Separation of powers,
Countries of French-speaking sub-Saharan Africa.

*
Mode de citation : MOUGNOL A MOUGNOL Stéphane, « à la recherche de contre-pouvoirs à la fonction
présidentielle dans le constitutionnalisme des états d’Afrique francophone subsaharienne », Revue RRC, n° 025 /
Septembre 2022, p. 1-29

1
INTRODUCTION

« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en
abuser : il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites [...], il faut que, par la disposition des choses,
le pouvoir arrête le pouvoir »1. Ces propos que l’on doit à MONTESQUIEU et qui ont
participé à la systématisation de la théorie de la séparation des pouvoirs dans les États
occidentaux au 17ème siècle, revêtent encore une particulière pertinence de nos jours. En effet,
comme l’affirmait l’auteur, « il n’y a point encore de liberté, si la puissance de juger n’est
pas séparée de la puissance législative, et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance
législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait
législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un
oppresseur »2. Cette logique qui a servi de soubassement à la théorisation des régimes
démocratiques par le passé, reste de nos jours d’actualité au regard des dérives observées dans
certains États n’ayant pas souscrit aux valeurs démocratiques. La recherche d’un permanent
équilibre entre les pouvoirs dans l’État a fait émerger par conséquent le triptyque pouvoir
exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire. Leur érection au rang de pouvoirs constitués
et leur systématisation dans la quasi-totalité des textes constitutionnels des États en ont fait
une nécessité pour la construction des États modernes3. Pourtant, en dépit de l’équilibre
recherché, force est de reconnaître qu’en général, l’institution présidentielle dans les
Républiques se trouve auréolée d’une singulière dignité qui la démarque presque toujours des
autres pouvoirs constitués. Si ce constat est vrai à l’observation des États occidentaux, il l’est
davantage lorsque l’intérêt porte sur les États d’Afrique noire francophone4. C’est dans ce
sens que le Professeur Frédéric Joël AÏVO a pu dire qu’elle « a toujours servi de thermomètre
à la vie et au fonctionnement des régimes politiques de tous les pays francophones au sud du
Sahara »5.
De toute évidence, le constitutionnalisme dans ces États s’est développé au lendemain
des indépendances avec une forte connotation mimétique avec la loi fondamentale française
de 1958. Les constitutions qui ont émergé de ce qu’il est convenu d’appeler la première phase
du constitutionnalisme africain6 ont transposé peu ou prou le modèle institutionnel de la
Vème République française7. Toutefois, ces premiers textes se sont très vite vus substitués par
d'autres, moins enclins à la préservation des valeurs démocratiques et plus ouverts à la
personnalisation du pouvoir en l’institution présidentielle. Le vent de démocratisation qui

1
MONTESQUIEU, De l’Esprit des Lois, Livre XI, Chapitre IV, Genève, éd. Barrilot et Fils, 1748.
2
Ibid.
3
DUVERGER Maurice, « Nécessité de la démocratie », Rivista di StudiPoliticiInternazionali, Vol.50, No. 4
(200), (Ottobre-Dicembre 1983), pp. 513-522.
4
Lire utilement AÏVO (Frédéric Joël), Le président de la République en Afrique noire francophone : essai sur la
sociologie et les évolutions institutionnelles de la fonction au Bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo, Thèse
Doctorat Science politique, Université de Lyon 3, 2006.
5
Ibid., p.21.
6
KPODAR (Adama), « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », in La
Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ?, Mélanges en l’honneur de Maurice
AhanhanzoGlèlè, Paris, L’Harmattan, Coll. « Études Africaines », 2014, pp. 89-126.
7
Certains auteurs contemporains ne manquent pas réaffirmer cette filiation des Constitutions africaines à celle de
la France. Lire entre autres POLLET-PANOUSSIS (Delphine), « La Constitution congolaise de 2006 : petite
sœur africaine de la Constitution française », in RFDC, N°75, 2008/3, pp.451-498.

2
souffle à nouveau sur le continent dans les années 1990 a laissé émerger de nouveaux cadres
constitutionnels plus en accord avec les principes de la démocratie au rang desquels la
séparation des pouvoirs. L’instabilité politique constatée dans cette partie du continent a
donné lieu à une précarité constitutionnelle qui s’est traduite par la recrudescence des
modifications des lois fondamentales quelques fois taillées sur mesure, ayant à chaque fois
pour objectif l’accroissement des attributs de l’institution présidentielle. C’est autour de son
titulaire que se bâtit la nature du régime, se déterminent les autres acteurs institutionnels, se
fixent leurs pouvoirs et marges de manœuvre et enfin s’opère le choix du régime des droits et
libertés publiques8.
Dans ce contexte, un pays comme la République du Bénin au sein de l’espace Afrique
noire francophone a toujours été perçue comme un modèle particulier de stabilité
constitutionnelle. De 1990 à nos jours, elle n’a connu qu’une seule révision de sa loi
fondamentale9. Les autres États de cet espace ont connu de nombreuses modifications
constitutionnelles au gré généralement des mutations au sommet de l’État. Par ailleurs, même
les États n’ayant pas connu plusieurs alternances au plus haut niveau des institutions étatiques
comme le Cameroun, le Togo ou le Gabon, ne justifient pas d’une stabilité constitutionnelle
comme celle du Bénin. Toutefois, en dépit de ce différentiel quant au débit des changements
constitutionnels, la constante qui peut être observée est l’attention qui est portée à sécurisation
de la fonction présidentielle. Cette consolidation des attributs attachés à son statut contraste
cependant avec l’aménagement qui est fait des contre-pouvoirs à l’autorité du Président de la
République. La pratique institutionnelle actuelle disqualifie le pouvoir législatif de cette
qualité en raison de ses fortes accointances avec le pouvoir exécutif. Le phénomène partisan
ainsi que le jeu des alliances politiques incarné par le fait majoritaire permet davantage de
voir dans le pouvoir législatif un allier de l’exécutif qu’un véritable contre-pouvoir. Par
ailleurs, l’absence d’aménagement constitutionnel d’un statut de l’opposition couplée à
l’inexistence empirique d’une opposition politique au sein de certains parlements10 vient
confirmer l’orientation univoque du fait majoritaire dans la plus part de ces pays. Au
Cameroun par exemple, la révision constitutionnelle de 2008 après avoir levé le verrou de la
limitation des mandats présidentiels, a renforcé en l’étendant le régime des immunités11 du
Président de la République. La réalité en ce qui concerne les rapports politiques entre
l’exécutif, le législatif et l’opposition est quasiment identique dans toute l’Afrique
francophone subsaharienne à l’exception de la RDC qui a reconnu un statut constitutionnel à
l’opposition politique12.Dans ces circonstances, le pouvoir exécutif se trouve affranchi de
toute voix discordante qui pourrait remettre en question son action. C’est fort de ces
considérations que l’on pourrait envisager une réflexion sur la recherche de contre-pouvoirs à
la fonction présidentielle dans les États d’Afrique francophone subsaharienne.

8
AÏVO (Frédéric Joël), Le président de la République en Afrique noire francophone : essai sur la sociologie et
les évolutions institutionnelles de la fonction au Bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo, op.cit., p.21.
9
Il s’agit de la révision du 7 novembre 2019.
10
Après les élections législatives du 28 avril marquées par l’abstention de l’opposition, le parlement béninois ne
compte pour cette législature aucun représentant des partis d’opposition.
11
Art. 6 al.2, Art. 53 de la Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 Portant révision de la Constitution du 02 juin 1972,
modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008.
12
Art. 8 de la Constitution de RDC.

3
Les expressions nodales de cette thématique sont à l’évidence les groupes nominaux
contre-pouvoir, et fonction présidentielle qui en l’espèce pourrait s’assimiler à institution
présidentielle. Bien que ces expressions soient très souvent usitées tant dans la rhétorique
politique que constitutionnelle, il reste qu’elles présentent chacune de fortes ambiguïtés
sémantiques dont la clarification participerait à une compréhension aisée du sujet.
Comme le précisait le Professeur HOURQUEBIE, dans la notion de contre-pouvoir
transparaissent trois mots clés que sont séparation, équilibre, modération13. Elle renvoie par
conséquent à une interaction réciproque à l’intérieur d’un système concurrentiel14. En réalité,
c’est une concurrence équilibrée entre les pouvoirs et induisant une capacité à se limiter
réciproquement qui traduit le mieux l’idée de contre-pouvoir. En d’autres termes, l’on ne
pourrait parler de contre-pouvoir que dans la mesure où il existerait une concurrence
équilibrée entre les pouvoirs, ce qui leur permettrait de se modérer ou de se freiner
mutuellement15. Par conséquent, « tout pouvoir (dans la théorie constitutionnelle) appelle un
contre-pouvoir chargé de le contrôler en vue de le modérer »16. Ceci permet de se prémunir
contre le caractère corruptif et dangereux de la disponibilité d’un pouvoir politique trop peu
limité17.
La fonction présidentielle quant à elle pourrait traduire outre le statut du président de la
République, l’ensemble des attributions et missions dévolues par le constituant à ce dernier
dans un État. Tête de l’exécutif, il incarne en fonction des contextes, seul ou en duo avec le
Premier ministre, le pouvoir exécutif. C’est effectivement le cas de la République béninoise
où le chef de l’État représente l’entièreté du pouvoir exécutif. Depuis la loi N° 90-32 du 11
décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin, une option a été prise par le
constituant pour un régime de type présidentiel avec le Président de la République comme
seule tête de l’exécutif. La consécration en 2019 du poste de vice-président n’enlève rien à sa
posture olympienne18 au sein de l’exécutif car, il est le chef de l’État et incarne l’unité
nationale. Dans d’autres pays ayant une tradition bicéphale comme entre autres le Cameroun,
le Gabon, le Tchad, la Côte d’Ivoire la toute-puissance du chef de l’État viendrait même à
reléguer le Premier ministre au statut de « nain constitutionnel » tant ses attributions, même si
elles sont constitutionnellement définies, restent dépendantes de la volonté du chef de l’État.
La fonction présidentielle est au final double. Il y a d'abord une fonction institutionnelle qui se
décompose en trois facettes : le gardien de la Constitution, l'arbitre du « fonctionnement
régulier des pouvoirs publics », enfin « le garant de l'indépendance nationale de l'intégrité du
territoire et du respect des traités ».
Il y a aussi une fonction politique qu'aucun texte ne lui attribue explicitement, mais que
l'élection au suffrage universel lui a assignée. Élu par le peuple sur la base d’un plan d’action
13
HOURQUEBIE (Fabrice), « De la séparation des pouvoirs aux contre-pouvoirs : « l’esprit » de la théorie
de Montesquieu », https://www.umk.ro › images › 4_de_la_separation, consulté le 7 juillet 2021, 7 p.
14
Ibid.
15
Ibid.
16
Ibid.
17
BARTHELEMY (Jules), « Le Citoyen, contre-pouvoir ou contre régime », Xème Congrès français de droit
constitutionnel, Lille 2017 - Atelier C : Constitution, pouvoirs et contrepouvoirs, 19p.
18
OWONA (Joseph), Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain, Paris,
l’Harmattan, 2010, p. 665.

4
politique, il l’incarne et en est la tête de proue. C’est à ce titre qu’il définit la politique de la
nation. Si cette fonction politique correspond à un pouvoir partisan se traduisant par le choix
d'options politiques, la fonction institutionnelle met en œuvre un pouvoir d'État qui se situe
au-dessus des choix politiques partisans.
L’ancien Président français DE GAULLE l’affirmait : « une Constitution c’est un
esprit, des institutions et une pratique »19. À sa suite, l’on pourrait également, afin de ne pas
minorer la dimension formelle de la constitution, dire qu’elle est une lettre. C’est donc à
l’aune de ses quatre dimensions de la constitution qu’il convient d’apprécier les contre-
pouvoirs à la fonction présidentielle dans le constitutionnalisme des États d’Afrique
francophone subsaharienne. Du point de vue temporel, la référence chronologique partira de
1990 à nos jours, les années 90 marquant le début de la troisième phase du
constitutionnalisme dans ces pays20. Du point de vue géographique, la réflexion sera
circonscrite aux États d’Afrique noire francophone qui propose un schéma institutionnel quasi
identique à l’analyse. Du point de vue matériel enfin, l’étude se propose d’analyser sous le
prisme du droit constitutionnel et des pratiques institutionnelles, les contre-pouvoirs à la
fonction présidentielle. En effet, plusieurs auteurs ont mené des études sur le président de la
République en Afrique noire francophone21. Ces travaux ce sont principalement articulés sur
le statut du Président de la République même si de façon accessoire mention a été faite aux
contre-pouvoirs. La présente recherche entend mettre en avant non pas la fonction
présidentielle à titre principal, mais davantage les leviers qui permettent de la limiter.
Ceci étant, l’appréciation des contre-pouvoirs à la fonction présidentielle suivant les
critères sus déclinés par le Professeur HOURQUEBIE place l’observateur dans un certain
inconfort. Si la lettre et l’esprit de ce texte aménagent clairement des pouvoirs concurrents à
celui du Président de la République et ayant pour objectif de le modérer, la pratique
institutionnelle quant à elle révèle l’effritement des frontières entre les pouvoirs constitués
avec une incidence sur leur fonction de limitation réciproque22. Le fait majoritaire favorisant
les rapprochements entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, l’étendue des
prérogatives du Président de la République sur le pouvoir judiciaire ainsi que l’absence
d’aménagement d’un statut constitutionnel en faveur de l’opposition, laisse perplexe sur la
réalité des contre-pouvoirs dans ces États. De ce qui précède, l’on pourrait donc se poser la
question de l’existence de contre-pouvoirs à la fonction présidentielle dans les États d’Afrique
noire francophone. En d’autres termes, Existe-t-il encore, de véritables contre-pouvoirs à la
fonction présidentielle dans le constitutionnalisme des États d’Afrique francophone
subsaharienne ?

19
DE GAULLE (Charles), Conférence de presse du 31 janvier 1964.
20
KPODAR (Adama), « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », op.cit.
21
Lire AÏVO (Frédéric Joël), Le président de la République en Afrique noire francophone : essai sur la
sociologie et les évolutions institutionnelles de la fonction au Bénin, au Cameroun, au Gabon et au Togo, Thèse
Doctorat Science politique, Université de Lyon 3, 2006, 626p., MADOU (Yaovi), La démocratie et la fonction
présidentielle en Afrique noire francophone : Les cas du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Mali et du Togo, Thèse
de Doctorat en Droit, Université de Poitiers et Université de LOME, 2016, 654p.
22
MOUGNOL A MOUGNOL (Stéphane), « La fonction présidentielle à l’épreuve du fait majoritaire au
Cameroun », in Patrick Edgard ABANE ENGOLO et Jean-Paul MARKUS (dir.), La fonction présidentielle au
Cameroun, Paris, l’Harmattan, 2019, pp.319-338.

5
Sous réserve des développements ultérieurs, il peut être constaté que si les contre-
pouvoirs classiques tendent à être inopérants, cela ne pourrait conduire dans l’absolu à la
conclusion de l’inexistence de contre-pouvoirs à la fonction présidentielle dans cet espace. La
thèse défendue est par conséquent celle de la résurgence des contre-pouvoirs à la fonction
présidentielle. Cette réflexion a donc pour objectif de rechercher à la fois dans le
constitutionnalisme de ces pays, les éléments de rationalisation de la fonction présidentielle.
Elle permettrait également d’apprécier et d’évaluer la pertinence du système existant de
contrainte capable de modérer ladite fonction23.
En faisant un usage combiné de la dogmatique qui permettra de faire une exégèse des
lois fondamentales de l’échantillon choisi et du positivisme sociologique, il sera question de
rechercher ou de démontrer à travers les constitutions ordinaires24 et les pratiques
institutionnelles subséquentes, la dialectique des contre-pouvoirs dans cet espace. En sus, un
recours à la dynamique comparée permettra également de confronter dans l’argumentaire,
différentes situations prises dans différents espaces.
Aussi, force sera de constater que si les contre-pouvoirs institutionnalisés sont en
général éclipsés par la fonction présidentielle (I), l’essor de contre-pouvoirs non
institutionnalisés participe à la rationalisation de cette fonction (II).

I- L’EROSION DES CONTRE-POUVOIRS INSTITUTIONNALISES PAR LA


FONCTION PRESIDENTIELLE

L’objectif d’un contre-pouvoir est l’endiguement des pouvoirs rivaux dans leurs limites
légales et légitimes25. En d’autres termes, le contre-pouvoir, en réaction à l’excroissance du
pouvoir opposé, remplit la fonction de pouvoir compensateur. L’immédiateté fonctionnelle du
contre-pouvoir est alors bien de contenir, freiner, c’est-à-dire réguler les pouvoirs
concurrents26. L’esprit de la séparation des pouvoirs comme mentionné plus haut, laisse
émerger un triptyque (pouvoir exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire) avec pour
ambition de créer un système équilibré et auto régulé. Pourtant, le constat est que l’équilibre
recherché est aujourd’hui précaire du fait de la forte prépondérance du pouvoir exécutif sur
les autres pouvoirs. La conséquence est que l’on assiste à une hyper concentration des
pouvoirs entre les mains du Président de la République qui l’exercent sans limites
puisqu’aucune autre institution n’est suffisamment dotée d’autorité pour pouvoir s’opposer27.
De la rationalisation de la fonction de contre-pouvoir du parlement par le fait majoritaire (A) à
l’inconsistance matérielle de la fonction contre-pouvoir du pouvoir judiciaire (B), il devient
difficile de percevoir en eux des contre-pouvoirs pertinents à la fonction présidentielle.

23
HOURQUEBIE (Fabrice), « Quel statut constitutionnel pour le chef de l’État africain ? Entre principes
théoriques et pratique du pouvoir », in Afrique contemporaine, 2012/2 n ° 242, pp. 73 -86.
24
Ceci exclut de fait les constitutions de crises ou les chartes de transition qui sont actuellement en vigueur dans
les États comme le Tchad ou le Mali.
25
HOURQUEBIE (Fabrice), « De la séparation des pouvoirs aux contre-pouvoirs : « l’esprit » de la théorie
de Montesquieu », op.cit.
26
Ibid.
27
HOURQUEBIE (Fabrice), « Quel statut constitutionnel pour le chef de l’État africain ? Entre principes
théoriques et pratique du pouvoir », op.cit.

6
A- La rationalisation de la fonction de contre-pouvoirs du parlement par le fait
majoritaire

L’exercice du pouvoir politique dans les États d’Afrique francophone au sud du Sahara
est fortement tributaire aujourd’hui du phénomène partisan dans un contexte multipartiste28.
Le fait majoritaire qui nait comme conséquence traduit la possibilité pour le gouvernement à
disposer d’une majorité parlementaire stable et fidèle sur laquelle il peut s’appuyer tout au
long de son mandat29. La solidarité réciproque qui nait entre ces deux pouvoirs constitués
ainsi que la complicité qui caractérise leurs rapports, entraine désormais une disqualification
du parlement de la fonction de contre-pouvoir à la fonction présidentielle, tant il existe dans le
constitutionnalisme de ces États la constance d’un fait majoritaire favorable à l’exécutif (1).
Par ailleurs, l’absence d’aménagement systématique d’un statut constitutionnel à l’opposition
(2), conforte l’idée de l’effritement de la fonction de contre-pouvoir des organes
parlementaires.

1- La constance d’un fait majoritaire favorable au Président de la République


La réalité du fait majoritaire met en évidence deux possibilités : d’une part, l’adéquation
entre la majorité parlementaire et la majorité présidentielle. On parle alors de fait majoritaire
au profit du Président de la République, ce dernier étant généralement le président de la
formation politique majoritairement représentée au parlement. D’autre part, la non-
concordance entre la majorité parlementaire et la tendance politique au pouvoir au sein de
l’exécutif qui entraine ce que la doctrine30 qualifie de situation de cohabitation dans laquelle
le parlement n’est pas acquis a priori à la cause du Président de la République. Dans ce cas, le
fait majoritaire ne bénéficie pas au chef de l’État31 et c’est cette réalité que le Professeur Jean-
Philippe DEROSIER a qualifiée de fait majoritaire minoritaire32. Cependant, il est appréhendé
de façon constante comme cette situation dans laquelle l’exécutif est soutenu par une majorité

28
Art. 5 de la Constitution béninoise modifiée : « Les partis politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils
se forment et exercent librement leurs activités dans les conditions déterminées par la Charte des partis
politiques. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale, de la démocratie, de l'intégrité
territoriale et la laïcité de l'État… » ; La Constitution ivoirienne en son article 13 dispose que : « Les Partis et
Groupements politiques se forment et exercent leurs activités librement sous la condition de respecter les lois de
la République, les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Ils sont égaux en droits et soumis
aux mêmes obligations... » ; Art. 6 de la Constitution gabonaise : « Les partis et les groupements politiques
concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement, dans le cadre fixé par la
loi, selon les principes du multipartisme. Ils doivent respecter la Constitution et les lois de la République » ; Art
3 de la Constitution du Cameroun : « Les partis et formations politiques concourent à l’expression du suffrage.
Ils doivent respecter les principes de la démocratie, de la souveraineté et de l’unité nationale. Ils se forment et
exercent leurs activités conformément à la loi ».
29
KERLEO (Jean-François), « Le fait majoritaire, chronique d’une mort annoncée ? », in Jus Politicum, 18
juillet 2017, pp.337-354.
30
Lire DENQUIN (Jean-Marie), « Constitution politique et fait majoritaire », Jus politicum. Revue de droit
politique, Dalloz, 2020, Le droit politique face à la Cinquième République, 24, pp. 171-180; BENETTI (Julie),
Droit parlementaire et fait majoritaire à l’Assemblée nationale sous la Vème République, thèse de Doctorat,
Paris 1, 2004, p. 18.
31
MOUGNOL A MOUGNOL (Stéphane), « La fonction présidentielle à l’épreuve du fait majoritaire au
Cameroun », op.cit.
32
DEROSIER (Jean-Philippe), « François Hollande et le fait majoritaire, ou la naissance d’un fait majoritaire
contestataire », Constitutions : revue de droit constitutionnel appliqué, Dalloz, 2016, pp.253-266.

7
parlementaire ferme et stable. C’est ce cas de figure qui est observable dans tous les États
d’Afrique noire francophone.
En effet, les partis politiques concourent ici à l’expression du suffrage33 et à ce titre sont
des acteurs importants de la construction de l’État de droit. Sollicités plus généralement dans
le cadre des élections politiques et locales34, ils sont à plusieurs égards la représentation des
démocraties contemporaines. Le fait majoritaire qui émerge est une conséquence de leurs
actions dans le jeu politique et l’importance qui leur est reconnue se traduit aujourd’hui par la
dialectique majorité-opposition. Bien plus, en paraphrasant ROSANVALLON35, le Professeur
Éric THIERS affirmait que « la séparation des pouvoirs selon l’ancienne tripartition n’avait
plus de consistance puisque ne demeurait qu’un seul pouvoir dirigeant – l’exécutif –, que le
pouvoir législatif n’avait qu’une capacité limitée de contrôle, de contrainte ou de censure de
l’exécutif, et que le pouvoir judiciaire n’existait plus depuis longtemps en tant que tel »36. Si
l’on raisonne en termes de balance des pouvoirs en vertu de la théorie des checks and
balances développée aux États-Unis, le parlement se trouve émasculé du fait de la très forte
autorité que le Président de la République exerce sur lui à travers le phénomène partisan et la
discipline du parti qui en est le corollaire. Dès lors, c’est le couple majorité-opposition qui
participe désormais à la refondation du principe de séparation37 en ce qu’il tend à redéfinir les
équilibres au sein du parlement avec une incidence sur le pouvoir exécutif.
En réalité, dans la pensée des grands théoriciens de la séparation des pouvoirs, en
identifiant trois pouvoirs distincts et séparés, l’idée était que par la disposition des choses, le
pouvoir arrête le pouvoir. Ainsi, le pouvoir législatif devait contenir le pouvoir exécutif et
vice versa. Pourtant, Alain GANDOLFI affirmait en ce qui concerne le continent africain que
« Quand les hommes d’États africains (…) inscrivent dans leur constitution le principe de la
séparation des pouvoirs, ils ne font que sacrifier à une clause de style »38. Si ce constat
pouvait être pertinent à une certaine période de l’histoire constitutionnelle de ces États, il ne
l’est plus à certains égards depuis les années 1990. Aujourd’hui, la constitution simple
barrière de papier39 est devenue un véritable instrument de garanti de l’État de droit en
Afrique. Les valeurs démocratiques qu’elle promeut ainsi que la réalité pluripartisanne qu’elle

33
Art. 14 de la Constitution ivoirienne ; Art. 3 Constitution du Cameroun.
34
Il existe une grande controverse dans la doctrine sur les concepts élections politiques et élections locales, les
premières étant considérées comme participant à l’expression de la souveraineté et les secondes considérés
comme des élections administratives. Toutefois, le juge constitutionnel français a pu défendre l’idée contraire car
pour lui, les élections municipales et plus largement les scrutins locaux sont des élections politiques. Ce juge a
précisé que "la désignation des conseillers municipaux a une incidence sur l’élection des sénateurs ; (…) que
le Sénat participe à l’exercice de la souveraineté nationale". Autrement dit, les élections locales désignant des
membres des collèges électoraux sénatoriaux ont un caractère politique : Décision n° 92-308 DC du 9 avril 1992.
Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982« qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour
l'élection des conseillers municipaux ».
35
ROSANVALLON (Pierre), « Mieux contrôler l’exécutif, voilà la liberté des modernes ! », Le Monde, 17 juin
2011.
36
THIERS (Éric), « La majorité contrôlée par l’opposition : pierre philosophale de la nouvelle répartition des
pouvoirs », Pouvoirs, N°143, 2012, pp. 61-72.
37
Ibid.
38
GANDOLFI (Alain), « Essai sur le système gouvernemental africain ». R.J.P.I.C., n ° 3, juillet-septembre
1961, p.369.
39
FELDMAN (Jean-Philippe), « La constitution : moyen efficace de limiter l’État ? », in Journaldeslibertés.fr,
Vol.1, N° 1, 2018, pp.27-35.

8
aménage ont fortement influencé le rapport entre les pouvoirs dans les États objet de l’étude.
Toutefois, la pensée d’Alain GANDOLFI garde une certaine valeur au regard de la très forte
prépondérance du pouvoir exécutif sur les autres pouvoirs, d’où la nécessité d’avoir une
nouvelle lecture de la fonction de contre-pouvoirs du parlement dans les réalités
constitutionnelles des États d’Afrique francophone au sud du Sahara.
Comme l’affirmait le Professeur Maurice KAMTO, le constitutionnalisme « est le
phénomène constitutionnel en mouvement dans un environnement sociopolitique donné… le
terme traduit au-delà du texte constitutionnel son application et l’ensemble des pratiques
politiques qui sont liées à la constitution »40. Fort de ce qui précède, l’observation de la
pratique politique de ces États africains laisse entrevoir la réalité d’un parlement affilié
généralement à l’orientation politique du Président de la République. Si le fait majoritaire
s’adosse sur la dualité majorité-opposition, force est de constater qu’en général, la majorité
est acquise à la cause du Chef de l’État. Cette accointance a créé par conséquent comme
l’affirmait le Professeur Cyrille MONEMBOU « une collaboration unilatérale au profit du
Président de la République se transformant en un véritable contrôle de l’institution
parlementaire »41. Les nombreuses intrusions du Président de la République dans le domaine
matériel du parlement laissent perplexes quant à la capacité de ce dernier à assumer
pleinement sa fonction de contre-pouvoir. La rationalisation de l’activité parlementaire par
l’action de l’exécutif a pour conséquence sa fragilisation. Outre la possibilité d’intervenir
dans le domaine de la loi à travers les ordonnances42 ou de légiférer par voie référendaire43, le
chef de l’exécutif dispose de moyens qui pourraient lui permettre de s’affranchir au moins
lorsque la conjoncture parlementaire n’est pas en sa faveur, des exigences de l’organe
législatif. Ces capacités permettent au chef de l’État de contourner la procédure législative
classique et les modalités de contrôle parlementaire qui vont avec. La discipline du parti par
ailleurs voudrait que les parlementaires affiliés à une formation politique votent ensemble,
dans le même sens et à chaque fois44. Lorsque le parti politique ayant investi le candidat à la
tête de l’exécutif a également une représentation majoritaire au parlement, la discipline
partisane voudrait que l’exécutif en respect des consignes du parti, ait toujours le soutien de sa
majorité au sein du pouvoir législatif. La conséquence d’une telle configuration est qu’elle
rend les délibérations parlementaires prévisibles. Et comme le présentait Damien LECOMTE
« des discussions peuvent toujours avoir lieu, des arguments peuvent toujours être échangés,
mais sans forcément avoir d’influence décisive sur l’issue du vote, parce que celui-ci est
déterminé par des blocs préexistants – et surtout par un bloc : la majorité »45. Étant entendu
que dans les États d’Afrique francophone au sud du Sahara cette majorité est toujours en
faveur du Président de la République, l’on a pu dire ici que le parlement n’est qu’une chambre
40
KAMTO (Maurice), Pouvoir et droit en Afrique Noire : Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans
les États d’Afrique Noire francophone, Paris, L.G.D.J., 1987, p.43.
41
MONEMBOU (Cyrille), La séparation des pouvoirs dans le constitutionnalisme camerounais : Contribution à
l’étude de l’évolution constitutionnelle, Thèse de Doctorat, Droit public, Université de Yaoundé II, 2011, p.50.
42
Art.102 de la Constitution du 10 décembre 1990 du Bénin, Art.75 de la Constitution ivoirienne, Art.26, Art.52
de la constitution du Gabon, Art.28 de la Constitution camerounaise.
43
Art.58.
44
LECOMTE (Damien), Abdication du parlement : fait majoritaire et discipline partisane à l’Assemblée
nationale sous la Vème République, Thèse de Doctorat en sciences politiques, Université de Paris I Panthéon
Sorbonne, 2021, p.17.
45
Ibid., p.18.

9
d’enregistrement. Le gouvernement formé sur une base majoritaire conserve cette base
jusqu’à la fin du mandat parlementaire, est assuré de ne pas être renversé et de pouvoir faire
adopter ses projets de lois jusqu’aux prochaines élections parlementaires46.
Ainsi, au-delà de la constance d’un fait majoritaire favorable à l’exécutif, l’absence
d’aménagement d’un statut constitutionnel en faveur de l’opposition dans la très grande
majorité de ces États se présente comme un autre facteur de rationalisation de la fonction
parlementaire de contre-pouvoir.

2- L’absence d’aménagement d’un statut constitutionnel de l’opposition


À l’issue de la dernière élection législative au Bénin du 28 avril 2019 marquée par
l’absence de l’opposition du processus électoral, le parlement béninois aujourd’hui
monocolore a perdu ce qui lui restait d’aura en tant que contre-pouvoir à la fonction
présidentielle. Au Cameroun, après les scrutins du 9 février 2020 et 22 mars 202047 la
majorité parlementaire qui dispose de 152 députés sur 180 est du même bord politique que le
Président de la République, ce qui lui confère déjà un fait majoritaire absolu48. Plusieurs
autres formations politiques ayant reçu des suffrages se sont coalisées avec le parti au
pouvoir49, et c’est avec beaucoup de difficultés que les partis d’opposition arrivent à
rassembler une dizaine de députés. Cette réalité est transposable au Sénat camerounais. Au
Gabon c’est le parti au pouvoir qui remporte 98 des 143 sièges à l’Assemblée Nationale
auxquels il faut ajouter les sièges gagnés par les partis affiliés à la majorité à l’issu du scrutin
législatif de 2018. En Côte d’Ivoire, après les élections de mars 2021 le parti au pouvoir
remporte la majorité des sièges au parlement soit 137 sur 255. Le contexte ci-dessus décrit
laisse transparaître deux réalités. La première est l’affiliation de la tendance majoritaire
représentée au sein du parlement à celle exerçant le pouvoir exécutif. La deuxième est qu’en
l’absence d’aménagement formel d’un statut constitutionnel de l’opposition, il serait difficile
de voir dans la figure du parlement, un véritable contre-pouvoir.
Par opposition, on peut entendre comme le décrivait le Professeur Yves POIRMEUR
« une attitude d’hostilité vis-à-vis du pouvoir en place, un ensemble d’activités ayant pour
finalité de combattre la politique du gouvernement, et enfin, les acteurs - individuels ou
collectifs - qui adoptent cette attitude et agissent pour faire triompher leur volonté, et sont
donc des opposants »50.Si comme l’affirme le Professeur Fabrice HOURQUEBIE « tout
gêneur n’est pas un contre-pouvoir »51, le rôle structural du contre-pouvoir permet
d’identifier des institutions précises chargées de remplir cette fonction. Ainsi, l’opposition
parlementaire fonctionne avant tout sur le mode du freinage et de l’empêchement. C’est ce qui

46
Ibid., p. 19.
47
Les élections législatives se sont tenues le 9 février 2020. Après le contentieux postélectoral, le scrutin a été
annulé dans 11 circonscriptions et l’élection dans celles-ci programmée pour le 22 mars 2020.
48
DEROSIER (Jean-Philippe), « François Hollande et le fait majoritaire, ou la naissance d’un fait majoritaire
contestataire », op.cit.
49
Il s’agit par exemple de l’UNDP (Union nationale pour la démocratie et le progrès) avec ses 7 députés, le
FSNC (Front pour le Salut National du Cameroun) avec ses 3 députés…
50
POIRMEUR (Yves), « Grandeur et misère de l’opposition », in L. Sindjoun (dir.), Comment peut-on être
opposant au Cameroun ? Codesria, 2004, pp. 331-346.
51
MILACIC Slobodan, cité par HOURQUEBIE (Fabrice), « De la séparation des pouvoirs aux contre-pouvoirs :
« l’esprit » de la théorie de Montesquieu », op.cit.

10
conditionne son efficacité52, mais encore faudrait-il qu’elle soit institutionnalisée53. C’est son
institutionnalisation qui permet en réalité de la doter d’une force de frappe adéquate, gage de
son efficacité car, pouvant se traduire par une conséquence juridique ou politique sur le
pouvoir qui est modéré54.
Le doyen Georges VEDEL le disait déjà : « une démocratie […] c’est un exécutif
appuyé sur la Nation et contrôlé par une opposition parlementaire »55. À ce titre, « outre sa
fonction de représentation (celle d’une minorité du corps électoral), la raison d’être de
l’opposition parlementaire réside dans l’action de contrôler la majorité
parlementaire/gouvernementale et de proposer des solutions politiques alternatives. En cela,
elle a vocation à exercer un contre-pouvoir politique, qui tire sa légitimité du suffrage
populaire »56. Toutefois, pour que son action soit perceptible et efficace, il faudrait
préalablement lui aménager un statut qui fonderait la légitimité de son action. Or, les lois
fondamentales des États d’Afrique noire francophone, en consacrant un système
multipartiste57 ont manqué au fil des révisions constitutionnelles, d’aménager un statut propre
à l’opposition parlementaire, la maintenant dans une sorte de « maquis tant normatif
qu’institutionnel ». Pourtant, comme l’affirmait le Professeur Léopold DONFACK SOKENG
citant le Professeur GICQUEL, « la reconnaissance de la contestation équivaut, dans la
pratique, à la possibilité offerte aux opposants d’éliminer pacifiquement, en d’autres termes
légalement, les gouvernants en place à la faveur d’élections. Parties intégrantes du système,
la majorité et la minorité sont mises sur un pied d’égalité. La confrontation des idées, des
programmes, facilite la solution des problèmes politiques ». L’opposition est donc une
institution de contestation des idées et programmes de la majorité et constitue de ce point de
vue un véritable contre-pouvoir à la fonction présidentielle. À ce titre, elle est, paraphrasant
PROUDHON, le condiment de la liberté, la garantie de la constitution, le premier de nos
droits, le plus saint de nos devoirs58.
Dans un contexte où vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement
minoritaire59 et où l’on assiste à une dictature de la majorité, l’opposition parlementaire se
positionne comme une représentation institutionnelle de la minorité60 d’une part, et comme un
contre-pouvoir à la majorité, ce qui inclut la capacité de contrôler les actions de la majorité au
pouvoir d’autre part. L’opposition est donc l’oxygène des démocraties pluralistes61 car elle
promeut l’idée de la libre concurrence des opinions. Toutefois, l’opinion dissidente doit
52
Ibid.
53
DONFACK SOKENG (Léopold), « L’institutionnalisation de l’opposition : une réalité objective en quête de
consistance », in L. Sindjoun (dir.), Comment peut-on être opposant au Cameroun ? Codesria, 2004, pp. 44-100.
54
HOURQUEBIE (Fabrice), « De la séparation des pouvoirs aux contre-pouvoirs : « l’esprit » de la théorie de
Montesquieu », op.cit.
55
Cité par NABLI (Béligh), « L’opposition parlementaire : Un contre-pouvoir politique saisi par le droit », in
Pouvoirs, 2010/2 n° 133, pp. 125-141.
56
Ibid.
57
Art.5 de la Constitution béninoise, Art.
58
PROUDHON, Solution du Problème Social, Œuvres, 1868 ; cité par DONFACK SOKENG (Léopold),
« L’institutionnalisation de l’opposition… », op.cit.
59
LAIGNEL André, Le député socialiste de la majorité s’adressait à Jean Foyer, ancien garde des sceaux du
général de gaulle, le 13 octobre 1981, en plein débat sur les nationalisations.
60
Sans tomber dans la confusion entre minorité et opposition, la minorité représente ce que numériquement
représente l’opposition dans son rapport avec la majorité.
61
JAN (Pascal), « Les oppositions », in Pouvoirs, N°108, 2004, pp. 23-42.

11
pouvoir s’exprimer légalement62 et la consécration d’un statut participe de cet objectif. Elle
doit être en mesure d’influer sur l’action de la majorité. Sevrée de droits, elle ne sera plus en
mesure de contrôler efficacement le gouvernement et alors le but du système représentatif sera
tout à fait manqué63. Au rang de ces droits, l’on pourrait citer outre les immunités
parlementaires, le droit d’être représentée dans les instances dirigeantes d’une assemblée
(vice-présidence, bureaux, commissions…), le droit de parole, le droit d’enquête, le droit de
questionner les membres de l’exécutif, le droit de censurer le gouvernement pour les régimes
primo-ministériels, le droit de « réplique audiovisuelle » lorsque le gouvernement s’est
exprimé sur un média, la faculté de saisir le juge constitutionnel. Cependant, la solidarité
formée entre la majorité parlementaire et le gouvernement par le fait majoritaire nécessite que
pour y faire face, soit institué une opposition parlementaire avec un statut et des prérogatives
bien définis, ce qui n’est pas encore le cas dans les États de l’Afrique noire francophone. La
RDC fait figure d’exception parce qu’elle est le seul pays à avoir constitutionnalisé le statut
de l’opposition.
La véritable séparation des pouvoirs reposant désormais sur le couple
majorité/opposition-minorité, il devient nécessaire de systématiser et d’aménager les statuts
de l’un et de l’autre afin de concrétiser la nouvelle dynamique démocratique du
constitutionnalisme africain. Au final, « l’équilibre démocratique tient notamment à la
conciliation entre, d’un côté, la domination de la majorité, et, de l’autre, le respect du
pluralisme des opinions, le droit de s’opposer au pouvoir majoritaire et la protection de la
minorité (droit à participer à la compétition électorale, liberté d’exprimer ses propres
opinions…) »64. Même si au demeurant l’on peut constater un possible aménagement de droits
en faveur de l’opposition parlementaire dans certains textes infra constitutionnels, leur non
cristallisation dans le marbre de la constitution enlève beaucoup à leur étendue, leur autorité,
leur opposabilité. Cette corrosion de la fonction de contre-pouvoir du parlement est
symptomatique de la dégénérescence globale des contrepoids à la fonction présidentielle. Le
pouvoir judiciaire n’échappe malheureusement pas à cette réalité.

B- La relativisation de la fonction de contre-pouvoir à la fonction présidentielle du


pouvoir judiciaire

Dans la construction théorique de la séparation des pouvoirs, l’on constate généralement


une certaine emphase sur le rapport pouvoir exécutif-pouvoir législatif. C’est par conséquent
à l’aune de la nature de leur rapport que l’on pourrait avoir une lecture du régime politique.
La justice, voire, le pouvoir judiciaire s’est avéré être un pouvoir sans autorité65, sans
véritable capacité à se hisser à la hauteur des deux autres. Les lois fondamentales des États

62
Ibid.
63
Ibid.
64
NABLI (Béligh), « L’opposition parlementaire : Un contre-pouvoir politique saisi par le droit », op.cit.

65
SAUVE (Jean-Marc), « La séparation des pouvoirs : efficacité, vertus, intérêts », Intervention de Jean-Marc
SAUVE à l’occasion des Deuxièmes entretiens du Jeu de Paume organisés par le Château de Versailles et
l’Université de tous les savoirs,Versailles, le vendredi 17 juin 2011,https://www.conseil-
etat.fr/actualites/discours-et-interventions/la-justice-dans-la-separation-des-pouvoirs, consulté le 26 juillet 2021.

12
d’Afrique noire francophone en consacrant le pouvoir judiciaire aménagent son statut de sorte
à lui donner une dignité constitutionnelle. Cependant, force est de constater que si son impact
sur les autres pouvoirs est relatif (1), c’est aussi en raison de l’autorité que le Président de la
République exerce sur lui (2).

1- La relative incidence du pouvoir judiciaire sur les autres pouvoirs constitués


S’il faut considérer le pouvoir judiciaire comme un contre-pouvoir dans les États
d’Afrique noire francophone, ce devrait être en rapport avec sa capacité à pouvoir exercer une
certaine contrainte sur les autres pouvoirs constitués. Seulement, la lecture des lois
fondamentales de ces États laisse déjà perplexe sur l’appréciation qu’il est convenu d’avoir du
pouvoir judiciaire. En effet, en se référant à l’article 125 de la Constitution béninoise par
exemple, il semblerait qu’il n’y ait pas d’ambiguïté66 quant à l’identification de ce pouvoir.
Suivant les dispositions de cet article, « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir
législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les cours et tribunaux
créés conformément à la présente Constitution »67. De ce point de vue, le pouvoir judiciaire
serait exclusivement incarné par la Cour suprême ou le cas échéant la cour de cassation, le
conseil d’État, la cour des comptes, les cours et tribunaux, ce qui exclurait de fait la Cour
constitutionnelle qui, si elle est une « cour » au sens de l’article précité, fait l’objet d’un
traitement à part dans la constitution68. Au Gabon par contre, « La justice est rendue au nom
du peuple gabonais par la Cour constitutionnelle, la Cour de Cassation, le Conseil d’État, la
Cour des Comptes, les Cours d’Appel, les Tribunaux, la Haute Cour de justice et les autres
juridictions d’exception »69. Cette disposition qui est commune à plusieurs États de l’espace
Afrique noire francophone70, renforce les difficultés d’appréhender de façon uniforme ce qu’il
faudrait entendre par pouvoir judiciaire. La lecture de la fonction de contre-pouvoir du
pouvoir judiciaire variera en fin de compte selon qu’au sens large, l’on inclut ou exclut la
cour constitutionnelle.
Si l’on a une appréciation stricte du pouvoir judiciaire, force serait de constater que
l’aménagement organique et fonctionnel qui en est fait ne le dispose pas véritablement à agir
comme contrepoids aux pouvoirs exécutif et législatif. Si les décisions de la Cour suprême
s’imposent « au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, ainsi qu’à toutes les juridictions »71, il
reste que l’exécution des décisions de justice est de l’apanage du pouvoir exécutif72, ce qui
restreint fortement l’autorité de ces décisions vis-à-vis de ce pouvoir. Le régime des
immunités parlementaires et notamment leur injusticiabilité restreint l’incidence sur le

66
Cette ambiguïté est également perçue dans les Constitutions du Cameroun (art.37 al.2), du Burkina Faso
(art.124), du Congo Brazzaville (art.166), des Comores (art.94), de Madagascar (art.106), de la Guinée (art.108),
de la RCA (art.107).
67
Tous les textes constitutionnels des États étudiés donnent une idée assez différente du pouvoir judiciaire
comme il est aisé de le remarquer dans 102 de la Constitution ivoirienne, Art. 37 al. 2 de la Constitution
camerounaise…
68
En dehors de certains pays qui incluent la cour constitutionnelle dans le pouvoir judiciaire.
69
Art. 67.
70
À côté de la Constitution gabonaise, l’on a les lois fondamentales de la RDC (art.149), du Tchad (art.147), du
Sénégal (art. 88), du Niger (art.116).
71
Art.131 de la Constitution du Bénin.
72
FALL (Alioune Badara), « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : Pour une appréciation concrète de la
place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », in BD jur., 2014, pp.23-63.

13
pouvoir législatif. Dans ce contexte, en quoi serait-il un contre-pouvoir pertinent ? Cette
question qui n’est pas sans intérêt permet d’apprécier l’apport du pouvoir judiciaire dans
l’équilibre des pouvoirs. Si l’action de la cour suprême reste très limitée dans ce sens, le rôle
de la haute cour de justice qui fait partir de ce pouvoir dans plusieurs pays comme au Gabon73
par exemple, permet de se rendre compte de son impact sur le pouvoir exécutif. Elle est
compétente pour juger le président de la République et les membres du gouvernement à raison
de faits qualifiés de haute trahison, d’infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de
l’exercice de leurs fonctions, ainsi que pour juger leurs complices en cas de complot contre la
sûreté de l’État74. Seulement, sa compétence est strictement limitée à des matières bien
déterminées, ceci ne leur permettant pas d’effectuer un contrôle permanent de l’activité des
autorités de l’exécutif75. Au Cameroun et en Côte d’Ivoire, la haute cour de justice fait office
de juridiction spécialisée et bénéficie d’un aménagement distinct de celui qui est réservé au
pouvoir judiciaire76. Il est donc nécessaire d’avoir une appréciation large du pouvoir judiciaire
entendu comme l’ensemble des juridictions dont les décisions sont frappées de l’autorité de
chose jugée dans un État. L’on pourrait donc parler de pouvoir juridictionnel en ce qu’il
mobilise toutes les instances faisant office de juridiction dans un pays.
L’inclusion de la cour constitutionnelle et des autres juridictions spécialisées dans une
appréhension large du pouvoir judiciaire laisse apparaitre les signes d’un contre-pouvoir
juridictionnel. Pourtant, même dans ce cas, son rôle en tant que tel reste controversé. Pour
Jean-Marc SAUVE, « La mission première de la justice est de trancher des litiges en droit en
rendant, au nom du peuple souverain, des jugements sur les cas qui lui sont soumis. C’est
cette mission qui distingue fondamentalement la justice des autres pouvoirs, qui sont des
pouvoirs d’initiative. La justice remplit en effet son office par suite de sollicitations
extérieures qu’elle ne suscite, ni n’inspire. Elle ne se prononce que sur des cas particuliers.
Et elle rend ses décisions sur la base, d’un côté, de la règle de droit qu’elle ne crée pas, mais
interprète et, de l’autre côté, des litiges portés devant elle dont elle ne peut se saisir de sa
propre initiative : le juge est en effet en principe tenu par les conclusions et les moyens des
parties, sans pouvoir statuer ultra petita »77. Cependant, la particularité de la cour
constitutionnelle qui permet de l’appréhender comme un contre-pouvoir, pourrait être au-delà
de sa qualité de garant juridictionnel de la constitution et de régulateur du jeu institutionnel, la
capacité d’initiative qui lui est reconnue dans certains États comme au Bénin. En effet, elle se
prononce d’office sur la constitutionnalité des lois et de tout texte réglementaire censés porter
atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques78. Ses
attributions telles que déterminées par la constitution l’érige en véritable garant de l’ordre
constitutionnel contre les atteintes des autres pouvoirs constitués79. S’il est vrai que le cas
béninois fait figure d’exception en Afrique noire francophone, il reste que comme l’affirmait

73
Art. 67 de la Constitution du Gabon.
74
Art.136 de la Constitution du Bénin.
75
AKEREKORO (Hilaire), « La Cour constitutionnelle et le pouvoir judiciaire au Bénin : une approche
fonctionnelle », in Afrilex, 2019, 22p.
76
Art. 53 de la Constitution du Cameroun, Art. 108 à 112 de la Constitution ivoirienne.
77
SAUVE (Jean-Marc), « La séparation des pouvoirs : efficacité, vertus, intérêts », op.cit.
78
Art.121.
79
AKEREKORO (Hilaire), « La Cour constitutionnelle et le pouvoir judiciaire au Bénin : une approche
fonctionnelle », op.cit.

14
Élisabeth ZOLLER, « Le contrôle judiciaire de la loi est toujours l’instrument décisif de
l’acquisition par les juges du statut de contre-pouvoir »80. C’est par conséquent sa capacité à
connaitre de la constitutionnalité des lois qui en fait un contrepoids aux autres pouvoirs
constitués. Bien plus, comme l’affirmait le Professeur Hilaire AKEREKORO, « la Cour
Constitutionnelle remplit les conditions pour être élevée au rang de contre-pouvoir pour au
moins deux raisons. La première raison tient aux fonctions de contrôle et de régulation
qu’exerce la Cour Constitutionnelle… La seconde raison se retrouve dans l’efficacité de la
Cour à répondre favorablement aux missions qui lui sont constitutionnellement assignées et à
s’imposer de par ses décisions « aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles,
militaires et juridictionnelles » »81. Dès lors, le pouvoir judiciaire ou mieux, le pouvoir
juridictionnel82 doit rester un contre-pouvoir afin de préserver l’État de droit et notamment de
garantir aux individus l’effectivité des droits fondamentaux83. Toutefois, sans trop s’avancer
sur le rapport pouvoir judiciaire-cour constitutionnelle, il reste que cette fonction de contre-
pouvoir est généralement édulcorée par la tendance à la politisation de ce pouvoir d’une part
et par l’assujettissement des autorités judiciaires à l’institution présidentielle d’autre part.

2- L’assujettissement du pouvoir judiciaire à l’autorité présidentielle


L’indépendance organique et fonctionnelle des différents pouvoirs est le gage de son
existence comme contre-pouvoir. Pourtant, suivant des dispositions des lois fondamentales
des États d’Afrique noire francophone, « Le président de la République est garant de
l'indépendance de la justice. Il est assisté par le Conseil supérieur de la Magistrature »84.
Cette présidentialisation de la garanti de l’indépendance de la justice et par voie de
conséquence du pouvoir judiciaire consacré par les constituants des États d’Afrique
francophone au sud du Sahara n’est pas sans remettre en cause l’autonomie de cette institution
autant qu’elle interroge sur la capacité de ce pouvoir dans ces conditions de se constituer en
réel contre-pouvoir à la fonction présidentielle.
La notion d’indépendance elle-même, en l’absence de précisions préalables, ne renvoie
pas à une réalité univoque. En effet, par indépendance, on peut entendre « la situation d’une
collectivité, d’une institution ou d’une personne qui n’est pas soumise à une autre collectivité,
institution ou personne. Il faut que son titulaire n’ait rien à attendre ou à redouter de
personne. [Appliquée à la justice], l’indépendance se manifeste par la liberté du juge de
rendre une décision non liée par une hiérarchie ou des normes préexistantes »85. Peut-on
envisager l’indépendance du pouvoir judiciaire dans un contexte où sa garantie est tributaire

80
ZOLLER (Élisabeth), « La justice comme contre-pouvoir : regards croisés sur les pratiques américaine et
française », In : Revue internationale de droit comparé, Vol. 53 N° 3, Juillet-septembre 2001, pp. 559-574.
81
AKEREKORO (Hilaire), « La Cour constitutionnelle et le pouvoir judiciaire au Bénin : une approche
fonctionnelle », op.cit.
82
ZOLLER (Élisabeth), « La justice comme contre-pouvoir : regards croisés sur les pratiques américaine et
française », op.cit.
83
BOUHON (Frédéric), PIRONNET (Quentin), « Le pouvoir judiciaire et l’équilibre des pouvoirs : réflexions à
propos des récentes réformes », Pyramides, 29 | 2017, pp. 93-118.
84
Art.127 de la Constitution du Bénin, Art.69 de la Constitution du Gabon, Art.37 al.3 de la Constitution du
Cameroun, Art.104 de la Constitution de la Côte d’Ivoire entre autres.
85
VARAUT (Jean-Marc), « Indépendance », in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, PUF, 2004,
pp. 622-623.

15
de l’action du Président de la République ? Tel est le paradoxe qui nait de la lecture des
constitutions des États d’Afrique noire francophone. Tantôt le constituant consacre
l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif86, tantôt il
la bride en la mettant sous la tutelle du chef de l’État. Ceci porte à croire que
« l’indépendance du pouvoir judiciaire […] n’est possible que si le Président de la
République le veut. Le pouvoir judiciaire serait alors appréhendé comme une « autorité
judiciaire », c’est-à-dire une autorité qui ne fait qu’appliquer la loi »87. Or, il devrait
s’exercer sans pression, injonction, immixtion de qui que ce soit88. Si le Professeur Joël
Arsène ADELOUÏ ne voit pas dans les dispositions de l’article 127 de la constitution
béninoise89 que l’on retrouve également dans le texte fondamental du Burundi par exemple90,
une modalité d’inféodation du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif, mais plutôt une manière
d’œuvrer à l’effectivité de celui-ci en lui donnant tous les moyens appropriés à une bonne
administration de la justice91, il reste que cela le rend fortement tributaire de la volonté
présidentielle qui est en amont, le garant de l’indépendance statutaire des magistrats, et en
aval le bras séculier du pouvoir judiciaire en ce qui concerne l’exécution des décisions de
justice92. De forts risques planent donc sur l’indépendance du pouvoir judiciaire.
Bien plus, en vertu du dispositif de l’article 220 de la Constitution burundaise et repris
par la Constitution béninoise, les magistrats sont nommés par le Président de la République
sur proposition du Garde des Sceaux et du ministre de la justice, qui est lui aussi nommé par
le chef de l’État dans le cadre de la formation de son gouvernement93. Et après avis du conseil
supérieur de la magistrature qui est présidé par lui94. Quant aux membres de la cour suprême,
il convient d’observer qu’il ressort en général que c’est le Président qui nomme sinon la
totalité des membres, du moins la majorité. Une telle configuration fait des autorités
juridictionnelles des vassaux du président de la République qui, dans la perspective du
renouvellement de leurs mandats, peuvent se plier aux volontés de ce dernier. Au Cameroun,
outre le fait qu’il nomme les membres de la cour suprême, il nomme également par un
procédé factuel lié au phénomène partisan95, l’ensemble des membres du conseil
constitutionnel.

86
Art. 125 de la Constitution béninoise : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du
pouvoir exécutif… ». Ces dispositions sont reprises mutatis mutandi par l’ensemble des lois fondamentales de
l’espace Afrique noire francophone.
87
ADELOUÏ (Joël Arsène), « L’indépendance des juges suprêmes au Bénin », in KAS African Law Study
Library – Librairie Africaine d’Études Juridiques 5 (2018), pp.15-31
88
Ibid.
89
Cet article dispose que « Le Président de la République est garant de l'indépendance de la justice. Il est assisté
par le Conseil Supérieur de la Magistrature ».
90
Art.214
91
ADELOUÏ (Joël Arsène), « L’indépendance des juges suprêmes au Bénin », Op.cit.
92
Art.59 de la loi fondamentale béninoise : « Le président de la République assure l'exécution des lois et garantit
celle des décisions de justice ». Cette disposition est reprise par plusieurs autres constitutions de l’espace Afrique
noire francophone
93
L’art. 37 al.3 de la Constitution du Cameroun reprend cette exigence.
94
Art. 1 de la LOI ORGANIQUE N° 94-027 DU 18 MARS 1999 relative au conseil supérieur de la Magistrature
du Bénin.
95
Selon l’art.51 al.2 de la Constitution camerounaise, le Président de la République désigne 3 membres dont le
Président du conseil, le président de l’Assemblée Nationale désigne 3 membres, le président du Sénat 3, et le
conseil supérieur de la magistrature 2. Or, dans un contexte de fait majoritaire favorable au Président de la
République qui est par ailleurs le chef de la formation politique majoritaire au parlement. Ce dernier par

16
Dans ce contexte, peut-on toujours envisager le pouvoir judiciaire comme un contre-
pouvoir au pouvoir exécutif ?
Sur la question, le doute est permis. Comment espérer que des autorités dont l’évolution
de carrière est fortement dépendante du Président de la République peuvent s’ériger en contre-
pouvoir à lui ? On comprend aisément pourquoi les dispositions liées à la nomination des
magistrats par le chef de l’État ont été décriées pour la simple raison que l’implication de
l’exécutif est très forte dans la nomination des magistrats et l’on ne pourra pas, avec
assurance, contrôler la mainmise de l’exécutif sur les personnes nommées96. Ce constat est
autant valable pour la cour constitutionnelle qui, au regard de sa composition, se trouve d’une
certaine façon tenue en laisse par l’institution présidentielle pourtant garante de son
indépendance. Il n’est dès lors plus surprenant que « selon les indiscrétions obtenues à la
Cour constitutionnelle, les décisions de non-conformité rendues successivement par la Cour
constitutionnelle depuis l’arrivée du Président Talon auraient valu à cette institution un arrêt
de dotations qui lui sont pourtant nécessaires pour le bon fonctionnement de ses activités.
Cette situation aurait conduit au soulèvement des agents de l’institution et au report d’une
activité scientifique devant commémorer les vingt années d’activité de la Haute
juridiction »97. Au-delà de repenser le statut des autorités du pouvoir judiciaire, il serait
intéressant de redéfinir ou de redécouvrir la fonction de contre-pouvoir du pouvoir judiciaire
afin de la mettre en adéquation avec l’esprit de la séparation des pouvoirs.
La connivence actuelle suspectée entre les conseils supérieurs de la magistrature et les
pouvoirs en place n’est pas sans impact sur la crédibilité de l’indépendance du pouvoir
judiciaire98.
Au final, l’incapacité des contre-pouvoirs constitutionnellement institutionnalisés à
limiter l’essor de l’autorité du président de la République, conforte à bien des égards sa
posture d’olympien constitutionnel. Toutefois, les failles des pouvoirs législatif et judiciaire
dans leur rôle de contre-pouvoir dans les États d’Afrique noire francophone n’ont pas sonné le
glas de cette exigence fondamentale du constitutionnalisme contemporain. Aussi, l’érosion
des contre-pouvoirs institutionnalisés contraste avec l’éclosion de contre-pouvoirs non
constitutionnellement institutionnalisés, mais suffisamment présent et pertinent pour recadrer
l’excroissance de l’autorité de la fonction présidentielle.

application de l’idée de discipline du parti désigne les présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat que les
représentants de chaque chambre ne font qu’entériner par le vote. Il préside le conseil supérieur de la
magistrature. Dans ces circonstances il a une forte incidence sur toute la chaine des institutions participant à la
désignation des membres du conseil constitutionnel.
96
ADELOUÏ (Joël Arsène), « L’indépendance des juges suprêmes au Bénin », op.cit.
97
Ibid.
98
KOOVI (Baï Irène Aimée), « Les mécanismes de garantie de l’indépendance judiciaire au Bénin et les enjeux
de réformes »,https://www.hamann-legal.de › upload › 10Koovi, consulté le 23 juillet 2021.

17
II- L’ECLOSION DE CONTRE-POUVOIRS NON INSTITUTIONNALISES A
LA FONCTION PRESIDENTIELLE

Il ne peut y avoir de démocratie sans contre-pouvoirs. À la vérité, c’est l’existence de


contre-pouvoirs qui garantit l’équilibre de la puissance politique et par conséquent la stabilité
de la dynamique institutionnelle dans un État de droit. Il n’est pas superflu de relever que la
santé démocratique d’un pays se mesure aussi par la présence de contre-pouvoirs, c’est-à-dire
de pouvoirs connexes qui s’organisent face à une autorité établie. Il peut s’agir d’une force
politique, économique ou sociale dont le rôle a pour effet de restreindre l’exercice du pouvoir
en place et de proposer une alternative aux décisions d’une autorité. C’est dire qu’ils peuvent
être institutionnalisés ou non, mais avec le même objectif, celui de limiter les dérives
absolutistes d’un pouvoir et le cas échéant, le pouvoir présidentiel. La fragilisation des
contrepoids classiques à la fonction présidentielle n’autorise donc pas dans l’absolue à
conclure en la déchéance de l’État de droit dans les États d’Afrique noire d’expression
française, tant il est vrai que cette déchéance supposée varie suivant le prisme d’observation
du phénomène. Par ailleurs, les limites présentées par les contre-pouvoirs classiques n’ont pas
manqué de susciter des velléités non institutionnelles en vue de pallier aux faiblesses des
précédentes. C’est ce qui permet de situer aujourd’hui le peuple et la société civile (A), les
médias et l’armée (B), comme contre-pouvoirs palliatifs.

A- Le peuple et la société civile, des contre-pouvoirs pertinents à la fonction


présidentielle ?

Suivant les dispositions des lois fondamentales des États d’Afrique noire francophone,
« la souveraineté nationale appartient au Peuple. Aucune fraction du Peuple, aucune
communauté, aucune corporation, aucun parti ou association politique, aucune organisation
syndicale ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice… ». Elles précisent que « le
Peuple exerce sa souveraineté par ses représentants élus et par voie de référendum… ». C’est
dire que le peuple dans un régime démocratique tel que proclamé par les différents
constituants, est à la base de la dévolution du pouvoir politique. À ce titre, lorsque les
institutions auxquelles il a confié sa destinée sont chancelantes, le détenteur originaire de la
souveraineté peut intervenir soit pour garantir la stabilité de la fonction présidentielle (1), soit
pour réguler les équilibres institutionnels (2).

1- Les garants ultimes de la stabilité de la fonction présidentielle


L’on se souvient qu’à l’aube de la Vème République française, le général Charles DE
GAULLE a opté, pour une rationalisation du régime parlementaire alors en vigueur jusque-là.
Il a procédé au renforcement de la légitimité du chef de l’État à travers sa soumission à
l’assentiment du peuple dans le cadre du suffrage universel direct. Les régimes qui découlent
de l’articulation institutionnelle des États d’Afrique noire francophone placent le peuple au
cœur du processus de légitimation du jeu politique, le positionnant comme le contre-pouvoir
ultime aux différents pouvoirs constitués. Cependant, il n’existe pas de consensus absolu sur
ce qu’il faudrait entendre par peuple surtout en Afrique ou l’hétérogénéité démotique est une

18
constante99. Il faudrait l’apprécier tant dans sa dimension holiste que dans sa dimension
individualiste. Dans la première, il s’agira d’appréhender le peuple au sens d’un corps social
homogène, une nation. Dans la deuxième, c’est davantage la figure de la population qui sera
mise en exergue pour représenter cette force de légitimation politique. Si le peuple de façon
holiste suppose un certain degré d’histoire et d’identité commune, dans sa traduction
individualiste, il prend la figure de la population et traduit davantage une réalité
démographique, géographique et quantitative100. Pouvant être appréhendé à certains égards
sous le prisme de la citoyenneté, il renvoie à une puissance capable d’influencer les
orientations politiques et institutionnelles des États. C’est à ce titre qu’il devient un garant de
la stabilité des pouvoirs constitués en général et de la fonction présidentielle en particulier. Le
terme « citoyen » ne peut être détaché de la Cité. En effet, plus encore qu'une origine
étymologique, la Cité est une allégorie de l'entité publique dans laquelle évolue l'individu101.
C’est dire que par peuple, l’on entend une réalité plurielle difficilement appréhendée par le
droit constitutionnel, mais vectrice de légitimité dans l’État et pouvant prendre la figure de la
population, du citoyen, ou même de la rue. Par ailleurs, si le suffrage est le mécanisme
privilégié de dévolution de la souveraineté, c’est bien le peuple en sa qualité de citoyen qui
s’exprime.
La défiance croissante des citoyens vis-à-vis de leurs représentants liée à la crise de la
représentativité entraine une démobilisation de ce dernier notamment à l’occasion des
échéances électorales. Ceci n’est pas sans impact sur la légitimité des représentants. À ce titre,
il se transforme en contre-pouvoir susceptible de mettre à mal la stabilité de certaines
institutions notamment celles du Président de la République ou bien du parlement. Les
modalités de remise en cause de la stabilité de la fonction présidentielle par le peuple (contre-
pouvoir) en l’absence d’un contrepoids législatif sont nombreuses et variées. Elles vont du
désaveu politique à travers le boycott des initiatives gouvernementales à l’insurrection qui est
une modalité de plus en plus usitée pour la déstabilisation de l’institution présidentielle.
L’on se souvient encore du désaveu populaire du président Mathieu KEREKOU lors
des élections du 24 mars 1991. Même s’il revient sur le fauteuil présidentiel à la faveur des
élections des 3 et 18 mars 1996, l’on assiste néanmoins à une démonstration de la capacité du
peuple à pouvoir influer de façon conséquente sur la stabilité de l’institution présidentielle. La
place du peuple comme contre-pouvoir à la fonction présidentielle est davantage perceptible
au Niger où Mamadou TANDJA est renversé le 18 février 2010 par un putsch militaire pour
avoir modifié la Constitution afin de se maintenir à l'issue de ses deux quinquennats légaux et
ceci sur la pression de la Rue. En 2011 en Tunisie, après 23 ans de règne sans partage, ZINE
EL-ABIDINE Ben Ali s'enfuit en Arabie Saoudite le 14 janvier, chassé par une révolte
populaire. La même année en Égypte, Hosni MOUBARAK, au pouvoir depuis 1981, est forcé
de remettre ses pouvoirs à l'armée le 11 février, au 18e jour d'une révolte qui a mobilisé des

99
ONDOUA (Alain), « La population en droit constitutionnel : Le cas des pays d’Afrique francophone », in
Afrique contemporaine, 2012/2 n° 242, pp. 87-97.
100
KRULIC (Joseph), « L'idée de peuple dans la tradition constitutionnelle française », Sens public, 2007,
http://sens-public.org/articles/385/, consulté le 27 juillet 2021.
101
BARTHELEMY (Jules), « Le citoyen, contre-pouvoir ou contre-régime ? », 10ème Congrès de l’Association
française de droit constitutionnel des 22, 23 et 24 juin 2017 – Lille, Atelier C – Constitutions, pouvoirs et
contre-pouvoirs, 19 p.

19
centaines de milliers de manifestants. Au Mali, suite à sa volonté de rester au pouvoir au
mépris des dispositions constitutionnelles en 2020, le président Ibrahim BOUBACAR
KEITA, après d’importantes manifestations populaires, sera victime d’un putsch militaire
mettant fin à son mandat. Que ce soit en Lybie, en Guinée-Bissau, en Centrafrique, au
Burkina, en Afrique de sud… Le peuple a démontré que bien que n’étant pas un acteur
institutionnalisé, il a un impact fort sur la stabilité de la fonction présidentielle chaque fois
que le parlement a failli à sa mission de contre-pouvoir institutionnel. L’on assiste donc à ce
que la doctrine a appelé « la citoyenneté critique »102. En fin de compte, les usages d’une
citoyenneté relevant de la participation politique conventionnelle s’essoufflent alors que les
formes expressives et plus critiques de celle-ci, notamment au travers de la protestation et de
la participation politique non conventionnelle, se développent103. La démocratie
représentative est ainsi entrée en concurrence avec la démocratie participative ou directe, où
l’expression spontanée et individualisée des citoyens prime sur leurs devoirs de coopération et
de participation à l’intérêt général. Dans cette nouvelle conception, la citoyenneté est devenue
de fait plus critique. C’est de plus en plus à partir d’un usage combiné de la démocratie
représentative et de la démocratie participative que les citoyens se font entendre104. Le peuple
devient donc en dernier ressort le nouveau régulateur de l’équilibre institutionnel au sein de
l’État.
Le concept de société civile quant à lui brille par sa volatilité rhétorique et sémantique.
En général, la philosophie politique la définit comme tout ce qui n’est pas la société politique
formelle105. Dans la difficulté de définir plus précisément ce à quoi le concept renverrait, l’on
peut se demander qui compose la société civile. Les candidats au titre de représentants de la
société civile sont nombreux, puisqu'elle pourrait englober tout ce qui n'est pas pouvoirs
publics ou militaires, ou partis politiques. En se fiant au travail d’identification du Professeur
LÖWENTHAL, la société civile serait constituée des organisations vouées aux droits
humains, aux aides humanitaires, à la coopération au développement, à l'aide sociale, à la
protection de l’environnement, de toute association visant des objectifs d’intérêt général, des
syndicats professionnels voués à la défense des droits des travailleurs (en général, pas
seulement leurs membres), des associations de consommateurs ou autres groupements de
défense de larges catégories de citoyens (consommateurs endettés,…), des fédérations
patronales homologues, si elles ne défendent pas seulement les intérêts de leurs membres, des
institutions caritatives ou hospitalières privées, des mouvements de spiritualité…106. Même si
cette identification n’épuise pas la complexité de ce que traduit l’idée de société civile, elle
donne au moins une échelle de lecture de ce qu’il faudrait entendre par là. Dans son rapport
avec le pouvoir d’État, elle se présente comme une force sociale capable de contrebalancer,
c'est-à-dire, en se constituant en contre-pouvoirs, de le limiter et de l'orienter en fonction de

102
Rapport sur La démocratie avec ou sans le peuple ? Crises et mutations contemporaines de l’expérience
démocratique, par le Centre de recherches politique de sciences po, janvier 2014, p.16.
103
Ibid., p.17
104
Idem.
105
LÖWENTHAL (Paul), « Société civile et participation politique. Le cas de la coopération au
développement », Mondes en développement, 2005/1 no 129, pp. 59-73.
106
Ibid.

20
ses intérêts ou de ses valeurs107. En réalité, par société civile, il faut entendre par là un cadre
sociétal dans lequel les êtres humains vivent ensemble en communauté de citoyens qui ont
droit à la parole. Ces derniers doivent ainsi être libres et autonomes, jouir du droit
d’association, de coopération et de décider des questions les plus importantes dans le débat
public. Ils doivent, par ailleurs, être capables de réaliser une cohabitation caractérisée par la
tolérance et l’égalité sociale, dans le respect total du droit, mais sans une trop grande pression
exercée par l’État. Espace d’apprentissage, de sensibilisation et de familiarisation à la
participation, la société civile participe à l’éveil civique et politique des citoyens, les rendant
capable de prendre conscience des enjeux politiques de gestion du pouvoir dans l’État. La
démocratie qui était représentative, par la rupture du lien de confiance entre représentant et
représenté, tend à devenir une démocratie participative où les organisations de la société civile
jouent un rôle important dans la mobilisation des énergies nationales ou locales en vue de
contrer l’exorbitance de la fonction présidentielle. Dans une société de plus en plus
globalisée, les organisations de la société civile sont désormais écoutées par la communauté
internationale et sont quelques fois même les garants de la pérennité de la coopération entre
l’État et certaines institutions financières internationales108. Dans l’espace Afrique noire
francophone, la société civile tend aujourd’hui à travers ses différentes manifestations, à
occuper la place de contre-pouvoir laissée vacante par les pouvoirs constitués. On n’oublie
pas que c’est sous l’action de la société civile principalement que certains hauts responsables
de l’État ont vu leur responsabilité engagée pour leur action dans l’exercice de leurs fonctions.
C’est par exemple le cas du Tchad avec le président Hissène HABRE qui a été poursuivi sous
l’impulsion des acteurs de la société civile pour des crimes de guerre, crimes contre
l’humanité et actes de torture. Au Rwanda, après le génocide de 1994 plusieurs autorités ont
été appelées à répondre de leurs actes sous l’action des organisations de la société civile. En
RDC, elle a joué un rôle important dans la transition pacifique entre Joseph KABILA et Félix
TSHISEKEDI. Dans l’espace des États d’Afrique noire francophone, la société civile
contribue avec plus ou moins de réussite à infléchir ou à réorienter les politiques
gouvernementales dans certains domaines.
Elle révèle dans ce contexte l’affirmation de nouvelles formes d’action citoyenne, dans
un environnement où la démocratie représentative tend à devenir une coquille vide tant les
politiciens s’éloignent des citoyens, et ne savent plus traduire leurs aspirations109. Il n’est
donc pas superflu de penser que certaines manifestations populaires ayant conduit à la
déchéance de l’autorité incarnant la fonction présidentielle dans certains pays d’Afrique noire
francophone n’aient été préalablement initiées par la société civile. S’il est vrai
qu’aujourd’hui encore le terme reste polysémique, il reste que plus globalement, il traduit une
réalité plus ou moins identique qui permet de le différencier du peuple comme agrégat
d’individus, et de l’État comme cadre institutionnel d’expression du pouvoir. C’est cette
posture spécifique et le rôle grandissant qu’elle est appelée à jouer dans l’affermissement des

107
IEDES, « « Société civile » et démocratisation : une étude comparative au Nord et au Sud », in : Tiers-Monde,
tome 45, n° 178, 2004, Les masques du tourisme. pp. 443-464.
108
ROUILLÉ D’ORFEUIL (Henri), « Un nouveau contre-pouvoir ? », Humanitaire [Online], 18 | Printemps
2008, en ligne depuis le 06 October 2009, consulté le 07 Juin 2022.
109
LECLERC (Karine), BEAUCHEMIN (Jacques), « La société civile comme sujet politique : une nouvelle
représentation de l’intérêt général », in Lien social et Politiques, N°48, 2002, pp.35–52.

21
démocraties contemporaines que la société civile, à côté du peuple, joue un rôle important
dans l’encadrement des pouvoirs constitués en général, et de la fonction présidentielle en
particulier. C’est à ce titre que l’on pourrait les considérer comme les nouveaux régulateurs de
l’équilibre institutionnel dans l’État.

2- Les nouveaux régulateurs de l’équilibre institutionnel


Le peuple à travers la figure du citoyen est devenu le nouveau régulateur de l’équilibre
institutionnel au sein des États contemporains. En effet, comme l’affirme Thomas HOBBES,
« Si nombreuse que soit une multitude d'individus, si cependant leurs actions sont dirigées
par leurs jugements et leurs instincts particuliers, ils ne peuvent, par leur nombre, espérer ni
défense ni protection, que ce soit contre un ennemi commun ou contre les torts qu'ils se font
les uns aux autres »110. Ce sont ces raisons qui dans un premier temps ont justifié
l’organisation de la société en un corps social structuré autour de pouvoirs organiquement et
fonctionnellement distincts. L’équilibre recherché dans le cadre de la séparation des pouvoirs
avait donc pour objectif de consolider le système représentatif promu par le cadre
constitutionnel des États. Cependant, l’équilibre des pouvoirs étant désormais rompu du fait
du phénomène partisan et la crise de la représentativité connaissant un essor inquiétant, il
appartient au détenteur originaire de la souveraineté de se réapproprier les leviers
d’encadrement du pouvoir.
L’une des principales modalités à travers laquelle le peuple participe à la rationalisation
de la fonction présidentielle est sans doute le suffrage. En effet, c’est la modalité à travers
laquelle le citoyen exerce son droit de confier à un individu la capacité d’exercer sa portion de
souveraineté à travers l’élection. De ce fait, cette capacité est mise en œuvre tantôt au niveau
national, tantôt au niveau local. Le jeu de régulation institutionnelle par l’action du peuple et
de rationalisation de la fonction exécutive peut par conséquent résulter de ce mécanisme. Le
premier consisterait en un vote sanction contre une autorité présidentielle qui, du fait d’avoir
outrepassé ses attributions, a porté préjudice au fonctionnement fluide des institutions
étatiques. C’est également le cas où le peuple se désolidarise de la dynamique politique
impulsée par le chef de l’État.
Une autre modalité de rééquilibrage des pouvoirs par le peuple pourrait résulter de la
perte du fait majoritaire en faveur de l’exécutif, créant ainsi une situation de cohabitation
entre ce dernier et le pouvoir législatif. Dans ce contexte, l’absence de concordance entre la
majorité présidentielle et la majorité parlementaire est de nature à rétablir le rapport de force
entre ces deux pouvoirs constitués surtout dans la mesure où il n’existe pas des moyens
d’action réciproque, c'est-à-dire l’impossibilité pour l’exécutif de dissoudre l’Assemblée
nationale d’une part, et l’incapacité de cette dernière à démettre le gouvernement.
Enfin, les dispositions des lois fondamentales de ces pays sont assez expressives pour
comprendre l’importance du peuple dans la rationalisation de la fonction présidentielle. En
effet, si l’on s’en tient au cas du Bénin, « … Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte
administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout
citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et

110
HOBBES (Thomas), Léviathan (1651), Paris, Gallimard, 2000, II, 17, p. 284.

22
actes présumés inconstitutionnels »111. La loi étant l’expression de l’activité parlementaire et
les textes et actes présumés inconstitutionnels pouvant émaner de l’activité de
l’administration, la capacité de saisine directe du juge constitutionnel reconnue au citoyen et
par voie de conséquence au peuple est un autre moyen à sa disposition afin de limiter
l’arbitraire des pouvoirs constitués et inciter au respect de la norme constitutionnelle.
Par ailleurs, l’histoire regorge d’exemple où le peuple à travers la rue a participé à la
régulation des institutions politiques. Ainsi, comme le précisait Samuel HAYAT, « On peut
voir des traces de cette perception de la rue révolutionnaire comme contestation légitime
d’un pouvoir oppresseur tant dans les multiples remémorations de la Grande Révolution de
1789 – le pouvoir républicain adopte en 1879 La Marseillaise comme hymne, et l’année
suivante le 14 juillet comme fête nationale – que dans les discours officiels d’instauration de
la République : ainsi, le 5 septembre 1870, les nouveaux détenteurs du pouvoir déclarent
dans Le Journal officiel : « Français ! Le Peuple a devancé la Chambre [...] ; la République
est proclamée. La Révolution est faite au nom du droit, du salut public. » On trouve ici les
thèmes précités : la rue incarnant le Peuple tout entier, demandant la République, et se
débarrassant du pouvoir légal au nom du droit »112. Bien que l’interprétation du mouvement
de la rue varie en fonction de l’interprétation faite par les pouvoirs publics et la portée des
revendications, il reste que c’est aussi un moyen de restauration de l’ordre constitutionnel.
C’est ainsi que pour prendre le cas du Sénégal, alors que les pouvoirs constitués avaient déjà
acté du moins implicitement un troisième mandat pour le Président sortant Abdoulaye
WADE, au détriment des exigences constitutionnelles, il a fallu que le peuple à travers la rue
intervienne à l’effet de restaurer l’ordre constitutionnel. Dès fois, la délégitimation de la rue
vient de ce que le suffrage universel ritualisé permet aux gouvernants de se dire représentatifs
de la volonté nationale, renvoyant par là les protestations hors du champ politique légitime.
La logique du gouvernement représentatif rend donc l’utilisation de la rue irrationnelle et
incompréhensible113.
La société civile quant à elle étant un cadre de coordination sociale, elle est constituée
de citoyens dont elle porte ou le cas échéant représente les intérêts114. Plus elle est organisée,
mieux elle atteint ses objectifs parce que disposant d’une certaine capacité de mobilisation du
peuple115. Il devient par conséquent difficile de différencier les mouvements populaires en
fonction uniquement des acteurs en ce que très souvent, ils sont tous mis à contribution à
l’occasion des différentes manifestations. C’est pourquoi en France par exemple, il serait
difficile de ne pas voir dans le mouvement des gilets jaunes, une manifestation concomitante
de la société civile et du peuple. Comme pour dire qu’à chaque fois qu’en Afrique
subsaharienne il y a eu des soulèvements populaires conduisant à la remise en cause des
institutions politiques, ils ont toujours été portés par des leaders d’opinion représentant la
société civile et le peuple, solidaire de ces revendications, ne manque pas d’y participer. C’est

111
Art. 3 de la Constitution.
112
HAYAT (Samuel), « La République, la rue et l’urne », in Pouvoirs, N°116, 2006, pp. 31-44.
113
Ibid.
114
PIROTTE (Gautier), « La notion de société civile dans les politiques et pratiques du développement », Revue
de la régulation [En ligne], 7 | 1er semestre / Spring 2010, mis en ligne le 03 juin 2010, consulté le 13 juin 2022.
115
ROUILLÉ D’ORFEUIL (Henri), « Un nouveau contre-pouvoir ? », Humanitaire [En ligne], 18 | Printemps
2008, mis en ligne le 06 octobre 2009, consulté le 13 juin 2022.

23
donc sous le prisme de la sauvegarde de l’intérêt général116 qu’elle participe à la régulation de
l’équilibre institutionnel au sein de l’État. La population semble lui faire confiance en tant
qu’une nouvelle force de contestation de l’autorité de l’État.
À côté du peuple et de la société civile, contre-pouvoir émergent, le cadre d’étude laisse
entrevoir d’autres acteurs non-institutionnels qui tendent à agir comme de véritables contre-
pouvoirs à la fonction présidentielle dans la pratique institutionnelle des États d’Afrique noire
francophone.

B- L’émergence de contre-pouvoirs non-institutionnalisés connexes à la fonction


présidentielle

Les théoriciens de la séparation des pouvoirs ont fait des contre-pouvoirs le gage de la
stabilité de tout régime dit démocratique. L’inquiétude sur l’abus de pouvoir ne peut être
apaisée que par l’institution de contrepoids. Dès lors, lorsque ceux qui sont institutionnalisés
sont neutralisés, il nait presqu’automatiquement d’autres non institutionnalisés pour pallier les
limites des premiers. Et quand ce n’est pas le peuple ou la société civile qui s’octroient cette
qualité, c’est soit les médias (1), soit le pouvoir militaire (2) qui s’érigent en barrière contre
les débordements liés à l’exercice de la fonction présidentielle.

1- Le rôle des médias comme contre-pouvoir non institutionnel


Généralement appelés quatrième pouvoir, ils mettent en scène la réalité, ils en tracent
les contours, ils distribuent les étiquettes, ils fixent les codes de la respectabilité, ils décident
qui sont les amis de la démocratie, et qui sont ses ennemis. En gros, ils sont les gardiens
officiels de la réalité. Oriente l’opinion publique dans un sens ou dans un autre. On a encore
souvenir du rôle qu’avait joué la radio Milles collines dans la recrudescence du conflit
rwandais. L’avènement de la démocratie pluraliste a rimé avec l’essor de la liberté
d’expression, de communication et de presse. À cet effet, le constituant béninois pose par
exemple que « La liberté de la presse est reconnue et garantie par l'État. Elle est protégée
par la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication dans les conditions fixées par
une loi organique »117. Au Cameroun, l’on peut lire dans le préambule de la Constitution que
« La liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté de
réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale et le droit de grève sont garantis dans
les conditions fixées par la loi »118. Les Constitutions de la RCA119, du Togo120, de la RDC121,
du Sénégal122 ou du Gabon123 pour ne citer que celles-là reconnaissent le caractère
fondamental de la liberté d’expression et de presse qui constitue aujourd’hui encore le
fondement juridique des médias. Ce quitus donné par les constituants a fait émerger ce qu’il
116
LECLERC (Karine), BEAUCHEMIN (Jacques), « La société civile comme sujet politique : une nouvelle
représentation de l’intérêt général », op.cit.
117
Art.24 Constitution du Bénin.
118
Préambule de la Constitution du Cameroun.
119
Art. 15
120
Art. 25
121
Art. 24
122
Art. 8
123
Art. 1

24
est convenu d’appeler aujourd’hui un véritable contre-pouvoir. Il est nécessaire de rappeler
que les médias ont toujours joué un rôle important dans l’évolution de la dynamique politique
et institutionnelle de ces États, en tant que détonateur d’une prise de conscience du peuple en
vue du combat pour l’instauration d’une société démocratique. Ils sont même devenus à bien
des égards des veilleurs à la préservation des acquis démocratiques. Ainsi, l’État qui reconnaît
et garantit les libertés est et demeure une des principales cibles des médias à travers ses
parutions quotidiennes. Toutes choses qui font que les rapports entre la presse et l’État sont
souvent difficiles. La première à travers sa mission de sentinelle des droits et libertés du
citoyen, reste engagée à veiller sur les acquis démocratiques alors que le second dans son
fonctionnement est souvent amené à fouler au pied certaines libertés en violation des lois et
règlement en la matière. Alexis DE TOCQUEVILLE relevait déjà en son temps cette subtilité
lorsqu’il affirmait que : « La souveraineté́ du peuple et la liberté́ de la presse sont donc deux
choses entièrement corrélatives : la censure et le vote universel sont au contraire deux choses
qui se contredisent et ne peuvent se rencontrer longtemps dans les institutions politiques d’un
même peuple. [...]Aux États-Unis, il n’y a presque pas de bourgade qui n’ait son journal. [...]
La presse exerce encore un immense pouvoir en Amérique. Elle fait circuler la vie politique
dans toutes les portions de ce vaste territoire. C’est elle dont l’œil toujours ouvert met sans
cesse à̀ nu les secrets ressorts de la politique, et force les hommes publics à̀ venir tour à̀ tour
comparaitre devant le tribunal de l’opinion. [...] Aux États-Unis, chaque journal a
individuellement peu de pouvoir ; mais la presse périodique est encore, après le peuple, la
première des puissances »124. La Cour interaméricaine des droits de l’homme n’a pas manqué
de reconnaître l’importance du rôle des médias lorsqu’elle pose que « La liberté de presse
donne au public un des meilleurs moyens pour découvrir et se former une opinion sur les
idées et attitudes de leurs leaders politiques. Elle donne en particulier aux politiciens la
possibilité de commenter les préoccupations de l’opinion publique après y avoir réfléchi.
Cela permet à chacun de participer à un débat politique libre, ce qui est au cœur même du
concept d’une société démocratique »125. Aussi, la multiplication des moyens de
communication ainsi que la numérisation et l’avènement des réseaux sociaux ont offert aux
médias de nouveaux canaux de diffusion de l’information et par là, d’influence de l’opinion
publique. Comme l’affirmait Sandrine ARCHAMBAULT : « L'existence d'un véritable
espace public exige des garanties. La divulgation et la circulation d'informations justes et
égales pour tous, une place au droit de parole des citoyens et, surtout, une écoute et des
réponses significatives des personnes au pouvoir, sont des exemples de garanties à respecter.
Les médias, de l'avis de nombreux observateurs, peuvent mettre en place les conditions
favorables au bon fonctionnement de 1' espace public et de la démocratie »126.
Certes, le peuple à travers sa représentation à l’Assemblée nationale participe à
l’adoption des textes de loi, mais il ne se reconnaît pas toujours dans leur exécution en raison
de la méconnaissance ou d’une volonté délibérée de violation de la part du pouvoir exécutif.
Dans de tels cas, certaines dispositions juridiques offrent des possibilités de recours aux
citoyens, mais pour bon nombre d’entre eux, les médias apparaissent comme une aubaine
124
DE TOCQUEVILLE (Alexis), De la démocratie en Amérique, tome I, 1835.
125
Castells contre Espagne, jugement du 23 avril 1992, série A no 236, paragr. 43.
126
ARCHAMBAULT (Sandrine), Le rôle des médias dans l’exercice de la démocratie au Québec, Mémoire en
communication, Université du Québec à Montréal, 2007, p.23.

25
pour dénoncer ou attirer l’attention des autorités et de l’opinion nationale et internationale sur
telle ou telle violation de la loi. En plus des facilités d’accès, ils constituent une voie sûre et
rapide de se faire entendre, contrairement aux procédures administratives et judiciaires.
Certes, dans tout système démocratique, les dispositions constitutionnelles sont faites de sorte
que le pouvoir arrête le pouvoir. Ce qui théoriquement devrait constituer une garantie des
droits et devoirs du citoyen. Mais tel n’est toujours pas le cas au regard de l’accroissement
exorbitant des pouvoirs du président de la République qui rompt l’équilibre entre les pouvoirs.
Les médias, de par leur rôle de dénonciateur, obligent le président de la République à se
confiner à l’exercice de ses fonctions constitutionnelles sans les outrepasser et attire
l’attention du parlement sur son rôle en tant que contre-pouvoir constitutionnel. Céline
SPECTOR affirmait : « pourquoi faut-il défendre la liberté de la presse contre les dispositifs
de censure, contre les dispositifs d'autorisation préalable ? Eh bien, parce que précisément,
seule La Presse permet de lutter contre les abus de pouvoir, contre l'arbitraire. Elle permet
d'éduquer le peuple, de favoriser la critique, l'émergence d'une opinion publique éclairée et
donc, la garantie des droits fondamentaux de l'individu passe par là »127. La communication
médiatique joue donc un rôle crucial dans la reconstruction démocratique d’une société128, et
constitue un rempart contre l’arbitraire des institutions publiques. En France par exemple,
après environ 10 ans d’enquête menée par le journal Mediapart, le parquet national financier a
requis quatre ans de prison dont deux avec sursis à l’encontre de l’ancien président Nicolas
SARKOZY jugé pour corruption et trafic d’influence. Aux États-Unis, les scandales des
écoutes téléphoniques ou les suspicions de manipulation des élections présidentielles
américaines par la Russie relayés par les médias ont failli couter au président de ce pays son
poste. Les médias sont un élément central de l'information et de la construction des
représentations du monde politique que perçoivent les citoyens. Parce qu'ils construisent un
message, une représentation de la sphère politique, ils peuvent avoir une capacité à dicter une
certaine vision des choses, une direction éditoriale qui peut devenir une force d'influence sur
les opinions, et sur les modes de compréhension des enjeux du spectacle politique.
Au Sénégal, par exemple, les médias ont joué un rôle important dans la stabilisation du
mandat présidentiel. En effet, il serait très difficile de nier la place qu’ils ont joué dans les
mouvements qui ont suivi les tentatives de modification de la règle de la limitation des
mandats. Alors qu’Abdoulaye WADE avait terminé son deuxième mandat conformément aux
dispositions constitutionnelles, il a voulu briguer un troisième mandat en violation des
dispositions de la loi fondamentale. Les soulèvements qui en ont résulté étaient dus à
l’activité des médias qui a créé un certain éveil sur la nécessité de respecter les exigences
constitutionnelles. C’est aussi ce qui pourrait laisser penser que l’évolution des médias et celle
des mobilisations sociales sont inextricablement liées en Afrique francophone129. La presse
représente de ce fait un « système de valeurs qui rend possible l’existence de tous les pouvoirs
car elle s’inscrit dans un ensemble d’institutions juridiques, politiques, économiques et

127
SPECTOR (Céline), « Profession philosophe », Les Chemins de la philosophie, sur France Culture (juin
2020).
128
BRETON (Philippe), PROULX (Serge), L’explosion de la communication. Introduction aux théories et aux
pratiques de la communication, Paris, La Découverte, 2012, p.15.
129
ATENGA (Thomas), « Mobilisations sociales, médias et pouvoirs en postcolonies d’Afrique francophone :
identités, dynamiques et enjeux « Les Enjeux de l’Information et de la Communication, n°19/3, 2018, pp.97-110.

26
sociales (…). Elle est le baromètre de tous les secteurs d’activité et aide à mieux informer les
populations. La critique qu’elle exerce et l’alternative qu’elle constitue donnent à la
souveraineté du citoyen un pouvoir concret qui le rend arbitre et maître de tous les jeux et
enjeux »130. Il s’agit par conséquent d’un acteur non négligeable de la régulation du jeu
politique131 et par voix de conséquence, un potentiel garant de l’intégrité des fonctions
politiques en démocratie.

2- L’essor du pouvoir militaire comme contre-pouvoir


Appelé la grande muette, le pouvoir militaire dans les Républiques est réputé neutre car
considéré comme étant au service de tous et de chacun. Pourtant, « En dépit de l’adhésion aux
principes de la démocratie et de l’État de droit dans les années 1990, la vie politique dans les
pays d’Afrique subsaharienne francophone reste encore rythmée par une intrusion régulière
de l’armée dans le champ politique »132, de telle sorte qu’aujourd’hui les armées sont
considérées comme des acteurs politiques incontournables. Comme le présente le Professeur
Alexis ESSONO OVONO, l’intervention périodique et « spectaculaire » de l’armée
dans le champ politique remet en cause le processus démocratique amorcé depuis la fin des
années 1980. Cette récurrence de l’intervention de l’armée ces dernières années conforte
l’idée selon laquelle l’Afrique serait condamnée, tout au long de son histoire contemporaine,
au régime autoritaire et aux aventures non démocratiques. Est-il utile de rappeler
l’incompatibilité de principe entre la démocratie et la violence armée ?133 La démocratie en
réalité postule l’abandon de tout recours à la force au profit d’une régulation juridique des
rapports entre les acteurs politiques. Elle implique que le pouvoir s’acquiert, non par les
armes, mais par le jeu pacifié des rapports politiques conflictuels au travers d’élections
disputées134. L’étude des rapports entre la démocratie et l’armée devrait nous conduire au
constat d’un couple voué au divorce. Pourtant, le contexte actuel incite à dépasser ce premier
constat, à essayer de briser certains interdits et à réfléchir de nouveau sur le couple armée et
démocratie, plus complexe que ce que l’on le présente généralement. Ainsi, peut-on se
demander si à défaut de mettre fin à l’intervention des militaires dans la vie politique, il ne
conviendrait pas de reconnaître à l’armée un rôle d’acteur politique135. S’il est vrai que les
expériences d’exercice du pouvoir par les militaires ont souvent ouvert la voie à de
nombreuses dérives autoritaires, il reste que face au refus de certains dirigeants politiques à
respecter les principes démocratiques notamment en matière d’alternance au pouvoir,
l’intervention de l’armée se présente comme l’une des options susceptibles de restaurer
l’ordre constitutionnel136. Aussi, dans certains pays, l’intervention de l’armée a permis de
sortir de l’impasse en mettant fin à une situation de crise politique qui perdurait. Dans chaque
130
Ibid.
131
TOPPÉ (Gilbert), « Renaud de la BROSSE, Médias et démocratie en Afrique : l’enjeu de la
régulation », Questions de communication, 26 | 2014, 414-416.
132
ESSONO OVONO (Alexis), « Armée et démocratie en Afrique, une relation ambivalente à normaliser », In
Afrique Contemporaine, 2012/2, N°242, pp.120-121.
133
Ibid.
134
CHOUALA Y.-A., « Contribution des armées au jeu démocratique en Afrique », Revue juridique et politique
des États francophones, n° 4, 2004, p. 548-574.
135
Ibid.
136
AHADZI-NONOU (Koffi), « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain, le cas des États
d’Afrique noire francophone », Afrique juridique et politique, vol. I, n° 2, juillet-décembre 2002, p. 80-83.

27
cas, une transition plus ou moins longue a été organisée, des élections transparentes et
disputées ont eu lieu à l’issue desquelles le pouvoir a été transféré aux civils. Ces
interventions salvatrices pour la démocratie ont pris deux formes : d’une part, sous la forme
d’interventions fondatrices et, d’autre part, d’interventions correctrices. L’armée a permis
dans certains pays de mettre fin au règne du parti unique au moment des revendications
démocratiques. C’est le cas notamment au Mali, où l’armée dirigée par le colonel Amadou
TOUMANI TOURÉ est intervenue en 1991 pour renverser le président Moussa Traoré et
instaurer la démocratie. Elle a également permis de remettre sur les rails le processus
démocratique. Au Niger en 2009, elle est intervenue pour mettre fin à une crise née de la
volonté du président TANDJA de se maintenir au pouvoir à tout prix. Depuis 2020 on a eu
deux coups d’État au Mali en Août 2020 et Mai 2021, un coup d’État en Guinée Conakry en
septembre 2021, un coup d’État au Burkina Faso en janvier 2022. Depuis les années 1960, des
régimes ont été renversés par la force, parfois de manière répétée, dans douze pays sur les
seize que compte l’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Gambie, Guinée-
Bissau, Guinée Équatoriale, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Togo). Seul le Sénégal,
pays qui n’a jamais connu de coup d’État, fait aujourd’hui figure d’exception dans la région.
L’intervention du pouvoir militaire s’exprimant en général à travers le coup d’État137, la
perception qu’en ont les observateurs varie selon les institutions qui bénéficient de cette
action. Cependant, elle est perçue plus généralement comme la modalité la plus illégale et la
plus illégitime qui soit en matière d’accession au pouvoir138, même si certains l’on considéré
comme une réaction contre le danger139. Ce dernier courant pense qu'il y a des moments où la
raison d’État ne peut plus se servir des lois, où elle est obligée par les évènements (d’une
urgence impérieuse) de s’affranchir de ces lois au nom du salut de l’État140. C’est suivant
cette tendance que le coup d’État, s’il reste une action illégale, pourrait revêtir en fonction des
circonstances les atours d’une certaine légitimité. Dans les régimes démocratiques où c’est le
peuple qui exerce le pouvoir à travers ses représentants désignés par voie de suffrage,
l’intervention du pouvoir armé n’est autorisée qu’en ce qu’il participe à la préservation de la
sécurité des personnes et de leurs biens et à la garantie de l’intégrité territoriale de l’État. De
ce point de vue, le coup d’État est par conséquent anti-démocratique. Toutefois, comme
l’affirmait MASSINA Palouki, « bien que, dans son principe, le coup d’État soit
condamnable, l’honnêteté intellectuelle pousse à reconnaître que certains coups d’État - très
peu nombreux, il est vrai- ont permis de rétablir la démocratie un moment mise entre
parenthèses dans les pays où ils ont été perpétrés ; ils ont permis la restauration des
libertés et l’exercice d’un pouvoir démocratique ou, en tout cas, un pouvoir bien meilleur à
celui renversé. Leur influence -sur le constitutionnalisme africain ne saurait être effacée d’un
trait de plume. Certains auteurs y ont vu des coups d’État salutaires, salvateurs ou,

137
Il désigne ici la prise illégale et brutale du pouvoir par l’armée ou par une autorité politique bénéficiant de son
soutien. Il peut se produire à l’initiative ou avec le concours du peuple, ou d’une fraction de celui-ci. Voir
KOKOROKO (Dodzi), « Révolution et droit international », Revue togolaise de sciences juridiques,
janv.-juin 2012, n° 0002, p. 7.
138
MASSINA (Palouki), « Le coup d’état, entre déshonneur et bienveillance », Afrilex, 2016, 34p.
139
NIGRO (Roberto), « Quelques considérations sur la fonction et la théorie du coup d’Etat», Descartes 2013/1
n° 77, p. 73.
140
Ibid.

28
carrément, démocratiques »141. Cette situation est observable très souvent lorsque l’exécutif,
arrivé en fin de mandat refuse de se plier aux règles constitutionnelles en matière de
dévolution du pouvoir. C’est ce constat qui a conduit le Professeur Charles CADOUX à
affirmer que « le problème de la terminaison régulière du mandat reste posé en droit
constitutionnel africain ». Le problème se pose parce que « Dans les… démocraties
africaines, le processus électoral n’échappe pas à la contrebande et à la piraterie.
L’élection… n’est un autre lieu symbolique de contournement de la démocratie ». Ce sont ces
circonstances qui souvent peuvent justifier l’intervention de l’armée dans l’optique restaurer
l’ordre constitutionnel et rendre le pouvoir au peuple. C’est donc en tant qu’arbitre que le
pouvoir militaire intervient142. Devant le refus de certains dirigeants politiques face aux
changements revendiqués par la majorité des citoyens, ou face aux dérives autoritaires de
certains chefs d’État, l’armée est apparue comme le dernier recours. L’intervention de l’armée
a permis de sortir de l’impasse en mettant fin à une situation de crise politique143 que
l’autorité du Président de la République ne parvenait plus à juguler. C’est à quelques égards
ce que Juste CODJO a observé lorsqu’il constate qu’entre Avril 2021 et janvier 2022, cinq
coups d’État ont réussi144 au Mali avec le départ d’Ibrahim BOUBACAR KEITA sous fond
de liesse populaire, en Guinée avec la chute d’Alpha CONDE, au Burkina Faso avec les
déchéances par les militaires des Président Blaise COMPAORE et Roch Marc Christian
KABORE145. Chacun de ces coups d’État bénéficiait du soutien de la population qui voyait
dans ses gouvernants des personnes inaptes à répondre à leurs problèmes. La proposition qu’il
fait de remplacer le « système d’hommes forts » par un système beaucoup plus consensuel146,
participe de sa volonté à créer de nouveaux modèles de rationalisation du pouvoir du
Président de la République.
En fin de compte, les analyses menées dans le cadre de cette réflexion visaient à
rechercher dans le constitutionnalisme des États d’Afrique francophone subsaharienne, les
contre-pouvoirs à une fonction présidentielle dont les pouvoirs ne cessent de gagner en
densité. Partant du constat de la faillite des contre-pouvoirs institutionnalisés comme le
pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, l’on a pu constater l’émergence de contre-pouvoirs
non institutionnalisés qui participent aujourd’hui et à des proportions diverses, à la régulation
des pouvoirs dans l’État, et à la perpétuation d’un régime démocratique. Toutefois,
l’instabilité et les suspicions de possible instrumentalisation qui pèse sur ces derniers peuvent
amener à se demander si au final ces contre-pouvoirs seront suffisants et efficaces pour
endiguer les velléités expansionnistes du pouvoir du chef de l’État dans les États d’Afrique
noire francophone ?

141
MASSINA (Palouki), « Le coup d’état, entre déshonneur et bienveillance », op.cit.
142
LAVROFF (Dimitri-Georges), « Régimes militaires et développement politique en Afrique noire », In : Revue
française de science politique, 22ᵉ année, n°5, 1972. pp. 973-991.
143
ESSONO OVONO (Alexis), « Armée et démocratie en Afrique, une relation ambivalente à normaliser »,
op.cit.
144
Il s’agit notamment du Tchad (avril 2021), du Mali (mai 2021), de la Guinée (septembre 2021), du Soudan
(octobre 2021) et du Burkina Faso (janvier 2022).
145
CODJO (Juste), « Gestion des coups d’États et transitions politiques en Afrique : La consencratie comme
alternance aux modèles politiques d’hommes forts », in www.researchgate.net, 16p., consulté le 21/06/2022.
146
Ibid.

29
COMMISSIONS « VERITE ET RECONCILIATION » EN AFRIQUE NOIRE
FRANCOPHONE : CONTRIBUTION A LA DEFINITION DES ORGANES DE
JUSTICE TRANSITIONNELLE NON IDENTIFIES

Par

AWONO ABODOGO Frank Patrick*


Docteur Ph.D en droit public,
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Douala.

Résumé
L’Afrique noire francophone traverse depuis la fin des programmes d’ajustement structurel, des
moments de turbulence qui menacent profondément la structure des Etats rangés dans ce pré carré. La
répétition des crises multiformes et protéiformes a conduit à mener des réflexions saines, dans l’optique
de diagnostiquer les causes et éventuellement d’envisager des voies de solution. C’est alors, sous ce
paradigme que les commissions vérité et réconciliation ont connu leur avènement. A l’origine, conçues
comme des organes de justice transitionnelle, elles transcendent aujourd’hui ce mandat du fait de l’acuité
des missions que leur confèrent les textes de création. Ignorées parmi les organes constitutionnels, la
contribution de ces entités est cependant indéniable. En effet, si la fonction judiciaire est l’option retenue
par certains, il se trouve que d’autres, en font un instrument approprié de refondation du rapport politique
pour une société mieux organisée. Par conséquent, dans la perspective de la réalisation de ce dessein,
elles font figure de pré-constituante à la reconstruction de l’Etat de droit et de constituante à la
restauration de l’Etat-nation.

Mots-clés : commission, vérité et réconciliation, justice transitionnelle.

Abstract
French-speaking black Africa has been going through since the end of the structural adjustment
programs, moments of turbulence which deeply threaten the structure of the States arranged in this
backyard. The repetition of multifaceted and protean crises has led to sound reflections, with a view to
diagnosing the causes and possibly considering possible solutions. It was then, under this paradigm that
the truth and reconciliation commissions experienced their advent. Originally designed as transitional
justice bodies, they now transcend this mandate due to the acuteness of the missions conferred on them
by the texts of creation. Ignored among the constitutional bodies, the contribution of these entities is
however undeniable. Indeed, if the judicial function is the option chosen by some, it happens that others
make it an appropriate instrument for rebuilding the political relationship for a better organized society.
Consequently, in the perspective of the realization of this purpose, they are a pre-constituent to the
reconstruction of the rule of law and a constituent to the restoration of the nation-state.
Keywords: commission, truth and reconciliation, transitional justice.

*
Mode de citation : AWONO ABODOGO Frank Patrick, « commissions « vérité et réconciliation » en Afrique
noire francophone : contribution à la définition des organes de justice transitionnelle non identifies », Revue RRC,
n° 025 / Septembre 2022, p. 31-56

31
INTRODUCTION

« Dans les situations de crise politique dont la gravité est à la limite de la déconstruction
(destruction) du système politique, le droit constitutionnel se trouve plus que d’ordinaire
confronté à sa propre survie (…) dans une telle circonstance, les acteurs politiques doivent (…)
rechercher les solutions à travers les accords politiques »1. Cette assertion du Professeur
Meledje Djedjro résonne comme « un cœur à deux voix2 ». Elle relève le temps des turbulences
juridico-politiques que rencontre l’ordre constitutionnel africain3 et partant, indique dans la
foulée la contribution des mécanismes para- constitutionnels4 dans la résolution de celles-ci.
L’objectif d’apaisement du climat délétère que génèrent les conflits, oblige l’émergence des
solutions en dehors du cadre délimité par la constitution. Sous ce rapport, les opérations « a-
constituantes5 » naissent comme le souligne le Professeur Aivo, mettant ainsi entre parenthèse
les procédés conventionnels d’élaboration ou de révision de la constitution.
L’Afrique noire francophone6 traverse depuis la fin des programmes d’ajustement
structurel, des crises qui menacent profondément la structure des Etats rangés dans ce pré carré.
La répétition des crises multiformes, conduit à mener des réflexions saines dans l’optique de
diagnostiquer les causes et éventuellement d’envisager des voies de sortie. C’est alors, sous ce
paradigme que les Commissions de « vérité et réconciliation », trouvent la pertinence de leur
érection. Tirant leur origine des expériences de l’Afrique Anglophone, particulièrement de la
République sud- africaine, elles s’imposent aujourd’hui en zone francophone. A l’origine,
conçues comme des organes de justice transitionnelle, elles transcendent aujourd’hui ce mandat
du fait de l’accroissement et de l’acuité des missions que leur confèrent les textes de création.
Cependant, ignorées parmi les organes constitutionnels, la contribution de ces commissions est
indéniable. En effet, si la fonction judiciaire est l’option retenue par certains Etats, il se trouve

1
MELEDJE DJEDJRO (F), Droit constitutionnel, les éditions ABC, Abidjan, 2014, p 396.
2
Expression empruntée à Louis FAVOREU, Du déni de justice en droit public français, Paris, LGDJ, 1984, p 321.
3
PIERRE-CAPS (S), « Les révisions de la constitution de la Ve République : temps, conflits et stratégies », RDP,
n02, 1998, p 409.
4
MAMBO (P), « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les Etats africains : réflexions sur
la légalité constitutionnelle en période de crise », Revue de droit MC Gill, 2012, pp 922-949 ; ATANGANA
AMOUGOU (J-L), « Les accords de paix dans l’ordre juridique interne en Afrique », RRJ-DP, 2008, p.
1722
5
AIVO (F-J), « La crise de la normativité de la constitution en Afrique », RDP, n01 ; 2012, p 141-180. TUEKAM
TATCHUM (Ch), « Les chartes de transition dans l’ordre constitutionnels des Etas noire francophone : étude à
partir des exemples du Burkina Faso et de la République centrafricaine », Revue CAMES/SJP, n0001/2016/25-50.
De cet auteur, il faut entendre par opération a-constituantes, toute opération qui concoure soit à la mise en
parenthèses, soit à la désacralisation de la constitution comme les arrangements ou accords politiques qui
constituent une catégorie normative en pleine essor en Afrique noire.
6
D’après le Professeur ONDOA Magloire, l’expression Afrique noire francophone véhicule une idée souterraine
de sous-développement qui, d’ailleurs, semble implicitement prévaloir. Car poursuit-il, orienter des recherches
vers son champ d’observation était d’autant moins justifié qu’officiellement la France appliquait à ses possessions
la politique d’assimilation, qui supposait la soumission des colonies aux règles métropolitaines d’où sa préférence
pour l’expression Etats en développement. ONDOA (M), Le droit de la responsabilité des Etats en
développement : contribution à l’étude de l’originalité des droits africains. Thèse de doctorat en droit public,
Université de Yaoundé-II, 1997, p 28. Il s’agit des anciennes colonies d’Afrique équatoriale française : Oubangui
Chari (la République centrafricaine), le Congo Brazzaville, le Dahomey (le Bénin), la Haute Volta (Le Burkina
Faso), la Cote d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Cameroun et le Togo. A cette liste il convient
d’ajouter le Burundi et la République démocratique du Congo.

32
que d’autres en font un instrument approprié de refondation du rapport politique pour une
société mieux organisée.
L’essor des « commissions vérité et réconciliation » s’inscrit dans un projet plus large7.
En effet, elles sont instituées dans l’objectif de remettre en place un ordre moral qui a été brisé
ou sérieusement endommagé8. L’effritement du socle politique et sociale source de création de
ces organes, réside en majeure partie dans les tensions que drainent les consultations électorales.
Le processus de dévolution du pouvoir par la voie des urnes constitue le creuset des
revendications et déchaine des conflits intra-communautaires. En ressassant le parcours
démocratique des pays africains à linguistique francophone, on est frappé par l’éventail des
contestations post-électorales. Ces moments débouchent pour la plus part sur des vives rivalités.
Elles sont alors instituées, de manière ponctuelle avec un cahier de charge bien élaboré. En
intervenant à l’issue d’un processus électoral décrié, ces instances créent un espace disponible
pour installer un processus d’accompagnement et de sortie de crise9. Dans l’espace
francophone, en raison des faits générateurs de la discorde, ces instruments revêtent une place
importante au regard de la nature de l’acte de création.
Depuis 1990 après les conférences nationales souveraines, et sous le prisme des crises
politiques mettant en mal l’organisation constitutionnelle10, certains Etats africains se sont dotés
de cette justice transitionnelle. A la suite de l’élection présidentielle tenue en octobre et
novembre 2011, ayant débouché sur une escalade de violence entrainant près de 3000 morts11,
la Côte d’Ivoire a renforcé son arsenal institutionnel avec la création d’une commission de
dialogue. Elle s’est mise en place à la faveur de l’ordonnance n02011-167 du 13 juillet 201112.
Résolument orienté vers la consolidation de son unité nationale et la préservation de l’intégrité
de son territoire, l’expérience du Mali réside dans un contexte marqué par les attaques, puis
l’occupation des deux tiers de son territoire par les groupes séparatistes ou terroristes13.
Composée de trente-trois membres avec un mandat de deux ans, la commission a pour but de
chercher par le dialogue, la réconciliation entre tous les maliens. Longtemps avant ces deux
exemples, le Togo14 et la République démocratique du Congo15 avaient mis en évidence cette
pratique. L’intensification des violences ayant conduit au reflux de la démocratie, a
fondamentalement concouru à l’avènement d’un organe chargé de faire la lumière sur ces
circonstances malheureuses. Pour remettre l’ordre constitutionnel « sur pieds16 », les

7
BUCAILLE (L), « Vérité et réconciliation en Afrique du Sud : une mutation politique et sociale », dans politique
étrangère, 2007, pp 313-325.
8
BORAINE (A) et LEVIY (J), The healing of nation ? Justice in transition, le Cap, IDASA, 1995, p 45.
9
HOURQUEBIE (F), « Les processus de justice transitionnelle dans l’espace francophone : entre principes
généraux et singularités. Dalloz, « les cahiers de la justice », 2015/3, n03/ pp 321-331.
10
LEROY (P), L’organisation constitutionnelle et les crises, Paris, LGDJ, 1966, p 328.
11
Guide pratique, les processus de transition, justice, vérité et réconciliation dans l’espace francophone,
Organisation internationale de la francophonie, paru le 1er octobre 2013.
12
Ordonnance n02011-167 du 13 juillet 2011 portant création de la commission dialogue, vérité et réconciliation.
13
Décret n02013-212 du 6 mars 2013 portant création, organisation et modalités de fonctionnement de la
commission de dialogue et réconciliation. Loi n004/018 du 30 juillet 2018 portant création, attributions et
fonctionnement de la commission vérité et réconciliation.
14
Décret n02009-046/PR du 29 mai 2009 portant création de la commission vérité, justice et réconciliation.
15
Loi n0004/018 du 30 juillet 2003 portant création, attributions et fonctionnement de la commission vérité et
réconciliation.
16
Cette expression est empruntée à Babacar KANTE, Préface in I. M. FALL, (dir.), Les décisions et avis du
Conseil constitutionnel du Sénégal, Dakar, Credila, 2008, p. 13.

33
protagonistes et les victimes n’ont eu d’autres perspectives que de se soumettre à la neutralité
de ces commissions. Ce faisant, la lisibilité de leurs actions ne peut être visible qu’après la
précision des terminologies.
Commission, du latin « commissio » signifie un groupe de personnes chargées d’étudier
une question, de régler une affaire17. C’est une charge, une mission que l’on confie à un tiers
pour qu’il fasse quelque chose à votre place. Selon le dictionnaire juridique, le vocable désigne
l’attribution d’une fonction par l’autorité. Dans le jargon militaire, il s’agit d’un organisme
temporaire chargé d’une étude ou d’une mission particulière. Cette notion classique qui apparait
dans toutes les sciences sociales est mieux comprise dans sa déclinaison militaire. Car, elle
permet de saisir les contours de la notion, en la présentant d’abord comme un organe lié par le
temps, et dont la mission est détaillée d’avance par l’autorité qui la met en fonction. Cette
perception est la plus proche du sens voulu par cette thématique. En réalité du point de vue de
l’ancrage constitutionnel que recèle les commissions de « vérité et réconciliation », on infère
qu’elles ont vocation à fonctionner selon une période arrêtée et avec des objectifs bien ciblés.
Sur cette orientation, elles se distinguent des autres organes constitutionnels18 de l’Etat. Bien
cerné, le concept de commission apporte une certaine clarification. Dans la mesure où il laisse
transparaitre la logique temporelle qui fonde sa création d’une part, et d’autre part son caractère
pragmatique qui justifie l’élaboration d’un rapport final19. Le terme commission fait l’objet
d’une mobilisation graduelle tant en théorie du droit20, en droit international21, en droit
administratif22, et il serait incongru de nos jours, de l’exclure de la réflexion en droit
constitutionnel23.
La répétition des crises a favorisé l’émergence des concepts de « vérité24 » et de
« réconciliation ». En raison de la rupture du dialogue et de la nécessité de restructurer la
cohésion sociale, ces deux vocables ont pris une ascendance remarquable dans les discours
politiques. L’évocation de la vérité renvoie au caractère de ce qui est vrai, conformément à ce
que l’on dit en rapport avec ce qui est. En se référant à la fois à la sémantique et à la polysémie,
plusieurs approches peuvent être mobilisées pour saisir son sens. Du point de vue du droit, la
vérité est étroitement liée à celle de la justice. Elle se conçoit comme « ce qui est vrai », et dont
on peut vérifier à partir des preuves. La version scientifique révèle qu’une théorie n’est pas
vraie dans ce sens seulement qu’elle est matériellement utile. C’est plutôt, qu’on ne pourrait en
tirer aucune application utile si elle ne contenait pas une part de vérité. Cette perception est

17
Dictionnaire Larousse édition, 2003, p 309.
18
BIMELI AMBANGA (A), « La teneur indécise des organes constitutionnels au Cameroun : contribution à la
définition des organismes constitutionnels au moyen de leurs attributs », RADSP, 2e semestre juillet-décembre
2021, p 285.
19
Remise du rapport final commission vérité et réconciliation au Togo le 3 avril 2012 avec 68 recommandations.
20
LEFRANC (S), « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? » Revue de droit public et de science
politique, p 129-143.
21
LAVIALLE (M), « La commission du droit international des Nations Unies : genèse et enjeux », dans bulletin
de l’institut Pierre Renouvin, 2015/1, n041, pp 101-110.
22
LECLERC (J-P), « Le rôle de la commission d’accès aux documents administratifs », dans la revue française
d’administration publique, 2011/1-2, n0137-138, p 171.
23
MONTIS (A), « Les commissions permanentes dix ans après : évolution et révolution ? », revue française de
droit constitutionnel, 2018/4, n0116, p 785.
24
Lettre encyclique du Pape Jean Paul II dans laquelle il affirme que « l’objectif de la philosophie devrait être
tourné vers la contemplation de la vérité ». Lettre encyclique « véritas splendor », 6 aout 1993.

34
d’ailleurs poursuivie par le courant philosophique. Le recoupement de plusieurs écoles laisse
déduire que la vérité est pensée à partir de l’objectivation et de réalité25. En période de rupture
de paix, la vérité est le préalable à toute réconciliation. En faisant provision de cette affirmation
de Monseigneur Desmond Tutu26 « il n’y a pas d’avenir sans pardon », on peut conclure que
la réconciliation constitue l’objectif vers lequel le processus de paix est engagé. D’après Rosoux
Valérie, la réconciliation apparait comme la fin idéale d’une histoire violemment interrompue27.
La dimension cruciale de la réconciliation véhicule le rétablissement de l’entente, la reprise de
la vie commune après un déchirement. La réalisation de ce dessein passe par le truchement
d’une justice transitionnelle.
La mise en place de la justice transitionnelle, vise à établir la vérité sur les heurts ayant
entrainé l’éclatement du tissu social et à conduire vers la réconciliation. La recherche de la paix,
est donc intrinsèquement attachée à la mise en œuvre d’une justice capable de restructurer la
cohésion sociale fragilisée, en permettant à tous les protagonistes de se sentir concerner. Les
deux visages de la juridicité en période de crise, se résume à montrer sa capacité à affronter le
passé pour reconstruire une société apaisée. C’est dans une suite logique d’impératif
catégorique, que doit atteindre le recours à une telle justice28. Elle se distingue de la justice
ordinaire (pénale, civile, administrative). Dans la mesure où elle ne s’inscrit pas
fondamentalement dans la dimension sanctionnatrice des coupables, mais davantage dans la
perspective restauratrice de la vérité. Elle se rapproche mais sans toutefois se confondre à la
justice ordinaire.
Dès lors, aborder la question des commissions vérité et réconciliation dans un contexte
de crise, conduit impérativement à la construction d’une problématique saisissante : comment
peut-on appréhender les commissions vérité et réconciliation en Afrique noire francophone ?
L’hypothèse qui se fonde sous le prisme définitionnel est comme « janus29 », ce dieu
prométhéen à deux visages. Les commissions de vérité et réconciliation interviennent dans un
contexte précis qui se dégage par la valorisation du retour de l’ordre constitutionnel et la
consolidation de la nation. L’étude de ces commissions constitue une contribution théorique.
Elle marque l’exercice d’un droit constitutionnel en dehors du droit constitutionnel30. En ce
sens que, le pouvoir constituant qui est en principe dévolu à certains organes par les dispositions
constitutionnelles est transféré subtilement à ces commissions. Ce pouvoir constituant, qui
apparait « sui generis31 » tend à se répandre et fatalement influencer les révisions

25
DESHAYS (C), « Les points de vue philosophiques sur la vérité », dabs Gestalt, 2008/1, n034, p 47-61. Voir
aussi le Discours de la méthode publié en 1637 par René DESCARTES.
26
DESMOND TUTU, Il n’y a pas d’avenir sans pardon. Edition Albin Michel, avril 2000, 248p.
27
ROSOUX (V), « Portée et limites du concept de réconciliation. Une histoire à terminer », dans revue d’études
comparatives Est-Ouest, 2014/34, n045, pp 21-47.
28
AKAM AKAM (A), Les deux visages de la juridicité. Ecrits sur le droit et la justice en Afrique, L’Harmattan,
2020, 438 p. G. MANGIN, « Quelques points de repère dans l’histoire de la justice en Afrique », in Jean du Bois
de GAUDUSSON et G. CONAC, (dir), La justice en Afrique, Paris, La Documentation française, 1990, p. 13 sq.
M.-J. REDOR, De l’Etat légal à l’Etat de droit. L’évolution des conceptions de la doctrine publiciste française,
Paris, Economica, 1879-1914, p. 383.
29
ALLAND (A) et RIALS (R), (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, 1ère éd. 2003, p. 902.
30
EKELLE NGONDI (M-B), « Le droit constitutionnel en dehors du droit constitutionnel : réflexion sur le
constitutionnalisme en Afrique noire », RADP, vol n014, 26p.
31
PINON (S), Le nouveau droit constitutionnel à travers les âges, VIIème congrès français du droit constitutionnel
50 ans de la constitution 1958, Atelier 2 : « constitution, enseignement et doctrine », Paris, 2008.

35
constitutionnelles qui suivent les sorties de crise. Il se dégage donc une théorie constituante
exceptionnelle et para-constitutionnelle comme solution africaine aux crises politiques ou
encore comme une nouvelle « identité »32 de la « démocratie judiciaire »33africaine.34
La réponse à la question formulée implique le positivisme par l’exégèse des textes et la
« sociologie des normes »35. Les expériences tirées du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Burkina
Faso, du Togo et de la RDC sont à cet égard, illustratives36. De ce fait, il apparait que la
commission de vérité et réconciliation est un objet certain du nouveau constitutionnalisme
africain. La théorie du droit constitutionnel en raison de certains présupposés épistémologiques
tend à négliger le pouvoir constituant37 de ces organes. Pourtant, ils font figure de pré-
constituante à la reconstruction de l’Etat de droit (I) et de constituante à la restauration de l’Etat-
nation (II).

I- UNE PRE-CONSTITUANTE A LA RECONSTRUCTION DE L’ETAT DE


DROIT

Le pouvoir constituant peut-il s’exercer en dehors du cadre constitutionnel qui le prévoit ?


La question peut paraitre incongrue, tant la procédure qui permet d’élaborer ou de réviser la
constitution est consacrée et consignée par la norme fondamentale. Or, lorsqu’une crise
politique éclate, l’ordre constitutionnel se fragilise, le régime constitutionnel se trouve en
vacances et les mécanismes ordinaires de production des normes constitutionnelles,
inopérants . Les débats39, et les sources d’inspiration des constituants40 s’imposent
38

inévitablement. L’office constituant est en situation de conflit malmené. La recherche de la


paix, oblige à se référer à des recommandations qui prennent finalement l’allure de règles
constitutionnelles, par le fait de leur inscription dans les constitutions qui interviennent. Ces
règles, qui n’ont pas en principe une valeur constitutionnelle, ont pour fonction d’instituer une
procédure constituante et ainsi, de justifier et contraindre le phénomène constituant41. Cette

32
NGANGO YOUMBI (E-M) et NGANDO SANDJE (R), « Existe-il une identité constitutionnelle africaine? »
Revue du droit public, n°5, 2021, pp. 1315-1350 ; MBAYE (O-N), l’identité du droit africain. Le socle de l’Egypte
antique, PUD, L’Harmattan-Sénégal, 2022. p. 2.
33
BLANC (A), « La justice pénale entre nouvelle démocratie judiciaire et nouveaux savoirs », Droit et société,
2013/1 n°83 pp.203-212. C’est le passage de la démocratie constitutionnelle à la démocratie imposée par le juge.
34
BOLLE (S), « Des constitutions « made in » Afrique », Communication au VI° Congrès Français de Droit
Constitutionnel, Montpellier, 9, 10 et 11 juin 2005, p.9. Pour une justice constitutionnelle « made in Afrique » ?
35
CHEVALIER (J), « Pour une sociologie du droit constitutionnel », op. cit. pp. 281-297.
36
Quatre (4) États ont été judicieusement choisis comme cadre géographique de l’étude. Il s’agit du Mali, de la
Côte d’Ivoire, du Burkina Faso et du Madagascar. Le choix de ces États n’est ni fortuit, ni gratuit. Une analyse
cursive des jurisprudences y référentes rendues par leurs juridictions constitutionnelles permet de comprendre
qu’elles font partie des Cours qui expriment au mieux l’émergence en Afrique d’une justice para-constitutionnelle.
37
BLOUET (A), Le pouvoir pré-constituant : contribution à l’étude de l’exercice du pouvoir constituant
originaire à partir du cas de l’Egypte après la résolution du 25 janvier. (Février 2011- juillet 2013), Thèse de
doctorat en droit public comparé, Université paris-1 Panthéon Sorbonne, 21 septembre 2018, p 6.
38
LATH (Y-S), « La constitution de transition et la résolution des conflits en Afrique », Revue de droit public et
de science politique en France et à l’étranger, p 191.
39
LUCHAIRE (F), Naissance d’une constitution : 1948, Paris, Fayard, 1998, p 250, BOUGRAB (J), Aux origines
de la constitution de la 4eme République, Paris, Dalloz, 2001, p 123.
40
RUDELLE (O), « Le rôle du général de Gaule et de Michel Debré », FAVOREU (l), l’écriture de la constitution
de 1958, presse universitaire d’Aix-Marseille, 1992, pp 750-776.
41
Ibid.

36
fonction se trouve accomplie par les commissions vérité et réconciliation. En se substituant au
pouvoir constituant de façon transitoire, elles œuvrent dans l’élaboration des principes de l’Etat
(A), et concourent à la déclinaison de ceux relatifs à l’intérêt du citoyen (B).

A- L’induction des principes structurels dans l’intérêt supérieur de l’Etat

L’enlisement des conflits dans lesquels s’engouffrent les pays africains valide la thèse
selon laquelle « l’Etat africain est à refaire42 ». L’obligation de conjurer ces menaces à la
stabilité institutionnelle, a conduit la mise en évidence des procédés para-constitutionnels de
production de la normativité constitutionnelle43. Ce processus de création de la norme
constitutionnelle, fait fi des exigences inhérentes44 à la forme qu’exige leur adoption. Car,
l’œuvre constituante ici est commandée par les circonstances.45 Les énoncés généraux qui
résultent des rapports des commissions de vérité et réconciliation, constituent une source
d’inspiration des règles constitutionnelles ultérieures. Considérées comme des normes pré-
constituantes avec un caractère provisoire, elles s’inscrivent dans la reconstruction de l’Etat de
droit. En officiant dans ce rôle, elles induisent les réformes institutionnelles (1) et produisent
les règles d’exercice de la souveraineté (2).

1- L’incitation aux réformes constitutionnelles et institutionnelles


La « rupture de l’ordre constitutionnel routinier46 » emporte la refondation du rapport
politique qui lie les gouvernants au gouverné. La prégnance des séquelles de la crise a favorisé
l’installation de la méfiance, et partant illustrée l’incapacité du modèle institutionnelle à garantir
l’Etat de droit. Au regard de l’impasse constitutionnelle qui prévaut, les commissions de vérité
et réconciliation prémunissent les organes constituants à venir des matériaux susceptibles de
juguler la résurgence des conflits. Leurs activités pour les besoins de la cause peuvent être
qualifiées d’ « a-constituantes47 », parce qu’elles se fondent sur le consensus que génèrent les
auditions des victimes des atrocités et, le diagnostic des mobiles ayant influencé la
déstabilisation sociale. Une nouvelle constitution pourrait donc s’élaborer sur le fondement des
considérations de ces commissions.
En dépit de l’absence de pouvoir en matière constitutionnelle, les commissions vérité et
réconciliation emporte la compétence pré-constituante de déterminer les règles d’élaboration
de la nouvelle constitution. Sous cette exigence, elles fournissent les règles visant à changer la

42
AHADZI-NONOU (K), Les défis du gouvernement démocratique en Afrique subsaharienne depuis 1990,
l’harmattan, Sénégal, 202, p 32.
43
YEDOTH (S), « La production constitutionnelle en période de crise dans les Etats d’Afrique : crise du
constitutionnalisme ou constitutionnalisme de crise », in DJEDJRO MELEDGE, BLEOU Martin et KOMOIN
Francis, Mélanges dédiés au Doyen VANGAH WODIE Francis, presse de l’Université de Toulouse I Capitole,
2016, 588p.
44
TUSSEAU (G), Les normes d’habilitation, Paris, Dalloz, 2006, p 56.
45
LARNAUDE (F), « Les gouvernements de fait », Revue générale de droit international public, 1921, n028, pp
457-503.
46
SINDJOUN (L), « Le gouvernement de transition… », op. cit. p. 995. Ces accords visent le rétablissement de la
normalité constitutionnelle. G. CORNU, Vocabulaire juridique PUF, 2012, 1095 p. (spec. 998-999).
47
En référence à l’expression « arrangements a-constitutionnels » utilisée par la doctrine pour marquer l’invasion
des accords politiques dans le champ constitutionnel africain. F. J. AÏVO, « La crise de la normativité de la
Constitution en Afrique », RDP, n°1, 2012, p. 141-180.

37
structuration, l’organisation et le fonctionnement de l’Etat. Les décisions et les justifications
qu’elles formulent dans l’exercice de ses compétences, sont susceptibles de contraindre la
mission constituante48. Les clichés tirés des rapports qui sanctionnent les travaux corroborent à
cette orientation. Sous l’égide de Monseigneur Nicodème Barrigah-Benissan49, la mise en
œuvre des recommandations de la CVJR50 est justement l’occasion pour le gouvernement de
renouveler son engagement à construire l’Etat de droit, capable de mettre fin à l’impunité et de
conduire une refondation porteuse de démocratie et de paix. Parmi les recommandations
retenues, la réforme institutionnelle et constitutionnelle s’en tire avec la plus grosse portion. Le
fait le plus marquant dérive de l’urgence à reformer le système judiciaire.
L’analyse des rapports de toutes les commissions créées en Afrique noire francophone,
indexe de manière récurrente les lacunes du système judiciaire. Ce système judiciaire qui, à
l’aune du nouveau constitutionnalisme est un indice de perception de la vitalité de l’Etat de
droit. D’après le Professeur Jacques Chevalier, l’Etat de droit implique la soumission au droit
et la sanction d’un juge indépendant51. Allant dans le même sens, Roezs Simone52 affirme qu’il
« n’est pas de société sans justice, pas de justice sans juge investis de l’audacieux pouvoir de
la rendre ». La refonte de la pratique judiciaire, entraine le renforcement des pouvoirs du juge
et sa démarcation du pouvoir politique et exécutif. L’une des récriminations qui revient de façon
rébarbative est justement due à l’inféodation du pouvoir judiciaire. C’est dans ce sillage, qu’il
est fortement préconisé d’entamer les perspectives de consolidation de l’indépendance de
l’institution judiciaire. Cette prescription, qui vise à affermir la fonction judiciaire a été reprise
dans les constitutions post-crise. Le 8 mai 2014, le gouvernement togolais avait sorti un avant-
projet de livre blanc sur les recommandations de la CVJR. Les mesures rapides à insérer au
rang des réformes constitutionnelles visaient activement à assainir l’appareil judiciaire. A ce
titre, la révision constitutionnelle du 15 mai 2019 a pris en compte cette préoccupation. L’article
113 de ladite loi expose que : « le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du
pouvoir exécutif53 ». La modernisation de l’outil de justice, exhorte l’égalité devant la loi de
tous les citoyens et la facilitation de l’accès au prétoire. Dans l’objectif d’y pallier, l’accès à la
justice et au droit, fut l’objet d’une particulière attention, par l’augmentation sensible du fond
d’aide juridictionnelle aux démunis pour assurer le traitement équitable des justiciables devant
les cours et tribunaux.
Le succès des exemples ivoiriens et camerounais réside dans le bouleversement des
constitutions qui se sont inspirées des résolutions de ces assises. Le conflit post électoral de
2011 en Côte d’Ivoire, a visiblement déclenché le sentiment de construire un pays sous le
principe de la séparation des pouvoirs. Selon les théories de John Locke54 et Montesquieu55, il
y’a dans chaque Etat trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la puissance exécutive

48
LE PILLOUER (A), Les pouvoirs non-constituants des assemblées constituantes : essai sur le pouvoir
instituant, Paris, Dalloz, 2005, pp 321-334.
49
Président de la commission vérité et réconciliation au Togo. Le rapport a été remis aux autorités le 3 avril 2018.
50
Commission vérité justice et réconciliation.
51
CHEVALIER (J), l’Etat de droit, Montchrestien, 5e édition, Paris, 2010, p 9.
52
ROZES (S), « Un profil nouveau pour les juger », « nouveaux juges, nouveaux pouvoirs. », Mélanges en
l’honneur de Roger PERROT, Paris, Dalloz, 1996, p 435-441.
53
Loi n02002/029 du 31 décembre 2002 révisée par la loi constitutionnelle du 15 mai 2019.
54
LOCKE (J), Essay on civil government. London, 1689.
55
MONTESQUIEU, L’esprit des lois, Barrillot et fils, 1748, 564 pages.

38
et la puissance judiciaire. La répartition de ces pouvoirs évite l’exécution arbitraire des lois
faites tyranniquement56. Dans la perpétuation de cet équilibre, la commission conduite par
Monsieur Charles Konan Banny, avait insisté sur la division du pouvoir afin de décrisper le
microcosme politique. L’inscription de cette volonté issue d’un organe non constituant s’est
manifestée à l’occasion de l’adoption de la nouvelle constitution du 8 novembre 2016. Ainsi
peut-on lire dans l’exposition du préambule de cette loi constitutionnelle que « nous
proclamons notre attachement (…) à la séparation et à l’équilibre des pouvoirs ». Cet énoncé
à valeur constitutionnelle témoigne en effet, la pertinence des arrangements politiques57 qui
modifient l’écriture de la constitution. Cette modification intègre même de manière résiduelle
les dispositions compatibles à la restauration de l’état de droit.
Le cas du Cameroun est atypique. En se détournant de l’option commune des
« conférences nationales souveraines58 » pour enrayer les tensions, le gouvernement par le
truchement du Président de la République avait choisi la « tripartite59 ». D’emblée, faut-il le
reconnaitre même si la dénomination tripartite ne renvoie pas directement à la notion de
commission vérité et réconciliation, elle est du moins investit des missions similaires. Les
revendications des années 199060 ayant ensanglanté et paralysé le pays ont contraint les
pouvoirs publics, les partis politiques et la société civile à des négociations autour d’une même
table61. Envisageant le retour à la concorde et à la paix sociale, Hamadou Moustapha premier
Président de l’UNDP62 affirmait « nous sommes venus pour négocier les termes d’un réel
retour à la décrispation de la vie socio-politique ». La singularité de la tripartite résulte du
soubassement qui se dégage des travaux qui se sont tenus du 30 octobre au 15 novembre 1991.
En effet, les ressorts sur lesquels elle achoppait se fondaient en partie sur les questions
constitutionnelles et institutionnelles. D’ailleurs Monsieur Samuel Eboa s’était confié en ces
termes « notre constitution, clé de voûte de nos institutions concentre entre les mains d’une
seule personne l’essentiel du pouvoir. Cette constitution ne peut plus convenir (…) ». Dépouillé
du pouvoir constituant originaire ou dérivé, le comité de rédaction des questions
constitutionnelles proposera la création des organes constitutionnels qui seront pris en compte
lors de la révision de la loi fondamentale le 18 janvier 199663. A cette occasion, le conseil
constitutionnel et le sénat ont été créés, et le mandat présidentiel limité à un seul
renouvellement.

56
OWONA (J), Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain. Etude comparative,
l’harmattan, 2010, p 122.
57
GONIDEC (P-F), « A quoi servent les constitutions africaines : Réflexion sur le constitutionnalisme africain »,
RJPIC, octobre-décembre 1998, n04, p 849.
58
Les conférences nationales désignent une période de transition démocratique ayant pris place dans les années
1990, et s’étant déroulée sous forme de conférences dans plusieurs colonies françaises. Ces conférences font suite
à la crise économique, sociale et surtout politique ayant suivi la décolonisation. Elles ont surtout lieu dans les pays
d’Afrique subsaharienne.
59
EBOUSSI BOULAGA (F), La démocratie de transit au Cameroun, L’Harmattan, collection études africaines,
1er juillet 1997, p 95. « Un substitut démocratique acceptable ou même préférable à une aventureuse conférence
nationale ».
60
POMEROLLE (M-E), « La démobilisation collective au Cameroun : entre régime post autoritaire et
militantisme extraverti », dans critique internationale, 2008/3, n040, pp 73-94.
61
FOKOU (F-M), Le symbole de paix dans le processus de démocratisation des régimes monolithiques d’Afrique
noire. Le cas du Cameroun, Mémoire Ecole normale supérieure de Yaoundé, 2012, p 29.
62
Parti d’opposition dénommé Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès.
63
Loi n096/06 du 18 janvier 1996 portant constitution du Cameroun.

39
La prise en compte de ces recommandations, montre bien que le pouvoir constituant
dévolu à certains organes établis par la constitution, peut être relégué au profit des commissions
vérité et réconciliation. Lorsqu’elles n’influencent pas directement la refonte des institutions,
elles agissent indirectement dans la production des règles d’exercice de la souveraineté.

2- La provocation de la re-écriture des règles d’exercice de la souveraineté


La production renvoie à l’opération de sécrétion des nouvelles règles susceptibles de
définir les modalités d’accession au pouvoir, les mécanismes de dévolutions et les critères
d’éligibilité. L’essentiel des protestations qui aboutissent à l’avènement des commissions
africaines tire son essence des conflits électoraux. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour
à la mémoire. Deux élections ont été qualifiées de « chaotique » au sud du Sahara. Il s’agit de
l’élection présidentielle du 24 avril 2005 au Togo et de celle d’octobre 2011 en Côte d’Ivoire.
Le mardi 3 mai 2005, la cour constitutionnelle avait déclaré Monsieur Faure Gnassingbé
vainqueur des consultations populaires avec 60,15% de voix. Cette annonce s’en est suivie une
escalade ayant dégénéré à des violentes manifestations. Dans la même veine, plusieurs morts
ont été enregistrés à l’issue de l’élection présidentielle, processus ayant conduit tour à tour à la
proclamation comme vainqueur de l’élection les candidats Laurent Gbagbo et de son rival
Alassane Ouattara par la même cour constitutionnelle. Les leçons tirées de ces crises, révèlent
l’imprécision et l’inintelligibilité des lois électorales. Le caractère brumeux de leur rédaction
constitue le point de discorde. L’évitement de leur réapparition a donc incité la réécriture des
règles d’exercice de la souveraineté.
Sur ce champ, les commissions ont fait montre d’une certaine aisance en période de
convulsion politique. Elles ont ainsi favorisé la suppression de certaines dispositions électorales
qui participaient à envenimer le climat politique. Cette action constituante se manifeste à la fois
au niveau de la rédaction des règles électorales ayant une portée constitutionnelle, c’est-à-dire
inscrites dans la constitution, et aussi à l’échelle infra constitutionnelle par la révision du code
électoral. Comme le ruban des Tuileries, n’est que l’habillage formel d’une réalité sociale qui
est déterminante64, la constitution est le plus souvent le reflet des considérations dérivées de ces
commissions en matière de souveraineté. La production des règles y relatives est perceptible au
moins sur deux postulats : l’éligibilité et le mode d’accession au pouvoir.
En ce qui concerne l’éligibilité des candidats à l’élection présidentielle, on infère de ce
que plusieurs aspects soulevés par les commissions ont permis d’apaiser. La constitution
ivoirienne du 23 juillet 2000 65avait en son sein des dispositions qui portaient les germes de la
stigmatisation et de la marginalisation. C’est en principe sur le désaccord de certains de ses
termes, que le pays a subi les affres de la rébellion du 19 septembre 200266. Dans son dispositif,
elle intégrait des règles qui obstruaient l’éligibilité de certaines candidatures. En s’appuyant sur

64
BURDEAU (G), « Une survivance : la notion de constitution », L’Évolution du droit public. Études en l’honneur
d’Achille Mestre, Sirey, 1956, p. 53 cité par G. H. MFOYOUOM, Changements constitutionnels et institutions
administratives au Cameroun, Thèse de doctorat, université de Yaoundé II, 2015, 594 p. (spec. p. 4).
65
Loi n02000-513 du 1er octobre 2000 portant constitution de la Côte d’Ivoire.
66
La crise politico-militaire ou guerre civile de septembre 2002.

40
le concept « d’ivoirité67 », elle écartait d’office certains à l’avantage des autres. Car la
prétention à candidater était soumise à la satisfaction de certaines conditionnalités. Pour preuve,
elle prescrivait clairement que pour être candidat à l’élection présidentielle, il « faut être
ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine ». Plus loin encore, elle
exigeait de s’être jamais prévalu d’une autre nationalité ou avoir renoncé à la nationalité
ivoirienne. Formulant le vœu que les résultats des travaux servent de projet de reconstruction
nationale, on peut conclure qu’ils ont jeté les bases d’un nouveau contrat social68. L’affinement
de ce processus de refondation des critères d’éligibilité sera visible dans la constitution du 8
novembre 2016, soit deux ans après le rapport de la commission de dialogue, vérité et
réconciliation. Cette constitution a expurgé dans ses dispositions, tous les éléments de blocage
à la participation aux élections présidentielles. Elle a, peut-on le déduire, entériné les solutions
retenues par les acteurs au dialogue. Conformément à son mandat, l’une des recommandations
visait inéluctablement la révision des codes et lois discriminatoires en particulier le code
électoral.
L’émulation de l’écriture de la constitution s’est fait ressentir à travers la description du
mode d’accession au pouvoir. En effet, le souvenir malheureux du coup d’Etat du 24 décembre
1999 continue de raviver les esprits. Le texte constitutionnel ultérieur à ces évènements, marque
irréversiblement la voie qui mène au pouvoir. La lecture du préambule de la constitution sus-
évoquée affirme que « l’élection démocratique est le moyen par lequel le peuple choisit
librement ses gouvernants ». Elle indique l’attachement aux principes de la démocratie
pluraliste, fondée sur la tenue des élections libres et transparentes. L’interprétation qui en
ressort, oblige à considérer l’élection comme le moyen d’expression de la souveraineté69. En
conséquence, cette constitution reprouve tout mode non démocratique d’accession ou de
maintien au pouvoir. Elle condamne tout changement anticonstitutionnel de gouvernement.
Le pouvoir pré-constituant des commissions s’explique donc par le désir de
reconstruction de l’Etat de droit. Ce néo-constitutionalisme70 est plus garant des droits et
libertés fondamentaux du citoyen. Dans le sens que l’induction des règles constitutionnelles se
matérialise dans la déclinaison des leviers de promotion et de protection de la personne
humaine.

67
GAULME (Fr), « l’ivoirité », recette de guerre civile », dans études, 2000/3 (tome 394), pp 292-304, voir aussi
CURDIPHE, « L’ivoirité, ou l’esprit du nouveau contrat social du Président Henry Konan Bédié », dans la
politique africaine, 2000/2, n078, pp 65-69.
68
ROUSSEAU (J-J), Du contrat social, essai de philosophie politique, édition Marc-Michel Rey, 1762, voir aussi
REYNAUD (J-M), « le contrat social et la cohésion sociale au service de la démocratie », dans humanisme, 2011/4,
( n0294), pp 48-52.
69
OWONA (J), Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain, op cit, p 163.
70
Le constitutionalisme est un courant d’idées apparu au XVIIIe siècle en Europe et en Amérique du Nord. Il se
décline comme cette théorie du droit qui repose sur l’idée de la suprématie de la Constitution écrite censée garantir
le pouvoir souverain et les droits fondamentaux contre l’arbitraire et le despotisme des gouvernants. L’une de ses
figures est le néo constitutionalisme qui serait la consécration de nouvelles Constitutions chargées des principes et
valeurs induits par la modernité ou encore la redécouverte des vertus d’une bonne Constitution. V. G. CONAC,
(dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, 1993, Economica, p 202.

41
B- La germination des principes fondamentaux dans l’intérêt du citoyen

D’après l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « toute société


dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée
n’a point de constitution71 ». La friabilité des Etats africains, repose à l’évidence sur la défiance
des mécanismes de protection et de promotion des droits reconnus à la personne humaine.
L’atrocité des exactions perpétrées en situation de conflit, augure l’intérêt de prendre à cœur la
place de l’homme au sein de la société. L’essor d’un pouvoir pré-constituant transitoire illustre
cette exigence de promotion (1) et de protection des droits et libertés (2).

1- L’activation des règles de promotion des droits et libertés


La rationalisation de l’ordre constitutionnel nouveau plus adapté au constitutionnalisme
africain en crise72, laisse apparaitre la prise en compte des droits et libertés reconnus au citoyen.
Au regard des révisions constitutionnelles, il est clair que les droits de l’homme se sont vu
attribuer un rang important dans hiérarchie des préoccupations. La reconstruction des sociétés
sortant d’un conflit nécessite une démarche qui tienne compte de ces perspectives73.
Le progrès remarquable que furent les Etats africains en matière de promotion des droits
et libertés, résultent en partie des conclusions livrées à la fin de la rédaction des rapports. Au
rang des priorités dont sont chargées les commissions de vérité et réconciliation, apparait
inéluctablement celle qui concerne la mise en lumière sur les causes de violations des droits de
l’homme. En s’y attelant, elles créent les conditions d’une meilleure prise en compte des aspects
qui promeuvent le respect de l’individu dans son entièreté. La refondation sociale est donc par
conséquent intimement liée à la libéralisation des droits et libertés reconnus au citoyen.
L’expérimentation des opinions des commissions comme voie de déclenchement des règles y
afférentes, se vérifie par l’exubérance des préambules constitutionnels.
D’après la pensée Napoléonienne, la constitution doit être courte et obscure74. Elle se doit
d’être laconique afin de ne point gêner les gouvernants. Cette conception du modèle
rédactionnelle des constitutions, est aux antipodes de l’esprit qui a conduit le constituant dans
la création des normes constitutionnelles dérivées de la crise. Car, la présentation des textes
juridiques, à caractère suprême des pays en proie à des différends ne semble pas souscrire à la
concision que prescrit l’auteur. En effet, il faut reconnaitre la loquacité des dispositions
préambulaires qui énoncent les droits et libertés fondamentaux. Cette pratique tend à une
certaine redondance dans la déclinaison des obligations de l’Etat en la matière. Cette diffusion
avec une longueur remarquablement affichée, à l’entame des constitutions se justifie au regard
de l’ampleur des atteintes. En vertu de ces déviations, le constituant ne se prive plus de réitérer

71
Article 16 déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
72
BRETON (J-M), L’évolution historique du constitutionalisme africain : Cohérences et incohérences, Recht in
Afrika n°1-20, 2003, p. 1-20.
73
Voir dans ce sens DUBUY (M), « La violation des droits de l’homme, une menace à la paix ? Une rétrospective
de l’évolution de la qualification de menace à la paix en lien direct ou indirect avec la violation des droits de
l’homme », dans Civitas Europa pp 13 à 31.
74
Pensée de Napoléon recueillie et présentée par Edouard Driault, Presses universitaires, p 33.

42
l’engagement à se conformer aux principes fondamentaux et à les faire respecter. Les
constitutions rwandaise et ivoirienne peuvent attester un pareil postulat.
La commission de vérité instituée au Rwanda par l’accord d’Arusha75 pour enquêter sur
les violations de droit, a permis d’établir cette interprétation. Conformément aux solutions
arrêtées, la révision constitutionnelle du 4 juin 2003 ne s’en est pas écartée. Peut-on le voir à
partir du titre II sur les droits fondamentaux de la personne et des devoirs. La personne humaine
est sacrée et inviolable. L’Etat et tous les pouvoirs publics ont l’obligation absolue de la
respecter, de protéger et de la défendre. Toute personne a droit à la vie. Nul ne peut être
arbitrairement privé de la vie76. L’exaltation de la valeur humaine à laquelle fait référence de
façon fleuve cette constitution, débouche de l’idéologie de rupture avec le douloureux passé du
génocide. La réitération de l’intégrité et de l’inviolabilité du corps humain s’exprime par la
suppression des velléités génocidaires. En érigeant dans un titre ces règles fondamentales, le
constituant s’est inspiré des formulations antérieures de la commission en charge d’éclaircir les
causes sur les crimes contre l’humanité. L’archétype ivoirien est davantage mieux articulé. En
s’écartant d’un préambule sans article et lapidaire comme celui du Cameroun, le constituant de
2016 a pris soins de clarifier les droits fondamentaux. En réaffirmant d’abord son attachement
aux principes de droits définis par la charte des Nations Unies77 et les différents actes y relatifs,
il a consacré ensuite un chapitre pour l’énumération desdits principes. La révision
constitutionnelle qui entraine un changement du corpus du texte fondamental, impute un devoir
plus grand à l’Etat. Elle relève parmi ses devoirs, l’engagement irréversible à respecter la
constitution et les droits de l’homme qu’elle détermine. C’est à ce titre, que la déontologie
éducative préconise, l’intégration dans les programmes d’enseignement scolaires et
universitaires et même dans la formation de défense, sécuritaire et des agents de
l’administration78. La proclamation de ces mesures juridiques trouvent son enracinement dans
leur garanti.

2- L’influence des procédés de garantie des droits et libertés


Depuis leur apparition, les commissions vérité et réconciliation ont mené certaines
opérations dans le dessein de garantir les droits et libertés. La traversée de l’Etat légal à l’Etat
de droit79, autorise qu’au-delà de la symbolique que requiert les actes de publication, qu’il existe
également des modalités de garanti. La proclamation des droits et libertés fondamentaux doit
nécessairement s’accompagner de leur protection80. En ce sens, la contribution de ces organes
n’est pas à négliger. Les textes fondateurs des Etats choisis, soulignent leur apport et leur
influence. En scrutant les règles se revendiquant la garanti des droits et libertés, on est frappé
par un constat positif. En effet, deux procédés concourent à la protection de ces droits : l’un est
juridictionnel et l’autre non juridictionnel.

75
Les accords d’Arusha concernant le Rwanda, se sont déroulés de juin 1992 à aout 1993 par étapes successives
entre l’Etat et le Front patriotique.
76
Articles 10, 11, 12, 13 de la constitution du 4 juin 2003.
77
Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.
78
Article 28 de la constitution ivoirienne du 8 novembre 2016.
79
REDOR (M-J), De l’Etat légal à l’Etat de droit. L’évolution des conceptions de la doctrine publiciste française,
Paris, Economica, 1879-1914, p. 383.
80
LEVINET (M), Garantie, dans droits et libertés fondamentaux (2010), pages 95 à 120.

43
La garantie juridictionnelle suppose l’instauration de mécanismes accessibles et efficients
permettant d’obtenir leur respect, non seulement à l’égard des autorités publiques, mais aussi
en l’encontre des personnes privées81. Du point de vue de la réflexion horizontale, elle assure
la sauvegarde des droits l’homme à partir des mécanismes constitutionnels et judiciaires.
Le recours à la justice constitutionnelle, est devenu le moyen idoine d’assurer la
protection des droits inaliénables des citoyens. Pour que celle-ci s’exerce, les droits et libertés
dont il s’agit, doivent avoir un statut constitutionnel et il doit exister des procédures permettant
d’éradiquer les atteintes à l’égard de tous82. La constitutionnalisation des droits de l’homme,
puise son origine de l’intégration du préambule dans le bloc de constitutionnalité. En réalité,
c’est à partir du préambule des constitutions africaines que les droits et libertés sont déterminés.
Leur insertion dans un cadre distinct du dispositif n’enlève aucunement la valeur
constitutionnelle que lui reconnait le constituant. Faisant partie intégrante de la loi
constitutionnelle, il s’impose aux pouvoirs publics et aux personnes privées. Sa portée
constitutionnelle est tirée de la décision française du conseil constitutionnel à l’occasion de la
décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association83. Cette logique, avait également été prise
en compte par le juge administratif camerounais. Dans l’affaire Dame Ndongo née Mbonzi
Ngombo84, il avait élevé au rang de valeur constitutionnel, le principe « d’égalité de tous les
citoyens devant les emplois publics ». En ce qui concerne la procédure de garantie elle-même,
le conseil constitutionnel est favorable à l’option duale. Sa compétence est sollicitée pour les
recours contre les atteintes perpétrées par les autorités administratives. En plus il est saisi des
contestations relatives à l’inconstitutionnalité des lois. L’innovation de la première voie, offre
ainsi la possibilité d’effectuer un recours par voie d’exception. Elle étend alors la saisine du
conseil constitutionnel par le déclenchement de l’exception d’inconstitutionnalité85. Tandis que,
la seconde possibilité permet au juge constitutionnel d’effectuer son office de veille à la
conformité de la légalité constitutionnelle86.
La dualité fonctionnelle du système judiciaire est un facteur prépondérant de restauration
des droits et libertés. L’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle87. Cette
affirmation présente la vision vertueuse qui l’installe en protecteur des droits et libertés. Cette
mutation progressive s’est vue consolidée par l’extension de ses pouvoirs de contrôle. Si le
conseil constitutionnel ne peut pas être directement saisi par un justiciable, il le pourra, si un
plaideur a soulevé la contrariété de la norme devant une juridiction88. La décision par voie
d’exception s’impose à tous, au-delà des parties au procès89. L’élargissement de ces

81
Ibid.
82
DENOIX DE SAINT MARC (R), « Les garanties constitutionnelles des droits et libertés politiques en France »,
extrait de son discours, Paris, le 2 février 2009, p 12.
83
Décision n071-44/ DC du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association.
84
Jugement n007/CS/CA du 27 octobre 1994, Dame Ndongo née Mbonzi Ngombo contre Etat du Cameroun.
85
Loi n02008-724 du 23 juillet 2008 portant révision de la constitution du 4 octobre 1958.
86
Article 126 de la constitution de Cote d’Ivoire.
87
COHEN (D), « Le juge, gardien des libertés ? », dans Pouvoirs, 2009/3, n0130, pp 113 à 125.
88
PFERSMANN OTTO, « Le renvoi préjudiciel sur l’exception d’inconstitutionnalité : la nouvelle procédure de
contrôle concret à posteriori », LPA, 19 décembre 2008, n0254, p 103. DRAGO (G), « Exceptions
d’inconstitutionnalité. Prolégomènes d’une pratique contentieuse », JCP, édition G, n049, 3 décembre 2008, I, p
217. LEPAGE (C), « l’exception d’inconstitutionnalité au regard de la pratique judiciaire et des rapports de
pouvoir », LPA, 19 septembre 2008, n0189, p 3.
89
Article 135 de la constitution ivoirienne.

44
prérogatives est transposable dans l’ordre administratif. A travers le contrôle de la
constitutionnalité des actes administratifs90, le juge administratif annule par le moyen de l’excès
de pouvoirs les actes de l’administration entachés d’illégalité.
La fonction de protection est alors étoffée par la création des mécanismes non
juridictionnels. A l’instar du Cameroun, certains pays francophones ont mis en branle des
institutions publiques spécifiques diverses. La floraison de celles-ci, traduit en effet l’idée que
le recours devant le juge n’est plus aujourd’hui envisagé comme le seul mode de règlement des
différends relatifs aux droits de l’homme91. L’article 2 de la loi portant création, organisation
et fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés est très
explicite. « La commission est une institution indépendante de consultation, d’observation,
d’évaluation, de dialogue, de promotion et de protection en matière des droits de l’homme92 ».
Parfois, la création de ces organes n’est pas reléguée au sens de la production législative.
L’architecture des institutions constitutionnelles en Côte d’Ivoire indique l’existence du
« Médiateur de la République93 ». L’évocation de l’article 165 de la constitution dispose qu’il
a pour mission de rechercher un règlement amiable des contestations entre l’administration et
les administrés. Plus loin, il est interpellé pour des actes ou omissions de l’administration qui
violent les droits ou portent atteinte aux intérêts du citoyen protégé par la loi94. Au stade pré-
constituant les commissions vérité et réconciliation œuvrent à l’incitation des règles inhérentes
à la reconstruction de l’Etat de droit. Cette image qu’elles renvoient, est combinée par
l’impératif de cohésion nationale.

II- UNE CONSTITUANTE A LA RESTAURATION DE L’ETAT NATION

La phénoménologie95 des commissions vérité et réconciliation n’a cessé d’interroger, tant


son existence et sa consistance peuvent être discutées96. C’est paradoxalement peut-être dans
cette plasticité que réside toute sa force opératoire97. En éludant la question de l’être, pour traiter
comme problème autonome la matière d’apparaitre les choses98, se contenter de la valeur
indicative des rapports de ces organes serait toutefois marquée une erreur. La connexité avec
les constitutions post conflit est si étroite, qu’il appert d’établir une corrélation directe. Le
mandat étant axé sur l’examen des causes ayant entrainé l’hostilité et le déchirement du tissu
social, ces entités agissent dans le processus de restauration de l’Etat-nation. Pour preuve, la

90
NTEUK (Fr), Le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs en droit public camerounais, thèse de
doctorat en droit public, Université de Douala, juin 2020, 528 pages.
91
DELAUNAY (B), « Des garanties destinées à défendre des droits par des moyens non juridictionnels, c’est-à-
dire en dehors de la fonction de juger des juridictions », cité par Norbert Guiswe dans, « La garantie de protection
non juridictionnelle des droits de l’homme au Cameroun », première parution, 2 août 2019, p1.
92
Loi n02004/016 du 22 décembre 2004 portant création, organisation et fonctionnement de la commission
nationale des droits de l’homme et des libertés.
93
Loi n02000-513 du 1er août 2000 qui institue le Médiateur de la République.
94
Voir aussi la loi n035/2002 du 14 novembre 2002, modifiant et complétant la loi n03/99 visant à rendre
permanente la commission nationale pour l’unité et la réconciliation.
95
RICOEUR (P), A l’école de la phénoménologie, Vrin, 1986, p,
96
HOURQUEBIE (F), « Les processus de justice transitionnelle dans l’espace francophone : entre principes
généraux et singularités », op cit, p 323.
97
Ibid.
98
Ibid.

45
constitution de transition99 de la RDC, a été approuvée et adoptée par les délégués au dialogue
inter-congolais de Sun City100. Le pouvoir constituant a été exercé directement par les acteurs
politiques qui ont participé. La pertinence des solutions retenues est révélatrice du contenu du
texte constitutionnel à venir (A). La portée des enjeux qui se dégage autorise la validation des
idées par la future loi fondamentale (B).

A- La révélation du nouveau contrat social applicable aux préoccupations actuelles


par le texte constitutionnel à venir

Du point de vue téléologique, les recommandations issues des assises à l’effet de régler
les crises visent à refonder le lien politique et social qui a été altéré. C’est à ce stade, que la
mise en œuvre des recommandations énoncées sur la base du diagnostic des causes du
délitement est significative. L’héritage le plus important et poignant réside dans la reconduction
des éléments de réconciliation (1) et la radiation des ressorts de marginalisation (2).

1- La reconduction des préoccupations du nouveau contrat social par la future loi


constitutionnelle
La reconstitution du socle national effrité par les divisions justifie la création d’une justice
transitionnelle. Ce dispositif est avant tout créé pour révéler, comprendre et établir l’histoire
des violations passées afin de reconstruire une identité nationale qui va trouver son ancrage
dans le partage d’une histoire commune de la violence101. La restauration du sentiment
d’appartenance à la communauté de destin, fonde l’idée qu’une société puisse agir
démocratiquement sur elle-même que dans un cadre national102. Alors, lorsque, la nation
préexiste avant l’Etat, il faut envisager des efforts pour la consolidée. Mais si c’est l’Etat qui
existe à la nation, le défi est de chercher à développer cette conscience. En tout état de cause,
la poursuite de ces objectifs est une quête permanente. Car l’idée de nation n’est pas figée, c’est
un idéal qui se doit d’être nourri, construit et poursuivi. Au cours d’une conférence de presse
tenue le 17 février 1968, le Président AHIDJO déclarait103 : « Pour ce qui est de la réalisation
à laquelle je tiens le plus, je dois vous dire : non pas la réalisation de l’unité nationale parfaite,
mais un commencement d’unité nationale, c’est la chose à laquelle je tiens le plus ».
Le renforcement de la solidarité nationale est donc tributaire des mutations
constitutionnelles. L’élasticité du processus conduit à des réformes. La volonté de synchroniser
les diversités et de fédérer les contrariétés, passent par l’inscription des idéaux de réconciliation

99
Constitution de transition adoptée le 4 avril 2003.
100
« Dialogue intra- congolais » en Afrique du Sud s’est ouvert le 25 février 2002, trois cents délégués issues des
parties en conflit tenteront de trouver un accord pour ramener la paix en RDC, dévasté par une guerre sanglante
depuis le 2 aout 1998. Selon les organisateurs, les discussions entre partenaires devraient durer 45 jours. Le défi
est de taille et il ne sera pas facile de relever, si l’on pense que les intérêts, essentiellement liés aux immenses
richesses naturelles du sol congolais, vont au-delà des frontières de l’ex-Zaire.
101
Op cit, p 326.
102
PIERRE-CAPS, « La dégénérescence de l’Etat-nation », dans Civitas Europa, 2018/1, n040, pp 5 à 20. Voir
dans le même sens HABERMAS (J), « Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique », Paris, Fayard,
2000, p 47.
103
GONIDEC (P-F), « Cameroun 16 ans de stabilité politique : un régime dominé par la stature du Président
Ahidjo », Le Monde diplomatique, août 1976 page 21.

46
dans le texte constitutionnel ultérieur à la guerre. La prorogation de cette vision reconstructive
et restauratrice, s’insère dans le vaste bouleversement de l’ordre constitutionnel ancien. Les
différents débats sur la réconciliation permettent de tracer les mobiles sur lesquels elle peut
durablement s’enraciner. Pour ce faire, le renforcement de l’Etat unitaire, la libéralisation de
l’espace politique, et l’unicité du peuple et de la souveraineté sont des prémices qui participent
à cette démarche.
Les constitutions africaines en partie ont essentiellement choisies le caractère unitaire de
l’Etat. Cette option peut paraitre fantaisiste ou alors dénotée d’un suivisme moutonnier. Mais à
y voir de près, elle constitue la clé de voûte d’un réel but à plus ou moins long terme visant à
l’homogénéité des sensibilités et disparités. La forme république a été choisie, par ce qu’elle
est une instance régulatrice susceptible non seulement de faire émerger l’esprit public, mais de
faire coexister de manière harmonieuse la sphère privée104. C’est ce qui a sans doute motivé la
répudiation du modèle fédéral. En effet, la nécessité impérieuse de parfaire son unité et
l’existence d’une seule et même nation, a contraint le constituant camerounais à progresser vers
le type unitaire avec décentralisation105. S’inspirant de la loi du 18 janvier 1996, le constituant
ivoirien fera sienne cette position. Il consacrera dans l’article 49 de la constitution de 2016 que :
« la République de Côte d’Ivoire est indivisible ». Fidèles aux résolutions pertinentes du
dialogue et à l’accord global inclusif, le Togo ne se détournera pas de cette voie. Le tout premier
article de la révision constitutionnelle du 15 mai 2012 indique « la République togolaise est un
Etat de droit. Elle est une indivisible ». L’appropriation d’une organisation unitaire, présage
l’indivisibilité de la nation à travers l’Etat. Elle postule la prohibition de fragmentation de son
territoire. En effet, la cristallisation de la crise relève le plus souvent de la partition du territoire
rendant ainsi ingouvernable le pays d’une part, mais d’autre part incitant au repli identitaire.
L’unité du territoire autour duquel s’agrège l’unité des institutions, contribue à étouffer les
relents négationnistes de la nation. Unité, indivisibilité et intégrité ont donc ceci en commun,
qu’elles sont incompatibles avec l’idée d’occupation, de sécession et d’annexion106.
La perpétuation du socle unitaire de l’Etat en Afrique noire francophone s’exprime par la
reconfiguration de toutes ses composantes à la fois sociologiques, culturelles, religieuses et
ethniques. La redéfinition du pacte social qui oriente la constitution post conflit agrège en son
sein l’idéologie laïque, sociale et démocratique. Les constitutions à venir marquant la rupture
avec l’ordre antérieur, ont pour la plus part inscrit dans leurs dispositions les principes de laïcité
pour permettre d’asseoir les bases d’une véritable nation. L’insertion du caractère laïc entrevoit
l’inexistence d’une religion d’Etat et consacre la pluralité de religion. Elle promeut la liberté de
pratiquer selon ses convenances la religion qui coïncide avec ses convictions. La laïcité interdit
de s’arroger une religion qui dominerait sur les autres et sans laquelle il n’existerait pas de
religion. Elle est de nature à assurer la coexistence spirituelle pacifique au sein de l’Etat.
Considérée comme un rempart contre les conflits confessionnels, elle participe du maintien de
la cohésion sociale. Le socle commun dans lequel se vérifie l’attachement collectif à la nation,
trouve sa pleine expression dans l’exclusion de la religion-Etat. La prise en compte de ces
préoccupations par le constituant ressort des révélations du contrat social de départ élaboré par

104
WANDJI K (J), « Les principes fondamentaux de l’Etat en Afrique », revue CAMES/SJP, n0002/2015, p 10.
105
Article 1 alinéa 2 de la loi n096/06 du 18 janvier 1996 portant constitution du Cameroun.
106
Ibid.

47
les commissions vérité et réconciliation. La quintessence des rapports de ces commissions
prône l’idéologie d’un Etat laïc en opposition à l’orientation maghrébine107. La conséquence la
plus visible réside dans l’interdiction de créer un parti politique dans le but de faire l’apologie
d’une religion comme l’atteste article 9 de la constitution du Niger. La reconnaissance du trait
laïc raffermit le sentiment d’appartenance à la communauté, et implique la protection de l’Etat
contre un membre ou un groupe de membres de sa société, voire contre les autres Etats108.
La révision constitutionnelle intervenue en 2003 au Rwanda s’inscrit dans cette
orientation d’aplanir la fracture communautaire. Elle souscrit aux exhortations consignées dans
le rapport final. Elle reconduit parmi ses institutions, les commissions nationales des droits de
la personne, de l’unité et la réconciliation109. Devenue une institution permanente, la
commission nationale de lutte contre le génocide a pour mission, la restauration d’un climat
apaisé et l’impulsion vers le pardon. Sous ce rapport, elle prépare et conduit les débats à
l’échelle nationale dont l’objectif est de promouvoir l’unité et la réconciliation du peuple. Elle
plaide les causes des rescapés du génocide à l’intérieur comme à l’extérieur du pays110.
L’inclinaison vers ces instruments montre à quel point la règle constitutionnelle peut être
influencée par les réclamations de circonstances.
La nouvelle forme politique revendiquée par les révolutionnaires, met en avant la
souveraineté du peuple ou de la nation en remplacement de la souveraineté royale111. Avec la
précision de la souveraineté nationale, les rédacteurs de la constitution ont marqué leur adhésion
aux prescriptions antérieurement conçues par les commissions. Benjamin Constant n’affirme-
t-il pas que la constitution renvoie à « toute la constitution, et tout ce qui est nécessaire pour
faire marcher la constitution 112». La reconstruction d’une certaine idée de la nation est fondée
sur l’unicité du peuple et de la souveraineté. L’élaboration des normes constitutionnelles et
même leur interprétation113 attestent cette harmonisation. La souveraineté appartient donc au
peuple et s’exerce à travers ses représentants et par voie de référendum114. La reconnaissance
du pouvoir au peuple, proclame la souveraineté du citoyen dans une communauté d’individus
égaux et dépouillés de tous privilèges et particularismes115. Elle entrevoit, le dépassement des
communautarismes pour une migration vers l’identité nationale. Alors, l’exercice du pouvoir
interdit qu’une fraction du peuple, qu’aucun corps de l’Etat, ni encore aucun individu ne s’en
attribue. L’unicité de la souveraineté désigne, l’unité du pouvoir normatif et l’unité du pouvoir
politique. L’unité du pouvoir normatif, intègre l’existence d’une seule catégorie des lois
adoptées par les représentants. L’exigence d’un seul ordre légale confère au dépositaire de la
souveraineté du peuple, de prendre des initiatives législatives en ses lieux et places. Cette

107
Articles 2 de la constitution de l’Algérie et préambule de la constitution du Maroc.
108
WANDJI K « Les principes fondamentaux des Etats en Afrique », op cit, p 58.
109
Articles 177 et 178 de la constitution du 4 juin 2003.
110
Article 179 de la constitution du 4 juin 2003.
111
Article 34 déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
112
AVRIL (P), Les conventions de la constitution, PUF, collection Léviathan, 1997, p 42. Voir aussi
BIDEGARAY (Chr), « A la recherche des conventions de la constitution », Revue française de science politique,
1998, 45-5, pp 664-672.
113
MONEMBOU (C), « La parole constituante du Président de la République dans les Etats d’Afrique noire
francophone », op cit, p 14.
114
Articles 2, 4 et 50 des constitutions du : Cameroun, Togo et de la côte d’ivoire.
115
DELBOS (Cl), « Le peuple souverain dans la démocratie et la République », dans Humanisme, 2014/4, n0305,
cairn. Info, 01/02/2021, p 16.

48
coïncidence tient davantage du fait de la suppression de certaines normes contraires à la
démarche réconciliatrice.

2- La suppression des règles antérieures inadaptées aux préoccupations actuelles


par le constituant à venir
Il n’apparait guère incongru de rappeler que la constitution est avant toute chose un
contrat116, et son élaboration ou sa révision doit être consensuelle117. La restauration d’une paix
durable et la consolidation du sentiment national, repose sur un moyen essentiel pour y parvenir.
Le glas d’une perpétuelle volonté de raffermir la nation, semble passer par la modification de
la loi fondamentale. La rédaction de la nouvelle constitution emprunte118 beaucoup à celle des
suggestions antérieures. L’abrogation renvoie de façon générale à la suspension d’une règle de
droit par une nouvelle disposition qui lui est substituée pour l’avenir119. Cette procédure est
d’emblée usité dans la perspective d’amorcer le retour à la cohésion inter communautaire. La
déconstruction de l’ordre constitutionnel existant, qui génère une situation de fait à laquelle
succède, à plus ou moins brève échéance, un ordre constitutionnel transitoire, expression du
constitutionalisme de crise120.
Le discours constituant qui découle des débats en commission et repris intégralement par
le constituant à venir, donne naissance à un nouveau contrat social. Sous cet angle, il oblige la
rédaction des normes constitutionnelles dans le sens de l’inclusion. Une telle contribution se
matérialise par l’indication des grands axes de la réforme constitutionnelle. Ce canevas qui
utilise la procédure d’abrogation débouche d’une part sur la déconstitutionnalisation des règles
porteuses de discrimination, et d’autre part sur la constitutionnalisation des nouvelles
prescriptions qui exaltent l’humanisme et les droits individuels des citoyens.
La rupture avec l’ordre ancien, implique une rationalité dans l’élaboration de l’acte de
création de l’Etat. L’urgence à établir l’harmonie entre les différentes couches de la société,
entraine la déconstitutionnalisation des règles qui ont favorisé la marginalisation. La
déconstitutionnalisation est le fait de déposséder et de retirer un texte de son caractère
constitutionnel. Cette procédure résulte des précisions que soulèvent les commissions vérité et
réconciliation et qui sont entérinées dans la loi constitutionnelle. On peut partir de l’illustration
du cas ivoirien même s’il va paraitre redondant pour démontrer cette analyse. L’article 49 du
code électoral de 1994 prévoyait que « nul ne peut être Président de la République, s’il n’est
ivoirien de naissance, né de père et de mère eux même ivoirien ». Consignée dans l’article 35
de la constitution du 23 juillet 2000, cette règle sera plus tard la cause des affrontements entre
le Nord majoritairement musulman et acquis à Alassane Ouattara, et le Sud constitué des
chrétiens se reconnaissant en Laurent Gbagbo. L’énoncé de cette disposition portait déjà

116
ROUX (J), « La constitution comme contrat », Mélanges en l’honneur de Michel Guibal, Paris, PUF, vol 2, p
449.
117
BURDEAUX (G), « L’Etat entre le consensus et le conflit », Pouvoirs, n05, 1978, p 97. Voir aussi RIVERO
(J), « Consensus et légitimité », Pouvoirs, n05, 1978, p 61.
118
BERNARD (V) et ROUGE STEPHANI (M), « La réforme du contrôle de constitutionnalité une nouvelle fois
en question ? Réflexions autour des articles 61-1 et 62 de la Constitution proposés par le comité Balladur », dans
Revue française de droit constitutionnel, 2008/5, (HS n02), pp 169-199.
119
Lexiques des termes juridiques, 22ème éd. Dalloz 2014-2015, p. 2.
120
AÏVO (F-J), « La crise de la normativité de la Constitution en Afrique », RDP., n° 1- 2012, pp. 141-170.

49
indéniablement les empreintes de la ségrégation et partant suscitait l’objectif d’exclure une
partie de la communauté à l’idéal national. Pour y remédier, la constitution du 8 novembre 2016
va dépouiller de sa substance xénophobe le « et » qui exigeait, que la nationalité soit déterminée
à partir des parents constatés ivoirien. Cette radiation dans l’ordre constitutionnel des règles
discriminatoires, renvoie à la quête d’une identité culturelle nationale.
Il faut également noter que la modification des règles constitutionnelles est une étape
importante dans la restructuration sociale. En effet, elle est déduite de la constitutionnalisation
de certaines valeurs qui rentrent définitivement dans la constitution. Elles sont prises en compte,
par ce qu’elles permettent de resserrer le lien national. L’article 54 de la constitution post
génocide, interdit aux formations politiques de s’identifier à une race, une ethnie, une tribu, un
clan, une région ou tout élément pouvant servir de base de discrimination. Les formations
politiques, poursuit l’alinéa suivant, doivent constamment refléter l’unité nationale.
L’interprétation qui émerge, indique clairement l’inadmissibilité des idéaux politiques fondés
sur le sectarisme communautaire et la promotion de toute sorte d’exclusion. Le manquement à
cette obligation génère des sanctions qui sont rigoureusement prévues par le constituant.
Suivant la gravité du manquement ou de la faute, la cour peut prononcer à leur égard :
l’avertissement, la suspension d’activité et la dissolution121.
La révélation du contenu de la constitution s’explique donc par la reconduction de
l’approche réconciliatrice par le constituant. Le texte final adopté s’écarte du langage
susceptible d’engendrer la haine. L’ouverture à la concorde est alors matérialisée par la
validation de ces idées.

B- La validation du nouveau contrat social par l’ordre constitutionnel.

Le pouvoir étatique qui mandate les commissions vérités africaines, délègue souvent une
part de sa souveraineté en leur accordant le droit régalien de la justice pénale moderne
occidentale122. Lorsque les liens de solidarité générale se rompent, les groupes humains se
replient sur des solidarités particulières de par les clivages, qui s’élargissent alors en
fractures123. La résolution des disjonctions issues de l’angoisse sociale, implique la validation
des procédés de réconciliation par l’ordre constitutionnel. Le gouvernement togolais expose
qu’il « étudiera l’ensemble des recommandations faites par la CVJR et réitère son engagement
à tout mettre en œuvre en vue de la consolidation de la réconciliation nationale124 ». Dans une
démarche réaliste, 125l’apport de la justice transitionnelle à travers les commissions vérité et
réconciliation est implacable. L’altérité de ce modèle judiciaire réside en l’achèvement des
hostilités, pour laisser transparaitre une forme minimale de société ordonnée. Dans cet élan,

121
Article 55 de la constitution du 4 juin 2003.
122
Op cit, p 680.
123
VITALIS (J), « Les crises africaines : violence, pouvoir et profit », dans études 2003/12, (Tome 399), pp 585-
595.
124
Avant-projet du Libre blanc du gouvernement sur les recommandations de la CVJR, avril 2014, p 4.
125
L’approche réaliste du raisonnement judiciaire repose ici, sur le paradigme de la tradition juridique, la
« judicial » ou « legal culture » qui, dans un droit de common law promouvant le rôle social du juge, son pouvoir
normatif ainsi que l’autorité du précédent, favorise le raisonnement in concreto.

50
l’ordre constitutionnel n’a pas d’autres choix que celui d’absoudre les protagonistes (1) et
d’apporter réparation aux victimes (2).

1- La rédemption des protagonistes par l’ordre constitutionnel.


La « commission vérité et réconciliation », est une figure majeure par son enjeu : la
participation à la (re)création d’un lien national126. Parmi les éléments de restructuration du
rapport Etat-nation, la rédemption des protagonistes est une solution primordiale. La
rédemption s’entend ici comme une étape assez large autour de laquelle, se greffent à la fois
l’amorce vers le pardon et la volonté de réconcilier les morceaux séparés par la violence. Sous
ce prisme, le pardon est un processus intérieur qui concerne les victimes. Tandis que la
réconciliation, implique alors une relation avec l’agresseur et des démarches de sa part. Cette
mise ensemble des protagonistes au conflit permet de rétablir le dialogue entre les parties et
d’instrumentaliser la réconciliation en suscitant le pardon127. La philosophie africaine de
règlement des différends est ainsi ressassée par le recours au mode alternatif et extra judiciaire.
Pour qu’elle soit viable, il est important que certaines conditions soient créées. La première
oblige la tenue d’un discours de vérité, alors que la seconde conduit aux mécanismes du pardon.
La mémoire est nécessaire à la construction de l’identité nationale. En retraçant les
évènements qui ont marqué l’histoire douloureuse, le récit de l’antériorité fâcheuse conduit au
discours de vérité autour duquel se déclenche véritablement l’absolution. D’après Antoine
Garapon, c’est « dans le récit public des crimes, que se glisse souvent l’espoir de
rédemption128 ». Pour y parvenir, les commissions emploient une méthode récurrente, celle de
la contrition des acteurs. La vraie réconciliation n’existe que lorsque les causes qui ont motivés
la résurgence de la violence sont explorées et que les initiateurs soient entendus. Les auditions
qui caractérisent le travail de ces organes permettent d’arriver à la guérison. D’après Edem
Kodjo129, « il n’y a pas de justice sans paix et de paix sans pardon ». La restauration de la paix
durable, n’est possible que sur la base de la vérité. L’avenir des Etats précédemment en proie à
des atrocités tient singulièrement par l’oubli de soi et la compassion de l’offensé. Elle emporte
pour l’offenseur qu’il avoue sa faute et se repent. Pour répondre à l’appel du pardon, il faut se
rappeler du mal subi130. La CVR tient compte de cette période, dont le traitement tient au succès
de la réconciliation. Comme l’indique leur nom, la vérité doit venir avant la réconciliation131
pour dissiper les effets d’une vengeance organisée132. En s’illustrant du modèle sud-africain,

126
COURTOIS (G), « Le pardon et la « commission vérité et réconciliation », Anthropologie juridique en Russie,
Etudes, pp 123-133.
127
MELOUOKOUONG (O), Justice traditionnelle africaine et développement de la justice transitionnelle en
Afrique, Thèse de doctorat en droit public, Université de Yaoundé-II Soa, année académique 2018/2019, p 293.
128
GARAPON (A), Préface, in « justice sans châtiment : les commissions vérité-réconciliation », de Etienne
Jaudel, Paris, Odile Jacob, 2009, p 19.
129
Extrait de l’interview du journal Jeune Afrique Economique, parution du 25 octobre 2009, mis à jour le 8
novembre 2009.
130
DEMASURE (K) et NADEAU (Jean-Guy), « Entre le devoir de pardonner et le droit de ne pas pardonner »,
Revue Théologiques, volume 23, numéro 2, 2015, pp 253-270.
131
AMADU SESAY, Does one size fit all ? The Sierra Leone Truth and Reconciliation Commission Revisited,
Uppsala, Nodiska Afrikainstitutet, 2007, p 15.
132
WIELBERHAUS-BRAHIM (E), Truth Commission and Transitional Societies : The Impact on Human Rights
and Démocracy, New York, Routlege, 2010, p 130.

51
les commissions en Afrique noire francophone ont du moins souscrit aux auditions et facilité
l’accès pour encourager à venir témoigner133.
Dans cette optique, le mandat que le gouvernement a laissé aux commissaires peut être
un avantage134. Dans la mesure qu’il autorise un processus autour duquel, la victime et le
délinquant participent ensemble et activement à la résolution des problèmes découlant de cette
infraction135. Ainsi la divulgation de la vérité est une approche dissuasive des éventuelles
récidives. Elle établit le lien entre l’oppresseur et la victime en mettant en exergue les mobiles
du conflit. La manifestation de la vérité induit la reconnaissance d’un droit à deux facettes. Le
droit pour la victime ou ses proches de connaitre ce qui s’est passé. Le droit pour la collectivité
d’être informée des violations perpétrées.
La volonté d’oublier le passé et d’établir la transition sur des leviers nouveaux, commande
la mise en place d’une justice capable d’ouvrir la voie à la reprise du dialogue tout en faisant
ressortir la responsabilité des protagonistes. La plus part des pays au passé lourd, s’écartent des
tribunaux qui ne sont pas au regard de la morosité du climat en mesure de répondre à l’ampleur
des violences commises. La nécessité et les avantages de la vérité judiciaire sont largement
reconnus. Pourtant, les sociétés émergeant d’un conflit violent se heurtent en général à de
nombreux défis de taille lorsqu’elles choisissent cette option136. En conséquence, selon Mark
Freeman, le fait que les gouvernements aient recours à des mécanismes de justice
complémentaires, est tout à fait naturel. Poursuit-il, celles-ci peuvent réconcilier les victimes et
leurs bourreaux, assurer la primauté du droit, panser les plaies de la nation et rétablir la culture
découlant du respect des droits humains137.
La consolidation de l’idée de nation s’enrichit en échange de la reddition, par la garantie
d’une justice réconciliatrice plutôt que celle pénale. Pour obtenir les aveux, la promesse d’une
justice réconciliatrice est donc fortement recommandée. Les CVR s’appuient alors sur une
conception de la justice prenant en compte la nécessité de pardonner. En compensation des
informations permettant de mieux comprendre les mécanismes d’oppression, elles contraignent
les gouvernements à l’amnistie. Contrairement à l’idée que le choix d’amnistier participe à
l’installation de l’impunité, force est de reconnaitre qu’elle sous-tend plutôt en réalité les efforts
de cohésion sociale. L’examen minutieux des effets qu’elle induit, autorise à considérer qu’il
s’agit d’un instrument conçu pour servir le processus de réconciliation politique138. Cette
amnistie sans amnésie, offre aux victimes la vérité sur les circonstances tout en leur refusant la
condamnation pénale de leurs auteurs139. Perçue comme exutoire, la pratique de la justice

133
Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), children and truth commission, New York, Unicef, 2010,
p 11.
134
Extrait du commentaire de Timothée Labelle et de Jean-Nicholas Toudel, Au cœur de la reconstruction
ivoirienne : la réconciliation, p 117.
135
LEFRANC (S), « La justice transitionnelle n’est pas un concept », Mouvements, 2008/1, n053, p 61-69.
136
SAVAGE (T), « Les commissions « vérité et réconciliation » : une nouvelle approche de vérité », dans les
cahiers de la justice, 2018/2, n02, pp 323-340.
137
FREEMAN (M), Truth Commissions and Procedural Fairness, Cambridge, Cambridge University press, 2006,
pp 5-6.
138
SAVAGE (T), « Les commissions « vérité et réconciliation » : une nouvelle approche de vérité », dans les
cahiers de la justice, 2018/2, n02, pp 323-340.
139
HAZAN (P), « Commissions vérité : l’amnistie sans amnésie », in oser la paix, l’audace des « réconciliateurs »,
collection Le Mook autrement, septembre 2011, p 13.

52
transitionnelle permettait alors de commuer les peines affligeantes par des sanctions moins
afflictives. Elle offrait aux personnes qui avaient avoué leurs crimes de se voir obliger
d’exécuter des travaux d’intérêt général140. D’ailleurs un arrêté présidentiel du cas rwandais
envisageait une pareille exonération. L’obligation était faite à un condamné pour crime de
génocide ou crime contre l’humanité d’exécuter, en lieux et place de l’emprisonnement et avec
son assentiment un travail non rémunéré d’intérêt général141.
Le choix de la politique du pardon pour purger les exactions du passé, est étroitement lié
à l’orientation judiciaire retenue. Les sanctions mobilisées dérogeaient aux peines classiques
habituellement infligées par les institutions de justice moderne142. L’espace francophone a
résolument adhéré à la justice restauratrice. Le fondement des CVR est de réfuter la justice
punitive qui serait porteuse de vengeance, et par ricochet inapte à poursuivre l’idéal de
réconciliation. En revanche, elles élaborent un modèle mixte qui favorise à la fois le désir de
rendre la justice et l’impérieux objectif d’apaisement. Etant inscrite dans les germes des
commissions, cette justice est alors « transformative » et « reconstructive ». Elle accorde une
place centrale à la préservation des liens entre les personnes143. L’exclusion de la justice
rétributive, vise avancer et à éviter de revenir sur le passé des actes ignobles. Ce processus
marque alors un régime d’indemnisation.

2- La plasticité de la réparation
A l’échéance, les travaux des commissions aboutissent à des résultats qui sont pour
l’essentiel reconduit par l’ordre gouvernant. Le retour à la normale, exige l’application du
principe général de droit qui veut que « tout fait quelconque qui cause à autrui un dommage
oblige celui par le fait duquel il est arrivé à le réparer144 ». D’après les recommandations du
rapport de la commission ivoirienne, « la réparation est une étape clé du processus de
réconciliation145 ». Remplir cette obligation est l’occasion de montrer à la société, la volonté
d’inaugurer une nouvelle ère démocratique dans laquelle les droits de tous sont respectés et
garantis146. En instituant une telle procédure, on assiste dans une « première étape à la solution
du litige147 ». Cependant, comme le souligne le Professeur Gouhier Sébastien148, quelle forme
doit prendre la réponse du responsable aux dommages qu’il a causés pour que l’on puisse parler
de réparation ? En ce qui concerne la restauration de l’unité nationale, la réparation prend ici

140
HOURQUEBIE (F), « Mise en situation : panorama des expériences justice coutumière/traditionnelle », in
annuaire de justice pénale internationale et transitionnelle, Jean Pierre Massias, Xavier Philippe et Pascal Varene :
collection transition et justice, LGDJ Lextenso, éditions, 2015, pp 477-558.
141
Arrêt présidentiel n026/01 du 10 décembre 2001 relative à la peine de travaux d’intérêt général alternative à
l’emprisonnement, article 2, voir JORR, n03 du 1er février 2002.
142
Op cit.
143
DEYMIE (B), « La justice restaurative : repenser la peine et châtiment », dans Etudes, 2016, 6 juin, pp 41-52.
144
Article 1382 du code civil.
145
Rapport Commission Dialogue Vérité et réconciliation du 14 décembre 2014, p 102.
146
Ibid.
147
NLEP (R-G), L’administration publique camerounaise : contribution à l’étude des systèmes africains
d’administration publique, LGDJ, 1986, p 262.
148
GOUHIER (S), Essai d’une théorie de la responsabilité en droit administratif, Thèse de doctorat, Université
du Maine- Le Mans, 2000, p 216.

53
deux aspects. L’un débouche sur les indemnisations individuelles, alors que l’autre est assorti
de symboles qui témoignent la contrition de la nation.
La réparation individuelle découle du constat des atrocités que la victime a subi pendant
la période des tensions. Lorsque le préjudice est entièrement réalisé, et que son étendu
n’apparait guère susceptible de modification dans l’avenir149, les modalités de compensation
sont alors initiées. L’indemnisation est axée sur la couverture intégrale du préjudice. La valeur
de la réparation a strictement une finalité duale. Celle-ci postule le rétablissement de la victime
dans la situation qu’elle se trouvait avant la réalisation du préjudice. Elle concourt à effacer
dans une certaine mesure, les conséquences générées150. Le fait générateur de la responsabilité,
implique un programme de réparation et indique la nature de l’indemnité. En l’absence du
préjudice il ne pourrait y avoir réparation nous le relevait encore le Professeur Raymond
Odent151. Le préjudice est alors matériel152 ou moral153 et la réparation financière ou en nature.
Le chronogramme de la réparation ordonne, la restitution des biens, la réintégration dans les
emplois, le retour au lieu de résidence initiale des exilés. Il prend en charge les personnes en
situation de vulnérabilité.
La réparation collective et communautaire est enivrée de gestes et de symboles qui
insufflent la démarcation avec le passé. Elle contribue à inscrire dans la pensée collective, les
jalons d’un véritable dépassement des évènements tragiques. Les mesures urgentes qui sont
déployées ont en commun une certaine réalité. Dans l’ensemble, elles vont de l’instauration
d’une journée de réconciliation nationale, à l’érection des monuments pour les victimes des
violations des droits humains. En outre, elles s’expriment par la présentation des excuses
publiques154. La symbolique que recèle ce genre d’action crée un sentiment d’oubli qui se
manifeste avec l’effet du temps. L’orientation que prennent ces mécanismes alternatifs de
réparation, vise à irradier dans la conscience nationale la nécessité d’entrevoir un sentiment de
clémence. Cette réparation qui n’est pas forcément numéraire ou matériel entame la rupture
avec les antagonismes pour célébrer le dialogue. En incarnant dans son processus la
communauté toute entière, elle n’occulte aucune responsabilité. La collectivisation de la
réparation entraine la pacification de la communauté. Elle s’adresse au redressement de la
communauté et à réconciliation de ses membres155. En clair, la réparation n’a nullement pour
effet dans la plupart des cas de rétablir les choses dans leur Etat antérieur et d’effacer
véritablement les cicatrices. Les dommages et intérêts alloués pour le préjudice, ne permettent

149
CHAPUS (R), Responsabilité publique et responsabilité privée : les influences des jurisprudences
administrative et judiciaire, LGDJ, Paris, 1957, p 301.
150
AWONO ABODOGO (F-P), La faute en droit de la responsabilité administrative au Cameroun, Thèse de
doctorat en droit public, Université de Douala, 1er juin 2020, p 573.
151
ODENT (R), Contentieux administratif, cité par TERNEYRE (Ph), La responsabilité contractuelle des
personnes publiques en droit administratif, édition Economica, 1989, p 168.
152
DEBBASCH (Ch) et COLIN (Fr), droit administratif, 7e édition, 2014, p 536. Voir aussi dans ce sens CHAPUS
dans la responsabilité publique et privée, « le préjudice matériel est ainsi fréquemment utilisé pour qualifier les
atteintes causés aux biens meubles et immeubles ». Décision n0237/CCA du 10 juillet 1953, Ndounda Thomas
contre Administration du Territoire.
153
Arrêt n0310/CCA du 3 septembre 1954, Vittori Pierre contre Administration du Territoire.
154
A l’occasion de la remise du rapport de la Commission vérité et réconciliation en avril 2012, le Président de la
République togolaise avait présenté publiquement les excuses à la nation toute entière.
155
Op cit.

54
pas une restitution des choses détruites ou disparues. Ils ne constituent qu’une satisfaction
compensatoire156.

CONCLUSION

« Les dispositions de justice transitionnelle doivent être mis en place à l’aune des
exigences nationales et internationales157 ». Ce constat fort saisissant, indique la contribution
de ces organes à la reconstruction de l’Etat de droit et à la restauration de l’unité nationale. Le
déploiement de ce dessein, est inhérent au dépassement de certains écueils. La politisation des
personnes nommées à cette œuvre peut éprouver les résultats, et donner le sentiment d’une
justice des vainqueurs. La réalisation des investigations et les solutions préconisées doivent
trouver leur ancrage dans la réalité sociale. La « transposabilité » des contextes d’ailleurs pour
appliquer au cas d’espèce n’est pas encouragée. De même l’adhésion des populations est en
tout temps sollicitée pour marquer son approbation au processus de réconciliation. L’apport de
ces organes complémentaires tient à l’exécution de l’ensemble des recommandations.
« A l’évidence l’Afrique cherche. L’Etat cherche ses institutions, la démocratie son
expression, la justice son éthique (…) »158. Au moyen de l’importance de ces valeurs,
l’ingénierie institutionnelle des mécanismes de justice transitionnelle mérite d’être relevée. Il
faut reconnaitre qu’elle participe à l’affirmation d’un modèle159 de sortie de crise sur lequel
l’équilibre entre la condamnation des violations et le maintien du lien social reste intangible.
L’opérationnalisation traduit en fait l’une des vieilles pratiques coutumières africaines. Elle
consistait à régler de manière amiable le différend sans forcément recourir aux juridictions
étatiques. L’inclinaison vers la justice transitionnelle, suppose une conciliation permettant à
chaque partie d’exposer ses vues, de les rapprocher de celles de l’autre partie, pour enfin arriver,
si possible à une solution négociée160. C’est une nouveauté irréfragable du point de vue de la
technologie institutionnelle contemporaine, en matière de gestion des responsabilités pour les
crimes massifs survenus161.

156
RIPERT (G), « Le prix de la douleur », D, 1948, chrono, p 426.
157
HOURQUEBIE (F), « Le processus de justice transitionnelle en Afrique noire francophone », op cit, p 12.
158
RAYNAL (J-J), « Le renouveau démocratique béninois : modèle ou mirage », Afrique contemporaine, n° 160,
1991, p. 25.
159
TIKONIMBE KOUPOKPA (E), Le modèle constitutionnel des Etats d'Afrique noire francophone dans le cadre
du renouveau constitutionnel : le cas du Bénin, du Niger et du Togo, Thèse de doctorat en droit public, Université
de Lomé, 2011, p.10.
160
MOMO (B), Cours de droit administratif, année licence II, Université de Yaoundé, p 331.
161
KAMTO (M), « Brèves considérations sur la justice transitionnelle et droit international pénal », in Actes du 3e
colloque annuel de la société africaine pour le droit international, Paris, Pedone, p 173.

55
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

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n01 ; 2012, p 141-180.
2- DEYMIE (Brice), « La justice restaurative : repenser la peine et châtiment », dans Etudes,
2016, 6 juin, pp 41-52.
3- EKELLE NGONDI (Michard-Bériot), « Le droit constitutionnel en dehors du droit
constitutionnel : réflexion sur le constitutionnalisme en Afrique noire », RADP, vol n014, 26p.
4- HAZAN (Pierre), « Commissions vérité : l’amnistie sans amnésie », in oser la paix,
l’audace des « réconciliateurs », collection Le Mook autrement, septembre 2011, p 13.
5- HOURQUEBIE (Fabrice), « Les processus de justice transitionnelle dans l’espace
francophone : entre principes généraux et singularités. Dalloz, « les cahiers de la justice »,
2015/3, n03/ pp 321-331.
6- LEFRANC (Sandrine), « Les commissions de vérité : une alternative au droit ? » Revue de
droit public et de science politique, p 129-143.
7- MAMBO (Pierre), « Les rapports entre la constitution et les accords politiques dans les
Etats africains : réflexions sur la légalité constitutionnelle en période de crise », Revue de droit
MC Gill, 2012, pp 922-949
8- MELEDJE DJEDJRO (Francis), Droit constitutionnel, les éditions ABC, Abidjan, 2014,
p 396.
9- SAVAGE (Terry), « Les commissions « vérité et réconciliation » : une nouvelle approche
de vérité », dans les cahiers de la justice, 2018/2, n02, pp 323-340.
10- TUEKAM TATCHUM (Charles), « Les chartes de transition dans l’ordre constitutionnels
des Etas noire francophone : étude à partir des exemples du Burkina Faso et de la République
centrafricaine », Revue CAMES/SJP, n0001/2016/25-50.

56
LA NATURE DES ÉLECTIONS LOCALES EN DROIT ÉLECTORAL DES ÉTATS
D’AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE

Par

Alassa MONGBAT*
Docteur/Ph.D en Droit public
Chargé de Cours à l’Université de Dschang – Cameroun

Résumé
Les élections locales sont-elles des élections administratives ou des élections politiques en droit
électoral des États d’Afrique noire francophone ? C’est à cette question que s’est attelée à répondre la
présente réflexion. En effet, dans l’optique de consolider l’autonomie des collectivités territoriales, les
législateurs ont formalisé l’élection des élus locaux comme une condition de l’autonomie
administrative de ces dernières. Mais, la nature des élections locales n’a pas été fondamentalement
précisée ; c’est donc dire que lesdites élections ont un caractère indéterminé dans les États d’Afrique
subsaharienne francophone. Ainsi, se basant sur l’interprétation des textes juridiques et des décisions
des juridictions, l’étude a révélé une nature variée des élections locales. Si en droit électoral
substantiel, les arguments militent en faveur des élections administratives, par contre, en droit électoral
processuel, l’incertitude demeure au sujet de la nature des élections locales.
Mots-clés : Elections locales – élections administratives – élections politiques – opérations
électorales – juges.
Abstract
Are local elections administrative elections or political elections in the electoral law of French-
speaking black African states? This is the question that this reflection has attempted to answer. Indeed,
with a view to consolidating the autonomy of local authorities, legislators have formalized the election
of local elected representatives as a condition of the administrative autonomy of the latter. But, the
nature of the local elections has not been fundamentally clarified; that is to say that the said elections
have an indeterminate character in the States of French-speaking sub-Saharan Africa. Thus, based on
the interpretation of legal texts and court decisions, the study revealed a varied nature of local
elections. If in substantive electoral law, the arguments militate in favour of administrative elections,
on the other hand, in procedural electoral law, uncertainty remains about the nature of local elections.
Keywords: Local elections – administrative elections – political elections – electoral operations
– judges.

*
Mode de citation : Alassa MONGBAT, « la nature des élections locales en droit électoral des états d’Afrique
noire francophone », Revue RRC, n° 025 / Septembre 2022, p. 57-84

57
INTRODUCTION

« Les plus importants problèmes constitutionnels ne sont pas toujours les plus
questionnés »1. Tel est manifestement le cas de la nature des élections locales. Pourtant, en
droit constitutionnel, l’élection est perçue comme : « [l]e medium privilégié de l’expression de
la volonté du peuple »2. Elle constitue pour ainsi dire le premier fondement de la volonté
générale3 et l’un des principes fondamentaux de la démocratie4. En effet, le développement de
ce régime est consubstantiel aux évolutions des régimes politiques et de la forme de l’État.
Autrefois, la démocratie était considérée comme une affaire du gouvernement central. Par
conséquent, les élections étaient seulement nationales. L’avènement de la démocratie libérale
a favorisé l’émergence des nouvelles formes d’État, laquelle prône un transfert d’une partie
du pouvoir central au niveau de la périphérie5. C’est ainsi qu’ont vu le jour les États fédéraux
et les États unitaires décentralisés pour mettre fin aux formes monarchiques et dictatoriales6.
Cependant, la mise en œuvre des principes démocratiques s’effectuera en dent de scie puisque
les États centraux ne vont, pour un début, qu’accorder aux entités locales une infime liberté
ou autonomie sous surveillance7.
Dans les États d’Afrique noire francophone, le renouveau du constitutionnalisme dans
les années 1990 a favorisé des changements dans la manière de gouverner8. C’est ainsi que
l’idéologie libérale va être introduite dans le droit public africain occasionnant l’émergence de

1
DAUGERON Bruno, « Les électeurs sont-ils le peuple ? Peuple, citoyens, électeurs en droit constitutionnel :
essai de distinction théorique », in BOUTAYEB Chahira (dir.), La constitution, l’Europe et le droit, Mélanges
en l’honneur de Jean-Claude Masclet, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2013, p. 155.
2
COLLIOT-THELENE Catherine, « Les masques de la souveraineté », Jus politicum, Revue de droit politique,
n°8, 2012, p. 14.
3
DENQUIN Jean-Marie, « Volonté générale, opinion publique, représentation », Jus Politicum, Revue de droit
politique, n° 10, 2013, pp. 1-11.
4
BOURETZ Pierre, « Démocratie », in DUHAMEL Olivier et MENY Yves (dir.), Dictionnaire constitutionnel,
Paris, Puf, 1992, pp. 283-288. MUKONDE Pascal Musulay, Démocratie électorale en Afrique subsaharienne.
Entre droit, pouvoir et argent, Globethics.net African Law No. 4, 202 p.
5
En droit africain, v. FAY Claude, YAOUAGA Félix Koné, QUIMINAL Catherine (dir.), Décentralisation et
pouvoir en Afrique, Marseille, IRD Editions, 2018, 514 p ; TOUKAM Dieudonné, L’avenir du Cameroun :
entre fédéralisme et régionalisme, Paris, L’Harmattan, 2011, 182 p ; OWONA Joseph, La décentralisation
camerounaise, L’Harmattan, Coll. Droits africains et malgaches, 2011, 172 p ; ALIYOU Sali, Le transfert de
compétences aux collectivités territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse de Doctorat/Ph.D en Droit public,
Université de Dschang, 2016, 765 p.
V. à titre de droit comparé, DELPERÉE Francis, Le fédéralisme en Europe, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2000,
128 p ; CROISAT Maurice, Le fédéralisme en Europe, Paris, Montchrestien, 1ère éd., 2009, 160 p ;
BAGUENARD Jacques, La décentralisation, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2013, 128 p ; LUCHAIRE Yves et
LUCHAIRE François, Le droit de la décentralisation, Paris, PUF, 1989, 648 p.
6
BARANGER Denis, « L’histoire constitutionnelle et la science du droit constitutionnel », in HERRERA
Carlos-Miguel et Le PILLOUER Arnaud (dir.), Comment écrit-on l’histoire constitutionnelle ?, Kimé, 2012, pp.
117-140.
7
MALIBEAU Albert « Démocratie locale », in DUHAMEL Olivier et MENY Yves (dir.), Dictionnaire
constitutionnel, op.cit., p. 291.
8
MONEMBOU Cyrille, « Du constitutionnalisme rédhibitoire au constitutionnalisme libéral. Réflexions sur le
renouveau constitutionnel en Afrique noire francophone », in ONDOA Magloire et ABANE ENGOLO Patrick
Edgard (dir.), L’exception en droit. Mélanges en l’honneur de Joseph OWONA, Paris, L’Harmattan, 2021, pp.
107-128 ; TAMA Jean Nazaire, « Le nouveau constitutionnalisme africain des années 90 entre dextérité et
bégaiement : esquisse de bilan », Revue juridique et politique des Etats francophones (RJPEF), vol. 66, n° 3,
2012, pp. 317-347.

58
la décentralisation matérialisée par la création des collectivités locales dotées d’un certain
nombre de pouvoirs9.
De nos jours, la décentralisation territoriale franchit une nouvelle étape avec la
formalisation par les constituants du principe de la libre administration des collectivités
territoriales10, lequel implique, d’une part, l’autonomie administrative et, d’autre part,
l’autonomie financière. Ce principe à valeur constitutionnelle constitue, de l’avis du Doyen
Louis Favoreu, une garantie de l’autonomie locale dans sa double dimension administrative et
financière11. Le versant administratif de l’autonomie des collectivités territoriales signifie
selon les textes constitutionnels ou législatifs des États, que celles-ci s’administrent par des
organes élus. Ainsi, l’autonomie administrative est le droit reconnu à une collectivité locale
de s’administrer librement, c'est-à-dire par elle-même12. Cette dimension reste capitale dans la
définition de l’autonomie locale13. En effet, l’autonomie administrative confère aux
collectivités locales de véritables pouvoirs administratifs dont le fondement d’exercice
demeure les élections locales. C’est sans doute la raison pour laquelle « il ne doit […] y avoir
de collectivités territoriales sans assemblées élues »14.
Etant entendu que les définitions sont « un élément fondamental dans la construction du
droit »15, il convient, afin de donner une orientation à cette étude, de clarifier les termes
essentiels du sujet. Il s’agit de définir les mots ou expressions « nature », « élections locales »
et « droit électoral local ».
Le terme « nature » est un nom commun féminin, classiquement définie comme « ce
qui caractérise un être, une chose concrète ou abstraite »16. Elle a pour synonyme le mot
« essence ». Selon le Vocabulaire juridique, la nature est « ce qui définit en droit une chose
(fait, acte, institution, etc.) ; sa nature juridique ; ce qui est de son essence, de sa substance,

9
Lire entre autres, ONDOA Magloire, « Le droit public des Etats africains sous ajustement structurel : le cas du
Cameroun », in BEKOLO EBE Bruno, TOUNA MAMA et FOUDA Séraphin Magloire (dir.), Mondialisation,
exclusion et développement africain : Stratégies des acteurs publics et privés, Maisonneuve & Larose, afrédit,
2006, t. 2, pp. 375-424 ; PEKASSA NDAM Gérard Martin, « La consolidation de l’idéologie libérale dans le
domaine des services publics au Cameroun », in ONDOA Magloire et ABANE ENGOLO Patrick Edgard, Les
fondements du droit administratif camerounais, Paris, L’Harmattan, 2016, pp. 163-187.
10
NZE BEKALE Ladislas, Le principe de libre administration à l’épreuve des collectivités territoriales
d’Afrique francophone (Bénin, Burkina Faso, Gabon, Mali, Sénégal), Publibook/Société écrivains, 2016, 242 p ;
NANAKO Cossoba, La libre administration des collectivités territoriales au Bénin et au Niger, Thèse de
Doctorat en droit public, Université d’Abomey-Calavi, 2016, 426 p ; NGONO TSIMI Landry, L’autonomie
administrative et financière des collectivités territoriales décentralisées : l’exemple du Cameroun, Thèse de
doctorat en droit public, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne, 2010, t. 1, 429 p ; BEGNI BAGAGNA
Gaëtan, « Le principe de la libre administration des collectivités territoriales décentralisées au Cameroun :
contribution à l’étude de leur rapport avec l’Etat », Juridis Périodique, avril-mai-juin 2014, pp. 80-90 ;
11
FOVOREU Louis, GAÏA Patrick, GHEVONTIAN Richard, MESTRE Jean-Louis, PFERSMANN Otto,
ROUX André, SCOFFONI Guy, Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 21e éd., 2019, p. 524.
12
MARCOU Gérard, « L’autonomie des collectivités locales en Europe : fondements, formes et limites », in Les
Entretiens de la Caisse des Dépôts sur le développement local, Paris, Éditions de l’Aube/SECPB, 1999, p. 34.
13
KEUFFER Nicolas, « L’autonomie locale, un concept multidimensionnel : comment le définir, comment le
mesurer et comment créer un indice d’autonomie locale comparatif ? », Revue internationale de politique
comparée, vol. 23, n° 4, 2016, pp. 443-490.
14
GUIMDO DONGMO Bernard-Raymond, « La région en droit public camerounais : quel Janus juridique ? »,
Revue de la Recherche Juridique-Droit prospectif (RRJ-Droit prospectif), n° 1, 2022, p. 506.
15
CHEROT Jean-Yves, « Les définitions dans les textes du droit administratif économique », RRJ-Droit
prospectif, n°4, 1986, p. 67.
16
Le Robert, Dictionnaire de français, 2005, p. 285.

59
au regard du droit ; l’ensemble des critères distinctifs qui constituent cette chose en une
notion juridique »17. Le terme « nature » n’est donc pas indissociable du droit. Ainsi parle-t-
on de nature juridique que François TERRÉ présente comme servant à « la systématisation du
droit »18 parce que reposant « sur l’existence de définitions et de classements »19. Dans le
cadre de cette étude, la nature renvoie à l’ensemble des caractères propres et fondamentaux
des élections locales. Par le recours à cette notion, l’identité du droit électoral local comme
celle d’autres disciplines de droit public20 s’affirme.
Pour ce qui est de l’expression « élections locales », elle est composée du nom féminin
« élections » et de l’adjectif qualificatif « locales » qu’il sied de séparer afin de déterminer
leur sens. Etymologiquement, le terme élection provient du verbe latin « eligere » qui signifie
« choisir » et du substantif « electio » qui signifie « choix ». De la sorte, l’élection est le fait
de choisir21, l’action d’élire22 ou encore la désignation de quelqu’un par un vote23 à une
fonction administrative, politique, ou sociale déterminée. Sous cet angle, le mot est employé
au pluriel24. Sur le plan juridique, l’élection par opposition à la nomination est une
« opération par laquelle plusieurs individus ou groupes, formant un collège électoral,
investissent une personne d’un mandat ou d’une fonction par un vote »25. En droit
constitutionnel, l’élection est définie comme le « choix par le citoyens de certains d’entre eux
pour la conduite des affaires publiques »26. Pour certains doctrinaires, à l’instar du Professeur
Christian BIDÉGARAY, l’élection est « un mode de dévolution du pouvoir reposant sur un
choix opéré par l’intermédiaire d’un vote ou d’un suffrage »27. La notion de suffrage contenu
dans cette définition désigne le « vote émis »28. Sous cet angle, le suffrage est synonyme de
vote29. Ainsi, si les élections en droit constitutionnel comprennent les élections présidentielle
et parlementaire, en droit administratif par contre, on cite les élections qui se rapportent aux
assemblées délibératives des collectivités territoriales30.
À propos de de l’adjectif qualificatif « local », il signifie « propre à une région, à un
lieu » . Dans le cadre de cette étude, ce terme « local » s’oppose à « central » ou
31

« national ». Il s’ensuit que tout ce qui est local renvoie aux entités infra étatiques que sont les
collectivités territoriales ou locales. Ainsi compris, qu’est-ce que les élections locales ?

17
CORNU Gérard (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris, Quadrige/PUF, 2011, p. 673.
18
TERRÉ François, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 7e éd., 2006, p. 324.
19
Ibid., p. 325.
20
BIOY Xavier (dir.), L’identité de droit public, Toulouse, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2011,
279 p.
21
Dictionnaire encyclopédique, vol. 8, Grammont, 1983, p. 946.
22
Dictionnaire de l’Académie française, 5ème édition, 1798, p. 1096.
23
Le Robert, Dictionnaire de français, 2005, p. 138
24
Dictionnaire encyclopédique, op.cit., p. 946.
25
CORNU Gérard (dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 388.
26
Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 21e éd., 2014, p. 380.
27
BIDEGARAY Christian, « Election », in DUHAMEL Olivier et MENY Yves (dir.), Dictionnaire
constitutionnel, op.cit., pp. 372-373, p. 372.
28
CORNU Gérard (dir.), Vocabulaire juridique, op.cit., p. 988.
29
Lexique des termes juridiques, op.cit., p. 894.
30
DOUMBE-BILLE Stéphane, « L’élection en droit administratif », Revue de Droit public et de la Science
politique en France et à l’étranger (RDP), 1992, pp. 1065-1102.
31
Dictionnaire encyclopédique, op.cit., vol. 14, p. 1742.

60
Il faut d’emblée souligner que la notion d’élections locales est consacrée par les textes
juridiques sans être explicitement définie. Néanmoins, les élections locales renvoient aux
élections des conseillers municipaux, des conseillers provinciaux ou régionaux, des
conseillers départementaux et des conseillers ruraux selon le cas. En doctrine, le vocable
élections locales désigne « les élections des membres des assemblées délibérantes des
collectivités locales […] »32. Ainsi, comme le soulignent les professeurs Francis HAMON et
Michel TROPER, les élections locales pour ce qui est de la France « ont trait aux assemblées
délibératives des collectivités territoriales : élection des conseillers municipaux au niveau
communal, des conseillers départementaux au niveau départemental et des conseillers
régionaux au niveau régional. Il y a donc actuellement trois sortes d’élections locales qui
correspondent aux trois échelons de l’organisation administrative de droit commun »33.
En réalité, les élections locales sont une institution du droit électoral34 notamment
local35 et non du droit des élections politiques36. Jean-Yves VINCENT et Michelle de
VILLIERS définissent le droit électoral comme : « L’ensemble des règles qui définissent le
pouvoir de suffrage et en aménage l’exercice. C’est donc la branche du droit qui permet de
donner un contenu concret à l’affirmation du principe suivant lequel « la souveraineté
appartient au peuple »37. Monsieur Jean-Claude BASTON et Madame Nicole
CHABANNIER soulignent pour leur part que : « Le droit électoral fixe le cadre dans lequel
s’exerce, au suffrage direct ou indirect, les opérations de désignation des responsables élus
des institutions de la République […] »38.
De ces définitions, le droit électoral est réduit à son aspect substantiel, c'est-à-dire les
élections, rendant ainsi sa définition incomplète39. Aujourd’hui, en plus de l’aspect
substantiel, la définition du droit électoral est complétée par la dimension processuelle. Selon
Monsieur Bernard MALIGNER par exemple, le droit électoral en plus de son aspect
substantiel comprend le droit électoral processuel qui désigne le droit régissant les modalités
de contestations des élections40. Par définition donc, le droit électoral est une branche du droit
public désignant l’ensemble des règles régissant les élections et les modalités de contestation
de celles-ci.

32
BIDEGARAY Christian, « Elections locales », in DUHAMEL Olivier et MENY Yves (dir.), Dictionnaire
constitutionnel, op.cit., pp.381-385, p. 381.
33
HAMON Francis, TROPER Michel, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 35e éd., 2014, p. 469.
34
MALIGNER Bernard, Droit électoral, Paris, Ellipses, coll. Cours magistral, 2007, 1071 p ; MASCLET Jean-
Claude, Droit électoral, Paris, PUF, 1989, 445 p.
35
BASTION Jean-Claude, CHABANNIER Nicole, Le droit des élections locales, Paris, L.G.D.J, 2004, 202 p.
36
MASCLET Jean-Claude, Le droit des élections politiques, Paris, Puf, « Que sais-je ? », 1992, 126 p ;
RAMBAUD Romain, Droit des élections et des référendums politiques, Paris, LGDJ, 1ère éd., 2019, 744 p.
37
VINCENT Jean-Yves et VILLERS De Michelle, Code électoral commenté, Paris, LexisNexis, Litec, 2008, p.
18.
38
BASTON Jean-Claude et CHABANNIER Nicolle, Le droit des élections locales, Paris, LGDJ, coll. Systèmes,
2004, p. 19.
39
PETIT Franck, « Du droit électoral politique au droit électoral professionnel », in BOUTAYEB Chahira (dir.),
La Constitution, l’Europe et le droit : Mélanges en l’honneur de Jean-Claude MASCLET, Paris, Éditions de la
Sorbonne, 2013, pp. 337-360 ; WILLEMEZ Laurent, « Le droit dans l’élection. Avocats et contestations
électorales dans la France de la fin du Second Empire », Genèses, vol. 1, n° 46, mars 2002, pp. 101-121
40
MALIGNER Bernard, Droit électoral, Paris, Ellipses, coll. Cours magistral, 2007, 1071 p.

61
Il apparaît que les élections locales se distinguent des élections nationales ou politiques
que sont les élections présidentielles et parlementaires41 dont le contentieux relève
essentiellement du juge constitutionnel42. Les élections locales sont quant à elles une
composante des élections administratives. Mais, il faut souligner qu’en France, elles ne le
sont plus depuis la décision n°82-146 DC du 18 novembre 1982, dite « Quotas par sexe »,
dans laquelle le Conseil constitutionnel avait jugé que les principes de l’article 6 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) et de l’article 3 de la Constitution
– principe d’égalité du suffrage en particulier – s’appliquaient à tout suffrage politique, y
compris aux élections des conseillers municipaux43.
Dans les États d’Afrique noire francophone, la question n’est pas encore tranchée ni par
le législateur à qui revient le pouvoir de définir le régime électoral44, ni moins par les juges.
La nature des élections locales reste approximative. Il revient donc à la doctrine de dégager
les pistes à travers l’exégèse des textes juridiques pour une meilleure appréhension des
élections locales. Le choix sur les États d’Afrique noire francophone n’est pas anodin. En
effet, en explorant les différents cadres juridiques, il en résulte une disparité des éléments ne
permettant pas de définir de façon précise la nature des élections locales. Dans le cadre de
cette étude, il s’agit des États qui ont un héritage culturel commun : la langue française. L’on
s’appuiera ainsi sur quelques États dans l’espace CEMAC45 comme le Cameroun, le Congo,
le Gabon, la République Centrafricaine, la République démocratique du Congo et le Tchad.
Les États de l’UEMOA46 à l’instar du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Niger,
du Sénégal et du Togo ne sont pas en reste.
Au regard de ce qui précède, l’objectif de cette étude est de déterminer la nature des
élections locales dans les États objet de cette étude. De la sorte, la question centrale de
recherche peut être formulée de manière suivante : qu’est ce qui caractérise la nature des
élections locales dans les États d’Afrique noire francophone ? La question mérite réflexion

41
HAMON Francis, TROPER Michel, Droit constitutionnel, op.cit., p. 469.
42
Le juge administratif connaît exceptionnellement de certains litiges relatifs aux élections politiques. V. en ce
sens, MARKUS Jean-Paul, « Le statut administratif des élections politiques », Revue française de Droit
administratif (RFDA), n°2, 2020, p. 349.
43
FAVOREU Louis, GAÏA Patrick, GHEVONTIAN Richard, MESTRE Jean-Louis, PFERSMANN Otto,
ROUX André, SCOFFONI Guy, Droit constitutionnel, op.cit., p. 525.
44
La compétence exclusive du législateur en matière électorale a été rappelée par la Cour constitutionnelle
béninoise dans sa décision DCC 34-94 du 23 décembre 1994 : « Considérant que le régime électoral, qui se
définit comme l’ensemble des règles juridiques qui déterminent la manière dont il est possible de se porter
candidat à une élection et d’être élu, repose sur des séries d’opérations, à savoir des mesures préparatoires
(date du scrutin et convocation des électeurs, présentation des candidats), la campagne électorale (organisation
et contrôle), le scrutin, (mode, déroulement, dépouillement, proclamation, réclamation ou contentieux) ;
qu'ainsi, selon la Constitution, le régime électoral est une matière remise dans sa totalité au législateur ; que dès
lors, l’Assemblée nationale peut, à volonté, en fixant les règles électorales, descendre aussi loin qu’il lui plaît,
dans le détail de l’organisation du processus électoral, ou laisser au Gouvernement le soin d’en arrêter les
mesures d’application ». Cité par HOLO Guy-Fabrice, « La démocratie électorale en Afrique : état des lieux et
propositions », in AÏVO Frédéric Joël, Du BOIS de GAUDUSSON Jean, DESOUCHES Christine, MAÏLA
Joseph, (dir.), L’amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie. Mélanges en
l’honneur du Président Robert DOSSOU, Paris, L’Harmattan, 2020. 624-625.
45
Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale. Elle est créée en 1994 et comprend le
Cameroun, la République centrafricaine, le République du Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad.
46
Union économique et monétaire Ouest africain. Cette organisation est créée le 10 janvier 1994 et comprend le
Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.

62
afin de déceler le droit applicable aux élections locales dans ces États engagés dans le
processus de communautarisation des droits dont la matière électorale semble ne pas être
prise en compte. Aussi, l’intérêt d’une telle problématique tient au fait que le droit électoral
local semble ne pas bénéficier de la même attention doctrinale que le droit des élections
présidentielles et parlementaires. Bien plus, dans ces États, le principe constitutionnel de la
libre administration des collectivités territoriales a retenu l’attention de la doctrine beaucoup
plus pour ce qui est de son versant financier. L’autonomie administrative de laquelle
découlent les élections locales ne bénéficie pas encore d’un engouement certain de la
doctrine. C’est pourquoi cette étude s’avère une contribution à la systématisation de
l’autonomie administrative à travers l’étude des élections locales.
À l’analyse, la nature des élections locales dans les États d’Afrique noire francophone
se caractérise par son ambivalence. En se basant sur l’exégèse des textes juridiques,
notamment les Codes électoraux en vigueur dans ces États et de de la casuistique, l’on décèle,
d’une part, une nature administrative des élections locales en droit électoral substantiel qui
s’avère uniforme (I) et, d’autre part, une nature ambiguë en droit électoral processuel dans
lequel les élections locales sont tantôt administratives, tantôt politiques (II).

I. L’UNIFORMITÉ EN DROIT ÉLECTORAL SUBSTANTIEL

Dans son manuel de Droit électoral47, Bernard Maligner souligne que le droit électoral
substantiel est cette partie du droit électoral qui comprend l’ensemble des règles qui régissent
les élections. Transposé en droit électoral local, le droit électoral substantiel comprendrait les
règles qui régissent les élections locales. Ces règles s’appliquent aux personnes électorales48,
aux organes en charges du processus électoral ainsi qu’aux opérations électorales. En tout état
de cause, le droit administratif trouverait un terrain de prédilection en droit électoral
substantiel49 à travers l’intervention des autorités administratives pour assurer la police des
élections, l’édiction des actes administratifs, la conduite du processus électoral local. En
outre, les élections locales de par le principe constitutionnel de la libre administration des
collectivités territoriales, ne confèrent pas aux élus locaux le pouvoir de gouverner mais celui
d’administrer. Toute chose qui consolide la thèse de l’administrativité des élections locales.
Au demeurant, le droit public électoral substantiel des États d’Afrique noire
francophone fait des élections locales des élections administratives. Cette administrativité
peut être analysée tant sur le plan de la gestion des élections (A), que de leur finalité (B).

A. L’administrativité de par la gestion des élections locales

L’essence administrative des élections locales en droit électoral des États d’Afrique
noire francophone résulte en premier lieu de leur gestion. De fait, la gestion des élections
locales est essentiellement administrative. Il en découle que les organes de gestion des
47
Paris, Ellipses, Collection cours magistral, 2007, 1071 p.
48
Les personnes électorales sont en droit électoral les électeurs et les candidats.
49
WILLEMEZ Laurent, « Le droit dans l’élection : avocats et contestations électorales dans la France de la fin
du second empire », op.cit., pp. 101-121. Le YONCOURT Tiphaine, « Le contentieux administratif dans
l’histoire du droit électoral local », RDP, n° 6, 2017, pp.1525-1540.

63
élections locales sont des organes administratifs (1) dont la mission est de mettre en œuvre les
opérations électorales, lesquelles sont de nature administrative (2).

1. Les organes administratifs intervenant dans la gestion des élections locales


Afin d’assurer la transparence du processus électoral en général50 et local en particulier,
des organes indépendants ont été mis en place dans les États d’Afrique noire francophone51.
C’est le fruit de l’une des revendications des partis d’opposition et de la société civile dans les
États africains52. C’est ainsi que l’administration des élections locales n’est plus confiée aux
seuls organes administratifs relevant du Ministre de l’intérieur ou de l’administration
territoriale selon les pays53.
Dans bon nombre des États membres de la CEMAC et de l’UEMOA, des Commissions
électorales nationales indépendantes (CENI) chargées de l’organisation, de la gestion et de la
supervision de l’ensemble du processus électoral ont été créées. C’est le cas par exemple de la
République démocratique du Congo et du Tchad en Afrique centrale, du Burkina Faso54, du
Niger55, du Togo56 pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest57. D’autres États par contre vont
créer des organismes indépendants mais en changeant juste de dénomination. C’est
notamment le cas du Cameroun avec Elections Cameroon58 (ELECAM), du Congo
Brazzaville avec la Commission nationale d’organisation des élections59 (CNOE), le Gabon

50
AFO SABI Kasséré, La transparence des élections en droit public africain (à partir des cas béninois,
sénégalais et togolais), Thèse de Doctorat en Droit public, Université Montesquieu – Bordeaux IV et Université
de Lomé, 2013, 538 p.
51
Du BOIS de GAUDUSSON Jean, « Les structures de gestion des opérations électorales : Bilan et perspectives
en 2000 et… dix ans après », in VETTOVAGLIA Jean-Pierre (dir.), Démocratie et élections dans l’espace
francophone, Bruxelles, Bruylant 2010, pp. 259-286.
52
KANE Moustapha, Etude des processus électoraux en Afrique : l’exemple du modèle démocratique du
Sénégal, Thèse de Doctorat en droit public, Université de Perpignan Via Domitia, 2019, p. 237.
53
Sur cette question au Cameroun, v. GATSI Éric-Adol T., « Le Cameroun à la recherche d’un organe fiable de
gestion du processus électoral », RDP, n° 6, novembre-décembre 2014, pp. 1697-1723.
54
Le Code électoral de 2021 crée une CENI de la constitution, la gestion et la conservation du fichier électoral
national ; pour ces opérations, la CENI est assistée à sa demande par l’Administration publique dans les
conditions définies par décret pris en Conseil des ministres ; de l’organisation et la supervision des opérations
électorales et référendaires (art. 2 et 3).
55
Selon le Code électoral, objet de la loi organique n° 2017-64 du 14 août 2017 portant Code électoral du Niger
(JO spécial n° 19 du 14 septembre 2017), modifiée et complétée par la loi n° 2019-38 du 18 juillet 2019 (JO
spécial n°13 du 15 août 2019)Art. 10 (Loi n° 2019-38 du 18 juillet 2019), il est créé une CENI permanente,
indépendante de tout pouvoir, autorité ou organisation et jouissant de la personnalité juridique, de l’autonomie de
gestion, d’organisation et de fonctionnement. Elle est chargée, d’une part du recensement électoral, de
l’élaboration et de la gestion du fichier électoral biométrique, d’autre part de l’organisation, du déroulement et de
la supervision des opérations électorales et référendaires
56
Le Code électoral togolais, objet de la loi n° 2012-002 du 29 mai 2012 crée une CENI permanente chargée
d’organiser et de superviser les consultations électorales et référendaires (art. 3).
57
HOUNKPE Mathias, FALL Ismaila Madior, Les commissions électorales en Afrique de l’Ouest : Analyse
Comparée, Abuja, Friedrich-Ebert-Stiftung, 2e éd., 2011, 202 p.
58
La loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code électoral, modifiée et complétée par la loi n° 2012/017 du 21
décembre 2012 crée en son article 4 ELECAM un organisme indépendant, jouissant de la personnalité juridique
et de l’autonomie de gestion dont les missions sont l’organisation, de la gestion et de la supervision de
l’ensemble du processus électoral et référendaire.
59
En vertu de l’article 17 de la loi du 24 novembre 2001 portant loi électorale en République du Congo, il est
créé une commission nationale d’organisation des élections chargée d’organiser les élections, d’en garantir la
transparence et la régularité.

64
avec la Commission électorale nationale autonome et permanente (CENAP)60, ou encore le
Sénégal avec la Commission électorale nationale autonome (CENA)61. Mais, il reste à
préciser la nature de ces institutions publiques.
D’emblée, il ne s’agit pas d’organes constitutionnels62 indépendants, mais plutôt
d’organes créés par le législateur. Dans la majorité des codes électoraux des États, le
législateur ne s’est pas expressément prononcé sur la nature desdits organismes. Néanmoins,
ils sont indépendants de tout pouvoir : exécutif, législatif et judiciaire63. Bien plus, ils sont
dotés de la personnalité juridique, de l’autonomie de gestion et d’un certain pouvoir
règlementaire64. C’est au regard de ces marqueurs que le législateur électoral togolais a
formalisé la nature administrative de la CENI. De la sorte, selon le prescrit de l’article 4 de la
loi n°2021-35 du 23 juillet 2021, « [l]a CENI est une autorité administrative indépendante.
À ce titre, elle dispose de prérogatives de puissance publique. Elle jouit d’une autonomie
d’organisation et de fonctionnement ».
Au-delà, pour plus d’efficacité dans la gestion du processus électoral, les organes
nationaux de gestions des élections disposent des démembrements au niveau régional,
départemental et communal. Ce sont ces démembrements qui soutiennent les Commissions
nationales dans la gestion des élections locales. À titre illustratif, le Niger compte des
commissions électorales régionales65, des commissions électorales départementales66 et les
commissions électorales communales67. Au Cameroun, chaque région est dotée d’une
Délégation régionale d’ELECAM, d’une Agence départementale dans chaque département et
d’une Antenne communale dans chaque commune. Au Burkina Faso, la CENI comprend au
niveau déconcentré : les commissions électorales provinciales indépendantes (CEPI), les

60
Au Gabon, la loi n° 07/96 du 12 mars 1996 portant dispositions communes à toutes les élections politiques en
République gabonaise modifiée, crée une CENAP qui veille à la bonne organisation matérielle des élections.
61
L’art. 4 de la loi n° 2021-35 du 23 juillet 2021 portant Code électoral crée la CENA chargée du contrôle et de
la supervision des opérations électorales et référendaires. Elle veille, en particulier, à leur bonne organisation
matérielle et apporte les correctifs nécessaires à tout dysfonctionnement constaté.
62
Il faut souligner que la République Centrafricaine (RCA) est une exception. En effet, l’Autorité nationale des
Elections (ANE) est créée par la Constitution. Par conséquent, on peut la qualifier d’organisme constitutionnel.
Selon la Constitution de la République Centrafricaine adoptée par le référendum du 13 décembre 2015 et
promulguée le 30 mars 2016, il est institué une ANE, un organe pérenne, indépendant et autonome compétent en
matière de consultations et élections générales (art. 143 et 144 de la Constitution de la RCA).
63
Il ne s’agit là que d’une indépendance limitée au regard du pouvoir de nomination reconnu au Président de la
République. Au Cameroun par exemple, le Président, le vice-président du Conseil électoral, les membres dudit
conseil, le Directeur général et el Directeur général adjoint d’ELECAM, sont nommés par décret du Président de
la République. Pour une partie de la doctrine, cette filiation au Président de la République constitue déjà un
handicap pour la transparence des élections. DIWOUTA AYISSI Lot Pierre, « De l’incertitude de la
transparence électorale et référendaire au Cameroun : la filiation légitime d’ « Elections Cameroon » au
Président de la République », Revue africaine d’études politiques et stratégiques, n° 6, 2009, pp. 167-191.
64
Ce pouvoir réglementaire ne matérialise à travers l’adoption des règlements intérieurs précisant leur
organisation et leur fonctionnement. Au Cameroun, l’organisation et les modalités de fonctionnement des
démembrements territoriaux sont fixées par le Conseil Electoral, sur proposition du Directeur Général des
Elections. Bien plus, EECAM à travers Conseil électoral et la Direction général, dispose du pouvoir
règlementaire. C’est ainsi que les responsables des démembrements territoriaux au niveau régional sont nommés
par le Conseil Electoral, sur proposition du Directeur Général des Elections. Pour ce qui est des responsables des
démembrements territoriaux au niveau départemental et communal, ils sont nommés par le Directeur Général des
Elections, après approbation du Conseil Electoral (art. 30 du Code électoral).
65
Huit commissions électorales régionales au total.
66
Le Niger compte 36 commissions électorales départementales.
67
Le pays dénombre 266 commissions électorales communales correspondant au 266 communes du pays.

65
commissions électorales communales indépendantes (CECI) et les commissions électorales
indépendantes d’arrondissement (CEIA)68.
Toutefois, il faut souligner que pour la gestion des élections locales, d’autres organes
spécifiques sont mis en place. Dans le contexte camerounais précisément, l’on dénombre
plusieurs commissions au rang desquelles celles chargées des opérations préparatoires aux
élections à savoir la Commission de révision des listes électorales69 et la Commission de
contrôle de l’établissement et de distribution des cartes électorales70, la Commission locale de
vote71, la Commission départementale de supervision72, la Commission communale de
supervision (CCS) pour ce qui est des élections communales73 et la Commission régionale de
supervision (CRS) en ce qui concerne les élections régionales74.
Au total, les organes de gestion des élections locales dans les États d’Afrique noire
francophone sont des organes administratifs mis en place par des autorités administratives. Ce
sont ces organes qui sont chargés d’exécuter les opérations électorales ou des opérations
administratives.

2. Le caractère administratif des opérations électorales locales


Les opérations électorales locales sont essentiellement administratives parce que mises
en œuvre par des organes administratifs en charge des élections locales. Du point de vue
définitionnel, les opérations électorales locales sont celles qui vont de la préparation du
scrutin au scrutin proprement dit75. C’est dire sans ambages que l’élection est loin d’être « un
phénomène instantané »76, car elle renvoie à « une chaîne d’évènements et de procédures qui
s’inscrit dans la durée. Au-delà de l’acte individuel et du droit subjectif, il s’agit d’un
processus décisionnel collectif par lequel une population choisit une personne pour exercer
un mandat public qui nécessite le respect de garanties fondamentales tout au long des
opérations électorales ainsi que de la procédure de contrôle afin de constater et d’en
sanctionner les éventuels manquements »77. Suivant cette acception, les opérations électorales
sont séquencées. À ce titre, elles comprennent les opérations préparatoires aux élections
locales, d’une part et, les opérations électorales proprement dites, d’autre part.
À propos des opérations préparatoires aux élections locales, elles désignent l’ensemble
des opérations qui concourent à l’organisation des élections. En d’autres termes, les
opérations préparatoires aux élections sont antérieures aux élections. Elles sont pour

68
Art. 17 du Code électoral du Burkina Faso.
69
Code électoral du Cameroun, art. 51 et 52.
70
Ibid., art. 53.
71
Ibid., art. 54 à 62.
72
Ibid., art 63 à 67.
73
Ibid., art. 191 à 193.
74
Ibid., art. 235 à 238.
75
De l’avis de Monsieur le Professeur Sylvain NIQUÈGE, « les opérations électorales renvoient à l’acte de
voter dans sa dimension matérielle, concrète. Si elles ne se cantonnent pas au jour du vote (de la préparation de
la salle à la transmission du procès-verbal des opérations électorales), les actes antérieurs à celui-ci ne peuvent
leur être rattachés qu’en tant qu’ils en assurent la préparation ». NIQUÈGE Sylvain, « Droit administratif et
régime juridique des opérations électorales », RDP, n° 06, 2017, p. 1495.
76
LÉCUYER Yannick, Le droit à des élections libres, Bruxelles, Conseil de l’Europe, 2014, p. 102.
77
Ibidem.

66
l’essentiel relatives aux listes électorales78, aux cartes électorales79, à la convocation du corps
électoral, à la déclaration des candidatures et, enfin, à la campagne électorale80.
Parlant des opérations électorales, il s’agit de celles qui sont relatives au scrutin
proprement dit : les opérations de vote81. Elles concernent entre autres, le bureau de vote, le
déroulement du scrutin, le dépouillement du scrutin, la proclamation des résultats et le
contrôle des votes.
Qu’il s’agisse des opérations antérieures ou postérieures aux élections locales, il est
évident que celles-ci sont des opérations exécutées par les commissions électorales. D’autres
opérations sont exécutées par des autorités administratives. C’est le cas par exemple de la
convocation du corps électoral qui s’opère par décret du Président de la République, même si
l’administrativité de cet acte réglementaire n’est pas totalement établie. Au Cameroun par
exemple, le décret portant convocation du corps électoral est un acte de gouvernement entrant
dans l’organisation des élections82. Certes, l’acte est pris par une autorité administrative mais
qui agit comme une « autorité politique »83. En France par exemple, le juge administratif est
compétent pour connaître de la légalité de l’acte portant convocation du corps électoral84.
Faut-il encore appuyer pour dire que l’administrativité des élections locales est
renforcée par l’intervention des autorités administratives pendant la mise en œuvre des
opérations électorales pour assurer le maintien de l’ordre public85. Il s’agit pour ces dernières
d’assurer la police des opérations électorales pour plus de sérénité. Ainsi, il est de la
compétence du Gouverneur, du Préfet ou du Sous-préfet dans le contexte camerounais
d’interdire par arrêté une ou plusieurs réunions considérées comme des cas de menaces
manifestes ou de troubles graves à l’ordre public86. Il est également permis au président du
bureau de vote d’assurer la police sur les lieux de vote87. Le Président de la Commission

78
Il s’agit de l’établissement et de la révision des listes.
79
Les opérations ici sont relatives à l’établissement et à la distribution des cartes.
80
Rambaud R., Le droit des campagnes électorales, Paris, LGDJ, 1ère éd., 2016, 192 p.
81
NIQUÈGE Sylvain, « Droit administratif et régime juridique des opérations électorales », article précité.
82
NANGA EBANGA Yannick, L’acte de convocation du corps électoral en droit camerounais, Mémoire de
DEA, Université de Yaoundé II-Soa, 99 p.
83
ABANE ENGOLO Patrick Edgard, Traité de droit administratif au Cameroun, Paris, L’Harmattan, 2019, p.
82. Dans l’Ordonnance n° 03/OR/CS/PCA/92-93 du 2 octobre 1992, Social Democratic Front (SDF) et Union
des Forces Démocratiques du Cameroun (UFDC) c/ État du Cameroun, le juge administratif déclarait affirmait
que le décret portant convocation du corps électoral est un acte de gouvernement. GATSI Éric-Adol T., « Heurs
et malheurs du contentieux électoral en Afrique : étude comparée du droit électoral processuel africain », Les
Cahiers de droit, vol. 60, n°4, 2019, 937–990. Du même auteur, « Lignes directrices du contentieux
juridictionnel des élections parlementaires au Cameroun : contribution à l’étude d’une justice constitutionnelle
provisoire », Revue française de droit constitutionnel (RFDC), vol. 3, n° 111, 2017, pp. 1-25.
84
CE, 9 février 1983, Esdras, Lebon, p. 48 ; CE, 28 janvier 1994, Spada et autres, Lebon, p. 38. ARRIGHI de
CASANOVA Jacques, « Le juge des actes préparatoires à l’élection », Les Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel, n°41, octobre 2013.
85
Sur la notion d’ordre public, v. GATSI Éric-Adol, « L’ordre public en droit public français et camerounais :
regards croisés sur un labyrinthe juridique », Revue internationale de droit comparé (RIDC), vol. 69, n°4, 2017.
pp. 961-999.
86
Code électoral du Cameroun, art. 94.
87
Code électoral du Burkina Faso, art. 83. Cet article dispose que : « Le président du bureau de vote est
responsable de la police sur les lieux de vote. En concertation avec les membres du bureau de vote, il détermine
les conditions de sécurité, de circulation et de stationnement et prend en outre, toute mesure pour éviter les
encombrements. Il peut requérir les forces de l’ordre. Il peut procéder à des expulsions en cas de trouble de
l’ordre public. Si un délégué est expulsé, il est immédiatement remplacé par un délégué suppléant représentant

67
locale de vote peut également exercer la police des opérations électorales en ce qui concerne
le dépouillement et le recensement des votes. Ces opérations se font dans chaque bureau de
vote immédiatement après la clôture effective du scrutin, en présence des électeurs qui en
manifestent le désir dans la mesure où la salle peut les contenir sans gêne pour le déroulement
des opérations. Cependant, et en vertu de l’article 110 du Code électoral camerounais : « [s]i
les nécessités de l’ordre public l’exigent, le président de la commission locale de vote ferme
l’urne sous le contrôle des membres de la commission locale de vote et des forces du maintien
de l’ordre ».
Comme on peut le constater, les opérations électorales sont soumises au régime de droit
administratif à l’instar de la police administrative qui constitue un autre aspect important de
l’activité matérielle de l’administration88. Sans conteste, la police administrative est au cœur
de la recherche de la sérénité des élections locales. Comme on l’a souligné, cette police
« répond aux éléments de la définition de la police administrative, dès lors qu’elle s’entend
d’un pouvoir en vertu duquel l’autorité qui en est titulaire peut prendre des mesures visant au
maintien de l’ordre public, c’est-à-dire, ici, au bon déroulement des opérations
électorales »89. Mais, dans un État de droit, la police administrative des élections locales
présente des limites. Son exercice est subordonné au respect de la règlementation. C’est ainsi
que des contrôles sont consacrés pour s’assurer du respect des lois et règlements par des
organes de gestion des élections locales90.
Outre l’administrativité des élections locales par les organes qui en assurent la gestion,
elle résulte aussi de la finalité même des élections locales.

B. L’administrativité de par la finalité des élections locales

La nature administrative des élections locales peut aussi découler de leur finalité.
Comme il a été indiqué en amont, les élections locales permettent à la communauté d’élire les
autorités chargées de la gestion des affaires locales. C’est tout dire qu’elles visent, d’un côté,
de choisir les autorités chargées d’administrer les collectivités territoriales (1) et, de l’autre
côté, elles confèrent aux collectivités locales l’autonomie administrative (2).

1. Elections locales et administration des collectivités territoriales


Dans un État unitaire décentralisé, l’élection de l’exécutif local confère-t-elle aux élus le
pouvoir de gouverner ou celui d’administrer ? Il faut au préalable s’accorder sur le sens même
de ces vocables.

le même candidat ou la même liste et désigné dans les conditions fixées à l’article 77. Mention de l’expulsion et
du motif en est faite au procès-verbal ».
88
Comme le souligne le Doyen HAURIOU, la police administrative est « la police de l’ordre public ». Elle « a
pour but de maintenir l’ordre public, en préservant les troubles possibles par une sage règlementation et en
réprimant les troubles qui se produisent par la coercition, c'est-à-dire par un emploi direct de la force
publique ». HAURIOU Maurice, Précis de droit administratif et de droit public, Paris, Recueil Sirey, 8e éd.,
1914, p. 517.
89
NIQUÈGE Sylvain, « Droit administratif et régime juridique des opérations électorales », article précité.
90
GATSI Éric-Adol T., « Le contrôle juridictionnel des mesures de police en droit administratif camerounais »,
Les Annales de droit, n° 13, 2019, pp. 89-120.

68
Unio, le « pouvoir de gouverner » en droit constitutionnel est synonyme de pouvoir
politique91 exercé par le gouvernement. C’est suivant cette conception que certains auteurs
considèrent le pouvoir politique et le Gouvernement comme des synonymes92. Ainsi, retient-
on la définition selon laquelle gouverner c’est « exercer un pouvoir politique […] sur un État,
un peuple »93. Dans les États unitaires décentralisés à l’instar des États africains au Sud du
Sahara, le pouvoir politique est exercé par le pouvoir central, c’est-à-dire le pouvoir exécutif94
qu’incarnent le Président de la République et le Gouvernement95.
Deusio, le « pouvoir d’administrer » quant à lui relèverait du droit administratif. Il
s’agit du pouvoir de « gérer, [d’] avoir en charge la gestion d’une commune, d’une société,
d’un patrimoine »96. On voit bien dans cette définition que le mot « administrer »
s’accommode avec l’administration locale pour s’opposer à l’administration centrale. Ainsi, le
pouvoir administratif est partagé entre le centre et la périphérie. Au niveau central, il est
exercé par le gouvernement. Toute chose qui atteste que le gouvernement exerce un double
pouvoir : le pouvoir politique et le pouvoir administratif97. Mais, bien que mis en œuvre par
un même organe au niveau central, gouverner et administrer ne font pas double emploi. Selon
la formule du Doyen Maurice Hauriou, « gouverner, c’est solutionner les affaires
exceptionnelles et veiller aux grands intérêts nationaux ; administrer, c’est faire les affaires
courantes du public »98. L’on peut donc conclure avec le Professeur Pierre Serrand que :
« [l]e pouvoir politique est la tête, l’administration est le bras. C’est ainsi que chaque

91
Le Professeur Bernard CHANTEBOUT définit le pouvoir politique comme « le pouvoir d’organiser la
société en fonction des fins qu’on lui suppose ». CHANTEBOUT Bernard, Droit constitutionnel, Paris, Sirey,
26e éd., 2009, p. 9.
92
VIVIEN Auguste, Études administratives, Paris, Guillaumin, 3e éd., 1859, t. I, pp. 30 et 31 ; BATBIE
Anselme , Traité théorique et pratique de droit public et administratif, Paris, Cotillon, 1861-1868, t. I, pp. 281 et
282, cité par SERRAND Pierre, « Administrer et gouverner. Histoire d’une distinction », Jus Politicum-Revue
internationale de droit politique, n° 4, 2010, p. 10.
93
Dictionnaire encyclopédique, op.cit., 1984, p. 1318.
94
MALIBEAU Albert, « Gouvernement local », in DUHAMEL Olivier et MENY Yves, Dictionnaire
constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 463.
95
DIOP Ibrahima, L’exécutif dualiste dans les Etats d’Afrique noire francophone : Etude de la problématique du
partage du pouvoir exécutif, Thèse de doctorat en droit public, Clermont-Ferrand 1, 1998, 504 p ; FALL Ismaila
Madior, Le pouvoir exécutif dans le constitutionnalisme des États d’Afrique, Paris, L’Harmattan, 2008, 310 p ;
MOMO Claude et GATSI Éric-Adol T., « L’exécutif dualiste dans les régimes politiques des États d’Afrique
noire francophone », Les Annales de droit, n° 14, 2020, pp. 123-166.
96
CORNU Gérard (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, Puf, 2011, p. 35, « administrer » ; V. dans le même sens,
Dictionnaire encyclopédique, op.cit., vol. 1, p. 33.
97
Selon René CAPITANT : « S’il y a, d’une part, des actes administratifs et, d’autre part, des actes de
gouvernement, c’est bien que le pouvoir exécutif est double : d’une part, il comporte le pouvoir de faire des
actes administratifs (c’est ce que nous appelons le pouvoir administratif) et d’autre part le pouvoir de faire des
actes de gouvernement (c’est ce que nous appelons le pouvoir gouvernemental) ». CAPITANT René, Cours de
principes de droit public, Paris, Les cours de droit, 1955-1956, pp. 17 et 18, cité par SERRAND Pierre, «
Administrer et gouverner. Histoire d’une distinction », Jus Politicum-Revue internationale de droit politique, n°
4, 2010, pp. 4 et 5.
Maurice HAURIOU pour sa part souligne que : « La fonction gouvernementale se caractérise par son but, qui
est de veiller au salut de l’État. Administrer, c’est assurer la marche des services publics régulièrement
organisés, y compris les services de la police. Il y a, entre le gouvernement et l’administration, la différence de
ce qui est nouveau, imprévu, accidentel, avec ce qui est déjà vu, prévu et habituel. Les services administratifs
parent aux besoins habituels du pays, le gouvernement aux besoins accidentels ; l’administration représente la
routine de la conduite, le gouvernement, les grandes affaires exceptionnelles ». HAURIOU Maurice, Principes
de droit public, Paris, Sirey, 2e éd., 1916, p. 716.
98
HAURIOU Maurice, Précis de droit administratif, Paris, Sirey, 8e éd., 1914, p. 15.

69
gouvernement se sert de l’administration pour faire prévaloir son système et donner aux
services publics l’impulsion conforme à ses vues [...] Le pouvoir politique trace la voie et
l’administration l’y suit »99.
Vu ces considérations, les élus locaux ne gouvernent pas, ils administrent. Le Maire qui
est le chef de l’exécutif exerce un pouvoir administratif, des fonctions administrations à
l’instar du mariage et de l’état civil100. Comme le souligne Hugues PORTELLI, « [l]es
pouvoirs propres du maire en tant qu’exécutif communal concernent tout d’abord sa maîtrise
de l’administration communale dont il est le chef et l’intégralité des pouvoirs qui y sont liés
(nomination, avancement, pouvoirs hiérarchique et disciplinaire) »101. Ces pouvoirs
administratifs comprennent également la délivrance des documents d’urbanisme à l’instar des
permis de bâtir et de démolir, les autorisations d’occupation des sols102. Le Chef de l’exécutif
de la collectivité territoriale a en charge l’ordre public communal. Il est à cet effet chargé de
la police municipale dont le but est d’assurer la sureté, la sécurité, la salubrité et la tranquillité
publique au niveau local103. La conséquence de ces pouvoirs administratifs est la soumission
des exécutifs élus aux règles du droit administratif104.
On comprend dès lors que le Maire n’est pas élu pour exercer des fonctions politiques.
Cela est d’autant vrai dans les États d’Afrique noire francophone dont on sait que le régime

99
SERRAND Pierre, « Administrer et gouverner. Histoire d’une distinction », op.cit., p. 10.
100
PORTELLI Hugues, « Les fondements administratifs d’un pouvoir politique », Pouvoirs, n° 148, 2014, p. 5.
101
Ibid., p. 8.
102
Au Cameroun, cf. art. 206 (1) du Code général des Collectivités territoriales décentralisées.
103
Le Code général des collectivités territoriales au Burkina Faso, objet de la loi n°055‐2004/AN du 21
décembre 2004 éclaire sur l’ordre public communal. L’art. 260 dispose que « Le maire est chargé de la police
municipale ayant pour but d’assurer la sûreté, la sécurité, la salubrité et la tranquillité ». L’art. 261 indique
pour sa part que « La fonction de police municipale du maire comprend :
1. la protection du domaine et des lieux publics, les mesures de police administrative visant à assurer la
commodité de la circulation, la protection des aliénés, l’occupation régulière du domaine public, l’exercice de
la profession de marchand fixe ou ambulant ;
2. la protection des personnes et de leurs biens ;
3. les mesures visant à assurer la salubrité et l’hygiène publiques et qui concernent les opérations funéraires, le
contrôle sanitaire des établissements recevant du public, la lutte contre les fléaux, les calamités et les produits
incommodes ou dangereux pour la santé publique ;
4. les mesures visant à assurer le droit à la tranquillité et au repos et qui concernent les mesures contre les
bruits, les tapages, les indécences ;
5. l’application des mesures prises en matière de divagation des animaux ». L’art. 262 fait connaitre que « Le
maire assure la police des routes à l’intérieur du territoire communal, dans les limites des règlements en matière
de circulation routière. A cet effet, il délivre :
• les permis de stationnement ou de dépôt temporaire sur la voie publique et autres lieux publics, sous réserve
que cette mesure ne gêne pas la circulation ;
•les autorisations d’alignements individuels et de construire et les autres permissions de voirie à titre précaire
et essentiellement révocables, ayant pour objet notamment l’établissement dans le sol de la voie publique de
canalisations destinées au passage ou à la conduite d’eau, d’électricité, de gaz, du téléphone ».
Au Niger, v. sur la police du Maire, les art. 81 et s. de l’Ordonnance n° 2010-54 du 17 septembre 2010 portant
Code Général des Collectivités Territoriales de la République du Niger.
104
Comme le souligne Hugues PORTELLI, « [l’] une des principales raisons du pouvoir indiscuté du maire au
sein des instances communales tient tout simplement à la nature de la commune : celle-ci […] est une institution
administrative et non politique, comme toutes les collectivités territoriales. Ces dernières ont en charge
l’administration territoriale de la République dans leur double nature de circonscription administrative de
l’État et de collectivité décentralisée. Le droit qui les régit est le droit administratif et les organes qui les
composent doivent respecter les principes du droit administratif ». PORTELLI Hugues, « Les fondements
administratifs d’un pouvoir politique », op.cit., p. 7.

70
politique se caractérise par la consolidation du pouvoir central et la réduction considérable des
pouvoirs locaux105. Les constituants africains ont contribué à cet état de chose en consacrant
le caractère un et indivisible des États106. Ce qui a pour conséquence la négation en Afrique
noire francophone de ce qu’on qualifie dans les pays anglo-saxons de local government. Bien
plus, l’absence d’un réel pouvoir règlementaire que se réserve l’État central107 comme c’est
aussi le cas en France108, limite les marges de manouvres des collectivités territoriales.
Quoi qu’il en soit, les élections locales, contrairement aux élections nationales, ne
confèrent pas aux élus locaux des pouvoirs importants. Ceux-ci n’exercent que des pouvoirs
dérivés des pouvoirs originaires par le biais du mécanisme d’attribution de compétences109.
C’est parce que les États africains veulent préserver leur caractère unitaire que les élections
locales ne confèrent aux collectivités territoriales qu’une relative autonomie administrative.

2. Elections locales et autonomie administrative des collectivités territoriales


Les élections locales ne confèrent aux collectivités territoriales qu’une relative
autonomie administrative en vertu du principe constitutionnel de libre administration dans les
États d’Afrique subsaharienne francophone. Au Bénin, au Burkina Faso, au Niger, au Sénégal
voire au Tchad, on peut lire dans leurs différentes Constitutions que, « la loi détermine les
principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs
compétences et de leurs ressources »110. Le Cameroun pour sa part n’a pas emprunté la voix
du mimétisme. Pour preuve, le constituant camerounais n’emploie pas expressément
l’expression « libre administration des collectivités territoriales ». C’est à travers l’article 55
(2) que le principe est formalisé. Il en ressort que « les collectivités territoriales
décentralisées sont des personnes morales de droit public. Elles jouissent de l’autonomie
administrative et financière pour la gestion des intérêts régionaux et locaux. Elles
s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions fixées par la loi ».
Selon le Professeur François LUCHAIRE, le principe de la libre administration des
collectivités territoriales exige que : « Les collectivités territoriales soient administrées par
des assemblées délibérantes élues […] par les citoyens de la même manière selon les
catégories de collectivités territoriales […] disposant de compétences effectives et de

105
FALL Ismaila Madior, « La construction des régimes politiques en Afrique : insuccès et succès », Afrilex,
Revue d’étude et de recherche sur le droit et l’administration dans les pays d’Afrique, 2007, pp. 1-37 ; KAZADI
MPIANA Joseph, « Les régimes politiques africains et la nécessité de l’aggiornamento des critères de
classification », RIDC, vol. 70, n°3, 2018, pp. 543-573.
106
Constitution du Cameroun, art. 1er al.2 ; Constitution du Gabon, art. 2 ; Constitution du Tchad de 2018, art.
er
1 ; Constitution du Niger de la VIIè République, art. 3 ;
107
MONEMBOU Cyrille, « Le pouvoir règlementaire des collectivités locales dans les états d’Afrique noire
francophone (les cas du Cameroun, du Gabon et du Sénégal) », Revue CAMES/SJP, n°002/2015, pp. 79-111.
108
FAURE Bertrand, Le pouvoir réglementaire des collectivités locales, Paris, LGDJ, 1998, 329 p ; CHAVIER
Géraldine, Le pouvoir normatif local : enjeux et débats, Paris, LGDJ, 2011, 182 p ; MAGNON Xavier, « Le
pouvoir règlementaire des collectivités territoriales : nouveau bilan après la décision du Conseil constitutionnel
du 17 janvier 2002 sur le statut de la Corse », RRJ-Droit prospectif, n°4, 2003, pp. 2757-2786.
109
ALIYOU Sali, Le transfert de compétences aux collectivités territoriales décentralisées au Cameroun,
op.cit., p. 389.
110
Art. 98 de la Constitution du Bénin du 11 décembre 1990 ; art. 101 de la Constitution du Burkina Faso de
1991 modifiée ; art. 67 de la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 modifiée ; art. 127 de la Constitution du
Tchad du 04 mai 2018.

71
ressources qu’elles peuvent utiliser sans contraintes excessives de la part de l’Etat »111. C’est
dire que ce principe comprend une double composante : l’autonomie administrative et
l’autonomie financière.
Pour ce qui est particulièrement de l’autonomie administrative qui constitue l’épine
dorsale de ce travail, elle suggère que les collectivités territoriales soient librement
administrées par des conseils élus. Il s’agit là d’une règle constitutionnelle que l’on retrouve
dans les Constitutions des États112 et confirmé par les différents Codes des collectivités
territoriales113adoptés. C’est dire que les assemblées élues tiennent leur pouvoir du suffrage
universel114 direct ou indirect. Le choix de l’élection comme mode d’expression du suffrage
permet ainsi aux populations locales de participer à la désignation de leur représentant115 et
constitue une garantie de l’indépendance des organes locaux par rapport au pouvoir central116.
C’est dans ce sens que la décentralisation constitue un facteur de promotion de la démocratie
locale117. Ainsi, serait donc contraire à la Constitution et aux idéaux démocratiques la
nomination des membres des assemblées des collectivités territoriales.
À tout considérer, ce sont les élections locales qui confèrent l’autonomie administrative
aux collectivités territoriales. Comme on l’a précisé, « en exigeant que les collectivités
territoriales soient administrées par des « conseils élus », la loi fondamentale a entendu
donner une dimension « institutionnelle » qui légitime une certaine marge d’autonomie pour
ces entités. Cette exigence induit que la libre administration est indissociable de l’existence
d’organes propres »118.
De ce qui précède, c’est indéniable que les élections locales sont au cœur de
l’autonomie administrative des collectivités territoriales décentralisées. Comme a pris soin de
le souligner le Professeur Michel VERPEAUX, « sans l’élection des organes, les collectivités

111
LUCHAIRE François, « Libre administration des collectivités territoriales », in DUHAMEL Olivier et
MENY Yves (dir.), Dictionnaire constitutionnel, op.cit., pp. 591-592.
112
Art. 151 de la Constitution du Bénin ; art. 164 (2) de la Constitution du Niger ; art. 204 de la Constitution du
Tchad ; art. 55 (2) de la Constitution du Cameroun.
113
Code général des Collectivités territoriales de la république du Niger, objet de l’ordonnance n° 2010/54 du 17
septembre 2010 ; Cameroun, loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités
territoriales décentralisées (art. 6).
114
Sur le suffrage universel, on consultera avec intérêt d’importantes études historiques de : DUVEGIER de
HAURANNE Ernest, « La démocratie et le droit de suffrage : le suffrage universel », Revue des deux mondes,
1868, vol. 74, n° 4, pp. 785-821 ; FOUILLÉE Alfred, « La philosophie du suffrage universel », Revue des deux
mondes, vol. 65, n°1, septembre 1884, pp. 103-129 ; PRELOT Pierre-Henri, « Le suffrage universel dans la
République : les débats parlementaires 1871-1875 », Revue française d’Histoire des Idées politiques, vol. 2, n°
38, pp. 305-328.
115
Comme le souligne le Professeur Denis BARANGER, « [a]vec l’élection, la démocratie représentative met
en relation le « peuple » des citoyens dotés du pouvoir de suffrage et leurs représentants élus ». BARANGER
Denis, Le droit constitutionnel, Paris, Puf, coll. Que sais-je ?, 128 p.
116
GUIMDO DONGMO Bernard-Raymond, « La région en droit public camerounais : quel Janus juridique ? »,
op.cit., p. 506.
117
ROJE TADJIE, « Décentralisation territoriale et démocratie locale au Cameroun », Juridis Périodique, n°
126, avril-mai-juin 2021, pp. 100-111 ; NGAFFO Nadine, « Décentralisation et démocratie dans le code général
des collectivités territoriales décentralisées », Revue Africaine et Malgache de Recherches Scientifiques –
Semestrielle de publication en sciences juridiques et politiques de la conférence des Recteurs des universités
francophones d’Afrique et de l’Océan Indien, n° 1, Janvier 2022, pp. 1-34.
118
HAMADOU Abdoulaye, « Le principe de la libre administration des collectivités territoriales au Niger »,
Annales africaines – Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop
de Dakar, Janvier 2020, n° Spécial, p. 385.

72
territoriales paraitraient moins autonomes par rapport à l’État »119. Mais, l’autonomie
administrative découlant de l’élection des membres des assemblées des collectivités
territoriales n’est pas absolue120, car les organes élus exercent leur pouvoir administratif sous
le contrôle de l’État121. Si ce contrôle s’étend à toutes les entités publiques122, force est de
constater qu’il s’avère plus prégnant sur les collectivités territoriales afin de préserver le
caractère un et indivisible des États. L’objectif de ce contrôle est en effet d’harmoniser les
actions des collectivités territoriales avec celles de l’État. Mais, plus souvent, il s’agit de
placer les collectivités territoriales sous la dépendance de l’État.
Il ressort de ce qui précède que les élections locales en Afrique noire francophone sont
des élections administratives. Cela est perceptible à travers la gestion du processus électoral
local et la finalité même des élections locales. C’est l’analyse des règles du droit électoral
substantiel qui permet de rendre compte de cette administrativité qui reste uniforme dans les
États d’Afrique noire francophone. Cependant, en droit électoral processuel, les éléments en
présence ne permettent pas de déceler la nature exacte des élections locales.

II. L’AMBIGÜITÉ EN DROIT ÉLECTORAL PROCESSUEL

Le droit électoral processuel s’intéresse aux règles relatives à la contestation des


élections en cas d’irrégularités : c’est le contentieux électoral. Il est défini comme «
l’ensemble des contestations ou de litiges liés à l’organisation, au déroulement, et aux
résultats des élections, ainsi que de l’ensemble des règles régissant la solution de ces litiges
par le juge »123. Pour le Professeur Francis DELPERÉE, le contentieux électoral comprend
deux branches : d’une part, le contentieux qui se développe « en amont de l’élection »124 et,
d’autre part, le contentieux postélectoral qui lui, rebondit « dès après l’élection »125. On peut
également transposer cette typologie en droit électoral local processuel.
Il faut souligner que les contestations relatives aux élections locales dans les États
d’Afrique noire francophone sont gérées aussi bien par les autorités administratives que les
autorités juridictionnelles. Si l’analyse se limitait au règlement du contentieux des élections
locales par les premières, on aboutirait à la conclusion selon laquelle sous le prisme du droit
électoral processuel, les élections locales sont des élections administratives. Mais, devant le
juge, la solution est complexe en raison de l’existence de plusieurs juges du contentieux des
élections locales : le juge constitutionnel, administratif et judiciaire. Ces juges œuvrent dans
la construction d’un Etat de droit en Afrique126. Mais, à l’analyse, le juge administratif occupe
une place importante (A) au contraire des juges constitutionnel et judiciaire (B).

119
VERPAUX Michel, Les collectivités territoriales en France, Paris, Dalloz, 3e éd., 2006, p. 59.
120
MÉDÉ Nicaise, « L’autonomie retenue : étude sur le principe de la libre administration des collectivités
territoriales en Afrique de l’Ouest francophone », RJPEF, vol. 62, n° 2, pp. 188-208.
121
GICQUEL Jean, Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 2008, p. 68.
122
BRETON Jean-Marie, Le contrôle d’Etat sur le continent africain (contribution à une théorie des contrôles
administratifs et financiers dans les pays en voie de développement), Paris, LGDJ, NEA, 1978, 532 p.
123
KAMTO Maurice, « Le contentieux électoral au Cameroun », Lex lata, n° 20, novembre 1995, p. 3.
124
DELPERÉE Francis, Le contentieux électoral, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1998, p. 8.
125
Ibid., p. 9.
126
MBODJ El Hadj, « Le juge : un déterminant du processus électoral en Afrique», in MELIN-
SOUCRAMANIEN Ferdinand (dir.), Espaces du service public, Mélanges en l’honneur de Jean du BOIS de

73
A. La prégnance du juge administratif en matière de contentieux des élections
locales

Parce que les élections locales sont gérées par les organes administratifs, il est normal
que les opérations qu’ils exécutent soient soumises au contrôle du juge administratif. Il faut
dire que les élections locales ont été appréhendées dans l’histoire du droit administratif du
procès comme des élections administratives justifiant la compétence du juge administratif127.
De nombreux États se sont alignés sur cette règle. C’est sans doute ce qui justifie le fait que le
juge administratif soit le juge de principe de la régularité des élections locales (1) dont les
domaines peuvent être aussi clairement identifiés (2).

1. Le juge administratif comme juge de principe de la régularité des élections


locales
Le caractère non politique des fonctions des élus locaux a fait en sorte que de nombreux
États confient le règlement du contentieux des élections locales au juge administratif. Le
Professeur Michel VERPEAUX ne dit pas autre chose lorsqu’il souligne que, « la compétence
de l’ordre juridictionnel administratif pour les élections s’expliquait par le caractère
administratif des fonctions exercées »128.
Dans l’ensemble, le juge administratif est le juge de principe du contentieux des
élections locales129. Au Cameroun, il a toujours été érigé par le législateur en juge de la
régularité des élections locales. Avant l’avènement des tribunaux administratifs au niveau des
régions, cette compétence était exercée par la Chambre administrative de la Cour suprême130.
De nos jours, la compétence du juge administratif est formalisée à travers la loi n°2006/022
du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs.
Pour s’en convaincre, selon le prescrit de l’article 2 (2) de ladite loi : « (2) Les Tribunaux
Administratifs connaissent en premier ressort, du contentieux des élections régionales et
municipales […] ». La Constitution quant à elle fait de la Chambre administrative de la Cour
suprême, le juge d’appel du contentieux des élections régionales et municipales131. Le
législateur s’est conformé à cette exigence constitutionnelle. Ainsi, l’article 114 de la loi n°
2006/022 indique que les décisions rendues en premier ressort en matière électorale sont
susceptibles d’appel devant la Chambre administrative dans les délais prévus par le texte

GAUDUSSON, Tome 1, Presses universitaires de Bordeaux, 2013, pp.421-453. Cf. aussi, CONAC Gérard, « Le
juge et la construction de l’Etat de droit en Afrique », in Mélanges en l’honneur de Guy BRAIBANT, L’Etat de
droit, Paris, Dalloz, 1996, pp. 105-119.
127
Le YONCOURT Tiphaine, « Le contentieux administratif dans l’histoire du droit électoral local », op.cit., p.
1527.
128
Cité par MENGUY Brigitte, « Le juge administratif et les élections municipales », in La Gazette des
Communes, disponible sur www.lagazettedescommunes.com, consulté le 04/08/2022.
129
YOUGBARE Wendyam, Le juge administratif et le contentieux des élections politiques en Afrique noire
francophone : étude comparative entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, Thèse de Doctorat en droit public,
Aix-Marseille, 2021, (Résumé).
130
OLINGA Alain Didier, « Contentieux électoral et État de droit au Cameroun », Juridis périodique, n°41,
janvier-février-mars2000, pp. 35-52.
131
Art. 40 de la Constitution du Cameroun.

74
fixant la procédure devant elle132. Cette compétence du juge administratif camerounais est
réitérée par le Code électoral133.
En Côte d’Ivoire, le contentieux des élections locales relève du juge administratif134.
Pour ce qui est des élections des conseillers régionaux, l’article 127 du Code électoral, objet
de la loi n° 2000-514 du 1er août 2000, dispose à cet effet que : « [l]e contentieux des élections
aux Conseils régionaux relève de la compétence du Conseil d’Etat ». En sus, le contentieux
des élections des conseillers municipaux relève également du juge administratif135 et plus
précisément du Conseil d’État en vertu de l’article 156 du Code électoral. Il en est également
de celui de l’élection des conseillers ruraux136. Il s’avère ici que le Conseil d’État dispose des
compétences larges, car il est juge de premier et de dernier ressort dans le règlement des
contestations relatives aux élections locales. Ici, lorsque le juge n’est pas saisi directement par
l’électeur ou le candidat, c’est la Commission chargée des élections de le faire137.
Au Burkina Faso, le contentieux des élections locales relève du juge administratif pour
ce qui est des élections régionales et des élections municipales138. En République
démocratique du Congo également, c’est le juge administratif qui est compétent. En
substance, l’article 74 de la loi modifiant et complétant la loi n°06/006 du 09 mars 2006
portant organisation des élections présidentielles, législatives, provinciales, urbaines,
municipales et locales, précise que les juridictions compétentes pour connaître du contentieux
des élections sont : la Cour administrative d’appel pour les élections provinciales et le
Tribunal administratif, pour les élections urbaines communales et locales. Il s’agit là des
compétences qui doivent être mises en œuvre exclusivement par les juridictions
administratives. Il faut souligner que ces juridictions ne sont pas encore effectives. Dans
l’attente de leur mise en place, leurs compétences sont exercées par les juridictions de l’ordre
judiciaire139.
Comme on peut le constater, de nombreux États d’Afrique noire francophone ont confié
la gestion du contentieux des élections locales au juge administratif dans sa globalité faisant
de lui le juge principal des élections locales. D’autres par contre, ne le font qu’en partie. C’est
le cas du Niger où, le Conseil d’État n’est compétent que pour connaître du recours pour
excès de pouvoir en matière électorale140.

132
C’est la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour suprême
qui fixe la procédure à suivre devant la Chambre administrative (art. 72 à 112).
133
V. notamment les articles 176, 178, 189, 190, 194, 255, 259, 260 et 267.
134
AMBEU AKOUA Viviane Patricia, La fonction administrative contentieuse en Côte d’Ivoire, Thèse de
doctorat en Droit public, Université Jean Moulin Lyon 3, 2011, p. 142.
135
KOUROUMA Mamadi, « Le contentieux électoral municipal en Côte d’Ivoire », Penant – Revue de droit des
pays d’Afrique, 1984, vol. 94, pp. 290-306.
136
Art. 186 du Code électoral ivoirien.
137
Art. 129, 158 et 188 du Code électoral ivoirien.
138
Art. 232, 260 et 261 du Code électoral burkinabè.
139
BUSANE Wenceslas Ruhana Mirindi, « La juridiction administrative congolaise dans la loi organique
n°16/027 du 15 octobre 2016 : architecture, atouts et points d’interrogation », disponible sur https://hal.archives-
ouvertes.fr , consulté le 04/08/2022.
140
Art. 120 de la loi organique n° 2017-64 du 14 août 2017 portant Code électoral du Niger (JO spécial n°
19 du 14 septembre 2017), modifiée et complétée par la loi n° 2019-38 du 18 juillet 2019 (JO spécial n°13 du 15
août 2019).

75
En tout état de cause, la compétence du juge administratif ne souffre d’aucun doute.
Elle est bel et bien formalisée. Les domaines de son intervention sont la preuve de la place
importante qu’il occupe dans le contentieux des élections locales.

2. Le champ compétentiel du juge administratif en matière de contentieux


électoral local
La détermination du champ compétentiel du juge de principe de la régularité des
élections locales est tributaire de la réponse à la question suivante : quel est l’objet de ce
contentieux ? En effet, il porte sur l’ensemble des opérations électorales. Tel est le sens de
L’article 104 de la loi du 24 novembre 2001 portant loi électorale en République du Congo
qui précise en ce sens que : « [l]e contentieux des opérations électorales porte sur les actes
préparatoires et les opérations de vote ». Il s’ensuit que les domaines de compétence du juge
administratif comprennent, d’une part, le contentieux des opérations préparatoires aux
élections et, d’autre part, le contentieux des opérations postélectorales.
Relativement aux opérations préparatoires aux élections, il s’agit pour le juge
administratif de s’assurer de la régularité des opérations y relatives que sont : l’établissement
et l’affichage des listes électorales, la révision des listes électorales, l’établissement et la
distribution des cartes d’électeurs, l’établissement des bulletins de vote, la campagne
électorale, la distribution du matériel électoral141 et les candidatures. Au Cameroun, l’on
distingue le contentieux de l’électorat qui a trait à la contestation sur la régularité de
l’inscription sur les listes électorales, l’établissement ou la distribution des cartes électorales,
le contentieux de l’éligibilité, de la candidature et, enfin, le contentieux de la campagne
électorale. À l’exception du contentieux de l’électorat qui est réglé par les organes non
juridictionnels142, les autres contentieux sont de la compétence du juge administratif.
En Côte d’Ivoire, le juge administratif connaît de la contestation des inscriptions sur les
listes électorales et du contentieux de l’éligibilité143. Il connaît également du contentieux des
listes de candidats. À cet effet, toute liste dont la composition du dossier n’est pas conforme à
la loi électorale est rejetée par la Commission chargée des élections. Dans ce cas, « le Conseil
d’Etat peut être saisi par le candidat, le parti ou groupement politique ayant parrainé la liste
dans un délai de trois jours à compter de la date de notification de la décision de rejet du
dossier »144.

141
Au Cameroun, la possession de plusieurs cartes par un électeur constitue une irrégularité résultat de la
distribution des cartes électorales. CS/CA, jugement n° 122/06-07/CE du 29 août 2007, affaire DJIDA Bouba
c/État du Cameroun ; CS/CA, jugement n° 141/06-07/CE du 29 août 2007, affaire NKOTTI François c/État du
Cameroun, etc.
142
Le contentieux de l’établissement de liste relève des organes non juridictionnels. L’article 73 (4) du Code
électoral dispose : « Tout refus d’inscrire un électeur doit être motivé et notifié à l’intéressé. Ce refus peut faire
l’objet de réclamation ou de contestation devant la commission départementale de supervision ou le Conseil
Electoral, suivant le cas ». Le contentieux de la révision des listes électorales relève aussi d’un organe non
juridictionnel. L’article 78 (3) dispose à cet effet que : « Dès la publication des listes électorales provisoires,
tout parti politique, tout électeur peut saisir la commission de révision ou, le cas échéant, la commission
départementale de supervision des irrégularités ou omissions constatées ».
143
Code électoral ivoirien, art. 128 pour ce qui est des élections des conseillers régionaux ; art. 157 pour ce qui
est des élections des conseillers municipaux et 187 s’agissant des élections des conseillers ruraux.
144
Ibid., art. 121.

76
En République démocratique du Congo, le juge connaît, dans le cadre des opérations
des actes préparatoires, du contentieux de la déclaration de candidature145. Le juge
administratif burkinabè ne connaît quant à lui que du contentieux de l’éligibilité146.
En second lieu, sur les opérations de vote ou opérations postélectorales, le contentieux
ici a trait à la régularité des élections locales. Ainsi, il se rapporte aux litiges qui ont trait au
fonctionnement des bureaux de vote, au déroulement et au dépouillement du scrutin, lequel
s’achève par la publication des résultats consignés dans un procès-verbal.
Le Code électoral ivoirien permet à tout électeur, tout candidat ou toute liste de
candidats de contester la validité des opérations électorales locales147. Au Cameroun, le Code
électoral permet également à tout électeur, tout candidat ou le représentant de l’État dans la
Région148 ou encore toute personne ayant la qualité d’agent du Gouvernement pour l’élection,
de réclamer l’annulation des opérations électorales de la Région ou de la Commune devant le
juge administratif compétent149. Au Burkina Faso, le tribunal administratif connaît, d’une part
du contentieux de la régularité du scrutin et, d’autre part, du contentieux de la régularité du
dépouillement150. L’on comprend dès lors qu’on ne peut contester la régularité du
dépouillement des élections en avançant des motifs propres au scrutin151. Dans l’un et l’autre
cas, les élections peuvent être annulées lorsque la gravité des irrégularités est avérée. À titre
d’illustration, le juge administratif burkinabè a eu à juger que l’absence dans un bureau de
vote de bulletins d’un parti prenant part aux élections152 ou de vote effectué avec les
déclarations de perte des cartes d’électeur153, sont des causes d’annulation des élections. Au
Cameroun, l’annulation a pour fondement l’irrégularité des opérations électorales, la
disqualification d’un candidat ou la contestation des résultats154. L’annulation est donc la
sanction par excellence des irrégularités résultant de l’exécution des opérations vote.155 Elle
« ne doit intervenir que lorsque le doute l’emporte sur le résultat mathématique »156. Mais, en

145
Code électoral de la RDC, art. 27.
146
L’article 231 du Code électoral dispose à cet effet, pour ce qui est des élections régionales que « Le recours
contre l’éligibilité d’un candidat peut être formé devant le tribunal administratif par tout citoyen dans les
soixante-douze heures suivant la publication de la liste des candidats ».
147
Code électoral ivoirien, art. 129, art. 158 et art. 188.
148
NGUENA DJOUFACK Arsène Landry et NANGA EBANGA Yannick, « La présence du représentant de
l’état au conseil régional au Cameroun », Revue des Réflexions Constitutionnelles, n°021, Mai 2022, pp. 1-20.
149
Code électoral camerounais, art. 194 et art. 267.
150
Code électoral burkinabè, art. 232 et 233 pour ce qui est des élections régionales et art. 261 et 262 pour ce qui
est des élections municipales.
151
CE, Ch. du contentieux, arrêt n° 17/2005-2006 du 13 mai 2006, aff. DIALLO A. (UPR) c/ CEIA de Konsa ;
CE, Ch. Du contentieux, arrêt n° 20/2005-2006 du 13 mai 2006, aff. SANOGO S. et UPR c/ CEIA de Konsa.
152
Trib. Adm. de Ouagadougou, jugement n° 006/2000 du 11 octobre 2000, ADF/RDA, CPS, MTP, PAI, PLB,
PNP, ULD et les Verts du Burkina c/ CECI Ouagadougou.
153
CE, Ch. du contentieux, arrêt n° 13/2005-2006 du 10 mai 2006, aff. MAHAMANE A. et CDP Markoye c/
CEDI de Markoye et CFD.
154
V. en ce sens, MBARGA NYATTE Daniel, « Sociologie du contentieux relatif aux élections municipales du
21 janvier 1996 au Cameroun », Juridis Périodique, n°45, Janvier - Février - Mars 2001, pp. 78-86.
155
CAMBY Jean-Pierre, « Sanctions et contentieux électoral », in BOUTAYEB Chahira La constitution,
l’Europe et le droit : Mélanges en l’honneur de Jean-Claude MASCLET, op.cit., pp. 133-143.
156
Ibidem.

77
Afrique, les fraudes électorales n’ont souvent pas été sanctionnées ; ce qui n’encourage pas
les requérants à intenter des recours devant le juge administratif157.
D’une manière bien considérée, les juges administratifs des États d’Afrique noire
francophone ont un domaine de compétence très étendu. Leur office reste donc à dire le droit
électoral en toute âme et conscience158 et dans les délais prescrits. Pour ce qui est de ceux-ci,
la matière électorale locale entre dans les procédures d’urgence spéciales. Par conséquent, le
juge administratif doit dire le droit dans le plus bref délai159. La conséquence en est
l’exclusion du recours gracieux préalables pour éviter la lourdeur et les lenteurs des
procédures160.
Somme toute, la compétence du juge administratif dans le règlement des contestations
relatives aux élections locales est étendue au regard de son champ d’intervention. Cependant,
elle n’est pas absolue. L’on observe également l’intervention des juridictions constitutionnelle
et judicaire.

B. L’intervention des juges constitutionnel et judiciaire

Les élections locales sont-elles encore des élections administratives lorsque le juge qui
règle le contentieux n’est plus le juge administratif, mais les juges constitutionnel et

157
Comme le souligne Jean-Claude MASCLET, « le fait que la fraude établie n’ait pas nécessairement de
conséquence sur le résultat de l’élection n’est pas encourageant pour le requérant potentiel ». MASCLET Jean-
Claude, Le droit des élections politiques, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1992, p. 122. V. également BOLLE
Stéphane, « Vices et vertus du contentieux des élections en Afrique », in VETTOVAGLIA Jean-Pierre, Du BOIS
de GAUDUSSON Jean, BOURGI Albert, DESOUCHES Christine, MAILA Joseph, SADA Hugo et SALIFOU
André, (dir), Démocratie et Elections dans l’espace francophone, Bruxelles, Bruylant, vol.2, 2010, pp. 532-552 ;
Du BOIS de GAUDUSSON Jean, « Les élections à l’épreuve de l’Afrique », Cahiers du conseil constitutionnel,
n° 13 (Dossier : La sincérité du scrutin) - Janvier 2003. KOKOROKO Dodzi, « Les élections disputées :
réussites et échecs », Pouvoirs, vol. 2, n° 129, pp. 115-125.
158
Sur l’office du juge, Madame le Professeur Marie-Anne FRISON-ROCHE écrit : « Pourquoi institue-t-on un
juge ? Pour trancher le litige, pour apaiser le conflit, pour appliquer la loi, pour que la vertu de justice se
concrétise. […] Le juge tranche le litige ; l’office du juge a le litige pour objet. […] Le litige est ainsi la forme
judiciaire du conflit, la métamorphose qui permet sa résolution. En cela, le juge détient le pouvoir sacré
d’arrêter l’amplification de la violence dans la société » car « Le juge est […] la force légitime qui arrête la
violence ». FRISON-ROCHE Marie-Anne, « Les offices du juge », in Jean Foyer, auteur et législateur,
Mélanges Jean Foyer, Paris, PUF, 197, pp. 466 et 467.
159
Au Cameroun, relativement aux élections des conseillers régionaux, les contestations se rapportant à la
couleur, au sigle, au symbole choisi par un candidat ou une liste de candidat en période de campagne électorale,
sont portées devant le juge administratif compétent, dans un délai maximum de trois (03) jours à compter de la
date de publication des candidatures ou du constat des faits allégués. Le juge administratif compétent statue dans
un délai maximum de quatre (04) jours à compter de la date de saisine (art. 260 (1) du Code électoral). Pour ce
qui est du contentieux de candidature, l’article 189 du Code électoral stipule que la décision d’acceptation ou de
rejet d’une liste de candidats peut faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative compétente, par
un candidat, le mandataire de la liste intéressée ou de toute autre liste, ou par tout électeur inscrit sur la liste
électorale de la commune concernée. Ce recours est fait sur simple requête dans un délai maximum de cinq (05)
jours suivant la publication des listes de candidats. La juridiction administrative saisie, a un délai maximum de
cinq (05) jours suivant sa saisine pour statuer pour ce qui est des élections municipales et sept (07) jours pour ce
qui est des élections régionales (art. 190 et art. 259).
En Côte d’Ivoire, qu’il s’agit des élections des conseillers régionaux, municipaux ou ruraux, le Conseil
d’Etat statue dans un délai d’un (01) mois à compter de la date de sa saisine des contestations relations aux
opérations préparatoires aux élections et des opérations de votes (art. 130, 159 et 189 du Code électoral).
160
BIPELE KEMFOUEDIO Jacques, FANDJIP Olivier, « Le nouveau procès administratif au Cameroun :
réflexion sur le recours gracieux en matière d’urgence », RIDC, vol. 64, n°4, 2012, pp. 973 993.

78
judicaire ? Dans l’un et l’autre cas, la nature administrative est remise en cause. Il convient de
mettre l’accent sur la compétence du juge constitutionnel qui s’avère singulière (1) et la
compétence des tribunaux de droit commun dont l’originalité est avérée (2).

1. La compétence singulière du juge constitutionnel


En règle générale, toute élection à caractère politique relève du juge constitutionnel161.
C’est ainsi que le contentieux des élections présidentielles et parlementaires est dévolu aux
juridictions constitutionnelles. Mais, cette règle admet désormais des exceptions dans certains
États d’Afrique noire francophone. Ce qui fait l’originalité du droit électoral processuel
africain. Il n’est pas inutile de rappeler que même en France où le Conseil constitutionnel a
décidé que toutes les élections sont des élections politiques, les élections locales restent quand
même dans le domaine de compétence du juge administratif162.
En Afrique noire francophone, toutes les élections sont consacrées dans certains États
comme des élections politiques. C’est le cas par exemple du Gabon à travers la loi n°07/96 du
12 mars 1996, portant dispositions communes à toutes les élections politiques en République
gabonaise plusieurs fois modifiée. Cette loi opère un partage de compétence entre le juge
administratif et le juge constitutionnel dans le contentieux des élections politiques. Le premier
connaît seulement du contentieux de l’inscription sur les listes alors que le second connaît du
contentieux des élections. Pour ce qui est du juge constitutionnel, l’article 121 de ladite loi,
issu de la modification de la loi n°0018/200S du 6 octobre 2005, dispose en effet que : « [l]a
Cour Constitutionnelle est seule compétente pour statuer sur les réclamations afférentes aux
élections présidentielles, législatives, sénatoriales, référendaires, des conseillers
départementaux et des conseils municipaux. Elle juge en premier et dernier ressort ». Il
apparaît donc que la Cour constitutionnelle est la seule juridiction compétente pour connaître
des opérations de vote. Par conséquent, la nature politique des élections locales est
irrécusable.
La République Centrafricaine sort aussi le droit électoral local de l’ordinaire, mais de
manière large. Si le contentieux de l’inscription sur les listes électorales est, contrairement au
Gabon confié à une juridiction de l’ordre judiciaire, à l’instar du Tribunal de grande
instance163, le reste du contentieux est confié à la Cour constitutionnelle. Il s’agit, d’une part,

161
AMBEU AKOUA Viviane-Patricia, La fonction administrative contentieuse en Côte d’Ivoire, op.cit., p. 142.
162
MELIN-SOUCRAMANIEN Ferdinand, « Le Conseil constitutionnel, juge électoral », Pouvoirs, vol. 2, n°
105, 2003, p. 117.
163
En vertu du Code électoral centrafricain, le contentieux des inscriptions sur les listes électorales est de la
compétence de l’Autorité nationale des élections (ANE) et du Tribunal de grande instance. Pour ce qui est de la
compétence du Tribunal de grande instance, l’article 89 du Code électoral dispose que : « Tout auteur d’une
réclamation concernant l’inscription sur les listes électorales peut saisir le Tribunal de grande instance
territorialement compétent dans un délai de dix jours, à compter de la date de clôture de la liste électorale.
Le Tribunal est saisi par simple requête à laquelle sont jointes toutes pièces justificatives.
Le Tribunal de Grande Instance est également compétent, dans les mêmes délais, pour statuer sur les
contentieux de la radiation, de l’omission, du changement de lieu d’inscription et de rectification d’erreur
matérielle.
Les recours ne sont pas suspensifs.
Les décisions rendues par les tribunaux de Grande Instance dans le cadre du contentieux de l’inscription sur la
liste électorale ne sont susceptibles d’aucun recours ».

79
du contentieux des candidatures et de l’éligibilité et, d’autre part, du contentieux des
élections.
Pour ce qui est du contentieux des candidatures et de l’éligibilité, l’article 95 du Code
électoral dispose que : « [l]a Cour Constitutionnelle juge de l’éligibilité de chacune des
candidatures enregistrées par l’A.N.E aux élections présidentielles, législatives, sénatoriales,
régionales et municipales, nonobstant l’absence de recours. Elle se prononce également sur
tout refus d’enregistrer une candidature à la présidentielle qui aura été contestée devant elle
dans les mêmes conditions de forme, de délai et de procédure. La décision de la Cour
Constitutionnelle, qui intervient dans un délai de quinze jours au plus tard après la
publication de la liste provisoire par l’A.N.E, précise les candidatures validées et celles
invalidées aux élections présidentielle, législatives, sénatoriales, régionales et municipales ».
L’article 96 du même Code ajoute que la Cour Constitutionnelle est compétente pour
connaître des réclamations relatives au refus d’enregistrer des candidatures et les recours en
inéligibilité contre des candidats aux élections régionales ou municipales, dans un délai de
quinze jours au plus tard après la publication de la liste provisoire des candidats à l’élection
concernée par l’ANE. Bien plus, elle connaît également dans les mêmes délais des recours des
personnes dont les candidatures auront été annulées par l’ANE, suite à l’enregistrement, pour
candidature multiple.
Relativement au contentieux des élections, la Cour constitutionnelle centrafricaine est
également compétente pour se prononcer sur la validité des élections régionales et
municipales. En ce sens, elle veille sur la régularité de toutes les élections164. En matière des
élections régionales, tout électeur peut contester l’élection du Conseiller régional de la
circonscription où il est électeur. Les membres des assemblées régionales dans le cas de
l’élection des présidents et des autres membres du bureau dans la circonscription où les
requérants sont élus membres des assemblées régionales peuvent également saisir le juge
constitutionnel. On le voit bien, le Code électoral a opté pour un élargissement de la saisine de
la Cour constitutionnelle aux électeurs165. Ces mêmes règles s’appliquent pour ce qui est de la
contestation des irrégularités relatives aux opérations de vote des conseillers municipaux166.
En tout état de cause, le Gabon et la RCA font des élections locales des élections
politiques en confiant une partie du contentieux au juge constitutionnel, juge des élections
politiques. Mais, il faut préciser que la répartition des compétences n’est pas la même. Si au
Gabon, elle est faite entre le juge administratif et la Cour constitutionnelle, en RCA, c’est
164
Art. 98 du Code électoral centrafricain.
165
L’article 187 du Code électoral consacre une double modalité de saisine : d’une part la saisine directe par
pour les électeurs de Bangui et le requérant de province et, d’autre part, la saisine indirecte pour les électeurs de
province, au démembrement de l’A.N.E dans le ressort duquel s’est déroulée l’élection contestée, pour
transmission au greffe de la Cour constitutionnelle.
166
Selon l’article 12 du Code électoral, « La Cour Constitutionnelle est seule compétente pour statuer sur les
réclamations relatives à l’organisation des élections municipales et en proclamer les résultats définitifs.
Elle est juge de l’éligibilité des candidats à ces élections.
Tout électeur peut, dans un délai de dix jours, après la publication des résultats, contester la validité de
l’élection d’un conseiller municipal ou d’une liste de candidats de sa circonscription.
Les requêtes sont adressées, par écrit pour les électeurs de Bangui, au Président de la Cour Constitutionnelle et
pour les électeurs des autres Communes, au démembrement de l’A.N.E dans le ressort duquel l’élection est
contestée, pour transmission à la Cour Constitutionnelle.
Le requérant de province peut saisir directement la Cour Constitutionnelle ».

80
plutôt entre le juge judiciaire et la Cour constitutionnelle. Dans certains pays, lorsque le juge
judicaire ne règle pas tout le contentieux, il le partage avec le juge administratif qui intervient
de manière accessoire. C’est aussi un élément de l’originalité des droits africains.

2. La compétence originale du juge judiciaire


Certes, l’Afrique noire francophone s’est largement inspirée de la France dans
l’élaboration de son droit public167. Contrairement à ce que prédisait Jean Foyer au lendemain
des indépendances que, « même dans le droit nouveau qui sera élaboré par les autorités
compétentes des nouveaux États, l’influence du droit français restera encore »168, le droit
électoral africain, comme le droit administratif de certains États est en rupture, à certains
égards, avec le modèle français169. La compétence des juridictions de l’ordre judicaire dans le
contentieux électoral local est la preuve irréfutable. Il ne s’agit pas de la compétence du juge
pénal pour connaître des infractions pénales électorales170, mais d’un juge judiciaire
compétent pour connaître du contentieux des opérations pré et post électorales.
Au Sénégal par exemple, le contentieux des élections des conseillers départementaux et
des conseillers municipaux est dévolu aux juridictions de l’ordre judiciaire. La compétence du
juge judiciaire s’étend sur l’ensemble du processus électoral. Ce contentieux est réglé
spécialement par la Cour d’appel. Il ressort du Code électoral sénégalais, objet de la loi
n°2021‐35 du 23 juillet 2021, que la Cour d’appel connaît du contentieux des inscriptions sur
les listes171, de l’éligibilité, de la déclaration des candidatures et de la campagne électorale172.
La Cour d’appel statue également sur les actes des autorités administratives. C’est le cas de
tous les actes pris par le Préfet et le Sous-préfet relatifs à la déclaration de candidature173. La
Cour d’appel s’apparente de ce fait à un juge administratif.
Outre le contentieux des opérations préparatoires aux élections, la Cour d’appel connaît
du contentieux des opérations de vote. Le Code électoral fait ainsi de cette juridiction un juge
de la régularité des élections locales. Le Code prévoit à cet effet que tout électeur ou tout
candidat à une élection départementale ou municipale peut saisir la Cour d’appel du ressort
aux fins de l’annulation des opérations électorales174. Elle statue en premier ressort. De ce fait,
ses décisions sont susceptibles d’appel devant la Cour suprême175.
Au Tchad également, le juge judiciaire est aussi compétent pour connaître des litiges
nés des élections locales. C’est le cas du contentieux des opérations antérieures aux élections,
167
BIPOUN WOUM Joseph Marie, « Recherches sur les aspects actuels de la réception du Droit Administratif
dans les États d’Afrique noire d’expression française », Revue juridique et politique indépendance et
coopération (RJPIC), 1972, n° 3, pp. 359-388 ; ONDOA Magloire, « Le Droit Administratif français en Afrique
francophone : contribution à l’étude de la réception des droits étrangers en droit interne», RJPIC, vol. 56, n°3 ;
2002, pp. 287-333.
168
Foyer Jean, « Les destinées du droit français en Afrique », Penant, 1962, p. 3.
169
FOUMENA Gaëtan Thierry, « Le droit administratif camerounais « postcolonial » en rupture avec le modèle
français inspirateur », Les Annales de droit, n° 14, 2020, pp. 69-101.
170
DECHENAUD David, RAMBAUD Romain et BIBEYRE Cédric (dir.), Le droit pénal électoral, Paris,
Institut francophone pour la Justice et la Démocratie, coll. Colloques & Essais, 2020, 156 p.
171
Art. 45 du Code électoral.
172
V. Code électoral sénégalais, art. 242, 253, 255, 258, 277.
173
Ibid., 255 et 290.
174
Ibid., art. 261 et 299.
175
Ibid., art. 263 et 301.

81
notamment les contestations relatives aux inscriptions sur les listes électorales. Le Code
électoral tchadien prévoit à cet effet que les électeurs qui font l’objet de radiation d’office ou
dont l’inscription est contestée, peuvent intenter un recours dans les quinze (15) jours qui
suivent devant le Tribunal de grande instance qui statue en dernier ressort dans un délai de dix
(10) jours176. La Cour suprême intervient également dans le contentieux des élections locales.
La Constitution du 04 mai 2018 révisée par la loi constitutionnelle n°17/PR/2020 du 14
décembre 2020, fait d’elle le juge du contentieux des élections présidentielles, législatives et
locales177. Elle connaît, pour ce qui est des élections locales, du contentieux de la campagne
électorale et de l’annulation. En matière de campagne, le Code électoral permet à tout
candidat ou à tout parti politique dont la Haute autorité de l’audiovisuel a prononcé la
suspension de la diffusion d’une émission de campagne officielle pour propos injurieux,
provocateurs, ou contraires à la règlementation, de saisir la Cour suprême dans les quarante-
huit (48) heures qui suivent la suspension de l’émission178. La Cour peut également être saisie
en cas de rejet de candidature d’un candidat par la CENI. Dans ce cas, le candidat dispose
d’un délai de quinze jours pour saisir la Cour qui statue en premier et dernier ressort dans un
délai de cinq (05) jours. Enfin, la Cour suprême est saisie de toute action en nullité des
opérations électorales qui doit statuer dans les quinze (15) jours qui suivent sa saisine179.
Au total, le contentieux des élections locales est dévolu aux juridictions de l’ordre
judiciaire au Sénégal et au Tchad. Ce qui n’est pas le cas du Niger où le juge judiciaire
intervient en premier ressort et le juge administratif en appel. En effet, selon l’article 114 du
Code électoral nigérien : « [l]e contrôle de la régularité des opérations électorales locales est
assuré par les Tribunaux de grande instance en formation spéciale et le Conseil d’Etat qui
statuent également sur l’éligibilité des candidats et sur les réclamations ». Les tribunaux de
Grande Instance connaissent aussi du contentieux de l’éligibilité et des autres réclamations
formulées par les électeurs, les candidats ou les partis politiques180. L’originalité du
contentieux électoral au Niger tient au fait que c’est le Conseil d’État, la juridiction suprême
de l’ordre administratif, qui connaît des recours formés contre les décisions du Tribunal de
grande instance et non la Cour de cassation181. En plus, le Conseil d’État est juge de l’excès
de pouvoir en matière des élections locales182. Le Niger est ainsi une vraie curiosité. Comme
on sait, le législateur a tranché en assimilant toutes les élections aux élections politiques.

176
Code électoral du Tchad, art. 21.
177
Art. 168.
178
Ibid., art. 126.
179
Ibid., art. 189.
180
Code électoral du Niger, art. 115 et 116.
181
Ibid., art. 118.
182
Ibid., art. 120 : « Le recours pour excès de pouvoir en matière électorale pour les élections locales est porté
devant le Conseil d’Etat sans recours administratif préalable.
Le Conseil d’Etat statue dans un délai de cinq (5) jours à compter de la date du dépôt du recours au greffe ». Il
faut souligner que dans l’optique de se démarquer des autres Etats, le législateur électoral nigérien a fait de la
Cour constitutionnelle, un juge administratif compétent pour annuler les actes administratifs électoraux illégaux.
L’art. 119 du Code électoral dispose à cet effet que : « Les recours pour excès de pouvoir en matière électorale
pour les élections présidentielle, législatives et référendaires sont portés devant la Cour constitutionnelle sans
recours administratif préalable.
La Cour constitutionnelle statue dans un délai de cinq (5) jours à compter de la date du dépôt du recours au
greffe ».

82
Mais, cela n’a pas empêché que le juge judiciaire intervienne dans le règlement du
contentieux.
D’autres États par contre accordent une place marginale au juge judiciaire dans le
contentieux des élections locales en dehors du contentieux pénal. Au Cameroun, le juge
judiciaire, notamment la Cour d’appel, intervient dans le règlement des contestations relatives
à certaines opérations préparatoires aux élections. Selon la loi électorale, tout parti politique,
tout électeur, tout mandataire d’un parti ou d’un candidat peut saisir le Conseil électoral de
toute demande en réclamation ou contestation relative notamment à une omission, une erreur
ou une inscription d’un électeur plusieurs fois sur la liste électorale nationale. Au cas où la
demande est rejetée par le Conseil, « l’intéressé peut former un recours devant la Cour
d’appel du ressort d’Elections Cameroon qui statue en dernier ressort, sans frais ni forme de
procédure, dans les cinq (05) jours de la saisine »183.
En Côte d’Ivoire également, les juridictions d’instance interviennent dans le contentieux
préélectoral, notamment pour ce qui est des inscriptions sur les listes électorales. L’article 12
du Code électoral dispose à cet effet que : « [l]es omissions et irrégularités constatées par la
Commission chargée des élections, en ce qui concerne la mention des nom, prénoms, sexe,
profession, résidence ou domicile des électeurs, pourront faire l’objet d’un recours devant les
juridictions de première instance sans frais, par simple déclaration au Greffe du Tribunal.
Les décisions rendues par ces juridictions ne sont susceptibles d’aucun recours ».
Au regard de ce qui précède, sur le terrain du contentieux, la nature des élections locales
est caractérisée par une ambiguïté. Il n’est pas possible de trancher de manière péremptoire
pour l’une ou l’autre catégorie d’élections.

CONCLUSION

En somme, il apparaît que les élections locales dans les États d’Afrique noire
francophone ne sauraient être réduites à un seul ensemble. Elles ne sont ni complètement
administratives, ni complètement politiques. Cela dit, il a été donné de constater qu’en droit
électoral substantiel, les élections locales sont des élections administratives. Les éléments du
droit administratif y sont prégnants et uniformes. Cependant, sur le terrain du droit électoral
processuel, le contentieux des élections locales est réparti entre le juge administratif, le juge
constitutionnel et parfois même le juge judiciaire. Cette répartition de compétence fait des
élections locales des élections administratives lorsque c’est le juge administratif qui
intervient. Par contre, les élections auront une nature politique lorsque le contentieux est
dévolu au juge constitutionnel. Devant les juridictions de l’ordre judiciaire, les élections
locales ne sont ni administratives, ni politiques. Elles sont neutres.
Malgré quelques emprunts au droit français, une certaine originalité du droit des
élections locales en Afrique noire francophone184 est perceptible, notamment pour ce qui du

183
Code électoral camerounais, art. 81 (3).
184
Jean FOYER l’avait même prédit au lendemain des indépendances des États africains : « je crois que dans
quelque temps nous constaterons que dans le droit de ces jeunes États, il y a une sorte de part translaticia, une
partie qui a été héritée du droit français et qui subsiste et que, d’autre part, il y a une partie neuve qui ne nous a
pas emprunté beaucoup ». FOYER Jean, « Les destinées du droit français en Afrique », op.cit., p. 3.

83
règlement des litiges. Ce dernier n’est pas confié à un seul ordre de juridiction. Dans la
majorité des États, le règlement est confié aux juridictions des ordres administratif et
judiciaire185. Dans d’autres, c’est le juge judicaire et le juge constitutionnel qui sont
compétents186. Il reste également à préciser que dans quelques États, le juge judiciaire a la
plénitude de compétence dans le règlement des contestations relatives aux élections locales187.
Quoi qu’il en soit, si le règlement du contentieux des élections locales par plusieurs
juges de différents ordres rend le droit électoral des États africains original, force est de
constater que cette multiplicité des organes juridictionnels est de nature à désorienter les
justiciables. Pour une affaire relevant du juge judiciaire, le justiciable peut confondre et la
porter devant le juge administratif ou devant le juge constitutionnel. La requête pourrait être
déclarée irrecevable pour incompétence. Pour éviter ces désagréments, le législateur électoral
pourrait confier au seul juge administratif le règlement du contentieux électoral, afin de
consolider la nature administrative des élections locales, ou au juge constitutionnel afin de
parfaire leur nature politique. Dans ce cas, la compétence du juge judiciaire se limiterait au
contentieux pénal des élections.

185
Le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Togo, etc.
186
Le Gabon et la RCA.
187
Le Tchad et le Sénégal.

84
LA CONSTRUCTION JURIDICTIONNELLE DU DROIT DE LA PREUVE EN
MATIÈRE DE CONTENTIEUX ÉLECTORAL AU CAMEROUN

Par

MATDA DEDE Rachel*


Docteur Ph.D en Droit Public,
Assistante à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Dschang-Cameroun
Tél : +237697441965
E-mail : banangdede@gmail.com

Résumé
L’évolution contemporaine du droit de la preuve en contentieux électoral camerounais est la
résultante d’un dynamisme juridictionnelle. En effet, l’œuvre prétorienne autour de la problématique de
l’administration de la preuve en matière électorale a forgé le droit de la preuve. Cependant, l’analyse
minutieuse de la jurisprudence électorale permet de constater la construction limitée dudit régime. S’il
est à relever un dynamisme jurisprudentiel remarquable dans l’édification des modes de preuve, force
est de reconnaitre la construction disproportionnelle de la charge processuelle en contentieux électoral.
A l’évidence, l’emprunt des règles de procès de tradition privatiste dans l’assise de la charge de la preuve
a relégué le caractère inquisitorial de la procédure contentieuse à la marge. Or, le caractère inquisitorial
de la procédure auréolé de l’appréciation souveraine de la preuve par le juge électoral devrait servir de
paravent pour la construction d’un véritable régime probatoire.

Abstract
The contemporary evolution of the law of evidence in Cameroonian electoral disputes is the result
of a judicial dynamism. In fact, the praetorian work on the issue of the administration of evidence in
electoral disputes has forged the law of evidence. However, a meticulous analysis of electoral
jurisprudence shows the limited construction of this system. Even though there is a remarkable
dynamism in the development of methods of proof, the disproportionate burden of proof in electoral
disputes must be recognized. It is obvious that the privatist tradition use of rules of procedure in the
establishment of the burden of proof has relegated the inquisitorial nature of the electoral litigation
procedure to the margins. However, the inquisitorial nature of the procedure, with the sovereign
assessment of evidence by the electoral judge, should serve as a screen for the construction of a genuine
evidentiary regime.

INTRODUCTION

La phase de l’instruction est une étape cruciale du procès en tant que « phase de l’instance
qui permet au juge saisi d’établir le fondement et la véracité des faits allégués »1. Parce qu’elle
favorise la formation libre de la conviction du juge, cette phase soulève la problématique de
l’administration de la preuve nécessaire à ladite formation. Il convient de souligner que la

*
Mode de citation : MATDA DEDE Rachel, « la construction juridictionnelle du droit de la preuve en matière de
contentieux électoral au Cameroun », Revue RRC, n° 025 / Septembre 2022, p. 85-102
1
MANDENG Diane, La procédure contentieuse en matière électorale : recherches sur le contentieux des élections
au Cameroun [En ligne], Thèse Droit public, Poitiers : Université de Poitiers, 2017, p. 211.

85
problématique de l’administration de la preuve est fonction du contentieux et de la procédure
en cause. En plus, elle obéit à un ensemble de règles variables qui relèvent du droit de la preuve2.
De manière générale, la preuve est définie comme l’« opération amenant l’intelligence
d’une manière indubitable et universellement convaincante à reconnaitre la vérité d’une
proposition considérée d’abord comme douteuse »3. La preuve apparait ainsi comme une
activité intellectuelle consistant en la démonstration de la véracité des faits allégués. Une telle
définition ne renseigne malheureusement pas à suffisance sur la notion de preuve d’après
certains auteurs. En fait, « (…) la démonstration doit reposer sur l’établissement des faits qui
rendent vraisemblables la prétention exprimée par le plaideur »4. De là, la preuve devient non
seulement un « raisonnement destiné à convaincre le juge de la réalité d’une proposition »,
mais surtout, un « moyen d’établir la vérité prétendue »5. On retient donc globalement que la
preuve est l’acte accompagnant le recours, consistant à convaincre le juge de la véracité du fait
allégué dans le cadre d’un contentieux afin d’emporter son adhésion quant à la confirmation de
l’objet du recours.
En tant que discipline autonome de droit, le droit de la preuve est au croisé du droit
substantiel et processuel de la preuve6. Il vise à définir l’ensemble des règles régissant à la fois
la formation, la manifestation et l’établissement de la vérité dans le cadre d’un procès de sorte
que le tribunal puisse statuer en connaissance de cause7. Dès lors, sa codification s’avère
indispensable. La procédure civile8 et pénale9 en est l’illustration car le régime de la preuve
comporte des règles codifiées10. En contentieux électoral par contre, les textes n’aménagent pas
de manière claire le régime de la preuve11.
Au regard de l’absence de précision légale du régime de la preuve en matière électorale,
le droit de la preuve a une origine prétorienne dans le contexte camerounais. C’est dire que, le
droit de la preuve, en tant que produit d’une construction juridictionnelle, découle de
l’insuffisance ou de l’absence d’un régime probatoire issu des textes fixant la procédure
contentieuse en matière électorale12. En d’autres termes, ce sont les juridictions statuant en

2
CADIET Loïc, NORMAND Jacques, MEKKI AMRANI Soraya, Théorie générale du procès, éd, PUF, Paris,
n°1, février 2010, p. 835.
3
LALANDE André, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1926, cité par CADIET Loïc
et al., Théorie générale du procès, op. cit., p. 835.
4
CADIET Loïc et AL., Théorie générale du procès, op. cit., p. 836.
5
Ibid.
6
Le droit substantiel de la preuve est constitué de l’ensemble des règles de fond du droit de la preuve à l’instar des
règles relatives à l’objet de la preuve, de la charge de la preuve et des modes de preuve admissibles. Le droit
processuel de la preuve quant à lui est constitué des règles de procédure de la preuve qui amène à comprendre
comment les moyens de preuve admissibles doivent être mis en œuvre.
7
RUIZ FABRI Hélène et SOREL Jean‐Marc (Dir.), La preuve devant les juridictions internationales, éd. Pedone,
Paris, 2007, p. 9.
8
V. art. 1315-1369 du Code civil applicable au Cameroun.
9
V. art. 307-337 de la loi n°2005/007 du27 juillet 2005 portant Code de Procédure Pénale au Cameroun.
10
FOULQUIER Caroline, La preuve et la justice administrative française, éd. L’Harmattan, coll. Logique
juridique, Paris, 2013, p. 35.
11
V. art. 35, 75 et 76 des lois fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs et de la
Chambre administrative de la Cour suprême. Ces articles peuvent consacrent implicitement le principe de la liberté
des moyens de preuve.
12
FOUMENA Gaëtan Thierry, Le juge administratif et la preuve : contribution à l’étude de la construction
jurisprudentielle du droit de la preuve au Cameroun, Thèse, Droit public, Université de Yaoundé II, juin 2015, p.
41.

86
matière de contestation électorale qui ont fixé le régime probatoire applicable en la matière.
D’où l’intérêt de cette étude portant sur la construction juridictionnelle du droit de la preuve en
matière de contentieux électoral. Il s’agit d’une contribution à l’étude de la théorie générale de
l’administration de la preuve en général, du contentieux électoral camerounais en particulier.
Ce qui conduit à questionner l’impact de cette construction prétorienne sur le régime de la
preuve en matière électorale. Dès lors, quelle est l’incidence réelle de la jurisprudence électorale
dans la construction du droit de la preuve en matière de contestation électorale ?
S’il est établi que l’assise du droit de la preuve en matière de contentieux électoral est
l’œuvre jurisprudentielle, il faut, cependant, relever que cette dernière a favorisé une
construction disproportionnelle de la charge processuelle de la preuve (I). En plus, il est permis
de relever la mise en place d’un régime adéquat des modes de preuves dans ce contentieux (II).

I – LA CONSTRUCTION DISPROPORTIONNELLE DE LA CHARGE


PROCESSUELLE DE LA PREUVE

La charge de la preuve consiste en la détermination de la partie au procès à qui revient


l’obligation de prouver si elle ne veut pas succomber, mieux encore, à qui revient le fardeau de
la preuve13. Elle est fonction de la procédure en présence14. En procédure pénale par exemple,
le système accusatoire oblige les parties à jouer un rôle prépondérant dans l’administration de
la preuve. Par contre, c’est le juge qui joue le rôle prépondérant dans le système inquisitorial.
En règle générale, le requérant partage la charge de la preuve avec la partie adverse, ceci avec
le concours du juge15. En contentieux électoral, le constat est celui de la construction d’une
véritable charge processuelle incombant essentiellement au requérant16. Ceci est matérialisé par
la transposition des principes généraux de la charge de la preuve (A) et de l’allègement
conditionné de cette charge (B).

A – La transposition des principes généraux de la charge de la preuve

L’analyse de l’activité du juge électoral camerounais a permis d’observer qu’il a adopté


une attitude passive dans la quête de la preuve. Ceci passe par la transposition en contentieux
électoral des principes généraux de la charge de la preuve. Il s’agit du recours aux règles
probatoires de droit privé (1) et de l’admission du requérant comme principal débiteur de la
charge de la preuve électorale (2).

13
MEKKI Mustapha, « Regard substantiel sur le « risque de la preuve », Essai sur la notion de charge
probatoire », in La preuve : regard croisés, MEKKI (dir.), Dalloz, thèmes et commentaires, 2015, disponible sur
https://www.mekki.fr, consulté le 30 juin 2020.
14
Le BARS Thierry, « De la théorie des charges de la preuve et de l’obligation à la théorie globale des risques
processuels », Mélanges en l’honneur du professeur Gilles GOUBEAUX, coll. LGDJ, octobre 2009, cité par
CADIET Loïc et al., Théorie générale du procès, op. cit., p. 846.
15
PACTEAU Bernard, Manuel de contentieux administratif, éd. PUF, Paris, coll. Droit fondamental, n°3, 2014, p. 192.
16
DJIEPMOU Bruno, Le juge constitutionnel camerounais et la régulation du processus démocratique, mémoire,
université de Dschang, octobre 2016, p. 149.

87
1 – Le recours aux règles probatoires de droit privé
La charge de la preuve en matière électorale tire sa source de certaines règles générales
du procès civil et pénal. Cette transposition en contentieux électoral des principes généraux de
procès de tradition privatiste découle de l’admission des règles idem est non esse et non probari
(a) et actori incombit probatio (b).
a – La transposition de la règle idem est non esse et non probari
De manière générale, la preuve en matière contentieuse trouve sa source dans l’adage
selon lequel « idem est non esse et non probari », c’est-à-dire « la preuve double le droit,
comme l’ombre suit le corps »17. C’est dire que la réclamation d’un droit ou la dénonciation
d’un fait ne sert à rien si l’on est dans l’incapacité d’en rapporter la véracité. Car, « un droit ne
présente pour son titulaire d’utilité véritable que pour autant qu’il peut être établi en justice,
un droit qui ne peut être prouvé étant considéré comme pratiquement inexistant »18. La preuve
joue alors un rôle fondamental dans le règlement par voie juridictionnelle d’une réclamation ou
d’une contestation. Elle permet d’atteindre un objectif à savoir, emporter la conviction du juge
sur les prétentions avancées19. Abondant dans ce sens, Charles MEJEAN ajoute que « la preuve
est une formalité indispensable, car si elle n’est pas accomplie, le juge n’ayant la certitude
d’être en présence d’une partie dont la prétention est juste ne lui donnera pas gain de cause
»20. Il faut dire que la preuve vise deux objectifs principaux dans tout contentieux : un objectif
immédiat (l’établissement de la réalité de faits litigieux et un objectif final) et l’adhésion de la
société toute entière.
Dans son premier objectif, conformément à l’adage idem non esse et non probari, la
preuve permettant d’établir la réalité des faits est une preuve du droit. En effet, « il incombe à
chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa
prétention »21. Établir la réalité des faits litigieux implique l’établissement de la vérité des
prétentions en cause. Aux termes de l’article 10 alinéa 1 du Code civil français, « chacun est
tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité »22 et la preuve
est le moyen par excellence pour parvenir à cette vérité. C’est dire que le recours n’aura une
issue favorable que si le juge est convaincu de la véracité de l’argumentation du requérant. À
l’évidence, qu’elle soit perçue sous un angle civiliste, pénaliste, la vérité judiciaire n’est qu’une
vérité relative et non objective23. De ce fait, dire la vérité reviendrait pour le juge de se

17
ROLAND Henri, BOYER Laurent, Adages du droit Français, éd. LexisNexis, Paris, n°4, 1999, cité par
CADIET Loïc et al., Théorie générale du procès, op. cit., p. 834.
18
PACTET pierre, Essai d’une théorie de la preuve devant la juridiction administrative, éd., A. Pedone, Paris,
1952, p. 4.
19
MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, éd. LGDJ, coll. MALAURIE Philippe,
AYNES Laurent, droit civil, mai 2016, p. 162.
20
MEJEAN Charles, La procédure devant le tribunal administratif, mise à jour de la procédure devant le conseil de
préfecture, éd. Dalloz, Paris, 1957, p. 107.
21
V. art. 09 du Code civil français.
22
V. art. 10 al. 1 du Code civil français.
23
DE LAMBERTERIE Isabelle, « Préconstitution des preuves, présomptions et fictions », Sécurité juridique et
sécurité technique, Indépendance au métissage, éd. Spéciale CRDP, Conférence, n°2, vol 9, Montréal, 30
septembre 2003, p. 2, disponible sur : lex-electronica.org.

88
prononcer entre les différentes prétentions des parties en présence sur celle qui parait selon son
intime conviction la plus convaincante.
En tant que cheville ouvrière du procès, la preuve assure une fonction primordiale. Elle
conduit les parties à l’instance, à « produire les éléments de conviction permettant d’aboutir à
la confirmation par le juge d’une allégation qui repose sur des faits »24. C’est dire « qu’il ne
suffit pas d’être titulaire d’un droit, ou de se trouver dans une certaine situation juridique
pour obtenir satisfaction » 25. Le titulaire dudit droit ne pourra effectivement s’en prévaloir que
s’il est en mesure d’en prouver l’existence.
Le second objectif de la preuve est principalement lié sa finalité. Elle vise la recherche de
la vérité à travers une démonstration ou un raisonnement qui permet de persuader le juge sur le
bien-fondé des allégations et partant, l’adhésion de la société toute entière26.
B – La transposition de la règle actori incombit probatio
Expression d’origine latine, l’adage actori incumbit probatio, rappelant que la charge de
la preuve incombe au demandeur, sert de paravent au régime de la preuve en matière
électorale. Originellement appliqué en matière de procédure civile 27, il sera transposé en
matière de contentieux électoral. Suivant cette règle, le juge électoral, en l’absence d’un régime
légal de la preuve fait peser le fardeau de la preuve essentiellement sur le requérant28. Ainsi,
cette règle fait naitre une obligation à l’égard du requérant : celles de prouver les éléments
qu’il avance à l’appui de ses prétentions. En vertu du fait que « toute prétention juridique
passe, pour les besoins de sa consécration, par une exigence de justification »29. Dès lors
qu’une prétention s’affirme nécessairement au détriment d’autrui, il ne saurait y être fait droit
par le seul effet de son affirmation ; le jugement d’un tiers s’impose, comme s’impose la
nécessité de le convaincre. La charge de la preuve incombe donc au requérant. Il lui revient
également à supporter le risque de l’échec dans l’administration de la preuve, ceci par le rejet
pur et simple de sa prétention comme non fondée par le juge électoral30. De la même manière
que le requérant dispose de la prérogative d’introduire l’instance contentieuse et de fixer l’objet
du litige, aussi, il lui revient l’obligation de prouver conformément à la loi, les faits décriés
dans sa prétention31.
C’est dire que « la décision du juge étant soumise à l’examen préalable des éléments de
preuve qui lui sont présentés, le requérant se doit d’emporter l’intime conviction du juge par
la production des preuves, puisque c’est lui qui réclame et qu’il prétend »32. En d’autres termes,

24
MANDENG Diane, La procédure contentieuse en matière électorale : recherches sur le contentieux des
élections au Cameroun, op. cit., p. 214.
25
TERRE François, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, Paris, n°10, 2015, p. 480.
26
CADIET Loïc et AL., Théorie générale du procès, op. cit., p. 844.
27
V. art.1315 du Code civil français.
28
Décision N° 26/SRCER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais
(RDPC/CPDM), ABE MICHAEL NDRA c/ Elections Cameroon (ELECAM), NADP, GAJI ABUBAKAR,
NSOMBO OSCAR WETTE.
29
CADIET Loïc, Dictionnaire de la justice, éd. PUF, Paris, n°1, 2004, p. 1033.
30
CADIET Loïc et AL, Théorie générale du procès, op. cit., p. 845-846.
31
V. art. 1 à 9 du code de procédure civile français.
32
MANDENG Diane, La procédure contentieuse en matière électorale : recherches sur le contentieux des
élections au Cameroun, op. cit., p. 216.

89
la partie sur laquelle « (…) repose l’initiative de l’instance, donne une dynamique à la conduite
de l’instruction à travers la réalisation de certains actes relatifs à la production des preuves à
même d’étayer leurs allégations »33.

2 – L’admission du requérant comme principal débiteur de la charge probatoire


La politique jurisprudentielle en matière probatoire a conduit le juge électoral à mettre
essentiellement la charge processuelle de la preuve sur le requérant. Cette charge processuelle
de la preuve génère une double obligation pour le requérant : celle de la production de la preuve
de sa prétention (a) et celle de la production de la preuve déterminante (b)34.
a – L’obligation de la production de la preuve de sa prétention
La charge de la preuve pesant sur le requérant s’entend de l’obligation d’apporter des
éléments nécessaires au succès de sa prétention35. En règle générale, une élection jouit, jusqu'à
preuve du contraire, d'une présomption de validité et le simple fait d'alléguer un motif de son
irrégularité n’impacte pas sur cette présomption. Dès lors, c'est à celui qui prétend le contraire
qu'il incombe d’établir la preuve de l'existence de l’irrégularité décriée. Alors, s’il est dans
l’incapacité de prouver ce qu'il avance et ne parvient pas à transformer en certitude les soupçons
qu'il fait planer sur la validité de l'élection, le juge électoral devra rejeter la contestation36. À
l’évidence, la politique jurisprudentielle relative à la charge de la preuve incombant au
requérant devant le juge administratif ou le juge constitutionnel statuant comme juge électoral
est sans équivoque.
Selon le juge administratif, le fardeau de la preuve pesant sur le requérant découle du
Principe Général de Droit selon lequel, qui allègue, prouve. C’est ce qui ressort dans l’affaire
Kali contre l’État du Cameroun lors des élections municipales du 22 juillet 2007 dans la
circonscription communale de Makari. En l’espèce, il soutient : « Attendu que celui qui prétend
qu’il y a eu fraude ou irrégularité doit en rapporter la preuve ; qu’en l’espèce, le requérant n’a
pas rapporté la moindre preuve de ses allégations et n’a joint aucune pièce probante pour
établir le bien-fondé de son recours ; qu’il y’a lieu de rejeter, comme non justifié le recours de
sieur Kali »37. En application de ce principe, il est confirmé que la charge de la preuve est
attribuée au requérant dans l’optique d’établir la réalité des faits litigieux. Ainsi, il lui appartient
de rapporter la preuve de la véracité des griefs qu’il allègue sous peine de voir sa requête
rejetée38. C’est dire que la réclamation ou la contestation non accompagnée des pièces

33
Idem, p. 212.
34
NKOULOU Yannick Serges, « Les transformations de l’administration de la preuve civile, réflexion à partir de
l’article 28 de la loi-cadre portant protection du consommateur », RRJ, vol. 1, 2019, p. 60.
35
Ibid.
36
MORIN Jacques Carl, « Le droit de la preuve et la pétition en contestation d'élection », Les Cahiers de droit, 20
(1-2), 1979, https://doi.org/10.7202/042312ar, p.157.
37
Jugement n°188/06-07 du 29 aout 2007, KALI c/ État du Cameroun et RDPC.
38
Jugement n°19/CE/2013 du 19 aout 2013, KEPSEU Mirabeau c/ ELECAM ; jugement n°288/CE/2013 du 05
novembre 2013, TIMAMO TEDJON Sylvain c/ ELECAM et RDPC ; Jugements n°81/CE/01-02 du 03 septembre
2002, KOTIE Emmanuel et autres candidats de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), commune urbaine
de Douala Ve contre État du Cameroun et RDPC.

90
justificatives des irrégularités ou exactions dénoncées ne pourront emporter la conviction du
juge administratif quant à la véracité des faits allégués39.
La reconnaissance par le Conseil Constitutionnel de la charge de la preuve des allégations
pesant sur le requérant ressort dans l’affaire Fritz Ngeka Etoke contre ELECAM lors des
élections législatives de février 2020. D’après lui, le Code électoral oblige le requérant à
apporter la preuve de ses allégations sous peine d’irrecevabilité. Il en va du Principe Général
de droit qui stipule : qui allègue, prouve. Il soutient ainsi « considering that the principle of law
is that he who alleges must prove the allegation »40. Ainsi donc, il n’existe pas de présomption
de fraude ou d’irrégularité dans le jargon du juge électoral. La fraude et l’irrégularité dénoncées
par le requérant ne se présument pas. Elles se constatent et se prouvent. Il s’agit pour le Conseil
Constitutionnel des conditions obligatoires ne pouvant souffrir d’aucune exception. L’affaire
Paul Nji Tumasang du SDF du 19 décembre 2019 en est l’illustration. Dans ladite affaire le
Conseil soutient : « Attendu que le requérant n'a présenté aucun document à l'appui de ses
allégations devant ce Conseil et n'a donc pas satisfait aux conditions obligatoires (…). Son
allégation est considérée comme gratia dictum et est par conséquent rejetée comme non
fondée »41. Sont ainsi considérés comme présomption de fraude ou d’irrégularité, les faits
qualifiés d’affirmations gratuites ne reposant sur aucune preuve ou commencement de preuve42.
En dehors de l’exigence d’un commencement de preuve comme c’est le cas devant le
juge administratif statuant en matière électorale, le juge constitutionnel de son côté exige un
fondement probant des prétentions en cause pour les élections politiques nationales43. Force est
de constater que l’obligation de prouver incombant au requérant fait peser une double exigence
à son endroit. En effet, il a l’obligation de fournir non seulement à l’appui des moyens de faits
et de droits clairement évoqués des preuves corroborant sa prétention44, mais également, des
informations fiables pouvant emporter la conviction du juge. Le défaut de preuve fiable entraine
le rejet de la requête par le juge constitutionnel45.
b – L’obligation de la production d’une preuve déterminante
L’obligation de produire une preuve pertinente s’entend de manière générale de
l’obligation faite à une partie au procès d’avancer des faits qui à les supposer établis, sont de
nature à fonder ladite prétention46. En contentieux électoral, elle se traduit concrètement par la

39
Jugement n°227/06-07/CE du 29 aout 2007, KOULAGNA NANA c/ État du Cameroun, jugement n°172/06-07
du 29 aout 2007, ZEMBA MEWOANDE Pierre c/ État du Cameroun et MOAMOSSE SANKANDELA Gustave.
40
Ruling n°26/CC/SRCER of the 25 February 2020 between, Mrs. Fritz NGEKA ETOKE AND CPDM,
ELECAM, Ministère de l’Administration Territoriale (MINAT).
41
Décision n° 13/SRCER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, SDF, PAUL NJI TUMASANG c/ ELECAM, RDPC,
KUMASE SIMON POWOH.
42
Décision n° 24/CC/SRCER du 24 Février 2020, NADJIBER Daniel c/ RDPC, ELECAM, MINAT. Décision n°
22/CC/SRCER du 24 février 2020, UNIVERS c/ RDPC, Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès
(UNDP), Parti Camerounais pour la Réconciliation Nationale (PCRN), ELECAM, MINAT. Ruling n°
019/CC/SRCER 24th February 2020 between, MBANG SUFFER GILBERT and CPDM, SDF, ELECAM,
MINAT.
43
Décision n° 30/CC /SRCER/G du 24 Février 2020, OWONA Paul Christophe c/ RDPC, ELECAM, MINAT.
44
Arrêt n°96/CE/96-97 du 03 juin 1997.
45
Arrêt n°122/CE/96-97 du 04 juin 1997, Judgment n°01/CEL/07 of 02 June 2007 between AYAH Paul Abine
and the State of Cameroon, Arrêt n°18/CE du 1er octobre 2004, DJOUAKA Alfred Augustin c/ État du Cameroun.
46
NKOULOU Yannick Serges, « Les transformations de l’administration de la preuve civile, réflexion à partir de
l’article 28 de la loi-cadre portant protection du consommateur », op. cit., p. 60.

91
charge de la preuve de l’incidence des irrégularités sur l’issue du scrutin dont le juge fait reposer
sur le requérant. En effet, outre l’obligation de prouver les irrégularités et fraudes dénoncées,
le requérant a également l’obligation de précision de l’impact desdites irrégularités et fraudes
sur l’issue du scrutin pour que le scrutin soit annulé47. De ce fait, il ne suffit pas que la preuve
de l’existence des faits dénoncés ait été rapportée, il faut en plus que lesdits faits présentent un
degré de gravité indéniable par rapport au scrutin en question, à son issue. Dès lors, « les seuls
arguments susceptibles d’être invoqués à l’appui d’un recours sont ceux qui font état des griefs
qui ont eu une influence sur les résultats du scrutin »48.
L’obligation de produire des preuves pertinentes qui pèse ainsi sur le requérant entraine
pour ce dernier, l’impératif de « (…) produire des éléments probants de nature non
exclusivement à établir les faits allégués, mais aussi de nature à éclairer sur la gravité du grief
soulevé »49. Les exigences ainsi posées sont d’ordre public pour le juge, sa méconnaissance
étant sévèrement sanctionnée par lui50. Ces exigences découlent de l’application de l’article 134
du Code électoral en vertu duquel, la requête contenant des griefs ne pouvant avoir aucune
incidence sur le scrutin ne peut prospérer devant le juge électoral. C’est dire que seules les
requêtes rapportant la preuve de l’incidence des fraudes et manipulations évoquées sur la
sincérité du scrutin pourront donner droit à l’annulation des élections ainsi entachées. Tel est
consacré le principe dit de l’influence déterminante ou de l’effet utile qui fait l’objet d’une
application universelle par la quasi-totalité des juges électoraux dans le monde. À l’évidence,
dans la recherche de « l'adéquation entre le résultat proclamé et la volonté majoritaire
librement exprimée des électeurs »51, le juge électoral camerounais privilégie « la recherche de
l’influence déterminante d’une irrégularité sur l’issue du scrutin »52. Ainsi donc, il est plus
préoccupé par les effets de la fraude électorale sur le résultat de l’élection53. À défaut de prouver
que la volonté exprimée telle qu’elle ressort de l’urne est la conséquence de l’influence des
fraudes, le juge ne peut que rejeter le recours comme non fondé54.
Force est de constater que si la preuve de l’existence de la fraude et des irrégularités n’est
pas évidente à établir, celle de l’influence de la fraude sur l’issue du scrutin l’est davantage pour
le requérant. En effet, la charge de la preuve de l’incidence de la fraude sur les résultats est le
plus souvent difficile à établir55. Ceci suppose que le requérant ait, « tout au long de l’élection,
porté sur les opérations le regard du procureur sur le présumé coupable et noté avec soin les

47
CHHORN SOPHEAP, Les élections législatives au Cambodge depuis 1993, Thèse, Université Lumière, Lyon
2, 2004, p. 383.
48
MANDENG diane, La procédure contentieuse en matière électorale : recherches sur le contentieux des
élections au Cameroun, op. cit., p. 221.
49
DJIEPMOU Bruno, Le juge constitutionnel camerounais et la régulation du processus démocratique, op. cit.,
p. 153.
• 50 Arrêt n°25/CE/96-97 du 03 juin 1997.
51
KATSHUNG YAV Joseph « De l’appréciation du critère de « l’influence déterminante » dans la gestion du
contentieux électoral en RDC », Pambazuka News voix panafricaine pour la liberté et la justice, n° 16, 21-11-
2006, 5 p. [En ligne], http://pambazuka.org/fr/category/comment/38441, consulté le 17- 06- 2016.
52
MANDENG diane, La procédure contentieuse en matière électorale : recherches sur le contentieux des
élections au Cameroun, op.cit., p. 251.
53
CHHORN SOPHEAP, Les élections législatives au Cambodge depuis 1993, op. cit., p. 286.
54
Jugement n°232/06-07/CE du 29 aout 2007, NDEUDJI Gabriel c/ État du Cameroun.
55
CHHORN SOPHEAP, Ibid., p. 383.

92
anomalies constatées pour être en mesure d’en apporter la preuve »56. Si la recherche de la
vérité judiciaire est une obligation de la justice, la neutralité dont fait preuve le juge sur le terrain
de la preuve en constitue un handicap majeur. Concrètement, la charge de l’allégation devrait
s'accommoder de la confrontation avec la réalité. Il est souvent difficile, voire impossible, pour
le requérant, dans certaines situations, de rapporter la preuve déterminante. Dès lors, le juge
devrait participer à la démonstration de la preuve57. Cependant, l’on assiste souvent à un
allègement de la charge de la preuve pesant sur le recourant.

B – L’allègement de la charge de la preuve en matière de contentieux électoral

L’insuffisance de l’allègement de la charge processuelle de la preuve résulte du fait que


ledit allègement incombant au requérant n’intervient que dans le cadre de l’inversion de la
charge de la preuve. Elle résulte également dans le cadre où le juge électoral estime qu’il y a
déjà un commencement de preuve nécessaire pour qu’il intervienne. Cependant, l’allègement
de la charge de la preuve incombant au requérant ne signifie aucunement qu’il soit dispensé de
la production des éléments de preuve en vue d’établir la véracité des faits allégués. Cet
allègement découle de l’accompagnement du requérant dans la production de la charge de la
preuve. Cet accompagnement peut être soit le fait de la partie défenderesse (1), soit le fait du
juge électoral en question (2).

1 – L’admission du partage de la charge de la preuve entre les parties


Si l’obligation de prouver les prétentions contenues dans la réclamation incombe
principalement au requérant, la charge de la preuve est souvent partagée avec le défendeur, ceci
en vertu du principe du contradictoire. Il fondait pour cela que la partie adverse soit non
seulement informée des chefs d’accusations qui pèsent contre elle, mais également met à sa
charge l’impératif de se défendre des allégations adressées à son encontre. En produisant des
éléments de preuve contraire permettant de démentir lesdites allégations et d’établir la vérité.
En effet, suivant la technique de l’alternance, le fardeau de la preuve entraine aussi bien
« l’implication initiale du demandeur, que celle du défendeur qui doit satisfaire à la production
de la preuve contraire de l’affirmation du demandeur. Ainsi, cette alternance qui est assimilée
à un combat probatoire ne s’achève que lorsqu’une des deux parties n’arrive pas à satisfaire
aux exigences de la charge de la preuve qui repose sur elle »58.
Concrètement, il s’agit pour chaque partie au procès de fournir des preuves pour
combattre l’allégation contraire, même si la charge de la preuve ne lui échoit pas59. C’est ce qui
a été retenu dans l’affaire AYAH Paul Abine. Face à l’allégation d’une double appartenance
politique d’un candidat par le requérant, l’administration a fourni les éléments de preuve

56
MASCLET Jean-Claude, Droit électoral, éd. PUF, Paris, 1989, p. 407.
57
EVEILLARD G w e l t a z , « L’administration de la preuve devant le juge de l’excès de pouvoir, CE, 26
novembre 2012, n°354108, Cordière : Jurisdata, n°2012- 027366. Rec. CE, 2012 », Droit administratif, éd.
LexiNexis, 2013, p. 31.
58
TERRE François, Introduction générale au droit, op. cit., p. 508.
59
MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, op.cit., p.171.

93
attestant le contraire. Ce qui a emporté la conviction du juge électoral quant à l’absence de
véracité des allégations du requérant60.
Cependant, le partage de la charge de la preuve incombant au requérant avec le défendeur
implique pour ce dernier à produire des preuves contraires, non pas pour se défendre, mais pour
apporter les éléments de preuve que le requérant n’a pas pu produire. Toutefois, pendant
l’instruction, le défendeur peut soulever une exception en défense. Ce faisant, il se transforme
en demandeur. Il lui revient alors de supporter la charge de la preuve concernant cette exception
uniquement61. Il s’agit dans ce cas d’une sorte d’inversion de la charge de la preuve. Cette
inversion se fonde sur le fait que chacune des parties à l’instance doit apporter sa contribution
à la manifestation de la vérité.
Le partage de la preuve peut également consister pour le défendeur, non pas à la
production de la preuve contraire, mais plutôt à la production de la preuve allant dans le sens
du demandeur. Il en est ainsi, lorsque la décision du juge se fonde sur les aveux du défendeur
faisant siennes les allégations du requérant62. Il ressort donc que l’acquiescement de la partie
défenderesse aux allégations faites par le requérant est pris en considération par le juge électoral
dans l’administration de la preuve63. Dans ce cas, il est permis de dire que les aveux opèrent
une dispense de preuve et emportent ainsi la conviction du juge. Le commencement de preuve
apporté par le requérant entraine également un allègement de la charge de la preuve par
l’implication du juge à la manifestation de la vérité64.

2 – L’assistance du juge électoral dans la production de la preuve


Si le juge électoral est pointilleux en ce qui concerne la charge de la preuve incombant à
titre principal au requérant, il peut le décharger de la production des éléments de preuve probant.
Toutefois, l’implication du juge électoral, qu’il soit administratif ou constitutionnel, dans le
partage de la charge de la preuve est mesurée. En effet, lorsque le requérant fournit un
commencement de preuve attestant de la véracité de ses allégations, le juge peut alors
s’impliquer davantage dans la manifestation de la vérité juridictionnelle. Il le fait par le biais
des mesures d’instruction à la recherche des éléments de preuves adéquates pour établir la
réalité des faits allégués. C’est à ce titre que le juge administratif et le juge constitutionnel
prennent généralement en compte les rapports et procès-verbaux des commissions électorales
dans le but soit de renforcer les éléments de preuve avancés par le recourant65, soit de le
débouter de sa prétention66.

60
Judgment n°01/CEL/07 of 02 June 2007 between AYAH Paul Abine and the State of Cameroon.
61
MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, op. cit., p. 170.
62
Arrêt n°42/CE/01-02 du 17 juillet 2002, POPC, UNDP c/ État du Cameroun.
63
Décision n° 22/SRCER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, NGNOHEU SYMPLICE c/ ELECAM, MINAT.
Décision n° 14/SRCER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, MANBAGAP Paul c/ ELECAM, MINAT.
64
FOULQUIER Caroline, La Preuve et la justice administrative française, éd. l’Harmattan, Coll. Logiques
Juridiques, Paris, 2013, p. 348.
65
Arrêt n°54/CE/02-02 du 17 juillet 2002, SDF et UNDP c/ État du Cameroun.
66
Voir les arrêts relatifs aux affaires de la circonscription de Wouri Sud (SDF et UNDP) et de la circonscription
de la Vina (UNDP), les décisions sur les affaires des circonscriptions du Noun (SDF, RDPC et UNDP) et de la
Mefou Afamba (UNDP).

94
S’agissant du juge constitutionnel, il accorde une place de choix aux rapports de
l’Observatoire National des Élections (ONEL)67 et de la Commission Nationale de
Recensement Général de Votes (CNRGV)68 dans la quête de la manifestation de la vérité
judiciaire. Cette attitude du juge constitutionnel s’est le plus illustré lors des élections
législatives et municipales de 2002 et 2007. En effet, le contentieux des élections couplées de
2002 contient de manière abondante des références à la position de l’ONEL selon qu’il a ou
non relevé des irrégularités69. Le juge électoral dans plusieurs espèces s’est fondé sur les
rapports de l’ONEL et de la CNRGV pour constater et sanctionner les irrégularités dénoncées
pendant le déroulement du scrutin70. À titre illustratif, à la demande de l’annulation du scrutin
dans la circonscription de Bamboutos par le Social Democratic Front (SDF), le juge décide que
« (…) ces griefs ont été constatés par la Commission Nationale de Recensement Générale de
Votes (…) »71.
Lors du double scrutin législatif et municipal de 2007, la prise en compte des rapports des
commissions électorales par le juge constitutionnel s’est davantage accentuée. Ceci du fait que,
la seule constatation des irrégularités et fraudes par lesdites commissions ont suffi au juge pour
annuler le scrutin dans certaines circonscriptions électorales sans avoir à examiner les recours
dont il était saisi72. Le fait pour le juge d’annuler les élections sur la base des rapports et procès-
verbaux à lui transmis et non sur la base de l’examen de la requête dont il est saisi, peut-être
appréhendé comme une sorte d’auto saisine du juge73.
Outre la prise en compte des procès-verbaux des commissions électorales dans
l’administration de la preuve, le juge administratif tient compte de la décision du Conseil
Constitutionnel annulant les élections législatives dans une circonscription donnée pour annuler
les élections municipales dans ladite localité. C’est ce qui ressort de certaines de ses décisions
lors du double scrutin législatif et municipal de 2007. Dans ces affaires, le juge va déclarer les
recours des requérants fondés, car les allégations faites par ces derniers rejoignent les
constatations relevées par le Conseil Constitutionnel dans le cadre des élections législatives
dans la même localité. D’après lui, « attendu que les élections du 22 juillet 2007 concernaient
à la fois les législatives et les municipales ; qu’ainsi, la sanction de l’élection législative
prononcée par le Conseil Constitutionnel au vu des irrégularités relevées dans la commune
s’impose à l’élection des conseillers municipaux de ladite commune ; qu’il s’ensuit que le
recours est justifié »74.

67
V. n°2006/016 du 19 décembre 2000 portant création d’un Observatoire Nationale des Élections.
68
V. art. 68 et 69 de la loi n°2012/001 du 19 avril portant code électoral.
69
OLINGA Alain Didier, « Justice constitutionnelle et contentieux électoral : quelle contribution à la sérénité de
la démocratie élective et à l’enracinement de l’Etat de droit ? Le cas du Cameroun », CAFRAD, Marrakech (Maroc)
26 – 28 Novembre 2012, disponible sur : http://www.cafrad.org/Workshops/Marrakech 26-
28_11_12/4_Olinga.pdf, (consulté le 20-06-2016).
70
Arrêt n°54/CE/02-02 du 17 juillet 2002, SDF et UNDP c/ État du Cameroun.
71
Arrêt n°54/CE/02-02 du 17 juillet 2002, SDF et UNDP c/ État du Cameroun. Arrêt n°27/CE/01-02 du 17 juillet
2002, SDF et UNDP c/ Etat du Cameroun.
72
Arrêt n°117/CEL du 07 aout 2007, KODOCK Augustin Fréderic c/ État du Cameroun, Arrêt n°118/CEL du 07
aout 2007, Basile YAGAI c/ État du Cameroun, Arrêt n°119/CEL du 07 aout 2007, KWEMO Pierre c/ État du
Cameroun.
73
Ne pouvant directement se saisir, le juge a tiré profit de la saisine dont il a fait l’objet pour annuler le scrutin.
74
Jugement n°181/2006-2007/CE du 29 aout 2007, SILATCHOM Pierre c/ État du Cameroun.

95
Le rôle joué par le juge électoral dans l’accompagnement du requérant en vue de
l’établissement de la vérité est donc une réalité. Seulement, ce sont les seules exceptions que le
juge semble s’imposer en ce qui concerne son concours à la manifestation de la vérité. Pourtant,
il jouit d’un pouvoir discrétionnaire remarquable lui permettant de diversifier les sources de sa
connaissance pour asseoir sa conviction et de relativiser, dans la mémé lancée, la place de
l’argumentation des parties75. Ceci à travers la prescription des mesures d’investigation et
l’usage de son pouvoir d’injonction. Il convient tout de même, de reconnaitre, un dynamisme
juridictionnel remarquable dans la construction du régime des modes de preuves.

II – LA CONSTRUCTION ADEQUATE DU REGIME DES MODES DE PREUVE


ADMISSIBLES

Le système de la liberté de la preuve76 qui irrigue le contentieux électoral entraine comme


implication pour le juge, la libre appréciation des éléments de preuve. Cette liberté
d’appréciation du juge a permis de constater un dynamisme juridictionnel remarquable dans
l’édification des modes de preuve admissible en matière électorale. Ceci passe par
l’appréciation souveraine des moyens de preuve recevables (A) et l’appréciation souveraine de
la force probante de la preuve (B).

A – L’appréciation souveraine des moyens de preuves recevables

Le principe de la liberté de la preuve pour les parties au procès renvoie à l’administration


de la preuve par tout moyen77. Concrètement, les parties au procès peuvent joindre soit à leur
requête introductive d’instance, soit au mémoire en réplique tous les moyens qu’elles jugent
nécessaires en vue d’étayer leurs prétentions. Il revient donc au juge d’en apprécier la
recevabilité78. C’est d’ailleurs ce que confirme le juge administratif à l’occasion des élections
partielles de 2008 dans l’affaire KAMGA NGADDJUI. Selon lui, « considérant que le
contentieux administratif n’a pas édicté de règles spéciales d’administration de la preuve ;
qu’il en résulte qu’en droit administratif, le juge peut recevoir tous les moyens de preuve qui
lui sont présentés par les parties au litige selon les règles générales de preuve »79. Le juge
dispose ainsi d’un pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation des moyens de preuves
recevables. L’analyse de son œuvre prétorienne permet de constater la prépondérance des
preuves écrites (1), même si elle accorde une place à l’aveu (2).

75
MAGNON Xavier, « Qu’est-ce que ” instruire ” le procès constitutionnel? », Les pouvoirs d’instruction des
cours constitutionnelles et la formation de l’intime conviction des juges constitutionnels, MAGNON Xavier,
ESPLUGAS-LABATUT Pierre, MASTOR Wanda, MOUTON Stéphane (Dir.), éd. Presses universitaires Aix
Marseille Université, Actes de la journée d’études, 2016, pp.9-12.
76
Le système de la liberté de la preuve tire sa source des principes généraux de procès. Ce système entraine une
double implication à l’égard des parties au procès et du juge. A l’égard des parties, il implique la liberté des moyens
de preuve pour étayer leurs prétentions. À l’égard du juge, il implique la libre appréciation des éléments de preuve
fournis par les parties.
77
MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, op. cit., p. 206.
78
V. art. 35, 75 et 76 des lois fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs d’une part et
de la Chambre Administrative de la Cour Suprême d’autre part.
79
Arrêt n°02/CEM/08 du 28 aout 2008, KAMGA NGADDJUI et consort, État du Cameroun c/ État du Cameroun,
KWEMO Pierre.

96
1 – La prépondérance de la preuve écrite
À l’instar du contentieux administratif, la preuve écrite est la pierre angulaire en ce qui
concerne les modes de preuves admissibles en contentieux électoral. Contrairement à certains
types de contentieux dont les mesures d’instruction sont constituées des enquêtes, des descentes
sur les lieux, des expertises, de l’audition des parties et des témoins ou la production des pièces
écrites, le contentieux électoral est dominé par la production de la preuve écrite. La preuve par
écrit encore qualifié de preuve littérale80 s’entend comme « résultant d’une suite de lettres, de
caractères, de chiffre ou de tout autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible,
quels que soient leur support et leurs modalités de transmission »81. Suivant la règle selon
laquelle les pièces constituent un préalable à l’instruction du dossier, le juge électoral exige des
parties d’annexer les pièces simultanément à la requête introductive d’instance ou au mémoire
dès son enregistrement à l’appui de leurs prétentions. Si le juge a une préférence pour les
preuves par écrit, il a défini les types de pièces admissibles. Il s’agit des procès-verbaux de
constat, des actes d’état civil, des actes judiciaires.
Pour ce qui est d’une part des procès-verbaux de constat, ils peuvent émaner des exploits
des huissiers de justices, de la gendarmerie nationale82 ainsi que des commissions électorales.
S’agissant des procès-verbaux de constats d’huissier, ils ont été admis comme modes de preuve
par excellence pour étayer les prétentions du requérant. En effet, l’exploit des huissiers
bénéficie de la présomption de vérité irréfragable jusqu’à preuve du contraire. C’est dire que
les procès-verbaux de constat d’huissiers font partir des éléments principaux de preuve
suffisante pour emporter la conviction du juge électoral, quel qu’il soit83. Il permet de rapporter
par écrit les conditions de déroulement général du scrutin en mentionnant les irrégularités
constatées et les fraudes commises, en rapportant par écrit les déclarations et aveux des témoins
et auteurs desdites irrégularités et fraudes. Il s’agit des éléments qui ne peuvent être prouvés
que par la production des pièces authentiques. Pour ce qui est des procès-verbaux des travaux
des commissions électorales, il faut noter que le juge administratif et le juge constitutionnel
accordent une place de choix aux rapports et procès-verbaux de l’ONEL et des Commissions
électorales dans la quête de la manifestation de la vérité judiciaire, soit pour renforcer les
éléments de preuve avancés par le recourant84, soit pour débouter le requérant de sa prétention.
Pour ce qui est d’autre part des autres modes de preuve, le juge électoral en prévoit les
actes d’états civils et de justices. Les actes d’états civils sont essentiellement produits pour
étayer les allégations d’inéligibilité d’un candidat pour immaturité politique ou pour décès ou
même pour double appartenance politique. C’est ce qui ressort à titre illustratif de l’affaire AYA
Paul Abine où, suite à l’allégation de double appartenance politique d’un candidat, il a été
produit à l’audience la photocopie d’acte de naissance prouvant qu’il s’agit de deux personnes

80
V. art. 1316 à 1340 du code civil français.
81
V. art. 1316 du code civil français.
82
Arrêt n°57/CE/01-02 du 17 juillet 2002, UNDP, RDPC c/ État du Cameroun. Il ressort de cet arrêt que les
procès-verbaux de constats de gendarmerie sont également pris en compte par le juge électoral.
83
Décision n°60/CCEL du 13 aout 2013, Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) c/ État du
Cameroun, Jugement n°283/06-07/CE du 27 juillet 2007, KALAMBACK KOLLO Jean Débonnaire c/ État du
Cameroun, Jugement n°181/06-07 du 29 aout 2007, SILATCHOM pierre c/ État du Cameroun.
84
Arrêt n°54/CE/02-02 du 17 juillet 2002, SDF et UNDP c/ État du Cameroun, Arrêt n°28/CE/01-02 du 17 juillet
2002, SDF, UNDP c/ État du Cameroun, Etc.

97
différentes85. Pour ce qui en est des actes de justice à l’instar du Casier judiciaire et des actes
de jugement, ils sont admis par le juge électoral comme élément de preuve suffisante pour
prouver ou non l’allégation d’inéligibilité d’un candidat pour avoir fait l’objet d’une
condamnation86. Ils permettent aussi au juge administratif de fonder sa décision d’annulation
du scrutin. Il en est ainsi de la décision d’annulation du scrutin rendue par le juge constitutionnel
pour les élections législatives dans la même localité87.

2 – L’admission de l’aveu
De manière générale, l’aveu s’entend de « la déclaration par laquelle une personne
reconnait pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques »88.
L’aveu peut être judiciaire ou extrajudiciaire. L’aveu judiciaire renvoie à la déclaration en
justice faite par une partie au procès soit personnellement, soit par le biais de son avocat ou
mandataire. L’aveu judiciaire jouit d’une force probante remarquable devant le juge électoral.
Il lui accorde une place importante dans la formation de son intime conviction. Il est perçu
comme « un contrat de vérité qui permet à celui qui juge de savoir d’un savoir indubitable et
que tout citoyen peut reconnaitre en son âme et conscience »89. Toutefois, l’aveu comme les
autres éléments de preuve est laissé à la libre appréciation du juge. C’est dire que sa recevabilité
suppose celle de la preuve par tout moyen et sa force probante est laissée à l’appréciation
souveraine des juges du fond90. Le juge électoral accorde une place de choix à l’aveu émanant
à la fois du requérant et du défendeur en tant que moyen de preuve recevable.
S’agissant de l’aveu émanant du requérant, le juge électoral s’en sert pour la formation
de sa conviction. C’est ce qui ressort de l’affaire opposant l’État du Cameroun à Mme NTJAM
YEBGA Pauline dans laquelle la Cour Suprême, statuant en appel dans le cadre de contentieux
municipal de 2007, en a fait recours91. Le juge, en plus de l’aveu du demandeur, exploite celui
du défendeur pour parvenir à la solution du litige soumis à son appréciation92. En ce qui
concerne l’aveu fait par le défendeur, le juge l’a mis en exergue dans plusieurs affaires. En
effet, le juge s’est fondé sur les aveux du défendeur pour déclarer les recours recevables quant
au fond dans ces affaires. C’est ainsi qu’il énonce sans ambages : « Attendu qu’il ressort du
mémoire en réponse du représentant désigné de l’État (…) que l’ordre des candidats tel que
présenté dans l’arrêté n°00001/A/MINATD/SG/DAJ du 31 mai 2007 pour ce qui est des
candidatures de l’AFP dans la circonscription électorale de Mezam Centre résulte d’une erreur
matérielle ; D’où il suit que le recours est fondé et qu’il y’a lieu de rétablir l’ordre des

85
Judgment n°01/CEL/07 of 02 June 2007, between AYAH Paul Abine and de State of Cameroon.
86
Décision n°62/CCEL du 13 aout 2013, UNDP c/ ELECAM et RDPC.
87
Jugement n°181/06-07/CE du 29 aout 2007, SILATCHOM pierre c/ État du Cameroun et TCHOMTCHOUA
TCHOKY DJADJO KETCHAYA LEUNDJEU Célestin.
88
MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, op.cit., p. 203.
89
FRANÇOIS (J), « Aveu, vérité et subjectivité, autour d’un enseignement de Michel Foucault », RIEJ, 1981, p.
176.
90
MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, op.cit., p. 203.
91
Arrêt n°08/CM/08 du 28 aout 2008, État du Cameroun c/ NTJAM YEBGA Pauline de l’Union des Populations
du Cameroun (UPC).
92
FOUMENA Gaëtan Thierry, Le juge administratif et la preuve : contribution à l’étude de la construction
jurisprudentielle du droit de la preuve au Cameroun, op.cit., p. 543.

98
candidats, tel qu’il figure dans la déclaration de candidature ». Une fois les éléments de preuve
jugés recevables par le juge électoral, il apprécie leurs forces probantes.

B – L’appréciation souveraine de la force probante de la preuve

Le régime probatoire en matière électorale est dominé par l’intime conviction du juge. La
place ainsi accordée à l’intime conviction du juge dans ce régime est matérialisée par la
consécration du principe de la libre appréciation des preuves. Conformément à ce principe, la
conviction du juge se forme librement sans qu’il soit tenu par telle preuve plutôt que par telle
autre preuve. En effet, il est de jurisprudence constante que le juge électoral dispose de la
prérogative de l’appréciation discrétionnaire de la force probante des éléments de preuve sur
lesquels il fonde son intime conviction93. La force probante d’une preuve dans ce contexte
« désigne l’aptitude du moyen de preuve à emporter la conviction du juge, une fois produit à
l’instance »94. Il apparait dès lors qu’il ne suffit pas que les éléments de preuve soient considérés
comme suffisants par le juge pour déclarer la requête fondée, il faut en plus qu’il soit convaincu
de leur force probante. Cette liberté dont dispose le juge électoral dans l’appréciation de la force
probante de la preuve l’a conduit à rejeter les preuves inopérantes (2) et les preuves irrégulières
(1).

1 – Le conditionnement de la régularité de la preuve


Le régime probatoire en matière électorale met en évidence, l’étendue du pouvoir
discrétionnaire dont dispose le juge électoral dans l’exercice de son office. En effet,
l’appréciation souveraine de la force probante de la preuve amène le juge électoral, au-delà de
la recevabilité des éléments de preuve fournis par les parties au procès, à apprécier la régularité
de la preuve. Concrètement, la faculté accordée aux parties à l’instance de produire tout élément
de preuve nécessaire à la formation de la conviction du juge électoral n’implique pas que ces
éléments de preuve puissent être recherchés ou obtenus de n’importe quelle manière. Le juge
électoral exige que les éléments de preuve annexés à la requête ou au mémoire soient obtenus
conformément à la loi. En réalité, les éléments de preuves admis par le juge électoral sont les
pièces obtenues de manière légales et ne tombant pas sous le coup des inscriptions en faux.
C’est ce qui ressort de l’affaire NGO YOG Suzanne épouse IKOKO où le juge soulève d’office
le moyen pris de l’illégalité du procès-verbal de constat d’huissier. En effet, l’huissier de justice
a exercé sa mission en violation des dispositions législatives relatives aux fonctions et aux
statuts des huissiers. Bien que les constats d’huissiers soient les plus fréquents et principaux
modes de preuves admis en contentieux électoral, le juge exige pour leur prise en compte qu’ils
soient conformes à la législation en vigueur95. Selon le juge administratif, l’acquisition de

93
VOGEL Gaston, Droit pénal, éd. Promoculture-Lacier, Luxembourg, Collection les Pandectes, nouvelle édition
actualisée, 2018, p. 110.
94
MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, op. cit., p. 213.
95
Conformément aux dispositions de l’article 20 al. 4 du décret n°79/448 du 5 novembre 1979 portant
règlementation des fonctions et fixant le statut des huissiers au Cameroun, sauf ordonnance du magistrat
compétent, l’huissier ne peut instrumenter les dimanches et jours fériés, les jours ouvrables avant 6 heures et après
18 heures.

99
preuve en vue d’étayer les prétentions des parties doit se faire conformément à la loi et non en
violation des règles préétablies en la matière.
Pour se prononcer sur l’illégalité de l’élément de preuve annexé dans cette affaire, le juge
déclare : « attendu que pour justifier sa demande, la recourante a produit un procès-verbal de
constat avec audition dressé le 16 octobre 2013 par Maitre Ndinchot Alice, huissier de justice
intérimaire à l’étude de Maitre Baleng Maah Célestin, Huissier de justice à Douala ; (…)
Attendu dès lors que les constatations et déclarations contenues dans cet exploit dressé en
violation de la loi sont non avenues et ne sauraient servir d’éléments de preuve des faits
allégués ; qu’il s’ensuit que le recours de Dame Ngo Yog Suzanne épouse Ikoko n’est pas
justifié et qu’il y’a lieu de le rejeter »96.
De même, les pièces annexées à la requête ou au mémoire doivent être des actes
authentiques ne souffrant d’aucune infraction d’inscription en faux. Selon le juge administratif,
les procès-verbaux de constat d’huissier pour être valables doivent être établis pendant le
déroulement des opérations électorales et non après. En vertu de la jurisprudence constante en
matière de contentieux électoral, l’acte authentique entaché d’une irrégularité de forme perd sa
valeur probatoire97. C’est ce qui ressort de l’affaire Atangana Denis Emilien dans laquelle, le
juge rejeta le procès-verbal établi par l’huissier comme élément de preuve du fait qu’il a été
établi deux (2) jours après le déroulement du scrutin98.

2 – Le rejet des preuves inopérantes


En précisant les éléments de preuve suffisante le juge électoral a, par la même occasion,
défini les pièces ne pouvant emporter son intime conviction quant à la véracité des faits. Il s’agit
les éléments de preuve inopérante. Ainsi, ne peut être assimilé à une pièce probante aux
allégations de multiples irrégularités ayant émaillé le scrutin dans une circonscription et la
démission de certains candidats inscrits sur une liste, la photocopie d’une requête en annulation
adressée au président de la commission communale de supervision. C’est ce qui ressort de
l’affaire NDONGO Philippe où le juge administratif déclare : « Attendu qu’une telle pièce ne
saurait constituer un élément de preuve suffisant des irrégularités alléguées »99.
Il en va de même des photocopies de correspondance annexées à la requête. C’est à ce
titre que le juge constitutionnel décide que « attendu, en ce qui concerne les griefs sur le
déroulement du scrutin dans la circonscription dont il s’agit, il ne résulte de l’instruction de
l’affaire aucune preuve ou commencement que les faits dénoncés ont été perpétrés, étant à
relever qu’aucune force probante ne saurait être attachée aux photocopies de correspondances
versées au dossier »100 . Cette décision a été retenue dans l’affaire opposant le RDPC à l’État
du Cameroun et le SDF. À la demande de disqualification de la liste de candidature du parti
politique SDF pour double appartenance politique d’un candidat présent sur ladite liste, le juge
constitutionnel rejette la réclamation du requérant. D’après lui, ne saurait constituer un élément

96
Jugement n°332/CE/2013 du 05 novembre 2013, NGO YOG Suzanne épouse IKOKO c/ ELECAM.
97
MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, op.cit., p.196.
98
Jugement n°267/CE/2013 du 05 novembre 2013, ATANGANA Denis Emilien c/ ELECAM.
99
Jugement n°171/06-07/CE du 29 aout 2007, NDONGO Philippe c/ État du Cameroun et RDPC.
100
Arrêt n°63/CE/01-02 du 17 juillet 2002, UNDP ET SDF c/ État du Cameroun (MINAT) ; arrêt n°84/CE/01-02
du 17 juillet 2002, UNDP c/ État du Cameroun (MINAT).

100
de preuve suffisant à même d’étayer l’allégation du requérant, la copie de la carte d’adhésion
du parti politique RDPC de Dame ASSEMBE Louisette ainsi que la copie de la fiche de
candidature individuelle. Ces éléments ne permettent pas de justifier que Dame ASSEMBE
Louisette n’avait pas démissionné du RDPC à la date du dépôt des candidatures101. Selon le
juge constitutionnel, aucune force probante ne saurait être accordée aux déclarations verbales
d’un individu en tant qu’élément de preuve à même d’étayer l’allégation de corruption des
scrutateurs102.
De même aucune valeur probante ne peut être accordée à des thermocopies de compte-
rendu, des rapports, au procès-verbal de constat d’huissier et des pages du procès-verbal de
dépouillement détenus par le seul parti politique contestataire de la régularité du scrutin. C’est
ce qui ressort de l’affaire UNIVERS du 24 février 2020. De l’analyse des pièces jointes afin
d’étayer les allégations d’irrégularités, il ressort que celles-ci émanent des seuls représentants
du parti UNIVERS. D’où le juge affirme qu’ « émanant ainsi des seuls militants du parti
UNIVERS, les allégations contenues dans les pièces produites par le requérant pouvaient bien
être obtenues en dehors de l’environnement électoral ; que n’ayant pas ainsi de preuves
suffisantes, la requête n’est pas justifiée ; qu’elle encourt par conséquent le rejet »103.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

1. CADIET Loic, NORMAND Jacques, MEKKI AMRANI Soraya, Théorie générale du


procès, éd. PUF, Paris, n°1, février 2010, 997 p.
2. FOULQUIER Caroline, La Preuve et la justice administrative française, éd. Harmattan,
Coll. Logiques Juridiques, Paris, 2013, 686 p.
3. FOUMENA Gaëtan Thierry, Le juge administratif et la preuve : contribution à l’étude de
la construction jurisprudentielle du droit de la preuve au Cameroun, Thèse, Droit public,
Université de Yaoundé II, juin 2015, 691 p.
4. MALAURIE Philippe, MORVAN Patrick, Introduction au droit, éd. LGDJ, coll.
MALAURIE Philippe, AYNES Laurent, droit civil, mai 2016, 675 p.
5. MANDENG Diane, La procédure contentieuse en matière électorale : recherches sur le
contentieux des élections au Cameroun [En ligne], Thèse Droit public, Poitiers : Université de
Poitiers, 2017, 436 p.
6. MEJEAN Charles, La procédure devant le tribunal administratif, mise à jour de la
procédure devant le conseil de préfecture, éd. Dalloz, Paris, 1957, 38 p.
7. MEKKI Mustapha, « Regard substantiel sur le risque de la preuve, Essai sur la notion de
charge probatoire », in La preuve : regard croisés, MEKKI (dir.), éd. Dalloz, thèmes et
commentaires, 2015, disponible sur https://www.mekki.fr, consulté le 30 juin 2020.
8. NKOULOU Yannick Serges, « Les transformations de l’administration de la preuve civile,
réflexion à partir de l’article 28 de la loi-cadre portant protection du consommateur », RRJ, vol.
1, 2019, pp. 53-88.

101
Arrêt n°122/CE/96-97 du 04 juin 1997.
102
Arrêt n°96/CE/96-97 du 03 juin 1997.
103
Décision n° 22/CC/SRCER du 24 Février 2020, UNIVERS c/ RDPC, UNDP, PCRN, ELECAM, MINAT.

101
9. PACTET Pierre, Essai d’une théorie de la preuve devant la juridiction administrative, éd.,
A. Pedone, Paris, 1952, 206 p.
10. TERRE François, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, Paris, n°10, 2015, 636 p.
11. VOGEL Gaston, Droit pénal, éd. Promoculture-Lacier, Luxembourg, Coll. les Pandectes,
nouvelle édition actualisée, 2018, 1114 p.

102
L’INCOMPETENCE NEGATIVE DU LEGISLATEUR AU GABON

Par

ENYEGUE ESSO AYISSI Éric Valère*


Ph.D en Droit Public
Assistant en Droit Public
Université de Douala (Cameroun)

Résumé
L’obligation de bien légiférer présente dans certains cas, des symptômes de l’évanescence au
Gabon. L’étendue de prérogatives constitutionnelles à charge au constituant et au profit du législateur
demeure sous certains aspects effleurée par celui-ci. N’ayant intégrée l’idée de Constitution, la notion
d’incompétence négative est rendue intelligible et accessible par la jurisprudence constitutionnelle.
Valorisant la répartition de compétence entre le domaine de la loi et du règlement, le bloc de
constitutionnalité, la compétence législative et l’originalité du droit constitutionnel africain, elle ne
concerne pas seulement la renonciation au domaine de la loi au profit de l’exécutif et elle englobe
aussi les déficiences de légistique. En droit constitutionnel gabonais, est constitutive d’incompétence
négative toute délégation législative de compétence en dehors de l’urgence et la production normative
altérée par les défaillances.

Mots clés : urgence- bloc de constitutionnalité- réserve de loi- juge constitutionnel- compétence
législative.

INTRODUCTION

La régulation de l’activité normative des pouvoirs publics par la juridiction


constitutionnelle 1 se fondant sur les « nouvelles écritures constitutionnelles africaines » 2
renouvelle l’interrogation sur « la fonction de législation »3. L’éclatement de l’exercice de
légiférer par des délégations légales ou indirectes constitue parfois des motifs non exhaustifs à
la rétention de compétence par le législateur. Si « au quotidien, le juge constitutionnel
gabonais « fait la loi » dans tous les sens du terme» 4 , le maniement de l’incompétence
négative du législateur au Gabon cesse d’être une énigme.

*
Mode de citation : ENYEGUE ESSO AYISSI Éric Valère, « l’incompétence négative du législateur au Gabon
», Revue RRC, n° 025 / Septembre 2022, p. 103-129

1
Voy L. FAVOREU, « Le Conseil constitutionnel, régulateur de l’activité normative des pouvoirs publics »,
RDP, 1987, p. 4-20 ; G. KNAUB, « Le Conseil constitutionnel et la régulation des rapports entre les organes de
l’État », RDP., 1983-II, p. 1149-1168.
2
A.-S OULD BOUBOUTT., « Les juridictions constitutionnelles en Afrique. Evolutions et enjeux », A.I.J.C.,
XIII, 1997, p. 40.
3
T. ONDO., Le droit parlementaire gabonais, Paris, L’Harmattan, 2008 p.165.
4
G. ROSSATANGA RIGNAULT., « Quand le juge « fait la loi ». A propos du pouvoir normatif du juge
constitutionnel au Gabon » Revue de la Fondation Raponda-Walker n°6- 2013, p.170; D. SY., « Les fonctions de
la justice constitutionnelles en Afrique », in O. NAREY (s.dir), La justice constitutionnelle, Paris, L’Harmattan,
2016, p.48.

103
L’incompétence négative, est une notion conceptuelle et non fonctionnelle lue sous
l’angle des dictionnaires de culture juridique et des manuels de droit constitutionnel. Héritées
de Georges Vedel, les notions conceptuelles sont celles qui reçoivent des définitions
complètes selon des critères habituels et dont le contenu n’est pas fonctionnellement défini.
« Elles ont une réelle unité conceptuelle (…). L’utilisation de toutes ces notions dépend de
leur contenu ; le contenu ne dépend pas de l’utilisation »5. Or, les notions fonctionnelles
procèdent d’une construction opposée. «Elles procèdent directement d’une fonction qui leur
confère seule une véritable unité »6. S’appuyant sur une pétition de principe qu’ « il existe
bien une distinction matérielle entre la fonction législative et les autre fonctions »7, le juge
constitutionnel censure pour incompétence négative « lorsque le parlement n’a exercé
pleinement la compétence normative qu’il tient de la Constitution et a abusivement renvoyé à
des décrets règlementaires »8. C’est davantage le cas « lorsqu’il néglige de le faire en ne
prévoyant pas les dispositions qui y ressortissent »9. Elle est donc distincte de l’incompétence
positive, car ici l’autorité publique outrepasse sa compétence en empiétant sur celle d’une
autre, l’expression du dépassement de la « compétence limitée à certaines matières »10.
Formellement, la hiérarchie des normes, la dérivation du droit de la Constitution et le
domaine de la loi permettent d’établir l’incompétence négative. C’est le cadre référentiel
d’établissement des compétences. Inventé par Claude Emeri avant 1971 et systématisé par
Louis Favoreu à partir de 1975, se rapprochant du bloc de légalité, le bloc de
constitutionnalité renvoie à la Constitution pris dans son support global ainsi que l’ensemble
de normes qui contribuent à la mise en œuvre et devant faciliter le contrôle de
constitutionnalité. « Le bloc de constitutionnalité à l’africaine est un ensemble luxuriant et
composite réunissant des textes d’origines diverses ainsi que des principes prétoriens »11. Il
s’agit d’un bloc composite, constituées de normes d’origine diverse ayant valeur
constitutionnelle. Contrairement en France 12 , l’établissement d’une hiérarchie entre les
normes de valeur constitutionnelle est opéré sous les tropiques. « Le classement des normes
par degré ou par étage résultant de l’activité normative du juge constitutionnel se fait dans le
bloc de constitutionnalité et non dans la Constitution »13. Le bloc de constitutionnalité est
constitué de manière empirique de trois étages. Le premier rang est constitué de la
Constitution, et les normes internationales constitutionnalisées dans le préambule. Le second
est constitué de la loi organique et le dernier rang du règlement d’assemblée parlementaire.
Au Gabon, on distingue le bloc primaire et le bloc secondaire constitué des règlements

5
G. VEDEL, « De l’arrêt Septfonds à l’arrêts Barinstein », JCP, 1948-I-682.
6
Idem.
7
R. BONNARD., « La conception matérielle de la fonction juridictionnelle » in Mélanges R. CARRE DE
MALBERG., Paris, Librairie Edouard Duchemin, 1977, p.4.
8
S. GUINCHARD., Th. DEBARD., Lexique des termes juridiques, 25ème éd., Paris, Dalloz, 2018, p.1005.
9
P. AVRIL., J. JICQUEL., Lexique de droit constitutionnel, 4ème éd., mise à jour, Paris, PUF, 2016 p.94.
10
Idem p.21.
11
S. BOLLE., « Les Cours constituantes d’Afrique », in F.-J AIVO., J.-D-B GAUDUSSON., C. DESOUCHES.,
J. MAILA., (s.dir), L’amphithéâtre et le prétoire au service des droits de l’homme et de la démocratie, Mélanges
en l’honneur du Président Robert Dossou, Paris, L’Harmattan, 2020, p.260.
12
G. DRAGO., Contentieux constitutionnel français, 2ème éd., refondue, Paris, PUF, 2006, p.283.
13
A.-J NGAYA., L’interprétation de la Constitution par la juridiction constitutionnelle dans les États de
l’Afrique noire francophone, thèse de Doctorat Ph.D en droit public, université de Douala, 2020, p.240.

104
d’assemblée14 des autorités administratives indépendantes déterminées par la loi15 et des lois
organisant un des droits fondamentaux 16. Ainsi, c’est une vérité inexacte de croire que le
domaine de compétence du législateur se limite à la Constitution formelle. Il est davantage
inexact de censurer l’incompétence négative à partir de la Constitution stricto sensu. Car, « un
corpus de normes constitutionnelles de référence se situe bien au-delà du strict texte de la
Constitution »17. L’incompétence négative est censurée lorsque le « Parlement (se charge) de
ne pas utiliser la compétence que lui impartit le bloc de constitutionnalité »18.
Par ailleurs, ces normes érigées en référence déterminent le domaine réservé ou partagé
de la loi en droit constitutionnel gabonais. En ce sens, « les normes d’habilitation identifiables
dans le droit positif sont nombreux »19. Le domaine de la loi fixé par le constituant gabonais
est un domaine réservé à la loi ordinaire. C’est un domaine réservé et dont seule l’urgence
fonde l’habilitation législative à l’exécutif. C’est donc « dire qu'il existe un « domaine de la
loi » c'est-à-dire un champ délimité de matières (ou domaines) dans lesquels le législateur va
exercer son pouvoir normatif » 20 . L’idée s’affirme d’une disposition de la Constitution 21 .
Cette unité demeure le baromètre à l’affirmation de l’incompétence négative au Gabon. Par ce
fait, la réserve de loi est placée « provisoirement en parenthèse » 22 en cas d’urgence. Par
ailleurs, le domaine de la loi organique auquel le constituant a habilité le complément et la
précision de l’idée de Constitution sur les matières législatives23 se distingue du domaine de la
Constitution et du règlement. L’analyse rétrospective aboutit à établir que le domaine de la loi
fixé par le constituant a fait l’objet de délégation, de précision et de complément par le décret,
le cas échéant après avis de la Cour suprême. Cette consécration constitutionnelle ne remonte
qu’à partir de 1960 et non de 195924. L’on constate par rapprochement au droit positif que, le
droit constitutionnel gabonais s’est progressivement défait de l’avis de la Cour suprême en
matière de loi d’habilitation. Adoptée selon une procédure législative ordinaire par opposition
aux cas des autres États de l’Afrique noire francophone, la loi organique complète et précise
le domaine de la loi ordinaire au Gabon. Le domaine de la loi n’est pas limité par
l’énumération effectuée par le constituant, mais est complété par des décisions
constitutionnelles successives. C’est dans les normes dérivées de la Constitution25 que l’on
perçoit cette idée. « Ces textes s’affirment comme le prolongement de la Constitution dans les
domaines que le constituant a fixés, en règle générale concernant l’organisation des pouvoirs

14
Décision n°13/CC du 13 avril 2006, (7ème considérant), hebdo informations, n°520, 27 mai 2006, pp.107-108.
15
Avis n°045/C du 10 janvier 2018, (18ème considérant) (Gabon).
16
Décision n°2/CC du 4 mars 1996, hebdo informations, n°337, mai 1996, pp.97-99 (Gabon).
17
G. DRAGO., Contentieux constitutionnel français, 2ème éd., refondue, op.cit., p.255.
18
J. TREMEAU., La réserve de loi. Compétence législative et Constitution, Paris, ECONOMICA-PUAM,
« Coll. Droit public positif », 1997 p.288.
19
G. TUSSEAU., Les normes d’habilitation, Paris, Dalloz, « Nouvelle Bibliothèques de Thèses », 2006, p.355.
20
L. FAVOREU., P. GAIA., R. GHEVONTIAN., J.-L MESTRE., O. PFERSMANN., A. ROUX., G.
SCOFFONI., Droit constitutionnel, 21ème éd., Paris, Dalloz, 2019 p.843.
21
Article 52 de la Constitution du Gabon.
22
J. TREMEAU., La réserve de loi. Compétence législative et Constitution op.cit., p.288.
23
Article 47 de la loi n°001/2018 du 12 janvier 2018 portant révision de la Constitution du Gabon.
24
Voy article 22 de la loi constitutionnelle n°4/59 du 19 février 1959 promulguant la Constitution de la
République du Gabon ; article 40 de la loi constitutionnelle n°68/60 du 14 novembre 1960, promulguant la
Constitution du Gabon, article 37 de la Constitution de la République du Gabon du 15 avril 1975.
25
Voy L.-P. GUESSELE ISSEME, « Les normes dérivées de la Constitution dans les États d’Afrique noire
francophone », RADSP, Vol V, n° IX- jan.- juin 2017, pp.89-123.

105
publics »26. Davantage, c’est « un texte pris pour l’application de la Constitution »27. Or en
France, le domaine de la loi organique est un domaine réservé lequel demeure protégé par le
Conseil constitutionnel contre l’intervention de la loi ordinaire et du règlementaire. En ce
sens, « les matières de compétence organique seront celles dans lesquelles ni la loi, ni le
règlement ne pourront pénétrer sans sanction du Conseil constitutionnel »28.
Matériellement, l’établissement des figures de l’incompétence négative du législateur
est le fait de la jurisprudence constitutionnelle. Le contenu de la compétence de celui-ci
n’apparait pas toujours explicitement. Son articulation ou le fait pour le législateur de rester
en déca est révélé par des hypothèses qualifiées ou interprétées par le juge constitutionnel.
Elle découle d’une jurisprudence éclatée laquelle inclue un contenu hétéroclite. Les divers
visages de l’incompétence semblent étroitement liés et parfois utilisés les uns aux autres. La
construction englobante est le fait pour la juridiction constitutionnelle d’avoir accueilli des
formes éparses de censure relatives à l’incompétence négative. Car « son contenu apparaitra
à l’examen de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en suivant les voies magistralement
tracées »29. Qui plus est « les États d’Afrique noire francophone connaissent un phénomène
majeur : le développement de la jurisprudence des juridictions constitutionnelles » 30 . La
délégation illégale de compétence consistant à renvoyer à des autorités exécutives l’édiction
d’acte juridique relevant de droit commun au législateur est constitutive d’incompétence
négative. Elle s’illustre parfois par un renvoi qui n’aurait pas dû avoir lieu puisqu’il
appartenait au législateur de fixer lui-même une règle. Le principe clairement est celui suivant
lequel le législateur ne doit pas défausser sur d’autres autorités. Pareil est l’édiction d’une loi
dévoyée des objectifs de valeur constitutionnelle d’accessibilité, d’intelligibilité et de clarté.
Les dispositions législatives enclines aux mutismes, aux laconismes dénotent la rétention de
compétence par le législateur. L’idée résume à suffisance la dégradation de la loi. « Sous
l’angle phénoménologique, l’existence de l’incompétence négative du Législateur, (…), est
relevée, dans différentes situations »31. Ainsi, l’incompétence négative est la censure par le
juge constitutionnel de la renonciation de compétence établit par le bloc de constitutionnalité
et les défaillances dans la production normative du législateur gabonais. Elle est la censure de
la délégation de compétence en dehors de l’urgence. Elle ne vaut davantage pas pour son
utilité pratique mais pour son contenu formel éclaté par la jurisprudence constitutionnelle.
Le contrôle de constitutionnalité des lois et l’interprétation constitutionnelle constituent
les techniques de détermination de l’incompétence négative du législateur. Par le contrôle à

26
M.-M MBORANTSUO., La contribution des Cours constitutionnelles à l’État de droit en Afrique, Paris,
ECONOMICA, 2007, p.108.
27
J-P CAMBY., « La loi organique dans la Constitution de 1958 », RDP, 1989, p.1401.
28
J.-C CAR., Les lois organiques de l’article 46 de la Constitution du 04 octobre 1958, Paris ECONOMICA-
PUAM, « collection droit public », 1999, p.31.
29
L. FAVOREU., « Le principe de constitutionnalité. Essai de définition d’après la jurisprudence du Conseil
constitutionnel », in recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Paris, éditons Cujas, 1977, p.33.
30
P. MOUDOUDOU., La Constitution en Afrique. Morceaux choisis, Paris, L’Harmattan, 2012, p.195. D. SY.,
« Sur la renaissance du droit constitutionnel. Question de méthode », Politeia n°6, 2004, p.458 ; E.-E.-D
ADOUKI, « Le pouvoir normatif des juridictions constitutionnelles en Afrique », in M. ONDOA., P.-E.,
ABANÉ ENGOLO., (dir), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique, Yaoundé,
L’Harmattan, 2017, pp.95-117.
31
F. GALLETTI., « Existe-t-il une obligation de bien légiférer ? Propos sur « l'incompétence négative du
législateur » dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », RFDC., 2004/2 n° 58 p.393.

106
priori et à postériori, de sorte que l’on soit « en définitive en présence d’un modèle sui
generis »32, le juge constitutionnel gabonais a la possibilité de participer à l’œuvre législative
et de censurer son œuvre défaillante. Par ailleurs, le juge constitutionnel, interprète
authentique de la norme fondamentale, utilise les principes de la hiérarchie statique et
dynamique pour déterminer le prolongement suffisant ou défaillant de l’idée de Constitution
par le législateur. Etant l’interprète authentique de la Constitution et des normes de valeur
constitutionnelle, le juge constitutionnel gabonais n’hésite à censurer l’incompétence
négative. « Le caractère normatif de la Constitution occupe ici le devant de la scène »33.
En France, inspirée de la théorie de Laferrière34 laquelle s’appuyait sur une décision du
Conseil d’État 35 , l’incompétence négative est originairement établie en droit administratif.
Appuyant son analyse sur la jurisprudence administrative, « s’il n’est pas permis à une
autorité d’étendre le cercle de ses pouvoirs, il ne lui est pas permis non plus de le
restreindre » 36 . Le Conseil constitutionnel français a marqué le commencement de
l’incompétence négative du législateur en 196737. Elle s’édifie surtout en 198238 et puis prend
une tournure conséquente par plusieurs décisions ultérieures39. Au Gabon, l’affirmation de
l’incompétence négative par la juridiction constitutionnelle remonte au troisième cycle
constitutionnel. Elle est rattachée à l’appropriation des réserves d’interprétation par les
juridictions constitutionnelles africaines. La première vague constitutionnelle va des années
1958-59 à 1964-65 40 . La seconde période de l’évolution constitutionnelle du continent
africain « débute autour de 1964-1965 et court jusqu’à 1990 »41. Or, « la troisième vague »
postule néanmoins comme démocratique, et qui s’est amorcé à la fin des années 1980 ou au
début de la décennie suivante » 42 . Celle-ci constitue un moyen d’affirmation de la
renonciation ou du défaussement de compétence du législateur. C’est effectivement à partir
de 1990 que la plupart des juridictions constitutionnelles consacrent formellement la

32
J.-F WANDJI K., “Le contrôle de constitutionnalité au Cameroun et le modèle africain francophone de justice
constitutionnelle », Politéa n° 11, 2007, p.309.
33
C. SCHMITT, Théorie de la Constitution. Paris, PUF coll. “Leviathan », 1993, p. 173.
34
J. LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative et du recours contentieux, 2ème éd., Paris, Berger-
Levrault., 1896, tome 2, p.519.
35
Il s’agissait en l’occurrence des arrêts rendus par le Conseil d’État, le 1er mai 1874, Lezeret de la Maurinie, et
le 23 novembre 1883, Société des mines d’or de Guyane française.
36
. LAFERRIÈRE, Traité de la juridiction administrative et du recours contentieux, 2ème éd., op.cit., p.519.
37
Décision n° 67-31 DC, du 26 janvier 1967, Loi organique modifiant et complétant l’ordonnance n°58-1270 du
22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature.
38
CC, n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Nationalisations, Rec., p. 18, RJC I-104, GD, n° 31, CC, n° 82-143 DC
du 30 juillet 1982, Blocage des prix, Rec. 57, RJC I-130, GD, n° 33
39
Cf. notamment CC, n° 2001-452 DC du 6 décembre 2001, Loi portant mesures urgentes de réformes à
caractère économique et financier ;
40
K AHADZI NOUNOU., « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : Le cas des États
d’Afrique noire francophone », La revue du CERDIP, vol 1, n°2, juillet-décembre 2002, p.35.
41
Idem, p.36.
42
A. CABANIS., M. MARTIN, Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone, Louvain-
la-Neuve, Academia, PUL, 2010, p.6.

107
déclaration de conformité sous réserve 43 . Davantage, « à partir de 1990, plusieurs cours
africaines ont reconnu pour la première fois la décision de constitutionnalité sous réserve »44.
La réflexion menée sur l’incompétence négative du législateur au Gabon présente un
intérêt certain. Elle établit le dépassement de la fonction classique de la juridiction
constitutionnelle gabonaise, celle de dire la loi. Celle-ci indique que « les juges de la nation
ne sont (…) que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, qui n’en
peuvent en modifier ni la force ni la rigueur »45. Elle introduit la fonction normative de la
juridiction constitutionnelle. Car découlant de l’interprétation constitutionnelle, le juge
constitutionnel détermine les éléments constitutifs de l’incompétence négative de l’œuvre
législative. Par ailleurs l’étude établit la participation du juge constitutionnel à l’œuvre
législative. « Une des fonctions émergentes de la justice constitutionnelle en Afrique est la
fonction normative ou fonction de création des normes » 46 . Au moyen du contrôle de
constitutionnalité à priori et à postériori, le juge constitutionnel relève les lacunes et puis
prescrit des réajustements dans le texte soumis à son office. Car « il a pour objet de vérifier la
conformité d’un acte normatif (en cours d’élaboration) à la Constitution »47. C’est davantage,
le domaine de collaboration entre le juge constitutionnel et le législateur. Le juge
constitutionnel ne fait pas seulement œuvre d’hardiesse, de prouesse mais aussi d’activité de
pédagogue. Ce dernier procède plus ou moins par une interprétation restrictive de
compétence. Sur ce point, « la Constitution n’est pas du tout » 48 . Il n’est donc pas
superfétatoire de discuter le débat devenu poussiéreux du gouvernement des juges49 et de la
légitimité du juge constitutionnel. En outre, l’étude permettra d’identifier les auteurs des
textes législatifs ainsi que le cadre de référence à la compétence du législateur. La loi n’est
pas un acte juridique conçu exclusivement par le législateur. Elle l’est aussi par le juge
constitutionnel. « Elle est un acte écrit par plusieurs mains »50. Le domaine de la loi n’établit
pas suffisamment la compétence du législateur, le bloc de constitutionnalité y pourvoie de
manière suffisante au Gabon. Enfin, l’étude restaure les techniques de répartition de
compétences entre le domaine de la loi et du règlement. Car l’incompétence négative est par
rapport à un renvoi inconstitutionnel de matière au règlement ou une autre autorité. Il y a donc
dévoiement « par la brièveté et la concision elliptique de leurs dispositions »51.

43
Arrêt RCCB 1 du 13 avril 1991, Président de la République (Burundi) ; Décision 3 DC du 02 juillet 1991,
Président du Bureau provisoire de l’Assemblée Nationale (Bénin), Avis n°001/CC du 30 octobre 1992,
Gouvernement de la République du Gabon (Gabon)….
44
M. DIAGNE, « Le juge constitutionnel africain et la technique des réserves d’interprétation » RRJ n°3, 2008
p.370.
45
Ch. MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, livre IX, chap. VI, p.327.
46
D. SY., « Les fonctions de la justice constitutionnelle en Afrique » op.cit., p.51.
47
S. YEDOH LATH., « L’évolution des modalités du contrôle de constitutionnalité des lois dans les États de
l’Afrique noire francophone », in O. NAREY (s.dir), La justice constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2016,
p.162.
48
M. KAMTO., Pouvoir et droit en Afrique noire francophone. Essai sur les fondements du constitutionnalise
dans les États d’Afrique noire francophone, Paris, L.G.D.J., 1987, p.188.
49
Voy E. LAMBERT., Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux Etats-Unis.
L’expérience américaine du contrôle judiciaire de constitutionnalité des lois, Paris, Marcel Girard, 1921.
50
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ACHOUR RAFA’A. (dir.), Le droit constitutionnel normatif. Développements récents, Bruxelles, Bruylant,
2009, p.146.
51
L. FAVOREU, « Ordonnance ou règlement d’administration publique ? », RFDA, 1987, p.692.

108
La Constitution ne fait explicitement allusion à l’incompétence négative au Gabon.
C’est une préoccupation qui n’a à priori pas retenu le champ de clarification conceptuelle et
notionnelle de l’œuvre constituante de cet État. Alors peut-on parler d’incompétence négative
du législateur au Gabon ? Au regard de la méthode juridique, la réponse à cette question
reposerait sur l’interprétation des dispositions de la Constitution du Gabon mais aussi sur les
décisions rendues par la juridiction constitutionnelle de cet État. L’hypothèse de base est
l’affirmation de l’incompétence négative dans l’œuvre du juge constitutionnel gabonais. Deux
grands mouvements d’ensemble justifient cette position. En se servant de la réserve loi, le
juge constitutionnel censure d’incompétence négative l’habilitation législative non justifiée
par l’urgence d’une part (I). Les lacunes, les mutismes concourant aux défaillances de la
production normative du législateur y sont également inclus d’autre part (II).

I. LA DELEGATION LEGISLATIVE EN DEHORS DE L’URGENCE

Le noyau dur irréductible de la mise en parenthèse de la réserve de loi est exclusivement


l’urgence en droit constitutionnel gabonais. A contrario, est constitutive de renonciation
législative de compétence, la délégation de compétence déliée ou non fondée sur l’urgence.
Par l’éviction de l’urgence, « il semble alors que l’on aboutisse à une paralysie des effets de
la réserve… : la loi renonce à sa propre compétence »52. Elle s’ouvre au fondement implicite
la délégation législative consentie de manière trop large ou trop « laxiste »53 admis en droit
constitutionnel français. S’inscrivant dans le raisonnement à contrario, le juge constitutionnel
établit l’urgence non seulement en unité de mesure de la renonciation législative de
compétence au Gabon (A) mais aussi en vice de la constitutionnalité (B).

A. L’établissement de l’urgence en unité de mesure de la renonciation législative de


compétence

Le juge constitutionnel en s’appuyant sur la Constitution établit l’urgence en unité de


mesure de la renonciation législative de compétence au Gabon. Ce mécanisme sert de
baromètre à la compétence défaussée ou à la délégation illégale de compétence à l’exécutif
dans cet État de l’Afrique noire francophone. L’urgence est la référence à l’abandon d’ « art
de faire les lois »54 au profit du Gouvernement. C’est le sens de « l’urgence, aux yeux de la
jurisprudence »55 articulant l’incompétence négative au Gabon. Ainsi seule l’urgence justifie
la suspension de l’exclusivité du législateur à aménager dans un certain temps les lois sur les
droits fondamentaux au Gabon (1). C’est davantage cette unité qui est utilisée pour la
certification de la délégation législative du régime juridique des libertés publiques (2).

52
J. TREMEAU., La réserve de loi. Compétence législative et Constitution op.cit., p.289.
53
A.-S OULD BOUBOUTT, L’apport du Conseil constitutionnel au droit administratif, Paris, ECONOMICA,
1987 p.137.
54
H. CAPITANT, « Comment on fait les lois aujourd’hui », RPP, vol.91, 1917, p.305.
55
J. ROBERT., « Les situations d’urgence en droit constitutionnel », R.I.D.C 2- 1990, p.751.

109
1. La suspension de l’aménagement législatif de la liberté de communication
La suspension de l’aménagement de droit commun des libertés publiques est fondée par
l’urgence au Gabon. L’unité de mise en parenthèse de l’activité normative du parlement sur
cette matière est connue dans cet État de l’Afrique noire francophone. Car de principe, et ce,
en vertu du courant de la philosophie de lumières, « la liberté utilise la loi dans une fonction
promotionnelle… »56. Par le fait de l’urgence, la délégation législative n’a de sens que « si elle
consacre et encadre l’exercice du pouvoir et des droits fondamentaux des citoyens »57.
« Considérant que ladite ordonnance a été prise pendant l’intersession parlementaire
conformément aux articles 52 de la Constitution selon lesquelles le gouvernement peut, en cas
d’urgence, pour l’exécution de son programme, demander au parlement l’autorisation de
faire prendre par ordonnance, les mesures sont normalement du domaine de la loi ; que cette
autorisation a été donnée au gouvernement par la loi n° 31/93 du 23 juillet 1991 »58. En
amont, le juge constitutionnel affirme que « Considérant (…) qu’il apparait clairement que la
liberté de communication étant un droit fondamental, le code de la communication en tant
qu’il réglemente l’exercice, doit nécessairement revêtir la forme d’une loi, conformément à
l’article 47 (premier tiret) de la Constitution ; »59. Cette position avait été confortée en ces
termes, « Considérant que la liberté de communication, comme toute liberté publique est un
droit fondamental dont l’exercice doit nécessairement être régi par des textes législatifs
conformément à l’article 47, premier tiret de la Constitution ; »60.
La suspension de l’exclusivité du législateur en matière d’aménagement normatif de la
liberté communication est le fait d’une délégation législative justifiée par l’urgence. La
possibilité pour l’exécutif de légiférer par voie d’ordonnance n’est pas supposée mais fondée.
Elle relève d’une particularité du droit constitutionnel gabonais et d’une politique adoptée par
le juge constitutionnel. Que l’on soit en France 61 , au Bénin 62 , au Burkina Faso 63 , au
Cameroun64, au Congo Brazzaville65, en Côte d’Ivoire66, au Mali67, au Niger68, au Sénégal69,

56
G. PECES-BARBA MARTINEZ, Théorie générale des droits fondamentaux, op.cit., p.139 ; M.-M
MBORANTSUO., La contribution des Cours constitutionnelles à l’État de droit en Afrique op.cit., p.269.
57
B.-R GUIMDO DONGMO., « Constitution et démocratie dans les États de l’Afrique noire francophone », in
O. NAREY (s.dir)., La Constitution, Paris, L’Harmattan, 2018, p.160.
58
Répertoire n°019/GCC du 02 novembre 1993, relative à une requête de Monsieur Agondjo Okawé Pierre
Louis aux fins de voir déclarer contraire à la Constitution l’ordonnance n°007/PR du 1er octobre 1993 relative à
la communication (5ème Considérant)
59
Idem (3ème considérant).
60
Décision n° 13/CC des 24, 25, 26 Mai 1993 relative à l’interprétation de l’article 94 de la Constitution et de la
loi organique 14/91 du 24 mars 1992 portant organisation et fonctionnement du conseil national de la
communication (4ème considérant).
61
Voy article 38 de la Constitution du 05 octobre 1958.
62
Article 102 de la loi n°90-32 du 11 décembre 1990 modifiée et complétée par la loi n°2019-040 du 07
novembre 2019 portant Constitution du Bénin (Cette autorisation ne peut être accordée qu'à la majorité des
deux tiers des membres de l'Assemblée nationale).
63
Article 107 de la loi constitutionnelle N°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la
Constitution de la République de Burkina Faso.
64
Article 28 de la loi n°96-06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972
(Cameroun).
65
Article 156 de la Constitution du 06 novembre 2015 du Congo Brazzaville.
66
Article 106 de la Loi n° 2016-886 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte d'Ivoire.
67
Article 74 de la Constitution du Mali
68
Article 106 de la Constitution du Niger

110
au Tchad70, au Togo71, cette exigence à la délégation législative n’est pas consacrée. Illustrant
la spécificité de l’habilitation législative, l’urgence met en parenthèse le cadre normatif du
législateur sur des matières juridiques précises au Gabon. L’originalité des droits africains et
fracture du mimétisme juridique déconstruisent la théorie de la reproduction servile du droit
étranger au Gabon. Le fondement à la délégation législative de compétence est original et
propre au constitutionnalisme gabonais. Elle est « la distance notée entre les nouvelles
constructions normatives, institutionnelles et juridictionnelles de nombre de pays africains et
les modèles occidentaux »72. Davantage, l’idée « se conforte pour perpétuer une configuration
qui serait et ferait la spécificité des démocraties africaines »73.
L’urgence génère l’exception à l’aménagement juridique des libertés publiques en droit
constitutionnel gabonais. La délégation législative contribuant à la réalisation des mesures du
gouvernement sur des matières du parlement formalise l’exception. Le principe est celui d’un
aménagement de droit commun par l’assemblée nationale. Il y a « l’abandon du droit
commun »74. Elle se pose « avec une vigueur et une ampleur telles qu’il risque de submerger
le droit commun »75. La réserve loi mise en parenthèse l’est exceptionnellement par l’urgence.
Elle prive d’effet juridique tout autre fondement à la rationalisation de l’activité normative du
parlement sur la consécration des libertés publiques. La Constitution gabonaise fait de la loi,
le support normatif de droit commun à l’exercice de la liberté de communication. La norme
fondamentale a établi la place dans la hiérarchie des normes, de l’acte juridique devant
prolonger le régime juridique de la liberté de communication. Le régime normatif de droit
commun de la liberté de communication est aménagé par une norme inférieur à la
Constitution et aux accords internationaux ratifiés mais supérieur aux actes règlementaires.
Ainsi, la substitution de la loi support formel de droit commun à l’ordonnance est le fait de
l’urgence autorisée à l’exécutif.
La substitution de la loi, support formel de droit commun à l’ordonnance en vue de
l’aménagement de l’exercice des libertés publiques est le fait de l’urgence. La hiérarchie des
normes est une fois de plus établie en référence. Elle procède « par renvoi législatif, dans une
matière contenue dans la loi »76. « Hors des domaines ainsi confiés par la Constitution à
la compétence exclusive du législateur, il appartient au pouvoir exécutif de « légiférer » par
acte réglementaire » 77 . La délégation législative formalisée par l’acte législatif influence
l’acte hiérarchique d’aménagement de la liberté de communication. L’ordonnance non ratifiée
demeure un acte règlementaire justiciable devant le juge administratif. Or, l’ordonnance

69
Article 72 de la Constitution du Sénégal.
70
Article 132 de la Constitution de la République du Tchad promulguée le 04 Mai 2018.
71
Article 86 de la Constitution du Togo.
72
F.-J AIVO., « La fracture constitutionnelle. Critique pure du procès en mimétisme » in F.-J AIVO (dir), La
Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en l’honneur de Maurice
Ahanhanzo Glèglè, Paris, L’Harmattan, p.34.
73
J.-D.-B GAUDUSSON., « Le mimétisme post colonial et après ? », in Pouvoirs, revue française d’études
constitutionnelles et politiques, « La démocratie en Afrique » n°129, 2009, p.45.
74
G. RIPERT., Le régime démocratique et le droit civil moderne, Paris, L.G.D.J, 1955, n° 217 s.
75
J. DABIN, « Droit de classe et droit commun. Quelques réflexions critiques », in Mélanges É. Lambert, t. 3,
Sirey L.G.D.J, 1938, p. 66.
76
R. CABRILLAC (s.dir), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 1ère éd., op.cit., p.197.
77
L. FAVOREU., P. GAIA., R. GHEVONTIAN., J.-L MESTRE., O. PFERSMANN., A. ROUX., G.
SCOFFONI., Droit constitutionnel, 21ème éd., op.cit., p.855-856.

111
ratifiée est une loi justiciable devant la Cour constitutionnelle. La place de l’ordonnance dans
la hiérarchie des normes dépend de sa ratification ou pas par le parlement.
En procédant par une interprétation herméneutique, le juge constitutionnel précise l’une
des mesures susceptibles d’être prise par l’exécutif dans le domaine de la loi. L’écriture de la
Constitution étant demeurée vague et lacunaire, la prouesse de l’œuvre prétorienne est une
contribution difficilement contestable. Le juge constitutionnel clarifie une disposition
constitutionnelle demeurée lacunaire dans son écriture et lapidaire dans sa lecture. En
intégrant dans ces mesures, l’aménagement règlementaire de l’exercice des libertés publiques,
le juge constitutionnel parachève l’œuvre constituante. « Au plan matériel, la Constitution
jurisprudentielle, issue de l’interprétation du juge jouxte la Constitution originaire ou
révisée »78. Par ailleurs, le juge constitutionnel gabonais ne réactualise l’interprétation des
articles 47 et 52 de la Constitution de 1991. Il ne procède ni par un revirement progressif ou
brutal. Le juge est demeuré constant sur l’aménagement exceptionnel des libertés publiques.
En France, la possibilité de déléguer la compétence par le législateur est enserrée dans
des conditions tenant au contenu du projet d’habilitation. L’attribution du pouvoir de légiférer
assigne au Gouvernement d’indiquer avec précision lors du dépôt du projet de loi
d’habilitation les finalités des mesures qu’il propose prendre ainsi que les domaines
d’intervention. Ces explications résultent des affaires de 197779 et de 198680. Or, au Gabon
c’est l’urgence qui sert d’unité à la certification de l’incompétence négative.

2. La certification de la renonciation législative de compétence


Si l’urgence fonde la suspension de l’aménagement législatif des libertés publiques, elle
sert aussi d’unité de certification de la renonciation législative de compétence. La délégation
législative dans la réserve de loi ne se justifie en dehors de l’urgence au Gabon. C’est dans ce
cadre que le juge constitutionnel censure l’abandon de compétence ou le renvoi
inconstitutionnel de compétence. Sans urgence, la Constitution ne « lui assignant ainsi un
espace d’intervention immense sinon unique dans la mise en place de l’ordonnancement
juridique »81 . Car « doit être matière de loi toute condition nouvelle imposée à l’exercice
d’une liberté et toute organisation importante pour la garantie d’une liberté »82.
L’affirmation de l’exégèse de la Constitution gabonaise. En s’appuyant sur l’œuvre
constituante et du raisonnement à contrario, cette idée se pose. La certification de la
renonciation législative de compétence est donc le dévoiement de son fondement juridique.
L’urgence sert d’unité de certification de la renonciation législative de compétence au Gabon.

78
A. KPODAR., « Contribution doctrinale sur la fausse vraie idée du contrôle de constitutionnalité. Quand
l’interprétation constitutionnelle menace la lisibilité du bloc référentiel », in O. NAREY (s.dir), La justice
constitutionnelle, Paris, L’Harmattan, 2016, p.216.
79
Décision n° 76-72 DC - 12 janvier 1977. Loi autorisant le Gouvernement à modifier par ordonnances les
circonscriptions pour l'élection des membres de la chambre des députés du territoire Français des Afars et des
Issas. Recueil, p. 31
80
Décision n° 86-208 DC - 2 juillet 1986 -. Loi relative à l'élection des députés et autorisant le Gouvernement à
délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales. Recueil, p. 78 (Grande décision n° 40 - "Découpage
électoral").
81
J.-C. BÉCANE, « La loi revisitée. Réflexions sur les rapports entre la loi et l’État de droit », in Mélanges
Pierre Avril, La République, Paris, Montchrestien, 2001, p.167.
82
M. HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public, 6ème éd., Paris, Sirey, 1907, p.297.

112
« Le contenu de l’obligation pesant sur le législateur »83 . Sans urgence, rien n’habilite la
délégation législative de compétence au Gouvernement. En l’absence de l’urgence, la
délégation législative de compétence est constitutive d’incompétence négative. L’on y
pourvoie par l’argumentation à contrario de la Constitution et de l’interprétation à contrario
des décisions du juge constitutionnel. Par l’enserrement du mobile de la délégation, le
constituant facilitait la détermination des cas d’ouverture à l’inconstitutionnalité au Gabon.
Par la vérification du fondement au projet d’habilitation, le juge constitutionnel détermine la
renonciation législative de compétence. Il suffit juste que le Gouvernement ne se réfère à
l’urgence pour demander l’habilitation législative. Le sort de l’aménagement des libertés
publiques par un acte juridique exceptionnel en demeure dépend. L’autorisation donnée au
gouvernement par la loi n° 31/93 du 23 juillet 199184 aurait été constitutive d’incompétence
négative si l’urgence n’était le crédo de celui-ci. L’ordonnance du 1er octobre 1993 relative à
la communication échappe à la censure par le fait de son fondement juridique qu’est
l’urgence. Ce raisonnement est transposable sur l’ordonnance vieillotte sur le conseil national
de la communication85.
En l’absence de l’urgence, la délégation législative de compétence ne saurait
juridiquement être concevable. Elle est concevable dans le cas d’une délégation illégale. Face
à cette situation les règles et principes fondamentaux susceptibles d’être aménagés par le
législateur demeureront un leurre et partant une érosion des droits et libertés fondamentaux.
Car la loi doit régir l’essentiel, poser les règles fondamentales du système juridique somme
des caractéristiques du domaine législatif. L’activité normative du législateur est censée
couvrir des matières dans lesquelles s’opèrent des choix fondamentaux. Ainsi, « une certaine
conception de la loi, en tant que norme destinée à régir l’essentiel, c’est-à-dire à définir la
régulation de base de la société » 86 . Les débats publics sur les règles fondamentales
demeurent sacrifiés à l’autel d’une délégation législative illégale. Le sort des citoyens, partant
de l’affirmation de l’état de droit se trouve entravé par cette pratique. La renonciation
législative de compétence affecte alors l’essor et le sort des droits fondamentaux des citoyens.
« la victime n’est pas le Parlement, c’est le citoyen auquel la Constitution a garanti que les
matières les plus importantes donneront lieu à des débats publics de ses représentants
élus »87. Par ailleurs, la délégation législative hors de l’urgence est le champ à l’insécurité
juridique. La délégation législative non fondée sur l’urgence prive le déploiement de la loi et
partant la non consécration d’un contenu fondamental sur la société. Il est aisément admis
qu’’il existe une compétence minimale et insécable de la loi. Plus on s’éloigne de ce
minimum de compétence, plus l’incertitude grandit. Et ce champ ne peut ni être comblé ni

83
F. PRIET, « L’incompétence négative du législateur », RFDC., n° 17, 1994 p. 74.
84
Répertoire n°019/GCC du 02 novembre 1993, relative à une requête de Monsieur Agondjo Okawé Pierre
Louis aux fins de voir déclarer contraire à la Constitution l’ordonnance n°007/PR du 1er octobre 1993 relative à
la communication (5ème Considérant)
85
Décision n° 13/CC des 24, 25, 26 Mai 1993 relative à l’interprétation de l’article 94 de la Constitution et de la
loi organique 14/91 du 24 mars 1992 portant organisation et fonctionnement du conseil national de la
communication (4ème considérant).
86
J. TREMEAU., La réserve de loi. Compétence législative et Constitution op.cit., p.43.
87
F. LUCHAIRE, « Le Conseil d’Etat et la Constitution », RA, n°188, 1979, p.143 ; F. MIATTI, « Le juge
constitutionnel, le juge administratif et l’abstention du législateur », LPA, Avril, 1996, n°52, p.11.

113
être aménagé par l’exécutif. « Et plus on s’éloigne du centre de compétence (le cœur du noyau
dur), plus l’incertitude grandit »88.
Le dévoiement du fondement de la délégation législative de compétence s’assimile à
toutes les figures de l’incompétence négative. Partant de ce fondement, il est déterminé ce qui
peut faire l’objet de délégation législative. Il s’illustre comme une négation à l’habilitation
constitutionnelle de compétence du législateur à l’exécutif au Gabon. Le sort des matières
transférées dans ce cadre demeure inconstitutionnel. Il s’apparente à une délégation législative
trop laxiste, trop ouverte telle que posée en droit constitutionnel français. L’éviction de
l’urgence dans la délégation législative de compétence s’assimile à un « blanc-seing » 89 à
l’exécutif.
L’éviction de l’urgence dans la délégation législative de compétence s’assimile à un
abandon de compétence dans le cadre de la loi d’habilitation. Par l’enserrement de la
délégation législative de compétence à l’urgence, le constituant gabonais conforté par le juge
constitutionnel n’entend éclater le fondement à son recours. L’exégèse de la Constitution
aboutit à retenir que le fondement juridique de l’incompétence négative est exclusif. Par
l’affirmation de l’exclusivité, le constituant entend faciliter la lecture et l’écriture des cas
d’ouverture de la délégation législative. Il entend par ailleurs simplifier les cas d’ouverture de
l’incompétence négative en partant de l’exégèse de la Constitution. Sans ce fondement, le
gouvernement exerce la souveraineté nationale et se substitue au parlement. Par ce fait,
l’exécutif s’arroge les matières législatives tout en continuant d’aménager sans partage les
matières qui relèvent du pouvoir réglementaire. L’exécutif bénéficie d’une consistance
normative inquiétante. Or, « les organes de l’État ne pouvant agir qu’en vertu d’une
habilitation juridique tirée de la Constitution et n’user que des moyens autoriser par l’ordre
juridique »90.
Au regard de ce qui précède, le constituant et le juge constitutionnel ont implicitement
érigé l’urgence en unité de mesure de la renonciation législative de compétence. L’hypothèse
se justifie directement sur l’aménagement règlementaire des libertés publiques. C’est donc par
l’interprétation à contrario que la délégation législative hors de l’urgence est constitutive
d’incompétence négative. Elle est par ailleurs l’unité de subrogation du vice de
constitutionnalité.

B. L’établissement de l’inconstitutionnalité au dévoiement de l’urgence

La délégation législative de compétence non fondée sur l’urgence affirmée par le


Gouvernement est une inconstitutionnalité au Gabon. La contrariété à la Constitution provient
de la mise en parenthèse de la réserve de loi par un fondement non reconnu par le droit
positif. Sous cet angle, il y a manifestement violation d’une disposition de la Constitution du

88
F. GALLETTI, « Existe-t-il une obligation de bien légiférer ? Propos sur « l'incompétence négative du
législateur » dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », op.cit., p. 408.
89
J. TREMEAU., La réserve de loi. Compétence législative et Constitution op.cit., p.290.
90
J.-F WANDJI K., « L’État de droit en Afrique : L’arlésienne ? », RRJ 2013-2- p.1005.

114
Gabon. L’idée se pose « lorsqu’elle condamne une subdélégation illégale de compétence »91.
Il est un leurre de croire que, « légiférer, c’est en effet exécuter la Constitution »92. Ainsi,
l’affirmation de l’inconstitutionnalité de la loi d’habilitation ne fait l’ombre d’aucun doute
(1). Elle se rapproche du vice de procédure à la constitutionnalité de l’ordonnance
d’habilitation (2).

1. L’affirmation de l’inconstitutionnalité de la délégation législative de compétence


La suspension de la réserve de loi non fondée sur l’urgence constitue une
inconstitutionnalité sous les tropiques. Le parlement s’est rendu coupable d’une transgression
de la Constitution et de l’inobservation de la condition primaire de la réserve de loi au Gabon.
L’idée se pose sur « le principe d’une sanction du juge à l’égard des actes pris par le
législateur »93. Davantage, « la sanction est seulement une invite du parlement à respecter le
droit »94.
L’inconstitutionnalité de la délégation législative de compétence découle du fait du
parlement. Elle n’est que l’expression de la violation de la Constitution et implicitement du
bloc de constitutionnalité. Elle justifie l’effritement de l’état de droit. C’est au moyen du
contrôle de constitutionnalité des lois que l’idée s’affirme au Gabon.
L’inconstitutionnalité de la délégation législative de compétence découle du fait du
parlement au Gabon. En amont, le parlement auteur et acteur de la Constitution a transgressé
les grands idéaux qu’elle consacre et partant dévoyé sa fonction idéologique. Le génie des
rédacteurs de la Constitution de 1991 a contribué à « faire de cette constitution la preuve
vivante de l’inculturation du constitutionnalisme en Afrique »95. Il s’agit de l’idéologie ayant
constitué le cadre de son élaboration. Le parlement transgresse la lettre de la Constitution et
l’esprit du constituant gabonais. Il s’éloigne de l’œuvre constituante et en lui faisant produire
des effets diamétralement opposés de l’intention constituante. Il désolidarise de l’œuvre
constituante. Ce dernier émascule « le ‘’contrat social’’, le pacte par lequel les hommes
décident de se constituer en une société régie par des règles de droit » 96 . La fonction
idéologique de la Constitution dont les principes sont fixés dans son préambule est dévoyée
par le fait du parlement. Car tout système juridique reflète un ensemble de croyances et de
valeur. C’est dans ce sens que « le droit constitutionnel joue ainsi un rôle important dans la
diffusion des dogmes relatifs à l’État, au pouvoir politique, à l’état de droit, à la
démocratie »97. L’inconstitutionnalité de la délégation législative de compétence récuse les
idéologies relatives à l’État, au pouvoir politique, à l’état de droit et à la démocratie au
Gabon. Toute la théorie idéologique de la Constitution est mise en veilleuse par ce vice.

91
A.-L. VALEMBOIS, La constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, op.cit.
p.269.
92
C. EISENMANN., La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche (éd de 1928),
Paris, PUAM-ECONOMICA, 1986, p.100.
93
J.-F WANDJI K., La justice constitutionnelle au Cameroun, Paris, MENAIBUC., 2015, p.17-18.
94
J.-F WANDJI K., « L’État de droit en Afrique : L’arlésienne ? », op.cit., p.1028.
95
F.-J AIVO., « La fracture constitutionnelle critique pure du procès en mimétisme » op.cit., p.34.
96
M. KAMTO., Pouvoir et droit en Afrique. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats
d’Afrique noire francophone op.cit., p.42.
97
D. SY., « Les fonctions de la justice constitutionnelle en Afrique » op.cit., p.62.

115
L’inconstitutionnalité de la délégation législative de compétence découle de
l’interprétation non conforme de la Constitution par le parlement gabonais. La représentation
nationale attribue une signification dévoyée de l’intention du constituant et altérée de la lettre
de la Constitution. Le processus qui accompagne nécessairement l’application du droit du
stade supérieur au stade inférieur est contestable. Le parlement ne se retrouve dans les deux
catégories d’interprétation, « l’interprétation du droit par les organes d’application du droit,
et l’interprétation du droit par des personnes privées et en particulier par la science
juridique, par les juristes, qui ne sont pas des organes du droit » 98 . Davantage,
« l’interprétation fait l’objet de plusieurs théories doctrinales, dont les principales reposent
sur l’interprétation scientifique et l’interprétation réaliste »99. Selon l’interprétation réaliste,
« l’identification de la signification de l’ensemble d’énoncés (…) »100 procède soit d’un acte
de volonté soit d’un acte de connaissance. D’après Michel Troper, « l’interprète est
juridiquement libre de donner n’importe quelle signification à n’importe quel énoncé ou
même à n’importe quel fait » 101 . La normativité de la Constitution ne préexiste pas à
l’interprétation. Elle lui est subséquente. Car avant l’interprétation, il n’y a pas de normes. Il
est logique que le législateur ne peut par son propre fait, interpréter son œuvre, qui plus, est
interprété par la norme fondamentale. Le parlement n’est pas la doctrine pour procéder à
l’interprétation scientifique. Il n’est non plus le juge constitutionnel pour procéder à
l’interprétation authentique de la Constitution. L’interprétation a pour résultat, la
détermination du cadre que le droit à interpréter représente et par là, la reconnaissance de
plusieurs possibilités qui existent à l’intérieur de ce cadre. Par ailleurs, l’interprétation réaliste
se réalise par le pouvoir normateur de l’organe d’application du droit. Par l’attribution de la
signification à l’énoncé lacunaire, le juge constitutionnel crée le droit et parachève la
normativité de la Constitution. « Selon cette théorie, le juge constitutionnel, est l’interprète
authentique de la Constitution »102 . En ce sens, l’interprétation réaliste est l’interprétation
authentique de la Constitution laquelle se distingue de l’interprétation scientifique, « c’est-à-
dire qu’elle ne crée pas le droit »103. Cette dernière n’a pas un caractère authentique. Elle
consiste à déterminer par un processus purement intellectuel l’énoncé des normes juridiques.
En théorie constitutionnelle, l’interprétation d’une disposition de la Constitution par le
parlement est non avenue. Car il n’est pas en charge de l’application du droit mais plutôt de sa
création ou de sa production. Il n’est pas appelé à résoudre le contenu de la norme à appliquer
à un cas spécifique. Ce dernier attribue une signification non conforme à l’article 52 de la
Constitution. N’étant le juge de l’interprétation authentique de la Constitution, le parlement a
dévoyé la signification de l’article 52 de la Constitution du Gabon. N’étant apte à manier la
théorie de l’interprétation constitutionnelle, le parlement participe à l’énonciation

98
H. KELSEN., Théorie pure du droit, 2ème éd., traduction Charles EISEINMANN, Paris, Dalloz, 1962, p.454.
99
D. GNAMOU., « La Cour constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? », op.cit., p.692.
100
O PFERSMANN., « Le sophisme onomastique : changer au lieu de connaitre l’interprétation de la
Constitution », in F. MELIN SOUCRAMANIEN (s.dir), L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005,
p.33.
101
M. TROPER., « L’interprétation constitutionnelle », in F. MELIN SOUCRAMANIEN (s.dir),
L’interprétation constitutionnelle, Paris, Dalloz, 2005, p.14.
102
N. AKACHA., « Les techniques de participation du juge constitutionnel à la fonction constituante » op.cit.,
p.142.
103
H. KELSEN., Théorie pure du droit op.cit., p.461.

116
constitutionnelle contestable. La représentation nationale habilite la mise en œuvre de la
réserve de loi en méconnaissance de l’article 52 de la Constitution. La renonciation législative
de compétence n’est pas une émanation du fondement fixé par l’œuvre constituante
gabonaise. Elle est l’émanation de l’interprétation constitutionnelle contestable du parlement.
Le parlement s’est rendu coupable d’une violation de la constitutionnalité interne.
La délégation législative en dehors de l’urgence dans l’intersession parlementaire est
constitutive de l’inconstitutionnalité interne. De jure, « unité du droit public repose sur une
conception d’ensemble touchant la fonction assignée aux règles du droit public »104. L’idée se
pose « en exposant les différents cas d’ouverture du contrôle, à la façon de ce qui est fait à
propos du recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif »105. D’entrée de jeu,
par « le contentieux de l’excès de pouvoir »106, « il s’agit essentiellement d’une action visant
un acte administratif et non d’un procès entre partie comme c’est le cas en droit privé »107. La
systématisation ayant cours dans les travaux de la doctrine locale 108, laquelle réalise « les
classifications théoriques »109, les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir cessent
d’être une énigme. Sous une dialectique, sous la première articulation, « on regroupe sous
cette rubrique : l’incompétence, le vice de forme et de procédure » 110 . Sous la seconde
déclinaison, « la seconde catégorie est relative à la légalité interne de l’acte ; il s’agit du
défaut de base légale, de la violation d’une disposition et du détournement de pouvoir »111.
La nouvelle dynamique donnée au droit administratif n’a pas été sans effet sur la
discipline du droit constitutionnel. En effet, la constitutionnalité de l’habilitation législative
tient à des conditions aussi bien internes qu’externes. Les conditions externes de
constitutionnalité sont celles qui touchent la compétence et les vices de procédure. En ce qui
concerne les conditions internes, elles intègrent la violation de la Constitution et le
détournement de procédure. En l’espèce, le parlement viole la légalité constitutionnelle
interne à savoir la transgression d’une disposition de la Constitution. Le parlement s’est
dévoyé de l’intention du constituant en attribuant une interprétation non conforme à l’article
52 de la Constitution. Or, « quel qu’en soit l’objet, toute disposition émane du pouvoir
constituant »112.
Par ailleurs l’inconstitutionnalité interne en cause débouche sur une inconstitutionnalité
externe. En effet, au sein de l’inconstitutionnalité externe figure l’incompétence. Le
législateur viole le domaine de la réserve de loi ainsi que le domaine d’attribution provisoire
de la réserve de loi. Rien d’étonnant qu’en France, « le Conseil constitutionnel sanctionne le

104
M. GOUNELLE., Introduction au droit public. Institutions. Fondements. Sources., 2ème éd., Paris,
Montchrestien, 1989, p.7
105
G. DRAGO., Contentieux constitutionnel français, 2ème éd., op.cit., p.389
106
J.-L AUSTIN., C. RIBOT., Droit administratif général, 5ème éd., Paris, Litec, 2007, p.309
107
Ph NGOLE NGWESE., J. BINYOUM., Eléments de contentieux administratif camerounais, Yaoundé,
L’Harmattan, 2010, p.159.
108
Ph NGOLE NGWESE., J. BINYOUM., Eléments de contentieux administratif camerounais, op.cit., p.163
109
G. DUPUIS., M.-J GUEDON., P. CHRESTIEN., Droit administratif, 8ème éd., Paris, Armand Colin, 2002,
p.592.
110
Ph NGOLE NGWESE., J. BINYOUM., Eléments de contentieux administratif camerounais, op.cit., p.163.
111
Idem.
112
Vedel G., Manuel élémentaire de droit constitutionnel, 2ème éd., rééd par Guy Carcassonne et Olivier
Duhamel, Paris, Dalloz, 2002, p.113.

117
vice d’incompétence de deux manières »113. Enfin, la délégation législative de compétence
dégrade la dérivation des normes de la Constitution. La norme d’habilitation n’étant
l’émanation de l’œuvre constituante ne devrait prolonger l’idée de Constitution. La norme
habilitée souffrant d’un mal, celui de l’inconstitutionnalité, dénature par conséquent le sort de
l’acte habilité. La norme habilitée n’est pas la résultante des renvois par des prescriptions
constitutionnelles. S’étant désolidariser de la « technique par laquelle les règles juridiques
« s’insèrent dans le droit positif et acquièrent validité »114, la norme habilitée s’est effacée
d’un rattachement de paternité à la norme fondamentale.

2. La démarcation de l’inconstitutionnalité de l’ordonnance d’habilitation


L’inconstitutionnalité de la délégation législative de compétence se distingue de
l’inconstitutionnalité de l’ordonnance d’habilitation. Nonobstant le fait qu’elle a été prise dans
le domaine de la loi organique, cette dernière n’a pas été soumise à un contrôle de
constitutionnalité préalable à sa publication. L’inconstitutionnalité de l’ordonnance
d’habilitation constitue un vice de procédure à la constitutionnalité. « Sa constitutionnalité
peut alors s’altérer »115. Elle pose le problème de la violation de la Constitution »116.
Le juge constitutionnel affirme : « article premier : L'ordonnance n°15/PR/2015 du 11
août 2015 portant organisation et fonctionnement de la Justice, en tant qu'elle porte sur des
matières qui relèvent du domaine de la loi organique, d'une part, et qu'elle s'applique à la
Cour Constitutionnelle, d'autre part, elle devait obligatoirement être soumise, au préalable, à
son contrôle, conformément aux dispositions des articles 60 de la Constitution, 28 et 111 de
la Loi organique sur la Cour Constitutionnelle. Par conséquent, l’intervention de celle-ci, en
vue de contrôler la conformité à la Constitution de ladite ordonnance, est parfaitement
régulière ».
« article 2 : L’ordonnance n°115/PR/2015 du 11 août 2015 n’ayant été soumise, avant
sa publication, au contrôle de la Cour constitutionnelle, la publication de ladite ordonnance,
intervenue en violation de la procédure prescrite à cet effet par les dispositions des articles
60 de la Constitution, 28 et 111 de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, est
nulle »117. Il est demeuré constant sur cette position118. Par ailleurs, le juge constitutionnel
béninois a qualifié cette attitude de vice de procédure au bloc de constitutionnalité119.

113
G. DRAGO., Contentieux constitutionnel français, 2ème éd., op.cit., p.389.
114
M. VIRALLY., La pensée juridique, Paris, L.G.D.J., 1960, p.149.
115
A. VIALA., « Les réserves d’interprétation : un outil de « resserrement » de la contrainte de
constitutionnalité », RDP, 1997, p.1049.
116
S. DAKO., « La résolution juridictionnelle des conflits entre le Gouvernement et le parlement au Bénin » in
F.-J AIVO (dir), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en
l’honneur de Maurice Ahanhanzo Glèglè, Paris, L’Harmattan, 2014, p.345.
117
Décision n°045/CC du 03 décembre 2015, Maître Jean Pierre Akumbu M’Oluna (Gabon).
118
Décision n° 001/CC du 5 janvier 2007 relative à la requête présentée par monsieur Jean Christophe Nze
Biteghe tendant à voir déclarer inconstitutionnelles les ordonnances n°4/2003 du 14 février 2003 et n°3/2006 du
9 février 2006 portant modification de la loi organique n°11/96 du 15 avril 1996 relative à l’élection des députes
à l’assemblée nationale, modifiée par la loi organique n°16/2002 du 30 janvier 2003 (Gabon).
119
Décision DCC 08-94 du 08 avril 1994, Michel Bossou (Bénin) : « Considérant que la non transmission à la
Cour constitutionnelle de ladite loi organique modificative constitue un vice de procédure au regard du bloc de
constitutionnalité que forment la Constitution et la loi organique n°91-009 du 04 mars 1991 sur la Cour

118
Le juge constitutionnel étend l’exigence d’un contrôle de constitutionnalité préalable
sur l’ordonnance d’habilitation au Gabon. Contrairement au règlement d’assemblée
nécessitant un contrôle avant sa mise application, la loi préalable à sa promulgation,
l’ordonnance d’habilitation est assujettie à un contrôle préalable à sa publication. La
publication s’entend de l’insertion du texte au journal officiel ou dans tout autre journal
d’annonces légales. L’inobservation du contrôle à priori à la publication de l’ordonnance
produit les effets similaires qu’un contrôle de droit commun. Le juge constitutionnel déclare
sa nullité et abroge toutes les institutions qu’elle crée. L'annulation de la publication de
l’ordonnance querellée ainsi que la non séparabilité des dispositions censurées de l'ensemble
du texte, rendent ladite ordonnance nulle. Par rapprochement à l’inconstitutionnalité
susmentionnée, le fondement demeure divergent. Or, ailleurs, le fondement a été la délégation
législative de compétence dévoyée de l’urgence demandée par le gouvernement lors de
l’intersession du parlement.
Les effets de l’inobservation du contrôle de constitutionnalité des lois par l’ordonnance
d’habilitation s’étendent sur les critères fondamentaux de l’état de droit. Ils émasculent la
normativité du contrôle de constitutionnalité ainsi que sa force juridique. L’ébranlement du
critère s’apprécie sur la hiérarchie des normes au Gabon et dans les autres États de l’Afrique
noire francophone. « La suprématie de la Constitution, ce document composé de règles
relatives aux institutions politiques (…) représente incontestablement un des piliers
fondamentaux de l’Etat de Droit »120. Le juge constitutionnel congolais apporte sa touche au
régime du contrôle de constitutionnalité.
Le juge constitutionnel congolais s’est prononcé sur l’impact de la vacuité du contrôle
de constitutionnalité des lois. « Considérant que le paragraphe 3 suscité confère d’office au
règlement intérieur de l’Assemblée nationale le caractère de loi organique ; (…)
Considérant, cependant, que l’article 121 alinéa 1 précité de la Constitution assimile le
règlement intérieur de l’Assemblée nationale à une loi organique et ne lui prête, à cet égard,
les effets de ladite loi, qu’après qu’il a été déclaré conforme à la Constitution par la Cour
constitutionnelle ; »121. La vacuité du contrôle de constitutionnalité du règlement d’assemblée
contribue à son assimilation à la loi organique. Celle-ci introduit un déménagement de la
hiérarchie des normes et partant la place de ces normes dans la pyramide des normes. C’est
donc tout le sens de la récusation du projet de texte en cause par le juge constitutionnel en
cause. Cette disposition inconstitutionnelle assimile incontestablement le règlement
d’assemblée dans l’échelle de normativité dont « ces objectifs désormais pourvus de charge
normative de premier rang » 122 . En droit interne, aucune norme à l’exception de la
Constitution elle-même n’est affranchie d’un contrôle de conformité. L’affirmation de l’idée
l’est davantage dans un contexte de récusation sans concession de la supra-constitutionnalité.
Car « la supraconstitutionnalité est dangereuse pour l’ordre juridique démocratique »123. Qui

constitutionnelle ; que la cour constitutionnelle n’a pas eu à se prononcer sur la conformité ou non la
conformité de ladite loi ; en résulte que le texte de loi n’est pas conforme à la constitution ; ».
120
K. AHADZI NONOU., « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : Le cas des États
d’Afrique noire francophone » op.cit., p.40.
121
Avis N° 008-ACC-SVC/17 du 21 Novembre 2017, Président de l’Assemblée Nationale (Congo Brazzaville).
122
F.-J AÏVO., « La crise de normativité de la Constitution en Afrique », RDP n°1-2012, p.156.
123
G. VEDEL, « Souveraineté et supraconstitutionnalité », Pouvoirs n°67, 1993, p.82.

119
plus est « le concept de normes juridiques supraconstitutionnelles est logiquement
inconstructible »124. Sous cet angle, le juge constitutionnel évite que l’on parle d’un départage
formel au sommet de la pyramide des normes. Or, le règlement d’assemblée est une norme
dérivée dont la conformité s’apprécie par rapport à la loi organique et puis les normes
constitutionnelles originaires à savoir la Constitution, son préambule et les principes de valeur
constitutionnelle. Il est incontestable d’admettre que « l’intervention d’une justice
constitutionnelle est indispensable à l’efficacité et à la garantie d’une constitution »125. Ainsi,
la Constitution bénéficie exclusivement d’une conformité originaire et non dérivée dans
l’ordonnancement juridique. Davantage, « alors, l’idée d’une échelle de constitutionnalité
n’est peut-être pas infondée »126.
L’urgence durant l’intersession du parlement est l’unique fondement juridique de
l’habilitation législative de compétence au Gabon. Son absence est constitutive
d’incompétence négative d’après l’esprit de la Constitution et du juge constitutionnel. Car le
parlement abandonne la réserve de loi, son aménagement au profit de l’exécutif. Or, la
production normative défaillante procède autrement. La rédaction lacunaire des textes par le
législateur est censurée par la technique des réserves d’interprétation.

II. LA PRODUCTION NORMATIVE ALTEREE PAR LES DEFAILLANCES

La seconde déclinaison de l’incompétence négative est la production normative


défaillante du parlement au Gabon. L’activité normative de la représentation nationale est
lacunaire, la qualité de la norme évanescente et moins encline aux objectifs de valeur
constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité. Par ce fait, il est devenu banal « de
stigmatiser la mauvaise qualité des lois »127. Car « il manque aux Parlements modernes toutes
les connaissances techniques qui sont nécessaires pour faire de bonnes lois dans les différents
domaines de la vie publique »128. Sous cette bannière l’incompétence négative s’affirme par
les lacunes normatives (A) ce qui conduit à l’éviction de la qualité normative (B).

A. L’affirmation des lacunes normatives du législateur

La production normative est stigmatisée par l’affirmation des lacunes normatives du


législateur au Gabon. Les carences de la loi, c'est-à-dire les omissions ou des mutismes du
législateur sont malheureusement constatées. C’est un leurre d’attendre du parlement,
l’aménagement satisfaisant et complet des règles touchant aux préoccupations législatives. Il
n’y a donc pas « toute une suite de réponses données, dans la hâte souvent à des problèmes

124
Idem.
125
H. KELSEN., « La garantie juridictionnelle de la Constitution (la justice constitutionnelle) », RDP, 1928,
p.197.
126
D.-G LAVROFF., « Propos hérétiques : l’échelle de constitutionnalité » Politéa n°4,2003 p.103.
127
A. ROUX., « L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi », in R. BEN ACHOUR (dir.), Le droit
constitutionnel normatif. Développements récents, Bruylant, Bruxelles, 2009, p.155 ; A.-L VALEMBOIS., La
constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, Paris, L.G.D.J., « Bibliothèque
constitutionnelle et de science politique » Tome 122, 2005 p. 286.
128
H. KELSEN., La Démocratie : Sa nature - Sa valeur, 2ème éd., trad. Française, Paris, Economica, « Coll.
Classiques Série politique et constitutionnelle », 1929, p. 51.

120
concrets »129. « Dans son contexte juridique, il s’agit principalement de l’inexistence néfaste
d’une norme »130.
« Considérant, dès lors, que les dispositions de l'article 25 de la loi n°39/2010 du 25
novembre 2010 portant régime judiciaire de protection du mineur, du fait qu'elles ne
protègent que les intérêts du mineur en conflit avec la loi en faveur de qui elles prescrivent la
désignation d'office d'un avocat dès son premier contact avec le processus de justice pénale,
mais restent muettes concernant le mineur victime ou témoin d'une infraction qui, lui, est
ainsi implicitement renvoyé au régime de droit commun, doivent être déclarées
inconstitutionnelles »131. C’est davantage le cas au sujet de la procédure de constatation de la
vacance au poste de Président du Sénat au Gabon132.
Au regard de cette décision de justice, l’incompétence négative n’est pas supposée mais
posée en droit constitutionnel gabonais. Le juge constitutionnel révèle une lacune technique
de l’activité normative du parlement (1). Elle n’est donc pas directement rattachée à une
lacune authentique laquelle découle de la Constitution (2).

1. L’affirmation de la lacune technique du législateur


Le juge constitutionnel révèle la lacune technique de l’œuvre du législateur au Gabon.
L’interprète authentique dévoile l’omission ou le mutisme normatif du parlement sur une
préoccupation relevant du domaine de la loi. Le législateur s’est rendu coupable d’une
discontinuité à la compréhension globale de l’acte juridique. Il est fait allusion « aux
problèmes laissés irrésolus »133. De manière directe, « les simples lacunes techniques, c’est-à-
dire celle qui résultent d’une omission de l’autorité normative qui elles correspondent, »134.
La lacune technique du législateur sur le régime judiciaire de la protection du mineur est
révélée par le juge constitutionnel. Elle entraine la décadence de la prévisibilité dans l’activité
normative du parlement. Elle est davantage source d’insécurité juridique et de discontinuité
du discours du législateur sur ce point.

129
P. ARDANT., « Le contenu des constitutions : variables et constantes », Pouvoirs, n°50, 1989, p.31.
130
J. JEANNENEY., Les lacunes constitutionnelles, Paris, Dalloz, « Les nouvelles bibliothèques de thèses »,
2016, p.3.
131
Décision n°039/CC du 06 novembre 2017 relative au contrôle de constitutionnalité par voie d'exception des
dispositions de l'article 25 de la loi n°39/2010 du 25 novembre 2010 portant régime judiciaire de protection du
mineur (Gabon).
132
Décision n°016/CC du 11 Mai 2006, Président de la République (Gabon), « (…) que la décision de la Cour
Constitutionnelle n°13/CC du 13 avril 2006 susvisée a comblé la lacune ainsi relevé en indiquant la procédure à
observer en la matière et dont la première étape est la constatation de la vacance de poste ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Georges Rawiri sénateur de la commune de Lambaréné
exerçant la fonction de Président du Sénat, est décédé à Paris le 9 avril 2006 qu’à la suite de ce décès, le poste
de Président du Sénat est par conséquent devenu vacant ; qu’il convient d’y pourvoir conformément à la
procédure arrêtée par la Cour constitutionnelle dans sa décision n°013/CC du 13 avril 2006 ci-dessus
mentionnée ; »
133
F. MIATTI., « Le juge constitutionnel, le juge administratif et l’abstention du législateur », LPA, Avril 1996
n°52, p.5.
134
F. MELIN SOUCRAMANIEN., « Les lacunes constitutionnelles », in R. BEN ACHOUR (dir.), Le droit
constitutionnel normatif. Développements récents, Bruylant, Bruxelles, 2009, p.57.

121
La lacune technique du législateur c’est-à-dire l’omission du législateur de régler une
préoccupation concerne la situation juridique du mineur victime ou témoin d'une infraction135.
Le juge constitutionnel gabonais situe le sort du mineur victime ou témoin d’une infraction
dans les insuffisances normatives. Il déplore l’absence de norme spécifiquement applicable à
cette préoccupation de nature législative. L’ordonnancement juridique gabonais a été
confronté à une nouvelle préoccupation infra constitutionnelle non vue et non prévue. Cette
source formelle du droit ne l’avait ni aménagé ni traité dans la substance. La loi, acte
juridique infra constitutionnel n’est donc pas la source formelle de référence pour y apporter
un dénouement. En ce sens, « l’absence totale de norme s’apparente à ce que l’on appelle
communément le vide juridique » 136 . Le juge constitutionnel, en révélant le mutisme du
législateur sur le sort du mineur victime ou témoin d’une infraction dénonce de manière
apparente l’évanescence de la sécurité juridique.
Le mutisme juridique fustigé en l’espèce conduit à la décadence de la prévisibilité dans
l’œuvre législative. L’image du creux dont reflète et distille l’œuvre du législateur sur le sort
du mineur victime ou témoin d’une infraction émascule la détermination de la règle générale
applicable en l’espèce. Le législateur gabonais n’a pas été enclin à la promotion de l’état de
droit qui suppose la connaissance d’un minimum de règles juridiques par les citoyens. «
L’instabilité croissante des normes menace incontestablement la sécurité juridique » 137 .
Davantage, « la sécurité juridique désignerait alors les qualités objectives de rédaction et
d’application que les règles d’un État de droit digne de ce nom doivent revêtir (normativité,
clarté, intelligibilité, cohérence, accessibilité, publicité, non-rétroactivité, stabilité » 138 . Le
juge constitutionnel prolonge sa contribution en révélant les failles à la compréhension et la
cohérence globale du discours sur le régime judiciaire de protection du mineur.
Le juge constitutionnel récuse les failles à la compréhension et la cohérence globale du
discours sur le régime judiciaire de protection du mineur. La lacune authentique en cause
entraine le fragment du message du législateur. Diffusant l’idée d’un creux dans
l’ordonnancement juridique, le mutisme normatif relevé construit des chaines de discontinuité
et de rupture dans la signification totale de la loi sur le régime judiciaire de protection du
mineur. L’économie globale du texte est effritée par l’imprévisibilité du droit applicable et
partant l’affaissement du principe de la sécurité juridique. En ce sens, « les lacunes
apparaissent comme des failles dans la cohérence générale du système. En ce sens, elles
portent atteinte à la sécurité juridique » 139 . En outre, de manière sous-jacente, le juge
constitutionnel récuse l’auto évaluation de l’œuvre du législateur.
Sous un discours de dénonciation des risques à la sécurité juridique transparait de
manière sous-jacente un discours argumentatif et prescriptif de l’interprète authentique. La

135
Décision n°039/CC du 06 novembre 2017 relative au contrôle de constitutionnalité par voie d'exception des
dispositions de l'article 25 de la loi n°39/2010 du 25 novembre 2010 portant régime judiciaire de protection du
mineur (Gabon).
136
F. MELIN SOUCRAMANIEN., « Les lacunes constitutionnelles », op.cit., p.56.
137
D. TRUCHET., Le droit public, 3ème éd., mise à jour Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2016 p.54 ; D.
CHAMUSSY., « Procédure parlementaire et qualité de la législation : la contribution du Conseil constitutionnel
à la sécurité juridique », EDCE N°57, p.366.
138
B. PLESSIX., « sécurité juridique et confiance légitime », RDP n°3, 2016, p.799.
139
F. MELIN SOUCRAMANIEN., « Les lacunes constitutionnelles », op.cit., p.58.

122
révélation de la lacune technique du législateur doit revêtir une force argumentative au droit
de passer en revue son œuvre par une tierce personne au procès. Le législateur ne peut par son
propre fait produire et puis par la suite détecter de son chef les manquements à son œuvre.
Qui plus est, depuis l’abrogation du référé législatif de l’histoire institutionnelle et politique
de la France, le parlement a cessé d’être l’interprète de la loi. « Le dernier mot en matière
d’interprétation revient au corps législatif, Ejus est interpretari legem cujus est condere »140
résultait de « ce schéma originel, hérité de la Révolution française »141.
Sous le discours de la révélation de la lacune technique du régime juridique de
protection du mineur transparait une force argumentative à recouvrir la voie de la sécurité
juridique. Le juge constitutionnel s’essaye de redorer le blason de l’état de droit et de
restaurer la continuité à la compréhension globale du texte. Elle restaure l’obligation de
prévisibilité et de stabilité et partant le complément de l’œuvre du législateur. Car « la
sécurité juridique étant consubstantielle à tout ordre juridique, il n’est pas forcément
nécessaire d’expliciter ce qui va sans dire »142. Le juge constitutionnel l’a directement fait
Président du Sénat au Gabon. En l’espèce, il a comblé le vide normatif émasculant la
procédure de constatation de la vacance au poste de Président du Sénat143.
En Côte d’Ivoire, le juge constitutionnel a censuré l’omission par la proposition de loi,
des droits reconnus par la Constitution aux travailleurs notamment le droit syndical et le droit
de grève 144 . Or, le juge constitutionnel béninois censure l’omission par le règlement
d’assemblée la règle suivant laquelle le Président de l’Assemblée Nationale est seul habilité à
diriger ladite Assemblée145.

2. L’éviction de l’aménagement spécifique de l’idée par le législateur


L’éviction de l’aménagement spécifique de l’idée est le fait des lacunes normatives du
législateur. Les dispositions silencieuses ne conduisent à l’existence juridique d’une norme et
de son application à une préoccupation juridique particulière. Les dispositions considérées
comme lacunaires n’ont pourvu ni au prolongement ni au perfectionnement du texte
constitutionnel et du domaine de la loi. Ce fait introduit la dénégation de l’idée suivant
laquelle « quel qu’en soit l’objet, toute disposition émanent du pouvoir constituant »146. C’est
regrettable que l’activité déployée ne «, vienne préciser les dispositions constitutionnelles
pour les rendre parfaitement opérantes »147.

140
Cette locution latine signifie que « le pouvoir d’interpréter la loi appartient à celui qui légifère ». Voy J.
HILAIRE, Adages et maximes du droit français, 2ème éd., Paris, Dalloz, 2015, p. 67.
141
E.-D.-E ADOUKI., « Le pouvoir normatif des juridictions constitutionnelles en Afrique », op.cit., p.96.
142
G. EVEILLARD., « Sécurité juridique et droit transitoire », RDP n°3, 2016, p.741.
143
Décision n°016/CC du 11 Mai 2006, Président de la République op.cit. (Gabon).
144
Avis n°CI-2014-A-137/10-06/CC/SG du 10 juin 2014 relatif à la demande du Président de l’Assemblée aux
fins de vérifier la conformité à la Constitution de la proposition de loi fixant les conditions du travail domestique
et portant organisation des agences de placement des travailleurs. (Côte d’Ivoire).
145
Décision 3 DC du 02 juillet 1991, Président du bureau provisoire de l’Assemblée Nationale (Bénin).
146
G. VEDEL., Manuel élémentaire de droit constitutionnel, 2ème éd., rééd par Guy Carcassonne et Olivier
Duhamel, Paris, Dalloz, 2002, p.113.
147
M.-M MBORANTSUO., La contribution des Cours constitutionnelles à l’État de droit en Afrique op.cit.,
p.108.

123
Le dédoublement la lecture en catalogue des normes constitutionnelles et législatives est
le fait du parlement. La dégradation du produit normatif du parlement par des lacunes effrite
le prolongement de l’idée de Constitution. Elle est de nature à affermir l’écriture et la lecture
en catalogue du texte fondamental de la République du Gabon. L’élan de perfectionnement de
l’œuvre constituante est rompu par des creux normatifs du parlement gabonais. C’est « n'être
pas inscrit dans le texte constitutionnel »148. Pareil pour les matières relevant du domaine de
la loi ou plus exactement du bloc de constitutionnalité. Parlement diffuse explicitement une
dualité de lacunes tant constitutionnelles que législatives. Il est un leurre de se référer aux
dispositions lacunaires pour dégager une idée suffisante de l’œuvre du pouvoir constituante et
de la production normative du parlement. En ce sens, « il existe un écran qui empêche la
filiation immédiate ou directe » 149 . Le mutisme de l’une des dispositions de la loi sur le
régime judiciaire de la protection du mineur n’a pas favorisé l’aménagement juridique sur le
point querellé150.
La condamnation des dispositions muettes s’explique par leur impact péjoratif sur
l’intelligibilité de la loi. Elles ne favorisent la compréhension de la dérivation du droit mais
aussi de l’aménagement spécifique de la loi sur des matières précises. Cumulativement il est
évoqué un prolongement non pas décomplexé mais plutôt biaisé. La règle spécifique
applicable à la préoccupation faisant grief ne peut être trouvée dans le support formel
défaillant. Le fait est davantage dangereux pour l’application du droit dès lors à récuser car il
efface la dialectique entre la règle supérieure et la règle inférieure. Car « reposant sur
l'étendue de son pouvoir d'interprétation en aval » 151 . Par ailleurs, les dispositions
silencieuses ou dépourvues de normativité ne peuvent que relever de l’activité normative
défaillante du parlement. Le législateur, amateur de la rédaction des textes dégrade la
normativité attachée aux normes de valeur législative au Gabon.
Les omissions, lacunes normatives conduisent à des zones d’ombre dans la dérivation
des normes au Gabon. Elles effacent le relai devant s’affirmer entre les normes de hiérarchie
dénivelée. C’est davantage le cas au niveau de l’effacement de la complémentarité entre les
normes d’égale valeur. Car la norme inférieure a souvent tendance à reconduire les lacunes de
la norme supérieure. Cette situation s’affirme généralement lorsqu’il n’est procédé par aucun
renvoi à un texte particulier. En ce sens, la norme inférieure se charge mécaniquement et
automatiquement de la reconduction des prescriptions générales fixées par la norme
supérieure ou générale. Le décodage du cadrage général touche généralement les dispositions
non affirmées par les normes supérieures. C’est dans ce cadre que « l’identification de la
signification d’un ensemble d’énoncés exprimant des normes juridiques » 152 s’articule.
Davantage, les normes supérieures « ont une force juridique supérieure à toutes les autres

148
J. BOULOUIS., « Les limites du droit constitutionnel », R.I.D.C Vol. 38 n°2, Avril-juin 1986, p.602.
149
L.-P GUÉSSÉLÉ ISSEME., « Les normes dérivées de la Constitution dans les États d’Afrique noire
francophone », op.cit., p. 93.
150
Décision n°039/CC du 06 novembre 2017 relative au contrôle de constitutionnalité par voie d'exception des
dispositions de l'article 25 de la loi n°39/2010 du 25 novembre 2010 portant régime judiciaire de protection du
mineur (Gabon).
151
F. HOURQUEBIE., « Le sens d’une Constitution vu de l’Afrique », in CCC n°1 septembre 2018, p.3.
152
O. PFESRMANN., « Le sophisme onomastique : changer au lieu de connaitre. L’interprétation de la
Constitution » op.cit., p.37.

124
règles » 153 . Le droit comparé ne conforte dans ce raisonnement. En effet, le juge
constitutionnel partant du mutisme de la Constitution, établit la source émettrice de la lacune
de la loi organique. Une loi organique du Bénin ne prévoyait pas les éventuelles réclamations
des électeurs comme mentions à porter au procès-verbal154. Cette situation est observable sur
la réserve de loi au Gabon.
De manière globale et se référant à la réserve de loi, les lacunes techniques accentuent la
réalisation sélective des règles législatives. Car les dispositions considérées comme muettes
n’ont pour inconvénient de ne permettre l’accession à l’existence juridique des préoccupations
faisant grief. Seules celles consacrées peuvent y pourvoir. Autrement dit, l’aménagement des
dispositions par le parlement ne pourvoie qu’à l’application des règles législatives et des
droits constitutionnellement consacrés. Une portée conséquente des règles législatives
demeure engloutie par l’océan des omissions et lacunes constitutionnelles et législatives.
C’est particulièrement « le principe d’ordre donnant unité et sens à l’ensemble des règles
juridiques » 155 . Qui plus, « la parole du souverain ne s’affirme, en effet, comme
obligation »156. Par ailleurs, les lacunes normatives, établissent le jus-naturalisme.
Les lacunes techniques du législateur contribuent à l’aménagement du jus-naturalisme.
En effet, les dispositions omises par le parlement sont réfutées d’attribution du droit positif.
Elles n’ont pas d’existence juridique car ne comportant les caractéristiques de la norme. Les
dispositions relavant des lacunes techniques se rapprochent des règles relevant des doctrines
jus naturalistes. « C'est dire qu'avec ces grandes hypothèses on est très près, sinon de la
philosophie du droit » 157 . Cette qualification « lui est attribué conformément à certaines
règles »158. Celles-ci constituent la source à l’érosion de la norme de qualité au Gabon.

B. L’érosion de la norme de la qualité du législateur

L’incompétence négative du législateur s’articule dans l’éloignement de la production


des normes de qualité au Gabon. Le parlement adopté généralement des textes complexes,
ésotériques, peu enclins à la prévisibilité et partant à la sécurité juridique. En principe, « ces
attributs ou critères de la norme s’assemblent pour que soit constitué l’exigence de
qualité » 159 . Leur compréhension demeure un défi pour un citoyen doté d’une culture
juridique approximative. En ce sens, « le contenu sémantique d’un énoncé peut toujours être
ambigu, en particulier dans le cadre de la communication juridique »160. Or, « l’intelligibilité

153
M. FROMONT., « La notion de justice constitutionnelle et le droit français », in Renouveau du droit
constitutionnel. Mélanges en l’honneur de Louis FAVOREU, Paris, Dalloz, 2007, p. 149.
154
Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011, Président de la République (Bénin).
155
R. ROUSSEAU., « Question de Constitution », in Le nouveau constitutionnalisme. Mélanges en l’honneur de
Gérard CONAC, Paris, ECONOMICA, 2001, p. 5
156
D. ROUSSEAU., « Pour une Cour constitutionnelle ? », R.D.P., n° spécial, 2002, p. 368.
157
J. CARBONNIER., Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 11ème éd., Paris, L.G.D.J., 2001,
p.11.
158
M. TROPER., Philosophie du droit, 3ème éd., Paris, PUF., « Que sais-je ? », 2011, p.3.
159
P.-E ABANÉ ENGOLO., « La notion de qualité du droit » RADSP, Vol 1, n°1.- jan. Juin 2013 p.91.
160
J. JEANNENEY., Les lacunes constitutionnelles op.cit., p. 137 ; A.-L VALEMBOIS., La
constitutionnalisation de la sécurité juridique en droit français op.cit., p. 273.

125
impliquait que le destinataire de la norme ne se trouve pas dans la situation de ne pas
comprendre ses droits ou obligations »161.
Sans prétendre à l’exhaustivité, certaines décisions du juge constitutionnel gabonais
expliquent l’érosion de la norme de qualité du législateur. Rien d’étonnant que « la
jurisprudence constitutionnelle y est aujourd’hui systématiquement observée et
commentée »162. Celles-ci concernent l’éviction de clarté ou de clarification substantielle des
règles législatives (1). C’est davantage le cas pour le défaut de lisibilité de celles-ci (2).

1. La négation de clarification des règles législatives


Les objectifs à valeur constitutionnelle d’accessibilité, d’intelligibilité et de clarté de la
loi sont érodés par la production normative défaillante du législateur au Gabon. L’œuvre du
parlement sombre dans un discours desséchant lequel frise la précision et la clarification
substantielle des règles législatives. « La fonction du langage est de communiquer, c'est-à-
dire de transmettre une pensée d’un locuteur à un (ou des) allocateur (s) »163 est limitée. « Il
ne fait aucun doute de la mauvaise qualité rédactionnelle des lois »164. Qui plus est, « le
langage juridique n’est pas le langage commun, et certains mots ou formules clairs en eux-
mêmes cessent de l’être dans un texte de droit »165.
« Considérant que l'article 3, pour sa part, se borne à citer les uns à la suite des autres
des principes auxquels l'organisation et le fonctionnement de la Justice sont censés obéir,
sans pour autant en indiquer les contenus ; que l’absence de clarté des dispositions de tous
ces articles les rend inapplicables, et, partant, inconstitutionnels » 166 . « Considérant que
l'article 3 prescrit : L'organisation et le fonctionnement de la, Justice obéissent aux principes
de légalité, d'égalité, de continuité, de neutralité, de mutabilité ou de l’adaptabilité et de
responsabilité prévus par la loi »167.
La productive normative défaillante du législateur gabonais provient de l’éviction de
clarté dans les dispositions votées et adoptées. Le juge constitutionnel dénonce le défaut de
clarification substantielle dans l’œuvre du législateur. Certaines notions fondamentales n’ont
pas de contenu et partant effrite la dialectique de la règle supérieure à la règle inférieur. Par
l’érosion de la clarté des règles législatives, se perçoivent l’insuffisance normative et la
complexification d’application du droit. L’énonciation des règles de manière énumérative
fusse t’elle limitative ou indicative n’est pas recevable aux exigences de la clarté du droit. Elle
traine des points d’imprécision et de non précision susceptible de dévoyer le sens des mots,

161
D. CHAMUSSY., « Le Conseil constitutionnel, le droit d’amendement et la qualité de la législation », op.cit.,
p. 1092.
162
A. ROBLOT TROIZIER., Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la constitution française.
Recherches sur la constitutionnalité par renvoi, Paris, Dalloz, « Nouvelle bibliothèque de thèse », vol 65, 2007
p.1.
163
P. GUIRAUD, La stylistique, « Coll. ». Que sais-je n°646, Paris, PUF, 1970, p.86.
164
A. AKAM AKAM., « Libres propos sur l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » » R.A.S.J, Vol 1, 2007 p.53.
165
J.-M TCHAKOUA., Introduction générale au droit camerounais, Yaoundé, PUCAC, « Collection
« Apprendre », 2008, p.123.
166
Décision N°045/CC du 03 décembre 2015 relative à la requête présentée par le barreau du Gabon tendant à
l'annulation de l'ordonnance N°15/PR/2015 du 11 aout 2015 portant organisation et fonctionnement de la justice
(22ème Considérant) (Gabon).
167
Idem (17ème Considérant).

126
des concepts ou de l’action du débiteur de l’obligation. L’exclusion de cet objectif de valeur
constitutionnel est visible sur l’article 3 de l’ordonnance du 11 août 2015 portant organisation
et fonctionnement de la justice au Gabon. La disposition querellée se contente de dire que les
principes y afférent sont la légalité, l’égalité, la continuité, la neutralité, la mutabilité ou
l’adaptabilité et la responsabilité. L’agencement des principes en cause n’est pas de nature à
favoriser l’intelligibilité de leur contenu. « La loi n’a pas prévu des dispositions suffisamment
précises et que ces omissions portent atteintes à des garanties fondamentales
constitutionnellement protégées »168. Davantage, il « fait douter du pouvoir de dernier mot du
législateur » 169 . Par ailleurs, le dénouement de l’inconstitutionnalité en cause repose sur
l’édiction de la décision de constitutionnalité reposant sur l’invalidation partielle.
Le juge constitutionnel a explicitement adopté la décision de constitutionnalité
notamment l’invalidation partielle pour traiter les inconstitutionnalités de l’ordonnance
d’habilitation. Car « on distinguera quatre grands types de décisions du Conseil
constitutionnel »170. De manière constante, la juridiction constitutionnelle ne se prononce que
sur l’invalidation partielle de la loi d’habilitation. En théorie générale des cas de figures sont
présentés par le juge constitutionnel. En ce sens, les dispositions invalidées peuvent être
déclarées séparables des autres, soit elles sont inséparables de certaines autres dispositions.
L’acte juridique en cause peut être promulgué sans les dispositions invalidées dans l’un ou
dans l’autre cas. Enfin, « les dispositions invalidées sont inséparables de l’ensemble du texte,
et dans ce cas, celui-ci ne peut être promulgué »171. En ce sens, « une déclaration enfin de
conformité partielle lorsque certains articles seulement, ou même certaines phrases, certains
mots d’un article sont jugés contraires à la Constitution »172. En ce sens, « article 4 : A la
suite du contrôle de constitutionnalité effectué par la cour constitutionnelle, les dispositions
des articles 1er, 2, 3, 12, 17, 18, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, alinéa 1er, 32 et 33 de l'ordonnance
n°15/PR/2015 du 11 août 2015 ont été censurées »173 et en plus : article 4 : « les dispositions
ainsi censurées sont inséparables de l’ensemble du texte » 174 . Par ce fait, le juge
constitutionnel n’utilise les autres décisions de constitutionnalité à savoir la qualification ou la
déqualification, le rejet simple et les décisions de conformité sous réserve. Il adopté une
décision qui l’affranchit d’influencer substantiellement dans l’écriture du texte contrôlé.
La décision de constitutionnalité affranchit le juge constitutionnel gabonais de réécrire
et de reconfigurer l’ordonnance d’habilitation. Il n’a modifié ni l’écriture d’une disposition ni
formulé des prescriptions au législateur. Il s’est contenté d’affirmer l’inconstitutionnalité et
leur inséparabilité de l’ensemble des dispositions du texte. Le juge constitutionnel gabonais se

168
G. DRAGO. Contentieux constitutionnel français, Paris, Dalloz, « coll Thémis droit public » 1998, p.419-
420.
169
P. DEUMIER., « L’intérêt général « impérieux » et les conflits de normes », in L’intérêt général. Mélanges
en l’honneur de Didier Truchet, 1re éd., Paris, Dalloz, 2015, p.162.
170
L. FAVOREU., P. GAIA., R. GHEVONTIAN., J.-L MESTRE., O. PFERSMANN., A. ROUX., G.
SCOFFONI., Droit constitutionnel, 21ème éd., op.cit., p.385.
171
Idem.
172
D. ROUSSEAU., P.-Y GAHDOUN., J. BONNET., Droit du contentieux constitutionnel, 11ème éd.,
entièrement refondue, Paris, L.G.D.J., 2016, p.350.
173
Décision N°045/CC du 03 décembre 2015 relative à la requête présentée par le barreau du Gabon tendant à
l'annulation de l'ordonnance N°15/PR/2015 du 11 aout 2015 portant organisation et fonctionnement de la justice
(22ème Considérant) (Gabon).
174
Idem.

127
contente de déclarer certaines dispositions non conformes tout en affirmant expressément
qu’elles sont inséparables du texte global. Il résiste à la tentation d’amender l’ordonnance
d’habilitation. Nonobstant l’affirmation de l’inconstitutionnalité, le texte du législateur est
prémuni des compléments normatifs. La participation du juge constitutionnel à l’œuvre
législative par des amendements, l’adjonction de nouvelles dispositions ou la neutralisation
des interprétations déroutantes n’est pas retenue. Ainsi « elle garde intacte (…) toute sa
vitalité et toute sa force »175. En effet, il ne « procède à la réécriture de la loi et il sanctionne
les omissions législatives inconstitutionnelles »176.

2. La négation de lisibilité des règles législatives


La production normative du législateur est érodée au Gabon par des règles non lisibles.
Celles-ci ne sont généralement peu comprises par leur caractère lacunaire ou douteux.
Certaines dispositions législatives sèment incontestablement le doute dans l'esprit de ceux qui
sont chargés de les appliquer. L’explication est que : « emprunter à la médecine ses concepts
et son vocabulaire, vient naturellement à l’esprit de l’observateur. La loi est malade dit-
on »177. Davantage, « c’est principalement l’ambiguïté des termes employés qui implique en
définitive une contrariété »178 de compréhension.
« Considérant qu'il faut relever à ce sujet que le droit à une pension de retraite pour un
député à l'Assemblée Nationale ou pour un membre du Gouvernement (…)sème
incontestablement le doute dans l'esprit de ceux qui sont chargés d'appliquer les dispositions
de l'article 30 querellé ; » 179 . Ainsi la disposition sème du doute aux citoyens devant
appliquer l’article 30 querellé. La compréhension du régime particulier des membres du
Gouvernement, des députés et des sénateurs est érodée dans sa substance et sa signification.

CONCLUSION GENERALE

Au sortir de cette réflexion, l’on peut affirmer que les figures de l’incompétence
négative se retrouvent en droit constitutionnel gabonais. L’affirmation découle de la
contribution indirecte ou implicite du constituant et explicite du juge constitutionnel. C’est
une censure fondée sur une règle spécifique consacrée par le constituant. Le juge
constitutionnel censure davantage, le défaussement de compétence et l’aménagement des
règles législatives lacunaires, muettes et peu enclines à l’intelligibilité et l’accessibilité. Ces
explications théoriques s’articulent autour de la délégation législative en dehors de l’urgence
et la production législative altérée par les défaillances. Les deux déclinaisons évoquées
précédemment soulèvent deux constats majeurs :

175
A. VIALA., « Les réserves d’interprétation : un outil de « resserrement » de la contrainte de constitutionnalité
», op.cit., p. 1049.
176
E.-D.-D ADOUKI., « Le pouvoir normatif des juridictions constitutionnelles en Afrique » op.cit., p.102.
177
B. MATHIEU., La loi, 2ème éd., « coll. Connaissance du droit », Paris, Dalloz, 2004, p.71.
178
A.-L VALEMBOIS., La constitutionnalisation de la sécurité juridique en droit français op.cit., p. 273.
179
Décision n°014/CC du 22 juin 2017 relative à la demande du Premier Ministre tendant à l'interprétation de
certaines dispositions de la loi n°002/2008 du 8 mai 2008 fixant le régime particulier des pensions de retraite des
membres du Gouvernement, des députés et des sénateurs, modifiée par la loi n°42/2010 du 2 février 2011 (10ème
considérant) (Gabon).

128
Premièrement : la Constitution offre au juge constitutionnel, l’unité exclusive de mesure
de la délégation législative de compétence. L’urgence demandée durant l’intersession
parlementaire fonde et permet de récuser l’habilitation législative inconstitutionnelle. Elle sert
d’unité d’habilitation à aménager par l’exécutif l’exercice des libertés publiques.
Techniquement c’est un critère implicite et dont la portée juridique sur l’incompétence
négative s’affirme par un raisonnement à contrario.
Deuxièmement : la jurisprudence constitutionnelle gabonais contribue à l’éclatement
des figures de l’incompétence négative. Elle pourvoie à son enrichissement progressif et
échelonné. L’appréhension de l’incompétence négative du point de vue prétorien s’illustre
comme une courbe asymptotique. Ne se confinant à l’exclusivité du critère posé par le
pouvoir constituant, le juge constitutionnel y a introduit les dispositions lacunaires, muettes
sur des préoccupations précises, non accessibles et illisibles. Cette figure de l’incompétence
négative met l’accent sur les maux de la légistique. L’art de rédiger les textes demeure un défi
à l’activité normative du parlement gabonais et des autres États de l’Afrique noire
francophone.
L’idée de l’urgence focalise particulièrement l’attention. Elle accompagne la fixation de
la compétence législative. Considérée comme le critère constitutionnel d’appréciation de la
renonciation législative de compétence, l’urgence suscite un approfondissement particulier de
réflexion. Il est donc pertinent de mener une étude sur l’urgence et la régulation normative du
parlement en droit constitutionnel gabonais.

129
VILLES NOUVELLES ET PATRIMOINE COUTUMIER AU CAMEROUN

Par

Pacôme VOUFFO*
Docteur/Ph.D en Droit public de l’Université de Dschang (Cameroun)
pacomevouffo10@gmail.com

Résumé
L’expropriation pour cause d’utilité publique est rarement acceptée avec enthousiasme par les
populations visées. Au-delà du bien dépossédé, il y a des valeurs traditionnelles et culturelles qui sont
entamées au grand dam de ces populations. L’actualité des villes de Douala et de Dschang au Cameroun
est exemplaire à cet effet. Les populations faisant l’objet d’expropriation fustigent l’attitude méprisante
de l’Etat à l’égard de leur patrimoine traditionnel constitué d’outils et pratiques nécessaires au respect
de leurs traditions ancestrales. Il faut rappeler que la pratique des traditions est diverse au Cameroun, du
fait de la pluralité des ethnies. Elle repose notamment, dans certaines cas, sur le culte des ancêtres
exprimé généralement par l’adoration des cranes ; dans d’autres, sur les sacrifices faits dans des lieux
dits sacrés. Il s’agit là d’un patrimoine traditionnel qui a cependant maille à partir avec les projets liés à
la construction des villes nouvelles. Ce qui invite à interroger la problématique des villes nouvelles à
l’épreuve de ce patrimoine constitué d’outils et pratiques coutumiers. Suivant l’approche du positivisme
sociologique, mettant en adéquation le droit et la pratique, il convient de constater que la préservation
d’outils et pratiques coutumiers au Cameroun constitue un réel défi à la construction des villes nouvelles.
Il y a comme l’existence de deux nécessités qui s’opposent ; la construction des villes nouvelles d’une
part, et la préservation des traditions et coutumes d’autre part. Le cas échéant, c’est la construction des
villes nouvelles qui l’emporte généralement entre les deux. Il y a une résilience des projets de villes
nouvelles face aux traditions dont la préservation d’outils et pratiques reste recherchée.

Mots clés : Ville nouvelle, Patrimoine coutumier, Intérêt général, Développement, Modernité

INTRODUCTION

La question des villes nouvelles apparaît comme une véritable trouvaille. Assurément,
elle est l’un des parents pauvres de certaines disciplines, mais constitue pourtant un objet
scientifique qui brille de tout son style dans d’autres. En science juridique notamment, le
concept semble inexistant ; son usage est rare, même pas dans les disciplines juridiques qui
côtoient la domanialité, le foncier ou l’urbanisme. Sans doute est-ce du fait qu’il ne s’agit pas
d’une notion juridique comme la ville, singulièrement prise1. On pourrait penser qu’il s’agit
d’un concept nouveau, conçu en référence au phénomène d’urbanisation rapide constaté dans
plusieurs Etats. Il n’en est pourtant rien ; ses origines remontant au XIXe siècle en Angleterre.
La notion elle-même n’est cependant pas stable. Elle fait l’objet d’une synonymie féconde
qui invite à une certaine prudence dans le maniement. Les formules sont d’ailleurs diverses

*
Mode de citation : Pacôme VOUFFO, « villes nouvelles et patrimoine coutumier au Cameroun », Revue RRC,
n° 025 / Septembre 2022, p. 131-152

1
G. MARCOU, « Gouverner les villes par le droit ? », in La Gouvernabilité, CURAPP, Paris, PUF, 1996, p. 177.

131
pour la qualifier ; les notions de « ville moderne », « ville neuve », « ville planifiée » se
rapportent assurément à la ville nouvelle et contribuent comme elle, à la représentation de ce
phénomène d’urbanisation rapide constatée dans le monde. La notion est cependant issue du
champ scientifique pour qualifier le phénomène considéré et érigée dans sa systématisation en
une représentation idéologique2. On comprend dès lors les équivoques qui essaiment sa
compréhension ; car comme l’écrit à juste titre Chevallier, « le passage des paradigmes
scientifiques à celui des représentations idéologiques est toujours accompagné d’un flou
conceptuel propice aux effets de légitimation »3. Comprendre cette notion semble encore plus
difficile lorsqu’on approche les urbanistes pour qui, des dires d’Aboubakr Ibn Seddik, le
concept de « ville nouvelle » signifierait dans leur jargon toute autre chose, bien plus différente
des images qu’on peut lui prêter à première vue. Pour cet ancien Directeur adjoint de
l’urbanisme en Algérie, « si dans le jargon usuel des urbanistes, surtout francophones, cela
signifie les "organismes urbains" fondés "ex-nihilo" conçus et réalisés par la puissance
publique ou sous son contrôle et dédiés à une fonction déterminée, ce terme "ville nouvelle"
peut dans la pratique signifier d’autres utilisations comme les grands ensembles, les grands
lotissements, les quartiers périphériques ou même de gros villages »4 .
De la pratique peut alors naître les indices de compréhension de la notion ; car un regard
rétrospectif permet d’établir les origines lointaines de la notion dont le contexte d’émergence
n’était pas sans rapport avec les nécessités pratiques d’aménagement de nouveaux espaces
territoriaux. Le génie de cette notion peut être reconnu à l’anglais Howard qui, dès 1898
« prônait la décongestion des villes à travers la réalisation de "nouvelles" communautés visant
la répartition de la population dans un cadre cohérent et rigoureusement limité »5. Son projet
de créer les « cités jardins » quittera l’ordre des idées pour se matérialiser avec la mise en place
quelques années après, de deux nouvelles villes qui seront la traduction fidèle de ses idées6.
L’usure du temps en fera des émules dans d’autres Etats7 et les idées seront portées jusqu’à
l’Afrique avec ce phénomène d’urbanisation qui envahit presque tous les Etats en quête de
développement et de modernité.
Ainsi, bien que la notion reste parée des attributs d’imprécision, on peut néanmoins
trouver un pan de sa compréhension dans les objectifs, les finalités qui président à sa
matérialisation pratique ; en sus de ce que sa compréhension pourrait tout aussi tenir, toute
proportion gardée, de sa composition terminologique. Une ville nouvelle serait en ce sens un
espace territorial réaménagé ou nouvellement aménagé, reposant sur un projet d’organisation
d’espace territorial précis, pour les nécessités d’activités ou services divers, notamment le
décongestionnement de l’ancien espace8. Les villes nouvelles pourraient ainsi découler d’une
volonté politique d’équilibre de l’espace territorial d’occupation humaine, compte tenu de la

2
J. CHEVALLIER, « L’Etat régulateur », Revue française d’administration publique, n° 111, 2004, p. 473.
3
Ibid.
4
A. IBN SEDDIK, « Villes nouvelles et villes satellites : visions et perspectives », in Villes nouvelles et villes
satellites, Acte du Colloque des journées d’études tenues au siège du Ministère de l’habitat et de l’urbanisme, 14-
15 décembre, 2004, p. 39
5
S. SERHIR, « Ville nouvelle : un concept urbain en mutation », GéoDév.ma, vol. 1, 2013, p. 2.
6
Ibid.
7
Ibid.
8
Ibid., p. 1.

132
poussée démographique qui induit ipso facto la nécessité d’un décongestionnement des grandes
agglomérations ou des cités dont la gestion devient préoccupante9. Leur création passe
notamment par le réaménagement des agglomérations existantes entrainant conséquemment la
redistribution de l’espace institutionnel ; ou par la construction des villes périphériques avec
tout ce que cela comporte comme conséquences notamment juridiques10 et même au-delà, sur
le « patrimoine coutumier », notion qui impose pour sa compréhension, un relatif exercice de
clarification.
La notion de patrimoine coutumier n’est pas vulgaire. Il est d’ailleurs difficile de
l’identifier dans un ouvrage de lexicologie ou dans un dictionnaire qui donnerait une définition
standard ou dynamique. Constitué de deux termes pouvant se réclamer d’une certaine
autonomie conceptuelle, la notion de patrimoine coutumier est la résultante d’un ajustement
nécessaire pour traduire une certaine représentation des acquis traditionnels. Le terme
patrimoine est généralement ajusté à plusieurs autres notions comme culturel, commun,
constitutionnel, pour former respectivement le patrimoine culturel11, le patrimoine commun, le
patrimoine constitutionnel12, dont l’usage semble fécond. La notion de patrimoine coutumier
quant à elle pourrait apparaître plutôt comme nouvelle. Elle pourrait constituer ce faisant une
véritable trouvaille qui justifie l’attrait qu’elle pourrait susciter. On pourrait même objecter qu’il
s’agit d’une création forcée pour les besoins de la cause. Mais toujours est-il qu’il est de
l’essence même de la science d’aboutir à des créations notamment notionnelles stables pour
représenter certaines réalités. La science en elle-même n’est-elle pas un art qui, comme le
soutient Hauriou en référent au droit, « exige plus que la technique, elle réclame de l’intuition
artistique, et le construit est une œuvre d’art non pas une œuvre de (pure) technique »13.
Un essai de clarification de la notion de patrimoine coutumier impose que l’on parte de
la notion de patrimoine et même de celle de coutume de laquelle dérive l’adjectif coutumier,
pour mieux la saisir. Dans cette perspective, la notion de patrimoine peut être comprise comme
un ensemble constitué de biens diverses notamment matériels ou immatériels, hérités du passé
et devant être conservés et préservés pour les générations futures. On y voit en général « le
reflet de la façon dont une société donnée se représente son propre passé et son avenir, à travers
ce qu’elle estime vouloir transmettre »14. Aussi, au sens de la Convention de l’UNESCO de
2008, le patrimoine est-il compris comme l’héritage du passé dont nous profitons aujourd’hui
et que nous transmettons aux générations à venir.

9
J. –R. KEUDJEU DE KEUDJEU, « La gestion des grandes cités en Afrique subsaharienne francophone : Le cas
des agglomérations urbaines à statut particulier du Burkina Faso, du Cameroun, du Congo, du Mali et du Sénégal »,
Revue Afrilex, Bordeaux, 2014, p. 1.
10
J. -R. KEUDJEU DE KEUDJEU, « La décentralisation territoriale à l’épreuve de la distribution juridique de
l’espace institutionnel au niveau local au Cameroun », SOLON, Revue africaine de parlementarisme et de
démocratie, vol. 3, n°6, 2013, p. 204
11
T. WEGER, « Du "patrimoine perdu" au "patrimoine commun européen" », Revue d’Allemagne et des pays de
langue allemande, t. 47, n° 2, 2015, p. 387
12
D. ROUSSEAU, « La notion de patrimoine constitutionnel européen », in Commission européenne pour la
démocratie par le droit (dir.), Le patrimoine constitutionnel européen, Ed. Conseil de l’Europe, coll. « sciences et
technique de la démocratie », n° 18, 1997 p. 16.
13
M. HAURIOU, « L’ordre social, la justice et le droit », Revue Trimestrielle de droit civil, 1927.
14
J. DESCHEPPER, « Notion en débat. Le patrimoine », Géoconfluences, 2021, p. 1.

133
Pour ce qui est de la coutume, on la conçoit en général comme une façon de vivre, héritée
du passé, qui s’est implantée au fil du temps et transmise de générations en générations. Elle
est dans ce cas, synonyme de tradition entendue comme un ensemble de savoirs et de croyances
qui remontent à un passé lointain, et qui sont conservés et transmis à travers des générations.
Cette conception littérale de la notion ne laisse pas transparaître la dimension normative qu’elle
peut revêtir et qui pourrait traduire les nécessités de sa préservation face à des initiatives comme
celle de l’aménagement des villes nouvelles. Seule une approche juridique de la notion pourrait
permettre d’en avoir les raffinements. Suivant cette approche, la coutume renvoie à un « un
usage qui émane lentement de la conscience populaire et qui, considéré peu à peu comme
obligatoire, deviendra règle de droit. La coutume ainsi présentée, a l'avantage d'être souple,
malléable et de correspondre à tout instant à la volonté populaire, aux idées, aux mœurs du
groupe social ou ethnique qui la génère »15. La coutume serait la marque d’une identité,
ethnique ou communautaire, qui rentre dans son patrimoine. Parler dès lors de patrimoine
coutumier ou même de patrimoine traditionnel, c’est faire allusion à cet ensemble composé de
savoirs, de croyances, de pratiques qui constituent la marque d’une identité ethnique ou
communautaire déterminée, et qui sont hérités du passé, conservés et préservés malgré l’usure
du temps et transmis au travers des générations. Si l’on se réfère à la Convention de l’UNESCO
précitée, qui distingue le patrimoine culturel du patrimoine naturel, il serait possible
d’imbriquer le patrimoine coutumier dans le patrimoine culturel ; aussi vrai que celui-ci pourrait
notamment regrouper les valeurs historiques, ethnologiques voire anthropologiques auxquelles
ces savoirs, croyances et pratiques peuvent judicieusement renvoyer. Ce patrimoine coutumier
est de la sorte assurément hétérogène et rentre dans ce patrimoine culturel de l’UNESCO pour
constituer avec le patrimoine naturel des « sources irremplaçables de vie et d’inspiration »16.
Suivant cette logique, l’aménagement des villes nouvelles n’est pas sans compter avec
ces acquis traditionnels. En effet, si leur aménagement peut être souhaité et matérialisé, elles
génèrent ce faisant d’autres préoccupations nouvelles ; notamment la recherche de leur
adéquation avec les considérations liées à la préservation du « patrimoine coutumier » existant.
Reflet « de la vision du monde qui prévaut à un moment donné de l’évolution des sociétés,
empreints des représentations sociales dominantes, qui sont elles-mêmes indissociables d’une
structure sociale globale »17 , le mouvement d’ensemble des Etats en faveur des villes nouvelles
est matérialisé parfois sur des espaces territoriaux appartenant à des populations diverses, à une
communauté qui, au fil du temps, y ont constitué un « patrimoine coutumier », composé
d’éléments composites qui traduisent toute leur identité. Si bien que l’extension urbaine sur les
territoires considérés n’est pas sans conséquences sur leurs pratiques coutumières, sur
l’exercice de leurs traditions respectives, véritable patrimoine coutumier. Aussi, les villes
nouvelles se meuvent-elles parfois en émouvant les communautés. Si leur aménagement
implique parfois le préalable de l’expropriation pour cause d’utilité publique pour l’acquisition
de nouveaux espaces territoriaux, l’opération est rarement acceptée avec enthousiasme par les
populations visées. Au-delà du bien dépossédé, il y a des valeurs traditionnelles et culturelles

15
V. E. BOKALLI, « La coutume, source de droit au Cameroun », Revue générale de droit, vol. 28, n° 1, 1997,
p. 39.
16
Convention de 2008.
17
J. CHEVALLIER, « La science administrative et le paradigme de l’action publique », in Études en l’honneur
de Gérard Timsit, Bruylant, 2004, p. 268.

134
qui sont entamées au grand dam de ces populations. L’actualité des villes de Douala et de
Dschang au Cameroun est exemplaire à cet effet. Les populations faisant l’objet d’expropriation
fustigent l’attitude méprisante de l’Etat à l’égard de leur patrimoine traditionnel constitué
d’outils et pratiques nécessaires au respect de leurs traditions ancestrales.
Il faut rappeler que la pratique des traditions est diverse au Cameroun, du fait de la
pluralité des ethnies. Elle repose notamment, dans certaines cas, sur le culte des ancêtres
exprimé généralement par l’adoration des cranes ; dans d’autres, sur les sacrifices faits dans des
lieux dits sacrés, la sacralisation des espaces comme l’eau dans laquelle les sacrifices sont
opérés, le legs des terres comme héritage suivant les pratiques coutumières18 etc. Il s’agit là
d’un patrimoine traditionnel qui a cependant souvent maille à partir avec les projets liés à la
construction des villes nouvelles. Ce qui invite à interroger la problématique des villes
nouvelles à l’épreuve de ce patrimoine constitué d’outils et pratiques coutumiers.
L’intérêt d’une telle étude se révèle notamment par son actualité. Bien plus, en valeur
théorique tout comme sur le plan pédagogique, elle peut être comptée. Parent pauvre des études
de filiation disciplinaire juridique, le sujet invite à l’exploration des problématiques juridiques
voire sociopolitiques que peut générer l’aménagement des villes nouvelles relativement à son
adéquation recherchée avec les exigences liées à la préservation du patrimoine traditionnel ou
coutumier. Suivant une approche démonstrative et critique, elle s’ouvre sur l’invite à une prise
en compte des exigences de la conservation et de la préservation du patrimoine coutumier dans
les projets d’aménagement des villes nouvelles. Ce qui ne peut être sans poser quelques soucis
dans les moyens juridiques et sociopolitiques d’ajustement des priorités et des nécessités. C’est
dès lors un véritable enchevêtrement de préoccupations.
Néanmoins, suivant l’approche du positivisme sociologique, mettant en adéquation le
droit et la pratique, il convient de constater que la préservation d’outils et pratiques coutumiers
au Cameroun apparait comme un réel défi à la construction des villes nouvelles ; il y a comme
l’existence de deux nécessités qui s’opposent ; la construction des villes nouvelles d’une part,
et la préservation des traditions et coutumes d’autre part. Seulement, face à ce dilemme, c’est
la construction des villes nouvelles qui l’emporte généralement. Il y a comme une résilience
des projets de villes nouvelles face aux traditions dont la préservation reste recherchée. Il est
dès lors permis de constater une certaine prédisposition de l’emprise des projets
d’aménagement des villes nouvelles sur le patrimoine coutumier (I) ; là où il semble pourtant
nécessaire de le préserver (II).

I. LA PREDISPOSITION DE L’EMPRISE DES PROJETS DE VILLES


NOUVELLES SUR LE PATRIMOINE COUTUMIER

Le devoir de mémoire impose que l’on ait constamment à l’esprit que la ville a émergé
sur les espaces territoriaux appartenant à des communautés y pratiquant dans la diversité de
leur expression, leurs coutumes et traditions respectives. Si bien que les grandes agglomérations
recensées aujourd’hui dans presque toute l’Afrique sont et demeurent des villages dans

18
G. -A. KOUASSIGAN, L’homme et la terre. Droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
occidentale, Paris, Éditions Berger-Levrault, coll. « L’homme d'outre-mer », n° 8, 1966, p. 28.

135
lesquelles les uns et les autres peuvent réclamer leur tribalité. Les projets des villes nouvelles
qui sont soit les villes périphériques créées à côté des agglomérations existantes soit un
ajustement ou aménagement de ces dernières répondent à cette même réalité. Il semble pourtant
qu’ils ont une emprise naturelle sur le patrimoine coutumier, ce d’autant qu’ils sont
généralement montés sans véritable prise en compte des questions liées à ce dernier. Les
fondements des villes nouvelles (A) et les moyens souvent employés permettent de le démontrer
(B).

A. La conjugaison d’un double fondement indicatif

L’aménagement des villes neuves répond à un double objectif de développement et de


modernité qui en constituent les fondements ultimes. Il ne s’agit pas d’une simple présomption,
ce d’autant que quelques instruments juridiques doublés des documents de programmation de
développement, fondent la légitimité d’une telle nécessité de développement et de modernité,
même s’ils ne font pas explicitement allusion aux villes neuves.

1. Le développement, un fondement indicatif déterminant


Figurant au nombre des problèmes routiniers inscrits sur l’agenda politique des Etats19,
le développement est l’une des choses auxquelles tout le monde aspire. C’est l’une des choses
la mieux partagée dans le monde aujourd’hui. Erigé en un critère de classement des Etats dans
le monde, le développement est dans ces Etats, celui des villes puisqu’il peut être évalué aussi
à partir de la configuration structurelle et fonctionnelle des villes qui s’ancrent dans la vision
du NEPAD20 et dans les objectifs du Millénaire21. Ainsi que l’écrit un auteur, « l’investissement
dans la structure et le tissu urbain, y compris les réseaux d’infrastructures est présenté comme
une condition qui permet de débloquer le potentiel des villes productrices de biens
manufacturés et de services et de contribuer à terme à la croissance économique à l’échelle du
pays »22.
Le développement est aspiré par la plupart des populations, du plan national au plan
international. Au plan national, les politiques de la décentralisation dans la quasi-totalité des
Etats ayant opté pour cette technique d’organisation de l’Etat unitaire, sont généralement
alimentées par les désirs de développement23. L’observation des textes qui organisent la
décentralisation dans ces Etats démontre à suffisance que les matières sur lesquelles les
Collectivités Territoriales Décentralisées bénéficient des compétences à elles transférées par
l’Etat, sont généralement celles que le Constituant préjuge de la nécessité pour leur
développement. Ainsi, suivant le Constituant camerounais, « l’Etat transfère aux Régions, dans

19
J. CHEVALLIER, « La "modernisation de l’action publique" (MAP) en question », Revue française
d’administration publique, n° 158, 2016, p. 585.
20
L. PORGES, « Le NEPAD : présentation et résumé du texte de référence », Afrique contemporaine, n° 204, 4e
trimestre, 2002, p. 52.
21
D. GNAMOU-PETAUTON, « Le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique dans l’architecture
institutionnelle de l’union africaine », Revue québécoise de droit international, vol. 23, n° 1, 2010, p. 3
22
S. SCHLIMMER, « Gouverner les villes africaines. Panorama des enjeux et perspectives », Études de l’Ifri, Ifri,
2022, p. 26.
23
M. E. SOHOUENOU, « La décentralisation au Bénin », in J. -L. PISSALOUX (dir.), La décentralisation dans
les pays francophones d’Afrique de l’Ouest, Paris, L’Harmattan, 2019, p. 45

136
les conditions fixées par la loi, des compétences dans les matières nécessaires à leur
développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif »24 ; tout comme il
doit veiller « au développement harmonieux de toutes les collectivités territoriales
décentralisées sur la base de la solidarité nationale, des potentialités régionales et de
l’équilibre inter-régional »25. En l’état actuel de la configuration territoriale décentralisée au
Cameroun, les Régions, les Communes et les Communautés Urbaines constituent ces
Collectivités Territoriales Décentralisées qui aspirent au développement sur la veille de l’Etat26.
Il n’est pas douteux que chaque Collectivité aspirant à un développement voudrait étendre son
centre urbain aux zones rurales pour constituer une ville aux standards internationaux, même si
le défaut des moyens peut en constituer le frein. En l’absence d’une telle aspiration, il est à
douter des objectifs de développement assignés à la décentralisation27.
L’aspiration au développement des villes nouvelles n’est pas une préoccupation qui se
dessine seulement au niveau national. Elle est alimentée de l’extérieur par les politiques de
développement qui s’ancrent dans l’agenda de plusieurs organismes internationaux. A titre
illustratif, la construction des villes nouvelles est le onzième Objectif de Développement
Durable (ODD) tel que fixé sur le plan international. La critique faite à la configuration des
villes africaines, à leur surpeuplement, invite les pouvoirs publics à orienter les regards vers
l’extérieur. Si bien qu’il est désormais convenu de prôner l’ouverture des villes africaines au
Monde dans le sens de leur développement28. Le développement est devenu ainsi le nouveau
paradigme de la construction des Etats au travers du réaménagement de villes nouvelles ; et « la
tendance globale d’évolution des villes accrédite la thèse de l’urbanisation généralisée du
monde »29. C’est ainsi que dans plusieurs contextes, « l’extension des villes et l’émergence de
nouvelles agglomérations urbaines via le développement progressif des bourgs ruraux ont
considérablement modifié l’armature urbaine dans plusieurs régions du sous-continent »30. Il
en est ainsi parce que la ville est considérée comme un pôle économique au regard des activités
qui s’y déroulent. Pour un auteur, la ville nouvelle s’accompagne « d’une restructuration
spatiale graduelle, par laquelle des activités éparses (typiquement, l’agriculture) ont cédé la
place à des activités plus concentrées (typiquement, le commerce et l'industrie), avec une
migration du travail et de la population des zones rurales vers les villes. Ce processus
d’urbanisation croissante et la transformation économique qui l’accompagne ont généralement
engendré une augmentation des revenus et des conditions de vie qui, à leur tour et conjugués
aux progrès de la médecine, ont amorcé une transition démographique - à savoir la baisse

24
Article 56 alinéa 1er de la Loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972,
modifiée et complétée par la loi n°2008/001 du 14 avril 2008.
25
Article 55 alinéa 4 de la Loi constitutionnelle précitée.
26
J. OWONA, La décentralisation camerounaise, Paris, L’Harmattan, coll. « Droits africains et malgaches », p.
8.
27
B. KOM TCHUENTE, Développement local et gestion urbaine au Cameroun, les enjeux de la gestion
municipale dans un système décentralisé, Yaoundé, Edition Clé, 1996, 219 p.
28
S. V. LALL, J. V. HENDERSON et A. J. VENABLES, Ouvrir les Villes Africaines au Monde, International
Bank for Reconstruction and Development, Washington, 2017, p. 7.
29
D. PINSON, « Ville, architecture et modernité », Mujtamâa wa Umran, Mohamed El Bahi, 5, rue Ibn Rochd,
Tunis 1000 RP, 1998, p. 33
30
B. LOSCH, « L’Afrique des villes a encore besoin de l’Afrique des champs pour répondre aux défis du
continent », Le Déméter, 2014, p. 109.

137
progressive des taux de mortalité, puis de natalité dont l’évolution décalée dans le temps
explique la dynamique de croissance de la population »31.
Cette aspiration au développement rend parfois aveugle sur les considérations liées à la
préservation des coutumes et us. Il n’est plus rare de voir déloger les communautés sur les terres
ancestrales où les pratiques coutumières et traditionnelles sont perpétuées, pour la construction
d’un stade, d’un centre commercial. Dans ce contexte, il n’est pas douteux que le désir de
développement des villes réduit à sa plus simple expression le patrimoine traditionnel. Il étouffe
la conservation des valeurs traditionnelles. Sans son adéquation à ce patrimoine traditionnel,
c’est l’identité qui se meurt. L’aspiration à la modernité se conjugue à l’exigence de
développement pour constituer aussi un fondement de l’emprise des villes nouvelles sur la
préservation du patrimoine traditionnel.

2. La modernité, un fondement indicatif conséquent


La conception des villes nouvelles s’inscrit dans une démarche de changement social dans
sa diversité d’expression de changement des structures, des configurations, des mentalités, des
modes de vie, sous l’aspect avenant de la modernité. Si le développement du concept de
modernité a eu le renfort des scientifiques, les politiques l’ont très vite érigé en un slogan dans
leur champ ; il s’est aussi imprimé dans la conscience populaire comme la nouvelle idéologie
des temps contemporains. Il s’est développé une sorte d’évangile de la modernité qui atteint la
ville d’aujourd’hui. Pour certains auteurs, la ville nouvelle apparaît comme « un lieu de
convergence et d’articulation constitutive de la modernité »32.
Les villes africaines d’aujourd’hui veulent ainsi gagner « le pari de la modernité »33 ;
puisque, construire les villes nouvelles c’est pouvoir aussi les adapter aux exigences de la
modernité ; il s’agit de sortir des conceptions traditionnelles, d’abandonner la configuration
actuelle ou passée des villes pour l’adapter à la nouvelle perception des sociétés contemporaines
dominées par les conceptions occidentales de la modernité. Il s’agit de voir « la ville
autrement »34 ; de sortir des sentiers traditionnels des villes africaines créées suivant les
documents de planification inspirés de la période coloniale et désormais désuets ou démodés,
pour retrouver les nouvelles tendances du développement et de la modernité. En effet, la « ville
moderne se trouv[e] glorifiée pour son aspect ordonné, rationnel, planifié, moderne – des
urbanistes comme Haussmann au XIXe siècle et Le Corbusier au XXe siècle devenant alors des
figures tutélaires de ce courant »35. Si bien que la « réceptivité des esprits à la modernité » des
villes devient difficilement réfutable36.

31
Ibid.
32
L. BONNORD, « Ville et modernité, Georg Simmel : Sous la direction de Jean REMY, L’Harmattan, Paris,
1995, Collection Villes et entreprises », Revue des sciences sociales de la France de l'Est, N°23, 1996, p. 251.
33
O. DE CHAMPLAIN, Modernité avancée et évolution des modèles nationaux de développement: une
comparaison des modèles québécois et irlandais, Mémoire Maîtrise en science politique, Université du Québec à
Montréal, 2006, p. 85.
34
P. DELORME, La ville autrement, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2005, p.1.
35
B. COCHARD, « L’espace urbain : un dispositif de la modernité ? », Sens public, 2017, p. 4.
36
G. COURADE et M. BRUNEAU, « Développement rural et processus d’urbanisation dans le Tiers-monde »,
Cah. ORSTOM, sér. Sci. Hum., vol. XIX, n°1, 1983, p. 64.

138
A lecture de plusieurs instruments juridiques dont on peut référer la nouvelle idéologie
des villes modernes, il est possible de constater que développement et modernité sont
étroitement associés dans les esprits des concepteurs, et pourraient constituer des centres
intermédiaires de la configuration des villes neuves37. Le droit à un logement convenable tel
que consacré dans les instruments juridiques internationaux, soutenu et diffusé par ONU-
Habitat n’est pas sans rapport avec les exigences de développement et de modernité. Le droit à
un environnement sain porté par plusieurs instruments juridiques sur l’environnement ne se
conçoit pas sans rapport au développement et à la modernité. La lecture croisée de plusieurs
instruments laisse apparaître un droit au développement, et même un droit à la modernité qui
semblent trouver dans la ville nouvelle un véritable cadre d’expression et d’émulation.
La ville nouvelle est ainsi basée sur le critère du développement et sur celui de la
modernité ; si bien qu’« au-delà de la dimension démographique, concentration qui est en soi
un problème, c’est la forme de la ville, sa morphologie spatiale, mais aussi sa morphologie
sociale, ses fonctions et sa gouvernance, mais aussi sa praticabilité et sa gouvernabilité, qui
nous interrogent désormais » et « vouloir méconnaître ou ignorer les logiques nouvelles qui
président au développement de la ville actuelle » ; et c’est opposer « une résistance désespérée
aux tendances réelles de la restructuration urbaine, [si l’on n’est pas capable de ] se donner
les moyens d’une compréhension qui permettrait, à partir de catégories de pensée nouvelles,
adaptées à ces logiques, d’orienter le mouvement d’urbanisation et la gestion des territoires
urbains »38. La ville nouvelle a une forme particulière qui allie changement social et esthétique.
Comme écrit à juste titre un auteur, il s’agit de « la ville œuvre d’art où la ville comme forme
esthétique [qui] est une modalité de structuration du social, dans la mesure où elle est une
cristallisation collective qui recompose au fil du temps les acquis antérieurs »39.
Sous ces considérations, si l’on conçoit la modernité comme « un mode de civilisation
caractéristique, qui s’oppose au mode de la tradition, c’est-à-dire à toutes les autres cultures
antérieures ou traditionnelles et dont face à la diversité géographique et symbolique de celles-
ci, elle s’impose comme une, homogène, irradiant mondialement à partir de l’Occident »40, l’on
peut convenir que dans cette trajectoire qu’emprunte les villes nouvelles, le patrimoine
coutumier des peuples africains subit leur emprise ; parce qu’éprouvé par leur cristallisation.
Le patrimoine coutumier est ainsi sacrifié sous l’autel des villes nouvelles et certains facteurs
explicatifs renforcent une telle considération.

B. La conjonction d’un double facteur explicatif

Au-delà des fondements de l’emprise des villes nouvelles sur la préservation du


patrimoine coutumier, deux facteurs peuvent constituer aussi la trame explicative d’une telle

37
S. VERMEERSCH, A. FLAMAND, I. CHESNEAU, V. BIAU, Le projet socio-urbain des villes nouvelles :
expérimentation et obsolescence, Rapport de recherche, Ministère de la culture et de la communication / Bureau
de la recherche architecturale et urbaine (BRAU) ; Ecole nationale supérieure d’architecture Paris Val-de-Seine ;
Laboratoire des organisations urbaines : Espaces, Sociétés, Temporalités (LOUEST), 2005, p. 8.
38
D. PINSON, « Ville, architecture et modernité », op.cit.
39
L. BONNORD, « Ville et modernité, Georg Simmel : Sous la direction de Jean REMY, L’Harmattan, Paris,
1995, Collection Villes et entreprises » op.cit.
40
A. AKOUN, « Notion de modernité » Encyclopoedia Universalis, 2022.

139
emprise. L’aménagement des villes nouvelles répond à un souci de satisfaction de l’intérêt
général qui constitue le critère décisif de légitimation de cette emprise (1). Il s’agit d’un facteur
important. Le second facteur est consubstantiel au premier ; puisque contextuellement, il s’agit
d’un moyen d’accomplissement de cet intérêt général auquel répondent les villes nouvelles. Il
s’agit de l’expropriation pour cause d’utilité publique qui constitue le moyen significatif de
matérialisation de cette même emprise (2).

1. L’intérêt général, un critère décisif de légitimation


Les villes nouvelles ne peuvent être lues sans rapport au critère de l’intérêt général qui en
constitue un facteur de légitimation, pour leur projection, leur matérialisation, et même de leur
emprise sur la préservation du patrimoine coutumier. Elles constituent la matérialisation du
passage de l’intérêt individuel à l’intérêt général si l’on en juge par l’expropriation qui aboutit
à la dépossession des biens immeubles privés et de la libération ipso facto des populations sur
les espaces concernés. « Inhérent à l’imaginaire de la modernité »41, le critère de l’intérêt
général aurait d’ailleurs participé des idées historiques fondatrices des projets de villes
nouvelles au XIXe siècle. En effet, si les villes nouvelles reposent sur des espaces territoriaux
comme supports matériels, la dépossession par l’Etat des populations de leurs biens territoriaux
à des fins de construction desdites villes ne fait pas l’unanimité ; au regard même de la discorde
sur la conception de l’intérêt général qui est pourtant censé « renforcer le consensus autour de
l’appareil d’Etat et la croyance en la légitimité de ce pouvoir »42.
Soutenue par les pourfendeurs de l’occupation de l’espace territorial par l’Etat, la
conception utilitariste de l’intérêt général était brandie en opposition à toutes les initiatives
relatives à l’acquisition étatique des espaces pour les besoins d’aménagement urbain. A
dominance anglo-saxon, cette conception qui fait de l’intérêt général « le produit
de l’ajustement des intérêts particuliers », réduisant « le rôle de l’Etat [à la création] d’un
cadre indispensable permettant à tous les intérêts de s’exprimer »43, n’a cependant pu avoir
gain de cause sur la conception volontariste suivant laquelle l’intérêt général doit être compris
« comme un intérêt public, résultant du dépassement des intérêts particuliers tels qu’ils
s’expriment sur le marché : expression de la volonté générale des citoyens, animés par le souci
du bien public, il serait d’essence différente et l’Etat en serait le traducteur et le garant »44.
Traduction d’une logique plus collective45, la conception volontariste se trouve mieux exprimée
dans les projets de villes nouvelles en tant que véritable projet de société dont l’Etat défend la
rationalité et sa raison d’être au détriment de toutes affirmations identitaires. Si l’opposition
entre les deux conceptions tend à disparaître sous la poussée de la réorientation de l’intérêt
général, il est toutefois acquis « qu’en matière d’occupation de l’espace, l’intérêt général n’est

41
J. CHEVALLIER, « L’intérêt général », in CASILLO I., BARBIER R., BLONDEAUX L.,
CHATEAURAYHAUD F., FOURNIAU J.-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire
critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, 2013.
http://www.dicopart.fr/fr/dico/interet-general.
42
J. CHEVALLIER, « L’intérêt générale dans l’administration française », Revue internationale de science
administrative, vol. XLI, n° 4, 1975, p. 325.
43
J. CHEVALLIER, « L’intérêt général », op.cit.
44
Ibid.
45
P. GONO, F. MELLERAY et Ph. YOLKA (dir.), Traité de droit administratif, T. 2, Paris, Dalloz, 2011, p. 55.

140
pas la somme des intérêts particuliers et qu’il revient à l’Etat de contrôler, d’organiser, voire
d’impulser la constitution de contenant dont le contenu n’est autre que la vie économique et
sociale de notre société »46. Il s’agit de la figure de cet « Etat régulateur » de CHEVALLIER47,
ou de cet « Etat propulsif » de MORAND48, ayant la charge du développement
socioéconomique49. Doué de rationalité, l’Etat est juge de l’opportunité de faire recours au bien
privé aux fins de satisfaction de l’intérêt général.
L’aménagement des villes nouvelles répond à cette exigence de satisfaction d’intérêt
général bien au-dessus de la préservation de certains acquis traditionnels qui relèveraient fort
généralement des intérêts particuliers, mieux des intérêts de catégories de particuliers. La ville
moderne a ceci de particulier qu’elle semble pouvoir absorber les identités ; elle dépasse les
limites de forme singulière d’identité et d’appartenance. Il s’agit d’un melting-pot qui dépasse
parfois les considérations coutumières et traditionnelles sous la poussée du développement et
de la modernité. Ces deux substrats des villes nouvelles sont conçus en termes de biens
communs, de biens d’utilité publique ; et sont dès lors traducteurs de l’intérêt général qui
relèverait non de l’ajustement des intérêts particuliers, mais sont par contre arc-boutés sur une
volonté générale inscrit dans les textes juridiques qui en portent la trame. De telle sorte que les
objectifs de développement et de modernisation d’une ville nouvelle ne peuvent être vus en
dehors de toute perspective de satisfaction de l’intérêt général ; et brandir un quelconque
patrimoine coutumier n’est pas toujours suffisant pour décourager les projets gouvernementaux
afférents à ces objectifs.
Les villes nouvelles peuvent aboutir à une sorte de « métropolisation de la société »50
bien plus importante que l’affirmation des identités traditionnelles. Œuvre commune dont le
résultat induit le dépassement des particularités traditionnelles, « la métropole au-delà de la
forme, est un état de société. Les villes peuvent s’étendre, grandir, la population y habitant peut
se développer, la forme de sociabilité qui a pris naissance en leur sein peut devenir autonome
et s’étendre en agrégeant autour d’elle-même tout autant les villes que les campagnes »51. C’est
un processus de transformation sociale qui est enclenchée ; il pourrait se réclamer être la
traduction d’une activité de service public visant dans les conditions particulières qui
l’entourent, à la satisfaction des besoins d’intérêt général.
Toutefois, il semble que la détermination de l’équilibre entre l’intérêt général et l’intérêt
individuel n’est pas dépourvue de difficulté52. Car l’on peut se demander si réellement la
tradition ou la coutume ne peut pas, toute proportion gardée, relever tout aussi d’un besoin
d’intérêt général. Toutefois, cette possibilité reste moins plausible dans les Etats pluriculturels.
Si par contre, elle peut être admise, il naitra dès lors un conflit de priorités dans lequel les villes

46
M. CHAOUI, « Les villes nouvelles : histoire d’une forme urbanistique », Architecture du Maroc, n°21, Maroc,
mars-avril, 2005, p. 25.
47
J. CHEVALLIER, « L’Etat régulateur », op.cit.
48
Cité par J. CHEVALLIER, op.cit.
49
J. CHEVALLIER, « L’Etat régulateur », op.cit.
50
L. BONNORD, « Ville et modernité, Georg Simmel : Sous la direction de Jean REMY, L’Harmattan, Paris,
1995, Collection Villes et entreprises » op.cit., p. 251.
51
Ibid., pp. 251-252.
52
J.-M. PANAYOTOPOULOS, L’émergence de l’intérêt général à la protection du patrimoine culturel en droit
international, Thèse de Doctorat en Sciences juridiques, European University Institute, 2015, p. 20.

141
nouvelles l’emportent généralement. Ainsi, la force d’attractivité des villes nouvelles en
Afrique calquées sur les images urbaines occidentales l’emporte sur les questions d’intérêt
particulier que sont les coutumes et les traditions. Hier encore, la position géographique de
certains espaces territoriaux dans la ville de Dschang au Cameroun emportait la conviction des
décideurs sur leur capacité à accueillir un ouvrage public comme un stade moderne de football
au grand dam des outils nécessaires à la pratique des traditions comme les lieux sacrés, les
tombes, et même les terres laissées en héritage suivant les coutumes. Le stade moderne de
football constitue ainsi un bien d’intérêt général pour justifier l’expropriation pour cause
d’utilité publique sur cet espace territorial à Dschang sur lequel une chefferie de troisième degré
réclamait la pérennité des traditions ancestrales. Quand l’on sait la signification d’un tel espace
territorial pour une chefferie traditionnelle en pays Bantu53, l’on pourrait être conforté à l’idée
de l’emprise des nécessités des villes nouvelles sur la préservation du patrimoine coutumier,
dont l’un des moyens significatifs reste l’expropriation pour cause d’utilité publique.

2. L’expropriation pour cause d’utilité publique, un moyen significatif de


matérialisation
Les villes nouvelles impliquent l’ajustement des espaces territoriaux. Au regard de
l’ampleur du projet, il nécessite des espaces territoriaux importants que l’Etat n’est pas toujours
à même de disposer dans son domaine. Il faut trouver ces espaces parfois dans les patrimoines
fonciers des personnes privées54; ce qui oblige le recours aux différentes techniques de
puissance publique visant à imposer aux citoyens des prestations, des sacrifices, du moins à
faire des concessions nécessaires à la réalisation des besoins d’intérêt général55. L’expropriation
pour cause d’utilité publique est représentative des techniques les plus usuelles en cette matière.
Mécanisme essentiel mais non exclusif, d’acquisition foncière par la puissance publique,
l’expropriation pour cause d’utilité publique joue dans le cadre des projets de villes nouvelles,
« un rôle de première importance dans la réalisation des opérations d’urbanisme,
d’aménagement du territoire et d’équipement général du pays »56. Il ne s’agit pas d’une
technique arbitraire ou d’un mécanisme dépourvu de toute assise juridique. Dans l’échelle de
normativité, il trouve son assise juridique dans les textes dont la valeur supérieure par rapport
aux lois est établie ; notamment dans les textes internationaux comme la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme, mais aussi dans la Constitution, acte premier de
légitimation juridique formelle de toute initiative57.
Contrairement à d’autres modes d’acquisition forcée de la propriété privée,
l’expropriation pour cause d’utilité publique n’est limitée que par la nature du bien, à savoir le
bien immobilier. Sur son étendue, les instruments juridiques l’encadrant ne posent
généralement aucune limite précise. Mises à part les exigences liées aux modalités
d’expropriation, comme la justification d’une utilisation du bien exproprié pour un projet

53
H. M. TUNGA-BAU, Pouvoir traditionnel et pouvoir d’Etat en République Démocratique du Congo. Esquisse
d’une théorie d’hybridation des pouvoirs politiques, Kinshasa, MEDIASPAUL, 2010, p. 50.
54
I. REJRAJI, La reconnaissance des droits fonciers coutumiers : étude comparée en Afrique de l’Ouest, Mémoire
de Master 2 en Droit, Intercultural school, 2020, p. 16
55
R. CHAPUS, Droit administratif général, T 2, 15e éd., Paris, Montchrestien, 2011, p. 683.
56
Ibid., p. 687.
57
Préambule de la Constitution camerounaise.

142
d’utilité publique, le versement d’une indemnité notamment, il semble que l’expropriation peut
porter sur l’espace territorial de toute une communauté, d’un village, d’un clan, ce qui entraine
ipso facto la dépossession foncière et des droits coutumiers qui y sont attachés58. Il n’est pas
douteux que pour un projet de ville nouvelle, qu’une communauté, un village, puisse faire
l’objet d’une expropriation pour cause d’utilité publique, avec toute ce que cela peut entrainer
sur le patrimoine traditionnel. Dans le même ordre d’idées, certaines agglomérations existantes
aujourd’hui sont par essence les villages ou communautés que le phénomène urbain a pu
absorber. De telle sorte que, sur ce qui est connu comme la ville, certains peuvent réclamer une
appartenance ethnique ou communautaire sous l’aspect de « villages officieux »59 qui semble
avoir été édulcorée par le développement urbain. L’extension de cet espace urbain par les
pouvoirs publics, à grand renfort du mécanisme d’expropriation pour cause d’utilité publique,
est parfois faite en méconnaissance des considérations liées aux coutumes et aux traditions qui
s’effacent généralement devant le droit écrit sur lequel est assise l’expropriation60. Tout se passe
souvent comme si la ville seule suffit ; et que les coutumes et traditions perpétuées au travers
des outils et pratiques sur des espaces territoriaux, devraient pouvoir laisser place à ce nouveau
mode de transformation sociale.
Cette appropriation de l’espace territorial pour les besoins d’aménagement des villes
nouvelles par le moyen d’expropriation d’utilité publique est la traduction de la prédominance
du pouvoir d’Etat sur le pouvoir traditionnel, mieux sur le pouvoir coutumier qui a pourtant
dans plusieurs Etats africains, la « mission d’encadrer les hommes et de gérer la terre
communautaire, en vertu de la coutume, de protéger la communauté traditionnelle contre les
perturbations internes et les agressions externes éventuelles »61.
Qu’une indemnité soit versée pour compenser le bien exproprié d’un propriétaire et quel
que soit le projet ou l’envergure d’une ville nouvelle, l’expropriation aboutit à une dépossession
involontaire de l’espace territorial indiqué et participe dans certains cas à une édulcoration de
la vigueur de la culture traditionnelle ou coutumière du milieu considéré. En effet, dans
plusieurs contextes, le rapport de l’homme à la terre est bien plus que symbolique62 ; elle va au-
delà des considérations patrimoniales, marchandes ou de fortunes. Au-delà, la terre ou le bien
immeuble peut apparaître comme une valeur coutumière et traditionnelle pouvant même parfois
résister à l’attraction de l’argent. Dans certaines sociétés comme chez les Bété en Côte d’Ivoire,
la terre appartient aux « génies et dieux de la brousse », et constitue par ailleurs « un patrimoine
communautaire sur lequel veille le chef de village, autorité morale, gardien des us et coutumes
de la communauté »63. Le même statut, toute proportion gardée, peut être prêté à la terre dans

58
L. ROUNART et Ch. GUENARD, « Introduction : dépossessions foncières en milieu rural. Acteurs et processus
entre pression et oppression », Revue internationale des études du développement, vol. 2, n° 238, 2019, p. 21.
59
L A. WILY, A qui appartient cette terre ? Le statut de la propriété foncière coutumière au Cameroun, Yaoundé,
Centre pour l’Environnement et le Développement / FERN / The Rainforest Foundation UK, 2011, p. 46.
60
S. NGUIFFO, « De la légalité à la légitimité foncière : pistes pour une meilleure protection de
l’environnement », in O. BARRIERE (dir.), Foncier et environnement en Afrique. Des acteurs aux droits, Paris,
Editions KARTHALA, 2008, p. 158.
61
H. M. TUNGA-BAU, Pouvoir traditionnel et pouvoir d’Etat en République Démocratique du Congo. Esquisse
d’une théorie d’hybridation des pouvoirs politiques, op.cit., p. 209.
62
E. LE ROY, « L’homme, la terre le droit. Quatre lectures de la juridicité du rapport "foncier" », in O. BARRIERE
(dir.), Foncier et environnement en Afrique. Des acteurs aux droits, Paris, Editions KARTHALA, 2008, p. 130.
63
S. THERIAULT et C. D. L’HEUREUX, « Le territoire », in G. OTIS. (dir.), Contribution à l’étude des systèmes
juridiques autochtones et coutumiers, Canada, Presses de l’Université Laval, 2018, p. 92.

143
certaines ethnies au Cameroun comme chez les Bamilékés ou dans toute la communauté
Grassfield. Les projets d’aménagement des villes nouvelles semblent parfois faire fi de telles
valeurs coutumières, qu’ils dénaturent pour la finalité de développement et de modernité.
Souvent rendus possible par le mécanisme de l’expropriation, ils évincent les traditions et les
coutumes qui paraissent être les gages déterminants de stabilité et d’équilibre de l’être en
rapport avec son passé64. Parfois, l’espace exproprié « est celui auquel on avait originellement
accès dans un contexte d’habitus et de coutumes », -et sur lequel les pratiques coutumières et
traditionnelles étaient perpétuées-, « et dont on a été privé suite à une histoire complexe et dans
laquelle la juridicisation et la juridiciarisation des "droits ancestraux" tient une place
centrale »65.
Sous ce rapport, le patrimoine coutumier déteint sous la poussée des villes nouvelles qui
devraient pourtant composer avec la nécessité de sa préservation.

II. LA PRESERVATION RECHERCHEE DU PATRIMOINE TRADITIONNEL


DANS LES PROJETS DES VILLES NOUVELLES

Si les exigences pratiques d’aménagement des villes nouvelles peuvent justifier les
atteintes portées au patrimoine coutumier, la construction des villes nouvelles devraient
cependant pouvoir composer avec sa préservation. On ne chercherait pas en vain les fondements
d’une telle préservation ; ils se révèlent notamment dans son utilité. Si cette préservation est
une nécessité prescrite par le droit (A), il apparaît autrement comme une obligation affirmée.
Plusieurs instruments juridiques recrutés aussi bien à l’échelle internationale que nationale en
portent la trame (B).

A. La préservation du patrimoine coutumier, une nécessité imparable affirmée

De l’analyse des instruments juridiques, le patrimoine coutumier serait porteur d’une


signification conventionnelle. Il ne s’agit assurément pas d’un gadget qui laisserait rechercher
son utilité. Cette utilité se révèle dans les représentations sociojuridiques et idéologiques qu’on
lui reconnait. Sa préservation devient dans ce cas une nécessité imparable, non seulement parce
que le patrimoine coutumier est dans l’une de ses représentations la traduction d’une identité
qu’il faut préserver, mais aussi parce qu’il est dans une autre, la source des droits de l’homme
et des peuples en Afrique.

1. Le patrimoine coutumier, traduction d’une identité à conserver


Si l’Etat met le projet des villes nouvelles au centre de ses priorités de développement
avec pour ambition de refonder plusieurs aspects de sa configuration architecturale, il devrait
pouvoir le faire en tenant compte de la préservation du patrimoine coutumier des populations.
Cette préservation ne saurait avoir une simplement portée symbolique ; elle tient sans doute de

64
O. BARRIERE et C. BARRIERE, Un droit à inventer. Foncier et environnement dans le delta intérieur du
Niger (Mali), Paris, IRD Editions, 2002, p. 175.
65
E. LE ROY, « L’homme, la terre le droit. Quatre lectures de la juridicité du rapport "foncier" », in O. BARRIERE
(dir.), Foncier et environnement en Afrique. Des acteurs aux droits, op.cit., p. 141.

144
la valeur qu’a ou que peut avoir ce patrimoine pour une personne, pour un peuple. En effet, le
patrimoine coutumier apparait comme la marque d’une identité. Inhérente à une personne, à un
peuple ; l’identité est consubstantielle à son existence, à son appartenance à une communauté
donnée. Pour un auteur, l’identité « est un ensemble des composantes grâce auxquelles il est
établi qu’une personne est bien celle qui se dit ou que l’on présume telle. Ce qui fait qu’une
personne est elle-même et non une autre »66. Cette conception de l’identité dégagée à partir de
l’étymologie latine est indicative du sens et de l’importance que revêt l’identité pour une
personne, un peuple, une communauté.
L’identité soutenue dans le cas d’espèce est cependant de loin celle que décline l’auteur
en référence à la démocratie dont on sait le rapport avec la ville nouvelle dans son idéologie et
dans sa conception. Cette identité démocratique à connotation essentiellement juridique et/ou
politique est parfois servie dans les Etats pour supplanter les considérations liées à l’identité
sociologique67, dans l’optique de construire une identité collectivité qui ne peut pourtant pas
réussir sans la prise en compte des identités particulières68. Sans avoir la prétention de faire une
analyse à dominance sociologique, l’identité dont il est question dans le cas d’espèce, est celle
qui relève de l’essence même de l’homme, de son existence ; cette identité qui est la
caractéristique de son appartenance à une communauté traditionnelle particulière dont les
repères d’identification sont notamment ses coutumes, ses us, ses traditions69. En tant qu’elle
« représente l’articulation entre plusieurs instances sociales : personnelles et collectives »70,
l’identité participe de l’affirmation de soi par rapport au tout, au collectif ; ce qui n’est pas en
soi brumeux. La question des minorités ethniques ne se lie-t-elle pas aussi à partir de ce cadre
référentiel ?
Ainsi, effacer les acquis identitaires liés aux coutumes et aux us dans un projet de ville
nouvelle, c’est faire perdre à l’homme ce qui est consubstantiel à son existence, à savoir son
identité. Le développement territorial et la modernisation de l’espace qui composent les
objectifs des villes nouvelles, ne devraient pas gommer par leur ampleur, les liens qu’entretient
l’individu avec son histoire, son passée traduits dans la perpétuation de ses traditions et
coutumes. Ce d’autant que « ce qui [le] lie à sa communauté traditionnelle n’est pas sa
présence sur un territoire donné mais plutôt un ensemble de valeurs, de traditions, une histoire
qu’il partage avec d’autres personnes ; toute chose qui contribue à légitimer à ses yeux la
reconnaissance d’un registre particulier de relation et de vie, à coté ou en deçà de
l’appartenance à un État »71. S’il doit désormais vivre dans l’Etat avec ses contraintes, ces
acquis qui rentrent dans son ADN culturel, constituent une richesse à préserver, notamment par

66
A. DOUNIAN, « L’identité du chef traditionnel dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique. Étude à partir
de quelques États d’Afrique », Jus Politicum, Revue de droit politique, n°28, 2022, p. 236.
67
L. SINDJOUN, « Identité nationale et “ révision constitutionnelle ” du 18 janvier 1996: comment
constitutionnalise-t-on le “ nous ” au Cameroun dans l’Etat post- unitaire ? », Revue Camerounaise de Science
Politique, vol. 1, 1996, pp. 10-24
68
Cl. PAGEON, L’identité territoriale : la dualité rurale-urbaine dans la municipalité régionale de comté les
basques, Actes et instruments de la recherche en développement régional, n° 8, Université du Québec, 1991, p. 26
69
J. -L. AMSELLE, Logiques métisses: anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 1990, p.
258.
70
J. ETIENNE, F. BLOESS, J.-P. NORECK et J.-P. ROUX, Dictionnaire de sociologie, Paris, Hatier, p. 253.
71
DOUNIAN, « L’identité du chef traditionnel dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique. Étude à partir de
quelques États d’Afrique », op.cit., p. 234.

145
l’aménagement des espaces nécessaires à leur pratique, l’ajustement des cadres nécessaires à
leur affirmation. Certes, la modernité et le développement sont convoités, et les villes nouvelles
en sont la traduction et les cadres de mesure ; cependant qu’elles ne sauraient absorber dans
l’absolu les acquis coutumiers et traditionnels. Même au cœur de Monaco, il y a une chefferie
ou ce qui en tient lieu, qui perpétue les traditions et coutumes d’une communauté ; les
dynamiques démocratiques, institutionnelles, urbaines n’ont pas emporté le royaume en
Angleterre, ou l’église anglicane dont les pratiques ne sont pas moins révélatrices de la
perpétuation d’une certaine tradition de l’identité des anglais de Bretagne.
Sous ce rapport, la préservation du patrimoine traditionnel dans les projets des villes
nouvelles constitue un impératif. Sans pouvoir employer le mot pour le traduire, la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples, reconnait la nécessité de cette préservation, tant
elle soutient implicitement les vertus des traditions historiques et des valeurs de civilisation
africaine, lesquelles devraient en tout temps inspirer et caractériser les réflexions sur la
conception des droits de l’homme et des peuples72. On comprend davantage la nécessité de
préserver ce patrimoine coutumier, qui constitue du reste une source des droits de l’homme et
des peuples en Afrique.

2. Le patrimoine coutumier, source des droits de l’homme et des peuples


L’auscultation de quelques instruments juridiques sur les droits de l’homme en Afrique
laisse apparaître l’importance du patrimoine coutumier dans la définition des droits de l’homme
et des peuples. Si bien que le patrimoine coutumier constituerait une source importante des
droits de l’homme et des peuples, un « laboratoire fort révélateur »73 de l’importance qu’il faut
accorder dans toutes initiatives qui toucheraient de front la question des droits de l’homme, et
plus particulièrement, celle en rapport avec les droits des peuples. Son statut de source se lit
sur un double angle ; il constitue le critère de définition des droits de l’homme et des peuples
tel voulu par la Charte africaine, en même tant que le siège de plusieurs droits inhérents aux
valeurs traditionnelles. Dans un cas comme dans l’autre, ce statut impose une préservation du
patrimoine coutumier dans le cadre de l’aménagement des villes nouvelles.
Sur le premier aspect, la Charte africaine ne fait pas d’économie. Autant elle reconnait
les vertus des valeurs traditionnelles autant elle en fait un critère de définition des droits de
l’homme et des peuples. Ce sont ces valeurs dont peut se réclamer le patrimoine coutumier, qui
doivent « inspirer et caractériser les réflexions sur la conception des droits de l’homme et des
peuples »74. Il s’agit pour le législateur africain de prescrire une autre façon de penser les droits
et les libertés en Afrique ; d’exiger la prise en compte des particularités propres aux valeurs
africaines dans la définition des droits de l’homme et des peuples que l’universalisme ne devrait
emporter dans son expression75. Indice de la conception communautaire des droits de l’homme,
la prescription des « droits des peuples » par la Charte africaine est déjà indicatrice de la

72
Quatrième paragraphe du Préambule de la Charte Africaine.
73
S. GRAMMOND, « L’identité autochtone saisie par le droit », in Mélanges Andrée Lajoie : le droit, une variable
dépendante, Québec, Thémis, 2008, p. 288.
74
Quatrième paragraphe du Préambule de la Charte Africaine.
75
A. BADARA FALL, « La charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et
régionalisme », Pouvoirs, vol. 2, n°129, 2009, p. 86.

146
nécessité de reconnaitre la particularité du système africain de définition des droits, les africains
se constituant généralement en peuple, et chaque peuple étant doté des coutumes et us qui
fondent son identité. Mis en rapport avec les villes nouvelles, ce particularisme devrait pouvoir
être pris en compte, et respecté dans les projets d’aménagements de ces dernières.
Sur le second aspect, le patrimoine coutumier est constitutif de droits et des libertés.
C’est le siège des droits dits « traditionnels », des « droits coutumiers » dont on ne peut nier
l’existence dans les textes fondamentaux. Tout comme la Charte africaine qui fait allusion aux
valeurs traditionnelles qui peuvent s’épuiser dans le patrimoine traditionnel, le Pacte des
Nations Unies relatifs aux Droits Sociaux, Economiques et Culturels n’est pas muet sur les
droits dits « traditionnels » ou « coutumiers » lorsqu’il proclame les droits culturels. En effet,
dans le Pacte, la culture de laquelle dérive « culturel », devrait être comprise au sens large, pour
ainsi recouvrir les « modes de vie et de pensée des êtres humains »76. Suivant un auteur elle est
d’ailleurs, « ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la morale, le
droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que
membre de la société »77. Cette conception anthropologique de la culture implique un mode de
vie, observé à la fois par les individus et les communautés, qui inclut des croyances, des
traditions et des coutumes communes. On peut judicieusement y tiré le droit pour toute personne
de pratiquer ses coutumes, ses traditions ; le droit de les préserver ; le droit à l’identité ; la liberté
de culte qui s’exprime notamment au travers des croyances. Ils symbolisent le « particularisme
culturel africain »78 dont le patrimoine coutumier peut en être le reflet.
Pris sur cet angle et au regard de la valeur que les droits de l’homme ont aujourd’hui79,
la méconnaissance de ces droits dans les projets d’aménagement des villes neuves pourrait
raisonnablement apparaître comme une faute. Il y a cependant comme un concours de droits en
la matière ; l’objectif de protection du patrimoine coutumier rentrant en concurrence avec la
promotion des villes nouvelles80. Car, autant les villes nouvelles symbolisent le droit au
développement tel que reconnu par la Charte africaine, autant le patrimoine coutumier
symbolise les droits dits traditionnels ou coutumiers qui trouvent valablement place au sein des
droits culturels tels que proclamés par le Pacte des Nations Unies précités et tels qu’ils se
dégagent de la Charte. Cette « articulation respective »81 n’implique cependant pas un choix,
mais un ajustement des nécessités dans une logique de complémentarité, de connexité voire
d’interdépendance ; le développement devant se conjuguer aux particularités coutumières et
traditionnelles pour aboutir à un plein épanouissement des populations. Tout en savourant
collectivement le développement et la modernité induits par les villes nouvelles, l’individu

76
S. GRAMMOND, « L’identité autochtone saisie par le droit », op.cit., p. 289.
77
CUCHE, cité par GRAMMOND, op.cit.
78
A. BADARA FALL, « La charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et
régionalisme », op.cit.
79
A. CASSESE, « La valeur actuelle des droits de l’homme », in Humanité et droit international, Mélanges René.-
Jean Dupuy, Paris, A. Pedone, 1991, pp. 65-75.
80
Ch. MAUREL, « Les prémices de la convention sur le patrimoine mondial de l’Unesco de 1972 », in L’invention
de la Valeur Universelle Exceptionnelle de l’Unesco : Une utopie contemporaine, 2015, p. 54.
81
M. KAMTO, « Charte Africaine, instruments internationaux de protection des droits de l’homme, Constitutions
nationales : articulations respectives », in J. FRANÇOIS, E. FLAUSS et L. ABDELGAWAG (dir.), L’application
nationale de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Bruxelles, Bruylant, coll. « Droit et Justice
», 2004, pp. 11-47.

147
devrait pouvoir « se savoir soi » grâce à la reconnaissance de son identité par la préservation
de ses coutumes et us82, et des droits qui y sont attachés. Toujours est-il que cet ajustement ne
relève pas d’un choix pour les politiques, c’est en réalité une obligation imposée par les
instruments juridiques.

B. La préservation du patrimoine coutumier, une obligation é/prouvée

La préservation du patrimoine coutumier ne se lie pas en termes de faculté, il s’agit d’une


obligation qui s’impose aux Etats dans tous les projets comme celui des villes nouvelles qui
l’effleureraient. Cette obligation peut être prouvée, même si elle est toutefois éprouvée.

1. La préservation du patrimoine coutumier, une obligation prouvée


La preuve de l’obligation de préservation du patrimoine coutumier se révèle dans
plusieurs instruments juridiques y afférents, mieux afférents au patrimoine culturel duquel il
pourrait réclamer sa filiation. On pourrait objecter de l’inexistence du rapport avec les questions
des villes nouvelles ; cependant que dans ces textes juridiques, la préservation du patrimoine
coutumier est une obligation d’ordre général qui s’impose du reste à tous les Etats parties à ces
instruments. Il ne s’agit pas d’une obligation dont la portée est limitée à certaines initiatives ou
projets précis que ces textes auraient identifiés ; c’aurait été d’ailleurs paradoxal voire
contreproductif de limiter l’obligation du respect du patrimoine à certaines activités de l’Etat,
et laisser la faculté à celui-ci de la respecter ou non dans d’autres. L’observation rigoureuse des
instruments juridiques internationaux laisse entrevoir que ces derniers s’adressent aux Etats en
termes d’obligations, d’engagements qu’ils mettent à leur charge ; ces engagements étant
souvent de portée générale pour devoir embrasser une large gamme d’activités possibles.
Relativement au patrimoine coutumier, on ne peut en dire autrement, puisque de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme à la Charte africaine, en passant par le Pacte de Nations
Unies précité, les instruments juridiques de l’UNESCO notamment la Déclaration de Mexico
sur les politiques culturelles de 1982, l’obligation faite aux Etats de promouvoir et de protéger
le patrimoine coutumier est prouvée, d’ailleurs consacrée, et constamment affirmée.
Pouvant se réclamer des composantes du patrimoine culturel tel que susvisé, le patrimoine
coutumier dont la consistance repose sur les coutumes, les us et les traditions, est, dans la
Déclaration Universelle, mis en rapport avec la sécurité sociale de toute personne83. La
dimension mythique souvent présumée et diffusée des traditions, des coutumes et des us84
pourrait, toute proportion gardée, justifier que leur non prise en compte dans les projets de villes
nouvelles soit considérée comme une source d’insécurité sociale. Cette sécurité sociale est
assurée par les pouvoirs publics. Il s’agit d’une obligation pour l’Etat, notamment pour ce qui
est de la protection des droits culturels dont toute personne « est fondée à obtenir la
satisfaction »85. Elle ne peut l’obtenir qu’à l’égard de l’Etat qui en assure la satisfaction. C’est

82
Th. MENISSIER, « Culture et identité. Une critique philosophique de la notion d’appartenance culturelle »,
Revue de philosophie et de sciences humaines, 2007 URL:http://journals.openedition.org/leportique/1387.
83
Article 22 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée en 1948.
84
H. M. TUNGA-BAU, Pouvoir traditionnel et pouvoir d’Etat en République Démocratique du Congo. Esquisse
d’une théorie d’hybridation des pouvoirs politiques, op.cit.
85
Article 22 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée en 1948.

148
la posture de « l’Etat-débiteur »86 qui se dégage de l’esprit de cette Déclaration. Le fait pour
l’Etat de se dérober de cette exigence dans les projets de villes nouvelles apparait dès lors
comme une faute quant au respect de ses engagements internationaux. Cette obligation est
renchérie dans le Pacte des Nations Unies précité.
Dans ce Pacte, les droits culturels dont le patrimoine coutumier en est l’un des sièges,
sont une « donnée essentielle »87 en tant qu’ils peuvent judicieusement constituer des pans
entiers des richesses, ressources ou moyens de substance qu’un Etat ne devrait jamais priver à
un peuple ; mais qu’il doit par contre protéger suivant son article 1er. Les concepts de richesse,
de ressource ou de moyen de subsistance contenus dans cette disposition ne peuvent être
compris uniquement dans leur dimension économique sans que la portée de la disposition ne
soit limitée. Ils doivent être lus au sens large des termes pour englober les richesses, ressources
et moyens culturels auxquels peuvent renvoyer les us, coutumes et traditions, -et donc le
patrimoine coutumier-, et dont l’Etat devrait en tout temps en assurer la promotion et la
protection. La notion de culture telle que définie par la Déclaration de Mexico sur les politiques
culturelles conforte cette conception. Suivant son Préambule, la culture peut est considérée
comme « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui
caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les
modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions
et les croyances, et que la culture donne à l’homme la capacité de réflexion sur lui-même ».
Inhérente à l’homme et en tant qu’elle est une ressource, « c’est elle qui fait de nous des êtres
spécifiquement humains, rationnels, critiques et éthiquement engagés » ; tout comme « c’est
par elle que nous discernons des valeurs et effectuons des choix ». En tant qu’elle constitue une
richesse et un moyen de subsistance, « c’est par elle que l’homme s’exprime, prend conscience
de lui-même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses propres
réalisations, recherche »88.
La préservation de cette richesse culturelle de laquelle se réclame le patrimoine
coutumier, est une obligation internationale à la charge des Etats parties au Pacte des Nations
Unies précité et aux textes de l’UNESCO, et l’omettre dans les projets de villes nouvelles serait
constitutif d’un manquement par l’Etat à ses engagements internationaux. Sans doute, la Charte
africaine s’inscrit-elle dans cet ordre d’idées lorsqu’elle prescrit que la promotion et la
protection des « valeurs traditionnelles » constitue « un devoir de l’Etat dans le cadre de la
sauvegarde des droits de l’homme »89. Dans les projets de villes nouvelles, les Etats devraient
de la sorte en faire des aspects essentiels de leurs politiques au risque de se soustraire de leurs
obligations internationales liées à cette question sensible des sociétés africaines. Pourtant, les
populations font parfois preuve d’une certaine ignorance coupable lorsqu’il faut réclamer de
l’Etat le respect de cette obligation. Si l’expropriation emporte le bien matériel qui est
l’immeuble, c’est ce denier qui est souvent réclamé devant les juridictions, mieux que la

86
J. CHEVALLIER, « L’obligation en droit public », Archives de philosophie du droit, Tome 44, 2000, pp. 179-
194.
87
B. TCHIKAYA, « La charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance », Annuaire français
de droit international, vol. 54, 2008, p. 518.
88
V. GUEVREMONT, « L’UNESCO et la diversité culturelle », in Organisations internationales. Droit et
politique de la gouvernance mondiale, Revue québécoise de droit international, n° spécial, 2021, p. 170.
89
Article 17.

149
sauvegarde du patrimoine coutumier ; peut-être est-ce du fait que ce bien emporte toutes autres
considérations dans laquelle peuvent s’inscrire les coutumes et les us. Toujours est-il que cette
obligation reste éprouvée dans sa mise en œuvre.

2. La préservation du patrimoine coutumier, une obligation éprouvée


Le droit postule une obligation de préservation du patrimoine coutumier par les Etats.
Cette obligation peut se révéler (ou qui se révèle) à l’épreuve de la pratique éprouvée, surtout
dans ce contexte où plusieurs Etats semblent atteints par le syndrome de la modernité et du
développement, qui se laisse traduire dans les projets d’aménagement des villes nouvelles. Le
silence des textes sur les modalités du respect de l’obligation en constitue une des premières
causes. En effet, on chercherait en vain dans plusieurs instruments précités les indications sur
les moyens de préservation du patrimoine coutumier. Cette omission, -si elle en est une-, est
fréquente dans les instruments internationaux engageant les Etats parties. La latitude est
généralement laissée à ces derniers pour définir les conditions du respect des engagements mis
à leur charge. On peut dès lors comprendre qu’à l’épreuve de la pratique, qu’il y ait parfois des
relâchements au niveau du contrôle du respect desdits engagements induits à la charge des Etats.
Rapporté au contexte des villes nouvelles, en remontant le temps, il est difficile
d’identifier une décision de justice qui engage la responsabilité de l’Etat pour atteinte portée au
patrimoine traditionnel des peuples déterminés. Ce quasi-désert jurisprudentiel pourrait trouver
justification dans l’ignorance des populations ; lesquelles sont souvent portées à éluder les
prétoires pour préférer les réclamations par les voies non conventionnelles qui aboutissent dans
le cas des expropriations, à un dénouement malheureux à leur désavantage. On peut cependant
se demander si une éventuelle procédure en ce sens serait-elle à mesure de prospérer, eu égard
au fait que dans le cas d’une expropriation conforme à la légalité90, il serait difficile de l’annuler,
le droit de l’expropriation ne fixant quasiment pas les limites quant aux espaces insusceptibles
d’expropriation comme on aurait espéré pour les espaces réservés à la perpétuation des
coutumes et des us des peuples. L’indemnisation semble suffire pour compenser le bien
exproprié quelle que soit sa valeur traditionnelle ou coutumière ; et même dans bien des cas au
Cameroun, elle n’est pas souvent effective91. Même dans l’hypothèse où elle serait effective, il
est judicieux de se demander si les valeurs coutumières et traditionnelles peuvent être
monnayables.
A cet argument juridique, il peut être conjugué un autre qui se parerait moins des attributs
du droit. En effet, l’analyse de la vision de développement et de modernité des villes nouvelles
telle que portée par plusieurs Etats africains est calquée sur les villes occidentales. Si bien qu’on
assiste à ce que l’on peut qualifier judicieusement d’occidentalisation des projets sur les villes
nouvelles en Afrique. Cette occidentalisation aboutit parfois à la prise en otage du patrimoine
coutumier sacrifié sur l’autel des villes nouvelles. S’interrogeant sur le développement en
Afrique, Ebénezer NJOH MOUELLE posait en 1998, la question de savoir si « l’idéal du
développement pour l’Afrique sous-développée pourrait-il être, devrait-il être la réalité socio-

90
J. OWONA, Domanialité publique et expropriation pour cause d’utilité publique, Paris, L’Harmattan, 2012.
91
H. LADO, « Prédation et expropriation pour cause d’utilité publique au Cameroun », Revue internationale des
études du développement, n° 237, p. 33.

150
économique des Etats-Unis d’Amérique aujourd’hui ? »92. L’auscultation de la pratique conduit
à une affirmation ; ce d’autant que les villes occidentales sont parfois idéalisées et érigées en
standard de développement. A la bourse des valeurs du classement des villes, elles semblent
détenir les meilleures côtes, et constituées en indicateurs du développement des villes dans
d’autres contrées. Cette aspiration n’est cependant pas en soi brumeuse ; mais il ne doit pas
s’agir d’un mimétisme servile qui aboutit finalement à la méconnaissance des acquis
traditionnels et coutumiers locaux. Les projets s’y rapportant semblent parfois méconnaitre les
réalités sociologiques et sociales marquées par des us et coutumes dont la sauvegarde devrait
pouvoir alimenter en tout temps, et se conjuguer dès lors, à leur réalisation.
Au demeurant, en disséquant le code de l’urbanisme camerounais93, il est possible de
constater que la conception de développement culturel telle que retenue par le législateur est de
loin celle qui fait la part belle aux considérations traditionnelles et coutumières. Constitué
comme l’un des aspects du développement auxquelles peuvent renvoyer les opérations
d’urbanisation, le développement culturel n’est perçu pas le législateur camerounais dans ce
Code que sur sa dimension essentiellement infrastructure qui commande rarement la prise en
compte des coutumes et des pratiques. Il s’agit d’une conception étriquée du développement
culturel, celle-ci devant pouvant subsumer les considérations traditionnelles et coutumières ont
il faut tenir compte dans les objectifs et opérations d’urbanisation. La pratique est relativement
avare des opérations d’urbanisme qui ont préservé de tels acquis.
On convient au final de ce que l’obligation de préserver le patrimoine coutumier est
sacrifiée sur l’autel du développement urbain non sans lien avec les villes nouvelles.

CONCLUSION

Face au phénomène des villes nouvelles, il n’est pas exagéré de penser que le patrimoine
coutumier menace ruine. Il est pris en otage des projets des villes nouvelles, montés sous le
fondement des aspirations à la modernité et au développement et sous le justificatif de l’intérêt
général dont la matérialisation passe souvent par l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Il est pourtant certain que le patrimoine coutumier participe de l’identité de l’être humain, et sa
préservation est conçue en droit comme une obligation qui s’impose aux Etats engagés dans
tout projet susceptible de l’effleurer.
Le rapport des villes nouvelles au patrimoine coutumier ne devrait cependant pas se lire
dans une perspective de conflictualité. Si les villes nouvelles traduisent dans une certaine
mesure la matérialisation du droit au développement, le patrimoine coutumier quant lui n’est
pas sans lien avec la question des droits de l’homme liés à l’identité. En réalité, il n’y a pas un
choix à faire entre les deux nécessités, puisque le développement a pour objectif
l’épanouissement de l’être humain ; lequel ne peut être effectif dans un contexte africain marqué
par l’attachement des hommes à leurs coutumes et us, sans que ces derniers ne soient préservés.
De la sorte, plus qu’une logique de duel entre les deux nécessités, c’est une logique de duo qui

92
E. NJOH MOUELLE E, De la médiocrité à l’excellence (Essai sur la signification humaine du développement),
Troisième édition, Yaoundé, Editions CLE, coll. « Etudes et documents », 1998, p. 8.
93
Loi n° 2004-003 du 21 avril. 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun

151
devrait présider entre elles. Ce qui implique l’indispensable ajustement ou prise en compte des
exigences liées aux coutumes et us dans les projets d’aménagement des villes nouvelles ; ce
serait faire la part belle à ce particularisme qui caractérise l’Afrique face à l’universel94; Car
comme l’écrit Joseph KI-ZERBO « l’Afrique d’hier est encore une donnée contemporaine :
elle n’est ni passée ni, à certains égards dépassée »95. Caractérisée par ses valeurs
traditionnelles que sont les coutumes et les us, vestiges de son identité, elle ne saurait les perdre
sous l’autel du phénomène des villes nouvelles. Il faut trouver le moyen de les préserver dans
tout projet, en tout temps et en tout lieu ; c’est aussi à ça que renvoie le développement durable ;
à savoir, préserver les acquis coutumiers et traditionnels pour les générations futures et leur
permettre d’en perpétuer pour celles qui viendront. Se développer est une donnée essentielle,
mais se développer en tenant compte de son identité est encore mieux. Il faut en tenir compte
dans les projets liés aux villes nouvelles.

94
A. BADARA FALL, « La charte africaine des droits de l'homme et des peuples : entre universalisme et
régionalisme », op.cit.
95
J. KI-ZERBO, Histoire de l’Afrique noire, d’hier à demain, Paris, Hatier, 1978, p. 607.

152
LA GARANTIE DE L’EFFECTIVITE DE LA DEMOCRATIE DANS LE
CAMEROUN D’AUJOURD’HUI : D’UNE FORMALISATION CERTAINE A UNE
RELATIVE MATERIALISATION ENTRE 2008 ET 2022

Par

Fridolin Joël NTEUK Fridolin Joël*


Assistant au Département de Droit Public de la Faculté des sciences juridiques et politiques de
l’Université de Douala-Cameroun.
Email : Fridolinjoelnteuk@yahoo.fr

Résumé
2008-2022 aura été la période de tous les défis pour la démocratie camerounaise. Traversé par les
crises politiques et sociales de tout genre, le pays a pourtant enregistré des avancées démocratiques
notables au plan formel. Ce travail entend étudier le sort réservé à la démocratie en tant que mode de
conquête et de préservation du pouvoir politique au Cameroun pendant cette période. Par hypothèse,
elle postule un renforcement au double plan normatif et institutionnel du dispositif de garantie de la
démocratie. Et une reculade dans la matérialisation de la démocratie du fait de la survivance de certains
écueils à sa mise en œuvre. L’étude conclut par des recommandations allant dans le sens de la
revitalisation de cette démocratie éprouvée.

Mots-clés : Garantie ; effectivité ; démocratie et aujourd’hui.

INTRODUCTION

« Encore !». C’est par cette exclamation que PIERRE DELVOLVE ouvrait en 1985 son
article intitulé « service public et libertés publiques »1. Cette exclamation manifestait une
exaspération de l’auteur2. Car à l’époque, les termes du sujet proposé paraissaient déjà
« largement débattus et rebattus »3. La même exclamation peut être faite, à l’observation de
l’étude de «la garantie post guerre froide de l’effectivité de la démocratie au Cameroun » objet
de la présente communication. L’explication ici tient au fait que les notions de « garantie »,
d’« effectivité » et de « démocratie » qui structurent cet énoncé, ont chacune fait l’objet de
travaux par les doctrinaires camerounais4 et étrangers5. En sorte que la question est celle de

*
Mode de citation : Fridolin Joël NTEUK Fridolin Joël, « la garantie de l’effectivité de la démocratie dans le
Cameroun d’aujourd’hui : d’une formalisation certaine a une relative matérialisation entre 2008 et 2022 », Revue
RRC, n° 025 / Septembre 2022, p. 153-187

1
P. Delvolve, « Service public et libertés publiques », RFDA, 1985, p. 1.
2
C. Boyer-Capelle, Le service public et la garantie des droits et libertés, thèse de doctorat en droit public,
Université de Limoges, 10 juillet 2009 p11
3
P. Delvolve, « Service public et libertés publiques », op.cit. p. 2.
4
Nous songeons particulièrement aux travaux de J.R. Keudjeu De Keudjeu, « L’effectivité de la protection
des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone », Revue CAMES/SJP, n°001/2017, p. 99-129 ; J.
Gicquel, « le présidentialisme négro-africain : l’exemple camerounais », Mélanges en l’honneur de G. Burdeau,
LGDJ, paris, 1977, pp.701-725 ; F.V. Luchaire, « Afrique noire. Typologie politique », Encyclopédia universalis,
vol.I, 1973, pp.431 et ss. J-M. Bipoun Woum, « Le nouveau Cameroun politique », RJPIC, 1983, pp.655-697.
5
F. Rangeon, « Réflexion sur l’effectivité du droit », https://www.u-picardie.fr ; 1 er décembre 2016 : 1 5 : 37, p.
128.

153
savoir par rapport à cette thématique : « y a-t-il encore quelque chose à déclarer ? »6. Il faut
répondre à cette question par l’affirmative pour trois raisons au moins.
D’abord, parce qu’il n’est pas interdit de remuer une question déjà débattue. C’est
d’ailleurs ce que faisait observer le Doyen Vedel lorsqu’il affirmait que : « le droit de glaner
derrière les moissonneurs n’a jamais été contesté dans le champ des travaux juridiques »7.
Ensuite, s’il existe des travaux sur la démocratie au Cameroun, ceux-ci ne s’attachent pas à
étudier de manière spécifique sa garantie effective dans le Cameroun d’aujourd’hui. Evoquée
de manière furtive dans des travaux portant sur l’épreuve de la démocratie en Afrique8, la
problématique ici envisagée est souvent étudiée de manière partielle dans des travaux sur la
forme du régime politique camerounais9, la révision de la constitution10, l’Etat de droit11, la
forme de l’Etat camerounais12, le rôle du citoyen dans le renouvellement du droit
constitutionnel13, la décentralisation à l’ère de la démocratisation au Cameroun14, lorsqu’elle
n’est pas souvent faite à partir du seul prisme de son énoncé dans la règle de droit. Enfin, parce
que les fins de décennies sont propices aux grands bilans et questionnements15 et que l’année
2022 correspond au surplus aux 25 ans de constitutionnalisation de la démocratie au Cameroun.
Cette fin de décennie autorise d’autant plus de questionner l’effectivité du rapport du peuple
avec ses dirigeants, qu’elle est caractérisée par une résurgence des crises sociales16 et un

6
P. Delvolve, « service public et libertés publiques », op.cit., p. 2.
7
G. Vedel, cité par J. Waline, « L’évolution de la responsabilité extracontractuelle des personnes publiques »,
RDP, 1990, p. 1525.
8
Nous songeons aux travaux suivants : P. Jacquemot, Afrique, la démocratie à l’épreuve, éditions de l’Aube, 2022,
pp. 17-18 ; J.F. Bayart, « La problématique de la démocratie en Afrique. La Baule… et puis après ? », Politique
africaine, n° 43, 1991, p. 5. C. Momo Foumtchim, « L’alternance au pouvoir en Afrique subsaharienne
francophone », Revue de la Recherche juridique, Politéa, 2010-2011, p. 1.
9
Nous songeons aux travaux de J. Gicquel, « Le présidentialisme négro-africain : l’exemple camerounais »,
Mélanges offerts à G. Burdeau, Pouvoirs, LGDJ, Paris, 1977, pp. 703-725 ; A.D. Olinga, « Cameroun : vers un
présidentialisme démocratique, réflexion sur la révision constitutionnelle du 23 avril 1991 », R.J.P.I.C, Oct-déc
1992, pp. 419-429 ; M. Ondoa, « la dé-présidentialisation du régime politique camerounais », Solon, Vol II n°1 -
2003, pp. 1-40 ; M. Ondoa, « Une résurrection : le régime parlementaire camerounais », AFSJP-UD, n°2, juin-déc
2002, pp. 7-42.
10
A. Minkoa She, L. Sindjoun, La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au Cameroun –Aspects juridiques
et politiques, Fondation Friedrich Ebert/GRAP, 1996, p. 17 ; M. Mebenga, « La participation du citoyen à la
création du droit : l’exemple du « Large débat national » sur la réforme constitutionnelle au Cameroun », in D.
Darbon et J. du Bois de Gaudusson (dir.), La création du droit en Afrique, Paris, Karthala,
1997, p. 205.
11
M. Kamto, Pouvoir et Droit en Afrique Noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les
États d’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, p. 15.
12
J. Tobie Hond, « De l’affirmation du caractère parlementaire du régime politique camerounais au regard de la
constitution du 18 janvier 1996 », in M. Kamto, S. Doumbe Bile Et B.M. Metou, Regards sur le droit public en
Afrique, Mélanges en l’honneur du Doyen Joseph Marie Bipoun-Woum, Paris, l’Harmattan, 2016, pp.65-79.
13
R. Mballa Owona, « le citoyen et le renouvellement du droit constitutionnel en Afrique », in M. Ondoa, P.E
Abane Engolo (sous la direction), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique, L’Harmattan,
2018, pp. 133-147.
14
B-R. Guimdo Dongmo, « le droit de la décentralisation à l’ère de la démocratisation au Cameroun », in Les
politiques de la décentralisation au Cameroun : jeux, enjeux et perspectives, sous la coordination technique de la
Fondation Paul Ango Ela, l’harmattan, 2013, pp.17-50.
15
E C. Lekene Donfack, E M. Ngango Youmbi, E W. Tsolefack Awafa, « Chronique de la jurisprudence du
Conseil Constitutionnel camerounais (2018-2020), RFDC, n° 129, 2022, pp. 207 à 241
16
Voir infra, les développements sur la crise anglophone et sur le mouvement « on a trop souffert » (OTS) des
enseignants du secondaire.

154
vieillissement17 de l’élite gouvernante. Il ne suffit pour s’en convaincre que d’observer les
questions des journalistes au Président de la République du Cameroun lors de la dernière visite
du Président français au Cameroun les 25-27 juillet 202218.
Ces questionnements attestent de l’intérêt sans cesse renouvelé qu’occupe la
problématique du rapport effectif entre le souverain et la représentation au Cameroun. Cette
problématique, qui constitue la matrice de pensée de ce travail, nécessite pour être solutionnée,
de procéder à des clarifications conceptuelles que nous voulons ici et maintenant marquer du
sceau de la nécessité. Les notions de « démocratie » et d’« effectivité » sont ici à conceptualiser.
celle de garantie étant synonyme de « protéger » et « sécuriser » se rapporte dans ce travail à
l’assurance ou à la protection accordée à la démocratie en tant que forme de gouvernement19
depuis 2008.
Le mot « démocratie » est dérivé d’un terme grec composé des mots « demos » qui
signifie « Peuple » et « kratein », c’est-à-dire, « gouverner », régir. “Démocratie” peut donc se
traduire littéralement par les expressions suivantes : Gouvernement du peuple ou
Gouvernement de la majorité20. Plus concrètement, il s’agit « du régime dans lequel tous les
citoyens possèdent de manière égalitaire un droit de participation (vote) et un droit de
contestation à l’égard du pouvoir (liberté d’opposition) »21. La démocratie est en effet selon
Abraham Lincoln : « le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». Vue de la
sorte, la « démocratie s’oppose à tout pouvoir qui n’est pas l’émanation du peuple »22.
Il ne faut donc pas se méprendre, car la démocratie ne signifie pas que c’est le peuple qui
gouverne, ni même qu’il vote les lois, mais que nul ne peut gouverner ou légiférer sans son
accord ni hors de son contrôle23. En tant que forme de gouvernement, la démocratie s’oppose à
la monarchie24, à l’aristocratie25 à l’anarchie ou à une forme de libéralisme extrême26. L'élément
clé de l'exercice de la démocratie est la tenue à intervalles périodiques d'élections libres et
régulières permettant l'expression de la volonté populaire. Ces élections doivent se tenir, sur la
base du suffrage universel, égal et secret, de telle sorte que tous les électeurs puissent choisir

17
Le constat vaut aussi bien pour le Président de la République de ce pays qui préside aux destinées de ce pays
depuis le 06 Novembre 1982, que pour le Président de l’Assemblée Nationale et celui du Sénat. Avec une nuance
particulière pour ce dernier qui n’est qu’à sa deuxième mandature, mais dont l’âge semble très avancé.
18
Au cours de la visite du Président Macron, répondant à une question d’un journaliste qui lui demandait s’il
espérait briguer un nouveau mandat en 2025 ou s’il souhaitait qu’une nouvelle génération porte les couleurs de
son parti à la prochaine présidentielle, le Président de la République du Cameroun répondait avec humour que :
« le Cameroun est dirigé conformément à la constitution. Selon cette constitution, le mandat que je mène a une
durée de sept ans. Alors, essayez de faire la soustraction et vous saurez combien de temps il me reste à diriger le
pays. Mais autrement, quand ce mandat arrivera à expiration, vous serez informés sur le point de savoir si je reste
ou si je m’en vais au village ». C’est dire que la question de la succession suscite l’attention aussi bien de la part
de l’opinion publique nationale qu’internationale.
19
C. Puigelier, Dictionnaire juridique, Ed Larcier, 2015, p. 553.
20
P. Becker et J-A A. Raveloson, Qu’est-ce que la démocratie ? kmf-cnoe & nova stella, Septembre 2008, p.4.
21
S. Guinchard, T.Debard et al, Lexique des termes juridiques, DALLOZ, 25e éd., p.717.
22
P. Momat Kabulo, « La démocratie en Afrique, mythe ou réalité ? », Fratenet magazine, 8 septembre 2003, en
ligne, www.fratenet.com/magazine/in 0809.htm, (Page consultée le 15 juillet 2009).
23
L. Favoreu, P. Gaïa, R. Ghevontian, J-L Mestre, O. Pfersmann, A. Roux, G. Scoffoni, Droit Constitutionnel,
DALLOZ, 2019, p.635.
24
La Monarchie est le gouvernement d’un seul.
25
Il s’agit du gouvernement de quelques-uns.
26
C’est-à-dire celui où personne ne dirige.

155
leurs représentants dans des conditions d'égalité, d'ouverture et de transparence qui stimulent la
concurrence politique27.
Sur un autre plan, s’il ne faut pas confondre la démocratie avec le respect des libertés
individuelles ou collectives, il faut tout de même reconnaitre leur filiation avec eux. Quand la
Convention, en 1793, décréta en France « la terreur jusqu’à la paix », elle le fit au nom de la
démocratie28. Si le peuple est souverain, il peut fixer souverainement des limites à telle ou telle
liberté, et même il le fait nécessairement, mais plus ou moins. C’est ce qui donne son sens à
l’expression « démocratie libérale » – parce qu’elles ne le sont pas toutes. C’est de cette forme
de démocratie qu’il s’agit dans ce travail. C’est-à-dire celle qui « consiste à reconnaitre à tous
les citoyens le principe d’une égalité politique »29. La démocratie libérale s’entend ici du
système politique dans lequel la souveraineté appartient à l’universalité des citoyens ;
caractérisé par les idées d’égalité juridique et de droits individuels30. Il s’agit plus
prosaïquement d’un système dans lequel, les dirigeants sont choisis à travers des élections
libres, transparentes, disputées et où, les citoyens sont titulaires des droits et des libertés
fondamentales, qu’ils peuvent faire valoir même contre les autorités étatiques.
La notion d’effectivité n’est pas aisée à définir. Car, ses relations avec d’autres notions
comme celles de validité, d’efficience, d’efficacité, de garantie, de mise en œuvre, de «
concrétisation », ou d’« effectuation » sont très fluctuantes31. Pour autant, l’on entend par
effectivité, le « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le
droit »32. L’effectivité désigne en effet, les modalités d’application des normes qui encadrent la
démocratie et ne recouvre que les effets sociaux (juridiques et non juridiques) directement
assignables à celles-ci33, même si l’on peut y voir avec Hans KELSEN l’absence d’un rapport
de conformité entre effectivité, validité et efficacité34. La notion d’effectivité, entendue du «
degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit »35, induit un
dépassement du rêve pour la matérialité du règne du droit et interpelle à ce titre quant à la prise
en compte du rapport au social, des différentes pesanteurs intervenant dans l’application du
droit36.

27
C. Bassiouni, D. Beetham, F. Beevi Et Al, La démocratie : principes et réalisation, Union interparlementaire,
Genève, 1998, p. 9.
28
A. Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, Paris, Quadrige, 4e éd., 2013, p. 843.
29
F-P. BENOIT, « Les étapes de la démocratie libérale », P.U.F, 1980, p. 230.
30
P. Avril et J. Gicquel, Lexique de droit constitutionnel, « Que sais-je ? », Puf, 4e éd, 14e mille, p. 47.
31
V. Champeil-Desplats, « effectivité et droits de l’homme : approche théorique », in V. Champeil-Desplats et D.
Lochak (dir.), À la recherche de l’effectivité des droits de l’homme, Presses Universitaires de Paris 10, 2008, p.
12.
32
A.-J. Arnaud, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LDGJ, 2e éd. 1993, p.
217.
33
F. Rangeon, « Réflexion sur l’effectivité du droit », https://www.u-picardie.fr ; 1 er décembre 2016 : 1 5 : 37, p.
128.
34
H. Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, p. 282.
35
A.-J. Arnaud, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LDGJ, 2e éd. 1993, p.
217.
36
Voir : M.-A. Glele, « Pour l’Etat de droit en Afrique », in Mélanges offerts à P.-F. Gonidec, L’Etat moderne :
Horizon 2000, Aspects internes et externes, Paris, LGDJ ; 1985, pp. 181 -193 ; A. Moyrand, « Réflexions sur
l’introduction de l’Etat de droit en Afrique noire », R.I.D.C, vol. 43, n° 4, Octobre-décembre 1991, pp. 853-878 ;
P.-F. Gonidec, « A quoi servent les constitutions africaines ? Réflexions sur le constitutionnalisme africain »,
RJPIC., n°4, Octobre-décembre 1988, pp. 849-866.

156
La garantie effective de la démocratie au Cameroun, appelle à la validité de la norme en
termes d’effets juridiques que leurs acteurs entendent leur conférer et dans une certaine mesure
à son efficacité en tant que « mode d’appréciation des conséquences des normes et de leur
adéquation aux fins qu’elles visent »37.
Ces clarifications conceptuelles opérées, il faut dire que, le rendu sur la garantie de la
démocratie dans la société camerounaise d’aujourd’hui, appelle également une étude
rétrospective de la situation qui y a prévalu avant 2008. A ce titre, il faut reconnaitre que la
chute du mur de Berlin s’est accompagnée par la fin de l’idéologie développementaliste qui
servait de socle théorique au droit camerounais. Intimement liée à la problématique du droit et
du développement, elle poursuivait les objectifs d’unité nationale et de développement global
de la société par la mise en œuvre de mécanismes juridiques contraires à ceux considérés
comme révélateurs d’une démocratie libérale. Au plan politique, l’idéologie
développementaliste légitimait le monopartisme qui se traduisait par « d’élections sans choix
»38. Cette idéologie qui servait de fondement théorique au droit camerounais39, consacrait le
caractère sommaire des mécanismes de protection des libertés individuelles, le présidentialisme
fort40, même parfois déconcentré et en fin de compte le rejet de la démocratie constitutionnelle,
comme incompatible avec les aspirations camerounaises de l’heure. De cette époque date le
moment où des intellectuels engagés et humanistes basculèrent dans le rôle du roi Christophe
d’Aimé Césaire41, celui qui donne l’indépendance à son peuple et qui ensuite lui impose la
liberté par la répression42 au nom de l’unité nationale43. Cet état de droit ne pouvait résister au
vent de démocratisation qui a soufflé sur la plupart des pays d’Afrique au début des années
199044.
Il faut dire que, l’échec du modèle de développement qui a résulté de l’idéologie
développementaliste a justifié l’éclosion d’un mode de pensée tourné vers la démocratie
libérale45. Ce vaste de mouvement de « transition démocratique »46, insufflé par les bailleurs de
fonds internationaux, non sans résistance locale47 et relayé par une élite nationale camerounaise
plus vigoureuse que celle des autres Etats africains, a débouché sur l’abolition des textes

37
J.R. Keudjeu De Keudjeu, « L’effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne
francophone », op.cit., p. 2.
38
G. Hermet, « Les élections sans choix », in Revue française de science politique, vol. 27, n° 1, 1977, p. 30.
39
Lire à ce sujet, Keba Mbaye, « Droit et développement en Afrique francophone de l’Ouest », R.S.D, 1967, p.12.
40
J. Gicquel, « le présidentialisme africain, l’exemple camerounais », op.cit., p.78.
41
A. Césaire, La tragédie du roi Christophe, Paris, Présence Africaine, 1963
42
P. Jacquemot, Afrique, la démocratie à l’épreuve, op.cit., p. 15.
43
A. Kontchou Kouomegni, « Le droit public camerounais, instrument d’unité nationale », R.J.P.I.C, n°4, oct-déc
1979, pp 415-441.
44
N-D. Labrousse, La démocratie en Afrique subsaharienne : le cas du Cameroun, Mémoire de Maîtrise en
sciences politiques, Ecole politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, 2012, p. 25.
45
M. Ondoa, « la constitution duale : recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun »,
R.A.S.J, 2000, p.20.
46
J. Meledje Djedjro, « La révision des constitutions dans les pays africains francophones », R.D.P, 1992, pp. 192
et ss.
47
La démocratie a été rejetée par les militants du RDPC au cours d’une grande mobilisation populaire contre le
multipartisme. Le leader de ce parti, l’actuel Président dudit parti, au cours d’un discours en date du 09 Avril, avait
indiqué comprendre « que fidèles à vous-mêmes, vous avez rejeté sans équivoque, les modèles et formules
politiques importés de l’étranger ». C.A. Njimeni Njiotang, Le discours de Paul BIYA à l'ère du multipartisme au
Cameroun : mises en scène argumentatives et relation au pouvoir, Thèse de doctorat en linguistique, Université
Bordeaux Montaigne, 2018, p. 118.

157
juridiques jugés dorénavant anachronique48, la mise en place de textes nouveaux correspondant
à la nouvelle mouvance49 et un dépoussiérage de certains autres textes, à commencer par le plus
fondamental de ceux-ci, à savoir la constitution révisée le 23 avril 199150.
Le mouvement de démocratisation s’est poursuivi en 1996 par l’adoption de la loi
constitutionnelle du 18 Janvier 199651. Loin d’être banal, parce que survenu dans un système
d’ordinaire mouvant et versatile, ce texte marquait de l’avis du Doyen Ondoa, un tournant
décisif dans le mouvement de démocratisation amorcé dans les années quatre-vingt-dix52. Ce
processus s’est poursuivi par l’adoption des lois de 2004 sur la décentralisation53, la révision de
la constitution de 2008, la création d’un nouveau organe de gestion des élections, et récemment
l’adoption d’un code général des collectivités territoriales décentralisées54 censé accéléré la
démocratie locale au Cameroun.
La démocratie étant à la fois un idéal à poursuivre et un mode de gouvernement à
appliquer selon des modalités traduisant la diversité des expériences et des particularités
culturelles, sans déroger aux principes, normes et règles internationalement reconnus, elle est
donc un état, ou une condition, sans cesse perfectionné et toujours perfectible dont l'évolution
dépend de divers facteurs, politiques, sociaux, économiques et culturels. Sa garantie effective
ne pose donc pas les mêmes problèmes d’un pays à un autre, ou d’une époque à une autre. Elle
doit donc être appréhendée sur le terrain de l’effectivité, plus que sur un autre. C’est en tout cas
ce que reconnaissait Luc SINDJOUN lorsqu’il écrivait que : « l’analyse des démocratisations
africaines aux fortunes diverses s’enrichit nécessairement d’une économie des pratiques qui
donnent sens aux normes et valeurs et qui vice versa, indiquent la légitimité sociale du régime
de pouvoir »55.
Sous le rapport de ce qui précède, il faut reconnaitre que, si la démocratie est un système
politique dans lequel les principales places au pouvoir sont conquises à la suite d’une lutte
concurrentielle par le vote du peuple, l’on pourrait conclure à l’effectivité de la démocratie au
Cameroun entre 2008 et 2022. Car l’on a assisté depuis 2008 à deux élections présidentielles,
deux élections législatives, deux élections sénatoriales, une élection régionale, deux élections
municipales, avec une particularité, c’est que les dernières élections présidentielle et législative
ont été proclamées par le Conseil Constitutionnel, dont l’effectivité a été actée56 par la

48
A.D. Olinga, « Cameroun : vers un présidentialisme démocratique, réflexion sur la révision constitutionnelle du
23 avril 1991 », R.J.P.I.C, Oct-déc 1992, pp. 419.
49
Nous songeons aux lois sur les libertés notamment : la loi n° 90/055 sur la liberté d’association ; la loi n°90/
052 ; 90/053 et 90/055 du 10 décembre 1990, fixant respectivement liberté de réunion, de manifestation publique
et d’association.
50
A.D. Olinga, « Cameroun : vers un présidentialisme démocratique, réflexion sur la révision constitutionnelle du
23 avril 1991 », Ibid., pp. 419.
51
Loi n°96/01 du 18 janvier 1996.
52
M. Ondoa, « Ajustement structurel et réforme du fondement théorique des droits africains post-coloniaux :
l’exemple camerounais », R.A.S.J, Vol 2, n°1, 2001, p.78.
53
Il s’agit des lois n°2004/017 ; 2004/018 ; 2004/019 du 22 juillet 2004 portant respectivement orientation de la
décentralisation et fixant les règles applicables aux Communes et au Régions.
54
Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019, portant code général des élections.
55
L. Sindjoun, « Les pratiques sociales dans les régimes politiques africains en voie de démocratisation :
hypothèses théoriques et empiriques sur la para constitution », RCSP, Vol. 40 : 2, Jan/juin 2007, p. 465.
56
Avant 2018, les fonctions du Conseil Constitutionnel continuaient à être exercée par la Cour Suprême, selon le
vœu émis par le constituant du 18 janvier 1996.

158
désignation de ses membres en 201857. Sur un autre plan, cette période a été marquée par : une
révision de la constitution qui a débouché sur la non-limitation du mandat présidentiel, une
grève de la faim en 2008, l’exacerbation de la crise sécessionniste dans les régions du nord-
ouest et du sud-ouest, une crise post-électorale suite à la proclamation des résultats de l’élection
présidentielle et en 2022, les revendications d’un mouvement des enseignants du secondaire,
baptisé « on a trop souffert » (OTS), qui n’était pas sans rappeler le mouvement des « gilets
jaunes » en France. Au niveau local, l’on a assisté à la promulgation en 2019 du code général
des collectivités territoriales décentralisées, censé promouvoir la démocratie locale et lutter
contre la crise sécessionniste qui menace les régions anglophones du pays58.
Ces évènements, s’ils attestent dans un certain sens de la vitalité de la démocratie
camerounaise, ne traduisent pas moins un contraste. La question qu’ils suggèrent aujourd’hui
est de savoir : La garantie de la démocratie est-elle moins procédurale que substantielle
dans le Cameroun d’aujourd’hui ? La réponse à cette question dépend de deux autres qui la
préfigurent, à savoir : Quelles sont les normes et les institutions qui attestent de la formalisation
de la démocratie libérale dans la société camerounaise d’aujourd’hui ? quels sont les facteurs
limitant la démocratisation de la vie politique et quelles solutions adopter en vue d’une
revitalisation de la démocratie camerounaise éprouvée ? Cette étude a pour soubassement
théorique la consolidation de la démocratie comme mode de conquête et de préservation du
pouvoir politique au Cameroun. Son rendu serait substantiel par le recours au positivisme
sociologique, lequel prend en compte, au-delà du droit posé, son adéquation aux besoins de la
société59 et son rapport au pouvoir, à l’ordre et à la liberté 60. Ce positivisme factualiste est
innervé de la sève du droit étranger, en tant que celui-ci permet d’éprouver la norme et les
pratiques démocratiques camerounaises. Les expériences de certains pays africains et
occidentaux sont ainsi appelées en renfort.
A l’interprétation de la norme et de la pratique démocratique camerounaise entre 2008 et
2022, l’on peut dire par hypothèse que, la démocratie est relativement garantie dans les faits au
Cameroun d’aujourd’hui. Il est d’ailleurs conforme à l’observation de la pratique camerounaise
d’admettre qu’à mesure où s’enracine le pouvoir, l’on assiste à une « perfide tranquillité du
despotisme représentatif »61 dans ce pays. Le Cameroun d’aujourd’hui pourrait être assimilé à
une autocratie de démocratie électorale. Car si les élections sont régulièrement organisées dans
le pays, celles-ci se soldent toujours par des résultats relativement connus d’avance. Autrement,
plus disputées pendant les premières années qui ont suivi la chute du mur de Berlin62, les

57
Voir le Décret n°2018/105 du 07 février 2018 portant nomination des membres du Conseil Constitutionnel.
58
F.J. Nteuk, « Les mutations de finances locales à l’aune du code général des collectivités au Cameroun », RAFiP,
n°10, 2021, p. 487.
59
Léon Duguit est le précurseur de ce courant. Lire à ce sujet, L. Duguit, Manuel de droit constitutionnel, Théorie
générale de l’Etat, libertés publiques-organisation politique, Paris, Fontemoing et Cie, 2e éd., 1911, pp. 10-13 ;
Les transformations du droit public, Paris, Armand Colin, 1913, 285p. Pour un résumé de cet ancrage
épistémologique à partir de l’héritage scientifique du Professeur Roger Gabriel Nlep, L. Donfack Sokeng, « Un
juriste au cœur de la Cité, Hommage au Professeur Roger Gabriel Nlep », Janus, R.C.S.P, Juin 2005, pp. 32-33,
spéc., note 33.
60
Hauriou notait à juste titre qu’aux sources du droit se trouve, le pouvoir, l’ordre et la liberté. M. Hauriou, Aux
sources du droit, le pouvoir, l’ordre et la liberté, Centre de philosophie politique et juridique, 1986, 193 p.
61
Robespierre cité par J-L. Mestre, « Recensions », R.F.D.C, n°131, 2022, p. 776.
62
Le score de l’élection présidentielle de 1992 était très serré entre le candidat Paul Biya au pouvoir et celui de
l’opposition John Fru Ndi. Le premier a obtenu 40 % des voix contre 36 % pour le second.

159
élections se sont ritualisées63, du fait d’un retour progressif au monopartisme de fait,
monopartisme d’autant plus facilité par les alliances, qu’on a assisté à une ultra domination de
la scène politique par le RDPC lors des élections municipales, régionales, législatives,
présidentielle et sénatoriales organisées entre 2008-2022. Le sursaut d’orgueil manifesté lors
de la dernière élection par les partis d’opposition64 n’est pas fondamentalement venu remédier
la crise démocratique que traverse le pays. Crise dont les manifestations sociales appellent
aujourd’hui une solution plurielle (II). Il est plus que jamais nécessaire de faire passer la
démocratie camerounaise de son enseigne décorative, du fait de sa formalisation (I), pour
l’inscrire définitivement dans un étalage utilitaire à l’expression des libertés et de la volonté du
peuple camerounais, qui conserve par-dessus tout son droit naturel fondamental de résistance à
l’oppression.

I- UNE EFFECTIVITE CERTAINE DE LA GARANTIE PAR LA


FORMALISATION DE LA DEMOCRATIE

D’entrée de jeu, il faut reconnaitre avec Denquin que la démocratie est d’abord un projet.
En ce sens elle n’est pas un produit naturel, car elle n’est pas un donné : les sociétés humaines
ne s’organisent pas spontanément sous forme démocratique. Elle est un plan conçu avant d’être
mis en œuvre, et qui, formalisé, opératoire en principe, prend dans sa phase finale la forme
d’une Constitution65. La formalisation est donc la première étape de la garantie de l’effectivité
de la démocratie en ce qu’elle en conditionne l’opérationnalisation. Dire que la démocratie
bénéficie entre 2008 et 2012 d’une effective normative certaine à travers sa formalisation, c’est
reconnaitre deux choses : en premier lieu que cette période est marquée par la consolidation de
l’acquis normatif (A) et en second lieu que l’on y a assisté à un enrichissement du cadre
institutionnel de garantie (B).

A- La consolidation de l’acquis normatif

Entendue comme, « énoncé impératif ou prescriptif appartenant à un ordre ou système


normatif, et obligatoire dans ce système », la norme démocratique est consolidée au Cameroun
entre 2008 et 2022. Cette consolidation est le fait d’une part de la relative préservation de
l’acquis constitutionnel (1) et de la substantielle amélioration des normes infra
constitutionnelles (2).

63
D’abord à partir de 1997 où Paul Biya a remporté 92,57 % contre ; puis en 2004 où le candidat Paul Biya a
obtenu 70,92% contre 17,40% pour John Fru Ndi ; ensuite 2011 où paul Biya a obtenu 77,99% contre 10,71 %
pour John Fru Ndi et enfin en 2018 où Paul Biya a été déclaré élu avec 71,28% des voix contre 14,23% pour
Maurice Kamto.
64
Nous songeons aux partis : Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) et au Parti Camerounais pour
la réconciliation nationale (PCRN), arrivés respectivement deuxième et troisième à l’élection présidentielle de
2018.
65
J.M. Denquin, « Que veut-on dire par « démocratie » ? L’essence, la démocratie et la justice constitutionnelle »,
jus politicum, n°2, 2009, p.9.

160
1- La relative préservation de l’acquis constitutionnel par la loi constitutionnelle du
14 avril 2008
Si les révisions constitutionnelles constituent des procédures indispensables à
l’approfondissement de l’Etat de droit et de la démocratie, ce postulat trouve à s’appliquer
relativement pour ce qui est du Cameroun d’aujourd’hui. La question que suggère la révision
constitutionnelle de 2008 est celle de savoir si elle a fondamentalement remis en cause le socle
constitutionnel de la démocratie au Cameroun ? La négative apporte une réponse à cette
question. Car si la réforme de 2008 modifie substantiellement la durée du mandat des pouvoirs
constitués (a), elle reconduit pour l’essentiel l’acquis démocratique consacré par la loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996 (b).
a- La modification du mandat des pouvoirs constitués
La modification du mandat des pouvoirs constitués est actée par les dispositions de la loi
constitutionnelle de 2008, révisant et complétant les articles 6 (2), 15 (4) et 51 (1) de la loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996.
S’inscrivant dans un vaste mouvement africain66, le constituant de 2008 a procédé à la
levée de la limitation du mandat présidentiel en modifiant l’article 6 (2) de la loi
constitutionnelle du 18 janvier 1996. Dans son ancienne formulation, l’article 6 (2) disposait
que le mandat du Président de la République n’était renouvelable qu’une seule fois. Dans son
nouvel énoncé de 2008, l’article 6 (2) postule la renouvelabilité illimitée du mandat du Président
de la République. Perçue comme un recul de la démocratie camerounaise, parce que consacrant
l’ « éternisation » du Président de la République au Cameroun67, cette révision n’est pas pour
autant irrégulière au plan de la technique juridique. Car en théorie, le pouvoir constituant reste
souverain pour modifier ses lois, même les meilleures. Et comme le pouvoir constituant
originaire, le pouvoir constituant dérivé est un pouvoir souverain qui peut à travers la technique
de la double révision réviser les règles constitutionnelles interdites de révision68. Encore que
dans le cas de la durée du mandat, elle n’était pas visée par les dispositions interdites de révision
par la loi constitutionnelle du 18 Janvier 199669.
La modification des règles encadrant le mandat des députés est pour sa part réalisée par
la révision de l’article 15 (4). Dans sa nouvelle formulation de 2008, l’article 15 ajoute aux
conditions d’abrègement du mandat la survenance de certaines circonstances. Celui-ci dispose
dorénavant que : « En cas de crise grave ou lorsque les circonstances l’exigent, le Président de

66
Le Cameroun s’est inspiré de la voie tracée par les entités étatiques telles que la Guinée Conakry (qui a révisé
sa Constitution en novembre 2001 afin de lever la limitation du nombre de mandats présidentiels), la Tunisie (qui
est allée dans le même sens en mai 2002), le Togo (en décembre 2002), le Gabon (en juillet 2003), la Mauritanie
(en 2005), le Tchad (en 2005 également) et le Niger en 2009.
67
A. Tchoupie, « La suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels au Cameroun : analyse de la
bifurcation de la trajectoire d’une politique institutionnelle », Revue africaine des relations internationales, Vol.
12, Nos. 1 & 2, 2009, p.7.
68
Sur la souveraineté du pouvoir constituant dérivé, lire : R. Bonnard, Les actes constitutionnels de 1940, LGDJ,
1942, p. 36 ; L. Duguit, Traité de Droit constitutionnel, Ancienne Librairie Fontemoing et Cie Editeurs, Paris, 3e
éd., 1930, T.IV, p.540 ; G. Vedel, Schengen et Maastricht, RFDA, p.178 ; M. Ondoa, « La constitution duale :
Recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au Cameroun », Op.cit., p. 22 et 23.
69
L’article 65 de la loi constitutionnelle n°96-06 disposait que : « Aucune procédure de révision ne peut être
retenue si elle porte atteinte à la forme républicaine, à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’Etat et aux principes
démocratiques qui régissent la République ».

161
la République peut, […] demander à l’Assemblée nationale de décider, par une loi, de proroger
ou d’abréger son mandat ». La question que soulève cette nouvelle formulation est celle de
savoir : qui a compétence d’apprécier les conditions exigeant la saisine du parlement ? Rien
dans le texte ne l’indique explicitement. Toutefois, la lecture qui veut que ce soit le Président
de la République qui en soit compétent n’est pas dénuée de régularité. Dans la mesure où c’est
lui qui a compétence de solliciter l’avis du Conseil constitutionnel, les bureaux de l’Assemblée
Nationale et du Sénat en cas de survenance de telles circonstances. Quoiqu’il en soit, en cas de
dissolution, l’élection d’une nouvelle Assemblée a lieu quarante (40) jours au moins et cent
vingt (120) jours au plus après - et non plus soixante jours comme c’était le cas vanat-
l’expiration du délai de prorogation ou d abrègement de mandat.
Le constituant de 2008 introduit également la renouvelabilité du mandat des membres du
Conseil Constitutionnel. Toutefois, les questions que soulève cette question seront traitée en
leur temps. Ce qu’il faut convenir pour l’instant c’est que le constituant de 2008 reconduit pour
l’essentiel les règles garantissant la démocratie.
b- La tacite reconduction des dispositions non contraires à la démocratie
D’entrée de jeu, il faut préciser que la notion de reconduction n’est pas abordée ici dans
le sens que l’entendent les disciples du mimétisme. Dans leur jargon, « la reconduction,
implique l’introduction dans les systèmes juridiques d’Etats souverains, du droit produit par
un autre Etat, celui de la puissance colonisatrice »70. Par tacite reconduction, l’on désigne ici
l’opération à travers lequel le constituant de 2008 prolongé implicitement les dispositions de la
loi constitutionnelle de 1996 qui n’étaient pas contraires à l’ordre juridique qu’il abrogeait et
complétait.
C’est le lieu de préciser que la constitutionnalisation de la démocratie au Cameroun s’est
opérée à travers un double mouvement initié en 1996. Dans un premier mouvement, l’on a
assisté à une consécration préambulaire implicite71 et de l’autre une consécration explicite dans
le corpus constitutionnel72. L’essentiel des dispositions consacrées par le préambule et le corpus
du texte constitutionnel de 1996 ont été reconduites en 2008. La reconduction de l’essentiel des
règles garantissant la démocratie par le constituant est le fait de l’énumération des dispositions
de la loi constitutionnelle de 1996 abrogées par celle de 2008. Autrement, le constituant de 2008
vise nommément les dispositions qu’il entend abroger et compléter. Il s’agit des articles 6 (2)

70
M. Ondoa, Introduction historique au droit camerounais : la formation initiale, éléments pour une théorie de
l’autonomie des droits africains, Yaoundé, Les éditions Le Kilimandjaro, 2013, pp. 30-31.
71
L’implicite du texte constitutionnel tient au fait que la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 ne consacre pas
la démocratie. Mais il postule l’adhésion du Cameroun aux conventions internationales relatives aux droits de
l’homme.
72
Plusieurs dispositions du dispositif constitutionnel consacrent la forme démocratique du régime et garantissent
la démocratie aussi bien au niveau étatique qu’au niveau local. Nous songeons particulièrement à l’art 1 (2) qui
dispose que : « La République du Cameroun est un Etat unitaire décentralisé. Elle est une et indivisible, laïque,
démocratique et sociale. Elle reconnaît et protège les valeurs traditionnelles conformes aux principes
démocratiques, aux droits de l’homme et à la loi. Elle assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi ». Cette
disposition fait des droits de l’homme et de l’égalité des citoyens devant la loi, des conditions de réalisation de la
démocratie camerounaise.

162
et 4, 14 (3) a, 15 (4), 51 (1), 53 et 67 (6) de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision
de la Constitution du 02 juin 197273.
Par cette technique juridique, le constituant de 2008, rend applicable l’essentiel des
dispositions démocratiques consacrées par le constituant de 1996. Autrement, en dehors des
articles suscités, toutes les autres dispositions de la loi constitutionnelle de 1996 sont
maintenues en vigueur. Il en est ainsi de la forme démocratique du régime ou encore des règles
encadrant la conquête démocratique du pouvoir, ou encore de celles relatives à la garantie des
droits et libertés fondamentaux. Il en est également des règles encadrant la démocratie locale74.
Au demeurant, en décidant de reconduire implicitement la démocratie dans le texte
constitutionnel, le constituant de 2008 lui a assuré une efficace protection. Car, la rigidité de la
constitution camerounaise75 empêche sur la forme un retour au parti unique qui a prévalu dans
le pays avant les années 1990. La démocratie y est d’autant plus protégée contre le constituant
que, sauf cas de double révision, aucune révision de la constitution n’est admise au Cameroun
si elle porte à la forme démocratique du régime76. La période 2008-2022 est également marquée
par l’augmentation des normes infra constitutionnelle régissant la démocratie camerounaise.

2- L’accroissement substantiel des normes infra constitutionnelles de protection


L’aménagement infra constitutionnel des conditions d’exercice de la démocratie est
effectué aussi bien par les conventions internationales auxquelles le Cameroun est parti, mais
également par les lois nationales au sein desquelles la loi portant code électoral occupe une
place prépondérante.
a- La ratification des nouvelles normes internationales
La période 2008-2011 a consacré un enrichissement substantiel du dispositif normatif
régissant la démocratie au Cameroun. Cette période a été marquée par la ratification des
conventions internationales relatives à la démocratie, la bonne gouvernance et les droits de
l’homme. Au rang de celles-ci figurent en bonne place outre La Convention de l’Afrique
Centrale pour le contrôle des armes légères et de petit calibre, de leurs munitions et de toutes
pièces et composantes pouvant servir à leur fabrication, réparation et assemblage, dite
Convention de Kinshasa, adoptée le 30 avril 2010 et signée le 22 septembre 2011 par le
Cameroun, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la Gouvernance adoptée le
30 janvier 2007 par la huitième Session Ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de
Gouvernement de l’Union africaine tenue à Addis Abéba.
Ratifiée le 28 septembre 2011 par le parlement camerounais et faisant partie intégrante
du bloc de constitutionnalité77, cette convention est dorénavant invocable aussi bien devant le

73
Art 1 de la loi n°2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 96/06 du
18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972.
74
Art 55 et suivant.
75
Dire que la constitution camerounaise est rigide ne veut pas dire qu’elle ne peut être révisée
76
L’Art 64 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 dispose que : « Aucune procédure de révision ne peut
être retenue si elle porte atteinte à la forme républicaine, à l’unité et à l’intégrité territoriale de l’Etat et aux
principes démocratiques qui régissent la République ».
77
Selon le préambule de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 qui fait partie intégrante de la constitution,
« Le peuple camerounais Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration

163
juge national camerounais que devant les instances internationales protégeant les droits de
l’homme, notamment la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et la Cour
africaine de justice des droits de l’homme et des peuples78.
Poursuivant entre autres objectifs, outre l’adhésion de chaque Etat aux valeurs et
principes universels de la démocratie, le respect des droits de l’homme, la Charte consacre un
mécanisme de contrôle sur rapport79. Le respect de la Charte oblige ainsi le Cameroun à
soumettre chaque deux ans un Rapport sur les mesures d’ordre législatif en vue de rendre
effectifs les principes proclamés par la Charte. Une autre évolution du socle normatif encadrant
la démocratie a été consacrée par la codification des règles gouvernant la démocratie.
Il est également important de noter qu’en tant qu’elle se fait gardienne de la constitution80,
les droits et libertés consacrés par la constitution camerounaise sont justiciable devant la Cour
africaine des droits de l’homme et de peuples, aujourd’hui remplacée par la Cour africaine de
justice des droits de l’homme et des peuples. A ce titre, les camerounais dont les droits
fondamentaux sont bafoués peuvent saisir la Cour après épuisement des voies de recours
interne. La démocratie camerounaise s’est également bonifiée au plan formel par la codification
des règles législatives de protection.
b- La codification des règles législatives de protection
Le cadre législatif et réglementaire de protection de la démocratie s’est enrichi entre 2008
et 2011, à travers la publication d’un ensemble de lois et des décrets. Nous pouvons citer entre
autres : La loi n° 2011/024 du 14 décembre 2011 relative à la lutte contre le trafic et la traite
des personnes ; le Décret n° 2012/0638 du 21 décembre 2012 portant Organisation du Ministère
de la Promotion de la Femme et de la Famille81. Toutefois, si la démocratie camerounaise a
trouvé un écho normatif particulier pendant cette période c’est en partie à cause du mouvement
de codification qui l’a caractérisé. Deux codes ont en effet été adoptés pendant la période 2008-
2012. Il s’agit du code électoral82 et du Code général des collectivités83. Ces deux codes
participent d’une meilleure garantie de la démocratie aussi bien au plan national qu’au plan
local.
S’agissant du Code général des collectivités territoriales décentralisées, il a été adopté à
la suite du Grand Dialogue National, convoqué par les pouvoirs publics afin de mettre un terme

universelle des droits de l'homme, la charte des Nations Unies, la Charte africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées ». Autrement, toutes les
conventions internationales ratifiées dans le domaine des droits de l’homme font partie intégrante de la
constitution.
78
Selon l’article 45 de la Charte, « La Commission coordonne l’évaluation de la mise en œuvre de la Charte avec
les autres organes les autres organes clés de l’Union, y compris […], la commission africaine des droits de
l’homme et des peuples, la Cour africaine de justice et des droits de l’homme ».
79
Conformément à l’Art 49 (1) de la Charte, « Les Etats parties soumettent à la Commission tous les deux ans
[…] un rapport sur les mesures d’ordre législatif ou autre mesure appropriées prises en vue de rendre effectifs
les principes et engagements énoncés dans la présente Charte ».
80
Sur la protection de la constitution par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, lire utilement
A.D. Ntolo Nzéko, « La Cour africaine des droits de l’homme et la constitution », RFDC, 2020/1, pp.1-25.
81
Ce décret créé une nouvelle Direction de la Promotion et de la Protection de la Famille et des Droits de l’Enfant
au Ministère de la Promotion de la femme et de la famille.
82
Loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code Electoral, modifiée et complétée par la loi n°2012/017 du 21
décembre 2012.
83
Loi n°2019/024 du 24 décembre 2019.

164
à la crise anglophone qui secouait les Régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest. S’inscrivant dans
un vaste mouvement de réforme normative de la décentralisation qui est allé en s’accélérant à
partir de 200884 et dans un contexte national marqué par l’adoption d’une nouvelle boussole de
développement national85, la loi portant code général des collectivités territoriales a autant une
incidence sur la texture institutionnelle de la décentralisation, qu’elle améliore dans un
mouvement d’harmonisation86 et de codification les finances locales camerounaises87. L’une
des innovations majeures que consacre ce code en lien avec la démocratie, c’est qu’il renforce

84
Plusieurs normes régissant la décentralisation au Cameroun ont été adoptée entre 2008 et 2022. A cet égard on
peut citer de façon plus ou moins exhaustive : le décret n°2008/013 du 17 janvier 2008 portant organisation du
Conseil National de la Décentralisation ; le décret n°2008/014 du 17 janvier 2008 portant organisation du Comité
Interministériel des Services locaux ; le décret n°2008/028 du 17 janvier 2008 portant organisation et
fonctionnement du Conseil de discipline budgétaire et financière; le décret n°2008/0752/PM du 24 avril 2008
précisant certaines modalités d’organisation et de fonctionnement des organes délibérants et des exécutifs de la
Commune, de la Communauté Urbaine et du syndicat de communes ; le décret n° 2008/376 du 12 novembre 2008
portant organisation administrative de la République du Cameroun ; le décret n° 2008/377 du 12
novembre 2008 fixant les attributions des chefs de circonscriptions administratives et portant organisation et
fonctionnement de leurs services ; le décret n° 2009/248 du 5 août 2009 fixant les modalités d’évaluation et de
répartition de la Dotation Générale de Décentralisation ; les neuf (9) décrets n°2010/239 à 2010/246/PM du 26
février 2010 fixant les modalités d’exercice de certains compétences transférées par l’Etat aux Communes et
Communautés urbaines ; le décret n°2010/1734/PM du 1er juin 2010 fixant le plan comptable sectoriel des CTD ;
le décret n°2010/1735/PM du 1er juin 2010 fixant la nomenclature budgétaire des CTD ; le décret n°2011/0006/
PM du 13 janvier 2011 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’Etat aux
Communes en matière de planification urbaine, de création et d’entretien des voiries en terre ; le décret
n°2011/0005/PM du 13 janvier 2011 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’Etat
aux Communes en matière de mise en valeur des sites touristiques communaux ; le décret n°2011/0004/PM du 13
janvier 2011 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’Etat aux Communes en
matière de construction, d’équipement et de gestion des centres médicaux d’arrondissement ; le décret
n°2011/0002/PM du 13 janvier 2011 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’Etat
aux Communes en matière de formation professionnelle ; le décret n°2011/1116 du 26 avril 2011 fixant les
modalités de la coopération décentralisée ; le décret n°2011/1731/PM du 18 juillet 2011 fixant les modalités de
centralisation. Les décrets de répartition et de reversement des produits des impôts communaux soumis à
péréquation ; Le décret n°2011/1732/PM du 18 juillet 2011 portant organisation et fonctionnement du Comité
National des Finances Locales ; Le décret n° 2013/1167/PM du 14 mars 2013 fixant les modalités de commande
et de gestion des supports comptables et des valeurs de portefeuille des CTD ; Le décret n°2013/159 du 15 mai
2013 fixant le régime particulier du contrôle administratif des finances publiques ; Le décret n°2018/0002/PM du
05 janvier 2018 fixant les conditions et modalités de passation des marchés publics par voie électronique au
Cameroun ; Le décret n°2018/366 du 20 juin 2018 portant code des Marchés Publics ; le décret n°2018/449 du 01
août 2018 portant organisation du Ministère de la Décentralisation et du Développement local. Les arrêtés,
circulaire,
instruction à l’instar de l’arrêté n°00136/A/MINATD/DCTD du 24 août 2009 rendant exécutoire les tableaux types
des emplois communaux et les annexes sur l’organigramme des communes ; l’arrêté n°2012/00000178/MINFI du
30 octobre 2012 fixant les modalités d’ouverture et de gestion des caisses d’avances au sein des CTD ; l’arrêté
n°083/MINFI du 21 mars 2013 portant création, organisation et fonctionnement des postes comptables des CTD ;
la circulaire n°001/CAB/PM du 11 janvier 2008 relative à la prise en compte de la décentralisation dans les
stratégies sectorielles ; l’instruction conjointe n°0079/IC/MINATD/MINEFI du 10 janvier 2012 relative à la tenue
de la comptabilité des CTD.
85
Le Gouvernement a en effet adopté une nouvelle stratégie de développement couvrant la période 2020-2030.
Seconde phase de la vision 2035, la SND30 entend approfondir la mise en œuvre de la décentralisation à travers
la garantie de l’autonomie financière des CTD.
86
Ce Code harmonise les législations éparses et anciennes qui régissaient la décentralisation au Cameroun. A
savoir les trois lois du 22 juillet de 2004, la loi de 2009 portant fiscalité locale et la loi de 2010 portant finances
locales. Tous ces textes de loi sont rassemblés dans une seul Code, rendant leur exploitation plus aisée.
87
F.J. Nteuk, « Les mutations des finances locales à l’aune du Code Général des collectivités territoriales
décentralisées », RAFiP, n°10, 2021, p. 488.

165
le contrôle populaire de l’action locale88, en consolidant le droit à l’information du citoyen
local89.
Quant au code électoral, il est la résultante du mouvement de codification des différentes
lois antérieures régissant les élections au Cameroun engagé en 2012. Fruit du relatif consensus
politique engagé par les pouvoirs publics, le Code électoral, met ensemble les lois régissant les
élections législatives90, présidentielle, municipales91, régionales92, créée un organe chargé de la
gestion des élections93 et introduit l’approche Genre dans le processus électoral s’agissant de
l’élection des Députés à l’Assemblée Nationale, des Conseillers Municipaux et des Sénateurs.
Au total, si ce mouvement de codification, peut être perçu comme constitutif de
favoritisme au profit de l’administration dans des rapports inégalitaires94, il n’en n’est pas moins
nécessaire dans la mesure où il sécurise et fixe les rapports, dans un domaine comme les
élections qui ont la particularité de consacrer des rapports égalitaires entre les acteurs. C’est
dire qu’en codifiant le régime électoral en 2012 et en mettant ensemble les règles gouvernant
la décentralisation, le législateur a évité aux acteurs engagés dans les différentes compétitions
électorales de rechercher dans des textes épars des solutions aux problèmes engendrées tout au
long de leur déroulé. Tout comme il a amélioré la participation des populations locales à la
gestion de leurs affaires. La période 2008-2022 est également marquée par l’accroissement des
institutions garantissant la démocratie.

B- L’enrichissement du cadre institutionnel de garantie

Fondée sur le droit de chacun de participer à la gestion des affaires publiques, la


démocratie implique l'existence d'institutions représentatives à tous les niveaux et notamment
d'un Parlement, représentatif de toutes les composantes de la société et doté des pouvoirs ainsi
que des moyens requis pour exprimer la volonté du peuple en légiférant et en contrôlant l'action
du gouvernement95. La démocratie implique également l’existence des institutions locales et
régionales garantissant la démocratie à l’échelle micro. C’est en tout cas ce que reconnaissait
Alexis De Tocqueville, lorsqu’il indiquait que : « les institutions communales sont à la liberté
ce que les écoles primaires sont à la science : elles lui en font gouter l’usage paisible et
l’habitude à s’en servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner un

88
Le code consolide la budgétisation par programme à l’échelle locale et introduit le budget collaboratif. Sur ces
questions, lire : C. Njoya Yone, « La consolidation de la budgétisation en mode programme au niveau local en
droit camerounais. Regard sur le code général des collectivités territoriales décentralisées », RAFiP, n°6, second
semestre 2019, p. 191 ; G. Pekassa Ndam, « La participation avec gestion de budget : concept et enjeux d’une
gouvernance territoriale en Afrique noire francophone », in Gilles, J. Guglielmi et E. Zoller (dir.), Transparence,
démocratie et gouvernance citoyenne, Paris, édition Panthéon Assas, 2014, pp. 199-217 ; Sylvie Ngueche, « Le
contrôle citoyen des finances publiques en droit camerounais », RAFiP, n°8, second semestre 2020, pp. 173-213 ;
O. Togolo, « Le contrôle politique des finances publiques au Cameroun », RASJ, vol. 1, n°3, 2003, p.123.
89
L.C.P. NKOUAYEP, « Le droit à l’information du citoyen local en droit public financier camerounais », RAFiP,
n°3-4, 2018, p.11-43.
90
Loi n°1991-20 du 16 décembre 1991.
91
Loi n°2004/018 fixant les règles applicables aux Communes.
92
Loi n°2004/019 fixant les règles applicables aux Régions.
93
Voir infra les développements sur ELECAM.
94
P.E. Abane Engolo, « La spécificité des cadres de l’action administrative en Afrique », in M. Ondoa, P.E Abane
Engolo (dir), Les transformations contemporaines du droit public en Afrique, L’Harmattan, 2018, p. 43.
95
Art 13 de la Déclaration universelle sur la Démocratie.

166
gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de liberté »96. Entre 2008 et 2022, l’on a assisté
à une transformation du parlement à travers la mise en place effective du Sénat et de la
décentralisation par la création effective des Régions. De manière globale, l’enrichissement du
cadre institutionnel de garantie de la démocratie camerounaise pendant cette période est le fait
de la transformation du paysage des institutions en charge de la garantie non-juridictionnelle
(1) et juridictionnelle (2).

1- La transformation substantielle des institutions à compétence non-


juridictionnelle
Le paysage des institutions en charge de la garantie non-juridictionnelle de la démocratie
a connu une transformation substantielle entre 2008 et 2022. Cette transformation s’est traduite
par un réaménagement de certaines institutions (a), ainsi que la création effective des régions
et du Sénat et des instances de coordination et de régulation de la démocratie (b).
a- Le réaménagement institutionnel
La démocratie camerounaise s’est revitalisée au plan formel à travers le réaménagement
de certaines institutions. Ce réaménagement a d’abord consisté en la redéfinition du cadre
organique d’ELECAM. Il s’est traduit par la suite par le retrait du droit de vote des membres
de la Commission Nationale des droits de l’homme et des libertés (CNDHL). En fin, l’on a
assisté à une réorientation des missions du Conseil National de la Communication (CNC).
En effet, organisme indépendant chargé de l’organisation, de la gestion et de la
supervision de l’ensemble du processus électoral et référendaire au Cameroun97, ELECAM a
été créé en 2006 et n’a eu d’existence réelle qu’à partir de 2011, année au cours de laquelle il a
organisé sa première élection présidentielle. Composé d’un Conseil Electoral et d’une Direction
Générale des élections98, ELECAM a remplacé l’observatoire national des élections dont la
fonctions instrumentale en matière électorale a suffisamment été documentée. L’indépendance
de l’institution est relativement garantie par l’interdiction qui est adressée à ses membres ne
peuvent solliciter ni recevoir des ordres de personnes99.
Le cadre organique d’ELECAM a été redéfini dans le sens d’élargir la base de
représentativité de ses membres. Ainsi, à la faveur du Décret n° 2011/204 du 7 juillet 2011
fixant et complétant certaines dispositions de la loi n° 2006/011 du 29 décembre 2006 portant
création, organisation et fonctionnement d’Elections Cameroon, le nombre des membres de
cette instance, est passé de 12 à 18. Cet accroissement a permis d’intégrer les personnalités
issues de la société civile, du clergé et des partis politiques100. Tout comme avec ELECAM l’on
a assisté à une déconcentration de la gestion des élections à travers la mise en place des
délégations régionales, départementales et d’arrondissement d’ELECAM. Le rôle de ces

96
A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Gf-Flammarion, T1, Paris, 1981, p.123.
97
Art 4 (1).
98
Art 8.
99
Art 5 (2).
100
Les membres proposés par les partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale ont démissionné des partis
dont ils étaient membres avant leur prestation de serment.

167
délégations est décisif en tant que leur représentant préside dorénavant les différentes
commissions en charge de l’organisation des élections au Cameroun.
Sur un autre plan, l’institution de ELECAM s’est accompagnée de la digitalisation
partielle du processus électoral au Cameroun. Cette digitalisation partielle est le fait de la
délivrance des cartes électorales biométriques aux électeurs par ELECAM. Cette digitalisation
a consacré une relative réduction de la fraude électorale à partir de 2012 en luttant contre les
fausses identités.
Pour ce qui est de la CNDHL, le retrait du droit de vote aux représentants des
administrations publiques qui en sont membres a été consacré à l’article 15 de la loi n° 2010/04
du 13 avril 2010 modifiant et complétant la loi n° 2004/016 du 22 juillet 2004 portant création,
organisation et fonctionnement de la CNDHL. Cette modification a contribué à la ré-
accréditation au Statut « A » de la CNDHL par le Comité International de Coordination des
Institutions Nationales des Droits de l’Homme (CIC/INDH).
Enfin, créé par la loi n° 90-52 du 19 décembre 1990 relative à la Communication sociale,
le CNC a vu ses missions réorientées en 2012 à la faveur du Décret n° 2012/038 du 23 janvier
2012 qui l’a fait passer du statut d’organe consultatif à celui d’organe de régulation de la liberté
de communication sociale et de consultation doté de la personnalité juridique et de l’autonomie
financière. Le Vice-Président, le Secrétaire Général et les membres de cette institution ont été
nommés le 22 février 2013 et installés le 6 mars 2013. La garantie non juridictionnelle s’est
également améliorée par la création effective de certaines institutions
b- La création effective
La transformation substantielle du paysage des institutions à compétence non
juridictionnelle s’est poursuivi par la création effective de certaines institutions qui n’avaient
jusqu’ici une existence formelle. Nous songeons au Sénat et aux régions, créés par le constituant
de 1996. Nous songeons également à certaines instances de coordination et de régulation des
droits de l’homme.
C’est le lieu de noter que, institué par la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, le
bicamérisme camerounais était appliqué partiellement jusqu’en 2013. Pour cause, l’Assemblée
Nationale continuait à assurer les fonctions du Sénat101, dans une sorte de monocamérisme de
fait. L’effectivité du Sénat a été consacrée par l’organisation des élections sénatoriales le 14
avril 2013. L’élection des soixante-dix (70 ) sénateurs qui a été largement remportée par le
RDPC102, a été suivie par la publication du Décret n°2013/149 du 08 mai 2013 portant
nomination des trente sénateurs restant. Par cette nomination, quatre (4) autres formations
politiques que sont l’ANDP, le FNSC, le MDR et l’UNDP font leur entrée dans ladite instance,
portant à 6 le nombre de partis politiques représentés. Sur les cent (100) Sénateurs, l’on
dénombrait vingt (20) femmes et quinze (15) chefs traditionnels. Le Sénat est entré en fonction
le 14 mai 2013 lors de sa Session de plein droit103.

101
Conformément au principe de progressivité consacré par l’article 69 de la loi constitutionnelle de 1996.
102
Le RDPC a obtenu 56 sénateurs sur les 70.
103
Comité des droits de l’homme, « Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article
40 du Pacte, selon la procédure facultative d’établissement des rapports », Octobre 2016, p. 5.

168
Ainsi, la mise en place du Sénat participe de la garantie de la démocratie représentative
et locale. Car, contrairement à l’Assemblée Nationale qui représente le peuple-individu, le
Sénat représente le peuple-collectivité. C’est en tout cas ce qui transparait de l’article 20 (1) de
la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, aux termes duquel : « Le Sénat représente les
collectivités territoriales décentralisées. (2) - Chaque région est représentée au Sénat par dix
(10) sénateurs dont sept (7) sont élus au suffrage universel indirect sur la base régionale et
trois (3) nommés par le Président de la République ». Sur un autre plan, la mise en place
renforce le contrôle parlementaire de l’action du gouvernement104 et pallie définitivement la
problématique de la vacance à la présidence de la République.
Quant à la mise en place des Régions, annoncée par le constituant de 1996105, elle a été
réalisée à la faveur des élections du 06 décembre 2020. Largement remportées par le parti au
pouvoir106, ces élections, bien que critiquées par le fait qu’elles introduisaient la démocratie
dans un domaine traditionnel qui n’en avait pas cure107, ont permis de parachever le dispositif
institutionnel de promotion de la démocratie à l’échelle « locale ». En effet, jusque-là, la
décentralisation n’était mise en œuvre qu’à l’échelle communal. Il manquait l’échelon régional,
seul à même d’associer les autorités politiques et traditionnelles108 dans la réalisation du
développement régional. En outre, l’institution de la Région, venait compléter le dispositif
national de garantie de la démocratie pour deux raisons. La première c’est que, les régions font
partie du corps électoral pour la désignation des sénateurs109. Et la seconde tient à la compétence
reconnue aux exécutifs en matière de protection de la décentralisation. Ceux-ci ont en effet
compétence pour saisir le Conseil Constitutionnel lorsque les intérêts de la Région sont menacés
par ceux étatiques110. C’est dire que leur mise en place participe du renforcement du règne du
droit et de la démocratie constitutionnelle au Cameroun.
La période 2008-2012 a également été marquée par la création des instances de
coordination et de régulation. Au rang des instances de celles-ci, on peut mentionner : Le
Comité Interministériel d’Encadrement de la Prévention et de la Lutte contre le trafic des
personnes111 ; Le Comité Interministériel de suivi de la mise en œuvre des recommandations
et/ou décisions issues des mécanismes internationaux et régionaux de promotion et de

104
Sur cette question, lire Sanama Ambassa XI, « La démocratie constitutionnelle à l’aune d’un parlement
monocolore en Afrique : le cas du bénin sous la huitième législature », R.R.C, n° 023, juillet 2022, p.1-23.
105
Art 55 (1) loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
106
Le RDPC a obtenu 540 conseillers régionaux contre 141 pour l’UNDP ; 17 pour l’UDC et 02 pour le FSNC.
Tous ces partis font partie de la majorité présidentielle.
107
Au Cameroun, les chefs sont les dépositaires du pouvoir traditionnel. Leur désignation ne s’opère généralement
pas à travers les élections, mais à travers des mécanismes traditionnels qui diffèrent d’une chefferie à une autre.
En leur soumettant au rituel démocratique, l’on y a vu une tentative de dénaturation de leurs fonctions. Les
contestations post-électorales sont d’ailleurs venues confirmer le postulat selon lequel, la tradition ne
s’accommode pas de la tradition.
108
Selon l’article 243 (1) de la Loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code Electoral, Le corps électoral pour
la désignation des conseillers régionaux est composé de deux collèges électoraux. Le premier collège électoral
comprend les délégués des départements, élus au suffrage universel indirect par les conseillers municipaux. Le
second est composé des représentants du commandement traditionnel, élus par leurs pairs.
109
Art 222 (1) loi n°2012/001.
110
Art 47 (2) loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
111
Créé par Arrêté n° 163/CAB/PM du 2 novembre 2010.

169
protection des Droits de l’Homme créé par Arrêté n 081/CAB/PM du 15 avril 2011112 ; Le
Comité de pilotage et de suivi des flux migratoires113.
En fin, la démocratie camerounaise s’est enrichie au plan institutionnel à partir de 2008
par l’accroissement des organisations de la société civile chargées de la promotion de la
démocratie. Parmi celles-ci, l’une des plus représentative dans la promotion du genre en matière
politique est « More women’s in politics » du Professeur justine Diffo. La démocratie
camerounaise s’est également revitalisée par la création de certaines juridictions.

2- L’enrichissement de la garantie juridictionnelle


L’enrichissement du paysage des institutions à compétence juridictionnelle s’est opérée
par la mise en place effective des Tribunaux administratifs (a) et par la création du Conseil
Constitutionnel (b).
a- La création effective des tribunaux administratifs
La mise en place effective des Tribunaux administratifs en 2013 a été précédée par la
spécialisation des magistrats de l’ordre administratif avec l’admission pour la première fois en
2012 à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature des auditeurs de justice
administrative.
En effet, attendus114 depuis leur institution par la loi constitutionnelle du 18 Janvier 1996,
les tribunaux administratifs ont connu une maturation juridictionnelle qui a débuté en droit en
2006 et en fait à partir de 2013115. Participant en principe du rapprochement de la justice
administrative d’avec le justiciable116, les tribunaux sont des garants au Cameroun de la
démocratie élective locale et régionale, dans la mesure où leur compétence est affirmée en
matière de contentieux des élections municipale et régionale au Cameroun.
S’agissant de l’élection des conseillers municipaux et des exécutifs municipaux, leur
contentieux relève de la compétence exclusive du juge administratif. Le principe de la
compétence exclusive du juge administratif en matière d’élection locale a un fondement aussi
bien jurisprudentiel117 que législatif. Selon l’article 2 (2) de la loi de 2006 qui dispose que : «
Les Tribunaux Administratifs connaissent en premier ressort, du contentieux des élections […]
municipales »118. L’élection des conseillers municipaux et du maire peut être contestée par tout
électeur, tout candidat ou toute personne ayant la qualité d’agent du Gouvernement pour

112
La désignation des membres du Secrétariat Technique du Comité a été constatée par décision
no 014/SG/PM du 9 août 2011. Le Secrétariat a tenu sa première réunion le 13 septembre 2011
et la 7ème, le 26 juin 2013.
113
Créé par Arrêté no 103/CAB/PM du 13 septembre 2012.
114
Sur cette question, lire utilement C. Keutcha Tchapnga, « La réforme attendue du contentieux administratif au
Cameroun : à propos de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation
et le fonctionnement des tribunaux administratifs », juridis périodique n°70, avril - mai – juin 2007, pp 24-29.
115
L.M. Mekemjio Feujio, « Le droit de recours au juge administratif : ce qui a changé depuis la mise en place des
tribunaux administratifs au Cameroun », International Multilingual Journal of Science and Technology, Vol 6,
Issue 5, 2021, p. 3235.
116
O. Fandjip, « La justice administrative de proximité au Cameroun », https://doi.org/10.5771/2363-6270-
Consulté le 18 septembre 2020, p.248.
117
Décision no 27/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Ndoup Prévost c/ RDPC, MINAT et ELECAM.
118
Voir dans le même sens l’art 194 (3) de la loi n° 2012/001 du 19 avril 2012 portant Code Electoral, modifiée et
complétée par la loi n°2012/017 du 21 décembre 2012.

170
l’élection119. Les contestations font l’objet d’une simple requête et doivent intervenir dans un
délai maximum de cinq (05) jours à compter de la proclamation des résultats par la commission
communale de supervision120. La loi oblige par ailleurs le juge à statuer dans un délai de
quarante (40) jours à compter de sa saisine121.
En outre, le juge administratif a compétence pour annuler totalement ou partiellement
l’élection municipale. Quoiqu’il en soit en cas d’annulation de l’élection municipale, une
nouvelle élection a lieu dans les soixante (60) jours suivant l’annulation122. Ce qui est vrai pour
les conseillers municipaux l’est également pour les conseillers régionaux.
En effet, selon l’art 267 (1) de la loi portant code électoral, « tout électeur, tout candidat
ou le représentant de l’Etat dans la Région peut saisir la juridiction administrative compétente
sur simple requête, d’une demande en annulation totale ou partielle des opérations électorales
de la région concernée ». Le recours en contestation de l’élection d’un Conseiller Municipal
n’est pas suspensif du mandat du Conseiller régional123. En cas d’annulation de l’élection du
Conseiller régional, le collège électoral124 duquel est issu ledit conseiller est convoqué dans les
soixante (60) jours suivant l’annulation.
Au demeurant si le rôle des tribunaux administratifs est trouble et constitue une menace
à la tradition125, ceux-ci ne sont pas moins nécessaires dans l’affermissement de la démocratie
locale. Le rôle du Conseil constitutionnel ne souffre pas de la même remarque dans la garantie
de la démocratie élective nationale.
b- La mise en place effective du Conseil Constitutionnel
Annoncée de façon prophétique par la Constitution de 1996126, critiqué à sa création127,
le Conseil Constitutionnel a effectivement été mis en place en février 2018. Sa création induit
une mutation effective de la démocratie128 camerounaise à plus d’un titre.

119
Art 194 (1).
120
Art 194 (2).
121
Art 194 (3).
122
Art 195 (2).
123
Art 268 (1).
124
Le corps électoral pour l’élection des conseillers régionaux est constitué de deux collèges électoraux. Un collège
électoral pour la désignation des délégués départementaux au Conseil régional et un collège électoral pour la
désignation des représentants d commandement traditionnel au Conseil régional.
125
Il faut dire que les décisions du juge administratif peuvent être perçue comme garantissant le principe électoral
dans un monde traditionnel qui n’est pas très traditionnel des élections. Il est en effet acquis de longue date que la
chefferie ne s’accommode pas de l’élection, mais du compromis et du consensus.
126
V. Titre VII de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 (révisée le 14 avril 2008).
127
Un ensemble d’études sur le Conseil constitutionnel ont depuis sa mise en place, été publiées par des auteurs.
Sans nécessairement partager leurs opinions, il convient d’en lister quelques-unes : J.-F. Wandji, « Le juge
constitutionnel, juge ordinaire dans le contentieux électoral et non juge spécial », 18 octobre 2018, inédit ; E.
Ngango Youmbi, « Le Nouveau Conseil constitutionnel camerounais : la grande désillusion », RDP, no 5, 2019,
p. 1379- 1419 ; C.J. Akono, « La récusation des juges dans le contentieux de l’élection présidentielle devant le
Conseil constitutionnel au Cameroun », R.A.P.D, vol. III, no 23, août 2020 ; C. Tuekam Tatchum, « Le Conseil
constitutionnel camerounais, juge du contentieux des lois constitutionnelles ? », RADSP, vol. VIII, Spécial, 2020,
2e semestre, p. 261-283 ; P. Voffou et L. Djayou, « Révocation des membres du Conseil constitutionnel en droit
camerounais : Observations sous décision no 024/CE/CC/2018 du Conseil constitutionnel rendue le 15 octobre
2018 », RADP, vol. IX, no 18, janvier-juin 2020, p. 7-39.
128
D. Rousseau et A. Viala, Droit constitutionnel, LGDJ, 2004, p. 124.

171
D’abord, à travers la protection de la « démocratie électorale ». En effet, gardien des
promesses du constituant129 autant que garant de la régularité des élections nationales au
Cameroun130, le Conseil constitutionnel est une institution créée par le constituant de 1996, pour
connaitre de l’ensemble du contentieux des élections législatives, sénatoriales, présidentielle et
référendaires. Doté d’une compétence d’attribution131 à l’instar de son homologue français, le
Conseil a une compétence complétive en matière préélectorale132. S’il n’a pas compétence en
matière d’investiture des candidats133, dans le contrôle des décisions du juge ordinaire intervenu
dans le contentieux des élections nationales134, ou encore pour modifier la loi électorale après
promulgation135, il peut annuler totalement ou partiellement lesdites élections. Ses décisions ne
sont insusceptibles d’aucun recours interne. Autrement, lorsqu’il a déclaré un candidat
définitivement élu, les requérants n’ont plus une autre voie de recours interne pour contester les
élections qu’il proclame136.
Sur un autre plan, le Conseil Constitutionnel est garant de la « démocratie
constitutionnelle »137. A travers le contrôle de la constitutionnalité des lois, il participe de la
protection de la minorité parlementaire représentée par l’opposition contre les abus de la
majorité constituée par le RDPC et ses partis alliés. S’il n’est pas compétent pour annuler la loi
électorale sur saisine d’un candidat à l’élection présidentielle138, il peut le faire sur saisine d’une
minorité des parlementaires ou de l’opposition parlementaire, à condition que la saisine soit
opérée a priori139. C’est en tout cas ce que notait Kelsen, lorsqu’il affirmait que : « Si l’on voit
l’essence de la démocratie, non dans la toute-puissance de la majorité, mais dans le compromis
constant entre les groupes représentés au Parlement par la majorité et la minorité, et par suite

129
D. Kokoroko, « Les techniques de protection des droits de l’homme par le juge constitutionnel »,
http://www.courconstitutionnelle.ml, consulté le 27 Aout 2022.
130
E.C. Lékéné Donfack, E.M. Ngango Youmbi et E.W. Tsolefack Awafa, « Chronique de jurisprudence du
Conseil Constitutionnel », RFDC, N° 129, 2022, p. 207.
131
Le Conseil a rendu au cours du contentieux présidentiel de 2018 cinq décisions Bertin Kisob sur sa compétence
attributive à savoir : décision n° 20/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Bertin Kisob c/ ELECAM ; décision n°
21/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Bertin Kisob c/ RDPC et ELECAM ; décision n° 23/CE/CC/2018 du 17
août 2018, Sieur Bertin Kisob c/ ELECAM ; décision n° 25/CE/ CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Bertin Kisob c/
ELECAM ; décision n° 26/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Bertin Kisob, c/ ELECAM.
132
La haute juridiction invoque successivement les articles 43 et 47 de la loi organique 2004/004 sur l’organisation
et le fonctionnement du Conseil constitutionnel (ci-après « loi organique 2004/004 ») 27 traitant respectivement
de l’élection présidentielle et des élections parlementaires 28, dont les dispositions font de lui un juge de second
ressort en matière d’éligibilité. Il ne peut être saisi qu’après et sur base de la décision de rejet ou d’acceptation des
candidatures publiée par ELECAM. Dans l’affaire Sieur Aboubakar Kamaldine, elle souligne à propos du
contentieux de l’élection présidentielle, qu’il a pour point de départ la décision d’acceptation ou de rejet d’une
candidature par ELECAM. Voir les décisions Décision n° 11/G/SRCER/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur
Aboubakar Kamaldine c/ ELECAM ; Décision n° 04/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Sieur Ahmadou Ahidjo c/
RDPC et ELECAM.
133
Décision n° 01/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Dame Saki Lamine (RDPC) c/ RDPC et ELECAM.
134
Décision no 029/G/SRCER/CC/2018 du 17 octobre 2018, Sieur Maurice Kamto c/ ELECAM, RDPC, UDC,
FPD, ADD, MCNC, PURS.
135
Décision no 13/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Vincent-Sosthène Fouda Essomba c/ ELECAM.
136
Art 50 loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
137
Pour une étude du rapport de la démocratie à la justice constitutionnelle, lire Michel TROPER, « Justice
constitutionnelle et démocratie », dans Pour une théorie juridique de l’Etat, PUF, 1994, p. 346 ; «
Constitutionnalisme et démocratie », dans Mélanges Raymond Goy, Publications de l’Université de Rouen, 1998,
p. 150.
138
Décision n° 13/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Vincent-Sosthène Fouda Essomba c/ ELECAM.
139
Art 47 (2) de la loi constitutionnelle de 1996.

172
dans la paix sociale, la justice constitutionnelle apparait comme un moyen particulièrement
propre à réaliser cette idée ». Et de poursuivre, « La simple menace du recours au tribunal
constitutionnel peut être entre les mains de la minorité un instrument propre à empêcher la
minorité de violer inconstitutionnellement ses intérêts juridiquement protégés et à s’opposer
par-là, en dernière analyse à la dictature »140. Il est conforme de dire qu’avec l’institution du
Conseil Constitutionnel, la loi cesse d’être au Cameroun l’expression de la volonté générale
exprimée par la majorité, pour devenir « l’expression de la volonté générale dans le respect de
la constitution ».
Enfin, le Conseil Constitutionnel est garant des conditions de la démocratie. Il le fait à
l’occasion de la protection des droits et libertés fondamentaux consacrés par la constitution141.
En France par exemple, il a été amené en premier lieu à reconnaitre le caractère d’objectifs de
valeur constitutionnelle du pluralisme des quotidiens d’information politique et générale142, la
préservation du caractère pluraliste des courants d’expression socio culturels143, le pluralisme
des courants de pensée et d’opinion144 et le pluralisme des médias145. En second lieu, le Conseil
Constitutionnel a été amené à reconnaitre l’importance de la liberté d’expression dans une
démocratie en des termes qu’il importe de rappeler ici : « la liberté d’expression et de
communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie
et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés »146.
Toutefois, afin que cette garantie de la minorité contre la majorité parlementaire rentre
dans le vécu institutionnel des camerounais et que la justice constitutionnelle contribue à
l’enracinement de la démocratie constitutionnelle, il appert de réviser les règles de saisine du
Conseil. Car en l’état actuel de son fonctionnement, il ne peut être saisi que par ou avec la
collaboration des parlementaires de l’opposition. Ce qui ne s’est produit à ce jour qu’une fois147.

II- UNE EFFECTIVITE RELATIVE DE LA GARANTIE DANS LA


MATERIALISATION DE LA DEMOCRATIE

L’effectivité de la démocratie ne se résume pas au seul droit posé par les légistes148. Ce
constat vaut autant pour le droit que pour la démocratie149. L’effectivité de la règle de droit en
tant que résultante d’une opération complexe, réunissant des éléments très divers qui donnent

140
H. Kelsen, La garantie juridictionnelle de la constitution (la justice constitutionnelle), Paris, R.D.P, 1928, p.223.
141
Sur la garantie des libertés fondamentales par le Conseil Constitutionnel, lire : D. Lochak, « Le Conseil
Constitutionnel, protecteur des libertés », pouvoirs, n°13, 1986, p.41 ; V. Champeil-Desplats, « Le Conseil
Constitutionnel, protecteur des droits et libertés ?», Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, n°9,
2011, pp. 11-22.
142
Décision n°84-181 DC du 11 octobre 1984.
143
Décision n°86-217 DC du 18 septembre 1986.
144
Décision n°2004-497 DC du 1er 2004.
145
Décision n°2009-577 DC du 3 mars 2009.
146
Décision n°2010-3 QPC du 28 mai 2010.
147
J. Gicquel, « La mise en place du Conseil Constitutionnel camerounais », Presses Universitaires d’Orléans,
p.253.
148
J.R. Kedjeu de Kedjeu, « L’effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique Subsaharienne
francophone », op.cit., p. 18.
149
L. Favoreu, P. Gaïa, R. Ghevontian, F. Melin-Soucramanien, A. Pena, O. Pfersmann, J. Pini, A. Roux, G.
Scoffoni Et J. Tremeau, Droit des libertés fondamentales, Paris, D., 2016, 7e éd, p. 122.

173
au système juridique sa cohérence est soumise à des conditions150. La condition fondamentale
s’en trouve l’application réelle de la règle de droit151. Autrement, au Cameroun, si la constante
est l’énoncé du principe démocratique après 2008, il s’est agi en réalité d’une « révolution
passive » et dans une certaine mesure d’une « adaptation conservatrice »152 de l’héritage
démocratique institué avant 2008.
Quoiqu’il en soit dire que la démocratie camerounaise souffre d’une relative garantie dans
sa matérialisation, c’est reconnaitre que certaines normes anti démocratiques ont survécu dans
l’ordonnancement juridique camerounais. Consacrant de ce fait une survivance des écueils à la
garantie effective de la démocratie au Cameroun (A). Cette situation appelle l’adoption d’une
approche plurielle en vue de la revitalisation de la démocratie camerounaise en crise (B).

A- La survivance des écueils à la mise en œuvre de la démocratie

Les facteurs limitant la démocratie camerounaise par le passé ont, pour certaines, été
maintenues. Il s’agit pour l’essentiel des facteurs structurels (1) et des facteurs fonctionnels (2).

1- Les limites structurelles


Deux facteurs limitent au plan structurel la garantie accordée à la démocratie partisane
au Cameroun. Il s’agit pour l’essentiel de la dépendance des institutions en charge de cette
garantie (a) et de l’ineffectivité de certaines institutions en charge de la protection de l’égalité
des camerounais devant la loi (b).
a- La persistance d’une dépendance des institutions de garantie
Deux types d’institutions participent de la garantie de l’effectivité de la démocratie au
Cameroun. Certaines ont une compétence non-juridictionnelle, tandis que d’autres ont une
compétence juridictionnelle. Ces institutions souffrent d’un déficit criard d’indépendance.
Celle-ci consistant pour Kelsen en ce que l’organe de garantie de la démocratie ne peut être
juridiquement obligé, dans l’exercice de ses fonctions153. Le constat tient à s’appliquer au
Cameroun en ce qui concerne ‘’Election’s Cameroon’’ ou encore le Conseil Constitutionnel.
Kelsen que l’indépendance d’une institution
La relativité de la garantie non-juridictionnelle de la démocratie au Cameroun est au
premier chef tributaire de la dépendance d’’’Elections Cameroon’’ (ELECAM). Marque de
« l’Etat post-moderne »154, Election’s Cameroon (ELECAM) est un organisme indépendant155
institué par le législateur camerounais de 2006, « chargée de l’organisation, de la gestion et de

150
J.R. Kedjeu de Kedjeu, « L’effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique Subsaharienne
francophone », op.cit., p. 19.
151
R. DEGNI-SEGUI, « Etat de droit, droits de l’homme… », Contribution précitée ; J.-P. HENRY, « Vers la fin
de l’Etat de droit », RDP, 1977, p. 1211.
152
L. Sindjoun, « Présentation générale : éléments pour une problématique de la révolution passive », in L.
Sindjoun, (dir.), La révolution passive, Dakar, CODESRIA, 1999, p. 3.
153
H. Kelsen, La garantie juridictionnelle de la constitution (la justice constitutionnelle), RDP, 1928, p.213.
154
J. Chevalier, L’État post-moderne, L.G.D.J, T.35, 4èmeéd.2014, 272 p.
155
Art 1 (2) de la loi n° 2006/011 DU 29 DEC 2006 portant création, organisation et fonctionnement d’ « Elections
Cameroon » (ELECAM) et Art 4 (1) LOI N° 2012/001 du 1 9 AVRIL 2012 portant Code électoral,
modifiée et complétée par la loi n° 201 2/01 7 du 21 décembre 2012.

174
la supervision de l’ensemble du processus électoral et référendaire » dans ce pays ». A l’instar
de la plupart des autorités administratives indépendantes au Cameroun156, l’indépendance
d’ « ELECAM » est mise en mal par la dépendance de ses membres vis-à-vis du Président de
la République. En effet, bénéficiant de quelques garanties à leur indépendance au plan formel,
les membres d’ELECAM sont dépendants du Décret présidentiel duquel dépendent leur
nomination et « l’éventualité » du renouvellement de leur mandat. Selon l’article 8 (5) de la loi
de 2006, « Le mandat des membres du Conseil Electoral est de quatre (04) ans, éventuellement
renouvelable ».
Une meilleure garantie de l’indépendance de ceux-ci postulerait au-delà de leur
nomination par le Président de la République- qui n’est pas en elle-même problématique157-
leur inamovibilité totale ou partielle, par le non renouvellement de leur mandat. En consacrant
« l’éventuel » renouvellement du mandat des membres d’ELECAM, le législateur a institué une
véritable entorse à leur indépendance et à leur impartialité.
Le curseur sur la relativité de la protection de la démocratie entre 2008 et 2022 est
également mis sur le procès fait à la justice en Afrique francophone en général158 et au
Cameroun en particulier. Ce procès est fait aussi bien au juge constitutionnel qu’aux autres
juridictions de garantie, notamment le Tribunal militaire.
L’action du Conseil Constitutionnel est mitigée dans la régulation du jeu politique au
Cameroun159. Pour cause, l’indépendance de ses membres, en dehors des anciens présidents,
est mise à rude épreuve par le flou conceptuel qui gouverne leur désignation, et par la
renouvellabilité de leur mandat, introduite par le constituant de 2008. Bien plus, leurs fonctions
ne sont pas incompatibles avec l’exercice des fonctions régionales160.
S’agissant du flou notionnel, il est consacré par l’article 51 (2) de la loi constitutionnelle
de 1996, repris par l’article 7 (2) de la loi de 2004 et implicitement par la loi constitutionnelle
de 2008. Ces textes disposent que : « Les membres du Conseil constitutionnel sont nommés par
décret du président de la République et désignés de la manière suivante : Trois (03), dont le
président du Conseil, par le président de la République ; trois (03) par le président de
l'Assemblée nationale, après avis du bureau ; trois (03) par le président du Sénat, après avis
du bureau ; deux (02) par le Conseil supérieur de la magistrature »161. Si l'on peut se réjouir
du partage du pouvoir de désignation opéré ainsi par le législateur pour des raisons d'équilibre

156
Sur les réticences à l’indépendances des autorités administratives camerounaises, lire P.E. Abane Engolo, « La
spécificité des cadres de l’action administrative au Cameroun », in M. Ondoa et P.E Abane Engolo (Dir.), Les
transformations contemporaines du droit public en Afrique, op.cit., p. 52.
157
Kelsen pense que ce n’est pas le mode de désignation des juges qui garantit leur indépendance, mais leur
inamovibilité. H. Kelsen, La garantie juridictionnelle de la constitution (la justice constitutionnelle), op.cit., p.213.
158
F. J. Aïvo, « Contribution à l’étude de la garantie juridictionnelle des droits fondamentaux », http://afrilex.u-
bordeaux4.fr/articles.html; consulté le 19 novembre 2021, 12 : 10, p. 2 ; J. Du Bois De Gaudusson, « Le statut de
la justice dans les Etats d’Afrique francophone », AC, 1990, 4e trimestre, p. 6.
159
C. Sietchoua Djuitchoko, « Le degré de régulation constitutionnelle dans les Etats d’Afrique noire francophone
depuis les transitions démocratiques », Revue de droit international et de droit comparé, n°1, 2008, p.81.
160
L’art 253 (2) de la loi portant code électoral ne consacre pas cette incompatibilité.
161
Art 7 (2) Loi n°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel.

175
politique162, l’on ne peut pas se refuser de constater les ambiguïtés statutaire qu’elle consacre163.
Se pose dès lors la question, tant juridique que sémantique, de l'utilisation des notions de
désignation et de nomination dans la même phrase : « les membres du Conseil constitutionnel
sont nommés par le Président de République et désignés de la manière suivante », le paragraphe
2 de l'article 51 de la loi du 18 janvier 1996. Cet article pose le principe d'une désignation suivie
d'une nomination.
Selon M. Alban Coulibaly qui a constaté cette même figure de style dans la loi ivoirienne
du 6 juillet 1995 instituant le Conseil constitutionnel, « la question est de savoir s'il s'agit d'une
tautologie dans l'interprétation de ces deux notions qui, au demeurant, sont interchangeables
selon Littré ou bien s’agit-il de ces notions aux contours clairs obscurs qui induisent des
interprétations juridiques divergentes selon la signification qu'on veut bien leur faire dire »164.
Et de fait, si la nomination tout comme la désignation suppose une autonomie de décision de la
part de la personnalité investie de ce pouvoir, il n'empêche que la juxtaposition des deux termes
- désignation suivie d'une nomination - « peut engendrer des spéculations, voire des
transactions douteuses, de nature à subodorer une certaine collaboration de fait »165 entre le
Président de la République et les autres autorités investies du pouvoir de désignation des
conseillers. Rien n'empêche en effet la doctrine de penser que le paragraphe 2 de l'article 51
introduit une subordination du pouvoir de désignation des présidents de l'Assemblée nationale
et du Sénat par rapport à celui de nomination du Président de la République166.
S’agissant de la durée du mandat des conseillers, s’inscrivant à rebours de la pratique
étrangère, et des dispositions constitutionnelles antérieures167, le législateur camerounais en
conformité avec le constituant de 2008, a fait passer le mandat des Conseillers, de neuf (09) ans
non-renouvelables168 à six (06) ans éventuellement renouvelables en 2012169. Cette révision ne
se pose pas sans limiter durablement l’impartialité des membres du Conseil constitutionnel.
Leur impartialité est d’autant plus menacée que leur mandat est dorénavant inférieur à celui du
Président de la République qui est passé de cinq (05) ans à sept (07) ans en 2008. Nul doute
que cette révision visait à assurer une dépendance des conseillers. Cette considération est
légitimée par la consécration de « l’éventualité » de la renouvelabilité du mandat des
conseillers. Car on voit mal comment le Président élu renouvèlerait le mandat du conseiller qui
par « révolution du prétoire » se serait montré peu favorable à sa réélection.

162
J-L Atangana Amougou, « La constitutionnalisation du droit en Afrique : l'exemple de la création du conseil
constitutionnel camerounais », A.I.J.C, 19-2003, 2004, p. 53.
163
Méissa Diakhaté, « Les ambiguités de la juridiction constitutionnelle dans les Etats de l’Afrique noire
francophone », R.D.P, n°3, mai 2015, pp.786.
164
A. Coulibaly, « Aperçu sur le Conseil constitutionnel ivoirien ». R.I.P, n° 1, Janvier-Avril 1998, p. 94.
165
IBIDEM.
166
J-L. Atangana Amougou, « La constitutionnalisation du droit en Afrique : l'exemple de la création du conseil
constitutionnel camerounais », op.cit., p. 53.
167
Notamment l’art 51 (2) de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
168
Art 51 (1) loi constitutionnelle n°96-06 du 18 janvier 1996, modifié par l’art 51 (nouveau) de la loi n°2008/001
du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant
révision de la constitution du 02 juin 1972 Loi n°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement
du Conseil constitutionnel.
169
Selon l’art 7 (1) (nouveau), « le Conseil Constitutionnel comprend onze (11) membres désignés pour un mandat
de six (06) ans éventuellement renouvelables ».

176
Ces « malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun »170, sont accentués par la
compatibilité des fonctions des conseillers avec les fonctions régionales171. Autrement, il est
possible pour les membres du conseil constitutionnel d’exercer une fonction politique.
Au demeurant, la dépendance des membres du Conseil Constitutionnel autoriserait
l’attitude des juges lors des dernières élections présidentielles. Ce dernier s’inscrivant dans une
logique ancienne consacrée par le juge administratif de la Cour Suprême172, considère des actes
rattachables à l’élection comme des actes de gouvernement qui échappent à sa compétence ou
qui lui sont interdits173. Une attitude audacieuse du juge aurait permis, dans un contexte où il
n’existe pas de contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, de dépouiller
l’ordonnancement juridique de telles normes illégales. Cette attitude du Conseil constitutionnel
contraste avec celle de son homologue français. L’on se souvient que la mise en place du
constitutionnel français a consacré une réduction du domaine des actes de gouvernement174.
Enfin, la garantie juridictionnelle est entachée par la dépendance du tribunal militaire dont
la compétence continue d’être retenue dans le jugement des civils notamment des acteurs
politiques. Sans que cela ne soit le monopole du Cameroun175, le jugement des civils par les
juridictions militaires y occupe ces dernières années une proportion préoccupante. La situation
est d’autant plus préoccupante que l’essentiel des personnes jugées, est constitué des leaders
politiques et des activistes de la sécession dans les Régions du Nord-Ouest176.
Notons que jugement des civils par les juridictions militaires, est en effet prohibé de
manière péremptoire par les instances internationales de protection des droits de l’homme,
notamment la Commission africaine et le Comité onusien177. Qu’il suffise à ce propos de
rappeler les termes de la décision de la Commission africaine dans l’affaire Titanji Duga

170
C. Momo, « Heurs et malheurs de la justice constitutionnelle au Cameroun », Juridis-périodique, n°64, p.49 et
ss.
171
Selon l'alinéa 2 de l'article 47 : « les présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil constitutionnel
lorsque les intérêts de leur région sont en cause » et selon l'alinéa 3 du même article, « Avant leur promulgation,
les lois ainsi que les traités internationaux peuvent être déférés au Conseil constitutionnel par le Président de la
République. . .les Présidents des exécutifs régionaux conformément aux dispositions de l'alinéa 2 ci-dessus ».
172
CS/CA, Jugement n°66/ADD du 31 mai 1979, Kouang Guillaume-Charles C/ Etat du Cameroun ; CS/CA,
Jugement n°7/79-80 du 29 novembre 1979, Essomba Marc Antoine C/ Etat du cameroun.
173
Dans la troisième affaire Sieur Kisob Bertin refusé d’opérer un contrôle de constitutionnalité du décret no
2018/391 du 9 juillet 2018 portant convocation du corps électoral en vue de l’élection du président de la
République, au motif qu’il s’agirait moins, d’un « acte de gouvernement » non susceptible de recours ; et à tout le
d’un « acte administratif » qui ne relève pas de sa compétence. Cette solution semble en apparence avoir été
contredite dans l’espèce Joshua Mabangi où la haute juridiction opère un contrôle implicite du décret de
convocation en concluant que : « c’est en respect de la loi fondamentale, que le président de la République a
convoqué le corps électoral par décret no 2018/391 du 9 juillet 2018 en vue de l’élection présidentielle ». V.
Décision no 30/CE/CC/2018 du 18 octobre 2018, Joshua Mabangui Osih et Décision no 22/CE/CC/2018 du 18
août 2018, Sieur Antoine de Padoue Ndemmanu c/ ELECAM, État du Cameroun (MINAT).
174
Sur cette question, lire B. Stirn, « Constitution et droit administratif », Dalloz, 2012/4 N° 37, pp 5-19
175
Au Liban par exemple, 14 personnes ont été jugées par le Tribunal militaire pour avoir protesté contre
l’incapacité du Gouvernement à résoudre une crise dans la gestion des ordures ménagères. Voir Rapport 2017 de
Human Rights watch.
176
Les développements sur ces crises seront effectués en leur temps dans les lignes qui vont suivre.
177
Dans ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique du Cameroun, le Comité des droits
de l’ONU se prononçant sur la situation dans les régions anglophones du pays, s’est en effet préoccupé par la loi
n°2014/028 du 23 décembre 2014, portant répression des actes de terrorisme. Une disposition de cette loi
introduisant de l’avis du Comité, « des dispositions contraires aux garanties fondamentales de la personne et la
compétence des tribunaux militaires, y compris sur les civils ».

177
Ernest178. La Commission notait que, « Sur la violation alléguée du droit d’être jugé par un
tribunal impartial, la Commission note qu’elle a déjà constaté le caractère péremptoire de la
prohibition faite aux juridictions militaires de juger des personnes civiles ». Pour la
Commission, cette prohibition est « fondée principalement sur le défaut d’impartialité et
d’indépendance inhérent aux tribunaux militaires lorsqu’ils ont compétence pour juger les
civils ». Cette circonstance est attribuable à la lenteur dans la mise en place des réformes en
matière de garantie des droits de l’homme, prescrite par le principe de progressivité.
En continuant de faire juger les civils par les militaires, les autorités camerounaises
consacrent une véritable entorse à l’Etat de droit et méconnaissent par le même coup le principe
d’égalité. Cette considération est apodictique lorsque l’on sait que les civils ne bénéficient pas
des garanties qui leurs seraient dues par le juge civil, devant le Tribunal militaire179. En principe,
le juge militaire devrait juger les militaires ou les personnes poursuivis des infractions avec port
des insignes ou du matériel militaire. En quoi des manifestants pourraient-ils être assimilables
à de telles personnes ? Il est nécessaire de réviser l’arsenal normatif camerounais afin de le
conformer aux normes internationales de garantie. Tout comme il faut rendre effectif le
dispositif institutionnel garantissant l’égalité des camerounais devant la loi.
b- L’ineffectivité des organes de garantie
L’ineffectivité de certains organes de garantie des principes démocratiques au Cameroun
est due au principe de progressivité consacré par le constituant camerounais est perceptible à
un double niveau. Ce principe consacré par le constituant signifie qu’on adopte un rythme lent
dans la mise sur pied des organes chargés de garantir l’égalité des camerounais devant la loi et
la culture de la reddition des comptes.
Notons que, affirmée par l’art 1 (2) de loi la constitutionnelle du 18 janvier 1996, l’égalité
des camerounais devant la loi trouve du mal à s’appliquer dans les faits du fait de la non-
concrétisation des institutions chargées de juger certains représentants du peuple, notamment
le Président de la République. En effet, instituée en 1960180, transformée en Haute Cour
Fédérale de Justice181, la Haute Cour de Justice a été réinstaurée par le Constituant de 1996.
Selon l’article 53 de la loi constitutionnelle n°96-06, « La Haute Cour de Justice est compétente
pour juger les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions par : Le Président de la
République en cas de haute trahison ; Le Premier Ministre, les autres membres du
Gouvernement et assimilés, les hauts responsables de l’administration ayant reçu délégation
de pouvoirs en application des articles 10 et 12 ci - dessus, en cas de complot contre la sûreté
de l’Etat ». A ce jour, cette juridiction n’a pas vu le jour. En l’absence d’une telle effectivité,
on se serait attendu à ce que les compétences du Conseil constitutionnel furent étendus en la
matière comme c’est le cas dans d’autres pays africains notamment. Une telle extension de

178
Communication 287/04- Titanji Duga Ernest (pour le compte de Cheonumu Martin (et autres) c/ Cameroun.
179
G. Giudicelli-Delage, « Juridictions militaires et d'exception : perspectives comparées et internationales rapport
général garanties procédurales et droit au recours », Pédone, n° 29, 2007, p 242.
180
Voir l’art 44 de la constitution du 04 mars 1960 et l’Ordonnance n° 60-56 du 7 mai 1960 Portant loi organique
sur la Haute Cour de Justice.
181
Art 36 de la loi n°61-24 du 1er Septembre 1961, Loi n° 61-24 du 1er septembre 1961, portant révision
constitutionnelle et tendant à adapter la constitution actuelle aux nécessités du Cameroun réunifié.

178
compétence aurait été facilité par le principe de progressivité constitutionnelle consacré par le
constituant de 1996.
Sur un autre plan, la démocratie d’accompagne d’une culture de réddition des Comptes
de la part des dirigeants démocratiquement élus. Ce n’est pas le cas au Cameroun. Pour cause,
la Commission de réception de la déclaration des biens et des avoirs de la part des autorités
étatiques instituée par la loi n°003/2006 du 25 avril 2006 relative à la déclaration des biens n’a
pas vu le jour depuis sa création. Censée lutter contre l’enrichissement illicite et garantir le vœu
du constituant de 1996, la Commission reçoit la déclaration des biens et avoirs faite par les
autorités gouvernementales182, ainsi que les autres acteurs intervenant dans la gestion des
deniers publics183. La non création de cette Commission en même temps qu’elle consacre une
croissance des privilèges des gouvernants à travers une montée en puissance de la corruption et
traduit l’absence de transparence des dirigeants, autorise un constat, c’est que, le constituant de
1996 aurait adopté l’article 66 « au bout des lèvres, sans vraiment y croire, ni être déterminé à
la rendre effective »184.
Enfin, la démocratie ne s’accommode pas du jugement des citoyens ordinaires par des
juridictions d’exception.
Ce principe débouche sur la non création des institutions nécessaires à la garantie de
l’héritage démocratique. Il en est ainsi de la Haute Cour de justice et de la Cour de Sureté de
l’Etat, censés protégés l’égalité des camerounais devant la loi.

2- Les limites fonctionnelles


Le fonctionnement de la démocratie camerounaise est aujourd’hui entaché par plusieurs
limites dont les marqueurs sont constitués pour l’essentiel par la confiscation du pouvoir par
une élite vieillissante (a). Cette confiscation du pouvoir est en partie à l’origine de la résurgence
des crises sociales et politiques (b).

182
Selon l’article 2 (1) de la loi de 2006, «Sont assujettis à la déclaration des biens et avoirs, conformément aux
dispositions de la présente loi : - le Président de la République ; - le Premier ministre ; - les membres du
gouvernement et assimilés ; - le Président et les membres du Bureau de l'Assemblée Nationale ; - le Président et
les membres du Bureau du Sénat ; - les députés, les Sénateurs ; - tout détenteur d'un mandat électif ; - les
Secrétaires généraux de ministères et assimilés ; - les directeurs des administrations centrales ; - les directeurs
généraux des entreprises publiques et parapubliques ; - les Magistrats ; - les personnels des administrations
chargées de l'assiette, du recouvrement, du maniement des recettes publiques et du contrôle budgétaire ; - tout
gestionnaire de crédits et de biens publics ».
183
Selon l’art 2 (2) « Sont également assujettis à l'obligation de déclaration des biens et avoirs : le président du
Conseil Economique et Social ; les ambassadeurs ; les recteurs d'universités d'Etat ; les délégués du
gouvernement auprès de certaines municipalités ; les présidents des conseils d'administration des établissements
publics et des entreprises du secteur public et parapublic ; les gouverneurs de province et les préfets ; les
présidents des commissions des marchés publics ; les présidents des chambres consulaires ; - les chefs de projets
bénéficiant de financements extérieurs et/ou de subventions de l'Etat ; les responsables des liquidations
administratives et judiciaires ; les responsables des établissements publics administratifs et des sociétés à capital
public jusqu'au rang de directeur ; les responsables des administrations centrales ayant rang de directeur
d'administration centrale »
184
M.S.J. Mgba Ndjié, La lutte contre l’enrichissement illicite, Mémoire de DEA, Université des Yaoundé 2-Soa,
2008, p. 35.

179
a- La confiscation du pouvoir par une élite vieillissante
La confiscation du pouvoir est actée aussi bien par l’élite partisane, que par l’élite
gouvernementale, dont le niveau de vieillissement est suffisamment avancé. Cette confiscation
se traduit par la restriction de l’initiative référendaire, le recours aux investitures dans les partis
politiques, l’extension du mandat des élus, toutes choses qui débouchent sur une oligarchisation
de la société camerounaise, par une montée en puissance des privilèges et une généralisation de
la corruption, dans un contexte politique marqué par le fait majoritaire.
Au Cameroun, il n’existe que de référendum d’initiative présidentielle. Cette situation est
regrettable dans un pays où, du fait de la décentralisation, on se serait attendu à l’institution
d’un référendum d’initiative locale. Sur un autre plan, la consécration du suffrage universel à
un tour pour l’élection présidentielle pose un problème de représentativité du peuple.
Autrement, si l’actuel Président a toujours été élu par une majorité confortable, il n’en demeure
pas moins que le risque de voir un Président de la République être investi par une minorité de
camerounais existe. Car, on n’est pas loin de voir un Président de la République être investi par
moins de 10% des camerounais. En tout cas rien dans l’énoncé de la Constitution ne l’interdit.
Tout comme il n’est pas impossible de voir un président de la République être élu au premier
tour avec moins de cinquante pour cent de suffrage, quand bien même l’écart avec le deuxième
serait très serré185.
Le pouvoir en place confisque également le pouvoir en recourant aux révisions
constitutionnelles orientées à des fins de pérennisation du Président de la République en place,
lorsqu’il ne décide pas simplement de proroger le mandat des élus comme ce fût le cas
récemment en 2019186.
La confiscation du pouvoir est également actée par les partis politiques qui préfèrent les
investitures aux primaires au moment du choix des candidats aux différentes élections. Ce
constat vaut autant pour le RDPC187 que pour les partis de l’opposition. C’est en tout cas ce que
notait le quotidien gouvernemental « Cameroon Tribune ». Celui-ci affirmait en 2020 que, «
Investiture. C’est le mode de sélection de candidats adopté par le Rassemblement démocratique
du peuple Cameroun. Ce parti politique a en effet décidé de désigner après étude de dossier,
ses candidats pour les élections régionales (….). Au sein du parti camerounais pour la
Réconciliation nationale (PCRN), on parle de « primaires d’arrondissement ». Pour son
Président National, l’Hon. Cabral Libii, cette approche vise non seulement à prendre en

185
Ce fût le cas en 1992 entre le candidat P. Biya et John Fru Ndi. Le premier ayant obtenu 40 % des suffrages et
le second un peu plus de 36%.
186
L’article 1 du décret n°2019/378 du 15 juillet 2019 consacre une double prorogation du mandat des Conseillers
Municipaux en cas termes : « Le mandat des Conseillers Municipaux élus lors du scrutin du 30 septembre 2013,
précédemment prorogé de douze (12) mois par le décret n°2018/406 du 11 juillet 2018, est prorogé jusqu’au 29
Février 2020 ».
187
Voir entre autres, les circulaires N°001/RDPC/PN du 05 novembre 2019 relative aux opérations d’investiture
des candidats du RDPC à l’élection des Députés à l’Assemblée Nationale du 09 Février 2020 et
N°001/RDPC/CC/SG du 13 Février 2020 pour l’investiture des exécutifs municipaux ;

180
compte la composante sociologique du Département, mais d’implémenter la décentralisation
dans le choix des candidats »188.
Sur un autre plan, d’abord muselée puis divisée, l’opposition camerounaise peine
aujourd’hui à coaliser. Cette absence de consensus entre les leaders de l’opposition en même
temps qu’elle traduit la réalité de l’état stationnaire189, atteste de l’absence de culture
démocratique de la part des acteurs majeurs du processus démocratique au Cameroun, dans un
contexte politique où la liberté de suffrage est limitée par l’absence de candidature
indépendante190. Ce faisant qu’elle consacre une entorse au bon déroulement du jeu
démocratique dans ce pays.
Qu’il s’agisse des investitures ou des primaires d’arrondissement, le choix des
responsables au sein de la plupart des partis politiques camerounais, consacre une exclusion de
la base au profit du sommet.
b- La persistance des crises politiques et sociales
Plusieurs crises politiques et sociales ont éprouvé la démocratie camerounaise de 2008 à
2022. Ces crises qui sont pour l’essentiel dues à un problème de représentation et de prise en
compte des besoins de la population par l’élite gouvernante ont connu pour certaines une
exacerbation entre 2008 et 2022. Il s’agit pour l’essentiel de : la sécession dans les régions
anglophones, les mouvements des enseignants (OTS) en 2021, la grève de la faim de 2008, les
manifestations du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun à la suite de la proclamation
de l’élection présidentielle de 2018 et les scandales de corruption.
S’agissant des leaders d’opposition, il s’agit des leaders du Mouvement pour la
Renaissance du Cameroun qui ont été embastillés à la suite de la crise postélectorale qui a suivi
la proclamation de l’élection présidentielle de 2018 et dont le leader de ce parti affirmait qu’elle
lui avait été volée. Au lendemain de l’élection présidentielle, le leader de ce parti, le Professeur
Maurice Kamto, avait d’abord été arrêté, et avait passé neuf mois en prison avant d’être libéré.
Quant aux autres leaders, arrêtés le 22 septembre 2020, ces derniers avaient été jugés coupables
par le Tribunal militaire les 27191 et 28 décembre 2021. La lourdeur des peines infligées à
certains leaders de cette formation politique notamment au Pr Alain Fogué et Bibou Nissack192
ne peut s’expliquer que par la nature de la juridiction devant laquelle ils étaient attraits en
jugement.
Quant à la crise anglophone, encore appelée guerre civile d’Ambazonie, il s’agit d’un
conflit armé opposant le Gouvernement du Cameroun à des groupes séparatistes au Nord-ouest
et au Sud-ouest du pays193. Déclenchée en 2016, cette crise initialement basée sur des

188
Cameroon Tribune, « Candidatures aux régionales : l’épreuve de la sélection » https://www.cameroon-
tribune.cm/article.html/34965/en.html/candidatures-aux-régionales-lepreuve-de-la-selection, consulté le 04
septembre 2022, p
189
F. Eboko et P. Awondo, Cameroun : l’Etat stationnaire, Politique Africaine, 2018/2, n° 150, Dossier Spécial.
190
Sur la candidature indépendante, lire C.E. Lekene Donfack, « La candidature indépendante et la liberté de
suffrage en droit camerounais », RASJ, vol 1, n°1, 2000, pp. 21-52.
191
Une trentaine de militants avait été jugée par le tribunal militaire pour des peines qui allaient de six (06) mois
à deux (02) ans.
192
Ces deux leaders ont écopé chacun une peine de sept ans d’emprisonnement ferme
193
M-E Pommerolle et H.de.M. Heungoup, « The anglophone crisis : a cameroon postcolony, African affairs 116,
464, 2017, p. 528.

181
revendications corporatistes des avocats et des enseignants a basculé progressivement vers des
revendications sécessionnistes fortes en raison des réponses jugées insuffisantes du
gouvernement camerounais194. Puisant ses causes historiques dans la question fédérale195, cette
crise a pour fondement vraisemblable la lutte pour l’hégémonie que se livrent les divers groupes
ethniques pour le contrôle du pouvoir politique au Cameroun196. A ce jour, cette crise qui trouve
également sa source dans le sentiment qu’éprouvent les anglophones depuis la proclamation de
l’élection présidentielle de 1992, a causé un important bilan humain197. A date, plusieurs
décisions ont été rendues par les tribunaux militaires et condamnant les sécessionnistes. La
première vague des condamnations est intervenue le 07 septembre 2021. Elle concernait les
personnes présumées d’avoir incendié l’école « mother francisca international ». Ces activistes
ont été condamnés à mort par le Tribunal militaire de Buéa. La seconde vague des
condamnations a été actée par le tribunal militaire contre Sisiku Julius Ayuk Tabé et ses neufs
co-accusés au rang desquels figurait un ancien magistrat198. En effet, arrêtés en janvier au
Nigéria puis extradés au Cameroun, Sisuku ayuk Tabe président auto proclamé de la pseudo
république d’ambazonie et ses coéquipiers avaient été extradés au Cameroun pour y être jugés.
Il leur était reproché d’être les cerveaux des rebelles qui ont pris les armes pour réclamer
l’indépendance des Régions du Nord-ouest et du Sud-ouest du Cameroun. Après une première
condamnation en aout 2019 par le Tribunal militaire, ceux-ci avaient vu leur condamnation à
vie être confirmée par la Cour d’Appel du Yaoundé. Bien que fondé199 par le droit camerounais,
le jugement des sécessionnistes par ces juridictions d’exception s’inscrit en contradiction avec
le droit international des droits de l’homme et aux instruments internationaux protégeant les
droits de l’homme, auxquels le Cameroun est partie.
Enfin, la démocratie camerounaise a été marquée par des scandales de corruption ces
dernières années. L’une des plus récentes a été l’affaire Glencore. Ce groupe anglo-suisse
spécialisé dans le négoce de matières premières, déclare avoir versé des pots-de-vin pour sept
(07) milliards de francs CFA à la Société Nationale des hydrocarbures et à la Société Nationale
de Raffinage. Avérées ou non, ces révélations attestent du malaise profond à suffisance de la
crise profonde qui continue de traverser la démocratie camerounaise et qui appelle l’adoption
des solutions plurielles.
Au total, si la nomination des membres du Conseil Constitutionnel ne pose pas en elle-
même un problème200, l’inconfort statutaire dans lequel ils sont plongés du fait de la
renouvelabilité de leur mandat, en fait des bouches qui proclament la réélection du Président de
la République en place. Il est important, en vue de revitaliser la démocratie camerounaise de
faire cesser cet état du droit.

194
M. Razafindrakoto et F. Roubaud, « La crise anglophone au Cameroun : frustrations politiques et défiance à
l’égard des autorités politiques », op.cit., p. 3.
195
C.E. Lekene Donfack, « Le renouveau de la question fédérale au Cameroun », Penant, n° 826, 1995, pp. 30-61.
196
A.D. Olinga, « La question anglophone dans le Cameroun d’aujourd’hui », RJPIC, 1994, p. 292.
197
Entre 800 à 1000 morts à partir de Février 2020.
198
M. Razafindrakoto et F. Roubaud, « La crise anglophone au Cameroun : frustrations politiques et défiance à
l’égard des autorités politiques », DT/2018-10, p. 3.
199
Loi n°2014/028 portant répression des actes de terrorisme.
200
Lire à ce propos, H. Kelsen, « La garantie juridictionnelle de la constitution, la justice constitutionnelle »,
op.cit., p. 225.

182
B- La nécessité d’une approche plurielle en vue d’une revitalisation de la démocratie
camerounaise en crise.

La crise que traverse la démocratie camerounaise depuis 2008 autorise l’adoption de deux
formes de mesures en vue de sa revitalisation. La première consiste en la révision consensuelle
du code électoral (1). La seconde concerne le renforcement du cadre institutionnel de promotion
et de protection de la démocratie (2).

1- La réforme consensuelle du code électoral


Adopté en 2012 à la suite du dialogue de sourds qui s’est établi entre l’opposition et le
Gouvernement et à la suite des élections toujours contestées, le Code électoral camerounais,
n’a pas rallié tous les suffrages positifs à ce jour. En fait au lieu d’instaurer la sérénité et la
confiance dans le processus électoral, ce code a au contraire renforcé la défiance à l’égard du
système électoral national au sein de la classe politique et de l’opinion, en raison de l’absence
de consensus lors de sa préparation et de son vote. Sa révision doit associer tous les acteurs
politiques, notamment : le Gouvernement, les partis politiques, la société civile, les partis
politiques, les représentants des partis politiques et les collectivités territoriales décentralisées,
les membres du parlement.
Cela étant l’une des solutions à la crise électorale qui traverse le pays depuis la
proclamation de l’élection présidentielle de 2018 consisterait en la révision de ce code
électoral201, qui semble partiellement en désuétude avec les attentes des entrepreneurs
politiques au Cameroun. Cette révision doit prendre en compte outre la modification du cadre
matériel des élections (a) le renforcement de la garantie des libertés en périodes électorales (b).
a- La modification du cadre matériel des élections
L’une des solutions à la crise électorale qui traverse le pays depuis la proclamation de
l’élection présidentielle de 2018 consiste en la réforme du cadre opérationnel des élections202.
Cette réforme intègre la modification de certaines règles régissant la préparation, le
déroulement et la proclamation des élections au Cameroun.
La première concerne les conditions de soumission d’un texte ou d’une question au
référendum. La révision du code électoral doit consacrer la possibilité pour un million de
camerounais ou un millier d’élus locaux d’initier une réforme référendaire. Les référendums
d’initiative populaire ou locale peuvent permettre davantage d’associer le peuple-individu ou
le peuple-collectivité à la prise des décisions concernant les grands enjeux du pays. Par ces
référendums, l’on pourrait apporter des solutions à la crise anglophone.
La deuxième réforme doit porter sur le vote biométrique. Il faut dire que partiellement
introduite en ce qui concerne la délivrance des cartes électorales, la biométrique n’a pas pu à ce
jour extirper la fraude électorale du processus électoral. Cette introduction du vote biométrique

201
A.D Ntolo Nzéko, « Les solutions aux contestations des élections politiques nationales dans les Etats d’Afrique
noire francophone », RFDC, n°124, 2020, p. 968.
202
A.D Ntolo Nzéko, « Les solutions aux contestations des élections politiques nationales dans les Etats d’Afrique
noire francophone », RFDC, n°124, 2020, p. 968.

183
devrait s’accompagner de l’amélioration de la couverture internet dans les villes et villages. Le
numérique doit également être utilisé pour publier les listes et les résultats.
Les autres réformes concernent l’instauration du bulletin unique, l’interdiction de
l’installation des bureaux de vote dans les casernes, les camps militaires, les services centraux
ou déconcentrés de la police ; l’amélioration du financement des partis politiques, à travers le
renforcement du contrôle du financement des partis politiques et le plafonnement des fonds
investis par chaque parti engagé dans une élection.
La réforme du code électoral doit également s’opérer par la consécration de l’approche
jeune. Le code devra clairement obliger les partis politiques engagés aux différentes
compétitions électorales d’intégrer un pourcentage des jeunes dans leurs listes. Cette nouvelle
approche participera à coup sûr du rajeunissement de la classe dirigeant du pays.
b- La modification des règles régissant les libertés en période électorale
Une meilleure garantie des libertés pendant les élections passe par une modification des
règles régissant la liberté de communication en période électorale.
La première concerne le temps d’antenne pour les candidats aux élections. La réforme du
Code électoral doit intégrer une meilleure répartition du temps d’antenne entre les candidats à
l’élection et une bonne couverture dans les médias à capitaux publics pendant la campagne
électorale.
La seconde a trait aux règles régissant la propagande politique par les affiches. La dernière
élection présidentielle a permis de noter un traitement disproportionné des candidats engagés à
cette élection. En effet, le RDPC a utilisé la presque totalité des espaces publics et loué la
majeure partie des espaces privés. Cette situation en même temps qu’elle a consacré une
concurrence déloyale de ce parti doit cesser afin que l’égalité de scrutin sorte de son enseigne
décorative pour se transformer en une véritable réalité dans le jeu politique au Cameroun. Ceci
appelle sans doute un renforcement du dispositif institutionnel encadrant les élections au
Cameroun.
2- Le renforcement du cadre institutionnel de protection de la démocratie
Plusieurs solutions peuvent être envisagées pour revitaliser la démocratie camerounaise.
Celles-ci concernent aussi bien le renforcement de l’indépendance et des missions des instances
de garantie (a) que le parachèvement de la mise en place des institutions prévues par le
constituant de 1996 (b).
a- Le renforcement de l’indépendance et des missions des instances de garantie
La consolidation et l’affermissement de la démocratie camerounaise sont tributaires d’une
réorganisation des institutions intervenant dans le processus démocratique. Il en est ainsi des
différentes commissions électorales, de la structure de ELECAM et du Conseil Constitutionnel.
Au premier chef, le recrutement des représentants régionaux, départementaux et
d’arrondissement d’ELECAM, qui président les différentes commissions de vote, ne doit plus
être l’exclusivité du Directeur Général des élections203. Il doit se faire sur la base d’un appel à

203
Art 29 (1) code électoral.

184
candidature par une commission comprenant outre les représentants des partis politiques, les
membres d’ELECAM, les représentants de la société civile et les membres du Gouvernement.
Quant au top management d’ELECAM, son organisation ainsi que le choix de ses
membres doivent prendre en compte des règles de transparence et consacrés des gages
d’indépendance et d’impartialité suffisants. A ce titre, il devrait être consacré la possibilité de
l’élection du Président et du Vice-président du Conseil électoral d’ELECAM par les membres
du conseil électoral dont la composition devrait consacrer un accroissement des représentants
des partis politiques et de la société civile au détriment de ceux du gouvernement204. Tout
comme, le Président et le vice-président du Conseil devrait appartenir à des représentations
différentes. En outre, le mandat des membres de ELECAM doit être modifié. Ceux-ci doivent
être désignés pour un mandat non renouvelable. Car c’est cette renouvelabilité qui pose
aujourd’hui problème quant à l’indépendance de ceux-ci.
Sur un autre plan, le Directeur Général des élections, organe exécutif d’ELECAM, doit
dorénavant être choisi parmi les camerounais réputés pour leur compétence, leur intégrité
morale, leur neutralité, leur moralité, leur sens du patriotisme et n’ayant aucune affiliation
politique avec aucun parti depuis au moins cinq ans. Ceci évitera tout soupçon de partialité à
l’égard de ce dernier.
S’agissant enfin du Conseil Constitutionnel, sa saisine doit être élargie en matière de
liberté politique, tout comme ses membres doivent bénéficier de véritables gages
d’indépendance. La saisine du Conseil doit dorénavant être faite avant, pendant et après
l’élection par toute personne participant aux élections. Dans la même lancée l’on doit procéder
à une révision du mandat des membres du Conseil constitutionnel. Leur mandat doit être de
neuf ans non renouvelables afin d’éviter de consacrer leur dépendance vis-à-vis des institutions
dont ils sanctionnent les élections. Il faudra également parachever le dispositif institutionnel
consacré par le constituant de 1996
b- Le parachèvement du dispositif institutionnel
Le parachèvement du dispositif institutionnel consacré par la loi constitutionnelle du 18
janvier 1996 participe à coup sûr de la consolidation et de l’affermissement de la démocratie
camerounaise. La création effective des institutions de garantie consacrées par la constitution,
notamment la Haute Cour de justice et la Commission chargée de recevoir les déclarations des
biens et avoir de la part des gestionnaires des deniers publics.
Par la mise en place de ces institutions, il ne fait l’ombre d’aucun doute que l’égalité des
camerounais devant la loi ainsi que la culture de la bonne gouvernance rentreront dans le vécu
des camerounais et évitera les frustrations dont le paroxysme a autorisé tous les débordements
que l’on a vu ces dernières années.

CONCLUSION

La démocratie camerounaise a été marquée ces dernières années par des avancées au plan
formel et par une relative reculade au plan de sa matérialisation. Une revitalisation de celle-ci

204
Il s’agit d’une modification de l’art 12 (1) du Code électoral.

185
passe par des réformes institutionnelles et fonctionnelles dont l’urgence est aujourd’hui
impérieuse. Ces réformes dépendent de la promotion d’une culture démocratique de la part des
entrepreneurs politiques et de la volonté politique de l’élite gouvernante. Car, et pour
paraphraser le professeur Jean Dubois De Gaudusson, « une démocratie sans esprit de
démocratie, n’est que ruine de la démocratie ».

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or Driver of Regional Integration? » Insight on Africa 7 (2), 2015, pp 154-168.
22- OUEDRAOGO (M), Les libertés de circulation des marchandises et des services dans
l’Union Économique et Monétaire des États de l’Afrique de l’Ouest, global studies institute de
l’université de Genève collection « mémoires électroniques » vol. 89-2016.
23- ONDOA (M), « La dé-présidentialisation du régime politique camerounais », revue Solon
Vol II n°1 - 2003, p.3.
24- PELLOUX (Robert), Vrais ou faux droits de l’homme, RDP, 1981, P.52 ;
25- RIVERO (Jean), « vers de nouveaux droits de l’homme », in Revue des sciences morales
et politiques, 1952, P.673.
26- SURDE (François), « Droits fondamentaux et progrès médical », colloque du CERIM,
Montpellier, 14-15 avril 1986 ;
27- TEZCAN (E), « Les personnes physiques et l’Union européenne : le passage de la libre
circulation à la citoyenneté européenne », RQDI, 1998, P.344.
28- ZOGO NKADA (Saint-Pierre), «la libre circulation des personnes : réflexions sur
l’expérience de la C.E.M.A.C. et de la CEDEAO, Revue Internationale de Droit Économique
– 2011 – pp. 113-136 – DOI: 11.3917/ride.251.0113, P.115.

187
L’EXEQUATUR DES SENTENCES ARBITRALES AU MALI : LEGISLATION,
ETAT DE LA PRATIQUE

Par

Hamadi DIALLO*
Université des Sciences juridiques et politiques de Bamako / Mali
et
Modibo Mohamed FOFANA
ISPRIC

Résumé
L’exequatur étant une procédure de reconnaissance d’une décision, il doit être distingué de son
exécution. Quant à la reconnaissance elle se détache de l’octroi de la force exécutoire. Attribut du
jugement, la force exécutoire permet le recours à des procédés de contrainte légale pour contraindre le
perdant à s’exécuter. Son « objet « principal » est de faire constater que la décision étrangère est
régulière. Tel qu’exposé ci-dessous, cet article met en lumière les difficultés normatives relative à la
l’exécution des sentences d’une manière générale en Afrique et au Mali en particulier. C’est ainsi que
l’article 515 du code de procédure civile et sociale du Mali dispose que les décisions arbitrales ne
peuvent donner lieu à aucune exécution forcée, qu’après avoir été déclarées exécutoires sous réserve
des dispositions particulières résultant des conventions internationales ratifiées.

Mots clés : exéquatur, sentence arbitrale, OHADA.

INTRODUCTION

L’arbitrage est un mode de résolution des conflits qui trouve son origine dans une
convention privée et qui aboutit à une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée. L’origine
de l’arbitrage, qui constitue le domaine de la présente recherche, remonte à une époque très
ancienne car on retrouve sa trace dans la Bible et le Coran1 qui le prône comme moyen de
résolution des conflits qui peuvent opposer les croyants.
Après une longue évolution, l’arbitrage est devenu depuis plus d’un siècle le moyen
normal de résoudre les litiges notamment commerciaux internationaux d’où l’attention et
l’intérêt croissants qu’il suscite.
L’Arbitrage a été consacré par le préambule du Traité OHADA du 17 décembre 1993 et
par le titre IV du Traité comme un mode normal de règlement juridique des conflits
commerciaux. D’où le Mali étant signataire dudit traité l’a ratifié et consacré dans son code de
procédure civile, commerciale et sociale Décret n°99-254 du 15 septembre 19992

*
Mode de citation : Hamadi DIALLO et Modibo Mohamed FOFANA, « l’exequatur des sentences arbitrales au
mali : législation, état de la pratique », Revue RRC, n° 025 / Septembre 2022, p. 189-208

1
Pierre MEYER, Droit de l’arbitrage dans l’espace OHADA, ed : Bruand. ; 2008
2
Modifié par le décret n°09-220/P-RM du 11 mai 2009 (JO 2009-23).

189
L’Acte Uniforme sur l’Arbitrage (AUA) est entré en vigueur le 11 juin 1999 et constitue
aujourd’hui le cadre juridique du Droit de l’Arbitrage qui s’applique à tout arbitrage lorsque le
siège du Tribunal Arbitral se trouve dans l’espace OHADA.
Sa ressemblance avec d’autres modes de résolution des litiges tels que la conciliation, la
médiation et bien d’autres contribue à créer très souvent une confusion alors que son
mécanisme et sa nature spécifique d’acte contractuel, juridictionnel et procédural le distingue
véritablement. En vertu de la nature juridictionnelle de la sentence, celle-ci mérite-t-elle d’être
ignorée par les autorités étatiques ? Ainsi, pour produire tous ses effets il est être soumis aux
autorités judicaires. Cette procédure appelé l’exéquatur est une procédure de reconnaissance
d’une décision qui doit être distinguée de son exécution. La reconnaissance quant à elle se
détache de l’octroi de la force exécutoire. Attribut du jugement, la force exécutoire permet le
recours « à des procédés de contrainte légaux pour contraindre le perdant à s’exécuter »3.
En revanche, l’action en reconnaissance a des conséquences juridiques qui différent et se
situe en amont. La reconnaissance est un « phénomène purement normatif4». Elle « consiste en
une vérification des conditions de régularité qui correspondent aux conditions de la norme
habilitante, suivie de la proclamation de la normativité du jugement étranger »5. Son « objet «
principal » est de faire constater que la décision étrangère est régulière »6.
En poussant l’analyse, on se rend compte que l’intervention du juge judiciaire vise surtout
à garantir le respect des principes et règles qui déterminent l’arbitrage car celui-ci peut être saisi
par l’une des parties à l’arbitrage pour invalider la sentence ou connaître certains autres recours
contre la sentence.
Dans l’espace OHADA il existe deux catégories de juge étatique, l’un est au niveau
national, l’autre se situe sur le plan supranational. Ce juge étatique au niveau National a pour
compétence d’accorder exequatur des sentences étrangères ou issues des centres d’arbitrages.
Force est de constater que l’efficacité d’un jugement arbitral se mesure par la facilité avec
laquelle, la sentence qui en découle pourra produire ses effets7. D’apparence simple, l’exequatur
de la sentence arbitrale peut souvent faire l’objet de complications ou de blocages divers
pouvant aboutir à son anéantissement. Une fois rendue, la sentence arbitrale bénéficie du
principe de l’exécution immédiate qui ne peut être arrêtée qu’en cas de violation grave des
droits de l’une des parties8.
Il est important de signaler que l’exequatur est une procédure de reconnaissance d’une
décision qui doit être distinguée de son exécution. La reconnaissance se détache de l’octroi de

3
C. AMBROISE-CASTÉROT, N. FRICERO, L. C. HENRY, P. JACQ, Glossaire des procédures, op. Cit. V°
Force exécutoire.
4
Ibidem.
5
H. PÉROZ, La réception des jugements étrangers dans l’ordre juridique français, op. cit., p.195, n°369.
6
D. ALEXANDRE et A. HUET, « règlement Bruxelles I », Rep. Dr. intern. Dalloz, juin 2010, n°342
7
G. KENFACK DOUAJN, L’arbitrage OHADA, Presses de l’Université de Pau et des pays de l’Adour (PUPPA),
2014, p. 86.
8
M. DE FONTMICHEL, « Avant-propos », in L’exécution des sentences arbitrales internationales, Paris, LGDJ,
p. 7.

190
la force exécutoire. Attribut du jugement, la force exécutoire permet le recours « à des procédés
de contrainte légales pour contraindre le perdant à s’exécuter »9
Toutefois, à défaut d’une exécution spontanée du débiteur, la partie triomphante se verra
dans l’obligation de solliciter l’intervention du bras séculier des ordres juridiques étatiques pour
obtenir satisfaction. Dans ces conditions, sortir d’une bataille arbitrale avec à la clé une sentence
arbitrale dont l’exequatur fera l’objet d’une nouvelle bataille judiciaire, « s’apparente à une
victoire à la Pyrrhus10».
Saisi d’une telle demande, le juge étatique procédera à l’exequatur de la sentence après
une vérification prima facie de sa validité. L’exequatur constitue en quelque sorte un bon pour
exécution délivré au demandeur. Schématiquement, la reconnaissance vise donc à faire
reconnaître l’existence de la sentence arbitrale. En revanche, l’exequatur consiste à faire
exécuter de force la sentence arbitrale.
Si l’objet de notre recherche, à savoir l’exequatur des sentences arbitrales, présente des
intérêts, il importe de préciser qu’il s’agit d’une procédure par laquelle un juge vérifie les
conditions de forme d’une sentence arbitrale et lui donne force exécutoire.
Cette formalité judiciaire du juge Etatique ou communautaire qui permet à celui qui
bénéficie d’une sentence arbitrale d’obtenir l’exécution forcée de cette sentence comme
décision de justice.
En vertu de ce principe de vérification, la sentence rendue au terme du procès arbitral ne
peut faire l’objet d’une exécution forcée qu’à condition d’être examinée par le juge de
l’exequatur qui confère l’impérium à la sentence arbitrale mais peut également connaitre de
certains recours dirigés contre la sentence arbitrale, d’où l’importance de cette phase post
arbitrale.
Force est de reconnaitre que le caractère épars des textes applicables, les différences entre
les normes, l’effet abrogatoire de certains textes communautaires qui n’est pas souvent perçu
faute d’harmonisation des textes nationaux sont des facteurs qui rendent difficile à cerner, sans
gymnastique intellectuelle, les dispositions applicables.
Surtout que dans notre contexte, il n’est pas non plus évident de déceler la particularité
de chaque type de sentence arbitrale sachant que chacune d’elle est soumise à un régime qui en
détermine les conditions de validité, les effets, les voies d’interprétation ou de rectification
ouvertes devant le tribunal arbitral, les voies de révision, de tierce opposition ou d’annulation
ouvertes devant le juge Etatique ou la CCJA, les délais et formes dans lesquelles ces recours
sont recevables.
Dans cet environnement des affaires où l’arbitrage connait désormais un succès croissant,
il est dès lors utile de comprendre le régime auquel obéit chaque type de sentence arbitrale qui
reste le reflet de la catégorie d’arbitrage dont elle procède, afin d’opérer un choix éclairé et
judicieux d’un arbitrage par rapport à un autre dès le départ.

191
Aussi, l’un des intérêts de cette recherche n’est-il pas de faciliter l’abord de l’univers des
sentences arbitrales, toute chose qui pourrait contribuer à une meilleure appréciation de la
matière et de celle de l’exequatur et participer d’une façon générale à la promotion de
l’arbitrage.
Notre démarche consistera à analyser dans un premier temps la reconnaissance des
sentences arbitrales (I) et dans un second, l’exécution de la sentence arbitrale (II).

I.LA RECONNAISSANCE DES SENTENCES ARBITRALES

La sentence arbitrale est la décision rendue par le Tribunal arbitral à l’issue de la


procédure arbitrale. Bien que constituant une décision qui dessaisit le ou les arbitres, il est
assimilé par le juge Etatique à une décision étrangère à son Etat ou à son ordre et il s’en suit
qu’elle peut être reconnue à certaines conditions mais ne peut faire l’objet systématiquement
d’une exécution forcée.
En pratique, il peut arriver que lors d’un procès devant le juge Etatique l’une des parties
au procès arbitral invoque de façon incidente l’existence d’une sentence arbitrale ; le juge
Etatique qui prend connaissance de la sentence arbitrale peut, après vérification de sa régularité,
reconnaitre son autorité11.

A. Les sentences arbitrales admissibles à l’exequatur Mali

Comme évoqué dans les lignes qui précèdent, il existe de multiples types de sentences
arbitrales au même titre qu’il existe plusieurs formes d’arbitrage. Les catégories principales à
retenir sont l’arbitrage institutionnel, d’une part, qui est réalisé par une institution dont les règles
sont prédéfinies par un règlement d’arbitrage, et, d’autre part, l’arbitrage ad hoc, qui est
organisé par les parties elles-mêmes (à la convention d’arbitrage) qui en fixent les modalités.
En ce qui concerne l’arbitre institutionnel qui est très développé, il est utile de préciser
que les instances qui l’encadrent sont elles-mêmes nombreuses et différentes les unes des autres.
Nous pouvons, dès lors, affirmer que le statut de chaque sentence arbitrale dépend de
l’arbitrage dont il découle.
Ainsi, peuvent être reconnues et être admissibles à l’exéquatur : les sentences arbitrales
internationales (a) et les sentences arbitrales communautaires (b) notamment.

a. Les sentences arbitrales internationales


Il s’agit ici des sentences rendues hors législation et espace OHADA12 quelque soit le
type d’arbitrage concerné13.

11
C. AMBROISE-CASTÉROT, N. FRICERO, L. C. HENRY, P. JACQ, Glossaire des procédures, op. Cit. V°
Force exécutoire.
12
D.TALON, « La reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales », Gaz. Pal. n° 318, p. 12.
13
Institutionnel ou ad hoc

192
Le régime de ces sentences est déterminé par des conventions internationales, des traités
multilatéraux ou bilatéraux qui existent entre les Etats.
Ce type de sentence, reconnu d’ailleurs par l’Acte Uniforme sur l’Arbitrage OHADA,
s’intègre à la législation communautaire.
En effet, le législateur OHADA ne pouvait ignorer ces sentences arbitrales dans la mesure
où le principe de leur reconnaissance est intervenu bien avant l’avènement du droit
communautaire, et cette situation se comprend par le souci de concilier le droit international et
le droit communautaire14.L’arbitrage OHADA, en offrant une liberté manifeste15 aux acteurs
économiques, ambitionne d’attirer par les avantages qu’il recèle en tant que place d’arbitrage
les arbitrages.
Ces sentences arbitrales sont bien accueillies dans l’espace OHADA dans la mesure où
l’article 34 de l’acte uniforme renvoie simplement aux conventions internationales
éventuellement applicables et, à défaut, aux dispositions de l’acte uniforme lui-même qui, à
l’analyse, est plus libéral que la convention de New York.
Nous examinerons les sentences émanant des chambres internationales d’arbitrage et
celles émanant du Centre International pour le Règlement des différends relatifs aux
Investissements.
- Les sentences arbitrales émanant des chambres internationales d’arbitrage.
Ces sentences procèdent le plus souvent de l’arbitrage institutionnel organisé sous l’égide
d’organismes internationaux permanents et spécialisés.
Au titre de ces organismes, on peut citer : la Commission des Nations Unies pour le Droit
Commercial International (CNUDCI), la Cour Permanente d’Arbitrage de la Haye (CPA) qui
offre ses services, tant en droit international public qu’en droit international privé, aux Etats,
aux autres organismes publics nationaux, aux organisations internationales et aux parties
privées, la Chambre Internationale d’Arbitrage de Paris (CCI) qui dépend de la chambre de
commerce internationale de Paris, l’American Arbitration Association (A.A.A), la Chambre de
Commerce de Stockholm (CCS), la chambre Anglaise (LCIA), la chambre régionale de
Singapour, la chambre du Caire, la chambre chinoise.
Ces institutions d’arbitrage apportent à l’arbitrage un soutien administratif, notamment
dans le choix des arbitres, le déroulement de la procédure et l’examen de la forme des projets
de sentence. Le processus arbitral encadré par ces institutions se réalise sur la base d’une loi
type 16 ou d’un règlement d’arbitrage contenant des règles préétablies par celle-ci, et les
sentences rendues doivent remplir les conditions propres spécifiées17.
Les chambres internationales d’arbitrage, faut-il le rappeler, jouent un rôle majeur dans
l’arbitrage à travers le monde et les sentences rendues sous leur encadrement participent à

16
Loi type du CNUDCI
17
J. Pierre ANCEL, « L’arbitrage et la coopération du juge », Rec. Penantn° 833, mai - août 2000, p. 170

193
l’essor de l’arbitrage, leurs objectifs étant de favoriser les échanges et les investissements,
l’ouverture des marchés aux biens et aux services ainsi que la libre circulation des capitaux.
Il est à noter que l’apport considérable de la CCI dans le domaine de la normalisation des
usages et des pratiques commerciaux est reconnu car elle est l’initiatrice des incoterms et des
règles et usances relatives au crédit documentaire.
Les sentences de ces organismes internationaux ont, du point de vue de leur
reconnaissance un statut qui découle également de la Convention de New York du 10 juin 1958
pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères qui en constitue le
texte de référence.
Cette convention des Nations Unies dénommée « convention de New York » est une
convention internationale dont l’objet est de favoriser la circulation internationale des sentences
arbitrales en fixant des règles de reconnaissance et d’exécution opposables aux Etats
signataires18.
Il est à noter que neuf (09) Etats de l’OHADA dont le Mali, sont signataires 19 de la
convention de New York de 1958.
Ces règles de circulation tiennent compte des accords multilatéraux et des bilatéraux
signés par les Etats.
On observe, en pratique, une forte tendance au recours à l’arbitrage institutionnel qui
bénéficie de la confiance des opérateurs du commerce international.
Quelque soit le pays où la sentence a été rendue, celle-ci est reconnue comme ayant force
obligatoire, et après signature du ou des arbitres une copie en est remise à chacune des parties.
S’agissant des sentences, en règle générale, il convient de noter qu’à compter d’un mois
de la réception de la sentence par les parties, l’une des parties, après notification à l’autre partie,
peut demander au tribunal arbitral soit la rectification de toutes les erreurs, de calcul, matérielle,
typographique, soit l’interprétation d’un point ou d’un passage de la sentence ou même de la
compléter (sentence additionnelle), le tribunal peut aussi de son propre chef rectifier toutes
erreurs susvisées.
Compte tenu de leur incidence sur la sentence arbitrale, les modalités des recours méritent
de retenir notre attention et d’être examinées selon la sentence concernée.
Pour ce qui est des recours contre la sentence CNUDCI, la loi type n’autorise qu’un
recours (exclusif) contre la sentence arbitrale, excluant ainsi tout autre recours pouvant être
prévu dans une loi de procédure de l’Etat considéré.
En application de l’article 34 de la loi type, une demande en annulation contre une
sentence arbitrale doit être présentée dans un délai de trois (03) mois à compter de la date à
laquelle la communication de la sentence a été reçue.

18
Pour la liste actuelle des pays membres avec date d’entrée en vigueur et d’éventuelles réserves
voir :http://www.uncitral.org /uncitral/en/uncitraltexts/arbitration/NYConventionstatus. html.
19
Les Etats de l’espace OHADA qui sont parties à cette convention sont : Bénin, Burkina, Cameroun,
Centrafrique, Côte d’ivoire, Guinée, Mali, Niger et Sénégal.

194
Le recours en annulation contre les sentences du CNUDCI n’est admis que dans les cas
suivants :
-incapacité d’une des parties de conclure une convention d’arbitrage ou invalidité de la
convention d’arbitrage ;
-défaut de notification de la désignation d’un arbitre ou de la procédure d’arbitrage ou
impossibilité pour une partie de faire valoir ses droits ;
-sentences statuant sur des questions non visées dans le compromis ;
-constitution du tribunal arbitral ou conduite de la procédure arbitrale non conforme à la
convention effectivement conclus entre les parties ou en l’absence de convention ;
-inarbitrabilité du litige et contrariété à l’ordre public, ce qui comprendrait des
manquements graves au respect des normes fondamentales de l’équité procédurale ;
Les motifs d’annulation de la sentence de la loi type en son article 36 paragraphe 1 et les
motifs de refus de reconnaissance ou d’exécution de la convention de New York prévu en son
article V, sont quasiment identiques.
S’agissant toujours de la sentence CNUDCI, lorsqu’une demande d’annulation ou de
suspension d’une sentence a été présentée à un tribunal compétent dans l’Etat où la sentence
arbitrale a été rendue, le tribunal au niveau duquel est adressée la demande de reconnaissance
ou d’exécution peut s’il le juge nécessaire, surseoir à statuer et peut aussi à la requête de la
partie demanderesse, ordonner à l’autre partie de fournir des sûretés convenables.
A l’instar des sentences de différentes institutions arbitrales, l’élaboration de la sentence
CCI suit pratiquement les mêmes conditions de formes et de fonds.
Le délai d’élaboration de la sentence CCI est de six mois à compter de la signature des
arbitres ou des parties de l’acte de mission ou à compter de la notification aux arbitres par le
secrétariat de l’approbation de l’acte de mission par la cour. Ce délai peut être prolongé par la
cour si elle l’estime nécessaire sur demande des arbitres ou d’office.
Sous peine d’inobservation du règlement, la sentence CCI doit être motivée, signée par
l’ensemble des arbitres en cas de pluralité de ceux-ci, à défaut elle est faite par le président seul.
La sentence est réputée avoir été rendue au siège de l’arbitrage
Comme toute institution d’arbitrage, le projet de sentence des arbitres de la CCI est
soumis à la cour pour examen. Ce contrôle normalement concerne la forme de la sentence, mais
souvent, il peut arriver qu’elle attire attention du tribunal arbitral sur le fond même de la
sentence.Les parties à l’instance arbitrale, par la soumission de leur différent au règlement
d’arbitrage de la CCI, sont tenues par la sentence arbitrale et s’engagent à l’exécuter sans délai.
La Cour permanente d’arbitrage est une organisation internationale et une juridiction
arbitrale permanente dont le siège est à La Haye, aux Pays-Bas. Elle a été créée en 1899, et
confirmée lors de la deuxième Conférence de la Paix de La Haye en 1907. 107 États ont ratifié
au moins une des deux Conventions créant la CPA.
La CPA assure l’administration des arbitrages internationaux, des conciliations, et des
commissions d’enquêtes dans des litiges entre États, personnes privées et organisations

195
intergouvernementales. Elle se situe ainsi à la croisée du droit international public et du droit
international privé. La CPA se compose d’un greffe et d’une liste d’arbitres potentiels dans
laquelle les parties choisissent les arbitres chargés de régler le différend les opposant.
Les deux langues de travail officielles de la CPA sont le français et l’anglais, mais les
arbitrages sont aussi menés dans d’autres langues choisies d’un commun accord par les parties.
Les différents règlements de procédures de la CPA sont modelés sur le règlement
d’arbitrage de la CNUDCI Le recours à la CPA est toujours facultatif, en vertu des principes de
souveraineté des États et de consentement à l’arbitrage. Par contre, l’exécution de la sentence
arbitrale rendue par les arbitres est obligatoire20.
Après avoir connu une période d’activité intense dans les années suivant sa création, la
CPA est tombée en sommeil après la seconde guerre mondiale. Elle a connu une renaissance à
partir des années 1990, qui lui permet d’être aujourd’hui une des principales institutions
internationales pour le règlement des différends impliquant des États ou des organisations
internationales.
- Les sentences arbitrales émanant du Centre International pour le Règlement des
différends relatifs aux Investissements (C.I.R.D.I.)
Le recours à l’arbitrage CIRDI permet un accès direct à une instance arbitrale
internationale complètement délocalisée, c’est-à-dire une instance dont les décisions échappent
au contrôle de quelque juridiction nationale que ce soit.
Il est intéressant de noter que l’article 53 (1) de la Convention du CI.R.D.I prévoit que :
« la sentence est obligatoire à l’égard des parties et ne peut être l’objet d’aucun appel ou autre
recours, à l’exception de ceux prévus à la présente Convention elle-même.
En effet, dans le cadre de la sécurisation des investissements, les Etats ont adopté une
convention internationale dénommée « Convention de Washington du 18 mars 1965 pour le
règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres
Etats21.
Cette Convention de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le
développement, ratifiée à ce jour par ……Etats dont 15 sont Etats-parties à l’OHADA (seule la
Guinée Equatoriale n’y a pas encore adhéré), a institué un Centre International qui tient lieu de
principale institution pour le règlement des différends relatifs aux investissements
internationaux.

20
Art. IV Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales
étrangères.
21
R. FAKHRI, « Les régimes de reconnaissance et d’exequatur des sentences arbitrales dans les pays de la rive
sud de la méditerranée », in, Vers une lexmediterranea de l’arbitrage international : pour un cadre commun de
référence (dir. Filali Osman et Lofti Chedly), Bruxelles, Bruylant 2015, p. 350.

196
B. La sentence arbitrale communautaire

Nous entendons aborder sous le terme de sentence arbitrale « communautaire », toutes


les sentences arbitrales dont le siège est situé dans l’espace OHADA.
Cette catégorie englobe les sentences rendues par la Cour d’arbitrage de la CCJA, celles
rendues par les autres instances d’arbitrage institutionnel que sont les centres privés d’arbitrage
et celles qui résultent de l’arbitrage ad hoc OHADA.

1. la sentence issue de l’arbitrage autonome et spécifique de la Cour Commune de


Justice et d’Arbitrage
Signalons, avant d’examiner les sentences arbitrales CCJA, que l’arbitrage CCJA de
l’OHADA constitue un arbitrage institutionnel qui se distingue par son originalité car la CCJA
est structure d’encadrement de l’arbitrage qu’elle offre et également une instance de contrôle
de cet arbitrage.22
La sentence rendue par la Cour d’Arbitrage de l’OHADA n’a pas le même statut que les
autres sentences arbitrales, cette situation s’explique au regard du rôle d’instance
d’encadrement et de promotion conféré à la juridiction supranationale par les Etats-parties au
traité OHADA.23
Il convient au préalable de rappeler que la sentence arbitrale CCJA revêt l’autorité
définitive de la chose jugée sur le territoire de chaque Etat partie, au même titre que les décisions
rendues par les juridictions de l’Etat, en application de l’article 27 de son règlement qui pose
une règle inhérente au système d’arbitrage CCJA.
Le statut de la sentence CCJA découle également de l’article 33 de l’Acte Uniforme
portant organisation des procédures simplifiées range parmi les titres exécutoires les décisions
juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire ainsi que les sentences arbitrales déclarées
exécutoires par une décision juridictionnelle non susceptible de recours suspensif d’exécution.
La sentence issue de l’arbitrage de la Cour d’Arbitrage de l’OHADA, qui est à distinguer
de celle relevant de l’arbitrage traditionnel, révèle ainsi des caractères intéressants.
Ce type d’arbitrage trouve sa source dans le titre IV du traité de l’OHADA du 17 Octobre
1993 et le règlement d’arbitrage adopté à Ouagadougou le 11 Mars 199924.
Examinons à présent cette sentence arbitrale qui est rendue sous l’encadrement de la
CCJA et les recours qui sont possibles à son endroit. Comme abordé précédemment, cette cour
d’arbitrage de la CCJA comprend un Président, une Assemblée Plénière, une formation

22
M. MAAMARI, « L’exécution des sentences arbitrales étrangères et des sentences rendues localement en droit
Libanais », in Aspects de l’arbitrage international dans le droit et la pratique des pays arabes, Colloque organisé
par la Cour de Cassation française le 13 juin 2007, Disponible sur :
https://www.courdecassation.fr/IMG/File/pdf_2007/13-06-2007/13-06-2007_maamari.pdf.
23
O BAH. ; l’efficacité de l’arbitrage OHADA : le rôle du juge étatique ».thèse ; Université de Bourgogne
Franche-Comté Ecole Doctorale Droit, Gestion, Sciences Economiques Et Politique. ; 2019. ; P : 101.
24
voir journal officiel de l’OHADA, 3ème année, n°8 15 mai 1999

197
restreinte, un Secrétariat général et une Régie des recettes et des dépenses et à l’instar des
institutions internationales d’arbitrage, elle ne tranche pas elle-même les litiges.
Agissant à ce stade comme institution d’encadrement administratif de l’arbitrage
autonome CCJA, son rôle consiste à nommer les arbitres, examiner le bien fondé des demandes
de récusation éventuellement formulées, veiller au bon déroulement de l’instance arbitrale et
examiner les projets de sentences25.
En effet, lorsque la Cour d’arbitrage de la CCJA est saisie d’une demande d’arbitrage,
elle instruit la demande, fixe la provision pour les frais d’arbitrage et organise matériellement
l’arbitrage en mettant en place le tribunal arbitral.
Après le prononcé de la sentence et sa rédaction, la notification des sentences arbitrales
CCJA est effectuée par le Secrétaire général auprès duquel des copies supplémentaires,
certifiées conformes, peuvent être obtenues à tout moment par les parties qui en font la
demande, lesquelles renoncent par ailleurs à toute autre notification ou dépôt à la charge de
l’arbitre (article 25 du RCCJA).
Toute sentence rendue conformément au Règlement CCJA est déposée en original au
Secrétariat de la Cour selon l’article 28, qui pose également un principe général selon lequel
l’arbitre et la Cour procèdent, dans les cas non visés expressément par le Règlement, en
s’inspirant de celui-ci et en faisant leurs meilleurs efforts pour que la sentence soit susceptible
de sanction légale.
En plus de la possibilité de demander la rectification de la sentence ou son interprétation,
il existe plusieurs voies pour contester une sentence arbitrale CCJA, à savoir la contestation de
sa validité, l’opposition à exequatur, le recours en révision et la tierce opposition.

2. La sentence arbitrale adossée à l’acte uniforme de l’OHADA sur le droit de


l’arbitrage
Par arbitrage adossé à l’acte uniforme de l’OHADA sur le droit de l’arbitrage, il faut
entendre l’arbitrage traditionnel.
Il s’agit de l’arbitrage des centres d’arbitrage privés de l’espace OHADA26 d’une part, et
de celui ad hoc organisé en application de l’acte uniforme sur le droit de l’arbitrage, d’autre
part.

3. La sentence arbitrale du centre d’arbitrage et de médiation du Mali (CECAM) :


Après le prononcé du délibéré du différend soumis aux arbitres, l’article 24 du règlement
d’arbitrage du CECAM prévoit la soumission du projet de sentence, avant sa signature, au
CECAM pour approbation en la forme.

25
328T. M ALOU, « La justice au plus offrant : Les infortunes du système judiciaire en Afrique de l’Ouest (autour
du cas du Niger) », Politique africaine n° 83, octobre 2001, p. 59.s
26
Dont les règlements d’arbitrages ne peuvent écarter les dispositions d’ordre public de l’acte uniforme sur
l’arbitrage.

198
L’alinéa 2ème de cet article est libellé comme suit : « … le centre peut en respectant la
liberté de décision du tribunal arbitral attirer son attention sur les points intéressants le fond du
litige ».La sentence est notifiée aux parties par le centre après le paiement intégral des frais
d’arbitrage.

Des copies de la sentence, signées par les arbitres, sont communiquées aux parties et un
original est conservé au niveau du centre.
Quant aux caractères de la sentence, l’article 27 du règlement précise que les sentences
rendues par le CECAM sont définitives car les parties en soumettant leur litige au centre
s’engagent à exécuter sans délai la sentence à intervenir et renoncent à toutes voies de recours
dans la mesure du possible.
Les parties disposent, néanmoins, de la voie d’interprétation, de correction de toute erreur
matérielle et/ou omission qu’elles peuvent engager par requête dans le délai d’un mois à
compter de la notification de la sentence.
Il est reconnu au tribunal arbitral la faculté de se saisir d’office pour effectuer la correction
de toute erreur qui affecterait la sentence. La sentence du CECAM est reconnue mais son
exécution forcée est conditionnée à l’exequatur. Nous estimons que la sentence issue de
l’arbitrage du CECAM, est susceptible des recours tels que le recours en annulation, la tierce
opposition et le recours en révision devant le juge Etatique.

II. L'EXECUTION DES SENTENCES ARBITRALES

L’exécution forcée de la sentence arbitrale, acte juridictionnel, ne peut intervenir qu’en


vertu d’un jugement d’exequatur obtenu à l’issue d’une procédure du même nom.
Nonobstant le caractère exécutoire des sentences arbitrales internationales rendues sur le
fondement de la convention de New York du 10 Juin 1958, il est prévu leur soumission à la
formalité d’exequatur avant toute exécution forcée.

A. Les effets de l'exequatur des sentences arbitrales

La reconnaissance et l’exéquatur sont des conditions permettant à la justice arbitrale


d’être efficace car à travers l’exécution de la sentence arbitrale la partie obtient l’application de
la sentence au moyen des pouvoirs de coercition de l’Etat.
Après avoir étudié les procédures d’exequatur, il apparait intéressant d’analyser les effets
de l’exequatur tant d’un point de vue juridique que territorial dans la mesure où l’exequatur qui
relève du juge Etatique et celui qui relève de la CCJA n’ont pas le même impact d’un point de
vue territorial.
Du point de vue des dispositions internes du droit malien, l’article 521 du CPCCS du Mali
énonce que la décision d’exequatur a effet entre les parties à l’instance en exequatur et sur toute

199
l’étendue du territoire du Mali, ce qui permet d’affirmer que le champ de l’exécution forcée se
limitera au territoire malien27.
Et l’article 525 du CPCCS de préciser, que toute décision rendue exécutoire au Mali est
exécutée conformément à la loi malienne.
Quittons à présent le champ du droit interne pour nous intéresser à celui de la CCJA pour
en examiner le champ d’application d’une sentence arbitrale CCJA pourvue de l’exequatur.
Sous cet angle d’observation, nous découvrons que, lorsque la sentence arbitrale CCJA
est revêtue de l’autorité de la formule exécutoire, est un titre exécutoire valide sur tout le
territoire de l’ensemble des Etats l’OHADA.

1. les effets découlant de la décision d’exequatur du juge Etatique


Les effets de l’exequatur de la sentence sont notamment l’autorité de la chose jugée (a)
et la force exécutoire (b).
a. L’autorité de la chose jugée
Elle est définie par le lexique juridique comme l’autorité attachée à un acte de juridiction
servant de fondement à l’exécution du droit judiciairement établi et faisant obstacle à ce que la
même affaire soit à nouveau portée devant un juge.
L’autorité de la chose jugée est le symbole de la vérité judiciaire et il en découle une
impossibilité de remettre en question le point sur lequel il a été statué.
Eu égard au caractère juridictionnel de la sentence arbitrale, celle-ci s’impose aux parties
qui ne doivent pas, en principe, soumettre la question de fond déjà tranchée par les arbitres à
une instance judiciaire.
La justification de ce principe découlant de l’activité juridictionnelle se trouve dans la
considération d’ordre public suivant laquelle les litiges ne doivent pas s’éterniser.
La chose jugée ne permet pas de revenir sur ce qui a été tranché, ce qui ouvre droit à tout
plaideur de se prévaloir, sans besoin d’aborder le fond du droit, de l’autorité de la chose jugée
qui constitue une fin de non recevoir.
Cependant, il convient de noter que seules les parties au litige peuvent l’invoquer ; les
tribunaux et le Ministère Public ne pouvant relever d’office les moyens tirés de l’autorité de la
chose jugée28.
Il importe de rappeler que le fondement de l’arbitrage étant la volonté des parties
matérialisée par la clause d’arbitrage, la mission du juge, en cas d’intervention, devra consister
principalement à assurer le respect strict de cette volonté.
Ce qui signifie que le juge étatique ne dispose pas de la compétence de connaitre le fond
du litige que les parties ont décidé de soumettre à l’arbitrage ; le juge ne doit jamais se substituer

27
N. AKA, « Le système d’arbitrage de la C.C.J.A. OHADA », p.25, doc. ERSUMA, octobre 2009 ; Art. 30.3 du
Règlement d’arbitrage de la C.C.J.A
28
Civ.24 oct. 1951, JCP 1952, II 6806, note R. PERROT, RTD civ.1952, 254, obs. Hebraud.

200
à l’arbitre dans le jugement du litige, mais contribuer, grâce à ses pouvoirs propres, à
l’exécution normale de la convention d’arbitrage29.
Partant de ce principe, il est important de noter que le juge n’a pas pour mission de rejuger
l’affaire dans la mesure où l’arbitre doit demeurer seul juge du fond du litige.
Etant donné que l’arbitrage et la justice étatique ont chacun leur domaine de compétence
propre, la compétence de l’arbitre devient incontestable lorsque la convention d’arbitrage qui
découle du principe de l’autonomie de la volonté est valable.
Les pouvoirs exceptionnellement reconnus au juge étatique doivent donc demeurer
essentiellement subsidiaires et supplétifs30.
Entre l’arbitre et le juge, il ne doit y avoir ni immixtion, ni rapports de concurrence car
chacun dispose d’un domaine de compétence juridictionnel propre.
Cet extrait d’une décision de la Cour d’appel de Paris en date du 18 novembre 1987 affirme
avec force ce principe dans les termes suivants : « ... A ce moment (le Tribunal arbitral étant
constitué) les juges arbitraux, choisis par les parties (...) et non récusés, se trouvaient,
dès l’acceptation de leur mission, pleinement investis du pouvoir de juger ; (...) l’ exercice
des prérogatives y attachées, qui relève d’une légitimité propre et autonome, doit pouvoir
être assuré de façon totalement indépendante, comme il sied à tout juge, (...) sans aucune
intervention du juge étatique ; (...) notamment celui-ci, ayant rempli sa mission d’assistance et
de coopération techniques, se doit de laisser les arbitres épuiser leur pouvoir propre et exclusif
de juger et assurer eux-mêmes en conscience et sous leur responsabilité, les conditions du
procès équitable, conforme aux principes généraux et fondamentaux du droit.».
En tous cas, leurs interventions doivent demeurer complémentaires et concourant à la
correcte application de la convention d’arbitrage.
En définitive et en vertu de la chose jugée, le juge étatique doit assurer le respect de la
décision du tribunal arbitral qui a tranché le fond du différend conformément à la convention et
dans le respect des règles en vigueur.
b. La force exécutoire
La force exécutoire est définie comme étant l’effet attaché aux décisions judiciaires
qu’elles soient juridictionnelles ou gracieuses, qui permet de faire recours à la force publique
pour leur exécution.
Pour qu’une décision puisse être exécutée par la force publique au service de la justice,
elle doit avoir acquis force de chose jugée31.
La force exécutoire est donc attachée aux décisions qui ne sont pas susceptibles de recours
suspensifs.

29
Rev. Arb. 1988, 657, note Ph. Fouchard.
30
cf. Ph. Fouchard, Le statut de l’arbitre dans la jurisprudence française, Rev. Arb. 1996, 325.
31
M. DANAY ELMI, « La sentence arbitrale et le juge étatique : approche comparative des systèmes français et
iranien », Thèse Droit, Université Panthéon-Sorbonne Paris I, 2016, p. 175

201
Rappelons que la sentence arbitrale en elle-même n’a pas de force exécutoire; c’est
l’exequatur du juge qui lui confère cette force exécutoire qui la rend efficace.
A ce titre, les dispositions de l’article 521 alinéa 2ème du CPCCS permettent à la sentence
arbitrale qui bénéficie de l’exequatur de produire les mêmes effets que si elle avait été rendue
par le tribunal ayant accordé l’exequatur à la date de l’obtention de celui-ci.
En plus des formalités de publicités que la sentence reçoit après la décision d’exequatur,
il est apposé par la juridiction la formule exécutoire suivante :« Au nom du Peuple Malien, En
conséquence, la République du Mali, Mande et Ordonne à tous Huissiers de justice sur ce requis
de mettre le présent jugement … ordonnance à exécution : aux procureurs généraux et aux
procureurs de la République près les Cours d’appels et les tribunaux de première instance d’y
tenir la main à tout commandant et officiers de la force publique, de prêter main forte lorsqu’ils
en seront légalement requis.
En conséquence, l’exécution forcée se réalisera en vertu de la loi malienne32 et la sentence
objet de l’exequatur sera exécutoire sur toute l’étendue du territoire malien.

2. Les effets découlant de l’exequatur de la sentence arbitrale autonome et


spécifique CCJA
Aux termes de l’article 20 du Traité, les arrêts de la Cour commune de Justice et
d’Arbitrage ont la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des Etats parties une
exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales.
De l’assimilation des arrêts de la CCJA aux décisions rendues par les juridictions des
Etats parties découle la suppression du contrôle du juge national, donc la dispense d’exequatur,
au sens où l’exequatur est mécanisme de reconnaissance.
La sentence arbitrale rendue sous l’égide de la CCJA est susceptible d’une demande
d’exequatur immédiate voire simplifiée devant la juridiction contentieuse de la CCJA.
Cependant, il importe de faire observer que l’opposition à exequatur est ouverte dans les
mêmes hypothèses que celles du refus d’exequatur ou de l’action en contestation de validité.
Le délai pour faire opposition à exequatur est de quinze (15) jours à compter de la
notification de l’ordonnance du Président de la CCJA accordant l’exequatur ; cette ordonnance
devient définitive en l’absence d’opposition formée dans ce délai.
Dans ce cas, aucune action ne peut donc paralyser l’obtention de la formule exécutoire.
Dès lors, il peut se poser la question de savoir si le défendeur qui a négligé de faire
opposition dans les quinze jours peut introduire une requête aux fins de contestation de validité
de ladite sentence, en prétendant être dans le délai de deux mois prévu pour sa recevabilité.
Ce recours ne peut être reçu car il importe de rappeler que les motifs du refus d’exequatur
et de la contestation de la validité sont identiques ; en conséquence, si l’exequatur a été accordé,
cela implique qu’aucun des motifs n’a été retenu.

32
La loi malienne peut être comprise également au sens d’une disposition communautaire par exemple celles de
l’acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.

202
a. le caractère exécutoire de l'arbitrage CCJA
Il découle des dispositions de trois articles que nous analyserons successivement.
Le caractère exécutoire de la sentence CCJA munie de l’exequatur ressort des dispositions
de l’article 30.2 du règlement d’arbitrage CCJA.
Par ailleurs, l’article 27 du Règlement d’arbitrage CCJA reconnait l’autorité définitive de
la chose jugée conférée aux sentences arbitrales CCJA bénéficiant de l’exequatur en ces
termes : « …..elles (les sentences) peuvent faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire
de l’un quelconque des Etats-parties.33 ».
Le point de départ de cette force obligatoire est, aux termes de l’article 41 du Règlement
de procédure de la CCJA, le jour du prononcé de l’arrêt.
Le principe du caractère exécutoire et celui de l’autorité de la chose jugée des arrêts de la
CCJA sont également posés par l’article 20 du Traité car dans l’hypothèse où la CCJA est saisie
d’un des recours ouverts contre la sentence ou son ordonnance d’exequatur, la formation
contentieuse de cette juridiction rend un arrêt.34
b. La possibilité de poursuivre l’exécuter de la sentence arbitrale CCJA sur l’espace
géographique communautaire de l’OHADA.
Le principe est que les traités et actes uniformes de l’OHADA ont vocation à s’appliquer
sur tout l’espace des Etats parties au Traité OHADA.
Il ressort de l’article 27 du Règlement de la CCJA que l’exécution forcée de la sentence
arbitrale peut être poursuivie sur le territoire de l’un quelconque des Etats-parties.
Ces dispositions donnent à la sentence arbitrage CCJA une force exécutoire
communautaire qui justifierait l’apposition de la formule exécutoire de tout Etat-partie sur le
territoire duquel l’exécution de la sentence est poursuivie.Nous en déduisons que la sentence
arbitrale CCJA par l’étendue de son champ « potentiel » d’exécution offre plus de chance que
l’exequatur du juge Etatique. Le bénéficiaire d’un exéquatur CCJA pourra solliciter autant de
formules exécutoires que de pays OHADA dans lesquels il souhaiterait procéder à l’exécution
forcée.
Cet avantage de la sentence CCJA munie de l’exequatur donne la possibilité à un
créancier d’une obligation découlant de la sentence arbitrale qui ne trouve pas des biens à saisir,
par exemple au Mali, de demander à l’Etat Ivoirien l’apposition de la formule exécutoire sur
une copie de la sentence afin de lui permettre de procéder à la saisie des biens du débiteur situés
ou déplacés en Côte d’ivoire.
Dans un autre sens, l’article 25 du Traité de l’OHADA renforce l’autorité des sentences
arbitrales CCJA par ces termes : « ont l’autorité de la chose jugée sur le territoire de chaque
Etat partie au même titre que les décisions rendues par les juridictions de l’Etat. »

33
Voir P. MEYER, OHADA Droit de l’arbitrage, Bruxelles, Bruylant, 2002.
34
L. RAVILLON, « Que reste-il du concept d’inarbitrabilité ? », in L’ordre public et l’arbitrage, (dir. Éric LOQUIN
et Sébastien Manciaux), Actes du colloque des 15 et 16 mars 2013, Lexis-Nexis 2014, p. 57.

203
L’autre aspect intéressant de cette législation est la prohibition de l’exécution de toute
décision contraire à un arrêt de la CCJA.
Force est de souligner que les Etats ont été amenés à mettre en place une juridiction
supranationale parce que les juridictions des Etats intégrés adoptaient parfois des solutions non
conformes, voire contradictoires au droit communautaire.
En plus d’œuvrer à réguler, orienter et unifier les interprétations et les applications de la
législation communautaire, le rôle de cette juridiction supranationale consiste à asseoir
l’unification législative par une unification jurisprudentielle.

B. Les défis et les perspectives de la promotion de la justice arbitrale au Mali

Le Mali, avant d’adhérer à l’OHADA avait ratifié plusieurs conventions concernant


l’arbitrage et introduit la justice arbitrale dans son droit interne à travers le décret N°94-226/P-
RM du 28 Juin 1994 portant code de procédure civile, commerciale et sociale.
Le paysage juridique de l’arbitrage a été complètement modifié par la nouvelle législation
communautaire et la mise en place, au plan national, du centre d’arbitrage et de conciliation du
Mali impulsé par la chambre de Commerce et d’Industrie du Mali.
En effet, la faible saisine du centre de conciliation et d’arbitrage du Mali (CECAM) est
révélatrice du manque d’engouement pour l’arbitrage dans la mesure où le centre, depuis le
démarrage effectif de ses travaux35 à nos jours, a rendu moins de Dix (10) sentences36.
Cette situation peut s’expliquer par plusieurs facteurs qui sont psychologiques, socio-
économiques.
Comme premier de ces facteurs, il est à noter que les opérateurs interrogés ignorent, pour
leur majorité37, l’existence de la voie arbitrale et du centre érigé à cet effet.
En effet, il ressort des recherches menées au niveau du CECAM que les parties
lorsqu’elles rédigent les contrats ne prévoient pas de convention d’arbitrage ou même
lorsqu’elles le prévoient ces clauses sont souvent pathologiques38.
Quant aux opérateurs qui connaissent l’existence du centre, il ressort de leurs déclarations
qu’ils n’ont pas, pour le moment, confiance en l’arbitrage proposé au Mali qui est assimilé à la
justice Etatique ; et cette attitude de méfiance trouve son explication dans le fait que l’arbitrage
est mal connu.
De création récente, le centre d’arbitrage du Mali est une institution peu connue qui ne
prouvera son efficacité qu’avec le temps et la pratique.

35
P. KINSCH, La sauvegarde de certaines politiques législatives, cas d’intervention de l’ordre public international
?, in Vers de nouveaux équilibres entre ordres juridiques, Mélanges en l »honneur d’Helene Gaudemet-Tallon,
Dalloz 2008, pp. 447 – 458.
36
Voir point 6 du questionnaire rempli par le CECAM en annexe.
37
Sur les 10 opérateurs interrogés, un seul dit connaitre l’arbitrage.
38
Voir point 9 du questionnaire rempli par le CECAM en annexe.

204
En attendant d’avoir des gages de qualité et d’efficacité de la justice arbitrale, la plupart
des opérateurs préfèrent se tourner vers les juridictions Etatiques dont ils connaissent les règles
de procédure et les rouages.
Nous avons rapproché un arbitre du centre qui estime, à ce propos, que la jeunesse du
centre est de nature à créer une certaine méfiance des opérateurs économiques, et selon ses
déclarations, cette méfiance se dissipera progressivement grâce à des sentences de qualité et
une meilleure promotion de l’arbitrage.
Le centre de conciliation et d’arbitrage n’étant pas le seul baromètre de la pratique de
l’arbitrage, nous avons élargi nos recherches aux juridictions judiciaires de la place, dans le but
de recueillir des informations sur le niveau d’exequatur des sentences et les recours éventuels
contre les sentences arbitrales.
Les passages effectués aux niveaux des six tribunaux de première instance du District de
Bamako, du Tribunal du commerce de Bamako et celui de Kati, nous ont permis de recueillir
et dresser le point suivant.
Au niveau du tribunal de première instance de la commune II de Bamako, il a été rendu
un jugement d’exequatur de sentence arbitrale qui est joint en annexe et dont le dispositif
renseigne du rôle du juge de l’exequatur.
L’arbitrage qu’offre la CCJA s’intègre dans l’environnement mondial de l’arbitrage et
confère à l'arbitrage africain des avantages incontestables et considérables, ce qui ne signifie
pas que l’arbitrage de droit commun OHADA est sans avantages.
L’abolition par le législateur OHADA des distinctions entre arbitrage commercial et civil,
interne et international participe à la vulgarisation de ce merveilleux instrument de justice qui
reste, hélas, très mal connu et très souvent détourné de son sens de justice amiable.
La pratique que l’on observe sous nos cieux est aux antipodes des principes de la justice
arbitrale « amiable » car au lieu d’exécuter la sentence, les parties s’ingénient à user de
manœuvres et voies dilatoires dont le but est de retarder et contester la sentence.
Ces types d’agissements, devenus très fréquents, sont de nature à enlever à l’arbitrage ses
avantages et à le rendre plus long et lourd que la procédure judiciaire.
Que vaut finalement une justice arbitrale sans la célérité, le caractère confidentiel de la
procédure arbitrale, le principe d’absence de recours ordinaires, la faculté d’exécuter
rapidement la sentence ?
Une justice arbitrale dénaturée ou détournée de son objet a-t-elle des chances de constituer
une réelle alternative et aider les Etats africains dans leur quête de sécurisation des
investissements ?
Tous ces questionnements nous engagent à œuvrer chacun à son niveau à cette laborieuse
construction qui ne pourra se réaliser sans l’engagement véritable des Etats et celui de
l’ensemble des intervenants dans les domaines judiciaire, juridique et économique.

205
Il est grand temps pour les juristes basés en Afrique de prendre une part active dans le
monde de l’arbitrage en faisant valoir leur savoir-faire afin de pouvoir capter au moins
l’arbitrage des différends qui naissent dans son espace juridique.
Sur la base des analyses qui précèdent, des insuffisances évoquées et des problèmes
rencontrés dans la pratique, il importe d’appeler de tous nos vœux une harmonisation des textes
voire l’élaboration d’un code sur l’arbitrage.
L’un des objectifs étant d’aboutir à une simplification de la procédure d’exequatur à
l’image de celle prévue devant la CCJA, car tout cela rajouté à une véritable promotion de la
justice arbitrale promouvrait l’investissement tant au Mali que dans l’espace commun.

BIBLIOGRAPHIE

I. OUVRAGES SPECIALISES :

-HASCHER D. : « L’intervention du juge étatique en matière arbitrale », communication au


colloque sur l’OHADA et les perspectives de l’arbitrage en Afrique centrale, Yaoundé,
décembre 1999 ;
-Pierre MEYER: « Droit de l’Arbitrage OHADA », édition Bruyland Bruxelles, 2002 ;
-Alain FENEON : « Droit de l’arbitrage OHADA », Edicef/éditions FFA, 2000 ;
-KENFACK DOUAJNI G. : « L’arbitrage dans le système OHADA », thèse, droit, Paris I,
2005 ;
-POUGOUE Paul Gérard, TCHAKOUA Jean Marie et FENEON Alain : « Le droit de
l’arbitrage dans l’espace OHADA » édition PUA 2000 ;
-LEBOULANGER Philippe : « Présentation générale des actes uniformes sur l’arbitrage »,
séminaire international de décembre 1998 à Yaoundé sur l’OHADA et les perspectives de
l’arbitrage en Afrique, éd. Bruylant, ………….
-ROSENSTIEL F. : « Le principe de la supranationalité : Essai sur les rapports de la politique
et du droit », Pedone, Paris, 1962.
-POUGOUE Paul Gérard : « Présentation générale et procédure en OHADA », coll. dt un, PUA,
Yaoundé, 1998.
-TCHANTCHOU Henri : « La supranationalité judiciaire dans le cadre de l’OHADA : Etude à
la lumière du système des communautés européennes », thèse de doctorat, Université de
Poitiers, avril 2008.
-Ibrahima Khalil DIALLO : « Arbitrage commercial interne et international, OHADA-Sénégal-
Côte d’Ivoire-Guinée, Abrégé théorique et traité pratique », 1999;
-Philippe FOUCHARD, Emmanuel GAILLARD, Berthold GOLDMAN, Traité de l'arbitrage
commercial international, édition LexisNexis, 1996 ;

206
-Alan REDFERN, Martin HUNTER, Droit et pratique de l’arbitrage international, 2ème édition,
LGDJ ;
-Jean ROBERT : l’Arbitrage droit interne, droit international privé, 6eed Dalloz ;
II. OUVRAGES GENERAUX
-Pierre MAYER et Vincent HEUZE : « Droit international Privé », 8ème édition, Monchrestien,
2004 ;
-Jean VINCENT, Serge GUINCHARD : Procédure civile, 26e édition, Dalloz ;
-Akueté Pedro SANTOS et Jean Yado TOE : « Droit commercial général OHADA », édition
Bruyland Bruxelles, 2002 ;
-François TERRE : « Introduction générale au droit », 8eed Dalloz Précis ;

III. CONVENTIONS, TRAITES, LOIS ET DECRETS :


-Convention de New York sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales
étrangères ;
-Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et
ressortissants d’autres Etats ;
-Traité du 17 Octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique ;
-Acte uniforme du 11 Mars 1999 relatif au droit de l’arbitrage ;
-Règlement de procédure de la CCJA adopté le 18 Avril 1996 ;
-Nouveau Code de procédure civile français ;
-Décret n°99-254/P-RM du 15 Septembre 1999 portant Code de procédure civile, commerciale
et sociale du Mali et Décret ;

IV. REGLEMENTS D’ARBITRAGE :


-Règlement de la Chambre de commerce internationale ;
-Règlement d’arbitrage la CNUDCI /Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial
international ;
-Règlement d’arbitrage de la CCJA ;
-Règlement d’arbitrage du centre d’arbitrage et de conciliation du Mali ;
-Règlement d’arbitrage de la cour d’arbitrage de Côte d’Ivoire ;
-Règlement d’arbitrage du centre d’arbitrage de médiation et de conciliation de la chambre de
commerce d’industrie et d’agriculture de Dakar ;
-Règlement d’arbitrage du groupement inter patronal du Cameroun ;
-Règlement d’arbitrage de la chambre d’arbitrage de Guinée ;

207
V. THESES ET ARTICLES :
SOCKENG R. : « Justice étatique et justice arbitrale dans l’acte uniforme relatif au droit de
l’arbitrage », RCA, n°7.

208
LE POUVOIR PRÉSIDENTIEL ET LA DÉCENTRALISATION RÉGIONALE AU
CAMEROUN

Par

François NAMA MAOH*


Chargé de cours
Université de Bertoua – FSJP (Cameroun)

Résumé
La décentralisation régionale étant désormais effective au Cameroun, l’on s’interroge sur son
incidence sur le pouvoir présidentiel ? L’exploitation des textes juridiques permet de constater que cette
incidence est duale. D’une part, le pouvoir présidentiel est conforté par la décentralisation régionale.
Elle renforce sa prépondérance au sein de l’exécutif et vis-à-vis du pouvoir législatif. D’autre part, le
pouvoir présidentiel est confronté à la décentralisation régionale, dans la mesure où il fait l’objet de
limitation constitutionnelle pour les régions. Par ailleurs, les régions peuvent contester des choix
présidentiels.

Mots clés : pouvoir, président de la République, décentralisation, région.

Abstract
The regional decentralization is from now on a reality in Cameroon. What impact does is have on
the presidential power? On the basis of judicial text, we can assert that this impact is two-dimensional.
On the first hand, the presidential power is strengthened by the regional decentralization. The president
of the Republic becomes more dominating within the executive and towards the legislative. On the
second hand, the presidential power is confronted with the regional decentralization. It faces with
constitutional limits in the interests of the regions. Moreover, the regions can contest some choices made
by the President of the Republic.

Keys words: power, President of the Republic, decentralization, region.

INTRODUCTION

Vingt-cinq ans après sa consécration par la Constitution du 18 janvier 1996, la


décentralisation régionale est enfin effective au Cameroun1. Les pouvoirs territoriaux pouvant
contribuer à l’encerclement de l’État2, il convient s’interroger sur les conséquences de cette
évolution sur le pouvoir présidentiel.
La décentralisation est une « notion fluctuante »3 qui divise la doctrine. Comme le
constate un auteur, « chacun lui donne un contenu conforme à son idéologie de référence et

*
Mode de citation : François NAMA MAOH, « le pouvoir présidentiel et la décentralisation régionale au
Cameroun », Revue RRC, n° 025 / Septembre 2022, p. 209-232
1
Les premières élections des conseillers régionaux ont eu lieu le 6 décembre 2020.
2
BEAUD (O), « La multiplication des pouvoirs », Pouvoirs, n°143, 2012, pp. 56 et s.
3
CHABROT (C.), La centralisation territoriale. Fondement et continuités du droit public français, Thèse de
doctorat en droit public, Université de Montpellier I, 1997, p. 3.

209
l’affuble d’un habit sur mesure »4. Dans la conception normativiste, le critère retenu pour la
distinguer de la centralisation repose principalement sur le domaine de validité spatial des
normes. Hans KELSEN affirme dans ce sens que sur le plan des notions pures, la collectivité
juridique décentralisée est celle « dont l’ordre juridique se compose de normes qui ne valent
que pour une fraction du territoire »5. Cependant, la plupart des juristes considèrent plutôt la
décentralisation comme une modalité d’organisation de l’État. Mais les critères proposés pour
définir cette organisation sont nombreux et varient en fonction des auteurs : la personnalité
juridique, l’élection des autorités locales, les affaires locales, répartition des compétences,
l’autonomie, le pouvoir de tutelle. Pour Maurice HAURIOU par exemple, il y a décentralisation
lorsque les autorités locales sont élues par les populations de la circonscription6. « Les autorités
locales élues peuvent avoir plus ou moins d’attributions et plus ou moins de pouvoirs de
décision ; le pouvoir central peut conserver sur elle un pouvoir de tutelle plus ou moins étendu :
ce n’est qu’une question de degré dans la décentralisation »7. Cette conception est remise en
cause par Christophe CHABROT qui démontre l’absence de lien nécessaire entre la
décentralisation et la démocratie et privilégie le critère de la personnalité juridique : « la
décentralisation se définit juridiquement à partir du moment où sont créés des institutions
publiques, distinctes de l’administration centrale, dotées d’une personnalité juridique
propre»8. Quant à Charles EISENMANN, il retient davantage le critère de l’autonomie. Il
affirme à ce sujet que l’essence de la décentralisation est l’indépendance, l’autonomie, la liberté
d’action des autorités administratives locales par rapport aux autorités administratives
centrales9.
Les définitions recensées dans l’ordre juridique camerounais rattachent également la
décentralisation à l’organisation de l’État. L’idée générale est qu’il s’agit d’un transfert de
pouvoirs et de ressources du centre à la périphérie. Ainsi, aux termes de l’article 1er la Charte
africaine des valeurs et des principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du
développement local10, la décentralisation désigne « le transfert des pouvoirs, des
responsabilités, des capacités et des ressources du niveau national à tous les niveaux sous-
nationaux de gouvernement, afin de renforcer les capacités des gouvernements sous-nationaux
à promouvoir la participation des populations et la fourniture de services de qualité ». On
retrouve la même idée de transfert dans la définition prévue à l’article 5 alinéa 1 de la Loi
n°2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code général des collectivités territoriales
décentralisées (CGCTD) : « la décentralisation consiste en un transfert par l’État, aux
collectivités territoriales, de compétences particulières et de moyens appropriés ». Il convient

4
BAGUENARD (J.), La décentralisation, 7e éd. Paris, PUF (QSJ), 2006, p. 8.
5
Par contre, « la collectivité centralisée se définira comme la collectivité dont l’ordre se compose uniquement et
exclusivement de normes juridiques valant pour son territoire tout entier ». KELSEN (H.), Théorie pure du droit,
Traduction française de la 2e édition par Charles EISENMANN, Paris/Bruxelles, LGDJ/Bruylant, 1999, p. 306.
6
HAURIOU (M.), Précis de droit administratif, 2e éd., Paris, Librairie du Recueil Général des Lois et des Arrêts,
1893, p. 18.
7
Idem.
8
CHABROT (C.), « Démocratie et décentralisation : un couple platonique ? », Civitas Europa, no11, 2003, pp. 5
et s.
9
EISENMANN (C.), Cours de droit administratif, Tome 1, Paris, LGDJ, 1982, p. 265.
10
Adoptée par l’Union Africaine à Malabo le 27 juin 2014 et ratifiée par le Cameroun le 21 octobre 2019 (Décret
n°2019/583 du 31 octobre 2019 portant ratification de la Charte africaine des valeurs et des principes de la
décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local).

210
toutefois de relever que les deux définitions n’envisagent que la décentralisation territoriale.
Elles ne prennent pas en compte la décentralisation technique qui renvoie à l’opération par
laquelle l’État ou une collectivité territoriale décentralisée érige un service public en
établissement public.
À partir de la décennie 199011, la décentralisation fait partie des valeurs cardinales qui
doivent guider l’organisation et le fonctionnement de l’administration publique camerounaise.
Après avoir été éclipsée par les politiques de centralisation, elle est désormais une nouvelle
terre promise. Sa revitalisation est exigée par les bailleurs de fonds internationaux qui en font
une conditionnalité de leurs financements12. Elle est également l’une des recommandations de
la Conférence Tripartite de 1991. Les pouvoirs publics la présentent comme la solution idoine
face aux revendications du fédéralisme13. Mais elle semble également s’imposer comme l’une
des implications de la libéralisation en chantier. La décentralisation communale, dévitalisée par
des décennies de centralisation à outrance, une cure de jouvence semblait nécessaire pour
permettre aux communes d’être « à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science »14,
comme l’affirmait Alexis de TOCQUEVILLE. L’engouement affiché pour la décentralisation
va conduire à une évolution remarquable du droit applicable à cette matière. L’un des points
majeurs de cette évolution reste sans doute l’institution de la région. Janus juridique, elle
apparait tantôt comme une circonscription administrative, tantôt comme une collectivité
territoriale décentralisée15 dont la consécration est à l’origine de la requalification de la forme
de l’État par la Loi fondamentale16, qui prévoit désormais que « le Cameroun est un État
unitaire décentralisé »17. Par ailleurs, la décentralisation sera au centre d’une inflation de textes

11
De nombreuses études renseignent abondamment sur l’évolution historique de la décentralisation territoriale au
Cameroun. Voir par exemple : NLEP (R.-G.), L’administration publique camerounaise. Contribution à l’étude
des systèmes africains d’administration publique, Paris, LGDJ, 1986, pp. 89 – 92 ; GUIMDO DONGMO (B.-R.),
« Les bases constitutionnelles de la décentralisation au Cameroun (Contribution à l’étude de l’émergence d’un
droit constitutionnel des collectivités territoriales décentralisées)», in Revue Générale de Droit, No29, 1998, pp.
79 – 100 ; NACH MBACK (C.), « Un siècle de communalisation au Cameroun. Les misères de la démocratie
urbaine », Colloque WWICS – IGU, Dakar, 2004, pp. 4 et s ; HOND (J. T.), « État des lieux de la décentralisation
territoriale au Cameroun », in Magloire ONDOA (dir.), L’administration publique camerounaise à l’heure des
réformes, Paris, l’Harmattan, 2010, pp. 93 – 114 ; MANGA ZAMBO (E. J.), « La décentralisation et le temps :
réflexions sur le cas camerounais », in Maurice KAMTO, Stéphane DOUMBE-BILLE et Brusil Miranda METOU
(dir.), Regard sur le droit public en Afrique. Mélanges en l’honneur du Doyen Joseph-Marie Bipoun Woum, Paris,
l’Harmattan, 2016, pp. 267 – 296 ; KEUDJEU DE KEUDJEU (J. R.), Recherches sur l’autonomie des collectivités
territoriales décentralisées au Cameroun, Thèse de doctorat Ph.D. en droit public, Université de Douala,
2010/2011, pp. 60 – 91.
12
PEKASSA NDAM (G. M.), « La classification des communes au Cameroun », RASJ, Vol. 6, n°1, 2009, pp.
229 et s ; CABANIS (A.) et MARTIN (M. L.), Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique
francophone, Louvain, Bruylant-Academia, 2010, p. 161.
13
MENTHONG (H.-L.), « La construction des enjeux locaux dans le débat constitutionnel au Cameroun »,
Polis/R.C.S.P. /C.P.S.R. Vol. 2, n°2, 1996, pp. 86 et s ; LEKENE DONFACK (E. C.), « Le renouveau de la
question fédérale au Cameroun », Penant, n°826, 1998, pp. 51 et s ; NACH MBACK (C.), Démocratisation et
décentralisation. Genèse et dynamiques comparés des processus de décentralisation en Afrique subsaharienne,
Paris, Karthala, 2003, pp. 140 – 153.
14
TOCQUEVILLE (A.), De la démocratie en Amérique I, document produit en version numérique par Jean-Marie
Tremblay dans le cadre de la collection : « Les classiques des sciences sociales », disponible sur :
http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques des sciences sociales/index.html, Consulté le 08 septembre 2022.
15
GUIMDO DONGMO (B.-R.), « La région en droit public camerounais : quel janus juridique ? », RRC-Droit
prospectif, 2022-1, pp. 494 – 515.
16
OLINGA (A. D.), La constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, TA/PUCAC, 2006, p. 265.
17
Article 1er alinéa 2 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.

211
législatifs18 et règlementaires19. Depuis la promulgation de la Loi n°2019/024 du 24 décembre
2019, en droit public, elle fait partie des quelques matières pour lesquelles il existe un code. Sur
le plan institutionnel, on note la création d’un ministère spécialement en charge de la
décentralisation20. Par ailleurs, le législateur prévoit plusieurs organes dédiés à son suivi21 : le
Conseil National de la Décentralisation, le Comité interministériel des Services Locaux, le
Comité National des Finances Locales, la Commission interministérielle de la Coopération
Décentralisée.
Pour certains auteurs, la décentralisation n’est pas qu’une simple technique
d’organisation administrative. Elle est, au même titre que la séparation des pouvoirs, un
instrument au service de la liberté. Dans ce sens, Maurice HAURIOU, qui en fait une condition
essentielle de la liberté politique, considère les collectivités locales comme des organes
d’expression de la souveraineté dans l’État22. Selon le Doyen de Toulouse, la décentralisation
serait une « décomposition de la souveraineté en plusieurs formes et plusieurs pouvoirs répartis
entre plusieurs éléments de la nation »23. Dans le même sens, Guillaume PROTIÈRE affirme
qu’avec l’inscription de la décentralisation dans la constitution, le pouvoir local permet au
peuple de s’exprimer dans un autre cadre que celui de l’État24. De ce point de vue, la
décentralisation se voit attribuer une place dans la théorie des contre-pouvoirs25. En France,
pendant les débats de la première Assemblée nationale constituante de 1946, le rapporteur
spécial de la commission pour le titre VIII (Des collectivités locales), Jacques ARRÈS-
LAPOQUE, avait affirmé dans cette même logique que « Nous avons voulu, en affermissant
considérablement les pouvoirs des collectivités locales, réaliser un des éléments du
système “ contrepoids et équilibre ” qui caractérisera notre constitution »26.
Au Cameroun, les participants à la Rencontre Tripartite semblent avoir eu de la
décentralisation régionale une attente similaire. En effet, dans les résolutions adoptées le 17
novembre 199127, ils recommandaient « l’aménagement d’une nouvelle répartition des

18
Voir par exemple : la Loi n° 92/02 du 14 août 1992 fixant les conditions d’élection des conseillers municipaux,
et ses modifications subséquentes ; Loi n°2004/17 du 22 juillet 2004 d’orientation de la décentralisation ; Loi
n°2004/18 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes ; Loi n°2004/19 du 22 juillet 2004 fixant
les règles applicables aux régions ; la loi n° 2006/004 du 14 juillet 2006 fixant le mode d’élection des conseillers
régionaux ; Loi n°2009/11 du 10 juillet 2009 portant régime financier des collectivités territoriales décentralisées .
19
Pour un aperçu des textes règlementaires en vigueur avant 2019, voir OWONA (J.), La décentralisation
camerounaise, Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 30 et s.
20
Décret n°2018/190 du 02 mars 2018 modifiant et complétant certaines dispositions du Décret n°2011/408 du 09
décembre 2011 portant organisation du Gouvernement.
21
Articles 87, 88, 90 et 91 du CGCTD.
22
HAURIOU (M.), Principes de droit public, 2e éd., Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1916, p. 608.
23
Ibid., p. 607.
24
PROTIÈRE (G.), La puissance territoriale. Contribution à l’étude du droit constitutionnel local, Thèse de
doctorat en droit public, Université Lumière Lyon II, 2006, p. 193 ; Voir également : « Le pouvoir local, expression
de la puissance de l’État ? », disponible sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00590636, p. 6. Consulté le 23
septembre 2021.
25
ROIG (C.), « Théorie et réalité de la décentralisation », RFSP, n°3, 1966, p. 455 ; PROTIÈRE (G.), « Le pouvoir
local, expression de la puissance de l’État ? », op.cit., pp. 6 et s.
26
Journal officiel de la République française, mercredi 17 avril 1946, p. 1914.
27
Sur les résolutions de la Rencontre tripartite, lire ONDOA (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions
politiques du Cameroun. Tome V. La déconstruction du présidentialisme, Yaoundé, Les Éditions le Kilimandjaro,
2019, pp. 564 – 566 ; KAMTO (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions politiques du Cameroun,
Yaoundé, Presses Universitaires du Cameroun, 2021, pp. 370 et s.

212
pouvoirs entre l’État et les collectivités locales, par l’instauration d’un pouvoir régional à
l’échelon provincial ». Or une nouvelle répartition des pouvoirs impliquait sans doute une
limitation du pouvoir présidentiel. Puisque dans le présidentialisme autoritaire ainsi rejeté, « le
Président réunit en sa personne l’essentiel du Pouvoir »28.
Depuis l’indépendance, le président de la République est prévu dans toutes les
constitutions du Cameroun29. S’il appartient au pouvoir exécutif, il n’a rien d’un exécutant30.
Bien au contraire, il exerce « une véritable chefferie suprême, surplombant, au sens propre du
terme l’ensemble des institutions de la République »31. Sa prépondérance résulte sans doute de
son mode de désignation qui fait de lui l’unique « élu de la nation toute entière »32. Mais elle
tient aussi et surtout à ses nombreuses prérogatives qui font de lui, selon l’expression d’un
auteur, un « président à tout faire »33. Prises globalement, ces prérogatives forment le « pouvoir
présidentiel ». Il s’agit d’une capacité d’agir34 qui peut être considérée comme la souveraineté
nationale exercée par l’intermédiaire du président de la République35 ou encore
comme l’élément fractionné de la souveraineté incorporé dans cet organe36. Il constitue avec le
pouvoir gouvernemental les deux réalités qui composent le pouvoir exécutif37.
Le président de la République est l’institution autour de laquelle « se déterminent les
autres acteurs institutionnels, se fixent leurs pouvoirs et marge de manœuvres »38. Comme dans
la métaphore utilisée par Simon BOLIVAR dans son projet de constitution pour la Bolivie, il
est « le soleil qui, ferme en son centre, donne la vie à l’univers »39. Le centre, c’est d’abord et
surtout le président de la République. Par conséquent, si la décentralisation régionale peut être
conçue comme une technique de limitation du pouvoir central, on pourrait a priori penser
qu’elle contribue fatalement à l’endiguement du pouvoir présidentiel. D’où la question au
centre de la présente étude : quelle est l’incidence de la décentralisation régionale sur le
pouvoir présidentiel au Cameroun ?
Pour y proposer une réponse, comme pour beaucoup d’autres questions de droit
constitutionnel camerounais, l’analyse repose essentiellement sur les textes juridiques, compte

28
GICQUEL (J.), « Le présidentialisme négro-africain. L’exemple camerounais », in Mélanges en l’honneur de
Georges Burdeau. Le pouvoir, Paris, LGDJ, 1977, p. 713.
29
Titre III de la Constitution du 04 mars 1960 ; Titre III de la constitution du 1er septembre 1961 ; Titre II de la
constitution du 02 juin 1972 ; Titre II, chapitre 1 de la Loi constitutionnelle n°96/06 du 18 janvier 1996.
30
OLINGA (A. D.), « Notule sur la séparation des pouvoirs dans la constitution camerounaise », in Alain
ONDOUA (dir.), La constitution camerounaise du 18 janvier 1996 : bilan et perspectives, Paris, 2007, p. 22.
31
Idem.
32
Article 5 alinéa 2 de la Loi constitutionnelle n°96/06 du 18 janvier 1996.
33
BANKOUNDA-MPELE (F.), « Repenser le président africain », Contribution au 7e Congrès Français de Droit
Constitutionnel, Paris, 25 – 27 septembre 2008, p. 9.
34
Dans son sens étymologique, le mot pouvoir, du latin « potesta » désigne la « capacité d’agir ». Voir :
DUHAMEL (O.) et MENY (Y.), Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, p. 770.
35
Aux termes de l’article 2 alinéa 1 de la Constitution, la souveraineté nationale est exercée, entre autres, par
l’intermédiaire du Président de la République.
36
DUGUIT (L.), Manuel de droit constitutionnel. Théorie générale de l’État – Le droit et l’État – Les libertés
publiques – L’organisation politique de la France, 4e éd., Paris, éd. de BOCCARD, 1923, p. 157.
37
OLINGA (A. D.), « Notule sur la séparation des pouvoirs dans la constitution camerounaise », op.cit., p. 22.
38
AIVO (F. J.), Le Président de la République en Afrique noire francophone. Genèse, mutations et avenir de la
fonction, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 22.
39
MODERNE (F.), « Les avatars du présidentialisme dans les États latino-américains », Pouvoirs, no 98,
L’Amérique latine, 2001, p. 64.

213
tenu de la rareté de la jurisprudence constitutionnelle40. Leur exploitation permet constater une
incidence duale. Le pouvoir présidentiel est à la fois conforté par la décentralisation régionale
(I) et confronté à celle-ci (II).

I – LE POUVOIR PRÉSIDENTIEL CONFORTÉ PAR LA


DÉCENTRALISATION RÉGIONALE

Le déséquilibre des pouvoirs dans la constitution camerounaise est mis en lumière par la
doctrine. En effet, de nombreux travaux présentent des attributions du président de la
République qui lui permettent de dominer les autres pouvoirs41. La décentralisation régionale
renforce ce déséquilibre en sa faveur aussi bien au sein de l’exécutif (1) que dans ses rapports
avec le pouvoir législatif (2).

A – Le renforcement de la prépondérance du pouvoir présidentiel au sein de


l’exécutif par la décentralisation régionale

L’asymétrie de pouvoir au sein de l’exécutif est l’un des traits saillants des régimes
politiques des États de l’Afrique noire francophone42. Au Cameroun en particulier, le pouvoir
exécutif « repose sur deux piliers, mais qui sont de puissance inégale »43. Celle inégalité est
accentuée par la décentralisation régionale qui étend les compétences du président de la
République (1) tout en réduisant celles des autorités ministérielles (2).

1 – L’extension des compétences présidentielles à la décentralisation régionale


Le pouvoir présidentiel a désormais un nouveau champ d’exercice. Celui de la
décentralisation régionale. L’une des modalités de son extension à ce domaine consiste à
attribuer au président de la République, en matière de décentralisation régionale, des
prérogatives qu’il exerçait déjà en matière de décentralisation communale. Ce type d’extension
concerne d’abord le découpage des collectivités territoriales décentralisées. À ce sujet, il
convient de rappeler qu’avant la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, le président
République est le maître absolu de la carte communale. La Loi n°74/23 du 05 décembre 1974
portant organisation communale lui permet de créer les communes, de fixer leurs sièges,
dénominations et limites géographiques44. Il peut également procéder au regroupement
temporaire ou définitif des communes45, les soumettre au régime spécial prévue au titre VI46.
Lorsque la Loi n°87/15 du 15 juillet 1987 est promulguée, c’est aussi à lui que revient le pouvoir

40
ONDOA (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions politiques du Cameroun. Tome I : La formation des
entités territoriales camerounaises, Yaoundé, Les Éditions le Kilimandjaro, 2019, pp. 60 et s.
41
Voir par exemple : OLINGA (A. D.), « Notule sur la séparation des pouvoirs dans la constitution
camerounaise », op.cit., pp. 19 – 28 ; GUIMDO (B.-R.), « Les rapports entre les pouvoirs dans le régime politique
camerounais », in Magloire ONDOA et Patrick Edgard ABANE ENGOLO (dir.), L’exception en droit. Mélanges
en l’honneur de Joseph OWONA, Paris, l’Harmattan, 2021, pp. 83 – 105.
42
CABANIS (A.) et MARTIN (M. L.), Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone,
Louvain, Bruylant-Academia, 2010, pp. 92 et s.
43
KAMTO (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions politiques du Cameroun, op.cit., p. 512.
44
Article 4 de la Loi n°74/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale.
45
Article 7 de la Loi n°74/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale.
46
Article 177 de la Loi n°74/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale.

214
d’ériger une agglomération en communauté urbaine47. La loi constitutionnelle du 18 janvier
1996 ira dans le même sens en assurant au président de la République la maîtrise de la carte
régionale. Elle prévoit qu’il peut modifier les dénominations et délimitations géographiques des
régions existantes ou créer de nouvelles régions48. Le pouvoir reconnu au président de la
République dans ce domaine est discrétionnaire. Il est le seul juge de l’opportunité de la
modification de la carte régionale. C’est la première fois que le constituant accorde ainsi au
chef de l’exécutif un droit de vie ou de mort sur les collectivités territoriales de ce niveau. Dans
les textes constitutionnels antérieurs ayant institué la décentralisation au niveau provincial, les
procédures prévues en la matière sont plutôt favorables au débat préalable. Par conséquent, elles
font intervenir plusieurs organes collégiaux, parmi lesquels les chambres parlementaires. Sous
l’empire du Décret n°57-501 du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun, la création d’une
province nécessite l’intervention d’un décret en conseil des ministres pris par la métropole, sur
proposition du Gouvernement camerounais et après avis de l’Assemblée législative49. La
Constitution du 04 mars 1960 va dans le même sens. La création et la suppression des
collectivités locales en général est initiée par le Gouvernement et approuvée par l’Assemblée
nationale sous forme de loi50. Lorsqu’il s’agit des provinces, le débat sur la question peut
commencer au niveau local. L’article 46 de ladite constitution prévoit à cet effet que « la
création de nouvelles provinces, leur suppression ou leur modification des limites de provinces
sont décidées après avis des Conseils généraux des provinces intéressées ». Sous l’empire de
la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, l’intervention du Parlement dans la modification de
la carte régionale n’est pas prévue, alors même qu’il comprend désormais un Sénat qui
représente les régions51. Par ailleurs, la consultation préalable des collectivités intéressées,
initialement prévue dans l’Avant-projet de constitution élaboré par le Comité Technique sur les
questions constitutionnelles de la Tripartite52 n’a pas été retenue. Il en est de même des éléments
prévus dans ce texte pour justifier la création de nouvelles régions, à savoir : la spécificité des
populations, l’identité socioculturelle et les intérêts53. Finalement, pour la modification de
l’assiette des régions, aucun débat préalable n’est exigé. Aucun critère d’appréciation n’est
prévu. Seule la volonté du président de la République compte. Il dispose de la même liberté
qu’en matière de découpage des circonscriptions administratives.
La Loi du 5 décembre 1974 avait également avait reconnu au président de la République
un pouvoir de sanction sur les organes délibérant54 et exécutif de la commune55. En matière
régionale, la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 en ferra autant. Le Conseil régional peut
être dissout par le président de la République en cas d’accomplissement d’actes contraires à la
constitution, d’atteinte à la sécurité de l’État ou à l’ordre public, de mise en péril de l’intégrité

47
Article 2 de la Loi n°87/15 du 15 juillet 1987 portant création des communautés urbaines.
48
Article 61 alinéa 2 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.
49
Article 31 du Décret n°57-501 du 16 avril 1957 portant statut du Cameroun.
50
Article 23 de la Constitution du 04 mars 1960.
51
KOUOMEGNE NOUBISSI (H.), Décentralisation et centralisation au Cameroun. La répartition des
compétences entre l’État et les collectivités locales, op.cit., p. 66.
52
OLINGA (A. D.), La constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, TA/PUCAC, 2006, p, 271.
53
Idem.
54
Article 23 de la Loi n°74/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale.
55
Article 57 de la Loi n°74/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale.

215
du territoire national ou d’impossibilité durable de fonctionner normalement56. Pour les mêmes
motifs, il peut destituer l’exécutif de la région57.
La deuxième modalité d’extension de la compétence du président de la République
consiste à lui attribuer en matière régionale des compétences qu’il n’avait jamais exercées en
matière communale. C’est le cas de certaines prérogatives reconnues au ministre de tutelle en
matière communale. La nomination du secrétaire général de la collectivité territoriale
décentralisée en est un exemple. Dans la décentralisation communale, en principe, la
nomination de ce principal collaborateur du maire était du ressort du ministre chargé des
collectivités territoriales58. La loi n°87/15 du 15 juillet 1987 avait apporté une exception à cette
règle en reconnaissant au président de la République le pouvoir de nommer les secrétaires
généraux des communautés urbaines59. Désormais, ce pouvoir présidentiel de nomination
s’étant aux régions. En effet, l’article 323 alinéa 1 du CGCTD prévoit que « le président de la
République nomme aux fonctions de Secrétaire Général de la région, sur proposition du
Ministre chargé des collectivités territoriales. Il met fin auxdites fonctions ».
On peut constater une évolution similaire sur la suspension des organes de la collectivité
territoriale décentralisée. Sous l’empire de la Loi du 05 décembre 1974 portant organisation
communale, seule l’autorité de tutelle avait le pouvoir de suspendre le conseil municipal ou les
magistrats municipaux. À partir des lois de 2004 sur la décentralisation, la même compétence
est attribuée au président de la République en matière régionale. Il peut donc de suspendre le
les organes délibérants et exécutifs de la région en cas d’accomplissement d’actes contraires à
la constitution, d’atteinte à la sécurité de l’État ou à l’ordre public, de mise en péril de l’intégrité
du territoire national ou d’impossibilité durable de fonctionner normalement60.
Dans certains cas, l’autorité de tutelle est simplement dépossédée d’une compétence qui
lui était reconnue au profit du président de la République. Celui-ci va désormais l’exercer non
seulement en matière communale mais également en matière régionale. La gestion de la
vacance de l’organe délibérant de la collectivité territoriale décentralisée en est une illustration.
L’article 24 de la Loi du 5 décembre 1974 portant organisation communale, prévoyait à ce sujet
qu’« en cas de dissolution d’un conseil ou de démission de la majorité de ses membres ou
lorsqu’un conseil municipal ne peut être constitué, l’autorité de tutelle désigne une commission
spéciale de sept membres dont un président et un vice- président ». Avec la promulgation des
lois du 22 juillet 2004 relatives aux communes et aux régions, c’est plutôt une délégation
spéciale qui se substitue à l’organe délibérant de la collectivité. Le pouvoir de la constituer est
partagé entre le Ministre chargé des collectivités territoriales et le président de la République.
Le premier est compétent pour la nomination de la délégation spéciale qui se substitue au
conseil municipal « en cas de dissolution d’un conseil municipal ou de démission de tous ses
membres en exercice et lorsqu’un conseil municipal ne peut être constitué »61. Quant au
président de la République, il intervient dans deux hypothèses. La première concerne la

56
Article 59 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 ; articles 296 et 297 du CGCTD.
57
Article 60 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 ; Articles 296, 297 et 315 du CGCTD.
58
Article 65 de la Loi n°74/23 du 05 décembre 1974 portant organisation communale.
59
Article 57 de la Loi n°87/15 du 15 juillet 1987 portant création des communautés urbaines.
60
Articles 48 et 72 de la Loi n°2004/019 du 22 juillet 2004 ; articles 296 et 314 du CGCTD.
61
Article 53 alinéa 2 de la Loi n°2004/018 du 22 juillet 2004.

216
constitution de la délégation spéciale qui se substitue à un au conseil municipal suspendu en
temps de guerre pour des motifs d’intérêt général ou d’ordre public62. La seconde hypothèse
concerne toute délégation qui se substitue au conseil régional63. Le CGCTD met fin à ce
partage. Il fait du président de la République la seule autorité compétente pour constituer une
délégation spéciale tant pour les communes64 que pour les régions65.
L’élargissement du domaine de compétences du président de la République est également
lié à la consécration de nouvelles structures administratives spécifiques à la décentralisation
régionale. C’est le cas des groupements mixtes. Constitués par accord entre des régions et l’État,
avec des établissements publics, ou avec des communes en vue d’une œuvre ou d’un service
présentant une utilité pour chacune des parties, ils sont autorisés ou supprimés par décret du
président de la République66. C’est le cas également du Public Independant Conciliator qui fait
office de médiateur dans les régions à statut spécial du Nord-ouest et du Sud-ouest. Il est nommé
par le président de la République67 qui détermine également les modalités d’exercice de ses
fonctions68.
Dans la pratique de la décentralisation régionale, même des compétences expressément
attribuées au Premier Ministre par la loi sont exercées par le président de la République. C’est
le cas de la signature de nombreux décrets fixant les modalités d’exercice de certaines
compétences transférées par l’État aux régions69. Il convient de rappeler que c’est au Premier
Ministre que le CGCTD confère le pouvoir de prendre des décrets d’application de son article
18 relatif à l’exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales
décentralisées70. La définition de l’organigramme type de l’administration régionale est un
autre exemple. Aux termes de l’article 496 du CGCTD, « un décret du Premier Ministre définit
l’organigramme-type de l’administration régionale, après avis des présidents des Conseils
Régionaux et des Présidents des Conseils Exécutifs Régionaux ». Pourtant, le 28 décembre
2021, le président de la République a pris un décret relatif à cette question71.
L’élargissement du champ de compétence du président de la République ainsi constaté
contraste avec la réduction des compétences ministérielles.

62
Article 52 alinéa 2 de la Loi n°2004/018 du 22 juillet 2004.
63
Articles 50, 51 et 52 de la Loi n°2004/019 du 22 juillet 2004.
64
Articles 191 et 192 du CGCTD.
65
Articles 298, 299 et 300 du CGCTD.
66
Articles 101 et 102 du CGCTD.
67
Article 368 alinéa 1 du CGCTD.
68
Article 371 du CGCTD.
69
Voir par exemple : Décret n°2018/744 du 28 décembre 2021 fixant les modalités d’exercice de certaines
compétences transférées par l’État aux régions en matières d’urbanisme et d’habitat ; Décret n°2021/745 du 28
décembre 2021 fixation les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’État dans le cadre de
leur participation à l’organisation et à la gestion des transports interurbains ; Décret n°2021/746 du 28 décembre
2021 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’État aux régions en matières de
tourisme et loisirs ; Décret n°2021/747 du 28 décembre 2021 fixant les modalités d’exercice de certaines
compétences transférées par l’État aux régions en matière de protection de l’environnement.
70
Article 18 alinéa 3 du CGCTD.
71
Il s’agit du Décret n°2021/742 du 28 décembre 2021 portant organisation type de l’Administration régionale.

217
2 – La réduction des compétences ministérielles par la décentralisation régionale
Aux termes de l’article 56 alinéa 1 de la Constitution, « l’État transfère aux régions, dans
les conditions fixées par la loi, des compétences dans les matières nécessaires à leur
développement économique, social, sanitaire, éducatif, culturel et sportif ». En droit, le
transfert désigne « une opération juridique de transmission d’un droit, d’une obligation ou
d’une fonction »72. D’où l’idée que le transfert de compétences aux régions s’accompagne d’une
réduction des compétences de l’État. Cette lecture semble d’autant plus pertinente que l’une
des exigences des bailleurs de fonds internationaux ayant contribué à la revitalisation de la
décentralisation visait justement la diminution du champ d’intervention de l’État73. Ainsi, le
transfert de compétences a pu être analysé comme « une façon pour l’État de se débarrasser,
sur les collectivités locales, de compétences qu’il n’arrivait plus à concilier avec sa nouvelle
politique de désengagement »74. Dans un premier temps, le législateur camerounais a semblé
adopter un raisonnement différent. En effet, le principe de l’exercice concurrent des
compétences transférées, posé par l’article 15 alinéa 2 de Loi d’orientation de la décentralisation
du 22 juillet 2004, permettait de penser que malgré le transfert, l’État gardait intact ses
compétences et qu’il devait seulement se résoudre à les partager avec les régions et les
communes. La CGCTD apporte une évolution importante sur la question. Il prévoit désormais
dans son article 18 alinéa 1 que « les collectivités territoriales exercent, à titre exclusif, les
compétences transférées par l’État ». Il en résulte qu’en principe, l’État n’est plus habilité à
exercer la compétence transférée. C’est d’ailleurs pourquoi le transfert d’une compétence
s’accompagne du transfert des ressources et moyens nécessaires à son exercice effectif75.
L’intervention de l’État devient exceptionnelle, notamment en application des dérogations
prévues à l’alinéa 2 du même article.
Cependant, tous les organes de l’État ne sont pas touchés par la soustraction des
compétences qu’entraine la décentralisation régionale. Le Gouvernement en est l’unique
victime. En effet, les compétences passent des ministères vers les régions. Le CGCTD évoque
expressément « le ministre concerné par la compétence transférée »76. Il l’habilite à saisir son
homologue chargé des collectivités territoriales pour faire constater la carence justifiant
l’exercice de la compétence transférée par l’État. Pour chaque compétence transférée, le
ministre concerné est clairement identifié dans le décret fixant les modalités de son exercice. Il

72
CORNU (G.), Vocabulaire juridique, 8e éd., Paris, PUF, 2009, p. 929.
73
CABANIS (A.) et MARTIN (M. L.), Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone,
op.cit., p. 172.
74
NACH MBACK (C.), Démocratisation et décentralisation. Genèse et dynamiques comparés des processus de
décentralisation en Afrique subsaharienne, Paris, Karthala/PDM, 2003, p. 405 et s.
75
Article 21 du CGCTD.
76
Article 18 alinéa 2.

218
lui revient de définir le cahier de charges qui précise les conditions et les modalités d’exercice
de la compétence qui échoit désormais à la commune77 ou à la région78.
Par contre, le président de la République n’est pas visé par le transfert de compétences
aux régions. Ses pouvoirs les plus importants étant consacrés par la constitution, le législateur
qui détermine les compétences transférées aux collectivités territoriales ne saurait les lui retirer.
Par ailleurs, le CGCTD, dans son article 18 alinéa 3, habilite le Premier ministre à fixer les
modalités d’exercice des compétences transférées. Cette habilitation confirme
l’intransférabilité des compétences présidentielles. Car, l’application des décrets que le Premier
Ministre prend dans ce cadre incombe non seulement aux communes et régions, mais également
aux ministres concernés79. Par contre elle ne saurait incomber au président de la République
qui le nomme, fixe ses attributions, met fin à ses fonctions et préside des conseils ministériels80.
En lui attribuant ces prérogatives, le constituant a voulu, « marquer la subordination et la
dépendance du Premier Ministre vis-à-vis du président de la République »81.
Comme le président de la République, les ministères qui lui sont rattachés sont épargnés
par le transfert de compétences. Il s’agit des ministères chargés du contrôle supérieur de l’État,
de la Défense, des marchés publics et des relations avec les assemblées82. Au-delà de leur
rattachement à la Présidence de la République, la non-transférabilité de leurs compétences
s’explique par le fait qu’ils n’interviennent pas principalement dans les mêmes domaines que
les collectivités territoriales décentralisées. Comme le prévoit l’article 56 alinéa 1 de la
Constitution, le transfert de compétences ne vise que les domaines économique, social,
sanitaire, éducatif, culturel et sportif.
L’extension des compétences présidentielles à la décentralisation régionale a des
conséquences sur ses rapports avec le pouvoir législatifs. Certaines prérogatives conférées au
président de la République dans ce domaine accentuent sa domination sur le parlement.

77
Voir par exemple : Article 13 du Décret 2011/004/PM du 13 janvier 2011 portant fixant les modalités d’exercice
de certaines compétences transférées par l’État aux communes en matière de construction, d’équipement et de
gestion des centres médicaux d’arrondissement ; article 17 du Décret n°2012/0878/PM du 27 mars 2012 fixant les
modalités de transfert de certaines compétences transférées par l’État aux communes en matière de promotion des
activités de reboisement dans les périmètres urbains et les réserves forestières concédées.
78
Voir par exemple : Article 18 du Décret n°2021/744 du 28 décembre 2021 fixant les modalités d’exercice de
certaines compétences transférées par l’État aux régions en matière d’urbanisme et d’habitat ; article 21 du Décret
n°2021/745 du 28 décembre 2021 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées par l’État
aux régions dans le cadre de leur participation à l’organisation et à la gestion des transports publics interurbains.
79
Dans les décrets fixant les modalités d’exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales
décentralisées, le ministre concerné par la compétence transférée est expressément cité parmi les autorités qui
doivent assurer son application. Voir par exemple : article 16 du Décret n°2011/004/PM du 13 janvier 2011 ;
article 20 du Décret n°2012/0878/PM du 27 mars 2012.
80
Article 10 alinéa 1 de la Constitution.
81
EFFA (J. P.), « Le pouvoir réglementaire du président de la République au Cameroun », in Patrick Edgard
ABANE ENGOLO et Jean-Paul MARKUS (dir.), La fonction présidentielle au Cameroun, op.cit., p. 283.
82
Article 5 du Décret n°2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du Gouvernement ; article 4 du Décret
n°2011/412 du 09 décembre 2011 portant réorganisation de la Présidence de la République.

219
B – Le renforcement de la prépondérance du pouvoir présidentiel sur le législatif
par la décentralisation régionale

Les décrets pris par le président de la République pour modifier le nombre, la


dénomination et les limites géographiques des régions peuvent non seulement lui permettre de
modifier la composition du Sénat (1), mais également conduire à l’adoption des lois
d’application de décrets présidentiels par le parlement (2).
1 – La recomposition du Sénat par le décret présidentiel portant modification du
nombre de régions
Les moyens d’action du président de la République sur le pouvoir législatif sont
nombreux : la dissolution de l’Assemblée nationale ; la nomination de 30% des sénateurs ;
l’initiative en matière législative ; les demandes adressées aux chambres du parlement en vue
de la seconde lecture d’une loi, de la tenue d’une réunion extraordinaire ou du congrès, de
l’abrègement ou la prorogation du mandat des députés. À cette liste déjà longue, il convient
d’ajouter la modification de la composition du Sénat.
Le Sénat camerounais est actuellement composé de 100 sénateurs. Mais, ce nombre ne
figure nulle part dans la constitution. Le nombre de sénateurs n’est pas fixé à l’échelle nationale,
mais plutôt à l’échelle régionale. Aux termes de l’article 20 alinéa 2 de la constitution, « chaque
région est représentée au Sénat par dix (10) Sénateurs dont sept (7) sont élus au suffrage
universel indirect sur la base régionale et trois (3) nommés par le Président de la République ».
Par conséquent le nombre total de sénateurs dépend du nombre de régions. Cette solution n’est
pas inconnue en droit constitutionnel étranger. Elle est également retenue pour la composition
de la chambre haute dans certains États fédéraux ou régionaux. À titre d’illustration, l’article
1er section 3 de la constitution américaine de 1787 prévoit que « le Sénat des États-Unis sera
composé de deux sénateurs pour chaque État… ». Des dispositions similaires sont prévues pour
le Sénat espagnol83 et le Bundesrat en Allemand84. Cependant, dans ces États, le chef de
l’exécutif ne peut pas changer le nombre de collectivités représentées au sein de la chambre
haute. La réduction ou l’augmentation du nombre total de membres de cette chambre lui
échappe. Le constituant camerounais s’écarte de ce schéma. En habilitant le président de la
République à modifier le nombre de régions, il lui accorde implicitement le pouvoir
d’augmenter ou réduire le nombre de sénateurs85.
L’une des conséquences de la solution retenue pour déterminer la composition du Sénat
est qu’en cas de suppression d’une région par décret présidentiel, les sièges qui lui revenaient
au sein de cette chambre disparaissent. On aboutit donc à une réduction du nombre de sénateurs.
Le résultat aurait été différent si le nombre de siège total du Sénat avait été fixé par la
constitution. Le cas de l’Assemblée nationale est assez édifiant sur ce point. La modification
du découpage territorial par décret présidentiel n’a aucune incidence sur le nombre de députés.
Elle n’entraine pas automatiquement sa réduction ou son augmentation. La pratique le

83
Article 74 de la Constitution espagnole de 1978.
84
Article 51 de la Loi Fondamentale Allemande de 1949.
85
KOUOMEGNE NOUBISSI (H.), Décentralisation et centralisation au Cameroun. La répartition des
compétences entre l’État et les collectivités locales, op.cit., p. 85.

220
confirme. L’Assemblée nationale est composée de 180 députés depuis la révision
constitutionnelle 17 mars 1988. Malgré la création de nouveaux départements86, ce nombre n’a
pas changé. Pourtant, le département est la circonscription électorale pour les élections des
députés. La modification du découpage territorial a plutôt conduit à une redistribution des sièges
entre les circonscriptions électorales. Une telle redistribution est également inévitable en cas de
réduction du nombre de départements par le président de la République. Par contre, en cas de
suppression d’une région par le président de la République, les sièges occupés par ses
représentants au Sénat ne peuvent être redistribués aux autres régions. Car, juridiquement, une
région ne saurait avoir plus de dix sénateurs.
Inversement, le président de la République, en créant de nouvelles régions, augmente
automatiquement le nombre de sénateurs. Certes, le cas échéant, toutes les régions n’auront
plus la même source. On pourra faire une distinction entre les régions créées par le constituant
et les régions créées par le président de la République. Mais cette différence de sources ne
correspond pas à une différence de régime juridique87. La Constitution lorsqu’elle traite de la
représentation des régions au sein du Sénat ne fait aucune distinction. Conformément à la
maxime Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, on peut conclure que les règles
prévues à l’article 20 alinéa 2 s’appliquent aussi bien aux régions créées par le constituant qu’à
celles créées par le président de la République. C’est donc à juste titre qu’un auteur a pu affirmer
à ce sujet que « la constitution du 18 janvier 1996 n’a pas limité la représentation des
collectivités aux seules régions créées par elle-même. La porte reste ouverte aux collectivités
territoriales créées ultérieurement à son adoption »88. La volonté du constituant de soumettre
toutes les régions aux règles générales qu’il a lui-même fixées apparaît clairement à l’article 62
alinéa 1 qui prévoit que « le régime général ci-dessus s’applique à toutes les régions ». Dans
le régime juridique des régions, il convient distinguer les règles juridiques prévues par le
constituant de celles prévues par le législateur. Les premières sont les mêmes pour toutes les
régions. Par contre, les secondes varient dès lors que « la loi peut tenir compte des spécificités
de certaines régions dans leur organisation et fonctionnement »89.
La liberté ainsi reconnue au président de la République de déterminer le nombre de sièges
d’une chambre parlementaire est inédite dans l’histoire constitutionnelle du Cameroun. Certes,
dans une ordonnance du 12 mars 1962, il avait déjà fixé le nombre de députés de l’Assemblée
nationale fédérale. Mais, dans ce cas, le président de la République n’avait aucune marge de
manœuvre. Tous les éléments nécessaires pour déterminer le nombre total de sièges avaient été
déterminés par la constitution90. Sous l’empire de la Constitution du 02 juin 1972, tout comme
sous celle du 04 mars 1960, l’augmentation ou la réduction du nombre de parlementaires par le

86
Décret n°92/186 du 01 septembre 1992 portant création de nouveaux départements.
87
KAMTO (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions politiques du Cameroun, op.cit., p. 765.
88
NGANG (J. M.), La représentation constitutionnelle des collectivités territoriales au Cameroun, Thèse de
Doctorat/Ph.D. en droit public, Université de Yaoundé 2, 2009-2010, p. 75.
89
Article 62 alinéa 2 de la Constitution du 18 janvier 1996.
90
En effet, l’article 54 de la Constitution du 1er mars 1961 prévoyait que : « Jusqu’au 1er avril 1964, l’Assemblée
nationale fédérale est composée des députés désignés en leur sein par les Assemblées législatives des États fédérés
proportionnellement au nombre d’habitants de chaque État, à raison d’un député par 80 000 habitants ». Par
ailleurs, selon l’article 60 du même texte, le nombre d’habitants de chaque État fédéré était fixé, compte tenu des
statistique de l’ONU ainsi qu’il suit : 3 200 200 pour le Cameroun Oriental ; 800 000 pour le Cameroun
Occidental.

221
président de la République n’est pas juridiquement envisageable. Elle nécessite une révision de
la constitution. C’est par cette procédure que le nombre de députés à l’Assemblée nationale a
été augmenté en 198391 et en 198892.
L’augmentation ou la réduction du nombre de régions pourrait être utilisée, comme la
nomination d’un tiers des sénateurs, pour garantir la présence au Sénat d’une majorité favorable
au président de la République. Ce serait notamment le cas si ce dernier décidait de multiplier
des régions dans ses fiefs électoraux, ou au contraire de diminuer le nombre de régions dans les
localités acquises aux partis d’opposition. L’histoire politiques du Cameroun montre que cette
éventualité n’est pas qu’une vue de l’esprit. En effet, pour asseoir son hégémonie le président
de la République n’hésite pas à recourir à la géographie administrative93. Par ailleurs, grâce à
la pratique du gerrymandering, le découpage électoral a pu jouer comme « un amortisseur de
défaites électorales ou un facteur de victoire électorales pour les gouvernants en place »94. Il
n’est donc pas exclu que des calculs politiciens motivent la modification de la carte régionale.
À ce sujet, comme le constate un auteur, « en cas de révision constitutionnelle envisagée par
voie parlementaire, cette faculté ouverte au président de la République prend tout son sens, car
il peut ainsi influencer, indirectement, l’issue du vote des deux chambres réunies en
congrès »95.

2 – La relégation du législateur au rang d’organe d’application du décret


présidentiel portant création de nouvelles régions
Selon les dispositions du Titre XI de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, le
président de la République dispose de prérogatives importantes en matière de révision de la
constitution. Il peut initier un projet de révision, demander une seconde lecture, soumettre tout
projet ou proposition de révision au referendum. Toutefois, à première vue, il ne dispose pas du
pouvoir de révision. Celui-ci est reconnu aux organes habilités à adopter la modification de la
constitution. Il s’agit du Parlement réuni en congrès et du peuple qui l’exerce dans le cadre du
referendum96.
L’analyse des dispositions constitutionnelles relatives à la carte régionale permet de
nuancer cette lecture. La Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 créé dix régions dont les
limites géographiques coïncident avec celles des dix provinces qui existent à cette date. Elle
accorde au président de la république le pouvoir de modifier cette carte régionale initiale. À ce
sujet, elle prévoit dans article 61 alinéa 2 que « le président de la République peut, en tant que
de besoin : a- modifier les dénominations et les limites géographiques des régions énumérées

91
La révision constitutionnelle du 21 juillet 1983 fait passer le nombre de député de 120 à 150.
92
La révision constitutionnelle du 17 mars 1988 porte le nombre de député à 180.
93
SINDJOUN (L.), L’État ailleurs. Entre noyau dur et case vide, Paris, Economica, 2002, p. 66.
94
OLINGA (A. D.), « Politique et droit électoral au Cameroun : analyse juridique de la politique électorale »,
Polis/R.C.S.P. /C.P.S.R. Vol. 6, n°2, 1998, p. 45. Voir également : BAYARD (J.-F.), « L’Union Nationale
Camerounaise », RFSP, n°4, 1970, p. 693 ; BAYARD (J.-F.), L’État au Cameroun, 2e éd., Paris, Presses de la
Fondation Nationale de Science politique, 1985, pp. 77 et s ; TJEJIP KAPTCHOUANG (C.), Partis politiques et
démocraties locale au Cameroun : une analyse de la compétition politique locale, thèse de doctorat en science
politique, Université de Yaoundé 2, 2006, pp. 448 et s.
95
KOUOMEGNE NOUBISSI (H.), Décentralisation et centralisation au Cameroun. La répartition des
compétences entre l’État et les collectivités locales, op.cit., p. 85.
96
Article 63 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996.

222
à l’alinéa 1 ci-dessus ; b- créer d’autres régions. Dans ce cas, il leur attribue une dénomination
et fixe leurs délimitations géographique ». Sur le fondement de cette disposition, le président
de la République peut augmenter le nombre de région. Il peut également rectifier les limites et
dénominations des régions 10 créées par la constitution. Mais, comme le relève le Doyen
Maurice KAMTO, ce pouvoir de modification des limites géographiques peut aboutir à la
suppression d’une région créée par la constitution97. Le législateur semble avoir la même
interprétation lorsqu’il prévoit que les actes portant modification des limites territoriales d’une
ou plusieurs régions règlent, le cas échéant, le sort des libéralités avec charges faites en faveur
de la région supprimée98. Dans tous les cas, l’exercice des pouvoirs ainsi reconnus au président
de la République par l’article 61 alinéa 2 aboutit à la modification d’une disposition de la
constitution. Il s’agit donc d’un pouvoir de révision. En effet, la révision peut être définie
comme « la modification, c’est-à-dire l’abrogation de certaines de ses règles et leur
remplacement par d’autres »99.
Il convient de relever que la modification de la même disposition par les procédures
prévues par son Titre XI de la constitution n’est pas expressément interdite. On peut donc
conclure que la constitution prévoit en somme trois procédures de modification de l’article 61
alinéa 1 qui créée les dix régions. La révision peut être parlementaire, populaire ou
présidentielle. En d’autres termes, dans le cas d’espèce, le pouvoir de révision appartient
concurremment au Congrès, au peuple et au président de la République. Le chef de l’Exécutif
dispose à l’égard de cette disposition des mêmes pouvoirs que les détenteurs du pouvoir
constituant dérivé. C’est dans ce sens qu’un auteur affirme à juste titre que la constitution du
18 janvier 1996 « habilite le Chef de l’État à agir tel un pouvoir constituant »100. Une telle
habilitation est inédite dans l’histoire constitutionnelle du Cameroun. Elle est introuvable dans
toutes les constitutions antérieures. Selon la pratique observées depuis l’indépendance, la
constitution renvoie plutôt à la loi, non pas pour changer une règle juridique qu’elle a fixée101,
mais pour régler les détails sur lesquels elle ne s’est pas étendue. Désormais, dans certains cas,
une règle fixée par le constituant peut être changée, non seulement par une loi ordinaire102, mais
également par un décret présidentiel. On peut donc distinguer deux catégories de normes
constitutionnelles révisables. Il y a des normes qui ne peuvent être révisées que par les
procédures prévues dans le Titre XI de la constitution. Pour d’autres par contre, ces procédures
ne sont pas nécessaires.
La reconnaissance du pouvoir de révision au président de la République aboutit
inéluctablement à un bouleversement de la hiérarchie des normes juridiques. Le décret relatif à

97
KAMTO (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions politiques du Cameroun, op.cit., p. 765.
98
Article 265 alinéa 2 du CGCTD.
99
VEDEL (G.), Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 2002, p. 116.
100
MVAEBEME (E. S.), La République en droit public camerounais, Thèse de doctorat/Ph.D en droit public,
Université de Yaoundé 2, 2017, p. 176.
101
À première vue, l’article 60 de la constitution fédérale du 1er septembre 1961 pourrait apparaître comme une
dérogation à cette pratique. Il prévoit que le nombre d’habitants de chacun des États fédérés fixé par la constitution
peut être modifié par la loi. Mais comme on peut le constater, cette modification ne vise pas une règle juridique,
mais un fait. Il s’agit d’enregistrer des constats sur l’évolution de la population pour en tirer des conséquences
juridiques.
102
Aux termes de l’article 15 alinéa 1 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, « le nombre de députés peut
être modifié par la loi ».

223
la carte régionale peut être crédité d’une valeur constitutionnelle. Logiquement, l’acte de
modification et l’acte à modifier ont la même valeur103. Seule cette lecture permet à l’ordre
juridique de garder sa cohérence. Si l’on considérait au contraire qu’il s’agit d’un acte d’une
valeur inférieure, il deviendrait difficile d’expliquer qu’il puisse valablement modifier la
constitution. On serait alors obligé de conclure que la modification de l’article 61 alinéa 1 par
le président de la République est une violation de la constitution104. Or une telle conclusion ne
peut convaincre dès lors que cette révision est prévue par la constitution elle-même.
La production des effets du décret portant création d’une nouvelle région nécessite une
intervention en aval du législateur. Il doit, par une loi, fixer ses règles d’organisation et de
fonctionnement. Il peut la soumettre soit au régime général, soit au régime spécial initialement
prévu pour les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest. Il peut également prévoir un autre régime
juridique spécifique à la nouvelle région. Quoiqu’il en soit, le législateur dans ce cas adopte
une loi d’application d’un décret présidentiel. C’est donc à juste titre que le Doyen Maurice
KAMTO affirme que, contrairement au schéma traditionnel où le « constituant renvoie au
législateur qui renvoie à son tour à l’Exécutif (…) c’est désormais le chef de l’Exécutif, le
Président de la République, qui pose l’acte initial, la création d’une région, et renvoie au
Législatif pour les actes d’application »105.
Il pourrait même s’avérer nécessaire de toiletter le texte constitutionnel pour le
débarrasser des règles sorties de vigueur par le décret présidentiel. En cas de suppression d’une
ou plusieurs régions, une révision pourrait donc intervenir dans le but d’adapter le texte
constitution à un décret présidentiel. Le bouleversement des hiérarchies ainsi observé accentue
la primauté de l’institution présidentielle. Dans la doctrine, certains y voit « un indice
supplémentaire de monarchisation constitutionnelle du régime politique camerounais »106. Le
parallèle avec la monarchie peut effectivement être suggéré par l’exercice même du pouvoir
constituant par le chef de l’exécutif. Il fait penser à la technique de la charte octroyée par le roi
en France sous la Restauration. Il a également fait penser aux actes constitutionnels du Maréchal
Pétain sous le régime de Vichy107. Mais il convient de relativiser ce rapprochement dans la
mesure où le pouvoir présidentiel ne se caractérise plus essentiellement par sa transcendance108.
À ce sujet, on peut d’ailleurs constater que, vue d’un autre angle, il se trouve également
confronté à la décentralisation régionale.

103
BLÉOU (M.), « Sur la justiciabilité des lois de révision constitutionnelle », in Frédéric Joël AÏVO et autres,
L’Amphithéâtre et le prétoire. Au service des droits de l’homme et de la démocratie. Mélanges en l’honneur du
Président Robert DOSSOU, Paris, l’Harmattan, 2020, p. 215.
104
MVAEBEME (E. S.), La République en droit public camerounais, op.cit., p. 177.
105
KAMTO (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions politiques du Cameroun, op.cit., pp. 765 et s.
106
Idem.
107
MVAEBEME (E. S.), La République en droit public camerounais, op.cit., pp. 178 et s.
108
MONEMBOU (C.), « Vers la fin de la transcendance du pouvoir présidentiel au Cameroun : réflexion sur
l’approfondissement de l’État de droit », RASJ, n°10, 2013, p. 253 – 281.

224
II – LE POUVOIR PRÉSIDENTIEL CONFRONTÉ À LA DÉCENTRALISATION
RÉGIONALE

La décentralisation régionale apparaît comme une digue érigée contre certains


débordements du pouvoir présidentiel. Pour son existence et son fonctionnement, la constitution
pose des règles que le président de la République doit respecter et faire respecter (A). Par
ailleurs, elle a rendu possible l’existence de voies de contestation de choix présidentiels par les
régions (B).

A – La limitation constitutionnelle du pouvoir présidentiel pour les régions

La consécration et l’aménagement constitutionnels de la décentralisation régionale


impliquent que le pouvoir présidentiel ne puisse procéder à la suppression totale des régions
(1), ni remettre en cause leur liberté (2).

1 – L’obstacle constitutionnel de l’existence des régions


L’inscription de la décentralisation dans la constitution fait d’elle « un élément
fondamental à respecter, un pilier de la République »109. La constitution étant hissée au sommet
de la hiérarchie des normes juridiques, les principes qu’elle pose lient tous les pouvoirs
constitués. Par conséquent, elle apparaît comme « une digue ou une berge qui encadre le fleuve
pour que celui-ci ne déborde pas »110. Dès lors qu’elle consacre la décentralisation, sa
suppression échappe aussi bien au pouvoir présidentiel qu’au pouvoir législatif. Une telle
mesure ne peut être obtenue qu’au moyen d’une révision constitutionnelle. Par ailleurs,
l’obligation qui incombe au président de la République de veiller au respect de la constitution111
lui interdit d’œuvrer pour la reproduction de l’organisation administrative centralisée en
vigueur avant la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996. Il ne saurait utiliser les pouvoirs
qui lui sont conférés pour remettre en cause la décentralisation, puisque celle-ci compte
désormais parmi les principes constitutionnels qui régissent l’Administration publique.
La constitution ne se contente pas de poser le principe de la décentralisation. Dans son
article 55 alinéa 1, elle créée deux catégories de collectivités territoriales décentralisées : la
région et la commune. Cette disposition, combinée à l’article 61 alinéa 2, appelle quelques
observations relatives à la suppression de la région. Sur ce point, il convient de distinguer la
suppression de la région en tant que catégorie de collectivité territoriale décentralisation et la
suppression d’une région particulière. La première échappe au pouvoir présidentiel. Elle ne peut
être opérée qu’au moyen d’une révision constitutionnelle112. Par contre, le président de la

109
VIGUIER (J.), « La décentralisation : d’une manière d’être de l’État vers une manière d’être hors de l’État »,
in Serges REGOURD, Joseph CARLES et Didier GUIGNARD, La décentralisation : 30 ans après, Toulouse,
Presses de l’Université de Toulouse I Capitole, 2013, p. 44.
110
GICQUEL (J.) et GICQUEL (J.-É.), Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 25e
éd., 2011, p. 185.
111
Article 5 alinéa 2 de la Constitution.
112
GUIMDO (B.-R.), « Les bases constitutionnelles de la décentralisation au Cameroun (Contribution à l’étude
de l’émergence d’un droit constitutionnel des collectivités territoriales décentralisées) », RGD, Vol. 29, n°1, 1998,
p. 85.

225
République dispose d’un droit de vie ou de mort sur chaque région nommément désignée.
Toutefois, l’exercice de ce droit ne saurait juridiquement conduire à l’extermination des
régions. Car, la suppression d’une région découle soit de la modification des limites
géographiques d’une ou plusieurs autres régions voisines qui elles restent maintenues, soit de
la création d’une ou plusieurs nouvelles régions.
Au regard de ce qui précède, dans le paysage institutionnel camerounais, le président de
la République paraît condamné à coexister avec les régions. Cette coexistence semble être une
conséquence logique de la diversité des intérêts dont les institutions publiques doivent assurer
la gestion. La Constitution, sur une base territoriale, distingue trois niveaux d’intérêts. Au
premier niveau, il y a les intérêts nationaux113. Le président de la République en est le principal
garant. À ce titre, « il définit la politique de la nation », est « garant de l’indépendance
nationale, de l’intégrité du territoire, de la permanence et de la continuité de l’État », « veille
à la sécurité intérieure et extérieure de la République »114. À côté des intérêts nationaux, la
Constitution reconnaît désormais les intérêts régionaux et locaux115. Or il n’est exclu qu’ils
entrent en concurrence116. La reconnaissance constitutionnelle des intérêts régionaux et locaux
marque une évolution vers une meilleure prise en compte de la diversité nationale. Certes,
comme aujourd’hui, dans le préambule de la Constitution du 02 juin 1972, le peuple se déclarait
déjà « fier de sa diversité culturelle et linguistique, élément de sa personnalité nationale qu’elle
contribue à enrichir, mais profondément conscient de la nécessité impérieuse de parfaire son
unité ». Cependant, c’est surtout la quête de l’unité nationale qui inspirait l’organisation des
institutions publiques117. Le président de la République en étant l’inspirateur118, l’État et toutes
ses activités se ramenaient à lui119. L’unité nationale contribuait donc à l’omnipotence
présidentielle120. Par contre, « l’attribution des pouvoirs aux communes et autres provinces en
vue de la défense des intérêts locaux semble constituer un danger de désintégration nationale
pour le pouvoir en place »121. Désormais, la recherche de l’unité nationale doit se concilier avec
la préservation de la diversité. Il est donc logique que le président de la République et les
collectivités territoriales décentralisées apparaissent tous comme des piliers de l’édifice

113
La Constitution mentionne expressément « les intérêts nationaux » dans son article 58 alinéa 1.
114
Articles 5 alinéa 2 et 8 alinéa 3 de la Constitution.
115
Article 55 alinéa 2 de la Constitution.
116
VIGUIER (J.), « Intérêt général et intérêt national », in L’intérêt général. Mélanges en l’honneur de Didier
Truchet, Paris, Dalloz, 2015, p. 662.
117
KONTCHOU KOUOMEGNI (A.), « Idéologie et institutions politiques : l’impact de l’idée de l’unité nationale
sur les institutions publiques de l’État camerounais », in Gérard CONAC (dir.), Dynamiques et finalités des droits
africains, Actes du Colloque de la Sorbonne « La vie du droit en Afrique », Paris, Economica, pp. 442 – 464.
118
KAMTO (M.), Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les États
de l’Afrique noire francophone, Paris, LGDJ, 1987, pp. 344 et s.
119
AIVO (F. J.), Le Président de la République en Afrique noire francophone, op.cit., p. 259.
120
ONDOA (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions politiques du Cameroun. Tome IV, la transmutation
unitaire de l’État unitaire du Cameroun, Yaoundé, Les Éditions le Kilimandjaro, p. 341.
121
NOUAZI KEMKENG (C. V.), « L’idéologie de l’unité nationale et le révisionnisme constitutionnel au
Cameroun », Jurisdoctoria, n°12, 2015, p. 160.

226
institutionnel de l’État unitaire décentralisé. Car, si le président de la République incarne122 et
garantit l’unité nationale123, la décentralisation protège davantage la diversité124.
Le pouvoir présidentiel doit faire face à un autre obstacle constitutionnel lié au respect de
l’espace de libertés reconnu à la région.

2 – L’obstacle constitutionnel de la liberté des régions


En effet, l’article 55 alinéa 3 de la Constitution consacre la libre administration des
collectivités territoriales décentralisées. Selon le juge administratif français, du fait de sa
garantie constitutionnelle, cette liberté est hissée au rang des libertés fondamentales125. La
doctrine considère qu’elle est aux collectivités territoriales ce que la liberté individuelle est à
la personne physique126. Son affirmation par la loi fondamentale constitue « une protection
contre d’éventuels dérapages de la loi ou des actes administratifs »127.
La libre administration apparaît d’abord comme un droit défensif qui exige l’abstention
de l’État face à la collectivité territoriale décentralisée. Elle appelle donc une action négative
du président de la République qui doit en principe s’abstenir de s’immiscer dans la gestion des
affaires propres de la région. Le principe s’applique d’abord au choix des dirigeants de la
région. À ce sujet, l’article 55 alinéa 2 de la Constitution pose le principe de l’administration
par des conseils élus. En dehors des situations exceptionnelles dans lesquelles la constitution
d’une délégation spéciale est prévue par la loi, l’intervention du président de la République est
exclue. La libre administration englobe également l’autonomie administrative et financière
consacrée par l’article 55 alinéa 3 de la Constitution128. Celle-ci exclut l’exercice du pouvoir
hiérarchique du président de la République sur la collectivité. Les affaires qui relèvent de la
compétence de la région sont réglées par des délibérations de son organe délibérant129. En
principe, la gestion du patrimoine, du personnel, des ressources financières ou des services
d’une région ne peut faire l’objet d’aucune instruction présidentielle. Pendant longtemps, cette
autonomie a été restreinte par le contrôle de l’opportunité exercée par l’autorité de tutelle. Le
législateur, faisant échos à la recommandation du Grand Dialogue National relative à
l’allègement substantiel de la tutelle, pose désormais les jalons d’un pouvoir discrétionnaire des
régions et des communes. L’article 13 alinéa 3 du CGCTD prévoit dans ce sens que « la

122
Article 5 alinéa 2 de la loi constitutionnelle n°96/06 du 18 janvier 1996.
123
ANGUE (C. G.), « Le président de la République, garant de l’unité nationale au Cameroun », in Patrick Edgard
ABANE ENGOLO et Jean-Paul MARKUS (dir.), La fonction présidentielle au Cameroun, Paris, l’Harmattan,
2019, pp. 113 – 138.
124
Cf. articles 4 et 8 de la Charte africaine des valeurs et principes de la décentralisation, de la gouvernance locale
et du développement local.
125
Voir par exemple : CE Section, 18 janvier 2001, Commune de Venelles ; CE, Ordonnance du 24 janvier 2002,
Commune de Beaulieu-sur-Mer contre Ministre de l’Intérieur ; CE, 1er mars 2006, Ministre délégué aux
collectivités territoriales.
126
FAVOREU (L.) et ROUX (A.), « La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté
fondamentale ? », Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°12 (Dossier : Le droit constitutionnel des collectivités
territoriales), Mai 2002.
127
VERPEAUX (M.), « Constitution, Conseil constitutionnel et décentralisation », in Serges REGOURD, Joseph
CARLES et Didier GUIGNARD, La décentralisation : 30 ans après, op.cit., p. 61.
128
En effet, dans le CGCTD, les dispositions relatives à l’autonomie administrative et financière font l’objet d’un
chapitre intégré dans le Titre I du Livre 1er. Lequel est consacré à la libre administration des Collectivités
territoriales.
129
Article 8 du CGCTD.

227
collectivité territoriale est seule responsable, dans le respect des lois et règlements, de
l’opportunité de ses décisions ». Inversement, le contrôle de l’opportunité est donc supprimé130.
Par conséquent, les mesures de tutelle, même lorsqu’elles auraient été instruites par le président
de la République, ne peuvent porter que sur la régularité.
Toutefois, les principes constitutionnels protecteurs de la décentralisation régionale ne
constituent pas des obstacles insurmontables pour le pouvoir présidentiel. S’ils demeurent hors
de portée du décret présidentiel, dans un contexte marqué par la présidentialisation de la
dynamique constitutionnelle131, le président de la République peut obtenir leur modification ou
leur suppression, dès lors que ses orientations « lient les organes constitutionnels dotés du
pouvoir d’élaborer ou de réviser la Constitution »132. Par ailleurs, leur capacité d’endiguement
du pouvoir présidentiel peut être nulle sans l’usage des voies de contestation de choix
présidentiels par les régions.

B – La contestation potentielle de choix présidentiels par les régions

La décentralisation régionale, sans faire du Cameroun un État régional, a un caractère


politique indéniable. Il tient notamment à la représentation des régions au parlement et le droit
de saisine du Conseil constitutionnel. Ces deux mécanismes, constituent des voies de
contestation politique (1) et juridique (2) de choix présidentiels par les régions.

1 – La voie de contestation politique devant le Sénat


La représentation des régions au Parlement leur offre une voie de contestation politique.
La mise en œuvre de la politique définie par président de la République peut se traduire par des
réformes législatives ayant un impact sur la décentralisation. Il revient aux sénateurs de
s’assurer que les lois adoptées par le Parlement prennent en compte les intérêts régionaux. Le
Sénat apparaît comme un défenseur constitutionnel de l’autonomie des collectivités territoriales
décentralisées133ou encore comme un « forum pour les collectivités territoriales »134. Les
sénateurs disposent à cet effet de plusieurs moyens d’action contre les projets de loi
présidentiels. Ils peuvent d’abord, dans le cadre des débats en commission ou en plénière,
exprimer leur désapprobation et tenter de persuader le Gouvernement de retirer du texte les
dispositions portant atteinte aux intérêts régionaux. Ils peuvent aussi aller plus loin en usant de
leur pouvoir d’amendement ou de rejet du projet de loi. Il convient toutefois de relever que dans

130
Voir : ALIYOU (S.), « La réforme du droit des collectivités territoriales au Cameroun, RAMReS/SJP, n°2,
juillet 2020, p. 129 ; OBAKER BALINAN (S.), « Le renouveau de l’institution régionale en droit camerounais de
la décentralisation », RADP, numéro spécial, premier semestre 2021, p. 230.
131
MIAFFO DONFACK (V.), « Le président de la République et les constitutions du Cameroun », in Stanislas
MELONE, Adolphe MINKOA SHE et Luc SINDJOUN, La réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996 au
Cameroun. Aspects juridiques et politiques, Fondation Friedrich Ebert au Cameroun/Association Africaine de
Science Politique/GRAP-Cam., pp. 255 – 269.
132
MONEMBOU (C.), « La parole constituante du président de la République dans les États de l’Afrique noire
francophone », Afrilex, 2020, p. 13.
133
ABA’A OYONO (J.-C.), « Libres propos sur le Sénat en droit constitutionnel camerounais », Afrilex, 2015, p.
9.
134
SOMALI (K), Le parlement dans le nouveau constitutionnalisme en Afrique. Essai d’analyse comparée à partir
des exemples du Bénin, du Burkina Faso et du Togo, Thèse de doctorat en droit public, Université Lille 2 – Droit
et Santé, 2008, pp. 223 et s.

228
ce dernier cas, l’adoption du texte n’est pas irrémédiablement compromise. Le Sénat étant
marginalisé dans la fonction législative135, sa position ne peut prévaloir que si elle emporte
l’adhésion de l’Assemblée Nationale qui a le dernier mot. Conformément aux règles applicables
à la navette136, le rejet du projet de loi provoque simplement son réexamen par la chambre basse
et éventuellement par une commission mixte paritaire. À ce sujet, le Professeur Jean Calvin
ABA’A OYONO relève que « le constituant aurait dû fixer une série de domaines dans lesquels
le consensus serait obligatoire notamment lorsqu’un projet ou une proposition de loi porte sur
la décentralisation »137. Néanmoins, la capacité de pression qui découle de cette faculté de rejet
du texte ne doit pas être négligée dans la mesure où elle peut amener le président de la
République à renoncer à son projet en le déclarant caduc138.
La limite la plus importante à cette voie de contestation est surtout politique. Elle est liée
à l’appartenance de la grande majorité des sénateurs au parti présidentiel qui est dominant139.
En droit électoral camerounais, en dehors du scrutin présidentiel, nul ne peut être candidat à
une élection sans avoir été investi par un parti politique dont il est membre140. Après le scrutin,
les élus conservent leur statut de militant du parti. Ils demeurent donc politiquement assujettis
au président de la République qui en est le chef141. En adhérant au parti présidentiel, le militant,
devenu élu local ou parlementaire, s’était engagé à respecter sa ligne politique et les décisions
de ses organes directeurs142. Le non-respect de cet engagement constitue, au sein du parti, une
faute passible de sanctions disciplinaires. L’article 31 des Statuts du RDPC prévoit dans ce sens
que « constitue une faute disciplinaire, le fait pour tout membre du parti de contrevenir aux
objectif (…) ou de refuser d’appliquer les décisions prises par ses organes ». La discipline du
parti est contrôlée par le Comité central, par l’intermédiaire des groupes politiques143. Le refus
de l’investiture aux prochaines élections est l’arme fatale pour anéantir les velléités de frondes.
Profitant de la liberté que le droit leur accorde dans ce domaine, chaque parti fixe lui-même les
conditions que les candidats doivent remplir pour obtenir son investiture144. Au RDPC, ces
conditions sont très défavorables aux militants qui manifestent leur opposition aux décisions

135
EDOUA BILONGO (B.), «L’aménagement constitutionnel des chambres du Parlement dans la loi
constitutionnelle camerounaise du 18 janvier 1996 », Horizons du droit, Bulletin n° 28, 2021, pp. 63 et s.
136
Article 30 alinéa 3 de la Constitution.
137
ABA’A OYONO (J.-C.), « Libres propos sur le Sénat en droit constitutionnel camerounais », op.cit., p. 14.
138
BIDIAS à MBASSA (J. P.), « La fonction législative du Sénat », in Alain Didier OLINGA (dir.), Le Sénat au
Cameroun. Regards croisés sur une nouvelle institution, Yaoundé, CLE, 2016, p. 56.
139
La coloration politique du Sénat à l’issue du scrutin du 25 mars 2018 l’illustre bien. Le RDPC remporte 63
sièges sur les 70 pourvoir (Voir Conseil Constitutionnel, Procès-verbal de proclamation des résultats, 5 avril 2018).
La grande majorité des sénateurs nommés par le président de la République sont également des militants notoires
du même parti politique (Voir Décret n°2018/242 du 12 avril 2018 portant nomination de sénateurs).
140
L’exclusion de la candidature indépendante, jadis constatée pour les élections des conseillers municipaux et
des députés (Voir LEKENE DONFACK (E. C.), « La candidature indépendante et la liberté de suffrage en droit
camerounais », RASJ, Vol. 1, 2000, pp. 39 – 51) s’étend désormais aux élections des sénateurs et des délégués des
départements au sein des conseils régionaux. Toute personne désireuse de prendre part au scrutin doit
impérativement indiquer son parti politique de rattachement et produire l’attestation par laquelle celui-ci l’investit
en qualité de candidat (Voir : articles 164, 165, 181, 182, 231 et 257 du Code électoral).
141
MOUGNOL À MOUGNOL (S.), « La fonction présidentielle à l’épreuve du fait majoritaire au Cameroun »,
in Patrick Edgard ABANE ENGOLO et Jean-Paul MARKUS, La fonction présidentielle au Cameroun, op.cit.,
pp. 325 et s.
142
Article 3 du Règlement intérieur du RDPC.
143
Article 59 du Règlement intérieur du RDPC.
144
Lire à ce sujet : NAMA MAOH (F.), L’État et les partis politiques au Cameroun, Thèse de doctorat en droit
public, Université de Yaoundé II, 2013, pp. 363 et s.

229
des organes dirigeants. La circulaire prise par le président national du parti en prélude aux
élections des conseillers régionaux du 6 décembre 2020145, ainsi que la Note du Secrétaire
général du Comité Central relative à son application146 l’illustrent parfaitement. La fidélité, le
loyalisme et la discipline font partie des critères de sélection des candidats à investir. La note
évoquée ci-dessus prévoit expressément que « les camarades ayant fait l’objet de sanction lors
des travaux de la Commission de Discipline Ad Hoc du Comité Central du 20 au 30 août 2020
ne sont pas éligibles à l’investiture ». Les élus locaux et les parlementaires du parti présidentiel
sont donc contraints à la docilité.
Dans ces conditions, il est peu probable que le Sénat prenne la défense des régions qu’il
représente au détriment du pouvoir présidentiel. Au contraire, il « se mue facilement en caisse
de résonnance du projet présidentiel »147. On aboutit au phénomène de présidentialisation de
la fonction législative. Selon le Professeur Magloire ONDOA, il se produit lorsque la fonction
législative, « théoriquement attribuée au parlement, est en réalité exercée par le président de
la République »148. Le président de la République demeure l’initiateur quasi-exclusif de la
procédure législative. C’est également à lui qu’il revient de fixer le contenu et l’orientation. Par
conséquent, la protection des intérêts régionaux dans le cadre de la procédure législative dépend
plus du président de la République que des sénateurs. Cette domination du parti présidentiel
pourrait également conduire au non usage des voies de contestation juridique des choix
présidentiels devant les juges.

2 – Les voies de contestation juridique devant le juge


Lorsque des réformes législatives initiées par le président de la République remettent en
cause la décentralisation, si elles sont adoptées, elles peuvent être contestées devant le juge
constitutionnel. Les sénateurs peuvent « faire usage du droit de saisine du Conseil
constitutionnel pour impulser le contrôle des lois susceptibles de fragiliser l’autonomie des
collectivités territoriales décentralisées »149. La constitution accorde également aux régions le
moyen de contester par elles-mêmes les choix présidentiels portant atteinte à leurs intérêts. Elle
prévoit à cet effet que « les présidents des exécutifs régionaux peuvent saisir le Conseil
constitutionnel lorsque les intérêts de leur région sont en cause »150. Grâce à cette saisine, la
région peut tenter d’empêcher la ratification d’une convention internationale ou l’adoption
d’une loi par le président de la République. En effet, « si le Conseil Constitutionnel a déclaré
qu’un traité ou accord international comporte une clause contraire à la Constitution,
l’approbation en forme législative ou la ratification de ce traité ou de cet accord ne peut
intervenir qu’après la révision de la Constitution »151. La région trouve également dans cette

145
Circulaire n°002/RDPC/PN du 10 septembre 2020 relative aux opérations d’investiture des candidats du RDPC
à l’élection des conseillers régionaux du 6 décembre 2020.
146
Note n°002/RDPC/CC/SG du 11 septembre 2020 portant application de la Circulaire n°002/RDPC/PN du 10
septembre 2020 relative aux opérations d’investiture des candidats du RDPC à l’élection des conseillers régionaux
du 6 décembre 2020.
147
Idem.
148
ONDOA (M.), Traité de droit constitutionnel et institutions politiques, op.cit., p. 462.
149
ABA’A OYONO (J.-C.), « Libres propos sur le Sénat en droit constitutionnel camerounais », op.cit., pp. 10 et
s.
150
Article 47 alinéa 2 de la Loi constitutionnelle n°96/06 du 18 janvier 1996.
151
Article 44 de la Loi constitutionnelle n°96/06 du 18 janvier 1996.

230
saisine une voie de recours contre les empiètements éventuels du président de la République
sur son domaine de compétence. Le Conseil constitutionnel est le gardien de la répartition des
compétences entre l’État et la région152. Cette mission est d’autant plus impérieuse que,
contrairement à la Loi d’orientation de la décentralisation de 2004153, le CGCTD pose le
principe de l’exclusivité des compétences de la collectivité territoriale décentralisée.
Désormais, l’exercice par l’État des compétences attribuées à la région est exceptionnel. Elle
n’est possible que dans les cas limitativement énumérés dans son article 18 alinéa 2 : « si Le
Gouvernement entend intervenir ponctuellement dans le cadre du développement harmonieux
du territoire » ou « en cas de carence dûment constatée par arrêté du ministre chargé des
collectivités territoriales ». En dehors de ces deux cas, les autorités de l’État, y compris le
président de la République, ne peuvent exercer les compétences attribuées aux régions.
Le recours pour excès de pouvoir semble être une autre voie de droit dont disposent les
régions et leurs conseillers pour contester certains actes pris par le président de la République
ou sur ordre de celui-ci. À ce sujet, le Professeur Alain Didier OLINGA fait remarquer que la
gestion des conflits d’attributions entre l’État et les régions, dans la mesure où elle est un
contentieux de légalité, peut également relever de la compétence du juge administratif154. Le
CGCTD prévoit expressément la saisine du juge administratif par le président de l’exécutif
régional en cas d’annulation ou de refus d’approbation des actes de sa collectivité par le
Gouverneur155. Or les mesures en cause peuvent avoir été instruites par président de la
République. Dans ce cas le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif permet
à la région de s’opposer indirectement à la volonté présidentielle. En matière disciplinaire, la
confrontation est plutôt directe avec les conseillers régionaux. Les décrets présidentiels de
dissolution ou de suspension du conseil régional, ou portant destitution du président de
l’exécutif régional sont des actes administratifs unilatéraux. Ils n’échappent donc pas au recours
pour excès de pouvoir. Le juge administratif peut intervenir pour vérifier qu’ils ont été pris dans
le respect des conditions de forme et de fond prévues par la constitution et le CGCTD. Compte
tenu des contraintes liées au respect des délais de procédure, la décision d’annulation pourrait
être tardive et sans véritable portée pratique156. Néanmoins elle permettrait de révéler
l’arbitraire d’un président de la République hors la loi.
Cependant, la grande majorité des présidents des exécutifs régionaux appartiennent au
parti présidentiel157. Peut-on s’attendre à ce qu’ils utilisent ces voies de recours pour remettre

152
Article 18 alinéa 1 du CGCTD.
153
L’article 15 alinéa 2 de la Loi n°2004/017 du 22 juillet 2004 portant loi d’orientation de la décentralisation
prévoyait que « les compétences transférées aux collectivités territoriales par l’État ne sont pas exclusives. Elles
sont exercées de manière concurrente par l’État et celles-ci, dans les conditions et modalités prévues par la loi ».
154
OLINGA (A. D.), La constitution de la République du Cameroun, Yaoundé, TA/PUCAC, 2006, p. 158.
155
Articles 77 alinéa 4 et 79 du CGCTD.
156
KOUOMEGNE NOUBISSI (H.), Décentralisation et centralisation au Cameroun. La répartition des
compétences entre l’État et les collectivités locales, op.cit., pp. 324 et s.
157
Ces partis disposent de la majorité au sein des organes délibérants dans toutes les régions à l’issue du scrutin
du 20 décembre 2020. En ce qui concerne notamment les délégués des départements, le RDPC remporte la totalité
des sièges dans six régions (Centre, Est, Littoral, Nord-ouest, Sud, Sud-ouest). Dans trois autres régions, il obtient
75 à 82% de sièges (Extrême-nord, Nord, Ouest). Par ailleurs, l’Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès
(UNDP) majoritaire dans la région du Nord et minoritaire dans celles de l’Extrême-nord et du Nord est un parti
qui apporte son soutien au président de la République et participe au Gouvernement. Il en est de même du Front
pour le Salut National du Cameroun qui remporte 02 sièges dans la région du Nord. On peut donc conclure que la

231
en cause des décisions prises par leur chef politique ? On peut constater que leurs camarades
élus députés ou sénateurs ont toujours fait preuve de docilité à l’égard du président de la
République. Ils n’ont jamais osé saisir le Conseil Constitutionnel pour contester la
constitutionnalité d’une loi. L’opposition parlementaire n’atteignant pas le seuil fixé par la
Constitution pour le faire, le prétoire du juge constitutionnel reste vide dans ce domaine158. Si
la même docilité anime les conseillers et présidents des exécutifs régionaux issus du parti, la
contestation des choix présidentiels par les régions devant le juge ne sera que virtuelle.

CONCLUSION

Au final, la décentralisation régionale face au pouvoir présidentiel apparaît comme un


janus. Elle le renforce, mais elle peut aussi l’endiguer. Toutefois, dans le contexte politique
actuel marqué l’existence d’un parti dominant dont le président de la République est le chef, la
mise en place des régions semble davantage favorable au pouvoir présidentiel. Si le président
de la République peut exercer tous les pouvoirs qui lui sont reconnus par les textes juridiques
pour créer et prendre des mesures relatives à l’organisation et au fonctionnement des régions,
l’endiguement du pouvoir présidentiel par la décentralisation régionale est par contre plus
virtuel que réel.

quasi-totalité des délégués des départements dans les dix régions sont issus de la majorité présidentielle.
L’opposition remporte des sièges dans une seule région (Ouest). Mais elle est très minoritaire au sein de l’organe
délibérant.
158
Les rares recours enregistrés sont liées à la saisine obligatoire du Conseil Constitutionnel pour le contrôle des
règlements intérieurs des assemblées parlementaires (Voir par exemple : Cour Suprême, Décision n°001/CC/02-
03 du 23 novembre 2002, Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, Note de Célestin KEUTCHA
TCHAPNGA, Juridis Périodique, n°53, 2003, pp. 61 – 66) et à quelques recours venant des particuliers sans
qualité pour agir (Voir par exemple : Conseil Constitutionnel, Décision n°01/SCCL/G/SG/CC du 10 janvier 2019,
Sieur EKOUDA Darius Mesmin C/ Le président de la République et Autres).

232
LES BASES CONSTITUTIONNELLES DE LA GESTION DES DECHETS EN
REPUBLIQUE DU TCHAD

Par

Mahadié OUTHMAN ISSA*


Doctorante en Droit Public
Université de Yaoundé II-Soa (Cameroun).

Résumé
L’idée suivant laquelle la Constitution est le référentielle majeure des règles juridiques n’est pas
dépourvue de pertinence. Les principes de hiérarchie statique et dynamique posés dans la théorie du
Maitre de Viennes se répètent en droit de l’environnement. La position défendue se conforte lorsque
l’on recherche le fondement constitutionnel de la gestion des déchets. Celui-ci renvoie à l’existence,
aux fondements dans l’œuvre constituante des règles constitutionnelles relatives aux opérations de
collecte, de tri, de stockage, de transport, d’importation et d’exportation, de récupération, de
réutilisation, de recyclage ou de toute autre forme de traitement ainsi que d'élimination finale des
déchets, de gaspillage des déchets récupérables et de la pollution en général.
A la question de savoir, peut-on parler des bases constitutionnelles de la gestion des déchets en
République du Tchad, l’idée générale à la suite des commentaires de la Constitution et de la loi et du
décret sur l’environnement permet d’apporter une réponse positive en recourant à deux indices. C’est
dans ce cadre que la préoccupation restaure certaines notions théoriques du droit public et du droit
privé. Cela converge vers les indices constitutionnels explicites d’une part et les indices
constitutionnels implicites d’autre part.

Mots clés : État- Constitution- déchets- environnement sain- domaine de la loi.

INTRODUCTION

Que l’idée sur la pyramide des normes 1 et renchérie par la formation du droit par
degrés 2 ait des répercussions sur le droit public africain est difficilement contestable. La
formation d’un ensemble de règles au sein de la communauté étatisée résulte de l’existence
l'ordre juridique en vigueur. Celle-ci énonce que la Constitution est à la fois la source et le
fondement de l’ordonnancement juridique interne. C’est dans cette veine que « le droit
constitutionnel nous était apparu comme la mère de tous les droits : tout part de la
3
Constitution et tout se rattache à elle » . En outre, « les systèmes constitutionnels, tout en
restant fidèles aux idéaux du constitutionnalisme issus des révolutions libérales et
*
Mode de citation : Mahadié OUTHMAN ISSA, « les bases constitutionnelles de la gestion des déchets en
république du Tchad », Revue RRC, n° 025 / Septembre 2022, p. 233-259

1
H. KELSEN., Théorie pure du droit, 2ème éd., trad. Charles EISENMANN., Paris, Dalloz, 1962, 496p
2
R. CARRE DE MALBERG., Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et
les institutions consacrés par le droit positif français relativement à sa formation, Paris, Librairie du recueil
Sirey, 1933, 174p.
3
J. OWONA., Droits constitutionnels et institutions politiques du monde contemporain. Étude comparative,
Yaoundé, L’Harmattan, 2010, p.71.

233
démocratiques »4 adhèrent à l’idée suivant laquelle « l’environnement pouvait être considéré
comme appartenant au patrimoine commun de l’humanité » 5 . Ces affirmations devenues
effectives sous la formule des bases constitutionnelles de la gestion des déchets trouvent pour
socle de vérification l’État du Tchad notamment.
Reconnues en droit administratif6, les bases constitutionnelles de la gestion des déchets
renvoient à l’existence, aux fondements dans l’œuvre constituante des règles
constitutionnelles relatives aux « opérations de collecte, tri, stockage, transport, importation
et exportation, récupération, réutilisation, recyclage ou toute autre forme de traitement ainsi
que l'élimination finale des déchets, le gaspillage des déchets récupérables et la pollution en
général »7. Elles renvoient à la présence tant par la consécration que par le renvoi aux normes
dérivées de la Constitution l’aménagement des règles juridiques relatives à la collecte, le
négoce, le courtage, le transport, le traitement, la réutilisation ou l’élimination des déchets,
habituellement ceux issus des activités humaines. Le support formel de référence à ces
opérations éparses demeure exclusivement la Constitution. Celle-ci peut recourir aux théories
des normes dérivées ou visées pour agencer les idées constitutionnelles sur les opérations
éparses de gestion de « tout résidu gazeux, liquide ou solide résultant d'un processus
d'infraction, d'exploitation, de transformation, de production, de consommation, d'utilisation,
de contrôle ou traitement, dont la qualité ne permet pas de réutiliser ou de le traiter ou, plus
généralement, tout bien meuble abandonné ou destiné à l'être »8. Ainsi, c’est dans l’idée de
Constitution que part la notion de gestion de déchets complexe dans son contenu et articulée
dans une diversité d’opération. Cela dérive de l’abandon de l’unité du pouvoir constituant et
l’affirmation de la nature constitutionnelle et non l’attribution de la valeur constitutionnelle
aux règles y afférentes. La préoccupation y afférente est de promouvoir le droit à la santé et
affermir le droit à un environnement sain.
L’idée de Constitution est sollicitée pour fonder le contenu complexe et articuler la
diversité d’opération rattachés à la gestion des déchets. Celle-ci s’appréhende généralement
des points de vue formel et matériel. « si l‘on s‘attache à sa matière, on dira qu‘elle concerne
l‘organisation générale des pouvoirs de l‘État dans leurs rapports avec les individus »9. Il
faut en plus cerner la Constitution dans le sillage du Doyen Vedel, comme « l’ensemble des

4
I.-M FALL., « Quelques progrès remarquables du droit constitutionnel africain », in K AHADZI NOUNOU.,
D. KOKOROKO., F.-J AIVO (dir), Démocratie en questions. Mélanges en l’honneur du professeur Théodore
HOLO, Paris, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2017 p.258.
5
Y. PETIT., « Le droit international de l’environnement à la croisée des chemins : globalisation versus
souveraineté nationale », RJE 2011/1 Volume 36 p. 31.
6
G. VEDEL., « Les bases constitutionnelles du droit administratif », E.D.C.E., 1954, pp. 21-53 ; C.
EISENMANN., « La théorie des bases constitutionnelles du droit administratif », R.D.P., 1972, pp. 1345-1422 ;
G. VEDEL., « Les bases constitutionnelles du droit administratif », in P. AMSELEK. (dir.), La pensée de
Charles Eisenmann, ECONOMICA-P.U.A.M., 1986, pp. 133-145 ; B. STIRN., Les sources constitutionnelles du
droit administratif : introduction au droit public, 10ème éd., Paris, L.G.D.J., 2019, 209 pp. ; P. DELVOLVÉ., «
L’actualité de la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif », R.F.D.A., 2014, pp. 1211-1217.
7
Article 57 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998, définissant les principes généraux de la protection de
l'environnement (Tchad).
8
Article 2 alinéa 13 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
9
P. BASTID., L‘idée de Constitution, Paris, ECONOMICA, 1985 p.27 ; A. CARRINO., « De la Constitution
matérielle », in D. DE BECHILLON., V. CHAMPEIL-DESPLATS., P. BRUNET., E. MILLARD (dir),
Mélanges en l‘honneur de Michel TROPER, L‘architecture du droit, Paris, ECONOMICA, 2006 p.239 et s.

234
règles de droit les plus importantes de l’État » 10 . Du point de vue matériel, la norme
fondamentale se décline en l’organisation des pouvoirs publics et la protection des droits et
des libertés publiques. « La Constitution est la règle de fond »11. Or, « du point de vue formel,
la Constitution est l‘acte qui ne peut être fait ou modifié que seules certaines procédures
ayant une valeur supérieure aux autres procédures d‘établissement des règles de droit »12.
Elle est un « énoncé dans la forme constituante et par l’organe constituant »13. La norme
fondamentale est complexe dans sa forme de révision. Celle-ci suppose l’établissement d’une
complexité et d’une solennité certaine. Celle-ci doit se distinguer de la procédure législative et
se situer à un niveau hiérarchique plus affirmée que cette dernière. « L’acte de maniement de
la norme fondamentale s’est opéré par une puissance constituante et au moyen d’une
procédure dérogatoire au droit commun »14. C’est dans ce cadre que l’on perçoit la rigidité de
la procédure de révision de la Constitution 15. L’activité du pouvoir constituant a abouti à
inclure dans l’idée de Constitution le discours constituant sur le contenu et les déclinaisons
des opérations de gestion des déchets. Celle-ci a intégré la logique de l’éviction de l’unité du
pouvoir constituant.
La constitutionnalisation du contenu et des déclinaisons de opérations de gestion des
déchets résulte de « l’abandon de la conception unitaire du pouvoir constituant » 16 . La
conception originaire desdites règles est mise à l’actif du pouvoir constituant originaire.
Celui-ci relève des faits et n’est susceptible d’être appréhendé. Il est mis en œuvre au moment
de l’élaboration d’une nouvelle Constitution de l’État car détenant la compétence constituante
et s’éteint automatiquement après l’édiction de celle-ci. « Il est un pouvoir existant en hors de
l’État, en dehors de toute habilitation constitutionnelle »17. En ce sens la Constitution du 31
mars 1996 adoptée par référendum consacrait cette préoccupation. C’est également le cas de
la Constitution du Tchad promulguée le 4 mai 2018. Il se loge dans le concept d’acte pré-
constituant. Or, la reconduction desdites règles a été le fait du pouvoir constituant dérivé.
Celui-ci ne les a pas effacé de l’existence juridique. La Constitution du 31 mars 1996 a été
révisée en 2005, 2013 et 202018. L’abandon de l’unité du pouvoir constituant a permis de
déterminer la source émettrice des règles constitutionnelles de gestion des déchets ainsi que le
cadre matériel de leur affermissement. Par ce fait, la gestion des déchets bénéficie des règles
constitutionnelles et non des règles de valeur constitutionnelle.
Par l’insertion directe des règles de gestion des déchets par le constituant dans la
Constitution, celles-ci bénéficient d’une nature constitutionnelle et non dérivée. Elles
jouissent d’une nature constitutionnelle directe et non d’une attribution de la valeur

10
G. VEDEL., Manuel élémentaire du droit constitutionnel, 2ème éd., réed., Paris, Dalloz, 2002, p.112.
11
A.-J NGAYA., « La révision de la Constitution et la Cour constitutionnelle du Bénin », RRC N° 023 – Juillet
2022 p.101.
12
G. VEDEL., Manuel élémentaire du droit constitutionnel, 2ème éd op.cit., p.112.
13
R. CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’État, t. 2, Paris, Sirey, 1922, pp. 571 et s.
14
A.-J NGAYA., « La révision de la Constitution et la Cour constitutionnelle du Bénin » op.cit., p.102.
15
M. ONDOA., « La distinction entre Constitution souple et Constitution rigide en droit constitutionnel français
», AFSJ/UD n°1, jan-juin 2002 p.67.
16
D. BABAKANE COULIBALEY., « La neutralisation du parlement constituant (à propos de la décision n°
DCC 06-074 du 8 juillet 2006 de la Cour constitutionnelle du Bénin », op.cit., p.1496
17
A.-J NGAYA., « La révision de la Constitution et la Cour constitutionnelle du Bénin » op.cit., p.110.
18
Voy Loi Constitutionnelle N°017/PR/2020 du 14 Décembre 2020 portant révision de la Constitution
promulguée le 04 mai 2018.

235
constitutionnelle laquelle dérive consécutivement de l’activité normative du juge
constitutionnel. Cela relève de l’une des fonctions de la justice constitutionnelle en Afrique et
hors des tropiques. En ce sens, « une des fonctions émergentes de la justice constitutionnelle
en Afrique est la fonction normative ou fonction de création des normes »19. La relégation de
l’activité normative du juge constitutionnel découle du recours à la théorie des normes visées
par le constituant. Le constituant peut renvoyer à certaines dispositions situées dans la
Constitution soit renvoyé à d’autres mécanismes situés de celle-ci. Suivant sa discrétion, il
donne libre cours aux normes externes ou internes à la Constitution. L’on admet le « procédé
qui consiste à viser une norme sans en reprendre le contenu dans le texte constitutionnel lui-
même » 20 . L’idée qu’il pose ici est de suivre les démarches employées à des fins de
déterminer l’assise constitutionnelle de la gestion des déchets. Les opérations de collecte, de
tri, de stockage, de transport, d’importation et d’exportation, de récupération, de réutilisation,
de recyclage ou toute autre forme de traitement ainsi que l'élimination finale des déchets, le
gaspillage des déchets récupérables et la pollution en général sont visées soit dans ou hors de
la Constitution. En ce sens, les bases constitutionnelles de la gestion des déchets fédèrent le
prolongement de l’idée de Constitution par « la traduction des renvois en prescriptions
constitutionnelles » 21 et la négation du prolongement de l’idée de Constitution sur cette
préoccupation du développement durable.
Les bases constitutionnelles de la gestion des déchets restaurent la distinction des
échelles de normativité au sein de l’ordonnancement juridique interne. Le pouvoir constituant
se charge d’attribuer un niveau hiérarchique aux opérations diverses rattachées à la gestion
des déchets en République. Il est théoriquement admis que toutes les normes juridiques n’ont
le même niveau hiérarchique et que l’échelle de normativité est portée par la Constitution.
Celle-ci est située au sommet de la pyramide des normes et canalisent les autres normes au
sein de l’ordre juridique interne. Par « le fondement de la validité des ordres normatifs »22
s’établit « la gradation des règles d'après la théorie normativiste »23. C’est donc au sommet
de l’ordre juridique interne qu’il est pertinent de rechercher l’activité constituante de la
protection de l’environnement et de l’amélioration du cadre de vie des tchadiens.
« La question du sens se pose tout particulièrement »24 sur les composantes hétérogènes
de la gestion des déchets. Tous les déchets sont concernés (solides, liquides ou gazeux,
toxiques, dangereux, etc), chacun possédant sa filière scientifique. En outre, la gestion en
cause fédère des techniques et moyens hétérogènes. Le constituant n’a entendu limiter à une
opération, l’idée formelle. La disparité a été privilégiée à l’unité lorsque l’on constate Les
opérations de collecte, de tri, de stockage, de transport, d’importation et d’exportation, de

19
D. SY., « Les fonctions de la justice constitutionnelle en Afrique », in O. NAREY (dir), La justice
constitutionnelle, Niamey, L’Harmattan, 2016 p.51.
20
M. VERPEAUX., « Préface » in A. ROBLOT TROIZIER., Contrôle de constitutionnalité et normes visées
par la Constitution française, Paris, Dalloz, « Nouvelle Bibliothèque de Thèse », 2007 p.XII.
21
L.-P GUÉSSÉLÉ ISSÉMÉ., « Les normes dérivées de la Constitution dans les Etats d’Afrique Noire
francophone », RADSP Vol V, n° IX- jan.- juin 2017 p.96.
22
H. KELSEN., Théorie pure du droit, 2ème éd., op.cit., p.255.
23
R. CARRE DE MALBERG., Confrontation de la théorie de la formation du droit par degrés avec les idées et
les institutions consacrés par le droit positif français relativement à sa formation op.cit., p.3.
24
M. GRIFFON., F. GRIFFON., L’homme viable : du développement au développement durable, Odile Jacob,
2010, p. 17

236
récupération, de réutilisation, de recyclage ou toute autre forme de traitement ainsi que
l'élimination finale des déchets etc.
La République du Tchad s’est dotée d’une Constitution a cours du troisième cycle
constitutionnel. « La troisième vague » postule néanmoins comme démocratique, et qui s’est
amorcé à la fin des années 1980 ou au début de la décennie suivante»25. Celle-ci intégrait
dans son préambule, les instruments juridiques internationaux et communautaire de protection
de l’environnement. En plus, elle affirmait expressément le cadre matériel de la gestion des
déchets. Les premiers et deuxième cycles constitutionnels ne s’en écartaient véritablement.
Par ce phénomène de constitutionnalisation à partir des années 1990, les bases
constitutionnelles de cette préoccupation ne faisaient plus l’ombre d’aucun doute. La
constitutionnalisation a été consolidée car les révisions constitutionnelles et adoption de
nouvelles Constitution n’ont effacé cet acquis. Le temps a véritablement permis une
répartition de compétences en la matière. Par l’appropriation des prescriptions
constitutionnelles, des normes infra constitutionnelles se sont chargées d’aménager tant par un
cadre général26 que par un cadre spécifique27, la gestion des déchets.
La réflexion sur les bases constitutionnelles de la gestion des déchets en digne. Non
seulement, elle établit le niveau de consécration et de protection des normes visées par le
constituant mais elle clarifie le niveau de « considération de l’homme »28. Le support formel
de référence principale de la gestion des déchets est la Constitution. En plus, elle valorise les
théories des normes dérivées et des normes visées. C’est par ces théories que le constituant
renvoie l’intelligibilité, l’accessibilité et la clarté « à la facilité de langage »29. Il entend se
défaire de la lecture en catalogue de l’œuvre du pouvoir constituant. En plus, elle met en
œuvre la pertinence de la distinction entre les domaines de la Constitution, de la loi et du
règlement. En effet, le constituant a expressément visé le domaine de la loi tout en excluant
les autres pour accomplir l’aménagement matériel « des aspects caractéristiques » 30 de ce
droit. C’est le cadre d’expression de la dignité humaine, de la protection de la santé publique.
L’étude met également en exergue la participation publique élargie. Concrètement, la gestion
des déchets émanant principalement des activités humaines repose sur la participation des
acteurs institutionnels et ceux non institutionnels. Sur ce détail, « toute action significative et
décisive des citoyens pourrait être assimilée à une participation sociale »31.
S’il est admis que la Constitution est la règle fondamentale, il est alors évident qu’elle
consacre les règles du droit public en général et spécifiquement celle relative à la gestion des
déchets. Une préoccupation est soulevée : quels sont les indices permettant d’affirmer
l’existence des bases constitutionnelles de la gestion des déchets au Tchad ? La méthode

25
A. CABANIS., M. MARTIN., Le constitutionnalisme de la troisième vague en Afrique francophone, Louvain-
la Neuve, Academia, PUL, 2010, p.6.
26
Voy loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998, définissant les principes généraux de la protection de l'environnement
27
Voy Décret N°904/PR/PM/MERH/2009 du 6 août 2009 portant réglementation des pollutions et des nuisances
à l’environnement.
28
M. PRIEUR., Droit de l’environnement, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2004, p. 3.
29
M. PALLEMAERTS., « La Conférence de Rio, grandeur et décadence du droit international de
l’environnement », R. B. D. I., 1-1995, p. 175
30
L.-M LAVIEILLE., Droit international de l’environnement, op.cit., p.33.
31
L.-P GUÉSSÉLÉ ISSÉMÉ., « La participation politique des citoyens dans les États africains » RADP, Vol X,
N° 24, Supplément 2021 p.9.

237
juridique laquelle repose exclusivement en l’espèce sur l’interprétation des textes, nous
incline à entrevoir deux visages ou deux figures. La démonstration ne devra exclure le droit
comparé considéré comme « la démarche la plus fréquente »32. Les indices constitutionnels
explicites d’une part (I) n’excluent l’affirmation de la présence des règles de gestion par des
indices constitutionnels implicites d’autre part (II).

I. LES INDICES CONSTITUTIONNELS EXPLICITES

Le fondement constitutionnel de la gestion des déchets est explicite en République du


Tchad. L’existence constitutionnelle du contenu et des opérations relatives au traitement des
déchets ne relève de l’ambiguïté et ne donne cours à l’interprétation. Le pouvoir constituant a
fait expressément de cette préoccupation une matière constitutionnelle. En ce sens,
« l’environnement n’est pas une abstraction » 33 lorsque l’on exploite et explore l’idée de
Constitution. Elle s’insère dans un « corps de règles »34 de nature constitutionnelle.
Formellement, « les conditions de stockage, de manipulation et d'évacuation des
déchets toxiques ou polluants provenant d'activités nationales sont déterminées par la loi. Le
transit, l'importation, le stockage, l'enfouissement, le déversement sur le territoire national
des déchets toxiques ou polluants étrangers sont interdits » 35 . Cette disposition a été
conservée par la révision de la Constitution de 2020 36 . La charte constitutionnelle de
Transition n’en a fait allusion37. Des premières Constitutions38 à la révision de la Constitution
du 14 avril 200839, ces dispositions ne sont consacrées. Le Gabon40, du Mali41, le Togo42, le
Sénégal43 ne consacrent également pas cette disposition. Cette disposition est consacrée par
les Constitution du Bénin44, de la République du Congo Brazzaville45 du Congo Kinshasa46,
du Niger 47 . Sous cette bannière, le pouvoir constituant de la République du Tchad a
spécifiquement visé une disposition du corps de la Constitution et a renvoyé au domaine de la
loi le soin d’aménager les règles juridiques y afférentes. C’est dans ce cadre que la précision
du cadre matériel d’insertion (A) et la délégation de la production normative au législateur (B)

32
J. RIVERO., « Les phénomènes d’imitation des modèles étrangers en droit administratif », in Mélanges G.
Van Der Mersch, Paris, L.G.D.J 1972, t. III, p. 459.
33
CIJ, avis du 8 juillet 1996 relatif à la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Recueil CIJ,
1996, p. 241, § 29.
34
S. DOUMBE-BILLE., « Droit international et développement durable », Les hommes et l'environnement.
Etudes en hommage à Alexandre Kiss, Frison-Roche, 1998, p. 245.
35
Article 52 de la Constitution promulguée le 04 mai 2018 (Tchad).
36
Article 52 de la loi Constitutionnelle N°017/PR/2020 du 14 Décembre 2020 portant révision de la Constitution
promulguée le 04 mai 2018.
37
Voy Charte de Transition de la République du Tchad.
38
Voy loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972. (Cameroun).
39
Voy article 1er de la loi °2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972 (Cameroun).
40
Voy Constitution du Gabon.
41
Voy article 15 de la Constitution du Mali.
42
Voy Constitution du Togo.
43
Voy Constitution de la République du Sénégal
44
Articles 28 et 29 de la Constitution de la République du Bénin.
45
Articles 42 et 43 de la Constitution du Congo Brazzaville.
46
Articles 36 et 37 de la Constitution de la RDC
47
Article 35 de la Constitution du Niger.

238
permettent de déterminer la présence explicite des règles de gestion des déchets en
République du Tchad.

A. La précision dans le domaine de la Constitution

Le fondement constitutionnel de la gestion des déchets découle de l’attribution du cadre


matériel à l’aménagement des règles juridiques y afférentes par le pouvoir constituant. Le
constituant a opté pour un domaine précis à des fins de précision des règles constitutionnelles
propices. Le choix s’est véritablement opéré entre le préambule et le corpus de la
Constitution. « Il se présente à première vue comme une mosaïque d’éléments disparates »48
dont le constituant vient circonscrire le domaine. Et c’est seul dans ledit domaine qu’il est
« seul susceptible de produire un régime juridique »49. Le constituant a expressément visé une
disposition du corpus de la Constitution (1) et a par conséquent exclu le préambule de la
Constitution (2).

1. La délimitation au corps de la Constitution


En s’inscrivant dans le domaine de la Constitution, le pouvoir constituant a limité au
corpus de celle-ci le cadre matériel de précision des règles de gestion des déchets. « On a peu
réfléchi jusqu'ici au fait qu'il y a un domaine de la Constitution »50, et celui diffuse tant dans
le préambule que dans le corpus de celle-ci des règles précises. En privilégiant la clarification
explicite à l’interprétation implicite, le constituant tchadien a délimité son idée sur le corpus
de la Constitution. Il suffit de s’orienter vers le corpus de la Constitution et d’observer d’un
seul coup d’œil l'un des deux moments essentiels de la démarche juridique 51, « l'ossature
solide du droit de l'environnement »52.
D’entrée de jeu, l’option pour le corpus de la Constitution relève de la discrétion du
pouvoir constituant. Aucune règle juridique ne prépose ou ne canalise par avance sa faculté
d’intégrer les déclinaisons de la gestion des déchets dans un cadre matériel précis. Par sa
compétence constituante, le pouvoir constituant exprime la compétence de sa compétence sur
le maniement des règles y afférentes. C’est par son fait que l’on découvre le cadre matériel
congru de la protection de l’environnement. Sans sa manifestation formelle, la détermination
matérielle en la matière ne se poserait pas. C’est le domaine de la compétence exclusive de
souveraineté du pouvoir constituant. Le concept est employé afin de désigner de nombreuses
situations politiques ou juridiques relatives, notamment, à la légitimité du pouvoir, à
l’exercice de certaines prérogatives ou à la définition de l’État. Un même constat semble

48
G. FEUER., H. CASSAN., Droit international du développement, Paris, Dalloz, 1991, p. 25.
49
C. LEBEN., « Quelques Réflexions théoriques à propos des contrats d’Etat », Souveraineté étatique et
marchés internationaux à la fin du 20ème siècle. A propos de 30 ans de recherche du CREDIMI. Mélanges en
l'honneur de Philippe Kahn, Litec, 2000, p. 119.
50
L. FAVOREU., P. GAÏA., R. GHEVONTIAN, J.-L MESTRE., A. ROUX, G. SCOFFONI., Droit
constitutionnel, 21ème éd., Paris, Dalloz, 2019 p.823.
51
M. DELMAS-MARTY et J.F. COSTE : "L 'imprécis et l'incertain. Esquisse d 'une recherche sur logiques et
droit ", in D. BOURCIER, P. MACKAY (dir.) : " Dire le droit. Langue, texte et cognition ", Paris, L.G.D.J,
Collection "Droit et société" n°3, Paris, 1992, p. 111.
52
Y. JÉGOUZO : "Les principes généraux du droit de l'environnement ", RFDA vol. 12, n° 2/1996, p. 215.

239
pouvoir être dressé aujourd’hui, si bien qu’on voit dans la souveraineté un « concept aussi
inconsistant qu’incontournable »53, un « voile dont il nous faut comprendre ce qu’il cache »54.
Le pouvoir constituant de la République du Tchad a opté pour le corpus de la
Constitution comme le cadre matériel d’expression de son idée sur la gestion des déchets. Il
n’a pas explicitement diffusé son idée dans l’ensemble de la norme fondamentale. Il l’a
délimité à une disposition précise. Autrement dit, toutes les dispositions de la Constitution ne
consacre la règle juridique relative à la gestion des déchets. L’accent a spécifiquement été mis
sur une disposition de la Constitution mère55 et conservée par le pouvoir constituant dérivé de
2020 56 . L’on peut lire que le transit, l'importation, le stockage, l'enfouissement, le
déversement sur le territoire national des déchets toxiques ou polluants étrangers sont
interdits. Sans se référer à la disposition relative au renvoi au législateur, cette disposition
énumère les déclinaisons de la gestion des déchets ainsi que la proscription qui en découle.
Celle-ci valorise la question de territoire national et ne renvoie sur ce point au domaine de la
loi. L’énumération exhaustive des activités de gestion proscrite des déchets est mise à l’actif
du pouvoir constituant. Il y range de manière exhaustive, le transit, l’importation, le stockage,
le déversement sur le territoire national. Ces opérations ne sont étendues que celles consacrées
par les autres États de l’Afrique noire francophone. Ceux-ci admettent que le transit,
l'importation, le stockage, l'enfouissement, le déversement dans les eaux continentales et les
espaces maritimes sous juridiction nationale, l'épandage dans l'espace aérien des déchets
toxiques, polluants, radioactifs ou de tout autre produit dangereux en provenance ou non de
l'étranger, constituent des crimes punis par la loi. Ces États incluent en plus du transit, de
l’importation, du stockage, du déversement des déchets étrangers sur le territoire national, la
prise en compte des eaux continentales, des espaces maritimes sous juridiction nationale, de
l’épandage dans l’espace aérien des déchets toxiques, polluants, radioactifs et de tout autre
produit dangereux en provenance ou non de l’étranger. En ce sens, la proscription de ces cas
d’espèce est indifférente de la source de provenance des déchets toxiques, ou dangereux. Le
constituant tchadien a donc une approche réductrice de la provenance du déchet prohibé.
La prohibition des déchets toxiques, polluants ou dangereux suppose son effet sur l’une
des composantes de l’État. Le constituant a entendu mettre en avant le cadre d’expression de
la souveraineté de la puissance publique. « Le droit international public définit
habituellement, l’Etat par ses trois éléments constitutifs lesquels articulent les doubles plans
sociologique et juridique » 57 . En plus, « la notion d’État est liée à celles du souverain ;
d’organisation permanente, de territoire et de population » 58. L’État peut être défini, d’un
point de vue institutionnel, comme l’autorité souveraine qui exerce son pouvoir sur la
population habitant un territoire déterminé et qui, à cette fin, est dotée d’une organisation

53
Th. BERNS, « Souveraineté, droit et gouvernementalité », Arch. phil. droit 2002, p. 353.
54
F. DE SMET, Le mythe de la souveraineté – Du Corps au Contrat social, EME, coll. Politique & culture,
2014, p. 8
55
Article 52 de la Constitution promulguée le 04 mai 2018 (Tchad).
56
Article 52 de la loi Constitutionnelle N°017/PR/2020 du 14 Décembre 2020 portant révision de la Constitution
promulguée le 04 mai 2018.
57
A.-J NGAYA., L’interprétation de la Constitution par la juridiction constitutionnelle dans les États de
l’Afrique noire francophone, Thèse de Doctorat Ph.D en Droit Public, université de Douala 2019-2020, p.120.
58
RENAUD DENOIX DE SAINT MARC., L’État, 2ème éd., mise à jour, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2016 p.3.

240
permanente59. L’État se décliné autour de l’organisation politique qui exerce cette autorité de
manière souveraine, c’est-à-dire sans être tenue de se conformer à d’autres règles que celles,
très lâches, du droit international. L’idée d’une personnalité juridique souveraine distingue
l’État des autres entités publiques en droit public interne. Ici, « le principe qui caractérise
l’État en termes de pouvoir de commandement se nomme la souveraineté »60. Par ailleurs, la
population renvoie à cet ensemble homogène de personne physique liée à l’organisation
politique et plus spécifiquement à l’Etat par le lien de nationalité. Enfin, « Le territoire qui
fixe le cadre à l’intérieur duquel il exerce son pouvoir de commandement à titre exclusif »61.
« Le territoire est l’espace délimité par des frontières et qui désigne la zone de validité
spatiale de l’ordre juridique étatique » 62 . En application des résolutions de l’Assemblée
générale de l’Organisation des unités africaines, il a été posé le principe de l’intangibilité des
frontières. Le territoire national dont fait allusion le constituant tchadien est rattaché à sa
conception théorique. Autrement dit, il est question d’observer les composantes du territoire
du point théorique pour les transposer au cas d’espèce. Cet élément de définition implique
l’existence d’un territoire. Aucun État n’existe sans une base territoriale. Concrètement, la
prohibition ne se limite pas au cadre terrestre. Il intègre également l’assise géographique
aérien et maritime. La source émettrice des déchets suppose qu’elle affecte l’une ou les
déclinaisons du territoire national pour enclencher le régime juridique de la prohibition. Par ce
fait, le constituant de la République du Tchad oriente la lecture des bases constitutionnelles de
ce droit.
C’est par la prohibition des déchets toxiques ou polluants étrangers que le constituant a
entendu limiter la contribution du corpus de la Constitution au droit constitutionnel de la
gestion des déchets. Celui-ci s’est particulièrement chargé de fixer des garde-fous à
l’introduction des déchets sur le territoire national et cela est considéré « comme une matrice
conceptuelle, définissant la perspective générale dans laquelle »63 ces explications théoriques
tirent leur substance. En procédant par un raisonnement à contrario, on est à même de retenir
que les déchets non toxiques et non polluants ne sont pas proscrits de transit, l'importation, le
stockage, l'enfouissement, le déversement sur le territoire national. Il va sans dire que c’est la
nature et la provenance des déchets qui ont focalisé l’idée du constituant tchadien. Le
constituant « énonçant de façon aussi générale l’orientation » 64 , l’exclue quand même du
préambule de la Constitution.

2. L’exclusion du préambule de la Constitution


La Constitution n’a pas visé le préambule comme cadre de référence expresse ou
explicite aux bases constitutionnelles de la gestion des déchets. En passant en revue, les
énoncés constituants de cette partie, l’on ne perçoit de manière explicite le régime juridique
des règles y afférentes. Le pouvoir constituant n’a entendu faire du préambule de la

59
Idem.
60
Ph. BLACHER., Droit constitutionnel, 3ème éd., Paris, Hachette supérieur, 2015 p.13.
61
B. CHANTEBOUT., Droit constitutionnel, 26ème éd., mise à jour, Paris, Sirey, 2009 p.4.
62
Ph. BLACHER., Droit constitutionnel, 3ème éd op.cit., p.12.
63
P.-M DUPUY., « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », RGDIP, 1997-4, p.
886.
64
Idem, p.887.

241
Constitution, le support de lecture congru en la matière. « Il est frappant de le constater »65.
« Dans la pensée dominante » 66 , ce cadre exclut d’« en faire immédiatement des normes
juridiques »67. Ceci découle de l’interprétation de la disposition visée par le constituant 68.
Cette disposition a été conservée par la révision de la Constitution de 202069. L’on perçoit le
choix du constituant de ne pas étendre la portée du cadre matériel en la matière. Sa
localisation est alors déterminée. Toute la Constitution n’est donc préoccupée par ce cas, les
autres dispositions continuent de viser d’autres préoccupations. Le bloc épars du constituant
s’affirme une fois de plus.
Le préambule considéré comme le « document qui énonce, au seuil d’une
constitution »70 ou l’« énoncé placé en tête d'une Constitution »71 ne renvoie explicitement
aux bases constitutionnelles de la gestion des déchets. L’énoncé effectué par cette partie
préliminaire est implicite et générale car n’étant pas spécifiquement lié à la préoccupation du
traitement des déchets. La déduction de l’idée en cause impose de recourir à l’interprétation.
Or, la particularité de l’énoncé explicite est de nous affranchir de l’interprétation et de se
référer à l’affirmation ou à la consécration formelle. Dès le pouvoir constituant n’entend
étendre la portée de la consécration formelle des règles relatives au transit, à l'importation, au
stockage, à l'enfouissement, au déversement sur le territoire national des déchets toxiques ou
polluants étrangers dans l’énoncé placé à la tête de la Constitution. Cette situation se
rapproche incontestablement de l’absence de base constitutionnelle explicite à la gestion des
déchets des Constitutions du Cameroun, du Gabon, du Sénégal et du Togo.
Par la délimitation du cadre de consécration, le pouvoir constituant n’entend à
surcharger le préambule de la Constitution par les dispositions constitutionnelles relatives à la
gestion des déchets. Le pouvoir constituant par son ingéniosité prémunit l’œuvre constituante
des doublons et des dispositions répétées. Il n’entend laisser cours aux dispositions
superfétatoires dans la norme fondamentale. Le fait de la consacrer quelque part impose de ne
pas le faire ailleurs. La fonction juridique de l’État n’a été encline à la défaillance.
« Envisagée de manière générale, la compétence est essentiellement une notion fonctionnelle,
qui permet, lorsque plusieurs organes sont investis d’un pouvoir identique, de désigner celui
va l’exercer concrètement »72. « C’est à ce niveau qu’il est possible d’identifier les énoncés
habilitants »73. Par cette démarche, le pouvoir constituant articule les exigences de la norme
de qualité. La « volonté d’avoir un droit rationnel et accessible » 74 l’a conduit à récuser

65
M. PRIEUR., Droit de l’environnement, 5ème éd., op.cit., p.60.
66
S. DOUMBE-BILLE., « Evolution des institutions et des moyens de mise en œuvre du droit de
l’environnement et du développement », RJE 1-1993, p.39.
67
M. KAMTO., « Les nouveaux principes du droit international de l’environnement », RJE 1-1993, p. 11.
68
Article 52 de la Constitution promulguée le 04 mai 2018 (Tchad).
69
Article 52 de la loi Constitutionnelle N°017/PR/2020 du 14 Décembre 2020 portant révision de la Constitution
promulguée le 04 mai 2018.
70
P. AVRIL., J. JICQUEL., Lexique de droit constitutionnel, 4ème éd., mise à jour, Paris, PUF, « Que sais-je ? »,
2016, p.81.
71
R. CABRILLAC., (s.dir), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 1ère éd., Paris, Lites, 2002 p.210.
72
Ph. THERY., « Compétence », D. ALLAND., S. RIALS. (s.dir), Dictionnaire de la culture juridique, Paris,
Quadrige « Lamy » PUF, 2003, p.247.
73
G. TUSSEAU., Les normes d’habilitation, Paris, Dalloz « nouvelles bibliothèques de thèses inv 4427 » 2006
p.3.
74
G. BRAIBANT., « Utilité et difficultés de la codification », op.cit., p.62.

242
l’éparpillement d’une préoccupation constitutionnelle dans la Constitution. L’intelligibilité de
la norme fondamentale a imposé de limiter la portée de l’acte à consacrer. Cela évolue vers
une logique de spécialisation. Dès lors, « les fins sont toujours sous-tendues par des valeurs
»75.
La consécration formelle des règles relatives à la gestion des déchets ne peut pas
focaliser entièrement la Constitution. Chaque disposition de celle-ci a vocation à aménager
une idée ou plusieurs du droit public et privé. L’option pour le corpus de la Constitution
induit la négation du recours au préambule de celle-ci. La spécialisation fonctionnelle attachée
à chaque disposition n’induit qu’elle s’étend sur des préoccupations déjà affectées à d’autres
dispositions. « Le critère de distinction entre la norme juridique et les autres types de
normes »76 se pose. La norme fondamentale a tellement à dire et à renseigner sur le droit
qu’elle s’évite les doublons et la présence des dispositions incongrues. En suivant le
constituant dans ses orientations, la gestion des déchets est une affaire visée et diluée dans les
idées éparses du constituant. Autrement dit, celle-ci n’a vocation à enfermer les idées diverses
que le pouvoir constituant porte sur le droit public. Le « fondement de droit ou de fait
justifiant la solution retenue »77 est dans son fait.
La limitation du cadre d’expression des règles de gestion des déchets tient à la négation
de focaliser les idées éparses du constituant sur une seule préoccupation. Celui-ci n’a vocation
à faire d’une préoccupation son unique point de réflexion. Il n’a davantage pas la prétention
de la laisser ou de la minorer. Il essaie de clarifier les destinataires de la règle de droit. Il
accorde un traitement particulier à la préoccupation tout en éludant à celle-ci l’exclusivité. Le
fait est que les idées à approfondir et à aménager sont diverses et hétérogènes. La Constitution
demeure un amas de règles juridiques sur des préoccupations constitutionnelles. Chaque
domaine a vocation à tirer sa substance des dispositions spécialement aménagées. Par son fait,
diverses préoccupations « s’insèrent dans le droit positif et acquièrent validé »78. C’est dans
cette logique qu’il a expressément délégué au domaine de la loi, le soin d’aménager les règles
relatives à la gestion des déchets en République du Tchad.

B. La délégation de la production normative

Les bases constitutionnelles de la gestion des déchets sont explicites par la technique
utilisée par le constituant pour les laisser transparaitre. Le pouvoir constituant en les
introduisant dans le corps de la Constitution a recouru à la technique des normes visées à des
fins d’aménager leur régime juridique. C’est par le renvoi au domaine de la loi que l’on établit
la présence de ladite gestion dans le domaine de la Constitution. « Tirant leçon du
prolongement insuffisant de l’idée de Constitution »79, « qu’à ce texte de référence, doivent-

75
C. GRZEGORCZYK., La théorie générale des valeurs et le droit, Essaie sur les prémisses axiologiques de la
pensée juridique, Paris, L.G.D.J, 1982, p. 266.
76
X. MAGNON., Théorie (s) du droit, Paris, Ellipses, 2008, p.68.
77
R. CABRILLAC. (s.dir), Dictionnaire du vocabulaire juridique 1ère éd., op.cit., p.186.
78
J.-L BERGEL., Théorie générale du droit, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2003, p.55.
79
A-J NGAYA., « Les réserves d’interprétation de la juridiction constitutionnelle dans les États de l’Afrique
noire… », RADP, Vol X, N° 21, Spécial 2021 p.324.

243
être associées des normes considérées comme dérivées de la constitution » 80 . Il est donc
impératif de se référer à la consécration formelle en la matière.
Formellement, « les conditions de stockage, de manipulation et d'évacuation des
déchets toxiques ou polluants provenant d'activités nationales sont déterminées par la loi. »81.
Cette disposition a été conservée par la révision de la Constitution de 2020 82 . La charte
constitutionnelle de Transition n’en a fait allusion83. Cette disposition est consacrée par les
Constitution du Bénin84, de la République du Congo Brazzaville85 du Congo Kinshasa86, du
Niger87. Ces dispositions conduisent à la déclinaison de certaines idées. C’est dans ce cadre
que le pouvoir constituant a logé dans le domaine de la loi, le régime juridique relatif à la
gestion des déchets (1) et l’application de cette prescription suppose incontestablement le
contrôle de constitutionnalité des lois (2).

1. L’attribution substantielle au domaine de la loi


Le pouvoir constituant renvoie au domaine de la loi, la charge normative d’aménager
dans les détails, le régime juridique de la gestion des déchets. Il utilise la technique des
normes visées non seulement pour consacrer mais également pour préparer le cadre de
prolongement normatif de la préoccupation. L’attribution substantielle au domaine de la loi
part et s’appuie sur une disposition explicite de la Constitution. Cela semble « pouvoir sans
difficulté se ramener à une exigence de clarté »88. Dès lors, « le législateur a l’obligation (…)
de déterminer ses effets prévisibles ou encore de rédiger une loi suffisamment précise »89. Ces
explications théoriques sont déduites de la Constitution 90 et de sa révision de 2020 91 . Le
pouvoir constituant fait de cette préoccupation, le domaine réservé de la loi et non du
règlement. Les prescriptions constitutionnelles sont formelles sur cette préoccupation au
Tchad et dans les autres États de l’Afrique noire francophone. Dans ce cadre, l’acte juridique
à édicter est censé s’intégrer dans une position hiérarchique certaine.
Le constituant tchadien fait de l’aménagement formel de la gestion des déchets, le
domaine réservé de la loi. Il exclut formellement dudit cadre, le domaine du règlement. La
prescription de la Constitution n’a vocation à ne pas être remise en cause par les normes de
droit interne. Celle-ci doit être suivie et appliquée sans négociation. Elle ne saurait donner
cours à la négociation ou à la discussion reconnue en matière contractuelle. C’est le pouvoir

80
L.-P GUÉSSÉLÉ ISSÉMÉ., « Les normes dérivées de la Constitution dans les Etats d’Afrique Noire
francophone », op.cit., p.90.
81
Article 52 de la Constitution promulguée le 04 mai 2018 (Tchad).
82
Article 52 de la loi Constitutionnelle N°017/PR/2020 du 14 Décembre 2020 portant révision de la Constitution
promulguée le 04 mai 2018.
83
Voy Charte de Transition de la République du Tchad.
84
Articles 28 et 29 de la Constitution de la République du Bénin.
85
Articles 42 et 43 de la Constitution du Congo Brazzaville.
86
Articles 36 et 37 de la Constitution de la RDC
87
Article 35 de la Constitution du Niger.
88
P. WACHSMANN., « Sur la clarté de la loi », in Mélanges Paul AMSELEK., Bruxelles Bruylant, 2005, p.809.
89
A.-M LEROYER., « Légistique », in D. ALLAND., S. RIALS (dir), Dictionnaire de la culture juridique,
Paris, PUF, 2003, p.923.
90
Article 52 de la Constitution promulguée le 04 mai 2018 (Tchad).
91
Article 52 de la loi Constitutionnelle N°017/PR/2020 du 14 Décembre 2020 portant révision de la Constitution
promulguée le 04 mai 2018.

244
constituant originaire qui a le dernier mot. L’autorité de la prescription est rehaussée
lorsqu’elle provient sans détour du contenu de la norme fondamentale. Le destinataire de
celle-ci est lié et est le débiteur de l’obligation qui en découle. Ainsi « quelle que soit
l’appréciation portée sur le fond de la loi, un constat s’impose indubitablement »92. « ce droit
est principalement inscrit dans la Constitution, qui est la norme suprême et que les normes
inférieures doivent respecter »93. Dans sa formulation sommaire, il renvoie au domaine de la
loi, le soin d’approfondir la contribution du législateur au droit à un environnement sain, à
l’amélioration du cadre de vie et à la promotion de la santé publique. Il faut donc se référer au
domaine de la loi.
« Du premier point de vue, c'est aborder l'étude du domaine de la loi »94. Davantage,
« dire qu'il existe un « domaine de la loi » c'est-à-dire un champ délimité de matières (ou
domaines) dans lesquels le législateur (qui incarne le pouvoir législatif) va exercer son
pouvoir normatif répond à des exigences logiques incontestables » 95. Le constituant tchadien
a déterminé le domaine de la loi dans la Constitution96 ainsi que dans la révision de celle-ci97.
La détermination du domaine de la loi n’est pas exclusivement l’apanage du droit
parlementaire tchadien. Elle l’est aussi le fait des autres États de l’Afrique noire francophone.
Que l’on soit au Bénin 98 , au Burkina Faso 99 , au Burundi 100 , au Cameroun 101 , en Côte
d’Ivoire102, au Congo Brazzaville103, au Gabon104, au Mali105, au Niger106, en République de
Centrafrique107, et au Togo108. Toutefois, le domaine de la loi ne se limite pas au domaine
réservé. Il s’étend aux dispositions spécialement visées à la loi par le constituant. Celui
susmentionné n’est que limitatif et ne contient pas compte de toute la réalité. Autrement dit, le
domaine de la loi est celui que nous livre le bloc de constitutionnalité. L’on constate
simplement « l’extension affirmée du champ d’intervention de la loi »109.

92
M.-C RUNAVOT., « La procédure d’élaboration de la loi pour l’égalité des chances : une nouvelle lecture
institutionnelle de la Constitution ? », RFDC n°72, 2007/4, p.813.
93
A. LEGRAND., C. WIENER., Le droit public, Paris, La documentation française, 2017, p.6.
94
L. FAVOREU., P. GAÏA., R. GHEVONTIAN., J.-L MESTRE., O. PFERSMANN., A. ROUX., G.
SCOFFONI., Droit constitutionnel, 21ème éd., op.cit., p.841.
95
Idem, p.843.
96
Article 127 de la Constitution promulguée le 04 Mai 2018 du Tchad
97
Article 137 de la loi Constitutionnelle N°017/PR/2020 du 14 Décembre 2020 portant révision de la
Constitution promulguée le 04 mai 2018.
98
Article 98 de la loi n°90-31 du 11 décembre 1990 révisée en 2019 portant Constitution du Bénin.
99
Article 101 de la loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la
Constitution du Burkina Faso.
100
Articles 73, 88 de la Constitution du Burundi.
101
Article 26 alinéa 1 de la loi n°96-06 du 18 janvier 1996 op.cit.
102
Article 101 de la Loi n ° 2016-8 8 6 du 8 novembre 2016 portant Constitution de la République de Côte
d'Ivoire.
103
Article 125 de la Constitution du 06 novembre 2015 du Congo Brazzaville.
104
Article 47 de la Constitution du Gabon.
105
Article 70 de la Constitution de la République du Mali.
106
Articles 99, 100 et 1010 de la Constitution du Niger
107
Article 66 de la Constitution du 30 Mars 2016 de la République de Centrafrique.
108
Article 84 de la Constitution du Togo.
109
B. LEMANA ATANGANA., « Le domaine de la loi en droit constitutionnel camerounais », RADP, Vol X, n°
22, juillet - décembre 2021, p.310.

245
« De ce point de vue, il faudra prendre le fondement comme la racine d’un système, la
racine de l’ensemble normatif » 110 du droit parlementaire tchadien. L’habilitation
constitutionnelle à l’exercice d’une des fonctions politiques de l’État est le fait du pouvoir
constituant. « l’unité du droit public repose sur une conception d’ensemble touchant la
fonction assignée aux règles du droit public » 111 . « En fait, Montesquieu distribue les
fonctions politiques (législative et exécutive) d’après la règle de la balance »112. La réserve au
domaine de la loi affirmée par le constituant donne alors cours à l’activation projetée de
l’activité normative du parlement. C’est dans cette logique qu’une loi générale a été
promulguée en 1998. Celle-ci consacrait des définitions et des règles propres ou spécifiques à
la gestion des déchets en République du Tchad. Dans les dispositions générales de cette loi, il
est défini la notion de déchets. Celle-ci fait la distinction entre les déchets spéciaux113 de ceux
non spéciaux114 Le législateur gabonais opère également cette distinction115 ainsi que le cadre
matériel y afférent116. Au chapitre 2 du Titre V il est fixé les règles sur les déchets. Le premier
article de ce titre reprend mot pour mot la consécration de la Constitution117. Ce cadre fixe les
mesures de gestion des déchets par l’élimination à la source118, la compétence administrative
en matière d’élimination des déchets 119 . Il est également prévu un régime répressif à la
mauvaise gestion des déchets120. Le législateur camerounais définit simplement cette notion
sans opérer la distinction susmentionnée121. C’est également le cas du législateur nigérien122
et au Sénégal 123 . Il définit également l’élimination de déchets 124 et la gestion des déchets
entendue comme « la collecte, le transport, le recyclage et l’élimination des déchets, y
compris la surveillance des sites d’élimination »125. En plus le cadre matériel de gestion est
prévu au Cameroun126 et au Niger127.
L’attribution au domaine de la loi exclut le domaine du règlement de l’aménagement
des règles juridiques relatives à la gestion des déchets. Le destinataire principal du pouvoir
constituant est le législateur. Le pouvoir règlementaire peut intervenir dans le cadre des
règlements d’application. Dans ce cadre, celui-ci apporte son concours à la mise en œuvre en

110
E.-P. ABANE ENGOLO, « Existe-t-il un droit administratif camerounais », in M. ONDOA., E.-P. ABANE
ENGOLO (s.dir), Les fondements du droit administratif camerounais, Paris, L’Harmattan, 2016, p.17.
111
M. GOUNELLE., Introduction au droit public. Institutions. Fondements. Sources. 2ème éd., Paris,
Montchrestien, 1989, p.6.
112
M. BARBERIS., « Le futur passé de la séparation des pouvoirs », Pouvoirs n°143, 2012, p.5.
113
Article 2 alinéa 12 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
114
Article 2 alinéa 13 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
115
Article 4 alinéa 4 et 5 de la loi n°007/2014 du 1er août 2014 relative à la protection de l’environnement en
République du Gabon.
116
Articles 93, 95 et 96 de la loi n°007/2014 du 1er août 2014 op.cit., (Gabon).
117
Article 55 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
118
Article 56 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
119
Articles 57 et 58 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
120
Article 63 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
121
Article 4 alinéa c de la loi n°96/12 du 5 août 1996 portant loi-cadre relative à la gestion de l’environnement
(Cameroun).
122
Article 2 alinéa b de la Loi n°98-56 du 29 décembre 1998 portant loi cadre relative à la gestion de
l’environnement (Niger).
123
Article 2 alinéa 6 de la loi n° 83-05 du 28 Janvier 1983 portant Code de l’environnement (Sénégal).
124
Article 4 j de la loi n°96/12 du 5 août 1996 op.cit.
125
Article 4 q de la loi n°96/12 du 5 août 1996 op.cit.
126
Articles 42 à 53 de la loi n°96/12 du 5 août 1996 op.cit.
127
Articles 62 à 68 de la Loi n°98-56 du 29 décembre 1998 op.cit., (Niger).

246
aval de l’idée de Constitution et de manière plus proche de celle de la loi. C’est un concours
de prérogatives qui conduit ainsi à l’application de la base constitutionnelle explicite de la
gestion des déchets. C’est dans ce cadre que le service du juge constitutionnel est sollicité.

2. La certification de l’aménagement
L’attribution de la compétence matérielle au législateur d’aménager les règles juridiques
relatives à la gestion des déchets doit son effectivité au contrôle de constitutionnalité des lois.
Par ce mécanisme, le pouvoir constituant s’assure que le parlement a effectivement internalisé
la compétence dévolue. Il se rassure également que l’idée de Constitution n’a pas été dévoyée
tant dans sa substance et que dans sa procédure. Par « l’affirmation de la suprématie de la
Constitution en tant que règle de droit »128, on s’assure que le législateur ne « dérogeant par
son objet ou son contenu à la Constitution »129.
« La Cour Suprême est la plus haute juridiction du Tchad en matière judiciaire,
administrative, constitutionnelle et des comptes »130. Cette disposition n’a pas été abrogée131.
Au sein des cinq chambres que compte celle-ci figure la chambre constitutionnelle dont les
compétences ont été déterminées132.« Le Conseil Constitutionnel est l'instance compétente en
matière constitutionnelle. Il statue sur la constitutionnalité des lois » 133 . Davantage, « le
Conseil Constitutionnel statue souverainement sur : - La constitutionnalité des lois, des
traités et accords internationaux ; »134. Ces dispositions de la révision de la Constitution du
02 juin 1972 en 1996 n’ont pas été abrogées par la révision constitutionnelle du 14 avril
2008135.
Le contrôle de constitutionnalité s’effectue dans un cadre matériel déterminé. « Toutes
les lois que le parlement adopte peuvent être soumises au contrôle de constitutionnalité. En
principe, la constitutionnalité d’une loi tient à des conditions aussi bien internes
qu’externes » 136 « Les conditions externes de constitutionnalité sont celles qui touchent la
compétence et les vices de procédure. S’agissant des conditions internes, elles englobent la
violation de la constitution et le détournement de pouvoir »137. En l’espèce, la certification de
l’aménagement législatif du régime de la gestion des déchets vise à s’assurer que l’acte en
question émane du parlement et qu’il est la résultante de la procédure législative. La
procédure législative ayant abouti au support formel en question ne doit faire l’objet d’aucune
ambiguïté. Par ailleurs, le contenu de l’acte adopté ne doit pas violer la norme fondamentale.

128
J.-J BIENVENU., « La modernité des vues de Charles Eisenmann sur la justice constitutionnelle », in P.
AMSELEK (dir), La pensée de Charles Eisenmann, Paris, PUAM et ECONOMICA, 1986 p.89.
129
Ch EISENMANN., La justice constitutionnelle et la Haute Cour constitutionnelle d’Autriche, Paris,
ECONOMICA, PUAM, 1986 p.17.
130
Article 157 de la Constitution.
131
Article 168 de la révision de la Constitution.
132
Idem.
133
Article 46 de la loi n°96-06 op.cit.
134
Article 47 alinéa 1 de la loi n°96-06 op.cit.
135
Voy article 1er de la Loi n° 2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi
n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 02 juin 1972.
136
Infra.
137
S. DAKO., « La résolution juridictionnelle des conflits entre le Gouvernement et le Parlement au bénin », in
F.-J AIVO (dir), La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l’Afrique ? Mélanges en
l’honneur de Maurice Ahanhanzo Glèglè, Paris, L’Harmattan, 2014, p.345.

247
Il ne doit pas contrevenir au bloc de constitutionnalité. Il doit intégrer exactement l’idée de
Constitution. C’est généralement dans ce cas d’espèce que le juge constitutionnel contrôle les
incompétences. « Le Conseil constitutionnel sanctionne le vice d’incompétence de deux
manières. D’une part, il contrôle « les incompétences positives » c’est-à-dire les cas où le
législateur est allé au-delà de la compétence qui lui est donnée par la Constitution »138. Or,
l’incompétence négative comme « le cas où le législateur méconnait sa propre compétence en
ne prenant pas toutes les mesures qu’il revenait de prendre » 139 . Le contrôle de
l’aménagement du régime juridique relatif à la gestion des déchets vise en l’espèce à s’assurer
que le législateur n’est pas allé au-delà des compétences dévolues et n’est non plus resté en
déca de celle-ci. Il est tenu de ne reproduire que les termes de la Constitution sur l’acte
législatif. Comme il a été évoqué, l’acte ne doit pas établir de rapprochement avec le domaine
du règlement et de ne pas relever dudit domaine. « De contenu apparemment simple, cette
catégorie de normes recèle des normes de type assez différent »140.
Le but du contrôle de constitutionnalité est également de s’assurer de l’absence de
détournement de pouvoir. « En matière normative, les qualités matérielles» 141 sont
recherchées par le juge constitutionnel. La certification qu’il effectue s’assure d’une
dialectique certaine. « Le contrôle du détournement de procédure, c’est-à-dire de l’utilisation
de la procédure législative dans un but autre que celui pour lequel elle est institué »142 est
effectué. Le juge constitutionnel s’assure que la procédure mise en œuvre est vraiment celle
instituée par le constituant à des fins de production normative. Il n’est pas question de se
détourner du formalisme à des fins inavouées, un but qui n’est pas de ceux pour lesquels
l’autorité a été investie des pouvoirs qu’elle a utilisés 143 . Cela dit, le juge constitutionnel
maitrise la procédure législative. En matière administrative, le détournement de procédure est
également reconnu. Il renvoie à « une procédure administrative dans un but autre que celui
pour lequel cette procédure a été instituée » 144 . Concrètement, « le détournement de
procédure peut donc être envisagé comme une substitution irrégulière d’un processus donné,
en vue d’atteindre un résultat autre que celui prévu » 145 . Cela conduit l’autorité
administrative concernée « à sortir de sa compétence ou d’une procédure imposée, afin de
gagner en facilité ou en efficacité répressive »146. Sans avancée dans l’unanimité, une partie

138
G. DRAGO., Contentieux constitutionnel français, 2ème éd., entièrement refondue Paris, PUF, 2006, p.389.
139
L. FAVOREU., « Le droit constitutionnel jurisprudentiel », RDP 1986, p.416.
140
L. FAVOREU., P. GAÏA., R. GHEVONTIAN., J.-L MESTRE., O. PFERSMANN., A. ROUX., G.
SCOFFONI., Droit constitutionnel, 21ème éd., op.cit., p.905.
141
V. MARINESE., L’idéal législatif du Conseil constitutionnel. Étude sur les qualités de la loi, thèse de
doctorat en droit public, Université Paris-X-Nanterre, 2007, p.18 ; F. OST. et M. VAN de KERCHOVE., De la
pyramide au réseau, Académie européenne de théorie du droit, R.I.E.J., 2000.44 ; A.-L VALEMBOIS., La
constitutionnalisation de l’exigence de sécurité juridique en droit français, LGDJ, Bibliothèque constitutionnelle
et de science politique, Tome 122, 2005 ; M. COUDERC., « Les fonctions de la loi sous le regard du
commandeur », Pouvoirs, n°114, La loi, 2005, p.21 et s.
142
G. DRAGO., Contentieux constitutionnel français, 2ème éd., op.cit., p.389.
143
J.-L BERGEL., Théorie générale du droit, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2003, p.276.
144
J.-M AUBY., R. DRAGO., Traité de contentieux administratif op.cit., 1220.
145
A.-R., EYEBE Le détournement de procédure en droit administratif camerounais, Mémoire de Master II,
Université de Yaoundé II-Soa, 2013-2014, p.22.
146
C. CORNU., Vocabulaire juridique, 12ème éd., mise à jour op.cit., p.749.

248
de la doctrine trouve en ce mécanisme tantôt la forme une illégalité externe147, tantôt la forme
d’une illégalité interne148. Elle se distingue du détournement du pouvoir est l’exercice par
l’administration de ses prérogatives à des buts autres que ceux pour lesquels ces prérogatives
lui ont été conférées. Toutefois, les règles de saisine présentent des angles morts dans la
Constitution du Tchad.
La Constitution de la République ne détermine les requérants en matière de contrôle de
constitutionnalité des lois. La disposition interprétée s’est juste contentée d’exposer les
compétences de la Cour suprême en matière constitutionnelle. Ces points méritent d’être
complétés afin de faciliter la déduction des indices implicites constitutionnels de la gestion
des déchets.

II. LES INDICES IMPLICITES CONSTITUTIONNELS

Les bases constitutionnelles de la gestion des déchets ne présentent pas exclusivement


des indices explicites. Elles présentent également des indices implicites et celles découlent de
l’interprétation et de la déduction de certains droits consacrés dans la Constitution. L’idée de
Constitution se perçoit du rapprochement de certaines dispositions de la Constitution. Cela
conduit à « s’enfermer dans une explication étroite du texte » 149 constitutionnel. Et cela
« affirme la volonté de donner à l’interprétation son véritable statut »150, « susceptible de
produire un régime juridique »151 en la matière.
Le préambule de la Constitution de la République du Tchad prévoit que : « Réaffirmons
notre attachement aux principes de droit de l’homme tels que définis par la Charte des
Nations Unies de 1945, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et la
Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 ; », « Toute personne a droit
à un environnement sain »152. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948
énonce de manière vague que « Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et
international, un ordre tel que les droits énoncés dans la présente Déclaration puissent y
trouver plein effet »153. La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples énonce que
« tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur
développement »154. « L’État et les Collectivités Autonomes doivent veiller à la protection de
l’environnement »155. « La protection de l’environnement est un devoir pour tous. L’État et
les Collectivités Autonomes doivent veiller à la protection de l’environnement. Tout

147
P.-E, ABANE ENGOLO., L’Application de la légalité par l’administration au Cameroun, thèse de doctorat
en droit public, université de Yaoundé II-Soa, 2009, p.212-213.
148
G. DUPUIS., M.-J. GUEDON., P. CHRETIEN, Droit Administratif, 5ème édition refondue op.cit., p.538.
149
J.-L HALPERIN., « Exégèse (école) », in D. ALLAND., S. RIALS (dir), Dictionnaire de la culture juridique,
Paris, PUF, « Quadrige », 2005, p.684.
150
J.-J BIENVENU., « Les idées de Charles Eisenmann en matière d’interprétation juridique », in P. AMSELEK
(dir), La pensée de Charles Eisenmann, Paris, PUAM et ECONOMICA, 1986 p.67.
151
C. LEBEN., « Quelques Réflexions théoriques à propos des contrats d’Etat », Souveraineté étatique et
marchés internationaux à la fin du 20ème siècle. A propos de 30 ans de recherche du CREDIMI. Mélanges en
l'honneur de Philippe Kahn, Litec, 2000, p. 119.
152
Article 51 de la révision de la Constitution du Tchad
153
Article 28 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948
154
Article 24 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
155
Article 52 de la révision de la Constitution du Tchad.

249
dommage causé à l’environnement doit faire l’objet d’une juste réparation »156. Que l’on soit
au Bénin 157 , au Cameroun 158 , au Congo Brazzaville 159 , à Madagascar 160 , au Mali 161 , au
Niger 162 , au Rwanda 163 , au Sénégal 164 , au Togo 165 , les préambules et les corpus des
Constitutions consacrent des dispositions se rattachant à la gestion des déchets. Dès lors, « les
principes déjà établis de bonne gestion de l’environnement doivent être resitués »166.
Les indices constitutionnels implicites sont discrètement intégrés dans la norme
fondamentale. Par le rattachement aux déclinaisons du droit à un environnement sain (B), du
fait de la constitutionnalisation de certains instruments juridiques internationaux (A), il est
perçu ces indices.

A. Le rattachement à la constitutionnalisation des instruments juridiques


internationaux

La démarche utilisée par le pouvoir constituant à des fins de laisser transparaitre les
indices implicites de gestion des déchets est la constitutionnalisation des instruments
juridiques internationaux et communautaire. Ceux-ci comportent des dispositions ayant un
lien avec la préoccupation environnementale « en cohérence avec le système juridique
existant, sans exclure pour autant telles ou telles aspirations » 167 . L’on découvre par
interprétation, des éléments nécessaires à la préservation du cadre de vie des populations par
le traitement des déchets implicitement. Et c’est dans ce cadre que l’on convient que « le rôle
du droit international n’a cessé de s’accroître, tout au long du XXe siècle. Il irrigue, là
encore, l’ensemble des branches du droit » 168 . Au sein de ces instruments juridiques
internationaux, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples consacre
expressément le droit à un environnement satisfaisant, global (1). C’est donc le constituant
qui l’a souverainement logé dans le préambule de la Constitution. Dès lors, le préambule en
devient un indice implicite (2).

1. La constitutionnalisation de la Charte africaine des droits de l’homme et des


peuples
La constitutionnalisation dans le préambule de la Constitution des instruments
juridiques internationaux est un indice implicite de gestion des déchets. Certains des
instruments juridiques internationaux font du droit à l’environnement un droit fondamental.
Compte tenu du fait que le préambule de la Constitution fait partie intégrante de la

156
Article 57 de la Constitution promulguée le 04 mai 2018.
157
Voy Préambule, articles 27 de la Constitution du Bénin.
158
Voy préambule de la loi constitutionnelle n°96/06 op.cit. (Cameroun).
159
Voy Préambule, articles 41, 50 de la Constitution du Congo Brazzaville.
160
Préambule, article 38 de la Constitution de Madagascar.
161
Préambule, article 15 de la Constitution du Mali.
162
Préambule, article 35 de la Constitution du Niger
163
Préambule, article 49 de la Constitution du Rwanda.
164
Préambule de la Constitution du Sénégal.
165
Préambule, articles 41, 50 de la Constitution du Togo.
166
P.-M., DUPUY., « Où en est le droit international de l’environnement à la fin du siècle ? », op.cit., p.886.
167
J.-L BERGEL., Théorie générale du droit, 4ème éd., Paris, Dalloz, 2003, p.77.
168
P.-L FRIER., J. PETIT., Droit administratif, 12ème éd., op.cit., p.70.

250
Constitution, les idées véhiculées par ces documents ont une normativité identique à celle des
dispositions de la Constitution. L’occasion est donnée de rappeler que le Constituant tchadien
ne renvoie à tous les instruments juridiques internationaux et communautaires. Il ne fait
allusion aux deux pactes internationaux de 1966. En plus, les deux pactes Présentant soit une
position lacunaire soit une disposition explicite, tous ces documents ne consacrent de manière
explicite le droit à l’environnement. La charte des Nations Unies n’y fait allusion. Il en est
aussi de la Déclaration des droits de l’homme de 1948. Ceci peut s’expliquer par le contexte
de leur édiction. Ces textes ont été pris lorsque les préoccupations relatives à l’environnement
ne se posaient véritablement pas. Toutefois, l’idée de développement durable, telle que nous
la connaissons aujourd’hui, apparaît en substance durant l’ère baroque allemande 169 . Le
contexte est alors celui d’une période de calme relatif, succédant à la guerre de Trente Ans qui
a déchiré l’Europe de 1618 à 1648170.
Or, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples consacre un indice
implicite de gestion des déchets. Elle indique que « tous les peuples ont droit à un
environnement satisfaisant et global, propice à leur développement »171. Elle fait allusion à la
notion d’environnement prise sous l’angle de la satisfaction, de la globalité et de son
adéquation au développement. L’on ne peut tirer la substance de cette notion en se référant à
ces déclinaisons. Conceptuellement, « l’environnement n’est pas une abstraction mais bien
l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de vie et leur santé, y
compris pour les générations à venir » 172 . En droit interne tchadien, l’environnement est
« l'ensemble des éléments naturels et artificiels qui favorisent l'existence, l'évolution et le
développement du milieu, des organismes vivants et des activités de l'homme dans le respect
de l'équilibre écologique »173. Cette définition est admise au Cameroun174, au Gabon175, au
Niger176 au Sénégal177 et au Togo178. C’est donc au sein des éléments favorisant l’existence,
l’évolution et le développement du milieu que la gestion des déchets. On ne peut pas parler de
développement du milieu, des activités de l’homme dans le respect de l’équilibre écologique
face à des produits dangereux, des polluants. Les opérations de collecte, de tri, de stockage, de
transport, d’importation et d’exportation, de récupération, de réutilisation, de recyclage ou de
toute autre forme de traitement ainsi que l'élimination finale des déchets, le gaspillage des
déchets récupérables et la pollution en général s’intègrent dans l’idée d’environnement
satisfaisant, globale et propice au développement et aux aspirations locales. Il s’agit en
l’espèce de la portée du développement de l’instrument juridique communautaire
constitutionnalisé. C’est un moyen d’intégration de l’indice implicite de la gestion des
déchets. Le droit communautaire apporte sa contribution à la détermination de la place de la
puissance publique souveraine en droit international public.
169
K. BARTENSTEIN., « Les origines du concept de développement durable », RJE, 2005, p. 289.
170
Idem.
171
Article 24 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
172
CIJ, avis du 8 juillet 1996 relatif à la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Recueil CIJ,
1996, p. 241, § 29
173
Article 2 alinéa 1 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
174
Article 4 k de la loi n°96/12 op.cit. (Cameroun) ;
175
Article 6 de la loi n°007/2014 du 1er août 2014 op.cit., (Gabon).
176
Article 2 h de la Loi n°98-56 du 29 décembre 1998 op.cit., (Niger)
177
Article 2 alinéa 13 de la loi n° 83-05 du 28 Janvier 1983 op.cit., (Sénégal).
178
Article 2 alinéa 23 loi n° 2008-005 du 30 mai 2008 op.cit., (Togo).

251
Le droit communautaire apporte sa contribution à la constitutionnalisation implicite de
la gestion des déchets. Cela est le fait de l’activité normative du pouvoir constituant. Cette
activité de constitutionnalisation est subséquente aux activités préalables effectuées sur la
scène internationale par la puissance publique souveraine. Il n’y a donc pas de
constitutionnalisation ex nihilo. La puissance publique souveraine a préalablement manifesté
sa volonté soit manifesté une volonté d’adhésion à l’accord ou traité international. « Parmi les
différents types de sujets du droit international, l'État occupe encore et toujours une place
privilégiée parce que seul, il possède la souveraineté, c'est-à-dire la plénitude des
compétences susceptibles d'être dévolues à un sujet de droit international »179. Il relève des
engagements de l’État en tant que sujet de droit international et de droit interne. Celui-ci a
opéré des choix parmi les instruments juridiques internationaux et seul celui communautaire
africain a explicitement consacré une composante touchant à la gestion des déchets. Comme
on le sait, l’État a prolongé la normativité de l’acte juridique en cause dans l’ordre juridique
interne. L’État a simplement matérialisé les possibilités que lui offre sa qualité de sujet de
droit international et partant manifesté son consentement à être lié. « la question des fonctions
de l’État bénéficiait au contraire d’un accord quasi-unanime qui relevait presque du
conformisme »180. L’instrument juridique de référence en la matière est le Traité de Vienne du
23 mai 1969.
Les rapports entre droit interne et normes internationales, doivent être fixées les
conditions de l’insertion de ces normes en droit interne. C’est seulement après la ratification
ou l’approbation que le traité ou l’accord prennent effet. Formellement, « tout État a la
capacité de conclure des traités »181. « Le consentement d’un Etat à être lié par un traité
s’exprime par la ratification : a) Lorsque le traité prévoit que ce consentement s’exprime par
la ratification »182. En plus, « le consentement d’un Etat à être lié par un traité s’exprime par
l’acceptation ou l’approbation dans des conditions analogues à celles qui s’appliquent à la
ratification »183. Le consentement d’un Etat à être lié par un traité peut être exprimé par la
signature, l’échange d’instruments constituant un traité, la ratification, l’acceptation,
l’approbation ou l’adhésion, ou par tout autre moyen convenu 184 . L’on constate la force
juridique du consentement à être lié en droit international public. La disposition
susmentionnée a fixé le cadre nécessaire pour l’affirmer. Ledit consentement ne se présume
pas. Il s’affirme par des actes concrets de la part du sujet de droit international. Une fois, cet
acte ratifié et publié sous réserve de la réciprocité, il entre dans l’ordre juridique interne et ne
cesse de se rattacher à l’ordre juridique international. Ainsi, dès qu’un traité est publié, les
normes internationales qu’il contient s’imposent aux sources édictées par le législateur185. En
outre, « la seconde condition se rapporte à la « réserve de réciprocité »186. C’est dans ce cadre
que l’on identifie sa position hiérarchique tant par rapport à la Constitution que par rapport

179
P.-M DUPUY., Y. KERBART., Droit international public, 14ème éd., Paris, Dalloz, 2018, p.80.
180
R. DRAGO., « Les fonctions de l’État dans la pensée de Charles Eisenmann », in P. AMSELEK (s.dir), La
pensée de Charles Eisenmann, Paris, ECONOMICA, PUAM, 1986, p.75.
181
Article 6 de la Convention de viennes du 23 Mai 1969.
182
Article 14 alinéa 1 de la Convention de Viennes sur le droit des traités du 23 Mai 1969.
183
Article 14 alinéa 2 de la Convention de Viennes sur le droit des traités du 23 Mai 1969.
184
Article 11 de la Convention de Viennes sur le droit des traités du 23 mai 1969.
185
R. DEGNI SEGUI., Droit administratif général. L’action administrative, t2, 4ème éd., op.cit., p.33.
186
Idem, p.33.

252
aux normes infra constitutionnels. Il se démarque incontestablement du niveau hiérarchique
des traités ou accords internationaux non encore constitutionnalisés.
Au niveau hiérarchique, l’accord international est hiérarchiquement supérieur à la loi et
inférieur à la Constitution 187 . L’on retrouve cette consécration au Bénin 188 , au Congo
Brazzaville 189 , en Côte d’Ivoire 190 , à Madagascar 191 , au Niger 192 , en République
Centrafricaine 193 , au Togo 194 et au Tchad 195 . « cet article fixe la valeur des engagements
internationaux et leur place dans la hiérarchie des normes : ils sont une suprématie sur les
lois »196. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que l’accord international est supérieur. C’est un
truisme juridique. Le cas de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples
constitutionnalisé relève une toute autre réalité. Faisant partie intégrante de la Constitution car
intégrée dans le préambule de la Constitution, celle-ci possède la même normativité que toute
disposition constitutionnelle. Autrement dit, elle est diluée dans la norme fondamentale et
demeure naturellement supérieure aux traités ou accords internationaux non
constitutionnalisés, aux lois organiques, ordinaires et aux actes règlementaires. « Dès lors, ce
sont les règles constitutionnelles qui fixent les premières ces diverses conditions d’entrée
dans la normativité nationale »197. La position de cet acte est dorénavant confortable et ne
peut être modifiée que par la forme constituante c’est-à-dire par la révision de la Constitution.
Et comme il a été indiqué précédemment, c’est une procédure spéciale, solennelle et dont une
rigidité certaine est attendue de la procédure constituante. Par la constitutionnalisation de la
Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, le pouvoir constituant réoriente
l’angle d’interprétation de l’indice implicite. Le préambule est considéré en l’espèce comme
le cadre matériel de déduction de la marque non explicite de la gestion des déchets en
République du Tchad.

2. La réorientation de l’indice implicite dans le préambule de la Constitution


Par la constitutionnalisation de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des
Peuples, le constituant réoriente la déduction de l’indice implicite de gestion des déchets dans
le préambule de la Constitution 198 . Cet instrument a consacré le droit à l’environnement
satisfaisant et global et ce cadre général inclut cette composante. L’environnement global
intègre les opérations de collecte, de tri, de stockage, de transport, d’importation et
d’exportation, de récupération, de réutilisation, de recyclage ou de toute autre forme de
traitement ainsi que l'élimination finale des déchets, le gaspillage des déchets récupérables et

187
Article 45 de la loi n°96-06 op.cit. Voy article 1er de la loi n° 2008/001 du 14 avril 2008 op.cit.
188
Article 147 de la Constitution du Bénin.
189
Article 223 de la Constitution du Congo Brazzaville
190
Article 123 de la Constitution de Côte d’Ivoire
191
Article 137 de la Constitution de Madagascar
192
Article 116 de la Constitution du Niger
193
Article 82 de la Constitution de la République de Centrafrique.
194
Article 140 de la Constitution du Togo
195
Article 225 de la Constitution de 2018 du Tchad révisée en 2020.
196
G. DUPUIS., M.-J GUEDON., P. CHRETIEN., Droit administratif, 8ème éd., op.cit., p.107.
197
B. TAXIL., « Les normes internationales », op.cit., p.417.
198
Voy Préambule de la Constitution du Tchad.

253
la pollution en général. Celles-ci sont diluées dans la macro-composante qu’est
l’environnement.
Que l’on soit au Bénin199, au Cameroun200, au Congo Brazzaville201, à Madagascar202,
au Mali203, au Niger204, au Rwanda205, au Sénégal206, au Togo207, les préambules et les corpus
des Constitutions consacrent des dispositions se rattachant à la gestion des déchets. Ces
dispositions formelles convergent vers l’une des déclinaisons des bases constitutionnelles de
la gestion des déchets. Celles-ci ne l’affirment expressément mais orientent la déduction de
l’idée des interprétations des dispositions susmentionnées. Cela relève une plus de l’une des
pouvoirs discrétionnaires du pouvoir constituant.
Par la délimitation du cadre de consécration, le pouvoir constituant entend revenir au
préambule de la Constitution par l’internalisation dans son préambule d’un instrument
juridique internationales. L’affirmation n’est pas expresse mais simplement résultante de
l’interprétation de la disposition consacrée par ledit instrument. Le pouvoir constituant a
opéré un choix moins intelligible que le précédent. Il est fait allusion aux dispositions visées
par le constituant dans le corpus de la Constitution et dont la délégation de la production
normative a été mise à l’actif du domaine de la loi. Ceci découle de l’interprétation de la
disposition visée par le constituant 208. Cette disposition a été conservée par la révision de la
Constitution de 2020 209 . L’on constate simplement que les bases constitutionnelles de la
gestion des déchets vacillent au gré des précisions entre le préambule de la Constitution et le
corpus de celle-ci. Si dans un cas, celle-ci est formellement exclue, dans l’autre, elle est non
formellement exclue.
La constitutionnalisation des instruments juridiques internationaux dans le préambule
n’est pas dépourvue de portée en droit de l’environnement. Elle permet de déterminer les
instruments juridiques non nationaux ayant incorporé des dispositions implicites sur la gestion
des déchets. C’est dans ce cadre que lesdits instruments accompagnent les droits rattachés à
un environnement sain. Ceux-ci poursuivent les mêmes finalités notamment l’articulation de
la seconde déclinaison des bases constitutionnelles.

B. Le rattachement la protection du droit à un environnement sain

Par « la consécration constitutionnelle du droit de l’homme à l’environnement » 210 ,


l’indice implicite de gestion des déchets a été déduit de la protection du droit à un

199
Voy Préambule, articles 27 de la Constitution du Bénin.
200
Voy préambule de la loi constitutionnelle n°96/06 op.cit. (Cameroun).
201
Voy Préambule, articles 41, 50 de la Constitution du Congo Brazzaville.
202
Préambule, article 38 de la Constitution de Madagascar.
203
Préambule, article 15 de la Constitution du Mali.
204
Préambule, article 35 de la Constitution du Niger
205
Préambule, article 49 de la Constitution du Rwanda.
206
Préambule de la Constitution du Sénégal.
207
Préambule, articles 41, 50 de la Constitution du Togo.
208
Article 52 de la Constitution promulguée le 04 mai 2018 (Tchad).
209
Article 52 de la loi Constitutionnelle N°017/PR/2020 du 14 Décembre 2020 portant révision de la
Constitution promulguée le 04 mai 2018.
210
M. PRIEUR., Droit de l’environnement, 5ème éd., op.cit., p.60.

254
environnement sain. Le citoyen a le droit de vivre dans un environnement équilibré et
respectueux de la santé. Ce droit fondamental interpelle les décideurs publics et les acteurs
privés de modérer les déchets toxiques et polluants et de ne permettre leur transit, transport,
dépôt ou abandon sur le territoire national. L’affirmation d’un droit à un environnement sain
vient compléter et renforcer la protection de l’environnement 211 . Sa violation est «
juridiquement sanctionnée »212.
« L’État et les Collectivités Autonomes doivent veiller à la protection de
l’environnement »213. « La protection de l’environnement est un devoir pour tous. L’État et
les Collectivités Autonomes doivent veiller à la protection de l’environnement. Tout dommage
causé à l’environnement doit faire l’objet d’une juste réparation »214. Par l’insertion de la
protection de l’environnement dans les missions quotidiennes des acteurs divers (1), il
coexiste la rétribution financière et la répression des atteintes à ce droit (2). C’est dans ce
cadre que l’on perçoit la présence des bases constitutionnelle sur la protection de
l’environnement de manière générale et spécifiquement sur la gestion des déchets.

1. L’insertion dans les missions des acteurs divers


L’indice implicite de la présence des bases constitutionnelles de la gestion des déchets
est relatif aux missions sociales et environnementales attribuées de droit commun à des
acteurs précis. S’inscrivant dans le cadre d’une participation élargie, la protection de
l’environnement ne se limite aux prérogatives des acteurs institutionnels. Elle intègre de plus
en plus celles des acteurs non institutionnels. Il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’organisé en
association ou de manière isolée, le citoyen contribue au stockage, à l’élimination, au
traitement des déchets ménagers et autres. Il est admis que « l’idée de développement suppose
l’existence d’un sens »215 de participation d’une unité simple ou complexe des acteurs216. Cela
converge vers la protection « soutenable »217 de l’environnement.
L’indice implicite est déduit des obligations en matière de protection de
l’environnement reconnues aux acteurs déterminés. Au sein de ces missions, figure la
nécessité d’assurer un cadre de vie acceptable, propice au développement des citoyens. L’État
et les collectivités autonomes sont considérés comme les acteurs institutionnels bénéficiant
des prérogatives en matière environnementale. Au niveau central, l’État s’en charge par le
mécanisme de répartition de compétences. Celui-ci se charge d’attribuer cette prérogative à
des administrations publiques précises. De ce fait, « elle le fait volontiers au moyen d’actes
matériels, attitudes ou comportements » 218 . C’est donc par un personnel épars que cette

211
A. VAN LANG. Droit de l’environnement, 3ème éd., Paris, PUF « Thémis », 2011, n°64.
212
S. DOUMBE-BILLE., « Evolution des institutions et des moyens de mise en œuvre du droit de
l’environnement et du développement », RJE 1-1993, p. 31.
213
Article 52 de la révision de la Constitution du Tchad.
214
Article 57 de la Constitution promulguée le 04 mai 2018.
215
M. GRIFFON., F. GRIFFON., L’homme viable : du développement au développement durable op.cit., p.17.
216
C. ALQUIER., Dictionnaire encyclopédique économique et social, « Croissance », Paris, ECONOMICA,
1990, p. 123
217
C. CANS., « Le développement durable en droit interne, apparence du droit et droit des apparences », AJDA
2003, p. 211.
218
M. GOUNELLE., Introduction au droit public. Institutions. Fondements. Sources. 2ème éd., Paris,
Montchrestien, 1989, p.171.

255
mission est réalisée au niveau institutionnel. L’État n’agit jamais directement pour apporter
un dénouement à une préoccupation ou pour satisfaire aux besoins des administrés. Les
individus qu’elle emploie et dont elle se sert dans l’exercice de son activité pourvoient au
quotidien à la matérialisation de l’action administrative. « C’est un fait que dans les États
d’aujourd’hui (…) l’Administration définie comme la totalité des agents administratifs est
chargée de toute une série de tâches en elles-mêmes très diverses »219. Les individus sollicités
peuvent ou pas avoir un lien statutaire avec l’administration publique. Ceux-ci peuvent être
des fonctionnaires220, des agents relevant du code du travail221, des agents occasionnels ou
bénévoles de l’administration publique. Ce cadre organique hétérogène accompagne les
administrations publiques concernées dans la gestion des déchets.
La participation sociale valorise la présence du citoyen dans la protection du droit à un
environnement sain. Son action est indirecte en l’espèce et directe sur le terrain de la gestion
de certains déchets émanant de certaines activités humaines.
« Toute action significative et décisive des citoyens pourrait être assimilée à une
participation sociale » 222 . C’est une déclinaison de la participation politique de manière
générale et s’inclue spécifiquement dans la participation administrative. C’est un cadre de
refondation de l’action administrative dans le processus décisionnel. Tout part de l’action
quotidienne pour non seulement la décision administrative héritée de la bureaucratie mais
également pour mettre en œuvre l’action environnementale. Les citoyens constitués en
association peuvent contribuer à un environnement sain. Par des campagnes de
sensibilisation, de vulgarisation du droit de l’environnement, d’embellissement, influencent
son cours quotidien. Ils peuvent en plus organiser des travaux manuels et implémenter
véritablement l’urbanisme durable. A côté de ces moyens, les citoyens peuvent dénoncer les
atteintes à l’environnement ou activer la procédure répressive. Le citoyen ne pouvant
intervenir directement se charge juste de dénoncer les manquements constatés à la législation
en vigueur lesquels émanent du constat des faits récusés susmentionnés.

2. L’insertion dans la coexistence entre la rétribution financière et pénale


L’indice implicite oriente particulièrement les missions du personnel hétérogène de
l’administration publique. Ledit personnel agit en l’espèce pour protéger l’intégrité matérielle
de l’environnement et partant la gestion des déchets. Cela dit, celui-ci ne se contente
simplement de la consécration des prescriptions constitutionnelles et législatives mais
pourvoie à leur effectivité. Face aux interdictions formulées par l’agent public active les
leviers de droit commun. S’il constate le transit, l'importation, le stockage, l'enfouissement, le
déversement sur le territoire national des déchets toxiques ou polluants étrangers, il est en
droit d’ouvrir des mécanismes de coercition. C’est également lorsque lesdites opérations
émanent d’un national c’est-à-dire le citoyen lié à l’État du Tchad par un lien de nationalité.

219
C. EISENMANN., Cours de droit administratif, t1 op.cit., p.197.
220
Article 2 de la loi n°017/PR/2001 du 04 décembre 2001, portant Statut Général de la Fonction Publique au
Tchad, « le présent statut s’applique aux personnes qui, nommées dans un emploi public permanent, ont été
titularisées dans un corps de la hiérarchie des cadres de l’administration de l’État ».
221
Voy articles 1 et 2 de la loi n°038/PR/96 du 11 décembre 1996 portant Code du travail (Tchad).
222
L.-P GUÉSSÉLÉ ISSÉMÉ., « La participation politique des citoyens dans les États africains », RADP, Vol X,
N° 24, Supplément 2021, p.9.

256
Formellement, « au cas où des déchets sont abandonnés, déposés ou traités contrairement
aux dispositions de la présente loi et de ces textes d'application, l'administration chargée de
l'environnement peut, après mise en demeure, assurer d'office l'élimination desdits déchets
aux frais du responsable »223. Le premier cadre de contrôle et d’enclenchement des voies de
coercition suppose l’abandon ; le dépôt ou le traitement des déchets polluant ou dangereux
contrairement à la législation en vigueur. Celle-ci n’admet l’inclusion totale ou la présence
totale de ces déclinaisons. Elle suppose juste l’existence de l’un ou deux. Une fois, le constat
avéré, « sous le contrôle de l'administration »224 il est procédé à une mise en demeure. Il
s’agit d’une formalité substantielle dans son contenu et processuelle dans sa forme auquel,
l’administration en charge de l’environnement est tenue de respecter sous peine de vice de
procédure et de violation de la loi. C’est à la suite de la mise en œuvre effective et non
supposée de cette formalité, qu’elle s’assure de l’élimination des déchets aux frais du
responsable. Elle applique en l’espèce les exigences du principe de pollueur-payeur. La
sanction en question affecte directement le patrimoine de l’auteur des faits et non sa personne.
Un tel énoncé pose l’obligation en vertu de laquelle la réparation de tout dommage résultant
d’une pollution incombe à son auteur. « Cela conduit à entraîner un mécanisme de
responsabilité pour dommage écologique couvrant tous les effets d’une pollution non
seulement sur les biens et les personnes mais aussi sur la nature elle-même »225. Celui-ci
figure au principe 16de la Déclaration de Rio. Le principe de pollueur-payeur doit bien sûr
s’appliquer en cas de pollution transfrontière. Ce principe est inspiré par la théorie
économique selon laquelle les coûts sociaux externes qui accompagnent la production
industrielle (dont le coût résultant de la production) doivent être internalisés, c'est-à-dire pris
en compte par les agents économiques dans leurs coûts de production »226.
En plus, la protection de l’environnement peut également consister à appliquer une
réaction proportionnée à l’origine des déchets dangereux ou polluants. L’administration
chargée de la protection de l’environnement s’assure au préalable de l’origine desdits déchets
puis y applique une action coercitive propice. L’origine des déchets toxiques ou polluants,
induit le retour à l’État d’origine de ceux-ci et le contournement de cette mesure en cas
d’inexécution. Formellement, « lorsque des déchets ont été introduits sur le territoire en
violation des dispositions prévues à l'article précédent 227 , l'administration chargée de
l'environnement enjoint à leur détenteur d'assurer leur retour dans le pays d'origine. En cas
d'inexécution, elle prend toutes dispositions utiles pour assurer ce retour, les dépenses
correspondantes étant mises à la charge des personnes ayant contribué à l'introduction ou au
dépôt de ces déchets »228. La rétribution financière est imputable à la protection du principe
relatif à l’utilisation non dommageable du territoire. Le principe de l’utilisation non
dommageable du territoire, énoncé par les principes 2 de la Déclaration de Rio229 et 21 de la

223
Article 58 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
224
C. KEUTCHA TCHAPNGA., « Les mutations récentes du droit administratif camerounais », Afrilex 2000/01
p.19.
225
M. PRIEUR., Droit de l’environnement, op.cit., p. 145.
226
M. PRIEUR., Droit de l’environnement, op.cit., p. 145.
227
Article 61 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
228
Article 62 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
229
Le principe 2 de la Déclaration de Rio énonce : « Conformément à la Charte des Nations Unies et aux
principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources selon leur

257
Déclaration de Stockholm 230 , a été consacré par le juge international, à l’occasion de la
célèbre affaire de la fonderie de Trail. Le tribunal arbitral prend une décision en ces termes : «
Aucun Etat ne peut utiliser ou permettre l’utilisation sur son territoire des activités qui
pourraient causer des dommages par des fumées nocives à des personnes ou des biens se
trouvant sur le territoire d’un autre Etat »231. Dans le cadre de l’affaire du détroit de Corfou,
en 1949, le principe posant l’obligation pour tout Etat de ne pas laisser utiliser son territoire
aux fins d’actes contraires aux intérêts d’autres Etats a été affirmé232. Comme dans le cas
précédent, la protection de l’environnement laquelle repose sur la certification de l’origine des
déchets accorde une place confortable à l’érosion du patrimoine financier de l’auteur des faits
récusés. L’inexécution entraine en l’espèce le rétablissement à la situation antérieure par
l’évaluation des charges financières correspondantes. C‘est également par ce mécanisme que
l’administration répare le tort à l’environnement en cas d’abandon, de dépôt ou de traitement
en méconnaissance de la législation en vigueur. Toutefois, la rétribution financière n’est pas
l’unique moyen de protéger l’environnement.
La répression pénale déclinée en la condamnation à des peines privatives de libertés et
financière prolonge la base constitutionnelle de la gestion des déchets. S’insérant dans le
domaine de l’environnement, celle-ci est conséquente sur le patrimoine et sur la liberté du
citoyen coupable des faits décriés. La récidive trouve en l’espèce, un moyen d’expression.
C’est dans ce cadre qu’il est admis que : « Sera punie d'un emprisonnement de 2 mois à 6
mois et d'une amende de 30.000 F à 500.000 F ou de l'une de ces deux peines seulement
quiconque aura contrevenu aux dispositions relatives aux déchets telles que prévues aux
articles 56 et 61 de la présence loi. En cas de récidive, les peines prévues à l'alinéa à ci-dessus
sont doublées » 233 . Les condamnations pénale et financière apparaissent légères et sont
rehaussées en cas de récidive par l’auteur des faits attentatoires à la gestion normale des
déchets. L’effet dissuasif demeure toutefois. En outre, « Toute personne qui aura contrevenu
aux dispositions de l'article 55 ci-dessus sera punie des travaux forcés à perpétuité »234. Les
travaux à perpétuité font objet de dissuasion en faveur d’une protection de l’environnement.
C’est un domaine qui affecte l’activité et dispose le coupable à des activités particulières. Par
ce cocktail de mesures tant administratives que pénales, l’on est tenu de dire que le droit à un
environnement sain contribue à affermir l’autorité de la gestion des déchets.

politique d'environnement et de développement, et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées
dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l'environnement dans
d'autres Etats ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale »
230
L’énoncé du principe 21 de la Déclaration de Stockholm est similaire en tous points à celui du principe 2 de
la déclaration de Rio.
231
Tribunal arbitral, Affaire La fonderie de Trail, Trib. Arb., 11 mars 1941, R.S.A., vol. III., p.1938 ; A.J.I.L,
1941, n°3, p. 1905.
232
Affaire détroit de Corfou, CIJ, Recueil 1949, p. 22. Dans le même sens, l’affaire du Lac Lanoux, R.S.A. vol.
XII, p. 281.
233
Article 63 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.
234
Article 64 de la loi nº 014/PR/98 du 17 août 1998 op.cit.

258
CONCLUSION GENERALE

Par l’affirmation ou par l’interprétation de certaines dispositions de la Constitution du


Tchad, il est possible d’établir les bases constitutionnelles de la gestion des déchets. Le
pouvoir constituant consacre dans le corpus de la Constitution, le cadre général y afférent et
renvoie explicitement au législateur la responsabilité de l’aménagement normatif conséquent.
Par la constitutionnalisation de certains instruments juridiques communautaires,
l’internalisation du droit à un environnement de sain incorpore la gestion des déchets. Ce droit
fondamental subjectif dans l’action du citoyen et objectif dans son opposabilité incorpore le
droit à la santé, l’équilibre écologique, la dignité humaine. Ces éléments convergent
simplement vers les indices constitutionnels explicites et implicites de la gestion des déchets.
Les bases constitutionnelles de la gestion des déchets dénotent la portée de la
Constitution. Celle-ci demeure en tout temps, le cadre de dérivation de toutes les normes en
droit interne. Même si elle s’exprime comme un catalogue en recourant à des renvois, aucune
préoccupation à priori ne l’est étrangère. Sauf que face à certaines circonstances, le juge
constitutionnel est appelé à suppléer à ce caractère suffisant. Dès lors, il n’est pas dépourvu de
pertinence d’entamer une réflexion sur le juge constitutionnel et la gestion des déchets en
République du Tchad.

259
LE DROIT A LA JUSTICE ELECTORALE EN AFRIQUE NOIRE
CONTRIBUTION A LA CONSOLIDATION D’UN DROIT FONDAMENTAL EN
DEMOCRATIE : LE CAS DU CAMEROUN

Par

André Théodore OLOUME ANONG*


Doctorant en droit public
Université de Douala-Cameroun

Résumé
Parler du droit à la justice électorale revient à vérifier l’effectivité du droit de se faire
rendre justice en matière électorale. Ceci se constate au travers de la consécration de ce principe
et sa garantie. Cette garantie est la résultante, tant de l’effectivité des instruments de garantie,
que de leur bon fonctionnement. Tandis que la consécration elle, est la reconnaissance des
instruments tant internationaux qu’internes qui affirment ce principe. Ainsi, le Cameroun a
consacré le droit à la justice électorale en intégrant dans ses textes de loi les instruments
internationaux qui le consacrent tels que la déclaration universelle des droits de l’homme, le
pacte international relatif aux droits civils et politiques et la charte africaine des droits de
l’homme et des peuples. Sur le plan interne cette consécration est tant constitutionnelle que
légale. Mais l’effectivité d’une justice électorale de qualité, au Cameroun ne sera consécutive
qu’au bon fonctionnement des institutions administratives et juridictionnelles en charge de la
garantie des droits des justiciables électoraux. Ceci est du reste le point saillant de la protection
des droits fondamentaux constitutionnels, et de ce fait une pierre angulaire de la consolidation
de l’état de droit.

Mots-clés : démocratie, justice électorale, droit fondamental constitutionnel. Justiciables


électoraux.

Abstract
Talking about electoral justice, becomes to the verification of the effective rigth to render
justice in electorals matters. This can be seen through the consecration and the garantee of this
principle. The later(garantee), it’s a results of more of the effectivity of the garantee instruments
than their proper functionning. On one hand, consecretion is the recognition of both
international as well as internal instruments that affirm this principle. So far,cameroon has
enshrined the law in electoral judtice by integrating into it’s legal texts the international
instruments which consist of the universal decleration of human rights , the international pact
to civil and political rights, the african charter of human and people’s rights. On the oder hand,
in the internal plan, this consecration, is more of constiutional than legal. Nevertheless the
effectiveness of qualitative electoral justice in cameroon would be as a result of the proper

*
Mode de citation : André Théodore OLOUME ANONG, « le droit à la justice électorale en Afrique noire
contribution à la consolidation d’un droit fondamental en démocratie : le cas du Cameroun », Revue RRC, n° 025
/ Septembre 2022, p. 261-298

261
functionning of both the administrative and juriditional institutions in charge of garanteeing the
law of the electoral judiciaries. This, howwever is the main factor of protecting fundamental
constitutional law and in this light a main point of the state consolidation of law in cameroon.

Keywords : democraty, electoral justice, fundamental constitutional law, eletoral


judiciable.

INTRODUCTION

« L’existence d’un appareil institutionnel de protection de la norme ou de sanction de ses


méconnaissances, appareil fiable et aisément accessible, constitue l’une de premières garanties
de l’Etat de droit ….»1, affirmait FONBAUSTIER. Ainsi donc, sur le plan opératoire, la
création des commissions électorales nationales indépendantes ou autonomes, à côté du
ministère de l’Administration territoriale, sanctuaire habituel des cuisines électorales, constitue
une étape importante du renforcement et de garantie des droits et libertés fondamentaux en
Afrique noire. Elle permet, d’une part, d’instaurer du moins théoriquement une tradition
d’indépendance et d’impartialité en vue d’assurer la transparence des élections et, d’autre part,
de gagner la confiance des électeurs, des partis et mouvements politiques. Dans ce
prolongement, les juridictions constitutionnelles et Administratives ordinaires, juges de la
régularité des opérations électorales nationales et locales, n’hésitent pas à procéder à la
rectification matérielle des résultats, voire à leur annulation pour absence d’un nombre suffisant
d’assesseurs tel que prévu par la loi électorale2, à la recherche de la perfection de l’Etat de droit.
Mais cette perfection tant recherchée tient aussi ses fondements du droit à se faire rendre justice.
Quoiqu’il en soit, Le droit à la justice électorale ou le droit d’accès au juge3 en matière de
contentieux électoral au Cameroun peut être appréhendé de manière passablement sereine du
point de vue des lois qui encadrent ce droit. Or le dictionnaire de la langue française appréhende
l’idée de sérénité comme le calme d’esprit4, l’absence d’inquiétude. Cette absence
d’inquiétude, ici découle de deux critères majeurs qui fondent l’existence de l’Etat de droit. A
savoir le doit de se faire effectivement rendre justice par des tribunaux existants et connus. En
effet, Comme l’observait le professeur RENOUX « on ne saurait concevoir un Etat de droit
sans l’existence d’une protection juridictionnelle des droits »5 . Cette protection, mieux, cette
sécurité qu’offrent les instruments juridiques électoraux ne saurait être efficace sans la
participation d’un juge indépendant qui assure la protection de ce droit, comme droit
fondamental aux citoyens en démocratie. Le doyen Maurice HAURIOU disait d’ailleurs que
« la lutte juridictionnelle avec ses garanties accoutumées, ses péripéties et ses frais, a le don
d’apaiser les plaideurs quelle qu’en soit l’issue »6. Ainsi donc, Cette protection ne peut être

1
FONBAUSTIER(L) «, Election », in ALLAND (D), Rials (s) dictionnaire de la culture juridique, paris PUF,
2003, P.607.
2
Lire Arrêt nº 02-144/CC-EL (Mali) du 9 août 2002 portant proclamation des résultats définitifs de l’élection des
députés à l’Assemblée nationale (scrutin du 28 juillet 2002).
3
GUIMDO DONGMO (B-R) « le droit d’accès à la justice administratives au Cameroun, contribution à l’étude
d’un droit fondamental », Revue de la recherche juridique, droit prospectif 2008-1 .NXXXIII-121(33eme année,
121eme numéro)
4
DICTIONNAIRE LE ROBERT junior illustre édition nord-américaine P.922
5
RENOUX (T.S.) « le droit au recours juridictionnel » JCP 1993,1N 367, P.212
6
HAURIOU (M) précis de droit administratif 11eme éd. 1927. P. 942.

262
possible que lorsque le droit d’accès au prétoire du juge électoral est consacré. Ceci est la
condition première qui n’est consolidé que grâce à un fonctionnement effectif des juridictions
électorales. En effet, à ce niveau la juridiction joue deux fonctions. Premièrement elle permet
la consécration du droit. Ensuite, l’évitement des altérations dans l’exercice du droit. Quoiqu’il
en soit, si le problème de la justice électorale dans les pays d’Afrique semble se poser
aujourd’hui moins en terme d’existence, mais plus en termes d’effectivité, mieux de qualité de
la justice7, il faut dire que s’interroger sur son existence garde encore toute sa pertinence tant-
il est qu’elle couvre à la fois ces deux aspects. Si selon Monsieur Paul Biya, alors président de
la république : « à ce jour, la démocratie est une réalité au Cameroun »8. Nous pouvons tout
de même nous poser la question suivante : peut-on affirmer l’effectivité de la justice
électorale au Cameroun ? Ainsi, le thème du droit à la justice électorale est de ce point de
vue, très intéressant. Car, il n’a pas seulement un intérêt théorique du point de vue du droit
constitutionnel, mais aussi un intérêt pratique du point de vue de la science politique. La
présente étude se pose alors comme un cadre de réflexion sur l’effectivité, ou simplement
comme un regard sur le droit d’accès à une justice électorale de qualité au Cameroun. Il s’agit,
au regard des indicateurs tant normaux que prétoriens, de plonger dans cet océan qu’est la
démocratie pour en rechercher, et faire remonter à la surface les traits spécifiques de ce droit
fondamental dans l’environnement politique camerounais. Puisque s’il est vrai que sur le plan
normatif ce principe est consacré (I), il n’en demeure pas moins que c’est un droit dont le plein
épanouissement demeure subtilement limité (II) tant par un législateur hésitant que par un juge
tâtonnant dans son rôle, au combien important de protecteur de la justice électorale.

I- UNE VOLONTE MANIFESTE DE CONSECRATION DE LA JUSTICE


ELECTORALE

Qualifier parfois de « bouclier des droits de l’homme »9 , tantôt « de droit des droits »10,
le droit d’accès au juge de façon générale constitue un élément essentiel, ou condition de
citoyenneté, il « devient une arme préférée à celle du vote pour s’opposer à l’Etat, il est un
indicateur de l’Etat de droit par les administrés »11 Pour le professeur MORAND-
DEVRILLER , c’est un indicateur de la place de l’Etat de droit au sein d’une société 12 Pourtant
le concept droit à la justice n’est pas appréhendé de la même façon par tous. De fait, la diversité
des appellations utilisés aussi bien par les textes que par la jurisprudence et la doctrine, à savoir
« le droit au juge », « droit au tribunal », « droit d’accès à un tribunal », « droit d’accès au
juge », « droit d’agir en justice ou « droit au recours juridictionnel » aura compliqué son

7
SAUVE (J.M.) « Les critères de la qualité de la justice » hhtp://WWw .conseil –état.fr/cde / Fr. /discours-et-
interventions /les-critères- de- la-qualite-de-la-justice.html.
8
« Le 11 octobre 1992, vous irez aux urnes pour élire un président de la République entre plusieurs candidats. De
mémoire de Camerounais, c'est la première fois qu'un tel choix s'offre à vos suffrages. Vous allez écrire en lettres
d'or une nouvelle page de l'histoire de notre cher et beau pays. Ce faisant, vous hisserez le Cameroun au rang
glorieux des grandes nations démocratiques du monde ». Extrait du discours prononcé le 05 octobre 1992. 5 En
l’occurrence les élections présidentielles pour le Président de la République, législatives pour les députés et les
sénateurs, municipales pour les conseillers municipaux et régionales pour les conseillers régionaux.
9
RENOUX (T.S.) « le droit au recours juridictionnel » JCP 1993,1N 367, P.215.
10
MOLFESSIS (N) « le conseil constitutionnel et le droit prive » LGDJ, paris, 1997, 296.
11
GARRIDO (L) Le droit d’accès au juge administratif Enjeux et perspective, Thèse de doctorat op cit P.8
12
MORAND-DEVILLER (J) « cours de droit administratif 9eme édition Montchrestien paris pp. 706-707

263
appréhension. Mais, il faut très vite sortir de la confusion et dissiper le doute en affirmant que
ces multiples dénominations renvoient toute à la même idée. D’ailleurs, le doyen Louis
FAVOREU écrit à ce propos que le droit au recours juridictionnel est équivalent au droit au
juge13. Monsieur GUINCHARD renchérit en ces termes les expressions « droit à un recours
juridictionnel, ou encore la garantie d’accès à un tribunal ou en fin à un juge » sont
équivalentes14. Même si sur la question il existe un courant contraire, il faut dire que tous se
rencontrent sur la finalité de ce principe. Ainsi, cette finalité est le fait que l’existence de ce
droit constitue une pierre angulaire de la construction de l’Etat de droit. Et sa garantie, une
nécessite dans les sociétés démocratiques. En matière électoral, il peut être décliné sous quatre
rubriques ; la figure du titulaire du droit de saisine, l’objet de la saisine, les délais de recours et
la gratuité de cet accès. Quoiqu’il en soit il ne saurait exister de véritable droit qui ne soit
consacré. Autrement dit tout droit objectif ou subjectif doit être reconnu et organisé, le droit à
la justice électorale n’en fait pas exception. C’est dans ce sens qu’il est non seulement reconnu
des textes internationaux qui le consacre (A) mais aussi consacré sur le plan national (B) par
les textes camerounais.

A- La reconnaissance des instruments internationaux de consécration de la justice


électorale par le droit Camerounais.

D’entrée de jeu, Il faut noter l'invocation de la Déclaration universelle des droits de


l'homme comme source du droit électoral au Cameroun. Puisque le juge constitutionnel,
statuant sur la régularité de l'élection législative dans la circonscription électorale du Mayo-
Rey, avait estimé que les agissements portant atteinte à l'égalité des candidats des formations
politiques devant la loi électorale ainsi qu'au libre choix par les citoyens de leurs représentants
constituent une violation de l'article 21 de la DUDH. Cette référence est d'autant plus importante
que le moyen tiré de la violation de cet instrument n'avait nullement été invoqué par le
requérant. Ainsi, la reconnaissance des instruments internationaux consacrants le droit d’accès
au juge au Cameroun, pour la protection de la condition du requérant se décline sous deux
aspects tout aussi importants l’un que l’autre. À savoir, la formulation de la réception de ces
instruments par le législateur camerounais (a) et les garanties de la protection de ce droit offert
par le système juridique international. (b)

1- La formulation de la reconnaissance des instruments juridiques internationaux


par l’ordonnancement juridique interne.
Le Cameroun a fait la réception essentiellement de trois instruments juridiques de l’ordre
international qui consacrent le droit d’accès à la justice de manière générale. Et par la règle du
lex generalis , Il nous est tout à fait aisé d’en déduire qu’ils s’appliquent aussi au droit de se
faire rendre justice en matière électorale. Quoiqu’il en soit, il s’agit de la déclaration universelle
des droits de l’homme, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la charte
africaine des droits de l’homme et des peuples.

13
FAVOREUX (L) résurgence de le notion de de déni de justice et droit au juge » in liber amicorrum , Jean
WALINE , Dalloz paris 2002 P.522
14
GUINCHARD (S), et Al, droit processuel 3eme édition Dalloz paris 2005, n231, n239.

264
Pour ce qui est de la Déclaration universelle des droits de l’homme, même si on aurait
pu penser que, du fait de son importance historique et surtout de sa portée politique, aurait une
valeur juridique spéciale, hélas non. Puisqu’ on a pu considérer qu’elle a la même valeur que
les autres résolutions de l’assemblée générale de l’ONU. En effet, s’affirmant plus comme « une
éthique internationale de l’avenir, plus qu’un constat, une espérance, plus qu’un fait »15. Aussi,
en tant que recommandation, la Déclaration universelle des droits de l’homme « ne crée pas
d’obligation de façon direct pour les états et n’est pas source direct du droit »16. Elle proclame
des principes qui ne sont pas pleinement obligatoires pour les états membres de l’assemblée
générale des nations unies. « Ce n’est pas un traité, c’est un accord international, il n’a pas et
ne vise pas à avoir force de loi. C’est une déclaration de principe sur les droits et libertés
fondamentales de l’homme destinée à être approuvée par vote formel des membres de
l’assemblée générale »17 là sont les paroles de madame Eleonor Roosevelt, lorsqu’elle
présentait le texte devant l’assemblée générale de l’ONU.
Malgré tout, une prise de position formelle de la CIJ18 fera de la déclaration universelle
des droits de l’homme une source formelle des droits de l’homme. En effet, c’est sa décision
du 24 mai 1980 relative à l’affaire du personnel diplomatique et consulaire des Etats unis à
Téhéran, que la CIJ notait que « le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains
et les soumettre dans des conditions pénibles, à une contrainte physique, est manifestement
incompatible avec les principes de la charte des nations unies et avec les droits fondamentaux
énoncés dans la DUDH ».19 Cette prise de position de la CIJ est opposable au Cameroun
notamment en son article 8 en tant que membre des nations unies. Cette opposabilité se trouve
renforcée dans la mesure où les principes énoncées dans cette déclaration à l’instar du droit
d’accès à la justice ont reçu une consécration dans l’ordre juridique national où ils ont été
incorporés dans le préambule de la constitution du 18 janvier 1996. En outre, cette norme
conventionnelle s’est fait précéder d’un constat coutumier de la DUDH. Ainsi donc même si,
malgré une tentative antérieure, basée sur la logique de la longue pratique, y voyant un élément
constitutif d’une règle coutumière pour en faire une source du droit. Ceci aura été rejeté par la
doctrine, dans la mesure où « elle ne vient pas confirmer (…) des règles coutumière
préexistences »20 D’autant plus qu’il est fâcheusement claire que la DUDH n’aura pas produit
une pratique étatique abondante de respect des droits de l’homme. Par contre, comme l’a précisé
la cour internationale de justice (CIJ), pour qu’une règle soit coutumièrement établie, il n’est
pas besoin que la pratique correspondante soit « rigoureusement conforme » à cette règle, il
suffit « que les Etats y confortent leur conduite d’une manière générale »21. Ce constat aura

15
MOUIGEON (J) Les droits de l’homme PUF « Que sais-je ? » PARIS 1996, P.77
16
SUDRE (F) Droit européen international des droits de l’homme 6eme éd. PUF, Pris ,2003 P.171.
17
Cité par CASSIN in « la déclaration universelle et la mise en œuvre des droits de l’homme »RCADI, T.79 P.
289
18
Cours internationale de justice
19
V. Rec. 1980, p.42, Ss. 91
20
SUDRE (F) Droit européen international des droits de l’homme 6eme éd. PUF, Pris ,2003 P.172.
21
Arrêt du 27 juin 1986 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua Rec. SS.186.

265
amené à admettre le caractère coutumier de la DUDH22 par la doctrine conformément à l’arrêt
du 27 juin 1986 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua.
Pour ce qui est de la formulation de la reconnaissance du pacte international relatif aux
droits civils, il fera écho au principe du droit d’accès à la justice consacré par la déclaration
universelle des droits de l’homme dans son article 14 §1 entant que convention internationale.
Ce pacte a lui, par contre « un caractère obligatoire et traduit la volonté des états de s’engager
de façon explicite dans le domaine des droit de l’homme »23
En ce qui concerne la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples, elle est
soumise à la même logique juridique que le pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Ratifiés par le Cameroun le 29 décembre 1987 par le décret N87-1910 du 29
décembre 1987 ratifiant la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, elle a consacré
le droit d’accès au juge en son article 7 qui a été intégré à la constitution du Cameroun. En effet,
le Cameroun est juridiquement lié autant par le pacte international relatif aux droits civils et
politiques que par la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, d’une part, parce
que les principes qu’ils consacrent ont été intégrés dans le préambule de la constitution et
d’autre part, parce que le Cameroun y a adhérer par la lettre d’adhésion qui avait été déposée
auprès du secrétariat général de l’ONU le 27 juin 1984 par l’Etat du Cameroun. Mais
l’incorporation d’un principe juridique n’est pas le seul critère qui démontre que ce principe
sera respecter, encore moins aura force de loi. Il lui faut donc une force coercitive. Car la
punition est un droit pour le criminel24. C’est donc le juge qui lui confère ce caractère coercitif
et de ce fait, assure de la garantie de ce droit.

2- L’acceptation des instruments internationaux de garantie du droit à la justice


électorale par le système juridique interne
Sans les organes, les normes restent en apesanteur à l’« l’Etat gazeux »25. L’enjeu de la
garantie de la protection du droit d’accès à la justice est de ce fait, très déterminant « puisque
la substance du droit d’accès au juge conditionne son effectivité »26. Pour ainsi convoquer la
nécessité de l’existence de l’instance de protection d’un droit énoncé, au risque d’en faire un
vœu pieux en cas contraire. En effet, « on n’aurait rien fait si l’on s’était contenté, de déclarer,
de proclamer les droits de l’homme : C’est évidement c’est leur réalisation qui importe et celle-
ci suppose la mise en place des mécanismes de garantie qui soient effectivement au service et
à la disposition des titulaires de ces droits »27 Ainsi donc, pour que les Etats se conforment à
leurs obligations conventionnelles, les textes internationaux relatifs aux droits de l’homme ont
mis sur pied des intenses de contrôle qui peuvent être saisies selon diverses modalités. Il en est

22
GUIMDO DONGMO (B-R) « le droit d’accès à la justice administratives au Cameroun, contribution à
l’étude d’un droit fondamental », Revue de la recherche juridique, droit prospectif 2008-1 .NXXXIII-121(33eme
année, 121eme numéro)
23
V. Rec., 1980, P.42 § 91
24
WILHELM FRIEDRICH HEGEL (G), Les principes de philosophie du droit.
25
CHEVALIER (J.) l’Etat de droit p.39 In ABANE ENGOLO « La notion de qualité du droit » Revue
Africaine de Droit et de Sciences Politique V1n1 P. 108.
26
GARRIDO(L) op cit p.58
27
WACHSMANN (P), les droits de l’homme 4ème éd, Dalloz, paris 2002 .P.121.

266
ainsi du mécanisme de mise en place dans le cadre du pacte international relatif aux droits civils
et politiques, et celui institué par la charte des droits de l’homme et des peuples.
Le mécanisme du pacte international relatif aux droits civils et politiques repose sur le
comité des droits de l’homme institué par l’article 28 dudit pacte. Ce comité est chargé
d’examiner les rapports envoyés par les Etats parties28, ainsi que les commissions des
particuliers qui prétendent être victimes d’une violation par l’Etat d’un des droits consacrés par
le pacte29. En ce qui concerne, notamment, les communications émanant des individus, elles
sont examinées par le comité à huit clos et restent confidentielles. Ainsi, elles ne doivent pas
être anonymes ; elles doivent émaner des particuliers relevant de la juridiction d’un des Etats
partie au protocole, qui prétendent avoir été victimes d’une violation de la part de l’Etat des
droits reconnus par le pacte. Mais s’il apparait que les victimes présumées sont dans l’incapacité
de présenter elle-même leurs communications, le comité peut accepter d’examiner celle
provenant d’autres personnes. Celles-ci doivent justifier du droit d’agir au nom des victimes
présumées30. Par ailleurs, les communications, doivent être compatibles avec les dispositions
du pacte et ne peuvent pas être reçues si la même question est déjà en cours d’examen devant
une autre intense internationale d’enquête ou de règlement. Enfin il faut avoir épuisé tous les
recours internes disponibles, adéquats et efficaces.31
Pour le comité, un recours qui n’offre pas « une perspective raisonnable de succès » à
raison notamment d’une jurisprudence antérieure qui le voue à l’échec32 n’est pas un recours
utile à étudier au sens des articles 2 et 5 du protocole. Quoiqu’il en soit, lorsque le comité a
déclaré recevable une communication, il demande à l’Etat mis en cause de lui fournir des
explications ou des éclaircissements sur le problème et d’indiquer s’il a pris des mesures pour
y remédier. L’Etat dispose, à cet effet, d’un délai de six mois pour faire connaitre sa réponse.
Le plaignant peut ensuite commenter cette réponse ; après quoi, le comité formule ses
conclusions erga omnes qu’il communique à l’Etat et à l’auteur de la communication.
En outre, au nom de l’Egalité des armes, le comité respecte pendant toute la procédure
l’égalité entre les parties. C’est ainsi que chaque partie à la possibilité de commenter les
arguments de l’autre. Les actes du comité ne s’imposent pas inter pares car, ils sont dépourvu
de toute portée juridique pour les Etats « qui ne sont pas tenus d’y donner suite »33 ; ils ont, non
pas autorité de la chose jugé, mais plutôt l’autorité de la chose constatée »34. Cependant, se
fondant sur le fait qu’en ratifiant le pacte et le protocole, l’Etat partie a accepté « l’obligation
juridique de donner effet, à leur disposition », le comité à juger que « l’Etat partie est tenu de
prendre effet, juridique aux constatations du comité concernant l’interprétation, l’application

28
Cf. Art 40 du Pacte
29
Cette compétence du comité ainsi que la procédure de saisine de ce dernier sont organisées par le protocole
facultatif se rapportant au pacte adopté également le 16 décembre 1996. Le Cameroun a également adhéré à ce
protocole. L’instrument d’adhésion a été déposé auprès du secrétariat général des Nations Unies le 27 juin 1984
30
Un tiers qui n’a pas de liens apparent avec la victime ne peut donc pas présenter de communication en leur
nom. Dans ce sens, communication n78 / 1980 AD c/Canada, décision du20 juillet 1984. Dans cette affaire, un
membre d’Amnesty international avait saisi le comité pour le compte d’un prisonnier alors qu’il n’avait pas été
mandaté par ce dernier.
31
Cf. Art. 2 et 5 § 2b du protocole.
32
Dans ce sens, voir communication n550/1993, FAURISSON c/France, décision du 8 novembre 1996.
33
SUDRE (F) op cit ,605
34
Ibid.

267
du pacte dans les cas particulier soumis au titre du protocole facultatif »35. Par le truchement
de cette argutie juridique, le comité aura amené les Etats à respecter et à appliquer ses
constatations.
Pour ce qui est de la Charte africaine des droits de l’homme et du citoyen, son mécanisme
de protection du droit d’accès au juge était préalablement garantie auprès de l’organisation de
l’unité africaine devenu par la suite Union Africaine, une commission africaine des droits de
l’homme et des peuples36 ayant compétence pour examiner les communications des Etats
parties à la charte et d’autres communications émanant des particuliers (personnes physiques
ou morales ) en matière des élections, il s’agit, d’un candidat à une élection ou, au nom d’un
parti politique contre l’Etat partie qui aurait violé des dispositions de la charte. Par la suite, un
protocole additionnel portant création d’une cour africaine des droits de l’homme et des peuples
a été adopté le 9 juin 1998 à Ouagadougou au Burkina Faso et est entré en vigueur le 25 janvier
2004, après l’obtention de la quinzième ratification. Le mécanisme initial est partiellement
applicable au Cameroun dans la mesure où ce dernier n’a pas encore ratifié le protocole relatif
à la cour qui constitue le mécanisme de garantie pour le droit d’accès au juge électoral
camerounais.
Pour qu’une communication soit recevable, il faut non seulement que son auteur indique
son identité, même s’il souhaite garder l’anonymat, ce qui serait d’ailleurs assez peu
compréhensible dans le domaine électoral. Quoiqu’il en soit, cette communication doit être
compatible avec l’ancienne chartes de l’ O.U.A. aujourd’hui l’acte constitutif de l’UA et de la
charte africaine des droits de l’homme et des peuples ; qu’elle ne contienne pas de termes
outrageants ou insultants à l’égard de l’Etat en cause, de ses institutions ou de l’union africaine ;
qu’elle soit postérieure à l’épuisement des recours internes , s’ils en existent ,à moins qu’il ne
soit manifeste à la commission que la procédure des recours internes se prolonge d’une façon
anormale ou que ces recours ne sont « ni adéquats ni efficaces »37 ou « ni disponibles ni
pratiques »38 qu’elle ait été introduite dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement
des voies de recours internes ou depuis la date retenue pour la commission comme faisant
commencer à courir le délai de saisine ; qu’elle ne concerne pas les cas qui ont été règles,
conformément soit aux dispositions de la charte des nations unies soit de l’acte constitutif de
l’union africaine des droits de l’homme et des peuples39. Enfin, qu’elle ne se limite pas à
rassembler uniquement des nouvelles diffusées par des moyens de masse.
Lorsque la recevabilité est admise, la commission en avise les parties et les informe de la
date à laquelle la requête sera examinée dans le fond. Elle peut si la plainte révèle uns situation
urgente, inviter l’état concerné à soumettre un rapport provisoire sur la mise en œuvre des
dispositions de la charte qui semblent avoir fait l’objet de violation. Une fois qu’elle a pris la
résolution sur le fond, la commission peut faire des recommandations à la conférence des chefs
d’état et de gouvernement. Si cette dernière l’y autorise, elle rend publique les violations des

35
Communication n504 /1992, Denis Robert c/Barbade, décision du 19 juillet 1994, A/49/40, vol 11, 342.
36
Sur cette question lire J. FIERENS, « la charte africaine des droits de l’homme et des peuples » , revue
trimestrielle des droits de l’homme » juillet 1990 pp. 242-246.
37
Communication 60/91, affaire constitutional right Project c/Nigeria.
38
Communication 72/92, RADDHO c/ Zambie.
39
Communication n69/92, Amnesty international c/Tunisie 30eme session de la conférence des chefs d’Etats et
de gouvernements de 1992.

268
droits de l’homme par les états parties. Mais, elle n’est pas habilitée à exécuter ses « décisions »
contre ces états.
Pour sortir de cette question de la protection du droit au juge par les instruments
internationaux, il est nécessaire de dire pour la voir prospérer, la plainte doit être individuelle
c’est à dire émaner d’une personne physique ou morale différente d’un Etat et adressée au
secrétaire de la commission qui la transmet à la commission ; qui décidera si elle est recevable
et / ou acceptable ; si la plainte est jugée recevable par la commission, elle doit être portée à la
connaissance de l’Etat mis en cause avant tout examen au fond. Lors de l’examen des plaintes,
la commission s’inspire non seulement des principes énoncés dans la charte, mais également
des principes reconnus des droits de l’homme, en particulier ceux énoncés dans les instruments
internationaux. La commission, comme le comité des droits de l’homme dans le système des
nations unies, ne prend pas de décisions contraignantes. Elle n’émet pas de conclusions plutôt
des recommandations qui sont communiqués à la conférence des chefs d’états et de
gouvernement pour décision. La commission a eu à dégager un certain nombre de conditions
d’acceptabilité, préalable à l’examen de la communication. Ne peut être acceptées, une
communication mettant en cause un Etat non membre de l’union africaine ou contenant des
informations erronés sur la personne du plaignant ou qui n’est pas mentalement équilibrée, ou
encore, une communication qui délibérément omet de se référer à la charte africaine. Quoiqu’il
en soit avant de se référer aux instruments internationaux pour la protection de ses droits, le
requérant en matière électorale trouve cette garantie au sein des instruments nationaux dont il
a le devoir de saisine avant de recourir aux instruments internationaux. Puisque ce principe est
affirmé et garanti par des instruments internes.

B- L’affirmation et la garantie du droit à la justice électorale par les instruments


camerounais.

C’est aux Etats qu’il incombe en premier, «conformément au droit international, le soin
d’assurer des obligations souscrites »40. Ce qui signifie que le contrôle international régional
ou universel est subsidiaire, comme l’a appelé la cour européenne de droit de l’homme. En
effet, la reconnaissance du respect de la protection du requérant en matière de contentieux
électoral au Cameroun passe par deux points, à savoir sa consécration par les instruments
juridique, internes et les garanties de protection offertes par le système juridique camerounais.

1- La consécration du droit d’accès au juge électoral par les instruments internes


Les instruments juridiques internes qui consacrent le droit d’accès au juge électoral au
Cameroun sont la constitution, la loi n 2004/004 du 21avril 2004 Portant organisation et
fonctionnement du conseil constitutionnel modifier et complété par la loi N2015/015, et le code
électoral.
a- La consécration constitutionnelle du droit d’accès au juge électoral
C’est dans la constitution qu’il est logique d’aller premièrement rechercher les
fondements d’une consécration du droit d’accès au juge électoral sur le plan interne. Notre

40
WACHSMANN (P), Les droit de l’homme op cit p. 121

269
démarche va s’avérée fructueuse. Puisque, c’est dans son préambule que la constitution
camerounaise de 1996 consacre le droit d’accès à la justice de manière général en affirmant
que : « la loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice ». Il résulte de cette
prescription préambulaire que, non seulement la constitution consacre le droit d’accès au juge,
mais aussi, et en plus, elle donne compétence au législateur pour en fixer les modalités de mise
en œuvre. Par ailleurs, si cette prescription constitutionnelle semble être inscrite dans
l’ensemble des constitutions camerounaises, puisque les lignes précitées semblent être juste un
prolongement de l’article 32 alinéa 3 de la constitution du 2 juin 1972 qui, elle-même, à la suite
de celle de 1961, en l’absence d’un juge constitutionnel, avait consacré le droit d’accès au juge
administratif en ces termes : « La cours suprême statue souverainement sur les recours en
indemnité ou en excès de pouvoir dirigés contre le juge administratif ». Si la constitution de
1972 en ses articles 7, 10, et 27 avait reconnu la cours suprême comme juge constitutionnel, la
vraie innovation de la constitution de 1996 réside en ses articles 47 al4 et 48 al 1 qui en disposant
que « le conseil constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentielle, des élections
parlementaires des consultations référendaires et en proclame les résultats. », aura consacré et
proclamé un véritable juge constitutionnel. Et ainsi, de manière restrictive, sa saisine à quelques
personnes physiques et morales dans le domaine électoral constitutionnel en ses alinéa 2 et 3
en ces termes : en cas de contestation sur la régularité de l’une des élections prévues à l’alinéa
(1) ci-dessus, « le conseil constitutionnel peut être saisi par tout candidat, tout parti politique
ayant pris part à l’élection dans sa circonscription ou toute personne ayant qualité d’agent du
gouvernement pour cette élection ». Elle est encore plus restrictive en cas de droit d’accès au
juge en matière de consultation référendaire. Puisque la constitution cantonne ce droit à cinq
requérants, voire à cinq institutions, à savoir ; le président de la république, le président du
sénat, le président de l’assemblée nationale ou au tiers de chacune de ces institutions41. Cette
restriction d’accès au conseil constitutionnel en matière électorale est reprise en substance par
les articles 43, 44 et 45 de la loi N2004/004 du 21avril 2004, Portant organisation et
fonctionnement du conseil constitutionnel. Mais en matière de contestation de l’acceptation de
candidatures de l’élection à l’assemblée nationale et au sénat, il en principe étend cette
compétence à tout électeur inscrit sur la liste électorale42 , à toute personne intéressée ou au
ministère public43. Même si dans les faits, le juge aura apporté une clause restrictive de l’intérêt
à contester une candidature par la participation à ladite l’élection entant que candidat ou parti
politique.44 En effet, en matière d’élection parlementaires et sénatorial, le conseil
constitutionnel détient aussi la compétence de juge de l’éligibilité.

41
Cf. Art. 48. al 3 et 4. Loi N2004/004 du 21avril 2004 Portant organisation et fonctionnement du conseil
constitutionnel.
42
Art. 47. Loi n2004/004 du 21 avril 2004. Portant organisation et fonctionnement du conseil constitutionnel
43
Art.118. AL 2 du code électoral.
44
V. décision no 03/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Sieur Mgbamine Mgbamine Zacharie c/ Dame Isabelle
Assouho Djole épse Tokpanou (RDPC) et Elections Cameroon (ELECAM) ; décision no 008/CE/CC/2018 du 3
avril 2018, N. Njenje Valentin Kleber (SDF) vs Election Cameroon (ELECAM) and others.

270
Si, les autres requérants sont facilement saisissables45 , la locution « parti ayant pris part
à l’élection »46 n’est pas toujours heureuse, au regard de deux point tout au moins ; du fait que,
la matière du contentieux électoral est large, et comporte notamment le contentieux des
candidatures, aspect préalable aux opérations électorales dans le contentieux de la candidature.
Secondement de la fluctuation de cette notion au cours des différentes étapes du contentieux.
In concreto, on serait tenté de se demander comment reconnaitre à ce stade le parti qui a
participé à « une élection qui n’a pas encore eu lieu »47. Pour saisir le sens de cette locution
dans le contentieux de la candidature, il faut appréhender la notion de participation de façon
extensive. S’il est vrai que l’élection n’a pas encore matériellement eu lieu, il faut se souvenir
de la définition du contentieux électoral de Jean-Claude MASCLET qui y intègre le contentieux
préélectoral en ces termes ; « le contentieux électoral est le contentieux qui a pour objectif de
vérifier l’authenticité des résultats des élections. Au sens large, il englobe aussi le contentieux
de la liste électorale, celui des opérations préparatoires et le contentieux répressif destiné à
sanctionner les actes de fraude constitutifs d’infraction pénal »48. En fait le contentieux
commence bien avant l’élection. Et le parti demandeur ne se verra reconnaitre la qualité de
requérant que si sa propre candidature a été retenue par le conseil électoral. Mais dans cette
partie du contentieux, l’objet de la requête vise à déterminer la qualité ou non de requérant.
C’est ainsi que si la requête vise la réhabilitation de la candidature du demandeur, alors la
qualité de requérant lui serra reconnu49. Par contre, si elle vise la contestation d’une autre
candidature, le requérant doit au préalable se rassurer que sa propre candidature a été validé Par
le conseil électoral. Puisque c’est cette acceptation qui lui confère la qualité de requérant.
L’affaire Assigana Tsimi contre Elecam et Etat du Cameroun, dans le contexte de l’élection
présidentielle du 9 octobre 201150 en est une illustration parfaite.

45
Sur la notion de parti lire « réflexion sur le statut des partis politiques quarante ans après la fondation de la 5e
république » RDP 1998 P 1814, ABAH OYONO (J-C) « les contentieux spéciaux de l’urgence » in le contentieux
des partis politique : la création des partis politiques p 6
ABAH OYONO (J-C) « les contentieux spéciaux de l’urgence » le contentieux des partis politique : la création
des partis politiques
46
Voir. OLOUME ANONG (A.T.S.) pour une appréhension complète « le requérant en droit du contentieux
électoral au Cameroun » Mémoire de master II op cit.
47
OLINGA (A.D.) « Justice constitutionnelle et contentieux électoral : Quelle contribution à la sérénité de la
démocratie élective et à l’enracinement de l’Etat de droit ? Le cas du Cameroun ». Marrakech (Maroc) 26 Ŕ 28
Novembre 2012
48
MASCLET (j-Cl) op cit.
49
L’affaire EKANE Anicet George c/ ELECAM et Etat du Cameroun en 2011 est une parfaite illustration. En effet,
dans l’affaire EKANE Anicet candidat du(MANIDEM) c/élections Cameroon (ELECAM). Le n053/ELECAM
/ce du 09septembre 2011 portant rejet de candidature de monsieur EKANE
Anicet Georges. Le conseil constitutionnel dans sa décision a annulé cette décision n 53
/ELECAM/ce du 9septembre 2011 portant rejet de la candidature du candidat du
MANIDEM. Et en son article 3 de sa décision avait ordonné l’acceptation de la candidature du requérant .par
contre si elle vise la contestation d’une autre candidature, le requérant doit au préalable se rassurer que sa propre
candidature a été validé Par le conseil électoral
50
Ce deuxième aspect ressort de la décision du Conseil constitutionnel en l’affaire Assigana Tsimi contre Elecam
et Etat du Cameroun, dans le contexte de l’élection présidentielle du 9 octobre 2011. M. Assigana, dont la
candidature à ladite élection avait été rejetée par le Conseil Electoral d’Elections Cameroon, a saisi le juge
constitutionnel d’un recours en invalidation de la candidature, acceptée celle-là, de M. Paul Biya, aux motifs que
l’investiture de ce dernier aurait été irrégulière au sein de son parti et que M. Sadi (Secrétaire général du parti du
candidat Biya) n’aurait pas dû être porteur de son dossier de candidature à ELECAM et au Conseil constitutionnel.
Ce dernier se prononce ainsi : « attendu que la candidature à l’élection présidentielle du 09 septembre (sic) 2011

271
Par ailleurs, « avoir pris part à l’élection » pose un autre problème qui aura été tranché
dans l’affaire GARGA HAMAN hadji c/ MINAT et Etat du Cameroun du 14 septembre 199751.
Dans cette affaire, le juge a recadré l’interprétation de « parti politique ayant pris part » à
l’élection en y faisant une interprétation très restrictive. En le définissant comme : « le fait pour
un parti politique de présenter un candidat à l’élection sous sa propre bannière ». Le juge,
dans l’affaire GARGA n’a pas reconnu la qualité de requérant au demandeur qui avait battu
campagne à travers son parti ADD pour le compte d’un autre, le SDF sans véritablement
présenter de candidature à cette élection. Par cette décision le conseil constitutionnel a démontré
que la participation du parti politique à l’élection signifie bien faire participer un candidat sous
la bannière de son parti politique.
Aussi, dans sa perspective de la recherche de « l’influence incidente sur le résultat du
scrutin », le juge constitutionnel camerounais aura fait preuve d’une interprétation extensive du
pouvoir de saisine de sa juridiction à sa propre personne par une subtilité juridique troublante
mais certaine. Puisqu’il découle sur le fondement de la lettre des lois que le juge ne s’autosaisît
pas. Il n’agit que sur contestation et réclamation faite sur simple requête dans les formes et
procédures prescrites par la loi52. En effet, dans le contentieux des élections législatives de
2007, le conseil constitutionnel va s’autosaisir dans l’affaire jean Michel Nintcheu (sdf) et jean
Michel Etroukang c/ l’Etat du Cameroun(Minatd). Dans cette affaire l’Etat du Cameroun avait
dans sa défense introduit une demande en irrecevabilité de la requête du sieur Nintcheu et
Etroukang. Ce qui avait d’ailleurs eu une suite favorable, mais le juge constitutionnel s’était
quand même pencher sur les faits allégués par les requérants et avait conclu que ; « attendu que
les irrégularités ainsi constatées constituent une fraude ayant influencée de manière
significative le résultat du scrutin dans la circonscription électorale de Wouri –est ; qu’il y a
lieu d’annuler le scrutin dans la dite circonscription sans qu’il ne soit besoin d’examiner les
recours de jean Michel Nintcheu et jean Pierre Etroukang »53
Pour ce qui est de la consécration constitutionnelle de l’accès au juge administratif, en
matière électorale, si la constitution de 1996 n’a pas repris les dispositions de l’article 32 al 3
de la constitution de 1972, la garantie constitutionnelle du droit d’accès à la justice
administrative n’a pas été remise en cause. En effet, la constitution de 1996 a prévu au sein de
la cours suprême une chambre administrative54 chargé de connaitre de l’ensemble du
contentieux administratif de l’état et de collectivités publiques de connaitre en appel du
contentieux des élections régionales et municipales, conformément à son article 40. Par contre
la constitution a laissé au législateur la compétence d’en organiser sa saisine. La constitution
laisse aussi, la compétence au législateur l’organisation de la protection des droits du requérant
en matière électorale. Que ce soit constitutionnel ou administrative.

de sieur Assigana Tsimi Moïse Fabien a été rejetée ; qu’en conséquence, faute de qualité, il ne saurait contester
l’acceptation d’une autre candidature ; qu’il s’en suit que son recours est irrecevable ».
51
Voir. Affaire GARGA HAMAN hadji c/ Minat et Etat du Cameroun du 14 septembre 1997
52
Sur la saisine du juge constitutionnel statuant en matière électoral, voir M-A. COHENDET, droit
constitutionnel, paris, Montchrestien, 2e Edition, 2002, P, 42.
53
Cs. Recours n21/CEL et n63 /CEL du 23 juillet 2007, arrêt n30 /CEL du 07 AOUT 2007, jean Michel
Nintcheu et jean pierre Etroukang c/ état du Cameroun (MINATD)
54
Art ; 38 § 2 Al.2 de la constitution

272
b- L’affirmation légale du droit d’accès au juge électoral
Si la loi 2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du conseil
constitutionnel reprend les dispositions de la constitution à propos de l’accès au juge
constitutionnel en matière électorale, un autre instrument légal interne consacre l’accès au juge
électoral administratif ; c’est le code électoral. Même si ce dernier reprend aussi en substance
les dispositions sur le droit d’accès au juge constitutionnel, c’est en ses articles 194 alinea1 et
267 al1 que le code électoral dispose en substance que ; « Tout électeur, tout candidat ou toute
personne ayant la qualité d’agent du Gouvernement pour l’élection, peut réclamer l’annulation
des opérations électorales de la commune ou la région concernée, devant la juridiction
administrative compétente ». Cette disposition du code électoral qui concerne l’élection des
conseillers municipaux et régionaux est claire sur les titulaires de la compétence pour ester
devant les juridictions administratives en matière électorale. Ainsi par ces articles, le code vient
établir l’électeur comme requérant transversal en matière de contentieux administratif des
élections. Puisqu’ il détient aussi cette prérogative en matière du contentieux de l’électorat.
Mais, il est exclu du contentieux constitutionnel. Contrairement à son homologue béninois qui
en a fait un requérant à part entière du contentieux des élections politiques55. Sur la qualité de
requérant du citoyen- électeur en matière de contentieux de l’électorat, l’affaire Ngako Lele en
est une parfaite illustration.
Pour finir, dans le contentieux administratif des élections, le code électoral établit les
commissions électorales pour connaitre du contentieux électoral non juridictionnel. En effet, le
contentieux de l’inscription sur la liste est laissé à la compétence des commissions de
supervision en premier ressort, avant d’être transmis à la connaissance du juge administratif du
ressort de compétence de la circonscription électoral en second recourt. Pour ce qui est de la
liste électorale définitive, c’est le conseil électoral qui est compètent en premier ressort, avant
que la cour d’appel territorialement compétente ne soit saisit. Ces juridictions ad hoc ont
toujours fait partie du paysage électoral camerounais. En effet, ce sont les articles 63 et
73alinea4 du code électoral qui organisent et fixent les compétences en matière de réclamation
ou contestation concernant les listes et les cartes électorales devant la commission de
supervision. Son siège est fixé dans chaque chef- lieu de département. Ce contentieux relève de
la compétence de la commission locale de supervision et du juge administratif en second
recours. Ainsi donc, dans l’affaire N° 59/CS/CA du 13 Juillet 1996 Epalle Roger Dolores et
Ngueyong Moussa et RDPC56 de la même date, les requérants sollicitaient l’annulation de la
liste SDF au motif que ce parti politique n’a pas respecté la composition sociologique des
communes conformément à la législation en vigueur. Le juge administratif aura décliné sa
compétence en premier ressort au motif que celle-ci relève de la commission de supervision.
Par-là même, le juge administratif reconnaissait implicitement mais avec assurance sa
compétence en Appel. Laissant ainsi la primeur de cette compétence à cette « juridiction sui
generis du processus électoral »57 camerounais. En fin, comme dernier instrument interne non

55
Sur la question lire GUESSELE ISSEME (L.P.) « la protection du droit de vote par les juges constitutionnels
béninois et camerounais : réflexions sur la garantie des droits fondamentaux dans le Etats d’Afrique noire
francophone » op cit
56
Décision N° 60/CS/CA183. Affaire NGUEYONG Moussa et RDPC, du13 Juillet 1996
57
TCHEUWA (JC) « les principes directeurs du contentieux électoral camerounais »op cit p e19

273
juridictionnel consacré par la loi pour rendre justice au requérant est le conseil électoral. En
effet, même si c’est l’article 10 al 1 du code électoral qui consacre le conseil électoral comme
instrument non juridictionnel en matière de contentieux électoral en ces termes « le conseil
électoral veille au respect de la loi électorale par tous les intervenants de manière à assurer la
régularité, l’impartialité l’objectivité, la transparence et la sincérité des scrutins », c’est
spécifiquement l’ article 125 al 1 qui établit le conseil électorale comme juge ordinaire de la
recevabilité des candidatures des élections politiques en disposant que « le conseil électorale
peut accepter ou déclarer irrecevable une candidature ». Si la consécration d’ un droit est une
liberté, en assurer la garantie est un devoir c’est une pierre angulaire de la démocratie58

2- Les instruments camerounais de garantie de la justice électorale.


« La représentation suppose, en effet que le peuple souverain peut se faire représenter
et qu’on lui rende des comptes »59. La représentation suppose par conséquent l’organisation des
élections dont l’issue peut ne pas relever des mêmes autorités de jugement60. Ainsi, toute
élection suppose alors que soit définies certaines règles fondamentales nécessaires au bon
dénouement de celle –ci. Parmi lesquelles, le contrôle de son processus et de sa régularité en
vue d’assurer sa sincérité. Au Cameroun, ce contrôle sur le plan juridictionnel est soumis à la
compétence du juge constitutionnel d’une part et aux instruments administratifs d’autre part.
a- Le conseil constitutionnel : juge du contentieux des élections politiques
« A l’homme frustré de sa liberté d’aller et de venir, au personnage public violé dans les
tréfonds de l’intimité de sa vie privée, au démuni et au sans-grade menacés dans ses droits et
libertés fondamentaux, il convient de dire : Cherchez un juge, saisissez-le et exigez de lui qu’il
rende justice »61. Par cette réflexion de Pierre DRAI, est exprimé plus ou moins directement,
non seulement le rôle hautement important du juge dans les sociétés démocratiques où il doit
être interpellé pour sauvegarder les droits des citoyens ; mais aussi un droit au juge62 dont la
matérialisation repose aussi sur un procès équitable63 qui s’affirme dans presque tous les
systèmes juridiques64.D’entrée de jeu, il faut dire, en conformité avec l’article 7alinéa1 de la loi
2004/004 du 21 avril 2004, le conseil constitutionnel est constitué de 11 membres65 et est
compétent pour connaitre des litiges électoraux des élections politiques. En effet, le conseil
constitutionnel camerounais, à la différence de ses homologues béninois, malgache et gabonais
s’est doublement limité. Il a, choisi de rester stricto sensu dans le mandat que lui a donné la
constitution et les textes relatifs à sa compétence. Dans la protection des droit de ses requérant.
On retient des développements de sa jeune jurisprudence que le conseil a une compétence

58
KAMTO (M), « Le contentieux électoral au Cameroun » Lex Lata, N°020, Novembre 1995, p. 65.
59
ROUSSEAU (J.J.) Du contrat social 1762 in p. Brunet « Vouloir pour les nations : le concept de la
représentation dans la théorie de l’Etat » préface Michel Troper LGDJ Bruyland, Paris 2004 p396
60
DRAGO (G). Contentieux de droit constitutionnel Paris, collection Thémis droit 2e édition refondue 2006 p.94
61
DRAI ( P), « Prologue » de l’ouvrage publié sous la direction de Joël RIDEAU, Le droit au juge dans l’Union
européenne, CEDORE, Paris, LGDJ, 1998, p. 2.
62
FRICERO-BERNARDINI (N), « Le droit au juge devant les juridictions civiles », in J. RIDEAU (dir.), Le droit
au juge dans l’Union européenne, op.cit., pp. 12 et s. NCCC, n° 37, 2012/4, p. 158.
63
De BECHILLON (D), FOURVEL (J) et GUYOMAR (M), « L’entreprise et les droits fondamentaux : le procès
équitable. Conseil constitutionnel, jeudi 5 avril 2012 »
64
MBONGO (P.), « Procès équitable et Due Process of Law », NCCC, n° 44, 2014/3, p. 4959.
65
Décret N2018/105du 07 février portant nomination des membres du conseil constitutionnel

274
attributive et non générale. Mais, qu’en matière de contentieux préélectoral, sa compétence est
plutôt complétive. Puisque cette compétence est dévolue au conseil électoral d’Elecam qui est
l’instance de premier ordre. En effet, la haute cour s’appuie donc sur la loi organique 2004/004
notamment en ses art 43, 47 traitant respectivement de l’élection présidentiel et des élections
parlementaires dont les disposition font de lui un juge de second ressort en matière d’éligibilité.
De ce fait, il ne peut être saisi que sur la base du rejet ou de l’acceptation des candidatures
publiées par une résolution du conseil électoral. Ainsi dans l’affaire Aboubacar kamaldine66, Il
souligne à propos des élections politiques qu’il a pour point de départ de saisine la décision
d’acceptation ou de rejet d’une candidature par le conseil électoral d’Elecam. Qui est par
ailleurs l’institution en charge des élections au Cameroun. C’est une procédure sur laquelle elle
est constante puisqu’elle avait aussi été posée en matière du contentieux des élections
sénatoriales dans l’affaire Ahmadou Ahidjo67, et cette logique s’applique aussi aux élections
législatives. Le corollaire de la nature attributive des compétences du conseil constitutionnel
est l’admission de la limitation de ses compétences.
Ainsi donc, le conseil Constitutionnel a, dans l’affaire Ndoup Prevost68, affirmer son
incompétence en matière d’élections municipales. En effet, Il avait été saisi d’une annulation
de la liste RDPC aux élections municipales dans la commune de Yoko, il rappela les
dispositions pertinentes, fondant sa compétence en la matière d’élections, notamment l’article
40 de la loi organique n2004 /004 portant organisation et fonctionnement du Conseil
constitutionnel, modifiée par la loi n° 2012/015 du 21 décembre 2012 ;qui dispose que « le
conseil constitutionnel veille à la régularité de l’élection du président de la république des
élections parlementaires et des consultations référendaires »69. Il conclut en l’espèce que la
demande du requérant ne relève pas des attributions qui lui sont dévolue notamment par l’article
48 al 1 de la constitution. Il aurait adopté la même solution s’il avait été saisi du contentieux
des élections régionales. Puisque ce contentieux est de la compétence du juge administratif.
En outre, en se référant aux textes de loi et dans le respect de sa jurisprudence constante,
le Conseil constitutionnel déclare qu’il est juge de l’éligibilité des candidats, mais non des
investitures. Dans l’affaire Saki Lamine à l’occasion des sénatoriales, il a estimé qu’il ne peut
dans le respect de sa jurisprudence constante, s’immiscer dans le fonctionnement interne d’un
parti politique, les contestations relatives à l’investiture relevant de la gestion interne de chaque
parti politique ne pouvant dès lors être soumises à sa sanction70. Il est arrivé à la même solution
dans l’affaire Sieur Ahmadou Ahidjo71 pour le cas des sénatoriales. Cette jurisprudence a été
réitérée dans l’affaire Baleguet Nkot Pierre, Bapot Lipot et Dame Ngo Gouet72 rendue en
matière d’élections législatives. Certains représentants de l’UPC soutenant aux débats que
chaque tendance de l’UPC revendiquant la légalité et la légitimité, il appartenait à l’auguste

66
Décision n11/G/SRCER/CC/2018, sieur Aboubakar kamaldine
67
Décision n04CE /CC/2018 du 15mars, sieur Ahmadou Ahidjo c/RDPC et Elecam ; décision n01 /CE/CC/2018
dame Saki Lamine
68
Décision n27/SR/CER/SG/CC du 19 décembre, sueur Ndoup Prevost c/RDPC MINAT et ELECAM
69
Art. 48 Al. 1 de la constitution « le conseil constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentiel, des
élections parlementaires, des consultations référendaire, il en proclame les résultats »
70
46. Décision no 01/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Dame Saki Lamine, op. cit
71
Décision no 04/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Sieur Ahmadou Ahidjo, op. cit.
72
Décision no 32/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Baleguet Nkot Pierre, Bapot Lipot Robert et Dame
Ngo gouet Rose Yvette c/ELECAM et MINAT.

275
institution de trancher le confit entre les deux UPC. Par cette constance de sa jurisprudence, le
conseil a défini restrictivement son champ de compétence en matière électorale. Par contre s’est
montre très souple sur la procédure de sa saisine.
Pour ce qui est des formalités de saisine, elles sont souples. Dans l’espèce Sieur Gaban
Mindanha Rigobert73, le Conseil déduit de l’article 130 du Code électoral que « la requête
saisissant le Conseil constitutionnel n’est pas astreinte à un formalisme rigoureux ». Le
défendeur(ELECAM) soutenait que le requérant a adressé sa requête à « la Cour
constitutionnelle » et non au « Conseil constitutionnel ». Mais les hauts juges estimèrent qu’il
s’agit d’une erreur de style, et jugèrent une telle requête régulière. Ainsi en ont-ils décidé dans
l’espèce Sieur Ndemmanu74. Les noms de l’élu ou des élus contestés (s). Le Conseil consacre
dans une série d’affaires, le principe suivant lequel la loi spéciale déroge à la loi générale, ce
qui le conduit à privilégier les dispositions du Code électoral sur celles de la loi organique75.
Dans l’affaire Sieur Youmo Koupit Adamou, dans son Mémoire en réponse, ELECAM faisait
valoir que le requérant n’a pas indiqué le nom de l’élu ou des élus dont l’élection est contestée
comme l’exige l’article 49 de la loi organique, le Conseil constitutionnel renverse la hiérarchie
des normes en appliquant la règle du lex specialis en se référant au Code électoral76 dont les
conditions sont plus souples que celles de la loi organique77. Pour ce qui est de la date et la
signature des requêtes, le Conseil a rendu une solution similaire dans l’affaire UPC et dame
Mahop et autres, où la partie défenderesse estimait que les requêtes ne sont pas datées et signées
par les requérants, comme le prescrit l’article 55 de la loi organique78. Il affirma en vertu du
principe selon lequel la loi spéciale déroge au général, que l’article 55 de la loi organique doit
céder la place à l’article 130 du Code électoral79 qui n’exige ni la date, ni la signature. Le
Conseil a par ailleurs, contrairement à son homologue français80, dans la première affaire Nkou
Mvondo Prosper81, affirmé que l’Avocat dispose d’un mandat général de représentation, ce qui
implique qu’une requête signée par un Avocat est régulière. Si le nom de la juridiction, la date

73
. Décision no 14/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Gaban Mindanha Rigobert c/ ELECAM
74
Décision no 22/CE/CC/2018 du 18 août 2018, Sieur Antoine de Padoue Ndemmanu, op. cit.
75
L’article 49 de la loi organique 2004/004 dispose : « Sous peine d’irrecevabilité, la requête doit contenir les
noms, prénom(s), qualité et adresse du requérant, ainsi que le nom de l’élu ou des élus dont l’élection est contestée.
Elle doit en outre être motivée et comporter un exposé sommaire des moyens de fait et de droit qui la fondent. Le
requérant doit annexer à la requête les pièces produites au soutien de ses moyens. »
76
V. art. 133, al. 3 du Code électoral qui prescrit : « sous peine d’irrecevabilité, la requête doit préciser les faits et
les moyens allégués […] ». Il n’exige nullement la mention du nom de l’élu dont l’élection est contestée.
77
Décision no 09/CE/CC/2018 du 3 avril 2018, Sieur Youmo Koupit Adamou c/ ELECAM et autres ; v. aussi la
décision no 03/SRCER du 24 février 2020, Sieur Toueli Angelo (PCRN), op. cit. Il souligne dans cette dernière
espèce que : « le contentieux de l’élection des députés à l’Assemblée nationale relève plutôt du Code électoral et
non de la loi no 2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel, telle
que modifiée et complétée par celle no 2012/015 du 21 décembre 2012 ».
78
Cette disposition (article 55 alinéa 1er de la loi organique 2004/004) prévoit : « le Conseil constitutionnel est
saisi par requête datée et signée du requérant. Cette requête doit être motivée et comporter un exposé sommaire
des moyens de fait et de droit qui la fondent ».
79
Décision no 31/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, UPC et dame Mahob Christine épse Mabe et autres
c/ ELECAM et MINAT
80
CC, décis. no 86-1016 AN du 6 mai 1986, AN Polynésie française, Rec., p. 42 ; 8 juin 1993, AN Alpes-
Maritimes,7 e circ. JO 12 juin 1993, p. 8422 ; 30 sept. 1993, AN Réunion, 3e circ., JO 12 oct. 1993, p. 14254. Le
juge constitutionnel français a déclaré irrecevable une requête signée par un Avocat déclarant agir en qualité de
mandataire du requérant.
81
Décision no 22/CC/SRCER du 24 février 2020, UNIVERS, représenté par sieur Nkou Mvondo Prosper c/
RDPC, UNDP, PCRN, ELECAM, MINAT.

276
et la signature de la requête, l’indication des noms de l’élu ou des élus, semblent facultatifs, il
en va différemment des faits et moyens.
En effet, la haute juridiction est intransigeance sur la conformité de moyens et des faits
La requête doit, selon l’auguste institution, comporter des moyens de fait et de droit exigés par
les articles 130 alinéa 4 et 133 alinéa 3 du Code électoral82. La haute juridiction rejette par
conséquent des requêtes ou des moyens83 qui ne visent ni d’un texte, ni d’un principe général
de droit84, qui ne comportent pas de moyens85, ne formulant « aucun chef de demande », mais
se complaisant plutôt à faire la promotion auprès du Conseil constitutionnel, d’une ONG86. Il a
confirmé récemment cette jurisprudence dans une série d’affaires rendues dans le cadre du
contentieux postélectoral des législatives, en rejetant des requêtes qui ne visent aucun texte de
droit à l’appui des faits allégués87, ne citent aucune disposition88 légale, 89 manquent de legal
backing90, comportent des faits allégués qui ne cadrent pas avec les lois et instruments
internationaux invoqués91, relatent certes des faits, mais n’évoquent des moyens de droit que
dans quelques – uns de ces faits92, ou qui sont insuffisamment articulées93ou accompagnées des
preuves qui ne sont pas irréfutables94. Inversement, le Conseil reçoit favorablement les requêtes
étoffées à suffisance et fondées sur des textes appropriés95. S’il transige sur les requêtes en
distinguant entre les mentions substantielles et celles qui ne le sont pas, il est en revanche ferme
sur les délais.
En effet, pour voir prospérer sa requête Il est soumis à une exigence de conformité
temporelle. Les délais varient en fonction de la nature du contentieux. Ils sont de deux jours en
matière de contestation préélectorale96 et de soixante-douze heures à compter de la date de

82
Selon l’article 130 alinéa 4 du Code électoral : « sous peine d’irrecevabilité, la requête doit préciser les faits et
moyens allégués »
83
Décision no 029/G/SRCER/CC/2018 du 17 octobre 2018, Sieur Maurice Kamto,
84
Décision no 28/CE/CC/2018, Libii Ngue Ngue Cabral (Union National pour l’intégration vers la Solidarité –
UNIVERS) c/ ELECAM, RDPC, ADD, PURS, FDP, UDC, MCNC
85
Décision no 02/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Sieur Egono Valentin (UCDI) c/ ELECAM, RDPC et autres
partis politiques en compétition.
86
Décision no 15/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Dame Zeh Amvene Geneviève c/ ELECAM
87
Décision no 03/SRCER du 24 février 2020, Sieur Toueli Angelo (PCRN), op. cit., décision no 13/SRCER du 24
février 2020, Offre Orange représentée par sieur Tagne c/ ELECAM, MINAT, RDPC ; décision no 25/SRCER du
24 février 2020, L’Union des Mouvements Socialistes (UMS), représentée par sieur Kwemo Pierre c/ RDPC SDF,
ELECAM, MINAT
88
Décision no 11/SRCER du 24 février 2020, Sieur Zra Issiakou c/ ELECAM, MINAT, RDPC, ADD
89
Décision no 16/SRCER du 24 février 2020, Sieur Serge Espoir Matomba c/ RDPC et autres ; décision no
16/SRCER du 24 février 2020, Dame Zoubaïnatou Salihou épse Mohamadou, Mrs Koulagna Abdou et Hamadou
Ali Bachir (RDPC) c/ UNDP et autres
90
Décision no 19/SRCER du 24 février 2020, Mbang Suffer Gilbert vs CPDM and others ; décision no 21/SRCER
du 24 février 2020, Embola Robert c/ ELECAM, CPDM, MINAT
91
Décision no 4/SRCER du 24 février 2020, Pekeuho Tchoffo Ernest (Président National du Bloc pour la
Reconstruction et l’Indépendance économique du Cameroun) (BRIC) c/ RDPC et autres.
92
Décision no 14/SRCER du 24 février 2020, Sieur Gwodok Kouang Parfait, candidat du RDPC dans le Nyong
et Kelle, op. cit
93
Décision no 08/CC/SRCER du 24 février 2020, Sieur Terde Ridai (RDPC), op. cit
94
Décision no 24/CC/SRCER du 24 février 2020, Sieur Nadjiber Daniel (candidat de l’UNDP dans le MAYO
REY) c/ RDPC, ELECAM, MINAT
95
Décision no 31/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, UPC et dame Mahob Christine épse Mabe et autres,
op. cit., v. aussi Décision no 20/CC/SRCER du 24 février 2020, Sieur Nsounchiat Fit Mama (Candidat RDPC
dans le Noun c/ UDC, ELECAM, MINAT
96
Art . 129 du Code électoral

277
clôture du scrutin pour le contentieux postélectoral97. Ces délais sont valables pour l’ensemble
des élections nationales. Les requêtes doivent en tout état de cause être introduites dans les
délais prescrits. Il s’ensuit en conséquence le rejet tant des requêtes prématurées que des
requêtes tardives.
Dans le contentieux préélectoral, les requêtes ne doivent pas avoir été déposées avant la
publication par le Conseil électoral de la liste des candidats habilités à concourir. Dans l’affaire
Sieur Kamdem Honoré, la requête aux fins d’inéligibilité du Sieur Ketchanga Célestin, aux
élections législatives du 9 février 2020 dans le Wouri a été déclarée prématurée et rejetée parce
qu’introduite avant la publication des listes par ELECAM98. Dans le contentieux postélectoral,
les requêtes ne doivent pas parvenir au Conseil avant la clôture du scrutin. Le Conseil a rappelé
dans la troisième affaire Bertin Kisob, sur la base des articles 132 et 133 du Code electoral, que
le contentieux électoral s’ouvre à la clôture du scrutin. Il s’en suit qu’une requête tendant à
l’annulation de l’élection intervenant avant la date de la clôture du scrutin est prématurée et par
voie de conséquence irrecevable99.
Le Conseil constitutionnel a affirmé le caractère impératif des délais, qu’il s’agisse du
dépôt des candidatures ou du dépôt des requêtes. Le caractère impératif des délais de dépôt de
candidature, conduit à refuser d’admettre la régularisation des candidatures. Il juge ainsi que
les pièces accompagnant la candidature doivent être déposées en même temps que celle-ci100.
Il souligne également que l’article 123 du Code enferme les déclarations de candidature dans
un délai de dix jours suivant la convocation du corps électoral, et que le législateur n’a prévu
ni dérogation, ni régularisation101. Il s’agit selon le Conseil d’un délai impératif. Le caractère
impératif des délais de recours implique qu’on ne saurait alléguer un événement pour obtenir
une prorogation des délais, ou justifier d’une requête tardive102. Le Conseil a, dans quelques
affaires, rejeté des requêtes pour forclusion. Il faut distinguer la forclusion dans le contentieux
préélectoral, de la forclusion dans le contentieux postélectoral. Dans le premier cas, les délais
sont comme rappelés ci-avant, de deux jours conformément à l’article 120 du Code électoral.
Le Conseil a par exemple dans l’affaire Dame Massu Talom Joséphine103, après avoir constaté
qu’Elecam a publié les listes des candidats le 9 décembre 2019, souligné que les délais de deux
jours devaient courir jusqu’au 11 à minuit. Or, la requérante a introduit son recours le 13
décembre 2019, date à laquelle elle était déjà forclose. Il rejette pour les mêmes raisons, les

97
Art. 133. Code électoral
98
Décision no 01/SRCER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Kamdem Honoré c/ Sieur Ketchanga Célestin et
RDPC
99
Décision no 23/CE/CC/2018 du 13 septembre 2018, Sieur Kisob Bertin, op. cit.
100
Décision no 14/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Gabin Mindanha, op. cit., v. aussi Décision no
016/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Bilé Olivier Anicet (Union pour la Fraternité et la Prospérité UFP) c/
ELECAM.
101
Ibid
102
Décision no 16/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Bilé Olivier Anicet, op. cit
103
Décision no 25/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Dame Massu Talom Joséphine (suppléante SDF Mifi)
c/ SDF, ELECAM, MINAT

278
requêtes dans les affaires Sieur Foulla Dambaldi104, FNSC105, HON. Mbah – Ndam Joseph106
Par ailleurs, le Conseil fait courir le délai de deux jours pour lui porter les contestations et
réclamations, non à partir de la notification de l’acceptation ou du rejet de la candidature, mais
le lendemain de la publication de la liste de candidat par ELECAM107. Dans le second cas, le
Conseil rappelle à l’occasion du contentieux des élections sénatoriales l’article 133 du Code108
qui prévoit le délai maximum de 72 heures à compter de la date du scrutin109. Il en va de même
du contentieux des élections législatives. Il a estimé dans l’affaire Wantou Siantou Lucien
(RDPC) que le scrutin s’étant clôturé le 9 février 2020, le délai prescrit courait jusqu’au 12
février 2020 à minuit et qu’en saisissant le Conseil le 14 février 2020, le requérant était
forclos110. Ces différents délais ne sont pas francs, cela signifie qu’est pris en compte le dies a
quo qui correspond au jour de la publication de la liste des candidatures ou à celui de la clôture
du scrutin et le dies a quem qui est le dernier jour des délais. Le Conseil ne s’est pas prononcé
sur les jours fériés, ni sur les délais de distance. S’il a été mitigé sur les conditions liées à la
requête, il se montre en revanche tranché, strict sur les conditions liées aux procédures du
contentieux. Que ce soit sur les règles générales de droit que sur celles qui lui sont spéciales, Il
s’agit en réalité de deux principes qui dérogent aux principes universels de droit : l’un concerne
la forme de la procédure, l’autre sur le caractère public de celle-ci
Sur la forme, le caractère écrit de la procédure obéit à une exigence légale. Toutefois en
matière électorale, le Conseil admet des débats succincts. Le corollaire du caractère écrit de la
procédure est que le requérant ne peut pas à l’occasion des débats, en matière électorale
notamment, soulever des moyens nouveaux différents de ceux qui constituaient la quintessence
de sa requête. Le Conseil a eu à préciser que le cadre du procès étant fixé par la requête
introductive d’instance, tout moyen nouveau par rapport à celle-ci, ne saurait donc être admis111.
Cette obligation de respect du contenu de la requête initiale s’impose non seulement à l’auteur
de celle-ci, mais aussi à l’organe chargé de la gestion des élections (ELECAM). Ainsi, dans
l’affaire Kameni Djouteu, ELECAM qui avait rejeté la liste du parti UDT dans le Wouri-Est
pour défaut de paiement de cautionnement, tenta pendant les débats d’ajouter un nouveau
moyen de rejet (non-respect de la composante sociologique), mais le Conseil estima que cette
allégation n’était qu’une échappatoire, la notification faite au requérant ne mentionnant que le
seul « défaut de paiement de la caution ». Ce faisant, le Conseil affirma une règle fondamentale
de la procédure : « l’immutabilité de la demande ». Cela démontre que la procédure devant le

104
Décision no 24/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Foulla Dambaldi (RDDRC) c/ ELECAM et
MINAT.
105
Décision no 01/CC/SRCER du 04 février 2020, Front pour le Salut National du Cameroun c/ ELECAM MINAT
et ANDP.
106
Décision no 027/CC /SRCER du 25 février 2020, HON. Mbah – Ndam Joseph
107
Décision no 19/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Egono Valentin
108
L’article 133 du Code électoral prévoit que : « toute contestation formulée en application des dispositions de
l’article 132 ci-dessus doit parvenir au Conseil constitutionnel dans un délai maximum de 72 heures à compter de
la date de clôture du scrutin ».
109
Décision no 10/CE/CC/2018 du 3 avril 2018, Mbem Jean Delors (Président du parti politique ESDC) c/
ELECAM et autres partis en compétition.
110
Décision no 02/CC/SRCER du 24 février 2020, Sieur Wantou Siantou Lucien (RDPC) c/ ELECAM MINAT
UMS ; v. aussi décision no 09/CC/SRCER du 24 février 2020, Sieur Ottou Dimi (ANDP) c/ ELECAM MINAT
RDPC ; décision no 12/CC/SRCER du 24 février 2020, Sieur Kingue Paul Eric (MPCN) c/ ELECAM et MINAT.
111
Décision no 07/CE/CC/2018 du 19 mars 2018, Sieur Tchatchouang Paul (sénateur SDF) c/ RDPC et ELECAM

279
Conseil est essentiellement écrite et les débats succincts permettent seulement d’étayer les
moyens développés dans les écrits et non d’ajouter de nouveaux moyens112.
Sur la publicité, le Conseil a eu l’occasion de rappeler sur la base de l’article 64 de loi
2004/004, que : « Les débats ne sont pas publics, sauf en matière électorale et référendaire.
Toutefois, les décisions du Conseil constitutionnel sont rendues en audience publique ». Il faut
distinguer la publicité des débats de la publicité des audiences. Le Conseil constitutionnel a eu
à appliquer le principe du huis clos des débats (l’exception de ce principe étant la publicité de
ceux-ci) dans des matières autres que le domaine électoral et référendaire113. Le principe de la
publicité des audiences est par contre invariable. Il s’applique quel qu’en soit le type de
contentieux devant le conseil. La procédure devant le Conseil est en principe écrite et l’audience
se tient à huis clos ; elle est contradictoire114 ; la preuve d’un fait (dans le contentieux électoral
notamment) appartient à celui qui l’allègue. Tout à côté il y a l’exigence du « actiori incombit
probatio ».
Ce principe découlerait en matière électorale de l’article 130. alinéa 4 du Code. Il
implique le rejet de toute requête qui ne serait pas appuyée par des preuves suffisantes fournies
par le demandeur115. Ces preuves peuvent être des documents officiels ou des copies, des
constats d’huissier, des indices… Dans l’affaire Sieur Kum Ane Ihims, le Conseil rappelle la
règle fondamentale suivant laquelle, il appartient à celui qui allègue un fait d’en rapporter la
preuve116. Il déboute un requérant qui affirmait que le candidat Biya Paul, pour l’élection
présidentielle n’est pas éligible pour avoir utilisé de façon interchangeable les noms Paul Biya
et Biya Paul. Le Conseil estima toutefois que cette affirmation n’était étayée par aucune
preuve117. Il en va de même d’une requête qui laissait entendre que l’un des candidats de la liste
RDPC dans la circonscription de la Mezam Sud aurait été condamné à six ans de prison par une
décision devenue définitive d’une juridiction située à Douala. Il a également rejeté une requête
qui faisait valoir que les candidats (titulaire et suppléant) étaient issus de la même origine
sociologique et géographique, sans que le requérant ne fournisse la preuve de ses allégations118.
Il en va également lorsque la preuve fournie est insuffisante. Ainsi en a jugé le Conseil à propos
d’un requérant qui affirmait que le candidat d’une liste a deux filiations, fournissant au soutien
de ses déclarations deux récépissés de carte d’identité supposés appartenir au mis en cause. Le

112
Décision no 30/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Kameni Djouteu c/ ELECAM et MINAT
113
Décision no 01/CC/SG/G/SDAC du 9 juillet 2020, Union Générale des Travailleurs du Cameroun, op. cit.,
décision no 01/SCA/G/SG/CC du 27 février 2019, Sieur Mba Gibson Njey Tegha, op. cit., décision no
03/SCA/G/SG/CC du 27 février 2019, Sieur Nnomo Joachim, op. cit. ; décision no 04/SCA/G/SG/CC du 27 février
2019, Dame Bikie Jeannine, op. cit., décision no 01/SCCL/G/SG/CC du 10 janvier 2019, Sieur Ekouda Darius
Mesmin, op. cit., décision no 01/CC/CT du 14 octobre 2020, Sieur Jonathan NTI,
114
Selon l’article 57 de la loi organique 2004/004 : « La procédure devant le Conseil constitutionnel est écrite
gratuite et contradictoire ».
115
Décision no 13/SRCER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Social Democratic Front (SDF) and Paul Nji
Tumasang vs ELECAM, CPDM and Kumase Simon Powoh ; v. aussi décision no 18/SRCER/G/SG/CC du 19
décembre 2019, CPDM and Abe Michel Ndra vs ELECAM, SDF, Chenu Eugene Wachu et Manu Roseline Mwabe
; décision no 21/SRCER/G/SG/ CC du 19 décembre 2019, Sieur Chiya Zok Raymond c/ RDPC, ELECAM et
MINAT.
116
Décision no 12/G/SRCER/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Kum Ane Ihims c/ ELECAM et RDPC
117
Décision no 35/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, SDF and Paul Nji Tumasang, op. cit. ; Décision no
26/CC/SRCER of the 25 February 2020, Mrs. Fritz Ngeka Etoke c/ CPDM, ELECAM, MINAT
118
Décision no 18/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, CPDM and Abe Michel Ndra c/ ELECAM, SDF,
Chenu Eugene and Manu Roseline

280
Conseil estima que ces documents n’étaient pas suffisants pour prouver l’allégation de double
filiation1119. Le conseil a aussi consacré dans ses procédures l’exception du rejet sans
contradictoire.
En effet, Le caractère contradictoire de la procédure résulte de l’article 57 de la loi
organique. Le Conseil a davantage insisté sur l’exception à ce principe, qui recouvre
l’hypothèse des requêtes manifestement irrecevables. Ainsi dans l’affaire Sieur Ahmadou
Ahidjo120, il rappelle une règle fondamentale de procédure, prévue à l’article 59 alinéa 1er de la
loi organique 2004/004 : « Lorsque la requête est manifestement irrecevable, le Conseil
constitutionnel statue par décision motivée sans instruction contradictoire préalable121. » Il
applique cette règle en matière électorale et dans d’autres domaines aussi (à propos d’un
requérant d’une association, un avis au Conseil constitutionnel122, à propos de la contestation
de la constitutionnalité de certaines dispositions du Code pénal123, ou d’un citoyen demandant
le rétablissement de ses droits constitutionnels124, ou bien encore à propos d’une demande
d’arbitrage d’un conflit d’attributions adressée individuellement par des citoyens au Conseil125.
Le conseil est aussi soumis aux principes de la bonne administration judiciaire, la haute
juridiction a consacré également le principe de la jonction des procédures pour une bonne
administration de la justice et le principe de la preuve suffisante. En conformité avec certaine
règles universelles de justice, la haute juridiction a consacré également le principe de la jonction
des procédures pour une bonne administration de la justice. En conformité avec certaine règles
universelles de justice
Le Conseil constitutionnel, au nom du principe de bonne administration de la justice, a
parfois opté pour la jonction des requêtes, de procédure126. En effet, les requêtes présentants un
lien évident de connexité, tant en matière d’élections présidentielles que parlementaires. Il
réalisa la jonction par exemple dans les affaires Eric Nadil et autres127, Baleguet Nkot Pierre,
Bapot Lipot et Dame Ngo Gouet128, UPC et dame Mahob Christine épse Mabe et autres129,

119
Décision no 21/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Chiya Zok Raymond c/ RDPC, ELECAM,
MINAT, v. également Décision no 23/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Bilé Olivier c/ RDPC, MINAT,
ELECAM.
120
Décision no 04/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Sieur Ahmadou Ahidjo, op. cit
121
Cette règle se rapproche de l’article 38 de l’Ordonnance du 07 novembre 1958 sur la procédure devant le
Conseil constitutionnel français, qui prévoit que le Conseil peut sans instruction contradictoire préalable rejeter
les requêtes « ne contenant que des griefs qui manifestement ne peuvent avoir une influence sur les résultats des
élections ». Il en va ainsi lorsque le requérant se contente de dénoncer l’impression des caractères des couleurs sur
les bulletins de vote, alors qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne l’interdit, v. CC, décis. no 2002-
2772 AN, 25 juillet 2002, Ardèche, 3e. Pour les autres cas, v. CC, décis. no 2002-2683 AN, 25 juillet 2002, Puy-
de-Dôme, 3e ; CC, décis. no 2002-2730
122
Décision no 01/CC/SG/G/SDAC du 9 juillet 2020, Union Générale des Travailleurs du Cameroun,
123
Décision no 01/SCCL/G/SG/CC du 10 janvier 2019, Sieur Ekouda Darius Mesmin c/ président de la République
et autres,
124
Décision no 01/CC/CT du 14 octobre 2020, Sieur Jonathan NTI c/ Le président de la République et autres
125
Décision no 01/SCA/G/SG/CC du 27 février 2019, Sieur Mba Gibson Njey Tegha,
126
ROUVILLOIS (F), Droit constitutionnel 2. La Ve République, 3e éd., Paris, Flammarion, 2009, p. 281.
127
Décision no 17/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Eric Nadil et autres c/ ELECAM et MINAT
128
Décision no 32/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Baleguet Nkot Pierre et autres,
129
Décision no 31/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, UPC et dame Mahob Christine épse Mabe et autre

281
HON. Ndong Larry Hills and 10 oders130, et dans l’affaire subséquente HON. Fusi Naamukong
Wilfred Aziya et 11 autres131. Et enfin le désistement du requérant et acquiescements
Concernant, le principe du désistement du requérant et acquiescement de la partie
adverse, le Conseil a admis, toujours dans la perspective de rendre justice au demandeur, la
possibilité du désistement. Il aura ainsi jugé dans l’affaire UNDP, la demande de radiation
régulière en la forme, et donne acte au requérant de son désistement132. Il rappelle dans l’espèce
Sieur Mbeh Babot Hermann que les désistements se font par simple lettre adressée au Président
du Conseil constitutionnel133. Il a également admis des acquiescements, dans des cas mettant
en cause les erreurs, omissions, intervertissements des noms des candidats par ELECAM. Dans
ces affaires, l’organe en charge des élections a tout simplement dans ses écritures ou pendant
les audiences admis les erreurs signalées par les requérants, ce qui a permis au Conseil de
déclarer les prétentions des requérants recevables et fondées134 (il donne acte en pareille
hypothèse à ELECAM de sa décision de se conformer aux réclamations du requérant, en
indiquant dans le cas du non-respect de l’ordre des candidats sur les listes, le bon ordre à suivre).
En définitive, si l’on excepte le principe de gratuité dont l’universalité semble acquise,
les règles du conseil constitutionnel se résument en quatre grands principes régissant la
procédure : le principe de la procédure écrite et du huis clos, le principe de la procédure
contradictoire, le principe de la bonne administration de la justice, qui amène le Conseil à
décider de la jonction des requêtes, et le principe de la preuve. Il s’agit des principes qui à
l’évidence admettent des exceptions, que le Conseil constitutionnel s’est évertué à affiner.
Parmi les instruments de garantie des droits du requérant dans le contentieux électoral, nous
avons aussi les instruments administratifs.
b- Les instruments administratifs de garantie de la justice électorale au Cameroun
Sur le plan des élections locales, et du contentieux de l’électorat, le requérant dispose de
deux instruments ; du juge administratif et des instruments non- juridictionnels comme le
conseil électoral, et les commissions électorales. En effet, ne dit-on pas que les élections locales
sont les élections administratives de natures politiques135 ? En effet, en matière de contentieux
de l’électorat, la compétence du juge administratif est reconnue en appel par le code électoral
notamment en son art.73al.4. En effet, le contentieux des élections locales est constitué pour
l’essentiel des contestations portant sur l’élection des organes délibérants des collectivités

130
Décision no 29/CC/SRCER du 25 février 2020, HON. Ndong Larry Hills and 10 others vs ELECAM et 5 autres
131
Décision no 31/CC /SRCER du 2 avril 2020, HON. Fusi Naamukong Wilfred Aziya et 11 autres c/ ELECAM et
2 autres.
132
. Décision no 05/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Le Président national de l’Union Nationale pour la Démocratie
et le Progrès (UNDP) c/RDPC et ELECAM
133
Décision no 19/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Mbeh Babot Hermann c/ Agbwah Ntiba Eric
134
. Décision no 11/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Younouss Songui c/ ELECAM et MINAT,
décision no 08/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Abba Alim c/ ELECAM et MINAT ; décision no
09/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Biba François c/ ELECAM et MINAT ; décision no
09/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Dame Douvaouissa Aissa Hamadi c/ ELECAM et MINAT ; décision
no 20/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Libii Li Ngue Ngue Cabral c/ ELECAM et MINA, décision
no 14/ SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Mangagap Paul c/ ELECAM et MINAT. Décision no
22/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sieur Ngnoheu Symplice c/ ELECAM et MINAT.
135
Sur l’ensemble lire ROBBE (F) Le contentieux des élections locales, P.4-5 Voir aussi conseil d’état, 12 février
1990 n107764 Election municipale menton

282
territoriales décentralisées. Il englobe aussi les opérations de désignations des exécutifs locaux.
Quoiqu’il en soit, le requérant ici qui est appréhendé par le code électoral comme tout électeur
toute personne ayant la qualité d’agent du gouvernement pour l’élection et lui confère la
compétence de réclamer l’annulation des opérations électorale dans la commune ou la région
concernée devant les juridictions administratives compétentes. Les contestations se font dans
les 5jours à compter de la date de la proclamation des résultats. Les commissions de
supervisions qui peuvent être soit communale pour les élections municipales ou régionales pour
le compte des élections régionales. La juridiction administrative compétente dispose de 40jours
à compter du jour de sa saisine pour rendre son verdict. La saisine du juge administratif n’est
PAS suspensive puisque l’élu dont l’élection est querellée reste en poste jusqu’à ce que
l’autorité de la chose jugée soit acquise ici136. Mais la véritable question est de savoir si le juge
administratif, technicien de la légalité des normes par nature peut-il s’accommoder des
exigences particulière du contentieux des élections locales dont le caractère politique a été
affirmé par le conseil constitutionnel français dans sa décision « quota par sexes » de 1982137 .
En effet, jusqu’ici, le juge administratif s’est plutôt montré hardi à protéger la loi au détriment
de l’élection elle-même138. Sa saisine se fait sur simple requête et intervient dans les 5 jours à
compter de la proclamation des résultats par la commission de supervision. Il peut prononcer
l’annulation soit complète ou partielle de l’élection.
Il se dégage de l’analyse ce qui précède que le droit d’accès à la justice électorale au
Cameroun est juridiquement consacré. D’une part par les textes internationaux qui sont
incorporés aux lois internes, qui eux même affirment le droit à la justice électorale appuyé en
cela par la jurisprudence abondante et constante d’autres part. Mais cependant en tant que droit
fondamental et garantie des autres droits, il subsiste des subtilités qui limitent encore
considérablement l’accession à une justice électorale de qualité

II- UN ENCRAGE DIFFICILE ET SUBTILEMENT LIMITE DE LA JUSTICE


ELECTORALE.

Pour l’effectivité des droits 139 comme l’affirme le doyen Gérard COHEN –JONATHAN,
« le droit au juge » impartial est devenu « un élément essentiel (…), le noyau dur des droits de
l’homme, véritable jus cogens qui s’impose à tous les Etats dans une société démocratique »140.
En effet, les limites de l’accès à la justice électorale peuvent s’appréhender à partir des critères
structurels des juridictions électorales (A) d’une part et les limitations fonctionnels du conseil
constitutionnel (B) d’autre part.

136
Art. 195. Code électoral. Voir aussi Arrêt Imbeng David / Etat du Cameroun et Ngandep Njantou Nazaire
Brolin. Exécutif municipal de la commune de makénéné élection municipale 2020
137
Cons. Cons. Déc. n82-146 DC du 18 novembre 1982, rec. cons.cons.1982, P. 66
138
Au détriment la sincérité de l’élection
139
GARRIDO (L) le droit d’accès au juge administratif. Enjeux ; progrès et perspectives Thèse pour le Doctorat
en droit, Université Montesquieu-Bordeaux IV, novembre 2005 p.4
140
COHEN-JONATHAN G « le droit au juge », in liber amicorum jean waline, gouverneur, administrer, juger,
Dalloz, paris ; 2022, P.476

283
A- Les limitations structurelles des juridictions électorales.

Comme l’a écrit le professeur Patrick Edgard ABANE ENGOLO à la suite de Francis
HAMON ; le pouvoir arbitraire des dirigeants et l’absence de garantie des libertés les plus
élémentaires est le contraire de l’Etat de droit141. Peut-on donc, au regard de cette description
affirmer l’absence de l’état de droit en matière de justice électorale au Cameroun ? Assurément
il faudra nuancer notre réponse du fait de l’effectivité du fonctionnement des institutions qui
garantissent la justice électorale au Cameroun. Mais, il faut relever dans leur structuration, et
leur fonctionnement quelques failles. Sur ces points, des limites à la justice peuvent être
relevées. En effet, si le droit d’accès à la justice suppose entre autres, l’existence d’une
juridiction. Celle-ci doit être organisée de telle sorte que le justiciable ne rencontre pas de
difficultés décourageantes ou de nature à annihiler ce droit. Pour être plus concret, il subsiste
des doutes du fait de la méthode de mise en place des institutions électorales camerounaise. En
plus par leur fonctionnement, elles laissent planer comme une insécurité juridique sur les lois
électorales camerounaises. Entrons dans notre développement par la sincérité douteuse du juge
et nous sortirons par le spectre de l’insécurité juridique.

1- La sincérité douteuse du juge électoral


Le regard porté sur la justice doit être sans aucun préjugé sur l’éventualité d’une
partialité ou d’une dépendance142. En effet, la viabilité et la fiabilité des organes de conception
et de garantie du droit sont des prérogatives au titre de garantie des droits institués dont le défaut
entraine le doute sur la qualité du Droit. Et de ce fait, le doute même de la sincérité du juge. En
effet, le doute de la sincérité du juge électoral découle ici de la suspicion de sa filiation au
pouvoir exécutif qui détient malgré tout jusqu’ici le pouvoir de nomination des membres du
conseil constitutionnel et de son renouvellement illimité et de façon discrétionnaire. Il en va de
même des membres d’Elecam143 (élections Cameroun), dont les mandats sont tout aussi
infiniment renouvelables que ceux des conseillers constitutionnels. Sans faire de fixation sur le
soupçon de manquement au devoir d’ingratitude du juge constitutionnel africain
surabondamment développé par la doctrine, il se trouve un autre facteur de doute : il s’agit de
la méconnaissance de certaines règles de procédures judiciaires, à l’instar de la négation de la
possibilité de récusation de tout ou partie du conseil constitutionnel.
a- La suspicion du manquement au devoir d’ingratitude du juge électoral aux
pouvoirs constitués.
Les membres du conseil constitutionnel sont nommés par le président de la république
de la façon suivante : trois par le président de la république, trois sur proposition du président
du sénat après avis du bureau, idem pour l’assemblée nationale. Et deux sont proposés par le
conseil supérieur de la magistrature. Antérieurement, leur mandat était de neuf ans non

141
ABANE ENGOLO (P. E). « La notion de qualité du droit. », Revue africaine de droit et science politique op
cit. p .89
142
NGUELE ABADA (M.), « La réception des règles du procès équitable dans le contentieux de droit public »,
Juridis Périodique, n° 63, juillet août-septembre 2005, p. 21.
143
Elecam est l’organe en charge de la gestion des élections au Cameroun cf. article 4 et suivants du code
électoral

284
renouvelables jusqu’à la modification de loi n2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation
et fonctionnement du conseil constitutionnel. On aurait pensé que le caractère non renouvelable
du mandat conférerait à son détenteur une certaine indépendance vis à vis des pouvoirs
constitués que sont l’exécutif, le législatif et le judicaire.
Pour moins de suspicions, monsieur Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU144 propose
une piste de solution. Selon l’imminent professeur de droit public, le constituant camerounais
aurait pu éviter toutes ces controverses et autres spéculations, en mettant sur un pied d'égalité145
les autorités investies du pouvoir de nomination des membres du Conseil constitutionnel.146 En
y introduisant une clause de compétence liée vis-à-vis du président qui serait tenu de rendre
public les choix et propositions des autres autorités de désignation des conseiller
constitutionnels, et serait tenu de ce fait de les nommés. Mais la vérité est qu’il détient seul
malgré tout le pouvoir de nomination et reconduction au mandat de conseiller constitutionnel.
Ce qui n’est pas sans laisser des interrogations sur un devoir de loyauté de ces sages vis-à-vis
du président de la république. En claire, dans le contexte camerounais non seulement le
président doit signer le décret de nomination « dans le silence des murs de son palais à
Etoudi »147. Mais aussi, et c’est cela qui nous intéresse au plus haut chef, il n’est aucunement
lié par les propositions qui lui sont faites. En plus, non seulement le président de la république
préside le conseil supérieur de la magistrature, d’une part, il a d’autre part un grand pouvoir
d’influence sur l’élection du président du sénat148 idem pour celui de l’assemblée nationale qui
jusqu’ici sont tous membres de son parti politique149. Ne serait-ce que sur le plan légal, par le
pouvoir d’investiture150 qu’il détient et qu’il exerce au travers du secrétaire général du comité
central au sein de ce parti politique. Plus loin, il détient une marge de trente pour cent (30%) de
sénateur à nommer, desquels est venu le tout premier président de cette institution. Il va donc
sans dire que ces juges, tous nommés par le chef de l’exécutif sont tenu par un devoir
d’ingratitude vis-à-vis de ce dernier pour une probité certaine dans l’exercice de leurs fonctions.
Par ailleurs, même si de grands efforts sont notables à travers la nature du statut
permanent d’Elecam. Car, nous avons encore en souvenir ces mots du professeur DONFACK
SOKENG qui notait la « faible capacité institutionnelle d’une institution à fonctionnement
intermittent, dont l’absence de professionnalisation aura considérablement handicapé la
qualité du processus électoral »151 camerounais, cette institution jouit du même moyen de mise

144
ATANGANA AMOUGOU (J-L) « la constitutionnalisation du droit en Afrique : l'exemple de la création du
conseil constitutionnel camerounais » Essai In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 19-2003, 2004.
Constitution et élections – La loi. pp. 45-63;L'histoire des Cours constitutionnelles a connu un double
développement l.
145
Lire la Constitution française de 1958, en son article 56 institue l'égalité des autorités investies du pouvoir de
nommer les membres du Conseil constitutionnel, au nombre de neuf, les juges sont nommés à raison de trois dont
le président du Conseil par le Président de la République, trois par le Président de l'Assemblée nationale, trois par
le Président du Sénat.
146
Lire à ce propos M. DUVERGER, Bréviaire de la cohabitation, PUF, 1986 et M-A COHENDET, La
cohabitation : leçons d'une expérience, PUF, 1993-
147
. KANKEU (J) op cit p76
148
Le président actuel du sénat monsieur NIAT Marcel a été choisi parmi les tarentes sénateur nommé et investit
par le groupe parlementaire RDPC (parti du président de la république)
149
Le rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC)
150
L’investiture est une condition très importante dans le dossier de candidature des élections municipales
législatives et dans une partie de la désignation des membres du sénat (les 70 membres élus)
151
Interview donné au journal Cameroun tribune (quotidien à capitaux publics camerounais)

285
en place, c’est-à-dire : la nomination exclusive, illimitée et discrétionnaire du président de la
république. Ainsi, les mêmes reproches lui être fait. Malgré tout, la présence de ces institutions
marque une avancée majeure du système électoral camerounais. Quid de la négation du droit
de récusation du juge constitutionnel ?
b - L’affirmation prétorienne équivoque de la négation du droit de récusation du
conseil constitutionnel
La négation du droit de récusation du juge constitutionnelle peut se lire ici par une hâtive
conclusion de la doctrine à dénier de fondement juridique à un certain nombre de pan du droit
devant le conseil constitutionnel, comme l’ensemble du contentieux des droits fondamentaux.
Puisque les professeurs LEKENE DONCFACK, NGANGO YOUMBI, et TSOLEFACK
AWAFA affirment que ; «le contentieux des droits fondamentaux demeure simplement interdit,
faute de fondements explicites»152.En effet si, les récusations du juge constitutionnel
connaissent sur d’autres cieux, à l’instar de la France ou même de l’Espagne, un ancrage
certain153, puisque la prescription de l’exigence d’impartialité des juridictions ou des juges est
en filigrane une prescription par défaut du droit de contester la partialité des juges ou de la
juridiction par la voie des procédures indiquées en apportant la preuve, c’est donc une sorte de
principe non forcément expressément formulé154. C’est « une condition sine qua non du système
juridique entier »155, une « exigence constitutive d’un procès équitable »156, comme l’affirmait
Marie-Anne FRISSON-ROCHE, qui s’impose à tout système juridictionnel et par rapport à la
dynamique de la fonction contentieuse157
Mais, la récusation des membres du Conseil constitutionnel camerounais semble
impossible dans la pratique « faute de fondement juridique explicite » interne au Cameroun. En
effet, dans sa décision no 024155, Maurice Kamto, introduite par les Avocats de monsieur
KAMTO, il était requis la récusation de certains membres du Conseil ayant à l’avis du
requérant, des affinités avec le parti au pouvoir (RDPC) et de certains Conseillers exerçant des
fonctions jugées incompatibles avec le statut de membre du Conseil constitutionnel ; il
sollicitait également le dessaisissement conséquent du Conseil au profit d’une autre juridiction
dans la recherche d’une justice impartiale. Le Conseil estima que « la résolution de ces deux
demandes n’était pas prévue par les textes régissant son office, d’autant plus que le Règlement
intérieur était inexistant. Il souligna que la loi organique no 2004/005 du 21 avril 2004 portant
Statut des Membres du Conseil constitutionnel modifiée par celle no 2012/016 du 21 décembre
2012 n’a pas expressément prévu la possibilité de récusation, ni de dessaisissement. L’auguste
institution invoqua néanmoins l’article 18 de cette loi, qui prévoit la destitution d’office d’un
de ses membres par le Conseil, ou à la demande de l’autorité de nomination, avant de conclure

152
LEKENE DONFACK (É. C)., NGANGO YOUMBI (É.M), TSOLEFACK AWAFA (É. W). « Chronique de
jurisprudence du conseil constitutionnel camerounais (2018 à 2020) »Presses Universitaires de France | « Revue
française de droit constitutionnel » 2022/1 N° 129 | pages 207 à 241
153
PERLO, (N). « Les premières récusations au Conseil constitutionnel : réponses et nouveaux questionnements
sur un instrument à double tranchant »,
154
RAINAUD (J-M.), op.cit., p. 36.
155
Cité par COLLET(P), « La conception de l’impartialité du juge par la Chambre criminelle de la Cour de
Cassation », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 2016/3, n°3, p. 486.
156
Cite par Ph. COLLET, op.cit.,p. 486.
157
ABA’A OYONO (J.-C) ., op.cit., p. 226.

286
que M. Kamto n’étant pas une autorité de désignation, n’a pas qualité pour initier la destitution
des membres du Conseil. Si la question venait à se reposer, elle trouverait une solution dans le
Règlement intérieur du Conseil qui pose clairement l’impossibilité de récuser les membres du
Conseil158. Si, la qualité pour agir directement devant le juge constitutionnel comme devant tout
juge, ne se confond pas à la qualité pour agir face aux questions incidentes devant ce dernier,
puisqu’ en effet, le requérant ne se prévalait que de sa qualité de candidat pour agir dans le cas
d’espèce. En effet, faut-il le préciser, la qualité pour agir relativement à une question incidente
telle la récusation ou même la suspicion légitime ne dépend pas seulement de l’acquisition du
droit de saisine du juge constitutionnel, elle est encore subordonnée à la qualité de partie au
procès. Quoiqu’il en soit le droit de récusation du juge est un droit fondamental aux fondements
juridiques avérés. Citons à titre illustratif, l’article 7 al. 1 (d) de la Charte africaine des droits
de l’homme et des peuples prescrit que la cause de toute personne soit entendue devant une
juridiction impartiale dans un délai raisonnable. Il en est de même de l’article 14 du Pacte des
Nations Unies relatifs aux droits civils et politiques qui prescrit le droit pour toute personne
d’être entendue « équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et
impartial, établi par la loi, qui décidera […] des contestations sur ses droits et obligations »159.
Pour ainsi dire qu’en ratifiant ces textes, le Cameroun s’est engagé au niveau international à la
mise en place des juridictions indépendantes impartiales. Mais dans le cas de figure, le juge
constitutionnel semble les avoir oubliés, sinon ignorés dans la conduite de son raisonnement.
Peut-on y voir, pour faire écho à une expression chère au professeur Jean-Calvin ABA’A
OYONO, une sorte de « myopie volontaire visant à distiller une machination sur fond de droit
ou alors simple dérapage dans la conduite de la procédure contentieuse ? »160. Nous voulons
croire ici à un simple dérapage découlant de la jeunesse de cette institution juridictionnel. Si le
juge n’a semblé s’en tenir qu’aux différentes lois ; organique, de 2004 sur l’organisation et le
fonctionnement du Conseil constitutionnel161 , et sur le statut de ses membres162 lesquelles ne
priment nullement sur les engagements internationaux du Cameroun conformément aux articles
44 et 45 de la Constitution, c’est le lieu d’affirmer que les textes internationaux précités fondent
effectivement le droit de récuser le juge constitutionnel ou d’initier une procédure de suspicion
légitime en cas de doute sur l’impartialité de n’importe quelle juridiction ou de n’importe quel
juge. Et par extension donne un fondement juridique à l’ensemble du contentieux des droits
fondamentaux, et plus précisément à la justice électorale. « C’est le moment de nous souvenir
que le droit constitutionnel tout entier est pour la garantie des libertés »163 affirmait Maurice
HAURIOU. L’insécurité juridique constitue tout aussi une limitation majeure à l’accès à la
justice électorale.

158
Art. 41 al. 1er du Règlement Intérieur du Conseil (op. cit.) dispose : « Les Membres du Conseil
constitutionnel sont irrécusables ».
159
Voir aussi article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
160
ABA’A OYONO (J-C), « Cour suprême du Cameroun, Chambre administrative, 07 décembre 2000, MAMA
BILOA Sandrine c/ Université de Ngaoundéré », Afrilex, n° 5, Bordeaux, 2006, p. 226.
161
Loi n°2004/004 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel
162
Loi n° 2004/005 du 21 avril 2004 portant statut des membres du Conseil constitutionnel modifiée par la loi
n°2012/016 du 21 décembre 2012
163
HAURIOU (M) Précis de droit constitutionnel op cit, P.702

287
2- Le spectre de l’insécurité juridique.
L’insécurité juridique s’appréhende ici au travers du bégaiement du législateur et d’une
intelligibilité douteuse de certaines normes électorales
a- Le bégaiement du législateur en matière électorale
Le bégaiement du législateur s’appréhende par la fébrilité normative de mise en place
institutionnelle des instruments de garantie des droits fondamentaux en matière de démocratie
au Cameroun. En effet, on peut aisément constater que le législateur s’est rebiffé par deux fois
au moins dans la mise en place des organes en charge de la protection du processus électoral,
en modifiant deux lois majeures avant même leur entrée effective en vigueur. Il s’agit de la loi
portant organisation et fonctionnement du conseil constitutionnel notamment sur le point de la
durée et du renouvellement de mandat des conseillers constitutionnels et sur la loi portant
création, organisation et fonctionnement d’Elecam, dans le cadre de ses fonctions de
publication des tendances. Ce qui n’est pas sans jeter du discrédit sur la qualité des normes
électorales. Pour tout dire, ces tâtonnements répétitifs du législateur étendent de la suspicion
sur la qualité des décisions que rendront ces institutions, desquels dépend la sincérité des
scrutins.
En effet, pour ce qui est de la loi organique du conseil constitutionnel, la longue durée
du mandat et son non renouvellement, aurait sans doute permis aux sages de la république de
travailler dans la sérénité. Le professeur KANKEU Joseph, affirma d’ailleurs que cette longue
durée leur permettrait de travailler sans précipitation pour élaborer un travail sérieux empreint
d’une certaine autorité164. Mais, nous nous posons néanmoins la question à la suite du
professeur François LUCHAIRE, question qu’il s’était d’ailleurs posé en 1980 à propos du
conseil constitutionnel français à savoir ; « l’impossibilité de recevoir un nouveau mandat est-
elle définitive ? Ou, faut-il au contraire, comprendre cette notion comme s’opposant à un
renouvellement immédiat ? »165. Même si la réponse n’est pas évidente, car l’affirmer de façon
tranchée serait très risqué et même périlleux. Puisse que, les deux interprétations sont d’ailleurs
défendables. Mais malheureusement, ou peut-être heureusement pour nous puisque, le
Cameroun aurait pu faire face à deux problème majeurs, en l’occurrence celui de la continuité
et de l’évolution du conseil constitutionnel. Car son président, autant que la totalité de ses
membres ont été nommés par deux décrets certes, mais datés du même jour166. Puisse que la
constitution camerounaise n’avait pas repris celle de la France de la Ve République, en son
article 56167, qui dispose que ; les membres du Conseil constitutionnel sont nommés pour neuf
ans. Le renouvellement se fait par tiers tous les 3 ans, assurant ainsi à la fois la continuité168 et

164
KANKEU (J.) op cit p76
165
. LUCHAIRE (F) le conseil constitutionnel paris, Economica, 1980 p .66.
166
Toutefois, le principe de renouvellement du Conseil en totalité tous les neuf ans imaginé par le constituant
camerounais n'est pas sans soulever quelques interrogations. En effet, ne risque-t-on pas des ruptures de méthodes
à chaque fin de mandat, provoquant ainsi une discontinuité dans la jurisprudence constitutionnelle ? Etant donné
qu'un membre qui quitte ses fonctions en cours de mandat pour cause de décès ou démission est remplacé par un
autre qui achève simplement le mandat entamé, le seul membre qui est susceptible d'assurer la continuité de
l'institution est l'ancien ou plutôt les anciens Présidents de la République, membres de droit. Le moins qu'on puisse
dire est qu'actuellement le Cameroun n'en compte pas. Par conséquent, l'institution constitutionnelle camerounaise
risque d'être victime de rupture ou de dysfonctionnement à chaque renouvellement de ses membres.
167
Art. 56. Constitution française
168
En évitant le départ le même jour de tous les membres du conseil constitutionnel

288
l'évolution169 de l'institution. Cette question ne se pose plus dans le contexte camerounais. Car,
depuis le 21 décembre 2012, le mandat des conseillers constitutionnels est de 6 (six) ans et il
est renouvelable170. En effet, avant même sa mise en place effective en 2018, cette clause avait
été modifiée par la loi portant modification n° 2012/015 du 21 décembre 2012 .En effet,
préalablement, la loi organique de 2004 disposait en son article 7(1) que « le conseil
constitutionnel comprend 11 membres désignés pour un mandat de 9 ans non renouvelable. Les
membres du conseil constitutionnel portent le titre de conseiller constitutionnel ».
Quoiqu’il en soit, si en réalité la garantie « qu’un peuple libre se reconnait à ce que sa
constitution, c’est à dire l’ensemble de ses lois constitutives, ne peut être changée sans son
consentement »171, la volonté générale indestructible … au contrat social » 172 impose que le
peuple, si tant est vrai qu’il est à la base de la production normative, qu’il maitrise son inflation.
Puisque l’exigence de qualité oblige l’organe en charge de concevoir les normes qu’elles soient
certaines, qu’elles soient stables pour éviter des modifications fréquentes, brusques et
inattendues. En effet, Les normes ne doivent pas avoir une vie juridique éphémère. Mais, la
révision de la loi portant création, organisation et fonctionnement d’Elecam dans le cadre de
ses fonctions de la publication des tendances, tout comme celle qui disposait du non
renouvellement de mandat des conseillers constitutionnels n‘auront pas fait de vieux os dans
le paysage juridique camerounais. Pour tout dire, elles auront même été des « morts nées »
puisqu’on n’a jamais eu l’occasion d’observer leur application. In concreto, la loi organique
d’élection Cameroun du 29 décembre 2006 fut modifiée avant même son application par la loi
n2011/001 du 6 mai 2011 avant sa première application. car après la mise sur pied effective
d’Elecam en 2008 par les décrets n2008/464 et 465 du 30 décembre 2008, et celui n2008/70
du31 décembre 2008 qui nommaient les premiers membres d’Elecam, le conseil électoral
n’aura jamais jouit de la compétence de « rendre public les tendances enregistrées à l’issue des
scrutins pour l’élection présidentielle , les élections législatives, et sénatoriales » qui lui était
dévolu par la section I intitulé « des attributs »(2)A de la loi organique d’Elecam du 29decembre
2006.
Par ailleurs, toujours à l’effet d’illustrer l’insécurité juridique, le législateur camerounais
se sera illustré en matière électorale par la production des lois contradictoires. Ceci est advenu
parfois des textes de loi qui s’opposent, mais aussi parfois dans le même texte. C’est
l’occurrence de la participation de l’électeur au contentieux constitutionnel. Cette occurence
met en évidence la contradiction dans le fond des articles 129, 118, alinéa 2 du Code électoral
et 47 de la loi organique du conseil constitutionnel, contraignant ainsi le juge à opérer des choix
cornéliens. Si par la règle du lex generalis, il aura établit la primeur du code électoral sur la dite
loi organique, en la matière, son choix d’appliquer l’article 129 plutôt que le 118 al 2 du code
laisse tout aussi perplexe. C’est ce qui résulte en tout cas des affaires Mgbamine Mgbamine

169
Par ce changement de trois membres tous les trois ans, le changement est certain puisque le mandat n'est pas
renouvelable. Mais la continuité aussi est assurée.
170
Cf. Art. 7. Loi 2004/004 du 21 avril 2004.
171
ROLLAND(P) la garantie des droits in La constitution de l’an III ou l’ordre républicain texte réunis par
BART (J), CLERE (JJ), COURVOISIER (CL), et VERPEAUX (M), Dijon, EUD, 1998 P. 32
172
ROUSSEAUX (J.J.) Du contrat social, P.175-176.

289
Zacharie173, Bertin Kisob174, Aissatou Dakoudi Tao175, HON. J.M. Nintcheu qui aura
définitivement mis l’électeur hors-jeu du contentieux constitutionnel au Cameroun. En
définitive cette hésitation du législateur contribue fortement à la construction de l’idée d’un
guet-apens sur le chemin du requérant. Mais cette insécurité normative n’est pas le seul critère
qui nous fait penser à une absence de qualité de la justice électorale au Cameroun. Puisque la
loi électorale semble aussi manquer d’intelligibilité.
b- Le spectre de l’absence d’intelligibilité de certaines normes électorales
La célèbre maxime « Nul n’est censé ignorer la loi » lie les destinataires du droit, mais
oblige les émetteurs à la diffusion du droit176. Par contre, le procédé de publicité n’a d’utilité
que lorsque la loi est au préalable, intelligible. Selon FRISSON-ROCHE, « L’intelligibilité du
droit se définit par rapport à la compréhension effective » du texte177. Il s’agit pour l’éditeur de
la norme d’éviter les équivoques et de produire une prescription positive de conduite humaine
qui n’est pas manifestement incompréhensible. Or, ils subsistent dans les textes qui régissent le
contentieux électoral camerounais « des subtilités » que seuls les « Sages du Palais des Congrès
»178semblent détenir la capacité de percevoir et d’en délivrer la véracité. Puisque, le professeur
Etienne Charles LEKENE DONFACK, membre du conseil constitutionnel affirmait que : « les
acteurs politiques, les justiciables et leurs conseils, enclins à soulever hâtivement le grief de
partialité contre la haute juridiction179, là où il ne s’agit bien souvent que d’une
méconnaissance de la subtilité des règles »180. Or, l’intelligibilité de la loi se conçoit aussi
comme « des lois qui sont compréhensibles par une intelligence moyenne »181. Ainsi, le
législateur par l’édiction des normes subtiles semble avoir volontairement changé de destination
à la loi qui, ab initio, fait des particuliers, les destinataires finaux de la norme. Ainsi donc, «
tout requérant potentiel » semble ne plus être au centre de la finalité de la norme en matière
électorale camerounaise. Mais cette finalité apparait ici comme dévolue au juge constitutionnel
qui a seul la capacité d’en démêler les ficelles. Quoiqu’il en soit, Cette exigence, mieux ce
besoin techniciste dans la production des normes électorales n’est pas superfétatoire. Car, son
absence dans certaines règles du contentieux électorale camerounais engendre, à coup, une
insécurité juridique tenant à des écarts dans l’application de cette norme. Et qui, par ce fait,
remet en cause l’accession du requérant à une justice électorale de qualité. Puisque pouvant
déboucher sur une application arbitraire de la loi par le juge électoral.

173
Décision no 03/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Mgbamine Mgbamine Zacharie, op. cit.
174
Décision no 21/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Bertin Kisob, op. Cit (troisième affaire)
175
Décision no 07/SR/CER/G/SG/CC du 19 décembre 2019, Sal Mana Amadou Ali c/ ELECAM, MINAT et
Aissatou Dakoudi
176
AKAM AKAM (A) « libres propos sur l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » RAJS vol 4 n12007, P ; 41.
177
FRISSON-ROCHE (M.A.) BARANES (W) « les principes constitutionnels du contrôle de de l’accessibilité de
la loi » recueil Dalloz 2000, chron, P. 365
178
C’est dans ce sens que le Conseil constitutionnel camerounais a publié un « Guide du requérant » et des
Recueils de décisions (2018, 2019, 2020), en destination du grand public.
179
.MELEDJE, (F. D) « Le contentieux électoral en Afrique », Pouvoirs, 2009/2, no 129, p. 139 à 155
180
LEKENE DONFACK (É. C.), NGANGO YOUMBI,( É/ M.) TSOLEFACK AWAFA (É. W.) « Droit
constitutionnel étranger Chronique de jurisprudence du Conseil constitutionnel camerounais (2018 à 2020) »
Presses Universitaires de France | « Revue française de droit constitutionnel » op cit.
2022/1 N° 129 | pages 207 à 241 P.209
181
GARANT (P) « le contrôle juridictionnel de l’impression des textes législatif et règlementaire du canada » in
l’Etat de droit, Mélange GUY Brabant, Dalloz 1996.p.275.

290
Ainsi, dans ses tentatives récurrentes de lever d’équivoque sur les subtilités de la loi
électorale, le juge aura parfois semblé pris du tournis et entrainer lui-même dans un tourbillon
d’interprétations qui laisse perplexe, du fait de constants revirements de sa jurisprudence,
notamment dans l’occurrence de l’investiture. En effet, en se référant aux textes de loi et dans
le respect de sa jurisprudence constante, le Conseil avait déclaré qu’il est juge de l’éligibilité
des candidats, mais non des investitures. C’est dans ce sens que dans la première affaire qu’il
a rendue182 à l’occasion des sénatoriales, en 2018 il a estimé qu’il ne peut en effet pas, dans le
respect de sa jurisprudence constante, s’immiscer dans le fonctionnement interne d’un parti
politique, les contestations relatives à l’investiture relevant de la gestion interne aux partis. Par
cette décision, le conseil revenait là à ses premiers avis sur la question puisque ceci était son
avis dans les affaires Agbor Ashu Emmanuel Omar c/Etat du Cameroun RDPC et SDF dans
son arrêt du 1er octobre 2004. Par contre, dans son arrêt rendu dans l’affaire Ngouel Mbanga,
le juge constitutionnel, avait fait preuve d’« amnésie » et s’était immiscé dans les affaires
internes du parti Front patriote national et avait affirmé non pas, le défaut d’investiture mais le
défaut de la qualité de l’investiture, estimant que celle-ci émanait d’une autorité incompétente.
Le juge constitutionnel, par cette autre décision de 2018 opérait ainsi un deuxième revirement
sur l’interprétation d’un même fait juridique. Ce qui conduit sans doute à percevoir les décisions
du conseil constitutionnel comme un bégaiement récurant. Au demeurant ces
disfonctionnements structurels participent de la limitation à l’accès à une justice électorale de
qualité. Mais tout à côté, il existe aussi des limitations fonctionnelles

B- Les limitations fonctionnelles du conseil constitutionnel

Les limites fonctionnelles de la justice électorale sont consécutives au fonctionnement


limitatif du conseil qui, à la différence de ses homologues béninois, malgache, gabonais, a
choisi de rester stricto sensu dans le mandat que lui donnent la Constitution et les textes positifs
relatifs à sa compétence. Alors que la justice constitutionnelle est un pan du droit camerounais
où tout ou presque, est à construire. Mais elle s’illustre aussi parfois par des disfonctionnement
processuels qui laissent perplexe

1- Une autolimitation équivoque du juge constitutionnel


Le juge électoral camerounais s’auto limite non seulement par sa grande retenu dans son
rôle de création du droit, mais aussi par son hésitation récurrente
a- La retenu questionnable du juge dans sa fonction prétorienne
Si on peut se féliciter du pouvoir d’injonction183 que s’est constituer le conseil
constitutionnel depuis les élections sénatoriales de 2018. A savoir ; L’injonction en cours
d’instruction. Notamment, dans l’affaire Tchatchouang Paul (Sénateur SDF), où le requérant
estimait que M. Teingnidetio Joseph dont le nom figure sur la liste RDPC pour les élections des
Sénateurs du 25 mars 2018 dans la région de l’Ouest, serait une « personne fictive et inexistante

182
Affaire Saki Lamine op cit.
183
L’injonction est un ordre comminatoire donné à une autorité ou à une personne, d’avoir à faire, à ne pas
faire ou à donner

291
», le Conseil avait ordonné la comparution du sieur Teingnidetio Joseph, candidat titulaire no 7
de la liste RDPC dans la région de l’Ouest, à la diligence dudit parti. Il renvoya la cause au 19
mars 2018 à 11 heures pour continuation des débats184. Le Conseil reconnaît dans la continuité
de cette affaire, l’autorité de la chose jugée, en estimant qu’une question qui a été réglée
précédemment ne pourrait être soulevée à nouveau. À propos de l’existence de M. Jean
Teingnidetio, il souligne très clairement que la question de sa candidature avait déjà été
définitivement réglée à l’occasion du contentieux préélectoral en son audience du 19 mars 2018,
qu’elle ne saurait être à nouveau soulevée185. Il a également consacré le pouvoir de prononcer
des injonctions après décision, pour donner effet utile à ses décisions.
L’on distingue donc deux types d’injonctions après décision : l’injonction de publicité
qui concerne l’ensemble des décisions et par laquelle, le Conseil ordonne de notifier et de
publier la décision, et l’injonction d’exécution par laquelle elle indique de façon claire à l’une
ou aux parties une obligation précise. L’injonction de publicité dans l’ensemble des espèces
rendues, la haute juridiction constitutionnelle fait injonction (à ses services) d’ordonner la
notification immédiate de la décision au requérant en matière électorale, à Elecam lorsqu’il est
en cause et aux parties concernées, ainsi que sa publication au Journal officiel186. Ces exigences
découlent des dispositions de l’article 15 (2) de loi organique 2004/004 et de celles de l’article
131 (3) du Code électoral. Pour l’injonction d’exécution, elle varie en fonction des mesures
envisagées. Les injonctions d’exécution sont adressées essentiellement à Elecam. Il peut lui être
demandé : de corriger une erreur matérielle, d’intervertir l’ordre des candidats sur la liste pour
tenir compte de l’ordre adopté par le parti concerné lors du dépôt de la candidature au Conseil
électoral, de réhabiliter une candidature ou une liste, de rejeter une candidature ou une liste de
candidats… Les injonctions d’exécution sont également adressées aux partis politiques. Il peut
leur être demandé de procéder conformément à la loi au remplacement d’une personne dont la
candidature a été invalidée par le Conseil (v. affaires E. Nkom et Aissatou Dakoudi) sus-
évoquées
On peut par contre, regretter qu’en ce qui concerne entre autres la nature juridique du
décret portant convocation du corps électoral que le conseil constitutionnel continue de freiner
des quatre fers à affirmer son indépendance. En effet, il faut rappeler que depuis l’élection de
1992, la cour suprême187 avait affirmé qu’il s’agit d’un acte de gouvernement insusceptible de
recours devant le juge. Il est vrai qu’en la circonstance, il s’agissait du contentieux électoral
devant le juge administratif et non devant le juge constitutionnel. Toutefois, cette jurisprudence
qui, elle reprenait une jurisprudence française188 en la matière est demeurée. Dans le cas
d’espèce UDC c/ Etat du Cameroun et SDF c/Etat du Cameroun, octobre 1992 concernaient le
non-respect par le président de la république du délai devant séparer la convocation du corps
électoral du jour du scrutin, à savoir 23 jours au lieu de 30 comme le prescrivait l’ancienne
loi189. Pour le juge, qui était visiblement embarrassé, il affirma que « la convocation du corps

184
Décision no 06/CE/CC/2018 du 15 mars 2018, Tchatchouang Paul,
185
Décision no 09/CE/CC/2018 du 3 avril 2018, Sieur Youmo Koupit Adamou, op. cit
186
Décision no 20/CE/CC/2018 du 17 août 2018, Sieur Bertin Kisob, op. cit.
187
Avant la constitution de 1996, la cour suprême exerçait la fonction de juge constitutionnel
188
Arrêt. Cons. D’Etat 6 aout 1912
189
La nouvelle loi dispose que l’intervalle entre la convocation du corps électoral et le jour du scrutin est de 90
jours sur ce point lire l’article 86 du code électoral

292
électoral est un acte de gouvernement qui échappe au contrôle du juge. » Pour couvrir ce qui
peut sonner comme l’arbitraire du pouvoir exécutif, le juge n’aura pu faire autre chose que
celle-ci sans que cet acte soit susceptible d’attaquabilité. Quoiqu’il en soit, cette jurisprudence
reste en vigueur aujourd’hui dans le contentieux électoral camerounais alors même qu’elle est
depuis passée dans les actes justiciables en France. Ainsi, le Conseil constitutionnel par son
refus d’opérer un contrôle des actes administratifs de gouvernement, semble se cantonner à une
jurisprudence de 1912 qui plus est, devenue désuète en France. Il en est ainsi, dans la troisième
affaire Sieur Kisob Bertin dans laquelle le juge a refusé d’opérer un contrôle de
constitutionnalité du décret no 2018/391 du 9 juillet 2018 portant convocation du corps électoral
en vue de l’élection du président de la République, au motif qu’il s’agirait d’un « acte de
gouvernement » non susceptible de recours ; et à tout du moins, d’un « acte administratif » qui
ne relève pas de sa compétence190. Cette solution correspond à la jurisprudence
administrative191. Même si Elle semble en apparence contredite par l’espèce Joshua Mabangi192
où la haute juridiction conclut que « c’est en respect de la loi fondamentale, que le président
de la République a convoqué le corps électoral par décret no 2018/391 du 9 juillet 2018 en vue
de l’élection présidentielle ». C’était là l’occasion pour le nouveau juge constitutionnel de se
montrer offensif et de s’affranchir des décisions de la cours suprême en sortant notamment cet
acte administratif des actes de gouvernement, par un contrôle explicite de constitutionnalité et
de légalité. Le professeur E. NGANGO YOUMBI estimait d’ailleurs sur la question que le juge
constitutionnel doit dans son rôle de juge électoral veiller au respect des différents délais193
prévus par la Constitution et la loi électorale notamment dans le Chapitre V du Code électoral
intitulé « Convocation du corps électoral » 194. Mais, il a s’agit plutôt d’un contrôle implicite
dudit décret dans l’affaire Joshua Mabangi. Le Conseil a par ailleurs eu l’occasion de rappeler
dans l’affaire Sieur Antoine de Padoue Ndemmanu, qu’il n’a pour compétence ni de reporter
les élections, ni d’ordonner un remaniement du gouvernement195. Le conseil par cet acte aura
peut-être manqué un rendez-vous avec l’histoire. Cette retenu du conseil est sans doute un des
fondements de sa discordance dans ses résolutions.
b- Les bégaiements du juge constitutionnel
La confusion découlant des hésitations du juge électoral dans ses décisions laisse aussi
transparaitre comme une insécurité juridique. En effet, le professeur POGOUE sur la question
de la sécurité juridique au Cameroun, la conçoit comme la possible interprétation des textes.

190
Décision no 23/CE/CC/2018 du 13 septembre 2018, Sieur Kisob Bertin, op. cit. Certains auteurs estiment que
le décret de convocation du corps électoral doit respecter deux exigences : sur la forme (ce doit être un décret) et
sur les délais, le juge constitutionnel doit dans son rôle de juge électoral veiller au respect des différents délais
prévus par la Constitution et la loi électorale (notamment le Chapitre V du Code intitulé « Convocation du corps
électoral », article 86 alinéas 1 à 4), v. E. NGANGO YOUMBI, « Le Nouveau Conseil constitutionnel camerounais
: la grande désillusion », RDP
191
CS/PCA, Ordonnance de référé no 01 du 2 octobre 1992, UDC c/ État du Cameroun, Observations R. GUIMDO
in Juridis info no 14 avril-mai-juin 1993, p. 60 ; CS/PCA, Ordonnance de référé no 03 du 2 octobre 1992, SDF et
UFDC c/ État du Cameroun ; CS/PCA, Ordonnance de référé no 02 du 2 octobre 1992, SDF c/ État du Cameroun.
33. Décision no 30/CE/CC/2018 du 18 octobre 2018, Joshua Mabangui
192
Idem
193
Art. 86 alinéas 1 à 4 du code
194
NGANGO YOUMBI, v. E « Le Nouveau Conseil constitutionnel camerounais : la grande désillusion », RDP
195
V. décision no 22/CE/CC/2018 du 18 août 2018, Sieur Antoine de Padoue Ndemmanu c/ ELECAM, État du
Cameroun (MINAT).

293
Ce qui n’est pas probable. Mais bien réelle196. En effet, il faut intégrer dans la sécurité
juridique la prévisibilité, la stabilité et dans une certaine mesure la maitrise de l’inflation
normative.197 Si l’inflation n’est pas mise en cause ici, nous évoquerons les cas de multiples
revirements brusques de la jurisprudence qui portent une atteinte frontale aux principes de
sécurité juridique198. En effet, si un des principes directeurs du juge dans le contentieux est la
recherche de l’influence déterminante sur le scrutin, et qu’il se retrouve parfois à la croisée des
chemins de la légalité et la sincérité, on a quand même envie de s’interroger sur ses motivations
réelles quant à ses prises de positions au contenu sans cesse fluctuant199 sur l’investiture d’un
candidat par exemple. Quand tantôt, il se déclare incompétent et renvoi cette compétence aux
instances internes du parti200, et parfois, il statue sur la qualité de l’investiture et déclare l’auteur
de l’investiture incompétent201 à le faire. Ou encore dans sa jurisprudence sur la question de
l’exigence de « signature légalisée ». Puisqu’elle doit être « revêtue » de la déclaration de
candidature. C’est l’application qui a été faite par le juge constitutionnel dans le contexte de
l’élection présidentielle du 9 octobre 2011, ce qui n’est pas sans susciter quelques perplexités.
Pour le juge, la « mention de légalisation doit figurer sur la déclaration »202, Ou « C’est la
signature figurant dans la déclaration même de candidature qui doit être légalisée ;(…) si cette
formalité n’est pas accomplie, elle ne saurait être régularisée par la production d’une signature
légalisée figurant en dehors de la déclaration » conformément aux décisions rendu dans les
affaires, Mbetebe Eyabe Justin c/ ELECAM 203 et Louis Tobie Mbida c/ ELECAM204,). A la
lecture de ces prises de position du juge, l’on ne sait, de la candidature signée, ou de la signature
en tant que telle, ce qui au juste doit être légalisé. Par ailleurs, l’hésitation du juge a aussi été
relevée dans le contentieux du caractère express de l’investiture d’un candidat à la
présidentielle. En effet, le juge dans le même contentieux, a parfois estimé que l’acte
d’investiture doit être express, c’est le cas dans l’affaire Ngouel Mbanga. dans une autre il avait
affirmé qu’elle peut se présumer en rentrant dans les textes organique du RDPC notamment à
l’article 23-7 des statuts du dit parti qui dispose que « le président national est le candidat aux
élections présidentielles » Et avait affirmer que celui-ci n’avait donc pas besoin d’investiture
expresse du congrès pour présenter sa candidature. Ces tâtonnements du juge électoral donnent
de quoi rester perplexes sur une justice électorale de qualité. Mais cette hésitation n’est pas la
seule errance du juge qui crée le doute sur l’ancrage de la justice électorale au Cameroun. Ce
doute est aussi la résultante de quelques disfonctionnements processuels

196
POUGOUE (P.G.) « les figures de la sécurité juridique » RASJ Université de Yaoundé II vol 4 N1, 2007. P.7
197
ABANE ENGOLO (P.E.) « La notion de qualité du droit » op cit. P.91
198
LUCHAIRE (V. F.), « La sécurité juridique en droit constitutionnel français », Cahiers du Conseil
constitutionnel 2001, no 11. Le Conseil constitutionnel français a consacré un tel principe, en affirmant que le
législateur ne peut dans le domaine de la presse, remettre en cause les situations acquises, v. entre autres, DC 198
du 13 décembre 1985 sur la sécurité dans le domaine de la propriété, DCC 287 du 16 janvier 1991 sur la sécurité
en matière de liberté d’entreprendre, DC 423 du 13 janvier 2000 sur la sécurité en matière contractuelle
199
TCHEUWA (J –Cl). « Les principes directeurs du contentieux électoral camerounais » Droit constitutionnel
étranger p.12
200
Affaire Agbor Ashu Emmanuel c/ état du Cameroun RDPC et SDF
201
Affaire Ngouel Mbanga
202
Décision n°13/CEP du 20 septembre 2011, Benz ENOW BATE c/ ELECAM),
203
Décision 15/CEP du 20 septembre 2011
204
; Décision n° 12/CEP du 20 septembre 2011

294
2- Les subtiles disfonctionnements processuels du conseil constitutionnel.
Les disfonctionnements de la juridiction constitutionnelle sont relatifs à l’exclusion du
citoyen de son prétoire. Et l’inversion prétorienne équivoque du titulaire du rôle de production
de la règle de droit.
a- L’exclusion subtile du citoyen du prétoire du conseil constitutionnel
« De même que chaque citoyen a le bulletin de vote, il convient qu’il ait la réclamation
contentieuse, ces deux armes se complètent »205 Mais il faut bien relever ici que la saisine du
conseil constitutionnel n’est pas une actio populis, dans laquelle chaque citoyen viendrait
revendiquer ou contester la mise en œuvre de l’organisation du déroulement du scrutin. Pour le
législateur suivi en cela par le juge constitutionnel, s’il est nécessaire qu’une marge de
recevabilité soit fixée à fin d’évitement de l’encombrement du prétoire du juge constitutionnel.
Ceci est d’ailleurs le cas tant au Cameroun, qu’en France et au Benin. Puisque le conseil
constitutionnel a affirmé sur le droit d’agir que « le droit d’agir en justice dont le libre exercice
relève de la loi »206. Quoiqu’il en soit le juge électoral Camerounais a une perception très
réductrice questionnable de la participation du citoyen à la justice électorale.
Le fait que le conseil constitutionnel ait une perception très limitative de la notion de
requérant implique que l’action en justice ne peut être menée que par une personne physique
ou morale justifiant d’un intérêt direct à agir dans le cadre d’un processus électoral207.Si par
l’article 47 de la loi organique, la contestation de l’éligibilité est ouverte à tout électeur inscrit
sur la liste électoral, l’intérêt se trouve recadré ici par le juge qui réduit davantage cette
compétence à l’électeur inscrit sur la liste électorale à un acte de candidature préalable. Pis
encore, il indique à ce sujet que, la demande de contestation de la candidature d’un candidat
n’est recevable, que lorsqu’elle est introduite par un citoyen ayant lui-même la qualité de
candidat à la ladite élection208 . Si la philosophie de l’intérêt pour agir se dégage mieux dans la
jurisprudence de la participation à l’élection, dès lors qu’elle traduit la nécessité d’un profit
direct escompté209 par celui qui introduit l’action contentieuse, une question nous traverse
l’esprit ; à qui profite in fine l’élection si ce n’est au citoyen ? Le professeur Leonel pierre
GUESSELE ISSEME se posait déjà la question ; « est-il (…) logique d‘exclure un droit de
contestation alors même que l’on a participé à l’expression du choix politique ? »210 L’intérêt
ne devrait pas de ce fait se percevoir restrictivement dans la recherche de la limitation de la
concurrence, en éliminant dans le contentieux préélectoral un concurrent direct potentiel. Mais
dans un sens plus large de la protection de façon générale de l’élection. Il est d’ailleurs claire
du point de vue de la loi, que la qualité de requérant ne s’applique pas seulement aux candidats,
mais à toutes personnes inscrites sur la liste électorale conformément à l’article 47 de la loi

205
HAURIOU (M) précis de droit administratif op cit P. 942
206
Cc, décision n80 -119L du 2 décembre 1980, nature juridique de diverse s disposition figurant au code
général des impôts relatives à la procédure contentieuse en matière fiscale
207
V. art 48 al.2 la constitution, la loi organique du conseil constitutionnel, Art.132al.2 du code électoral
208
Décision no 08/CC/SRCER du 24 février 2020, Sieur Terde Ridai (RDPC) c/ UNDP, ELECAM et MINAT. CC,
décision n18/CEPdu20 septembre 2011 Assigana Tsimi Moise Fabien (MOREP) op cit Décision no 03/SRCER
du 24 février 2020, Sieur Toueli Angelo (PCRN) c/ ELECAM MINAT RDPC.
209
CAMBY (JP) le conseil constitutionnel juge électoral op cit P78
210
GUESSELE ISSEME (L.P) « la protection du droit de vote par les juges constitutionnels béninois et
camerounais » op cit P.75

295
organique du conseil constitutionnel de 2004. Le code électoral va même plus loin, en disposant
dans son art 118 (2) que « L’inéligibilité est constatée par le Conseil Constitutionnel dans les
trois (03) jours de sa saisine, à la diligence de toute personne intéressée ou du ministère
public ». Cette appréhension restrictive de l’intérêt qui disqualifie l’électeur du prétoire du
conseil constitutionnel prête à équivoque. A cet effet, les électeurs non candidats ont en principe
effectivement le droit d’introduire des requêtes contentieuses devant le conseil constitutionnel
dans l’optique d’affirmer leur droit à la justice électorale. Cette appréhension est d’ailleurs
consacrée par son homologue béninois211. Par contre ce qui ne l’est pas, c’est l’inversion du
titulaire de la compétence de production de la règle de droit.
b- L’inversion questionnable du titulaire du devoir de production de la règle de
droit.
Le célèbre adage latin « Da mihi factum, dabo tibi jus » (« Donne- moi le fait, je te
donnerai le droit), nous indique à bon droit que « dans le cadre de la procédure, les justiciables
sont dispensés d’apporter la preuve de la règle de droit qu’ils invoquent à l’appui de leurs
prétentions »212, nous faisait savoir le doyen André AKAM AKAM. Et dans la même lancée,
l’imminent enseignant de droit surabondait d’explications sur cette maxime en affirmant qu’elle
« repose donc sur la distinction entre le fait et le droit et procède à une répartition des charges
: aux parties au procès il appartient de rechercher la preuve des faits qui soutiennent leur
demande ; au juge, il revient de rechercher la règle de droit qui doit s’appliquer à la cause.
L’adage pose ainsi le principe que l’élément de droit ne nécessite pas de preuve dès lors que
le juge est présumé connaître la loi »213. S’il est vrai qu’en matière de qualité, le fait n’est
véritablement pas déterminable, étant encore au stade de la recevabilité de la requête, il y a
néanmoins lieu de relever que la production de la règle de droit par le juge s’impose à tous les
stades de la procédure. Et plus encore aux sages gardiens des lois de la république, détenteurs
des secrets des subtilités des lois électorales. Or, le Conseil constitutionnel dans la Décision n°
024/CE/CC/2018 rendue le 15 octobre 2018 dans l’Affaire KAMTO Maurice c/ Le Conseil
constitutionnel, par l’allégation de la non énonciation par le requérant de la règle de droit qui
fondait sa requête en récusation de certains membres du conseil constitutionnel, semblait
renvoyer le devoir de production de la règle de droit au requérant par ces termes ; « entendu
que le requérant ne cite aucun texte qui l’autorise à récuser des membres du Conseil
constitutionnel ou à demander le dessaisissement du Conseil constitutionnel lui-même ». Cet
imbroglio nous fonde à nous interroger sur la nature de cette décision. S’agit-il d’une spécificité
du contentieux constitutionnel camerounais, est-ce là une subtilité propre au contentieux
électoral dont seuls les sages du palais des congrès une fois de plus détiennent le secret ? Ou
simple égarement du jeune juge constitutionnel camerounais qui semble battre en brèche un
principe général de droit processuel ? En tout état de cause, là est aussi une des multiples prises
de position ambiguë du juge électoral Camerounais qui limitent considérablement le droit
d’accès à une justice électorale de qualité. Et constitue un obstacle majeur à la consolidation de

211
Décision EL07-009 du 12 mars 2007monsieur André Dassoundo
212
AKAM AKAM(A), « Libres propos sur l’adage “ Nul n’est censé ignorer la loi” », RASJ, vol. 4, n° 1, 2007,
pp. 31 et s.
213
AKAM AKAM (A), « La loi et la conscience dans l’office du juge », Revue de l’ERSUMA: Droit des affaires-
Pratique professionnelle, n° 1, juin 2012, p. 508.

296
l’état de droit. Si bien que l’on ne serait pas mal fondé à se poser la question de savoir s’il est
possible de faire entièrement confiance à la Haute juridiction214, mieux à l’ensemble de
l’appareil juridictionnelle électorale camerounais. Il s’avère donc nécessaire pour le juge
électoral d’éviter lors de la production prochaine de ses décisions de verser dans une certaine
divagation, marquée par une juxtaposition d’opinions différentes ou l’accumulation de
formules nuancées, lesquelles débouchent sur une solution qui n’est pas nécessairement en
phase complète avec ses précédentes.

CONCLUSION

Si, le Cameroun peut se féliciter de la codification de droit constant qui aura rassemblé et
« accessibilisé » les différentes lois électorales qui étaient jusqu’en 2012 éparses et parfois
cafouilleuses, à côté de la récente mise sur pied par le conseil constitutionnel d’un guide du
requérant, qui sont venu apporter de la lumière sur le chemin du requérant qui faisait face à un
enchevêtrement que seul le juge semblait capable de démêler, si peu à peu le contentieux
électoral perd ses allures d’ « un guet-apens dressé sur le chemin du requérant » dont parlait le
professeur OLINGA Alain Didier, il faut encore lui reconnaitre des traits, d’une aventure
ambiguë 215dans laquelle les objectifs demeurent diffus et confus de part et d’autre. Tant est
que, tels des gamins dans la cours de récréation, les protagonistes se livrent aux jeux de la ruse.
Puisque, le requérant semble désormais se plaire, lui aussi « à tendre des pièges et faire des
crocs en jambes ». Tant-il est que ses requêtes au prétoire du jeune conseil constitutionnel,
semblent parfois moins intéressées par la manifestation de la vérité. Mais, plus par la mise en
évidence de la fébrilité de la haute juridiction camerounaise. Qui, elle-même n’est pas sans
s’illustrer par des errements et divagations qui laissent perplexe sur sa capacité à protéger les
droits et libertés fondamentaux des citoyens en démocratie. Par contre, si la jeunesse de la
juridiction constitutionnelle plaide pour elle et suggère de lui accorder, tel à un grand cru, le
bénéfice de sa bonification par le temps, il faut affirmer ici la nécessité de sa présence. Même
si elle se retrouve parfois face à l’interprétation des lois qui s’opposent plus qu’elles ne
composent.
Au demeurant, il faut reconnaitre au bout du compte, que le droit à la justice électorale
dépend non pas seulement de la consécration et de la mise en œuvre effective des instruments
de garantie de ce principe. Puisque, le Cameroun l’aura fait, en intégrant les textes
internationaux qui consacrent ce droit à sa législation, tels que : la DUDH, le pacte international
relatif aux droits civils, la charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance
et la charte africaine des droits de l’homme et des peuples, etc., puis l’aura affirmer dans divers
textes de loi interne, et l’aura garanti par des instruments tant administratifs (contentieux et non-
contentieux) que par la juridiction constitutionnelle. Mais, il va sans dire que, le droit à la justice
électorale relève davantage du bon fonctionnement de ces institutions. In fine, à la question de
savoir si on peut affirmer l’existence du droit à la justice électorale au Cameroun, si
l’affirmative pourrait paraitre présomptueuse et sans doute risquée, c’est le lieu d’affirmer

214
V. CHAMPEIL-DESPLATS, « À quoi sert encore le Conseil constitutionnel ? », Plein droit, n° 76, 2008/1,
p. 27
215
Cheik Hamidou Kane, l’aventure ambiguë, Roman

297
qu’un meilleur fonctionnement de ces instruments viendrait parachever ici, le processus déjà
bien entamé de construction de l’état de droit au Cameroun.

298
FONCTION PUBLIQUE

INTEGRATION ; CONDITIONS

NATIONALITE CAMEROUNAISE ; CONTENU DE LA NOTION

Jugement n° 07/CS/CA du 27.10.1994.


Dame NDONGO née MBONZI NGOMBO

ATTENDU que par requête timbrée en date du 21 Juin 1991, enregistrée au Greffe de la
Chambre Administrative de la Cour Suprême le 03 Juillet 1991 sous le numéro 566, Madame
NDONGO née MBONZI NGOMBO, officier des Douanes, B.P.11.089 Yaoundé, ayant pour
mandataire Monsieur BINYOUM Joseph, Enseignant à l’Université de Yaoundé, BP.8.075, a saisi
ladite juridiction d’un recours ainsi rédigé :

« La requérante entend, par la présente démarche, saisir votre haute juridiction aux fins
d’annulation de la décision du 22 Avril 1991 n°A23/SG/PR du Secrétaire Général de la Présidence de
la République refusant son intégration dans la fonction publique camerounaise.

FAITS :

« Par résolution n° 16/88/CA/CENAM du 14 Octobre 1988, j’étais admise à l’ENAM à titre


étranger ». Par décret n° 90/933 du 18 Mai 1990, j’ai acquis la nationalité camerounaise du fait de
mariage.

Par arrêté n° 011979/MFPCE/CENAM/ENAM/SAF du 03 Août 1990 fixant les résultats de


fin d’études des Divisions administratives et des Régies Financières et portant attribution du diplôme
de l’ENAM pour l’année 1990, j’ai obtenu de l’ENAM (Section des « Inspecteurs de Douanes »).

Suite à tout cela, le Ministre de la Fonction Publique et du Contrôle de l’Etat, après accord du
Ministre des Finances (cf sa lettre n° 5451/MINFI du 09 Novembre 1990) sollicitant de Monsieur le
Secrétaire Général de la Présidence de la République, Autorité compétente à cette époque, mon
intégration dans la Fonction Publique. Cette dernière opposait une fin de non recevoir à cette requête ;

Motif invoqué : je n’avais pas satisfait aux conditions d’admission à l’ENAM.

La recourante estime qu’il s’agit de la part de cette autorité d’une attitude constitutive d’excès
de pouvoir, à savoir :

- Fausse interprétation des textes ;


- Violation du principe d’égalité de tous devant le service public.
- Violation de la hiérarchie des normes juridiques.

1°) MAUVAISE INTERPRETATION DES TEXTES

La requérante fait savoir si elle a été admise à l’ENAM sur titre et non par la voie du
concours, elle estime cependant avoir satisfait aux conditions fond posées pour l’admission dans cette
école ; il s’agit aux termes de l’article 1er alinéa 9 de la résolution n° 016/86/CA/CENAM du 14
Octobre 1988 du diplôme ; la licence de l’Enseignement Supérieur.

Si la condition initiale formelle (le concours) n’a pas été satisfaite, c’est uniquement parce
que je ne remplissais pas les conditions de nationalité. On ne peut donc pas parler d’une quelconque
violation du principe d’égal accès au service public, et ce d’autant plus que le principe de mobilité,
d’adaptabilité du service public à l’évolution du temps tempère sa portée ;

299
2°) RECONNAISSANCE DU PRINCIPE D’EGALITE DE TOUS LES CITOYENS
DEVANT LE SERVICE PUBLIC :

L’arrêté n° 011979/MFP/CE/CENAM/ENAM/SAF fixant les résultats de fin d’études à


l’ENAM reconnaît à la requérante une double qualité, à savoir :

- Elle est titulaire du diplôme de sortie de l’ENAM condition sine qua non pour l’intégration
dans la Fonction Publique.
- Elle est citoyenne camerounaise (cf. décret n° 90/933 du 18 Mai 1990) ; 2e condition
impérieuse.

De ce fait le refus de la part de l’autorité administrative de ne pas procéder à son intégration


dans la fonction publique constitue une violation flagrante du principe d’égalité devant le service
public. En la matière l’autorité administrative est liée par les textes. Elle ne dispose point d’un pouvoir
discrétionnaire. C’est une question de légalité et non point d’opportunité ;

Votre jurisprudence :

C.F.J.S.C.A.Y. : 30.9.1969 ; MESSOMO ATENEN Pierre ;


CS/CA : 29.9.1983 ; NDJOUMI Maurice.

3°) La décision n° A23/SG/PR du 10 Décembre 1990 viole le principe de la hiérarchie des


normes juridiques, puisque sous couvert d’interprétation, elle viole plutôt les dispositions des textes
réglementaires qui régissent l’intégration dans la Fonction Publique.

Jurisprudence constante de votre Cour :

CS/CA : 24.4.1980 ; Dr ESSOUGOU Bénoît.

POURQUOI ?

La requérante conclut à ce qu’il plaise votre Cour ;

Article 1er :- En forme, déclarer son recours recevable parce qu’introduit dans les formes et
délais légaux.
Article 2 :- Au fond, le dire fondé ; en conséquence annuler la décision refusant son
intégration dans la fonction publique.
Article 3 : - Procéder à la reconstitution rétroactive de sa carrière administrative.
Article 4 :- Mettre les entiers dépens à la charge du Trésor public.

Et ce sera justice ».

ATTENDU que le recours est recevable comme introduit dans les formes et délai de la loi ;

ATTENDU que pour résister à la prétention, le représentant de l’Etat du Cameroun soutient


que l’accès au grade d’Officier des Douanes est subordonné, entre autres, à la présentation du diplôme
du cycle « A » de l’ENAM où, aux termes de l’article 19 du décret n°85/1297 du 27 Septembre 1985
régissant cette Ecole, y accèdent par voie de concours les candidats remplissant les conditions
générales d’accès à un emploi public ;

QUE Dame NDONGO n’étant pas entrée à l’ENAM par voie de concours, mais sur simple
recommandation de l’Ambassade du Zaïre, ne remplissait pas la condition de nationalité indispensable
pour accéder à un emploi public ;

300
QU’elle n’a pas eu, sur le plan règlementaire, tout au long de sa scolarité à l’ENAM, la
qualité de fonctionnaire stagiaire qui est celle des élèves réguliers de l’ENAM, qualité qui l’aurait par
ailleurs soumise aux dispositions du Statut Général de la Fonction Publique, tant en termes de droit
que d’obligation ;

QU’il s’ensuit que dame NDONGO, admise à l’ENAM à titre étranger, a gardé ce statut ainsi
que ses effets subséquents jusqu’au terme de sa scolarité, en dépit de sa nationalité camerounaise
acquise entre temps par l’effet du mariage avec le sieur NDONGO.

ATTENDU qu’il est constant et avéré qu’en Septembre 1988, Mlle MBONZI NGOMBO, de
nationalité zaïroise, est admise à titre étranger à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature
conformément à la résolution n°016/88/CA/CENAM du 14 Octobre 1988, sur simple recommandation
de l’Ambassade du Zaïre au Cameroun qui précise alors que l’intéressée n’étant pas boursière du
Gouvernement de son pays d’origine, les frais inhérents à sa scolarité seront entièrement supportés par
sa famille ;

QUE le 02 Juin 1989, MBONZI NGOMBO épouse le Camerounais NDONGO et en


conséquence le décret n° 90/933 du 18 Mai 1990 constatait son acquisition de la nationalité
camerounaise à compter du 02 Juin 1989 ;

QUE le 20 Juillet 1990, dame NDONGO née MBONZI obtient le diplôme de l’ENAM et, sur
la base de sa nouvelle nationalité, sollicite son intégration dans la Fonction Publique au grade
d’Inspecteur des Douanes, après avoir été autorisée à prendre le service en cette qualité le 03 Août
1990 ;

QUE saisie de cette demande d’intégration, le Président de la République l’a rejetée, par
décision n° A23/SG/PR du 22 Avril 1991 attaquée ;

ATTENDU que l’argument développé par le représentant de l’Etat du Cameroun ne saurait


prospérer ; qu’en effet, il est de principe que lorsque le recrutement dans un emploi de la Fonction
Publique est conditionné par le passage dans une école spéciale, seul est exigé le succès durant cette
scolarité ou alors à un examen en fin de scolarité ;

ATTENDU que dans le cas d’espèce, dame NDONGO née MBONZI NGOMBO a bien
rempli les conditions d’admission à l’ENAM ; en effet et contrairement aux assertions du représentant
de l’Etat si les nationaux camerounais sont soumis au concours d’entrée, les étrangers quant à eux
doivent remplir les conditions de niveau requis pour l’admission des nationaux et être recommandés
par leurs gouvernements….

QUE le diplôme de l’ENAM est décerné, sans distinction de nationalité, aux élèves ayant
obtenu une moyenne globale de scolarité au moins égale à 12/20 ;

ATTENDU qu’il est loisible de lire dans l’arrêté n° 011979/MFPCE/CENAM/ENAM/SAF


du 03 Août 1990…. portant attribution du diplôme de l’ENAM en 1990, que Mme MBONZI
NGOMBO épouse NDONGO a obtenu 12,981 de moyenne, encore qu’il n’est nullement mentionné, à
l’instar des autres lauréats étrangers (Tchadien, Béninois ou Congolais) sa qualité d’étrangère pour la
bonne raison qu’elle avait déjà acquis la nationalité camerounaise ;

ATTENDU que dès lors lui refuser l’intégration dans la Fonction Publique Camerounaise
serait créer une discrimination entre les camerounais devant un emploi public ; ce qui est une violation
de la constitution ;

ATTENDU qu’il s’ensuit que dame MBONZI épouse NDONGO remplissant toutes les
conditions exigées pour accéder à emploi d’Officier de Douanes, l’autorité investie du pouvoir de

301
nomination a compétence liée et la décision lui refusant ce droit est donc entachée d’excès de pouvoir
et encourt de ce fait l’annulation ;

PAR CES MOTIFS

DECIDE :

Article 1er :- Le recours est recevable ;


Article 2 :- Il est fondé et par conséquent la décision attaquée est annulée avec toutes les
conséquences de droit ;
Article 3 :- Conformément aux dispositions de l’article 1er du décret n°74/611 du 1er du Juillet
1974 dame NDONGO a droit d’être intégrée dans la Fonction Publique Camerounaise au 1er échelon
de la 2e classe catégorie « A » premier grade (indice 430) à compter de la date d’obtention du diplôme
de l’ENAM ;

OBSERVATIONS :

Tous les textes qui organisent la Fonction Publique Camerounaise prennent toujours soins de
préciser dans le cadre des dispositions générales les conditions que tout candidat doit remplir pour être
recruté dans la Fonction Publique. (Art. 5 et 51 du décret n° 138 du 18 Février 1974 portant Statut
Général d la Fonction Publique de l’Etat, art 12 et 13 du décret n° 94 / 199 du 07 Octobre 1994 portant
Statut Général de la Fonction Publique de l’Etat).

Le principe général qui dérive de la déclaration française des droits de l’homme et du citoyen
de 1789 et magnifiée par la juridiction administrative du même pays à travers un arrêt du Conseil
d’Etat du 28 Mai 1954 BAREL, REC 308, concl. LETOURNEUR ; 1954, 3, 97, note Mathiot ; D.
1954. 594. note G. Morange, G.A n°86, est celui de l’égalité d’accès à la Fonction Publique.

Mais le principe qui est de portée presque universelle régit uniquement la Fonction Publique
de chaque Etat. Et il revient à chaque pays de préciser le sens, la portée de ce principe. Les textes
Camerounais spécifient que « l’accès à la Fonction Publique est ouvert, sans discrimination aucune, à
toute personne de nationalité Camerounaise… »

Mais qu’entend-t-on par nationalité Camerounaise ? C’est la question à laquelle les hauts
magistrats ont eu à répondre dans la présente affaire. Et le jugement rendu comble une lacune, un vide
juridique, ce qui démontre le rôle irremplaçable du juge administratif dans l’élaboration des normes
juridiques.

En effet un auteur parlant des conditions générales d’accès aux emplois publics, affirme ce qui
suit (« Le texte Camerounais actuel « l’article 51 du décret n°138 du 18 Février 1974 » ne précise pas
si la nationalité camerounaise à l’origine est seule requise et s’il n’est pas exigé du camerounais
naturalisé qu’il sorte du stage de civisme quinquennal pour entrer dans la Fonction Publique ») (1).

En affirmant que de par son mariage, et ce contrairement aux autres lauréats étrangers
(Tchadien, Béninois ou Congolais), Dame NDONGO a perdu sa qualité d’étrangère pour acquérir la
nationalité camerounaise, le juge a pris une décision qui constitue un apport précieux à
l’enrichissement du droit camerounais à travers l’explicitation de certains concepts en apparence
faciles à circonscrire.

___________________________________________________________________
1- OWONA (J) ; Droit Administratif spécial de la République du Cameroun. EDICEF, 1985, P. 55.

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