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CONFÉRENCE DE MÉTHODE DU 9 AVRIL 2008

Groupes de M. Coutron (LAP 1 – MAP)

Vous traiterez le sujet suivant : La prise en compte par le Conseil d’Etat des
conséquences de l’annulation contentieuse.

Documents joints :

P. CASSIA, Commentaire de l’arrêt Vassilikiotis in J.-C. Bonichot, P. Cassia et B. Poujade, Les


grands arrêts du contentieux administratif, Dalloz, 2007, p.

Indications bibliographiques :

1
CONSÉQUENCES ATYPIQUES D'UNE ILLÉGALITÉ
CE, Ass., 29 juin 2001, Vassilikiotis
Paul CASSIA

« Considérant que l'article 85 du traité de Rome, repris à l'article 49 du traité instituant la


Communauté européenne, prévoit que: « Dans le cadre des dispositions ci-après, les
restrictions à la libre prestation de services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à
l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre
que celui du destinataire de service (...)»; qu'aux termes de l'article 86 du traité de Rome,
repris à l'article 50 du traité instituant la Communauté européenne: « Au sens du présent
traité, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre
rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la
liberté de circulation des marchandises, des capitaux et des personnes./ Les services
comprennent notamment: (...) d) Les activités des professions libérales./ Sans préjudice des
dispositions du chapitre relatif au droit d'établissement, le prestataire peut, pour l'exécution
de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans le pays où la prestation est
fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants
»;
Considérant qu'en vertu de son article 1er, la loi du 13 juillet 1992 fixant les conditions
d'exercice des activités relatives à l'organisation et à la vente de voyages ou de séjours,
s'applique aux services liés à l'accueil touristique, notamment l'organisation de visites de
musées ou de monuments historiques; qu'aux termes de l'article 13 de cette loi: « Pour la
conduite de visites commentées dans les musées et les monuments historiques, les personnes
physiques ou morales titulaires d'une licence, d'un agrément, d'une autorisation ou d'une
habilitation prévus aux articles 4, 7, 11 et 12 ne peuvent utiliser que les services de personnes
qualifiées remplissant les conditions fixées par voie réglementaire »; que le décret du 15 juin
1994 pris pour l'application de cette loi précise, dans son article 85, que ces « personnes
qualifiées » sont les personnes titulaires d'une carte professionnelle, délivrée par le ministre
chargé du tourisme aux personnes justifiant de l'un des titres ou diplômes français énumérés
dans cet article; que l'article 86 du même décret précise que: « La carte professionnelle
mentionnée à l'article 85 ci-dessus est délivrée aux personnes résidant en France par le
préfet du département du lieu de leur domicile. Elle est délivrée par le préfet de Paris aux
personnes qui résident à l'étranger. La carte professionnelle délivrée aux ressortissants d'un
État membre de la Communauté européenne non domiciliés sur le territoire national porte la
mention "prestations de services" (...) Les cartes professionnelles sont conformes à un modèle
établi par arrêté conjoint du ministre chargé du Tourisme et du ministre chargé de la Culture.
Cet arrêté précise, en tant que de besoin, les modalités d'application du présent article »;
Considérant que l'arrêté attaqué du 15 avril 1999, pris pour l'application des dispositions
précitées, fixe la liste des titres et diplômes français qui ouvrent droit à la délivrance de la
carte professionnelle mentionnée à l'article 86 du décret du 15 juin 1994; que M. Vassilikiotis
fait valoir que cet arrêté méconnaît les stipulations du traité instituant la Communauté
européenne relatives à la liberté de prestation de services en tant qu'il ne prévoit pas, non
plus qu'aucun autre texte réglementaire, les conditions dans lesquelles les guides titulaires de
titres et diplômes délivrés par les autres États membres de l'Union européenne peuvent
exercer leur profession sur le territoire français dans le cadre de prestations de services;
Considérant, d'une part, qu'il résulte des stipulations précitées des articles 49 et 50 du traité
instituant la Communauté européenne, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de
justice des Communautés européennes, que les autorités nationales compétentes pour délivrer
un titre ou une autorisation exigés pour l'exercice d'une activité professionnelle doivent,

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lorsqu'elles sont saisies par un ressortissant d'un autre État membre d'une demande d'exercer
cette profession, prendre en considération les diplômes, certificats et autres titres acquis par
celui-ci dans son pays d'origine pour exercer la même profession, en procédant, au besoin, à
une comparaison entre les compétences attestées par ces diplômes et les connaissances et
qualifications exigées par les règles nationales;
Considérant, d'autre part, que la directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1988,
relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui
sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans et la directive
92/51/CEE du Conseil du 18 juin 1992, relative à un deuxième système général de
reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE,
imposent aux autorités nationales de prendre des mesures permettant d'assurer la prise en
compte de certaines des formations acquises dans d'autres États membres; que la dernière
phrase du ter alinéa de l'article 86 du décret du 15 juin 1994 a pour objet de charger les
ministres de l'Intérieur, du Tourisme et de la Culture et de la Communication, auxquels il
incombe, en vertu de l'article 3 du décret du 15 avril 1999, de prendre les mesures
d'application de ce texte, d'adopter à cet effet les mesures nécessaires;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'arrêté attaqué du 15 avril 1999 se borne à
prévoir les conditions d'attribution des différentes cartes professionnelles qu'il énumère aux
personnes qui détiennent l'un des seuls titres ou diplômes français dont il donne la liste; qu'il
établit ainsi, entre les personnes qui disposent d'un titre ou diplôme français et les autres, une
différence de traitement incompatible avec les articles 49 et 50 du traité instituant la
Communauté européenne; que, dès lors, M. Vassilikiotis est fondé à en demander, dans cette
mesure, l'annulation;
Considérant, toutefois, qu'une telle annulation partielle de l'arrêté attaqué ne saurait avoir
pour effet de maintenir dans l'ordre juridique français une discrimination contraire aux
exigences du droit communautaire; qu'il y a lieu, dans ces conditions, d'en préciser la portée
par des motifs qui en constituent le soutien nécessaire;
Considérant, d'une part, que la présente décision a nécessairement pour conséquence que les
autorités compétentes sont tenues de prendre, dans un délai raison-`' nable, les mesures
prévues par le décret du 15 juin 1994 modifié pour l'attribution` des cartes professionnelles
aux ressortissants communautaires qui ne possèdent pas un titre ou diplôme français; qu'il
leur incombe, notamment, de prévoir un système d'équivalence ou de déterminer les
conditions permettant, conformément aux exigences des règles du droit communautaire
relatives à la liberté de prestation de services, de s'assurer que les titres ou diplômes délivrés
dans d'autres États membres présentent des garanties équivalentes à celles exigées par le
droit national français;
Considérant, d'autre part, que, dans l'attente que cette réglementation complémentaire soit
édictée, l'annulation prononcée par la présente décision a nécessairement pour effet
d'interdire aux autorités nationales d'empêcher l'exercice, par un ressortissant
communautaire, de la profession de guide dans les musées et monuments historiques au motif
qu'il ne posséderait pas les titres et diplômes requis par le décret du 15 juin 1994 et l'arrêté
du 15 avril 1999; qu'il appartient aux autorités compétentes, jusqu'à ce que l'arrêté du 15
avril 1999 ait été complété dans les conditions exposées ci-dessus, de délivrer aux
ressortissants communautaires qui en font la demande, une carte professionnelle, en
décidant, au cas par cas, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les titres et les
diplômes présentés peuvent être considérés comme offrant, du point de vue des intérêts
généraux que l'article 13 de la loi du 13 juillet 1992 a pour objet de sauvegarder, des
garanties équivalentes à celles qui résultent de la possession des titres et diplômes français;
Décide:

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Article 1er: L'arrêté du 15 avril 1999 du ministre de l'Intérieur, du ministre de la Culture et de
la Communication et du secrétaire d'État au Tourisme est annulé en tant qu'il ne prévoit pas
les conditions d'attribution de la carte professionnelle des personnels qualifiés pour conduire
des visites dans les musées et monuments historiques aux personnes titulaires de diplômes
d'autres États membres de l'Union européenne. Cette annulation comporte pour l'État, les
obligations énoncées aux motifs de la présente décision ».

OBSERVATIONS
Entre le rejet « sec » de la requête et l'annulation « brute » de l'acte attaqué, le juge
administratif s'est progressivement créé une palette d'options lui permettant d'adapter la
réponse à donner au litige, au-delà même de la possibilité de limiter dans le temps les effets
d'un jugement d'annulation (v. sur ce point: CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC!, GAJA,
n° 116). La décision Vassilikiotis illustre l'une des possibilités que le juge se reconnaît de
sortir du schéma binaire « annulation/rejet » classique, l'Assemblée du contentieux fournissant
à l'administration un mode d'emploi de sa décision d'annulation et l'obligeant, dans son
dispositif, à prendre en compte les motifs de cette décision.
Le requérant, un guide touristique de nationalité grecque, s'était vu refuser l'accès au Louvre
en 1999 et au château de Versailles en 1998, alors qu'il accompagnait des touristes grecs pour
guider leur visite. Il avait demandé l'annulation d'un arrêté interministériel du 15 avril 1999
fixant les conditions de délivrance et de retrait de la carte professionnelle des personnels
qualifiés pour conduire des visites dans les musées et les monuments historiques, en tant que
celui-ci prévoyait que seuls des titres et diplômes français pouvaient être exigés pour la
délivrance de cette carte professionnelle, sans prévoir de système d'équivalence pour les
diplômes et titres acquis dans d'autres États membres de la Communauté européenne. Cet
arrêté avait été pris en application de la loi du 13 juillet 1992 fixant les conditions d'exercice
des activités relatives à l'organisation et à la vente de voyages ou de séjour et de son décret
d'application du 15 juin 1994, qui obligeaient les guides de musées et de monuments
historiques à détenir une carte professionnelle.
La décision de l'Assemblée du contentieux est novatrice, non pas tant en raison de la
reconnaissance de la contrariété de l'arrêté attaqué au droit communautaire, mais surtout par
l'injonction qu'elle fait au pouvoir réglementaire de prendre des mesures conformes à ce droit.
Comme l'indiquait le commissaire du gouvernement E Lamy, « les importantes questions
posées [par cette affaire] sont celles du recours pour excès de pouvoir appliqué aux illégalités
par omission des actes réglementaires, de son efficacité, et de son aptitude non seulement à les
sanctionner mais aussi à les corriger. Jusqu'où le juge peut-il aller? Faut-il affirmer un pouvoir
normatif de substitution, ou plutôt quelque chose qui y ressemblerait? Est-ce nécessaire? Est-
ce possible? Si oui, comment? »; et le commissaire d'ajouter qu'il proposerait à l'Assemblée
du contentieux, une fois établie l'illégalité de l'arrêté litigieux, « de faire franchir au recours
pour excès de pouvoir une nouvelle étape ».
Il ne faisait en effet aucun doute que l'arrêté litigieux était contraire au droit communautaire.
Certes, le principe de l'obtention d'une carte professionnelle ne pouvait pas être critiqué en
l'espèce: comme le rappelait F. Lamy, la Cour de justice des Communautés européennes avait
implicitement admis la compatibilité avec le droit communautaire de l'exigence d'une carte
professionnelle pour les guides exerçant leur activité dans des musées ou monuments
historiques (CJCE 26 févr. 1991, Commission c. France, aff. C-154/89). Mais les conditions
d'obtention de cette carte professionnelle ne sauraient entraîner de discrimination entre les
nationaux et les ressortissants communautaires: tant les directives « reconnaissance mutuelle
des diplômes » des 21 décembre 1988 et 18 juin 1992 pour les professions réglementées, que
la jurisprudence de la Cour pour les professions non réglementées obligent les États membres
à examiner si les diplômes et qualifications acquis par un ressortissant communautaire dans

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son État d'origine correspondent à ceux exigés par l'État d'accueil. L’arrêté litigieux, qui «
établit ainsi, entre les personnes qui disposent d'un titre ou d'un diplôme français et les autres,
une différence de traitement incompatible avec les articles 49 et 50 du traité instituant la
Communauté européenne », a donc logiquement été annulé par le Conseil d'État, en tant qu'il
ne prévoyait pas qu'un ressortissant communautaire puisse se prévaloir d'un diplôme obtenu
dans un autre État membre de la Communauté européenne.
Quelles étaient alors les conséquences que le Conseil d'État devait tirer de cette illégalité?
Francis Lamy soulignait les insuffisances des solutions traditionnelles. D'une part, la seule
annulation partielle de l'arrêté illégal, en tant qu'il ne fixait pas les conditions d'attribution de
la carte professionnelle aux ressortissants des autres États membres de l'Union européenne,
n'aurait pas obligé par elle-même les autorités compétentes à tirer toutes les conséquences du
droit communautaire: « une décision d'annulation de la seule omission, maintenant en vigueur
le texte contraire au droit communautaire, et qui n'oblige même pas l'administration à tirer
toutes les conséquences de ce droit à l'égard des situations individuelles dont elle est ou sera
saisie encourrait la critique au regard de [la] jurisprudence de la Cour » relative à la nécessité
d'éliminer les dispositions nationales contraires au droit communautaire et de pendre les
mesures de nature à mettre le droit national en conformité avec le droit communautaire.
D'autre part, l'annulation totale de l'arrêté illégal aurait eu pour effet de faire disparaître des
dispositions « qui permettent de s'assurer pour la très grande partie des guides qu'ils ont bien
les qualifications exigées par le législateur et qui, en elles-mêmes, ne méconnaissent pas la
légalité ».
Pour remédier à ses insuffisances, le commissaire du gouvernement, qui proposait de retenir
l'annulation partielle (par omission) de l'arrêté illégal, suggérait à l'Assemblée du contentieux,
« et alors même que le requérant ne vous en saisit pas », « d'obliger en outre l'administration,
au stade des mesures individuelles d'application, selon des modalités que vous fixerez dans
votre propre décision, à tirer toutes les conséquences de la norme méconnue, que par des
motifs qui seraient le support nécessaire du dispositif vous combliez cette omission illégale ».
Il s'agirait purement pour le juge administratif de « combler la carence du pouvoir
réglementaire, le temps que celui-ci complète l'arrêté attaqué ».
L’Assemblée du contentieux a franchi le pas vers l'injonction prétorienne que F. Lamy
appelait de ses vœux. Le Conseil d'État a en effet considéré « qu'une telle annulation partielle
de l'arrêté attaqué ne saurait avoir pour effet de maintenir dans l'ordre juridique français une
discrimination contraire aux exigences du droit communautaire; qu'il y a lieu, dans ces
conditions, d'en préciser la portée par des motifs qui en constituent le soutien nécessaire ».
Dans cette perspective, le Conseil d'État a jugé que l'annulation de l'arrêté « en tant qu'il ne
prévoit pas » les conditions d'attribution de la carte professionnelle aux ressortissants
communautaires, impose à l'administration d'adopter, à la fois, dans un « délai raisonnable »,
des mesures de portée générale de nature à prendre en compte les titres ou diplômes délivrés
dans d'autres États membres et, « dans l'attente que cette réglementation communautaire soit
édictée », « de délivrer une carte professionnelle, par des mesures de portée individuelle, aux
ressortissants communautaires qui en font la demande, en décidant, au cas par cas et sous le
contrôle du juge de l'excès de pouvoir », si les titres et diplômes présentés offrent des
garanties équivalentes à celles qui résultent de la possession des titres et diplômes français.
L'Assemblée du contentieux a donc explicité les conséquences de l'annulation d'une omission
administrative. Il ne fait pas de doute que les nouveaux pouvoirs conférés au juge
administratif des référés par la loi du 30 juin 2000 ont beaucoup pesé en faveur de la
reconnaissance d'une telle injonction prétorienne.
La portée de la décision Vassilikiotis ne doit pas être surestimée: d'une part, il est
vraisemblable que la solution aurait été la même si le requérant avait formé une demande
d'injonction en application des articles L. 911-1 et suivants du Code de justice administrative;

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d'ailleurs, le plus souvent, les requérants demandent au juge qu'il fasse application de ses
pouvoirs d'injonction pour que soient précisées les conséquences de l'annulation d'une
carence, c'est-à-dire de l'obligation faite à l'administration de ne pas appliquer une omission (v
par ex.: CE 11 mai 1998, Mlle Aldige : après avoir annulé un arrêté du ministre de la Défense
fixant la liste des lauréats au concours de commissaire de l'armée de terre en tant qu'elle ne
comportait pas le nom de la requérante, le Conseil d'État, faisant droit à la demande
d'injonction de celle-ci, a enjoint au ministre de procéder à son inscription sur la liste ; CE 28
avr. 2006, Dellas : après avoir annulé un décret en tant qu'il ne prenait pas en compte certaines
obligations prévues par une directive communautaire, le Conseil d'État, saisi de conclusions à
fins d'injonction, a enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de trois mois, « le
décret en Conseil d'État nécessaire au regard des motifs de cette décision »). D'autre part, la
jurisprudence montrait déjà qu'une annulation « en tant que » le droit français n'était pas
compatible avec le droit communautaire avait nécessairement pour effet d'obliger les autorités
publiques à mettre en oeuvre les prescriptions du droit communautaire qui n'avaient pas fait
l'objet d'une transposition ou d'une exécution (CE, Ass., 6 févr. 1998, Tête : à propos de
l'incompatibilité du droit français relatif à la passation de contrats de concession de travaux
publics, en tant qu'il ne prévoyait pas de procédures de publicité préalable à cette passation).
En revanche, est nouveau le fait pour le juge administratif du principal (sur les conséquences
d'une illégalité « en tant que ne pas » devant le juge du référé-suspension : CE, réf., 22 mai
2001, Benazet), d'ordonner, par des motifs revêtus de la même autorité absolue de la chose
jugée que le dispositif (comp. CE 9 mai 2005, Sté nouvelle de construction et de travaux
publics : les motifs d'une décision juridictionnelle qui ne constituent pas le support nécessaire
du dispositif ne sont pas revêtus de l'autorité de la chose jugée), une double obligation à
l'administration alors que, comme il a été dit, le requérant n'avait pas saisi le Conseil d'État de
conclusions à fins d'injonction. Pour autant, le juge ne s'est pas fait administrateur dans la
mesure où il a simplement tiré les conséquences des obligations communautaires en matière
de reconnaissance mutuelle des diplômes, tout en laissant le soin à l'administration de vérifier
pour chaque demandeur si les titres et diplômes détenus par les ressortissants communautaires
correspondent à ceux exigés pour l'exercice d'une profession.
Par une sorte d'effet cliquet, la jurisprudence Vassilikiotis, inspirée par le souci de garantir la
pleine efficacité du droit communautaire, est à l'origine d'un courant jurisprudentiel «
purement interne » dans lequel le juge se reconnaît le pouvoir d'aller, de lui-même, c'est-à-dire
sans que les parties l'aient saisi par exemple d'une demande d'injonction, au-delà de l'office
normal du juge qui consiste à annuler l'acte attaqué ou à prononcer le rejet de la demande.
Ainsi, encouragées par la décision d'Assemblée du 29 juin 2001, des sous-sections réunies
ont, quelques semaines plus tard et toujours aux conclusions de F. Lamy, décidé de différer de
deux mois les effets de l'annulation du refus d'abroger un règlement illégal (CE 27 juill. 2001,
Titran ; dans ses conclusions sur cette affaire, F. Lamy proposait aux sous-sections réunies,
après avoir conclu à l'annulation du refus d'abroger des arrêtés ministériels illégaux, « de ne
pas en rester là et, dans la ligne de votre décision d'Assemblée Vassilikiotis du 29 juin 2001,
de préciser les obligations qui doivent en résulter pour l'administration »), ouvrant ainsi la
voie à la reconnaissance ultérieure de la possibilité pour le juge administratif de différer dans
le temps les effets d'une annulation (CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC!). Ce courant
jurisprudentiel donne tout son relief au volet « administrateur » de l'office du juge
administratif, par lequel il s'autorise, dans l'intérêt d'une bonne administration (qui n'est pas la
bonne administration de la justice), à obliger le pouvoir réglementaire à prendre les mesures
impliquées par la décision juridictionnelle, sans même que les parties l'aient saisi d'une
demande en ce sens. Pour reprendre l'image éclairante donnée par G. Vedel, avec la
jurisprudence inaugurée par l'affaire Vassilikiotis, le juge délaisse la gomme, à laquelle il est
normalement tenu, au profit du crayon, ce qui ne lui est normalement pas permis; plus

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précisément encore, il lui arrive désormais d'utiliser la gomme puis le crayon, voire parfois le
stylo, qui ne s'efface pas.
L'illégalité a alors des conséquences atypiques dans deux cas de figure: soit lorsqu'elle
n'entraîne pas l'annulation de l'acte attaqué (I), soit lorsqu'elle conduit le juge à préciser les
effets de cette illégalité, en cas d'annulation partielle de l'acte attaqué (II).

I. - L'illégalité sans l'annulation


Il arrive que le juge abroge l'acte illégal (A), voire le « sauve » d'une annulation en procédant
à sa réécriture (B).

A. L’abrogation de l'acte attaqué


Il ne revient qu'au juge du plein contentieux de pouvoir abroger un acte devenu illégal (1)
même si l'on trouve des « traces » de cette possibilité dans le cadre du recours pour excès de
pouvoir (2).
1° Une faculté d'abrogation réservée au juge du plein contentieux
C'est en tant que juge de plein contentieux, dans le domaine des installations classées, que le
Conseil d'État a, pour la première fois, admis que le juge pouvait - et même devait - abroger
l'acte administratif qui lui était déféré. Une société avait contesté un arrêté préfectoral la
mettant en demeure de remettre un site en état de déclarer la mise à l'arrêté définitif des
installations classées (une usine d'embouteillage) sur ce site. En première instance, le tribunal
administratif avait partiellement fait droit à cette demande d'annulation: d'une part, il a jugé
que le préfet avait pu légalement mettre en demeure la société requérante de déclarer la mise à
l'arrêt définitif de l'installation; d'autre part, s'appuyant sur une expertise judiciaire, il a
considéré que les mesures de remise en état du site n'étaient plus nécessaires au jour de son
jugement et il a annulé, dans cette mesure, l'arrêté attaqué.
Le ministre intéressé avait alors choisi de former non pas un appel devant la cour
administrative d'appel, mais un recours dans l'intérêt de la loi devant le Conseil d'État, afin
notamment que soit réglée, à l'occasion de la contestation du jugement en cause, devenu
définitif, une question de droit relative aux conditions d'appréciation de la légalité de l'arrêté
préfectoral litigieux. Le Conseil d'État a alors considéré que, pour apprécier la légalité d'un
arrêté préfectoral mettant en demeure l'exploitant d'une installation classée de remettre le site
en état, le juge du plein contentieux doit se placer à la date de sa décision et non à celle de
l'édiction de l'arrêté. Tirant les conséquences de cette position de principe, le commissaire du
gouvernement F. Lamy a fait valoir que la solution d'annulation de l'arrêté attaquée, retenue
par le tribunal administratif était « très inopportune : pourquoi donner tort à l'État (...) alors
que le préfet a pris la décision qui s'imposait. Parce que cette décision a été exécutée? C'est
absurde ». Par ailleurs, « le non-lieu à statuer n'est pas justifié. La décision attaquée a pu
produire des effets lorsqu'elle a été exécutée, et avoir entraîné des dépenses. E exploitant a
donc intérêt à ce que le juge statue sur sa validité ». Il concluait que « la meilleure solution
paraît être l'abrogation pour l'avenir. Le juge apprécie d'abord la validité de la décision initiale
au regard des faits alors existants, puis s'il constate qu'elle n'est plus nécessaire, il met fin à
ses effets ».
Les sous-sections réunies ont en conséquence décidé que le juge qui constate que des mesures
prescrites, qui étaient légalement justifiées lorsqu'elles ont été prises, ne sont plus nécessaires
à la date à laquelle il statue, doit non pas annuler l'acte attaqué, « car une telle annulation revêt
un caractère rétroactif », mais le faire disparaître pour l'avenir, c'est-à-dire l'abroger (CE 21
janv. 2002, Ministre de l Aménagement du territoire et de l'Environnement c. Sté Schweppes
France).

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La possibilité pour le juge du plein contentieux d'abroger l'acte attaqué a été ultérieurement
confirmée par le Conseil d'État. Saisi d'un recours tendant à l'annulation d'un arrêté
interpréfectoral du 25 février 1999 prescrivant la vidange d'un plan d'eau par ses propriétaires,
le Conseil d'État a estimé que cet acte était légalement justifié au moment où il avait été pris ;
mais, en raison de la réalisation d'une étude en novembre 1999, faite à la demande du
propriétaire du barrage, qui montrait qu'il n'y avait aucune nécessité de procéder à la vidange
pour assurer la sécurité de l'ouvrage, « le maintien de l'arrêté contesté n'est plus justifié à la
date de la présente décision », de sorte qu'il y avait lieu d'en prononcer l'abrogation (CE 14
mai 2003, Communauté des communes du canton de Chaufailles).
La jurisprudence Ministre de l Aménagement du territoire et de l'Environne ment c. Sté
Schweppes France est en définitive marquée par le sceau du réalisme : le juge du plein
contentieux refuse de prononcer une annulation rétroactive lorsqu'il n'est plus possible ou qu'il
n'y a pas lieu de revenir sur les effets produits par l'acte attaqué antérieurement à la lecture de
la décision juridictionnelle.

2° Une faculté d'abrogation applicable dans les faits au juge de l'excès de pouvoir
Il est peu vraisemblable que la possibilité pour le juge d'abroger un acte administratif devenu
illégal soit étendue au juge de l'excès de pouvoir: celuici statue sur la légalité de l'acte en
fonction de la situation de fait et de droit existant au moment où cet acte a été édicté, de sorte
qu'il ne saurait y avoir de modulation dans l'appréciation de la légalité.
Toutefois, le pouvoir du juge de différer dans le temps les effets d'une annulation contentieuse
(CE 27 juill. 2001, Titran : le Conseil d'État, après avoir constaté l'existence d'une illégalité
mettant en cause le service public de la justice, ne la censure pas immédiatement afin que
l'administration ait la possibilité d'y remédier; CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC!) peut
en pratique entraîner la seule abrogation de l'acte illégal lorsque l'administration a modifié
celui-ci entre le prononcé de la décision juridictionnelle d'annulation et le moment où le juge
donne son effet à cette annulation, ou plus fondamentalement encore lorsque le juge donne un
caractère définitif aux effets de l'acte annulé.

B. La réécriture de la disposition administrative entachée d'une erreur matérielle


Dans deux affaires importantes bien qu'elles soient restées isolées (2), le juge administratif
s'est reconnu le pouvoir de réécrire des dispositions administratives entachées d'une erreur
matérielle (1).
1° L’expression d'un pouvoir juridictionnel de réécriture de dispositions illégales
D Dans l'affaire Caisse d'assurance-accidents agricole du Bas-Rhin et a. (CE 25 mars 2002),
le Conseil d'État était saisi de demandes tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de
l'ordonnance du 15 juin 2000 relatives à diverses parties législatives du Code rural. Le
Conseil d'État a considéré que l'une des dispositions contestées de cette ordonnance était
illégale, car entachée d'une erreur matérielle: l'article L. 761-21 du Code rural dans sa version
alors en vigueur se référait, pour déterminer les destinataires de règles de calcul de certaines
rentes, aux assurés « mentionnés à l'article L. 761-18 » de ce Code, alors que c'est l'article L.
761-19 qui mentionnait ces assurés. Tout en reconnaissant que « cette erreur matérielle est
normalement de nature (...) à entraîner l'annulation des dispositions erronées de l'article L.
761-21 », le Conseil d'État a estimé qu'il y avait lieu pour lui de « donner le meilleur effet à sa
décision » et en conséquence « de conférer aux dispositions codifiées leur exacte portée et de
prévoir que le texte ainsi rétabli sera rendu opposable par des mesures de publicité
appropriées ». En conséquence, l'article 1° du dispositif de la décision du Conseil d'État
interprète la disposition contestée (« Larticle L. 761-21 du Code rural s'entend comme
renvoyant à l'article L. 761-19 et non à l'article L. 761-18 ») et ordonne au Premier ministre
de publier au Journal officiel de la République française, dans un délai d'un mois, « un extrait

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de la présente décision, comprenant l'article 1er de son dispositif et les motifs qui en sont le
support ».
Il est vrai que la décision du 25 mars 2002 est étroitement circonscrite : elle ne concerne que
le domaine de la codification par ordonnance de la partie législative d'un code, qui s'est faite à
droit constant en application de la loi d'habilitation du 16 décembre 1999, de sorte qu'il n'y
avait pas de doute sur la portée de l'article L. 761-21; elle ne vise que les erreurs matérielles
bénignes commises par le codificateur, de sorte que par exemple la violation de' normes
supérieures commises à l'occasion de la codification ou encore une erreur matérielle
substantielle ne pourraient conduire qu'à l'annulation de la disposition litigieuse.
Il reste que, comme l'a relevé R. Chapus, la décision Caisse d'assurance-accidents agricole du
Bas-Rhin innove non seulement en prononçant d'office une injonction assortie d'un délai
d'exécution, mais également en ce que le Conseil d'État a traité le recours pour excès de
pouvoir dont il était saisi comme un recours en interprétation (qui est un recours de plein
contentieux): « l'arrêt du 25 mars 2002 apparaît comme un arrêt exemplaire, enseignant
comment le juge sait s'affranchir des principes et usages les plus solidement consacrés, quand
leu respect se traduirait par une mauvaise administration de la justice, et que les circonstances
de l'espèce se prêtent à leur temporaire mise à l'écart ».
L’affaire Caisse d'assurance-accidents agricole du Bas-Rhin trouve un précédent important
dans une ordonnance de référé rendue par le président de la Section du contentieux du Conseil
d'État. Celui-ci, après avoir suspendu la liste des écoles habilitées à délivrer un titre
d'ingénieur diplômé publiée au Journal officiel du 22 février 2001 en tant qu'elle ne
mentionnait pas l'habilitation du Conservatoire national des arts et métiers à délivrer un titre
d'ingénieur diplômé en organisation, a enjoint de sa propre initiative au ministre intéressé,
dans les motifs comme dans le dispositif de son ordonnance, de compléter et de rectifier la
liste publiée au Journal of ciel (CE, réf, 22 mai 2001, Benazet). Une telle audace de la part du
juge du provisoire tient à ce que le ministre défendeur avait reconnu, à la fois dans ses
écritures et à l'audience publique, que la liste était entachée d'une « erreur matérielle » en tant
qu'elle omettait le Conservatoire national des arts et métiers.

2° Les limites du pouvoir juridictionnel de réécriture des dispositions illégales


Le Conseil d'État n'a pas toujours fait preuve de la même audace que dans sa décision du 25
mars 2002.
D'une part, saisi de recours contre un décret contenant des erreurs matérielles, le Conseil
d'État a jugé que ces erreurs n'étaient pas de nature à affecter la légalité du décret litigieux,
puisque « la référence, par l'article R. 5104-19 du Code de la santé publique à l'article L.
5112-6 du même Code, par l'article R. 5104-27 à l'article R. 5126-10, par l'article R. 5104-79
à l'article L. 6126-1 et par l'article R. 5104-57 à la notion de "pharmacie intérieure" ne
peuvent se comprendre, eu égard à leur contenu, à l'objet du décret et à l'économie générale
du Code de la santé publique que comme des références respectivement aux articles L. 6112-
6, L. 5126-10 et L. 5126-1 du Code de la santé publique et à la notion de pharmacie à usage
intérieur » (CE 9 oct. 2002, Syndicat national des pharmaciens gérants hospitaliers publics et
privés); c'est qu'en effet, alors que dans le précédent du 25 mars 2002, il pouvait être soutenu
que l'erreur de codification était constitutive d'une méconnaissance de l'obligation de codifier
à droit constant posée par la loi du 16 décembre 1999, aucune obligation comparable ne
s'imposait aux auteurs du décret attaqué. Mais l'on constate toutefois que, sans aller aussi loin
que la décision Caisse d'assurance-accidents agricole du Bas-Rhin, celle du 9 octobre 2002
procède, dans ses motifs, au rétablissement de la véritable portée des dispositions litigieuses...
D'autre part, et en conséquence de ce qui vient d'être dit, toute erreur matérielle de
codification n'est pas nécessairement illégale, en particulier lorsque la codification ne se fait
pas à droit constant, le codificateur disposant alors d'une importante marge de manceuvre:

9
ainsi, il n'appartient pas au juge administratif de corriger une disposition législative rendant
implicitement applicable l'article L. 2131-11 du Code général des collectivités territoriales
dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, alors qu'il est
vraisemblable que le législateur, qui s'était référé de façon erronée à l'article L. 2131-10, avait
entendu exclure l'application de cet article dans ces départements (CE, Sect., 1-juill. 2005,
Herrmann).

II. - Les conséquences d'une annulation partielle


L’annulation d'un acte (ou d'une disposition) administratif « positif » dans sa totalité ne pose
guère de difficultés spécifiques: l'acte (ou la disposition) disparaît rétroactivement de l'ordre
juridique (CE 26 déc. 1925, Rodière).
De même, l'annulation d'un acte « négatif », telle une décision de refus, implique que
l'administration se trouve à nouveau saisie de la demande initiale sur laquelle elle devra se
prononcer au regard de la décision juridictionnelle d'annulation (CE 8 juin 1988, SARL
ABCEngineering : l'annulation d'un refus de permis de construire ne donne pas
nécessairement à la société requérante un droit à la délivrance de ce permis, mais fait
obligation à l'autorité administrative de statuer à nouveau sur sa demande).
Le juge peut encore ne prononcer qu'une annulation partielle de l'acte attaqué. Ici, «
contrairement à ce qui se produit lors d'une annulation totale, dans l'annulation partielle, l'acte
administratif ne disparaît pas. Le décret, l'arrêté, la décision administrative partiellement
annulés demeurent ».
Une annulation partielle peut affecter un acte administratif de deux manières la première,
illustrée par la décision Vassilikiotis, porte sur l'annulation des effets de l'acte litigieux. Le
juge annule alors une absence, un vide, la carence du pouvoir réglementaire « en tant qu'il n'a
pas » correctement appliqué des dispositions supérieures; en bref, c'est une omission commise
par le pouvoir réglementaire qui est censurée, les dispositions matérielles de l'acte n'étant pas
affectées par l'annulation (v. par ex.: CE, Ass., 24 mars 2006, Sté KPMG : annulation d'un
décret en tant qu'il n'a pas prévu de mesures transitoires à son entrée en vigueur). Ici, comme
l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes, « l'illégalité de la disposition réside
dans ce qu'elle ne prévoit pas, plutôt que dans une partie quelconque de son texte » (CJCE 19
oct. 1977, Ruckdeschel ; dans cette affaire, la Cour, saisie à titre préjudiciel, fait d'elle-même
obligation aux institutions communautaires de « prendre les mesures nécessaires pour
remédier » à l'incompatibilité par omission qu'elle a constaté). En annulant un silence, le juge
modifie le champ d'application de l'acte à l'origine de l'abstention illégale (A).
Dans une seconde hypothèse, qui elle-même se dédouble, l'annulation partielle peut toucher le
contenu de l'acte attaqué: d'une part, lorsqu'une disposition divisible du reste du texte est
annulée, le droit commun de l'effet d'une annulation joue, et la disposition annulée est censée
n'avoir jamais existé; le juge a soustrait des dispositions illégales de l'ordre juridique. Mais
d'autre part, beaucoup plus délicate est l'hypothèse, qui présente de nombreux points
communs avec l'annulation d'une omission tout en s'en distinguant, où le juge prononce
l'annulation partielle de l'acte litigieux « en tant que celui-ci » a expressément exclu certains
éléments de son champ d'application: à la différence du cas de figure « Vassilikiotis », c'est
bien un acte (ou une disposition) existant qui est annulé; mais comme dans le cas de figure «
Vassilikiotis », c'est l'exclusion illégale à laquelle a procédé le pouvoir réglementaire qui est
censurée (B).
La différence fondamentale entre ces trois types d'annulation partielle est que, dans le
troisième cas, l'annulation « en tant que » d'une disposition expresse conduit à la réécriture
immédiate de cette disposition par le juge lui-même.

A. -L'annulation d'une omission

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Par sa décision Vassilikiotis, le Conseil d'État a prononcé de lui-même deux types
d'injonctions: seule la première, tirée des conséquences provisoires que l'administration doit
tirer de sa décision, est originale (1); en revanche, la seconde injonction, qui consiste à obliger
l'autorité administrative à adopter des mesures réglementaires dans un sens déterminé, est plus
banale dans son objet (2).

1° La prescription des critères provisoires d'appréciation des demandes individuelles


Outre le fait que le Conseil d'État ait de lui-même assortit l'annulation partielle des
conséquences que l'administration devait tirer de sa décision, l'apport principal de la décision
Vassilikiotis consiste en l'indication des obligations provisoires imparties à l'administration
appelée à adopter des mesures individuelles sur le fondement de l'arrêté du 15 avril 1999,
dans l'attente de l'adoption de mesures réglementaires compatibles avec le droit
communautaire. Pour la première fois, par souci de pédagogie et d'efficacité de sa décision, le
juge administratif s'est reconnu le pouvoir de donner à l'administration les règles à; suivre
entre le prononcé de la décision juridictionnelle (et dès le prononcé de celle-ci) et la
modification de la réglementation illégale par omission; en conséquence, il a obligé
l'administration à faire temporairement application d'une règle non encore incorporée dans le
droit français: c'est la décision juridictionnelle elle-même qui habilite l'administration à «
appliquer dès à présent la règle absente » (concl. D. Chauvaux sur CE, Sect., 25 févr. 2005,
Mme Barbier). De la sorte, le juge administratif compense les limites d'une, censure de
l'illégalité « en tant que ne pas », qui ne fait pas toujours par elle-, même disparaître cette
illégalité de l'ordre juridique.
Mais à vrai dire, une fois admise dans son principe, l'injonction prétorienne, ne posait en
réalité aucune difficulté dans l'affaire soumise à l'Assemblée du contentieux: l'article 50 CE
prévoyant qu'un ressortissant communautaire peut exercer son activité à titre temporaire dans
le pays où la prestation est fournie « dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose
à ses propres ressortissants », l'administration française pouvait seulement exiger des guides
ressortissants communautaires qu'ils aient des diplômes et titres comparables à ceux requis
pour l'exercice de cette profession en France. L’Assemblée du contentieux n'a pas dit autre
chose en exigeant de l'administration, dans l'attente de la modification de l'arrêté du 15 avril
1999, qu'elle compare au cas par cas les titres et diplômes des ressortissants communautaires
aux titres et diplômes français.
Dans le même sens, mais dans un litige de plein contentieux ou par définition le juge
administratif dispose d'une plus grande liberté qu'en excès de pouvoir, le Conseil d'État a
indiqué, au visa de la décision Vassilikiotis, que l'incompatibilité avec le principe de l'égalité
de rémunération entre les travailleurs des deux sexes prévue à l'article 141 CE du Code des
pensions civiles et militaires, en tant qu'il ne prévoit pas des dispositions comparables entre
les femmes et les hommes, avait pour conséquences d'obliger l'administration à faire
bénéficier les hommes fonctionnaires des dispositions plus favorables prévues en matière de
pensions pour les épouses survivantes d'un homme fonctionnaire (CE 5 juin 2002,
Choukroun ; c'est le « fichage » au Lebon qui vise la décision Vassilikiotis).
Mais le juge ne peut guère aller plus loin.
D'une part, il n'entre pas dans ses attributions d'ajouter de lui-même de nouvelles prescriptions
aux dispositions normatives méconnues par le pouvoir réglementaire.
C'est ce qu'a montré la décision SARL Institut supérieur d'informatique et de management de
l'informatique (CE 10 avr. 2002). Un établissement privé d'enseignement avait fait l'objet
d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle l'administration avait remis en cause
l'exonération de TVA dont elle croyait bénéficier. La société avait demandé la décharge de la
TVA, en se prévalant notamment du droit communautaire : la 6e directive TVA exonère de
cette taxe les prestations de formation professionnelle continue faite par des organismes

11
publics assurant de telles prestations ou des organismes de droit privé ayant des fins
comparables, et le droit français était incompatible avec cette directive en tant qu'il ne
prévoyait pas d'exonération de TVA pour les prestations de formation professionnelle continue
effectuées par des organismes de droit privé (sur ce mécanisme de l'exclusion « en tant que ne
pas » dans le champ d'application du droit communautaire, v CE, Ass., 30 oct. 1996, SA
Cabinet Revert et Badelon). La cour administrative d'appel, après avoir relevé
l'incompatibilité des dispositions nationales avec la directive, avait cru pouvoir écarter la
demande en décharge au motif que la société requérante n'avait pas procédé à la déclaration
de ses activités aux services de l'État et de la région, en contrariété avec l'article L. 920-4 du
Code du travail. Le Conseil d'État a censuré cette exigence, car, comme le relevait le
commissaire du gouvernement, « s'il est loisible au pouvoir législatif ou réglementaire
d'instituer effectivement une obligation de déclaration des organismes privés de formation
professionnelle continue pour le bénéfice de l'exonération de TVA (...), il n'appartient pas au
juge de prévoir lui-même cette obligation, s'érigeant ainsi en créateur d'une norme dont il est
seulement chargé de contrôler l'application ». Telle est la limite de la jurisprudence
Vassilikiotis: il n'appartient pas au juge de combler les lacunes du droit français en y insérant
des dispositions dont l'ajout relève de la libre appréciation de l'administration. Le juge ne peut
enjoindre de lui-même à l'administration de prendre des décisions individuelles, dans l'attente
de l'édiction d'une réglementation nouvelle, qu'eu égard aux dispositions existantes (et
légales) de l'ordre juridique, explicitement applicables au cas d'espèce; il ne peut ajouter à
cette réglementation. Linjonction prétorienne a une portée purement pédagogique, et son
absence ne changerait rien aux obligations qui pèsent sur l'administration à la suite d'une
annulation « en tant que ne pas ». C'est ce même raisonnement que l'on trouve lorsque le juge
du référé-suspension indique de lui-même les conséquences de la suspension d'une décision
de rejet (v nos obs. sous CE, Sect., 29 nov. 2002, Communauté d'agglomération de Saint-
Étienne métropole*).
En revanche, le Conseil d'État a considéré qu'il incombait à l'administration française de
vérifier, sous le contrôle du juge de l'impôt, si un organisme privé de formation continue
poursuit des fins comparables, au sens de la 6e directive TVA, à celles des personnes
publiques assurant de telle prestation; tel n'était pas le cas en l'espèce, la requête a été rejetée.
La décision SARL Institut supérieur d'informatique et de management de l'informatique a
donc fait application de la jurisprudence Vassilikiotis, en jugeant implicitement qu'il incombe
à l'administration de tirer « au cas par cas » (ces termes, repris de l'arrêt Vassilikiotis, figurent
dans le fichage de la décision au Lebon) les conséquences d'une illégalité par omission, dans
l'attente de la mise en conformité de la législation française avec le droit communautaire.
Dans cet intervalle, l'administration doit, sous le contrôle du juge, appliquer tous les textes -
mais pas davantage - qui fondent l'illégalité.
D'autre part, de même qu'une injonction légale ne peut être prononcée lorsque l'annulation «
en tant que ne pas » n'implique pas la prise d'une décision dans un sens déterminé, il est exclu
de prescrire une injonction prétorienne d'adopter des mesures transitoires individuelles
lorsque l'annulation « en tant que ne pas » de l'acte illégal laisse une large marge
d'appréciation à l'autorité administrative.
Ainsi, dans une affaire Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs
(CE 4 févr. 2005), le Conseil d'État a annulé les dispositions d'un arrêté ministériel en tant
qu'il ne prévoyait pas l'attribution d'un repos compensateur lorsque l'astreinte à laquelle est
soumis un praticien hospitalier donne lieu à un déplacement en première moitié de nuit,
contrairement aux objectifs de la directive du Conseil de l'Union européenne du 23 novembre
1993. En application de la jurisprudence Vassilikiotis, le Conseil d'État a alors enjoint, dans
les motifs et dans le dispositif de sa décision, au ministre de compléter l'arrêté illégal par
omission (« il incombe aux auteurs de l'arrêté attaqué de le compléter par les dispositions

12
prévoyant l'octroi d'un tel repos »). Pour autant, le Conseil d'État n'a pas précisé quelles
devaient être les conséquences transitoires de sa décision, pour les situations individuelles en
cours dans l'attente de la modification de la réglementation: il ne pouvait procéder à ce type
d'injonction prétorienne, dès lors que l'administration disposait d'une très grande latitude pour
mettre en œuvre les objectifs de la directive, laquelle ne prévoyait pas qu'un déplacement en
première moitié de nuit doive systématiquement donner lieu à repos compensateur.
L'injonction prétorienne dégagée dans la décision Vassilikiotis ne peut être mise en œuvre
« que lorsque ce qui manque dans la norme illégale sera d'un contenu suffisamment
prédéterminé par des normes supérieures ».
C'est en revanche cette « prédétermination » qu'a illustré la décision Barbier (CE, Sect., 25
févr. 2005). La requérante, pharmacienne biologiste, s'était vu interdire par la section des
assurances sociales du conseil central de la section G de l'ordre des pharmaciens la possibilité
de servir des prestations pour une durée de trois mois, dont deux avec sursis. En appel, la
section des assurances sociales du conseil national de l'ordre avait partiellement confirmé la
première décision juridictionnelle, tout en portant la période d'interdiction à trois mois fermes,
au motif que le sursis n'était pas prévu par les dispositions applicables. En effet, si l'article L.
145-2 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue d'une ordonnance du 24 avril
1996, prévoit que les interdictions de donner des soins aux assurés sociaux peuvent être
prononcées « avec ou sans sursis », l'article réglementaire correspondant concernant les
pharmaciens (l'art. R. 145-2 du même Code) n'avait pas été mis en harmonie avec cette
nouvelle rédaction, vraisemblablement par « inadvertance » (D. Chauvaux). La requérante
ayant formé un recours en cassation devant le Conseil d'État, le commissaire du
gouvernement indiquait que « la principale question que pose le pourvoi de Mme Barbier
porte sur le point de savoir si cette inertie du pouvoir réglementaire a créé une situation
illégale et, dans l'affirmative, si les juridictions concer nées peuvent y remédier en
reconnaissant, malgré le silence du texte qui les régit, le pouvoir de prononcer des
interdictions avec sursis ». La Section du contentieux a répondu par l'affirmative à cette
question, en relevant que, en raison de l'absence de mise en conformité dans un délai
raisonnable de la partie réglementaire du Code avec l'ordonnance du 24 avril 1996, l'article R.
1452 était devenu illégal « en tant qu'il ne prévoyait pas » expressément la faculté pour les
sections des assurances sociales de l'ordre des pharmaciens d'assortir du sursis les
interdictions de servir des prestations aux assurés sociaux : « eu égard à la nature de l'illégalité
ainsi commise, qui résulte non d'une carence dans l'édiction d'une sanction nouvelle mais de
l'absence d'un dispositif explicite de dispense conditionnelle d'exécution d'une sanction
préexistante, et à la circonstance que les obligations pesant sur le pouvoir réglementaire sont
définies avec précision par la loi, il appartient aux juridictions compétentes, non de s'abstenir
d'infliger des peines d'interdiction permanente ou temporaire de servir des prestations aux
assurés sociaux, mais de les appliquer en les assortissant, s'il y a lieu, en tout ou partie, du
sursis ». Même si elle s'adresse en premier lieu aux juridictions ordinales concernées, et non à
l'administration, la décision du Conseil d'État se situe dans le droit fil de la jurisprudence
Vassilikiotis, qui ne permet au juge de prononcer de lui-même des injonctions provisoires
dans l'attente de la modification de la réglementation comportant une carence illégale que si la
manière d'examiner le sens à donner aux actes administratifs individuels pris sur le fondement
de la décision juridictionnelle est claire: la décision Barbier « n'a été rendue possible que par
la prédétermination de la norme. La loi ne laissait en effet aucune marge de maneeuvre au
pouvoir réglementaire; il lui revenait nécessairement d'étendre la faculté de prononcer des
sursis aux juridictions du contrôle technique des pharmaciens. Dans ces conditions, le Conseil
d'État n'a fait qu'anticiper sur une évolution réglementaire qui aurait dû intervenir depuis
plusieurs années et dont le contenu était parfaitement certain parce qu'imposé par la loi » (C.
Landais et F. Lenica). Cette injonction, ou cette obligation faite d'appliquer le texte à la

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lumière de la norme supérieure laissée temporairement inappliquée, n'entrave évidemment en
rien la liberté de l'administration ou de la juridiction ordinale de décider, sous le contrôle du
juge administratif de droit commun: dans l'affaire Vassilikiotis, il n'est revenu qu'à
l'administration de vérifier si tel diplôme ou titre communautaire était équivalent au diplôme
ou titre français; dans l'affaire Barbier, il appartenait aux juridictions ordinales de l'ordre des
pharmaciens de décider ou non de l'octroi du sursis. L'affaire Barbier montre que ce n'est pas
tant en termes « d'injonction » que la jurisprudence issue du courant Vassilikiotis doit
s'analyser, qu'en termes d'explicitation parfois très directive des conséquences qu'il faut tirer
d'une annulation d'une omission.
Le spectre du juge administrateur ne saurait en conséquence être brandi au regard de la
jurisprudence Vassilikiotis.
2° La prescription de l'adoption de mesures réglementaires
Par sa décision Vassilikiotis, le Conseil d'État a enjoint de lui-même à l'administration de
prendre, « dans un délai raisonnable » les mesures réglementaires de mise en conformité du
droit français avec le droit communautaire.
Lorsqu'il n'est pas possible de prescrire la manière dont l'administration doit examiner les
mesures individuelles qui seront prises entre l'annulation de l'omission illégale et le
rétablissement de la légalité, le juge pourra en effet se borner à enjoindre à l'administration de
mettre fin à ce silence illégal.
Quelques jours avant la décision Vassilikiotis, la Section du contentieux avait enjoint d'elle-
même à la Commission d'organisation des compétitions de la Ligue nationale de football de
procéder à une nouvelle homologation du classement final d'un championnat en appliquant à
l'un des matchs joués la sanction qui, faute d'avoir été prise, avait justifié l'annulation (totale,
en raison du caractère indivisible de la décision) de la décision d'homologation litigieuse (CE,
Sect., 25 juin 2001, Sté à objet sportif « Toulouse football club »).
À la suite de la décision Vassilikiotis, le Conseil d'État a par exemple enjoint au garde des
Sceaux de prévoir l'effacement dans les fichiers informatisés des' condamnations et autres
mesures ayant fait l'objet d'une amnistie ou d'une réhabilitation, dont l'absence avait justifié
l'annulation partielle de l'arrêté litigieux' (CE 5 mars 2003, Titran) il a jugé que l'annulation
d'une disposition du décret portant Code des marchés publics de 2001 en tant qu'elle ne fixait
pas le contenu des avis d'appel public à concurrence d'une manière compatible avec une
directive communautaire, avait pour effet d'obliger le pouvoir réglementaire à prendre des
dispositions de nature à remédier à cette abstention illégale (CE 28 avr. 2003, Fédération
française des courtiers d'assurances et réassurance : « il incombe aux auteurs du décret attaqué
d'ajouter à ces dispositions la seconde condition prévue par cette directive »; le Conseil d'État
ne fixe pas de délai à l'administration pour réaliser cette mise en conformité).
Le juge administratif peut encore, après avoir constaté l'illégalité d'un acte pourtant nécessaire
au bon fonctionnement d'un service public, donner le choix à l'administration entre deux
options permettant toutes deux de rétablir la légalité (CE 27 juill. 2001, Titran : annulation du
refus d'abrogation de l'acte réglementaire de création d'un traitement d'informations
nominatives en tant qu'il ne comporte pas de mesures propres à assurer le respect des
conditions ou réserves figurant dans l'avis préalable de la CNIL; injonction faite au garde des
Sceaux, dans un délai de deux mois, pour, selon son choix, compléter les arrêtés contestés
conformément à l'avis de la CNIL ou faire prendre un décret, sur avis conforme du Conseil
d'État, permettant de passer outre les réserves émises par la CNIL).
Le Conseil d'État a ainsi cherché à donner un effet maximal au constat de l'illégalité « en tant
que ne pas », afin que soit rétablie la légalité qui ne pouvait l'être par la seule annulation d'une
omission: comme il a été jugé dans la décision Titran de 2003, « une telle annulation partielle
des arrêtés attaqués ne saurait avoir pour effet de maintenir dans l'ordre juridique une

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disposition contraire aux garanties prévues par le Code pénal (...) ; il y a lieu, dans ces
conditions, d'en préciser la portée par des motifs qui en constituent le soutien nécessaire ».

B. L'annulation d'une exclusion


L’originalité de cette seconde catégorie d'annulation partielle a été particulièrement mise en
évidence par la décision d'Assemblée Groupement forestier des Ventes de Nonant (CE, Ass.,
16 déc. 2005). Le groupement requérant demandait l'annulation d'un décret de classement
d'un site, en tant que celui-ci avait exclu à tort certaines parcelles du périmètre de ce site:
l'article 2 du décret attaqué prévoyait en effet que « sont exclus du périmètre de classement
défini à l'article le, les cinq secteurs ci-après délimités (...) ».
L’Assemblée du contentieux a fait droit à cette demande d'annulation partielle, et a « annulé
l'acte attaqué en tant qu'il s'abstient de classer les parcelles en cause ». Toutefois, elle n'a pas
eu à assortir cette annulation d'une injonction prétorienne du type « Vassilikiotis », en raison
de la rédaction des dispositions annulées du décret. Celles-ci prévoyant elles-mêmes une
exclusion illégale, leur annulation avait pour conséquence d'introduire les parcelles
illégalement exclues dans le champ d'application du périmètre du site: comme l'indiquait Y.
Aguila, « l'effet direct et immédiat sera le classement de ces parcelles. Et ce classement
interviendra, comme toute décision d'annulation, de manière rétroactive (...). L’annulation
d'une exclusion confère ainsi au juge un pouvoir considérable ».
À la différence de l'annulation d'une omission, l'annulation d'une exclusion conduit le juge à
réécrire un texte réglementaire: la technique de l'injonction prétorienne devient donc inutile,
puisque le texte est modifié dans le sens de la légalité par la seule décision du juge.
Comme le relevait Y. Aguila, le juge administratif doit alors être plus prudent encore lorsqu'il
annule une exclusion que lorsqu'il annule une omission: « ainsi, en l'espèce, convient-il de
s'assurer que la procédure préalable a bien été respectée, y compris vis-à-vis des parcelles
manquantes faute de quoi le juge commettrait lui-même un vice de procédure en classant
implicitement ces parcelles. Tel a bien été le cas en l'espèce: l'enquête, comme la saisine de la
commission départementale des sites, ont bien porté sur l'ensemble du périmètre (...)».
Autrement dit, la technique de l'annulation d'une exclusion ne peut jouer que si, d'une part,
l'acte est partiellement illégal et si, d'autre part, la réécriture de l'acte réglementaire à laquelle
la décision juridictionnelle procède n'est pas elle-même constitutive d'une nouvelle
irrégularité...

Le rejet d'un recours peut parfois lui-même être aussi constructif que l'annulation de l'acte
attaqué.
Il en est d'abord ainsi lorsque le juge administratif procède à une substitution de motifs, afin
d'éviter des annulations de pure forme (v. CE, Sect., 6 févr. 2004, Hallal*).
Il en est encore ainsi lorsque le juge donne satisfaction au requérant en interprétant l'acte
litigieux dans un sens qui lui est favorable: le juge administratif « n'hésite pas à procéder à
une actualisation du texte par voie prétorienne lorsqu'il estime nécessaire de lui conserver un
sens, notamment au regard de la réalité sociale et juridique » (concl. E Donnat sur CE, Sect.,
15 juill. 2004, Leroy : en procédant à une interprétation neutralisante d'un décret de 1953, le
Conseil d'État étend aux couples de fonctionnaires vivant en concubinage l'interdiction de
cumuler une double indemnité d'éloignement qui avait été réservée, de manière
discriminatoire, aux seuls couples mariés). Une telle méthode est consacrée dans le champ du
droit communautaire, le juge administratif s'efforçant, lorsque cela est possible, d'interpréter
la réglementation et surtout la législation française dans un sens compatible avec ce droit (CE
22 déc. 1989, Ministre du Budget c. Cercle militaire mixte de la caserne Mortier).
Il en est enfin ainsi lorsque, tout en rejetant le recours, le juge administratif indique à
l'administration les limites de la légalité (CE, Ass., 28 juin 2002, Villemain : tout en rejetant le

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recours contre la circulaire du 3 mars 2000 ministérielle attaquée qui réservait certains
avantages aux diplomates mariés en poste à l'étranger, le Conseil d'État a relevé que cette
circulaire ne pouvait exclure les partenaires liés par un pacte civil de solidarité du bénéfice de
ses avantages sans créer une différence de traitement illégale au regard du principe d'égalité;
en conséquence, il a jugé qu'il incombait au pouvoir réglementaire, dans un délai raisonnable
à compter de l'intervention de la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité,
de mettre à jour la réglementation pour tenir compte de la situation des personnes ayant
conclu un tel pacte).
Cette démarche, qui n'est pas sans rappeler celle procédant de la décision Vassilikiotis, montre
que le juge n'hésite plus à faire preuve de pédagogie lorsque le sens des mesures à prendre est
prédéterminé par une norme supérieure. Cet éclairage juridictionnel a une intensité variable en
fonction de la marge de manœuvre que cette norme supérieure confère à l'administration; en
raison de cette modulation inhérente au mécanisme de l'injonction prétorienne, celle-ci
n'empiète jamais sur la liberté de l'administration.

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