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Par Eyiké-Vieux
Magistrat, enseignant, écrivain
Sous-directeur de la législation pénale au ministère de la justice
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devrait recevoir application ; que or, pour cause d’entorse à l’ordre public
et aux bonnes mœurs, elle a été écartée […] au profit des principes
généraux de droit ».
Deux ans avant cette décision, ce même tribunal, réglant cette fois
la succession de Gadji Charles Eugène par jugement n°439/C du 21 mars
1996, avait abondamment argumenté : « Attendu qu’au regard de la
coutume Moundang qui est la coutume des parties, soutenue par
l’assesseur Moundang, après le décès de l’époux, la famille de celui-ci a
seul le monopole de l’usage ou de la gestion des biens, laquelle gestion
est confiée à un membre désigné en son sein ; la veuve plutôt réduite au
silence obligé et sans droit se met à la disposition de celui (frère, oncle,
cousin…du défunt) qui viendra la solliciter pour "continuer le mariage" du
défunt ; Attendu que cette logique de la coutume Moundang explique fort
bien pourquoi dame veuve Gadji s’est vue dépouiller de tous les biens de
son ménage, qu’elle explique pourquoi elle n’a pas été associée au conseil
de famille, explique aussi pourquoi le demandeur s’est abstenu de verser
au dossier copie de l’acte de mariage du défunt avec la veuve Asta
Issabet ; Attendu que la coutume Moundang sur cet aspect précis des
droits de la veuve dans la succession de son époux développe un mépris
injuste et sévère de la femme au profit de quelques supposés élus
coutumiers dans une logique qui frôle l’escroquerie ; Que sur ce point cette
coutume constitue à la fois une menace et un danger grave pour l’ordre
public et les bonnes mœurs ; qu’à cet effet, elle doit être écartée
simplement et substituée par les principes généraux de droit moderne […];
Attendu que dame veuve Gadji explique qu’au jour du décès de son époux
leur couple totalisait 7 ans de vie commune sous régime de communauté
des biens, chèrement acquis par le couple au fil des ans ; qu’à la suite du
décès de son mari, elle sollicite la liquidation de cette communauté
préalablement à la succession, afin que cette succession ne s’applique
qu’à la part des biens revenant au défunt après liquidation ; Attendu que
le Code Civil en ses articles 1441 et 1452 dispose d’une part que la
communauté se dissout par la mort naturelle ou civile et d’autre part que
la femme est fondée à réclamer ses droits à la dissolution de la
communauté lors de la mort de son époux ; D’où il suit que la demande
de liquidation de la communauté des biens du couple Gadji par la veuve
est fondée ; qu’il convient d’y faire droit en laissant la faculté de l’initiative
à la partie la plus diligente ; […] Attendu que dans sa requête introductive
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d’instance Dama Vincent a sollicité qu’il plaise au Tribunal de déclarer
l’enfant Dama Gadji Severin héritier de son père défunt et lui Dama
Vincent administrateur des biens laissés par le défunt ; Attendu que sur la
base des développements qui précèdent, il y a lieu de constater d’une part
qu’il n’existe pas de contestation sur la qualité de l’héritier ou de
l’administrateur des biens et que le Tribunal en donne acte au demandeur;
Que toutefois, il faut préciser que cette succession ne s’appliquera que
sur la moitié des biens revenant au défunt après liquidation ». À la fin de
cette argumentation, le tribunal a jugé : « Ordonne préalablement la
restitution à Dame veuve Gadji née Asta Issabet par la famille du défunt
Gadji Charles Eugène des biens à caractère personnel et intime ci-après
[…] ; Ordonne en outre la liquidation de la communauté des biens du
couple Gadji à l’initiative de la partie la plus diligente qui en supportera les
frais ; Constate que Gadji Charles Eugène décédé le 13 Février 1994 à
Guider a laissé un seul enfant reconnu au nom de Dama Gadji Severin
Herman et de mère Gatchou Mzemie Mélanie ; Déclare cet enfant héritier
de son père conséquemment de la portion des biens qui échoit au de cujus
après liquidation de la communauté des biens des époux Gadji ; Dit que
Dama Vincent frère cadet du défunt sera administrateur des biens
exclusivement dévolus au petit Dama Gadji Severin Herman après
liquidation de la communauté des biens ». Ce jugement a été confirmé par
la CA de l’Extrême-Nord suivant arrêt n°06/Cout. du 05 février 1998 où le
juge d’appel, répondant au reproche selon lequel le premier juge avait
ordonné la restitution à la veuve des biens dits à caractère personnel et
intime, a énoncé : « Considérant que le conseil de l’appelant soutient
qu’après le décès de Gadji Charles survenu à Guider, tous les effets
appartenant au couple devraient être acheminés dans la famille du de
cujus étant entendu que le domicile conjugal de Lara n’était pas encore
en bon état d’usage ; Considérant que le conseil s’est gardé expressément
de préciser si l’appelant s’appuie ainsi sur un texte de loi ou sur une
coutume ; Considérant qu’aucun texte de loi en matière successorale ne
prévoit cette mesure rébarbative, anachronique et surtout inhumaine ;
Qu’au cas où elle serait édictée par la coutume des parties, elle est tout
simplement contraire à la loi et doit être écartée ». Toutefois, par arrêt n°7-
L du 07 décembre 2000, la CS a cassé et annulé cet arrêt au seul motif
qu’en s’abstenant d’indiquer dans leurs décisions les références des
dispositions législatives ou les principes généraux de droit dont il avait été
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fait application, les juges du fond avaient violé l’article 18(f) du décret n°69-
DF-544 du 19 décembre 1969 fixant l’organisation judiciaire et la
procédure devant les juridictions traditionnelles du Cameroun oriental. Il
était reproché à l’arrêt de la CA d’avoir confirmé un jugement rendu en
matière de droit traditionnel qui, après avoir écarté la coutume des parties,
n’avait pas indiqué la référence des dispositions législatives,
réglementaires ou jurisprudentielles dont il avait été fait application. La
cause et les parties ont été renvoyées devant la CA du Nord qui, par arrêt
n°13/L du 17 juillet 2002, sans, hélas, faire référence à la décision de la
CA de l’Extrême-Nord et à celle de la CS, a jugé : « Confirme le jugement
n°439/C contradictoire du 21 Mars 1996 en ce qu’il a déclaré l’enfant
Dama Gadji Severin Herman héritier de son père et Dama Vincent
administrateur des biens de l’enfant mineur ; Infirme le reste de la
décision, évoquant et statuant à nouveau ; Dit et juge que tous les biens
distraits à tort par Dame Asta Issabet seront reversés dans la
communauté ; Désigne Maître Abdoulaye Arissou, Notaire à Maroua pour
procéder à l’inventaire et à la liquidation de la communauté des époux
Gadji en attribuant la moitié des biens de la communauté à chacun des
ex-époux ».
Ces deux affaires m’offrent l’occasion de dire qu’en cas de
dissolution du mariage par la mort de l’un des époux, il faut d’abord liquider
la communauté ayant existé entre ces époux, avant de régler la
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succession1, même s’il y a un testament2. Certes, les deux peuvent se
faire concomitamment lors d’une seule et même instance3 ; mais la
liquidation du régime matrimonial doit toujours précéder la liquidation de
la succession, sauf décision contraire de la famille du défunt consistant à
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pas partie. Sa volonté, manifestée par la signature d’un contrat ou la
célébration du mariage, doit d’abord être respectée »4.
Cette manière de juger, qui facilite aussi la tâche au notaire
instrumentaire, permet de connaître d’abord les biens qui reviennent à la
veuve dans le cadre du partage de la communauté, puis ceux qui entrent
dans la part successorale revenant aux héritiers du défunt et dans laquelle
la veuve a, en principe, un droit d’usufruit5. L’on pourra ainsi éviter ces
tristes déchirements entre parent et enfants qu’on voit souvent devant les
juridictions6, de même que ces comportements incompréhensibles de
certains de nos compatriotes de la diaspora qui partent des pays dits
civilisés pour venir vendre les propriétés familiales au Cameroun puis
rentrent allègrement, sans compter la frime et le complexe de supériorité,
leurs traits caractéristiques. Possiblement, l’on évitera également des
casse-têtes juridiques comme celui posé dans les affaires ayants droit
Koloko Levis, objet du jugement du TGI du Wouri n°254/CIV du 08 mars
2011, de l’arrêt de la CA du Littoral n°027/C du 18 janvier 2013 et de l’arrêt
de la CS n°055/Civ du 02 février 2017. En l’espèce, le de cujus avait laissé
3 veuves et 23 enfants. C’est lors du procès en sortie de l’indivision, le
« jugement d’hérédité » préalablement rendu, que l’on a soulevé le
problème de la liquidation « des communautés », devant la CA, qui plus
est.
Dans tous les cas, la liquidation du régime matrimonial doit toujours
précéder le règlement de la succession, pour éviter les problèmes de tous
4
In « La condition de la femme en droit camerounais de la famille », R.I.D.C. 1-2012,
pp. 164 à 165 et note de bas de page n°146.
5Voir, à toutes fins utiles, le jugement du TPD de Yaoundé n°692 du 30 mai 1994 rendu
dans l’affaire dame veuve Bella Assan née Patou Hadja qui avait sollicité et obtenu de
ce tribunal l’usufruit sur la succession de son défunt mari après le partage par moitié
de la communauté des biens ayant existé entre les époux et le règlement de la
succession du de cujus suivant jugement du même tribunal n°422 du 21 mars 1994.
6Comme illustrations des conflits entre parent et enfants devant nos juridictions, voir
cette affaire que narre l’hebdomadaire Kalara dans sa livraison n°261 du 06 août 2018
(p. 9) sous le titre « Mère et fils se déchirent pour la gestion du patrimoine familial ».
Voir aussi, entre autres : TGI du Wouri, jugement civil n°253 du 08 avril 2016, confirmé
par la CA du Littoral suivant arrêt n°171/CIV du 07 mai 2018 ; ordonnance de référé
n°281/RO/CIV du 13 juillet 2021 du président du TPI de Yaoundé-Ekounou ; TGI du
Mfoundi, jugements n°165 du 09 mars 2011 et n°373/Civ du 25 février 2021, CA du
Centre, arrêts n°509/CIV du 22 septembre 2006, n°339/CIV du 25 mai 2016 et
n°789/ADD du 19 décembre 2018, ordonnance du premier président de la CS n°069
du 05 février 2008, ordonnance du président du tribunal administratif de Yaoundé
n°153 du 28 août 2020, toutes ces décisions concernant une seule et même affaire.
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ordres. Je cite, pour cela, cet extrait de la « requête aux fins de jugement
d’hérédité » ayant donné lieu au jugement du TGI du Wouri n°689/CIV du
08 juillet 2019 : « […] Déclarer ouverte la succession de feu Fomo
Dieudonné décédé le 15 mars 2018 ; Déclarer tous les enfants du défunt,
les nommés Domche Wilemia Stecie et Fomo Dieudonné Miguel
cohéritiers ; Désigner l’aîné Fomo Dieudonné Miguel administrateur des
biens ; Constater que le défunt était marié à dame Ledom Hamo
Véronique suivant acte de mariage […] ; Ordonner la liquidation de la
communauté des biens ayant existé entre le défunt et son épouse suivant
les proportions déterminées par la loi ; Ordonner le partage de la partie
revenant au défunt entre les enfants ; Désigner tel notaire territorialement
compétent à l’effet de procéder aux opérations de liquidation de la
communauté et de partage ; Dire que le notaire procèdera à un inventaire
des biens de ladite succession et dressera son rapport, lequel sera
déposé au greffe du tribunal de céans dans tel délai pour homologation. »
Se prononçant sur cette requête, le tribunal a simplement décidé : « […]
Déclare ouverte la succession de Fomo Dieudonné ; Déclare les enfants
Domche Wilemia Stecie et Fomo Dieudonné Miguel cohéritiers de ladite
succession ; Déclare Fomo Dieudonné Miguel administrateur de la
succession ; Ordonne la liquidation de la communauté entre les époux,
puis le partage entre les héritiers ; Désigne un notaire territorialement
compétent au choix des parties pour procéder aux opérations de
liquidation et de partage ».
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ne s’y est penchée7. Tel a été aussi le cas dans l’affaire Djuidjie Félicité c/
Kam Emmanuel et Fossi Jacques, objet des décisions suivantes : TGI du
Mfoundi, jugements n°165 du 09 mars 2011 et n°373/Civ du 25 février
2021, CA du Centre, arrêts n°509/CIV du 22 septembre 2006, n°339/CIV
du 25 mai 2016 et n°789/ADD du 19 décembre 2018, ordonnance du
premier président de la CS n°069 du 05 février 2008, ordonnance du
président du tribunal administratif de Yaoundé n°153 du 28 août 2020.
Cette affaire est encore pendante devant la CA du Centre et revient à
l’audience du 07 juin 2023. Par contre, ce problème a été clairement
soulevé dans l’affaire succession Noubissi Siaket Jacques où certains
héritiers de ce dernier avaient, par assignation du 22 juin 2016, saisi le
TGI du Wouri en liquidation de la communauté des biens ayant existé
entre leur défunt père et leur mère, dame veuve Noubissi Siaket Mathilde,
alors que la succession avait déjà été réglée suivant jugement n°1012/L
du 29 octobre 2015 du TPD de Douala-Bonanjo. L’avocat des défendeurs
a sollicité du TGI qu’il déclare l’action des demandeurs irrecevable pour
défaut de qualité. Par jugement n°025/CIV du 13 janvier 2017, ce tribunal
a fait droit à cette action sans toutefois répondre à la préoccupation de cet
avocat, laissant ainsi croire que les demandeurs avaient qualité pour agir.
De même, dans l’affaire succession Eric Nseke Nseke8 où un enfant
légitime avait demandé la liquidation de la communauté ayant existé entre
son père susnommé et sa mère décédés alors que d’autres enfants
naturels reconnus par ce même père sollicitaient que cette demande soit
déclarée irrecevable, le TGI du Wouri a dit : « Attendu que personne ne
conteste que sieur Eric Nseke Nseke était marié à Emene Misse
Lydienne ; Attendu qu’il n’est non plus contestable que la mort met fin à la
communauté née du mariage ; Que c’est à bon droit que l’un des ayants
droit de feu Emene Misse Lydienne demande la liquidation de cette
communauté avant qu’ils puissent éventuellement entrer en concours
avec ses frères consanguins sur la succession de leur père. »
Ces différentes positions sont, de mon point de vue, discutables, la
demande en liquidation de la communauté étant la seule affaire des
conjoints, sauf si l’un d’eux avait engagé l’action avant sa mort, action que
7Voir TGI du Wouri, jugements civils n°416 du 15 mars 2005 et n°343/ADD du 04 mai
2009, CA du Littoral, arrêt n°194/C du 16 décembre 2011 et CS, arrêt n°005/Civ du 1 er
février 2018.
8Voir TGI du Wouri, jugement civil n°459 du 09 juin 2010, CA du Littoral, arrêt
9De même, la CA du Centre, par arrêt n°88/DL du 13 janvier 2011, a décidé à bon droit
que la mère d’une épouse décédée n’avait pas qualité pour former appel contre le
jugement (n°1027/DCL du 19 mai 2005 du TPD de Yaoundé centre administratif) ayant
ordonné la sortie de l’indivision des enfants naturels et reconnus de son défunt beau-
fils. En l’espèce, dame Tchudje Rose, sans avoir été partie à ce jugement, en avait
relevé appel et sollicité, en barre d’appel, la liquidation de la communauté des biens
ayant existé entre sa défunte fille et son défunt beau-fils avant la sortie de l’indivision
susdite. Elle se prévalait du jugement n°78/DCL du 05 février 2009 du même tribunal
qui l’avait désignée coadministratrice des biens de la succession de sa fille et tutrice
des enfants mineurs de cette dernière. Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté
par la CS suivant arrêt n°76/DT du 13 septembre 2018, en application de la règle
suivant laquelle « l’option de juridiction entraîne option de législation », l’avocat ayant
invoqué les articles 450 et 1441 du Code civil dans une affaire connue par une
juridiction statuant en matière de droit traditionnel. Il faut relever qu’on en est arrivé là
parce que la défunte fille de dame Tchudje Rose avait, de son vivant, fait régler la
succession de son défunt mari (TPD de Yaoundé-centre administratif, jugement
n°382/DCL du 21 novembre 2002) sans avoir, au préalable, sollicité la liquidation et le
partage de la communauté des biens ayant existé entre eux.
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suivant jugement n°885/L du 17 décembre 2008 du TPD de Douala-
Bonanjo, déclarant les enfants du de cujus cohéritiers et leur mère
usufruitière. En 2015, celle-ci a saisi le TGI du Wouri aux fins de liquidation
et de partage de la communauté, à raison de la moitié pour elle et de
l’autre moitié pour ses enfants. Pour contrecarrer son action, l’avocat des
enfants, s’appuyant sur les décisions rendues dans les affaires époux
Kemajou et époux Koum, a demandé que la veuve démontre qu’elle avait
« effectivement et financièrement contribué à l’acquisition ou à l’édification
des biens de la communauté ». Le tribunal, suivant jugement n°253 du 08
avril 2016, a jugé « Que l’argument défendu par les enfants de la
demanderesse selon lequel celle-ci ne pourrait bénéficier d’un quelconque
bien de ladite communauté qu’autant qu’elle démontre qu’elle a
effectivement et financièrement contribué à l’acquisition de ces biens n’est
pas pertinent ; Qu’il est indéniable que dans la vie du couple, quand bien
même l’épouse n’a pas financièrement contribué à l’acquisition des biens
de la communauté, elle est supposée avoir participé à la formation de
cette communauté des biens »10. Il a, par conséquent, ordonné la
liquidation et le partage sans pour autant indiquer les proportions de celui-
ci. Confirmant ce jugement par arrêt n°171/CIV du 07 mai 2018, la CA du
Littoral a décidé : « Considérant que les dispositions du Code Civil
régissant le partage de la communauté n’exigent nullement que la preuve
10Voir aussi TPD de Mbanga, jugement n°24/ADD du 28 novembre 2002. Ici, l’avocat
de la succession avait soutenu « Qu’au regard de la règle dite du partage
rémunération, de nombreuses réserves subsistent quant à la vocation de cette veuve
à avoir droit à une part de la communauté, raison pour laquelle elle doit être déboutée
de sa demande de partage dans la mesure où elle n’apporte pas la preuve de sa
participation à la formation de la masse communautaire ». Le tribunal lui a
répondu : « Attendu que selon l’article 1474 du Code civil, le partage de la
communauté se fait par moitié entre les époux et après prélèvements de leurs biens
propres ; Que s’agissant de la règle du partage rémunération, une nette évolution y a
été observée, et la doctrine et la jurisprudence sont aujourd’hui unanimes à
reconnaître que même la femme au foyer participe à la construction de la communauté
par l’ensemble des tâches ménagères à elle dévolues ainsi que l’éducation des
enfants, lesquelles tâches auraient pu être confiées à une domestique, et les enfants
à une crèche contre forte rémunération ». Contra : TPD de Douala-Bonanjo, jugement
n°330/L du 23 janvier 2003, où il est dit : « Attendu […] qu’il transpire des débats et
des pièces que sieur Ojong Moses avait un mariage à deux lits, notamment avec dame
Ojong Lucy et dame Ojong Dorothy Nkongho ; Qu’une communauté de vie entraînant
une communauté de biens, il convient d’ordonner la liquidation de la communauté
ayant existé entre sieur Ojong Moses et ses différentes épouses, après inventaire
exhaustif des biens la composant en tenant compte de l’apport effectif de chaque
épouse dans l’acquisition de la masse. »
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de la contribution de l’un des époux à sa constitution soit rapportée ; Que
les arrêts cités par les appelants sont des cas isolés…» Malgré le
caractère appréciable de ces deux décisions, l’on peut se poser la
question de savoir si les enfants avaient qualité pour demander que leur
mère prouve sa participation à l’acquisition des biens de son ménage. La
demanderesse n’a pas soulevé cette question de pure forme, les
juridictions saisies non plus. Mais le fait pour ces dernières d’avoir statué
directement au fond est peut-être la preuve que pour elles, les défendeurs
avaient bien qualité. Je ne partage pas cet avis, le titulaire de cette action
étant décédé.
être plus consistante que celle de ses femmes ; Qu’il y a par conséquent lieu
d’ordonner que la liquidation ainsi prononcée se fera au profit de chacune des veuves
dans la proportion de ¼ des biens de la communauté ».
14CA de Douala, arrêt du 30 avril 1971, RCD n°3, pp. 95 et s. Observations de Stanislas
Meloné. Après avoir considéré qu’en coutume Bamiléké, dans un mariage polygame,
il y a autant de masses communautaires qu’il y a de femmes, que selon la même
coutume, le juge est obligé de procéder au partage par moitié si l’un des
« communautaires » l’exige, mais qu’en l’absence d’une telle réclamation, seules la
logique, l’équité et la coutume doivent le guider, la CA a statué comme suit :
« Confirmant le jugement entrepris ; Dit et juge que c’est à bon droit que le premier
juge a : […] ; 2° Donné en toute propriété à la dame Yimga Helène : les voitures L-
704-D et L-688-E, la maison de Yaoundé et la plantation de caféiers de Loum ; la
maison de Loum ; 3° Laissé tous les autres biens à Wambo Gabriel ».
15CS, arrêt n°10/L du 05 février 1987, citant l’arrêt de la CA de Yaoundé n°204 du 18
janvier 1984.
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valable et l’absence d’un contrat de mariage ; Que lorsque ces preuves
sont établies, le partage des biens de la communauté légale se fait par
moitié ; Attendu que ces règles ne sont pas applicables dans le mariage de
forme polygamique qui n’est pas le cas visé par les dispositions des articles
1400 et suivants du code civil ; Qu’en effet, il serait impossible d’appliquer
au mariage de forme polygamique les présomptions législatives qui
instituent la formation de la communauté légale entre une femme et un
homme et règlent les modalités de partage, notamment lorsque dans un
mariage polygamique, le divorce est prononcé entre le mari et l’une de ses
épouses ; Attendu que de ce qui précède, il appert donc qu’il n’existe pas
une présomption de la communauté légale de biens entre les époux dans
un mariage de forme polygamique ; Qu’il échet donc de déclarer les
demanderesses non fondées en leur action, de les en débouter et de les
condamner aux dépens ». La CA du Littoral a, par arrêt n°005/C du 15
janvier 2016, infirmé ce jugement en « considérant que contrairement à
l’opinion du premier juge et aux allégations du conseil des intimés, la
jurisprudence camerounaise à travers plusieurs arrêts de la Cour suprême
du Cameroun (CS arrêt Djidjatou Mal Djibrilla c/ Dame veuve Mana Sanki
née Aïssatou n°18/D du 02 juin 1999, CA/Littoral Arrêt Wainbo [en réalité
Wambo ] Gabriel c/ Yimga Hélène, RCD 1973 ; CS Arrêt n°26/L du 13 juin
1996 Affaire Tankoua Jean c/ Tchandjeu Hélène) établit qu’en matière de
mariage polygamique, à défaut de contrat de mariage, c’est le régime de la
communauté légale qui s’applique entre l’époux polygame et chacune de
ses épouses ; que dans le cas d’espèce, rien ne s’oppose à ce que soit
ordonnée la liquidation et le partage des communautés ayant existé entre
le défunt Voufo Rémi et chacune de ses épouses ».
Citant justement l’arrêt Wambo (action en divorce), Nicole-Claire
Ndoko a écrit : « Les juridictions de droit écrit appliquent non seulement le
code civil mais aussi les lois nationales à l’exclusion des coutumes.
Seulement, le législateur national a prévu la polygamie, seules ses
conséquences patrimoniales tout comme celles de la monogamie, n’ont
encore donné lieu à réglementation. Or, les juges de droit écrit acceptent
de prononcer les divorces des polygames mais se refusent à en tirer les
conséquences pécuniaires. Il y a là déni de justice. La question n’est pas
de faire des débats philosophiques sur la prévision ou non de la polygamie
par le code civil, mais de déterminer la masse de biens dont se composerait
la communauté entre époux polygames et sur laquelle devrait se réaliser
15
un partage égalitaire. L’arrêt Wambo indique une méthode d’approche
intéressante. On prendrait comme point de départ de chaque communauté
la date du mariage concerné. Il appartiendrait alors aux notaires et autres
experts désignés de constituer les diverses masses communes que le mari
aurait eues avec chaque épouse et d’en ordonner le partage égalitaire. Une
chose semble cependant être acquise : même en cas de polygamie la
tendance est d’admettre l’existence d’une communauté d’acquêts, ce qui
somme toute, n’est pas choquant contrairement à l’opinion de ceux qui
estiment que la polygamie est incompatible avec les régimes de
communauté. La jurisprudence semble cependant toujours exiger une
participation de la femme et réalise un partage-contribution. Il faudrait aller
plus loin et ne considérer que la date de l’acquisition du bien comme pour
la monogamie »16.
« Il convient de préciser que la communauté des biens pour chaque
veuve court à partir de la date de son mariage avec le défunt. […]. Lorsque
toutes les veuves étaient mariées sous le régime de la communauté des
biens, la liquidation de la communauté s’apprécie par rapport à la date de
mariage de chacune des épouses. Ceci signifie que lorsqu’un homme est
polygame, en cas de divorce ou de décès, la communauté de biens avec
chaque épouse commence à compter de la signature de l’acte de
mariage», ont dit les rédacteurs du Guide pratique d’accompagnement
juridique de la veuve17.
Les solutions données par la CA du Centre dans son arrêt n°234/Civ
du 20 mars 2003, Nicole-Claire Ndoko et les rédacteurs du document
susdit me semblent défendables. Toutefois, « Pour éviter de telles
difficultés et incertitudes, on est en droit de conseiller voire de souhaiter
pour les époux polygames l’adoption d’un régime séparatiste », a
sagement conseillé Jacqueline Kom18, se référant peut-être à l’article 261
du Code des personnes et de la famille du Burkina Faso où la polygamie
entraîne de droit la séparation des biens. Ce que prévoit d’ailleurs une
législation en gestation. Fait rare, tel a été le cas dans l’affaire Guertoufa
Amna c/ Taio Stéphane Ferry, objet du jugement n°218/Cout. du 30 avril
2021 du TPD de Ngaoundéré. Il ressort de cette décision prononçant le
16Op. cit., pp. 57 et 58. Lire aussi son article intitulé « Les mystères du régime
matrimonial en droit camerounais », Libres propos sur les sources du droit, Mélanges
en l’honneur de Philippe Jestaz, Dalloz, 2006, pp. 411 à 413.
17Op. cit., pp. 33 et 35.
18Voir la note de bas de page n°12.
16
divorce de ces conjoints que leur union avait été célébrée sous la « forme
polygamique » et le régime de la séparation des biens.
Le Vieux Eyiké
"Ora et labora"
"Lux mea lex"
17