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1
Résumé
2
Introduction
Adopter en toute chose une juste mesure, et par voie de conséquence, faire preuve de
modération est un exercice très apprécié du libre arbitre chacun. Mais, lorsqu’il est saisi par le
droit, l’action de ‘’modérer’’ est susceptible de s’accompagner de contrainte donnant parfois
lieu à une obligation de modérer le dommage. L’espace OHADA1 connait d’une telle
obligation qui s’impose à la victime d’un dommage dans certains cas. En effet, le droit de la
responsabilité civile des pays membres de l’OHADA, à l’instar de celui d’autre pays tels que
la France, présente une caractéristique essentielle. Il s’agit l’indemnisation de la victime, de
celui ou de celle qui subit une lésion dans ses biens ou dans sa personne2. Pour y parvenir, il
n’a de cesse de renouveler ses fondements en passant tour à tour par addition3 de la faute4 au
risque5, à la garantie6, à la solidarité7 et à la précaution8. Même la distinction entre
1
L’espace OHADA peut s’entendre du droit OHADA et de l’ensemble des normes d’origine nationale
complétant le droit OHADA, ou couvrant des domaines du droit non encore régis par le droit OHADA.
L’OHADA est un instrument technique qui a pour vocation de réaliser l’harmonisation du droit des affaires en
Afrique. Selon l’article 2 de son traité fondateur, les actes uniformes qu’il édicte couvrent un domaine plus ou
moins étendu comprenant les règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au
recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime de redressement des entreprises et de
la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente, et des
transports. Outre ces matières, l’harmonisation pourrait être élargie à toute autre matière par le Conseil des
ministres de l’OHADA. Ainsi, un débat porte actuellement sur l’adoption d’Acte uniforme relatif aux obligations
civiles et commerciales. Il en est de même pour le droit du travail, la vente aux consommateurs. Ces différentes
branches n’ont pas encore fait l’objet d’actes uniformes. En ce qui concerne le droit des contrats et le droit du
travail, ils ont fait l’objet de projets d’Acte uniforme et sont en examen. Le droit OHADA entretient des rapports
avec plusieurs systèmes juridiques dont il s’inspire. On peut citer le système romano-germanique encore appelé
système de droit civil, le système de la common law. On note aussi une inspiration africaine du droit OHADA.
Parmi ces différentes sources d’inspiration du droit OHADA, le système romano-germanique de tradition
civiliste constitue la source principale. Au sein de ce système, le droit français a exercé la plus grande influence.
Au moment de l’élaboration du projet d’acte uniforme sur le droit des contrats, on a noté une grande influence
des principes UNIDROIT et du droit civil québécois. Voir dans ce sens POUGOUE P.G. et KALIEU ELONGO
Y. R., Introduction critique à l’OHADA, Yaoundé, Presse universitaire d’Afrique, 2008. Selon l’article 10 du
même traité, les actes uniformes qu’il édicte sont directement applicables dans les Etas membres. Les actes
uniformes de l’OHADA bénéficient d’une primauté directe dans les Etats membres.
2
La notion de victime est assez délicate. Pour avoir la qualité de victime, il faut avoir la personnalité juridique,
mais pour certains dommages tels que les dommages corporels, il faut être une personne physique. L’enfant
soulève une question particulière : peut-il avoir la qualité de victime alors qu’il est encore dans le ventre de sa
mère ? Le Conseil d’Etat a admis cela dans un arrêt de 1989. CE 27 sept. 1989, Req. N° 76105, Rec., 176 ; Gaz.
Pal., 1990, 2,421, conclu. FORNACCIARI M.
3
FABRE-MAGNAN M., Droit des obligations 2 Responsabilité civile et quasi-contrat, PUF Thémis, Paris,
2007.
4
DESCAMPS O., Les origines de la responsabilité pour faute dans le code civil de 1804, LGDJ, « Bibl. dr.
Prive », Paris, 2004.
5
ETIER G., Du risque à la faute Evolution de la responsabilité civile pour le risque du droit romain au droit
commun, Bruylant, Bruxelles, 2006.
6
LAMBERT-FAIVRE Y., L’évolution de la responsabilité civile d’une dette de responsabilité à une créance
d’indemnisation, RTD civ., 1987, 1.
7
VINEY G., Le déclin de la responsabilité individuelle, LGDJ, Paris, 1965.
8
HANS J., Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique, éd. du Cerf, 1990.
3
responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle n’échappe pas à cette réalité. Ce
souci d’indemnisation de la victime est certes louable, mais il n’est pas sans risque, la victime
pouvant devenir un lourd fardeau pour la collectivité par sa passivité devant l’aggravation de
son dommage. En effet, si l’indemnisation des victimes est l’une des pierres angulaires du
droit de la responsabilité, c’est aussi parce qu’il y a eu en parallèle le développement de
l’assurance. C’est davantage la collectivité des assurés qui supporte la charge de la réparation
du préjudice de la victime9. Si le coût de la réparation du préjudice est élevé, la contribution
de chaque assuré risque aussi de s’élever, ce qui n’est pas toujours facile à assumer.
L’obligation de modérer le dommage est pour cela susceptible de devenir un moyen qui
concourt à l’allègement du poids de la réparation du préjudice de la victime sur la collectivité
en le rendant responsable des conséquences de sa passivité devant l’aggravation de son
dommage, tout au moins dans certains cas.
De part son sens, l’obligation de modérer le dommage est une obligation qui postule
que la victime d’un préjudice droit prendre les mesures qui s’imposent pour limiter sa perte ou
préserver son gain. C’est donc avant tout, une obligation, c'est-à-dire un lien de droit en vertu
duquel une personne considérée comme créancier peut exiger d’une autre personne considérée
comme débiteur, l’exécution d’une prestation de donner, de faire ou de ne pas faire quelque
chose10. C’est une obligation que la loi impose et qui consiste à faire quelque chose, en
l’occurrence modérer son dommage11. Son introduction en droit OHADA est assez récente12.
Son étude est difficile car non seulement l’approche de la notion s’est diversifiée, mais aussi
son étendue demeure très discutée. Appréhender en droit anglais comme the « mitigation of
damage » ou « mitigation of harm », l’obligation de modérer le dommage fait l’objet de
plusieurs approches en droit français. Dans deux arrêts du 19 juin 2003, la Cour de cassation
française, sous le visa de l’article 1382 du code civil, a jugé que « l’auteur d’un accident doit
en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de limiter
son préjudice dans l’intérêt du responsable13 ». Dans ces deux décisions, la Cour de cassation
utilise l’expression ‘’ limiter son préjudice’’. C’est la même expression que l’acte uniforme
9
Certains auteurs n’hésitent pas à évoquer dans ce sens le déclin de la responsabilité. Voir dans ce sens VINEY
G., op. cit.
10
Voir CARBONNIER J., Droit civil 2nd Vol., Les biens, Les obligations, PUF, « Quadrige », 2004.
11
En règle générale, l’obligation tire sa source dans la volonté des parties, mais elle peut aussi résulter de la loi.
12
Cette notion a commencé son entrée en droit français et en droit OHADA à partir des années 2000. Elle a été
consacrée par l’ancien article 266 AUDG (Acte Uniforme Relatif au Droit Commercial Général) ; voir JIOGUE
G., « Vente commerciale en droit OHADA », Encyclopédie du Droit OHADA, (Sous la dir. POUGOUE P-G.),
éd. Lamy, Paris 2011, p. 2129.
13
Civ. 2e, 19 juin 2003, Bull. civ. II. 203; RTD civ.2003, 716, obs. Jourdain P. ; JCP , 2004.I.101.19, obs.
VINEY G.
4
OHADA sur le droit commercial général utilise pour imposer à la partie qui invoque une
inexécution des obligations du contrat, l’obligation de limiter son préjudice. Mais dans le
cadre de la réforme du droit des contrats en Afrique, l’avant- projet d’acte uniforme OHADA
sur le droit des contrats a plutôt utilisé l’expression ‘’ Atténuation du préjudice’’14.
L’expression, dans ce contexte, semble introduire une nuance. Dans cette logique, certains
auteurs vont utiliser des expressions telles que minimiser le dommage15 ou modérer le
dommage16. En examinant de près ces différentes expressions, on note qu’elles divergent tant
quand au verbe utilisé qu’au complément d’objet. Dans certaines expressions, nous avons le
verbe atténuer, limiter ou modérer. Les compléments d’objet utilisés sont soit préjudice ou
soit dommage. L’ensemble de ces verbes traduisent un mouvement que l’on retrouve dans
l’expression utilisée par le législateur OHADA : il s’agit de l’expression ‘’ limiter sa perte ou
préserver son gain’’. Le verbe modérer rend mieux compte de ce mouvement et c’est pour
cela que nous la préférons mieux que les autres verbes.
En ce qui concerne les mots préjudice et dommage, ils semblent comporter une
nuance. En effet, selon certains auteurs, le dommage serait à proprement parler une lésion
subie alors que le préjudice serait la conséquence, l’effet ou la suite de cette lésion17. Mais
selon d’autres, cette distinction se comprend, mais elle semble dépourvue de conséquence
juridique18. De même législateur et le juge les utilisent sans faire de différence. Pour cela,
nous allons considérer que le dommage peut encore être appelé préjudice. Mais néanmoins
une distinction doit être faite entre la réduction du dommage et son aggravation19, entre le
préjudice corporel et le préjudice matériel20. Par exemple en droit OHADA, l’Acte uniforme
OHADA révisé sur le droit commercial général adopté en décembre 2010 évoque les mesures
susceptibles de limiter la perte ou de préserver le gain du créancier de l’obligation
inexécutée21.
14
Voir article 7/26 avant-projet d’acte uniforme OHADA sur le droit des contrats.
15
REIFEGERSTE S., Pour une obligation de minimiser le dommage, PUAM, Marseille, 2002.
16
GENCY-TENDONNET D., « L’obligation de modérer le dommage dans la responsabilité
extracontractuelle », Gaz. Pal., 5-6 mai 2004, 27.
17
Voir TOURNEAU Ph. (sous la dir., avec la participation de GUIDICELLI A., GUETTIER Ch., KRAJESKI
D., JULIEN J., LEROY M., STOFFEL-MUNCK Ph.), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz,
« Action », 6e éd., Paris, 2006-2007, n° 1035.
18
FABRE-MAGNAN M., Droit des obligations. 2- Responsabilité civile et quasi-contrat, PUF, Thémis, Paris,
2009, p. 369.
19
Voir AUBERT J.L.note RJDA, 2004, p. 355.
20
Voit article 1373, avant-projet Catala.
21
Voir article 293 al. 1.
5
Cette diversité d’approche exerce une influence sur l’étendue de l’obligation. L’on
recherche si elle doit s’imposer à toute sorte d’obligation ou être circonscrite à certaines
obligations. Par les deux arrêts précités de la Cour de cassation française, l’obligation de
modérer le dommage est exclue en matière de responsabilité extracontractuelle. Le droit
OHADA l’impose explicitement pour le créancier contractuel de la vente commerciale.
L’article 293 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général précise que « la partie qui
invoque une inexécution des obligations du contrat doit prendre toutes mesures, eu égard aux
circonstances, pour limiter sa perte, ou préserver son gain ». Le texte va plus loin en
prévoyant des mesures de sanction en son alinéa 2 : « Si elle néglige de le faire, la partie en
défaut peut demander une réduction des dommages-intérêts égale au montant de la perte qui
aurait pu être évitée et du gain qui aurait pu être réalisé ». Il en est de même de la
Convention de Vienne de 1980 sur la Vente Internationale de Marchandise (CVIM)22. Ainsi,
on a alors retenu que dans l’espace OHADA, le créancier contractuel peut être tenu de
l’obligation de modérer son dommage sous peine de réduction du montant de ses dommages-
intérêts. En revanche rien n’impose à la victime d’un accident l’obligation de modérer son
dommage dans l’intérêt de l’auteur de l’accident. Il doit réparer intégralement le préjudice
subi par la victime.
22
Certains pays de l’espace OHADA sont parties à la CVIM. C’est le cas du Bénin notamment.
23
Il existe en droit français et dans l’espace OHADA un principe dit de ‘’non cumul de la responsabilité
contractuelle et de la responsabilité délictuelle’’. Voir MARTINE E.N., L’option entre la responsabilité
contractuelle et la responsabilité délictuelle, LGDJ, « Bibl. dr. Privé », 1957 ; CORNU G., « Le problème du
cumul de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle, rapport du VIe congrès de droit
6
Cette problématique interpelle toutes les branches du droit, et spécifiquement le droit
de la responsabilité civile compte tenu du caractère pluridimensionnel du droit de la
responsabilité. Actuellement, l’OHADA vient de sortir d’une réforme qui a repensé
l’obligation de modérer le dommage contractuel dans le cadre du contrat de vente
commerciale. Cette réforme sera suivie sans doute d’une réforme générale du droit des
contrats des Etats membres de l’OHADA24. Cette étude gagnerait à être effectuée dans une
perspective comparative avec d’autres droits étrangers, le droit français notamment. En effet,
la France traverse une période de « fascination codificatrice »25. De nombreux projets de
réforme partielle du Code civil qui abordent l’obligation de modérer le dommage sont
élaborés. Dans cet élan de modernisme du droit des obligations, une étude comparative du
droit OHADA et du droit français des obligations serait intéressante. De plus, il existe un
passé juridique commun entre la France et la plupart des pays de l’OHADA26 et de nos jours
encore, l’actualité juridique française constitue une source d’inspiration pour l’OHADA27.
comparé », in Etudes de droit contemporain, 1962, 239. Ce principe de non cumul n’exclut cependant pas tout
lien avec les deux types de responsabilité. Par un arrêt du 6 octobre 2006, l’Assemblée Plénière de la Cour de
cassation française a confirmé l’identité de la faute contractuelle et de la faute délictuelle en jugeant qu’un tiers
peut se prévaloir d’une inexécution du contrat auquel il n’est pas partie dès lors que cette inexécution lui a causé
un dommage ; voir Bull., Ass. Plén, n° 9.
24
Un colloque a été organisé dans ce sens sur l’avant-projet d’acte uniforme OHADA sur le droit des contrats à
Ouagoudou en juillet 2007.
25
V. OPPETIT B., Essai sur la codification, PUF, coll. Droit étique société, 1998, p.67- 69 ; MERRYMAN J -
H., La tradició juridícan romano- canónica, tra. de l’anglais par Eduardo Suárez, Ed. Fondo de cultura
économica Mexico, 2008, p.59-71 ; MAZEAUD D., « La réforme du droit français des contrats : trois projet en
concurrence » : in Liber amicorum LARROUMET Christian, Economica, 2010, p.329-360.
26
JACQUET J. - M., Le droit français des contrats et les principes d’Unidroit, Acte du colloque sur
l’harmonisation du droit OHADA des contrats, Ouagadougou 2007, Rev. Dr. Unif. 2008.
27 V. sur la question DJOGBENOU J., L’exécution Forcée, Droit OHADA, 2eme édition, CREDIJ, avril 2011.
28
La réparation d’un dommage peut être affectée d’un élément d’extranéité qui conduira à rechercher entre les
différentes lois en présence celle qui a vocation à s’appliquer. La règle dégagée dans ce sens par l’arrêt Lautour
du 25 mai 1948 est que les faits juridiques sont soumis à la loi du lieu où ils se produisent. Mais de nos jours, la
détermination du lieu où le fait dommageable s’est produit n’est pas aisée car le lieu du fait générateur est
parfois différent du lieu de réalisation du dommage. Parfois aussi, le fait juridique présente des liens étroits avec
un autre pays.
29
KARAM-BOUSTANY L., L’action en responsabilité extracontractuelle devant le juge administratif, LGDJ,
« Bibl. dr. Privé », Paris, 2007.
7
Deux axes prioritaires retiendront l’attention en ce qui concerne les fondements et le
domaine de l’obligation de modérer le dommage. Les fondements sont aussi bien classiques
que modernes (I), mais le domaine d’application reste à être précisé (II).
Pour expliquer l’obligation de modérer le dommage, les auteurs font souvent recours
aux principes de loyauté, de bonne foi ou au principe d’équité. Ces principes n’apportent
qu’une explication partielle de l’obligation de modérer le dommage soit parce qu’ils se
limitent à certains préjudices seulement ou à une certaine étape de la portée de l’obligation.
Le principe de bonne foi est seulement limité à la matière contractuelle (1) tandis que la
recherche de l’équité pourrait être située au moment de l’évaluation du préjudice (2).
Dans quelle mesure le principe de bonne foi peut-il être le fondement de l’obligation
de modérer le dommage en matière de vente commerciale ? Une telle préoccupation trouve
une réponse dans la nature contractuelle de la vente commerciale. Selon l’article 237 de
l’AUDCG, la vente commerciale est soumise aux règles du droit commun des contrats et de la
vente. Or, l’obligation de bonne foi est, au regard de l’article 1134 du code civil, l’un des
30
Voir FABRE-MAGNAN M., Droit des obligations 2 Responsabilité civile et quasi-contrat, PUF Thémis,
Paris, 2007.
8
principes fondateurs du droit commun des contrats31. Pour cela, il l’est aussi pour la vente
commerciale32. Mais dans ce cas, c’est le comportement de la victime de l’inexécution de la
vente commerciale qui est visé. Selon l’article 293, « la partie qui invoque une inexécution
des obligations du contrat doit prendre toutes mesures raisonnables eu égard aux
circonstances, pour limiter sa perte ou préserver son gain ». Cette disposition signifie que la
victime qui laisse s’aggraver son dommage sans rien faire fait preuve d’une attitude déloyale
en cherchant à tirer profit de sa situation33. En effet, la bonne foi induit aussi un
comportement de la part des contractants. Elle est dans ce sens une règle de comportement
des parties à un contrat et se traduit par la loyauté, la probité. C’est ainsi en raison de la
loyauté, de la probité, que la partie qui invoque une inexécution de la vente commerciale a le
devoir de modérer son dommage. Le second alinéa de l’article 293 amène à considérer que la
victime qui s’abstient de modérer son dommage commet une négligence. Il doit alors être
considéré comme de mauvaise foi. Mais tout cela suppose l’existence de lien contractuel.
Selon l’article 1134, ce sont les contrats qui doivent être exécutés de bonne foi. Quel serait
alors le fondement de l’obligation de modérer le dommage extracontractuel si une telle
obligation est admise ? Le principe de bonne foi n’explique que partiellement l’obligation de
modérer le dommage. Qu’en est-il du principe d’équité?
31
GORPHE F., Le principe de la bonne foi, th. Paris, 1928 ; FLECHEUX G., « Renaissance de la notion de
bonne foi et de loyauté dans le droit des contrats », Etudes GHESTIN J., 2001, 341.
32
Voir PINSOLLE Ph., « Distinction entre le principe de l’estopel et le principe de bonne foi dans le droit du
commerce international », JDI, 1998, 905.
33
Voir ADIDA-CANAC H., « Mitigation of damage » : une porte entrouverte ? », note sous cas. Civ. 2e, 24 nov.
2012, D. 2012, 142.
34
Voir HEUZE V., « La vente internationale de marchandise Droit uniforme », sous la direction de GHESTIN
J., Traité des contrats, LGDJ, 2000, p. 407.
9
a- L’évaluation équitable du préjudice en l’absence d’une convention relative à
la responsabilité
Il serait utile de se rappeler que d’une manière générale, l’évaluation d’un préjudice en
matière délictuelle se fait selon le principe de la réparation intégrale du préjudice. Selon ce
principe, l’on doit réparer tout le préjudice35 mais rien que le préjudice36. C’est pour cela que
la Cour de cassation française est réticente à admettre une obligation de modérer le dommage
en matière délictuelle. En revanche, en matière contractuelle, le dommage est limité à celui
que l’auteur pouvait prévoir compte tenu de son acte ou compte tenu des prévisions du
contrat. Ces principes peuvent-ils aider à évaluer le préjudice résultant de la modération du
dommage en l’absence d’une convention relative à la responsabilité ? Dans les arrêts du 19
juin 2003, la Cour de cassation a censuré la cour d’appel d’avoir admis une réduction du
montant des dommages et intérêts résultant de l’aggravation du préjudice. Sur quels critères
ce préjudice a-t-il été évalué ?
Par rapport à la vente commerciale, le droit OHADA utilise une méthode qui se base
sur le montant de la perte éprouvée et le gain manqué. L’alinéa 2 de l’article 293 dispose en
effet que « … la partie en défaut peut demander une réduction des dommages-intérêts égale
au montant de la perte qui aurait pu être évitée et du gain qui aurait pu être réalisé ». Il
s’agit d’une formule très voisine de celle que le législateur français utilise à l’article 1149 au
terme duquel « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a
faite et du gain dont il a été privé… ». C’est la perte qui aurait pu être évitée ou le gain
manqué qui devront être évalués. Mais comment se fait l’évaluation ? Le droit OHADA
n’apporte pas de réponse à cette question laissant ainsi un large pouvoir d’appréciation aux
juges. Il eut été souhaitable que le législateur donne dans ce sens quelques indications pour
déterminer le montant du préjudice lorsque la victime ne fait rien pour modérer son
35
Ainsi selon la Cour de cassation, « les dommages et intérêts alloués à la victime doivent réparer le préjudice
subit sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit » : Civ. 2e, 8 juillet 2004, RTD civ. 2004, 739, obs.
JOURDAIN P. ; Civ. 2e, 23 janvier 203, Bull. civ., II, n° 135.
36
L’on s’efforce que les dommages et intérêts correspondent exactement au préjudice subit.
10
dommage37. De façon courante, c’est le débiteur qui apporte des éléments pour obtenir la
réduction de ce qu’il doit payer.
Lorsqu’il n’y a pas une convention relative à la responsabilité, c’est en toute équité
que se fait l’évaluation du préjudice de la victime. Il en est de même lorsque les parties
acceptent une convention relative à la responsabilité.
La convention relative à la responsabilité peut aussi être une clause exclusive ou une
clause limitative de responsabilité ou une clause pénale.
S’agissant de la clause pénale, la Cour de cassation la définit comme une « clause d’un
contrat par laquelle les parties évaluent forfaitairement et d’avance l’indemnité à laquelle
donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée39 ». Elle est différente des clauses
d’indemnisation forfaitaire qui sont des clauses par lesquelles celui qui manquera d’exécuter
une convention paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts40. La clause pénale
prévoit en général une indemnité forfaitaire bien supérieure au dommage prévisible.
Lorsqu’une telle clause existe, il serait difficile d’envisager sa réduction en raison des
préjudices liés à la modération des dommages. De même, la clause pénale peut être annulée.
Dans ce cas, tout se passerait comme si l’on est l’absence d’une convention relative à la
responsabilité.
37
Voir dans ce sens, FABRE-MAGNAN M., Droit des obligations. 1- Contrats et engagements unilatéral,
Thémis, PUF, Paris, 2008, état des questions, p. 674 et s.
38
Article 2044 code civil français
39
Civ. 1ère, 10 oct ? 1995, Bull. civ., I, n° 347
40
Voi MESTRE J., obs. RTD civ., 1985, 372 ; MAZEAUD D., La notion de clause pénale, LGDJ, Paris 1992 n°
265 et s.
11
Pour ce qui concerne les clauses exclusives ou limitatives de responsabilité, la
situation serait sensiblement identique à celle des clauses pénale. Ce sont des clauses qui ont
pour conséquence d’alléger, voire de supprimer, la responsabilité pesant sur le débiteur d’une
obligation41. Elles peuvent être déclarées nulles et réputées non écrites. Dans ce cas aussi, tout
se passerait comme s’il n’y a pas une convention relative à la responsabilité et le montant du
préjudice lié à la modération du dommage devra être déduite du montant des dommages et
intérêts.
De manière classique, on n’évoque pas un principe de bons sens au titre des principes
généraux du droit. Mais de nos jours, le bon sens s’impose de plus en plus en droit. Ainsi, par
exemple, le bon sens ne commande t-il pas que, devant l’aggravation de son préjudice, la
victime prenne des mesures susceptibles de modérer son dommage ? L’utilisation de
l’expression ‘’mesures raisonnables’’42 par le législateur devrait conduire à répondre par
l’affirmative à cette question. En effet, il s’agit d’une obligation de prendre des mesures
raisonnables eu égard aux circonstances (1). De même, les dépenses raisonnablement
engagées en vue de modérer le dommage doivent être remboursées (2).
Il conviendrait d’insister sur la prise des mesures raisonnables mais aussi sur la personne
tenue de les prendre.
41
Voir FABRE-MAGNAN M., op.cit., p.645.
42
Voir KHAIRALLAH G., « Variété : Le « raisonnable » en droit privé français, développements récents »,
RTD civ., 1984, 439 ; FORTIER , « Le contrat du commerce international à l’aune du raisonnable », JDI, 1996,
315 ; DIESE F., « La bonne foi, la coopération, le raisonnable dans la convention des Nations Unies relative à la
vente internationale de marchandise », JDI, 2002 ; FLAMENT L., « Le raisonnable en droit du travail », Dr.
Soc. 2007, 16.
12
préserver son gain ». En insistant ainsi sur la prise de mesures raisonnables, le texte de
l’article 293 fait appel à la rationalité pour fonder l’obligation de modérer le dommage. Mais
la préoccupation qui demeure est celle de la nature « des mesures raisonnables » que doit
prendre la partie qui invoque une inexécution des obligations du contrat. Selon le
commentateur du texte, prendre des mesures raisonnables consiste pour la victime de tout
mettre en œuvre pour limiter la perte que lui cause l’inexécution. Le commentaire de l’article
7.4.8 des principes UNIDROIT des contrats du commerce international, un peu plus
explicites, précise que les mesures raisonnables que doit prendre la victime de l’inexécution
sont des mesures qui permettent de limiter l’extension du préjudice. Ces mesures peuvent
consister à la renégociation du contrat43.
On peut noter qu’il y a une certaine difficulté à circonscrire les mesures raisonnables
permettant à la partie qui invoque une inexécution du contrat de limiter la perte que lui cause
l’inexécution. Le texte laisse à la victime une certaine marge d’appréciation des mesures qu’il
juge utiles de prendre. Ce qui est attendu de lui est qu’il ne soit pas passif et prenne des
mesures qu’exige la bonne foi mais aussi l’équité44.
Mais quelles sont les finalités des mesures que doit prendre la victime de
l’inexécution ? Les mesures prises doivent lui permettre de limiter sa perte ou préserver son
gain. Dans les versions antérieures, le législateur OHADA utilise une expression identique à
celle de l’article 77 de la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente
internationale de marchandise. Selon ce texte, la victime de l’inexécution « doit prendre
toutes mesures raisonnables eu égard aux circonstances, pour limiter sa perte, y compris le
gain manqué résultant de l’inexécution ». Dans cette version, le gain manqué est inclus dans
la perte alors que, dans la version actuelle de l’article 293, les mesures prises doivent
permettre, soit de limiter sa perte, soit de préserver son gain. La distinction est bien faite entre
la perte et le gain. Cela semble mieux permettre l’identification de la finalité des mesures que
la victime de l’inexécution de la vente commerciale doit prendre.
43
UNIDROIT, UNIDROIT Principles of international contract, Rome 2004, p. 244.
44
Voir HEUZE V., « La vente internationale de marchandise Droit uniforme », sous la direction de GHESTIN
J., Traité des contrats, LGDJ, 2000, p. 407.
13
commerciale n’est-elle pas susceptible d’engendrer d’autres préjudices ? L’obligation de
minimiser le dommage s’étend-elle à ces préjudices ?
L’obligation de minimiser le dommage pèse, selon l’article 293, sur toute partie au
contrat de vente commerciale. Cette exigence est tout à fait normale car elle est conforme au
bon sens. La victime de l’inexécution peut donc être soit l’acheteur ou le vendeur. Mais M.
Heuzé note avec justesse à propos de la vente internationale de marchandise que, si
l’obligation de minimiser le dommage incombe à l’acheteur, elle doit peser avant tout sur le
débiteur46. Deux questions peuvent être soulevées par rapport à l’approche actuelle du droit
OHADA de l’obligation de modérer le dommage comme une obligation de la victime de toute
inexécution de la vente commerciale.
45
Ce texte n’est pas encore entré en vigueur car il s’agit encore a l’heure actuelle d’un projet.
46
Voir HEUZE V., op.cit.p. 407.
14
présence d’une simple évolution dans le style rédactionnel ou d’une évolution de l’approche ?
Et pourquoi ?
Par rapport à l’une ou l’autre des deux questions soulevées, il apparaît qu’il y a une
évolution de fond de la part du droit OHADA47.
47
On peut noter que certaines dispositions de l’actuel article 234 relatif au champ d’application du livre VIII de
l’AUDCG incitent à noter que le législateur OHADA a bien conscience que la vente commerciale peut être
affectée d’un élément d’extranéité et avoir pour cela un caractère international. En effet, selon le deuxième
alinéa de l’article 234, « sauf stipulations contraires, le contrat de vente commerciale est soumise aux
dispositions du présent livre dès lors que les contractants ont le siège de leur activité dans un des Etats parties ou
lorsque les règles de droit international privé mènent à l’application de la loi d’un Etat partie ». Ce texte, certes,
fait référence à la possible intervention des règles de droit international privé, mais il précise également que les
dispositions du livre VII précité s’appliquent lorsque les contractants ont le siège de leurs activités dans un Etat
partie. Il arrive bien sur qu’un contrat soit international quand bien même les contractants, ont le siège de leurs
activités sur le territoire d’un même Etat à la condition qu’il intéresse l’économie internationale. Dans le cas
contraire, le contrat sera un contrat d’ordre interne à l’Etat dans lequel les contractants ont le siège de leur
activité. La vente commerciale peut dont être, selon les cas, un contrat interne à un Etat ou un contrat
international. Selon des dispositions de l’article 293, l’obligation de modérer le dommage s’impose donc, que la
vente commerciale revête ou non un caractère international. Il y a ainsi une certaine nuance par rapport au droit
français qui reconnait l’obligation de modérer le dommage dans la vente internationale de marchandise. Les
raisons qui ont poussé le législateur OHADA à admettre l’obligation de modérer le dommage dans le cadre de la
vente commerciale doivent être recherchées plutôt à travers le premier alinéa. Selon ce texte, la vente
commerciale est une « vente de marchandise entre commerçants, personnes physiques ou personnes morales y
compris les contrats de fourniture de marchandises destinées à des activités de production ou de fabrication. Il
s’agit d’une vente destinée à un usage professionnel. L’article 234 AUDCG exclut d’ailleurs de la vente
commerciale les ventes destinées pour un usage non professionnel.
48
Fabre-Magnan M., Droit des obligations. I- contrat et engament unilatéral, PUF, 2ème éd., 2010, p. 661.
15
trompe sur l’appréciation du caractère essentiel d’un manquement. Il peut croire que le
manquement du cocontractant constitue un manquement secondaire alors que le juge pourrait
considérer qu’il s’agit d’un manquement essentiel à la vente commerciale. La meilleure façon
d’éviter de tels risques pourrait consister à prendre systématiquement des mesures
susceptibles de modérer le dommage. Mais là aussi il y a un risque que de telles mesures ne
soient pas prises en compte par le juge qui pourrait estimer qu’on n’est pas en présence d’un
manquement essentiel. Dans un cas comme dans l’autre, il y a pour les parties à la vente
commerciale un dilemme quant à l’identification d’un manquement essentiel qui imposerait à
la victime l’obligation de modérer son dommage. La nouvelle formulation de l’article 293
supprime ce dilemme. Toute inexécution de la vente oblige la victime de l’inexécution à
modérer son dommage. Mais il a droit au remboursement des dépenses qu’il a
raisonnablement engagées dans ce sens.
Le recouvrement des dépenses engagées en vue de modérer le dommage est aussi une
question de bon sens. Malgré le silence de l’article 293 de l’AUDCG, on doit noter que toute
possibilité de les recouvrer n’est pas exclue. En effet, le mécanisme des quasi-contrats peut
être utilisé dans ce sens. Selon le code civil, les quasi-contrats sont des « faits purement
volontaires, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelque fois un
16
engagement réciproque envers les deux parties49 ». Le code civil envisage deux types de
quasi-contrats, à savoir la gestion d’affaire et la répétition de l’indu. Ils se fondent sur le
principe selon lequel nul ne doit s’enrichir injustement aux dépens d’autrui. Par un arrêt du 6
septembre 2002, la Cour de cassation française à jugé que « l’organisateur d’une loterie qui
annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa
s’oblige, par ce fait volontaire, à le délivrer ». La Cour de cassation a ainsi crée un nouveau
quasi-contrat, la fausse promesse50.
Dans une certaine mesure, on peut même reconnaître que ces mécanismes offrent plus
de possibilités que la formule de l’article 7/26. En effet, selon ce texte, le recouvrement des
dépenses engagées en vue de réduire le préjudice n’est qu’une possibilité. Il est précisé dans
le texte que « le créancier peut recouvrer… ». Ensuite, il doit s’agir « des dépenses
raisonnablement engagée en vue de réduire le préjudice». L’accent est mis sur le fait que les
dépenses doivent être engagées en vue de réduire le préjudice. Il y a un avantage procuré à
l’auteur du dommage qui consiste dans la réduction du dommage, ce qui donne à la victime
du dommage qui a engagé ces dépenses à les recouvrer. Mais que se passerait-il si ces
dépenses raisonnables engagées en vue de réduire le préjudice n’ont pas permis véritablement
de réduire le préjudice ? C’est dans cette hypothèse que le texte de l’article 7/26 présente
toute son utilité. Il n’y est pas mentionné que les dépenses doivent aboutir à la réduction du
dommage. Les dépenses doivent être certes raisonnables, mais en principe, il suffirait qu’elles
soient engagées en vue de réduire le dommage. Cela signifie que s’il arrive que les dépenses
raisonnables engagées en vue de réduire le préjudice n’ont quand même pas permis de réduire
le préjudice, toute possibilité de les recouvrer n’est pas exclue. Il est pour cela indispensable
de maintenir cette formule dans tout le projet de réforme du droit des contrats. Il serait sans
doute plus utile d’omettre le verbe ‘’peut’’ qui pourrait être interprété comme n’envisageant le
recouvrement des dépenses engagées en vue de réduire le dommage que comme une
possibilité.
49
. Voir VIZIOZ H., La notion de quasi-contrat, thèse Bordeaux, 1912 ; DOUCHY M., La notion de quasi-
contrat en droit positif français, thèse Aix, é. 1998.
50
Voir aussi Civ. 1ère, 18 mars 2003, Bul. Civ., I, n° 85, Defrénois 2003.1168, obs. LIBCHABER.
17
sorte d’obligation contractuelle et extracontractuelle ? Ou bien doit-on la retenir seulement
pour certaines obligations ?
51
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples garantit en son article 4 à tout africain le droit à son
intégrité physique et morale. Cette garantie est reprise par les constitutions des Etats. Ainsi, au Bénin, l’article 8
de la constitution du 11 décembre 1992 considère que la personne humaine est sacrée et inviolable et que l’Etat à
l’obligation de la respecter et de la protéger. On trouve une disposition analogue dans la plupart des constitutions
des Etats de l’espace OHADA.
18
du 24 novembre 2011 de la Cour de cassation. La haute juridiction française, à travers cet
arrêt, a jugé que la Cour d’appel qui, sans caractériser la faute de l’assuré ayant causé
l’aggravation de son préjudice matériel, a rejeté la demande en indemnisation du préjudice né
de la privation de jouissance de son véhicule en raison du refus de l’assureur de continuer à
l’assurer, viole l’article 1147 du code civil52. Les faits de l’espèce nous placent au cœur de
l’obligation de modérer certains dommages. En effet, une femme avait souscrit un contrat
d’assurance automobile dont la police mentionnait que l’assuré est le sociétaire ainsi que son
conjoint non divorcé ni séparé. Une ordonnance de non conciliation autorisait les époux à
avoir des résidences séparées. A la suite de cela, l’assureur informa le mari qu’il n’avait plus
la qualité d’assuré. Celui assigna l’assureur et sollicita en vain le maintien de la garantie
d’assurance ainsi que des dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel subi en
raison de la privation de jouissance de l’automobile et la résistance abusive de l’assureur.
Pour la Cour d’appel qui a rejeté sa demande, l’assuré n’établissait pas que la décision de
l’assureur l’avait empêché d’utiliser son véhicule en s’adressant à un autre assureur. C’est
cette décision des juges du fond qui est censurée par la Cour de cassation.
Il est notable dans cet arrêt que la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de n’avoir
pas caractérisé la faute de l’assuré. En d’autres termes si la faute de l’assuré est caractérisé, on
pourrait lui reprocher d’avoir été passif devant l’aggravation de son préjudice. Mais la
question que l’on peut se poser serait de savoir s’il s’agit vraiment d’une évolution de la Cour
de cassation française par rapport à l’obligation de modérer le dommage ? On peut noter une
volonté de changement de la Cour de cassation mais on ne peut vraiment soutenir que l’arrêt
de 24 novembre 2011 amorce une évolution.
La Cour de cassation reproche aux juges de fond de n’avoir pas caractérisé la faute de la
victime ayant causé l’aggravation de son préjudice matériel alors que depuis de longtemps, il
est admis que la faute de la victime est une cause d’exonération partielle ou totale de
responsabilité. Dans un premier temps en 1923, la Cour de cassation a jugé que le gardien qui
prouve la faute de la victime est totalement exonéré de sa responsabilité, même si cette faute
ne présentait pas les caractères de la force majeure.53 Cette décision est un peu sévère à
l’égard des victimes. Sensible à leur égard, la Cour de cassation va modifier un peu sa
52
Civ. 2e, 24 nov. 2011, n° 10-25.635, FS.P+B, D. 2012, 141, note ADIDA-CANAC H., et Chron. 644, H. A-C,
et O.-L. B. ; JCP 2012, n° 170, note REBEYROL V. ; RCA 2012. Comm. 34, obs., HOCQUET-BERG S., et n°
530, obs. STOPHEL-MUNCK Ph. ; RTD civ., 2012, note JOURDAIN P., 324.
53
Req. 10 juill. 1923, S. 1926.1.297, note ESMEIN P ; 19 déc. 1927, S. 1927.1.177, note MAZEAU H. ; civ. 7
déc. 1931, Gaz. Pal. 1932.1.363.
19
jurisprudence et retenir que l’exonération n’est que partielle si la faute n’a pas le caractère de
la force majeure54. Mais par suite d’un revirement opéré par l’arrêt Desmares, la Cour de
cassation a rejeté, même la possibilité d’une exonération partielle et considère que seul un
comportement de la victime présentant un caractère imprévisible et irrésistible peut exonérer
le gardien et ce, totalement. Par un autre revirement de 1987, la Cour de cassation va revenir
sur sa position antérieure en considérant que « le gardien de la chose instrument du dommage
est partiellement exonéré de sa responsabilité s’il prouve que la faute de la victime a
contribué à la production du dommage55 ». Depuis lors, la Cour a confirmé cette
jurisprudence à plusieurs reprises. La faute de la victime peut entrainer soit une exonération
totale si elle constitue une force majeure56, soit, dans le cas contraire, une exonération
partielle57. L’arrêt du 24 novembre 2011 s’inscrit bien dans cette perspective. M. Jourdain
note dans ce sens que « ce n’est pas toutefois à dire que la haute juridiction serait prête à
ériger en principe une solution inverse en énonçant une obligation de minimisation du
dommage à la charge de la victime. C’est semble –t-il par le canal de la sanction de la « faute
de la victime » que cette obligation pourrait faire son entrée discrète dans notre droit de la
responsabilité58 ».
Plus qu’une entrée discrète de l’obligation de minimiser son dommage par le canal de la
sanction de la faute, c’est une consécration directe qui serait souhaitable. Il faudrait
décourager le comportement passif de la victime par l’obligation d’éviter l’aggravation du
dommage matériel.
54
Req. 13 avril 1934, D.P. 1934.1.41, note SAVATIER R., S.1934.1.313, note MAZEAU H. ; civ.8 fév. 1938,
D.H. 1938.194, S.1938.1.136, Gaz. Pal., 1938.1.558, Grands arrêts, t.2 n° 211 ; civ 2e , 23 avr. 1971, J.C.P.
1972.II.17086, note BORE J.
55
Civ 2e , 6 avr. 1987, Bull. civ., II, n° 86, p. 49, D. 1988.32, note MOULY C., J.C.P. 1987.II.20828, note
CHABAS F., Defrénois 1987.1136, note AUBERT J.-L., RTD civ. 1987.767 note HUET J., Grands arrêts t.2, n°
213.
56
Civ. 2e , 11 avr. 2002, Bull. civ. II n° 77; 22 mai 2003, Bull. Civ. II, n° 154; 18 mars 2004, D. 2005, 125, note
CORPART I.
57
Civ 2e , 25 juin 1998, JCP 1998.II.10191, note FROMION-HEBRARD B.
58
JOURDAIN P., « Vers une sanction de l’obligation de minimiser son dommage ? » RTD civ., avril/juin 2012,
p. 325.
20
mineur habitant avec eux59. Il y a dans cette évolution un recul de la faute qui sera poussé
encore plus loin avec l’arrêt Levert par lequel la Cour précise que « la responsabilité de plein
droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur
habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant » 60. Avec ce
régime de la responsabilité de plein droit, on ne cherche plus à savoir si les parents ont mal
éduqué leurs enfants ou non, ni si les enfants ont commis une faute ou non. Le simple fait de
l’enfant suffit pour engager la responsabilité de ses parents.
Si l’on admet que la victime d’un préjudice doit répondre de sa passivité par l’obligation
de modérer le dommage dans certains cas, quels types de dommages faudrait-il retenir ? Est-
ce tous les dommages matériels ou seulement certains d’entre eux tels que le dommage
économique? Ne peut-on pas aussi envisager d’aller au-delà du dommage matériel et admettre
aussi l’obligation de modérer le dommage moral ? Ces questions soulèvent alors la nécessité
d’une délimitation des dommages susceptibles d’être modérés.
La délimitation des dommages susceptibles d’être modérés n’est pas aisée car il n’existe
pas une nomenclature précise des différents dommages. En dépit de cela, beaucoup
d’arguments ont été avancés en faveur du maintien de l’obligation de modérer le dommage
dans certains cas. Ainsi, selon M. Aubert, la victime d’un accident ne doit pas être tenue
d’obligation lorsqu’il s’agit de réduire le dommage. Elle ne le sera que lorsqu’il s’agit d’en
éviter l’aggravation61. Cette solution a l’avantage de lutter contre la passivité de la victime qui
fait peser sur la collectivité, le fardeau plus lourd de l’accident en laissant sa situation se
59
Civ. 2e ,19 février 1997, Bull. civ., II, n° 56, D. 1997, jur., p. 265, note JOURDAIN P., D. 1997, somm. P. 290,
note MAZEAU D.,, GAJ civ., 12e éd., n° 215-217, JCP 1997.II.22848, note VINEY G. ; voir aussi LEDUC F.,
« La responsabilité des pères et mères : changement de nature », Resp. civ. et assur. 1997, chron. N° 9.
60
Civ. 2e , 10 mai 2001Bull. civ, II, n° 96, D. 2001, note TOURNAFOND O., D. 2002, somm. P. 1315, note
MAZEAUD D., JCP 2001.I.10613, note MOULY J., JCP 2002.I.124, n° 20, note VINEY G., Defrénois 2001, p.
1275, note SAVAUX E., RTD civ. 2001, p. 601, note JOURDAIN P.
61
AUBERT J-L, note RJDA, 2004, p. 355.
21
dégrader. Cependant, elle a l’inconvénient d’imposer à la victime d’un dommage corporel,
une certaine obligation de modérer le dommage. Cela pourrait avoir pour conséquence de lui
imposer des soins qu’il ne souhaiterait pas subir ou de le sanctionner pour les avoir refusés.
Outre cela, la question se pose également de savoir s’il est normal d’exiger de la victime de
réduire le préjudice déjà réalisé. Le projet Catala l’admet en prévoyant à la fois la « possibilité
de réduire le dommage ou d’en éviter l’aggravation62 ». Le projet Terré va plus loin et ne vise
que la seule « réduction du préjudice63 », ce qui n’exclut pas a fortiori l’aggravation du
préjudice64. La Cour de cassation considère dans les arrêts du 19 juin 2003 que « la victime
n’est pas tenu de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». Au regard de cette
décision, l’intérêt du responsable de l’accident ne commande pas d’imposer à la victime
l’obligation de réduire son préjudice. Il en va autrement lorsqu’il s’agit d’éviter l’aggravation
du préjudice. Selon l’arrêt du 24 novembre 2011, on pourrait reprocher à la victime de n’avoir
pas pu éviter l’aggravation de son préjudice. Il semble raisonnable d’imposer à la victime
l’obligation d’éviter l’aggravation de son préjudice. C’est une solution qui est d’ailleurs
retenue dans d’autres droits étrangers. Ainsi, en droit canadien, le code civil du Québec
dispose que « la personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de
l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter65 ».
Dans quels cas la victime serait-elle tenue d’éviter l’aggravation de son préjudice ? La
proposition de M. Aubert ne distingue pas selon le type de préjudice alors qu’il faudrait éviter
d’imposer l’obligation de modérer le préjudice corporel. Sur cet aspect, la proposition de M.
Catala parait plus acceptable car elle exclut l’obligation de modérer le dommage pour les
préjudices corporels mais l’admet pour les préjudices économiques. Mais en admettant ainsi
l’obligation pour la victime d’un préjudice économique de modérer son dommage, la
proposition de M. Catala fait perdre à la solution jurisprudentielle l’un de ses principaux
mérites qui est de ne pas mettre la victime en accusation au cours du procès en
responsabilité66. Dans ce cas, la question qui demeure alors est de savoir s’il ne serait pas plus
judicieux de cantonner la distinction proposée par M. Aubert au dommage économique et
ainsi admettre seulement l’obligation pour la victime d’accident d’éviter l’aggravation du
dommage économique. Dans ce cas, la solution ne serait-elle pas un peu trop restrictive dans
62
Article 1373
63
Article 53
64
ADIDA-CANAC H., « Mitigation of Damage » : une porte entreouverte ? », note sous civ.2e, 24 nov. 2011, D.
2012.141.
65
Article 1479.
66
Voir dans ce sens VINEY G., obs. JCP G, 2004.I.101.
22
la mesure où le préjudice économique n’est qu’un préjudice parmi d’autres préjudices
susceptibles d’être modérés ?
Le préjudice corporel peut est défini comme une atteinte à l’intégrité de la personne70.
Cette définition soulève deux séries de questions dont l’une découle de l’autre. Selon la
première série, l’atteinte à l’intégrité s’entend-elle seulement de l’atteinte à l’intégrité
67
VIALAR A., « Le préjudice économique pur, Variations maritimistes », Mélanges Lapoyade-Deschamps
2003, p. 283 et s.
68
Voir TERRE F., SIMLER Ph., LEQUETTE y., Droit civil Les obligations, Précis Dalloz, 10e éd., Paris, 2009.
69
Voir RIPERT G., « Le prix de la douleur », D. 1948, Chron.. 1. GIVORD F., La réparation du préjudice
moral, thèse Grenoble 1939 ; KAYSER P., « Remarques sur l’indemnisation du dommage moral dans le droit
contemporain », Mélanges Macqueron, 1974, p. 411 et s.
70
Il n’existe pas une nomenclature générale des différentes de dommages. Pour certains auteurs, on distingue
trois types de dommages à savoir le dommage corporel, le dommage matériel et le dommage moral. Sur cette
distinction voir TERRE F., SIMLET Ph., LEQUETTE Y., Droit civil Les obligations, Précis Dalloz, Paris, 2009,
p. 722-728. D’autres auteurs distinguent plutôt selon que l’atteinte est faite au patrimoine ou non. Pour cela, les
catégories de dommages sont classées en dommages patrimoniaux où en dommages extrapatrimoniaux ou
dommages moraux. Voir FABRE-MAGNAN M., Droit des obligations 2 responsabilité civile et quasi-contrat,
PUF, Thémis, Paris, 2007, p 81-93. La classification des différents types de dommages soulève toujours des
questions et l’on pourrait admettre à l’avenir une classification fondée sur la distinction entre préjudice
économique et préjudice non économiques. Pour l’heure, aucune classification n’est encore pleinement
satisfaisante.
23
physique ou aussi à l’intégrité morale ? Outre l’atteinte à l’intégrité de la personne, le
préjudice corporel inclut-il aussi les conséquences de l’atteinte à l’intégrité ? La conséquence
qui découlerait de cette série de questions est de savoir s’il faut admettre d’une manière
générale une exclusion de l’obligation de minimiser le dommage pour tout préjudice corporel.
En d’autres termes, faudrait-il seulement retenir une espèce de noyau dur du dommage
corporel qui comprendrait seulement les atteintes à l’intégrité physique et cantonner
l’exclusion de l’obligation de modérer à ce préjudice? Ne serait-il pas contre productif
d’étendre l’exclusion de l’obligation de modérer le dommage à toutes les conséquences d’une
atteinte à l’intégrité physique de la personne ? C’est la question de la pertinence du refus de
l’obligation de modérer le dommage résultant d’une atteinte à l’intégrité physique (1) et le
caractère discutable de l’exclusion de l’obligation de modérer les conséquences de l’atteinte à
l’intégrité physique (2) qui se trouve posées.
71
Civ. 19 juin 2003, précité.
24
que dans cet arrêt, on est en présence d’une atteinte à l’intégrité morale. Dans une autre
affaire de 200672, la Cour de cassation va s’opposer à l’obligation de modérer le dommage
dans le cas d’une atteinte à l’intégrité physique. Dans cette affaire une personne contaminée
par le virus de l’hépatite C suite à une transfusion sanguine a refusé de se soumettre aux soins
préconisés par ses médecins et son état de santé s’est aggravé. L’établissement français de
transfusion sanguine a été condamné par les juges du fond à réparer l’entier préjudice de
contamination par le virus de l’hépatite C. Selon le pourvoir formé contre cette décision,
l’aggravation de la pathologie résultait non de la dégradation inéluctable de l’état de santé du
patient mais de son refus de se soumettre aux soins préconisés par les médecins. Le pourvoi
est rejeté par la Cour de cassation au motif que le refus du patient « de se soumettre aux
traitements préconisés, dès lors qu’il n’avait pas l’obligation de les suivre, ne pouvait
entrainer ni la perte ou la diminution de son droit à l’indemnisation, ni la prise en compte
d’une aggravation susceptible de découler d’un tel choix ». L’obligation de modérer le
dommage ne s’impose pas non plus en cas d’atteinte à l’intégrité physique de la personne. Ce
refus est tout aussi justifié.
En revanche qu’en est-il des conséquences qui pourraient résulter d’un accident telles
que les pertes de revenus consécutives à l’incapacité partielles résultant de l’accident ?
25
le laisser péricliter, elle ne saurait en imputer la responsabilité à l’auteur de l’accident ; (…)
qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressort des constatations de l’arrêt que Mme X. avait subi, du
fait de l’accident, pendant de nombreux mois une incapacité temporaire totale et partielle de
travail, puisqu’elle avait conservé une incapacité permanente partielle l’empêchant de
reprendre son activité de boulangerie, ce dont il résultait l’existence d’un lien de causalité
directe entre l’accident et le préjudice allégué, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
73
Il s’agit des trois conditions de la responsabilité tirées de l’article 1382 du code civil délictuelle.
74
Civ. 2e, 22 janvier 2009, n° 07-20878, FS-P+B, D., 2009, note LENOIR R., Gaz. Pal., 25-26 mars 2009, note
SALEH S. et SPINELLI J., RTD Civ., avril/juin 2009, note JOURDAIN P., p. 334 et s.
26
dans les situations où la modération n’impose pas à la victime une atteinte à son intégrité, elle
devrait être tenue.
Conclusion
La réponse du droit positif dans les pays membres de l’espace OHADA par rapport à
l’obligation de modérer le dommage est une réponse contrastée et très discutée tout comme en
France. En droit de la responsabilité délictuelle, la Cour de cassation française, se fondant sur
le principe de la réparation intégrale du préjudice, a jugé que la victime d’un accident n’est
pas tenue de modérer son dommage dans l’intérêt de l’auteur de l’accident. En matière
contractuelle, le droit OHADA prévoit que celui qui se prévaut d’une inexécution de la vente
commerciale doit prendre toutes les mesures compte tenu des circonstances pour limiter sa
perte ou préserver son gain. La plupart des auteurs qui ont étudié la position de la Cour de
cassation française ont préconisé son abandon au profit d’une solution qui admettrait en
matière délictuelle, l’obligation de modérer le dommage dans certains cas. Cette obligation
trouve son fondement dans les principes classique de bonne foi, de loyauté et d’équité, mais
découle aussi et surtout, des exigences du bon sens.
27
modérer son dommage dans l’intérêt du responsable en raison du droit de toute personne à
l’intégrité physique ou morale. En revanche, lorsque les mesures préconisées n’impliquent pas
de telles atteintes, la victime devrait être tenue de prendre les mesures susceptibles d’éviter
l’aggravation de son préjudice. L’accent est mis sur l’aggravation du préjudice car, le
préjudice étant déjà constitué, il est plus logique d’insister sur les mesures qui permettent d’en
éviter l’aggravation.
L’obligation de modérer le dommage peut ainsi être envisagée aussi bien en matière de
responsabilité contractuelle qu’en matière de responsabilité délictuelle. Cela ne vient-il pas
confirmer encore qu’il n’y a pas de séparation étanche entre les deux types de responsabilité ?
28