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Pour MONTESQUIEU, le juge c’est « une bouche qui prononce les paroles de la loi,
des êtres inanimés qui n’en peut modérer ni la force, ni la rigueur ». Historiquement, le
pouvoir des juges a toujours suscité une méfiance, notamment du pouvoir politique. C’est cet
affrontement qui a été à l’origine du principe de séparation des pouvoirs. Le regard de
MONTESQUIEU posé sur le juge et sa place dans la société est celui que l’on porte sur un
simple auxiliaire du pouvoir. Cette vision de la justice n’a plus cours aujourd’hui. L’institution
judiciaire depuis un certain nombre d’années, fait l’objet de vives critiques. Cela peut être
illustré par des affaires comme celle de M Juppé qui est une bonne illustration du côté
moralisateur que certains juges ont porté. Cela a démontré que parfois le juge entrait dans des
champs qui n’étaient pas de sa compétence. Sur l’aspect remise en cause de l’institution, on
pense à l’affaire d’Outreau. En dépit de la force de ce principe de séparation des pouvoirs, se
posent des questions, notamment en terme d’empiétement d’un pouvoir sur l’autre. On se
souvient du débat récent sur la question de savoir dans quelle mesure le président de la
république peut envisager de passer au dessus d’une décision du conseil constitutionnel,
concernant l’application de la rétroactivité de a loi sur la rétention de sûreté). En définitive,
quoiqu’on puisse penser de sa légitimité, il y a une certitude, c’est qu’aux yeux de l’ordre
public « lorsque le juge est indépendant, il est insupportable et lorsqu’il est asservi, il est tout
autant insupportable ». Il y a donc un véritable problème.
Il existe évidemment un besoin de justice qui est croissant et qui créé donc des attentes
nouvelles de la part de nos sociétés. Ces sociétés font une place différente au juge selon leurs
traditions. En tous cas, il nous semble qu’une constante demeure qui est que le juge ne peut
pas, et ne doit pas être le seul régulateur de nos sociétés.
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L’évolution des sociétés contemporaines justifie que le juge y occupe une place
croissante. Variable selon les tradition des sociétés considérées, cette place ne doit pas aboutir
à faire du juge le seul régulateur de nos sociétés.
Les sociétés modernes recourent de façon croissante au juge pour lui conférer un rôle
incontournable.
Nos sociétés, en se judiciarisant, ont fini par faire des juges des acteurs du jeu démocratique.
La place du juge dans nos sociétés doit nécessairement prendre en compte le contexte
historique, et également les modes de régulation de cette société. En tout état de cause, quel
que soit le cas de figure envisagé, la légitimité du juge ne saurait être mise sur le même plan
que celle reconnue au pouvoir.
Il existe d’évidence, selon les sociétés considérées, des traditions qui sont parfaitement
distinctes.
Il y a une première opposition entre la construction du droit par les représentants
de la nation et donc le respect absolu du principe de la séparation des pouvoirs, et la tradition
de prédominance du droit prétorien dans les pays anglo-saxons où le juge joue fortement à la
formation de la loi. Il y a aussi le système électif qui donne une autre légitimité. Le modèle
républicain français peut être opposé à celui des USA. Notre modèle repose sur la norme
écrite et la prédominance du législateur. Cette prédominance a très longtemps prévalu puisque
pendant longtemps a existé un contrôle étroit de l’exécutif sur le juge. C’est notamment le cas
de la justice administrative qui ne s’est affranchie du pouvoir exécutif qu’à partir de 1872. Au
contraire, la démocratie américaine accorde une place prédominante au juge. La cour suprême
exerce un contrôle sur la loi votée par le Congrès. Il y a donc un véritable contrôle des juges
sur les autres pouvoirs. C’est par exemple, des juges de la Cour Suprême qui, pendant la
période du New Deal, s’étaient opposés au président. A l’inverse, on pu voir des épisodes où
la politique jurisprudentielle a impulsé des politiques, notamment en matière d’avortement.
Cette place du juge peut être mesurée au travers de sa faculté d’empêcher l’application d’un
texte voté par le Congrès.
Le départ porte aussi sur l’indépendance de la justice. La responsabilité des
ministres ne peut être engagée que devant la cour de justice de la république, et celle du
président de la république devant la haute cour de justice. Cette manière de mettre à l’écart les
autorités politiques, peut être mis en parallèle avec le contrôle étroit des carrières des
magistrats. C’est un contrôle étroit d’où est parfois ressortir une sorte de soumission de fait du
juge judiciaire, malgré le jeu de la protection de l’inamovibilité. On peut rappeler que les
magistrats du parquet dépendent directement du garde des Sceaux.
Incontestablement, la place du juge, sa légitimité, varie considérablement selon les
sociétés dans lesquelles on se situe.
Le juge ne peut pas être le seul régulateur de nos sociétés. La justice n’en a pas les
moyens, puis en définitive, le juge n’a pas la légitimité d’apprécier l’opportunité des choix
politiques.
Il nous semble que l’opportunité de cette décision, notamment politique, doit
rester interne. Le juge n’est pas représentatif au plan électoral, et il n’est pas représentatif au
plan sociologique. On parle là de cette accusation portée à une « justice de classe ». On voit
bien que dans ce cadre, on ne retrouve pas la distinction nationale vue précédemment.
Ce pouvoir des juges, réel ou supposé, est régulièrement dénoncé par les milieux
politiques et des affaires. Plus grave, il faut constater que parfois la justice, lorsqu’elle est
médiateur de façon excessive, porte préjudice aux citoyens. Ce sont les présumés coupables,
mis en examen. Parfois certains citoyens sont présumés coupables avant d’être réhabilité,
mais parfois trop tard.
Le temps judiciaire n’est pas souvent adapté à la vie réelle. La justice nécessite du
temps. Une des fonctions du procès est de permettre aux gens de s’exprimer. C’est la critique
que l’on peut apporter aux procédures d’urgence. Cela s’exprime par la lourdeur des
procédures, appels successifs, problématiques budgétaires. Le budget de la justice est de
moins de 2% du PIB dont la moitié est consacrée au fonctionnement de l’administration
pénitentiaire. En Allemagne, c’est le double. Ceci mis en parallèle avec l’explosion des
contentieux, aboutit à l’asphyxie de notre système juridictionnel. Toutes les juridictions sont
aujourd’hui encombrées. Cela a pour conséquences des détours de jugement excessifs. Cette
lenteur pose clairement le problème du procès équitable. En 2002, les juridictions civiles ont
été saisies de 1 700 000 affaires alors qu’elles en avaient déjà 1 500 000 en stock. Le délai de
jugement d’une cour d’appel est de 17 mois. Cela a pour conséquence, souvent le classement
sans suite des plaintes les moins importantes. Evidemment, il est certain que cette lenteur à
juger a des conséquences en matière d’image de la justice. Bien souvent, elle prive de portée
pratique certains jugements qui vont intervenir trop tardivement. Cela a un autre effet. Petit à
petit, on a vu se développer d’autres modalités de règlement des litiges. On pense notamment
aux procédures d’arbitrage, de médiation. On rappelle la création du médiateur de la
république en 1975, ou plus récemment du juge de proximité. Le monde judiciaire dans son
ensemble reste une affaire d’initiés. Le droit est complexe (8 000 lois, 80 000 décrets par an).
On a du mal à définir la juridiction compétente. Les jugements sont parfois difficilement
compréhensibles, parce qu’ils sont rédigés souvent de façon technique si ce n’est parfois
byzantines. Cette complexité relativement importante favorise une certaine inégalité des
parties entre ceux qui peuvent s’offrir un bon avocat et celles qui ne le peuvent pas. Les
conséquences, c’est que la justice et évidemment le juge, n’est pas là pour jouer un rôle
exclusivement de régulateur de nos sociétés où tout évolue si vite. C’est souvent une réponse
rapide qui est indispensable, or le temps judiciaire ne se prête pas forcément à cette réactivité.
Evidemment, le juge doit accepter une place privilégiée dans nos sociétés parce
que c’est un intermédaire indispensable. Pour autant, ceci ne doit pas s’opérer au détriment du
pouvoir législatif ou exécutif qui sont les seuls pouvoirs représentatifs dans une démocratie.
On peut penser à l’ouverture du droit international et les réticences des Etats à voir leur sort
juridique leur échapper au profit d’un certain nombre d’organismes multinationaux.