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INTRODUCTION

A
LA POLITIQUE CRIMINELLE
CollectionSciences criminelles
dirigée par Robert Cario

La collection Sciences criminelles se destine à la publication de travaux


consacrés à l'analyse complexe du phénomène criminel. Multidisciplinaire par
définition, elle a vocation à promouvoir les réflexions critiques portées par les
disciplines impliquées, dont l'angle d'approche spécifique enrichit la
connaissance globale du crime, tant en ce qui concerne les protagonistes
(infracteur, victime, société) que les stratégies d'intervention sociale
(prévention, répression, traitement). En France comme à l'étranger.
Les contributions, émanant de chercheurs, de praticiens de la justice ou du
travail social, empruntent la forme d'ouvrages de doctrine, de recherches
collectives ou d'actes de rencontres scientifiques.
La Collection s'enrichit par la publication d'un « Traité de sciences
criminelles », multi-auteurs, qui présente sous la forme de manuels les
principales disciplines qui composent les sciences criminelles: philosophie
criminelle, criminologie, politique criminelle, droit criminel, procédure
pénale, criminalistique, médecine légale et victimologie.

A paraître
M. Born, P. Thys (Dir.), Délinquance juvénile et famille
M. Vaillant, J.P. Leblanc (Di.r.), Nouvelles problématiques adolescentes

Ouvrages parus
R. Cario, Les femmes résistent au crime
J.P. Céré, Le contentieux disciplinaire dans les prisons françaises et le droit européen
R. Cario (Dir.), La médiation pénale: entre répression et réparation
R. Nérac-Croisier (Dir.), Le mineur et le droit pénal
R. Cario, Jeunes délinquants. A la recherche de la socialisation perdue
R. Cario, J.C. Héraut (Dir.), Les abuseurs sexuels: quel(s) traitement(s) ?
P. Mbanzoulou, La réinsertion sociale des détenus
L. Ouvrard, La prostitution
M. Vaillant, A. Vulbeau, Action éducative spécialisée en placement familial
C. Cardet, Le contrôle judiciaire socio-éducatif
R. Nérac, J. Castaignède (OiL), La protection judiciaire du mineur en danger
A. Bernard, R. Cario (DiL), Les politiques publiques d'aide aux victimes

« Traité de sciences criminelles»


2. R. Cario, Victimologie
3. R. Cario, Introduction aux sciences criminelles, à paraître
4. lP. Al1inne, Histoire des politiques pénales, à paraitre
Christine LAZERGES

INTRODUCTION
A
LA POLITIQUE CRIMINELLE

L'Harmattan L'Harmattan Inc. L'Harmattan Hongrie L'Harmattan Ualia


5-7, rue de l'École-Polytechnique 55, rue Saint-Jacques Hargita u. 3 Via Bava, 37
75005 Paris Montréal (Qc) 1026 Budape~ 10214 Torino
FRANCE CANADA H2Y lK9 HONG~E ITALŒ
du même auteur

La politique criminelle, Que sais-je ?, PUF 1987

L'enseignement des sciences criminelles aujourd'hui


(Dir.), Ed. Erès, 1991

Atlas de la criminalité en France, en collaboration avec


Gérard Camilleri, La Documentation Française, 1992

Réflexions sur le nouveau code pénal (Dir.), Ed.


Pédone, 1995

Réponses à la délinquance des mineurs, en


collaboration avec Jean-Pierre Balduyck, Rapport
au Premier Ministre, La Documentation Française.
1998

@ L'Harmattan, 2000
ISBN: 2-7384-9495-1
Introduction

De la politique, sans plus de précisions, on peut dire


qu'elle est compréhension et conduite des affaires de la
cité. La politique criminelle correspondrait alors d'une
part, à l'analyse et à la compréhension d'une affaire parti-
culière de la cité: le phénomène criminel, d'autre part à la
mise en œuvre d'une stratégie pour répondre aux situa-
tions de délinquance ou de déviance.
Le phénomène criminel en effet au sens large, n'est pas
constitué des seules infractions pénales, contraventions,
délits ou crimes, mais de l'ensemble des comportements
incriminés ou non par la loi pénale, considérés comme
troublant l'ordre social parce que s'exprimant dans un re-
fus des normes. A l'encontre de ces comportements, dé-
linquants ou déviants, une politique criminelle tente de
proposer des réponses étatiques ou sociétales dans le res-
pect des droits de l'homme, du moins doit-on avec exi-
gence le souhaiter.
Ainsi définie, la politique criminelle ne se réduit pas au
droit pénal et à la procédure pénale ou à la criminologie,
mais s'inscrit dans un projet global et une stratégie glo-
bale: la politique sociale d'un Etat donné, plus précisé-
ment la politique dite de la ville de cet Etat.
8 Christine Lazerges

Plusieurs étapes ont jalonné la mise à jour d'une iden-


tité encore quelquefois controversée de la politique crimi-
nelle. «La politique criminelle à la recherche d' elle-
même» est le titre d'une étude parue en 1977 I qui ex-
prime parfaitement incertitudes et hésitations sur le champ
et l'objet de la politique criminelle. Art seulement ou
science également? Telle est l'une des questions à
laquelle il sera diversement répondu jusqu'à ces dernières
années.
L'expression même de politique criminelle est em-
ployée pour la première fois à la fin du XVllIème siècle
dans les œuvres de Kleinshrod et Feuerbach qui la conçoi-
vent comme un art législatif. Kleinshrod dira: « La politi-
que criminelle c'est la connaissance des moyens que peut
trouver le législateur selon la disposition spéciale de cha-
que Etat pour empêcher les délits et protéger le droit natu-
rel de ses sujets ». Feuerbach affirmera: «La politique
criminelle c'est la sagesse de l'Etat légiférant ». Mais des
penseurs comme Platon, Aristote, Cicéron, Montesquieu,
sans utiliser l'expression « politique criminelle»,
s'exprimaient déjà en politico-criminalistes, ne réduisant
pas la politique criminelle à un art législatif, lorsqu'ils si-
tuaient hors du droit, dans la pensée politique et le con-
texte sociologique de leur temps, l'origine, la finalité et
l'esprit d'application des lois pénales.
C'est avec Von Liszt, au début du XXème siècle, que
l'on peut fixer le point de départ du mouvement moderne
de politique criminelle quand il définit la politique crimi-
nelle comme «l'ensemble systématique des principes au
moyen desquels l'Etat et la société doivent organiser la
lutte contre le crime ». Le concept sera rétréci mais aussi
approfondi par ceux qui, comme Henri Donnedieu de Va-

1. Jacqueline BERNAT de CELIS, In Archives de Politique Cri-


minelle n02, Pédone, 1977, p. 3.
Introduction à la politique criminelle 9

bres verront dans la politique criminelle la réaction de


l'Etat contre le crime, résumant sa fonction en une réponse
punitive et répressive au crime, pour s'affirmer ensuite
dans sa richesse avec Marc Ancel et le mouvement de la
Défense Sociale Nouvelle 2.
Il devient clair que ni le droit pénal ni les sciences cri-
minelles ne doivent s'approprier la politique criminelle,
qui déborde chacun de leur champ propre, mais la servir.
Toute politique criminelle est science et art, explicative,
préventive et répressive. Toute politique criminelle
s'inscrit dans un système de politique criminelle 3.
La politique criminelle est une réflexion épistémologi-
que sur le phénomène criminel, un décryptage du phéno-
mène criminel et des moyens mis en œuvre pour lutter
contre les comportements de déviance ou de délinquance;
elle est également une stratégie juridique et sociale, fondée
sur des choix politiques pour répondre avec pragmatisme
aux problèmes posés par la prévention et la répression du
phénomène criminel entendu largement.
Une politique criminelle s'élabore en fonction
d'options théoriques ou plus simplement d'écoles de pen-
sée, elle peut aussi être analysée en termes de modèles de
politique criminelle (1èrepartie) ; une politique criminelle
est diversement conçue et reçue par les instances étatiques
législatives, judiciaires ou policières et par la société civile
elle-même, les conflits de politique criminelle sont un
frein à sa réception et à sa mise en œuvre effective (2ème
partie ).

2. Marc ANCEL, La défense sociale nouvelle (Un mouvement de


politique criminelle humaniste), Paris, Cujas, 1954, 2ème éd. 1966,
2ème éd. 1981.
3. Mireille DELMAS-MARTY, Les grands systèmes de politique
criminelle, coll. Thémis, PUF, 1992.
Première partie

L'élaboration d'une politique criminelle

Dans l'hypothèse, que nous retenons, où les politiques


criminelles ne seraient ni le fruit du hasard, ni exemplaires
par leur rationalité, il devient important d'en analyser
l'élaboration souvent conflictuelle.
Des choix sont faits, le poids des idéologies est là et
doit être pris en compte et apprécié (chapitre 1er). Une
lecture plus théorique de l'élaboration d'une politique
criminelle, au travers de la présentation de modèles de po-
litique criminelle, a été tentée (chapitre 2).
1

Idéologies et options en politique criminelle

La politique criminelle s'insère dans une stratégie glo-


bale, qui n'est autre que la politique sociale d'un Etat don-
né ou d'une communauté d'Etats; il serait bien ambitieux
et délicat de recenser les écoles de pensée qui ont influé et
influent sur un programme général de politique sociale se
traduisant par des textes et des pratiques dans des domai-
nes tout à fait divers, allant, par exemple, de la médecine
préventive à la sanction de l'emprisonnement.
Aussi, nous réduirons l'étude de l'impact de doctrines
ou de corps de pensée, et des options en politique crimi-
nelle, au sens le plus souvent étroit de l'expression politi-
que criminelle, ramenée alors à la seule politique pénale,
et non au sens large qui fond la politique criminelle dans
« l'ensemble» politique sociale.
Nous réduirons l'étude également aux idéologies et op-
tions en politique criminelle en Europe occidentale.
Tout enseignement du droit pénal comporte une analyse
des doctrines qui ont orienté telle ou telle réforme ou sim-
plement rédaction de textes répressifs. Toute approche de
la politique criminelle, parce que les solutions à proposer
14 Christine Lazerges

pour déjouer, réguler le phénomène criminel, sont politi-


ques lato sensu, implique aussi une lecture des doctrines
en matière pénale. Par ailleurs, l'impasse ne devrait pas
être faite sur les apports de la criminologie à la politique
criminelle, éclairant sociologie et psychologie du crime; à
cet égard, on se référera aux études spécifiques des crimi-
nologues 4.
La description de l'impact d'écoles de pensée, souvent
concurrentes dans le temps, éclairera le constat d'une jux-
taposition d'options pour la politique criminelle de
l'Europe occidentale, qui cependant a de solides assises
résistant aux courants idéologiques contraires.

A - L'impact d'écoles de pensée


sur la politique criminelle

1 - L'école de la justice absolue


Bien avant la rédaction du Code Pénal, Kant avait posé
les bases de la doctrine de la justice absolue dans ses ou-
vrages «Critique de la raison pratique» (1788) et
« Eléments métaphysiques de la doctrine du droit» (1796)
associant le droit pénal à la morale et exaltant l'idée
d'expiation dans l'exécution de la peine. L'école de la
justice absolue considère la peine comme une souffrance
infligée au condamné en réponse à la souffrance qu'il a

4. Pour ne citer que: Raffaele GAROFALO, La criminologie, Pa-


ris, 1888 ; E. SEELIG, Traité de criminologie, Paris, 1956 ; E.H. SU-
THERLAND et D.R. CRESSEY, Principes de criminologie, Paris,
1966 ; Benigno DI TULLIO, Principes de criminologie clinique, Pa-
ris, 1967 ; Raymond GASSIN, « De quelques tendances récentes de la
criminologie anglaise et nord-américaine », Revue de science crimi-
nelle et de droit pénal comparé, 1977, p. 249 et s., Criminologie,
Dalloz, 1998, 4ème éd.
Introduction à la politique criminelle 15

fait subir à l'ordre public et à un particulier en même


temps, lorsque l'infraction fait une victime privée.
Si l'expiation n'est plus aujourd'hui prônée comme
fonction essentielle de la sanction, elle demeure l'une de
ses fonctions. L'idée d'expiation n'est pas radicalement
rejetée, preuve en est la suggestion réitérée, chaque fois
que l'idéologie sécuritaire prend le dessus sur l'idéologie
que nous qualifierons d'idéologie de l'insertion, de réins-
tituer les bagnes d'essence expiatoire et éliminatoire qu'il
s'agisse des majeurs ou même des mineurs.

2 - Les écoles classiques et néo-classiques


La formulation politique de la pensée classique est par-
faitement résumée dans le Traité des délits et des peines de
Beccaria 5 et dans la déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789. On peut rattacher Bentham à l'école
classique, Bentham qui a largement inspiré les rédacteurs
du Code Pénal de 1810, et insisté sur la fonction utilitaire
de la peine, conçue comme un moyen de prévenir le crime
par la crainte qu'elle fait naître. Pour l'école classique,
convaincue de la réalité du libre arbitre, la société a le
droit de punir parce que la répression est utile et nécessaire
à la défense de l'ordre social.
Mais la société ne peut punir que dans la mesure où la
sanction est conforme à la justice qui commande
l' expiation.
L'idée est judicieusement synthétisée dans la formule
célèbre «punir pas plus qu'il n'est utile, pas plus qu'il
n'est juste ». L'impératif de justice fonde la nécessaire in-
dividualisation de la peine, en effet enraciner un système

5. Cesare BECCARIA, Traité des délits et des peines, 1ère éd.,


1764.
16 Christine Lazerges

sur le libre arbitre ne signifie pas pour autant que le degré


de responsabilité morale de chacun est équivalent.
Les néo-classiques dès la fin du XIXème siècle, à
l'écoute du positivisme, mais ne faisant pas leur cette
doctrine, se sont penchés sur le seul problème des relations
de la peine avec la responsabilité morale du délinquant. Ils
appuient une politique d'individualisation de la sanction,
admettent l'utilité des mesures préventives à côté des me-
sures répressives, croient aux thèses de l'école péniten-
tiaire s'efforçant de rechercher les moyens les plus appro-
priés à l'amélioration de l'efficacité thérapeutique de la
peine. Roger Merle et André Vitu observent que « c'est un
retour, probablement inconscient, à la conception rétribu-
tive et perfectionnelle que le droit canonique avait déve-
loppé avant la Révolution et qu'il n'a point renié de-
puis» 6.
Les fonctions de la peine exprimées par la politique
criminelle conduite, deviennent, pour répondre aux impé-
ratifs des classiques puis des néo-classiques, multiples,
complexes et difficilement conciliables. Expiatoire la
sanction doit l'être, éliminatoire temporairement ou défi-
nitivement chaque fois que cela est nécessaire, de surcroît
intimidante, pour celui qui est condamné et pour le pu-
blic ; enfin, cette sanction doit favoriser l'amendement et
la réinsertion et même la réconciliation du délinquant et de
la société sans oublier l'apaisement et la réparation de la
victime.
D'une certaine façon le système positiviste, détermi-
niste, est moins ambitieux.

6. Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, T. l,


n° 61, Cujas, 1984.
Introduction à la politique criminelle 17

-
3 L'école positiviste
Il n'est pas excessif de dire que la doctrine de l'école
positiviste a bouleversé l'orientation de la politique crimi-
nelle au-delà même de l'Europe occidentale.
Cette doctrine a vu le jour en Italie à la fin du XIXème
siècle 7 ; elle est à l'origine du développement des sciences
criminologiques.
La pensée positiviste nie le libre arbitre, elle est avant
tout déterministe. Le crime est analysé comme le produit
fatal de causes diverses endogènes et exogènes. L' expia-
tion ne peut plus en conséquence être un objectif de la
sanction puisqu'elle suppose une faute et une responsabi-
lité morale. C'est la défense de la société qui est selon les
positivistes le fondement même du droit de punir et de
prévenir.
Pour garantir l'ordre social, le contrôle non seulement
du délinquant est nécessaire, mais aussi celui du déviant,
alcoolique par exemple. Ce contrôle préventif, avec les
risques que cela présente en matière de libertés, et répres-
sif, sera fonction de la personnalité de celui qui en fait
l'objet et du danger qu'il représente pour l'ordre public.
Un tel système conduit, comme l'avait réalisé Lombro-
so, à classer les criminels en catégories, forcément peu
nuancées, et à opter pour des sanctions, qualifiées de me-
sures de sûreté, adaptées à chaque type de délinquant.
En France, la politique criminelle législative ne s'est
jamais réclamée officiellement du positivisme, cependant
d'importantes dispositions législatives, comme l'intro-
duction du sursis simple en 1891 à l'intention des délin-

7. Cesare LOMBROSO, L 'homme criminel, 1ère éd., 1876 ; Enri-


co FERRI, Sociologie criminelle, 1ère éd., 1881 ; Raffaele GARO-
FALO, Criminologie, 1ère éd., 1885.
18 Christine Lazerges

quants occasionnels, sont la consécration implicite de


l'influence de cette doctrine dont tout mouvement de pen-
sée de politique criminelle, même imperméable au déter-
minisme absolu, reconnaît l'apport; il en est ainsi du
mouvement de la Défense sociale nouvelle.

4 - Le mouvement de la Défense sociale nouvelle


L'idée de mouvement correspond bien à une école non
unitaire, riche de sa diversité.
On trouve les racines de ce mouvement ou des doctri-
nes de Défense sociale, chez Prins 8 au début du siècle
dans un ouvrage sur « La Défense sociale et les transfor-
mations du droit pénal », où il affirme: « Le juge répressif
n'a pas à trancher une controverse métaphysique, sa mis-
sion est une mission de défense sociale ». Et plus loin:
« Pour choisir les mesures à prendre, c'est l'Etat perma-
nent de l'individu qu'il faut considérer plus que son acte
passager. De telles idées sont au croisement de la pensée
positiviste et de la pensée de la Défense sociale dans sa
formulation italienne 9 ou française 10. Marc Ancel dans
« La Défense sociale nouvelle» lance un mouvement de
réforme pénale et de politique criminelle, largement en-
tendue. Cette politique criminelle doit tendre à une action
systématique de resocialisation des délinquants, qui ne
peut se développer, dit-il, que par une humanisation tou-
jours croissante du système répressif et doit se fonder sur
des assises scientifiques: étude de l'acte, étude de la per-
sonnalité de l'auteur de l'acte. Pour la Défense sociale at-

8. A. PRINS, La défense sociale et les transformations du droit


pénal, Bruxelles, 1910.
9. Filipo GRAMATICA, Principes de Défense sociale, Cujas,
1964.
10. Marc ANCEL, ouvrages précités.
Introduction à la politique criminelle 19

tachée à faire naître chez l'individu un sentiment de res-


ponsabilité, les mesures proposées participent à une péda-
gogie de la responsabilité. Marc Ancel ne réduit pas la
responsabilité au libre arbitre dans son acception philoso-
phique, mais le contenu qu'il donne au concept de respon-
sabilité renvoie et aux idées de conscience, d'aptitude, de
personnalité et de capacité Il .
La défense sociale proclame aujourd'hui le droit à être
différent. Ce droit dont on a dit qu'il représentait une des
formes les plus évoluées des droits fondamentaux. Proté-
ger le droit à être différent, revient à renforcer la capacité
de tolérance et d'acceptation du corps social dans les li-
mites des risques que l'on peut faire courir, au nécessaire
maintien d'un ordre dans la cité.
En termes d'impact sur la politique criminelle, celui du
mouvement de la Défense sociale est flagrant sans être
toujours dissociable, d'ailleurs, des apports d'une doctrine
néo-classique, que nous nous permettons de qualifier de
progressiste. Ainsi en va-t-il du droit des mineurs, de
l'institution d'un juge de l'application des peines et d'un
sursis avec mise à l'épreuve, d'un sursis même au pronon-
cé de la peine ou de la dispense de peine, de la naissance
et de l'élargissement des peines de substitution à
l'emprisonnement ou alternatives. Ainsi en va-t-il encore
d'une prise en compte grandissante de la victime et de ses
droits, indissociable aujourd'hui de l'objectif de réinser-
tion du délinquant. La première loi en France traitant du
délinquant et de la victime dans un même texte est la loi
du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression
des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mi-
neurs. La seconde loi de ce type est en navette parlemen-

Il. Christine LAZERGES, « Le concept d'imputabilité dans les


doctrines de défense sociale », Revue de science criminelle et de droit
pénal comparé, 1983, p. 315 et s.
20 Christine Lazerges

taire, le projet s'intitule: « Projet de loi renforçant la pré-


somption d'innocence et les droits des victimes ».
Réceptif à divers courants de pensée, représentatif de
diverses idéologies, le parlement compose sa politique
criminelle, attentif aussi à l'opinion publique, privilégiant
avec difficulté parfois, au bénéfice d'une majorité et d'un
gouvernement, une option de politique criminelle plutôt
qu'une autre.

B - La juxtaposition d'options en politique criminelle


L'histoire contemporaine de la politique criminelle en
France est celle du conflit latent ou ouvert entre deux op-
tions ou même idéologies: l'option ou idéologie sécuri-
taire, l'option ou idéologie de l'insertion. Les médias font
si largement état de l'idéologie sécuritaire qu'il ne sera
guère besoin de s'appesantir, si ce n'est pour indiquer
quelques lignes-force.

1 - L'idéologie sécuritaire
L'idéologie sécuritaire est sans doute née de la montée
de la petite et moyenne délinquance en liaison avec la
crise économique, le chômage et les réels problèmes
d'insertion professionnelle de plus de la moitié des jeunes
de moins de 25 ans.
Evoquer l'augmentation de la petite et moyenne délin-
quance invite à présenter des statistiques; pour la France,
soit celles du Ministère de la justice comptabilisant la cri-
minalité légale, soit celles du Ministère de l'intérieur,
comptabilisant la criminalité apparente. Nulle part bien
entendu n'est comptabilisée la criminalité réelle que l'on
ne peut apprécier que par projection, sans certitudes. Rien
Introduction à la politique criminelle 21

ne demande plus d'explications que la présentation d'une


statistique globale sur la criminalité, quelle qu'elle soit 12.
Si l'on s'en tient à la criminalité apparente constatée à
26% par la gendarmerie nationale et à 74% par la police
nationale en 1997, on peut dire qu'avec 3 493 442 crimes
et délits constatés en France métropolitaine, l'année 1997
enregistre une baisse de 1,86% par rapport à l'année pré-
cédente. En nombre, cela représente 66 175 crimes et dé-
lits de moins qu'en 1996.
Ainsi, en 1997 la criminalité globale constatée en
France redescend, en nombre, à un niveau très voisin de
celui qui était le sien pour l'année 1990 (3 492 712 faits
constatés alors) 13. 1998 marque à nouveau une légère
hausse de 2,08% toutes catégories confondues. La hausse
de la délinquance des mineurs est plus sensible et ne cesse
d'inquiéter 14,elle s'élève en 1998 à 11,23%.
En le distinguant bien de l'insécurité réelle doit être
évoqué un sentiment non quantifiable: le sentiment
d'insécurité, mis en avant pour justifier l'idéologie sécu-
ritaire, que Jean-Claude Chesnais déclare inséparable des
préoccupations électorales. Au nom du sentiment

12. Jean-Claude CHESNAIS, Histoire de la violence, Paris, Laf-


font, 1981 ; Gérard CAMILLERI, Christine LAZERGES, Atlas de la
criminalité en France, La documentation française, 1992; Christine
LAZERGES, « Evolution de la délinquance urbaine », Justices, Jus-
tice et ville, Dalloz, 1995, p. 79 et s. ; Philippe ROBERT, Bruno AU-
BUSSON de CARY ALAY, Marie-Lys POTTIER, Pierre TOUR-
NIER, Les comptes du crime, les délinquances en France et leur me-
sure, L'Harmattan, 1994.
13. Ministère de l'intérieur - Ministère de la défense. Crimes et
délits constatés en 1997 par les services de police et de gendarmerie.
14. Bruno AUBUSSON de CAYARLA Y, La place des mineurs
dans la délinquance enregistrée, Les cahiers de la sécurité intérieure,
n° 29, IHESI, 1997.
22 Christine Lazerges

d'insécurité 15, qui n'est par définition, pas de l'ordre du


rationnel, mais existe et se trouve exacerbé par les médias,
des brèches ou des parenthèses dans la politique criminelle
conduite depuis 1945 sont ouvertes.
La loi dite « Sécurité et liberté» du 2 février 1981 en
est une. Le but à atteindre était de rassurer une opinion in-
quiète, de maintenir intacte la cohésion sociale. Alain Pey-
refitte, dans l'exposé des motifs de la loi « Sécurité et li-
berté » indique que « cette cohésion ne saurait être fondée
sur des peines qui, à tort ou à raison, apparaissent souvent
au public, d'abord comme variables au gré des incidents
de séance, du talent des avocats ou de l'humeur des juges,
ensuite comme évanescentes ». Un second exemple peut
être tiré de la loi du 1er février 1994 instituant une peine
incompressible pour certaines infractions (articles 221-3 et
221-4 du Code Pénal).
Ainsi, l'idéologie sécuritaire implique une réduction
des pouvoirs du juge dans le choix et l'individualisation de
la sanction, elle peut impliquer aussi de conférer aux auto-
rités de police, pour prendre cet exemple, les plus larges
pouvoirs en matière de contrôle d'identité au risque
d'entrer en contradiction dans l'exercice de ces pouvoirs
avec la liberté d'aller et de venir et le principe de la pré-
somption d'innocence.

2 - L'idéologie de l'insertion
L'idéologie de l'insertion est aussi bien celle de l'école
néo-classique que de l'école de la Défense sociale nou-
velle ou des tenants d'une politique criminelle participa-
tive, elle conduit la politique criminelle à choisir pour axe
prioritaire la défense des libertés et l'adaptation de la so-

15. Sébastian ROCHÉ, Le sentiment d'insécurité, PUF, 1993.


Introduction à la politique criminelle 23

lution préventive ou répressive à la situation de l'auteur de


l'acte déviant ou délinquant.
L'impasse ne peut être faite sur la situation économique
et sociale, sur l'exclusion grandissante de jeunes d'autant
moins respectueux des devoirs du citoyen qu'il leur sem-
ble ne pouvoir accéder aux droits et faire l'objet de dis-
criminations non pas positives mais négatives. Une inver-
sion de tendance en matière de petite et moyenne délin-
quance, phénomène de société, est intimement liée aux
solutions économiques qui seront trouvées pour résoudre
le problème de l'emploi, et rompre avec les déterminismes
qui font trop souvent d'un enfant d'un quartier difficile en
échec scolaire, un déviant ou un délinquant dès
l'adolescence. Une politique criminelle s'inscrivant dans
ce schéma, bien hâtivement décrit, doit s'appuyer sur la
participation de tous et non des seules agences officielle-
ment préventives ou répressives.
Cette politique criminelle peut être qualifiée de partici-
pative, elle fait appel à la solidarité plus qu'à l'inquiétude
du citoyen. Respectueuse du droit à la sécurité, cette poli-
tique criminelle estime que plus de sécurité ne naîtra que
d'une habile conjugaison entre prévention, sanction et in-
sertion.
Toute politique criminelle renvoie à un ou plusieurs
modèles de politique criminelle. L'analyse des politiques
criminelles en terme de modèles permet une interprétation
plus fine des choix effectués et des expériences conduites.
2

Modèles de politique criminelle

L'utilisation des modèles dans le cadre de la recherche


scientifique est relativement récente. Elle s'insère dans un
courant de pensée dont un des postulats fondamentaux se
résume dans l'affirmation du bien fondé ou de la validité
du découpage de la réalité en systèmes.
L'analyse systémale consiste dans la mise en évidence
de structures essentielles, explicatives et compréhensives
plus que descriptives qui en matière de politique crimi-
nelle ne la définisse pas par rapport à un contenu, mais la
situe comme point d'intersection de l'ensemble des rela-
tions étatiques et sociétales exprimant l'organisation des
réponses du corps social au phénomène criminel 1.
L'approche systémale ne nie pas l'apport de la sociologie
durkheimienne que l'on peut résumer dans la formule cé-
lèbre: «La première règle et la plus fondamentale de
toutes est de considérer les faits sociaux comme des cho-

1. Mireille DELMAS-MARTY, « L'analyse systémale et la poli-


tique criminelle », Archives de Politique Criminelle, n° 8, Pédone,
1985, p. 27 et s.
26 Christine Lazerges

ses» 2. Ceci ne veut pas dire qu'il faille réduire les phé-
nomènes sociaux à des réalités matérielles, mais seulement
se contenter de les observer de l'extérieur sans faire appel
à l'introspection.
L'approche systémale emprunte à la sociologie wébe-
rienne de la compréhension. A l'explication positiviste,
rationnelle, logique, doit s'ajouter une dimension nou-
velie: la compréhension, c'est-à-dire le fait de saisir le
phénomène de l'intérieur. Max Weber en établissant net-
tement la distinction entre les sciences de la nature et les
sciences de la culture (humaines) où la chaîne causale est
impossible parce qu'un comportement humain ne peut être
réduit à une réaction mécanique, mettra à charge du so-
ciologue l'interprétation des faits sociaux par le biais de la
construction des types idéaux 3.
La démarche explicative de Durkheim et compréhen-
sive de Max Weber ne sont pas antinomiques, la recherche
en sciences sociales aujourd'hui se caractérise par une
combinaison entre l'explication et la compréhension que
l'on retrouve dans l'analyse systémale. La théorie des
systèmes s'est développée surtout à partir de la seconde
moitié du XXème siècle à travers les interrogations posées
par la Gestalttheorie (théorie de la forme) et plus profon-
dément dans le prolongement du mouvement structura-
liste.
L'analyse des systèmes en sciences sociales aboutit à la
formulation de caractéristiques formelles indépendantes
du contenu concret et permet de dégager des caractéristi-

2. Emile DURKHEIM, Règles de la méthode sociologique, Paris,


Alcan, 1895.
3. Julien FREUND, Sociologie de Max Weber, Coll. « Le socio-
logue », Paris, PUF, 1996.
Introduction à la politique criminelle 27

ques essentielles de l'objet étudié, ses structures, et ce fai-


sant d'élaborer des modèles de plus en plus complexes.
Mireille Delmas-Marty, avec pour objet la politique
criminelle, et par une mise en évidence de structures ou
relations fondamentales, décrit les modèles de politique
criminelle 4, proposés à ceux qui ont en charge
l'élaboration, l'explication ou la compréhension d'une po-
litique criminelle.
« Toute construction ou analyse de modèles passe né-
cessairement par une simplification et une abstraction. Un
système quelconque étant donné, le système judiciaire
pourrait être pris pour exemple, la démarche épistémolo-
gique doit passer par un niveau d'abstraction et de forma-
lisation qui élimine le concret et l'empirique pour cons-
truire et inventer des modèles qui ne sont pas de l'ordre de
l~ rt'~lité empirique, mais qui serviront d'intermédiaire, de
nt ii,lteur entre les relations observables et la structure au
5
'n rropre ».
] e i-Strauss 6 définit les quatre conditions auxquelles
.;8 cr:0dèles doivent satisfaire: «En premier lieu un mo-
j? .e Jffre un caractère de système; il consiste en éléments
i~j~ qu'une modification quelconque de l'un d'eux en-
traîne une modification de tous les autres; en second lieu,
tout modèle appartient à un groupe de transformations
dont chacune correspond à un modèle de même famille si

4. Mireille DELMAS-MARTY, Modèles et mouvements de poli-


tique criminelle, Economica, 1983 ; Les grands systèmes de politique
criminelle, ColI. Thémis, PUF, 1992.
5. Soizic LORVELLEC, Elaboration d'un modèle d'enregis-
trement de la criminalité par les instances policières de Pau, Thèse,
Pau, 1982.
6. Claude LEVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Plon,
1958, p. 305 et s.
28 Christine Lazerges

bien que l'ensemble de ces transformations constitue un


groupe de modèles.
Troisièmement, les propriétés indiquées ci-dessus per-
mettent de prévoir de quelle façon réagira le modèle en cas
de modification de l'un de ses éléments, enfin, le modèle
doit être construit de telle façon que son fonctionnement
puisse rendre compte de tous les faits observés.
« Un modèle c'est avant tout un objet artificiel construit
.
par le chercheur pour expliquer un ensemble de phénomè-
nes, ou de situations difficiles à appréhender directement;
son but est de rendre manifeste la structure sociale elle-
même ».
Les modèles de politique criminelle décrits par Mireille
Delmas-Marty sont à la fois des instruments de connais-
sance et d'action. Au-delà de leur caractère théorique, les
utilisations concrètes et même pragmatiques de ces mo-
dèles apparaîtront, c'est pourquoi il est logique de choisir
d'en traiter dans un développement général sur
l'élaboration d'une politique criminelle.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les modèles
qui vont être présentés sont tous par définition des ap-
proximations de la politique criminelle analysée. Le mo-
dèle est simplificateur, il peut ainsi totaliser la matière
traitée. Il est approximatif donc jamais figé, il permet à la
connaissance d'avancer. Il est abstrait et « questionne ainsi
la vie dans sa diversité concrète en tentant de la décoller
de l'automatisme de son déroulement quotidien».
Le critère de validité interne d'un modèle est sa cohé-
rence logique, son critère de validité externe son adéqua-
tion à la réalité. En d'autres termes, la construction d'un
modèle suppose l'élaboration d'un schéma aussi proche
que possible de la réalité obéissant à une loi élémentaire
de composition.
Introduction à la politique criminelle 29

Dans le cas des modèles de politique criminelle élabo-


rés par Mireille Delmas-Marty, la loi élémentaire de com-
position résulte de quatre relations de base correspondant
aux quatre réponses primaires à l'infraction et à la dé-
viance prises comme phénomènes sociaux.
Les relations fondamentales mises à jour sont les sui-
vantes:
1. Infraction - réponse étatique (I-Re), ce qui signifie
réponse à l'infraction prise en charge par l'Etat.
2. Infraction - réponse sociétale (I-Rs), ce qui signifie
réponse à l'infraction prise en charge par le groupe social
ou la société civile.
3. Déviance - réponse étatique (D-Re), ce qui signifie
réponse à la déviance prise en charge par l'Etat.
4. Déviance - réponse sociétale (D-Rs), ce qui signifie
réponse à la déviance prise en charge par le groupe social
ou la société civile.
« Les relations fondamentales ont un contenu divers. A
la relation infraction-réponse étatique (I-Re) se rattachent
le système pénal, mais aussi d'autres techniques étatiques,
techniques du droit administratif (sanction administrative),
du droit civil (réparation civile) ou techniques de média-
tion contrôlées par l'Etat (arbitrage assorti d'exequatur,
conciliation lorsque le conciliateur est nommé et/ou con-
trôlé par l'Etat, médiation pénale).
La relation infraction-réponse sociétale (I-Rs) corres-
pond soit à une réponse proprement communautaire ou
protestataire du groupe social indifférencié (rejet, ven-
geance ou médiation exercé par le groupe) ; soit à une ré-
ponse corporative du milieu professionnel (sanction disci-
plinaire), soit à une réponse individuelle de la victime
(autodéfense), dès lors qu'elle est acceptée comme rituel
du groupe.
30 Christine Lazerges

Quant à la relation déviance-réponse étatique (D-Re),


elle évoque diverses formes de contrôle social de la dé-
viance qui sont exercées sous le contrôle des autorités ju-
diciaires ou policières ou de façon autonome par des ins-
tances étatiques à caractère médico-social: Direction de la
Protection judiciaire de la jeunesse, Direction départe-
mentale de l'action sanitaire et sociale, Direction départe-
mentale de la solidarité nationale, services hospitaliers
spécialisés ou établissements chargés du traitement des
toxicomanes, alcooliques, malades mentaux, handicapés...
La dernière relation, déviance-réponse sociétale (D-Rs),
évoque des formes plus légères tendant à l'initiation de
l'individu aux normes du groupe (éducation donnée par la
famille, l'école, ou encore par le milieu professionnel ou
social environnant), étant observé cependant qu'à partir du
moment où l'Etat exerce un contrôle sur famille, école,
milieu professionnel ou social, la relation peut se trans-
former en réponse étatique à la déviance (D-Re). » 7
On peut imaginer et même constater des hypothèses de
contraction en un concept unique du phénomène de
l'infraction et de celui de la déviance, c'est le cas des sys-
tèmes dans lesquels le principe de légalité n'est pas consi-
déré comme une assise fondamentale, il en est ainsi dès
lors qu'est admis le raisonnement par analogie.
Les relations fondamentales se réduisent alors à deux:
1. Infraction-Déviance-réponse étatique (ID-Re)
2. Infraction-Déviance-réponse sociétale (ID-Rs).
Construire des modèles, selon ces relations posées
comme fondamentales, et qui seraient en quelque sorte
l'atome de la politique criminelle consiste à rechercher le

7. Mireille DELMAS-MARTY, op. cit.Modèles et mouvements


de politique criminelle, p. 42.
Introduction à la politique criminelle 31

principe selon lequel elles s'organisent. Mais si l'on ne


veut pas rester à la surface des choses, à la surface des
principes d'organisation, il faut admettre que la décompo-
sition de la politique criminelle, son décryptage en rela-
tions fondamentales ne suffit pas.
Il est nécessaire de tenir compte aussi du processus de
dérivation selon lequel chaque relation fondamentale se
décompose en relations dérivées alternatives ou complé-
mentaires.
Les relations alternatives marquent les diverses possi-
bilités d'expression de chaque relation fondamentale. Ain-
si, la réponse étatique à l'infraction peut s'exprimer à tra-
vers le système pénal de droit commun ou éventuellement
d'exception (I-Pen ou I-Pen'), ou le système administratif
(I-Ad), civil (I -Civ), de médiation (I-Méd).
Les relations complémentaires se greffent sur une rela-
tion principale; elles permettent de mesurer le degré de
participation et le cas échéant le pouvoir propre de chaque
instance étatique ou sociétale, susceptible d'être associée à
la réponse.

8
Schéma récapitulatif
Relations alternatives
Le processus peut être schématisé de la façon suivante:
I - Pén

--C
1- Pén'
I - Re I - Ad
I - Civ
I - Med

8. Mireille DELMAS-MARTY, « L'analyse systémale et la poli-


tique criminelle », Archives de Politique Criminelle, n° 8, Pédone,
1985, p. 37.
32 Christine Lazerges

De même la relation infraction-réponse sociétale (I-Rs)


peut s'exprimer en une réponse du groupe social lui-même
(I-Gs), du milieu professionnel (I-Prof) ou de la victime (I-
V). D'où le schéma:
I - Rs

Enfin, la relation déviance-réponse étatique (D-Re) pré-


sente, selon qu'elle est contrôlée par le juge (D-Jud), la
police (D-Pol) ou directement prise en charge par les ser-
vices à caractère médico-social (D-Méd soc.), trois va-
riantes principales. D'où le schéma:
___ D - Jud
D - Re --- D - Pol
==== o - Méd. soc.

En revanche, la relation déviance-réponse sociétale (D-


Rs) repose sur une initiation de l'individu aux normes, gé-
néralement assurée de façon cumulative par la famille,
l'école, le milieu professionnel et, plus largement, le mi-
lieu social environnant.. Elle commande donc seulement
l'apparition de relations complémentaires.

Relations complémentaires
Le processus peut être ainsi schématisé, autour de la
relation-mère représentée ici par une réponse étatique, de
type pénal à l'infraction:
Dl Lég
ram V~I-pen(JUd Pol
Gs/ [xeC~Ad. écofi
[COI?
Prof Ad.pénit
Milieu soc.
\. Méd. soc.

Légende: Lég = législatif; Jud = judiciaire; Exéc = exécutif;


Pol = police; Ad. Ecofi = administration économique et financière;
Ad. Pénit: administration pénitentiaire; Dt = délinquant (ou dé-
viant); V = victime; Gs = groupe social; Fam = famille; Eco =
école; Prof = milieu professionnel; Milieu soc = milieu social, envi-
ronnement.
Introduction à la politique criminelle 33

A partir de ces choix initiaux, il est possible de procé-


der à la construction de modèles marquant en politique
criminelle le champ des réponses du corps social au phé-
nomène criminel et leur degré d'intensité.

A - Les modèles étatiques


La caractéristique fondamentale des modèles étatiques
est la réponse étatique à l'infraction sous la forme d'une
relation forte s'exprimant souvent mais pas uniquement
par référence au droit pénal et à la procédure pénale.
Les trois modèles étatiques présentés par Mireille Del-
mas-Marty sont le modèle Etat autoritaire, le modèle Etat
totalitaire et le modèle Etat-société libéral ou démocrati-
que. La description de ce dernier fera l'objet de dévelop-
pements plus précis parce qu'il constitue la grille de lec-
ture la plus adaptée aux politiques criminelles conduites
dans les démocraties libérales ou les social-démocraties.

1 - Le modèle Etat autoritaire


Formule: I-Re +
I-Rs -
D-Re +
D-Rs -
Dans le cadre de ce modèle, le système de politique
criminelle est purement étatique.

a - La réponse étatique à l'infraction


La distinction légale entre infraction et déviance impli-
que une certaine discontinuité de la pression de l'Etat. Si
l'on envisage la variante pénale dans la réponse étatique à
34 Christine Lazerges

l'infraction, par définition, il y aura discontinuité du droit


pénal.
La réponse étatique à l'infraction peut se dédoubler: au
système pénal ordinaire se superpose alors un second sys-
tème pénal d'exception sous garantie légale et judiciaire,
organisant le traitement de certaines infractions selon des
règles de fond et de forme beaucoup plus rigoureuses. En
sont des exemples, les lois contre le terrorisme allongeant
notamment les détentions provisoires et les gardes à vue
(en Grande-Bretagne «Prevention of terrorism act» de
1974, en Italie, décrets-lois et lois nouvelles de 1978 à
1982, en France, loi du 9 septembre 1986. On observe à ce
propos qu'en général le modèle Etat-autoritaire renvoie à
des expériences conduites par des Etats dont le régime po-
litique est lui-même autoritaire, mais des Etats par ailleurs
libéraux peuvent se rattacher, par certaines formes de ré-
ponse à l'infraction ou à la déviance, à ce modèle.

b - La réponse étatique à la déviance


La réponse étatique dominante à la déviance est la ca-
ractéristique essentielle du modèle Etat autoritaire, elle se
manifeste sous la forme d'actions étatisées policières, ju-
diciaires et médico-sociales. Le phénomène de la dé-
viance, par définition flou, donne lieu à des interventions
autoritaires parfois coercitives qui peuvent aller de
l'assistance éducative à l'internement administratif ou ju-
diciaire en passant par une latitude extrême conférée aux
autorités de police en matière de contrôle d'identité ou de
garde à vue.
Le tout constitue un contrôle social étatique serré dont
l'un des exemples significatifs fut le décret de 1971 en
URSS autorisant l'internement d'urgence des malades
mentaux présentant un danger public. La seule garantie de
Introduction à la politique criminelle 35

procédure était la présentation obligatoire du patient au


moins une fois par mois à une commission composée de
trois psychiatres.
« L'Etat autoritaire n'est pas nouveau, ce qui est nou-
veau, peut-être, c'est sa façon d'être autoritaire, d'une au-
torité grise et pénétrante qui envahit chaque repli de la vie,
autorité indolore et invisible et pourtant confusément ac-
ceptée. Nouvelle, aussi, est la légitimation de l'Etat auto-
ritaire, née au confluent imprévu du courant libéral et de la
branche autoritaire du courant socialiste. Comme si, dans
une vie plus douce de confort et d'abondance s'enlisait la
volonté d'être et de devenir; si, à la pointe du désir
d'avoir et de conserver toujours davantage, l'exigence de
sécurité finissait par briser le rêve de liberté» 9.

2 - Le modèle Etat totalitaire


Formule: ID-Re +
ID-Rs -
«Se saisir en un seul et même mouvement
d'encerclement de tous les comportements de refus des
normes, les traquer sans plus distinguer l'infraction de la
déviance, les traquer pour imposer un seul mode de pensée
et d'action au point que les hommes devenus interchan-
geables puissent se confondre en un corps unique parfai-
tement homogène: dès lors que l'Etat se donne de tels
moyens ou se fixe un tel but, le modèle de politique crimi-
nelle devient totalitaire quelle que soit l'idéologie qui
l'inspire. » 10

9. Mireille DELMAS-MARTY, op. cit. Modèles et mouvements


de politique criminelle, p. 102.
10. Mireille DELMAS-MARTY, op. cit. Modèles et mouvements
de politique criminelle, p. 119.
36 Christine Lazerges

Le modèle Etat totalitaire sous la forme de l'Etat justi-


cier ou sous celle de l'Etat guérisseur confond par principe
l'infraction et la déviance.

a - Le sous-modèleEtatjusticier
On entend par là un système dans lequel la relation à la
loi est fondée sur le raisonnement par analogie; le juge est
ainsi autorisé soit à prendre appui sur un texte proche du
cas à juger, soit à rechercher l'éthique ou les principes re-
ligieux, politiques ou sociaux dont le droit de son pays
s'inspire. Dans cette seconde hypothèse, l'Etat s'affranchit
de toute subordination à la loi. L'Etat totalitaire justicier
n'est plus un Etat de droit, l'Allemagne hitlérienne en est
un exemple.
Dans ce modèle, la relation aux instances sociétales
s'exprime par l'incitation insidieuse ou violente du groupe
tout entier au conformisme le plus absolu.

b - Le sous modèle Etat guérisseur


Le système de défense sociale préconisé par Gramatica,
en ce qu'il prévoyait de remplacer l'infraction par des in-
dices d'antisocialité, conduisait à confondre infraction et
déviance. C'est à la déviance au sens large englobant
l'infraction, que s'adressait la réponse étatique dans un but
thérapeutique. «La mesure de défense sociale sera de
même nature que celle qui pèse sur l'hospitalisation d'un
malade atteint d'une maladie infectieuse ou l'internement
d'un aliéné dans un hôpital psychiatrique ou sur
l'exécution de l'obligation scolaire d'un enfant », affirmait
Gramatica Il.

Il. Filippo GRAMA TICA, Principes de défense sociale, Paris,


Cujas, 1964, p. 53.
Introduction à la politique criminelle 37

Le risque totalitaire, parce que la relation à la loi est té-


nue, existe. La relation aux instances sociétales est beau-
coup plus importante que dans le modèle Etat justicier. Il-
lustration de cette relation intense à la société civile peut
être tirée aussi bien de la pensée de Gramatica que de la
politique criminelle conduite en République populaire de
Chine associant le groupe, mobilisant les masses sur des
objectifs de politique criminelle.

3 - Le modèle Etat-société démocratique


Formule: I-Re +
I-Rs -
D-Re -
D-Rs +
Ici, l'Etat n'impose pas l'orientation et le contrôle de
toutes les réponses préventives et répressives au phéno-
mène criminel, mais en abandonne une part à la société ci-
vile. L'Etat intervient en matière d'infraction et admet une
réponse à dominante sociétale en matière de déviance. On
devine que la politique criminelle conduite en France ren-
voie très largement à ce modèle dont il faut décrire préci-
sément les composantes.
La valeur de référence est la liberté, l'espace de liberté
qui doit demeurer entre les pressions étatiques.
L'idéologie de référence est l'idéologie libérale ou so-
cial-démocrate, impliquant que les réponses à la déviance
soient essentiellement sociétales. Elles s'exprimeront à
travers la famille, l'école, le milieu professionnel, le mi-
lieu social environnant; elles seront donc nombreuses, va-
riables suivant les classes sociales et les générations. Mais
ce sont plus les réponses à l'infraction que celles à la dé-
viance qui caractérisent ce modèle.
38 Christine Lazerges

Dans les limites du modèle Etat-société démocratique,


la réponse étatique à l'infraction se manifeste sous quatre
formes alternatives: la variante pénale, la variante admi-
nistrative, la variante civile et la variante de médiation.

a - La variante pénale
La démarche suivie par Mireille Delmas-Marty consiste
à traverser le système pénal en montrant ses rapports avec
les autres instances étatiques, puis avec les instances so-
ciétales.

La relation aux autres instances étatiques


La relation aux autres instances étatiques s'entend de la
relation aux instances législatives, judiciaires et exécuti-
ves.
La relation aux instances législatives se traduit en
France par le principe de la légalité des délits et des peines
et ses corollaires.
Rappelons-nous les articles 7 et 8 de la Déclaration des
droits de I'homme et du citoyen.
Rappelons aussi l'article 113-3 du Code Pénal: «Nul
ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les
éléments ne sont pas définis par la loi ou pour une contra-
vention dont les éléments ne sont pas définis par le règle-
ment. Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas pré-
vue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou
par le règlement si l'infraction est une contravention ».
Mais il est très important de prendre conscience,
comme le dit Jean Carbonnier, qu'« en se multipliant au-
delà de la capacité de mémoire humaine les menaces se
neutralisent et deviennent indifférentes».
Introduction à la politique criminelle 39

Paradoxalement, l'inflation pénale porte atteinte au


principe de légalité des délits, en marque la limite 12. De
même la marge d'appréciation du juge dans le prononcé
de la peine peut être analysée comme une négation par-
tielle du principe de légalité.
Le nouveau code pénal français mis en application le
1er mars 1994, s'il conserve un maximum contraignant en
matière de peine, n'indique pas de minimum légal; il sup-
prime ainsi la nécessité d'un texte sur les circonstances
atténuantes dont l'extension progressive avait débuté rapi-
dement après la promulgation du Code Pénal de 1810. On
observe en définitive en France, sur le long terme, dans la
relation de la variante pénale aux autres instances législa-
tives, une diminution de l'intensité de cette relation et un
renforcement parallèle de la relation aux instances judi-
CIaIres.
La relation aux instances judiciaires que l'on ne croyait
forte que dans les pays inspirés de la common law britan-
nique est confortée dans les pays de droit écrit par
l'évolution même des textes pénaux. La relation aux ins-
tances judiciaires paraît aujourd'hui similaire dans les
pays de common law et ceux d'Europe continentale.
« En matière pénale en Grande-Bretagne, observe Mi-
reille Delmas-Marty, à l'exception de quelques rares in-
fractions dites de common law, les infractions et les peines
sont prévues par des textes de loi (statutes). Cependant, la
loi ne prévoit la plupart du temps qu'une peine maximale,
souvent élevée et dont les conditions d'application sont
très souples. En outre le juge n'est tenu de motiver sa
« sentence », que dans des cas limités... en pratique, et

12. Christine LAZERGES, Le principe de la légalité des délits et


des peines, ln ouvrage collectif Droits et libertés fondamentaux, (dir.
Rémy Cabrillac, Marie-Anne Frison-Roche, Thierry Revet), p.
431 et s., Dalloz, 1999, 5ème éd.
40 Christine Lazerges

alors même que le défaut de motif n'a jamais pour effet de


rendre nulle une sentence, il est exceptionnel que les juges
ne motivent pas leurs décisions» 13.
La relation aux instances exécutives dans le cadre de la
variante pénale est très diversifiée. Elle s'entend d'abord
du mode de relation à la police. Le principe d'une police
auxiliaire du système pénal, affirmé en France par les arti-
cle 12 et 13 du Code de procédure pénale, qui placent la
police judiciaire sous la direction et la surveillance du par-
quet et sous le contrôle de la chambre d'accusation est ca-
ractéristique du modèle Etat-société démocratique.
Mais d'une part, la police administrative échappe au
contrôle du pouvoir judiciaire, d'autre part la police judi-
ciaire jouit en pratique d'une assez large autonomie. C'est
elle qui, par exemple, joue un rôle essentiel et pratique-
ment indépendant dans ce qu'il est convenu d'appeler
« l'approvisionnement du procès pénal »14. Les deux pro-
cessus de sélection des affaires (conservées ou rejetées
hors du circuit pénal) et de ventilation (aiguillage selon tel
ou tel circuit), se situent essentiellement à deux moments.
Le premier moment étant celui de l'enquête de police dé-
bouchant sur l'abandon officieux des poursuites ou le ren-
voi à l'autorité judiciaire. Le second moment consiste dans
la décision du parquet optant pour le classement de
l'affaire ou une procédure alternative aux poursuites ou le
déclenchement des poursuites. Le choix opéré par la po-
lice judiciaire, comme celui opéré par le parquet est un
choix de politique criminelle.

13. Mireille DELMAS-MARTY, op. cil. Modèles et mouvements


de politique criminelle, p. 61.
14. Philippe ROBERT, Claude FAUGERON, Les forces cachées
de la justice, Centurion, 1980.
Introduction à la politique criminelle 41

Doit être évoquée aussi la relation du système pénal à


l'administration économique et financière, trop souvent
passée sous silence, alors que masses de comportements
délictueux n'émergeront pas «pénalement». L' inter-
vention de l'administration est fréquente dans beaucoup
d'Etats, et de domaines de refus de normes sanctionnés
pénalement. Le meilleur exemple est celui de la fraude fis-
cale. En France, l'administration dispose du monopole de
la plainte en matière de fraude fiscale. Sachant que seule-
ment 0,1% à 1,5% des dossiers examinés par l' adminis-
tration font l'objet de poursuites pénales, on peut parler de
substitution presque générale de la sanction administrative
à la sanction pénale.
Le rôle du système pénal n'est plus que symbolique. En
ce domaine, la variante administrative dans la réponse
étatique à l'infraction semble préférée à la variante pénale.
C'est par contre dans la variante pénale que s'inscrivent
les hypothèses où l'administration (administration des
Eaux et Forêts par exemple) intervient pendant le procès
pénal par une action jointe à celle du parquet.
Les instances exécutives se voyant confier l'exécution
des condamnations, il existe une relation du système pénal
à l'administration pénitentiaire dont l'intensité croît avec
la judiciarisation progressive de l'exécution des peines. La
tutelle du judiciaire sur l'administration pénitentiaire, de-
venue pièce, non plus du ministère de l'Intérieur, mais du
ministère de la Justice depuis 1911, s'est confortée avec
l'institution du juge de l'application des peines de 1958.
La loi du 15 juin 2000, très attendue, renforçant la pré-
somption d'innocence et les droits des victimes, juridic-
tionnalise l'application des peines.
La relation enfin du système judiciaire aux instances
médico-sociales se caractérise pour le juge pénal par la
possibilité dans des hypothèses bien précises, de remplacer
42 Christine Lazerges

la sanction pénale par un traitement médico-social. Le


droit des mineurs est le domaine privilégié du médico-
social (mesures de protection, d'assistance, de sur-
veillance, d'éducation appropriées) substitué par principe,
mais non dans tous les cas, au répressif (sanctions pénales
proprement dites).
Pour les malades mentaux dans le système français dès
lors qu'ils étaient atteints au moment des faits d'un trouble
psychique ou neuropsychique ayant aboli leur discerne-
ment ou le contrôle de leurs actes (article 122-1 al. 1er du
Code pénal), ils sont exclus du système pénal.
En matière de toxicomanie, en France, depuis la loi du
21 décembre 1970, qui définit comme infraction pénale
l'usage illicite de stupéfiantes (art. L.628 du Code de la
santé publique), l'usager de stupéfiants relève du système
pénal parce qu'il est considéré comme délinquant avant
d'avoir commis toute autre infraction que l'usage de stu-
péfiants. Mais ce délinquant peut se trouver au cours du
procès renvoyé aux instances médico-sociales. Le parquet
est compétent pour enjoindre (procédure de l'injonction
thérapeutique) l'intéressé de subir une cure de désintoxi-
cation ou de se placer sous surveillance médicale (art.
L.628.1 du Code de la santé publique), et s'engage à ne
pas exercer l'action publique si le traitement médical pres-
crit est suivi jusqu'au bout. Dans l'hypothèse où le procès
pénal aurait suivi son cours, le tribunal a le choix entre le
prononcé d'une peine classique ou d'une cure de désin-
toxication.

La relation aux instances sociétales


Les instances sociétales ou la société civile, ou encore
le groupe social, sont en principe exclus de la variante pé-
nale dans la réponse étatique à l'infraction. Le système
Introduction à la politique criminelle 43

pénal fonctionnerait en vase clos, sur un mode d' auto-


suffisance. La réalité est plus complexe. Le modèle Etat-
société démocratique, décrit par Mireille Delmas-Marty,
ne renvoie à cette réalité de façon satisfaisante qu'en pre-
nant en compte un mouvement de politique criminelle,
mouvement de recours à la société civile, en accélération
depuis 1981.
Ancien est le rôle de la victime qui par sa constitution
de partie civile peut déclencher les poursuites ou même
citer directement l'auteur du dommage devant le tribunal
correctionnel et obtenir indemnisation devant les juridic-
tions répressives.
Anciennes aussi sont les dispositions qui tendent à as-
socier les citoyens à la justice pénale: système de
l'assessorat, de l'échevinage ou du jury.
Plus récente est la multiplication des hypothèses où le
groupe social intervient dans l'exécution de la sanction:
sanctions éducatives prononcées à l'encontre du mineur,
sursis avec mise à l'épreuve, travail d'intérêt général. Il est
possible de parler alors de politique criminelle impliquant
une participation sociétale ou politique criminelle partici-
pative.
Le Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation
(SPIP) assiste le juge de l'application des peines dans le
cadre essentiellement de l'exécution des sursis avec mise à
l'épreuve. Quant au travail d'intérêt général, il ne peut
fonctionner sans recours à la société civile.
En ce domaine, les tribunaux correctionnels, les tribu-
naux pour enfants, les cours d'appel, les juges de
l'application des peines ne peuvent rien seuls. Ceci con-
traint les magistrats à un comportement qui ne leur était
pas coutumier, s'analysant en tâches de relations publiques
pour trouver par exemple des postes de travail d'intérêt
44 Christine Lazerges

général auprès de collectivités territoriales, d'établis-


sements publics, d'associations ou de l'Etat lui-même. La
tâche incombe officiellement au juge de l'application des
peInes.
La sanction du travail d'intérêt général n'occupera la
place qu'elle pourrait occuper dans la palette des sanctions
pénales que lorsque de nombreux magistrats autres que
des juges de l'application des peines concevront
l'importance de la relation aux instances sociétales, qui si-
gnifie importance de l'intégration de citoyens ordinaires
dans le fonctionnement de la justice.
Très récente est toute la politique criminelle fondée sur
la victimologie et son intérêt, au plan du droit, pour les
victimes. Depuis une loi de 1975 (art. 132-58 et s. du Code
pénal), la réparation du dommage peut constituer la seule
sanction, le juge pénal est autorisé à dispenser de peine
« lorsqu'il apparaît que le reclassement du prévenu est ac-
quis, que le dommage est réparé, et que le trouble résultant
de l'infraction a cessé. » En outre, le groupe social inter-
vient lui-même chaque fois qu'est ouverte la possibilité
d'une indemnisation de la victime par le fonds de garantie
des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions
(loi du 3 janvier 1977, loi du 2 février 1981, loi du 8 juillet
1983 et surtout loi du 6 juillet 1990, articles 706-3 et s. du
Code de procédure pénale). Les associations d'information
et d'aide aux victimes, dont la création a été suscitée par le
Ministère de la justice depuis 1982, sont des pions impor-
tants du processus d'intégration de la victime dans une
politique criminelle utilisant les instances sociétales.
Mireille Delmas-Marty fait très justement observer que
plus la place accordée à la victime est large, plus la va-
riante pénale devient compensatoire, dans le cas inverse le
système pénal garde uniquement sa vocation première de
système rétributif destiné avant tout à punir l'auteur de
Introduction à la politique criminelle 45

l'infraction. Cet auteur de l'infraction tend aussi à être as-


socié, timidement, au choix de la sanction.
Pour les mineurs, pour le condamné au travail d'intérêt
général, dont on doit recueillir l'acquiescement à cette
sanction, la variante pénale dans la réponse étatique à
l'infraction se fait consensuelle en partie et non purement
coercitive; mais c'est plus vrai aujourd'hui encore de la
variante administrative.

b - La variante administrative
On pourrait parler aussi de réponse administrative à
l'infraction pénale. L'administration se voit reconnaître
compétence pour ~pliquer sa propre sanction à l'auteur
d'une infraction 1. Nous nous bornerons à donner
quelques exemples de la variante administrative dans la
conception française. Il est utile de préciser que ces cas de
prévention ou de répression administrative sont sans doute
une mise en cause de l'idéologie libérale classique, si une
procédure bien établie et transparente ne garantit pas les
« poursuivis» et les « condamnés» administrativement.

La prévention-répression administrative
Elle se manifeste, par exemple, en droit pénal du
travail. On connaît le large pouvoir de contrôle social de
l'administration du travail qui s'exprime en marge du
procès pénal par le pouvoir de l'inspecteur du travail de
notifier des observations ou de mettre en demeure.
Lorsqu'il constate une infraction, l'inspecteur du travail
choisit fréquemment la solution de l'observation en raison

15.Jean MOURGEON, La répression administrative, LGDJ,


1967; Mireille DELMAS-MARTY, Catherine TEITGEN-COLLY,
Punir sans juger?, 1992.
46 Christine Lazerges

de ce que l'objectif premier de son contrôle est moins de


sanctionner un délit que d'obtenir effectivement le respect
par l'employeur de la réglementation du travail. Les
inspecteurs ou les contrôleurs du travail notifient par écrit
aux chefs d'établissement leurs observations.
Ils rappellent ainsi la première fonction du droit pénal
du travail, celle de prévention.
Dans un certain nombre d'hypothèses, la loi n'aban-
donne pas à l'inspecteur du travail le choix entre
l'observation et le procès verbal, elle impose qu'avant tout
établissement d'un procès-verbal, avant tout recours à la
variante pénale donc, l'employeur soit mis en demeure de
se conformer aux textes. De la sorte, la variante
administrative est tentée. Le champ d'application de la
mise en demeure s'étend essentiellement aux prescriptions
relatives à l'hygiène et à la sécurité du travail contenues
dans les dispositions de règlements d'administration
publique. Mais encore faut-il que la mise en demeure soit
formellement prévue par les prescriptions de ces
règlements (article L.23l.4 a1.ler du Code du travail).

La répression administrative proprement dite


Dans le domaine économique et financier, dans celui de
la protection de l'environnement s'est développé un
arsenal de sanctions administratives: ordonnance du 1er
décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la
concurrence, pouvoirs d'injonction et d'exécution forcée
reconnus au préfet (dont les compétences sont exercées
par le représentant de l'Etat dans le département) au cas
d'infractions à la loi sur les installations classées, pour la
protection de l'environnement, etc...
Les possibilités de transaction avec l'administration (en
matière de droit de l'environnement, droit de la pêche,
Introduction à la politique criminelle 47

droit de la chasse, droit fiscal) sont tout à fait


caractéristiques d'une mise à l'écart de la sanction pénale
au profit de la sanction administrative. Cette transaction
peut intervenir tant qu'une décision définitive du juge
pénal n'a pas été prononcée.
On constate que la relation de la variante administrative
aux autres instances étatiques est dans l'ensemble de faible
illtensité. Il faut signaler cependant la possibilité pour le
juge répressif d'apprécier la légalité d'un acte adminis-
tratif invoqué pour fonder les poursuites pénales ou
comme moyen de défense (article 111-5 du code pénal).
La relation aux instances sociétales se traduit
essentiellement par l'association du délinquant à la
sanction s'il y a transaction négociée directement avec
l'intéressé. Mais les intérêts de la victime ne sont pas pris
en compte.
En effet «la jurisprudence administrative répressive,
est bien établie pour décider que, quelle que soit la partie
lésée, son action ne peut pas être portée devant l'autorité
administrative répressive, celle-ci étant incompétente pour
condamner à restitution ou à réparation sauf texte
expressément contraire. Une seule exception est admise,
quand le dommage est causé au domaine public» 16.
Paradoxalement, la variante administrative gagne en
politique criminelle une certaine importance alors qu'elle
n'intègre pas dans les solutions proposées le légitime souci
de la victime d'être indemnisée, à une époque où
justement l'intérêt pour la victime est vif.

16. Jean MOURGEON, op. cit., p. 308.


48 Christine Lazerges

c - La variante civile
Sans évoquer même la décriminalisation et le transfert
possible du «pénal» au «civil» d'une partie du
contentieux relevant aujourd'hui des juridictions
répressives17, la variante civile sous deux formes est très
présente.

La variante civile,
sous laforme classique d'un procès civil
Dans cette hypothèse la relation à la loi, instance
étatique, est plus souple, preuve en est, l' œuvre du juge en
matière de responsabilité civile. Certains opposent à la
discontinuité du droit pénal, la continuité du droit civil de
la responsabilité. Le formalisme de la procédure civile est
moindre également que celui de la procédure pénale. La
relation aux instances sociétales par la relation à la victime
est essentielle. Le procès pénal est perçu comme « volant
leur conflit aux personnes directement impliquées »18alors
que la victime devant les juridictions civiles mène le
procès comme demanderesse, elle peut à tout moment
arrêter le cours de la procédure. La victime n'est
cependant maîtresse du choix de la solution civile, de
préférence à la solution pénale, que si des poursuites n'ont
pas été intentées par le parquet.
La relation au délinquant, sauf dans le cas du recours en
indemnisation devant les CIVI (Commission d'Indem-
nisation des Victimes d'Infractions) est forte puisque les
deux parties disposent juridiquement des mêmes moyens

17. Conseil de l'Europe, Rapport sur la décriminalisation, Stras-


bourg, 1980.
18. Jacqueline BERNAT de CELIS, « Les grandes options de poli-
tique criminelle, la perspective de Louk Hulsman, Archives de Politi-
que Criminelle, n° 5, Pédone, 1982, p. 13 et s.
Introduction à la politique criminelle 49

pour faire valoir leur point de vue; la différence avec le


droit pénal, observe Mireille Delmas-Marty 19, étant que
« le juge civil ne peut faire profiter le défendeur du
bénéfice du doute: il est tenu de juger le litige sous peine
de déni de justice» (art. 4 du code civil).

La variante civile,
sous laforme du recours en indemnisation devant les CIVI
La loi du 6 juillet 1990 a élargi le champ de
l'indemnisation d'une victime d'infraction pénale.
Cette réparation se veut désormais intégrale pour les
victimes d'atteintes à la personne dès lors que les faits ont
entraîné le décès, une incapacité permanente ou que
l'incapacité totale de travail est égale ou supérieure à un
mois, cette condition n'étant pas exigée en matière
d'atteintes sexuelles. Dans ce cas, la variante civile n'est
pas alternative de la variante pénale, elle fonctionne en pa-
rallèle, indépendamment de la variante pénale. Une com-
mission d'indemnisation des victimes d'infractions péna-
les existe auprès de chaque tribunal de grande instance. Il
est fait appel pour siéger dans cette commission, qui a le
caractère d'une juridiction civile, à deux magistrats ainsi
qu'à une personne s'étant signalée par l'intérêt qu'elle
porte, aux problèmes des victimes. Cette composition
même, manifeste l'intérêt de la relation aux instances so-
ciétales. La personne choisie l'est fréquemment au sein
des services ou associations d'aide et d'information aux
victimes. L'une des tâches de ces associations est préci-

19. Mireille DELMAS-MARTY, op. cÎt. Modèles et mouvements


de politique criminelle, p. 93.
50 Christine Lazerges

sément de constituer pour des victimes le dossier de de-


mande d'indemnisation présenté à la CIVI 20.

d - La variante de médiation
Médiation est entendue au sens le plus large et englobe
la médiation proprement dite, l'arbitrage et la conciliation.
Ces formules alternatives sont préconisées par les
« abolitionnistes» de la variante pénale, elles se sont con-
sidérablement développées depuis la fin des années 1980
en France.
Citons le médiateur français institué à l'image de
« l'ombudsman» nordique par la loi du 3 janvier 1973,
mais il ne joue pas de rôle de régulation dans le domaine
de la politique criminelle.
On sait que nommé par décret en conseil des ministres
il reçoit simplement «les réclamations concernant dans
leurs relations avec les administrés le fonctionnement des
administrations de l'Etat, des collectivités publiques terri-
toriales, des établissements publics et de tout autre orga-
nisme investi d'une mission de service public» (art. 1er).
Les réclamations sont adressées au médiateur par
l'intermédiaire d'un député ou d'un sénateur (art. 6).
Ce médiateur n'est donc pas compétent en cas de
conflit entre particuliers. Il n'intervient pas en outre en cas
de conflit grave relatif aux libertés individuelles.

20. Circulaire du 13 juillet 1998, La politique pénale d'aide aux


victimes; V. Marie-Noëlle Lienemann, Pour une nouvelle politique
publique d'aide aux victimes, Rapport au Premier Ministre, mars
1999 ; Anne d'Hauteville, « Le droit des victimes» ln ouvrage col-
lectif Droits et libertés fondamentaux, (Rémy Cabrillac, Marie-Anne
Frison-Roche, Thierry Revet) , 5ème éd. Dalloz, 1999.
Introduction à la politique criminelle 51

En droit positif, signalons dans le cadre des conflits


collectifs du travail, les procédures de la médiation et de
l'arbitrage organisées par le Code du travail (art. L 524-
1 et s. et L 525-1 et s. du Code du travail).
Le médiateur après avoir essayé de concilier les parties
leur soumet sous forme de recommandation motivée des
propositions, en vue du règlement des points en litige.
L'arbitre, lui, sous la forme de l'arbitre privé ou du juge
arbitre impose une solution.
En politique criminelle quel que soit le type d'atteinte à
l'ordre public, on ne peut guère concevoir l'arbitrage
proprement dit se développer parallèlement à la voie
pénale, administrative et civile ou se substituer
radicalement à l'une de ces voies. Par contre la médiation
et la conciliation peuvent occuper un champ non
négligeable en matière d'infractions contre la famille par
exemple (abandon de famille, non représentation
d'enfants, etc...) et pourquoi pas contre les biens.
Louk Hulsman dans la parabole des cinq étudiants ne
préconise-t-il pas entre autres, la variante conciliatoire ? 21.
« Cinq étudiants vivent ensemble. A un moment donné,
l'un d'eux se jette sur la télévision et la brise; il casse
aussi quelques assiettes. Comment vont réagir ses
compagnons? Aucun d'eux n'est content, bien entendu.
Mais chacun, analysant l'événement à sa manière, peut
adopter une attitude différente. L'étudiant n° 2, furieux,
déclare qu'il ne veut plus vivre avec le premier, et parle de
le mettre dehors; l'étudiant n° 3 déclare: «il n'a qu'à
acheter une nouvelle télévision et d'autres assiettes, qu'il
paie." L'étudiant n° 4, très traumatisé par ce qui vient de
se passer, s'écrie: «il est sûrement, malade, il faut aller

21. Louk HULSMAN, Jacqueline BERNAT de CELIS, Peines


perdue. Le système pénal en question, Le Centurion, 1982.
52 Christine Lazerges

chercher un médecin, le faire voir par un psychiatre


etc... ». Le dernier enfin murmure: «Nous croyions bien
nous entendre, mais quelque chose ne doit pas marcher
dans notre communauté pour qu'un tel geste ait été
possible... Faisons tous ensemble un examen de
conscience» .
On a là presque toute la gamme des réactions possibles
face à un événement donné lorsque celui-ci est attribué à
une personne: le style punitif, les styles compensatoire,
thérapeutique, conciliatoire... Si l'on rendait aux person-
nes directement impliquées la maîtrise de leurs conflits, on
verrait s'appliquer fréquemment, à côté de la réaction pu-
nitive, d'autres styles de contrôle social; des mesures sa-
nitaires, éducatives, d'assistance matérielle ou psycholo-
gique, de réparation, etc... seraient décidées».
Certains conseils communaux de prévention de la dé-
linquance conduisent depuis le milieu des années 1980 des
expériences de conciliation dans le quartier même où le
trouble à l'ordre de la cité a été causé; les expériences
sont réalisées sur un mode plus informel que les centres
expérimentaux de justice de quartier mis en place par le
département de la justice dans certaines villes des Etats-
Unis, elles se rapprochent par contre des community
boards de San Francisco.
Les expériences françaises de conciliation puis de mé-
diation s'inscrivent à la frontière de la réponse étatique et
sociétale au phénomène criminel et manifestent cette par-
ticipation accrue de la société civile dans la mise en œuvre
de solutions aux problèmes posés par la délinquance ou la
déviance.
Introduction à la politique criminelle 53

Le législateur, par une loi du 4 janvier 1993, a consacré


22
la médiation pénale en complétant l'article 41 du Code
de procédure pénale. Cet article fait de la médiation pénale
un outil à part entière de l'action publique, donc nécessai-
rement de la politique criminelle, et l'inscrit avant la déci-
sion de poursuivre ou de ne pas poursuivre.
Lorsque la médiation pénale est exercée par un magis-
trat du parquet, elle s'apparente à un classement sans suite
sous condition. Lorsque la médiation est déléguée à une
personne ou une association habilitée à cet effet, elle con-
siste dans la recherche d'une solution librement négociée
entre les parties à un conflit né d'une infraction.
La loi du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la
procédure pénale offre de nouvel,les alternatives aux
poursuites dont la composition pénale (article 41-1 et s. du
code de procédure pénale).
Ne serait-ce que par la médiation pénale, le modèle
Etat-société démocratique est en mouvement, la
participation sociétale se développe, mais les relations
fondamentales qui continuent à caractériser ce modèle
imposent de l'intégrer aux modèles étatiques et non aux
modèles sociétaux.

B - Les modèles sociétaux


De tels modèles peuvent s'inscrire dans un système de
réponses au phénomène criminel distinguant ou non
l'infraction de la déviance. Dans le modèle Société péri-
étatique, la référence sous-jacente demeure l'Etat. Dans le

22. Christine LAZERGES, Médiation pénale, justice pénale et po-


litique criminelle, Revue de science criminelle et de droit pénal com-
paré, 1997, p. 186 et s.
54 Christine Lazerges

modèle Société du regard permanent, la politique


criminelle se manifeste en toute indépendance de l'Etat.

1 - Le modèle Société péri-étatique


Formule: I-Re-
I-Rs+
D-Re-
D-Rs+
La caractéristique du modèle est la réponse sociétale
dominante à l'infraction, soit parce qu'il y a défaillance de
l'Etat (variante protestataire), soit sur-motivation de la
victime pour suppléer l'Etat (variante d'auto-défense), soit
enfin parce que la société civile par l'intermédiaire de
groupes professionnels et corporatifs prend en charge les
troubles à l'ordre public (variante disciplinaire).

a - La variante protestataire
La passivité de l'Etat ou la disparition de l'Etat, son
éclatement (le Liban hier) expliquent la variante
protestataire.
Le droit étatique a perdu toute effectivité ou
n'incrimine pas un comportement considéré comme
dangereux, délictueux par le groupe social; se mettent
alors en place des formules sociétales de substitution au
silence de l'Etat ou des Etats. On pense au rôle que joue
l'association «Amnesty international» en matière de
défense des droits de I'homme. On pense aux « tribunaux
d'opinion» qui ponctuellement émergent comme le
« tribunal Russel» pendant la guerre du Vietnam.
Dans l'ordre interne la pression d'associations
d'écologistes en matière de protection de l'environnement
ou d'associations de consommateurs en matière
Introduction à la politique criminelle 55

d'application du droit de la consommation n'est pas


indifférente. Cette pression a suscité dans un premier
temps la réponse étatique (passage au modèle Etat-société
démocratique, ou Etat autoritaire) et favorise dans un
second temps l'effectivité du droit étatique.

b - La variante d'auto-défense
Dans ce cas, la réponse à l'infraction sera individuelle
et émanera de la victime elle-même, elle pourra se
superposer à une réponse étatique considérée en général
insuffisante par la victime, ou tendre à suppléer l'absence
de réponse étatique.
La victime potentielle répondra sur un mode préventif
lorsqu'elle mettra en place, par exemple, des mécanismes
d'auto-défense, mais sa riposte pourra aussi bien être
réactionnelle. La presse se fait bien souvent l'écho de
drames de l'auto-défense.
Les sociétés de gardiennage et de surveillance dont on a
cherché la moralisation par une loi du 12 juillet 1983,
correspondent à la variante d'auto-défense. L'Etat de droit
ne peut tolérer ce type de sociétés qu'en ce qu'elles
agissent préventivement uniquement, ou en état de
légitime défense.
L'Etat de droit fait de la légitime défense une
institution juridique, il rejette l'auto-défense réactionnelle
en marge des conditions de la légitime défense.

c - La variante disciplinaire
La mise en lumière de cette variante n'est pas la
conséquence d'une défaillance de l'Etat mais de
l'existence de structures intermédiaires, souvent
56 Christine Lazerges

professionnelles, qui s'interposent entre le déviant ou le


délinquant et l'Etat.
En France, la variante disciplinaire est sous le contrôle
de l'Etat. L'exercice du pouvoir disciplinaire est soumis
au contrôle des tribunaux de l'Etat, le plus souvent le
contrôle n'est pas un contrôle en opportunité, mais
seulement en légalité.
On peut citer des exemples de variante disciplinaire
autonome dans l'élaboration et l'application de « codes de
conduites» propres à tel ou tel groupe professionnel. Il en
est ainsi des «Principes directeurs à l'intention des
entreprises multinationales» adoptés en 1976 par l'OCDE.
Les textes de ce type n'ont pas valeur impérative, mais
simple valeur de recommandation.

2 - Le modèle Société du regard permanent


Formule: ID-Re-
ID-Rs+
Mireille Delmas-Marty considère ce modèle comme
caractéristique des sociétés où le regard de chacun sur les
autres constitue la réponse permanente à l'infraction et à la
déviance confondues.
Le regard permanent des uns sur les autres peut prendre
une forme vindicatoire plus ou moins ritualisée ou une
forme communautaire.
La réponse communautaire du groupe s'exprimera
éventuellement par une stratégie d'exclusion, ou alors par
un jeu de rôle symbolique substitué à la violence.
«Ainsi dans la communauté esquimau, celui qui
chassait insuffisamment (forme de déviance) et dont la
famille devait alors être prise en charge par le groupe
devenait l'objet d'un chant satirique lors des séances de
Introduction à la politique criminelle 57

danses. Il encourait de nombreuses plaisanteries qui ne


cessaient qu'à partir du moment où il avait modifié son
comportement» 23.
Plus proches de nous sont les expériences de prise en
charge communautaire de comportements qualifiés de
déviants au sens large.
Un îlotier, un comité de quartier dont le rôle est de
désamorcer des conflits naissants, ne cherchent-ils pas à
exercer ce regard permanent sur le groupe? Un conseil
communal de prévention, qui représente idéalement une
forme de regard permanent sur l'ordre de la cité, a bien
pour objet en amont de prévenir les conflits outre son rôle
en aval d'acteur de la réinsertion.
Avec l'exemple du conseil communal de prévention de
la délinquance, cité à propos du modèle Société du regard
permanent et du modèle Etat-société démocratique, on
mesure et la force et les limites des modèles de politique
criminelle décrits par Mireille Delmas-Marty. Instruments
de lecture intelligente de la réalité, d'une réalité mouvante,
ils sont remodelés par cette réalité, mais non « en dérive»
selon l'expression de Mireille Delmas-Marty elle-même,
tant que les relations dites fondamentales qui les caractéri-
sent ne sont pas bouleversées.
Aucune politique criminelle, aussi cohérente apparaît-
elle, dans un Etat donné à un moment donné, ne renvoie à
un unique modèle de politique criminelle. Pour chaque
politique criminelle, l'un ou l'autre des modèles n'est
qu'une référence principale.
Ainsi, en va-t-il de la politique criminelle française
soumise au stade de son élaboration au poids des idéolo-

23. Mireille DELMAS-MARTY, op. cil., Modèles et mouvements


de politique criminelle, p. 145.
58 Christine Lazerges

gies et des courants politiques. La référence dominante est


une référence au modèle Etat-société démocratique, co-
existent des renvois ponctuels au modèle Etat autoritaire et
des formes sous-jacentes de réponses communautaires au
phénomène criminel, caractéristiques des modèles socié-
taux 24.
Au stade de sa réception, réception souvent conflic-
tuelle, qui doit maintenant être analysée, le caractère éclaté
de la politique criminelle est saisissant malgré un
mouvement global renforçant le caractère participatif de la
politique criminelle.

24. Christine LAZERGES, « Les conflits de politique criminelle »,


Archives de Politique Criminelle, n° 7, Pédone, 1984, p. 37 et s.
Deuxième partie

La réception d'une politique criminelle

L'enjeu, c'est celui de l'effectivité et de l'efficacité


d'une stratégie que l'on veut préventive et répressive
lorsqu'il s'agit de politique criminelle.
Le législateur, dans l'exemple français, va voter des
textes, successivement dans le temps, dont la cohérence
n'est pas toujours évidente.
Décrets et circulaires vont venir amplifier l'inflation
législative proprement dite. Le juge interprétera ces textes,
les juges, devrait-on dire, interpréteront diversement ces
textes. Certains d'entre eux prendront du poids, d'autres
seront éludés. A l'audace du législateur, on opposera la
timidité des magistrats ou au contraire à l'insuffisance du
législateur répondra l'imagination du pouvoir judiciaire et
du corps social.
Parler de réception d'une politique criminelle conduit à
distinguer, pour quelque fois les opposer, la politique
criminelle législative (Chapitre 3) et la politique criminelle
judiciaire (Chapitre 4). Parce que la perception de la
politique criminelle par les citoyens peut conditionner sa
60 Christine Lazerges

réception, une réflexion s'impose sur les modes de


production d'un consensus autour d'une politique
criminelle. Peut-être est-on conduit alors à plaider pour
une politique criminelle participative (Chapitre 5) ? Celle-
ci impliquerait l'adhésion des citoyens ou des habitants et
leur association à la mise en œuvre de toute politique
criminelle.
3

La politique criminelle législative

Si le lieu d'expression finale de la politique criminelle


législative n'était que le code pénal, le travail de
l'interprète serait relativement simple. Mais on le sait déjà,
le droit pénal déborde largement le Code pénal, lui-même
sous-ensemble de la matière pénale, expression à laquelle
la Cour européenne des droits de l'homme a donné une si-
gnification autonome en l'appliquant à des systèmes de
sanctions qui ne relèvent pas seulement en droit interne du
droit pénal « stricto sensu ». Ainsi, les systèmes de sanc-
tions disciplinaires et de sanctions administratives font
partie de la matière pénale et sont assujettis par exemple à
l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme.
Quant à la politique criminelle, jouant de l'ensemble
des réseaux de sanctions, elle ne peut être qu'à stratégie
différenciée avec pour noyau dur le code pénal.
On fut confronté en France, sans arriver à le résoudre
pendant longtemps, au problème de la re-codification du
droit pénal. La France n'est dotée d'un nouveau code pé-
62 Christine Lazerges

nal, remplaçant le code pénal de 1810, que depuis le 1er


mars 1994.
Une première commission de révision du code pénal
avait été nommée dès 1887. Elle publia en 1892 les 112
premiers articles du projet qui devait constituer la partie
générale du nouveau code.
Une deuxième commission, la commission Matter par-
vint en 1932 à la publication d'un avant-projet de Code
pénal, puis à celle d'un projet définitif en 496 articles.
Une troisième commission fut mise en place par le Mi-
nistère de la justice en 1974. Elle a publié, en 1976, la
partie générale d'un avant-projet dit définitif du code pé-
nail.
La quatrième et dernière commission, en date, sous la
présidence du Garde des sceaux lui-même, Robert Badin-
ter, s'est mise à l'œuvre dès novembre 1981. Le projet
rendu public dans sa partie générale en juin 1983, a été
modifié et complété par une partie spéciale, pour être
soumis et adopté par le conseil des ministres en février
1986, sans être mis ensuite à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale ou du Sénat.
« L'affaire» de la révision du code pénal fut relancée
par le Président de la République dans ses vœux aux fran-
çais, le 31 décembre 1988.
Une solution pragmatique et modeste fut retenue. Le
code pénal ne serait pas adopté en un seul bloc mais en
lois successives conformément à son organisation interne.
La navette parlementaire débuta en mai 1989 au Sénat. En
juillet 1992, les quatre premières lois sont promulguées,
elles constituent les quatre premiers livres du code pénal.

1. Avant-projet définitif du code pénal, La documentation fran-


çaise, 1978.
Introduction à la politique criminelle 63

Un cinquième livre complète le code pénal, qui fut mis en


application Ie 1er mars 1994 2.
Malgré la mise en vigueur d'un nouveau code pénal, on
demeure confronté au problème général de l'inflation lé-
gislative et réglementaire et plus particulièrement à celui
de l'inflation de textes pénaux ou non, porteurs de politi-
que criminelle, sous la forme d'un message pour la politi-
que criminelle ou d'un projet de politique criminelle.
Désordre, souvent dans l'expression des politiques cri-
minelles, dispersion extrême. Au travers de ce désordre et
de cette dispersion, en simplifiant, il est possible de lire
une évolution en dents de scie. L'accent serait tantôt
d'abord mis sur l'acte déviant ou délictueux, tantôt
d'abord mis sur la personnalité de l'auteur de l'acte:
- par souci de légalisme et d'égalitarisme formel, il n'y
aurait d'autre politique criminelle que celle consistant à
prononcer pour l'acte commis une peine ne pouvant excé-
der le maximum prévu par la loi, avec l'idée qu'à tel acte
commis doit correspondre une peine certaine;
- par souci d'humanisme, de solidarité et d'efficacité, la
loi ne serait véritablement de politique criminelle que si
elle permet d'individualiser la sanction ou le contrôle so-
cial pour favoriser l'insertion des délinquants et des dé-
viants 3.

2. Robert BADINTER, Projet de nouveau code pénal, Dalloz,


1988 ; Henri LECLERC, Le nouveau code pénal, Points, Seuil, 1994 ;
Christine LAZERGES (sous la direction de), Réflexions sur le nou-
veau code pénal, Pédone, 1996.
3. Jean-Yves DAUTRICQURT, « De la loi pénale à la loi de po-
litique criminelle », Archives de Politique Criminelle, n° 2, Pédone,
1977, p. 83 et s.
64 Christine Lazerges

La peine peut alors ne pas être certaine, mais


« décrochée» du délit selon l'expression du Doyen Car-
bonnier 4.
La politique criminelle législative n'a pas une histoire
linéaire, elle suit des itinéraires croisés, juxtaposés; les
paysages qu'elle offre ne plairont pas aux mêmes.
L'insécurité, l'électeur et l'homme délinquant sont les
trois soucis inconciliables du législateur. Eclatement donc
de cette politique criminelle, mais au travers duquel nous
voulons cependant discerner une logique, un embryon de
rationalité dans la stratégie conduite depuis 1945, malgré
certaines expériences apparaissant comme des cassures
dans l'évolution.
Nous prendrons quatre exemples d'ensembles législa-
tifs porteurs d'un message et même d'un projet de politi-
que criminelle pour illustrer ces propos introductifs: la loi
« sécurité et liberté» du 2 février 1981, le titre III du livre
1er du code pénal sur les peines, le droit des mineurs et le
droit des victimes.

A - Le discours de politique criminelle du législateur


dans la loi « sécurité et liberté »
Avec la loi du 2 février 1981 renforçant la sécurité et
protégeant la liberté des personnes, dite « Sécurité et li-
berté », on assiste à l'ébauche d'un processus de décamou-
flage de la répression en réponse au sentiment d'insécurité
et à la conviction de beaucoup que l'institution judiciaire
ne remplit pas sa mission. «Loi alibi », dira un haut ma-
gistrat, loi expression d'un droit pénal, siège d'une répres-
sion organisée à visage ouvert et non couvert, ajouterons-

4. Jean CARBONNIER, « La peine décrochée du délit », Mélan-


ges Legros, Bruxelles, 1985, p. 23 et s.
Introduction à la politique criminelle 65

nous, loi symbole en tout cas d'une rupture recherchée


avec la politique criminelle centrée sur l'auteur de l'acte
délictueux, conduite jusqu'alors. Cette loi fut votée par le
parlement en février 1981, mais contestée par une large
partie de l'opinion dès le dépôt du projet, ceci explique
une réception difficile par les autorités judiciaires et une
abrogation partielle le 10 juin 1983.
La loi « sécurité et liberté », sur un mode insidieux ou
parfois manifeste, participe à l' objectivation dans le droit
pénal moderne. Nous analysons ainsi son message pour la
politique criminelle. Le sujet délinquant est occulté au
profit de l'acte délictueux, d'une certaine façon, le magis-
trat du siège, juge indépendant, est supplanté par le repré-
sentant du ministère public qui voit en divers domaines ses
pouvoirs confortés.

1 - L 'objectivation insidieuse
Les options nettes prises par la loi "sécurité et liberté"
dans le choix des faits à incriminer et à réprimer en prio-
rité ainsi que la souplesse dans la définition de certaines
infractions, sont signes de cette tendance à l'objectivation
dans le droit pénal.

a - La netteté des options dans le choix des faits à


incriminer et à réprimer en priorité
Il suffit de lire l'article 1er de la loi du 2 février 1981
pour pressentir clairement les options prises par le
législateur en matière de faits à incriminer et à réprimer
avec une attention particulière.
Ainsi aux termes de ce texte: « les atteintes par la
violence aux personnes et aux biens sont poursuivies
conformément aux dispositions ci-après, dont l'objet est à
66 Christine Lazerges

la fois de protéger la liberté de l'individu, de renforcer sa


sécurité et de combattre la criminalité en assurant la
célérité de la procédure et la certitude de la peine».
L'insécurité, affirme l'exposé des motifs, naît de la
violence; lutter contre l'insécurité, c'est lutter contre la
violence sous des formes variées. Un droit pénal de la
violence est consacré et le choix d'infractions, de formes
de violence visées pour les réprimer plus durement et plus
certainement, n'est pas neutre et sans signification.
Ces formes de violence ciblées sont diverses, elles
comportent des incriminations anciennes dont la définition
est ou n'est pas modifiée, et des incriminations nouvelles.
On peut citer parmi les incriminations anciennes dont la
définition est modifiée, l'association de malfaiteurs. Alors
que les dispositions de l'article 265 de l'ancien code pénal
ne permettaient de réprimer une telle association que si les
crimes projetés étaient multiples, les nouvelles
dispositions permettront Gusqu'à l'abrogation du nouvel
article 266 en juin 1983) de punir la préparation (avant
même que la tentative au sens du droit pénal ne soit
constituée) d'un seul crime, ou même d'un seul délit,
lorsqu'il s'agit d'un des délits appartenant à une liste
établie par le législateur de 1981.
Le nouveau code pénal dans son article 450-1 revient
aux dispositions de 1981 : politique criminelle en dents de
scie qui ne sait comment concilier impératifs de la répres-
sion et respect des principes fondamentaux du droit pénal
français.
Quant aux incriminations nouvelles de violence, elles
comprendront des délits aussi différents que les délits ac-
compagnés de tortures ou d'actes de barbarie, et l'entrave
à la circulation des trains sans l'intention de provoquer un
déraillement.
Introduction à la politique criminelle 67

Ce droit pénal de la violence est modelé par le législa-


teur en marge de ce qu'on appelle la délinquance astu-
cieuse dont le coût économique est peut-être important,
mais sans accroître le sentiment d'insécurité, a-t-on esti-
mé.
Alors que pour le code pénal de 1810, « les délits de
vol, escroquerie et abus de confiance étaient considérés
comme étant au point de vue de la récidive, un même délit
(article 58, alinéa 3), le texte du 2 février 1981 faisait
échapper au régime pénal rigoureux des infractions dites
de violence, l'escroquerie et l'abus de confiance ainsi que
toute forme de violence économique plus insidieuse.
Il apparaît immédiatement que ce droit pénal de la
violence est celui dont les médias parlent le plus
ouvertement et fréquemment, exacerbant le sentiment
d'insécurité. A travers les actes visés c'est une population
relativement homogène souvent déjà marginale à d'autres
égards qui fut visée, celle qui constitue 90% de la
population pénale détenue.

b - La souplesse dans la définition


de certaines infractions
Les rédacteurs du projet «sécurité et liberté» ne
s'étaient pas cachés du désir de simplifier les
incriminations dans le but de les adapter aux formes
modernes de la délinquance et d'embrasser autant que
faire se peut la totalité des comportements à considérer
comme délictueux.
Un tel objectif ne pouvait être atteint sans une rédaction
relativement vague de certains textes, par exemple par
l'utilisation de formules du type: «par quelque moyen
que ce soit» ou « de tout autre moyen» dans la définition
de certaines infractions.
68 Christine Lazerges

Les tergiversations au sujet des formules imprécises


ressortent de la lecture des débats parlementaires.
Plusieurs députés durent rappeler qu'un principe général
du droit voulait que les qualifications soient précises. Au
nom de cette exigence de précision, la tentative de
menaces, incriminée dans le projet de loi, a disparu ensuite
au cours des débats.
Au regard de l'efficacité d'une politique criminelle, qui
se voudrait avant tout répressive, l'existence d'infractions-
cadre est judicieuse, mais contestable au plan du respect
du principe de la légalité des délits et des peines et de celui
de l'interprétation stricte.
En droit français, la conception de la légalité est stricte
au niveau de l'incrimination, souple au niveau de la
sanction. Cette idée générale, en raison d'un discours
ponctuel de politique criminelle tendait à s'inverser avec
la loi « sécurité et liberté ».
Parler d'une conception stricte de la légalité au regard
de l'incrimination, c'est exiger que le rapport de
conformité entre les faits et la loi puisse être établi
honnêtement, donc que la loi soit suffisamment précise.
Dans le cas contraire, l'exigence d'un constat de
conformité devient un leurre, l'interprétation ne pourra pas
être déclarative et sera fonction du juge du siège ou du
magistrat du parquet. Le premier magistrat qui fait œuvre
d'interprète est le représentant du ministère public, appelé
à donner un sens précis à des qualifications souples ou
non, au moment où se pose la question de l'opportunité
des poursuites. Le parquet, en raison de son statut actuel,
est un relais de la politique criminelle législative et
gouvernementale, relais d'autant plus efficient que les
textes fondant les poursuites laisseront place à
l'interprétation. En ce sens le parquet, s'il fonctionne
effectivement comme un relais peut être considéré comme
Introduction à la politique criminelle 69

un instrument d'objectivation par application d'instruc-


tions générales de politique pénale.

2 - L 'objectivation manifeste
Sont signes d'objectivation manifeste la régression de
la part du juge dans le choix de la sanction et dans
l'exécution de cette sanction. Ces signes révèlent
l'évacuation non voilée de la personne du délinquant au
profit de l'acte commis.
L'un des buts de la loi du 2 février 1981 était de
restaurer la certitude de la peine. Cet objectif ne pouvait
être atteint sans lutter contre le décalage entre les peines
encourues et les peines prononcées d'une part, et le
décalage entre les peines prononcées et les peines
effectivement exécutées d'autre part.

a - La part du juge dans le choix de la sanction


La politique criminelle législative d'individualisation
de la peine connut momentanément un réel changement
de cap avec la loi « sécurité et liberté ».
La préoccupation de personnalisation de la sanction
conduit le juge à assumer des écarts quelquefois très
importants entre les peines prévues par les textes et les
peines prononcées en fait, au point que la peine peut
paraître «décrochée» du délit. La loi «sécurité et
liberté» cherchait à réduire ces écarts très simplement en
objectivant des mécanismes tel que celui de la récidive,
des circonstances atténuantes, des sursis ou encore des
peines de substitution à l'emprisonnement mais pour les
délits de violence uniquement. Le législateur eut une
stratégie si précise ou si ciblée, qu'il n'uniformisa pas le
fonctionnement des modalités d'individualisation de la
70 Christine Lazerges

sanction citée, quel que soit le type d'acte commis. Il créa


un régime propre de l'individualisation des peines pour les
seules infractions dites de violence.
Prenons un unique exemple, celui du sursis avec mise à
l'épreuve. En droit pénal commun (hors les délits de vio-
lence), ce sursis peut être accordé indépendamment du
passé pénal du délinquant. Avec la loi "sécurité et liberté",
dans le champ du droit pénal de la violence, le sursis avec
suivi éducatif que peut être le sursis avec mise al' épreuve,
devient exclu lorsque dans les cinq ans qui ont précédé les
faits, le prévenu a déjà été poursuivi pour l'une des infrac-
tions de violence énumérées et condamné a une peine cri-
minelle ou à une peine d'emprisonnement avec ou sans
sursis, égale ou supérieure à un mois.
Ainsi les magistrats, jusqu'à l'abrogation de ces discri-
minations en juin 1983, n'étaient plus à même de
prononcer le sursis avec mise à l'épreuve dès lors qu'un
délinquant avait déjà été condamné à six mois
d'emprisonnement avec sursis pour un vol avec effraction,
par contre peu importait que ce délinquant ait déjà fait
l'objet d'une condamnation pour escroquerie; cette
dernière infraction n'étant pas considérée comme un délit
de violence.
C'est bien à une objectivation sélective dans le droit
pénal que conduisait de nombreux articles de la loi
« Sécurité et liberté », amoindrissant la part du juge dans
le choix de la sanction; ce phénomène d'objectivation
manifeste se retrouve au stade de l'exécution de la
sanction.

b - La part du juge dans l'exécution de la sanction


La tendance à la limitation des pouvoirs du juge chargé
de l'exécution des sanctions, c'est-à-dire du juge de
Introduction à la politique criminelle 71

l'application des peines, sensible depuis une loi du 22


novembre 1978, s'est renforcée brutalement avec la loi
« Sécurité et liberté ».
Le juge de l'application des peines, pièce majeure pour
le législateur depuis 1958 d'une politique criminelle
centrée sur la réinsertion, est signe de ce que l'action de la
justice répressive ne s'arrête pas au prononcé d'une
sanction mais voit son terme avec le terme de l'exécution
de la sanction. En outre, le juge de l'application des
peines, dont on évoque souvent la solitude, bien qu'il
puisse s'appuyer sur le service pénitentiaire d'insertion et
de probation (SPIP), préfigurait un tribunal de
l'application des peines jusqu'à la loi du 15 juin 2000
renforçant la protection de la présomption d'innocence et
les droits des victimes qui prévoit la juridictionnalisation
des décisions du juge de l'application des peines 5.
Ce magistrat fut fortement limité dans ses pouvoirs le 2
février 1981 par les nouvelles compétences de la
commission de l'application des peines, et par là même,
par un contrôle accru du procureur de la République,
membre de la commission de l'application des peines.
Depuis 1972 existe dans tous les établissements
pénitentiaires une commission de l'application des peines
répondant à une demande fondamentale de l' adminis-
tration pénitentiaire. Le juge de l'application des peines en
est de droit le président.

5. Pierrette PONCELA, « La juridictionnalisation de l'exécution


des peines », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé,
n° 4, 2000 ; Christine LAZERGES, «De la judiciarisation à la juri-
dictionnalisation de l'exécution des peines par la loi du 15 juin 2000
renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes »,
Mélanges Couvrat, 2001.
72 Christine Lazerges

La commission comprend en outre un représentant du


parquet, le chef d'établissement, les membres du
personnel de direction, le surveillant-chef, les éducateurs
et assistants sociaux, le médecin et le psychiatre. A titre
permanent ou pour une séance déterminée le juge de
l'application des peines peut appeler à siéger les
fonctionnaires ou personnels contractuels ou vacataires
ayant des fonctions dans la prison. La commission de
l'application des peines devait être consultée, sauf
urgence, par le juge de l'application des peines chaque fois
qu'il prenait une décision concernant le régime applicable
à un condamné (placements à l'extérieur, semi-liberté,
réductions de peines, fractionnements et suspensions de
peine, autorisations de sortir, libération conditionnelle).
Les lois du 22 novembre 1978 et du 2 février 1981 ont
l'une et l'autre limité les pouvoirs du juge de l'application
des peines en donnant voix délibérative non plus
seulement à ce magistrat mais aussi au procureur de la
République et au directeur de l'établissement, et en
imposant que certaines décisions soient prises à
l'unanimité des trois membres à voix délibérative de la
commission de l'application des peines.
Ces dispositions permettent de parler d'une politique de
transfert de compétences d'un magistrat du siège à une
commission administrative en matière d'exécution des
peines, expression d'une rupture avec la tendance domi-
nante depuis 1958 à la judiciarisation des peines ou même
à la juridictionnalisation des peines.
Pour certaines peines, et pour certains délinquants, ceux
qui n'ont pas commis d'infraction de violence, le juge de
l'application des peines conservait ses attributions
anciennes; pour d'autres infractions et d'autres
délinquants, les auteurs de délits de violence, ce juge
devenait l'instrument d'une politique administrative de
Introduction à la politique criminelle 73

l'exécution des sanctions, qu'il ne pouvait plus orienter


seul en fonction de la personnalité et des gages de
réinsertion sociale de tel ou tel condamné.
La loi du 10 juin 1983, portant abrogation ou révision
de certaines dispositions de la loi « sécurité et liberté », a
pour l'essentiel réintégré le juge de l'application des
peines dans ses pouvoirs anciens. La volonté du législateur
de renouer avec la politique criminelle conduite jusqu'à la
parenthèse «sécurité et liberté» suivant l'expression
retenue par de nombreux interprètes, est consacrée. La
solution la plus judicieuse aurait été à l'évidence de
juridictionnaliser la phase d'exécution des peines. Cette
réforme n'a été réalisée que dix-sept ans plus tard par la
loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes.

B - Le discours de politique criminelle du législateur


dans le titre III du livre 1er du code pénal
« Des peines»
Le nouveau code pénal français est un texte de consen-
sus, au point qu'aucun groupe parlementaire n'a soumis le
texte au Conseil constitutionnel, pourtant saisi systémati-
quement depuis une vingtaine d'années des principales ré-
formes pénales.
Ce choix du consensus a un prix, le nouveau code pénal
est un ouvrage prudent placé sous le signe de la continuité.
Sans nul doute il modernise le droit pénal dans sa présen-
tation, dans son expression, dans son contenu, mais l'idée
même de modernisation exclut celle de bouleversement,
de révolution. Le nouveau code pénal tente une adaptation
simplement aux besoins de cette fin de siècle. Le titre III
du livre 1er intitulé «Des peines» en est un excellent
exemple.
74 Christine Lazerges

Le titre III comme l'ensemble du livre 1er (Dispositions


générales) dans lequel il est inclus, présente la qualité
principale de rassembler des textes qui pour des raisons
historiques ou conjoncturelles, étaient répartis de façon
peu logique entre le Code pénal et le Code de procédure
pénale.
Son défaut le plus grave est de laisser croire que la ré-
ponse à la commission d'une infraction se réduit à la peine
proprement dite ou à la réponse pénale proprement dite,
alors que la réalité est beaucoup plus complexe. La diver-
sification des réseaux de sanctions est en pleine expansion.
Le parlement aurait du rendre compte dans un chapitre
préliminaire du titre III du livre 1er de l'existence de plu-
sieurs réseaux de sanctions (administratives, disciplinaires,
civiles, médico-thérapeutiques, de médiation etc...). En
n'en rendant pas compte, le législateur en reste au droit
pénal stricto sensu sans évoquer même la matière pénale 6
Le manque d'audace du législateur est flagrant, son
discours n'en demeure pas moins un discours de moderni-
sation se traduisant et par une mise en ordre et par une di-
versification apparente des peines.
En matière criminelle, l'enfermement peut être au-
jourd'hui assorti d'une peine d'amende et n'est pas exclu-
sif d'une ou de plusieurs peines complémentaires. Parmi
les peines correctionnelles, on trouve aux côtés de
l'emprisonnement: l'amende, le jour-amende, le travail
d'intérêt général, les peines privatives ou restrictives de
droit prévues à l'article 131-6, ainsi que les peines com-
plémentaires prévues à l'article 131-10 du Code pénal.

6. Mireille DELMAS-MARTY, Christine LAZERGES, A propos


du nouveau code pénal français, Revue de Droit Pénal et de Crimino-
logie, 1997, p. 133 et s.
Introduction à la politique criminelle 75

La peine de prison est supprimée dans la gamme des


peines contraventionnelles qui comportent désormais:
l'amende et les peines privatives ou restrictives de droit
prévues à l'article 131-14.
L'apparente diversification des peines principales dans
la partie générale du Code pénal (livre 1er) se heurte à un
obstacle majeur, en ce que les peines de référence dans les
textes de droit pénal spécial demeurent l'emprisonnement
et l'amende.
Comme l'affirme Michèle Perrot: « L'emprisonnement
demeure envers et contre tout la peine de référence et la
prison demeure au cœur du dispositif pénal... La prison
subsiste par inertie parce qu'elle est un mode de gestion
commode des illégalismes » 7.
Et pourtant, on le sait, l'entreprise d'orthopédie sociale
si bien analysée par Michel Foucault a échoué. « Peut-être
avons-nous honte aujourd'hui de nos prisons, disait-il. Le
XIXème siècle lui était fier des forteresses qu'il construi-
sait aux limites et parfois au cœur des villes. Il
s'enchantait de cette douceur nouvelle qui remplaçait les
échafauds. Il s'émerveillait de ne plus châtier les corps et
de savoir désormais corriger les âmes. Ces murs, ces ver-
rous, ces cellules figuraient toute une entreprise d'ortho-
pédie sociale» 8.
Statistiquement la prison ne réconcilie, ni ne convertit,
ni ne réinsère. Sur les quelque 52 000 détenus au 1er jan-
vier 2000, près de 70% sont enfermés pour moins de six
mois et auront plus de chance de récidiver qu'avant un
séjour en établissement pénitentiaire. Les parlementaires

7 . Michèle PERROT, « Un code prisonnier de la prison », Libé-


ration, Il mai 1993.
8. Michel FOUCAULT, Surveiller et punir, Gallimard, 1976.
76 Christine Lazerges

le savent et pourtant l'emprisonnement demeure envers et


contre tout la peine de référence.
Au crédit du législateur de 1992, il faut tout de même
inscrire l'obligation de motivation des peines correction-
nelles d'emprisonnement prononcées sans sursis (article
132-19 du Code pénal) et la suppression des peines
d'emprisonnement en matière contraventionnelle.
Au crédit encore du législateur, notons un changement
de vocabulaire implicite, les anciennes peines de substitu-
tion à l'emprisonnement deviennent des peines alternati-
ves principales, tel est le cas du travail d'intérêt général ou
de la confiscation.
On est hésitant sur le point de savoir s'il faut inscrire au
crédit du législateur la suppression des circonstances atté-
nuantes, conséquence de la quasi suppression des minima
de peine.
Le code pénal ne maintient une peine plancher que pour
les crimes punis de la réclusion criminelle à perpétuité ou
de la détention criminelle à perpétuité (deux ans d'em-
prisonnement) et pour les peines de réclusion ou de déten-
tion à temps (un an d'emprisonnement).
Certains craignent que l'absence de minima dans la très
grande majorité des cas ne crée un phénomène
d'aspiration vers le haut. Les juges ne disposant plus que
d'une référence, le maximum prévu par chaque texte de
droit pénal spécial renforcerait la répression plutôt que de
l'adoucir. Les quelques études conduites depuis 1994 con-
cluent à un renforcement de la répression mais dont il est
difficile de dire s'il est dû à la suppression des minima de
peInes.
En définitive, le discours de politique criminelle du lé-
gislateur dans le titre III du livre 1er du code pénal qui
n'est pas un discours de rupture est bien résumé dans
Introduction à la politique criminelle 77

l'article 132-24 : « Dans les limites fixées par la loi, la ju-


ridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonc-
tion des circonstances de l'infraction et de la personnalité
de son auteur. Lorsque la juridiction prononce une peine
d'amende, elle détermine son montant en tenant compte
également des ressources et des charges de l'auteur de
l'infraction» .
Ce texte se situe en tête d'une section sur les modes de
personnalisation des peines, coincé entre un article sur la
période de sûreté et un article sur la semi liberté.
Parfaitement expressif d'une politique criminelle qui à
l'image du droit des mineurs est centrée sur la personnalité
de l'auteur de l'acte parce qu'elle veut combiner préven-
tion-sanction-réinsertion, cet article 132-24 devrait se si-
tuer en ouverture du titre III. En effet, il s'agit là d'un
principe directeur fondamental, insuffisamment mis en
avant dans un titre, décidément peu novateur de notre
nouveau code pénal.

C - Le discours de politique criminelle du législateur


dans les ordonnances du 2 février 1945 et du 23 dé-
cembre 1958 concernant l'enfance délinquante et
l'enfance en danger constituant droit des mineurs
Bien qu'il ait été beaucoup dit et écrit sur le rôle moteur
du droit des mineurs dans l'évolution de la politique cri-
minelle en France, nous insistons sur le discours du légis-
lateur en ce domaine, exemplaire à plusieurs égards.
Exemplaire, ce discours l'a été longtemps par son carac-
tère non partisan, il transcende le plus souvent les chan-
gements gouvernementaux et de majorité parlementaire.
Exemplaire ce discours l'est aussi par sa cohérence, un
authentique projet de politique criminelle à l'intention des
mineurs délinquants fut élaboré en 1945, complété par un
78 Christine Lazerges

projet de politique criminelle à l'intention des mineurs en


danger, souvent déviants, émanant de l'ordonnance du 23
décembre 1958 reprise par la loi sur l'autorité parentale du
4 juin 1970. L'ordonnance de 1945 n'est pas intégrée au
code pénal, elle fait partie des textes annexes, par contre
l'ordonnance de 1958 est intégrée au code civil. Un seul
juge, le juge des enfants, rencontre aussi bien mineurs dé-
linquants que mineurs en danger. La politique criminelle
conduite en faveur des mineurs présente la caractéristique
d'un programme global d'action sociale à charge des juri-
dictions pour mineurs, des directions régionales et dépar-
tementales de la protection judiciaire de la jeunesse, des
directions départementales de l'action sanitaire et sociale,
des services de l'aide sociale à l'enfance, des conseils gé-
néraux et du secteur associatif, largement impliqué.
Concertation, décloisonnement sont suggérés par les
textes. Ce n'est pas à dire que cette politique criminelle
incluant une forte participation sociétale soit sans faille et
ne fasse l'objet d'aucune critique.
La montée des violences urbaines, l'augmentation et le
rajeunissement de la délinquance des mineurs depuis
1993 9, ont conduit certains à s'interroger sur la validité
aujourd'hui du « pari éducatif» au cœur du dispositif mis
en place en 1945. Le rapport remis au Premier Ministre en
avril 1998, tranche clairement, l'essentiel de ses proposi-
tions est repris par une circulaire interministérielle du 6
novembre 1998 relative à la délinquance des mineurs 10.
Le rapport constate que l'ordonnance du 2 février 1945
demeure un texte subtil et pertinent offrant un panel de ré-

9. Bruno AUBUSSON de CAVARLA Y, « La place des mineurs


dans la délinquance enregistrée », Les cahiers de la sécurité inté-
rieure, n° 3, 1997, p. 17 et s.
10. Christine LAZERGES, Jean-Pierre BALDUYCK, Réponses à
la délinquance des mineurs, La documentation française, mai 1998.
Introduction à la politique criminelle 79

ponses allant de la simple admonestation à vingt ans de ré-


clusion criminelle si le mineur a plus de treize ans, et
même à la réclusion criminelle à perpétuité si le mineur a
plus de seize ans. Le discours de politique criminelle qui
en est le fondement repose sur la socialisation du mineur,
objectif d'une extrême actualité que seule pennet
d'atteindre une pédagogie de la responsabilité. En revan-
che, la vérité est que de nombreuses dispositions de ce
texte fondateur sont peu ou mal appliquées, souvent faute
de moyens.
L'illusion ne devait pas être donnée, pour les rappor-
teurs, qu'en changeant la loi, on répondrait mieux au pro-
blème de la délinquance des jeunes; par contre doivent
être donnés les moyens de réaliser les ambitions de la loi.
La réforme globale de l'ordonnance de 1945 n'est plus
à l'ordre du jour, tout en rappelant que le texte de 1945 a
connu une quinzaine d'ajustements dont le plus important
est peut-être l'article 12..1 introduit par une loi du 4 janvier
1993. Cet article offre une nouvelle réponse, l'activité de
réparation dont il est difficile de dire si elle est une mesure
éducative ou une peine.
Avec le travail d'intérêt général applicable aux mineurs
et l'activité de réparation, la séparation par trop tranchée
entre la mesure éducative et la peine s'estompe.
Le système de politique criminelle d'optionnel théori-
quement devient plus combinatoire.

l-Le mineur délinquant


La réponse à l'acte délictueux commis par un mineur
est étatique mais avec cette particularité qu'elle prendra en
principe la forme d'une mesure éducative et par exception
« si les circonstances et la personnalité du mineur parais-
80 Christine Lazerges

sent l'exiger» (art. 2 de l'ordonnance du 2 février 1945) la


forme d'une peine proprement dite. L'exception étant
d'ailleurs exclue pour les mineurs de moins de treize ans.
Pour autant, il est erroné de dire que le mineur délinquant
n'est pas responsable pénalement preuve en est qu'il est
traduit, dès lors qu'il a atteint l'âge de raison, devant une
juridiction pénale. Ne sont exclus du champ pénal que les
très jeunes enfants, cependant civilement responsables.
L'ordonnance de 1945 privilégie la personne de l'enfant
ou de l'adolescent, tout en prévoyant l'indemnisation de la
victime chaque fois que « la prévention est établie », c' est-
à-dire chaque fois que la preuve de la commission de
l'acte délictueux est rapportée.
Comme le fait remarquer le criminologue Jean Pina-
tel Il, le système de 1945 repose sur une connaissance aus-
si bonne que possible de I'histoire et de la personnalité du
mineur. En outre, le système de 1945 est interventionniste,
offrant au juge une gamme variée de mesures éducatives
entre lesquelles il peut choisir et qui sont au surplus es-
sentiellement révisables. Enfin ce système est anti-
carcéral: l'emprisonnement est prévu par les textes mais
ne devrait être utilisé qu'à titre exceptionnel.
Jean Genet, à 15 ans, à la colonie pénitentiaire de Met-
tray et bien d'autres, anonymes, n'ont-ils pas été détruits
par le carcéral? Ainsi peut-être résumée la politique cri-
minelle du législateur. Sa réception par le pouvoir judi-
ciaire et le pouvoir éducatif ne rendra pas toujours compte
des objectifs du parlement.

Il. Jean PINATEL, «Doctrine et pratique en matière de délin-


quance juvénile », Revue Internationale de Criminologie et de Police
Technique, 1983, p. 50 et s.
Introduction à la politique criminelle 81

2 - Le mineur en danger
Dans un Etat libéral, dont la politique criminelle ren-
verrait uniformément au modèle Etat-société démocrati-
que, le mineur en danger, pas même déviant forcément,
pourrait être abandonné au groupe social dans lequel il vit,
et la réponse à la situation de danger n'être que sociétale.
Or le législateur est intervenu prévoyant autoritairement
l'intervention de l'Etat dans les hypothèses où, au siècle
dernier, il était uniquement envisagé de priver le repré-
sentant légal de la puissance paternelle, où aujourd'hui
sans aller en général jusqu'à la déchéance de l'autorité pa-
rentale, une mesure d'assistance éducative sera prise.
« Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non
émancipé sont en danger, ou si les conditions de son édu-
cation sont gravement compromises, des mesures
d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à
la requête des père et mère conjointement ou de l'un
d'eux, du gardien ou du tuteur, du mineur lui-même ou du
ministère public. Le juge peut se saisir d'office à titre ex-
ceptionnel, dispose l'article 375 du Code civil ».
Songeons qu'on évalue à plus de 50 000 les seuls en-
fants violentés en France. Très diverses sont les situations
de danger pour un mineur où l'Etat, non pas «provi-
dence» mais plutôt «responsable », se doit d'intervenir
par l'intermédiaire d'un magistrat garant des libertés, en
l'occurrence le juge des enfants.
Le juge des enfants dispose là encore d'une palette de
mesures dont la mise en œuvre peut aussi bien être confiée
à des structures étatiques que privées « habilitées ».
Avec l'assistance éducative, on est 'en présence d'un
projet législatif de politique criminelle ne passant pas par
le droit pénal, consistant en réponses étatiques non pénales
à la situation de danger ou de déviance.
82 Christine Lazerges

La combinaison des ordonnances de 1945 et 1958


constitue un véritable programme cadre pour une politique
criminelle alliant ,la mobilisation des acteurs en amont de
la commission de l'acte délictueux et la mise en œuvre de
réponses renouvelées à l'acte délictueux de la part de la
justice. Prévention, répression et insertion sont en droit des
mineurs particulièrement bien conjuguées.

D - Le discours de politique criminelle du législateur


concernant le droit des victimes
Par touches successives, l'intérêt pour la victime a pris
corps petit à petit depuis le début du siècle annoncé par le
célèbre arrêt Laurent Atthalin du 8 décembre 1906, pour
devenir patent depuis le début des années 1980. Robert
Badinter, alors garde des sceaux, pouvait affirmer dans un
discours adressé aux membres de l'association française
de droit pénal en novembre 1983 : «Je m'efforce de sus-
citer et d'encourager depuis ma prise de fonction les ac-
tions en faveur des victimes qu'il s'agisse de l'accueil, de
l'information, de l'aide matérielle immédiate, du soutien
psychologique de l'enregistrement des plaintes... actions
qui trouvent leur prolongement naturel, devant la justice,
avec les réformes législatives votées le 8 juillet dernier.
Ces réformes seront prochainement complétées par le
projet de loi en cours d'élaboration qui consacrera enfin
un meilleur droit à réparation pour les victimes d'un acci-
dent de la circulation (la loi fut adoptée définitivement le 8
juillet 1985) ».
Quinze ans plus tard, Elisabeth Guigou, Garde des
Sceaux, dans l'introduction de la circulaire du 13 juillet
1998 sur la politique pénale d'aide aux victimes disait ce-
ci: «Les initiatives prises en faveur des victimes
d'infractions pénales depuis le début des années quatre
vingt se sont traduites par un développement des actions
Introduction à la politique criminelle 83

des services de l'Etat, des professionnels, des associations,


des collectivités locales mais aussi des citoyens et des vic-
times elles-mêmes. L'amélioration de la prise en compte
des victimes d'infractions par l'institution judiciaire est
devenue, au cours des deux décennies passées, l'un des
éléments essentiels de toutes les politiques pénales menées
tant au plan national que régional et local par les procu-
reurs généraux et les procureurs de la République. »
Le discours est le même dans le rapport sur la politique
publique d'aide aux victimes remis par Marie-Noëlle Lie-
nemann au Premier Ministre en mars 1999.
Unité du discours politique et avancées législatives ca-
ractérisent le regard posé sur la victime, devenue pleine-
ment acteur au procès pénal, au point que certains parlent
d'action publique partagée.
Favoriser la création et le fonctionnement d'associa-
tions d'information et d'aide aux victimes fut le premier
souci du bureau d'aide aux victimes créé au Ministère de
la justice en janvier 1982. Ces structures (associations ou
bureaux municipaux) sont aujourd'hui au nombre de 150.
Constituées en réseau national, elles sont fédérées par
l'Institut National d'Aide aux Victimes et de Médiation
(I.~.A.V.E.M.).
Quant au législateur, trois grandes lois marquent sa po-
litique de prise en compte des victimes:
la loi, du 8 juillet 1983 renforçant la protection des vic-
. ..t: . 12
tImes d InlractIons ,

12. Anne d'HAUTEVILLE, Le nouveau droit des victimes, Revue


Internationale de criminologie et de police technique, 1984, p.
437ets.
84 Christine Lazerges

la loi du 6 juillet 1990 modifiant le code de procédure


pénale et le code des assurances et relative aux victimes
d' infracti ons 13,
.

la loi du 15juin 2000 renforçant la protection de la pré-


somption d'innocence et les droits des victimes 14.
Ces textes conjugués facilitent l'action en justice, élar-
gissent la gamme des mesures conservatoires au profit des
victimes, permettent une indemnisation accélérée des
dommages et surtout, pour les victimes d'atteintes contre
les personnes, une réparation intégrale.

]-L'action en justice estfacilitée


C'est ainsi que lorsque les poursuites sont engagées par
le parquet, par une simple lettre recommandée avec avis
de réception envoyée par elle-même ou par son avocat, la
victime peut demander la restitution d'objets saisis ou des
dommages et intérêts.
En outre dans I'hypothèse d'une citation directe éma-
nant de la victime ou d'une plainte avec constitution de
partie civile sont exemptées de l'obligation de consigna-
tion les victimes ayant obtenu l'aide juridictionnelle.

2 - La gamme des mesures conservatoires au profit des


victimes est élargie
Les mesures conservatoires peuvent être ordonnées par
le juge des référés, magistrat très prisé, en raison de la ra-

13. Anne d'HAUTEVILLE, L'esprit de la loi du 6 juillet 1990, Re-


vue de Science criminelle et de droit pénal comparé, 1991, p. 149 et s.
14. Christine LAZERGES, Le renforcement de la présomption
d'innocence et des droits des victimes: histoire d'une navette parle-
mentaire, Revue de Science criminelle et de droit pénal comparé, p.
166 et s. ; Archives de Politique Criminelle, n° 22, Pédone, 2000.
Introduction à la politique criminelle 85

pidité de ses décisions. Il pourra par exemple allouer une


provision sur les indemnités, qui seront ensuite accordées
par le juge pénal, en réparation du préjudice subi.
Le juge d'instruction, compétent également pour or-
donner des mesures conservatoires, trouve dans les obli-
gations qu'il fixe au mis en examen sous contrôle judi-
ciaire, un judicieux moyen d'action. Une partie de la cau-
tion imposée au mis en examen sera affectée à l'indem-
nisation de la victime ou encore on ordonnera le dépôt
d'un montant déterminé à un compte bancaire bloqué.

3 - L'indemnisation des dommages est accélérée


Il est clair que l'intervention désormais possible des as-
sureurs de l'auteur de l'infraction et de la victime, dans le
cadre de poursuites pour homicide ou blessures involontai-
res, est un double gain pour la victime, en temps et en frais
de procédure.
Jusqu'à la loi du 8 juillet 1985, les assureurs ne pou-
vaient pas intervenir en tant que tels au procès pénal. S'ils
le faisaient, c'était seulement au nom et pour le compte de
l'assuré.
Cette exclusion présentait le grave inconvénient de voir
la décision du juge pénal concernant l'indemnisation due à
la victime inopposable à l'assureur qui fréquemment in-
tentait un nouveau procès devant la juridiction civile.
Il faut signaler que depuis la loi du 10 juillet 2000,
faute civile et faute pénale d'imprudence sont dissociées,
le juge pénal peut donc indemniser désormais toute vic-
time sur la base des textes du droit civil' même si l'auteur
est relaxé.
En outre les commissions d'indemnisation des victimes
d'infractions pénales (CIVI) peuvent indemniser toute per-
86 Christine Lazerges

sonne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires


ou non qui présentent le caractère matériel d'une infrac-
tion dans les conditions de l'article 706-3. La loi du 15
juin 2000 a élargi le domaine d'application de l'article
706-14 concernant les dommages aux biens.

4 - L 'effectivité de l'indemnisation estfavorisée


Le victime serait prête à pardonner à la justice pénale
coût, longueur et complexité, si elle était assurée d'une in-
demnisation effective, or c'est loin d'être le cas.
Le législateur a tenté d'intimider l'auteur de l'infraction
en créant en 1983 un nouveau délit, celui d'organisation
frauduleuse de son insolvabilité. Mais le législateur a sur-
tout élargi considérablement les hypothèses d'indem-
nisation de victimes d'infractions pénales par l'Etat ou par
un fonds d'indemnisation et modifié utilement la procé-
dure d'indemnisation.
Le système mis en place en 1983 était fondé sur le
principe de la subsidiarité de l'indemnisation par l'Etat
n'intervenant que si l'auteur de l'infraction était inconnu
ou insolvable.
L'apport considérable de la loi de 1990 est de suppri-
mer la condition de subsidiarité qui avait été supprimée
dès 1986 pour les victimes d'actes de terrorisme, et de re-
connaître que l'indemnisation non pas par l'Etat mais par
un fond d'indemnisation des victimes d'infractions péna-
les et du terrorisme doit être intégrale.
Si l'indemnisation demandée aux CIVI lorsqu'il s'agit
de victimes de vol, d'escroquerie, d'abus de confiance
d'extorsion de fonds ou de destructions, continue à suppo-
ser que soient retenues des conditions très rigoureuses (ar-
ticle 706-14 du code de procédure pénale), il n'en est pas
Introduction à la politique criminelle 87

de même en matière d'atteintes aux personnes (article 706-


3 du code de procédure pénale).
Le système législatif français en supprimant la condi-
tion de subsidiarité et en prônant la réparation intégrale est
tout à fait exemplaire. Trois observations peuvent être
faites.
La politique criminelle législative d'affirmation de
droits pour les victimes n'implique pas seulement une ré-
ception positive du corps judiciaire, mais aussi du corps
social par l'intermédiaire d'associations d'aide aux victi-
mes dont on réclame imagination dans les formes d'aide et
d'information; c'est une politique criminelle fondée sur la
participation sociétale.
Cette politique criminelle est le reflet de ce que le droit
à la sécurité ou à la sûreté affirmé par l'article 5 de la con-
vention européenne des droits de l'homme, entraîne pour
l'Etat de droit et la société des obligations jusque dans
l'indemnisation des victimes.
Enfin, aucune description ou analyse d'une politique
criminelle en faveur des victimes ne doit occulter que si
l'indemnisation peut être synonyme de réelle réparation en
matière d'atteinte aux biens, ce n'est pas le cas en matière
d'atteintes aux personnes où l'indemnisation n'est pas la
réparation, mais un palliatif à la souffrance de la victime.
Itinéraires croisés, juxtaposés, accidentés de la politique
criminelle législative, disions-nous dans l'introduction de
ce chapitre, et pourtant l'idéologie du mouvement de la
Défense sociale nouvelle ou celle du néo-classicisme pro-
gressiste est le plus souvent présente dan~ le discours gou-
vernemental ou parlementaire depuis 1945. Si même le
terrorisme, complètement déstabilisant pour l'Etat de droit
et dont la solution est largement politique, ne peut expli-
quer un autre langage, le seul sentiment d'insécurité, lié
88 Christine Lazerges

aux violences urbaines ne le doit pas. Il faut continuer à


s'accorder à dire que « la sécurité ne devrait plus être un
enjeu passionné' de la confrontation politique et qu'une
fraction de la population n'établira pas la sécurité contre
ou sans l'autre ».
Le dépassement presque utopique des clivages partisans
sur les questions de sécurité, au cœur de la politique cri-
minelle, pourrait se traduire par l'élaboration de principes
directeurs de politique criminelle.
Le discours de politique criminelle du législateur ne
pourrait que gagner en cohérence par une réflexion en
terme de principes directeurs, dont le dernier avantage ré-
siderait dans une réception moins disparate si ce n'est plus
heureuse de la politique criminelle législative par le pou-
voir judiciaire.
4

La politique criminelle judiciaire

C'est une constatation bien connue que celle de la va-


riabilité dans l'espace et dans le temps de l'interprétation
des règles de droit pénal. De nombreuses études ont mon-
tré la diversité des pratiques des tribunaux et partant des
politiques criminelles judiciaires qui, rappelons-le, ne sont
pas seulement déterminées par des règles de droit pénal,
bien que nous nous intéressions essentiellement, ici, à ces
dernières.
Le discours législatif de politique criminelle, loin d'être
unanimement apprécié par le pouvoir judiciaire dans la
pluralité de ses formes d'expression, est diversement perçu
et reçu. On mesure vite les faibles possibilités de la Cour
de cassation, par exemple, juge du droit, pour harmoniser
les pratiques par l'interprétation de la règle de droit. Sans
audace, opposons la relativité dans le temps des politiques
criminelles législatives, à la relativité 'dans le temps et
dans l'espace des politiques criminelles judiciaires. Le
pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ne disposeraient-
ils d'aucun moyen pour imprimer une politique criminelle
au pouvoir judiciaire en conformité avec les aspirations de
90 Christine Lazerges

la majorité parlementaire et du gouvernement en place?


Le problème se pose différemment pour les magistrats du
parquet et pour ceux du siège. En ce qui concerne les
magistrats du parquet l'article 5 du statut de la
magistrature énonce qu'ils « sont placés sous la direction
et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité
du garde des sceaux ».
Et pourtant qu'il s'agisse, par exemple, du principe de
l'opportunité des poursuites ou de celui du choix du type
de poursuites (comparution immédiate, citation directe,
inforn1ation), les différences de parquet à parquet sont
sensibles, les différences quant à la célérité des procédures
le sont aussi en conséque11ce. Le parquet, aux termes du
projet de loi sur l'action pllbliqlle, en navette parlemen-
taire, doit fonctionner com.me un relais effectif de la
politique criminelle gouvernementale par application
d'instructions générales sans qu' aucune instruction ni de
poursuivre ni de ne pas poursuivre ne puisse être donnée
par le garde des sceaux dans des affaires individuelles.
Pour les magistrats du siège, indépendance, autonomie
sont de principe ainsi qu'une réserve face aux change-
ments inscrits dans l'inconscient du juge, quelle que soit la
réforme projetée ou promulguée. C'est ainsi que la
réception de la loi «sécurité et liberté» s'est avérée de
façon générale aussi médiocre que celle des textes
introduisant de nouvelles figures de pénalité. Immobilisme
ou scepticisme d'un corps insuffisamment ouvert sur la
société civile et les courants qui la traversent.
S'il est possible de parler de la sorte sur un mode
quelque peu caricatural et simpliste du corps, il ne l'est
pas de chacun des magistrats qui le compose, affirmant
dans l'exercice de leurs fonctions, plusieurs traductions
fidèles ou non de la politique criminelle législative. Ainsi,
le souci d'en finir avec la peur de l'insécurité ou celui de
Introduction à la politique criminelle 91

la protection des libertés individuelles ne revêtira pas pour


tous le même degré de priorité. Le principe de la
collégialité et le double degré de juridiction atténuent bien
entendu les conséquences des divergences d'opinion
personnelle.
Nous procéderons, par exemples, en choisissant
d'examiner d'une part, la politique criminelle judiciaire en
matière de protection des droits de l'homme, vaste et diffi-
cile sujet, et d'autre part, la question ponctuelle de la poli-
tique criminelle judiciaire dans la mise en œuvre de
l'article 12-1 de l'ordonnance du 2 février 1945 concer-
nant les activités de réparation pouvant être proposées aux
mineurs délinquants.

A - Politique criminelle judiciaire


et protection des droits de l'homme
Politique criminelle judiciaire s'entend stricto sensu de
la politique criminelle inscrite dans les décisions et les
pratiques des juridictions de l'ordre judiciaire. On nous
permettra de ne pas parler ici de la seule politique crimi-
nelle de l'autorité judiciaire ou du pouvoir judiciaire au
sens de l'article 66 de la constitution de 1958: «Nul ne
peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gar-
dienne de la liberté individuelle assure le respect de ce
principe dans les conditions prévues par la loi ».
Analyser la politique criminelle judiciaire en matière de
protection des droits de l'homme consistera à évoquer la
réception, par l'ensemble des juridictions appelées à en
connaître, de normes internationales ou de droit interne,
portant protection des droits de l'homme. Au pouvoir
judiciaire au sens le plus large incombe une tâche
particulière d'interprétation, d'orientation et d'application.
Des frontières sont marquées au-delà desquelles, au regard
92 Christine Lazerges

des droits de l'homme et des libertés publiques, aucun


texte ou aucune pratique de politique criminelle n'est
.
acceptable.
La cohérence et la clarté de ces frontières est difficile à
atteindre ne serait-ce qu'en raison de la pluralité des
juridictions invitées à les préciser: Cour européenne des
droits de I'homme, Conseil constitutionnel, Cour de
cassation et juridictions du fond de l'ordre judiciaire,
Conseil d'Etat et juridictions de l'ordre administratif.

1- Cour européenne des droits de l'homme


et protection des droits de l'homme
Elaborée au sein du conseil de l'Europe, la Convention
européenne de sauvegarde des droits de I'homme et des
libertés fondamentales a été signée le 4 novembre 1950 et
est entrée en vigueur le 3 septembre 1953.
La France ne l'a ratifiée que le 3 mai 1974, reportant à
plus tard la souscription à la déclaration facultative que
prévoit l'article 25 de la convention concernant le droit de
recours individuel à la Commission européenne des droits
de l'homme. C'est le 2 octobre 1981 qu'a été reconnu par
la France ce droit de recours individuel.
La Convention européenne des droits de 1'homme
constitue la garantie collective sur le plan européen de
certains principes énoncés dans la Déclaration universelle
des droits de l'homme. Cette garantie collective et
internationale n'a pas pour effet de se substituer à la
garantie nationale des droits fondamentaux, mais s'ajoute
à celle-ci.
Plusieurs des articles de la Convention intéressent
directement le pénaliste et spécialiste de politique crimi-
nelle (en particulier les articles 2, 3, 5, 6 et 7), et indiquent
Introduction à la politique criminelle 93

les limites incontournables de tout programme législatif ou


judiciaire de politique criminelle. Ainsi, pour prendre un
exemple, la peine du bannissement a disparu avec le
nouveau code pénal de notre arsenal de peines, cette
sanction étant incompatible avec l'article 3 du protocole
additionnel à la Convention signé le 26 septembre 1963 :
« Nul ne peut être expulsé par voie de mesure individuelle
ou collective du territoire de l'Etat dont il est res-
sortissant» .
Signalons aussi le protocole additionnel n° 6 qui abolit
la peine de mort et prévoit dans son article 3 qu'« aucune
dérogation n'est autorisée aux dispositions du présent
protocole au titre de l'article 15 de la Convention ». Ce
dernier texte est celui qui autorise les Etats à violer dans
une certaine mesure, les obligations découlant de la
convention en cas de « danger public menaçant la vie de la
nation ».
Comme le fait remarquer Danièle Mayer: «hormis le
cas de guerre prévue à l'article 2 du Protocole le prononcé
d'une condamnation à mort n'est possible en aucune
circonstance; ainsi en ce qui concerne la France aucun
rétablissement de la peine de mort ne peut plus être
envisagé même sous l'empire de l'article 16 de la
Constitution Si les engagements internationaux sont si
importants, c'est aussi parce qu'ils continuent à s'imposer
aux pays signataires même lorsque ceux-ci changent de
gouvernement] ». La procédure de dénonciation de la
Convention ou d'un protocole additionnel ne peut être
engagée qu'après l'expiration d'un délai de cinq ans à
partir de la date d'entrée en vigueur de la Convention ou

1. Danièle MAYER, « Le principe du respect par l'Etat du droit à


la vie de ses citoyens doit-il être inconditionnel? », Revue de Science
criminelle et de droit pénal comparé, 1986, p. 55 et s.
94 Christine Lazerges

du protocole à l'égard de l'Etat qui veut dénoncer et


moyennant un préavis de six mois.
La Convention européenne des droits de I'homme et la
jurisprudence de la Cour européenne constituent des gages
de continuité dans la conduite de la politique criminelle
malgré les soubresauts résultant des changements gouver-
nementaux.
Statistiquement, les deux tiers des décisions de la Cour
relèvent de la matière pénale et fixent pour les droits de la
défense et le traitement des condamnés en particulier, un
contenu minimum européen 2. Sachant que la convention
est d'application directe en France, l'étude de la réception
des dispositions protectrices des droits de I'homme par des
institutions ou juridictions françaises est importante.

2 - Conseil constitutionnel
et protection des droits de l'homme
Avec la célèbre décision du Conseil constitutionnel du
16 juillet 1971, qui a intégré les textes visés par le
préambule de la constitution de 1958 dans le «bloc de
constitutionnalité », la constitution est devenue la
principale source du droit.
La constitution au sens large, s'entend désormais non
seulement du texte de 1958, mais aussi de la Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789, du
préambule de la Constitution de 1946, de l'ensemble des
principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République. Pose problème l'intégration de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de I'homme.

2. Vincent BERGER, Jurisprudence de la Cour européenne des


droits de l 'homme, Sirey, 1998, 6ème éd.
Introduction à la politique criminelle 95

Par l'entrée dans le bloc de constitutionnalité de la


Déclaration de 1789, tous les grands principes du droit
pénal, directeurs pour une politique criminelle, ont acquis
valeur constitutionnelle: le principe de la légalité des
délits et des peines avec ses différentes implications, le
rôle de l'autorité judiciaire en tant que gardienne de la
liberté individuelle, l'indépendance des magistrats, le
respect de la présomptioIl d'innocence, le respect des
droits de la défense etc... Tous ces principes forment ce
que l'on peut appeler maintenant le droit constitutionnel
pénal 3.

a - Le conseil constitutionnel
et la Convention européenne des droits de I'homme
A ce jour la Convention n'est pas comprise dans le bloc
de constitutionnalité. Saisi d'une question de politique
criminelle, celle de la.constitutionnalité de la loi autorisant
l'interruption de la grossesse et de la méconnaissance par
cette loi du droit à la vie proclamé par la Convention
européenne de sauvegarde, le Conseil constitutionnel s'est
déclaré incompétent pour apprécier la compatibilité de
cette loi avec la Convention, son pouvoir se limitant à
contrôler la conformité des lois à la constitution 4. Cette
interprétation restrictive de sa compétence a été confirmée
depuis lors en plusieurs occasions pour la Convention et
d'autres traités.

3. Louis FAVOREU, « La constitutionnalisation du droit pénal et


de la procédure pénale. Vers un droit constitutionnel pénal », Mélan-
ges Vitu, Cujas, 1989, p. 169 et s. ; Loïc PHILIP, « La constitutionna-
lisation du droit pénal français », Revue de science criminelle et de
droit pénal comparé, 1985, p. 711 et s.
4. Conseil Constitutionnel, 15janvier 1975, Dalloz, 1975, p. 529.
96 Christine Lazerges

C'est une solution, affirment à juste titre Roger Merle


et André Vitu, « qui aboutit à refuser de reconnaître que le
traité ratifié devient partie intégrante du droit interne, avec
une valeur supérieure à celle des lois ordinaires. Ainsi le
législateur pourrait impunément ignorer une source du
droit qui lui est pourtant supérieure, ce qui est proprement
inacceptable 5 ».
La solution ne serait-elle pas en l'état de la juris-
prudence du Conseil constitutionnel comme le propose
Marc-André Eissen, longtemps greffier en chef de la Cour
européenne des droits de I'homme, de voir attribuer par le
pouvoir constituant la dignité de loi constitutionnelle à la
Convention européenne, dignité ou qualité qu'elle a déjà
aux Pays-Bas et en Autriche? Si le paravent de l'incom-
pétence permet au Conseil constitutionnel de ne pas se
prononcer sur la conformité de certaines lois de politique
criminelle avec la Convention européenne, il s'est par
contre largement autorisé à protéger la liberté individuelle,
protection qui n'est donc pas le seul fait de l'autorité
judiciaire au sens strict.

b - Le conseil constitutionnel et la liberté individuelle


Une mesure étatique préventive ou répressive peut
constituer une atteinte à la liberté individuelle. L'ordre de
la cité justifie ces atteintes enserrées dans des règles
protectrices de la liberté individuelle. Les jurisprudences
sur les libertés intéressent au premier chef les spécialistes
de politique criminelle.
Certaines décisions du Conseil constitutionnel
retiennent particulièrement l'attention. On citera:

5. Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, T.I,


1984, p. 301.
Introduction à la politique criminelle 97

La décision-du 28 novembre 1973


concernant les mesures privatives de liberté
Dans cette décision, le conseil constitutionnel indique
que « la détermination des contraventions et des peines qui
leur sont applicables est du domaine réglementaire lorsque
les dites peines ne comportent pas de mesures privatives
de liberté».
Apparemment, il s'agissait de soustraire à la compé-
tence du pouvoir réglementaire fixé par les articles 34 et
37 de la constitution, les contraventions sanctionnées par
une mesure privative de liberté. La conséquence pratique
aurait pu être considérable si le motif cité du conseil cons-
titutionnel avait été un motif nécessaire au soutien de la
décision qu'il rendait. Or ce motif, cette petite phrase qui
fit couler beaucoup d'encre, n'était qu'une digression sur
les peines privatives de liberté, précisant la doctrine du
conseil constitutionnel à l'intention des parlementaires et
des commissions de révision du code pénal sur un pro-
blème voisin de celui soumis à la haute juridiction.
Le conseil constitutionnel est une autorité de contrôle,
il ne peut jouer une sorte de rôle législatif, mais sa doc-
trine en l'espèce conforme à celle de plusieurs pénalistes,
a conforté et légitimé l'exclusion de la peine d'empri-
sonnement pour sanctionner la commission d'une contra-
vention dans le nouveau code pénal français mis en appli-
cation le 1er mars 1994.

La décision du 12janvier J977


Il fut affirmé par le conseil constitutionnel que consti-
tuait une atteinte à la liberté individuelle la visite des véhi-
cules par les autorités de police non motivée par le fait
qu'une infraction eut été commise ou que l'ordre public
98 Christine Lazerges

soit troublé, ceci en raison de l'étendue des pouvoirs con-


férés aux officiers de police judiciaire et à leurs agents.
En d'autres termes, dans le cadre d'opérations de police
administrative, les fouilles de véhicules ne sont pas admi-
ses sauf les exceptions résultant de l'article 60 du code des
douanes et des articles 1854 et s. du code général des im-
pôts.

La décision du 2février 1995


Par cette décision, le conseil constitutionnel censure
l'introduction d'un outil de politique criminelle nouveau à
la disposition du parquet, l'injonction pénale. L'injonction
pénale était destinée à faire baisser le taux de classement
sans suite des petites infractions en autorisant le procureur
de la République à proposer une transaction financière à
l'auteur du délit.
Le conseil constitutionnel s'appuya sur les droits et li-
bertés fondamentaux pour annuler les dispositions adop-
tées par le parlement: « Considérant qu'en vertu de
l'article 9 de la déclaration des droits de I'homme et du
citoyen, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il
ait été déclaré coupable; qu'en vertu de l'article 66 de la
constitution, l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté
individuelle; que le principe du respect des droits de la
défense constitue un des principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République réaffirmés par le préambule
de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le
préambule de la Constitution de 1958; qu'il implique,
notamment en matière pénale, l'existence d'une procédure
juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des
parties; qu'en matière de délits et de crimes, la séparation
des autorités chargées de l'action publique et des autorités
de jugement concourt à la sauvegarde de la liberté indivi-
Introduction à la politique criminelle 99

duelle. Considérant que certaines mesures susceptibles de


faire l'objet d'une injonction pénale peuvent être de nature
à porter atteinte à la liberté individuelle; que dans le cas
où elles sont prononcées par un tribunal, elles constituent
des sanctions pénales; que le prononcé et l'exécution de
telles mesures, même avec l'accord de la personne sus-
ceptible d'être pénalement poursuivie, ne peuvent,
s'agissant de la répression de délits de droit commun, in-
tervenir à la seule diligence d'une autorité chargée de
l'action publique mais requièrent la décision d'une auto-
rité de jugement conformément aux exigences constitu-
tionnelles ci-dessus rappelées ».
En écho à cette décision, bien caractéristique de la
constitutionnalisation du droit pénal et de la procédure
pénale, le parlement dans la loi du 23 juin 1999 renforçant
l'efficacité de la procédure pénale a pris soin de prévoir
une ratification par le juge judiciaire de la composition
pénale instaurée, nouvelle forme d'alternative aux
poursuites pénales proprement dites.

3 - Juridiction de J'ordre judiciaire


et protection des droits de l'homme
Il est déjà démontré que l'autorité judiciaire n'a pas la
garde ou la sauvegarde exclusive de la liberté individuelle
mais bénéficie à ce sujet dans le public d'une certaine au-
ra, due sans doute à l'idée d'indépendance des magistrats
garantie par le chef de l'Etat et assise essentiellement sur
une inamovibilité interdisant de décider sans leur consen-
tement de toute affectation nouvelle, même en avance-
ment.
On aurait pu penser dès lors que la réception de la Con-
vention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
par les juridictions de l'ordre judiciaire se serait réalisée
100 Christine Lazerges

sans heurt ni résistance, et en outre que la jurisprudence de


la Cour de cassation et des juridictions du fond présente-
rait une grande unité en matière de protection de la liberté
individuelle.

a - Les juridictions de l'ordre judiciaire


et la Convention européenne des droits de I'homme
Le caractère directement applicable des clauses norma-
tives de la Convention a jusqu'à un certain point prêté à
controverse dans nos prétoires. La cour d'appel de Paris
l'a nié au moins implicitement le 25 février 1975 par un
arrêt de sa chambre d'accusation en déclarant ne pouvoir
statuer qu'en vertu du code de procédure pénale, puis ou-
vertement dans un arrêt du 29 février 1980.
Pierre Chambon, magistrat, exprimait sur ce point une
opinion très nette: «A la différence de nombreux traités
et règlements internationaux, la Convention ne contient
que des déclarations générales de principe.
Elle n'est donc pas directement applicable par les tribu-
naux. Ces derniers ne peuvent fonder leur décision que sur
les règles particulières et détaillées de leur législation in-
terne, qui sont justement la concrétisation palpable des re-
commandations et des normes morales non directement
contraignantes énoncées par la Convention. Celle-ci
s'adresse non aux juges, mais au législateur de chacun des
pays signataires, auquel elle doit servir de modèle
d'inspiration» 6.
Aujourd'hui, les résistances sont tombées, les décisions
des juridictions de l'ordre judiciaire acceptent clairement

6. Pierre CHAMBON, Observations sous cour d'appel de Tou-


louse, 5 janvier 1982, JCP 1982,11, 19899.
Introduction à la politique criminelle 101

l'incorporation de la convention en droit interne français et


sa primauté sur les lois nationales.
Le pas est maintenant franchi de la prise en considéra-
tion d'office de la Convention.
Statistiquement, on constate que la chambre criminelle
de la cour de cassation de plus en plus fréquemment ap-
précie des pourvois fondés sur la violation de la Conven-
tion. L'ouverture de la jurisprudence de la cour de cassa-
tion au droit européen est un facteur de cohérence dans la
réception de la politique criminelle, législative et régle-
mentaire par le pouvoir judiciaire.
La cohérence de la jurisprudence de la chambre crimi-
nelle de la cour de cassation est un facteur d'unité de laju-
risprudence française sur les droits et libertés. Nous pren-
drons l'exemple des contrôles d'identité.

b - La chambre criminelle de la cour de cassation et la


liberté individuelle: l'exemple des contrôles d'identité
En ce domaine les atermoiements du législateur sont
saisissants: cinq lois en douze ans (loi du 2 février 1981,
loi du 10 juin 1983, loi du 3 septembre 1986, loi du 10
juin 1993, loi du 10 août 1993). Les alternances politiques
plus qu'en tout autre domaine rythment ici les
changements législatifs.
Aujourd'hui les contrôles d'identité sont possibles aussi
bien dans le cadre d'opérations de police judiciaire qu'à
titre préventif dans trois hypothèses 7 :

7. Didier THOMAS, Le droit à la sûreté, ln ouvrage collectif


Droits et libertés fondamentaux (dir. Rémy Cabrillac, Marie-Anne
Frison-Roche, Thierry Revet), Dalloz, 1999, 5ème éd.
102 Christine Lazerges

pour prévenir une atteinte à l'ordre public notamment à la


sécurité des personnes et des biens;
sur réquisitions écrites du Procureur de la République afin
de rechercher et de poursuivre des infractions;
pour permettre dans certains lieux de contrôler les titres
concernant la circulation des personnes. Ce dernier cas est
entré en application en même temps que les accords de
Schengen.
Ces trois hypothèses couvrent un champ si large que
l'on peut parler de généralisation des contrôles d'identité
de police administrative ou préventifs.
Cependant le conseil constitutionnel saisi après le vote
de la loi d'août 1993 a bien précisé que: « s'il est loisible
au législateur de prévoir que le contrôle d'identité d'une
personne ne peut pas être lié à son comportement, il
demeure que l'autorité concernée doit justifier dans tous
les cas des circonstances particulières établissant le risque
d'atteintes à l'ordre public qui a motivé ce contrôle; que
ce n'est que sous cette réserve d'interprétation que le
législateur peut être regardé comme n'ayant pas privé de
garanties légales l'existence de libertés constitution-
nellement garanties. Considérant qu'il appartient aux
autorités administratives et judiciaires de veiller au respect
intégral de l'ensemble des conditions de forme et de fond
posées par le législateur ».
Malgré ce, il semble que l'autorité judiciaire gardienne
des libertés individuelles par la voix de la cour de
cassation n'exerce plus le contrôle très rigoureux qu'elle
avait exercé dans deux célèbres décisions, l'une du 4
octobre 1984, l'autre du 25 avril 1985, mais il est vrai sur
la base de textes plus restrictifs que les textes en vigueur.
Ainsi, par exemple, la chambre criminelle admet dans
un arrêt du 10 octobre 1996 la régularité du contrôle
motivé par l'insécurité localisée dès lors que le procès
Introduction à la politique criminelle 103

verbal fait état d'infractions antérieures qui caractérisent le


risque d'atteinte à l'ordre public.
Sur ce sujet des contrôles d'identité, le conseil d'Etat
lui-même a eu l'occasion d'intervenir.

4 - Juridictions de ['ordre administratif


et protection des droits de ['homme
Nous ne reviendrons pas sur la question de
l'application directe de la Convention européenne des
droits de l'homme par les juridictions françaises y compris
les juridictions administratives, mais nous développerons
celle de la protection de la liberté individuelle par les
juridictions de l'ordre administratif.
Aux termes de l'article 136 alinéa 3 du code de
procédure pénale: «Dans les cas visés aux deux alinéas
précédents et dans tous les cas d'atteinte à la liberté
individuelle, le conflit ne peut jamais être élevé par
l'autorité administrative et les tribunaux de l'ordre
judiciaire sont toujours exclusivement compétents. » Or on
constate que les juridictions administratives participent à
la construction d'une jurisprudence ou de jurisprudences
croisées sur les libertés individuelles.
«Tout se passe comme si les atteintes à la liberté
individuelle portées à l'occasion d'activité de police
administrative n'étaient en aucune façon visées par le
principe de l'article 66 de la Constitution et de l'article
136 du Code de procédure pénale, ou du moins voyaient
son application limitée aux seules hypothèses d'atteintes
particulièrement graves susceptibles d'être qualifiées
« d'internements arbitraires» ou « de voies de fait ».
Le critère de l'objectif poursuivi par l'autorité de police
utilisé par le Conseil constitutionnel est également retenu
104 Christine Lazerges

par le tribunal des conflits pour fonder la compétence


administrative en cas d'atteintes à la liberté individuelle
causées par des opérations de police administrative y
compris pour statuer sur la réparation du préjudice subi, ce
qui contredit totalement le texte de l'article 136 du Code
de procédure pénale 8.
Mais faut-il s'offusquer de cette situation au plan de la
politique criminelle et non plus du respect dû à la règle de
droit, si la garantie des juridictions administratives est
effective. Deux solutions s'offrent pour l'avenir observe
Dominique Turpin, solutions que nous résumons ainsi:
unifier les compétences au profit du pouvoir judiciaire ce
qui aurait l'avantage de concorder avec les textes et de
simplifier la situation du justiciable, ou à l'inverse
admettre officiellement, puisque la protection offerte par
les deux ordres de juridictions est à peu près équivalente,
une concurrence totale de compétence entre les deux pour
constater les atteintes à la liberté individuelle comme pour
les réparer.
Une autre option de politique criminelle plus
« bouleversante» est envisageable: l'unification des
juridictions de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif.
Il ne resterait plus alors que la Cour européenne des droits
de I'homme mais aussi la Cour de justice des
communautés européennes, le Conseil constitutionnel et
un ordre de juridictions interne unique pour protéger les
libertés publiques; ne serait-ce pas encore largement
suffisant pour faire le constat de parcours sinueux et
complexes dans la réception des textes protecteurs des
droits de l'homme?

8. Dominique TURPIN, « L'autorité judiciaire gardienne de la li-


berté individuelle », L'actualité juridique, Droit administratif, 1983,
p. 653 et s.
Introduction à la politique criminelle 105

B - Politique criminelle judiciaire et mise en œuvre de


la médiation-réparation pour les mineurs
La loi du 4 janvier 1993 a introduit dans l'ordonnance
du 2 février 1945 un article 12-1 offrant aussi bien au
Procureur de la République ou à son substitut chargé des
mineurs, qu'à la juridiction de jugement « la possibilité de
proposer au mineur une mesure ou une activité d'aide ou
de réparation à l'égard de la victime ou dans l'intérêt de la
collectivité ».
Cette rédaction très large, retenue par le législateur,
permet à la médiation-réparation d'être une formule
souple échappant à la distinction, quelquefois désuète,
entre la mesure éducative et la peine proprement dite. Le
dispositif peut être utilisé pour des mineurs même très
jeunes. Lorsque la réparation est effectuée au bénéfice
direct de la victime, elle se traduit par des prestations en
nature ou en espèces, voire symboliques, compensant en
totalité ou en partie le préjudice subi par la victime.
L'adhésion de la victime à la mesure est requis. La
réparation peut aussi s'effectuer dans l'intérêt de la
collectivité et peut alors s'appuyer sur des supports très
variés (écoles, mairies, hôpitaux, sociétés de transport en
commun).
La mesure de réparation doit être distinguée du travail
d'intérêt général qui est une peine ne pouvant être
prononcée qu'à l'encontre des mineurs de plus de seize
ans et qui s'exécute nécessairement sous la forme d'un
travail d'une durée minimale de 40 heures. L'inexécution
du TIG est susceptible d'entraîner le prononcé d'une peine
d'emprisonnement.
Deux mois après le vote de la loi du 4 janvier 1993, une
circulaire du Il mars, relative à la mise en œuvre à l'égard
des mineurs de la mesure de réparation pénale, venait
conforter la politique criminelle législative à ce sujet et
106 Christine Lazerges

préciser les modalités pratiques d'exécution de la


médiation- réparation.
La conjonction évidente entre une volonté politique
forte du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif aurait pu
être relayée rapidement par le pouvoir judiciaire. Ce ne fut
pas le cas. La place prise par la médiation-réparation dans
le panel des dispositifs offerts par la loi pour répondre à la
délinquance des mineurs est encore extrêmement variable
d'une juridiction à l'autre. Ce constat nous a conduit dans
notre rapport au Premier Ministre à préconiser l'habi-
litation de nombreuses associations pour suivre l' exé-
cution des mesures de réparation 9, au même titre que les
services de la Protection judiciaire de la jeunesse. La
preuve est rapportée que les moyens humains de la Pll ne
permettent pas une augmentation importante des mesures
de réparation dont les praticiens s'accordent à reconnaître
la très grande valeur restaurative. La preuve est rapportée
aussi qu'à l'inverse de ce qui se passe aux Pays-Bas par
exemple, la médiation-réparation est trop intégrée à la
justice pénale des mineurs. Celle-ci ne fait pas suffisam-
ment appel au secteur privé habilité.
La réception inégale par les parquets des mineurs et les
juridictions pour mineurs d'une mesure nullement contes-
tée dans son principe s'explique par des résistances à
l'ouverture de la justice pénale sur la société civile, c'est-
à-dire à la mise en œuvre d'une véritable politique
criminelle participative.
Globalement, pour toute la France, la montée en
puissance de la médiation-réparation pour les mineurs
décidée par les parquets est cependant sensible, 3976
mesures en 1994, 6287 en 1995, 7728 en 1996.

9. Christine LAZERGES, Jean-Pierre BALDUYCK, Rapport


précité.
lntroduction à la politique criminelle 107

Bruno Aubusson de Cavarlay observe que cette mesure


nouvelle est en fait concentrée sur un petit nombre de
ressorts 10: « Il faut bien sûr citer d'abord Bobigny où sont
recensées environ 3 réparations sur 10, alors que l'activité
des juridictions pour mineurs de ce ressort représente
environ 4% du total national.
C'est évidemment dans ce ressort que le ratio
rapportant les réparations aux requêtes pénales adressées
au juge des enfants est plus élevé (1,25). C'est aussi un
des ressorts où cette solution représente plus de la moitié
des classements. Seulement Il parquets affichent un ratio
de réparations «parquet» par rapport aux requêtes
supérieur à 0,5 et plus significatif encore, 3 seulement
figurent parmi les 30 ressorts les plus importants en
nombre de requêtes au juge des enfants (Bobigny, Créteil
et Bordeaux). En 1996, dans ces trois ressorts sont
réalisées 48% des réparations «parquet », alors qu'ils ne
cumulent que 8% de l'activité pénale des juges des
enfants. Viennent ensuite 8 parquets qui affichent des
ratios réparations/requêtes compris entre 0,25 et 0,5 dont 3
parmi les 30 ressorts les plus importants (Amiens, Lyon et
Aix juste sous la limite). Si l'on accepte ce seuil d'une
réparation « parquet» pour quatre saisines pénales du juge
des enfants comme ligne de partage isolant les ressorts qui
utilisent de façon significative cette nouvelle mesure, on
observe finalement que seuls 6 parquets des 30 plus
grosses juridictions pour mineurs sont dans ce cas et 19 en
tout sur les 133 ressorts concernés ».
Le constat de l'absence d'unité des politiques
criminelles judiciaires est fait. L'effectivité d'un projet
global, comme celui du développement de la médiation-
réparation pour les mineurs, suppose outre une adhésion

10. Bruno AUBUSSON de CAVARLA Y, ln Rapport Christine


LAZERGES, Jean-Pierre BALDUYCK, précité, annexe 4, p. 286.
108 Christine Lazerges

minimum des acteurs de sa mise en œuvre, des moyens et


des relais au point de rendre indispensable le partenariat et
la participation des habitants à la politique criminelle.
Plaidons pour une politique criminelle, que nous avons
qualifiée de participative, dépassant les conflits partisans
ce qui n'exclut pas un pluralisme authentiquement vécu,
fondé sur la confrontation des points de vue entre élus,
professionnels et habitants.
5

Pour une politique criminelle participative

Proposer une politique criminelle participative ou à


large participation sociétale, c'est tirer les conséquences
de l'impérieuse nécessité de relais autres que le pouvoir
policier ou le pouvoir judiciaire pour rendre crédible un
projet de politique criminelle élaboré par le pouvoir exé-
cutif et le pouvoir législatif et surtout permettre sa mise en
œuvre. Le pouvoir des médias, le pouvoir associatif, le
pouvoir du citoyen, dans la formation d'un consensus au-
tour d'une politique criminelle, sont indispensables. En
prendre conscience, puis en tenir compte consiste à asso-
cier le plus grand nombre d'acteurs à la politique crimi-
nelle avec tous les décloisonnements que cela suppose,
non pas parce qu'on opterait idéologiquement pour moins
d'Etat, mais par pragmatisme.
Faire participer les habitants à la politique criminelle,
en dehors du souci légitime d'efficacité, signifie suivant le
slogan bien connu maintenant que la prévention et pour-
quoi pas la répression, c'est à dire la sécurité, sont l'affaire
de tous.
110 Christine Lazerges

Certains ne verront dans la participation du plus grand


nombre d'acteurs à la politique criminelle qu'un transfert
abusif de charges de l'Etat, d'autres au contraire y liront
une méthode active dont l'objet serait à la fois de promou-
voir une pédagogie de la responsabilité et de favoriser la
démocratie locale pour plus de sécurité.
La garantie du droit à la sécurité ne peut naître que
d'une subtile conjugaison de la prévention, de la sanction
et de la réinsertion. Tel est l'objet d'une politique crimi-
nelle participative.
Soucieux de l'élargissement et de la mobilisation des
acteurs de la prévention, le Comité des Ministres du Con-
seil de l'Europe, le 23 juin 1983 adopta une recommanda-
tion sur la participation du public à la politique criminelle
dont l'exposé des motifs est rédigée en ces termes:
« Le Comité des Ministres, en vertu de l'article 15 b. du
Statut du Conseil de l'Europe,
Considérant qu'une politique criminelle orientée vers la
prévention du crime, la promotion des mesures de substi-
tution aux peines privatives de liberté, la réinsertion so-
ciale des délinquants et l'aide aux victimes doit être pour-
suivie et développée dans les Etats membres du Conseil de
l'Europe;
Considérant qu'une telle politique est une réaction ap-
propriée aux problèmes de criminalité auxquels sont ac-
tuellement confrontés les Etats membres;
Considérant que la mise en œuvre de cette politique
suppose d'abord l'adhésion et la participation active des
professionnels directement concernés, notamment des ma-
gistrats, du personnel pénitentiaire et des fonctionnaires de
la police;
Considérant toutefois qu'une telle politique ne peut être
efficace sans une attitude favorable et même une partici-
pation active du public;
Introduction à la politique criminelle 111

Considérant qu'il importe de surmonter l'indifférence,


voir I'hostilité à l'égard de cette politique qui se manifes-
tent dans certaines parties du public et de rechercher
l'adhésion la plus vaste aux objectifs de celle-ci;
Considérant qu'il est essentiel d'associer le public, dans
le cadre de structures adaptées, à l'élaboration et à
l'application de cette politique;
Vu la Convention de sauvegarde des Droits de
I'homme et des libertés fondamentales;
Vu la Résolution (73) 5 relative à l'ensemble des règles
minima pour le traitement des détenus;
Vu les travaux de la 13èmeconférence de recherches
criminologiques (sur l'opinion publique relative à la cri-
minalité et la justice pénale, 1978),
Recommande aux gouvernements des Etats membres
de promouvoir la participation du public à l'élaboration et
à l'application d'une politique criminelle tendant à préve-
nir la criminalité, à recourir à des mesures de substitution
aux peines privatives de liberté et à assurer une aide à la
victime 1.
En France, depuis la fin des années 1970, l'élaboration
et la mise en œuvre d'une politique criminelle participa-
tive s'articule autour de deux objectifs: refonder la pré-
vention, refonder la répression.

A - Refonder la prévention
Cette refondation des politiques de prévention s'est tra-
duite par un double mouvement de politique criminelle:
d'une part l'inclusion progressive de la politique de pré-
vention de la délinquance dans ce qui deviendra la politi-

1. Comité européen pour les problèmes criminels, La participa-


tion du public à la politique criminelle, Strasbourg, 1984.
l 12 Christine Lazerges

que de la ville, d'autre part l'élargissement des acteurs et


des missions d'une politique de prévention refondée.

1 - De la politique de prévention de la délinquance


à la politique de la ville
Quelques dates phares de I'histoire de la politique de
prévention de la délinquance illustrent ce mouvement.
1978 : le décret du 28 février institue le Comité National
de Prévention de la Violence et de la Criminalité
(CNPUC) ainsi que des comités départementaux à la suite
du rapport remis par Alain Peyrefitte 2, au nom du Comité
d'études sur la violence, la criminalité et la délinquance
qu'il présidait.
1983 : le décret du 8 juio met en place un Conseil Natio-
nal de Prévention de la Délinquance (CNPD), ainsi que
des Conseils Départementaux de Prévention de la Délin-
quance (CDPD) et incitant les maires à installer dans leur
commune des Conseils Communaux de Prévention de la
Délinquance (CCPD). Ce décret faisait suite au rapport
des maires sur la sécurité dit « rapport Bonnemaison» du
nom du Président de la Commission des maires sur la sé-
curité remis au Président de la République en décembre
1982.
Le titre du rapport « Face à la délinquance, prévention,
répression, solidarité» indique clairement comme l'on fait
observé Jacques Donzelot et Thierry Oblet 4 que « La

2. Alain PEYREFITTE, Réponses à la violence, Documentation


française, 1978.
3. Face à la délinquance: prévention, répression, solidarité,
Rapport du Premier Ministre de la Commission des maires sur la sécu-
rité, Documentation française, 1983.
4. Jacques DONZELOT, Thierry OBLET, Enquête sur la nou-
ve/le politique de prévention pour la MIRE et le CNPD, 1985.
Introduction à la politique criminelle 113

commission des maires et quelle que soit sa révérence à


l'égard des instances savantes a surtout visé à produire une
mobilisation des acteurs alors que le Comité Peyrefitte et
quelle que soit sa préoccupation déclarée d'efficacité pro-
cédait surtout à une consultation des experts ».
Avec le rapport Bonnemaison, naît une politique parti-
cipative de prévention conjuguant déjà prévention, sanc-
tion, insertion.
Le partenariat bien compris est la clef de voûte du
fonctionnement de ces instances, les CNPD, les CDPD et
les CCPD, où vont apprendre à travailler ensemble dans le
diagnostic et dans l'action des élus, des fonctionnaires, des
représentants d'associations, des personnalités qualifiées.
Un outil manquait, le contrat engageant les partenaires
dans la durée.
1985: une circulaire du 27 février propose en même
temps un outil et une méthode: le contrat d'action de pré-
vention.
Le contrat d'action de prévention pour la sécurité dans
la ville va permettre au sein des CCPD ou des CDPD de
concrétiser des programmes de prévention cofinancés par
l'Etat et la commune ou l'Etat et le département et souvent
plusieurs autres partenaires comme le Fonds d'Action So-
ciale (FAS) ou les Caisses d'Allocations Familiales.
1988 : le décret du 28 octobre institue un comité intermi-
nistériel des villes (CIV), une délégation interministérielle
à la ville et au développement social urbain (DIV) et un
conseil national des villes (CNV) absorbant le conseil na-
tional de prévention de la délinquance s.

5. Christine LAZERGES, La prévention réhabilitée, Revue de


Science Criminelle et de droit pénal comparé, 1990, p. 178 et s.
114 Christine Lazerges

La DIV, structure opérationnelle, assure le suivi des


actions lancées par le CNV et le CIVet doit impulser ce
qui va s'appeler la politique de la ville. Avec la DIV, la
politique de la ville naissante 6 absorbe définitivement la
politique de prévention de la délinquance qui en devient
l'un des volets. Le contrat d'action de prévention devien-
dra en conséquence dans les villes liées à l'Etat par un
contrat de ville, l'un des volets des contrats de ville.
La mise en place de la DIVest l'annonce anticipée d'un
futur ministère de la ville, il verra le j our en 1991.
Le champ de la prévention de la délinquance s'inscrit
désormais clairement dans le champ plus large de la lutte
contre les exclusions avec un risque de dilution de la poli-
tique de prévention de la délinquance.
L'économie d'un système de politique criminelle parti-
cipative, reposant toujours sur le partenariat et le contrat,
n'est pas contestée, mais les difficultés grandissantes de
certains quartiers, l'aggravation des actes de violence et
leur multiplication imposeront une clarification des objec-
tifs et une redynamisation des acteurs.
Les colloques de Villepinte des 24 et 25 octobre 1997
et de Montpellier les 17 et 18 mars 1999 vont apporter des
réponses aux acteurs de la prévention et de la répression
gagnés quelquefois par le découragement.
1997 : Au colloque de Villepinte «Des villes sûres pour
des citoyens libres », que clôturera le Premier Ministre
Lionel Jospin, est réaffirmé d'une part le droit à la sécurité
pour tous et d'autre part la volonté de faire de la sécurité
l'affaire de tous.

6. Claude CHALINE, Les politiques de la ville, Que sais-je?,


PUF, 1998 ; Joséfina ALVAREZ, De la prévention de la délinquance
à la politique de la vi/le, Rapport de recherche, DIV-ERPC, 1999.
Introduction à la politique criminelle 115

«J'ajoute, indiquera le Ministre de l'intérieur, Jean-


Pierre Chevènement, que l'insécurité frappe plus sévère-
ment les plus faibles et les plus démunis de nos conci-
toyens, les plus pauvres ou les plus âgés.
La réalité de la délinquance est massivement concen-
trée dans certaines zones urbaines: 80% des faits délic-
tueux enregistrés l'ont été en 1996 dans les 27 départe-
ments les plus urbanisés. La région lIe de France totalise à
elle seule le quart de ces faits. Les beaux quartiers sont
généralement épargnés. Il en résulte que les français ne
sont pas égaux devant l'insécurité. Cette inégalité s'ajoute
aux autres».
Il sera rappelé que la citoyenneté est la base de la sûre-
té. Le nouvel outil proposée aux maires, le contrat local de
sécurité (CLS) devrait permettre de favoriser une sécurité
de proximité. Une circulaire du 28 octobre 1997 définit les
modalités de la mise en œuvre des contrats locaux de sécu-
rité.
1999 : Les rencontres nationales des acteurs de la préven-
.tion de la délinquance à Montpellier, clôturées également
par le Premier Ministre, vont insister sur l'extrême néces-
sité qu'il y a à mieux intégrer la participation des habitants
et particulièrement des jeunes à la définition et à
l'élaboration des politiques publiques et surtout celles de
prévention pour plus de sécurité.
Parce que la prévention et la sécurité sont indissocia-
bles et que cela doit être compris de tous les acteurs, un
signe est donné par la substitution des contrats locaux de
sécurité aux contrats d'action de prévention. Le CLS, outil
contractuel unique, signé par les acteurs institutionnels,
doit se préparer, être suivi et évalué au sein des conseils
communaux de prévention de la délinquance.
116 Christine Lazerges

2 - Les acteurs et les missions


d'une politique de prévention re/ondée
Depuis le début des années 1980, les politiques locales
de prévention de la délinquance sont à l' œuvre sur le ter-
rain. Elles ont connu de vrais succès, mais elles rencon-
trent aussi des difficultés.
Les conseils communaux de prévention de la délin-
quance doivent rassembler, plus que beaucoup ne l'ont
fait, tous les acteurs de la prévention de la délinquance:
élus, habitants, services publics, associations, profession-
nels, privilégiant le dialogue et la confrontation des points
de vue pour la préparation des contrats locaux de sécurité.
Les conseils communaux et départementaux de préven-
tion de la délinquance, comme cela fut rappelé à Montpel-
lier par le Ministre de la ville, le Ministre de la justice et le
Ministre de l'intérieur, incarnent pleinement la volonté
d'agir ensemble pour la prévention donc la sécurité dans
nos villes. Ces instances doivent refléter par la présence
d'acteurs venant d'horizons très différents (Procureur de la
République, gardien d'immeuble, maire, responsable
d'association. ..) l'articulation entre prévention et sécurité.
Au niveau communal (CCPD), il s'agit de définir les
besoins d'un territoire et d'élaborer un programme
d'action pouvant aller du développement de la police de
proximité à la mise en place d'un bus info-jeunes, de clas-
ses-relais, de lieux d'écoute et de soutien pour les parents,
de lieux de médiation pénale, sociale et familiale, de dé-
veloppement des structures d'aide aux victimes...
Le niveau départemental (CDPD) devrait assurer plus
fortement la mise en cohérence des actions et des moyens
des services de l'Etat, ainsi que l'implication des conseils
généraux.
Introduction à la politique criminelle 117

Dans les deux cas de figure (CCPD et CDPD), la poli-


tique de prévention de la délinquance, volet de la politique
de la ville, ne s'est développée efficacement que là où elle
a pu être portée par un chef de projet, véritable cheville
ouvrière du projet commun.
L'existence d'un responsable et d'une équipe chargée
de l'animation des CCPD ou des CDPD, du suivi et de
l'évaluation des contrats locaux de sécurité est indispensa-
ble.
Refonder la prévention, c'est passer de la coordination
administrative à une coopération résultant d'une véritable
mise en réseau des acteurs, des énergies.
Refonder la prévention, c'est avoir une approche nou-
velle du travail social, plus responsabilisante.
Refonder la prévention, c'est retrouver une action au
plus près de la population, qu'il s'agisse de la police ou de
la gendarmerie, de la justice, de l'éducation nationale ou
encore des collectivités locales.
Refonder la prévention, c'est partager la conviction que
les habitants directement ou par les associations au sein
desquelles ils militent, doivent être placés au cœur de
l'action publique, en situation d'acteurs et non pas de sim-
ples spectateurs.
Un des exemples que l'on puisse donner est la prise en
compte nationale et locale de l'action menée par Stop la
violence dont le manifeste d'une extrême actualité7 est
l'expression même de ce que politique criminelle partici-
pative veut dire.

7. Le Monde, 3 mars, 17 mars, 13 mai 1999.


118 Christine Lazerges

Stop la violence
Le manifeste
1. Cà ne peut plus durer comme ça
« Nous on dit: ça suffit comme ça. Il y a des crapules dans
les quartiers comme partout. Trop de violence. Agressions, ba-
garres, armes à feu, viols... Les victimes, c'est toujours nous,
mais quand les télés en parlent, c'est pour nous traiter en cou-
pables. On ne nous écoute plus, on nous condamne. On veut
pouvoir vivre en paix. Circuler sans avoir peur. Le droit
d'étudier sans crainte. On n'a rien de tout ça. La première des
injustices, c'est ça ».
2. Respect? On se parle sur un autre ton.
« L'agression, ça peut commencer par un regard. Mais c'est
surtout Les mots. Certains s'amusent à provoquer et utilisent
des mots qui poussent à la guerre. C'est vrai, tout le monde peut
péter les plombs. Ca arrive. Mais ce langage de défi! Cette ma-
nie d'afficher sa force sur l'autre, en permanence, ça chauffe les
esprits. Il faut se parler normalement, garder le contrôle. Cer-
tains disent: il faut être respecté. Nous, on dit: « Si tu veux le
respect, commence par respecter les autres ».
3. Pas besoin de sa bande pour se parler
« C'est quoi, cette manie d'aller toujours chercher sa bande
dès qu'il y a un malaise? Règle numéro 1 : si t'as un problème,
tu viens me le dire. Dès qu'on se parle franchement, on com-
mence à se connaître. Tout peut se résoudre en se parlant. Mais
avec une bande, pas de dialogue possible. C'est Je plus chaud
qui gagne. Résultat: la guerre. Pour rien ».
4. Rendre la justice, ça devrait être merveilleux!
« Quand on était tout petit, on rêvait tous de devenir policier.
Certains nous parlent normalement. Ils connaissent le quartier,
savent nous serrer la main et dire bonjour quand on se croise.
La plupart, dès qu'ils arrivent, ils alignent tout le monde contre
les murs, et ils fouillent en hurlant. Ils nous prennent pour les
ennemis.
Introduction à la politique criminelle 119

L'insécurité, on est les premiers à la subir! Pour eux, tous


les noirs se ressemblent, tous les arabes sont pareils. Ils
s'excusent même pas quand ils se trompent. Et, en même temps,
les armes circulent partout, et personne ne les saisit! Nous,
pour un bout de shit, on va au trou, avec une tête au carré à
deux heures du matin! Et qui vend les revolvers? Qui s'occupe
de ceux qui vivent de ça ? Tout le monde a le droit d'être proté-
gé. La police doit montrer l'exemple ».
5. Pas de pouvoir aux crapules
« On est tous protégés par les copains du quartier. Ca fait du
bien de les savoir là. C'est comme une deuxième famille: dans
nos quartiers, c'est la solidarité avant tout. Certains ont trans-
formé leurs bandes en clans. Ils excluent les autres. Ils se pren-
nent pour des guerriers. Ils savent qu'ils font le mal, et ils ai-
ment ça. A la fin, ils font régner la terreur pour montrer leur bi-
zness. Les crapules prennent alors le pouvoir. Sur notre dos. Les
crapules, c'est la mort des quartiers ».
6. Les armes, ça ne protège de rien. Au contraire
« Il y a toujours eu des bagarres dans les cours, les villages
ou les cités. Il y a plein de livres et de films qui racontent ça.
C'est pas terrible, mais ce n'est pas forcément dramatique. Sauf
quand des keums se battent pour une casquette avec des armes.
La bagarre se transforme en guerre ouverte. Et toutes les semai-
nes, il y a des jeunes qui meurent de ça. Il faut le dire: celui qui
part de chez lui avec une lacrymo, un couteau ou un revolver,
même s'il croit que c'est pour se protéger, il va automatique-
ment s'en servir dès qu'il aura un problème. Les armes, ça ne
protège de rien, au contraire ».
7. Les mecs qui frappent des filles sont des impuissants
« Ils parlent de respect et se permettent de toucher une fille!
Certains se disent caïds et sont incapables de parler normale-
ment avec une fille. Il y a des agressions sexuelles, dans de
nombreux lycées et collèges. C'est incroyable d'avoir à expli-
quer qu'une fille n'est pas une salope parce qu'elle est fille ».
120 Christine Lazerges

8. Quand on casse, c'est toujours nous qui payons


« Qui peut respecter qui que ce soit dans les lieux où l'on vit
sont sans arrêt salopés, quand la moindre porte est cassée,
quand tout ce qui est à nous est systématiquement déglingué?
Quand on casse quelque chose dans les quartiers, c'est toujours
nous qui payons, jamais celui qui casse. Ca aussi, c'est injuste.
A croire qu'on laisse des mecs tout casser pour justifier qu'on
nous envoie les flics ».
9. Il faut savoir contre quoi on se révolte
« Pas les uns contre les autres. Il faut s'organiser, en asso-
ciation, en réseau, en comité de quartier. On a le droit de se re-
grouper, de se mobiliser contre toute forme d'abus de pouvoir.
On a raison de revendiquer. Être rebelle, c'est important quand
on est jeune. Être révolté, c'est être lucide sur le monde injuste
dans lequel on vit. Mais, pour avoir une chance de gagner, il
faut s'en prendre aux responsables, pas à nous! La violence
dans les quartiers, c'est l'injustice pour tout le monde ».
10. Un échec? C'est pas pour ça qu'on est victime
« Avoir des échecs, c'est normal. Rien n'est fatal, jamais.
Marre d'entendre les mecs gueuler contre la société, le système
et ne rien faire pour bouger de là. Que les grands qui s'en sont
sortis donnent l'exemple et montrent aux petits comment ça
marche. Qu'ils aillent dans les écoles, les assos, les quartiers
pour raconter. On peut rêver d'une BMW à 14 ans. Mais dire
qu'on est victime, si on n'en a pas, c'est n'avoir rien compris à
la vie. La violence, la crapulerie, le racket et le reste, ça se ter-
mine toujours mal. Il n'y a pas de bandit heureux ».

Refonder la prévention, c'est en définitive donner un


avenir, en donnant accès aux droits fondamentaux à ceux
qui sans espoir de bénéficier réellement ni des droits civils
et politiques, ni des droits économiques et sociaux, ne
comprennent plus ni le pourquoi ni le comment du respect
de l'autre, ne savent plus ce que lien social veut dire.
Introduction à la politique criminelle 121

B - Refonder la répression
Dès lors qu'un acte de délinquance a été commis,
quelle que soit la gravité de cet acte, s'agirait-il même
d'une incivilité non qualifiable pénalement, une réponse
doit être apportée. Cette systématicité nécessaire de la ré-
ponse ne signifie pas unicité de la réponse au travers de la
poursuite pénale proprement dite. On sait que la sanction
civile ou administrative, les procédures de médiation ou
encore la réponse thérapeutique peuvent conduire à un ré-
tablissement de l'ordre public et du lien social sans qu'il
soit fait appel à la répression classique. Mais lorsque la
poursuite et la sanction pénale sont nécessaires, prôner une
politique criminelle participative exige aussi le renouvel-
lement des réponses propres des institutions que sont la
police et la justice sur le devant de la scène en matière de
co-production de la sécurité.
Il faut oser de nouvelles modalités d'intervention pour
la police et la gendarmerie et bousculer le fonctionnement
de la justice.

1- Oser de nouvelles modalités d'intervention


pour la police et la gendarmerie
Deux exemples sont particulièrement significatifs de la
volonté d'adaptation de la police et de la gendarmerie: la
mise en place d'une véritable police de proximité; la mise
en place de brigades de gendarmerie et de police nationale
de prévention de la délinquance des jeunes.

a - la police de proximité
La police de proximité est instituée progressivement
dans les vingt-six départements français les plus sensibles
et les quartiers où le besoin s'en fait le plus sentir. La po-
122 Christine Lazerges

lice de proximité se distingue de la police d'ordre domi-


nante de l'action policière et qui demeurera nécessaire. La
police de proximité se distingue aussi du classique îlotage.
La police de proximité est d'abord plus présente et plus
visible sur la voie publique. Elle prévient et le sentiment
d'insécurité et l'insécurité réelle. Elle se doit d'être territo-
rialisée et se veut plus proche des citoyens avec un
meilleur accueil des victimes. La police de proximité
cherche ensuite à être plus conforme à l'image de notre
société, en particulier dans les quartiers où elle déploie son
activité et surtout plus créative et dynamique dans sa dé-
marche partenariale avec les élus, les associations et les
autres administrations. Ces objectifs imposent une forma-
tion spécifique des policiers ou des gendarmes affectés à
ces fonctions.
L'expérience de la police de proximité, à l'image des
pratiques bien connues des Pays-Bas ou de la Belgique, se
conduit en France de manière significative depuis mai
1999. Les textes du Ministère de l'intérieur précisent que
sur un territoire déterminé, dans un quartier, un secteur,
une rue ou autour d'un îlot, des unités seront responsables
de l'ensemble de l'action policière, y compris en matière
judiciaire pour le recueil des plaintes et les premières in-
vestigations.
Le policier de proximité n'est pas seulement un îlotier.
Il doit nouer avec la population de son secteur des liens
étroits, il apprend à connaître ses besoins en matière de sé-
curité, il en tire les conclusions qui s'imposent sur la na-
ture des interventions les plus utiles, sur le type de service
adéquat à la situation; ill' associe pleinement à son propre
travail.
Le policier de proximité sera comptable de ses résultats
en procédant lui-même aux enquêtes de victimation et en
Introduction à la politique criminelle 123

recueillant les indices de satisfaction des habitants de son


quartier.
La réussite du projet politique impose outre une forma-
tion adéquate du policier de proximité le redéploiement
des forces de sécurité. En 1999, et c'est encore très insuf-
fisant, ce seront 1200 fonctionnaires qui seront ainsi af-
fectés dans les départements les plus sensibles auxquels
viendra s'ajouter la plus grande partie des 8300 adjoints de
sécurité en cours de recrutement.
L'enjeu de la police de proximité est d'autant plus fort
que l'un des maux dont souffre notre société, et plus préci-
sément les quartiers en difficulté, est l'absence de dialo-
gue, la rupture de lien et I'hostilité qui caractérisent les
relations entre jeunes et policiers.
La lutte contre les violences urbaines a été désignée par
l'article 4 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de
programmation relative à la sécurité comme une des mis-
sions prioritaires assignées à la police nationale pour les
années 1995 à 1999. On est parfaitement conscient au-
jourd'hui que cette mission ne peut être accomplie sans
qu'au préalable soit restaurée la possibilité d'intervention
des policiers dans certains quartiers. La police de proxi-
mité est à cet égard une étape incontournable.

b - Les brigades de prévention


de la délinquance des jeunes (BPDJ)
Depuis septembre 1997, la gendarmerie nationale expé-
rimente avec succès, semble-t-il, les brigades de préven-
.
tion de la délinquancejuvénile 8.

8. Christine LAZERGES, Jean-Pierre BALDUYCK, Rapport


précité, p. 106 et s.
124 Christine Lazerges

Les BPDJ au nombre d'une vingtaine en 1999 ont pour


mission d'aller au contact des jeunes, d'intervenir dans les
établissements et' les structures de loisirs fréquentés par
eux, de mettre en place des partenariats avec les acteurs
sociaux et les institutions, de participer à toutes les cam-
pagnes de protection et de prévention au bénéfice des mi-
neurs, d'aider enfin les brigades territoriales à mieux
prendre en charge les mineurs délinquants et traiter la dé-
linquance des mineurs.
Contrairement au nom qu'elles portent, les BPDJ exer-
cent également une compétence en matière d'enfants vic-
times aux fins là aussi de soutenir l'action des brigades
territoriales dans ce domaine. La mission de prévention est
très exigeante: elle suppose un temps considérable, pro-
duit des résultats peu quantifiables et tranche avec la mis-
sion de dissuasion et de répression habituellement confé-
rée à un agent de la force publique.
Pour cette raison, au départ les BPDJ ne devaient pas
avoir de compétences judiciaires, certaines en ont au-
jourd'hui. La mission de prévention fondée sur le partena-
riat demeure première.
La présence systématique dans chacune de ces brigades
d'un formateur-relais anti drogue (FRAD) intervenant
dans les établissements scolaires est le signe de cette prio-
rité accordée à la prévention.
La police nationale avait bien institué, depuis 1934 à
Paris et 1970 sur l'ensemble du territoire, des brigades de
mineurs, mais elles se consacraient en principe unique-
ment aux enfants victimes d'infractions pénales (violences
physiques et sexuelles) et en danger.
La circulaire interministérielle du 6 novembre 1998 re-
lative à la délinquance des mineurs invite les brigades des
mineurs à s'intéresser, à l'image de l'expérience de la
Introduction à la politique criminelle 125

gendarmerie nationale, aux mineurs délinquants et pas


seulement aux mineurs victimes.
En outre, dans chaque circonscription de sécurité publi-
que et dans chaque compagnie de gendarmerie est mis en
place un « correspondant local jeunes» chargé notamment
de tenir le « tableau de bord» de la délinquance liée aux
mIneurs.
Comme Jean-Pierre Balduyck et moi-même le propo-
sions dans notre rapport, les unités spécialisées de la gen-
darmerie nationale ou de la police nationale doivent être
mises à contribution par l'ensemble des acteurs d'une sé-
curité co-produite comme lieux-ressources. C'est une ré-
volution culturelle pour la police et la gendarmerie à
laquelle nous appelons, les pouvoirs publics l'ont bien
compris et traduit par la consécration de dispositifs nou-
veaux plus spécialisés.
Une police de proximité mieux formée au partenariat,
une police plus adaptée à certaines formes de délinquance
comme la délinquance des jeunes, appellent une justice
ouverte aussi sur l'extérieur, sur la société civile, accessi-
ble et compréhensible.

2 - Bousculer lefonctionnement de la justice pénale


A l'évidence la justice pénale, encombrée à l'extrême,
ne répond qu'imparfaitement à l'attente des citoyens et
selon des modalités qui donnent trop souvent l'image
d'une justice hautaine, lointaine, lente, inadaptée dans son
fonctionnement et par les sanctions prononcées.
Sur 4 941 334 procès verbaux reçus en 1997, 3 902 747
seront classés sans suite dont 848 409 concernant des au-
teurs connus. Mais cette même année, les chiffres et les
pourcentages les plus intéressants concernant l'activité des
126 Christine Lazerges

parquets, sont ceux des procédures alternatives aux pour-


suites en augmentation de 12,4% par rapport à l'année
précédente et atteignant le nombre de 101 341.
La justice pénale use aujourd'hui de voies autres (clas-
sements sous conditions, médiations, médiations-répara-
tions, injonctions thérapeutiques, compensation pénale)
que les seules voies du classement sans suite pur et simple
ou de la poursuite proprement dite.
La réforme de la justice engagée par le Garde des
sceaux à l'automne 1997 vise trois objectifs:
une justice plus proche des citoyens;
une justice plus respectueuse des libertés;
une justice plus indépendante.
Quand nous disons bousculer le fonctionnement de la
justice, nous renvoyons à l'ambition et la nécessité d'une
justice plus proche des citoyens, fonctionnant pour et avec
les citoyens. Ce mouvement de politique criminelle est en-
clenché depuis le début des années 1990.
La loi du 18 décembre 1998 sur l'accès au droit et la ré-
solution amiable des conflits permet de renforcer la justice
de proximité et de rendre ce service public plus adapté aux
besoins des habitants.
La loi du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la pro-
cédure pénale doit permettre à la justice d'apporter des ré-
ponses rapides, adaptées et systématiques aux actes de pe-
tite et moyenne délinquance, celle qui est vécue comme
source d'insécurité.
L'expérience puis l'institutionnalisation des maisons de
justice et du droit, la mise en place par certains parquets de
groupes locaux de traitement de la délinquance illustrent
particulièrement bien le développement d'une politique
criminelle participative refondant la répression.
Introduction à la politique criminelle 127

a - Les maisons de justice et du droit


C'est seulement depuis la loi du 18 décembre 1998
qu'une définition est donnée par le législateur des maisons
de justice et du droit dans les termes suivants: «Il peut
être institué des maisons de justice et du droit, placées
sous l'autorité des chefs du tribunal de grande instance
dans le ressort duquel elles sont situées. Elles assurent une
présence judiciaire de proximité et concourent à la pré-
vention de la délinquance, à l'aide aux victimes et à
l'accès au droit. Les mesures alternatives de traitement
pénal et les actions tendant à la résolution amiable des liti-
ges peuvent y prendre place ».
Processus bien connu maintenant, l'expérimentation,
ici, a précédé la consécration par le législateur.
Avant juin 1997, 16 maisons de justice et du droit
fonctionnaient en France, une quarantaine de plus ont ou-
vert entre juin 1997 et juin 2000.
Plus de quarante projets sont en cours d'examen, ils
constituent l'un des volets des contrats locaux de sécurité
en préparation, eux-mêmes volets des contrats de ville.
C'est bien la politique de la ville dans une logique de
réinstallation ou de redynamisation de services publics de
proximité qui a permis par convention que prennent corps
les premiers projets de maison de justice et du droit à
Pontoise puis à Lyon et dans son agglomération.
Les maisons de justice et du droit mettent en œuvre une
action judiciaire pénale différenciée et décentralisée
comme l'indiquaient les premières conventions les insti-
tuant. Elles ne peuvent exister que dans le partenariat du
service public de la justice avec les collectivités locales,
quelquefois le barreau et un plus ou moins grand nombre
d'associations, dont systématiquement l'association locale
d'information et d'aide aux victimes.
128 Christine Lazerges

Situées le plus souvent dans les quartiers en difficulté,


elles cherchent à être des lieux d'écoute, où les conflits
sont négociés, qu'il s'agisse du classement sans suite sous
condition dont bénéficie un mineur ou un majeur délin-
quant, ou d'un conflit de voisinage.
Le souci de restauration du lien social prend le pas sur
celui de sanction. Médiation pénale - médiation réparation
sont au cœur des pratiques des maisons de justice.
Traitement rapide, logique gestionnaire et quantitative
dominent le fonctionnement de certaines maisons de jus-
tice, mais de façon générale, c'est bien l'objectif de justice
de proximité et de justice autre qui cherche à être atteint.
La présence de magistrats et pas seulement de délégués du
procureur en maison de justice est inégale 9.
Bousculer le fonctionnement de la justice, ce n'est pas
simplement idéaliser une troisième voie en maison de jus-
tice entre le classement sans suite et la poursuite pénale
dans un palais de justice, mais tisser autour du palais de
justice un réseau de lieux porteurs de justice, animés par
les partenaires de la justice et les magistrats eux-mêmes.
Impliqués dans le fonctionnement des maisons de jus-
tice et du droit, certains partenaires de la justice le sont
aussi dans les groupes locaux de traitement de la délin-
quance.

b - Les groupes locaux de traitement de la délinquance


(GLTD)
Pragmatisme, recherche d'efficacité, sont à l'origine de
l'invention à l'initiative de certains parquets et conjointe-

9. Anne WYVEKENS, Le traitement de la délinquance urbaine


dans les maisons de justice, ln Justice, « Justice et villes », p. 93 et s.,
Dalloz, 1995.
Introduction à la politique criminelle 129

ment des services de police et d'élus locaux, des groupes


locaux de traitement de la délinquance (GLTD).
Cette expérience est née du constat de situations d'une
gravité particulière dans des quartiers difficiles. Les pre-
miers GLTD ont été institués en Seine-Saint-Denis pour
définir les priorités de l'action publique concernant les
faits à réprimer et les moyens à mettre en œuvre pour paci-
fier les quartiers choisis. Temporaires dans l'esprit, les
GLTD ont généralement permis d'obtenir des résultats si-
gnificatifs en quelques mois.
Sans parler expressément de GLTD, la circulaire du 28
octobre 1997 sur les contrats locaux de sécurité ratifie
l'expérience dans son chapitre sur la territorialisation de
l'action judiciaire dans les termes suivants: « Les contrats
locaux de sécurité doivent permettre de rendre plus sim-
ples et plus directes les relations entre le parquet et les
municipalités. Il est essentiel à cet égard, que soient nom-
mément désignés, tant au sein des communes, qu'au sein
des parquets, des interlocuteurs permanents.
Pour des contacts réguliers, ce système doit tout à la
fois permettre une meilleure adaptation de la politique pé-
nale et une meilleure compréhension de celle-ci par les
élus et la population.
A chaque fois que cela s'avérera nécessaire, et dans la
mesure des possibilités de leur parquet, les procureurs de
la République pourront également sectoriser leur organi-
sation de façon à mieux adapter l'exercice de l'action pu-
blique à la réalité de la délinquance et allier ainsi la
proximité dans le temps qui résulte du traitement en temps
réel des infractions, à la proximité dans l'espace».
Allier proximité dans le temps et proximité dans
l'espace, tel est bien l'enjeu des GLTD, mais aussi plus
globalement du « bousculer» le fonctionnement de la jus-
tice pénale.
130 Christine Lazerges

Comme l'ont très bien dit Jacques Donzelot et Anne


Wyvekens à propos des GLTD, «Tout se passe comme si
la répression des individus était un moyen, un prétexte à la
limite, pour engager une action sur ce qui ne relève pas de
la justice, mais dont personne ne peut s'occuper sans elle.
C'est un double tabou qui s'effondre: celui qui veut que
les institutions non judiciaires se tiennent hors le registre
de la répression, celui qui veut que la magistrature ne
s'intéresse qu'à la répression» 10.
Refonder la répression n'est-ce pas précisément ce
partage sans brouillage des repères entre des partenaires
pour qui la répression comme la prévention est l'affaire de
tous?
Refonder la répression n'est-ce pas rechercher pour la
police comme pour la justice un fonctionnement en syner-
gie avec d'autres institutions dans le refus du vase clos ou
de la tour d'ivoire.
L'expression politique criminelle participative prend
tout son sens par la proximité dans le temps et dans
l'espace des acteurs de la prévention, de la répression et de
la réinsertion et des réponses étatiques et sociétales au
double phénomène de la déviance et de la délinquance.

10. Jacques DONZELOT, Anne WYVEKENS, La politique judi-


ciaire de la ville: de « la prévention» au « traitement ». Les groupes
locaux de traitement de la délinquance. Mission de recherche « Droit
et justice» IHESI-DIV, décembre 1998.
Conclusion

Une question a été éludée, celle de l'évaluation d'une


politique criminelle, a-t-on reculé devant la difficulté?
Pourtant rien de plus actuel que les recherches évaluatives
dans le champ des politiques sociales, mais que
d' incertitudes I.
Denis Szabo observe « qu'en ce qui concerne le choix
et la construction des indicateurs notre domaine est moins
bien pourvu que les autres secteurs de politique sociale...
De très nombreuses recherches n'ont pas été faites en cri-
minologie et notre ignorance a des conséquences inévita-
bles dans le choix et la fabrication des indicateurs...
L'examen de travaux n'incite guère à l'optimisme quant à
la faisabilité de recherches évaluatives des programmes de
politique criminelle» 2.
Difficulté supplémentaire, l'évaluation devrait porter
sur la réception et l'impact d'une politique criminelle, or
distorsions dans le temps et dans l'espace caractérisent
cette réception; l'essai d'évaluation pour être sérieux, sauf

1. Commissariat général du plan, Les politiques sociales transver-


sales. Une méthodologie d'évaluation de leurs effets, La Documenta-
tion française, 1986.
2. Denis SZABO, « L'évaluation des politiques criminelles:
quelques réflexions préliminaires », Revue de science criminelle et de
droit pénal comparé, 1981, p. 1 et s.
132 Christine Lazerges

à se contenter de définir de grandes tendances, implique le


choix de terrains relativement étroits 3.
A défaut d'indicateurs fiables pour jauger une politique,
nous pensons pouvoir justifier un choix de politique cri-
minelle par un choix de valeurs la fondant et l'expliquant.
L'Etat de droit laïc ne peut convertir ni le déviant ni le
délinquant, ce qui explique toute l'ambiguïté du concept
d'amendement ou même de réinsertion. Mais l'Etat, avec
la participation de la société civile, peut par contre favori-
ser la réconciliation du déviant ou du délinquant avec lui-
même par l'insertion contraire de l'exclusion, favoriser la
réconciliation du délinquant avec la société en garantissant
l'accès de tous aux droits fondamentaux, enfin favoriser la
réconciliation de la société avec les fauteurs de troubles
dans l'ordre de la cité.
Cette politique criminelle décrite ainsi en filigrane ne
rejette pas la répression, a foi dans la prévention et la con-
ciliation, s'appuie sur la solidarité, dans le respect des
droits de I'homme.

3. Philippe ROBERT, « Evaluer la prévention », Archives de po-


litique criminelle, n° 16, Pédone, 1994.
Éléments de bibliographie

Ouvrages
Marc ANCEL, La défense sociale nouvelle (Un mouve-
ment de politique criminelle humaniste), Paris, Cujas,
1954, 2èmeéd., 1966, 3èmeéd. 1981.
Gilbert BONNEMAISON, Rapport des maires sur la sécu-
rité : Face à la délinquance: prévention, répression, soli-
darité, La Documentation Française, 1983.
Christian BUCHMANN, Nicole LE GUENNEC, Violen-
ces urbaines: ascension et chute des classes moyennes à
travers 50 ans de politique de la ville, Albin Michel, Paris,
1996.
Robert CARIa, Jeunes délinquants. A la recherche de la
socialisation perdue, L'Harmattan, 2èmeéd. 1999.
Jean-Claude CHESNAIS, Histoire de la violence, Paris,
Laffont, 1981.
A. COHEN, La déviance, Duculot, 1971.
La criminologie. Bilan et perspectives, « Mélanges offerts
à Jean Pinatel », Paris, Pédone, 1980.
134 Christine Lazerges

Mireille DELMAS-MARTY, Modèles et mouvements de


politique criminelle, Economica, 1983.
Mireille DELMAS-MARTY, Les grands systèmes de po-
litique criminelle, Thémis, PUF, 1992.
Jacques DONZELOT, Philippe ESTEBE, L'Etat anima-
teur, éd. Esprit, 1994.
Michel FOUCAULT, Surveiller et punir, Gallimard, 1976.
Filippo GRAMATICA, Principes de défense sociale, Pa-
ris, Cujas, 1964.
S. Howard BECKER, Outsiders. Etudes de sociologie de
la déviance, A.m.métaillé, 1985.
Christine LAZERGES, Jean-Pierre BALDUYCK, Répon-
ses à la délinquance des mineurs, La Documentation
Française, 1998.
Alain PEYREFITTE, Réponses à la violence, La Docu-
mentation française, 1978.
Philippe ROBERT, Claude FAUGERON, Les forces ca-
chées de la justice, Centurion, 1980.
René SALEILLES, L'individualisation de la peine, Paris,
1898.
Denis SZABO, Criminologie et politique criminelle, Vrin,
Paris, 1978.
Michel WIEVORKA, Violences en France, Seuil, 1999.
Anne WYVEKENS, L'insertion locale de la J"ustice pé-
nale, L'Harmattan, 1998.
Introduction à la politique criminelle 135

Revues (où l'on trouvera de nombreux articles de poli-


tique criminelle)
Archives de Politique Criminelle, Paris, Pédone (Publica-
tion du Centre de Recherche de Politique Criminelle -
CRPC) et de l'Equipe de Recherche sur la Politique Cri-
minelle - ERPC).
Cahiers de la sécurité intérieure (Publication de l'Institut
des Hautes Etudes sur la Sécurité Intérieure - IRESI).
Revue de Science criminelle et de droit pénal comparé,
Paris.
Déviance et société, Genève.
Cahiers de Défense sociale (Bulletin de la société interna-
tionale de Défense sociale), Milan.
Revue de Droit pénal et de Criminologie, Bruxelles.
Revue internationale de Droit pénal, publiée par
l'Association Internationale de Droit Pénal.
Revue pénitentiaire et de droit pénal, Paris.
Table des matières

In trod uctio n 7

Première partie
L'élaboration d'une politique criminelle 11

1. Idéologies et options en politique criminelle 13


A - L'impact d'écoles de pensée
sur la politique criminelle 14
1 - L'école de lajustice absolue 14
2 - Les écoles classiques et néo-classiques .15
3 - L'école positiviste 17
4 - Le mouvementde la Défense sociale nouvelle 18

B - La juxtaposition d'options
en politique criminelle .20
1 - L'idéologie sécuritaire 20
2 - L'idéologie de l'insertion 22
138 Christine Lazerges

2. Modèles de politique criminelle 25


A - Les modèles étatiques 33
1 - Le modèle Etat autoritaire 33
a - La réponse étatique à l'infraction 33
b - La réponse étatique à la déviance 34
2 - Le modèle Etat totalitaire 35
a - Le sous-modèleEtatjusticier 36
b - Le sous-modèle Etat guérisseur 36
3 - Le modèle Etat-société démocratique 37
a - La variante pénale 38
La relation aux autres instances étatiques 38
La relation aux autres instances sociétales 42
a - La variante administrative 45
La prévention-répression administrative 45
La répression administrative proprement dite 46
c - La variante civile 47
La variante civile, sous la forme classique
d'un procès civil 48
La variante civile, sous la forme du recours
en indemnisation devant les CIVI 49
d - La variante de médiation 50

B - Les modèles sociétaux 53


1 - Le modèle Société péri-étatique 54
a - La variante protestataire 54
b - La variante d'auto-défense 55
c - La variante disciplinaire 55
2 - Le modèle Société du regard permanent 56
Introduction à la politique criminelle 139

Deuxième partie
La réception d'une politique criminelle 59

3. La politique criminelle législative 61


A - Le discours de politique criminelle
du législateur dans la loi « sécurité et liberté » ...64
, . . . . . .
1 - L 0 b~ectlvatlon InSIdleuse..................................... 65
a - La netteté des options dans le choix des faits
à incriminer et à réprimer en priorité 65
b - La souplesse dans la définition
de certaines infractions 67
2 - L'objectivation manifeste 69
a - La part du juge dans le choix de la sanction 69
b - La part du juge dans l'exécution de la sanction 70

B - Le discours de politique criminelle


du législateur dans le titre III du Livre 1er
du Code pénal, Des peines 73

C - Le discours de politique criminelle


du législateur dans les ordonnances du
2 février 1945 et du 23 décembre 1958 concernant
l'enfance délinquante et l'enfance en danger
constituant droit des mineurs 77
1 - Le mineur délinquant 79
2 - Le mineur en danger 81

D - Le discours de politique criminelle du législateur


concernant les victimes 82
1 - L'action en justice est facilitée 84
2 - La gamme des mesures conservatoiresau profit des
victimes est élargie 84
3 - L'indemnisation des dommages est accélérée 85
4 - L'effectivité de l'indemnisation est favorisée 85
140 Christine Lazerges

4. La politique criminelle judiciaire 89


A - Politique criminelle judiciaire
et protection des droits de l'homme 91
1 - Cour européennedes droits de I'homme
et protection de ses droits de I'homme 92
2 - Conseil constitutionnel
et protection des droits de I'homme 94
a - Le conseil constitutionnel et la Convention
européenne des droits de l'homme 95
b - Le conseil constitutionnel
et la liberté individuelle oe 96
La décision du 28 novembre 1973
concernant les mesures privatives de liberté 97
La décision du 12janvier 1977 97
La décision du 2février 1995 98
3 - Juridiction de l'ordre judiciaire
et protection des droits de l'homme 99
a - Lesjuridictions de l'ordre judiciaire et
la Convention européenne des droits de l'homme...lOO
b - La chambre criminelle de la cour de cassation
et la liberté individuelle: l'exemple des contrôles
d'identité 101
4 - Juridictions de l'ordre administratif
et protection des droits de l'homme l 03

B - Politique criminelle judiciaire et mise en œuvre


de la médiation-réparation pour les mineurs 105

5 - Pour une politique criminelle participative l09


A - ReConder la prévention 111
1 - De la politique de prévention de la délinquance
à la politique de la ville .112
2 - les acteurs et les missions
d'une politique de prévention refondée 116
Introduction à la politique criminelle 141

B - Refonder la répression 121


1 - Oser de nouvelles modalités d'intervention
pour la police et la gendarmerie 121
a - La police de proximité 121
b - Les brigades de prévention de la délinquance
des jeunes (BPDJ) 123
2 - Bousculer le fonctionnement
de la justice pénale 125
a - Les maisons de justice et du droit 127
b - Les groupes locaux de traitement
de la délinquance (GLTD) 128

Conclusion 131

Eléments de bibliographie 133

Table des matières .137

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