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JEAN-CLAUDE HÉBERT
FENÊTRES SUR LA JUSTICE
Avocat pénaliste de renom, Jean-Claude Hébert propose ici une réflexion
inspirée par cinq thèmes reliés à la justice. Chacun des cinq chapitres JEAN-CLAUDE HÉBERT
correspond à un angle d’analyse précis. Ils portent respectivement sur
la vérité judiciaire, le poids politique des juges, l’opinion publique, le
gardien des juges et l’institution du jury.
Trop rarement les praticiens du droit nous proposent une réflexion de cette
envergure sur la justice, réflexion qui s’adresse à nous tous, car l’adminis-
tration de la justice est indissociable de l’exercice de la démocratie.
25,95 $
ISBN 2 - 7646-
21 e boréal boréal
0456-4
Les Éditions du Boréal
, rue Saint-Denis
Montréal (Québec) HJ L
www.editionsboreal.qc.ca
Fenêtres
sur la justice
DU MÊME AUTEUR
Fenêtres
sur la justice
Boréal
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Un brin d’histoire
En 1982, sans véritable consultation de la population, les gou-
vernements du pays — à l’exception de celui du Québec — ont
enchâssé dans la Constitution canadienne une charte des droits et
libertés. Depuis lors, le Canada est régi par un système de souve-
raineté constitutionnelle. Autrefois, l’institution parlementaire
était souveraine et les juges se contentaient d’interpréter la loi et
d’arbitrer les conflits entre les gouvernements provinciaux et fédé-
ral. L’hégémonie parlementaire est désormais chose du passé. La
Cour suprême (Renvoi à la Motor Vehicule Act B. C.) récuse l’idée
que le contrôle de la constitutionnalité des lois manquerait de
légitimité. La décision historique de doter le pays d’une charte
constitutionnelle fut prise par les représentants élus de la popula-
tion canadienne. Ce ne sont donc pas les juges, dit la Cour, qui se
seraient attribué une nouvelle responsabilité, les autorités gouver-
nementales (fédérale, provinciales et territoriales) tenant leur auto-
rité et leurs pouvoirs de la Constitution. Quant au pouvoir judi-
ciaire, il agit en gardien.
La paternité de ce projet de charte revient indubitablement
à Pierre Elliott Trudeau dont la démarche, longue et laborieuse,
a débuté en 1968, alors qu’il était ministre de la Justice. Il aura
fallu plusieurs conférences constitutionnelles, la contribution de
groupes de travail, l’apport de comités parlementaires, d’intenses
négociations politiques et un renvoi à la Cour suprême (Renvoi :
résolution pour modifier la Constitution) avant que la reine Élisabeth II
n’appose sa signature sur la nouvelle Constitution du Canada. En
langage vernaculaire, les politiciens parlaient du rapatriement de la
Constitution. En réalité, la Loi constitutionnelle de 1982 consacre
un état de fait, soit la pleine souveraineté du Canada vis-à-vis du
Royaume-Uni. Elle détermine la procédure de modification de la
Constitution du Canada et, surtout, enchâsse dans celle-ci une
charte des droits et libertés. Appelés à juger de la conformité des
lois et des actes gouvernementaux avec la Constitution, les juges,
grâce à cette charte, ont vu leur poids politique s’affermir face à
l’institution parlementaire et au pouvoir exécutif.
Comme toute réforme politique, celle-ci porte la marque de
Le poids politique des juges 15
selon Gil Rémillard qui raconte que, au mois de juin 1990, le pre-
mier ministre fédéral Brian Mulroney avait convoqué ses homo-
logues provinciaux à une ultime rencontre pour sauver l’entente
politique négociée au lac Meech en vue de modifier la Constitu-
tion. L’ancien ministre de la Justice impute en partie l’âpreté des
discussions au fait que certains opposants de l’entente évoquèrent,
« d’une façon tout à fait démagogique », la loi québécoise restrei-
gnant l’affichage commercial en langue anglaise. Gil Rémillard
estime que, « [s]ans en être la cause principale, la loi 178 a certai-
nement été pour quelque chose dans [le] revirement de l’opinion
publique et dans l’échec du lac Meech, avec toutes les consé-
quences que l’on connaît, dont le référendum de 1995 sur la sou-
veraineté du Québec qui n’a été gagné par les fédéralistes que par
quelques milliers de voix ». À propos de l’image internationale du
Québec, il rappelle qu’en 1993 le Comité des droits de l’homme
des Nations Unies statua que la loi 178 violait le Pacte internatio-
nal relatif aux droits civils et politiques.
Rétrospectivement, la modification de la Constitution cana-
dienne en 1982 aura été l’affaire d’une poignée de politiciens.
Certes, des sondages d’opinion indiquaient que le projet du gou-
vernement fédéral jouissait de la faveur populaire. Il n’empêche
que cette page de l’histoire politique du Canada ne fut jamais sou-
mise à l’approbation de la population dans le cadre d’une élection
ou d’une consultation référendaire. À l’époque pertinente, sous
l’angle de la légitimité politique, la thèse provinciale favorisant la
primauté des élus sur celle des juges était certes aussi valable que
celle du gouvernement fédéral prônant le contraire.
Le modèle canadien
La solution pragmatique et consensuelle des conflits semble
faire partie de la culture canadienne. La convergence de plusieurs
facteurs explique ce phénomène : l’étendue géographique du
pays, l’importance économique des régions, la dualité ethnique et
linguistique des peuples fondateurs, doublée d’une dimension
multiculturelle. En matière de fédéralisme, la jurisprudence de la
Le poids politique des juges 21
une immunité absolue. Ils peuvent diffamer les citoyens, leur faire
des procès d’intention, les juger sans les entendre et les fustiger
publiquement. Sur des questions relevant de son privilège, une
assemblée parlementaire aurait compétence exclusive pour déter-
miner si les droits de la personne et les libertés publiques ont été
respectés. La Chambre des élus accuse, condamne et exécute.
Selon l’avis de la Cour suprême (affaire Vaid), un privilège parle-
mentaire doit toutefois être étroitement et directement lié à l’exé-
cution des fonctions d’une assemblée législative et délibérante,
qui comprennent notamment la tâche, échéant aux députés, de
demander des comptes au gouvernement. Ce privilège a pour
objet de refouler toute intervention externe susceptible de saper
l’autonomie dont les députés, réunis en assemblée, ont besoin
pour accomplir leur travail dignement et efficacement.
Sur le plan fédéral, le législateur peut limiter la portée des pri-
vilèges parlementaires, et le Parlement canadien a sagement prévu,
dans sa Loi sur les enquêtes, que « la rédaction d’un rapport défavo-
rable ne saurait intervenir sans qu’auparavant la personne incrimi-
née ait été informée par un préavis suffisant de la faute imputée et
qu’elle ait eu la possibilité de se faire entendre ». La Cour suprême
(affaire Krever) a convenu qu’une bonne réputation représentant la
valeur la plus prisée pour la plupart des gens, il faut impérative-
ment respecter l’équité procédurale dans la conduite d’une com-
mission d’enquête. Face à cette volonté clairement affichée du
Parlement, comment expliquer que les élus fédéraux puissent,
dans le cadre d’une simple résolution, piétiner les principes
d’équité inscrits dans une loi du Parlement canadien ? C’est pour-
tant ce qu’ils ont fait en juin 2005. Les députés de l’opposition ont
majoritairement voté une résolution dénonçant « les récents pro-
pos du juge Michel Robert selon lesquels une discrimination
basée sur l’opinion politique est acceptable dans la nomination des
candidats à la magistrature fédérale ».
Cette affaire illustre une autre facette de la sanction parlemen-
taire du délit d’opinion. Au lendemain des propos litigieux tenus
par le juge en chef de la Cour du Québec, le Bloc québécois avait
déposé une plainte auprès du Conseil canadien de la magistrature
pour cause de « violation flagrante du devoir de réserve » par le
30 Fenêtres sur la justice
L’indépendance de la magistrature
L’impartialité et l’indépendance sont des attributs essentiels de
la fonction de juge et leur intégration dans notre environnement
constitutionnel est liée à l’adoption du régime de démocratie par-
lementaire britannique. L’indépendance judiciaire comporte un
double aspect, institutionnel et individuel. Puisque l’indépendance
individuelle du juge renvoie à son impartialité, une garantie consti-
tutionnelle d’indépendance renforce dans l’opinion publique une
perception raisonnable d’objectivité et de neutralité.
L’indépendance judiciaire consiste essentiellement en la
liberté de rendre des décisions que seules les exigences du droit et
de la justice inspirent. Elle requiert que les juges soient libres
d’agir sans ingérence indue des pouvoirs exécutif et législatif
du gouvernement. L’inamovibilité, la sécurité financière et l’indé-
pendance administrative constituent les trois caractéristiques ou
conditions essentielles de l’indépendance judiciaire. Même
lorsque ces conditions existent, la Cour suprême (affaire Imperial
Tobacco Canada Ltée) estime que l’indépendance judiciaire propre-
ment dite n’est pas nécessairement assurée. La question critique
consiste donc à savoir si un juge est libre (et raisonnablement
perçu comme tel) d’exercer ses fonctions sans ingérence exté-
rieure. Profitant aux citoyens, l’indépendance judiciaire n’a pas
vocation de servir la puissance d’une oligarchie de la robe, son
confort, sa majesté ou sa fierté. La fonction de juge ne confère
aucun droit constitutionnel à celui qui l’exerce. Pourtant, les juges
se sont régulièrement frottés aux gouvernements à propos de leur
sécurité financière. Le silence de la Constitution sur cet élément
de l’indépendance judiciaire fit en sorte que la Cour suprême
imagina un mécanisme de conciliation conçu pour déterminer
une juste rémunération des juges.
Le poids politique des juges 35
des uns en fonction de celui des autres, on crée une spirale infinie
de correctifs. Moins bien rémunérés que leurs collègues de nomi-
nation fédérale, les juges nommés au Québec veulent combler
l’écart. En même temps, les juges nommés par Ottawa veulent
rétrécir la marge avec les hauts fonctionnaires fédéraux, mieux
payés qu’eux. Au printemps de 2005, le gouvernement du Qué-
bec déposa sa réponse au rapport du Comité de la rémunération
des juges. Rappelant que les Québécois supportent le plus lourd
fardeau fiscal de l’Amérique du Nord, le document gouverne-
mental comporte une mise en garde : « La situation budgétaire de
la province demeure suffisamment précaire pour justifier une ges-
tion rigoureuse de fonds publics de toute nature. » Au passage, le
gouvernement s’interroge : comment le Comité peut-il « recom-
mander une augmentation du traitement des juges de 32 % alors
que le salaire moyen de la plupart des Québécois n’a pas connu
d’augmentation en termes réels depuis dix ans ? »
Au chapitre des facteurs économiques, le gouvernement fait
valoir que la « prise en compte de la différence de rémunération
entre les Québécois et les salariés du reste du Canada pourrait jus-
tifier un plus grand écart » du traitement salarial des juges.
En 2004, la rémunération des juges nommés par Québec était
de 158 170 $. À cette somme, il faut ajouter environ 33,5 % qui
représentent des avantages liés au régime de retraite et des assu-
rances. Sur le plan fédéral, le traitement actuel des juges est
de 245 600 $. Il est ajusté annuellement jusqu’à hauteur maximale
de 7 %. Est-il besoin de rappeler que le Québec ne peut compter
sur les surplus budgétaires engrangés par Ottawa.
Quoi qu’il en soit, n’est-il pas étrange que tous les juges du
Canada s’abstiennent de comparer leur situation à celle des juges
américains les mieux payés, c’est-à-dire ceux dont la nomination
relève de l’exécutif fédéral ? Bien que la première puissance mon-
diale dispose d’immenses moyens financiers, il n’en reste pas
moins que les juges des cours d’appel gagnent annuellement
171 800 dollars américains et les juges de première instance
162 100 dollars. Au strict jeu des comparaisons, dans une perspec-
tive nord-américaine, qu’est-ce qui pourrait bien justifier que nos
juges occupent le haut de l’échelle ?
Le poids politique des juges 39
L’État de droit
L’idée de démocratie fait appel à l’armature d’une société de
droit ou d’un État de droit. À la différence d’une société totali-
taire, laquelle fait du droit un instrument de pouvoir, la société
démocratique reconnaît au droit une place privilégiée.Toute col-
lectivité étant porteuse de tensions, un pouvoir régulateur est
nécessaire. Les pouvoirs étatiques sont forcément limités par le
droit. Le principe de la primauté du droit (ou principe de la léga-
lité) est l’un des postulats fondamentaux de notre Constitution.
D’ailleurs, le préambule de la Charte canadienne déclare que le
Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la supréma-
tie de Dieu et la primauté du droit. Celle-ci assure aux citoyens
et résidents du pays une société stable, prévisible et ordonnée et
constitue un rempart contre l’arbitraire de l’État.
L’absence de définition précise de ce concept juridique a sus-
cité un élan de créativité chez certains plaideurs. Dernier
exemple : la tentative d’un fabricant de tabac de faire annuler une
loi provinciale autorisant l’État à intenter une poursuite civile
contre les cigarettiers. Cette loi d’exception vise à offrir une com-
pensation au gouvernement pour les dépenses en soins de santé
dont ont besoin les victimes du tabagisme. L’un des griefs stipulait
que la loi contestée bafouait la primauté du droit. La Cour
suprême (affaire Imperial Tobacco Canada Ltée) statua que la pri-
mauté du droit n’est pas une invitation à banaliser ou à remplacer
les termes écrits de la Constitution. Il ne s’agit pas non plus d’un
instrument permettant à celui qui s’oppose à certaines mesures
Le poids politique des juges 43
Human Rights Watch (15 avril 2005), sur la base de fragiles « assu-
rances diplomatiques » exposant gravement les détenus au risque
d’être torturés ou maltraités, plusieurs gouvernements envoient
des personnes vers des pays violant les droits humains. À propos du
Canada, l’organisme international proposait l’explication sui-
vante : « On peut présumer qu’en demandant des assurances
diplomatiques à propos des renvois controversés, le gouvernement
canadien tente d’éviter d’avoir recours à la troublante mesure
d’exception établie par l’arrêt Suresh.»
Au printemps de 2005, à Genève, le Comité des Nations
Unies contre la torture entendait la délégation canadienne affir-
mer que les autorités du pays peuvent faire exécuter des mesures
de renvoi, même si la personne visée « fait face à un risque impor-
tant de torture » lorsque « le risque pour la sécurité nationale ou
la sécurité d’autrui l’emporte sur le risque pour l’individu ». Face
à des interlocuteurs dubitatifs, la délégation canadienne admit
l’incompatibilité de sa position au regard de la Convention, dans
la mesure où le droit international interdit de façon absolue le
recours à la torture. Prenant appui sur l’arrêt Suresh, nos porte-
parole firent valoir la « nécessité de protéger la sécurité intérieure
tout en préservant les droits de l’homme ». Parmi les solutions de
remplacement, les délégués canadiens préconisaient la révision
de la liste des « pays sûrs » pour y expulser des indésirables. Pour
finir, nos représentants ont reconnu que « seule la protection des
droits de l’homme au plan interne permet d’enrichir la protection
internationale des droits de l’homme ».
Les États-Unis et le Canada tiennent un discours commun : la
torture est interdite… sous réserve de ce que la Constitution per-
met de faire. En lien avec la guerre au terrorisme, Amnesty Inter-
national (25 mai 2005) dénonce le « mépris flagrant du droit
international relatif aux droits humains » affiché par certains pays.
Selon l’organisme, cette déconstruction du droit humanitaire
international « a vidé de toute signification les déclarations du
président George Bush faisant des États-Unis le premier défenseur
des droits humains ». Au Canada, la Constitution vise à assurer aux
citoyens un minimum de droits fondamentaux. Il est possible que,
dans certains cas, les droits protégés par une loi aient une portée
54 Fenêtres sur la justice
plus large que les droits comparables garantis par la Charte cana-
dienne (affaire Oickle). Rien n’empêche le législateur canadien de
modifier la Loi sur l’immigration pour intégrer la norme interna-
tionale qui prohibe de façon absolue le recours à la torture.
La justice constitutionnelle
En Europe, le totalitarisme des régimes communistes et fas-
cistes a démontré la nécessité de neutraliser les abus des gouverne-
ments tyranniques. Depuis la levée du rideau de fer, plusieurs pays
d’Europe de l’Est ont choisi la surveillance judiciaire pour empê-
cher ou corriger les dérives étatiques. La chute des régimes auto-
ritaires a favorisé la création ou le renforcement des organes de
justice constitutionnelle. Là et ailleurs, la protection de la liberté
individuelle par le juge restreint l’action étatique.
La croissance de l’État et ses inévitables débordements ont
rendu nécessaire l’intervention d’un arbitre judiciaire. Au gré du
temps, la jurisprudence constitutionnelle a élaboré plusieurs
normes qui régissent le fonctionnement de l’État et les relations
entre les administrés et l’Administration. D’inspiration anglo-
saxonne, le modèle canadien de justice constitutionnelle n’en
comporte pas moins des attributs qui lui sont propres. Un aperçu
des systèmes américain et britannique peut faciliter la compré-
hension du constitutionnalisme canadien.
La justice américaine
Promulguée en 1787, la Constitution des États-Unis est l’acte
fondateur du pays. Elle organise les institutions politiques et fixe
les limites des pouvoirs reconnus aux autorités fédérales, dans leurs
rapports avec les États membres et les citoyens. Ces limites ont
notamment été précisées dans les 15 amendements constituant la
Déclaration des droits (Bill of Rights) du citoyen américain. La
doctrine de la séparation des pouvoirs a favorisé la naissance d’une
république présidentielle dans laquelle le chef de l’exécutif est
mandaté directement par le peuple. Les tribunaux détiennent un
Le poids politique des juges 55
La justice britannique
Historiquement, au Royaume-Uni, l’augmentation du pou-
voir des juges a été rendue possible par l’érosion du pouvoir royal
au détriment de la souveraineté parlementaire. Ce sont les tribu-
naux qui ont forgé la common law (le droit jurisprudentiel) depuis
le Moyen Âge. Leur apport au domaine des droits et libertés fon-
damentaux a été considérable. Au XVIIe siècle, les juges ont contri-
bué à la limitation des prérogatives royales. À l’issue de la Révolu-
tion anglaise de 1688, un texte fondateur, la Déclaration des droits
(Bill of Rights), affirme la primauté de la common law sur la volonté
du monarque et fait du Parlement le maître du jeu politique. Par
64 Fenêtres sur la justice
rôle déterminant tandis que, dans le second cas, l’accent porte sur
la responsabilité politique.
À première vue, la protection des droits et libertés fondamen-
taux semble mieux assurée lorsque ceux-ci sont inscrits dans une
constitution. Cependant, fiers de leur tradition historique, les
juristes britanniques estiment que la suprématie de la loi permet
d’atteindre un meilleur équilibre entre les intérêts du citoyen et
ceux de l’État. La common law sert de garantie politique et protège
les citoyens contre les intrusions arbitraires du pouvoir. Au lieu
d’un énoncé positif de droits et libertés, le système juridique
anglais atteint le même objectif par une approche négative, ancrée
dans le principe de la légalité.Toute limitation aux droits et liber-
tés fondamentaux (non formellement définis) doit être justifiée et
précisée par la loi.
La démocratie parlementaire, croit-on, permet de trouver la
juste mesure.Voyons un cas de figure. À l’automne de 2005, le pre-
mier ministre Tony Blair subissait l’humiliation d’une défaite par-
lementaire. Dans la foulée des attentats meurtriers du métro de
Londres, des députés de la majorité firent front commun avec
l’opposition pour rejeter un projet de loi proposant d’allonger
(de 14 à 90 jours) la garde à vue de suspects terroristes. Rasséréné
par des sondages favorables,Tony Blair adopta une posture de bra-
vade : « Parfois il est préférable de perdre et de faire la bonne chose
plutôt que de gagner en faisant la mauvaise chose […] le pays va
penser que le Parlement s’est sérieusement trompé. » Cette pique
populiste était trompeuse. Devant faire un choix entre la sécurité
et la liberté, les élus britanniques se sont plutôt comportés en gar-
diens des droits et libertés fondamentaux.Voilà pourquoi le Parle-
ment a adopté une solution de compromis en prolongeant à
28 jours la durée maximale de détention provisoire des individus
soupçonnés de terrorisme.
Dans une société démocratique, certaines valeurs transcendent
la règle de la majorité. En Grande-Bretagne, l’institution judi-
ciaire, si elle ne peut invalider les lois, contrôle néanmoins les actes
du gouvernement de façon à protéger les intérêts des minorités.
Selon les époques, de fortes majorités parlementaires peuvent
pousser les gouvernements à la témérité. Agissant comme un
66 Fenêtres sur la justice
La justice canadienne
Au Canada, les droits et libertés fondamentaux imposent des
restrictions à la possibilité pour l’État d’agir efficacement. L’acti-
visme judiciaire tend à se manifester lorsque, parmi plusieurs solu-
tions juridiques possibles, le choix du juge dépend de son désir
d’innover. Selon l’idéologie du magistrat, son intervention pren-
dra donc la forme d’une accélération ou d’un coup de frein. Dans
cette optique, l’activisme judiciaire n’est pas véritablement un
transfert de souveraineté des élus du peuple au profit de juges non
élus et inamovibles. Il s’agit plutôt d’une transformation de la vie
démocratique permettant aux citoyens, seuls ou regroupés, de
Le poids politique des juges 71
termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordi-
naire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la
loi ainsi qu’avec l’intention du législateur. Autrement dit, le sens
premier des mots doit être compris dans un contexte élargi.
Réputées apporter une solution de droit, les lois doivent s’inter-
préter de la façon la plus équitable et la plus large qui soit pour
garantir la réalisation de leur objet selon leur sens, leur intention et
leur esprit véritables. Cette approche contextuelle concorde avec
l’idée qu’une loi est toujours censée être appliquée selon la
conception voulue par le législateur. Elle comporte une mise en
garde implicite : on doit interpréter le libellé d’un pouvoir minis-
tériel en conformité avec la loi. Cette approche contemporaine
tient compte de la nature diversifiée de l’interprétation législative.
Les considérations relatives au texte de loi doivent être interpré-
tées de concert avec l’intention du législateur et les normes juri-
diques établies.
En s’affairant à remodeler une règle de droit jurisprudentielle,
les juges peuvent même accroître les pouvoirs policiers au détri-
ment des droits et libertés fondamentaux. Empruntant la voie du
pragmatisme, la Cour suprême (affaire Orbanski et Elias) a statué à
la majorité que, pendant un contrôle routier, le droit de consulter
un avocat peut être restreint par le besoin des policiers de vérifier
la sobriété des conducteurs sur la route. Les juges LeBel et Fish
ont vivement protesté. Pour eux, il est inacceptable de restreindre
les protections établies dans la Charte canadienne par l’exercice
inventif des pouvoirs d’interprétation des tribunaux. Notre sys-
tème juridique s’en trouverait bouleversé. Les juges minoritaires
ont ironiquement ajouté que, alors que les droits prévus par la
Charte ont initialement été élaborés par les tribunaux, on utilise-
rait maintenant cette même common law pour les court-circuiter et
les restreindre.
En résumé, au-delà des mots qui la composent, la loi est
constamment liée à son contexte d’application. À défaut de pou-
voir défaire la loi, l’interprète judiciaire peut, jusqu’à un certain
point, la refaire. Face aux défaillances du législateur, le pouvoir
judiciaire peut parachever et adapter la loi. Dans la mesure où les
juges peuvent légalement et légitimement modifier, voire créer,
Le poids politique des juges 81
L’opinion politique
Pour le respect de la souveraineté populaire, une démocratie
représentative doit garantir que les citoyens ont accès à une infor-
mation utile et pertinente sur le gouvernement. Leur capacité de
faire un choix éclairé devant l’urne en dépend. D’une élection à
l’autre, l’information façonne l’opinion politique, d’où l’impor-
tance de la liberté d’expression. Le citoyen, déjà bien assez occupé
par ses tâches quotidiennes, n’a ni le temps ni l’envie de sonder la
complexité de l’édifice social ; il se contente de faire son choix
parmi les orientations proposées. À cet égard, plus qu’une vertu, la
transparence gouvernementale est une nécessité. En effet, l’accès à
l’information politique favorise la participation du citoyen au pro-
cessus démocratique. Au-delà de cet objectif clairement affiché, la
loi fédérale sur l’accès à l’information oblige politiciens et fonc-
tionnaires de l’État à se tenir responsables envers la population.
La Cour suprême n’a de cesse de répéter que l’expression
politique est la forme de communication la plus importante que la
Constitution canadienne protège en garantissant la liberté d’ex-
pression. Il est acquis que cette liberté fondamentale protège aussi
bien le destinataire que le communicateur d’informations. Autre-
ment dit, la liberté d’expression ne vise pas uniquement la libre
circulation du message, elle permet aussi d’accéder à l’information
existante.Toute information susceptible de nourrir le débat public
tombe dans le pré carré de la liberté d’expression. A contrario, toute
mesure limitative de l’accès à l’information porte atteinte à cette
liberté démocratique. En somme, la liberté d’expression constitu-
tionnalisée inclut le droit du citoyen à l’information, notamment
en matière de politique.
La plupart des libertés et des droits fondamentaux précisent
des limites à ne pas franchir, mais il ne s’agit que rarement d’inter-
dictions absolues. Nous sommes plutôt dans un domaine de rela-
tivité dans la mesure où, à certaines conditions, des dérogations
restent possibles. Pivot de la Charte canadienne, l’article pre-
mier permet au pouvoir judiciaire d’établir un juste équilibre
entre les droits individuels et les besoins de la collectivité. À cet
égard, les juges cherchent à concilier les droits et libertés constitu-
L’opinion publique 85
tionnels avec les prescriptions des lois ordinaires. Guidés par des
critères flexibles, ils déterminent jusqu’où les secondes peuvent
restreindre les premiers.
La plus haute cour du pays eut à statuer sur des dispositions
législatives régissant l’information politique.Ainsi la Cour suprême
(affaire Thompson Newspapers Co.) a-t-elle invalidé une disposition
de la loi électorale fédérale prohibant les sondages d’opinion inter-
venant peu avant le scrutin. Il fut jugé que cette restriction à la
liberté d’expression était inconstitutionnelle. À l’inverse, malgré
une violation avérée de la liberté d’expression, le même tribunal
(affaire Liebman) a jugé que les dispositions de la loi québécoise
limitant les dépenses référendaires étaient constitutionnelles.
L’appelant souhaitait exprimer ses opinions et transmettre son
message de façon indépendante des comités nationaux. À l’évi-
dence, sa liberté d’expression était bafouée. Cependant, le fait que
la loi contestée favorisait la tenue d’un vote éclairé et poursuivait
un objectif louable, soit valoriser l’expression démocratique, fut un
facteur déterminant.
Par ailleurs, la Cour suprême (affaire Harper) a déclaré valide le
régime de publicité électorale des tiers instauré par le Parlement
en vue de limiter les dépenses admissibles. Bien qu’il soit, en
bonne partie, contraire à la liberté d’expression, ce modèle électo-
ral égalitaire fut néanmoins jugé conforme à la Constitution. Ces
trois affaires judiciaires ont pour toile de fond la liberté d’expres-
sion. Aussi importante soit-elle, cette liberté fondamentale n’est
toutefois pas une référence absolue. Au final, c’est souvent le
contexte d’une loi et son objet qui déterminent sa constitutionna-
lité.
Parfois, les choses reviennent en boucle sur elles-mêmes.
Ainsi, pour la Cour suprême, la démocratie appelle un système
de gouvernement représentatif et responsable ainsi que la par-
ticipation du citoyen au processus politique comme électeur.
Cet apport individualisé n’a de sens que si l’administré peut por-
ter un jugement averti sur l’administration. Selon le degré d’ou-
verture sur l’information politique, le regard critique du citoyen
sera pénétrant ou aveuglé.Voilà pourquoi la démocratie représen-
tative est tributaire de l’accès à l’information touchant au domaine
86 Fenêtres sur la justice
Le traitement de l’information
Le milieu de l’information privilégie l’instantané. Les réac-
tions à chaud supplantent la réflexion et la mise en contexte. L’im-
médiateté de la nouvelle contraint le journaliste à simplifier le
contenu. C’est la tyrannie de l’instant. Pour capter l’attention
de l’auditeur ou du lecteur, mieux vaut grossir le trait et plaquer
l’image forte. La dramatisation de l’information amplifie à déme-
sure certains événements. À supposer qu’elle soit exacte, l’infor-
mation du jour n’est pas la vérité révélée. Au mieux, ce n’est que
la vérité présumée du moment, d’où la nécessité d’exercer son
sens critique. Quels que soient la cote d’écoute d’un bulletin de
nouvelles ou le tirage d’un journal, les médias sont rarement
des références exactes. Il n’y a pas de lien direct entre information
et vérité, pas plus qu’entre information et opinion.
Le fait central de la nouvelle, sa mise en scène (parfois orches-
trée par l’auteur de l’événement) et son traitement journalistique
engendrent une information préformée. La représentation du
bien et du mal en couleurs vives chasse la grisaille de la vie quoti-
dienne. Face à une information désossée, il faut sans cesse rappeler
l’infinie variété et la complexité des ennuis et des calamités. Parce
qu’il facilite la compréhension du présent, le passé reste utile.
Hélas, l’information médiatisée privilégie l’immédiat et se renou-
velle au pas de charge. Dotés de technologies efficaces, les réseaux
spécialisés dans l’information en direct bâclent l’analyse. Les faits
et leur compréhension s’emmêlent parfois dans une somme
confondante d’informations secondaires. Et puis, ce qui suscite
L’opinion publique 89
La rencontre justice-médias
La justice pénale remue l’opinion publique. Un large segment
des consommateurs de nouvelles suivent avec délectation les chro-
niques policières, les affaires scabreuses et les grands procès. En
général, les citoyens sont méfiants à l’égard de ce qui échappe à
leur compréhension. Parce que les rouages de la justice leur sont
étrangers, la confiance envers l’institution reste fragile et volatile.
Si les médias d’information permettent aux gens d’être mieux
renseignés et facilitent la communication des idées, cette liberté
d’expression s’accompagne parfois de débordements. Lorsque
L’opinion publique 107
ment mépris quant à l’analyse des faits et du droit. Ces erreurs ont
néanmoins servi de vecteur à la rhétorique d’une brigade d’inqui-
siteurs. Une bonne réputation dans la société recèle une valeur
inestimable, affirme la Cour suprême (affaire Hill). Aussi long-
temps que les gens en sont dignes, cette valeur doit être protégée
tout autant que la liberté d’expression. À la réflexion, il arrive par-
fois que la culture médiatique de l’événement dissolve les pré-
ceptes élémentaires de justice. La cohabitation de la présomption
d’innocence (une valeur molle) et de la liberté de la presse (une
valeur forte) connaît d’inévitables tensions. Le justiciable en fait
généralement les frais. Qui peut croire aujourd’hui au principe
fondamental voulant qu’un acquittement par une cour de justice
équivaut à une déclaration d’innocence ? Comme dans le cas de
Lorraine Pagé, des gens juridiquement innocents restent sociale-
ment coupables.
Pour certains journalistes, le juridisme empesé des gens de
robe pose problème, et la libre information devrait surplomber
l’espace judiciaire. Bon nombre de juges et d’avocats estiment de
leur côté que les médias entretiennent la confusion et font preuve
de démesure dans l’information. Pour eux, le prétoire reste le lieu
de l’information judiciaire. Comme un vieux couple, les deux
parties sont condamnées à vivre ensemble. Chacun doit donc
accepter la mission de l’autre et respecter ses normes de fonction-
nement. La compréhension du système judiciaire par le public
passe impérativement par la diffusion de la nouvelle et le traite-
ment de l’information.
La magistrature a avantage à tenir un langage simple, logique
et cohérent. Hors du tribunal, les procureurs devraient s’abstenir
d’alimenter la controverse sous prétexte d’expliquer le déroule-
ment de la cause. Puisque la manifestation de la vérité judiciaire
passe inévitablement par un processus d’épuration (mise à l’écart
des preuves illégales), les journalistes ne peuvent toujours tout
dire. Cette restriction vise simplement à protéger l’état d’esprit des
jurés de toute perversion.
116 Fenêtres sur la justice
L’influence médiatique
Sur différents registres, la justice et les médias jouent des parti-
tions qui, selon les circonstances, s’opposent, s’entrecroisent et par-
fois convergent. Dans une société démocratique, la justice contri-
bue à l’exercice du pouvoir. Comme autorité indépendante, elle
peut agir par la contrainte. Ce caractère démocratique lui permet
d’exercer son autorité sur l’ensemble des citoyens, selon le prin-
cipe de l’égalité de tous devant la loi. Pour leur part, les médias
informent, critiquent et dénoncent les abus. Souvent, ils éclairent
les décisions, se font l’écho des revendications sociales et permet-
tent aux citoyens de se forger une opinion. Pour exercer pleine-
ment cette vigilance, il coule de source que la presse doit être
entièrement libre.
Dans les médias, la reconstruction de la réalité se fait en rac-
courci. Selon le profil de la personne en cause ou la nature du dos-
sier, il peut arriver que l’humeur journalistique colore la relation
des faits et procédures. Dès lors, la perception subjective de l’ob-
servateur remplace le débat contradictoire. Un verdict populaire
largement répandu porte ombrage au jugement subséquemment
rendu. Après avoir écumé une affaire sur la place publique, l’actua-
lité s’intéresse peu à l’analyse judiciaire, trop décalée dans le temps.
Étonnamment, l’application stricte du droit peut provoquer le
courroux journalistique. Dans les années 1990, l’assassinat sordide
d’un jeune étudiant fut sanctionné par un verdict de meurtre pré-
médité à l’encontre d’un repris de justice violent. Une peine
de 25 ans de réclusion lui fut infligée. Portée en appel, l’affaire
(Gentry) fut plutôt classée comme un meurtre non prémédité. Ce
type de crime entraîne une incarcération minimale de 10 ans.
Estimant que le juge du procès s’était mépris sur la portée du
concept de provocation (venant de la victime), les juges d’appel
furent d’avis que certains éléments de preuve constituaient une fin
de non-recevoir à un verdict de meurtre prémédité.
Contristée par ce revirement de situation, la mère du défunt
fit parvenir une lettre poignante à L’Express d’Outremont, un heb-
domadaire local. En contrepoint à cette proclamation de détresse,
le rédacteur en chef rédigea un éditorial décapant intitulé « Justice
L’opinion publique 117
Les privilèges
Une société démocratique chancelle lorsqu’elle refuse aux
individus une aire de secret leur permettant de résister à l’invasion
collective. Il y a parfois un désir totalitaire dans la soif de transpa-
rence, dans la saisie de l’individuel par le collectif. Dans un univers
de communication, le secret et la confidentialité doivent affronter
l’envahissement de la transparence. Soulignons le paradoxe : les
aspirations à la levée du secret côtoient les revendications au res-
pect de la sphère privée. En marge du secret individuel, mis à mal
par la curiosité gouvernementale, les secrets d’État couvrent la
vérité judiciaire d’un voile opaque.
La vérité judiciaire 133
Le principe de non-incrimination
Qui, dans une scène de procès au cinéma américain, n’a pas
entendu un témoin invoquer le cinquième amendement et refu-
ser de répondre pour éviter de s’accuser soi-même ? À l’origine,
le droit anglais donnait à tout témoin la possibilité de refuser de
répondre à toute question qui pouvait l’incriminer. Aux États-
Unis, on a incorporé ce privilège dans la Constitution. En 1893, au
Canada, le législateur modifia cette prérogative en vue de faciliter
la recherche de vérité. Tenu de répondre aux questions embarras-
santes, un témoin est tout de même protégé contre l’éventuelle
utilisation de son témoignage s’il est susceptible de l’incriminer
dans d’autres procédures, sauf en cas de parjure. En 1982, on incor-
pora ce privilège dans la Charte canadienne, de même que le droit
de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même.
Dans un procès pénal, l’accusé peut choisir de témoigner ou
non, mais ne peut jamais y être forcé. Le fondement du principe
de non-incrimination repose à la fois sur la présomption d’inno-
cence et l’inégalité du rapport de force entre l’État et le particu-
lier. Avant le procès, ce principe cardinal vise à empêcher les agents
de l’État de mobiliser l’accusé contre lui-même, d’où le droit au
silence pendant l’enquête policière. Durant le procès, ce droit
au silence se traduit par l’impossibilité de contraindre l’inculpé et
l’impossibilité de lui opposer ses propres témoignages rendus dans
d’autres procédures.
Un principe de base de notre système de justice veut que la
134 Fenêtres sur la justice
Le droit au silence
Les notions d’auto-incrimination et de silence du citoyen face
à l’État se croisent, sans toutefois se superposer. Le droit de garder
le silence consiste essentiellement à permettre un choix : parler
aux autorités ou refuser de leur faire une déclaration. Ce droit de
choisir signifie qu’un suspect peut recevoir l’assistance d’un avocat
afin d’être informé des options qui s’offrent à lui et de leurs
conséquences. En somme, les agents de l’État ne doivent pas
influencer injustement la décision de se taire ou de parler d’une
personne détenue. Manifestation de la présomption d’innocence,
La vérité judiciaire 135
Les confessions
L’admissibilité d’une confession repose sur deux fondements :
la nécessité de garantir la fiabilité d’une déclaration et surtout le
besoin d’assurer l’équité du procès en dissuadant l’État de prendre
des mesures coercitives inappropriées. L’une des visées dominantes
du système de justice pénale, voire son premier objectif, est d’évi-
ter qu’une personne innocente soit déclarée coupable. Les fausses
confessions jouent un rôle important dans les cas d’erreurs judi-
ciaires. L’affaire Simon Marshall le confirme. Inculpé de crimes
sexuels, un jeune homme de Québec, déficient intellectuel, fut
emprisonné durant cinq longues années sur la foi de ses aveux et
de son plaidoyer de culpabilité. Des tests d’ADN démentirent
par la suite ce montage judiciaire. Gênée, la justice multiplie les
enquêtes : la poursuite, la police, des avocats et d’autres intervenants
en font les frais. Pour sa part, le ministre de la Justice du Québec a
demandé à l’ancien juge d’appel Michel Proulx d’établir l’indem-
nité due à la victime de cette stupéfiante erreur judiciaire.
136 Fenêtres sur la justice
La protection du mouchard
Les tribunaux ont adopté la règle du privilège relatif aux in-
dicateurs de police afin de protéger les informateurs et d’encou-
rager d’autres citoyens à contribuer à l’application de la loi, car
142 Fenêtres sur la justice
Le blanchiment de la preuve
Le procès est l’examen critique d’une forme de vérité révélée
par une enquête policière. Selon les circonstances, la rigueur ou la
flexibilité du postulat de culpabilité animant une démarche d’in-
vestigation colore ses conclusions. Contrairement à la vision dissé-
minée auprès de l’opinion publique à l’occasion de procès impli-
quant des brigands notoires, la poursuite fait largement le poids
dans la majorité des cas. Chaque fois que la police enquête sur un
délit, exécute des décisions judiciaires ou entre en contact avec les
citoyens, sa conduite symbolise la façon dont les droits et libertés
fondamentaux sont respectés et protégés. La manière dont la
police s’acquitte de ses tâches est un indicateur avéré de la qualité
de la société démocratique, ainsi que de son degré de respect pour
la prééminence du droit.
L’équité du procès
Quête de vérité, un juste procès a vocation de garantir à l’ac-
cusé la droiture du processus judiciaire. À l’occasion, l’action abu-
sive des agents de l’État dans la conduite d’une enquête criminelle
peut entacher l’équité du procès. Voilà pourquoi un juge dispose
du pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve obtenue abusive-
ment. Cela dit, ce ne sont pas toutes les violations qui contaminent
La vérité judiciaire 145
La sanction judiciaire
Des éléments de preuve, obtenus dans des conditions portant
atteinte aux droits et libertés fondamentaux, sont écartés s’il est éta-
bli, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible
de déconsidérer l’administration de la justice. En théorie, le méca-
nisme d’exclusion de preuve autorisé par la Charte canadienne ne
vise pas à sanctionner les policiers fautifs ni à réparer le tort causé
au citoyen. C’est plutôt l’intégrité de la justice que l’on veut proté-
ger. En pratique, toutefois, l’inconduite des agents de l’État peut
enclencher une mesure corrective prenant la forme d’une suppres-
sion de preuve. En fin de compte, bien que ce ne soit pas l’enjeu
principal, l’effet indirect de cette mesure profite à l’accusé.
Tout bien considéré, on peut se demander ce qui discré-
dite le plus la justice : l’acquittement d’un coupable, à la suite de
148 Fenêtres sur la justice
La justice antiterroriste
Le terrorisme est à la fois un problème partagé par tous les
États de droit et un phénomène de dimension internationale.
Lorsqu’il frappe aveuglément des populations civiles, le terrorisme
organisé est toujours criminel et doit être traité comme tel. Que la
réponse contre la menace terroriste soit nationale ou internatio-
nale, elle doit forcément respecter la base d’une société démocra-
tique, c’est-à-dire l’ensemble des droits et libertés fondamentaux.
Les mesures antiterroristes gênent souvent la vie privée des gens,
mettent à l’épreuve les normes procédurales usuelles, constituent
des ingérences dans l’exercice de la liberté d’expression ou d’asso-
ciation. Du coup, elles appellent des garanties juridiques plus
strictes.
La vérité judiciaire 155
Un jeu d’équilibre
Dans sa finalité, le droit pénal est paradoxal. Il est à la fois une
protection des droits et libertés fondamentaux et une menace
pour ces derniers qui ont vocation d’encadrer le droit pénal en
limitant les moyens de répression de la criminalité.Tôt ou tard, les
lois finissent par bousculer les attentes les mieux assurées par la
Constitution. Le droit pénal doit constamment maintenir l’équi-
libre précaire entre la protection des droits de la société, d’une
part, et la protection des droits des membres de cette société,
d’autre part. Ces deux valeurs revêtent une importance égale, mais
tout conflit entre elles doit, dans la mesure du possible, être réglé
d’une manière qui respecte les droits fondamentaux des citoyens.
Les lois pénales définissent les crimes et dictent les formalités
de la conduite des enquêtes et du déroulement des procédures
judiciaires. Sans un ensemble de règles procédurales équitables et
efficaces, les règles de fond, c’est-à-dire celles ayant trait à la res-
ponsabilité pénale, pourraient rester lettre morte. Dotés de pou-
voirs discrétionnaires, les agents de l’État doivent néanmoins res-
pecter le mode de conduite défini par la loi. Si le respect du
pouvoir discrétionnaire de la poursuite est, dans notre droit pénal,
un principe important dont l’existence est pleinement justifiée,
son application n’a rien d’absolu. D’ailleurs, toutes les procédures
judiciaires sont assujetties aux principes d’équité procédurale, en
particulier lorsque le droit à la liberté ou à la sécurité de la per-
sonne est en cause.
La vérité judiciaire 169
Le système adversaire
Dans notre système accusatoire de justice (d’origine britan-
nique), ce sont les parties au procès qui prennent l’initiative et le
juge qui se comporte en arbitre impartial. Chaque partie assume
la responsabilité d’administrer la preuve. Dans le système inquisi-
toire (d’origine européenne continentale), la conduite du procès
relève des juges. Ceux-ci disposent d’un dossier de preuve préparé
par un juge d’instruction ou la police. L’accent est mis sur l’analyse
documentaire. La lourdeur administrative de la justice pénale de
type inquisitoire peut, dans certains pays, être source de sclérose
administrative. Exemple : en décembre 2005, le tribunal de grande
instance de France a condamné l’État à payer une compensation
financière à 16 adeptes de l’Église de scientologie, mis en examen
pour escroquerie depuis 22 années. Le motif du jugement : la
lourdeur et le dysfonctionnement du service public de justice
avaient empêché ces scientologues d’être jugés dans un délai rai-
sonnable.
La question se pose : lequel des deux systèmes favorise davan-
tage la recherche de la vérité ? Traditionnellement, deux motifs
sont évoqués en faveur du système adversaire de type accusatoire.
Les deux faces de la vérité, dit-on, devraient émerger de l’antago-
nisme des parties. De la sorte, une meilleure protection des droits
La vérité judiciaire 177
La faute subjective
Selon un principe fondamental, l’auteur d’une infraction est
considéré, au moment où il a choisi de commettre cette infrac-
tion, comme une personne autonome, douée de raison. L’impor-
tance de ce principe se reflète dans l’exigence qu’un acte illégal
soit volontaire (conscient) et intentionnel (voulu) pour justifier
une déclaration de culpabilité. Il arrive qu’une conduite caractéri-
sée par l’insouciance ou la négligence grave soit assimilée à une
conduite intentionnelle. L’adéquation entre la culpabilité morale
et la détermination d’une peine a été, dans une large mesure, fixée
dans le contexte des infractions découlant d’une faute subjective.
Bien que l’intention ou la connaissance requises puissent être
déduites directement des propos de l’accusé sur son état d’esprit
(ou indirectement de l’acte et des circonstances environnantes), ce
qui s’est effectivement passé dans son esprit reste déterminant.
Les caractéristiques personnelles de l’accusé ne sont perti-
nentes que dans la mesure où elles concernent l’existence ou l’in-
existence d’un élément de l’infraction. Puisque l’intention ou la
conscience du risque constituent un élément de ce genre d’infrac-
tions, les facteurs personnels peuvent alors entrer en jeu. À la suite
d’une opération commerciale complexe, un accusé illettré ou
faible d’esprit peut être acquitté de fraude au motif qu’il n’arrivait
pas à comprendre l’enjeu ni à prévoir les conséquences de ses faits
et gestes. Dans ce contexte particulier, le juge des faits peut fort
bien conclure à l’honnêteté de la conduite de l’inculpé. En géné-
ral, la connaissance ou la croyance affirmée par l’accusé n’est pas
toujours concluante. Le juge des faits peut en mesurer l’acceptabi-
lité selon la norme de conduite d’une personne raisonnable.
Autrement dit, lorsqu’une personne raisonnable est convaincue
qu’il s’agit d’une magouille, la conduite douteuse de l’accusé peut
justifier sa condamnation pour fraude.
Si la croyance erronée ne faisait pas partie intégrante de l’in-
tention de l’auteur d’un acte (et que celle-ci serait simplement de
faire ce qui est arrivé), l’erreur de fait serait irrecevable comme
moyen de défense. Rien de tel. Le droit pénal admet la défense
d’erreur pourvu que l’accusé ait cru sincèrement à l’existence
La vérité judiciaire 181
La faute objective
En matière de faute objective, l’objet de la responsabilité se
déplace vers la conséquence d’une conduite. L’accusé doit être
tenu pour responsable des suites d’une action qu’il pouvait antici-
per. Cela dit, il serait profondément injuste de rendre une per-
sonne responsable de l’intégralité de son action, c’est-à-dire de
toutes les conséquences rattachées à sa conduite. Dans les affaires
de négligence pénale, l’élément matériel est prouvé lorsque la
négligence représente, dans toutes les circonstances de l’affaire, un
écart marqué par rapport à une norme objective de juste
moyenne. Cet écart peut être lié à l’exercice dangereux d’une acti-
vité quelconque ou à l’exercice d’une activité devenant dange-
reuse par les circonstances. Illustrons notre propos des exemples
suivants. La course automobile pratiquée sur une autoroute un
jour de pluie, à une heure de pointe, peut être considérée comme
une conduite pénalement négligente. On peut déduire des faits
qu’il y a eu négligence de prendre en considération la prévisibilité
du risque de causer un préjudice. Le comportement de l’accusé
est évalué à l’aune d’une norme objective de vigilance. Le juge des
faits se réfère au degré de diligence d’une personne raisonnable
placée dans de semblables circonstances. Ici, les facteurs personnels
n’ont aucune pertinence, hormis pour savoir si l’accusé avait la
capacité d’apprécier le risque encouru.
En matière de possession, d’utilisation ou de manipulation
d’une arme à feu, quiconque agit de manière négligente, ou sans
prendre suffisamment de précautions pour la sécurité d’autrui,
engage sa responsabilité pénale. L’élément essentiel de l’infraction
est la conduite constituant un écart marqué par rapport à la norme
de diligence qu’observerait une personne raisonnablement pru-
dente. Autrement dit, l’accusé ne peut être déclaré coupable s’il
182 Fenêtres sur la justice
Le droit à l’oubli
Face au rappel de faits anciens, on peut se demander s’il existe
un droit à l’oubli. Ne serait-ce que par l’emploi des termes « par-
don » et « réhabilitation », nos lois renvoient à des formules de
l’oubli. À propos du concept de réhabilitation, la Cour suprême
(affaire Therrien) croit que sa reconnaissance par le législateur fédé-
ral constitue un geste de générosité, de fraternité, mais aussi de jus-
tice qui mérite d’être valorisé et encouragé.Voilà pour l’esprit de
la loi. Quant à la portée du pardon, les juges ont été moins géné-
reux. Ils ont conclu que cet acte de clémence vise seulement à
mettre un terme aux effets négatifs d’une condamnation. Bref, il
s’agit simplement d’une forme de réhabilitation administrative.
La vérité judiciaire 185
La déconstruction du procès
Privée de la faculté d’exprimer de nouvelles idées et des opi-
nions sur le fonctionnement des institutions publiques, la démo-
cratie est mise à mal. Caractéristique d’une société démocratique,
le principe de la publicité des débats de justice s’applique à toutes
les procédures judiciaires. Depuis longtemps, ce principe est
La vérité judiciaire 189
Qui juge les juges ? Au premier chef, ce sont des juges. À leurs
yeux, toute autre solution risquerait d’éroder l’indépendance judi-
ciaire. Selon la Cour suprême (affaire Moreau-Bérubé), les juges
sont peut-être les seuls à être en mesure d’examiner et de soupeser
efficacement l’ensemble des principes applicables. La perception
d’indépendance de la magistrature, croit-on, serait menacée si
quelqu’un d’autre effectuait cette évaluation. Curieusement,
s’agissant de l’indépendance des avocats, la Cour suprême (affaire
Ryan) trouve acceptable l’idée que des non-juristes s’occupent de
discipline. On considère que ceux-ci seraient bien placés pour
comprendre en quoi des sanctions pour certains actes dérogatoires
pourraient affecter l’image de la profession juridique dans le
public en général et la confiance de ce dernier dans l’administra-
tion de la justice.
Au Canada, en cas de destitution appréhendée d’un juge, ce
sont les parlementaires ou les gouvernements qui, selon le cas,
prononcent la sanction capitale. La nomination des juges relève de
l’exécutif. Sur le plan fédéral, la disgrâce d’un juge d’une cour
supérieure exige une résolution des parlementaires canadiens,
après enquête et recommandation du Conseil canadien de la
magistrature. Une procédure semblable s’applique en Onta-
rio. Dans les autres provinces et territoires, c’est le pouvoir exécu-
tif qui, après enquête et recommandation, procède à l’acte de des-
titution. Rejeton du fédéralisme canadien, cet ordonnancement
196 Fenêtres sur la justice
les candidatures sont scrutées par des comités de sélection qui s’as-
surent que seules les personnes compétentes sont recommandées.
Cette apologie ne convainc pas tout le monde. Des observateurs
avertis estiment que le système des comités consultatifs en vigueur
n’est qu’un palliatif incapable d’assurer la nomination des candi-
dats les plus qualifiés. D’aucuns estiment que les affinités poli-
tiques et les amitiés personnelles jouent un rôle clé.
Selon Michel Robert, actuel juge en chef de la Cour du Qué-
bec (Journal du Barreau, février 2003), le fonctionnement des
comités de sélection a grandement été amélioré au fil des ans, « ce
qui nous rapproche d’un système fondé principalement sur le
mérite de chaque candidat ». Quant à la composition des comités
fédéraux, le juge Robert suggère d’y « incorporer des représen-
tants du Parlement » afin d’augmenter l’autorité des comités dans
leur pouvoir de recommandation. À son avis, le système doit être
plus transparent, « tout en s’assurant de ne pas éloigner des candi-
dats valables par un mode de nomination davantage public ». L’an-
née suivante, intervenant à nouveau sur la question des nomina-
tions judiciaires (La Presse, 8 avril 2004), le juge Robert nia le fait
que « les juges nommés selon le mode actuel se retrouvent avec
des dettes politiques à la suite de leur nomination ou des critères
de moralité plus ou moins élastiques ». Toute attaque à l’intégrité
de la magistrature, devait-il ajouter, affaiblit une importante insti-
tution démocratique.
Le processus de nomination agit en trompe-l’œil. Certes, les
comités de sélection permettent d’éliminer les candidats indési-
rables. Cependant, rien n’empêche la nomination d’un candidat
recommandé, jouissant d’un soutien politique, au détriment d’un
autre candidat simplement recommandé. En pareil cas, les facteurs
déterminants n’ont rien à voir avec la compétence et le mérite
personnel des candidats. À cet égard, le « ministre politique » d’une
province exerce une influence déterminante. Lorsqu’il occupait
cette fonction stratégique au Québec, Alfonso Gagliano décrivait
naïvement le mécanisme de filtrage des candidats à la magistra-
ture : « Si j’ai à choisir entre un libéral et quelqu’un d’autre, à éga-
lité de prix, de qualité et de service, je choisirai le libéral. »
Irwin Cotler a reconnu la nécessité d’améliorer le système de
Le gardien des juges 199
La déontologie judiciaire
Les différents conseils de la magistrature du pays ont pour mis-
sion de veiller à l’intégrité de la fonction judiciaire. La protection
institutionnelle de la judicature justifie que l’organisme contrôleur
censure la conduite du juge qui menace cette intégrité. Le gardien
des juges doit impérativement tenir compte de la garantie constitu-
tionnelle d’indépendance comprenant l’inamovibilité, la liberté
d’expression et la faculté de juger sans pression ni influence exté-
rieures. En effet, dans l’exercice de sa fonction judiciaire, un juge ne
202 Fenêtres sur la justice
Le thème de la confiance
S’agissant de caractériser les valeurs constitutionnelles fonda-
mentales comme l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judi-
ciaire, la Cour suprême a constamment lié leur raison d’être à la
confiance du public envers l’administration de la justice. Celle-ci
prend sa source dans la croyance selon laquelle l’arbitre judiciaire
doit non seulement juger sans partialité ni préjugé, mais égale-
ment sembler agir de la sorte. Autrement dit, la confiance du
public est un élément de première nécessité dans l’exercice indé-
pendant et impartial de la justice. Il l’est tout autant dans la mise en
œuvre par la magistrature de principes éthiques reconnus.
L’impartialité est la qualité fondamentale des juges et l’attribut
central de la fonction judiciaire. Dans un litige, son substrat
contraint le juge à faire montre d’ouverture d’esprit. L’impartialité
se présume impérativement. L’autorité du juge dépend de cette
présomption, d’où son importance considérable. La méfiance et le
manque de respect se répercutent sur l’efficacité d’un système
judiciaire, dit-on. Au contraire, l’indépendance bien affichée de la
magistrature favorise la confiance du public quant à la neutralité et
Le gardien des juges 211
Le couloir de la destitution
Avant de recommander l’annulation du décret de nomination
d’un juge, l’organisme compétent doit déterminer si son incon-
duite porte si manifestement et si totalement atteinte à l’impartia-
lité, à l’intégrité et à l’indépendance de la magistrature qu’elle
ébranle la confiance du justiciable ou du public en son système
de justice au point de rendre le juge inapte à exercer ses fonctions.
La référence obligée à la confiance du public confère au critère
de destitution une apparence démocratique. L’opinion publique
sur les problèmes de société n’est pas indigne d’intérêt. Cepen-
dant, on ne saurait induire une norme de conduite de la réalité
observable — si tant est qu’elle le soit vraiment — au risque
d’oblitérer la dimension instituante de la loi et de la réduire à
n’être qu’un outil régulateur.
Aussi pertinente soit-elle, l’opinion publique ne peut rempla-
cer l’obligation des juges d’interpréter eux-mêmes la Constitution
et de faire respecter ses dispositions. À vrai dire, le détour consis-
tant à supputer artificiellement le degré de confiance du public
dissimule une réalité bien différente : s’agissant d’expulser un col-
lègue du corps judiciaire, les juges se réservent la portion congrue
du processus. Les pairs restent perméables à différentes influences.
À ce jour, peu de juges ont connu la froideur du couloir de la des-
titution. Pour mieux saisir la portée du critère de révocation, pro-
cédons à l’examen des rares cas où on a mis en branle cette déli-
cate opération d’exorcisme judiciaire.
Le gardien des juges 213
La réprimande
En principe, pour qui en fait l’objet, une réprimande devrait
constituer une sanction sérieuse. Un juge réprimandé, dit-on, est
un juge affaibli. Une réprobation publique du gardien des juges
n’est pas sans conséquence sur la carrière d’un magistrat. Théori-
quement, il devrait éprouver des difficultés à remplir sa fonction,
notamment à cause d’un manque de confiance des parties défilant
devant lui et de l’opinion publique. Pour les juges nommés par le
gouvernement du Québec, une réprimande formelle peut enta-
cher leur dossier de façon permanente. Au contraire, les juges de
nomination fédérale ne peuvent faire l’objet d’une sanction certi-
fiée. Pour obvier à cette lacune, les membres responsables du
Conseil canadien de la magistrature, s’adressant au juge visé par
une plainte, ne se gênent pas pour critiquer sa conduite et lui faire
la leçon. Concrètement, un juge fédéral subit le blâme de ses pairs.
Le bonnet de l’âne
À l’occasion du prononcé de la peine d’une jeune femme
coupable de meurtre, le juge Jean Bienvenue a tenu des propos sur
les femmes reflétant, de son propre aveu, ses profondes convic-
tions : « … lorsque la femme s’élève dans l’échelle des valeurs
de vertu, elle s’élève plus haut que l’homme… lorsqu’elle décide
de s’abaisser, la femme, elle le fait hélas ! jusqu’à un niveau de bas-
sesse que l’homme le plus vil ne saurait lui-même atteindre ».
Poursuivant sur sa lancée, le magistrat ajouta que « même les nazis
n’[avaient] pas éliminé des millions de Juifs dans la douleur ou
dans le sang. Ils ont péri sans souffrance dans les chambres à gaz. »
Cet élan oratoire provoqua une onde de choc sur la place
publique. La réprobation générale fut suivie d’une avalanche de
plaintes au Conseil canadien de la magistrature.
À cause de propos stupéfiants, le juge Bienvenue, coiffé du
bonnet de l’âne, s’est retrouvé dans l’œil d’un cyclone médiatique.
Autrefois ministre sans éclat, son cursus de magistrat ne fut guère
plus reluisant. En éditorial (La Presse, 12 décembre 1995), Pierre
Gravel décrivait le personnage : « Ainsi, devant son incorrigible
lenteur à rédiger ses jugements mis en délibéré, on s’est arrangé
pour qu’il ne siège plus que lors de procès avec jury où il n’a qu’à
imposer une sentence. Ce qui ne l’a pas empêché d’encourir des
blâmes nombreux de la Cour d’appel pour sa façon fort discutable
de présider les débats. Au vu de son dossier qui constitue une
impressionnante démonstration de ce qui mine la crédibilité de la
justice, on ne peut s’étonner de sa dernière bourde. »
Insensible aux inconvénients subis par les justiciables en raison
de sa lenteur à disposer des affaires civiles, le juge fut affecté exclu-
sivement à la chambre criminelle et pénale de la Cour supérieure.
D’ailleurs, ce singulier déplacement administratif étonne : serait-ce
que la liberté du citoyen compte moins que son patrimoine ? La
rigueur et la fréquence des semonces de la Cour d’appel à son
égard font voir que le juge Bienvenue rendait mal justice, tant en
matière civile que pénale.
Un comité d’enquête statua à la majorité que la révocation du
juge Bienvenue était incontournable. Tant ses propos que ses
Le gardien des juges 219
La crédibilité entamée
Élevé à la magistrature, le juge n’en reste pas moins un sujet de
droit. Traduit en justice, il bénéficie des mêmes droits que tout
autre justiciable. Il peut donc contester une accusation pénale et
témoigner à cette fin. Jusqu’à présent, en matière d’infractions
routières pour cause d’intoxication, le gardien des juges s’est limité
à sermonner ceux qui ont reconnu leur culpabilité. Un juge
inculpé d’ivresse au volant risque gros s’il conteste l’inculpation et
choisit de témoigner à son procès. Dans l’hypothèse d’un juge-
ment de culpabilité, cela signifie que le tribunal compétent a
rejeté sa version des faits. Alors, ce n’est plus l’infraction commise
qui importe. En effet, la crédibilité entamée du juge pendant son
procès pénal prime toute autre considération.
Dans l’affaire Fortin, un juge municipal essuya les foudres d’un
comité d’enquête. Une plainte dénonçait son comportement, à la
suite de sa condamnation pour cause d’intoxication au volant. La
Cour d’appel, et surtout le juge du procès, soulignèrent la perte de
crédibilité du magistrat inculpé. Cette constatation lui fut fatale.
À propos de la sanction disciplinaire, le comité d’enquête statua
qu’un tel comportement mine la confiance du public envers le
système judiciaire. De surcroît, la faute fut commise dans un sanc-
tuaire de justice. Là plus qu’ailleurs, le juge fautif devait préserver
l’intégrité de l’institution judiciaire et défendre l’indépendance de
la magistrature dans l’intérêt supérieur de la justice et de la société.
La confiance d’un observateur raisonnable, et surtout celle du
justiciable appelé à comparaître devant un juge décrédibilisé, se
Le gardien des juges 223
Le devoir de réserve
Poursuivons notre réflexion en direction d’un terrain miné
pour la magistrature : le devoir de réserve. Plusieurs dossiers exa-
minés font souvent référence à cette importante norme déontolo-
gique. Convenir de l’utilité du devoir de réserve est plus facile que
d’en tracer le pourtour. Il existe une grande diversité de points de
vue sur le sujet. Les avis diffèrent notamment selon qu’un juge
exerce sa fonction judiciaire ou affiche publiquement son opinion
comme simple citoyen. Rédacteur du jugement de la Cour
suprême (affaire Ruffo), le juge Gonthier explique le flou du
Le gardien des juges 225
Le courage du pionnier
Le dossier du juge Thomas Berger fut incontestablement un
point tournant de la déontologie judiciaire canadienne. L’affaire
prit naissance en 1981, pendant le processus de rapatriement de la
Constitution. Siégeant en Colombie-Britannique, le juge Berger
avait vigoureusement critiqué dans un journal l’accord constitu-
tionnel liant les gouvernements fédéral et provinciaux, à l’exclu-
sion du gouvernement québécois. En fait, ses critiques portaient
228 Fenêtres sur la justice
La diplomatie déontologique
Pour un magistrat, avoir la langue bien pendue comporte des
risques. S’il occupe un échelon élevé dans la hiérarchie judiciaire,
le danger de dérapage s’accélère. Le juge Bastarache a plutôt mal
vécu son franc-parler à propos de l’orientation de la Cour
suprême du Canada. On déposa deux plaintes au Conseil cana-
dien de la magistrature, à la suite d’entrevues parues dans les
journaux. La première dénonciation émanait d’une association
autochtone. Dans un article intitulé « Settle native issues with talks :
judge Bastarache speaks out » (National Post, janvier 2001), le juge
Bastarache disait sa préférence pour la négociation politique plu-
tôt que la judiciarisation des droits ancestraux des Premières
Nations. N’ayant pas participé au dossier traitant de cette délicate
question (affaire Marshall), il manifestait son désaccord avec le
jugement majoritaire de la Cour.
La seconde plainte émanait d’un collectif d’avocats crimina-
listes. À propos des droits constitutionnels des accusés en matière
pénale, le juge Bastarache avait dit que la Cour suprême était allée
trop loin : « Supreme court goes “too far” : judge Bastarache says justices
should more often defer to will of Parliament in Charter cases. » Dans les
deux cas, les plaignants alléguaient qu’en exprimant son opinion
personnelle sur le thème de l’activisme judiciaire et en critiquant
certains jugements de la Cour, le juge Bastarache s’était montré
partial ou, à tout le moins, avait fait naître une crainte raisonnable
de partialité sur d’importantes questions qu’il aurait à juger. Selon
eux, cette critique était de nature à saper la confiance du public
envers la magistrature et susceptible de nuire à l’esprit de collégia-
lité de la plus haute cour du pays.
230 Fenêtres sur la justice
Une balourdise
Sur demande du ministre de la Justice du Canada ou du pro-
cureur général d’une province ou d’un territoire, le Conseil cana-
dien de la magistrature doit impérativement tenir une enquête
publique sur la conduite d’un juge de nomination fédérale.
En 2002, le procureur général du Québec s’est prévalu de cette
prérogative dans les circonstances suivantes. Impliqué personnelle-
ment dans un litige concernant la vente et le transfert des actifs
d’une ville aux habitants locaux, le juge Flynn de la Cour supé-
rieure s’était publiquement exprimé sur le sujet dans une entrevue
journalistique. À l’origine, le quotidien Le Devoir avait publié un
article intitulé « Un maire et ses voisins achètent l’Île-Dorval avant
la fusion ». Peu après, le procureur général du Québec intentait
232 Fenêtres sur la justice
Un parfum de discrimination
Les choses se compliquent lorsqu’un juge commet un écart de
conduite dans l’exercice de ses fonctions. L’affaire Marshall fait voir
la prudence des mandataires du Conseil canadien de la magistra-
ture en pareil cas. Donald Marshall fut injustement privé de liberté
pendant plus de 10 ans, au terme d’un procès de meurtre vicié par
une tragique erreur judiciaire. Après un nouvel examen de son
dossier, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse le remit en liberté.
Jean Chrétien, alors ministre de la Justice, ordonna le renvoi du
dossier au tribunal d’appel. Après être convenus d’annuler la
condamnation et d’y substituer un verdict d’acquittement, les cinq
juges d’appel firent des observations controversées. Selon eux, l’er-
reur judiciaire était plus apparente que réelle puisque Marshall
avait reconnu s’être parjuré. En mentant, il avait contribué à sa
déveine. Et les juges ajoutèrent que si Marshall n’avait pas menti à
la police ainsi qu’à ses propres procureurs, la vérité aurait pu être
découverte.
Une commission gouvernementale d’enquête, chargée d’exa-
miner les ratés du système judiciaire pénal dont Marshall fit les
frais, critiqua vertement les propos tenus par la Cour d’appel.
Qualifiant d’erreur grave et fondamentale le blâme sévère des
juges d’appel envers une victime d’une erreur judiciaire, les com-
missaires enquêteurs leur reprochèrent d’avoir apprécié la preuve
sélectivement et d’avoir considéré des renseignements externes
au dossier. On dénonça aussi le silence de la formation d’appel
sur certaines atteintes à l’équité du procès. Par exemple, l’omission
de la Couronne de divulguer d’importants renseignements aux
procureurs de l’accusé ; la restriction abusive du droit au contre-
interrogatoire de la défense. Bref, les commissaires enquêteurs
furent d’avis que, malgré une preuve contraire écrasante, le juge-
ment d’appel se portait à la défense du système judiciaire pénal
aux dépens de Marshall.
Cette drôle de justice fut lourde de conséquences pour la suite
des événements. Selon la commission d’enquête, les commentaires
injustifiés de la Cour d’appel ont fragilisé la position de Marshall
dans ses négociations avec le gouvernement pour l’obtention
234 Fenêtres sur la justice
L’insouciance culturelle
Valeur phare de la société canadienne, l’égalité oblige la
magistrature à aseptiser son langage. Le juge Barakett de la Cour
supérieure s’est retrouvé dans une situation délicate avec la justice
disciplinaire pour avoir manqué de respect envers la culture
autochtone. Résultat : il a dû faire amende honorable, confesser ses
erreurs et parfaire son éducation. Pour ces motifs, malgré le bien-
fondé de plusieurs plaintes, un sous-comité du Conseil canadien
de la magistrature classa le dossier puisque la révocation du juge
Barakett n’était pas souhaitable.
Le gardien des juges 237
L’immunité disciplinaire
Dans l’affaire Bienvenue, l’opinion minoritaire du Conseil
canadien de la magistrature fit grand cas de la nécessité d’aborder
avec prudence et retenue l’examen de la conduite d’un juge dans
l’exercice de sa fonction judiciaire. L’affaire Boilard marque un
tournant dans l’évolution de la justice disciplinaire des juges de
nomination fédérale. À l’unanimité, le Conseil a clairement déli-
mité son pré carré. Dorénavant, quelle que soit la substance d’une
recommandation formulée par un comité d’enquête, le collectif
des juges en chef reste seul maître à bord.
Le dossier Boilard s’est joué en trois actes. Dans un premier
temps, un avocat déposa une plainte au Conseil canadien de la
magistrature. Il reprochait au magistrat son attitude méprisante et
blessante à son égard. On créa un sous-comité d’enquête pour
étudier l’affaire. Il classa le dossier, non sans avoir sévèrement
blâmé le juge Boilard. On dénonça ses marques d’impatience et
ses remarques immodérées envers un officier de la Cour. Le sous-
comité écrivait notamment que le fait de « [d]ispenser justice en
insultant gratuitement l’avocat ne sied ni au juge ni à la magistra-
ture ». De tels commentaires révélaient un mépris bien affiché
d’un juge envers un avocat, sur les plans tant individuel que pro-
fessionnel. L’organisme disciplinaire nota que la Cour d’appel du
Québec avait, plus d’une fois, rabroué le juge Boilard.
À la reprise de l’important procès qu’il présidait depuis un
Le gardien des juges 239
L’arrosé arroseur
Un juge blâmé par son organisme disciplinaire peut-il ouver-
tement commenter ou critiquer la décision rendue par ses pairs à
son encontre ? Au détour d’une révision judiciaire annoncée, le
juge concerné peut-il manifester son désaccord ? Le Conseil qué-
bécois de la magistrature s’est penché sur cette délicate question.
À l’occasion d’un point de presse tenu au cabinet de son procu-
reur, la juge Ruffo avait commenté quatre réprimandes consi-
gnées dans un dossier disciplinaire antérieur. Elle disait notam-
ment vouloir continuer à se battre et s’être sentie blessée et
humiliée par les plaintes portées contre elle. Cela lui valut une
nouvelle plainte.
Le comité d’enquête saisi de l’affaire formula le principe sui-
vant : le refus d’accepter une sanction déontologique constitue en
soi un acte d’indiscipline susceptible de miner la confiance du
public dans le processus de justice interne de la magistrature. Par
conséquent, un juge pour qui la déontologie pèse trop lourd doit
250 Fenêtres sur la justice
L’activité lucrative
Il faut savoir gré à la juge Ruffo de contribuer au développe-
ment de la déontologie judiciaire. Ses activités de conférencière
ont forcé la réflexion de ses collègues. Une affaire de causerie
donnée contre rémunération a sérieusement embêté le Conseil
québécois de la magistrature. Au terme d’une enquête menée par
quatre membres (le cinquième s’étant récusé), deux juges ont
rejeté la plainte qui comportait plusieurs volets et les deux autres
l’ont partiellement accueillie. Ces derniers auraient recommandé
au Conseil qu’on fasse une réprimande à la juge Ruffo.
Rappelons les règles du jeu. Son investigation terminée, le
comité enquêteur remet son rapport et ses recommandations au
Conseil. Si le rapport conclut que la plainte est sans fondement, le
Conseil doit transmettre un avis motivé au ministre de la Justice,
au juge concerné et au plaignant. Si la plainte est jugée fondée,
le Conseil, suivant les recommandations du rapport, réprimande le
juge ou recommande au ministre de la Justice de saisir la Cour
d’appel d’une requête. L’objet de cette procédure exceptionnelle
d’enquête concerne la destitution du juge. En l’espèce, le Conseil
québécois de la magistrature s’est retrouvé dans un cul-de-sac. Ses
membres se sont limités à prendre acte des opinions contradic-
toires du comité d’enquête et de les communiquer à qui de droit.
Sous l’angle juridique, il n’y a pas eu de réprimande formelle par
l’autorité compétente.
La juge Ruffo avait donné une conférence au Salon de la
Le gardien des juges 251
Un coup fumant
Le gardien des juges semble éprouver un malaise à répriman-
der les juges de la haute magistrature. Dans le cas de la juge Mary
F. Southin, un avocat prétendait qu’en incitant le gouvernement
provincial à subvenir aux frais d’installation d’un mécanisme de
ventilation dans son cabinet, la juge Southin avait jeté le discrédit
sur l’administration de la justice.
L’affaire fit tout un tabac à Vancouver. La réglementation en
vigueur oblige les adeptes du tabagisme à sortir du palais de jus-
tice pour griller une cigarette. Âgée de 71 ans, la juge Southin
fit acte de désobéissance civile. Son cabinet lui servant de fumoir,
elle a brandi la menace d’une retraite précipitée. En Colombie-
Britannique, le Règlement sur la santé et la sécurité au travail
Le gardien des juges 255
En conclusion
Sur le plan pénal, un juge ne bénéficie d’aucune protection
ou immunité. Qu’elle advienne dans l’exercice de sa fonction ou
hors de celle-ci, l’infraction pénale qu’il viendrait à commettre
fera l’objet d’une poursuite et sera jugée selon les procédures
de droit commun. Sa responsabilité n’est pas fictive. Les exemples
de condamnations de juges (pour des infractions routières) sont
connus ; la grâce policière appartient à l’histoire ancienne.
L’époque est révolue où des agents de la paix, plutôt bonnes pâtes,
ramenaient à domicile un magistrat interpellé pour ivresse au
volant. Conséquence d’une condamnation pénale, une ancienne
juge en chef de la Cour supérieure a vu sa carrière brutalement
interrompue. En effet, ayant conduit sa voiture avec des facultés
affaiblies, elle préféra démissionner.
Sur le plan civil, les juges bénéficient d’une immunité absolue
de poursuite pour les paroles prononcées et les actes accomplis
dans l’exercice de leurs fonctions. Cette protection est liée à l’exi-
gence d’indépendance de la magistrature. Parce qu’il rend justice,
un magistrat ne doit jamais craindre d’être civilement poursuivi
par l’une ou l’autre des parties au dossier ou par un tiers qui vou-
drait ainsi influencer son jugement.
Lorsqu’une décision de justice est rendue et que les voies de
recours sont épuisées, celle-ci revêt une autorité particulière. En
effet, l’autorité de la chose jugée rend le jugement de la Cour
incontestable. Les élus, les dirigeants gouvernementaux et leurs
agents devraient s’abstenir de le critiquer. Cette retenue n’a pas
Le gardien des juges 261
Sans nier les vertus reconnues au jury comme juge des faits,
certaines remarques doivent moduler l’observation qui précède.
Curieusement, ce n’est qu’après avoir entendu l’ensemble de la
preuve que les jurés sont informés des éléments juridiques enca-
drant leur fonction de juge des faits. Connaisseur du droit, le juge
dispose parfois d’un certain avantage sur le jury pour soupeser les
témoignages puisqu’il peut focaliser son attention sur les passages
importants de la preuve dès leur insertion dans le dossier. Mal ren-
seigné sur les concepts juridiques pertinents, le jury peut éprouver
des difficultés à capter l’intelligence d’une preuve administrée en
pièces détachées, au bon vouloir des parties.
D’aucuns estiment qu’un magistrat serait plus compétent
qu’un jury pour évaluer certains types de preuve. Les questions
d’identification et les débats d’ordre scientifique seraient mieux
compris par un juge professionnel. C’est possible, mais cette
lacune peut être atténuée par le recours aux témoins experts. Pré-
cisons toutefois que la pertinence ou la simple utilité d’une preuve
d’expert ne suffit pas à la rendre admissible ; elle doit être essen-
tielle à l’évaluation des faits. À défaut d’une telle exigence, il y a
risque que certains jurés, subjugués par le discours d’un témoin
savant, soient plus enclins à suivre son opinion. Pour faire bonne
mesure, reconnaissons que bien des juges réagissent de la même
façon au témoignage d’un expert.
Le promoteur d’équité
Sans écorner la vocation de la loi pénale, les jurés peuvent
apprécier avec plus de flexibilité qu’un juge seul l’écart de
conduite reproché à l’accusé dans un contexte bien précis. Impu-
table devant la société, le juge fonde son analyse sur les concepts et
standards juridiques. Au contraire, incarnant la collectivité, le jury
peut mettre l’accent sur certaines valeurs communautaires dans
l’exercice de sa fonction. Sous réserve de rendre un verdict raison-
nable, les jurés n’ont de compte à rendre à personne.
Gardons-nous d’en conclure que la rectitude du jugement
prononcé par un magistrat serait supérieure à celle du verdict
rendu par un jury. Afin de ratisser large, la loi pénale s’exprime
266 Fenêtres sur la justice
Le garant de la démocratie
Le jury constitue indubitablement une garantie de démocra-
tie.Voilà pourquoi la société respecte grandement les verdicts ren-
dus par ses représentants communautaires. Cette forme de justice
en direct semble plus légitime que l’intervention du magistrat
rendant jugement au nom de la collectivité. Le jury incite les tri-
bunaux d’appel à l’exercice d’une prudente retenue devant l’allé-
gation de verdict déraisonnable. L’indépendance de la magistrature
reste un concept mal compris par la société civile. Cette avancée
dans l’affirmation du principe cardinal de la séparation des pou-
voirs laisse plutôt froide et sceptique l’opinion publique, laquelle
Le jury 267
L’impartialité
Toutes les personnes appelées comme jurés ne sont pas auto-
matiquement choisies pour siéger. La loi permet aux parties d’en
récuser un certain nombre, pour cause de partialité. Lorsqu’un
juré est sur le point de prêter serment, l’importance du méca-
nisme de récusation motivée prend tout son relief puisqu’il per-
met de vérifier son état d’esprit. Par conséquent, le juge du procès
ne saurait user de son pouvoir discrétionnaire pour restreindre ce
droit. En cas de doute, le juge doit pécher par excès de prudence
et permettre la demande de récusation pour empêcher que le jury
soit composé de membres partiaux. Par contre, l’exercice de ce
droit bascule dans l’illégitimité dès lors qu’on l’utilise pour fausser
la représentativité du jury ou pour obtenir abusivement des ren-
seignements personnels sur un candidat.Tel serait le cas si la pour-
suite évaluait le profil des candidats jurés en ayant recours à des
renseignements policiers confidentiels.
L’accusé peut vouloir récuser un candidat face à une possibi-
lité réaliste que celui-ci entretienne un préjugé quelconque. L’in-
terrogatoire sert à décider si la personne choisie au hasard sera
capable d’agir impartialement. La Cour suprême (affaire Williams)
a signalé que l’inclination à la partialité d’un candidat peut prove-
nir de différentes sources. Il y a d’abord le préjugé fondé sur un
intérêt direct dans l’affaire ; c’est le cas d’un candidat ayant un lien
avec l’un des intervenants dans le procès. En second lieu, il y a le
préjugé spécifique lié à des attitudes ou des croyances concernant
la cause ; ces comportements peuvent découler d’une connais-
sance personnelle de l’affaire, de la publicité dans les médias ou de
la discussion publique et de rumeurs.Troisièmement, il peut exis-
ter un préjugé générique prenant appui sur des attitudes stéréoty-
pées à propos de l’accusé, des plaignants, des témoins ou en raison
de la nature du crime reproché ; les préjugés raciaux ou ethniques,
Le jury 273
La représentativité
Un juge peut dispenser un candidat d’exercer la fonction de
juré pour toute raison qu’il considère acceptable, y compris un
inconvénient personnel sérieux. Appelé à présider un long procès
de meurtre impliquant plusieurs accusés, un juge s’est dit prêt à
utiliser ce pouvoir discrétionnaire pour éviter à certaines gens
d’encourir un préjudice financier. Cette manifestation de bonne
intention signifie qu’on peut dispenser un important segment de
la société du devoir civique de rendre justice. Dans la mesure où
des professionnels, des gens d’affaires ou des travailleurs auto-
nomes sont exclus d’un jury dans un procès de longue durée,
l’institution risque fortement de subir une carence. L’hypothèse,
bien réelle, qu’un jury puisse majoritairement être composé de
retraités, de chômeurs ou d’assistés sociaux peut soulever l’inquié-
tude.
À ce sujet, la Cour suprême (affaire Sherratt) indiqua que la
garantie constitutionnelle du droit au procès par jury repose sur
deux fondements importants : l’impartialité et la représentation
maximale de la société. L’importance accordée au caractère repré-
sentatif du jury résulte non seulement de l’exigence d’un procès
équitable pour le citoyen inculpé mais aussi du droit ou du devoir
de ses concitoyens d’être membres du jury. Certains juges voient
parfois une adéquation entre la capacité des jurés de prendre en
276 Fenêtres sur la justice
La compétence
Le jury mérite la confiance du public. Depuis des siècles, il
applique les règles de droit en fonction d’une saine logique reflé-
tant les perceptions collectives. Celles-ci sont largement considé-
rées comme des faits par les citoyens. À ce titre, elles font partie de
nos valeurs. Une forte présomption de compétence caractérise
l’institution du jury. Contrairement aux consommateurs de nou-
velles, les jurés occupent une place privilégiée pour mesurer la
crédibilité des témoins. Outre le contenu d’une déposition, ils
peuvent également jauger la sincérité d’un témoin à partir de son
comportement dans la salle d’audience. Parfois, le geste, le regard,
l’impatience, la froideur ou le cynisme du propos imprègnent dans
l’esprit des jurés un degré de méfiance tel qu’un faisceau de
preuves confirmatives n’arrivera jamais à dissiper celle-ci. Comme
juges des faits, les 12 concitoyens de l’accusé mettent en commun
leur bagage de connaissances et d’expériences personnelles. Grâce
à ce processus décisionnel collectif, on peut examiner de façon
exhaustive toutes les facettes du procès.
La force de l’institution du jury réside dans le fait que la culpa-
bilité ou l’innocence d’un accusé est tranchée par des citoyens
ordinaires apportant au processus judiciaire une approche pragma-
tique. Disposant de directives claires et précises, les jurés sont ordi-
nairement en mesure de bien remplir leur mission, d’où le prin-
cipe d’inclusion de la preuve. Mieux vaut s’en remettre au bon
sens des jurés et leur donner tous les renseignements pertinents.
Cette assertion vaut également pour les cas où le procès porte sur
une matière confuse.
Même si les questions de fait relèvent de la compétence
exclusive du jury, alors que le juge dispose de toutes les questions
de droit, les règles actuelles permettent au magistrat d’exprimer
son opinion sur une question de fait. Il peut le faire aussi ferme-
ment que le permettent les circonstances, pourvu que le jury soit
278 Fenêtres sur la justice
En conclusion
À l’exception des procès de meurtre, lesquels doivent impéra-
tivement se tenir devant jury, ce sont les parties qui choisissent le
mode de procès, la plupart du temps selon des motifs purement
stratégiques. Selon la nature de l’inculpation, la qualité de la
preuve et le contexte social, une partie peut croire que ses chances
de succès sont meilleures devant le verdict d’un jury plutôt que
d’un juge seul.
Que certains grands procès se soient tenus devant jury n’est
certainement pas le fruit du hasard. Les procureurs de la Cou-
ronne savent pertinemment que la sale réputation des motards
complique singulièrement la présentation d’une défense pleine et
entière. Puisque la loi permet à l’accusateur de forcer l’inculpé à
subir son procès devant ses pairs, la poursuite utilise à son avantage
cette prérogative. Il en va de même pour les personnes qui, dans la
foulée du scandale des commandites, furent accusées de malversa-
tion criminelle. Comme ils s’étaient déroulés devant un vaste
auditoire, les travaux de la commission Gomery avaient fatalement
infecté l’esprit des citoyens mobilisés comme jurés.
Malgré la mauvaise humeur populaire, un juge seul peut et
280 Fenêtres sur la justice
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Table des matières
Avant-propos
L’opinion publique
Le jury
JEAN-CLAUDE HÉBERT
FENÊTRES SUR LA JUSTICE
Avocat pénaliste de renom, Jean-Claude Hébert propose ici une réflexion
inspirée par cinq thèmes reliés à la justice. Chacun des cinq chapitres JEAN-CLAUDE HÉBERT
correspond à un angle d’analyse précis. Ils portent respectivement sur
la vérité judiciaire, le poids politique des juges, l’opinion publique, le
gardien des juges et l’institution du jury.
Trop rarement les praticiens du droit nous proposent une réflexion de cette
envergure sur la justice, réflexion qui s’adresse à nous tous, car l’adminis-
tration de la justice est indissociable de l’exercice de la démocratie.
25,95 $
ISBN 2 - 7646-
21 e boréal boréal
0456-4