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Vol I, n°1.- jan.

- juin 2013

REVUE AFRICAINE DE DROIT


ET DE SCIENCE POLITIQUE
RADSP
Politique rédactionnelle
La Revue Africaine de Droit et de Science politique (RADSP) vise la pro-
motion des sciences juridiques et politiques. C’est pourquoi, elle reçoit des
contributions de doctrine livrant des réflexions sur les questions ou problé-
matiques actuelles de droit privé, de droit public, de sciences criminelles et
de science politique. L’objectif est de fournir la preuve, au travers de cette
pluralité des grilles d’analyse, que la prétendue division des sciences juri-
diques et politiques est beaucoup plus formelle que substantielle ; l’analyse
profonde des rapports entre les Hommes dans la société ne saurait se satis-
faire d’une telle scission.
Sommaire

I : Droit
Jean De Noël ATEMENGUE : La convention de l’Union africaine sur la
protection et l’assistance aux personnes déplacées : entre droit international
humanitaire et droit des droits de l’Homme 7
Odile TOGOLO : L’excédent budgétaire, un objet juridique oublié 31
Stève Thiery BILOUNGA : La crise de la loi en droit public camerounais 57
Patrick ABANE ENGOLO : La notion de qualité du droit 87
Lionel Pierre GUESSELE ISSEME : L’aménagement juridique de la coopération
décentralisée en droit camerounais 111
Urbain Noël EBANG MVE : Les conditions de l’occupation privative du do-
maine public en droit camerounais 141
Cyrille MONEMBOU : Les paradoxes de la décentralisation camerounaise :
De la décentralisation à la recentralisation 161
Stéphane ESSAGA : La spécificité de la fiscalité pétrolière amont en Afrique 181

II : Science politique
Louis Martin NGONO : L’usage du vocable «frère» par les Chefs d’État
africains : considérations idéologiques et visées pratiques 201
Cyriaque ESSEBA : L’élection présidentielle du 09 octobre 2011 comme in-
dicateur fort du progrès démocratique : une lecture à partir des perspectives
théoriques et conceptuelles de Norbert ELIAS et de Carl SCHMITT 237

NGOUYAMSA MEFIRE : Pétrole et intégration régionale en Afrique cen-


trale : multiplication des pôles de puissance et reconfiguration institution-
nelle 257

Moïse YANOU TCHINGANKONG : Reguler les migrations clandestines


d’origine africaine : l’action publique internationale aux prismes des dyna-
miques communicationnelles 279
La notion de qualité du droit
Patrick E. ABANE ENGOLO

Plan
Introduction
I. Les attributs de la norme de qualité
A. La sécurité juridique
1. La prévisibilité et la stabilité
a. La prévisibilité
b. La stabilité
2. La maîtrise de l’inflation normative
a. L’inflation normative et le péril du droit
b. La réalité : l’insuffisance du droit
B. L’effectivité normative
1.Un droit en vigueur
a. L’entrée en vigueur
b. L’implication structurelle
2. « Un droit réel »
a. Le droit évocatoire
b. Le droit obligatoire
II. Les attributs de l’ordre normatif de qualité
A. L’unité de l’ordre normatif
1. L’unité horizontale
a. Relativement au droit « écrit »
b. Relativement au droit jurisprudentiel
2. L’unité verticale
a. L’exigence de conformité
b. L’implication
B. Le cadre organique
1. L’emprise de l’effectivité
a. L’existence au-delà de la norme
b. L’apport à la qualité de l’ordre normatif
2. La garantie organique de l’ordre normatif
a. La garantie juridictionnelle
b. Le contrôle de constitutionnalité
Conclusion
88 Revue africaine de droit et de science politique

Introduction de qualité, l’organe de création du


droit est astreint de respecter plusieurs
L’édiction de normes juridiques n’a exigences. La validité de la norme ne
souvent été l’objet d’intérêt que dans suffit pas, il faut encore qu’elle ré-
la mesure, où cette opération rentrait ponde à une exigence tout au moins
dans le cadre de l’activité de création latente de qualité. Aussi, qu’est ce que
du droit classiquement opposée à celle
de l’application1 . L’idée théorique y la qualité du droit ? L’entreprise vise
relative est alors celle de l’opposition alors à cerner le contenu de cette no-
ou de l’antithèse traditionnelle entre tion. Il s’agit de la déterminer, et cette
« legis latio et legis exetio » (autrement dit opération est à mener en recensant les
entre création et application du droit). critères qui permettent de l’identifier.
Cette théorie ramène l’application à Une redondance peu perceptible
la simple exécution, ce qui confine est présente dans La notion de « qua-
l’application à la non formulation du lité du droit ». Dans le langage cou-
droit. En réalité, la phase d’application rant, ce qui est droit est ce qui est
du droit2, quand elle n’est pas simple- juste, bien, équitable, voire de qualité.
ment la matérialisation du droit3, peut Le terme qualité va dans le même sens
elle-même être l’occasion de créer des car, il renvoie à ce qui est bon, supé-
normes secondaires. rieur…
La création du droit n’a longtemps La notion de qualité du droit man-
eu pour aiguillon dominant que la vali- quant de définition de référence est
dité de la norme créée qui est conférée une caractéristique du droit qui peut
par sa conformité aux autres normes être entendue comme l’exigence de
dont elle procède4. Pour s’en tenir au fiabilité du droit, incombant à sa créa-
Maître de Vienne, c’est à peine s’il tion et à son application.
évoque la sécurité juridique ; pour ne La quête de qualité du droit n’est
d’ailleurs l’exprimer que comme étant pas nouvelle. « Dans ses voyages, Gulliver
une donnée, pas de la norme, mais du avait visité un pays heureux, dont la Consti-
système de l’application de la norme, tution interdisait qu’une loi fasse, plus de
c’est à dire la conformité entre la norme vingt-quatre mots » 6. Cet énoncé for-
supérieure et celles inférieures5, comme mulé au début du XVIIIes présentait
pour garantir le système de l’enchaîne- déjà la recherche d’un ordre normatif
ment du droit par sa (re)production. de qualité, ici déterminé par le critère
Pourtant, l’édiction de la règle de de la concision. En fait, la notion de
droit n’est pas œuvre hasardeuse. Sous qualité du droit ne relève pas d’un cri-
peine de créer un droit qui n’est pas tère unique, mais de l’assemblage de
1 LEBEN (C), Charles EISENMANN, Ecrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées

politiques, Paris, éditions panthéon-Assas, 2002, pp189-191.


2 KELSEN (H), Théorie pure du droit, Dalloz, Paris 1962, p.311.

3 Par matérialisation, il faut entendre l’opération par laquelle celui qui applique la norme n’est plus
en situation de la compléter, mais plutôt de la concrétiser. C’est le cas du paiement d’un bon du
trésor public. Le caissier qui effectue le paiement ne crée pas le droit car, l’ordre d’émettre le
bon de paiement est le dernier acte créateur de droit qui intervient dans la chaîne de l’application
d’un droit à paiement.
4 KELSEN (H), Théorie pure du droit, op.cit, p.17s. 5

Ibid, p.337.
6 Roman fantastique de J. SWIFT paru en 1726 et intitulé, Les voyages de Gulliver.
La notion de qualité du droit 89

plusieurs. La qualité du droit apparaît tration est moins simpliste pour les
alors comme le critère des critères. lois législatives, les actes réglemen-
De nombreux auteurs, parfois sans taires, ou encore pour ceux de la juri-
expressément le dire, voient la qualité diction.
du droit comme étant une donnée in- La réserve est encore plus forte au
timement liée à l’Etat de droit. C’est vue de manifestations publiques9
ainsi que, prenant appui sur la Consti- tournées contre certaines entreprises
tution espagnole du 27 décembre législatives. La France paraît à plus
1978 qui affirme que cette nation est d’un égard le lieu par excellence de dé-
désireuse « de consolider un Etat de droit ploiement de cette démocratie « de la
qui assurera le règne de la loi en tant qu’ex- rue ». Le contrat premier embauche et
pression de la volonté populaire », le pro- la réforme des retraites y sont notam-
fesseur Francis HAMON analyse que ment passés.
l’Etat de droit est le contraire de son Au Portugal, en Espagne comme
opposé qui est « le pouvoir arbitraire des en Grèce, c’est actuellement la cure
dirigeants et l’absence de garantie des libertés d’austérité que le peuple n’arrive pas à
les plus élémentaires »7. Le rejet de l’arbi- digérer. Au Cameroun, c’est une mo-
traire ainsi soulevé tend à faire du dification constitutionnelle qui, en
droit une émanation (réelle) de la vo- 2008, a provoqué plusieurs manifesta-
lonté du peuple. CARRE De MAL- tions de défiance. Ces quelques exem-
BERG proposait déjà le juste rapport ples se marquent par le fait que les
entre le droit et l’expression des sujets textes pourtant contestés ont bien été
de l’Etat8 ; le premier devant être la validés avec des fortunes diverses10.
transcription de la seconde. L’inter- Faut-il alors jeter l’anathème sur ces
prétation veut alors que le droit de textes contestés. Assurément, la qua-
qualité soit le droit en réponse. La lité du droit n’est pas à mesurer par
qualité du droit est ainsi reconnue rapport à l’unique adhésion populaire.
quand un droit est réellement pris en D’autres critères plus positivistes exis-
conformité à l’expression du peuple tent. Il serait d’ailleurs dangereux de
souverain. Cette assertion est un plus centrer la qualité sur le critère unique
dans les critères devant être pris en d’un droit en réponse (aux revendica-
considération mais, elle n’est pas ab- tions populaires) car les systèmes ju-
solutiste. L’un des problèmes posés ridiques africains constitués d’autorité
est qu’il est difficile de mesurer l’an- dès les indépendances, n’auraient
crage populaire d’une norme. S’il est presque pas cette reconnaissance:
admis que la loi référendaire ne peut celle de la qualité du droit. Évitant de
ne pas être le fait même du peuple (ou systématiser par l’émission de juge-
du moins de la majorité), la démons- ments de valeur, le juriste étudie l’or-

7 HAMON (F), « Quelques réflexions sur la théorie réaliste de l’interprétation », in L’architecture du

droit, Mélanges en l’honneur du Professeur Michel TROPER, Economica 2006, p.497.


8 CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Sirey, 1920, tome 1, p.489.

9 Leurs poids est souvent déterminé par le nombre de manifestants, voire la durée et l’étendue
des manifestations.
10 La législation sur le contrat premier embauche a bien été promulguée en France mais n’a à

ce jour pas de réelles concrétisations encore qu’il a valu au premier ministre Raffarin sa
place dans le gouvernement.
90 Revue africaine de droit et de science politique

dre normatif11 en premier pour détec- éléments pouvant permettre d’appré-


ter sa cohérence, son unité ; ne lui de- hender la notion de qualité du droit
mandez par exemple pas si le droit de sont ceux qui, de façon générique, se
mort est bon ou mauvais, mais plutôt trouvent requis dans quelques ordres
s’il est juridiquement admissible ou juridiques que ce soit. Leur identifica-
non. tion est à effectuer suivant l’approche
Plus encore, d’autres aléas peuvent positiviste en combinant l’exégétique
être soulevés pour mieux valoriser un et la casuistique par, l’exploration des
système juridique. Le droit comparé textes de droit et les écrits doctrinaux
en est le terrain de prédilection ou les d’une part, et à travers l’exploration
classiques oppositions entre droit Ro- des décisions de justice d’autre part.
mano-Germanique et droit de la Les éléments de détermination de la
Common Law font école. De manière qualité du droit correspondent à ses
générale (malgré quelques exceptions) attributs matériels et organiques dont
et relativement à l’activité juridiction- la presque totalité est consacrée dans
nelle, le fait que le premier soit large- le droit positif camerounais. La dé-
ment inquisitoire tandis que le second marche retenue tel qu’énoncée, dans
est beaucoup plus accusatoire, que une quête des propositions univer-
dans le premier le juge n’est pas tou- selles de la notion de qualité du droit,
jours contraint à motiver ses déci- ayant notamment leur implantation au
sions12 contrairement au second, ou Cameroun, est celle qui par isolement
encore que pour le premier la magis- et, considérant le droit comme étant
trature du siège soit surtout constituée une norme prise seule, s’attarde sur
d’anciens avocats plus sensibles aux ses attributs de qualité (I), puis par
droits des justiciables à la différence systématisation, relève la qualité de
de ceux qui en tiennent lieu dans l’au- l’ordre normatif (II) pour établir une
tre système ; ces aléas, parmi tant d’au- vue d’ensemble sur cette notion.
tres font que les ordres juridiques de
la Common Law soient pour les uns I. LES ATTRIBUTS DE LA NORME
des ordres normatifs de meilleure DE QUALITÉ
qualité que ceux de l’autre système.
L’étude ne s’y attardera pas, en partie, La notion de qualité de la norme ne
à cause du caractère disparate de ces fait pas l’objet de consécration for-
éléments. melle dans le droit positif. Non consa-
On l’a bien compris. La qualité du crée sous cette forme au Cameroun,
droit est celle du droit-norme-dans elle ne l’est pas non plus en France où
l’ordre juridique, mais aussi celle du c’est une interprétation extensive des
droit qui est un ordre juridique. Pour textes qui permet de l’appréhender13. En
ce second axe, les indications cou- Allemagne, il lui est préféré l’exigence de
rantes de Droit camerounais ou de confiance légitime à la norme14 qui en
Droits(s) africains(s) siéent bien. Les réalité tend vers la signification de

11 V. CHEVALLIER (J), « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société, 50-2002, p.103s

notamment p.104 et 107.


12 TUNC (A), « Pour une motivation plus explicite des décisions de justice », RTD. Civ, 1974, p.487.

13 V. le dossier de la décision du conseil constitutionnel français n°2005-512 DC, 21 avril 2005.

14 HUBEAU (F), « Le principe de la protection de la confiance légitime dans la jurisprudence de la cour de justice

des communautés européennes », cah.dr.eur, 1983, p.143.


La notion de qualité du droit 91

l’une de ses composantes, à savoir la la qualité du droit16. Il est vrai que les
sécurité juridique. La doctrine consi- deux notions renvoient de façon évi-
dère que la qualité du droit est en fait dente au fait de pouvoir se fier à la
l’assemblage d’un certain nombre norme juridique, mais la sécurité juri-
d’attributs de la norme que sont no- dique n’implique pas forcément la
tamment l’intelligibilité, l’accessibilité normativité et ne s’étend à l’ordre
ou encore la normativité15. En réalité, normatif que par une théorisation ex-
cette posture ne relève que d’une ana- cessive. La qualité qui contient bien
lyse des textes. Ces attributs ou cri- ces éléments interpelle également la
tères de la norme s’assemblent pour sphère organique des applicateurs et
que soit constituée l’exigence de qua- des créateurs du droit ; c’est donc elle
lité ; c’est pour cela que ce dernier est qui englobe la sécurité juridique.
le critère des critères de la norme. L’étude du professeur POU-
L’ensemble de ces critères sont repré- GOUE sur la question situe bien la
sentés dans la sécurité juridique (A) sécurité juridique au Cameroun par
d’une part et dans l’exigence de l’ef- possible interprétation des textes17. Ce
fectivité de la norme (B) d’autre part. qui n’est pas probable mais bien réel,
c’est que le juge administratif came-
A. La sécurité juridique rounais a explicitement fait applica-
L’absence de consécration de l’exi- tion de cette exigence dans ses
gence de qualité de la norme en droit décisions18. Il faut intégrer dans la sé-
camerounais ne l’invalide pour autant curité juridique la prévisibilité, la sta-
pas. Il a été exprimé que la qualité du bilité(1), et dans une certaine mesure,
droit, même quand elle n’est pas ex- la maîtrise de l’inflation normative(2).
plicitement formulée, est une donnée 1. La prévisibilité et la stabilité
pour le moins latente du droit. D’ail-
leurs, elle est «ambiante» à l’état de droit Une norme de qualité est celle qui
qui est le nouveau dogme de la consti- fait montre de prévisibilité et de sta-
tution des ordres juridiques. De sur- bilité. Ces deux éléments eux-mêmes
croît, la validité de l’exigence de sont le regroupement d’exigences
qualité de la norme tient aussi au fait dont certaines sont érigées en principe
que ses critères majeurs que sont la sé- général du droit ou en principe de va-
curité juridique et l’effectivité de la leur constitutionnelle.
norme sont bien consacrés en droit
positif camerounais. La sécurité juri- a. La prévisibilité
dique se confond parfois à la La base de la prévisibilité est la res-
confiance légitime et des fois elle est ponsabilité (pour ne pas dire l’obliga-
déterminée comme englobant même tion) de l’organe de création du droit

15CHAMPEIL-DESPLATS (V), « Les nouveaux commandements du contrôle de la production législative »,


in l’Architecture du droit, op.cit, p.268.
16 LIENHARD (A), RONDEY (C), « Incidences juridiques et pratiques des codifications à droit
constant (à propos du nouveau code de commerce », recueil Dalloz 2000 chron. P.522.
17 POUGOUE (P.G), « Les figures de la sécurité juridique », R.A.S.J, Université de Yaoundé II,
vol.4, n°1, 2007, p.7.
18 Notamment : CFJ/SY, Arrêt ADD n°55 du 25 mars 1969, Emini Tina Etienne contre État

fédéré du Cameroun Oriental ; CS/CA, jugement n°22 du 25 janvier 1990, Zangué Pius
contre État du Cameroun.
92 Revue africaine de droit et de science politique

de concevoir des normes certaines. La taires derniers de la norme que sont


certitude juridique vient de la clarté du les particuliers y voient. Cette exi-
texte. Il est question que le texte n’ait gence techniciste dans la production
pas de fragments qui prêteraient à du droit n’est pas superfétatoire car,
équivoque. L’imprévisibilité serait son absence pourrait engendrer une
ainsi générée par l’existence de zones insécurité tenant à des écarts dans
obscures dans un texte juridique. l’application du droit.
Celles-ci sont le fait même de l’usage L’arbitraire nait aussi de la carence
des termes et d’expressions qui lais- de la diffusion du droit. Il s’agit de
sent aux interprètes la possibilité de l’accessibilité du droit. Dans ce cadre,
prendre des décisions parfois inatten- l’exigence est celle de faire connaître
dues19. Il est aussi nécessaire d’éviter le droit afin que chacun sache à quelle
les contradictions dans le même situation il est soumis dans telle condi-
texte20. Ces éléments liés à la qualité tion. L’accès au droit permet l’accès
du langage du droit et à son utilisation à la juridiction pour réclamer son
induisent l’intelligibilité de la norme. droit23. C’est le droit de l’administré au
« L’intelligibilité du droit se définit par juge pour rendre effectif son droit.
rapport à la compréhension effective » du Mais d’abord et surtout, c’est la
texte21. Il s’agit pour l’édicteur de la connaissance même du droit qui est
norme d’éviter les équivoques et de en premier lieu concernée. Tout acte
produire une prescription positive de produisant des effets de droit doit être
conduite humaine qui n’est pas mani- porté à la connaissance de ses desti-
festement incompréhensible. Cela nataires avant de leur être appliqué. La
peut être représenté comme l’intelli- maxime « nul n’est censé ignorer la loi » lie
gence du concepteur du droit d’émet- les destinataires du droit mais oblige
tre des lois matérielles qui sont ses émetteurs au préalable de la diffu-
compréhensibles par une intelligence sion du droit24. Le juge administratif
moyenne22. Le destinataire de la a reconnu que l’opposabilité d’un acte
norme est donc au centre de l’exi- juridique aux administrés n’était pos-
gence de prévisibilité. Ce but est rem- sible que dans la mesure où celui-ci a
pli par l’émission d’une norme qui été porté à leur connaissance par un
d’une part n’est pas complexe pour procédé de publicité25. Au renfort de
l’application du droit et qui d’autre cette exigence de diffusion, il est de
part correspond à ce que les destina- plus en plus utilisé un certain nombre

19 Infra.
20 CHAMPEIL-DESPLATS (V), « Les nouveaux commandements du contrôle de la production normative
», précité, pp.274-276.
21 FRISON-ROCHE (M-A), BARANES (W), « Le principe constitutionnel de l’accessibilité de la loi

», Recueil Dalloz 2000, chron, p.365.


22 GARANT (P), « Le contrôle juridictionnel de l’imprécision des textes législatif et réglementaire au Canada » in

l’Etat de droit, Mélanges Guy Braibant, Dalloz 1996, p.275s.


23 V. MOTULSKY (H), Principes d’une réalisation méthodique du droit. Essai sur les éléments générateurs des droits
subjectifs, Sirey 1948, réed Dalloz 1992.
24 AKAM AKAM (A), « Libre propos sur l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi » », RASJ, vol.4, n°1,

2007, p.41.
25 CFJ/CAY, Arrêt n°90 du 30 septembre 1969, Messomo Atenen Pierre contre Etat fédéral du
Cameroun.
La notion de qualité du droit 93

de techniques d’information juri- brève. Il leur revient aussi de formuler


dique26, dont l’emploi de moyens des des règles juridiques valides, pour évi-
nouvelles technologies, qui va crois- ter les contestations pouvant les inva-
lider, ce qui mettrait en péril les
sant. Nécessairement, il va aussi falloir situations juridiques, nées de ces rè-
que notre droit positif intègre la dif- gles qui sont sorties de vigueur. Aussi,
fusion du droit jurisprudentiel au la stabilité ou la permanence de la
même titre que le droit légiféré pour norme à produire vient de la qualité
pleinement remplir cette exigence. de ceux qui en ont la charge.
D’autres éléments tel que la géné- La stabilité de la norme est au ni-
ralité sont souvent évoqués dans les veau individuel induite de la sécurité
développements sur la prévisibilité et éprouvée par « la possession » de cer-
l’intelligibilité de la norme27. Ceci n’est
tains droits28. L’implication en est la
fondé que lorsque l’acte juridique est protection des situations juridiques
impersonnel car, les actes individuels avec pour point dominant le rejet de
en sont logiquement exemptés. la rétroactivité de la loi29 qui ne peut
La prévisibilité, source de la sécu- en principe subir d’exception que
rité juridique est ainsi véhiculée par pour l’intérêt de la justice (telle la ré-
bon nombre d’exigences de la norme troactivité de la loi pénale la plus
que sont son intelligibilité, son acces- douce). La stabilité du droit est celle
sibilité et sa certitude. La stabilité estde la situation juridique créée par le
aussi un élément non négligeable qui droit. Elle implique l’autorité de la
est recherché dans la norme juridique. chose décidée et celle de la chose
jugée, mais aussi la préservation des
b. La stabilité droits acquis. Deux considérants de
deux décisions du juge administratif
Un autre facteur de la sécurité ju- peuvent tenir lieu d’illustration :
ridique est la stabilité des normes. « Attendu en outre, que lorsqu’une déci-
Pour éviter des modifications fré- sion d’une autorité publique a produit des
quentes, brusques et inattendues des effets à l’égard d’un individu, ces effets in-
normes, il est au préalable requis que dividuels doivent être respectés à cause du
celles-ci aient été conçues comme de- principe de l’intangibilité des effets indivi-
vant au maximum traverser le temps. duels des actes administratifs qui se fonde
La question du droit atemporel elle-même sur une exigence élémentaire de
concerne davantage les règles de droit sécurité juridique… »30.
générales et impersonnelles. L’intelli- « Mais considérant que la sécurité juri-
gibilité resurgit ici, non plus pour les dique serait dangereusement compromise,
destinataires, mais pour les auteurs de si des droits acquis, même irrégulièrement,
la norme, qui doivent la concevoir de par des particuliers, pouvaient à tout mo-
sorte qu’elle n’ait pas une vie juridique
26 KEUTCHA TCHAPNGA (C) et SIETCHOUA DJUITCHOKO (C), « note sous cour

suprême, chambre administrative, jugement n°29 du 03 mai 1990, Mbarga Symphorien contre Etat du
Cameroun », juridis périodique n°43, 2000, pp.62-68.
27 OGIER-BERNAUD (V), SEVERINO (C), « Droit constitutionnel jurisprudentiel ; panorama

2005 », Recueil, Dalloz 2006, sommaires commentés, p.529.


28 Cf. PORTALIS (J-E-M), Discours préliminaire du premier projet de Code Civil, 1801, les Classiques des
sciences sociales, éditions confluences, 2004, p.29.
29 Principe consacré par le préambule de la loi constitutionnelle n°96/06 du 18 janvier 1996. 30

CS/CA, jugement n°22 du 25 janvier 1990, Zangué Pius, op.cit.


94 Revue africaine de droit et de science politique

ment, être remis en question par l’autorité a. L’inflation normative et le péril du droit
administrative »31.
De nombreuses études ont été me-
La lecture croisée de ces deux nées pour démontrer qu’il y a explo-
considérants exprime l’exigence de sion de la production normative. A
protection des droits créés, qui ne deux volets, cette inflation est d’une
peuvent être rapportés que dans des part le progressif rallongement des
délais courts. Tout acte juridique de- actes juridiques. Gulliver n’avait il pas
venu définitif n’est plus à la merci des visité un pays heureux où le bonheur
autorités sauf que le législateur utilise venait de l’interdiction constitution-
parfois l’arme de la nullité d’ordre pu- nelle de légiférer par des textes de plus
blic. Des fois aussi, le juge ou l’admi- de vingt-quatre mots. M. KDHIR33
nistration se retrouve en train prenait aussi en exemple le propos de
d’ignorer la limitation qui est celle de l’historien latin TACITE selon lequel
l’intangibilité des actes réputés défini- « la plus mauvaise République est celle qui
tifs. L’exemple le plus parlant dans a le plus de lois ». C’est le second volet
notre contexte est celui du titre fon- de l’inflation normative : celui de
cier, acte de certification officielle de l’émission d’un excès de lois.
la propriété foncière. De nombreuses Au début de la Vème République, le
études relèvent qu’il est, malgré son parlement français émettait en moyenne
caractère intangible source de 80 lois par an. Ce chiffre a grossi pour
constantes annulations pour des mo-
passer à 220 lois en 199134. Aucune
tifs variés32. Le dernier paramètre à
présenter et qui est généralement dé- étude en la matière n’existe au Came-
terminé comme source d’insécurité, roun. Mais à l’observation, il semble que
est l’inflation normative. ce phénomène a également fait son nid
dans notre ordre juridique35. Chacun y
2. La maîtrise de l’inflation normative va de son appellation : inflation norma-
tive, passion de légiférer, surfécondité
La montée de la production nor- normative, prolifération des normes, lo-
mative est indexée comme étant une gorrhée législative, surabondance, pul-
source d’insécurité, et donc, que le lulation… normative.
droit positif ne doit pas être sujet à un
excès de codification ; c’est la mise en Ces termes graves et d’interpréta-
perspective de l’inflation normative tion péjorative pour le droit émis sont
comme mettant en péril la qualité du destinés à faire valoir l’aspect négatif
droit. d’un grossissement de la loi et d’un

31 CFJ/SY, arrêt ADD n° 55 du 25 mars 1969, Emini Tina Etienne, op.cit.


32 V. EBANG MVE (U.N), Le titre foncier au Cameroun : recherche sur la spécificité d’un acte administratif
unilatéral, thèse de doctorat/PH.D en droit public, Université de Yaoundé II, 2010, 546p.
Voir aussi TIENTCHEU NJIAKO (A), Le titre foncier au Cameroun, ARIKA, Yaoundé 2009, 326p
; ABA’A OYONO (JC), « Chronique du grain de sable dans la fluidité jurisprudentielle à la Chambre
Administrative du Cameroun »RASJ, Vol.5, N°1, 2008, pp51-75 ; et MPESSA (A), Essai sur la notion
et le régime juridique des biens domaniaux au Cameroun, thèse de doctorat N.R en droit public, Université de
Paris I-Panthéon-Sorbonne, 1998, 652p.
33 KDHIR MONCEF, « Vers la fin de la sécurité juridique en droit français ? », Les petites affiches, 16 août

1993, n°98, pp.9-13.


34 V. Rapport annuel du Conseil d’État pour 1991, notamment p.18.

35 AKAM AKAM(A), « Libres propos sur l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » », précité, p.39.
La notion de qualité du droit 95

excès d’édiction de lois, de règlements ment dissoudre le problème. La pul-


et même de jurisprudence. Moins il y lulation nait aussi de la décodification.
a de droit, mieux c’est. Le Professeur La technique de la codification à droit
CARCASONNE dans une de ses constant vénérée38, subit un contre
études sur les libertés36 révèle la per- coup par les décodifications qui, sont
plexité de l’évolution. A celles exis- des sorties d’éléments de codes, ce qui
tantes, il a été rajouté de nouvelles peut embarrasser le justiciable. Le cas
libertés surtout depuis 1981, dont les camerounais le plus patent est celui de
plus importantes concernent la dignité l’ordonnance n°81/002 du 29 juin
humaine, l’accompagnement de la fin 198139 qui intervient pour réglementer
de la vie, la bioéthique et l’écologie. certains éléments pourtant déjà ins-
Cette étude ayant pour contexte le crits dans le code civil.
droit français insiste sur le fait que ce Ce qu’il faut retenir des thèses sur
recours à trop de codification a eu l’inflation normative est qu’elles font
pour conséquence la régression même de ce phénomène une source de com-
du statut de la liberté qui est mieux ex- plexification du droit, d’émission de
primé par un souhaitable encadre- possibles contradictions dans le droit
ment général. et donc d’insécurité juridique. Ceci
C’est qu’il est par ailleurs avancé n’est pas toujours vrai.
que l’inflation normative est une
source de complexité car, les destina- b. La réalité : l’insuffisance du droit
taires de droits s’y perdent ne sachant Légiférer au point de ne plus faire
plus avec précisions lequel des droits de lois générales mais des lois spé-
existants leur est applicable. C’est no- ciales peut difficilement être valori-
tamment le cas de superposition de sant. Complexifier le droit aussi. Les
droits communautaires sur le droit na- interprétations des travaux d’éminents
tional avec les applications de prin- auteurs tels Georges RIPERT40 et
cipes et l’existence d’exceptions : on Jean CARBONNIER41 sont presque
n’est pas sorti de la valse du droit. toutes faites à l’excès. Le second ne
Trop nombreux, les textes eux-mêmes manque d’ailleurs pas de parler de la
peuvent se contredire. Heureusement flexibilité du droit42, pour notamment
que l’application des effets de la hié- indiquer que le droit est partout au
rarchie des normes et de la règle de travers aussi de son adaptabilité.
l’antériorité37 permettent de générale-

36 CARCASONNE (G), « Libertés : une évolution paradoxale », Pouvoirs 2009/3, n°130, pp.5-

15.
37 Cette règle est l’implication selon laquelle pour les dispositions d’égal niveau, la plus récente

abroge en principe la plus ancienne ; c’est l’un des préceptes du conflit des lois dans le temps.
38 LIENHARD (A), RONDEY (C), « Incidences juridiques et pratiques des codifications à droit

constant… », Précité. P.522s.


39 Portant organisation de l’état civil et diverses dispositions relatives à l’état des personnes
physiques.
40 Le Déclin du droit, L.G.D.J, 1943, 228p.

41 Essais sur les lois, éd. Répertoire du notariat de Fresnois, 1979, 299p. 42

Ibid.
96 Revue africaine de droit et de science politique

L’impérialisme du droit que ce cé- impose logiquement l’augmentation


lèbre auteur relève43 ne peut être évité de la production normative. Les seg-
au regard de sa source et de sa finalité. ments sociaux insuffisamment légifé-
C’est que le droit répond à une néces- rés l’imposent également. Or, même
sité : celle de la codification constituée clairvoyant, c’est à la rencontre d’un
par le constat d’un vide et d’un besoin droit aux faits que ceux en charge de
de droit. Les explications sont di- sa production se rendent compte ou
verses. Certaines peuvent être assisses non de la nécessité de le compléter.
sur le changement où l’évolution d’un Face à l’argument de la nécessaire
point de vue. C’est certainement ce complexification du droit par l’infla-
qui a amené le juge français à assujettir tion normative, il faut rappeler que le
la liberté individuelle à la protection droit est une science. La diffusion du
de la dignité humaine ; ou encore à droit et son accessibilité sont en prio-
l’imbrication de continuité du service rité dirigées vers la communication du
public dans le droit de grève. D’autres droit. Ainsi, les destinataires de la
explications peuvent tenir à la nou- norme doivent la connaître ; ils peu-
veauté de l’élément légiféré. Exemple vent la comprendre. Le fait est que
simpliste : il ne pouvait pas y avoir de cette science qu’on le veuille ou non a
législation sur les nouvelles technolo- son langage, et que comme toute
gies à une époque où il n’était même science il a son coté hermétique et ses
pas sur que l’évolution y conduirait. experts. Viendrait-il à un juriste d’aller
De façon plus considérable, il faut comprendre les formulations des
expliquer que la production normative sciences physiques ? Les experts du
tient aussi à la sophistication du droit droit ont à ce niveau toute leur valeur
et à sa plénitude. Elle peut d’ailleurs parce qu’il leur incombe de le faire
avoir des effets sur la quantité de la comprendre à ceux qui les sollicitent.
production jurisprudentielle si, les ar- La complexité n’est donc pas une bar-
guments de la lacune et de la norme à rière étanche à la connaissance du
interpréter sont rétrécis parce que le droit car, les conseils juridiques pour
droit est pleinement codifié. D’ailleurs ne citer que ceux là peuvent bien être
y a-t-il de la sécurité à se voir appli- sollicités pour avoir pleine connais-
quer un droit légiféré, donc connu et sance du droit, l’effort de le diffuser
supposé étudié, plutôt que de se voir ayant déjà été fait. De surcroît, le droit
découvrir et appliquer un droit de gé- a toujours été complexe et la seule dis-
nération spontanée par le juge dans position du préambule de la Constitu-
son activité de création prétorienne du tion selon laquelle «chacun doit participer,
droit ? Il est bien nécessaire que le en proportion de ses capacités, aux charges
droit soit connu au lieu qu’il soit pré- publiques »44 pas simple de compré-
sumé. Le contexte social en évolution hension - le prouve. Le code civil,

43 CARBONNIER Jean cité par : MICHEL (J), in « Michel Villey et les idoles », Les petites

affiches, 7 septembre 2001, n°179, p.12. « Dans son beau et célèbre « Flexible droit », le doyen
Carbonnier relevait déjà, à titre de théorème fondamental de la sociologie juridique, cet impérialisme du droit sur le
monde humain : « pour le panjurisme, le droit est indéfiniment expansible, de même qu’il est absolument homogène :
il tend à remplir tout l’univers social sans y laisser aucun vide ».
44 Qui est chacun ? Il s’agit des capacités de quelle nature ? A quoi se mesurent t-elles ? En
quoi cet énoncé permettrait de positivement discriminer ? Voici certaines interpellations
parmi d’autres qui font de cet énoncé d’apparence simple, un réceptacle de la diversité de
compréhensions.
La notion de qualité du droit 97

acte juridique plus ancien regorge éga- de préceptes décoratifs, mais de prin-
lement de ce type de dispositions cipes convocables dans le commerce
comme pour dire que le droit n’a pas juridique ; d’où la nécessité de l’entrée
attendu d’être inflationniste pour de- en vigueur de la norme(1) pour qu’elle
venir complexe. (la norme) puisse constituer un droit
La qualité du droit est un critère réel(2).
qui concerne toutes les règles, de 1. Un droit en vigueur
conduite humaine, positives. Elle
s’étend donc aussi au droit jurispru- La vocation du droit est de régler
dentiel qui doit être formé avec intel- les situations de fait. Pour ce faire, il
ligibilité, et sans complexité. Il doit, doit rentrer dans la vie juridique par
cela est toujours préférable, être pu- son entrée en vigueur. Il est aussi né-
blié45 pour être porté à la connaissance cessaire que les structures en charge
des justiciables. Son accessibilité est de « sa mise en vie » soient existantes
donc souhaitable et l’un de ses fac- et fonctionnelles.
teurs est la simplification du jargon du
juge46. Le droit jurisprudentiel devrait a. L’entrée en vigueur
aussi être stable car, les revirements Deux conceptions classiques ma-
constants peuvent être source d’insé- jeures de l’entrée en vigueur de l’acte
curité juridique47. La qualité de la juridique sont représentées dans ce
norme est donc d’abord constituée cadre. L’une détermine l’acte juridique
par la sécurité juridique qui en pro- comme étant un acte de volonté de
vient. Elle est également faite par l’ef- celui qui l’a produit. L’achèvement du
fectivité normative qui est la stature processus normatif réside alors en
empirique de la règle de droit. l’apposition sur cet acte de la signature
de celui qui en a le pouvoir, et qui par
B. L’effectivité normative là manifeste sa volonté de créer le
La consécration d’un droit pro- droit48. L’autre thèse classique est celle
vient de la nécessité qui l’a justifié, et selon laquelle la publication est le mo-
de la finalité même pour laquelle il y a ment réel de l’entrée en vigueur de la
eu consécration. La normalité est que norme. Elle est fondée sur le fait que
la règle de conduite positive ne doit c’est par la publication que les justicia-
pas être déclarative mais davantage, bles sont informés et qu’ils peuvent
elle doit être opératoire ; c’est-à-dire dès lors régler leur conduite sachant
que ses destinataires doivent pouvoir ce qu’ils encourent : ils consentent
s’en prévaloir. même passivement au droit49. Ces
thèses ont alors pour principale simi-
Un droit de qualité est un droit ef- litude qu’elles identifient des manifes-
fectif : c’est le principe de la normati- tations de volonté (consentement) -
vité qui veut que le droit, pris ici des auteurs pour la première et des
comme la loi, ne soit pas une émission

45 DUNES (A), « La non-publication des décisions de justice », R.I.D.C, 1986, Vol.38, n°2, p.757. 46

KDHIR MONCEF, « Vers la fin de la sécurité juridique en droit français », précité, p.11.
47 Lire, MOLFESSIS(N), Rapport sur les revirements de Jurisprudence, Rapport remis à Guy

CANIVET, Novembre 2004, 78p.


48 Cf. EISENMANN (C), Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, tome 2, 1983, p. 200 et 701. 49

Ibid., p.374, 717.


98 Revue africaine de droit et de science politique

destinataires pour la seconde - pour vigueur qu’au « premier jour du treizième


édifier sur l’entrée en vigueur du droit. mois suivant celui de sa promulgation » 54.
Ces visions « signaturistes » et « pu- Appui pris sur la loi constitutionnelle
blicistes » ne correspondent pour au- de 1996, le professeur ONDOA
tant pas à plusieurs situations. S’il est constate que la Constitution n’est
vrai que la signature valide l’acte50 et qu’en partie réellement en vigueur. Il
le rend effectif51 ; s’il est vrai que la énonce une suspension de vigueur55 à
formalité de publicité permet à l’acte cause de cette progressivité. Il faut y
d’être opposable52 car l’assujetti du reconnaître un raisonnement logique
droit ne peut échapper à son effet ju- fondée d’abord sur l’article 67 alinéa
ridique en évoquant qu’il en ignorait 1er (qui dispose que les nouvelles ins-
l’existence parce que non publié ; ces titutions de la République seront pro-
deux thèses ne recouvrent pas toute la gressivement mises en place), mais
réalité. Si la thèse de la publication aussi établi sur l’évidence que l’inexis-
peut être ébranlée par la théorie de la tence de certains organes, prévus par
connaissance acquise ; l’aléa le plus ir- la Constitution, empêche la mise en
résistible est celui de la progressivité. vie des normes nouvelles relevant de
Dans une étude faisant ressortir la compétence unique de ces organes
une caractéristique du droit camerou- (la réciproque étant aussi valable).
nais, la progressivité, le professeur C’est à peine si de façon transitoire,
Magloire ONDOA relève que celle- des actes matérielles sont provisoire-
ci rentre dans le débat sur la notion ment posés par des institutions exis-
d’entrée de vigueur53. La schématisa- tantes56.
tion faite est que le droit est formulé, Ce qui est le plus intéressant pour
les formalités de signature et de publi- notre étude c’est la représentation de
cation effectuées, mais il ne rentre pas l’exigence d’effectivité qui est faite.
directement dans le commerce juri- L’effectivité est le critère de la norme
dique parce qu’il existe des disposi- directement applicable car, la tech-
tions qui disent que la mise en œuvre nique de l’entrée en vigueur différée
surviendra plus tard : c’est l’entrée de constitue une sorte «d’immobilisme» 57
vigueur différée. Un exemple récent par lequel le droit créé ne saurait à
est le nouveau code de procédure pé- l’instant être exercé. En plus, la notion
nale signé et publié et dont une dispo- d’effectivité a une implication d’ordre
sition ne prévoyait son entrée en structurelle.

50 CS/CA, jugement n°42 du 30 mars 2000, Wabo Rigobert contre État du Cameroun. 51
BINYOUM (J), Droit administratif, cours polycopié, Yaoundé, s-d, p.111.
52 CFJ/CAY, arrêt n°90 du 30 septembre 1969, Messomo Atenen Pierre, op.cit. ; CS/CA,
jugement n°98 du 28 septembre 1983, Ndjoumi Maurice contre État du Cameroun...
53 ONDOA (M) « La constitution duale : Recherches sur les dispositions constitutionnelles transitoires au
Cameroun », R.A.S.J 2000, vol 1 n°2, pp20-56.
54 Art 747 de la loi n°2005/007 du 27 juillet 2005 portant code de procédure pénale. 55

ONDOA (M), précité, p.39.


56 C’est le cas de la compétence en matière de contrôle de constitutionnalité exercée par la

cour suprême en lieu et place du Conseil Constitutionnel.


57 MEBENGA (M), « Le droit et ses pratiques : expérience camerounaise » in Repenser les droits africains pour le

XXIe siècle, (S-dir) Camille KUYU MWISSA, éd Menaibuc, 2001, p.76.


La notion de qualité du droit 99

b. L’implication structurelle charge de sa mise en œuvre sont exis-


tantes. C’est ainsi que l’ensemble de la
Les structures du droit sont réglementation sur le sénat n’est pas
d’abord la structure du droit et à côté opératoire à ce jour parce que cette
l’agencement ou la conséquence orga- chambre du parlement n’est pas en-
nique. core mise sur pied. Un montage reste
S’agissant de la structure du droit, possible, celui qui consiste à attribuer
une norme peut se suffire par l’édic- de façon provisoire l’exercice du droit
tion d’un acte juridique unique. Cette à un organe existant ; c’est le cas des
hypothèse n’est pas le principe instances de la juridiction administra-
puisque l’observation ne trahit pas les tive appelés à disparaître avec la ré-
théories des fonctions de l’État qui forme de 2006 mais qui exercent
présentent sans justifier (cela n’est pas encore leurs fonctions « en attendant la
utile) les fonctions d’applications du mise en place des nouveaux organes »59. La
droit. Les organes qui en ont la charge qualité du droit se trouve aussi dans la
sont très souvent appelés à compléter vertu du droit à réellement réglemen-
les métanormes par la création des ter.
normes intermédiaires et terminales.
Cela induit que des droits ne sont 2. « Un droit réel »
constituées que par production de Cette expression n’est pas à consi-
couches successives de manière qu’ils dérer comme correspondant à la défi-
ne deviennent effectifs que dans la nition usuelle selon laquelle le droit
mesure où tous les actes juridiques y réel est celui qui porte directement sur
relatifs ont été pris. Pour faire simple, une chose par opposition au droit per-
une loi nécessitant un décret d’appli- sonnel. Le droit réel ici est le droit vé-
cation n’est effective que quand ledit ritable. C’est interpellatif parce que la
décret survient. Le juge administratif question qui s’ensuit est celle de savoir
a suivi cette logique dans l’affaire Bou- s’il y a des droits non véritables. Le pa-
dombo Moudio58. En l’espèce, l’admi- norama des droits fait effectivement
nistration avait fait application d’un apercevoir des droits non évocatoires
décret. Le décret ayant prévu que ses et non exécutoires.
conditions d’application seraient pré-
cisées par arrêté et l’arrêté étant à l’instant a. Le droit évocatoire
inexistant, la décision administrative ne
pouvait être valide. Sous la plume de Portalis, on peut
lire que « la loi ordonne, permet ou inter-
Relativement à l’agencement orga- dit ». Cette indication devait donner
nique, la règle de droit rentre dans la lieu à l’exigence de normativité du
vie juridique quand les structures en droit.

58 CS/CA, jugement n°68 du 31 mai 1979, Boudombo Moudio contre État du Cameroun : «

qu’au demeurant, l’alinéa 3 de l’article 37 suscité (décret n°74/250 du 3 avril 1974), dispose qu’un arrêté du
ministre chargé de l’administration pénitentiaire précisera les conditions d’application de cet article, notamment en ce
qui concerne la procédure disciplinaire ; qu’il ne résulte pas du dossier que cet arrêté ait été pris ; que la décision attaquée
ne pourrait donc être fondée sur un texte dont l’application est subordonnée à un autre acte, lequel pour le moment est
inexistant ».
59 Pour cette question précisément, six ans après les reformes de 2006, il vient d’être
promulgué le décret créant les tribunaux administratifs dan les régions, ainsi que ceux nommant
les magistrats devant y officier. La mise en marche réelle de ces tribunaux devrait être effective entre
le dernier trimestre 2012 et le premier trimestre 2013.
100 Revue africaine de droit et de science politique

Cumulativement, la règle de droit remarque s’applique aussi aux articles


empreinte de normativité est d’une part 3 et 4 de la loi cadre relative à la ges-
celle là qui existe, et d’autre part celle tion de l’environnement65 dont l’arti-
qui modifie l’ordonnancement juri- cle 4 est juste un ensemble de
dique. La notion de droit évocatoire définition fidèlement prises dans les
renvoie donc à la possibilité qui est of- lexiques de référence. Le décret relatif à
ferte d’effectivement jouir d’un droit60. la protection des personnes handi-
Les constatations sur l’inflation norma- capées66 est également fort illustratif :
tive61 se sont accompagnées de celles « Art 1er : l’éducation des enfants et ado-
des « neutrons législatifs ». Le droit n’est lescents handicapés est assurée dans les cen-
réel que parce qu’il peut être réclamé, tres d’éducation spéciale ».
exercé, parce qu’il rentre dans « le com- « Art 21(1) L’Etat et les collectivités lo-
merce juridique » 62. Les constats évo- cales prendront en tant que de besoin, toute
disposition utile pour développer les sports
qués font état de ce que le neutron et les loisirs pour handicapés…(2) un pro-
législatif n’est rien d’autre qu’une règle gramme d’éducation physique et sportive
de droit formelle qui, sur le plan maté- pour jeunes handicapés peut figurer dans
riel, n’influence en rien l’ordonnance- les programmes scolaires et universitaires ».
ment juridique existant. Le Conseil Le droit tel qu’il est entendu est réel
Constitutionnel français énonce à ce parce qu’il a une portée normative étant
propos que « la loi a pour vocation d’énon- donné qu’il modifie l’ordonnancement
cer des règles et doit par suite être revêtue juridique. Il l’est aussi parce qu’il est
d’une portée normative » 63. Cette portée exerçable donc évocatoire dans les rap-
non normative est notamment inscrite ports de droit. C’est que le droit n’en est
dans l’article 7 de la loi objet de sa dé- réellement un que quand il crée un rap-
cision n°2005-512 DC qui dispose port de débiteur-créancier. Le débiteur
que « l’objectif de l’école est la réussite de de droit est celui sur qui une obligation
tous les élèves… » positive peut être exercée et le créancier
Au Cameroun, on peut citer l’arti- de droit celui qui peut faire évocation
cle 1er du texte portant régime des fo- de ladite prescription positive67. Des
rêts, de la faune et de la pêche64 dont facteurs qui rendent un droit non évo-
la portée normative est quelque peu catoire, il faut citer le fait qu’en soit, ledit
incertaine dans la mesure où il est da- droit soit simplement déclaratoire ou
vantage un exposé des objectifs de la programmatoire68, cela peut aussi sur-
politique publique en la matière. Cette
60 V. AÏVO (F.J), « La crise de normativité de la Constitution en Afrique », RDP, 2012, N°1, p.141s. 61

Supra.
62 CHAMPEIL-DESPLATS (V), «Les nouveaux commandements du contrôle de la production législative»,

précité, p.277.
63 Cons. Const., 29 juillet 2004, loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités

territoriales, J.O 30 juillet 2004, p.13562, D.205.


64 Loi n°94/01 du 20 janvier 1994.

65 Loi n°96/2 du 5 août 1996.

66 Décret n°90/1516 du 26 novembre 1990 fixant les modalités d’application de la loi

n°83/013 du 21 juillet 1983 relative à la protection des personnes handicapées.


67 V. RIVERO (J) et VEDEL (G), « Les principes économiques et sociaux de la Constitution : le préambule »,

Droit social, 1947, vol 31, pp.13-35.


68 CHEVALLIER (J), L’État de droit, problèmes politiques et sociaux, Paris, La documentation

française, n°898, 2004, p.39.


La notion de qualité du droit 101

venir de l’inexistence d’un texte d’appli- tion que tout est vu «comme si la catégorie
cation qui empêche que le droit crée modale du devoir n’était pas parfaite par elle-
n’ait de dimension empirique. Il reste même et avait besoin du secours de cet élément
que le droit réel est également celui qui complètement étranger de la sanction ! »73. En
est obligatoire. fait la formulation non impérative
n’est pas une donnée fondamentale de
b. Le droit obligatoire l’absence de force de la norme. En
L’effectivité normative est consti- énonçant que le mari de la femme est
tuée par l’entrée en vigueur du droit, le père de l’enfant, cela donne valable-
le fait même qu’il norme, c’est à dire ment le droit à l’épouse de revendi-
qu’il crée des droits et des obligations, quer que le nom de son mari soit
et qu’il soit exécutoire. porté sur l’acte de naissance de l’en-
Certains auteurs se sont attardés fant. Ainsi, le foncteur déontique im-
sur la formulation de la règle de droit pératif et la sanction ne seraient que
pour en déterminer l’attrait obliga- des suppléments au droit évocatoire.
toire. Faisant suite aux travaux de Nécessairement, cette dimension
KELSEN, ils voient dans certains empirique de la norme n’est envisa-
termes de simples habilitations. Il geable que si elle est bien rentrée dans
s’agit souvent de la présence d’expres- la vie juridique et que les structures
sions telles : «peut», «a le droit de» qui qui la garantissent sont existantes et
représenteraient des facultés, des per- fonctionnelles.
missions. Par contre d’autres expres- La norme de qualité l’est parce
sions dont : «doit», «al’obligation qu’elle revêt les attributs que sont la
de»…sont lourdes d’impératifs et ren- sécurité et l’effectivité. La sécurité ju-
dent d’emblée la norme obligatoire. ridique est le côté fiable de la norme
Des réalistes scandinaves à l’exemple tandis que l’effectivité normative cor-
de STRÖMBERG font même une respond davantage à l’édiction de la
distinction entre normes de compé- norme à des fins utiles. Ne pas pou-
tence69 et normes de conduite70, pour voir jouir d’un droit c’est en être privé
révéler que certaines normes sont et le droit ne serait plus régulateur de
d’obligatorieté douteuse71. la conduite humaine. Le principe de
L’obligation est davantage confé- normativité est bien la reconstruction
rée par l’existence de la sanction sui- contemporaine du discours prélimi-
vant la pensée de Kelsen72. A naire sur le projet du code civil de
contresens, en présentant dans une Portalis, qui exprimait la nécessité de
étude cet ensemble de facteurs du ca- la dimension impérative et empirique
ractère contraignant de la norme, le du droit : son effectivité, sans quoi, la
professeur AMSELEK énonce en qualité de la norme et des droits crées
particulier contre l’exigence de sanc- serait mise à mal.

69 « Le président de la république est le chef des armées », « Le parlement vote les lois ». 70 « On
peut, on ne peut pas, on doit… ».
71 STRÖMHOLM (S) et VOGEL (H.H.), Le « réalisme scandinave » dans la philosophie du droit,

LGDJ, 1975, p.75s.


72 Théorie pure du droit, op.cit, p.158s.

73 AMSELEK (P), « Les fonctions normatives ou catégories modales », in l’Architecture du droit, op.cit,

p.63.
102 Revue africaine de droit et de science politique

Pour autant, l’exigence de qualité davantage pour les normes sur leur
n’est pas une donnée unique de la unité (A), avec par extension un cer-
norme prise isolément, elle s’étend à tain nombre d’implications, pour le
l’ordre normatif tout entier avec des cadre organique (B) d’expression des
implications diverses. normes assemblées.
A. L’unité de l’ordre normatif
II. LES ATTRIBUTS DE L’ORDRE
NORMATIF DE QUALITÉ L’ordre normatif étatique est
fondé sur la Constitution77. A part elle
Le droit peut être entendu comme qui est l’unique norme première de
système normatif spécifique74. Il est l’ordre juridique, nombreuses sont les
donc un type propre de régulation de autres qui occupent les divers niveaux
la conduite humaine. La complexité de la pyramide des normes. Cette plé-
de la société fait que la réglementation thore de normes n’est viable que par
juridique est le fait d’ensembles de l’unité qu’elle présente. Il n’est pas in-
droits qui se posent en se superpo- signifiant de dire que l’opposé de l’or-
sant. Rassemblés ils forment un dre est le désordre. Ce dernier serait
ordre : l’ordre juridique. engendré par l’émission de normes
L’imbrication hiérarchisée des désarticulées, contradictoires et donc
normes juridiques constituent donc sources d’insécurité juridique, qui
l’ordre juridique. Une conception ex- n’est plus le fait d’une norme bien
tensive l’entend comme « l’ensemble or- conçu, mais de sa confrontation à
donné et structuré de tous les éléments qui d’autres normes existantes. La qualité
contribuent à la construction du droit » 75. de l’ordre normatif est donc à ce ni-
Cette conception associe ainsi les élé- veau établie par la cohésion et la par-
ments matériels (normes) à ceux or- faite cohabitation entre les droits. Tel
ganiques (structures de création et que s’agencent les normes, l’unité
d’application du droit) pour ainsi faire dont il est question est horizontale(1)
la jonction entre ordre juridique et et verticale(2).
système juridique76. Convenant à la 1. L’unité horizontale
synchronisation des normes et or-
ganes d’un lieu donné, à un moment L’unité du droit s’entrevoit comme
donné, on parle de l’ordre juridique une qualité d’un ordre normatif ab-
camerounais ou encore du droit ca- soute de contradictions entre normes.
merounais. Cet assemblage n’est pas L’harmonie recherchée a souvent été
exempté de l’exigence de qualité sur- abordée à partir de la hiérarchie des
tout par les appréciateurs de l’État de normes, en faisant loi, la conformité
droit. La perspective positiviste de la de la norme inférieure à celle supé-
qualité d’un ordre normatif repose rieure. Or, cette approche fait fi de

74 TROPER (M), « Sur l’usage des concepts juridiques en histoire », Annales ESC, novembre-dé-
cembre 1992, n°6, p.1171.
75 LEBEN (C) « ordre juridique », in Dictionnaire de la culture juridique, (S.dir) ALLAND (D) et

RIALS (S), PUF, Quadrige, 2003, p.1113.


76 LASSERRE-KIESOW (V), « L’ordre des sources ou le renouvellement des sources du droit », Recueil Dalloz
2006, chron. P.2280.
77 BULYGIN (E), « Système juridique et ordre juridique », in L’architecture du droit, op.cit, p.225.
La notion de qualité du droit 103

l’existence de normes juridiques d’égal opposés, contradictoires. A côté de


niveau auxquelles cette exigence s’im- cet aspect dit de contradiction inté-
pose de la même façon. Relative au grale en existe un autre qui est partiel ;
droit « écrit », cette règle de l’unité c’est l’opposition entre dispositions de
s’applique aussi au droit prétorien. textes différents. Cette opposition
a. Relativement au droit « écrit » partielle est à titre d’illustration visible
dans les textes portant récemment ré-
La représentation horizontale des forme de la juridiction administrative.
normes juridiques est celle qui pré- La réforme a entraîné la dissolution de
sente l’agencement entre normes l’assemblée plénière, jusqu’alors juge
d’égale valeur. Comme droit écrit, il y du second degré du contentieux ad-
a les traités et conventions internatio- ministratif. Mais alors, le texte sur la
nales, les lois et les règlements78. Res- cour suprême énonce qu’a titre provi-
tons-en aux deux dernières qui sont soire, la section compétente de la
d’origine purement étatique. Il a été chambre administrative va désormais
vu qu’il existe un phénomène crois- jouer ce rôle82. Le texte sur les tribu-
sant de production normative qui fait naux administratifs, lui, attribue ce
que le nombre de lois et règlements rôle aux sections réunies de la cour su-
soit sans cesse en train d’augmenter. prême83. Qui fera alors quoi ? Le flou
Le problème principal alors relevé est jeté car les deux dispositions ne di-
était la complexification de l’ordre sent pas la même chose ; elles se
normatif, par les complications liées à contredisent. En plus, elles sont issues
la connaissance du droit79. de lois de même niveau promulguées
le même jour. C’est donc à l’observa-
Pour les normes d’égal niveau, l’ac- tion que pourra se déterminer celle
croissement de la production norma- applicable par le choix que les autori-
tive a pour conséquence de faire tés d’application feront.
coexister les unes avec les autres. En
prenant des lois d’égal niveau80, ou des Il y a création d’insécurité juridique
règlements de même niveau81, il faut quand des normes toutes valides et
dire que l’œuvre de leur édiction doit d’égal niveau sont contradictoires.
se faire au regard du droit existant. Un Cela est encore plus préjudiciable aux
texte ne doit pas contredire (hormis citoyens quand leurs droits individuels
l’intention d’abrogation) un autre du sont concernés.
même niveau juridique. La contradic- Les contradictions entre normes
tion peut être le fait que les deux équivalentes portent atteinte à la qua-
textes en question soient totalement

78 La Constitution n’est pas ici citée parce qu’elle est la norme unique placée à la tête de
l’ordre juridique.
79 Supra.

80 Au sein de la catégorie des lois, certains avancent parfois une possible catégorisation entre la loi
ordinaire et la loi référendaire
81 Cf. DUFFAU (J-M), Pouvoir réglementaire autonome et pouvoir réglementaire dérivé, thèse de doctorat,

Paris II, 1976, 411p.


82 Art 141(2) de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le
fonctionnement de la cour suprême.
83 Art 119(2) de la loi n°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le
fonctionnement des tribunaux administratifs.
104 Revue africaine de droit et de science politique

lité d’un ordre normatif, parce que le vrai que le revirement de jurispru-
droit, vu d’ensemble, est désuni et mal dence est justifié par la nécessité de ne
articulé. Les coups de butoir à l’unité pas appliquer « une interprétation de-
du droit horizontal sont néanmoins venue contestable » a une affaire pen-
cas rares dans la mesure où le droit a dante. Le revirement a pour incon-
réglé lui-même dans sa création sa vénient de porter préjudice à celui qui
propre unité par la règle de l’antério- a engagé une action dans « un contexte
rité. Ainsi, quand un texte ne dispose judiciaire et …en fonction d’une interpréta-
pas expressément qu’il porte abroga- tion qui lui était favorable » 86. Le revire-
tion d’un autre, la contradiction pou- ment serait dans ce cadre source
vant être effective se résout en d’insécurité juridique et de détériora-
principe par l’invalidation du texte ou tion de la confiance en un ordre juri-
de la disposition plus ancienne. Ces dique.
contradictions peuvent également être Ce qui détériore davantage l’unité
perçues au niveau de la jurisprudence. du droit, est dans la juridiction les di-
b. Relativement au droit jurisprudentiel vergences dans le droit jurispruden-
tiel. Rare, ce cas de figure n’est pas
Le juge n’a pas pour vocation pre- inexistant et se pose généralement
mière de faire le droit. Mais l’inflation entre des ordres juridictionnels diffé-
normative évoquée montre bien qu’il rents. Au sein d’un même ordre juri-
y a une insuffisance du droit écrit, et dictionnel, cette hypothèse est plus
cela a des répercussions sur l’activité difficile car, si deux tribunaux admi-
de la juridiction. Cette situation d’in- nistratifs statuent différemment pour
suffisance fait que le juge se retrouve des cas qui auraient dû être solution-
souvent en train d’édicter des règles nés de la même manière, le jeu du
de conduite84, et son œuvre jurispru- double degré, voire même du pourvoi
dentielle la plus prestigieuse reste les peut très bien rétablir le droit et uni-
principes généraux. fier la jurisprudence. Le problème se
Il est question pour la juridiction pose davantage quand il s’agit d’ordres
d’émettre des règles de conduite ré- juridictionnels distincts.
pondant à l’impératif d’unité du droit. Il est possible que deux juridictions
Déjà, la création prétorienne du droit d’ordres différents statuent de ma-
n’est pas sans danger pour la sécurité nière divergente à l’invocation d’un
juridique. L’un des dangers est l’effet même texte. Un exemple illustre en
rétroactif de certaines décisions de droit français, est celui dans lequel le
justice. Cet effet est la règle pour le cas juge judiciaire reconnaissait la supério-
du recours pour excès de pouvoir car, rité du droit international convention-
l’acte annulé est réputé n’être jamais nel sur la loi interne antérieure et
intervenu ; le jugement a donc un postérieure87, tandis que le juge admi-
effet rétroactif. L’autre danger est le nistratif n’acceptait pas la supériorité
revirement jurisprudentiel85. S’il est du traité sur une loi contraire posté-

84 D’AMBRA (D), L’objet de la fonction juridictionnelle : Dire le droit et trancher les litiges, Paris, LGDJ, t236,
1994, 339p.
85 MOULY (C), « Le revirement pour l’avenir », JCP 1994, I, n°3776.

86 CRISTAU (A), « L’exigence de sécurité juridique », recueil Dalloz 2002, chron. p.2816. 87

Cass. Chambre mixte, 1975, société des cafés Jacques VABRE.


La notion de qualité du droit 105

rieure jusqu’à l’arrêt NICOLO88. Ce alors que la norme inférieure ne soit


genre de positions antinomiques y est valide que parce qu’elle est conforme à
désormais résolu par la procédure de la norme supérieure.
renvoi pour avis au conseil d’Etat89. La théorie de la validité telle que
Mais, il faut le préciser ces avis n’ont conçue par Hans KELSEN énonce
malheureusement pas l’autorité de la qu’il y a un rapport de « supériorité-su-
chose jugée. bordination » entre normes. « La norme
Au Cameroun, la lecture des textes qui règle la création est la norme supérieure,
législatif de décembre 2006 fait entre- la norme créée conformément à ses disposi-
tions est la norme inférieure » 91. Il formule
voir que, l’unité du droit jurisprudentiel,
ressort désormais de la compétence de alors deux principes : celui de la vali-
la formation des chambres réunies de dité statique qui est la conformité du
la cour suprême90, dont les décisions contenu de la norme inférieure au
sont revêtues de l’autorité de la chose contenu de la norme supérieure ; et
jugée. L’unité de l’ordre normatif est celui de la validité dynamique qui est
donc une exigence de la qualité du la conformité des procédures et
droit. Elle a également une sphère ver- formes de la norme inférieure par rap-
ticale. port à celle supérieure92 ; comme quoi,
le droit règle sa propre création. Ainsi,
2. L’unité verticale deux normes ne peuvent se contre-
L’ordre juridique est la représenta- dire, auquel cas, une seule d’entre elles
tion de normes hiérarchisées qui se serait objectivement valable93
superposent les unes sur les autres. « …d’une loi non-valable, on ne peut pas
Elles forment un tout cohérent parce dire qu’elle soit contraire à la
qu’unies. La base de l’unité verticale constitution : une loi non-valable n’est du tout
est la validité des normes juridiques une loi, parce que, juridiquement, elle n’existe
dont le moyen est la conformité. pas… » 94.
Cette vue fait donc de l’ordre ju-
a. L’exigence de conformité ridique un ordre harmonieux dans
lequel les lois sont conformes à la
Les multiples normes d’un ordre Constitution, de même que les règle-
juridique s’agencent de façon verticale ments, également conformes à la loi.
par le critère de supériorité. Ainsi, la En fait, toute norme inférieure doit
Constitution, acte normatif premier, être la transposition des métanormes
est au dessus des lois, qui elles mêmes (normes supérieures) de l’ordre juri-
dominent sur les règlements. Cette dique. Le professeur GUASTINI ne
présentation générique fait de l’ordre semble pas partager ce point de vue
juridique une pyramide, une échelle dans la mesure où il fait le constat que
des normes. La logique de l’unité est

88 CE, Ass, 20 octobre 1989, Nicolo.


89 Art 12 de la loi française du 3 décembre 1987 portant réforme du contentieux administra-
tif.
90 Art 41 de la loi n°2006/016, précitée.

91 KELSEN (H), Théorie pure du droit, op.cit, p.299. 92

Idem, p.258s.
93 Ibid., p.274.

94 Ibid., p.360.
106 Revue africaine de droit et de science politique

deux normes peuvent être en conflit contrôles permet de garder sauf ; ce


et qu’il est possible que toutes deux qui peut l’être de l’unité du droit.
soient valides ou non valides95, ou en- S’agissant des règlements, le moyen
core que la norme suprême elle-même usuel employé est celui du contrôle de
n’est jamais positivement valide96. légalité. Il consiste pour le juge à s’as-
Ce qui reste non contestable, est que surer que le fond, et la forme des actes
l’ordre normatif est un agencement de de l’administration sont conformes aux
normes dont les normes inférieures métanormes dont la principale est la loi.
doivent se référer aux normes supé- Pour les lois, il s’agit d’opérer un
rieures pour former un tout cohérent. contrôle de constitutionnalité pour ga-
C’est dire qu’il y a une exigence de rantir sa conformité à la Constitution.
conformité entre normes de l’ordre ju- D’autres modalités complémentaires
ridique dont l’implication est significa- comme le contrôle de conventionnalité
tive. interviennent également98, le tout pour
que l’unité du droit soit garantie.
b. L’implication La conception d’une règle juridique
La première implication est celle de ne se fait pas de façon isolée. Il y a tou-
la logique superposition des normes en jours ce fait qu’elle est appelée à s’inté-
forme pyramidale. La pyramide des grer dans un système normatif99, et si la
normes n’est pas seulement une figura- norme isolée est de qualité, cette qualité
tion par agencement de normes suivant de la norme non intégrée doit être
leur hiérarchie ; c’est aussi une implica- constituée par la perspective de son in-
tion tout au moins latente de la présup- sertion dans l’ensemble normatif. Ce
position de la conformité des normes défaut pourrait provoquer des contra-
inférieures à celles supérieures. dictions et un manque d’unité de l’ordre
La seconde implication fort impor- normatif ; la qualité du droit isolé et la
tante est celle de la garantie juridique qualité des droits assemblés en seraient
de l’unité de l’ordre normatif qui est déteintes.
exercée par la juridiction. Même s’il Les instruments du droit dont font
est vrai que certaines limites sont don- partie les organes de sa création et de
nées au juge telle « l’obstruction du son application sont également parties
fait de l’écran législatif » théorisé en intégrantes de la qualité de l’ordre nor-
droit administratif97, il est davantage matif; d’ailleurs, ils servent notamment
vrai qu’un certain nombre de à garantir l’intégrité du droit positif.

95 PAPAEFTHYMIOU (S), « De deux choses l’une : cohérence ou contradiction dans la théorie pure du droit »,
in L’architecture du droit, op.cit, p.754.
96 GUASTINI (R), « Jugements de validité », in L’architecture du droit, Ibid, p.454.

97 Le principe veut que le juge administratif se déclare incompétent quand l’acte administratif

dont il lui est demandé d’apprécier la légalité est pris en vertu d’une loi d’où il tire son vice
d’inconstitutionnalité. Aussi, le juge administratif se refuse d’apprécier l’inconstitutionnalité
d’une loi.
98 DUTHEILLET de LAMOTHE (O), « contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité », in
Mélanges en l’honneur de Daniel LABETOULLE, Dalloz 2007, 17p.
99 JEAMMAUD (A), « La règle de droit comme modèle », recueil Dalloz 1990, chron. , p.205.
La notion de qualité du droit 107

B. Le cadre organique la règle veut que la Constitution pri-


maire émane du pouvoir constituant
Le système normatif est appré- originaire, qui est lui généralement
hendé comme un « ensemble ordonné et matérialisé par une assemblée repré-
structuré de tous les éléments qui contribuent sentative101, collaborant plus ou moins
à la construction du droit » 100 et donc à avec le peuple. Mais c’est la validité de
son existence. Mais aussi, le fait que cette Constitution qui, a postériori va-
l’administré doit par exemple avoir à lide le pouvoir du pouvoir constituant
sa disposition un droit au juge pour originaire. La Constitution, norme su-
rendre effectif son droit, fait que l’or- prême crée un ensemble de règles et
dre normatif ne puis être totalement d’organes de l’Etat. Ces organes et rè-
exprimé dans sa qualité, en éludant les gles d’origine constitutionnelle vont
aspects structurels qui la viabilisent. Il eux-mêmes se déployer par l’entre-
s’agit en particulier de l’emprise de
l’effectivité(1) sur les organes et struc- mise d’autres règles et organes qui
tures du droit, et de la garantie que ces procèdent d’eux. Ceci fait que l’organe
organes apportent(2) à la sécurité ju- est issu de la règle et que c’est la règle
ridique et à l’unité de l’ordre norma- qui crée et détermine les fonctions de
tif. l’organe ; l’un a besoin de l’autre.
Les organes du droit ont donc des
1. L’emprise de l’effectivité fonctions normatives à remplir ; ce
qui ne peut être effectuées que par
Les normes juridiques ne sont leur effectivité. Il s’agit d’une part
prises en considération que parce qu’il d’une existence légale qui n’est consti-
existe un certain nombre d’instru- tuée que par la formation normative
ments permettant de leur donner une de l’organe. Le droit crée ainsi l’or-
dimension plus matérielle. Y figurent gane102 et lui accorde un certain nom-
les organes du droit qui ont pour bre de pouvoirs. D’autre part, il est
fonction d’édicter la norme et de la nécessaire que l’organe fonctionne. A
faire appliquer. Cette fonction n’est l’effectivité normative d’un organe
remplie que quand ces organes, créés, succède donc l’effectivité matérielle
fonctionnent effectivement. qui est incarnée par l’entrée en fonc-
a. L’existence au-delà de la norme tion de l’organe : c’est la réelle mise en
place des institutions et autres organes
Il y a une intimité entre la norme prévus par les textes103. Cette exis-
et l’organe car, l’un procède toujours tence effective n’est pas sans effet sur
de l’autre. Entre la Constitution et le la qualité de l’ordonnancement juri-
pouvoir constituant originaire, il existe dique.
bien un flou sur l’antériorité parce que

100 LASERRE-KIESOW (V), « L’ordre des sources ou le renouvellement des sources du droit », recueil Dalloz
2006, chron., p.2280.
101 V. CAYLA (O), « L’obscure théorie du pouvoir constituant originaire ou l’illusion d’une identité souveraine

inaltérable », in L’Architecture du droit, op.cit, p.251.


102 LEBEN (C), Charles EISENMANN, Écrits de théorie du droit, de droit constitutionnel et d’idées

politiques, op.cit, p.192.


103 Sur cette effectivité, V. ONDOA (M), « La Constitution duale : recherches sur les dispositions
constitutionnelles transitoires au Cameroun », Précité, p.40s ; OLINGA (A.D), « L’article 67 de la
Constitution », lex lata, n°33, mars 1997, p.3s.
108 Revue africaine de droit et de science politique

b. L’apport à la qualité de l’ordre normatif droit entre autre dans sa compréhen-


sion par le citoyen d’intelligence
L’ordre normatif comme agence- moyenne105. Cependant, il faut recon-
ment de règles positives de conduite naître que le citoyen d’intelligence
humaine est une superposition de moyenne a du mal à savoir à quelle
normes, portant création de droits et porte frapper quand un droit, en tran-
obligations. Les normes ont pour vo- sition, opère normativement un chan-
cation de modifier l’ordonnancement gement d’institutions non encore
juridique par le phénomène d’ajout, et matérialisé. Aussi, l’effectivité des or-
d’extraction de droits. Cet objectif se- ganes assurent la réalité du droit, et sur-
rait vain si la norme ne devait pas être tout que certains de ces organes
appliquée. La part des organes garantissent le respect du droit.
consiste à faire rentrer les droits créés
dans la sphère du commerce juridique. 2. La garantie organique de l’ordre norma-
Sans les organes, les normes restes tif
en apesanteur à « l’État gazeux » 104, La qualité de l’ordre normatif est
sans vie réelle. Les cas de figures de également le fait des supports orga-
cette situation sont légendes au Came- niques des normes. La viabilité des or-
roun, il suffit de regarder les disposi- ganes de conception du droit, et les
tions constitutionnelles. La fictive prérogatives et interventions au titre
Haute Cour de Justice, la non-régio- de la garantie des droits institués est
nalisation actuelle dans la décentrali- de mise. A l’observation, de nom-
sation, l’hypothétique Sénat, sont des breux organes sont à dénombrer.
institutions aux droits encore inopé- Ceux politique, administratif, et sur-
rants. Dans trop de matière, le droit tout les organes à vocation juridiction-
camerounais est « en court » et pas nelle, dont l’impact sur la qualité du
achevé. droit produit est notable, notamment
L’absence d’organes du droit contri- grâce à la neutralité et aux pouvoirs
bue à la dégradation de la norme et de desdits organes. De surcroît, il est spé-
l’ordre normatif. En effet, les règles de cifique de relever l’apport du contrôle
droit ne sont pas vouées à tenir lieu de de constitutionalité, qui intervient
texte d’affichage, mais a être appliquées également pour assurer l’unité de la
et ce dans un délai bref pour qu’elles production normative infra constitu-
(les règles de droit) remplissent le be- tionnelle, ce qui n’est pas sans inci-
soin qui justifie leur création. L’effecti- dence sur la qualité du droit.
vité organique rentre donc dans la
catégorie des éléments qui, indirecte- a. La garantie juridictionnelle
ment, contribuent à la qualité de l’ordre A ce niveau, la juridiction joue
normatif notamment en lui conférant deux fonctions : permettre la concré-
une dimension empirique. Elle y contri- tisation du droit et éviter les altéra-
bue également dans la mesure où elle tions dans l’exercice du droit.
permet de diminuer les situations de Concernant la concrétisation du droit,
confusions. Il a été dit que certains au- elle correspond au fait que l’adminis-
teurs déterminaient l’accessibilité au tré ait à sa disposition un droit au juge

CHEVALLIER (J), L’État de droit, op.cit, P.39. 105


104

Supra.
La notion de qualité du droit 109

pour rendre effectif son droit106. Sans n’auraient de l’importance véritable


avoir à être consacré, le droit au juge qu’en fonction de ce que le juge en
va de soi dans la mesure où les juridic- fera108. La qualité de l’ordre normatif
tions sont là pour être saisies. Mais relève en effet, également du juge qui
pour éviter toute controverse, de a notamment la charge de d’ordonner
nombreux supports normatifs natio- (mettre en ordre) le droit. Le niveau
naux, internationaux, et une riche ju- ultime de cette garantie est le contrôle
risprudence postulent le droit d’accès de constitutionnalité.
au juge107. Les justiciables ont le droit
de former des recours contentieux b. Le contrôle de constitutionnalité
pour que le juge, dont les décisions La qualité de l’ordre juridique est
sont exécutoires, rende le droit ré- aussi le fait du juge constitutionnel qui
clamé effectif. contribue également à l’unité de l’or-
Le juge a aussi pour fonction de ré- dre juridique. Le juge constitutionnel
tablir le droit en l’expurgeant des alté- peut effectivement éliminer de l’ordre
rations qu’il a pu subir. Cette fonction juridique, quelle que soit l’origine,
lui permet de contribuer à l’unité du toute norme déviante par rapport à la
droit positif, à la consolidation de hiérarchie normative109. Il faut éviter
l’exigence de conformité dans l’ordre le désordre normatif. Cette garantie
normatif et à l’effectivité du droit. est celle de la norme isolée et des
La qualité de l’ordre normatif n’est normes prises ensemble.
donc pas seulement une donnée qui Pour le premier cas, et en rapport
procède uniquement des normes. Elle avec le principe de normativité de la
est aussi le fait d’organes en charge de loi, le conseil constitutionnel français
la fonction d’application, et en parti- a reconnu l’inconstitutionnalité d’une
culier de la juridiction qui, par sa fonc- loi non normative110. Constitué en
tion sanctionnatrice, est appelée à ordre normatif, le juge du contrôle de
préserver l’ordre du droit, à contrôler constitutionnalité est appelé à faire
l’application et la création des normes empêcher l’entrée en vigueur, l’appli-
inférieures, à éliminer les règles qui ne cation ou à faire sortir du droit positif
correspondent pas à l’exigence de lé- les actes juridiques qui, réputées pro-
galité. Garantie de la légalité, la juri- céder de la Constitution, la contredi-
diction est artisane de la qualité du sent en réalité. Il s’agit des actes
droit positif. Le point de vue du réa- législatifs et des règlements auto-
lisme américain, relativement à cette nomes pour le juge constitutionnel, et
position, est même poussé à l’extrême des règlements d’application pour le
car, il énonce que les règles posées juge ordinaire.

106 FRISON-ROCHE (M-A) et BARANES (W), « Le principe constitutionnel de l’accessibilité et de


l’intelligibilité de la loi », précité, p.367.
107 Sur l’ensemble, Cf. GUIMDO DONGMO(B.R), « Le droit d’accès à la justice administrative

au Cameroun. Contribution à l’étude d’un droit fondamental », RASJ, Vol 4, N°1, 2007 PP.169-173
108 HART (H), Le concept du droit, traduction Michel Van de KERCHOVE, Facultés univer-
sitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1976, p.169.
109 VEDEL (G), « Aspects généraux et théoriques », in L’unité du droit, Mélanges en hommage à R.
DRAGO, Economica, 1996, p.8.
110 Cons. Const., décision n°2004-500 DC du 29 juillet 2004, loi relative à l’autonomie financières

des collectivités territoriales, JO, 30 juillet 2004, P13562 ; D.2005, Pan. P.1125.
110 Revue africaine de droit et de science
politique qualité du droit est constituée du mo-
ment où ce droit serait tributaire d’une
Le juge constitutionnel est ainsi un réponse aux exigences socialement
acteur majeur de l’établissement de la exprimées, il devrait être, au regard
qualité du droit. Non seulement, il est des développements, convenu que la
fondé à contrôler les écarts de la pro- qualité du droit ne réside pas (du
duction législative par rapport à la moins uniquement) dans ce qu’il pro-
Constitution, mais en plus, le juge clame, mais aussi dans ce qu’il devient.
constitutionnel, régulateur des pou- La prévisibilité, l’accessibilité, l’effec-
voirs institutionnels, impose à ceux-ci tivité, la normativité, l’unité du droit,
de s’incliner devant la règle de droit. les représentations organiques de
conception et de garantie… sont par-
Conclusion ties intégrantes de la qualité du droit
qui au final est un critère de critères.
La notion de qualité du droit ren- Il reste que certaines branches du
voie à une exigence qui concerne à la droit prêtent à équivoque. C’est le cas
fois la norme prise isolément, et l’en- du droit international dont la primiti-
semble de l’ordre juridique. Aussi vrai vité est souvent démontrée, et ce no-
qu’une norme juridique peut être de tamment à cause de ses manquements
qualité, autant cela peut être déprécié quant à la sécurité juridique et à la
dès qu’elle est mise en contact avec
l’ordre normatif. Le jeu des organes normativité. Néanmoins, la qualité du
n’est pas non plus des moindres dans droit n’est jamais une donnée statique.
cet assemblage. Le fait en est que la Elle évolue avec les sophistications du
jouissance de la prescription positive droit et, assurément, les parcelles du
est fortement liée à leur existence, et droit international déteintes sont,
à la garantie que ces organes de créa- l’évolution le veut, appelées à muer.
tion et d’application du droit y appor-
tent. Même en envisageant que la

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