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INTRODUCTION GENERALE

La criminologie est souvent présentée comme science du crime ou des phénomènes


criminels. Lorsque l’on parle du crime, souvent, on pense directement au meurtre,
assassinat (….) aux actes violents ou d’extrême violence, alors que du point de vue
pénal, le crime est le nom donné légalement à certains comportements élus pour que
leur commission soit sanctionnée d’une peine. Jusqu’aujourd’hui, les concepts
« crime » et le « criminel » pour beaucoup de gens, renvoient aux actes d’extrême
cruauté commis par les individus considérés comme « ontologiquement » mauvais
(criminel né).

Selon M. Kaluszynski, depuis des siècles, « le crime a toujours été envisagé, jugé, haï,
frappé comme un acte de méchanceté. Avec la sociologie ou l’anthropologie
criminelle, le crime s’apparente à un phénomène d’ordre naturel plus ou moins
nuisible, plus ou moins pathologique 1». Ce qui fait dire C. Nagels que le «crime» est
un objet paradoxal, il n’est pas étonnant de constater que la criminologie a eu
quelques difficultés à l’étudier comme totalité2.

C. Debuyst quant à lui, présente le crime comme le résultat d’un découpage partiel et
partial à propos d’une réalité multiforme et complexe, dont aucune lecture ne permet
la saisie intégrale. Le criminologue a d’abord préféré concevoir le crime comme un
comportement, comme un fait social brut, une chose existant en tant que telle, le
droit pénal ne faisant que reconnaître cette existence à postériori en lui apposant une
qualification et une sanction appropriée (Pires, 1995). Ainsi, la connaissance du
crime, qu’elle soit commune ou experte, repose sur une quantité de préoccupations,
des préjugés et d’implicites. C’est ce qui fait dire Dan Kaminski (2014) que la
criminologie est plurielle et vit des controverses. Cela, lui donne un caractère
dynamique précieux pour alimenter les questionnements dont elle relève.

Nous pouvons dire que la vie quotidienne dans ses différents aspects est
criminologique, chaque jour qui passe, nous faisons de la criminologie sans le savoir.
D. Garland3 parle de la criminologie de la vie quotidienne. Pour les criminologues de
la vie quotidienne, tels que M. Cusson, le criminel n’est pas perçu comme un
individu différent, sous-socialisé ou victime de carences affectives qu’il s’agit de

1
Martine Kaluszynski. Entre science et politique, la criminologie, une science sociale en balbutiements. Tempo
Social, Universidade de Sâo Paulo, 2020, 32 (3), pp.41.
2
Nagels, Carla. « Quand la « délinquance des élites » contribue au savoir criminologique. » Criminologie,
volume 49, numéro 1, printemps 2016, p. 179–202.
3
D. Garland, « les contradictions de la société punitive : le cas britannique », Actes de la recherche en en
sciences sociales, n°124, p52.

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rééduquer, mais comme un individu normal, hédoniste et opportuniste. Le crime est
considéré comme un phénomène normal, la contrepartie de nos libertés individuelles
et de nos marchés non règlementés, la dimension extérieure de nos décisions
économiques. Le crime est un risque (nouvelle pénologie), et l’action sur celui-ci
devrait cesser d’être avant tout une action sur des personnes délinquantes et devenir
une action conçue pour gouverner les habitudes sociales et économiques. La
politique criminelle doit mètre l’accent sur la réduction des opportunités criminelles,
sur la situation du passage à l’acte et non sur le délinquant lui-même.

Dans la vie quotidienne, les questions du genre pourquoi et comment devient-on


criminel, sont sur la bouche de tout le monde. Cependant, les réponses ne sont pas
souvent éclairées par une démarche scientifique déterminée. Depuis 18 émesiècle, les
chercheurs ont commencé à donner de réponses scientifiques à ces questions selon
les approches ou les écoles (positiviste, classique…).

Aujourd’hui, la criminologie s’invite dans beaucoup de domaines de la vie :


politique, religieux et social…. Elle permet de comprendre et d’expliquer les réalités
politiques, religieuse sociales… dans la société4. La critique des institutions, les
questions sur le mode de production des lois, de leur application et sur le
transgresseur préoccupent les chercheurs en criminologie au plus haut point. Comme
analyseur du politique et du social, le discours sur l’homme criminel est avant tout
un discours sur l’homme, dans un de ses états exacerbés qu’est le crime, mais un
discours sur l’homme et la société5.

De nos jours, en RDC, il n'est pas rare de devoir faire face à des questions de
criminalité dans différents contextes. Comment agir face à cette criminalité ? Quels
moyens de prévention existe-t-il ? Ainsi, une véritable approche scientifique s'est
développée afin de pouvoir analyser, expliquer et comprendre toutes les questions
liées à la criminalité.

La vision de l’homme criminel est l’image d’un être social dont l’histoire et les
mouvements qui l’ont marqué sont à prendre en compte. “Le criminel n’est pas un
sauvage, c’est l’homme moderne, produit de notre âge d’industrialisme et
d’émancipation.” (Lacassagne, 1909, p. 898). L’homme comme un être pluriel,
demeure une question dont on n’a pas toujours des réponses exactes. Il surprend,
étonne parfois par son intelligence, mais son côté « sombre » est souvent interprété

4
La société comme une organisation qui repose sur la force et la contrainte et dans laquelle il existe une
distribution différentielle de pouvoir et d'autorité.
5
Martine Kaluszynski, Entre science et politique, la criminologie, une science sociale en balbutiements…

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comme anormal pour les uns et scandaleux pour les autres. Un brillant Professeur de
l’Université mais corrompu, violeur des jeunes filles, menteur. Un prêtre
respectueux mais qui vit dans l’adultère avec les femmes d’autrui. Comment
concilier les valeurs et les antivaleurs dans le chef d’une seule personne ? Comment
peut-on être en même temps honnête et voleur ? Criminel et honnête ? Respectueux
de la loi et hors la loi ? C’est pour autant dire que l’homme n’est pas une entité
abstraite et sa dimension sociale le caractérise. L’objectif dans ce cours n’est pas de
répondre à toutes ces questions.

Le but de ce cours est donner aux étudiants un bagage criminologique suffisant


pouvant les permettre d’être capable de se situer dans les débats contemporains
autour du crime, criminel et phénomène criminel. Pour ce faire, on va doter
l’étudiant des connaissances sur les deux grands paradigmes et les différentes
théories en criminologie. Faire participer les étudiants aux débats théoriques sur la
criminologie (son statut épistémologique, sa date de naissance, son code de langage)
et concilier les différentes théories à la pratique.

Nous voulons ici, initier les étudiants à la recherche en criminologie en leur donnant
les outils nécessaires pour poser des bonnes questions en criminologie et y répondre.
Chercher la place de la criminalité dans notre société ainsi que les systèmes judiciaire
et pénitentiaire qui y sont étroitement liés.

C’est aussi un cadre pour penser une criminologie purement congolaise, porteuse de
ses propres concepts6 et approches en rapport avec nos réalités. Pour nous, c’est une
occasion de débattre des questions politique et socio-culturelles et de notre système
pénal dans ses différentes ramifications. Nous sommes convaincus qu’une bonne
lecture criminologique des phénomènes sociaux congolais permet d’appréhender la
criminalité dans toute sa complexité et de contribuer à l’amélioration de notre
système pénal et notre politique criminel.

Dans le cadre de ce cours, nous allons parler du statut épistémologique ou la nature


de la criminologie comme « science », et donner quelques approches théoriques en
criminologie pouvant permettre aux étudiants ou aux éventuels lecteurs d’analyser le
social ou de comprendre et d’expliquer certains phénomènes criminels.

6
Un concept n’est pas la description de phénomènes concrets mais bien une catégorie intellectuelles, permettant
de rendre compréhensible un certains ordre de phénomènes. Plus qu’une simple définition comme on en trouve
par milliers dans les dictionnaires, un concept scientifique constitue en lui-même, par l’articulation de ses
composantes un schéma théorique destiné à rendre les phénomènes intelligibles. Il implique une « conception
théoriquement élaborée de la classe de phénomènes dont il a vocation de rendre compté. Introduction à l’analyse
des phénomènes sociaux. Luc Van Campenhoudt, Paris, Dunod, 2011, p.37, 40

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PREMIERE PARTIE

CRIMINOLOGIE : SCIENCE CONTROVERSEE

De manière générale, l’introduction d’un savoir présuppose que ce savoir constitue


une discipline autonome avec une définition (étymologique) préalable de ce dont on
va parler. Si selon A. Pires, la méthode courante consiste à commencer par élucider le
nom de la discipline à partir de son étymologie ou de son origine. Des sciences telles
la biologie, la psychologie ou la sociologie ont un objet relativement autonome en ce
sens qu’elles peuvent être définies sans trop de problèmes car leur nom renvoie à
leur objet. Il n’en est pas ainsi pour la criminologie. Raison pour laquelle, il dit que ce
n’est pas chose facile de faire une introduction à la «criminologie ».

Dans le cas de la philosophie par exemple, on peut dire que le terme provient du grec
et qu’on le traduit par « amour » ou « recherche » (philia) de la « sagesse » « sophia ».
De même pour la biologie dont l’objet est l’étude de la vie comme son étymologie
l’indique (bios : vie ; psycho : âme ; socio : société, bios : vie ou l’étude des
phénomènes vitaux. Les spécialistes en la matière, s’accordent sur le nom et l’objet de
ces disciplines.

Comme nous pouvons le constater, cette méthode se caractérise en général par le fait
qu’on s’entend approximativement sur l’existence de la discipline et qu’on trouve,
dans le nom même, une sorte de renvoi utile et condensé à l’objet d’étude. Ce même
raisonnement peut se tenir pour les disciplines comme anthropologie, ontologie,
paléontologie (…) et tant d’autres disciplines sans plus de difficultés. Ces différentes
disciplines ne dépendant pas d’une autre instance (science) pour définir leur objet.

Par rapport à la « criminologie », nous disons à la suite d’A. Pires (1995) qu’aucune
de ces conditions ne semble satisfaire. On ne s’entend pas sur le statut de science
autonome, le consensus sur ses objets7 a toujours été éphémère et partiel. La
criminologie partage ses analyses et son objet avec d’autres sciences. La
détermination de sa date de naissance fait l’objet de discussions interminables et, à
part les cas les plus évidents, on ne sait pas dire facilement de quel critère un
ouvrage sera considéré comme étant ou non de la « criminologie ».

7
Les objets de la criminologie différents selon qu’on est dans le premier ou deuxième paradigme. Pour la
paradigme étiologique, c’est le criminel et pour le paradigme de la réaction social c’est la criminalisation
primaire et secondaire.

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CHAPITRE I. STATUT EPISTEMOLOGIQUE DE LA CRIMINOLOGIE

INTRODUCTION

Le statut épistémologique de la criminologie comme discipline est un problème déjà


beaucoup plus délicat. Le mot criminologie est lui-même relativement récent 8. Selon
les pays, l’existence ou non de la criminologie comme discipline, de même que le
sens qui y est donné dépendent de trajectoires historiques singulières dont il faut
chaque fois retracer les étapes et modalités. La bataille pour l’existence disciplinaire
de la criminologie demeure inséparable d’une promotion plus large de modes de
questionnement, de catégorie de pensée et de mises en récit spécifique (F.Brion et al,
2015).

La question de savoir si la criminologie est une science comme toutes les autres
préoccupe un grand nombre de chercheurs. De raisons sont multiples, pour certains
auteurs, elles sont de l’ordre scientifiques pour d’autres elles sont d’ordre politiques.
Le nom même de «criminologie » qui a été inventé dans le dernier quart du XIX
siècle, n’a pas été la seule appellation, ni probablement la première, par laquelle, on a
désigné ce savoir. Les expressions comme «anthropologie criminelle», « sociologie
criminelle» semblent avoir précédé celle de « criminologie et d’autres appellations
ont été mis à contribution par après. A cette digression sur la l’appellation de la
criminologie s’ajoute aussi la question de sa date de naissance et de sa vraie
définition.

Dans ce chapitre, il sera question du statut épistémologique de la criminologie, de sa


définition, et de sa date de naissance. Nous allons essayer non seulement de rappeler
l’origine de la criminologie mais de poser des bases pour la compréhension de
certaines réalités congolaises ou phénomènes criminels.

SECTION I : LES GRANDES REPRÉSENTATIONS MAJEURES DE LA


CRIMINOLOGIE

La question de la scientificité de la criminologie est loin d’être terminée, les auteurs


sont partagés sur ce point. Dès sa naissance, la criminologie comme discipline
scientifique a connu quelques difficultés à définir son propre objet et la délimitation
de celui-ci. Plusieurs débats ont jalonné la discipline criminologique depuis sa

8
J.Gariepy et S. Rizkalla, criminologie générale, Deuxième édition, Canada, Modulo, p.1.

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naissance à la fin du XIXe siècle et ne sont toujours pas épuisés 9. A. P. Pires propose
l’idée selon laquelle l’existence d’une science ou d’une discipline suppose un accord
ou un consensus relatif dans la communauté scientifique concernée sur quatre
points : la date de naissance de la discipline, son appellation, un statut de science
autonome et les objets qu’elle se propose d’étudier10.

Selon Lombroso et Ferri, la criminologie est une branche d’autres sciences (comme
biologie et sociologie), pour M. Cusson et Gariepy J., elle est une science autonome et
enfin pour Sutherland et A. Pires, est à la fois un corpus de connaissance, un champ
d’étude et une activité de connaissance. Cette diversité de compréhension et
d’approche fait de la criminologie un objet délicat à saisir, porteur d’une trop large
représentation de sens.

Selon A. Pires (1995), depuis la naissance de l'École positive 11 italienne avec


Lombroso, Ferri et Garofalo dans le dernier quart du XIXe siècle, au moins trois
représentations majeures de la criminologie ont été véhiculées par les différents
auteurs dans ce champ. Ces trois premières représentations de la criminologie ont été
préalablement indiquées par Ellenberger (1965, 8).

§1. La première représentation

Elle est probablement la plus ancienne, et celle-ci voit la criminologie comme une
branche d'une autre science. Le choix de la « science-mère » dépend alors des
préférences théoriques de chaque auteur en particulier. Elle fait la différence entre
« criminel » et individus « normaux ». Cette représentation a été véhiculée, entre
autres, par au moins deux des principaux représentants de l'École positive italienne
(Lombroso et Ferri). Ainsi, par exemple, Lombroso 12 considérait autrefois la

9
C.Nagels Quand la « délinquance des élites » contribue au savoir criminologique, Revue de la criminologie, Un
article de la revue Criminologie Volume 49, numéro 1, printemps 2016, p. 179–202.
10
ALVARO Pires, « La criminologie d’hier et d’aujourd’hui », 1995a, p ; 16
11
L'Ecole positiviste italienne proclame la nécessité d'étudier, à côté du délit légal –domaine réservé des juristes-,
l'homme délinquant (d'où l'anthropologie criminelle de Lombroso) et les conditions sociales de la délinquance
(d'où la sociologie criminelle de Ferri), ces deux orientations complémentaires se fondant dans une discipline
nouvelle : la criminologie (Garofalo). Pour les positivistes, la peine doit d'abord protéger la société (mesures de
sûreté). L’école positiviste italienne a eu une influence considérable au point qu’elle est à l’origine du
mouvement de la défense sociale. Partant du constat d’échec du système pénal en vigueur tel qu’élaborer par
l’école classique, puisque la criminalité ne cesse d’augmenter, que les peines sont inefficaces et que les prisons
ressemblent à une école de crime, l’école positiviste italienne optera pour une position radicalement différente.
12
Selon Lombroso : « quand un homme se prête à l’horreur du crime, c’est qu’il n’a pas suivi l’évolution propre à
l’homme, c’est qu’il s’est arrêté dans l’évolution normale et qu’il témoigne d’une histoire plus ancienne. Le
crime, ou l’aujourd’hui du passé ». Dans « L’homme criminel », ouvrage principal de Lombroso paru en 1876, il
développe l’idée que le criminel est un « atavis », un vestige du passé. C’est la première intuition de Lombroso.
Pour lui, la nature est fondamentalement criminelle. En quelque sorte, Lombroso renvoie le mal et son origine
sur la nature et ses mécanismes. Puisque l’homme criminel est un vestige du passé, qu’il n’a pas de sens moral,
selon Lombroso, il n’a aucune intériorité, il n’a pas d’espace interne : il ne peut y avoir de la place en lui pour

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criminologie comme une subdivision de la biologie et la différence entre le criminel
et l’homme normal est d’ordre biologique. Ferri (1905. 621), quant à lui, voyait la
criminologie comme une branche de la sociologie et la différence entre le « criminel »
et l’homme « normal » était multifactoriel et selon Garofalo de l’ordre
psychologique. Ceci n'est pas tout à fait étonnant, si l'on se rappelle que Ferri avait
proposé «le nom nouveau de sociologie criminelle» (Ferri, 1905 : 622) pour désigner
la nouvelle façon d'étudier la question criminelle. Or, ce nom renvoie, par lui-même,
à la sociologie comme science-mère.

Il sied de noter que selon Lombroso, l’homme est un être dont le sentiment de liberté
ne serait qu’une illusion. En réalité, dit-il, l’homme serait déterminé par une
multiplicité de facteurs endogènes et exogènes (biologiques, psychologiques et
sociaux) qui le contraignent dans certaines circonstances au passage à l’acte. Si l’on
veut expliquer pourquoi certains individus passent à l’acte (les criminels) et d’autres
non (les citoyens honnêtes), on est enclin à considérer que celui-ci est pour une bonne
part déterminé dans le cours de ses actions.

Pour Lombroso, la connaissance de ces facteurs (endogènes surtout) peut permettre


de combattre la criminalité par des moyens de répression et de prévention
appropriés. Cette approche déterministe va en contre-courant avec le système pénal
dont les postulats philosophiques reposent sur la responsabilité de l’être humain de
ses actes, dotés d’un libre arbitre et capable de choisir le cours de ses actions.
L’approche lombrosienne selon laquelle, l’individu est un être entièrement déterminé
qui ne peut agir autrement que comme il agit, s’oppose à la conception libérale de la
société qui repose sur le libre arbitre. Elle est à l’origine de nos sociétés
démocratiques modernes défendues par les théoriciens du contrat social.

La théorie de Lombroso considérée généralement comme désuète, non vérifiée,


aujourd’hui, on constate cependant qu’il y a des recherches qui tentent à découvrir
une éventuelle différence entre les criminels et les non-criminels. Il y a un débat
houleux autour de cette approche. Les recherches les plus récentes autour de la

des sentiments, pour de la réflexion. Le criminel est un être insensible. En témoigne les nombreux tatouages
qu’il porte. Mais puisqu’il ne possède pas de morale, pas de sentiment, il ne possède qu’un moi : la réalité
d’autrui lui est totalement étrangère. L’autre n’existe tout simplement pas. C. Lombroso a mis en avant que le
crime est le fait d’un homme et n’existe pas en dehors de lui. Connaître le crime, c’est d’abord connaître le
criminel, en cela Lombroso s’élève contre l’école pénale dominante qui pense que l’infraction est une entité
juridique qui relève de la logique du droit et de la spéculation. La question de la peine capitale donna l’occasion
à Lombroso et à ses disciplines de réaffirmer leur conviction de la nature innée de la transgression chez les
criminels-nés. “L’atavisme nous fait comprendre l’inefficacité de la peine envers les criminels-nés et le fait de
leur retour constant et périodique (au crime)”(Lombroso, 1899, p. 448). Il existe, il est vrai, écrit Lombroso, un
groupe de criminels, nés pour le mal, contre lesquels viendraient se briser comme contre un écueil toutes les
cures sociales, ce qui nous contraint à leur élimination complète, même par la mort (Lombroso, 1899, p. 543).

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génétique continuent de se développer sans donner une explication convaincante (D.
Kaminski et al 2014). Comme à la fin du XIXe siècle, c’est peut-être par la psychiatrie
que refait surface aujourd’hui une lecture positiviste et réifiante du crime et du
criminel pris comme objet d’études 13. Cette représentation a connu un réel succès à
son époque. Les ouvrages de ces auteurs ont été traduit dans plusieurs langues et
dans plusieurs revues scientifiques au point même d’être à l’origine du nouveau
code pénal italien de 1929 (Carla Nagels, 2023, 21).

§2. La deuxième représentation

C’est celle d'une science autonome au même titre que les autres sciences humaines.
Elle aurait cependant une nature interdisciplinaire, à la fois fondamentale et
appliquée. On a soutenu cette autonomie de deux manières relativement différentes.
Certains auteurs ont essayé de démontrer que la criminologie aurait alors, comme les
autres sciences humaines, des théories14, des concepts15, des méthodes16 et un
domaine propres (M.Cusson 1998). Selon ce point de vue, la criminologie ne se
confondrait pas, mais garderait des liens étroits avec le droit pénal et avec trois
sciences principales: la biologie, la psychologie et la sociologie. Remarquons que le
nombre de ces sciences d'appui change selon les auteurs. D'autres ont cru pouvoir
fonder l'autonomie scientifique de la criminologie dans une sorte d'activité de
synthèse et d'intégration des connaissances. La criminologie serait alors
scientifiquement autonome parce qu'elle intègre les connaissances produites par les
disciplines de base comme la biologie, la psychologie et la sociologie, et parce qu'elle
corrige leurs distorsions.

Il sied de noter que pour les partisans d’une criminologie étiologique, la criminologie
a bien un objet spécifique, qui est l’action criminelle, qui englobe à la fois l’acte et son
auteur (Gassin, 1988,36), alors que pour les partisans d’une criminologie de la
réaction sociale, la criminologie partage ses objets et son domaine d’étude avec
d’autres sciences (sociologie, psychologie, droit, histoire).

La tâche du criminologue est alors celle de faire des synthèses, plutôt que de faire
des recherches. Les auteurs emploient souvent ici des expressions comme «science-

13
CARTUYVELS Yves, « La criminologie et ses objets paradoxaux : retour sur un débat plus actuel que jamais ? »,
Déviance et Société, 2007/4 (Vol. 31), p. 445-464.
14
Théorie : Ensemble de notions, d'idées, de concepts abstraits appliqués à un domaine particulier.
15
Concept : Manière de se représenter une chose concrète ou abstraite; résultat de ce travail; représentation.
Représentation mentale abstraite et générale, objective, stable, munie d'un support verbal.
16
Méthode : manière de conduire et d'exprimer sa pensée conformément aux principes du savoir ; démarche
rationnelle destinée à découvrir et à démontrer la vérité. Méthodologie : ensemble de règles et de démarches
adoptées pour conduire une recherche.

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carrefour», «science-synthèse», etc., pour caractériser la criminologie. Certes, on a
aussi laissé entendre que la seule forme de recherche véritablement criminologique
serait la recherche complètement interdisciplinaire, telle que représentée par la
«causalité multiple». Cette représentation de la criminologie comme science
autonome semble avoir été dominante particulièrement en Europe continentale et au
Québec. Mais il est plus difficile d'identifier la période forte où elle s'est développée.
Elle serait néanmoins plus tardive que nous avons tendance à le croire, et doit se
situer quelque part entre la fin de la première guerre mondiale et la fin des années
1960. Cependant, contrairement à la représentation précédente, elle est encore
soutenue par certains criminologues contemporains dont M. Cusson et J. Gariepy
(1998).

Pour les partisans de la criminologie comme science, définit ainsi selon le Petit
Robert comme « tout corps de connaissances ayant un objet déterminé et reconnu, et
une méthode propres », la criminologie a acquis son statut scientifique dès l’instant
où elle a rempli les trois conditions suivantes :

 Accumulation d’un ensemble structuré de données, d’informations et de


connaissances qui lui sont propres ;
 Développement d’un système conceptuel, c’est-à-dire des théories et des
principes généraux ;
 Utilisation de méthodes de recherche crédibles et probantes dans l’étude des
phénomènes sociaux (J. Gariépy, 2002).

Cette approche est critiquée par un certains nombres d’auteurs qui trouvent que la
criminologie n’a pas ses propres objets d’études mais elle s’approprie des objets
d’étude d’autres discipline comme (la psychologie, biologie, droit, sociologie….). Il
n’y a aucune approche criminologie qui ne soit ni sociologique, psychologique et
autres. C’est qui fait que pour ces auteurs la criminologie est un champ de savoir ou
une activité de connaissance.

§3. La troisième représentation

Elle voit la criminologie comme étant exclusivement une sorte de «champ d'étude»
(field of study, field of criminology) ou un « corpus de connaissance » (body of
knowledge) composé de savoirs épars mais néanmoins portant sur un thème
commun.

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Cette troisième représentation fait de la criminologie moins une science autonome
qu’un champ d’étude ou corpus de connaissances portant sur un thème commun, la
question criminelle. Cette perspective a elle aussi des racines lointaines, puisque dès
1924, D. Sutherland proposait dans son ouvrage Criminology l’idée selon laquelle la
criminologie est le corpus de connaissances concernant le crime comme problème
social (Sutherland, 1924,11).

Dix ans plus tard, le même auteur précisera que la criminologie est le corpus de
connaissances concernant le crime comme phénomène social. Il comprend dans sa
portée les processus de production des lois, de transgression des lois et de réaction à
l’égard des transgressions des lois (Pires, 1995a, 22). Avec le temps, se popularise
l’idée que la science de la criminologie n’existe pas en soi (De Greeff) ou que le
criminologue est un roi sans royaume (Sellin) (Gassin, 1988,35). L’éclectisme de la
criminologie est encore mis en avant par Pires qui, en 1993, propose de considérer
que la criminologie désigne l’ensemble des recherches en sciences sociales dont
l’objet porte sur ce qui se passe dans le champ pénal ou déborde ce champ mais a un
rapport explicite de connaissance avec lui (Pires, 1993,129) [4]

Cette dernière représentation commence aussi assez tôt comme on peut le voir par la
date de la première édition du manuel de Sutherland. Jusqu'à la fin des années 1960,
elle sera dominante surtout aux États-Unis et parmi les criminologues d'orientation
sociologique; après les années 1970, elle deviendra assez répandue sur le plan
international.

Notons que pour A. Pires, ces points de vue divergents n'expriment pas
adéquatement l'ensemble de la position de ces auteurs, car on peut bien y déceler
aussi certains points de convergence. En effet, tous semblent reconnaître, à différents
niveaux qu'il est souhaitable que celui ou celle qui travaille sur la question criminelle
aie une connaissance de ce sujet qui déborde si peu soit-il, le cadre des connaissances
de sa propre discipline.

A. Pires souligne que ces trois représentations majeures de la criminologie ont


dominé le champ depuis la fin du XIXe siècle (Pires, 1995a, 19-35). Ici encore, le
privilège accordé à l’une ou l’autre représentation recoupe assez largement
l’opposition entre partisans d’une criminologie du passage à l’acte, centrée sur
l’étude des causes de la délinquance, d’une part, et partisans d’une criminologie de la
réaction sociale17, plus intéressés par les processus de criminel.

17
Selon les tenants de la criminologie de la réaction sociale, le crime ou la criminalité ne sont pas des réalités
substantielles observables directement. Il s’agit donc des réalités juridiques ou construites pénalement ou encore

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10
a. Criminologie comme champ d’étude

Selon A. Pires, la notion de champ d'étude implique l'idée qu'il y a divers savoirs
disciplinaires qui ont néanmoins un thème commun, ou encore qui se réfèrent à des
thèmes reliés et jugés pertinents, et que l'on pourrait regrouper sous le terme de
«criminologie» ou de champ criminologique (sans que ce ne soit indispensable de le
faire). Pour A. Pires, ces savoirs peuvent avoir ou non la prétention d'être
scientifiques. Bien sûr, ces thèmes communs sont ceux reliés ou jugés pertinents par
rapport à la question des situations-problèmes, de la déviance, de la transgression et
du contrôle social. On peut dire que la notion de champ d'étude a alors une
dimension relativement ouverte, conventionnelle, variable et évolutive, mais aussi un
aspect contraignant ou « objectif ».

La dimension ouverte renvoie au fait que les frontières de ce champ sont en principe
susceptibles de négociation et indéfiniment déterminables par les membres de la
communauté scientifique préoccupés de «bien» comprendre le problème. Par
exemple, on peut en venir à juger important d'intégrer à ce champ des ouvrages ou
d'autres fractions du savoir qu'on ne considérait pas auparavant comme
«criminologique». On peut aussi vouloir stimuler le criminologue à développer des
nouvelles problématiques de recherche pour mieux saisir ce qui se passe en matière
de comportements problématiques, de transgression et de contrôle social. La notion
de champ n'est donc pas fermée, puisque les représentations de ce qui en fait partie
ou non varient et se modifient selon le point de vue des membres de la communauté
scientifique préoccupés par ces thèmes communs.

Selon A. Pires, la criminologie apparaît comme un champ d’études, notion «ouverte»


qui laisse place à la discussion sur les frontières de la criminologie, pour autant
qu’existe un lien avec la question criminelle. De fait, cette question des frontières, qui
renvoie au débat sur les objets appropriables ou non par la criminologie, est loin
d’être réglée et fait débat au sein de la communauté scientifique. Le constat est ici
empirique, la question de savoir ce qui entre ou non dans le champ d’études de la
criminologie a varié selon les époques et les modes de pensée dominants.

L'aspect contraignant ou objectif de la notion de «champ d'étude» renvoie aux


pratiques effectives de recherche et aux différents systèmes de rationalité ou aux
manières de penser qui se forment nécessairement et que le criminologue est
«obligé», pour ainsi dire, d'identifier et de prendre en ligne de compte. Autrement dit

des êtres des raisons, quoique l’on reconnaisse l’existence des actes ou des manières d’agir ou de faire concrets
et observables, qui posent problème (situations problématiques).

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11
: le criminologue ne peut pas, par un simple acte de volonté, exclure de son champ ce
qui ne lui plait pas et retenir, comme étant «criminologique», seulement ce qui
conforte sa propre pensée. La notion de champ a sans doute ici une dimension
contraignante, car elle renvoie à ce qui a été effectivement réalisé dans la pratique de
la recherche et dans le domaine plus vaste de la production des idées. Que ces idées
nous plaisent ou non, elles ne sont pas moins «criminologiques» pour autant.

b. La criminologie comme une activité de connaissance

Selon A. Pires, la criminologie apparaît comme une activité de connaissance plutôt


qu’une science autonome. Cette posture modeste peut selon lui, se justifier à un
double point de vue au moins : d’abord par la reconnaissance (ou non) de l’existence
d’un objet propre, critère généralement mis en avant pour jauger l’autonomie d’une
science. Ici encore, l’opposition entre les deux principaux paradigmes 18 en
criminologie se manifeste.

Pour les partisans d’une criminologie étiologique, la criminologie a bien un objet


spécifique, qui est l’action criminelle, qui englobe à la fois l’acte et son auteur
(Gassin, 1988,36), alors que pour les partisans d’une criminologie de la réaction
sociale, la criminologie partage ses objets et son domaine d’étude avec d’autres
sciences (sociologie, psychologie, droit, histoire).

Il convient de dire que la notion d'activité de connaissance est en quelque sorte plus
large que celle de «science autonome», mais ne la présuppose pas. Autrement dit :
toute science autonome est aussi une activité de connaissance, mais l'inverse n'est pas
nécessairement vrai ; une activité de connaissance peut être scientifique sans être à
proprement parler autonome. Or, la criminologie est aussi une activité de
connaissance scientifique, bien que, du point de vue de la théorie qu'elle produit et
du domaine qu'elle occupe, elle ne soit pas autonome.

Pour A. Pires, ce n'est pas parce que l'activité de connaissance criminologique n'est
pas «autonome» qu'elle serait inférieure ou moins «bonne» qu'une connaissance
purement autonome car, on pourrait bien faire le contre-argument et dire qu'un
chercheur expert dans la question pénale dont la connaissance sur ce sujet dépasse
celle produite par la discipline qui le caractérise, a quand même plus de chances
d'être mieux informé globalement sur ce thème qu'un autre chercheur, sociologue ou

18
La criminologie s’est historiquement divisée en deux paradigmes –d’abord le paradigme du passage à l’acte et
plus tardivement celui de la réaction sociale, depuis plusieurs années, on voit émerger des théories
criminologiques qui réinvestissent de manière originale l’étude des comportements transgressifs.

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12
psychologue, qui ignore complètement les connaissances produites dans ce champ
par les autres disciplines.

Cette activité de connaissance consiste en cette idée d'avoir une vue globale, la plus
globale possible à un moment donné, des problèmes, questions et connaissances
produites à l'égard de la question criminelle (comportements problématiques et
contrôle social) et d'en tenir compte dans la production des nouvelles connaissances.
C'est dans ce sens qu'on peut parler aujourd'hui de la criminologie comme une
activité de connaissance interdisciplinaire, comme une activité-carrefour. Nous
n’entendons pas soutenir aucune de ces positions mais avec A. Pires, nous allons
proposer une nouvelle représentation qui intègre et dépasse les différentes postures
scientifiques.

Nous disons à la suite d’A. Pires que la criminologie n’est pas tout à fait une science
autonome mais non plus exclusivement un champ d’études. Elle a un double statut ;
elle est à la fois et paradoxalement deux choses relativement différentes : un champ
d’étude, comme certains l’on vu, et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but
l’élucidation et la compréhension de la question criminelle au sens large. La notion
d'activité de connaissance remplace, d'une part, celle de « science autonome » qui
nous paraît moins appropriée pour rendre compte du statut particulier de la
criminologie - et, d'autre part, elle complète et est complétée par celle de «champ
d'étude», ce qui permet de tenir compte de certains aspects du problème qui sont
perdus par une représentation axée exclusivement sur l'une ou l'autre de ces notions.

Pour A. Pires, le comportement criminalisé et la réaction sociale sont étudiés autant


par le sociologue-criminologue, ou le psychologue-criminologue, que par le
psychologue ou le sociologue tout court. Plus important encore : il n'existe aucune
théorie criminologique qui ne soit en même temps une théorie sociologique ou
psychologique ou biologique, etc. Cela vaut également pour les concepts. Les trois
seuls concepts souvent évoqués comme étant « criminologiques », celui de
dangerosité, de personnalité criminelle et de sous-culture criminelle, sont fort
contestés aujourd'hui et relèvent aussi des autres sciences : du droit, de la
psychiatrie, de la psychologie et de la sociologie. Bien sûr, l'existence d'une « science»
ne peut pas s'appuyer sur trois concepts qui sont de surcroît, contestés dans la
discipline et qui ne couvrent qu'une infime partie des connaissances sur son thème.

Au regard de ces trois représentations, nous disons que le statut épistémologique et


théorique de la criminologie demeure toujours difficile à déterminer. A. Pires

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13
propose l’idée selon laquelle l’existence d’une science ou d’une discipline suppose un
accord ou un consensus relatif dans la communauté scientifique concernée sur quatre
points : la date de naissance de la discipline, son appellation, un statut de science
autonome et les objets qu’elle se propose d’étudier. De ce quadruple point de vue,
fait remarquer l’auteur, la criminologie pose problème : on ne s’entend pas sur le
statut d’une science autonome, le consensus sur ses objets a toujours été éphémère et
partiel, la détermination de sa date de naissance fait l’objet de discussions
interminables (...). Nous pouvons seulement dire est criminologue, praticien de la
criminologie, celui qui parle, écrit, de manière argumentée, logique, scientifique du
crime et du criminel et du phénomène criminel.

« Le crime impose à tous les esprits son encombrante présence. Se passe-t-il un seul
jour sans que les journaux écrits ou parlés ne rapportent une escroquerie, un viol, un
assassinat ou un attentat terroriste ? Et l’appareil érigé face à la menace n’est pas
tellement plus discret. Les prisons, tribunaux, services de police et de sécurité ne se
laissent pas longtemps oublier. C’est la raison d’être de la criminologie que de rendre
intelligibles ces agissements et ces institutions : de décrire, comprendre, expliquer de
quoi le phénomène criminel est fait » (Maurice Cusson, La criminologie, Hachette,
Paris, 2014).

Nous allons dans la section suivante, donner quelques définitions de la criminologie,


sa date de naissance, son évolution ainsi que son objet.

SECTION II : LA CRIMINOLOGIE : SA DEFINITION ET SON ÉVOLUTION

Dans la présente section, nous nous proposons de définir la criminologie, déterminer


son origine, sa nature et sa date de naissance. La science peut se définir comme un
ensemble de connaissance structuré en un système conceptuel possédant un objet
déterminé et reconnu, et une méthode. On reconnaît aujourd'hui qu'une science est
«autonome» lorsqu'elle répond à deux conditions étroitement reliées : quand elle a
un objet-domaine propre et quand elle a des théories propres.

Pour A. Pires, la criminologie répond très mal à ces deux conditions : elle est obligée
de partager ses objets et son domaine avec d'une part les sciences comme la
psychologie et la sociologie et, d'autre part, avec des savoirs comme l'éthique et le
droit. Et ce, à tel point qu'un criminologue reconnu a dit avec raison que « le
criminologue est un roi sans royaume » (Sellin, 1955). Pour Sellin (1938/1984), la
criminologie est « une science du comportement humain dont une forme est nommée
par nous crime » (p. 15).

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14
Les scientifiques sont loin de s’accorder sur la scientificité de la criminologie et même
sur à ce concept de criminologie. Par rapport à ce terme-clé, comme l'ont constaté
Robert (1988, 82) et Beirne (1993), nous savons encore relativement peu de choses,
c'est-à-dire « on n'a jamais établit fermement pourquoi, par qui, dans quels contextes
intellectuel et social, et précisément quand ce terme a été inventé » (Beirne, 1993 :
233). Il paraît qu'il n'a pas été utilisé avant le dernier quart du XIXe siècle.

§1. Approches Définitionnelles de la criminologie

Dans l’histoire de la discipline criminologique, la définition de son objet a toujours


été au centre de nombreux débats 19. La définition même de la criminologie pose déjà
problème. Au contraire du droit ou de la médecine, la criminologie, surtout dans ses
aspects sociologiques est une discipline relativement jeune qui peine à trouver un
consensus autour de sa définition. Il sied de noter que la criminologie n’est pas à
confondre avec la criminalistique. Celle-ci est l’ensemble des sciences et techniques
utilisées en justice pour établir les faits matériels de l’acte délictueux et la culpabilité
de la personne qu’il a commis. Elle n’est pas non plus une branche particulière du
droit pénal. Bien que la criminologie et le droit pénal ont tous les deux le même objet
qu’est l’action criminelle, ce sont deux disciplines distinctes. Elles n’étudient pas
cette action criminelle de la même façon, les méthodes et les angles d’approches sont
différents. Le droit pénal relève de l’ordre normatif, prescriptif et punitif. La
criminologie recourt aux méthodes empiriques des sciences sociales (observation,
expérimentation…) et tend vers l’objectivité.

La criminologie n’est pas un instrument de lutte contre le crime. Cela, relève de la


politique criminelle20, même si l’organisation rationnelle de la lutte contre le crime
repose sur les données récoltées par la criminologie. On confond souvent la
criminologie avec la pénologie qui est une science qui étudie la peine, les fonctions
19
C.Nagels, «
20
L’expression « politique criminelle » trouve son origine dans la définition élaborée par
Feuerbach en 1803, suivant laquelle la politique criminelle constitue l’« ensemble des procédés répressifs par
lesquels l’Etat réagit contre le crime ».
Pour Mireille DELMAS-MARTY, la politique criminelle comprend « l’ensemble des procédés par lesquels le
corps social organise les réponses au phénomène criminel ».
En 1975, Marc ANCEL précise qu’il s’agit d’« un système cohérent et raisonné de réaction sociale anti-
délictueuse».
Le but essentiel de la politique criminelle est d’assurer le maintien de l’ordre social. Et pour ce faire, la politique
criminelle consiste à des mesures préventives (éducatives, sociales (création de l’emploi, allocations familiales,
primes pour les chômeurs, par ex.), médicales (internement des malades mentaux, par exemple), l’éclairage
public, etc.) et des mesures répressives (emprisonnement, amende, etc.).
BECCARIA affirmait que « le moyen le plus sûr, mais le plus difficile, de lutter contre le crime est de
perfectionner l’éducation ». Plus d’un siècle après lui, VON LISZT (1882) prononcera cette phrase devenue
célèbre : « Une bonne politique sociale est la meilleure politique criminelle ».

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15
des sanctions pénales, les modalités de leur exécution ainsi que les méthodes utilisées
dans leur application.

La question de qu’est-ce que la criminologie renvoie à son caractère pluriel avec


plusieurs approches définitionnelles. Nous nous contenterons de quelques
définitions.

a. E. Durkheim

Selon Durkheim, « nous constatons l’existence d’un certain nombre d’actes qui
présentent tous ce caractère extérieur, qu’une fois accomplis, ils déterminent de la
part de la société cette réaction particulière qu’on nomme la peine. Nous en faisons
un groupe sui generis, auquel nous imposons une rubrique commune ; nous
appelons crime, tout acte puni et nous faisons du crime ainsi défini l’objet d’une
science spéciale : la criminologie » (Durkheim, 1912). Durkheim voit déjà en crime
une construction, un acte qui blesse la conscience collective. Cependant, il faut noter
que s’il y a des actes qui sont considérés unanimement comme blessant la conscience
collective comme des crimes contre l’humanité, le génocide…, il y a d’autres qui sont
perçus différemment selon les types de sociétés. Ainsi, l’homosexualité est tolérée
(considérée comme une valeur) dans certaines sociétés et condamnés dans d’autres.

Durkheim entreprend d’établir que le crime n’est nullement un fait social


pathologique. Le crime est normal parce qu’il n’est pas de société qui ne le présente,
parce que même une société qui en serait exempte reste du domaine de l’impossible.
“Classer le crime parmi les phénomènes de sociologie normale, ce n’est pas
seulement dire qu’il est un phénomène inévitable, quoique regrettable, dû à
l’incorrigible méchanceté des hommes: c’est affirmer qu’il est un facteur de la santé
publique, une partie intégrante de toute société saine” (Durkheim, 1912, p. 83). Quant
au criminel, “contrairement aux idées courantes, le criminel n’apparaît plus comme
un être insociable, comme une sorte d’élément parasitaire… C’est un agent régulier
de la vie sociale” (Durkheim, 1912, p. 89). Durkheim fait chanceler une conception du
crime propre à beaucoup de criminologues pour qui le caractère pathologique du
crime est réel, incontestable.

b. E. Ferri

Selon E. FERRI « La criminologie est la somme global de toutes les disciplines qui
s’intéressent au fait criminel, y compris le droit pénal 21». Par la somme des toutes les

21
T. Ferri, la criminologie ou la nouvelle science pénitentiaire, Théorie et pratique de la criminologie appliquée

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16
sciences, Ferri considère la criminologie comme une science auxiliaire, une science
omniprésente dans d’autres sciences quant à la question criminelle ou des
phénomènes criminels. Elle comble les limites ou les insuffisances des autres
sciences sur les questions criminelles. De ce point de vue par exemple, le droit
constituerait l’aspect juridique de l’approche du fait criminel, tandis que la
psychiatrie son aspect médical et la statistique, sa dimension quantitative par
exemple.

C. E. Sutherland

Selon SUTHERLAND «La criminologie est le corpus de connaissance (body of


knowledge) concernant le crime comme phénomène social. Il comprend dans sa
portée les processus de production des lois, de transgression des lois et de réaction à
l'égard des transgressions et transgresseurs des lois (Sutherland, 1934 : 3). Dans cette
définition, nous pouvons retenir trois choses: 1) processus de production des lois, 2)
transgression des lois, 3) réaction à l'égard des transgressions des lois.

1. Dans le cadre du processus de production des lois 22, la criminologie s'interroge


sur la manière dont les lois sont produites et établies, la prise en compte des
contextes historiques, l'évolution de la société, le système judiciaire. Car selon
MONTESQUIEU, il faut « éclairer les lois par l'histoire et l'histoire par des lois» 23. En
effet, « pour comprendre une règle du droit, il est nécessaire de savoir comment elle
est née ». La question de la production ou de la fabrication de la loi est capitale. Il y a
lieu de noter que vous pouvez servir une loi qui consacre votre propre
assujettissement ou domination sans le savoir. La loi n’étant pas du tout neutre, elle
peut être un outil de domination, un moyen de contraindre la population à la
soumission ou l’œuvre des entrepreneurs de la morale24.

2. Pour ce qui concerne la transgression25 des lois, elle s'interroge sur le passage à
l'acte criminel, le pourquoi, les causes de violation des lois. La transgression peut
avoir un caractère héroïque dans la mesure où, le transgresseur ne se considère pas
comme criminel mais comme un «révolutionnaire ». Un rebelle qui devient par
exemple Président de la République. Contre des lois avilissantes, certains individus
peuvent se révolter mais ils seront considéré comme des criminels ou hors-la loi. Le
transgresseur de la loi peut faire l’objet d’une étude pour comprendre et expliquer
son acte.
22
L.Mucchielli, sociologie de la délinquance, Paris, Armand Colin 2014, 48-60
23
MONTESQUIEUX, de l’esprit des lois, Tome I, livre XII, Chap III, p.197
24
Idem, p.35.
25
Idem

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17
3. Enfin la réaction26 à l'égard des transgressions des lois, cette partie constitue
l'essence même de la criminologie parce qu'un acte n'est criminel que lorsqu’il suscite
une réaction sociale, une sanction c'est-à-dire quand on le qualifie ou le classe comme
tel. C'est une classification sociale, une catégorisation sociale. En ce sens, la
criminologie s'interroge sur la peine, le crime, les criminels, les victimes, la
resocialisation. Penser la peine c’est réfléchir sur ses effets. Cette question renvoie à la
recherche des moyens pour une bonne prise en charge des criminels. Le crime est
donc une construction sociale, une définition particulière de la réalité sociale.

d. M. Foucault

Pour M. FOUCAULT, dans son livre "Surveiller et punir" (1975), "la criminologie naît
quand l'homme criminel devient un nouveau champ de connaissance scientifique",
autrement dit, quand l'homme peut être considéré, non plus comme objet juridique,
mais comme objet livré à l'analyse des sciences sociales. Selon Foucault, sous le nom
de crimes et délits, on juge toujours bien des objets juridiques définis par le code,
mais en juge on même temps des passions, des instincts, des anomalies, des
infirmités, des inadaptations, des effets de milieu ou d’hérédité (Foucault, 1975, p. 22)

L’homme comme un être complexe ne doit pas rester seulement un être juridique
c’est-à-dire, un être construit juridiquement. Expliquer et comprendre son passage à
l’acte criminel nécessite le concours des plusieurs autres sciences sociales. Les
différentes sciences sociales concourent à l’élucidation ou la compréhension du crime
et du criminel.

e. R. Merton

Pour R. MERTON, l’objet de la criminologie est le comportement déviant conçu


comme une réponse normale aux problèmes posés par la structure sociale à
l’adaptation des individus. L’approche fonctionnaliste de Merton pense le crime
comme une solution à un problème résultant d’un disfonctionnement ou d’une
désorganisation sociale. Un avortement peut être compris comme une solution pour
une fille qui ne sait que faire avec le futur enfant à naitre. Les formes d’adaptations
secondaires que nous constatons dans la société congolaise sont considérées comme
des solutions aux problèmes posés par la structure sociale. Les expressions du genre :
« tia na nse, madesu ya bana, boma moto, coop, dime… », sont là des formes de solutions
délinquantes que la plupart des Congolais trouvent pour survivre dans une société
qu’ils pensent ne pas s’occuper d’eux.

26
Idem

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18
f. JEFFERY

Selon JEFFERY (1959 : 6), dans son sens étymologique, « le terme "crime" fait
référence à l'acte de juger ou d'étiqueter le comportement, plutôt qu'au
comportement lui-même ». En effet, le mot «crime» vient du mot latin «crimen (-
inis)» qui signifiait à l'origine «décision judiciaire ». Ce mot vient à son tour du grec «
krimein», c'est-à-dire « juger», «choisir», «séparer». Dans le latin classique, le mot
«crimen» a aussi pris le sens d'« accusation » ou de « chef d'accusation ». Cela veut
dire que, dans son sens étymologique, le mot crime ne désigne pas directement une
action, un acte ou un comportement particulier, mais plutôt l'acte de juger un
comportement dans le cadre d'un processus institutionnel de type judiciaire.

Le sens étymologique du mot « crime » rejoint ces phrases célèbres du juriste italien
Francesco Carrara (1859, 41-42) qui soulignait qu'on ne doit pas concevoir « le crime
comme une action, mais comme une infraction » (au droit pénal), car il n'est pas « un
fait matériel, mais plutôt un être juridique ». Or, cette idée que le « crime » pouvait
être autre chose qu'un comportement allait à l'encontre des représentations
dominantes au XIXème et dans la première moitié du XXe siècle. Car, en règle
générale, les chercheurs de cette époque étaient surtout préoccupés par l'étude
empirique des causes spécifiques du comportement criminalisé considéré comme un
fait brut. Certains avaient même la conviction que le « crime » était une sorte de
maladie ou de pathologie et que les personnes qui transgressaient les lois pénales
faisaient partie d'une variété zoologique du genre humain (species generis humani).
Or, l'étymologie du mot les aurait poussés à représenter la criminologie comme « la
science qui étudie les décisions législatives et judiciaires » ou encore comme « la
science qui étudie les jugements de valeur portés sur certains comportements dans
un contexte législatif et judiciaire ».

Bien sûr, cela allait aussi à contre-courant par rapport à l'idée du criminel-né. Mais
plus fondamentalement encore, même pour ceux qui ne croyaient pas dans
l'anormalité du justiciable ou dans l'hypothèse d'un criminel-né, l'idée que le «crime»
pouvait dépendre d'une décision législative et judiciaire semblait conduire
nécessairement à une absurdité, en l'occurrence à la conclusion bizarre que «sans la
définition pénale de crime, le comportement en question disparaîtrait». C'est donc en
voulant ranger la criminologie parmi les sciences «objectives», ou en voulant étudier
scientifiquement le «crime», que ce qui a prévalu a été ce rabattement du «crime» sur
son aspect substantiel ; ce qui donnait au criminologue, en apparence du moins, un
objet palpable et non tributaire de la construction juridique.

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19
Selon G. Tarde, le crime est une violation d’un droit, c’est-à-dire d’une volonté jugée
supérieure (divine, royale, collective) contre laquelle s’est dressée une volonté rebelle
et hostile; et cette violation est conçue comme présentant, à des degrés inégaux, ce
double caractère d’être un danger social et une souillure sociale – un danger social à
prévenir ou une souillure sociale à effacer. Comme un danger social, le crime est
réprouvé par utilitarisme, comme souillure sociale par conformisme. Il alarme
d’autant plus qu’il exprime chez son auteur une dissemblance morale plus profonde
qui l’a rendu réfractaire à l’imitation morale de son milieu (Tarde, 1898, p. 350). “Le
crime est un fait social comme un autre […]” écrit Tarde, et en ce sens il est très
proche de Durkheim et se distingue des écoles criminologiques, mais il s’éloigne de
ce dernier quand il ajoute: “Mais un phénomène antisocial en même temps, comme
un cancer, participe à la vie d’un organisme, mais en travaillant à sa mort… Le crime
est une industrie, mais une industrie négative… (Tarde, 1898, p. 420)28.

La définition du crime par le droit pénal n'apparaît alors pour lui que comme un «à-
côté» ou une conséquence obligée sur le plan législatif de la nature de l'acte même.
Par conséquent, jusqu'à récemment, le criminologue s'est éloigné beaucoup du sens
étymologique du mot «crime». Certes, au fur et à mesure que ce savoir progresse, on
assiste également à une prise de distance de plus en plus marquée des
représentations premières. Aujourd'hui, le sens étymologique est revenu sur le
tableau et fait l'objet de nouveaux débats.

Eu égard à ce précède, nous pouvons dire qu’il n’y a pas l’unanimité entre les
auteurs sur la définition de la criminologie. Chaque auteur définit la criminologie à
sa manière. La criminologie comme science du crime et les efforts de (non)définition
de son objet laissent le lecteur perplexe lorsqu’on conclut à la suite de Raymond
Gassin que les représentations intuitives de tout un chacun légitiment l’existence de
crimes naturels et les crimes conventionnel. La criminologie serait une science qui
laisse définir sont objet par le sens commun et les représentations intuitives.

De ces multiples définitions que recouvre ce terme de criminologie nous pouvons


dire que la criminologie est une étude scientifique des causes et conséquences du
comportement antisocial (crime, criminel, phénomène criminel, déviance), étude qui
tente de mettre en place solutions et remèdes.

A. Pires, n’est pas favorables à ces formules qui présentent la criminologie comme «
la science qui étudie le crime », la « science du phénomène criminel » ou encore « la
science qui a pour objet l'étude du crime, du criminel et de la criminalité ». Pour lui,
toutes ces formules sont ambiguës et ont tendance à produire un rabattement du

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20
crime sur son aspect « substantiel», palpable, en ignorant la part de construction
pénale des événements.

Pour notre part, toutes ces définitions de la criminologie convergent sur deux
concepts fondamentaux :

 le crime27 ;
 le criminel et le phénomène criminel.

Dans le cadre de ce cours, nous nous allons étudier le crime comme un être juridique
d’une part et comme un fait brut. Nous considérons le criminel comme objet d’étude
de sciences sociales et partant, la criminologie devient en même temps une science
synthèse et un champ d’études qui étudie l’homme comme «membralité» c’est-à-dire
membre d’une société, d’une communauté, d’une famille dans ses différentes
interactions.

§2. Des pères fondateurs de la criminologie et de la date de naissance

a. Des Pères fondateurs

La criminologie est née en Italie au XIX siècle, sous l’impulsion de trois éminents
savants, considérés, selon toute vraisemblance comme les pères fondateurs de la
criminologie:

1. Cesare LOMBROSO (1835-1909)

Lombroso fut Médecin militaire, dont l'ouvrage "l'Uomo delinquente", paru en 1876
sous le titre "L'homme criminel", constituerait, en quelque sorte, l'acte de naissance
de la criminologie. Pour Lombroso, la cause profonde de la délinquance se trouve
dans les anomalies corporelles et mentales, les criminels sont biologiquement arrêtés
dans l’évolution. Il existe des criminels-nés, déterminés à le rester. Le déterminisme
est la clé de voûte de cette pensée dont un aspect révolutionnaire est de s’intéresser
au criminel, à sa personnalité alors que jusque-là seul le crime était l’objet de
préoccupations28. Un des héritages les plus redoutables de Cesare Lombroso est
d’aboutir à une pensée où les criminels constituent une véritable race à part, avec des
stigmates de structure précis, biologiques ou psychologiques qui constitueraient une

27
La question qu’est-ce- plus exactement un crime ? Le crime (la criminalité, la délinquance) est un objet qui
comporte deux dimensions : cette notion renvoie à un comportement (souvent blâmable) et une manière de
définir et de réagir à ce comportement. C’est le rapport entre un acte et une manière de définir (pénalement) cet
acte. Le crime n’existe pas ; il y a seulement des actes ou des comportements criminalisés.
28
Carla Nagels, Quand la « délinquance des élites » contribue au savoir criminologique, Revue de la
criminologie, Un article de la revue Criminologie Volume 49, numéro 1, printemps 2016, p. 179–202.

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21
sorte de marque instinctive et indélébile. Un des aspects extrêmement positifs de ces
théories est d’avoir imposé l’étude de l’homme délinquant, déplacé le regard du
crime vers le criminel et en cela, bouleversé les conceptions du monde pénal,
juridique et policier29.

2. Enrico FERRI30 (1856-1929),

Ferri fut professeur de droit et sociologue, auteur d'un livre intitulé "Sociologie
criminelle", paru en 1881 sous le titre "Les nouveaux horizons du droit pénal".
Avocat de l’école positive, Ferri est parmi les premiers à avoir eu une vision assez
synthétique et élargie du problème criminel. Il se démarque de Lombroso sans le
renier mais en développant sa pensée. Il ne rejette pas totalement l’hypothèse
atavique, ni la folie morale. Celui pour qui le crime est à la fois biologique et
sociologique. Homme des substitutifs pénaux, il veut mettre en lumière le rôle d’une
société qui doit s’efforcer d’appliquer les moyens préventifs avant d’attendre que le
mal soit fait, mais également s’interroger sur les pénalités et leur application, ainsi
que sur la nécessité d’améliorer ou d’inventer de nouvelles pratiques pénales. La
diversité des facteurs criminels et la destination qui en découle des différentes
catégories de délinquants, détermine la variété des moyens défensifs contre le délit,
que la “sociologie criminelle” indique à la société et qu’elle répartit ainsi: ce sont les
moyens préventifs ou d’hygiène sociale qui tendent à empêcher que le délit lui-
même existe; les moyens réparateurs ou de dédommagement civil; les moyens
répressifs temporaires qui peuvent être quelques-uns de ceux de l’arsenal répressif
existant, enfin les moyens éliminatoires par lesquels la société, après avoir constaté
qu’un individu donné est impropre à la vie sociale, l’exclut (M. Kaluszynski, 2020).
En fait les doctrines spécifiques à E. Ferri, basées plus précisément sur le traitement
pénal du délinquant, atténuent la rigueur de la conception du criminel-né, mais sans
jamais désavouer le fondement de ces théories. Ferri a moins insisté sur les facteurs

29
Idem
30
Dans le cadre de sa conception multifactorielle de la criminalité, il soutient que « si l’on supprime la misère et
l’inégalité choquante des conditions économiques (…) on verra se produire une diminution considérable des
crimes d’occasion déterminée Ferri distingue, comme on l’a vu, trois grands groupes de causes à la criminalité,
les causes anthropologiques (constitution organique et psychique), les causes physiques (le climat, la nature du
sol, les saisons, la température, les conditions atmosphériques, etc.) et les causes sociales (organisation
économique et politique, la religion, l’éducation, la famille, la densité de population, etc.). minés principalement
par le milieu social ».Pour Ferri, la responsabilité pénale qui repose sur le libre-arbitre est évidemment rejetée.
Pourquoi dès lors se défendre en frappant un individu qui est pourtant déterminé ? Pour Ferri, si l’on observe ce
qui se passe dans la nature et dans la vie sociale, un certain nombre de constances apparaissent. Ainsi, un
individu que se penche trop par la fenêtre, quels que soient ses motifs, tombe et meurt. Un passant qui par
distraction et sans intention de nuire, heurte un autre, provoque de la part de celui-ci une réaction, soit en paroles
soit en actes. Ce qui a de commun dans ces formes de réaction (naturelle ou sociale), c’est « que la sanction
même est toujours indépendante de la volonté de l’individu qui a agi ». Pourquoi, dès lors, en devrait-il être
autrement pour la réaction pénale ? Seule l’imputabilité matérielle des faits reste nécessaire.

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22
biologiques et s’il a proclamé que sa doctrine était tout autre chose “qu’une alliance
entre le droit pénal et l’anthropologie criminelle” (Ferri, 1893, p. 7), c’est qu’il s’était
rendu compte des exagérations lombrosiennes mais il n’en fait pas moins une place
très importante, aux facteurs anthropologiques13

3. Raffaele GAROFALO (1851-1934)

R. Garoffalo fut magistra, il publia en 1885, un livre intitulé "Criminologie". C’est lui
l’inventeur ou propagateur du terme « criminologie ». Garofalo est celui qui va
s’attacher à ce qu’est le crime pour comprendre le phénomène criminel. En cela, il est
sans doute un des premiers à avoir suivi, cru en cette orientation, à avoir tenté de
s’attacher à cette notion, fréquemment oubliée, ignorée des recherches
“criminologiques”. Pour Garofalo, le caractère du criminel doit être exclusivement
cherché dans le crime et il est l’auteur du concept de témibilité31 (M. Kaluzunski, 42).

“La vie antérieure du délinquant doit nous être connue et ses liaisons. L’âge du
délinquant est la circonstance la plus importante, il faudra savoir ensuite quelle est sa
famille, l’éducation qu’il a reçue, quelles ont été ses occupations, quel était le but
qu’il poursuivait dans la vie. Dès 1890, Lombroso préconisait la nécessité d’un
examen médico-psychologique du criminel. Garofalo insiste sur le caractère
indispensable de cette “enquête” sur Garofalo pense qu’on peut exprimer un
jugement de valeur sur le criminel et en tirer “un pronostic” qui s’exprime en termes
d’hypothèse sur son comportement ultérieur (M.Kaluzunski, 43). . Garofalo a creusé
un sillon parallèle à celui de Lombroso, mais il l’a creusé sur un autre terrain.
Lombroso a mis à nu les anomalies anatomiques du criminel, Garofalo ses anomalies
morales.

Garofalo personnifie avec Lombroso et Ferri la “trinité” des maîtres de l’école


italienne. Tous trois représentent en se complétant les initiateurs de l’anthropologie
criminelle, dans ses données générales. Ils forment le cœur de l’école italienne. Une
unité les rassemble, et c’est à ce bloc que vont se heurter les opposants à ces
conceptions dont Colojanni est le porte-parole le plus fameux en Italie.

Pour certains auteurs, ces grandes figures de la criminologie ont été des héritiers
plus que véritablement des fondateurs. Il sied de noter que tout semble suggérer que
le premier à l'avoir inventé et utilisé dans le sens contemporain a été Rafael Garofalo
juriste italien qui en a fait, en 1885 le titre de son ouvrage traitant notamment de
31
Le terme de témibilité désigne, selon Garofalo, la perversité constante et agissante du délinquant et laquantité
de mal qu’on peut redouter de sa part en sa capacité criminelle, d’où les termes parallèle périculosité,
redoutabilité, dangerosité, état dangereux.

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23
l’étude scientifique des causes de la criminalité contrairement à l’opinion selon
laquelle c’est le Français Topinard32 qui serait le premier à l’utiliser. Selon Robert
(1988, 82), Garofalo ne s'explique pas sur ce choix. Encore une fois, il semble que c'est
dans le contexte de la naissance de l'École positive italienne que ce terme aurait été
inventé.

b. De la date de naissance de la criminologie

En ce qui concerne la question de la date de naissance de la criminologie, A. Pires


souligne que la date de naissance de la criminologie fait généralement référence à
trois moments. Selon la définition que l’on va donner à la criminologie, on
privilégiera l’un ou l’autre moment.

 Si on opte pour l’école classique 33 de Beccaria, on dira qu’avec cette école


qu’est née la criminologie. Cette école repose sur les racines philosophiques
suivantes : le contrat social, libre-arbitre, l’hédonisme, le rationalisme, l’équité,
la codification des lois, le principe de nullum crimen, la proportionnalité de
peines à la gravité de l’acte et de l’application des lois.
 si on considère les études à prétentions scientifiques c’est cette période que
l’on retiendra ;
 La naissance officielle de la criminologie à la fin du XIXe siècle, avec
l’apparition de l’École positive italienne34 (Lombroso, Garofalo, Ferri), premier
32
Selon A. Pires, Paul Topinard a proposé en 1887, 57, le mot « crimina-logie » (sic) formé, selon Van Kan
(1903 : 2), d'une fausse analogie avec le mot criminalité et erroné du point de vue étymologique. Selon encore
Van Kan (ibid.), ce mot aurait été repris l'année suivante par Colajanni (1888 : 59) dans une étude sur la
criminalité et en 1895 par Keuller 58. Il ajoute que ce mot « fut abandonné par ses inventeurs mêmes du moment
que la correction « criminologie » leur eut fait comprendre leur erreur ». Cependant, Van Kan lui-même ne fait
pas référence à Garofalo et laisse entendre que c'est Topinard qui l'aurait proposé pour la première fois. Peut-être
à cause du malentendu produit par les remarques de Van Kan (1903), certains auteurs auraient continué à croire
plus tard que le premier à employer le mot « criminologie » était Topinard. Topinard (1889 : 496) reconnaît
effectivement que Garofalo a proposé ce nom avant lui. Cependant, il n'est pas exclu que Topinard ait également
inventé ce terme lors de la publication de son texte de 1887, bien que deux ans après Garofalo.
33
Il y a une différence entre l’école classique et l’école positiviste italienne : L’école classique prône le libre
arbitre tandis que l’école positiviste parle du déterminisme absolu (organique, psychologique ou social). La
punition doit être collée au crime selon l’école classique mais pour le positiviste la punition doit coller le
criminel. La responsabilité est individuelle pour l’école classique, l’individu est puni parce qu’il a commis une
faute mais pour le positiviste parle de la responsabilité sociale, la dangerosité de l’individu détermine la peine.
Le crime est une définition légale selon l’école classique et la sentence doit être fixe mais pour le positiviste le
crime est acte brut naturel, la sentence est indéterminée. Il n’y a pas des recherches empiriques dans l’école
classique mais le positiviste privilégie les recherches empiriques et méthodes inductives. L’école classique veut
de l’abolition de la peine de mort mais le positiviste doit être maintenue pour quelques délinquants dangereux.
34
Comme nous l’avions souligné précédemment, la criminologie est née en réaction aux thèses de l’Ecole
classique. On considère communément que c’est l’Ecole positiviste italienne qui donne naissance à la «
criminologie » comme une activité scientifique. Il sied de noter qu’au de-là de la divergence, il y a un certain
nombre de présupposés commun entre les deux écoles. Les deux écoles sont beaucoup des alliées que comme
des ennemis. Elles ont une même référence à la loi, considérée comme l’expression d’un consensus social. Le
comportement délinquant reste un acte antisocial de transgression à des normes qui ne sont pas questionnées. La
réaction pénale est centrée sur les mêmes individus dans les deux écoles.

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24
mouvement à nourrir l’ambition de créer un savoir scientifique explicatif
autour de la question criminelle (Debuyst, 1990; Robert, 1993).

Toutefois, cette naissance scientifique est différente de la naissance officielle c’est-à-


dire une reconnaissance de la criminologie comme une science ou une discipline
dans un Etat. La question est beaucoup plus politique que scientifique on ne sait pas
avec précision donner une date de naissance à la criminologie. Il en est de même de
la définition de la criminologie. Comme le souligne Debuyst, la criminologie officielle
s’enracine clairement dans le fil d’une pensée pénale qui la précède, prenant appui
sur divers savoirs plus ou moins organisés, qualifiés parfois de savoirs diffus ou de
savoirs préscientifiques (Debuyst, 1995a). Sur ce plan, la criminologie ne se distingue
sans doute pas fondamentalement d’autres sciences ou disciplines.

SECTION III : DIGRESSIONS SUR L'INVENTION DU TERME


« CRIMINOLOGIE » ET SES ÉQUIVALENTS

Dans le dernier quart du XIXè siècle, et dans la mouvance de l'École positive, on se


met à chercher une appellation pour désigner cette nouvelle activité de connaissance
à prétention scientifique qui s'articulait progressivement autour de la question
pénale. Plusieurs appellations ont été proposées, voire adoptées, à tour de rôle et
testées pendant une période relativement longue jusqu'à ce que le terme
«criminologie» finisse par l'emporter définitivement sur les autres. Les principales
appellations, par ordre probable de parution, ont été «anthropologie criminelle»,
«sociologie criminelle», «criminologie», et «biologie criminelle» (Krimi-nalbiologie).
Les expressions «science criminelle» (criminal science) et «politique criminelle»
(Kriminalpolitik) ont aussi été mises à contribution.

§1. Anthropologie criminelle

C’est au XIXème siècle, dans les années 1880, qu’apparaît l’anthropologie criminelle
ou la criminologie. Le crime est au XIXème siècle la “figure offensive de la
monstruosité” par excellence (Tort, 1985). Le crime, la criminalité sont des terrains
privilégiés pour refléter les angoisses et les peurs d’une société en construction. De

La criminologie se construit donc autour d’une conception de l’être humain comme un individu déterminé par
certains facteurs (biologiques, psychologiques, sociologiques) et non pas libre des actions qu’il pose. Il est
évident que si l’on veut expliquer le passage à l’acte, on est en quelque sorte obligé de considérer que l’individu
est pour une bonne part déterminé.

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25
Cesare Lombroso35 à Alexandre Lacassagne36, on aura affaire à un mélange savant du
biologique et du social et d’un discours qui se nourrit du positivisme de Comte, des
théories pasteuriennes, de l’interpsychologie de Tarde37, du contingentisme de
Boutrou38. En cherchant à identifier les caractéristiques des criminels, à partir du
XIXe siècle, des spécialistes se sont demandé si le comportement antisocial, c’est-à-
dire non conforme aux normes sociales, pouvait avoir un rapport avec la constitution
physique interne ou externe de l’individu et avec sa structure mentale. C’est ainsi
qu’une des premières appellations de l’étude criminologie fut celle d’anthropologie
criminelle.

S’il n’y a aucune référence, même pas hypothétique, à un premier utilisateur de


cette expression d’anthropologie criminelle, néanmoins, selon toute vraisemblance,
c'est cette première appellation qui a été d'abord retenue en Europe continentale à
partir de 1880 environ (Beirne, 1993: 234) pour désigner ce que nous appelons
aujourd'hui la criminologie. Il paraît qu'au départ elle était en quelque sorte liée à la
thèse de l'hérédité de Lombroso (attaché à la notion lombrosienne du criminel né qui
devenait de plus en plus contestée dans sa dimension spécifique de «traits
physiques» mais contestée aussi par la perte progressive de confiance en la capacité
de la biologie d'expliquer le comportement criminalisé. (Beirne, 1993 : 234). Le sens
du mot « anthropologie » semble avoir glissé ici, pour un moment, vers sa
signification étymologique d'étude de la personne humaine ou de l'humanité,
glissement qui sera critiqué plus tard par Topinard (1890 : 490).

35
En 1870, lors de l’autopsie d’un homme réputé dangereux, Villela, Lombroso découvre une énorme fossette
occipitale qu’il met en rapport avec un autre creux surdéveloppé, les deux creux étant également présents chez
les vertébrés inférieurs. Il en déduit que les caractéristiques des hommes primitifs et des animaux inférieurs
continuent à exister. C’est le point de départ de toute une théorie sur le crime. L’évidence saute aux yeux de
Lombroso : « quand un homme se prête à l’horreur du crime, c’est qu’il n’a pas suivi l’évolution propre à
l’homme, c’est qu’il s’est arrêté dans l’évolution normale et qu’il témoigne d’une histoire plus ancienne. Pour
Lombroso, le criminel est un atavus, càd un vestige du passé, un primitif attardé parmi nous.
36
Lacassagne s’attaque à l’atavisme, clé de voûte de tout le système comme “une exagération, une fausse
interprétation”… et déconstruit peu à peu l’échafaudage italien. Enfin, il avance son hypothèse… l’importance
du milieu social, et défend avec ardeur ses hypothèses et celles de tout son entourage. Ainsi pour Lacassagne, le
crime est sinon un déchet social, tout au moins un produit du “milieu social”. Ce terme générique englobant
l’ensemble des actions extérieures, climatiques, physiques, chimiques, doivent s’y ajouter les influences
d’éducation et d’entourage susceptibles de provoquer l’éveil des tendances “criminelles” existant à l’état latent
chez les individus “héréditairement tarés”, ou les créer chez les sujets “normaux”.
37
Tarde a fait d’abord le procès de la théorie du type lombrosien (ainsi que celle de la pluralité des types de
Marro). Cependant, il ne niait pas qu’il “existe réellement un certain nombre de vrais criminels” mais leur crime
restait, malgré tout, facteur du milieu. Tarde complète sa théorie du criminel par une théorie du crime qui
s’inspire des mêmes données fondamentales, c’est-à-dire les données sociologiques. Il admet avec Ferri
l’existence de trois catégories de causes en matière de criminalité, les causes physiques, physiologiques et
sociales, mais reproche au maître italien d’avoir fait la part trop belle aux causes naturelles alors que lui-même
conclut à la prépondérance des causes sociologiques, avec un fond de toutes ces causes sociales, une notion
précise: l’imitation, l’imitation liée à l’invention et le type professionnel.
38
Martine Kaluszynski, op.cit.p33

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26
Selon A. Pires, le terme anthropologie criminelle semble cependant avoir connu
fortune surtout en Europe continentale, même s'il est connu et utilisé en Amérique
du Nord. Sa portée générale pendant une certaine période devient d'autant plus
évidente qu'on l'adopte, comme une sorte d'hommage à Lombroso, pour désigner la
première série de congrès internationaux de «criminologie» tenus en Europe
continentale. En effet, entre 1885 et 1911, il y a eu sept congrès internationaux
d'anthropologie criminelle. Ce mouvement fut interrompu par la guerre de 1914 et
reprit en 1934 avec la création de la Société Internationale de Criminologie par
Benigno di Tullio.

A partir de 1938, l'ancienne série de congrès d'anthropologie criminelle sera


remplacée par les congrès internationaux de criminologie (Pinatel, 1970 : 2-3) jusqu'à
aujourd'hui. Notons que ce terme a obtenu moins de succès comme titre de manuels
de criminologie. Les titres préférés par les « anthropologues criminels » désignaient
plutôt l'objet du livre que la discipline (par exemple, «La femme criminelle»,
«L'homme criminel», «Dégénérescence et criminalité», «The Abnor-mal Man», «The
criminal type», «Criminal réminiscences», etc.).

§2. Sociologie criminelle

Cette expression fait partie des premiers noms donnés à la criminologie. Il semble
que c'est dans la mouvance à la fois du mouvement italien de «droit pénal social»
(1883-1912) - appelé aussi le «socialisme juridique » et des écrits d'Enrico Ferri,
qu'elle a été proposée dans le dernier quart du XIXe siècle. A partir de 1892, Ferri
modifie le titre de la troisième édition de son I nuovi orizzonti del diritto e della
procedura penale (orig. 1881) pour l'appeler« Sociologia criminale » (Sbric-coli, 1975 :
571). Outre cela, n Ferri (1905 40, 622) qui dit avoir proposé ce nom pour la première
fois dans un article paru en 1882 et, par la suite, dans deux livres publiés en1883,
c'est-à-dire un an ou deux ans avant la parution du livre de Colajanni. À en croire le
témoignage de Ferri, il serait alors l'un des inventeurs de cette expression,
possiblement le premier. Il reste que l'expression « sociologie criminelle », proposée
par Ferri, avait une signification équivalente à celle d'«anthropologie criminelle » (au
sens large) ou encore de « criminologie», mais exprimait explicitement un parti-pris
favorable à la thèse du milieu social (Umwelt), par contraste avec celle des
prédispositions personnelles.

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27
§3. Biologie criminelle

Selon A. Pires, le terme Kriminalbiologie a été surtout utilisé en Allemagne et en


Autriche. Cette notion a reçu deux sens différents : un avant et l'autre après la
publication du livre d’Exner en 1939. Mais dans les deux cas, cette expression n'a
jamais désigné de façon courante la simple étude physiologique ou constitutionnelle
de la personne criminalisée. En effet, dès le départ, et avant la publication du livre
d'Exner, elle avait reçu une signification qui englobait à la fois la biologie et la
psychologie, restant alors à mi-chemin d'une conception plus large qui inclurait aussi
le point de vue sociologique. Dans sa première acception, elle n'était donc pas tout à
fait un synonyme de «criminologie». L'Allemagne et l'Autriche proposèrent alors
finalement l'expression biologie criminelle pour désigner la criminologie, mais la
proposition arriva trop tard sur la scène internationale : avec la fondation de la
Société internationale de Criminologie en 1934, et avec le succès remporté aux États-
Unis, le terme «criminologie» avait déjà une bonne longueur d'avance. En plus, le
nom même de «criminologie», qui a été inventé dans le dernier quart du XIX è siècle,
n’a pas été la seule appellation, ni probablement la première, par laquelle on a
désigné ce savoir (Pires, 1995a, 16).

CHAPITRE II : LES COURANTS PARADIGMATIQUES EN CRIMINOLOGIE

L’introduction de ce chapitre oblige que l’on définisse d’abord ce que l’on n’entend
par le paradigme.

Le paradigme est une conception théorique dominante ayant cours à une certaine
époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d'explication
envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée. C’est un
cadre théorique qui englobe diverses théories, un cadre conceptuel de référence qui
oriente la réflexion et la recherche.

Un des problèmes majeurs qui a affligé la criminologie depuis les années soixante est
sans doute le fameux clivage entre une criminologie du passage à l’acte et une
criminologie de la réaction sociale. Où en est la recherche empirique et théorique sur
cette question ? Convaincu que le débat sur les « deux criminologies » relève d’un
problème sérieux, nous allons parler de ce deux approches, de leurs fondements et
de leur limites.

Selon A. Pires deux grands courants paradigmatiques de la criminologie s’affrontent


de manière tranchée : d’un côté, la criminologie du passage à l’acte, centrée sur le

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28
criminel, à laquelle on reprochera de « substantialiser » le crime et de « réifier » le
criminel comme être fondamentalement « différent » de l’autre, une criminologie de
la réaction sociale ou de la définition sociale, intéressée par les processus de
criminalisation primaire et secondaire, que l’on critiquera pour son caractère
constructiviste, voire nominaliste, et à laquelle on reprochera d’oublier le réel du
crime et le criminel pour s’enfermer dans une lecture critique des institutions sociales
et pénales. Ces deux criminologies, considérées pour les besoins de la présentation
dans leur modèle idéal, c'est-à-dire dans leurs expressions les plus divergentes,
reposent sur des conceptions du crime et du système pénal très différentes39.

Une présentation succincte des principaux points d’appui de ces deux paradigmes
devrait permettre de mieux comprendre les reproches croisés que s’adressent les
tenants de l’approche étiologique et ceux de la réaction sociale, tout comme les
enjeux du débat sur les objets paradoxaux de la criminologie que relançait A.P. Pires
dans Déviance et Société il y a 15 ans.

SECTION I : PARADIGME ÉTIOLOGIQUE OU DU PASSAGE À L’ACTE

§1.Notion générale

Dans le passé, selon A. Pires, on a appelé le premier paradigme de « criminologie


étiologique » ou « du passage à l’acte ». Cependant dit-il, ces termes sont imprécis
parce qu’ils ne comprennent pas les recherches purement descriptives qui ont
pourtant considéré le crime comme un fait social. Il préfère parler du paradigme du
fait social. Pour A. Pires, le paradigme du fait social est le plus ancien et débute avec
la naissance de la criminologie au XIXème siècle.

En réalité, les recherches qui y sont attachées conçoivent le crime comme un fait
social consistant plutôt qu’une réalité construite par les interactions sociales et par la
loi pénale. On étudie alors, si l’on peut dire, une seule dimension du crime : la
manière de faire. On laisse alors de côté l’étude de la manière de définir et de réagir.
D’autre part, le crime apparaît comme une chose, une substance 40 ayant un contour
39
Pierre Landreville, Évolution théorique en criminologie : l’histoire d’un cheminement. Criminologie, Vol. 19,
N°1, 11–31., 1986
40
Selon C/ Nagels, plusieurs courants criminologiques ont réinvesti l’étude des comportements «
criminalisables », Certains ont resubstantialisé entièrement le concept de « crime ». Ils en ont fait un
comportement réclamant la loi pénale et non l’inverse. C’est le cas pour ce que Cartuyvels (2007) regroupe sous
les études d’inspiration cognitivo-comportementaliste visant à dépister précocement les « troubles de conduite
dont l’héritabilité génétique n’est pas exclue, laissant augurer plus tard l’inscription dans une carrière
délinquante de sujets à risque » (p. 457), renouant ainsi avec l’image d’un criminel « autre », un « monstre »
potentiel dont il faut se protéger, par essence différent du commun des mortels (entendons non criminel). C’est le
cas aussi pour les courants criminologiques que Garland (1998) a joliment nommés la criminologie de la vie
quotidienne où le criminel est perçu comme un individu normal, rationnel et hédoniste et où le passage à l’acte

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naturel et qui est évident à l’esprit. D’autre part, la loi et le système pénal sont
envisagés comme étant « extérieurs », « au-dessus » et «contre» la criminalité, une
sorte de miroir relativement fidèle de la nature des choses, d’appendice-reflet-
réaction de la réalité sociale.

Dans ce paradigme du fait social, les recherches veulent décrire les tendances
statistiques de la criminalité (ex. Quételet), trouver les traits du crime chez l’individu
(positivisme criminologique), ou encore comprendre les processus qui conduisent à
la déviance ou au passage à l’acte (école de Chicago et école de Louvain). Les
grandes questions de recherches sont : pourquoi devient-on délinquant? comment
varie le taux de criminalité et quels sont ses rapports avec d’autres variables
(Quételet) ? Selon A. Quételet, il existe une constance du fait criminel qui obéit à des
lois et à l’existence d’un penchant au crime. Il ressort fondamentalement de ses
travaux l’idée selon laquelle, l’homme est susceptible d’une approche scientifique,
quantifiée. La question de qui est le délinquant et comment peut-on le distinguer des
honnêtes citoyens (positivisme) ? Comment devient-on déviant au cours d’un
processus normal d’adaptation sociale et personnelle aux conditions de vie ? (école
de Chicago, De Greeff). La criminalité est vue tantôt comme un phénomène de
masse, tantôt comme une forme de pathologie individuelle, tantôt encore comme le
sous-produit d’un processus d’adaptation à des (mauvaises) conditions de vie (Pires,
1992).

§2. Les théories causales de la délinquance

Pour les partisans des théories causalistes estiment qu’il faut dégager les différentes
causes de la délinquance afin de guider l’action des pouvoirs publics en faveur de la
« moralisation » réinsertion-rééducation des contrevenants.

Les théories causales de la délinquance retiennent quatre grands groupes de facteurs


pour essayer de rendre compte du fait criminel :

1 L’inadaptation de l’individu ;

2. L’émulation du groupe de pairs ;

3. Dilution de l’autorité des institutions de contrôle ;

n’est perçu que comme « la contrepartie de nos libertés individuelles et de nos marchés non réglementés, la
dimension extérieure de nos décisions économiques » (p. 52), une « réalité dont on ne tient pas compte et de
laquelle (…) il faut seulement apprendre à se défendre » (Melossi, 2007, p. 411). Il sied de noter que d’après C.
Nagels, ces deux approches dominent aujourd’hui le champ criminologique occultent une des deux faces de cet
objet paradoxal qu’est le crime et n’enrichissent pas substantiellement les savoirs criminologiques.

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30
4. L’inégalité sociale.

Il sied de noter qu’à ces quatre types d’explications, on doit ajouter un cinquième
d’inspiration différente : celui qui conçoit la criminalité comme un phénomène lié à la
reproduction de la domination c’est-à-dire découlant directement de la défense d’une
forme établie de la hiérarchie sociale (A. Ogien 1995, 35).

Pour ceux qui mettent l’accent sur l’individu, le crime est commis par des individus
possédant une disposition particulière qui les pousse à faire le mal de façon
compulsive. Pour Lombroso, le crime est une conduite pathologique, qu’il convient
de guérir sur base d’un traitement individuel qui n’appelle qu’en certains cas le
recours aux instruments du droit. L’idée de la « mauvaise nature » offre une
explication commode de l’incoduite à l’homme de la rue. Cette conception est
défendue par le déterminisme biologique qui affirme le caractère irrémédiablement
nuisible du délinquant. Dans cette optique, mettre fin au crime oblige l’élimination
de ceux criminels considérés comme ontologiquement mauvais.

Pour ceux qui pensent que c’est la société, la délinquance procéderait des faillites de
l’intégration sociale. Le chômage, l’analphabétisme. La société produit ses propres
délinquants dans la mesure où, elle ne met pas à la disposition de son peuple, les
moyens nécessaires pour les intégrer. Notons que pour certains auteurs, l’intégration
n’est pas le facteur déterminant dans le passage à l’acte délinquant.

Certains criminologues pensent qu’il existe toujours des raisons qui expliquent le
passage à l’acte criminel comme, un assassinat, un meurtre… Souvent, ces raisons
nous allons les retrouver dans des explications simples : elle n’a pas eu une enfance
heureuse, ses parents la maltraitaient, elle buvait beaucoup, elle n’a pas supporté sa
grossesse, son mari l’a quittée ou ne lui consacrait aucun moment, elle n’avait plus
d’argent pour nourrir ses enfants… Bref toute une série de raisons ou des causes qui
viendraient expliquer directement et facilement les faits, sans prendre le temps
indispensable de la compréhension. La criminologie du fait social ou étiologique
essai d’expliquer ce qui s’est passé en distinguant des causes biologiques,
psychologiques ou sociales et en tentant éventuellement de comprendre comment
tous ces éléments jouent ensemble dans une explication globale satisfaisante (C.
Adam, 2014). Nous disons que cette manière de voir est utile mais suffisante. Elle
ouvre certaines portes mais elle ne dit pas l’essentiel.

Selon C. Adam (2014) si une mère tue son enfant pour n’avoir pas connu son père, ce
qu’on peut observer objectivement, cela, ne nous dit pas comment elle a vécu

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31
concrètement son « enfance à elle » face à un père absent, dans les détails et avec les
mots qu’elle aurait choisis pour en parler qui sont souvent éloignés du vocabulaire
scientifique des spécialistes. Il y a mille et une manières de souffrir de l’absence d’un
père… Quand bien même ce père absent serait une cause, encore faut-il trouver la
relation entre la cause et l’effet, or rien n’est moins simple.

Il sied de noter que les théories de l’époque prétendent que le criminel existe en soi,
le crime n’est que la manifestation d’une personnalité criminelle préexistante. La
question est alors de savoir où se trouve le siège de cette différence qui s’exprime par
le crime, voire qui prédestine certains individus au crime. C’est encore cette
perspective « essentialiste » ou «réifiante » du criminel, qui orientera les réponses
pénales, pensées essentiellement en termes d’éloignement, d’exclusion, voire
d’élimination d’individus dotés d’une essence particulière. L'image de l'homme
criminel, comme celle du lou-garou ou d'autres êtres maléfiques, hante le
subconscient de l'homme depuis des temps immémoriaux. Cette image évoque en
nous une ambivalence foncière. La peur, voire la terreur, se mêle à une certaine
familiarité, à un inavouable sentiment de connivence. Pourquoi cette ambivalence ?
C'est parce que le criminel est essentiellement en dehors de nous ; il nous menace
dans notre intégrité corporelle et dans notre bien-être matériel. Mais il est aussi,
paradoxalement, en nous. Nous sommes capables de comprendre, voire d'accomplir
tous ces actes dont le récit remplit notre esprit et notre cœur d'horreur et de
répulsion»41.

La criminologie s'est alors inlassablement interrogée sur les raisons qui conduisaient
certains individus à passer à l'acte criminel, donc sur les différences entre
délinquants et non-délinquants. Bien sûr, la réponse avancée s'est modifiée au cours
du temps, mais la question, elle, est demeurée toujours la même.

 La première solution qui vint à l'esprit, a consisté à chercher le siège de cette


différence dans la personne même du délinquant, sur le thème : "ils ont le
crime dans le sang". Ainsi, à l'origine, on a cru trouver la cause du crime dans
la constitution bio-anthropologique de l'individu (c'est, au moins au départ,
l'idée de Lombroso avec le thème du "criminel-né"). Aujourd'hui, on préfère
parler de personnalité criminelle dont les traits sont considérés, selon les
écoles, comme innés ou comme acquis, comme stables ou relativement labiles.
Cette conception de la criminologie, conçue comme science du délinquant, est
encore très vivace. Elle s'exprime aujourd'hui dans différents courants et,
41
Denis Szabo, Criminologie et politique criminelle, Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 1978,
p.16

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32
notamment, le courant de la criminologie biopsychologique. Bien sûr, l'idée
lombrosienne d'un "criminel-né" a fait long feu quoique l'on se soit interrogé
dans les années 1970 sur l'existence d'un chromosome du crime.
 Dans l'histoire des idées criminologiques, à ce premier courant est venu
s'ajouter un autre type d'explication du phénomène criminel. Ce deuxième
courant, à la question pourquoi devient-on délinquant, répond "parce que le
père boit et que la mère fait le trottoir", "parce qu'on est pauvre et sans
instruction", bref on devient délinquant à cause des conditions de vie. Le
projecteur se déplace donc de la personne du délinquant à l'étude de ses
conditions de vie, le délinquant est alors considéré comme différent, non plus
par ce qu'il est, mais en tant que cas social, à cause de ses conditions de vie, il
pose un problème à la société. L'explication devient alors de nature sociale : on
ne naît pas délinquant, on le devient parce que l'on vit dans tel milieu social
ou urbain, ou encore à la suite d'un apprentissage culturel. La célèbre théorie
d’Alexandre LACASSAGNE, médecin du début du siècle, chef de file de
l'Ecole du Milieu Social, se résume dans deux formules, qui illustrent bien ce
mouvement :

Lacassagne disait, en effet : "Les sociétés n'ont que les criminels qu'elles méritent" et "Le
milieu social est le bouillon de culture de la criminalité, le microbe, c'est le criminel, un
élément qui n'a d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter"
(Lacassagne, 1894, p. 407).

Il sied de noter que c’est une explication sociale du crime, mais pas encore
explication sociologique : pour Lacassagne, la société, le milieu social ne fait que
révéler ou non la nature criminelle de certains individus, nature intégralement
déterminée à l'avance par leur hérédité. Là encore, l'explication est de type causaliste:
on devient délinquant à cause de la société. Ainsi le milieu social ou la société, par les
insuffisances de son organisation politique, l’isolement et l’indifférence qu’elle peut
engendrer, les sollicitations qu’elle multiplie, peut “encourager” la vocation
criminelle. C’est l’inattention dont souffrent les plus défavorisés, exclus du bénéfice
de l’éducation et souvent marginalisés par les mécanismes de l’économie moderne,
qui les rend vulnérables aux sollicitations d’un environnement hostile 42. Nous
verrons que jusque dans les années 1960, l'application des grandes théories
sociologiques classiques à la criminologie s'est constamment opérée dans une telle
perspective.

42
M.Kaluzinski, op.cit.47

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33
§3. Danger et faiblesse du paradigme de fait social ou étiologique

Le danger de la criminologie de fait social ou étiologique est de trouver des causes


qui fonctionnent un peu comme des « excuses » ou des « accusation », une fois
trouvées, l’auteur n’aurait plus à s’expliquer, il n’y aurait plus rien à comprendre,
tout serait dit : coupable ou non. Et ce père, aussi peu satisfaisant qu’il ait été aux
yeux de sa fille, serait le seul responsable de ce qui est arrivé…Nous ne prétendons
pas ici que la criminologie du fait social est simpliste et caricaturale mais elle
présente le risque de trouver des explications toutes faites qui empêcheraient que
l’auteur réponde personnellement de ses actes, qu’il fasse part de son vécu.

En réalité, selon C. Adam, la recherche causale rassure et apaise les tensions et


soulage les émotions. Les explications sont d’ailleurs le plus souvent données par des
spécialistes ou des experts interviewés à la télévision qui n’a jamais rencontré les
auteurs. La criminologie du passage à l’acte recherche les causes dans le passé, mais
se soucie moins du présent. L’explication devient comme un catalyseur, un moyen de
faire son deuil sur une situation incompréhensible.

Le paradigme étiologique ou du fait social dominera les débuts de la criminologie.


Une de ses failles principales est cependant très rapidement mise en lumière. Dès
1892, un certain Manouvrier soutient, dans un texte critique adressé à Lombroso
dont il met en cause les thèses anatomiques, que le crime n’est pas une catégorie
spécifique et homogène de comportement. C’est d’abord, dit-il, une construction
socio-juridique, liée à la loi qui définit les comportements criminels et ceux qui ne le
sont pas et à la mise en œuvre de la loi pénale (Manouvrier, 1892). Manouvrier met
évidemment le doigt sur un point fondamental : comment penser une substance du
crime, une ontologie du criminel si ces dernières qualités sont d’abord liées à la
commission d’un acte désigné par la loi, au terme d’un processus de définition
fluctuant selon les lieux et les époques ? Si l’objection (le crime est d’abord une
construction socio-légale) n’est pas retenue à une époque où l’on n’a d’yeux que pour
la personnalité criminelle, elle jette les bases d’une deuxième approche
paradigmatique du crime comme objet «normatif/juridique» qui connaîtra un succès
important par la suite.

Autour du siècle, les travaux du sociologue É. Durkheim enfoncent avec plus de


succès un coin sérieux dans les approches « substantialisantes » de la criminologie
étiologique. Dialoguant avec les théories de l’École positive italienne, Durkheim part
d’un constat empirique très simple mais qui renverse complètement la perspective
sur le crime et le criminel : si l’on scrute les systèmes pénaux dans l’espace et dans le

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34
temps, l’homogénéité du crime n’existe pas. Mis à part un petit nombre d’entre eux,
et encore, les comportements considérés comme crimes varient selon les époques et
les sociétés (Durkheim, 1973). Accepter cette idée, facilement vérifiable
empiriquement, qu’un même acte ou comportement est tantôt criminel tantôt
normal, ici considéré comme crime et perçu là-bas comme licite, relativise ou
« désusbstantialise » sérieusement la notion de crime. De même, cela rend peu
crédible la croyance étiologique en une personnalité criminelle : comment prétendre
se trouver en face d’un type spécifique de comportement humain alors que la liste
des actes incriminés est arrêtée par le droit pénal qui, de surcroît, la modifie
constamment dans le temps et dans l’espace ? (Robert, 1995,269). Des exemples
permettent de facilement comprendre ceci : comment expliquer que le vagabond,
doté d’une personnalité criminelle du temps où le vagabondage était considéré
comme un crime (érigé en infraction par le code pénal), perde tout à coup cette
qualité lors de la décriminalisation du vagabondage? Peut-on attribuer une
personnalité criminelle ontologique à un usager de drogues, alors que dans le pays
voisin où l’usage à des fins personnelles est dépénalisé, le même usager sera
considéré comme un citoyen comme un autre? À quel « trouble de la personnalité »
renvoie la commission d’un délit culturel par lequel est incriminé un comportement
lié à une culture différente de la culture dominante (le port du voile dans l’espace
public par exemple) ou la commission d’un délit qui est décriminalisé pour certains
justement en fonction de leur appartenance culturelle (Bernardi, 2007)? Quiconque se
penche un tant soit peu sérieusement sur le droit pénal et ses évolutions dans le
temps et dans l’espace, ne peut que constater les impasses logiques auxquelles mène
le paradigme comportemental ou étiologique. Et à cette aporie manifeste répond en
miroir le rôle de la loi ou du droit dans le découpage du licite et de l’illicite pénal,
dans la construction d’un acte, d’un comportement ou d’un état comme crime et la
désignation de son auteur comme criminel.

SECTION II : LE PARADIGME DE LA RÉACTION SOCIALE OU DE LA


DÉFINITION SOCIALE

§1. Notion générale

Le paradigme de la définition sociale est le plus récent et s’est développé, d’abord


aux USA au début des années soixante. Il a reçu aussi plusieurs appellations : théorie
de l’étiquetage, criminologie du contrôle social43, criminologie de la réaction sociale.

43
Le paradigme du contrôle, ou la criminologie du contrôle social, par contre, met en cause la possibilité
d'articuler une théorie spécifique du comportement criminel et déplace le focus de l'étude vers les appareils et
les formes de contrôle social. La question centrale est ici : pourquoi et comment est-on défini comme

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35
Le paradigme de la réaction sociale opère une inversion radicale dans la manière de
concevoir l’objet et le domaine de recherche (Robert, 1973). Ce paradigme, aussi
appelé paradigme de la définition sociale (Pires, Digneffe, 1992), prend l’exact contre-
pied de l’essentialisme étiologique, en considérant que le crime n’existe pas (et par
conséquent qu’il n’y a pas d’ontologie du criminel). La formule doit être bien
comprise : elle ne signifie pas qu’il n’existe aucun crime dans une société donnée, ni
qu’une société n’aurait pas le droit d’ériger certains actes en crime. Elle signifie
encore moins une négation de l’existence des comportements problématiques dans
une société. Elle tend seulement à souligner qu’un acte ou un comportement, jugé
problématique sur le plan social, n’existe en tant que crime que si une pratique
sociale l’objective comme tel et qu’il se retrouve incriminé, soit défini comme crime
par la loi pénale. L'ébranlement de la grande tradition étiologique (la recherche des
causes de la délinquance) vint, au début des années 1960, de l'irruption progressive
de la notion de réaction sociale dans le champ des préoccupations criminologiques.
L'idée est que l'on devient criminel à cause de la "réaction sociale".

A partir de ce paradigme, la criminologie change d’objet puisqu’elle devient « la


science des mécanismes sociaux de rejet, (…) l’étude traditionnelle des résidus du
filet pénal faisant place à l’étude, plus appropriée, du fonctionnement des filtres
sociaux » (Kellens, 1980, p. 120). Pour de nombreux chercheurs se situant dans ce
paradigme, l’étude du passage à l’acte, « l’explication de l’acte déviant, le crime
comme un type de comportement, n’a plus aucune validité » (Van Outrive, 1995, p.
279).

Le terme de réaction sociale, comme son nom l'indique d'ailleurs, peut être défini,
pour l'instant, «comme l'ensemble des moyens ici, les institutions pénales que la
société va se donner et mettre en œuvre pour réagir, face au crime : en matière
pénale, la réaction sociale va se manifester par la poursuite et la répression du
délinquant». Or, pendant longtemps, la criminologie considérait la réaction sociale
plus précisément la justice pénale comme à peu près hors de son champ d'étude.
Ainsi, on considérait implicitement la justice pénale comme un outil permettant
d'atteindre le délinquant et de chercher l'élément de différence permettant de rendre
compte de son comportement hors norme. Autrement dit, pour comprendre et
expliquer le phénomène criminel, on se disait qu'il suffisait d'étudier les condamnés,
comme si l'intervention de la justice pénale était totalement neutre. Bref, l'étude des

délinquant? Et cette question peut être complétée par une autre : qui définit le comportement de qui comme
déviant ou délinquant?

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36
mécanismes et des processus de réaction sociale était abandonnée aux spécialistes de
la procédure pénale.

A partir des années 1960, certains courants de pensée vont inclure l'étude de la
réaction sociale dans le champ de la criminologie. Il en est ainsi, comme nous le
verrons, des théories interactionnistes, inspirées de la pensée de Georges Herbert
Mead, ou encore de la théorie de l'étiquetage d’E. Lemert ou H. Becker.

On peut résumer la pensée de ce courant en disant que pour ses tenants, la réaction
sociale doit être prise en compte dans la genèse du comportement délinquant : le
passage par la justice pénale, par exemple, par ses impositions de rôle, constitue le
délinquant comme différent en le traitant de façon discriminatoire, ségrégative et
stigmatisante. C'est ainsi que par la réaction stigmatisante, on est étiqueté comme
délinquant favorisera une prise de rôle de délinquant durable. Par rapport au
courant précédent, nous voyons que la réponse à la question "pourquoi devient-on
délinquant a changé.

La cause de la délinquance ne tient plus dans la personnalité du délinquant ou dans


ses conditions de vie, mais dans l'action stigmatisante de la réaction sociale. Mais, en
même temps, nous pouvons remarquer que la question est toujours
fondamentalement la même ; on recherche toujours en réalité ce qui rend le
délinquant différent des autres, et qui permet donc d'expliquer son comportement,
mais on n'en situe plus le siège dans sa personne ni dans ses conditions de vie. C'est
"l'audience", le passage par le système de justice pénale qui en affichant l'individu
délinquant le constitue comme tel.

Dans les années 1960, un nouveau paradigme constructiviste enfonce la porte


entrouverte par Durkheim. Portés par plusieurs courants, dont l’interactionnisme
symbolique (Becker, 1963). Le néo marxisme (Van Ou trive, 1977),
l’ethnométhodologie ou encore les théories du conflit social (Garfinkel). Là où le
paradigme étiologique considérait que le criminel préexistait au crime, on pose ici
que c’est la loi qui précède le crime : le crime, comme toute déviance... n’est qu’un
concept dérivé renvoyant à l’étude de la norme.

La loi pénale crée l’infraction (pas le comportement bien entendu, mais son existence
en tant que crime) par son institution même (Robert, 1984,107). Ou encore : pas de
crime sans incrimination préalable, pas de crime sans une « réaction sociale »
préalable à un acte débouchant sur sa définition comme crime (...). La règle pénale
est constitutive du crime, sans référence à elle, il est aussi impossible de parler de

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37
crime qu’il l’est de parler de football sans référence aux règles de ce jeu (Robert,
1995,269). Le crime, ce n’est donc pas un fait brut mais bien le rapport entre un acte et
une manière de définir celui-ci (Pires, 1995a, 65). De manière logique, la perception
du criminel bouge également et se fait elle aussi constructiviste d’individu
pathologique, doté d’une personnalité particulière : le criminel ou «déviant», devient
le produit d’un processus de labelling ou d’étiquetage. Le déviant, c’est celui qui
commet un acte défini comme crime et qui, au terme de son parcours dans le système
pénal, sera nommé et étiqueté comme tel (Becker, 1963).

Les conséquences de cette position constructiviste ou nominaliste ne seront pas sans


importance pour le questionnement criminologique et ses objets. L’intérêt de la
recherche se déplace du comportement criminel et des causes du passage à l’acte vers
la réaction sociale à la déviance, sous la double forme des processus de
criminalisation primaire et secondaire. Tels sont désormais les objets d’une
criminologie/sociologie de la déviance, marquée par le souci d’éclairer de manière
critique les processus de création et d’application des normes pénales et leurs effets.
Le déplacement d’objet entraîne alors un changement des questions qui mettent
régulièrement l’accent sur le rôle des acteurs à l’œuvre sur la scène pénale.

§2. Principe de « nullum crimen nulla poena sine lege »

Là où le paradigme étiologique considérait que le criminel préexistait au crime, on


pose ici que c’est la loi qui précède le crime ; le crime comme toute déviance..., n’est
qu’un concept dérivé renvoyant à l’étude de la norme... La loi pénale crée l’infraction
(pas le comportement bien entendu, mais son existence en tant que crime) par son
institution même (Robert, 1984,107). Ou encore : pas de crime sans incrimination
préalable, pas de crime sans une « réaction sociale » préalable à un acte débouchant
sur sa définition comme crime... la règle pénale est constitutive du crime ; sans
référence à elle, il est aussi impossible de parler de crime qu’il l’est de parler de
football sans référence aux règles de ce jeu (Robert, 1995,269). Le crime, ce n’est donc
pas un fait brut mais bien le rapport entre un acte et une manière de définir celui-ci
(Pires, 1995a, 65). De manière logique, la perception du criminel bouge également et
se fait, elle aussi, constructiviste : d’individu pathologique, doté d’une personnalité
particulière, le criminel ou «déviant» devient le produit d’un processus de labelling
ou d’étiquetage. Le déviant, c’est celui qui commet un acte défini comme crime et
qui, au terme de son parcours dans le système pénal, sera nommé et étiqueté comme
tel (Becker, 196).

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38
§3. Processus de criminalisation primaire et secondaire

Les conséquences de cette position constructiviste ou nominaliste ne seront pas sans


importance pour le questionnement criminologique et ses objets. L’intérêt de la
recherche se déplace du comportement criminel et des causes du passage à l’acte vers
la réaction sociale à la déviance, sous la double forme des processus de
criminalisation primaire et secondaire. Tels sont désormais les objets d’une
criminologie/sociologie de la déviance, marquée par le souci d’éclairer de manière
critique les processus de création et d’application des normes pénales et leurs effets.
Le déplacement d’objet entraîne alors un changement des questions qui mettent
régulièrement l’accent sur le rôle des acteurs à l’œuvre sur la scène pénale.

 Au stade de la criminalisation primaire, on s’interroge sur les jeux d’acteurs et


rapports de pouvoir présents derrière la construction (ou la déconstruction)
des lois pénales et sur les conflits de valeurs et d’intérêts qui se cachent
derrière une loi pénale auparavant présentée comme axiologiquement neutre
Il sied de noter qu’il faut nécessairement prendre au sérieux les processus de
criminalisation primaire car certains acteurs qui participent activement à
l’élaboration des normes peuvent faire que certains normes soient écartées en
leur faveur. En tant que criminologue, étudier les processus de criminalisation
primaire a effectivement toute son importance, qu’il s’agisse de travailler sur
l’influence des groupes de pression capables de persuader les forces politiques
qu’il faut criminaliser certaines conduites ou, à l’inverse, qu’il faut prôner
d’autres types de réaction sociale, voire carrément prôner des mécanismes
d’autorégulation.
 Au stade de la criminalisation secondaire, on s’interroge sur l’application
différentielle des normes pénales, sur les ressorts mobilisateurs de l’action des
agents du système (police, parquet, juges de fond, administration
pénitentiaire), sur les interactions entre justiciables et agents du système pénal,
etc. Par contre, les comportements criminels (ou criminalisés) ou le passage à
l’acte sortent de l’orbite du nouveau paradigme. La question de la
transgression de la loi pénale ou l’étude des comportements déviants ne fait
plus partie, ou de manière marginale, du ressort de la criminologie
dominante. Le souci de rompre avec le paradigme du passage à l’acte et ses
dérives substantialisantes ou essentialistes sur le crime et le criminel explique
sans doute cela. Comme le souligne C. Debuyst, on peut imaginer la peur de
ce qu’une reprise en compte privilégiée de l’individu n’occulte ou ne reprenne

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39
le pas sur une interprétation politique ou socio-politique (Debuyst, 1995b,
262).3).

SECTION III : PARADIGME DES INTERACTIONS SOCIALES

§1. Dilemme paradigmatique

Selon C. Nagels44, si le paradigme de la réaction sociale a incontestablement enrichi le


savoir criminologique, force est de constater que de nouveaux courants
criminologiques émergeant à partir de la fin des années 1980 ne se sont pas satisfaits
d’une discipline criminologique travaillant exclusivement sur les mécanismes de
criminalisation et ont, chacun à leur manière, réintroduit l’analyse des
comportements. Certains de ces courants ont pris à bras-le-corps le paradoxe de Pires
et ont construit une autre manière de conceptualiser le « crime » et la discipline qui
l’étudie de manière privilégiée, la criminologie.

Dans son article de 1993, Pires soutient que les deux paradigmes en conflit sont
moins homogènes et antinomiques qu’il n’y paraît. Des tentatives de dépassement
ont déjà eu lieu. Pour Pires, ce dilemme paradigmatique concerne l’ensemble du
champ criminologique et un certain nombre de chercheurs, rangés comme lui-même
du côté de la réaction sociale, éprouvent un malaise à éluder complètement la
question du comportement problématique.

§2. Interrelation sociale

Le paradigme des interrelations sociales vise à dépasser « l’antinomie entre deux


projets de connaissance : la généalogie des comportements et la constitution des
pratiques sociales institutionnalisées » (Pires, 1993, p. 155). Il en rend compte selon
un schéma en deux axes, où l’axe horizontal est constitutif des comportements (des
situations-problèmes) alors que l’axe vertical se réfère au processus d’objectivation
de certaines situations-problèmes en crime : « appeler un événement crime n’est donc
pas donner une simple description de cet événement : c’est le constituer comme tel
alors même qu’on aurait pu donner une autre direction au processus de description-
objectivation de l’événement » (Pires, 1993, p. 155). À l’axe horizontal appartient le
jugement de fait qui concerne la description et l’explication des situations-problèmes
et le jugement de valeur, celui qui exprime le fait qu’un comportement est inadéquat
ou immoral, sans pour autant considérer qu’il faut le renvoyer au système pénal. Par
contre, s’il est pris en charge par les acteurs du système pénal, le comportement est

44

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40
objectivé en tant que crime, ce qui a des conséquences concrètes sur tous les plans
(représentations des acteurs et des comportements, pratiques des différents acteurs
en présence). C’est le jugement performatif qui constitue la situation-problème en
crime et qui est propre à l’axe vertical45.

§3. Solution au dilemme

Pour dépasser ce dilemme, l’auteur propose d’adopter un paradigme des


interrelations sociales permettant de conjuguer l’étude des situations-problèmes et
celle de la réaction sociale, de privilégier une option épistémologique visant à
représenter l’objet de la criminologie comme un objet paradoxal, c’est-à-dire
susceptible d’être saisi en tant que situation-problème et en tant que façon de définir
les situations (Pires, 1993,155).

§3.Observations critiques

Pour A. Pires, en règle générale, on peut dire que les objets d'une science sont ceux
que l'on observe dans sa propre pratique de recherche ; les objets de la biologie, par
exemple, sont ceux-là mêmes que les biologistes se donnent à certains moments, etc.
Mais la difficulté de la criminologie est justement qu'elle n'est pas une science
autonome, mais plutôt une activité de connaissance.

A. Criminologue personnage floue

La criminologie n'a pas un domaine propre par conséquent, le criminologue est lui-
même un personnage flou et mal défini, et ses objets et théories appartiennent aussi
en même temps à d'autres disciplines. Apparaît alors un problème de choix et de
détermination des objets qui est plus volatile que celui qu'on retrouve dans les
sciences autonomes. Il se présente sous la forme brutale suivante : « quelle est la
partie des objets et des savoirs d’autres disciplines que nous, comme criminologues,
nous allons approprier, réquisitionner, pour en faire aussi des objets de la
criminologie ? ».

B. Danger dogmatique

Il nous paraît indiquer que les objets/savoirs de la criminologie relèvent, jusqu'à un


certain point, de la convention ou de l'« arbitraire » des pairs. En d'autres mots : les
pairs peuvent choisir ce qui constituera leurs objets et la pratique de la recherche en

45
C. Nagels op.cit.

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41
sciences humaines n'est pas capable de s'imposer toute seule dès le début comme
argument empirique efficace pour nous laisser voir ce qui relève de la criminologie.

Pour éviter le danger des dogmatismes, il faut alors prendre conscience que, dans le
cas de la criminologie, il n'y a vraiment aucun objet a priori qui lui appartient plus
qu'à d'autres sciences. L'activité de recherche en criminologie recouvre toujours celle
des autres disciplines. Dès lors, le criminologue n'a pas à créer des barrières
disciplinaires artificielles, comme s'il avait un domaine propre ; ce qui doit compter
c'est l'intérêt théorique des objets pour l'activité de connaissance elle-même, pour une
meilleure élucidation et compréhension de la question pénale. Tout ce que le
criminologue fait comme recherche peut être vu comme appartenant aussi à la
discipline qui a marqué le plus son approche. C'est une illusion de croire que la
criminologie a des objets ; il vaut mieux dire qu'elle s'approprie des objets.

Il reste que cette capacité de « choisir » ses objets avec une relative liberté par rapport
à la pratique globale des recherches en sciences humaines, liée à certaines convictions
a priori sur la nature (factuelle) du crime, sur ce qui était important à étudier et sur la
représentation de la science, ont amené le criminologue à engager un débat
interminable sur les objets qui devaient faire partie de cette activité de connaissance,
raison pour laquelle A. Pires parle de deux codes de langage.

SECTION IV : APPROCHE ETHNO-CRIMINOLOGIQUE CONGOLAISE

En RDC, le crime, le phénomène criminel et la réaction sociale au crime, commencent


à retenir l'attention des chercheurs depuis que ces réalités sont perçues comme
inhérentes au développement économique, politique et culturel des Congolais. Dans
ce contexte de changement (social, politique et économique) l'étude des phénomènes
criminels, de la criminalité et des réponses qu'elle provoque, tant de la part du
gouvernement que de celle des citoyens congolais, est cependant rendue difficile et
complexe par le fait que des conceptions traditionnelles du droit et de la justice se
voient en continuelle confrontation avec des codes pénaux, des procédures
judiciaires, des politiques de défense sociale qui tirent leur inspiration beaucoup plus
des «modèles» occidentaux que des pratiques indigènes ancestrales.

Les questions du genre : «boni boni moto oyo abuki mobeku» ? ebandi ndenge nini abuka
mobeko » to akoma mobuki mibeko » ? «po nani asali boye, ou encore ebandi ndenge nini aya
kokoma bongo to koya kosala makambu ya boye, nini etindi ye asala bongo ?» traversent la
mémoire de beaucoup de Congolais. Les réponses souvent qui y sont données sont
d’ordre spirituel, démoniaque ou pathologique. Les criminels répondent souvent

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42
qu’ils ne savent ce qui leur arrive, ou qu’ils sont possédés par les esprits mauvais. Il
est parfois difficile de concilier les réponses d’ordre spirituel à celles d’ordre
scientifique. Il est « ndumba » ou pute parce qu’il (elle) est de X tribu, il est voleur
parce que c’est un signe de bravoure dans sa tribu…. Mais question est celle de
savoir pourquoi tout le monde dans cette tribu ne sont pas de pute ou de voleur ?
C’est ici que les approches scientifiques peuvent nous être utiles pour expliquer ou
comprendre le passage à l’acte délinquant.

Il sied de noter que la réponse à cette question du pourquoi et du comment


détermine la politique criminelle de la société. Elle peut être à la base du
changement du système pénal, de la politique criminelle. C’est ici qu’il faut
comprendre les différentes politiques «prophylaxiques» dans les différentes sociétés
traditionnelles et la sagesse de la certains livres sacrés comme le Coran, Bible…. Une
explication d’ordre anthropologique ou revêtue d’un caractère sacré peut être de
l’ordre prévisionnel que scientifique.

§1. La notion de crime ou infraction dans la culture congolaise

Conceptualiser le crime ou l’infraction dans une approche purement congolaise n’est


pas aussi chose facile. Après un siècle d’une violence symbolique, les Congolais n’ont
presque plus rien de «congolais», une acculturation et une négation de soi se sont
imposées dans les esprits de certains Congolais au point qu’ils ne jurent que sur les
modèles occidentaux. Tout est pensé et réfléchi à la manière des Européens. D’une
part le mimétisme institutionnel avec des lois importées sans tenir compte des
contextes de leur production, d’autre part une répétition des versets bibliques ou
sourates coraniques sans comprendre leur portée réelle. Nous avons importé des lois
sans leur esprit, pourtant, dans leur interprétation, on chercher l’esprit du législateur,
c’est que le législateur a voulu dire.

La question est celle d’avoir l’équivalent du concept crime dans la culture congolaise.
Selon E. Durkheim, le crime est un acte qui offense les états forts de la conscience. En
RDC, tout ce qui blesse la conscience collective est sanctionné selon les cultures.
Ainsi, lorsque dans certains coins de la République, on peut céder son lit conjugal et
son épouse à son ami, dans d’autres coins, cela, est un motif de divorce. Ce qui peut
donner la vie ou la joie dans telle tribu est susceptible de donner la mort ou créer de
problèmes dans telle autre. Le mal dans les cultures congolaises n’est pas homogène
sauf en cas de mort d’homme. Tant qu’il n’y pas encore eu mort d’homme, ou une
intention de nuire à autrui, on ne peut pas parler en termes de crime.

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43
L’approche ethno-criminologique congolaise est une tentative de penser le crime
selon les cultures congolaises. Nous pensons que le dysfonctionnement du système
pénal congolais est tributaire de cette distance entre le modèle occidental et les us et
coutumes des Congolais. On constate même que nos organisations traditionnelles ou
coutumières régulent mieux les situations problèmes que le système pénal moderne.
Le procès est un cadre d’exorciser le mal que de condamner le fautif. Le crime ou
l’infraction comme « ngambu », « amemi ngambu », « asali mbeba », « kobuka mobeko »
est une rupture d’un contrat social. Traditionnellement, lorsqu’il y a rupture de ce
lien social, la préoccupation des autorités était de réconcilier les parties en conflits.
On pouvait attendre «wana nde likambo ya komema moninga na parquet », vieux tia na
nse, boma moto », autant d’expressions qui montrent la banalisation de certains faits
considérés comme infractionnels.

§2. Plaidoyer pour une approche purement congolaise du phénomène criminel

Pourquoi certains congolais enfreignent-ils les manières de se conduire de la majorité


de leurs congénères ? Cette question complexe nécessite le concours de pénalistes,
criminologues, sociologues et anthropologues pour son élucidation. Les savoirs de
ces différents spécialistes peuvent éclairer les multiples facettes de question de
société qui nous concernent tous. Le phénomène criminel comme un fait social en
RDC est complexe, il peut même faire l’objet de plusieurs lectures. Le crime ou
l’infraction (monisme infractionnel), le péché, la déviance, autant des concepts
souvent utilisés dans le jargon des congolais pour exprimer une réalité qu’ils
nomment «mbeba, likambo ou lisumu» et qui demandent un grand effort de
conceptualisation et de théorisation. Il faut une nouvelle manière d’évaluer nos
valeurs et la conscience collective congolaise. Nous pensons qu’un système pénal qui
n’est pas éclairé par les recherches scientifiques de manière générale et
criminologique en particulier est stagnant et criminogène.

Un délinquant ou criminel est considéré comme «mutu amemi ngambu» c’est-à-dire


quelqu’un fautif ou en faute, une personne qui a un problème avec une personne
morale ou physique (Etat ou un individu). Sous cet angle, il est tenu de trouver une
solution. Dans cette approche purement occidentale, il doit répondre de ses actes, ce
qui insinue l’idée d’une stigmatisation et celle de la violence érigée dans les différents
codes pénaux à travers le monde. En RDC, selon la sagesse ancestrale « likambo
ezuaka nzete ezuaka se moto », personne n’est à l’abri d’un problème. Cette manière de
voir les choses réduit déjà la distance entre les parties et les approches davantage.

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44
Sous cet angle, c’est le vivre ensemble qui prend le dessus sur la justice pénale.
Réflexion en cours.

CHAPITRE III. CODE DE LANGAGE EN CRIMINOLOGIE SELON A. PIRES

Selon A. Pires, l'activité criminologique renvoie aujourd'hui à deux types de langage


que nous désignerons, faute de mieux, par les expressions « code institutionnel» (ou
«substantiel») et «code descriptif». Ces codes correspondent à deux représentations
opposées de l'objet et ont trois caractéristiques opposées.

SECTION I. CODE INSTITUTIONNEL

§1. Première caractéristique

La première caractéristique du code institutionnel est qu'il nous amène à adopter,


pour parler des comportements, le langage juridique ou institutionnel du droit, utile
dans la pratique du droit, mais qui ne fait pas certaines distinctions qui peuvent être
fondamentales pour une compréhension théorique et empirique adéquate du sujet
traité. Il faut noter que les scientifiques eux-mêmes utilisent souvent le langage
courant du droit dans leurs études scientifiques sur les comportements de
transgression.

C'est pour cela d'ailleurs que nous devons réexaminer souvent la pertinence de notre
langage dans les discours scientifiques. Une des conséquences de ce code est qu'il a
tendance à se rabattre sur l'aspect «substantiel» ou factuel de la notion de crime et à
concevoir le « crime » comme étant simplement un acte, un comportement ou un fait
social brut ; bref, des véritables « délits naturels » (Garofalo, 1914 : 14) ou « délits
essentiels » (Tarde, 1890 : 72-73) 69.

§2. Deuxième caractéristique

La deuxième caractéristique est qu'il a tendance à vouloir donner, toutes proportions


gardées, une portée très limitée et très circonscrite aux objets de la criminologie.

3§. La troisième caractéristique

Le code substantiel correspond au système de rationalité pénale se laisse souvent


guider par ce qu'Habermas (1973) a nommé un intérêt technique. A la tête de cette

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45
rationalité pénale moderne se trouve un certain nombre de philosophes qui
appartiennent à ce qu’on appelle en général la philosophie des Lumières.

SECTION II. CODE DESCRIPTIF

§1. Caractéristiques de ce code

La première caractéristique du code descriptif est qu'il s'éloigne des notions du


langage juridique et institutionnel en vue d'examiner leurs présuppositions de base.
Il arrive alors que le code descriptif abandonne les concepts juridiques (pénaux),
modifie leur signification ou élabore de nouveaux concepts. L'objectif de ce code est
de nous amener à maximaliser la capacité descriptive de notre langage. Il évite alors
l'utilisation d'un langage à connotation juridique, justement parce que ce langage se
prête mal à la tâche de description empirique. En effet, le propre des concepts
juridiques (pénaux) n'est ni de voir ni de décrire, mais d'interpréter pour juger. Or,
lorsque nous étudions le comportement des gens qui ont été institutionnellement
criminalisés, nous n'étudions pas les comportements antisociaux en général ni les
comportements problématiques tout court, nous étudions seulement les personnes
dont le comportement a été jugé institutionnellement comme «criminel » (comme
phénomène46).

Le comportement criminel est alors un fait institutionnel, et non un fait brut ou


empirique. Comme le remarque Jeffery (1959 : 7), « c'est seulement dans le droit
criminel que nous trouvons la distinction entre comportement criminel et non-
criminel ». Ce code essaie donc d'employer des concepts plus descriptifs et plus
ouverts, plutôt que les concepts affiliés au droit pénal.

§1. Deuxième caractéristique

La deuxième caractéristique est que ce code a tendance à donner une portée plus
large aux objets de la criminologie justement parce qu'il ne se laisse pas limiter par le
langage et les objectifs institutionnels et juge nécessaire d'explorer, théoriquement et
empiriquement, les présupposés du code substantiel et sa tendance à prendre pour
acquis la configuration que les institutions sociales donnent à la réalité.

§2. Criminologie nouvelle selon A. Pires

Selon A. Pires, la criminologie d’aujourd’hui favorise les deux axes :

46
Selon Husserl le phénomène ne signifie pas une simple apparence qui s’oppose à la vérité de l’être mais une
apparition, manifestation pleine de sens

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46
1. L’étude des situations problématiques qui comportent aussi bien les
comportements criminalisés, que tout autre comportement jugé problématique ;
2. L’étude du contrôle social qui comprend la création des lois pénales ; le
fonctionnement de la justice ; le système correctionnel et l’intervention psycho-
sociale auprès des personnes ayant eu des démêlés avec la justice, la politique
criminelle, les modes alternatifs de résolution des conflits ; l’histoire et l’analyse
des aspects pertinents du droit et des pratiques et institutions de contrôle social
(au sens large).

 La notion de situation-problème47 est un concept ouvert : elle permet


d’inclure dans la définition tout acte qui est perçu comme problématique par
au moins un acteur quelconque, et non plus d’office par et pour la société. Elle
permet d’élargir le nombre d’actes retenus et de réfléchir à des alternatives
possibles quant aux réponses à apporter à ces actes. On ne présuppose pas
d’avance qu’une situation-problème quelconque réclame nécessairement une
réponse punitive ou qu’elle réclame même une solution quelconque.
 La notion de contrôle social est également un concept ouvert : elle comprend,
d’une part, l’étude de la création et du maintien des lois pénales ainsi que de
l’application des lois et de ses conséquences, d’autre part, les questions
relatives au système correctionnel et à l’intervention socio-psychologique, les
aspects psycho-sociaux de la réaction sociale, les questions de politique sociale
et criminelle (prévention, décriminalisation, formes alternatives de résolution
de conflits, etc.).

A la lumière de ces codes, il y a lieu d’étudier le phénomène social soit comme un


construit soit comme une donnée. La lecture pénale du social est souvent limitée voir
stricte, « dura lex, sed lex », en revanche, la lecture des comportements comme

47
Pourtant, en 1995, il définit plus clairement la situation-problème qui « désigne simplement que pour au moins
un acteur quelconque une situation donnée est vécue ou perçue comme “créant un problème ”, ou comme étant
négative, inacceptable, indésirable » (Pires, 1995, p. 63) en s’inspirant ouvertement de la définition qu’en donne
Hulsman (1981) ouvrant grand le champ de la recherche criminologique à l’étude d’à priori toute la gamme de
comportements humains, pour autant que ceux-ci posent problème à au moins une personne. Selon C. Nagels, les
zémiologues préfèrent aux concepts de situation-problème ou de « crime » celui de « tort social » (social harm)
(Bertrand, 2008 ; Vanhamme, 2010). Selon eux, le concept de situation-problème ne permet pas de spécifier
suffisamment l’objet sur lequel les « criminologues » sont amenés à travailler et celui de crime est non seulement
loin d’englober toutes les situations qui causent des « torts sociaux » (par exemple les milliers de morts ou de
blessures en milieu professionnel), mais concerne aussi des événements peu graves tant sur le plan de
l’expérience personnelle que des conséquences sociales (vol de téléphones GSM, par exemple) (Hillyard et
Tombs, 2007). Les réponses que la société impose aux « criminels » et qui sont conceptualisées dans le droit
pénal ne touchent dès lors que peu d’individus « dangereux » ou « nuisibles » pour la collectivité puisqu’un
grand nombre de torts sociaux ne sont pas perçus comme des « crimes », mais comme des accidents, des dégâts
collatéraux de l’économie de marché (voir Bertrand, 2008, p. 193). Il n’atteint donc pas son objectif de
protection de la société.

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47
situation problème va au-delà de la lecture pénale pour étudier la situation dans ses
différentes ramifications. Si par exemple, le viol est une relation consentante ou non
avec une mineure c’est-à-dire, une fille de moins de 18 ans, alors que dans le langage
kinois, la mineure est « apita bodo » et la majeure « mioto », il y a un conflit entre la
lecture pénale et la lecture sociologique voire biologique.

DEUXIEME PARTIE. DIFFÉRENTES APPROCHES THÉORIQUES EN


CRIMINOLOGIE

Nous venons de voir dans la première partie que la criminologie est plurielle et vit de
ses controverses. La criminologie entendue comme champ d’étude ou activité de
connaissance permet d’appréhender le crime, le criminel, la criminalité dans leur
complexité.

Selon l’approche théorique, le crime, le criminel et la criminalité, l’explication ainsi la


compréhension ne sont pas les mêmes. Tout dépend des pôles disciplinaires. Le pole
pénal et pratiques pénales voit le crime comme catégorie juridique et met l’accent sur
le code institutionnel. Un autre pôle sur processus psychiques en jeu dans le passage

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48
à l’acte criminel ; l’autre sur les facteurs sociaux du passage à l’acte et mécanismes
sociaux de création de la loi pénale et des conditions de son application, enfin un
autre pôle repose sur l’étude du comportement humain dans son interaction avec les
dimensions biologique, sociale et psychologique. Ces différents pôles concourent à la
l’explication (connaissance) et la compréhension du crime, criminel et de la
criminalité.

Dans le cadre de ce Cours, il sera question de quelques théoriques parmi tant


d’autres en criminologie pour situer les apprenants dans les différents pôles
d’explication et de compréhension du crime, du criminel et de la criminalité. C’est le
pôle de la sociologie criminologique et sociologie pénal qui sera beaucoup exploité.
La sociologie pénale s'intéresse au crime et au criminel, mais à la différence des
autres courants, elle prend distance par rapport à la catégorie juridique au profit de
la catégorie juridique sans nécessairement les opposer. Elle refuse la définition
juridique du crime telle qu'elle est donnée par les juristes: elle va s'interroger sur la
logique sociale de la logique juridique et rechercher, en étudiant la façon dont la loi
pénale se crée puis s'applique, dans notre système social.

C'est ainsi qu'elle a pu analyser les faits sociaux et donc le crime, d'abord en terme de
"milieu", puis en terme de "culture", de "fonction" et enfin d’interaction". Il est donc
classique de distinguer, dans la sociologie américaine, quatre grands courants
correspondant à ces 4 problématiques :

- l'Ecole de Chicago qui crée l'étude de milieu ;


- le culturalisme ;
- le fonctionnalisme ;
- l'interactionnisme.

Chacun de ces courants va donc proposer un cadre d'analyse (le milieu, la culture, la
fonction, l'interaction) qui énonce les problèmes à poser, les phénomènes à observer
et le type de méthode à employer si l'on veut objectiver les phénomènes pertinents,
c'est-à-dire ceux qui, au terme de l'orientation théorique, peuvent avoir un sens. C'est
dire que chaque courant met en œuvre un système de raisonnement, c'est-à-dire une
rationalité, qui lui est spécifique.

Ces systèmes de penser les faits sociaux, autrement dit ces rationalités s'ordonnent
autour de principes, de postulats plus précisément, qui sont de trois ordres : 1les
postulats relatifs au concept fondamental qui rend compte du fait social que l'on veut
observer; 2les postulats relatifs aux éléments d'analyse qu'il convient alors de

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49
privilégier ; 3enfin les postulats relatifs aux facteurs qui permettent d'expliquer le fait
social observé.

Ces quatre orientations théoriques, avec leurs démarches méthodologiques


respectives, vont s'intéresser à ce phénomène social particulier qu'est la délinquance.
Et, pour éclairer ce que je viens de dire sur les postulats qui organisent la rationalité
de chaque courant, on peut dire que:

 pour l'Ecole de Chicago, le concept fondamental est celui de milieu au sens de


communauté écologique : la délinquance est alors définie en termes
d'équilibre ou de déséquilibre d'une communauté humaine particulière ; les
éléments d'analyse résideront donc dans l'observation des forces de
l'environnement et les facteurs d'explication seront trouvés en termes
d'organisation ou de désorganisation de la communauté.
 pour le culturalisme, le concept fondamental est celui de système culturel : la
délinquance est définie comme un phénomène culturel ; les éléments d'analyse
résideront donc dans l'observation des groupes d'individus et les facteurs
d'explication seront trouvés en termes de socialisation, d'acculturation ou de
déculturation.
 pour le fonctionnalisme, le concept fondamental est celui de structure
sociale : la délinquance est définie comme la conséquence d’un mauvais
fonctionnement du système social ; les éléments d'analyse résideront alors
dans l'étude des relations sociales, des statuts des individus et les facteurs
d'explication seront trouvés en termes de dysfonction ou de fonction latente.
 pour l'interactionnisme enfin, le concept fondamental est celui d'interaction :
la délinquance est définie comme le produit d'une interaction entre des
individus; les éléments d'analyse résideront dans l'observation des rôles tenus
par les individus, des stratégies, des tactiques qu'ils déploient, et les facteurs
d'explication seront trouvés en termes d'étiquetage, de stigmatisation.

Nous allons donc maintenant étudier plus en détail chacun de ces 4 courants
crimino-sociologiques nord-américains. L’objectif est de voir dans quelle mesure ces
grilles de lectures peuvent permettre d’expliquer ou de comprendre les phénomènes
criminels dans notre pays. Ces théories font objets de plusieurs critiques selon les
écoles et les auteurs, il ne sera pas possible dans le cadre de ce cours de se pencher
sur les querelles des auteurs ou des écoles mais nous disons seulement qu’il y a de
théories générales et particulières avec des limites aussi.

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50
CHAPITRE I : L'ECOLE DE CHICAGO : UNE ANALYSE EN TERMES DE
MILIEU
INTRODUCTION

La sociologie de l’Ecole de Chicago rassemble une série de travaux sociologiques


menés par des étudiants et des enseignants de l’Université de Chicago entre 1915 et
1940. L’Ecole de Chicago est une sociologie urbaine qui a entrepris un nombre très
important de travaux concernant les problèmes sociaux auxquels la ville de Chicago
était confrontée durant cette période-là.

Ces problèmes sociaux sont donc caractéristiques d’une époque particulière. Et


l’analyse qui en découle aussi. En effet, après la première guerre mondiale Chicago
connaît des transformations majeures dans un très court laps de temps. On assiste à
une industrialisation et à une urbanisation exponentielles, mais aussi à une
immigration massive. Ces changements, liés en partie au grand boom économique de
l’après-guerre, modifient profondément le paysage social. Chicago, à l’origine prévue
pour 1 million d’habitants, se retrouve avec une population qui avoisine les 5
millions d’habitants. Les «nouveaux arrivants» sont confrontés à des structures
sociales qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne maîtrisent pas. Les formes
traditionnelles de contrôle et de prise en charge (famille, communauté restreinte)
s’effritent dans une ville « impersonnelle » qui ne favorise pas les rapports sociaux de
ce type-là. De plus, la grande crise de 1929 mettant fin à la période d’expansion
économique, contribue également à la création de « nouveaux » problèmes sociaux.
Les années folles sont révolues. Les sociologues de l’Ecole de Chicago vont donc
analyser une société urbaine se trouvant aux prises avec des changements structurels
profonds et rapides. Ils tenteront d’expliquer «la déviance» (phénomène de gangs,
délinquance croissante) en se référant à ces changements sociaux. Ils consacreront
bon nombre de leurs travaux à un problème politique et social majeur: « celui de
l’immigration et de l’assimilation des millions d’immigrants à la société américaine »
(Coulon, 1992: 4). Ainsi, entre 1914 et 1933, 42 thèses ont été écrites par des étudiants
de Chicago sur les relations ethniques, culturelles et raciales, inaugurant ainsi l’un
des thèmes les plus importants de la sociologie américaine (Coulon, 1992: 36).

Le modèle rationnel de l'école de Chicago est emprunté à l'écologie animale. Le type


d'analyse que l’écologie met en œuvre intéresse les sociologues parce qu'elle suppose
un modèle particulier de causalité. Les chaînes écologiques en effet, proposent un
modèle original puisque l'ensemble des éléments que le chercheur peut légitimement
lier causalement est spatialement limité.

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51
Dans un espace donné, tout élément, quel que soit sa nature propre, du moment qu'il
entretient une certaine coexistence spatiale avec un ou plusieurs autres éléments
(élément naturel, humain, biologique ou psychologique, etc.) est susceptible d'être
impliqué dans une relation causale. De cette façon, les sociologues de l'école de
Chicago qui travaillent sur la délinquance ont cherché à établir la relation de causes à
effets parmi un ensemble extrêmement varié d'éléments, mais dont le nombre est limité
par la proximité géographique.

C'est donc en ce sens qu'est utilisé le concept fondamental de "communauté


écologique". L'idée qui gouverne ce concept est qu’il est plus facile d’étudier la
relation réciproque et l'interdépendance entre les hommes dans un espace restreint
qu’ailleurs, du fait qu'ils vivent en commun, dans un espace limité, l'habitat et les
habitants tendent à prendre le caractère d'un système plus ou moins complètement
clos. Cette communauté écologique repose donc sur l'équilibre réalisé d'une façon
toujours précaire entre non seulement des individus différents, - les habitants-, mais
aussi un environnement. Et cet environnement est lui-même le résultat d'un équilibre
entre des éléments souvent en conflit et déterminés, pour un milieu géographique
donné, par l'état de la technologie, la qualification et le nombre des individus
coexistant sur le même espace. L'environnement est donc le point d'équilibre entre
un espace géographique localisé, « l'habitat » et la qualification technologique des
individus qui y vivent « les habitants ».

Les sociologues de l'école de Chicago se livrent donc à des études du milieu, de façon
à y chercher les facteurs d'organisation ou de désorganisation, générateurs
d'équilibre ou de déséquilibre de ce milieu. Si le milieu social est tout, et s’il est assez
défectueux pour favoriser l’essor des natures vicieuses ou criminelles, c’est sur ce
milieu et sur ses conditions de fonctionnement que doivent porter les réformes.
Certains de ces sociologues vont appliquer ce modèle théorique à l'étude de la
délinquance. C’est ainsi que vont apparaître ce que l’on a appelé : « les théories
écologiques de la délinquance ».

SECTION I : THÉORIES ÉCOLOGIQUES DE LA DÉLINQUANCE

The Gang de THRASHER48

48
Thrasher est devenu célèbre à la suite de la publication de son ouvrage sur les gangs en 1927. Il y étudie 1313
gangs de Chicago qui regroupent selon lui quelques 25.000 adolescents et jeunes hommes au début des années
20. L’auteur constate l’existence de différentes strates urbaines concentriques dans la ville de Chicago avec des
taux de délinquance qui varient d’une aire géographique à l’autre. Le centre-ville, « the loop », est en fait le
centre commercial où sont concentrés les bureaux, les banques et les commerces. Dans la périphérie de la ville se
retrouvent les quartiers résidentiels où habitent les classes moyennes et, plus loin encore, les classes aisées. Entre
le centre commercial et les quartiers résidentiels, un espace intermédiaire a été libéré, un espace « interstitiel »,

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52
§1.The Gang et de l'espace interstitiel

En 1927, John Thrasher publie un livre "The Gang" dont l'objet porte sur l'étude de la
délinquance juvénile. Thrasher part du constat d'une localisation géographique de la
délinquance juvénile, il y a des secteurs de la ville qui sont plus touchés que d'autres
par la délinquance juvénile. Comment expliquer ce phénomène ?

C'est par une théorie de l'urbanisation que Thrasher va chercher à rendre compte de
l'apparition et de la perpétuation de la délinquance dans certains quartiers
particuliers. La ville industrielle américaine s'est développée en sorte que, entre le
centre où sont installés les bureaux et les magasins, et la périphérie où sont les
quartiers résidentiels, un espace intermédiaire a été libéré, s'y sont alors rassemblés
les immigrants récemment arrivés sur le sol américain ainsi que les Noirs fuyant le
sud du pays. En s'établissant dans cet espace libre, les immigrants ont en quelque sorte
pris racine, mais, comme il s'agissait d'un terrain particulièrement ingrat, leur
accoutumance ne s'est pas faite sans problèmes. La délinquance juvénile est alors,
pour Thrasher, un phénomène caractéristique de cette acclimatation
sociogéographique difficile. Tout comme la nature, en écologie, a horreur du vide, la
délinquance remplit finalement les zones particulièrement défavorisées.

Thrasher exprime cela en écrivant : "dans la nature, des matières étrangères tendent à se
rassembler et à s'agglomérer dans chaque crevasse, chaque fissure, chaque interstice. Il y a de

où se rassemblent les immigrants nouvellement arrivés, ainsi que les noirs venus du sud des USA, car aucun
autre lieu de la ville ne leur est accessible. L’habitat y est détérioré, la population change sans cesse. Cette «
ceinture de pauvreté » reflète la désorganisation sociale que subit cette partie de la population de Chicago. A cet
isolement écologique, il faut donc rajouter l’isolement culturel. La population de ce « no man’s land » est exclue
de la société américaine, de la culture dominante. Le taux de délinquance y est très élevé. C’est un espace qui
permet l’émergence des gangs. Ils s’y développent comme réponse à la désorganisation sociale. « Le gang
comble un manque et offre une échappatoire » (Thrasher cité dans Coulon, 1992: 59).

L’origine des gangs semble spontanée. Ils naissent à partir de rencontres de jeunes dans les rues. Le groupe se
transformera en « gang » au contact d’autres groupes avec lesquels il entrera en conflit. Le conflit porte
essentiellement sur le territoire. Chaque gang possède son territoire qu’il défendra contre l’intrusion d’autres
gangs. Tout ce qui n’appartient pas à ce territoire devient d’office étranger et susceptible d’être menaçant. C’est
bien plus le fait d’appartenir au même pâté de maisons qu’à la même culture d’origine qui caractérise l’affiliation
des membres. Les gangs ethniquement homogènes s’expliquent par le fait que les gens d’une même origine
ethnique ont tendance à vivre dans le même quartier. Le gang forme une véritable sous-culture délinquante avec
ses propres règles, ses propres normes et valeurs. Ainsi le vol par exemple, « activité prédatoire dominante du
gang d’adolescents, est beaucoup plus le résultat d’une incitation sportive que d’un désir de revenu » (Herpin,
1973: 104). Le gang se crée en quelque sorte un nouveau monde. Les jeunes réinterprètent leurs lieux et leurs
actes et se construisent ainsi leur propre univers. C’est pourquoi le phénomène de gang doit être interprété
comme une forme d’organisation sociale « spontanée », une organisation « alternative », en marge de la société
américaine. C’est parce qu’il se trouve justement en marge de la société, qu’on le nomme désorganisé, parce que
« ses formes spontanées de sociabilité sont inarticulables avec les coutumes, les traditions, les institutions qui
régissent le reste de la société » (Herpin, 1973: 106). La désorganisation est « développement non planifié,
logique incontrôlée des forces de l’environnement » (ibid.). Et la délinquance résulte de ce développement
incontrôlé. Elle est, selon Thrasher, un mode de survie remarquable. Elle est une manière de réinventer le
monde. Elle est le résultat de processus d’adaptation socio-géographique et culturel.

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la même façon des fissures et des cassures dans la structure de l'organisation sociale. Le gang
de jeunes peut être regardé comme un élément interstitiel dans le cadre de la société, et le
territoire du gang est une région interstitielle dans le tracé de la cité". Toute la théorie de
Thrasher est organisée autour de cette notion d'espace interstitiel. D'abord, les membres du
gang considèrent l'espace urbain où ils évoluent, cette “ région interstitielle ”, comme un
espace particulier, qui échappe à la propriété commune : ils défendent donc cet espace contre
l'invasion des autres bandes et inversement, toute intrusion dans les territoires limitrophes
est considérée comme une agression. C'est là d'ailleurs la cause des multiples conflits entre
bandes.

Ensuite, les frontières de ces territoires sont bien marquées, bien délimitées.
L'étranger qui déambule dans la zone ne sait pas que la ligne de chemin de fer ou le
stade du coin de la remarquent des frontières infranchissables. En revanche, tous les
jeunes du quartier le savent, ainsi, la symbolique de l'espace est si prégnante qu'elle
détermine, pour les individus, l'affiliation à des bandes particulières. Le fait d''habiter
dans un même pâté de maisons compte finalement pour plus que la couleur de la
peau ou l'appartenance ethnique.

§2. La délinquance comme une activité sportive ou une occupation

Thrasher remarque que, dans cette espèce d’isolement géographique, écologique,


correspond un isolement culturel. Les activités sociales habituelles prennent ici un
tout autre sens : le vol, par exemple, n'est pas perçu comme la soustraction
frauduleuse d’un bien meuble appartenant à autrui, mais est perçu peut être comme
une activité sportive, une détente, une façon de s'occuper. On le regarde comme naturel
et, à l'invitation habituelle "Viens, on va voler", la réponse peut être : "Non, je suis trop
crevé" ou "j'ai autre chose à faire", mais jamais "ce n’est pas bien".

Ainsi, à la différence de ceux qui sont soumis aux pressions conventionnelles, ces
jeunes gens ne regardent pas de tels actes de délinquance comme de mauvaises
conduites : ils volent pour s'occuper, pour s'amuser. Ainsi, pour comprendre les
pratiques « délinquantielles » des jeunes des bandes, il faut donc, écrit Thrasher,
partir de l'espace urbain où vivent ces jeunes car, pour lui : "de même que les ressources
naturelles d'une région ou d'un territoire déterminent de façon générale les activités de ses
habitants, de même l'habitat du gang, c’est-à-dire l’environnement dans lequel il vit, forme
les intérêts de ses membres. C’est-à-dire détermine leurs activités-".

Thrasher ne dit pas pour autant que cette région interstitielle soit désorganisée. Au
contraire, il pense que le gang est une forme d'organisation sociale : il est une

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création spontanée des adolescents pour vivre dans une société qui leur convienne,
lorsque n'existe aucune société adéquate à leurs besoins. Ce qui est alors appelé par
Thrasher désorganisation, c'est le fait que ces formes spontanées de sociabilité ne
peuvent pas être articulées avec les coutumes, les traditions, les institutions, qui
régissent le reste de la société. La désorganisation est donc un vice du système total
et non pas une propriété des gangs. Cette cassure, certains diraient aujourd’hui “
cette fracture ” dans le système social se traduit donc comme une inapplication des
modèles dominants.

Bref, cette désorganisation n'est pas l’absence de sociabilité ou l’absence de normes,


comme la définiront par la suite les culturalistes ou les fonctionnalistes. Elle est le
produit du développement non planifié, non contrôlé, non maîtrisé, des forces de
l'environnement et la délinquance est le résultat de ce développement incontrôlé d'une société
où se conjuguent et se combattent des forces diverses.

A. L'analyse de SHAW et Mc KAY

§1. Les facteurs sociaux de la délinquance juvénile

Dans une série d'importantes monographies fondées pour la plupart sur des
recherches effectuées dans la ville de Chicago, Clifford Shaw et Henri Mc Kay
s’intéressent eux aussi à la délinquance juvénile et tentent d'expliquer la distribution
de la délinquance juvénile dans les villes américaines. Les résultats de leurs
recherches sont publiés dans différents livres dont un, bien connu, s'appelle "Les
facteurs sociaux de la délinquance juvénile" publié en 1931. Ils observent que les
zones à taux élevé de délinquance dans le Chicago des années 1900 à 1906 sont aussi
des zones à taux élevé de délinquance dans les années 1917 à 1923. Pourtant, la
composition ethnique de ces zones s'est, dans cet intervalle de temps,
considérablement modifiée. Aussi, pour ces auteurs, quand des groupes ethniques
immigrent dans ces zones, leur taux de délinquance juvénile augmente, et
inversement, quand ces groupes ethniques quittent ces zones, leur taux de
délinquance juvénile diminue. Ils en tirent la conclusion que ce ne sont pas les
groupes ethniques qui sont "facteurs" de délinquance (n'en déplaise à certains
hommes politiques), mais bien plutôt le lieu, le milieu où ils habitent. Ils observent
aussi que la plupart des délits se commettent en petits groupes, ordinairement de
deux ou trois individus. Shaw et Mc Kay concluent alors que dans les zones à taux élevé de
délinquance, la criminalité et la délinquance juvénile sont devenues des aspects plus ou moins
traditionnels de la vie sociale et que ces traditions de délinquance sont transmises par des
contacts à la fois personnels et collectifs lorsque l’on s’installe dans ces zones.

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55
§2. Délinquance area

La théorie de Shaw et Mac Kay les conduit à formuler le concept de "delinquency


area", c'est-à-dire de "zones urbaines de détérioration morale" caractérisées par des
conditions sociales et économiques défavorables et un taux élevé de criminalité. En
effet, ils estiment que leurs recherches faites sur Chicago montrent les corrélations
existantes entre la délinquance et d'autres phénomènes sociaux (comme le suicide, le
chômage, et les familles monoparentales) dans certaines zones de la ville dénommées
ainsi par eux "zones de détérioration morale".

Tout comme Thrasher, Shaw et Mc Kay se placent dans une perspective


géographique, écologique. Pour eux aussi, la grande ville apparaît comme une
juxtaposition de zones concentriques différenciées. Au centre, le quartier des affaires,
des banques, des grands magasins, des offices publics. Immédiatement adjacente,
une zone surpeuplée et socialement désorganisée, autrefois quartier aisé, peu à peu
déserté par ses premiers occupants. Ils y furent remplacés par des immigrants de
date plus récente qui, eux-mêmes, une fois leur sort amélioré, désertèrent l'endroit
pour la zone voisine. D'étape en étape, le déplacement se fait ainsi vers la périphérie
au fur et à mesure de l'ascension dans l'échelle économique et sociale : zone des
banlieues, adjacente au centre, zone des habitations ouvrières, enfin zone de
résidence des classes plus aisées. Les résultats des études de Shaw et Mc Kay
établissent que la zone de délinquance fournit constamment 60% de jeunes qui
comparaissent devant le tribunal pour enfants malgré le renouvellement incessant de
la population.

Ainsi, la délinquance n'apparaît pas liée à la population mais à un quartier, ce qui


atteste l'influence de l'entourage. Cette théorie, que l'on peut ainsi qualifier
d'"écologique", soutient donc que le milieu sous prolétarien de ces zones repoussoirs
des grandes villes constitue le centre de recrutement du milieu délinquant
proprement dit, dont les traditions et les mœurs s'ébauchent dans les bandes
d'adolescents.

Les principaux organes de transmission de la délinquance sont, pour Shaw et Mc


Kay, les groupes de jeux et les bandes d'adolescents. Cependant, pour ces auteurs,
bien que la délinquance satisfasse le désir de sensation forte et d'intégration dans un
groupe, elle ne se différencie pas en cela des activités non-délinquantes. Certes, les
valeurs et les critères culturels et moraux mis en œuvre dans les zones à taux élevé de
délinquance ne sont vraiment pas les mêmes que dans les zones à taux faible. Ils sont
même sans doute largement divergents ou même opposés ; il n'en reste pas moins

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56
que les motifs et les désirs que cache la participation des adolescents aux activités de
leurs groupes sont sans doute identique dans les deux situations. Ce qui fait
finalement la différence, ce sont ce que Shaw et Mc Kay nomment les "critères et les
valeurs", c'est-à-dire les modèles culturels délinquants et non-délinquants par
lesquels ces désirs sont satisfaits. Pour conclure ce paragraphe, et pour résumer la
pensée des auteurs, on peut dire que pour Shaw et Mc Kay, dans certaines zones
urbaines, des traditions de délinquance sont transmises par des contacts personnels
et de groupe. Ce ne sont pas les motifs et les désirs qui sont spécifiques aux
délinquants, mais les modèles culturels mis en œuvre pour les atteindre. Les auteurs
montrent que ces traditions de délinquance se développent dans des zones à taux
élevé de rupture des contrôles sociaux.

Nous constatons que ce soit Thrasher et Shaw et Mc Kay, ils ont tous cette
caractéristique de considérer la déviance comme étant un phénomène « normal » lié
au degré de désorganisation d’une communauté urbaine. C’est bien la communauté
urbaine qui est responsable de la délinquance. Le facteur qui sépare le déviant du
non déviant est son emplacement défavorable dans l’écologie « naturelle » d’une
société en perpétuel changement.

Notons aussi qu’on a souvent retenu que cet aspect écologique de leur théorie, mais
une lecture attentive montre que le noyau en est le processus de transmission
culturelle, dans certains endroits on devient délinquant parce qu'une tradition de
délinquance nous est transmise. Ce processus de transmission culturelle permet
d'introduire un facteur d’explication sans lequel la liaison entre aire de
désorganisation sociale et haut taux de délinquance resterait purement descriptive et
n'aurait aucune valeur explicative.

On comprend alors que le culturalisme, en germe déjà dans les études de Shaw et Mc
Kay49, ait naturellement succédé à cette théorie écologique, il est difficile, en effet, de
49
Ces auteurs publient ensemble deux ouvrages (1929 et 1942) portant sur la délinquance urbaine. Dans leur
premier ouvrage, ils axent leurs recherches sur sept zones urbaines de Chicago ayant des taux de délinquance qui
varient. Les quartiers situés près des centres commerciaux et industriels, ceux dont la population a le plus bas
revenu, connaissent le plus haut taux de délinquance. Ce taux va en décroissant progressivement du centre vers
la périphérie. Or, pendant toutes les années où l’étude se poursuit, la population de la zone centrale change tandis
que le taux de délinquance reste le même. Shaw et McKay constatent aussi que se sont toujours des gens
dépourvus qui vivent dans ces quartiers, des personnes « étrangères avec le mode de production et de
reproduction de la ville et étrangers aux normalisations que ce monde entraîne » (Laplante, 1985: 149). La
pauvreté, une forte mobilité et une grande hétérogénéité de la population dans cette zone affaiblissent les
structures communautaires, le contrôle social assuré traditionnellement par la communauté, ce qui mène à une
rupture de l’ordre social et favorise l’apparition de conduites délinquantes. Ces conduites sont d’ailleurs perçues
comme normales, voire nécessaires, car elles assurent à leurs auteurs prestige et avantages économiques. « Dans
ces quartiers, la délinquance s’est développée sous la forme d’une tradition sociale, inséparable du mode de vie
de la communauté» (Shaw et McKay cité dans Coulon, 1992:71).

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57
comprendre ce milieu sans tenir compte de sa culture. Aux études de communautés
"écologiques", vont donc succéder les études de communautés "culturelles", par une
sorte de glissement de sens du terme de "milieu», du milieu au sens écologique, on
passe au milieu au sens culturel.

CHAPITRE II.
LE CULTURALISME

Si les sociologues de l’Ecole de Chicago favorisent la notion de désorganisation


sociale dans l’explication du phénomène de délinquance, les culturalistes accordent
quant à eux, une importance accrue à la culture dans la formation-transformation de
l’individu. Pour les culturalistes, la société est un amas de cultures différentes, qui ne
favorisent pas toutes les mêmes valeurs et n’ont donc pas toutes les mêmes normes
de conduites. Ces cultures peuvent entrer en conflit sur certaines valeurs, sur
certaines normes et règles de conduites. Les valeurs « dominantes » et les normes de
conduite qui leur sont associées, ne le sont que parce que le groupe qui les impose
détient le pouvoir de le faire à un certain moment donné de l’histoire. Elles n’ont
donc rien d’universelles et d’immuables. Ainsi, les comportements jugés comme
déviants dans notre société actuelle ne le seront peut-être plus demain et ne le sont
peut-être pas dans une autre société appartenant à une culture différente.

Dans la perspective culturaliste, le poids de la culture est donc primordial dans la


formation-transformation de l’individu. C’est à travers le processus de socialisation,
l’apprentissage propre à chaque culture, qu’un individu devient ce qu’il est.

SECTION I : L'ORIENTATION THÉORIQUE DU CULTURALISME

Le culturalisme va substituer aux problèmes de distribution de la population dans


l'espace géographique et aux questions de forme d'équilibre des zones urbaines
(area), le problème de la socialisation et des différences dans les personnalités et les
cultures des individus. Ce qui dirige désormais l'attention du chercheur, ce sont les
différences culturelles entre les sociétés, les différences dans la personnalité des
individus lorsqu'ils appartiennent à divers milieux culturels, et les mécanismes de

Dans leur second ouvrage, les deux auteurs se proposent d’établir « une écologie de la délinquance et du crime ».
Pour ce faire, ils élargiront leur recherche à plusieurs autres grandes villes américaines. Ils constatent que les
résultats de leur première recherche sont transposables à toutes les villes américaines ayant connu un fort taux
d’immigration. Les variations du taux de délinquance d’un quartier à l’autre varient selon les différences
économiques, sociales et culturelles de ces quartiers. Ils concluent donc que la délinquance urbaine s’explique
par des facteurs sociaux et qu’elle ne sera réduite que si des changements importants améliorent les conditions de
vie dans ces quartiers. « Puisque la communauté offre un cadre propice à la naissance et au développement de la
délinquance, il faut mettre sur pied des programmes locaux d’action communautaire qui puissent améliorer, sous
tous les aspects, la vie de la communauté désorganisée » (Coulon, 1992:72).

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58
socialisation par lesquels un produit naturel brut le nouveau-né devient différencié
par suite de son appartenance à une culture différente.

L'analyse est donc psychosociologique puisque le problème central que se posent les
culturalistes est celui de la personnalité : comment des produits naturels
statistiquement identiques « les bébés » sont-ils transformés au point de devenir un
type particulier d'individus, adaptés à un genre de vie caractéristique d'une société
particulière ?

L'opération centrale qu'il faut alors étudier, dans autant de sociétés que possible, est
celle de la socialisation c'est-à-dire l'intériorisation par les membres d'une société des
modèles culturels spécifiques à cette société. Mais, pour qu'une telle étude soit
possible, il faut distinguer trois niveaux dans la réalité que l'on se propose d'étudier.

 D'abord postuler l'existence d'une culture, c'est-à-dire d'un ensemble de


modèles, d'institutions, de règles, ensemble qui présente une certaine
cohérence en sorte que l'apprentissage donne, comme résultat, des produits
relativement similaires.
 Ensuite, il faut postuler que le produit de départ « l'homme » sur lequel
travaille la société peut suivre des chemins extrêmement variés.
 Il faut donc postuler, enfin, que tous les hommes ont, au départ, des pulsions
identiques, mais que leurs modes de satisfaction, n'étant pas innés, peuvent varier.
Dans cette optique, la délinquance est envisagée par les sociologues
culturalistes, soit comme le produit d'une transmission culturelle, soit encore
comme un conflit de culture ou encore une sous-culture.

§1. Les théories de la transmission culturelle

Les théories que nous allons voir maintenant mettront l'accent sur la notion de
processus d'apprentissage culturel par lequel la délinquance, qui n'est finalement
qu'un aspect de la déviance est apprise. Ces théories, qui insistent sur les variables
situationnelles, ne doivent pas être confondues avec les explications d'origine
purement psychologique. Ces dernières tendent à voir l'acte délinquant comme le
produit de la personnalité ou encore de la structure caractérielle : elles insistent, par
conséquent, sur des variables liées à la personnalité.

Sans nier l'influence de ces variables, les théories de la transmission culturelle


tendent plutôt à considérer que la motivation d'une forme particulière de
comportement délinquant s'explique davantage par la connaissance et

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59
l'apprentissage des attitudes qui ont manifestement et immédiatement rapport à cette
forme de comportement délinquant, que par des traits de personnalité
caractéristiques de l'individu.

En fait, ces théories peuvent se résumer de la façon suivante : le comportement


délinquant et plus largement, le comportement déviant est déterminé par un sous-
système de connaissances, de croyances et d'attitudes qui rendent possibles,
permettent ou même prescrivent des formes spécifiques de délinquance dans des
situations spécifiques. Ces connaissances, ces croyances et ces attitudes doivent donc
d'abord exister dans l'environnement culturel du délinquant et elles sont ensuite
"reprises", c'est-à-dire apprises et intégrées dans la personnalité de la même façon
que tous les autres éléments de la culture ambiante. Bien qu'elles considèrent les
délinquants comme des types de personnes différents des non délinquants, ces
théories situent les différences dans un segment limité de la personnalité ; sous
d'autres aspects, les délinquants sont semblables à n'importe qui d'autre.

En outre, le processus au cours duquel ils ont pris le chemin de la délinquance n'est
pas différent du processus au cours duquel les autres sont devenus des membres
conformistes de la société. Bref, nous sommes tous les enfants de notre culture. De
cette façon, les théories de la transmission culturelle minimisent le mystère et la
particularité du crime et maximisent l'humanité commune du déviant et du
conforme. Reste que la question de savoir comment les individus arrivent à intégrer
les éléments de leur culture et à sélectionner, parmi des modèles variés, le modèle
délinquant, n'est pas évidente.

Ces théories vont alors chercher la réponse dans l'observation du processus


d'apprentissage culturel. Edwin Sutherland va tenter de formuler une théorie
générale du comportement criminel en termes de transmission culturelle.

§2. Théorie de l’association différentielle d’Edwin Sutherland

La théorie de l'association différentielle de Sutherland fut présentée pour la première


fois dans son manuel intitulé "Principes de criminologie" paru en 1947. Selon sa
théorie, le comportement criminel est appris; il n'est ni inhérent au délinquant, ni
inventé par lui. Il est appris au contact d'autres individus par un processus de
communication, principalement dans des petits groupes. Cet apprentissage
comprend d'abord l'apprentissage des techniques nécessaires pour commettre
l'infraction et ensuite l'apprentissage de "l'orientation des mobiles, des pulsions, des
rationalisations et des attitudes" qui permettront de la commettre. En d'autres

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60
termes : il faut se donner de bonnes raisons de commettre l'infraction. L'orientation
des mobiles et des pulsions est fonction de l'interprétation favorable ou défavorable
que fait un individu des dispositions légales. Un individu devient donc délinquant
quand les interprétations favorables à la transgression de la loi l'emportent sur les
interprétations défavorables à la transgression. C'est là le principe de l'association
différentielle. Chacun d'entre nous se trouve en contact avec les deux formes
d'interprétations, et c'est le rapport de l'une à l'autre qui est, finalement, décisif
(exemple : brûler le feu rouge ou arriver en retard au cours ?).

Il faut insister sur le fait que Sutherland ne parle pas d'associations entre criminels et
d'associations entre non-criminels, mais plutôt d'associations entre interprétations
favorables à la transgression et d'associations défavorables. Ainsi, on peut, en tant
qu'individu, côtoyer peu de criminels alors même pourtant que ces associations
comporteront de nombreuses expositions à des modèles pro-criminels. De plus,
même dans la fréquentation avec des criminels, de nombreuses formes de
comportement criminel peuvent être défavorablement interprétées : par exemple, le
voleur peut se montrer tout aussi défavorable au viol, au meurtre que tout citoyen
conventionnel et bien-pensant (cf. le statut des "pointeurs" en prison). D'autre part,
des attitudes pro-délictueuses à l'égard d'une infraction, par exemple la fraude fiscale
ou l'abus de biens sociaux, peuvent être apprises de personnes qui, dans l'ensemble,
sont respectables et conformistes.

Sutherland note en outre que les associations différentielles ne sont pas toutes de
poids égal, n'ont pas toutes la même importance : certaines ont un impact, une
influence plus grande que d'autres. Ce poids varie avec la fréquence, la durée,
l'antériorité et l'intensité de chaque association particulière :

 la fréquence : plus on est exposé à un modèle criminel, plus le risque s'accroît


de devenir criminel
 la durée : plus les contacts avec les modèles criminels sont longs et plus le
risque s'accroît de les adopter pour son propre comportement,
 l'antériorité : elle exerce une influence décisive en ce sens qu'en règle générale,
le comportement conformiste ou criminel développé dans l'enfance peut
persister toute la vie.

L'apprentissage socio-culturel se faisant, en premier lieu, dans le sein de la famille


d'origine, l'enfant peut être élevé, dressé à la délinquance,

 l'intensité : elle se rapporte au prestige du modèle criminel ou non-criminel.

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61
Toutefois, d'un point de vue technique, il faut insister sur le fait que les mécanismes
de l'apprentissage du comportement criminel avec des modèles criminels et non-
criminels sont identiques à ceux impliqués dans tout apprentissage. La théorie de
Sutherland est aussi importante pour ce qu'elle nie que pour ce qu'elle affirme. En
particulier, Sutherland nie que le comportement délinquant puisse s'expliquer par
des besoins et des valeurs particuliers, non parce que ces besoins et ces valeurs
n'aideraient pas à déterminer le comportement délinquant, mais parce que les
comportements délinquants et non délinquants sont les expressions des mêmes
besoins et valeurs. Les voleurs volent pour de l'argent, les gens honnêtes travaillent
pour de l'argent. Aussi, pour expliquer les différences, il faut déjà trouver où sont les
différences.

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62
§3. La théorie des conflits de culture : l'analyse de Thornstein SELLIN50

T. Sellin est un sociologue suédois qui a joué le rôle d'intermédiaire, à la fin des
années 1930, entre les sociologues, les pénologues et les criminologues.

Il a été amené à étudier divers aspects de la dépression économique des années 1930
et de leur influence sur le développement de la criminalité. De même, la législation
américaine sur la prohibition et ses conséquences sociologiques ont attiré son
attention. Il s'est aussi intéressé aux statistiques criminelles. S'éloignant des doctrines
criminologiques européennes, orientées, à l'époque, vers des considérations
biologiques ou psychologiques, il s'est rapproché de la doctrine sociologique
américaine, et plus particulièrement de Sutherland qui considère, comme on l'a vu, le
comportement criminel comme essentiellement acquis et comme relevant largement
du domaine culturel. C'est dans ce contexte que T. Sellin va publier, en 1938, son

50
Sellin insiste sur le rôle des conflits de cultures dans l’explication de la déviance. Il faut comprendre le terme
culture dans son sens anthropologique, c’est-à-dire « la totalité des idées, des institutions et des produits de
travail » (Sellin, 1960: 815) propre à un groupement social. Les conflits de culture sont alors des luttes entre des
valeurs ou des normes de conduite opposées. En fait, les normes de conduite sont des manières de faire qui sont
en quelque sorte « imposées », explicitement ou implicitement, par les valeurs d’une culture particulière. Elles se
développent comme un moyen de protection des valeurs morales d’un groupe social.

Pour lui, la société est composée de plusieurs groupes sociaux qui varient selon la dimension du groupe, le degré
d’intimité qui définit les rapports à l’intérieur du groupe, la nature des intérêts ou des buts qui animent le groupe.
Chaque individu est membre de nombreux groupes dans lesquels il s’investit à des degrés divers. Son
appartenance aux différents groupes sociaux se fait grâce aux processus de socialisation, par lesquels il apprend
quelles sont les valeurs particulières véhiculées à l’intérieur de chaque groupe social.

Le groupe « culturel » quant à lui est celui « dans lequel nous partageons avec tous les autres membres de notre
culture particulière, les traditions, coutumes et idéaux qui sont ses attributs communs » (Sellin, 1960: 817). Une
société ‘complexe’ est caractérisée par le fait qu’elle est composée d’une pluralité de cultures. C’est le cas de
notre société occidentale, composée d’une multitude de groupes sociaux ayant des intérêts divergents, des
valeurs morales et des normes de conduite discordantes. « Groupes ethniques, classes sociales, groupes d’âge,
groupes professionnels,..., peuvent posséder sans doute bien des valeurs communes, mais chacun d’entre-deux a
été amené aussi à en formuler ou à en adopter d’autres, qui ne sont pas en accord avec celles d’autres groupes »
(Sellin, 1960: 828).

Un des groupes sociaux les plus importants auquel nous appartenons est la « nation », entité géographique où
petit à petit les différents groupes sociaux qui y habitent ont créé à la fois des intérêts communs, ainsi que des
institutions communes pour développer et protéger ces intérêts. La nation possède un système de valeurs morales
et de normes de conduite particulier dans le sens où ce système est explicité dans des statuts, des décrets
administratifs et des décisions judiciaires qui forment ensemble la loi de l’Etat. Or, seules sont introduites dans la
loi les valeurs et les normes de conduite du groupe ou des groupes qui possèdent le pouvoir d’imposer leur
volonté aux autres. Donc, « la loi, considérée comme code unique, uniforme et officiel de conduite, ne coïncide
pas à tous points de vue avec les normes de conduite que tous les groupes sociaux considèrent comme
obligatoires » (Sellin, 1960: 883). Ainsi certaines personnes qui sont aux prises avec le système judiciaire
agissent d’une façon conforme aux règles de conduite d’un groupe auquel elles appartiennent. Elles deviennent
des criminels aux yeux de la loi, mais sont des conformistes au regard de leur groupe. C’est ce que Sellin appelle
des conflits de culture. Le terme « crime », et donc celui de « criminel », sont des termes juridiques, créés par la
volonté du législateur et n’ont donc aucune validité en soi. Un «criminel» est tout simplement quelqu’un qui a
été socialisé dans un cadre structurel différent que celui du groupe dominant qui, lui, est arrivé à imposer les
valeurs qui sous-tendent son cadre structurel particulier à l’ensemble des groupes sociaux qui composent la
nation.

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63
ouvrage fondamental intitulé "Conflits de culture et criminalité". A l'époque où
travaille Sellin, les Etats-Unis connaissent de grands problèmes d'immigration. L'idée
ou l'hypothèse de base de Sellin est la constatation que le fils d'immigré se trouve confronté à
la divergence, souvent cruciale, entre la culture de son milieu d'origine, soigneusement
préservée par ses parents, et la culture de son nouveau milieu avec laquelle il prend contact à
l'école ou dans la rue. D'où des tensions et des frictions qui provoqueront souvent des actes
ou des comportements délictueux.

C'est cette hypothèse qui fait l'objet du livre : la criminalité s'explique par les conflits
de culture, entendus comme conflits entre normes de conduite. Un tel conflit peut se
produire comme le résultat d'un processus de différenciation entre groupes vivant
dans une même zone culturelle ou comme le résultat d'un contact entre normes tirées
de différentes zones culturelles. Voyons maintenant les mécanismes qui sont en jeu et
vont conduire à ces conflits. Sellin observe que, parmi les divers moyens que les
groupes sociaux ont développés pour assurer la conformité de la conduite de leurs
membres, le droit pénal51 occupe une place privilégiée car ses normes s'imposent à
tous ceux qui vivent à l'intérieur d'un Etat et sont appliquées grâce au pouvoir
coercitif de cet Etat. Ainsi, le droit pénal peut être considéré en partie comme un
ensemble de règles qui interdisent des formes spécifiques de conduite et indiquent
des peines pour leurs violations. Mais Sellin observe aussi que le caractère de ces règles, le
genre ou type de conduite qu'elles interdisent, la nature de la sanction attachée à leur
violation, dépendent des caractéristiques et des intérêts des groupes de la population qui
exercent une influence sur la législation. Dans certains pays, ces groupes peuvent
comprendre la majorité des individus, dans d'autres, une minorité, mais les valeurs
sociales qui obtiennent la protection du droit pénal sont toujours en fin de compte
celles auxquelles les groupes d'intérêts dominants sont le plus attachés. Bien sûr, les
normes pénales, c'est-à-dire les normes de conduites incorporées dans le droit pénal,
peuvent changer lorsque les valeurs des groupes dominants sont modifiées ou que
des changements politiques et sociaux provoquent une recomposition des groupes
dominants. Ainsi, des faits qualifiés crimes dans le passé peuvent constituer
aujourd'hui un comportement légal, tandis que des crimes dans un Etat
contemporain peuvent constituer un comportement légal dans un autre Etat (voir,
par exemple, la dépénalisation de l'usage du cannabis dans certains Etats).

51
Dans le droit pénal, le crime et la peine sont considérés comme des phénomènes juridiques, c’est-à-dire au
point de vue des rapports des hommes entre eux et pour régler les droits et les obligations qui naissent de ces
rapports. Rechercher quel est le fondement et quelles sont les limites du droit social de punir, se demander
quels actes sont punissables, quelles sont les conditions de l’imputabilité et de la culpabilité, déterminer les
conséquences du délit, soit au point de vue de l’intérêt privé, soit au point de vue de l’intérêt social, organiser
des mesures de réparation et des mesures de répression.

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64
Sellin conclut donc que tout ce que le droit pénal de n'importe quel Etat interdit
aujourd'hui ne sera pas forcément interdit à un certain moment dans l'avenir, à
moins que ne s'installe une stagnation sociale complète, ce qui semble impossible. La
définition du crime a donc un caractère variable. En même temps, l'homme naît au
sein d'une culture. Au cours de ses contacts sociaux, il va recevoir et adapter des
idées qui lui seront transmises de façon formelle ou informelle.

A ces idées, l'individu va donner des significations particulières qui sont attachées
aux coutumes, aux croyances et à ses propres relations avec les autres et avec les
institutions sociales. Ces idées sont donc des éléments culturels qui vont s'insérer
dans des modèles - ce que T.Sellin appelle des configurations d'idées- ayant
tendance à se fixer, à s'incorporer dans l'esprit de chaque individu. Bref, elles
deviennent des éléments de la personnalité et T. Sellin appelle personnalité la
somme totale de tous ces éléments. Or, au cours de son existence, l'individu se trouve
confronté à des choix. La grande majorité de ces choix ont un caractère non
dramatique, routinier et tellement influencés par l'habitude qu'ils en deviennent
presqu'automatiques (par exemple : café, thé ou chocolat au petit déjeuner). Dans
d'autres cas, l'individu se trouve en face d'une situation nouvelle, il va devoir
réfléchir pour choisir la réponse qui lui paraît être la plus appropriée (par exemple,
boire ou conduire). Dans tous les cas, sa réaction peut être considérée comme une
expression de sa personnalité. Et le caractère de cette réaction dépend de la
signification qu'il donne à la situation. Certaines de ces situations se répètent assez
souvent et sont tellement socialement définies qu'elles appellent des réponses
définies ("dire bonjour à la dame"). Des normes y sont, pour ainsi dire, attachées. Ces
normes définissent la réaction ou la réponse qui, chez un individu donné, est
approuvée par le groupe normatif. L'attitude du groupe vis à vis des réponses a été,
par conséquent, cristallisée en règles dont la violation donne lieu à une réaction du
groupe. Ces règles ou normes peuvent être appelées normes de conduite.

Ainsi, le droit pénal ne contient pas à lui seul toutes les normes de conduites, mais
simplement certaines d'entre elles. Les normes de conduite sont donc des produits de
la vie sociale. Les groupes sociaux imposent à leurs membres certaines règles qui ont
pour but d'assurer la protection de certaines valeurs sociales. T.Sellin affirme ainsi
que "l'on trouve des normes de conduite partout où l'on trouve des groupes sociaux,
c'est-à-dire universellement (au service ; université…). Elles ne sont pas la création
d'un seul groupe normatif ; elles ne sont pas enfermées dans des limites politiques ;
elles ne sont pas nécessairement enfermées dans des lois". En effet, tout individu fait
partie d'un groupe social et inscrit ses actions dans la société. Et, parce que la société

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65
est traversée de différents groupes sociaux, un individu appartient simultanément à
plusieurs groupes sociaux. Or chacun de ces groupes est normatif en ce sens qu'en lui
se forment des normes de conduite spécifiques. En tant que membre d'un groupe
social donné, un individu n'est pas seulement supposé se conformer aux normes
auxquelles il participe avec d'autres groupes, mais aussi à celles qui sont spécifiques
au groupe auquel il appartient.

Par exemple, un individu peut avoir à se conformer successivement aux normes de


conduite de son groupe familial, de son groupe de travail, de son groupe de jeu, de
son groupe politique, de son groupe religieux, etc. Dans cet ordre d'idée, on
comprend alors que T. Sellin affirme que la loi pénale contient sans doute un grand
nombre de normes de conduite, mais que finalement, elle n'est pas la seule. Pour T.
Sellin, le droit pénal est le code de conduite du groupe politique. Mais, pour lui,
l'étude des normes de conduite et de leur violation doit être infiniment plus large que
l'étude des normes du crime, en raison, notamment, de la multiplicité des groupes
sociaux auxquels un individu peut concurremment appartenir. Or, plus une société
devient complexe, plus il est vraisemblable que le nombre des groupes normatifs qui
influent sur l'individu sera important et que fera défaut la chance que les normes de
ces groupes soient uniformes, même si sur certains points elles peuvent toutefois se
chevaucher. T. Sellin dit alors qu'un conflit de normes existe quand des règles de
conduite plus ou moins divergentes règlementent la situation spécifique dans
laquelle un individu peut se trouver : la norme de conduite d'un groupe dont il fait
partie peut émettre une réponse à cette situation alors que la norme d'un autre
groupe dont il fait partie permettrait une réponse complètement contraire (par
exemple, un étudiant pratiquant l'équitation et dont le père tient une boucherie
chevaline).

De même, T. Sellin note que l'on peut s'attendre à trouver un conflit de norme
lorsqu'un habitant rural déménage pour la ville. Mais on peut aussi supposer que ce
conflit n'aura pas grande répercussion parce que cet individu a intégré les normes de
base de sa culture qui comprend aussi bien la ville que la campagne. Les choses sont
bien différentes, et le conflit bien plus aigüe, dans le cas de groupes sociaux qui ont
des ensembles de normes radicalement différents des autres et cela, en raison des
modes de vie et des valeurs sociales développés par ces groupes.

Ainsi, des conflits de culture sont inévitables quand les normes d'une zone culturelle
émigrent ou entrent en contact avec celles d'une autre zone culturelle. T. Sellin
illustre son propos en prenant l'exemple de la diffusion du droit français en Algérie,

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au moment de la colonisation : en introduisant le code pénal en Algérie, on
transforme en infractions des usages anciens des habitants que leur coutumes
permettaient ou imposaient. Ainsi, chez les Kabyles, le meurtre des épouses
adultères : son père ou son frère ont le droit et le devoir de la tuer pour laver
l'honneur des parents, ou encore le meurtre par vengeance qui est aussi un devoir, de
famille à famille, en cas de meurtre d'un parent : ne pas se venger est perdre la face
ou perdre l'honneur. Bref, l'abolition du droit coutumier ne va pas sans poser
problème : ce qui était hier un devoir devient un crime. Ce n'est là qu'un exemple. T.
Sellin généralise en concluant que les conflits de culture peuvent finalement se
produire dans trois types de situations :

 d'abord quand des codes culturels différents se heurtent à la frontière de


zones de culture contigües ;
 ensuite, dans le cas des normes légales, quand la loi d'un groupe culturel est
étendue pour couvrir le territoire d'un autre groupe culturel ;
 enfin, quand les membres d'un groupe culturel émigrent dans un autre groupe
culturel. Les conflits de culture peuvent donc naître quand différents systèmes
culturels entrent en contact les uns avec les autres: T. Sellin appelle conflits
primaires ce type de conflit qui procèdent de la migration de normes d'une
culture à une autre, ou encore qui se développent à la frontière de deux
cultures lors d'une colonisation ou encore par l'effet de migrations d'un
groupe dans d'autres. Mais ils peuvent aussi naître à l'intérieur d'un même
système culturel :

T. Sellin parle ici de conflits secondaires pour désigner ces conflits qui sont dus à un
processus de différenciation sociale engendrée par l'évolution de la culture de
différents groupes sociaux.

Reste que, dans tous les cas, la conduite des membres d'un groupe impliqué
dans le conflit sera jugée anormale par l'autre groupe et qualifiées de déviante ou de
délinquante. La théorie des conflits de culture a connu une grande fécondité. D'une
part, elle a irrigué beaucoup d'études travaillant sur migrations et criminalité.
D'autre part, elle s'est avérée capable de réintégrer les résultats des recherches
menées en termes de transmission culturelle : l'association différentielle apparaît
ainsi comme une spécification des conflits secondaires, et les "aires culturelles" de
Shaw et Mc Kay en constituent une version écologique.

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CHAPITRE III.
LA DÉLINQUANCE COMME PRODUIT D'UNE SOUS-CULTURE

Selon l’approche de la sous-culture délinquante, la déviance est un monde


indépendant, régi par des normes de conduite qui sont contraires de celle de la
légalité. Cette inversion, et les manières de faire qu’elle commande d’adopter, se
produit dans un milieu particulier, en réponse à des conditions d’existence qui
favorisent l’éclosion d’un régime de relations sociales gouverné par des règles
d’organisation portant à négliger les valeurs de la société globale (Ogien, A.135,
1995). L’idée de sous-culture conduit à affirmer que celui qui viole la loi ou un ordre
légitime est totalement étranger à cet ordre ou à cette loi.

SECTION I: ANALYSE D’ALBERT K. COHEN

Albert. K. Cohen est un psycho-sociologue américain. Dans son livre "Delinquent


boys", paru en 1955, il va fonder une théorie générale de la sous-culture à partir de la
délinquance juvénile. Au départ, il pose comme phénomène majeur de la
délinquance juvénile l'existence d'une sous culture délinquante qu'il définit de la
façon suivante :

 elle est non utilitaire : par exemple, le vol est "une activité valorisée par elle-
même à laquelle s'attache la gloire, la prouesse et la profonde satisfaction"; en
d'autres termes, les jeunes délinquants volent pour la beauté du geste et non

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pour le profit que l'on peut retirer de la chose volée comme le font les voleurs
professionnels ;
 elle est méchante ou hédoniste : les méfaits sont accomplis "pour le plaisir de
voir les autres dans l'ennui ou pour le plaisir de défier les tabous" ;
 elle est négativiste, en ce sens que la sous-culture délinquante prend ses
sources dans la culture dominante mais elle inverse son sens;

Le problème que se pose alors A. Cohen est alors le suivant : compte tenu du
fait que cette sous-culture se rencontre de préférence dans les classes populaires et
qu'elle est le fait des garçons plutôt que des filles, comment expliquer à la fois son
apparition et sa persistance ? Ces deux questions vont conduire A. Cohen à formuler
une théorie générale de la sous-culture.

§1. Théorie de la sous-culture

Pour qu'une sous-culture soit possible selon Cohen, il faut d'abord que :

1. les individus rencontrent les mêmes problèmes : "la condition cruciale


pour l'émergence de nouvelles formes culturelles est l'existence d'un
certain nombre d'acteurs avec des problèmes similaires d'ajustement".
2. Avec un problème commun d'adaptation à la vie sociale, chacun de ces
acteurs va accueillir avec soulagement, avec joie, tout signe chez les autres
qui encourage une solution qui s'écarte du droit chemin, ce que Cohen
appelle une "innovation", solution peut-être pas très orthodoxe, mais qui
permet de régler ce problème d'adaptation.

Il sied de noter, pour que l'innovation soit possible, il faut que cette solution déviante
soit reconnue comme valable par le groupe, qu'elle soit validé par lui. Ce qui permet
à Cohen de dire que finalement, il y a un processus d'élaboration commune de la
nouvelle solution, dans la mesure où choisie par l'un, elle n'a de pertinence sociale
que si elle est acceptée par les autres.

Ces “ innovations ” deviennent ce que Cohen appelle de “ nouveaux standards ” du


groupe, c’est-à-dire des règles qui vont conduire leurs comportements. Cohen insiste
donc sur ce phénomène d'interaction entre les membres du groupe. Il reviendra un
peu plus tard sur cette notion, dans un livre intitulé "La déviance" dont nous
parlerons aussi. Une fois que s'est constituée une sous-culture, c'est-à-dire une fois
qu'ont émergé les "nouveaux standards" du groupe, comment cette sous-culture se
perpétue-t-elle ?

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Cohen indique que : "Une fois établis, de tels systèmes sous-culturels ne se
perpétuent pas par pure inertie. La sous-culture peut survivre à ceux qui l'ont créé,
pour autant qu'elle continue à servir les besoins de ceux qui ont succédé à ses
créateurs.".

Pour Cohen, toute collectivité doit disposer d'un système de valeurs aux termes
duquel chaque individu qui la compose se voit assigner une place, une position dans
la hiérarchie sociale. Et si un tel système de valeurs n'existe pas, les individus ne sont
pas en mesure d'obtenir du respect de la part des autres individus. Or, Cohen
observe que dans certaines situations, certains groupes ne parviennent plus à faire
apprécier leurs performances ou leurs actions par rapport aux valeurs instituées
(c’est l’exemple, des pauvres, des jeunes des banlieues...). Dès lors, se constituent des
systèmes de valeurs marginaux, c’est-à-dire une sous-culture, en marge de ceux de la
société dominante. Mais, dans la mesure même où s'instaure ce que Cohen appelle
une sous-culture, le clivage entre les groupes qui s'en réclament et la société globale
s'accuse. Du coup, vont aussi s'accentuer davantage d'une part, la séparation du
groupe par rapport à la société globale et d'autre part la dépendance des membres du
groupe les uns par rapport aux autres. Par conséquent, la dépendance est accrue par
le seul fait que ces individus se sont constitués en sous-culture. Il y a ainsi une sorte
de logique interne de la sous-culture qui tend à s'affirmer toujours davantage par le
seul fait qu'en se constituant elle redouble l'inadaptation de ceux qui y participent
(pas toujours). On comprend alors que Cohen fonde sa théorie de la délinquance sur
un mécanisme central qui est celui de la socialisation. Plus précisément, il insiste sur
les difficultés que rencontre la socialisation des enfants issus des classes populaires.
Pour lui, il y a contradiction entre la socialisation familiale et la socialisation scolaire,
et c'est à cette contradiction que les adolescents réagissent lorsqu'ils se constituent en
bandes délinquantes. C'est une façon de régler un problème d'adaptation. Les
expériences et les problèmes dépendent, en effet, du système de valeurs des
individus. Aussi, tant que la socialisation se réduit à l'éducation familiale, les enfants
issus des classes populaires intériorisent des modèles homogènes et cohérents. Mais,
dès qu'ils entrent en contact avec le système scolaire, une disparité apparaît. En effet,
le système de valeurs aux termes duquel les performances des enfants sont
appréciées à l'école est celui de la classe moyenne. Or, si les enfants des classes
moyennes voient ainsi l'éducation familiale confirmée, on demande finalement aux
enfants des classes populaires de renoncer à leur culture d'origine pour adopter les
modèles de la classe moyenne.

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Autrement dit, l'école n'est pas tant un lieu où se redouble l'inégalité que celui où se
« déculturent » les enfants issus des classes populaires : ces enfants doivent
finalement faire le deuil de leur culture familiale. Certains jeunes vont alors
s'acculturer aux valeurs de la classe moyenne, c’est-à-dire tenter d’intérioriser les
valeurs de la classe moyenne, mais ils n'en demeurent pas moins dans une situation
difficile. Car le fait d'avoir partiellement abandonné les valeurs de leur classe
d'origine, alors même qu'économiquement ils y appartiennent encore, les conduit à
ce que les culturalistes nomment pudiquement des "problèmes d'adaptation" et à ce
que Cohen nomme des "solutions sous-culturelles". La délinquance est alors la
forme extrême que peut prendre ce processus de déculturation-acculturation.
Ainsi, les formes non utilitaire, négativiste ou méchante que prend cette sous-culture
délinquante exprime d'une certaine façon le trouble dans lequel se trouve le jeune
incapable de résoudre cette contradiction entre deux cultures intériorisées. Le modèle
que Cohen développe dans "Delinquent boys" s'inscrit donc dans la théorie des sous-
cultures délinquantes. On a remarqué, en analysant sa théorie, que Cohen marquait
au passage l'importance de l'acte délinquant comme "solution sous-culturelle", acte
qui doit être validé par les autres membres du groupe pour devenir pertinent, ou
comme dirait Cohen, pour devenir un "nouveau standard" du groupe. Plus tard,
Cohen va essayer d'approfondir cet aspect de sa théorie. Il va donc intégrer l'acte
criminel dans son analyse, en le considérant comme une réalité effective, spécifique.
Pour lui, l'acte criminel est un phénomène particulier dans la vie du délinquant, et
qui se distingue bien des autres actes de ce dernier. Aussi, il se propose d'étudier
l'acte criminel en lui-même et de le réintégrer dans l'explication de la délinquance. Il
complète donc la théorie des sous-cultures délinquantes en proposant de tenir
compte de l'acte délictueux dans l'explication de la délinquance. Comme le note R.
Gassin dans son manuel de Criminologie (Ed. 1990, p.203), A.K. Cohen conçoit l'acte
délictueux comme l'aboutissement d'une interaction entre l'acteur et la situation pré-
criminelle au terme d'un processus de passage à l'acte.

Cette définition permet de mettre en évidence les facteurs qui, pour Cohen,
expliquent la délinquance : il s'agit d'une interaction entre un auteur et une
situation. En outre, Cohen montre que l'acte criminel n'est pas quelque chose de figé
mais le point d'aboutissement d'un processus qui se déroule dans le temps et par une
série d'étapes au cours desquelles auteur et situation sont en interaction constante.
Enfin, pour Cohen, l'acte criminel n'est jamais entièrement déterminé par le passé et
le processus de passage à l'acte peut voir son cours se modifier quand il y a
changement, soit de la personnalité de l'auteur de l'acte, soit de la situation, soit des
deux. Cohen va expliquer sa théorie dans un ouvrage bien connu, publié en 1966 et

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intitulé "La déviance". Il observe que beaucoup de théories du comportement déviant
présument que la délinquance peut être expliquée par des différences au niveau de
l'auteur. Dans ces théories, on se demande finalement quelle est la sorte d'individus
qui fait cette sorte d'acte et quelles sont les caractéristiques des auteurs. Et, pour
autant que la situation joue un rôle, elle est cependant traitée comme une
circonstance qui déclenche l'acte mais qui réalise une tendance déjà présente chez
l'individu et qui se serait de toute façon exprimée tôt ou tard. Du coup, ces théories
se bornent à essayer d'élaborer une classification ou une typologie des personnalités
dans laquelle chaque type possède une tendance à présenter tel ou tel genre de
comportement.

En réalité, pour Cohen, ces théories oublient de tenir compte du fait que, la
délinquance résulte d'une interaction entre un auteur et une situation. Plus
précisément, dans ces théories, cette interaction est traitée comme un épisode
unique : tout se passe comme si il y avait un passage brusque d'un état de conformité
à un état de déviance, de délinquance. Cohen préfère mettre l'accent sur le processus
d'interaction, c'est-à-dire, insiste sur le fait que l'acte délinquant se développe dans le
temps, par une série d'étapes successives. Pour lui, un individu prend, pour atteindre
un but, une direction qui peut être orientée dans un sens délinquant ou non.
Cependant, le pas suivant qu'il accomplira n'est pas entièrement déterminé par l'état
des choses au point de départ. L'individu peut choisir entre deux ou plusieurs
directions possibles. Ce que sera son choix dépendra de lui mais aussi de la situation
à ce moment précis : et, avec le temps, auteur et situation peuvent avoir connu des
changements. Par exemple, pendant que l'auteur se demande s'il va voler telle
voiture en stationnement, qu'il se détermine à le faire, un agent de police apparaît
brusquement au coin de la rue. La situation a changé et elle va influer sur le choix de
l'auteur. Bref, Cohen conçoit l'acte lui-même comme une tentative, un processus de
tâtonnement du terrain, qui n'est jamais entièrement déterminé par le passé et qui est
toujours susceptible de modifier son cours en réponse à des changements intervenus
au niveau de l'auteur, ou de la situation, ou des deux. Si l’on veut résumer, on peut
dire que, pour Cohen, le processus d'interaction possède cinq grandes
caractéristiques :

1- L'acte ne survient pas brusquement : il se développe et possède une histoire. Bien


qu'une étape de son développement puisse être un antécédent nécessaire à une autre
étape, le mouvement d'une étape à l'autre n'est pas entièrement déterminé par les
antécédents ;

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2- les circonstances qui déterminent le choix de telle ou telle solution comprennent à
la fois les propriétés de la personne et celles de la situation ;

3- certaines circonstances qui participent au développement de l'acte sont tout à fait


indépendantes des évènements survenus au cours des étapes antérieures (c’est
l’exemple du policier et de la voiture en stationnement de tout à l’heure).

Toutefois, d'autres circonstances sont des conséquences, souvent non prévues, des
évènements survenus antérieurement. Par exemple, un individu cambriole une
maison. De façon inattendue, le propriétaire rentre chez lui et le cambrioleur le tue.
Ce qui était au départ un cambriolage s'achève en meurtre, à la suite d'une
circonstance qui n'était pas nécessairement implicite dans l'étape précédente de l'acte.
Ainsi, Cohen observe que les cultures délinquantes conduisent fréquemment à des
actes délinquants non parce qu'elles incitent directement les individus à agir de façon
intentionnellement délinquante mais parce qu'elles les encouragent à se placer dans
des situations dans lesquelles il y a un risque élevé de commettre un acte délinquant ;

4- la composante situationnelle dans le processus d'interaction consiste surtout en


effets de retour, ce que l'on appelle le feedback de la part des autres. En effet, le
développement de l'acte délinquant dépend de la victime, des témoins, des individus
touchés par l'acte, et plus précisément de la façon dont ils perçoivent l'acte et dont ils
réagissent.

Pour être délinquant, un comportement doit donc être perçu comme tel : il faut donc
que les témoins, au sens de groupe social, considèrent l'individu comme délinquant.
Cet étiquetage dépend en partie de la réputation que l'auteur avait avant son acte
mais aussi de l'autorité de ceux qui appliquent la définition de ce qu'est le
comportement délinquant. Et dans la mesure où l'étiquette de délinquant devient un
élément de son identité, l'auteur peut alors ne plus avoir les choix dont il disposait
auparavant. Et comme les choix deviennent de plus en plus limités ou les alternatives
légitimes plus coûteuses, l'auteur peut se laisser aller dans la direction du
comportement compatible avec le rôle stigmatisé, c'est-à-dire le rôle que l'on attend
de lui. Ce comportement sera alors interprété comme la confirmation du "diagnostic"
antérieur (prophétie auto révélatrice)- “ je vous l’avais bien dit que c’était un
délinquant ”- et aura sans doute pour conséquence une nouvelle restriction des choix
de comportement possible, ce qui conduira à un engagement plus profond encore
dans le rôle de délinquant. Au cours de ce processus, l'auteur peut arriver à
découvrir les satisfactions et les profits qu'il peut tirer de ce rôle. Il peut acquérir de
nouveaux objets de référence qui le soutiendront dans sa délinquance. Bref,

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l'individu peut finir par accepter le nouveau rôle comme partie de son soi, c'est-à-
dire à se voir comme les autres le voient, c'est-à-dire comme un délinquant et
éventuellement comme quelqu'un "qui ne peut rien y faire" en agissant de la sorte.

5- Mais, tout comme la délinquance peut être l'expression d'un rôle que l'on se
donne, ou qui nous est attribué, les réponses à la délinquance peuvent l'être
également. Les individus peuvent répondre à la délinquance « répressivement » ou
sévèrement, avec indignation ou avec tolérance, avec compréhension, gentiment
mais fermement ou encore en tendant l'autre joue... Généralement, on attribue ces
diverses réactions à des différences qui seraient le produit de la propre socialisation
des individus et on en reste là. Cohen va plus loin dans l'analyse et ajoute que ces
réactions peuvent aussi être motivées par le besoin de prouver aux autres le genre de
personne que l'on est. Ainsi, la façon dont nous étiquetons les autres et dont nous
répondons à leurs actions délinquantes, ou plus largement déviantes, est en partie
déterminée par nos investissements dans les rôles personnels que nous voulons tenir,
c'est-à-dire dans la façon dont nous voulons nous présenter aux autres et dans la
perception que nous avons des comportements qui valident ce rôle. Pour conclure,
on peut dire que, en mettant l'accent sur le concept de processus d'interaction,
processus qui, comme il le reconnaît lui-même, n'est pas spécifique à la délinquance
mais qui concerne tous les actions humaines, Cohen a amené les sociologues à
étudier de façon plus approfondie le passage à l'acte en termes d'interaction. Sous cet
aspect, on peut donc considérer que Cohen annonce le courant interactionniste.
Toutefois, avant d'étudier ce courant interactionniste, il faut encore faire un détour
par le fonctionnalisme.

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CHAPITRE IV.
LE FONCTIONNALISME

A priori, le culturalisme et le fonctionnalisme sont deux théories qui semblent avoir


beaucoup de points communs. Dans les deux cas, en effet, la société est analysée
comme une totalité et de nombreuses notions (telles que norme, modèle, institution,
statut, etc.) sont communes. Cependant, cette identité de vocabulaire ne signifie pas
forcément qu'il y ait une identité conceptuelle, et donc explication identique de la
délinquance. Prenons l'exemple de la notion de statut qui est un concept de base du
fonctionnalisme et que l'on retrouve dans le culturalisme.

SECTION I : PARALLÉLISME DE FOND ENTRE APPROCHE CULTURALISME


ET FONCTIONNALISTE

L’approche culturaliste et fonctionnaliste partagent un certains nombres de concepts


et théories sur le plan forme mais fondamentalement différent. Il s’agit de ; statut,
socialisation et la théorie d’anticipation. Formellement, ces concepts sont les mêmes
mais ils ne signifient pas la même chose selon qu’il s’agit de l’approche culturaliste
ou fonctionnaliste. La différence est de taille dans la mesure où elle permet d’orienter
une recherche et de situer le lecteur dans leur utilisation et la compréhension des
phénomènes criminels.

§1. Par rapport au concept « statut »

Au sens culturaliste, une position statutaire est la position qu'occupe un individu


dans la hiérarchie du prestige. Autrement dit, il s'agit d'un concept qui permet d'évaluer
la position d'un individu dans la hiérarchie sociale d'une communauté donnée. Au contraire,
pour les fonctionnalistes, le statut est une position sociale dans un réseau de relations
sociales. Et, comme un individu au cours de sa vie, entretient de multiples relations
sociales, il occupe plusieurs positions sociales, c'est-à-dire plusieurs statuts différents.

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Pour les fonctionnalistes, chaque position statutaire définit, pour celui qui l'occupe,
un ensemble de relations bien définies avec les autres, c'est-à-dire une espèce de
contrat vis-à-vis de ceux avec qui il est en relation statutaire (par exemple, en tant
que médecin, X... a un certain nombre de droits et de devoirs vis-à-vis des malades,
des infirmières, de ses collègues...etc). Les fonctionnalistes appellent rôle, le contenu
de ce contrat. Ainsi, avoir tel ou tel statut nous conduit à tenir tel ou tel rôle. Mais,
par ailleurs, chaque individu occupe simultanément diverses positions statutaires :
par exemple, tel individu est à la fois un juge, catholique, de droite, marié, deux
enfants, joueur de bridge... Les exigences qui définissent chacun de ces rôles sont,
dans la plupart des cas, compatibles les unes avec les autres. Il peut se faire
cependant que, dans des circonstances particulières, elles apparaissent comme
difficilement conciliables, voire même radicalement incompatibles.

Ce concept de statut est un concept fondamental de la théorie fonctionnaliste mais,


jusque-là, il n'y a pas de différence fondamentale avec le culturalisme dans lequel on
admet aussi qu'un individu puisse appartenir à plusieurs groupes sociaux. Aussi,
c'est dans la façon d'analyser ce concept de statut que les différences vont apparaître
avec le culturalisme. Tout d'abord, le problème de la motivation des individus ne se
pose plus de la même façon que dans le culturalisme. Dans le culturalisme, la
question fondamentale est celle de savoir comment rendre compte des différences
entre les conduites des individus qui appartiennent à des cultures différentes. Cette
question conduit à mettre l'accent sur l'unité du système normatif aux termes duquel
les individus qui appartiennent à une culture déterminée règlent leurs pratiques.

Pour le fonctionnalisme, le point de départ est inverse : l'accent est mis au contraire
sur la grande diversité des conduites des individus appartenant à une même culture.
Comment expliquer alors que les conduites soient différentes alors qu'existe une
unité du système culturel? Pour les fonctionnalistes, les conduites sont diverses parce
que, au sein d'un même système culturel, les statuts sociaux occupés par les
individus sont eux-mêmes très divers. Et donc, à partir du moment où les rôles que
chaque membre d'une même culture peut être amené à occuper sont très divers, on
ne peut pas régler le problème de leur apprentissage à partir d'une théorie de
l'intériorisation des modèles communs à ceux qui appartiennent à cette culture. Et il
ne sert donc pas à grand-chose de s'interroger sur la personnalité de base des
individus ou de se demander comment un individu peut, par exemple, se
« déculturer » ou s'acculturer. Il est préférable alors de se placer du point de vue du
fonctionnement du système social et de rechercher quel est le type d'individu défini
comme pertinent par le système social pour occuper tel ou tel statut (par exemple, le

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76
"chauffeur de taxi", le "bureaucrate", le "juge" ou encore "le garçon de café" de J.P.
Sartre...).

§2. Du point de vue socialisation

Ainsi, le problème de la socialisation n'est-il plus l'axe central des recherches ou, plus
exactement, ou alors si, mais à condition de donner à ce mot un sens différent. Pour
les fonctionnalistes, la socialisation ne peut pas être, comme le pensent les
culturalistes, un processus d'intériorisation, d'apprentissage de règles culturelles,
tout simplement parce qu'il n'y a pas de modèle culturel commun à intérioriser. Il
s'agit plutôt d'un mécanisme de sélection des individus en vue de pourvoir
« différentiellement » à des positions qui sont définies par la structure sociale. Mais
alors, comment les fonctionnalistes arrivent-ils à expliquer que les conduites, mêmes
si elles sont différenciées, n'en présentent quand même pas moins un caractère de
standardisation? Tout le monde joue en effet, de la même façon le rôle du garçon de
café ou celui du juge ou de professeur, ou même d'étudiant... C'est ici que les
fonctionnalistes traitent de la question de la motivation de façon différente de celle
des culturalistes, en y intégrant une théorie de l'anticipation.

§3. Du point de vue de la théorie de l’anticipation

Cette théorie de l'anticipation consiste à dire que si les individus n'enfreignent pas,
dans la grande généralité des cas, les systèmes de normes qui, « différentiellement »,
régissent les relations sociales, ce n'est pas parce qu'ils l'ont intériorisé dès l'enfance
(comme diraient les culturalistes), mais parce que, dans leurs conduites, ils vont
anticiper les rôles des positions sociales qu'ils peuvent être amenés à occuper : par
exemple, pour celui qui veut devenir juge, mieux vaut ne pas boire, ne pas
commettre d'escroquerie et essayer d'adopter le profil d'un bon sujet, bon père de
famille, bref de répondre à l'attente des divers individus avec lesquels il sera en
relation.

Ainsi, grâce aux anticipations statutaires, l'individu s'interdit des écarts trop grands
qui pourraient remettre en question le système. Par exemple, dans le film "Le cercle
des poètes disparus", le professeur de lettres incite ses étudiants à monter sur leur
table : il a mal anticipé sa position statutaire, ou il n'a pas voulu le faire : autrement
dit, il n'a pas rempli le rôle que le système social attendait de lui. Conséquence : il est
viré. Et si, par hasard je vous incitais à un comportement semblable, je connaitrais
sans doute le même sort. Pourquoi ? Parce qu'à terme, je remettrais en cause
l'équilibre du système social, à travers la menace de déséquilibre que je ferais peser

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sur l'un des éléments de ce système social : le sous-système universitaire. Ainsi, dans
le fonctionnalisme, ce problème de la motivation renvoi à un problème central qui est
celui du fonctionnement du système social.

Pour les fonctionnalistes, en effet, le système social global -ce que nous appelons "la
société" est composé d'éléments interdépendants qui sont eux-mêmes des systèmes
ou, plus précisément des sous-systèmes : l'école, l'église, la justice, le parlement sont,
par exemple, des sous-systèmes de notre système social global. Cette notion de
système ne se rencontre pas dans la théorie culturaliste où l'analyse se limite aux
relations individu-société à travers les opérations de socialisation (déculturation -
acculturation, apprentissage). Comme nous l'avons fait pour les autres courants
sociologiques, nous allons illustrer le propos par deux exemples tirés de travaux
d'auteurs fonctionnalistes : les travaux de Merton d'abord dans lesquels la
délinquance, et plus largement la déviance, s'inscrit dans une théorie générale de
l'anomie ; ceux de Cloward et Ohlin ensuite qui ont directement appliqué l'analyse
fonctionnaliste à la délinquance.

SECTION II : DU FONCTIONNALISME

A. La théorie de l'anomie : Robert K. MERTON

§1 Généralité

Durkheim appliquait le concept d'anomie à la division du travail et au suicide. Il n'a


pas tenté de développer ce concept pour construire une théorie générale du
comportement déviant. En 1938, Robert King Merton publie, dans la Revue
américaine de sociologie, un court article intitulé "Social structure and anomie" qui
établit les fondations d'une théorie générale. Pour Merton, la déviance c’est tout ce
qui est contraire aux modèles de conduite prescrits. Il montre que la déviance résulte
d’une tension entre les objectifs culturels et les moyens légitimes qui permettent de
les atteindre. L’adaptation sociale est donc déterminée en fonction des objectifs
culturels, qui sont les perceptions sociétales de la vie idéale, et des moyens
institutionnels, ou moyens légitimes, à travers lesquels un individu peut atteindre ces
objectifs culturels. Merton commence par approfondir et rendre explicite une
distinction en trois points, distinction qui était implicite dans l'analyse du suicide de
Durkheim. Le fonctionnement de la société repose sur trois variables fondamentales :

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 premièrement, il y a les buts culturels : c'est-à-dire les désirs et les aspirations
que la culture inculque aux hommes. Ces buts culturels constituent un aspect
de ce que Merton appelle la "structure culturelle" ;
 deuxièmement, il y a les normes : c'est-à-dire l'ensemble des règles sociales qui
prescrivent aux hommes les façons de faire qu'ils peuvent légitimement
employer pour atteindre les buts culturels. Ces normes représentent un second
aspect de la structure culturelle ;
 troisièmement, il y a les moyens institutionnalisés : c'est-à-dire les possibilités
offertes par la société pour accomplir les buts culturels d'une manière
compatible avec les normes. Merton observe alors que les sentiments de
frustration, de désespoir ou d'injustice et, plus généralement de tension
sociale, ne dépendent pas de chacune de ces variables mais de la relation entre
elles.

L'interaction entre ces trois variables -but, norme et moyen- détermine la distribution
de ce que Merton nomme la "tension socialement structurée". La structure culturelle
peut prescrire des buts similaires pour tous les membres du système social, ou des
buts différents pour tous les individus occupant différentes positions sociales. Elle
peut aussi prescrire certaines normes pour accomplir ces buts qui sont uniformes
pour tous les membres de la société, ou elle peut aussi interdire à ceux qui occupent
une position sociale donnée ce qu'elle permet aux autres.

Par exemple, Merton remarque que la société américaine de l'entre-deux guerres


tend à prescrire aux hommes de toutes classes et de toutes conditions sociales le but
culturel de "bien réussir" mais entièrement en termes de réussite matérielle et
pécuniaire, et les règles du jeu, les normes, ne diffèrent pas beaucoup selon les
différentes positions sociales. Pourtant, en réalité, dans la vie quotidienne des
individus, les possibilités d'accomplir ces buts culturels, autrement dit les moyens
institutionnels, varient considérablement selon les positions sociales. D'où,
évidemment, l'existence de grandes frustrations et le développement d'une tension
sociale (c'est cette tension socialement structurée dont parle Merton), en particulier
dans les classes inférieures dont l'accès aux moyens institutionnellement permis est
moindre. Cette disjonction entre les buts et les moyens, et la tension qui en résulte,
conduisent à un affaiblissement de l'engagement des hommes envers les buts
culturellement prescrits ou les moyens institutionnalisés, c'est-à-dire à une situation
d'anomie.

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79
§2 Modes d’adaptation

Merton met en évidence les façons logiquement possibles de s'adapter à cette


disjonction qui se présente comme suit :

 "conformisme", dans lequel l'individu adhère aux buts culturels et aux


moyens institutionnalisés pour atteindre ces buts. Les autres comportements
constituent tous des genres de comportements déviants.
 Les "innovateurs" (par exemple, les voleurs professionnels, criminels en col
blanc, tricheurs aux examens) adhèrent aux buts (faire de l'argent, obtenir un
diplôme), mais rejettent les moyens normativement prescrits.
 Les "ritualistes" font une vertu du "sur-conformisme" aux moyens
institutionnalisées au prix d'un "sous-conformisme" aux buts culturellement
prescrits. C'est l'exemple des bureaucrates qui suivent aveuglément les règles
sans considération des buts pour lesquelles elles ont été établies. Bref, c'est
l'employé de la Sécu, ou de la CAF qui veut absolument le papier jaune sans
quoi pas de sous...
 "l'évasifs" (par exemple, les toxicomanes, les alcooliques chroniques) se
retirent de la compétition sociale en abandonnant à la fois les buts et les
moyens.
 Les "rebelles" (par exemple, les membres des mouvements révolutionnaires)
se détournent d'un système social et culturel qu'ils estiment injuste et
cherchent à reconstituer la société sur de nouvelles bases, avec un ensemble
nouveau de buts et de règles pour les réaliser. On peut se poser la question
de savoir dans quelle catégorie vous situez-vous ?

On terminera cet exposé de la théorie de Merton par quelques remarques. D'abord


cette explication des comportements sociaux est plus large que la simple explication
de la délinquance. En effet, elle met en œuvre le concept de déviance, concept plus
large que celui de délinquance : les comportements délinquants sont des
comportements déviants mais l'inverse n'est pas vrai : tous les comportements
déviants ne sont pas des comportements délinquants. Ensuite, cette approche de la
déviance ne se concentre pas sur les caractéristiques des individus, mais bien sur les
positions que ces individus occupent dans le système social et les tensions qui
peuvent en résulter. Et elle situe les sources de cette tension, non dans l'individu,
mais dans la structure sociale et culturelle. Il s'agit donc bien d'une approche
radicalement sociologique. Enfin, elle permet de traiter à la fois de la conformité et de
la déviance à l'aide d'un modèle conceptuel simple et économe. C'est en ce sens que

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l'on peut parler de "théorie générale". Cette théorie reste toutefois très incomplète.
Certes, Merton examine les déterminants de la tension (buts culturels, normes et
moyens institutionnalisés) et les réponses à la tension (modes d'adaptation). Il fait
également quelques observations sur les facteurs qui influencent le choix de tel ou tel
mode d'adaptation. Cependant, il ne présente pas de classification systématique de
ces facteurs déterminants et encore moins d'explications, de règles générales opérant
la liaison entre les classes de facteurs et les classes de modes d'adaptation. Ainsi, on
reprochera à Merton de ne pas expliquer pourquoi, c'est-à-dire selon quels facteurs,
un individu devenait "conformiste", "ritualiste", "rebelle", etc.

B. La théorie des occasions illégitimes : l'analyse de CLOWARD et OHLIN

§1. Concept d’occasion illégitime

Les travaux de ces deux sociologues américains, Richard Cloward et Lioyd B. Ohlin,
s'inscrivent dans la tradition fonctionnaliste. Dans un ouvrage paru en 1960 et ayant
pour titre "Delinquency and opportunity : a theory of delinquent gangs" ils notent
que Merton ne s'intéressait finalement pas aux facteurs qui pouvaient expliquer
qu'un individu choisisse tel ou tel mode d'adaptation (le conformisme, le
ritualisme...etc). Ces auteurs vont alors développer le concept "d'occasion illégitime"
pour tenter de remédier à cette lacune. Ils constatent que les occasions légitimes, que
l'on peut définir comme l'utilisation de moyens normativement acceptables pour
atteindre des buts culturels, sont distribuées très différentiellement dans la structure
sociale. Mais surtout, ils insistent sur le fait que les occasions illégitimes, c'est-à-dire
les occasions de réaliser les buts culturels par des moyens illégitimes, le sont aussi.
Cloward et Ohlin partent du principe que les réponses déviantes, et donc les
réponses délinquantes, prennent une forme sous-culturelle. En cela, ils se
rapprochent de Sutherland.

§2. Naissance de sous-culture délinquante

Pour Cloward et Onhlin le fait qu'une sous-culture délinquante naisse, de même que
la forme qu'elle va prendre dépend de la position qu'occupe l'individu par rapport à
la structure sociale. Pourquoi ? Parce que la structure sociale détermine, en effet, la
structure des occasions illégitimes. La structure des occasions illégitimes se compose
en grande partie des occasions d'apprendre, de pratiquer et de remplir des rôles
délinquants. Plus spécifiquement, elle implique un milieu qui contient des modèles
de déviance réussie, des occasions pour adopter ces modèles et la mise en place
d'agents et de techniques pour rendre la délinquance praticable et fructueuse. La

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délinquance est posée, par Cloward et Ohlin comme un système de rôles et le
mécanisme fondamental qui l'explique est donc l'occasion, ce que les auteurs
nomment plus spécifiquement la "structure d'opportunité".

Nous allons voir que même si l'on trouve, dans leur théorie, des éléments qui
évoquent les théories antérieures (sous-culture, association différentielle),
l'explication proposée est radicalement différente. A première vue, en effet, la théorie
de Cloward et Ohlin semble être une variation de la théorie de Cohen. En effet, la
délinquance est analysée comme sous-culture. Plus exactement, les auteurs
distinguent 3 types de sous-culture possibles :

 la sous-culture criminelle (les "méchants" : meurtriers, violeurs...) ;


 la sous-culture conflictuelle (les bandes de jeunes, ceux dont on dit
aujourd'hui qu'ils commettent des "incivilités") ;
 la sous-culture retraitiste (les toxicos, par exemple).

Mais, dès qu'ils définissent ce terme de sous-culture, il apparaît qu'ils ne


parlent pas du tout de la même chose que Cohen. Nous avons vu que la sous-culture
délinquante chez Cohen se définissait comme sens reconnu à certaines pratiques des
délinquants (les "nouveaux standarts"). Cloward et Ohlin ne cherchent pas à définir le
sens que les délinquants donnent à leurs conduites mais ils partent de la définition
institutionnelle de l'acte délinquant.

§3 De l’acte délinquant chez Cloward, Ohlin et Trasher

L'acte délinquant est la violation d'une norme qu'accompagne une sanction, infligée
par le groupe social au délinquant : "L'acte délinquant est défini -écrivent-ils- à partir
de deux éléments essentiels, c'est un comportement qui viole des normes
fondamentales de la société et, quand il est officiellement reconnu, il provoque un
jugement, par les agents de la justice criminelle, établissant que de telles normes ont
été violées". Une telle définition a un sens méthodologique : désormais on peut
utiliser à bon droit les statistiques judiciaires dans une étude empirique sur la
délinquance car le fait d'être sanctionné est partie intégrante du phénomène de
délinquance. C'est un élément de la définition de la délinquance.

Selon Cloward et Ohlin la délinquance est à l'origine de la constitution d'un groupe


particulier : la bande (et non l'inverse comme le pense un culturaliste : la bande est à
l'origine de la délinquance). A partir du moment, en effet, où l'on admet que la
punition de l'acte délinquant est un état constitutif de l'acte délinquant, cet acte

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devient essentiellement dangereux, pour celui qui le commet/ A ce titre, il peut être
considéré comme une épreuve exigée à l'intérieur du groupe.

Chez Thrasher, on a vu que l'acte délinquant est une "espièglerie" à laquelle


s'amusent les jeunes ; chez Cohen, l'acte délinquant exprime l'angoisse des jeunes
dans une culture traversée par des contradictions et constitue une réponse à un
problème d'adaptation; chez Cloward et Ohlin, l'acte délinquant est un défi et, à ce
titre, une épreuve ou un rite grâce auquel le titre de membre de la bande est conféré.
Ce qui signifie aussi, par conséquent, que tous les jeunes, quoiqu'ayant des
problèmes d'adaptation, ne seront pas forcément admis dans la bande.

La délinquance n'est donc pas le produit naturel d'un groupe de jeunes désœuvrés,
en proie à l'ennui ; la délinquance est la condition nécessaire sans laquelle aucune
bande ne saurait se former. Du coup la "bande" dont il est question ici n'est pas le
groupe de jeunes habitant le même quartier. La notion de bande est définie par
Cloward et Ohlin comme un système de rôles différenciés. Il y a un chef, des
lieutenants et des exécutants et il peut y avoir ce que les auteurs appellent des
spécialisations fonctionnelles (celui qui fait le guet, celui qui sait ouvrir un coffre de
banque, celui qui porte les sandwiches...). Bref, la bande a une structure organisée.

Tenir ces divers rôles suppose l'accomplissement de conduites illégales car la nature
de la performance va déterminer le rang et la tâche de chacun des membres de la
bande. Et si une telle diversification des fonctions est possible, c'est parce que le
groupe reconnaît la légitimité d'un certain nombre de règles. La sous-culture
délinquante n'est alors rien d'autre que l'ensemble des prescriptions sur lequel
l'accord du groupe s'est fait. La prescription majeure est, bien sûr, celle de la
délinquance : "Une sous-culture délinquante est une sous-culture dans laquelle
certaines formes d'activité délinquante sont des exigences essentielles si l'on veut
accomplir les rôles dominants supportés par cette culture".

Le consensus interne au groupe que définit la sous-culture a pour fonction ce que


Cloward et Ohlin nomment "l’intégration resserrée" du réseau de relations
qu'entretiennent les délinquants en tant que membres de la bande. A l'égard du
monde extérieur, la sous-culture fournit à ses membres un principe de légitimation.
Elle permet au délinquant, quand il est arrêté, de défier les autorités, de justifier et de
réinterpréter ses actes. Une telle reformulation a alors une conséquence essentielle :
elle permet de rendre compte des variations dans le contenu de la sous-culture
délinquante, ce que ne permettait pas, à l'origine, la théorie de Cohen. Cloward et
Ohlin reconnaissent qu'il y a bien certains groupes de délinquants dont on peut dire

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que la sous-culture est négativiste, méchante et non-utilitaire. Mais, à côté de cette
délinquance "conflictuelle", il existe pour eux d'autres formes de délinquances qui ne
peuvent pas être définies à partir de ces valeurs comme, par exemple, la sous culture
criminelle : Cloward et Ohlin proposent donc de distinguer la sous-culture retraitiste
et la sous-culture criminelle qui, elles fonctionnent sur d'autres valeurs. C'est en ce
sens que la théorie de Cloward et Ohlin se distingue de celle de Cohen. Celle de
Cohen devient un cas particulier, autrement dit, le phénomène de départ pour
Cloward et Ohlin, c'est la diversité des sous cultures délinquantes et c'est
précisément de cette diversité que la théorie de Cohen ne peut pas rendre compte.
Mais alors, il faut encore expliquer pourquoi ces sous-cultures délinquantes se
rencontrent plus particulièrement chez les adolescents des classes populaires. Et,
pour cette explication, il n'est pas question de faire appel à une théorie de la
socialisation (sous peine de tomber dans une théorie culturaliste). En effet, à partir du
moment où en bon fonctionnaliste on considère qu'il existe non pas une sous-culture
délinquantes mais des sous-cultures délinquantes dont les contenus normatifs
peuvent varier à l'extrême, il ne sert à rien d'essayer de démontrer comment le
contenu idéologique, le "modèle" de culture- fait l'objet d'un long apprentissage
depuis la petite enfance puisqu'il n'existe pas un modèle mais une multitude de
modèles différents. Ce qu'il faut montrer, par contre, lorsque l'on est fonctionnaliste,
c'est comment de telles sous-cultures peuvent se constituer dans le système social.
Pour cela, Cloward et Ohlin vont se souvenir de l'enseignement de Merton. En effet,
dans la théorie de l'anomie, Merton se livre à une analyse structurale du
comportement déviant. Le système social, comme on l'a vu, peut être contradictoire.
Et c'est en raison de ce caractère contradictoire du système que certaines sous-
cultures vont pouvoir prendre naissance.

Pour Merton, l'environnement d'un individu est composé d'une part de la structure
culturelle et d'autre part, de la structure sociale. La structure culturelle est définie, on
l'a déjà vu, comme l'ensemble organisé des valeurs normatives gouvernant le
comportement des individus, ensemble de valeurs qui est commun aux membres de
la société ou d'un groupe déterminé. La structure sociale peut être définie comme
l'ensemble organisé des relations sociales dans lesquelles les membres d'une société
sont diversement impliqués. L'anomie est alors conçue comme une rupture dans la
structure culturelle qui va se produire quand il y a une disjonction importante entre
les normes et les buts culturels d'un côté et les capacités socialement structurées les
moyens institutionnalisés- des membres du groupe de s'y conformer de l'autre.

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Ainsi, selon cette conception, les valeurs culturelles peuvent contribuer à produire
des comportements qui sont en contradiction avec ce que prescrivent ces valeurs
mêmes. Par exemple, si le but culturel est le "toujours plus" et que l'individu ne
dispose pas de la capacité de s'y conformer parce qu'il appartient à une classe
défavorisée, il va être conduit à voler pour atteindre ce but culturel, c'est-à-dire pour
se conformer à cette valeur culturelle qui fait de l'argent, de la possession, l'étalon de
la réussite d'un individu.

Mais en même temps, il adopte un comportement interdit par ces valeurs mêmes. Or,
selon la position qu'un individu occupe dans la structure sociale (médecin, notaire,
ouvrier, enseignant, chauffeur de taxi, chômeur...), il est ou il n'est pas en situation
d'agir conformément aux prescriptions de la culture du système social. Donc, par
conséquent, si l'on veut définir l'inégalité sociale, il ne faut donc pas partir, comme le
font les culturalistes, des valeurs culturelles différentes selon les classes sociales mais
des différences objectives entre les conditions dans lesquelles vivent les individus.
Les membres des classes défavorisées sont les individus dont la situation socio-
économique rend difficile, voire même impossible, l'accès aux positions socialement
recherchées pour les privilèges en fortune, en prestige ou en pouvoir qu'elles
confèrent, bref pour pouvoir atteindre les buts culturels. Dès le départ, les gens des
classes défavorisées ont un handicap qu'ils n'arrivent que tout à fait
exceptionnellement à rattraper.

Pour Cloward et Ohlin,, ce qui est ainsi crée, ce sont les conditions des sous-cultures
délinquantes: « Nous suggérons -écrivent-ils- que de nombreux adolescents issus des
classes populaires font l'expérience du désespoir, qui naît de la certitude que leur
position dans la structure économique est relativement fixée et immuable ; un
désespoir d'autant plus poignant qu'ils sont exposés à l'idéologie culturelle dans
laquelle l'incapacité à s'orienter vers les hauteurs sociales est considérée comme faute
morale et dans laquelle l'échec à la mobilité ascendante est regardée comme preuve
de cette tare » (p.106).

Qu'il s'agisse de Merton ou de Cloward et Ohlin, on le voit, dans les deux cas, on
rend compte de l'apparition plus fréquente de la délinquance dans les milieux
défavorisés sans avoir recours à une théorie culturaliste telle que la
déculturation/acculturation de Cohen, mais en tenant compte de la position
qu’occupe un individu dans la structure sociale.

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CHAPITRE V.
L’INTERACTIONNISME SYMBOLIQUE

L'interactionnisme étudie les relations entre l'auteur d'un acte déviant, délinquant,
l'acte lui-même et la réaction qu'il provoque de la part de la société. Ce courant va
mettre l'accent sur le changement de l'image de soi de l'auteur d'une déviance à la suite
de son passage par la justice pénale et sur les conséquences qui vont s'ensuivre. On va alors
analyser les caractéristiques individuelles et sociales des individus qui ont fait l'objet
d'une telle réaction sociale institutionnalisée, parce qu'ils ont commis un acte
délinquant pour en déduire l'explication de ce passage à l'acte. La tendance
interactionniste en sociologie de la déviance est inspirée par les travaux d'un psycho-
sociologue : George-Herbert Mead. Nous allons donc parcourir brièvement sa
théorie, de façon à pouvoir en comprendre les implications sur le plan de la théorie
criminologique.

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SECTION I : LA THÉORIE DES RÔLES : G.H. MEAD

§1. L’esprit, le soi et la société

G.H. Mead a exposé sa théorie dans un livre écrit en 1934 et traduit en français sous
le titre "L'esprit, le soi et la société". Pour lui, pour que les individus puissent
communiquer les uns avec les autres, ils doivent d'abord apprendre à identifier,
définir et classer les objets qui les entourent. Par exemple, ils doivent indiquer à eux-
mêmes le genre d'objet qu'ils ont à traiter. L'objet étant identifié (un "Picasso", une
"femme", une "partie de football"), un ensemble d'attitudes et d'attentes est provoqué
et ce sont ces attitudes, ces attentes qui vont déterminer en grande partie ce que
l'individu va faire, la façon dont il va se comporter par rapport à l'objet. Or les
catégories dans lesquelles nous classons les objets, que ce soit des choses ou des
personnes sont socialement construites. Par exemple, les catégories de personnes
socialement reconnues (par exemple, un juge, un enseignant, un chômeur...) sont des
rôles sociaux et, au cours de notre enfance, puis de notre adolescence et encore après,
nous apprenons ce système de rôles : nous apprenons les critères qui définissent
socialement telle ou telle personne (comme juge, enseignant ou chômeur...), les
signes par lesquels elle peut être reconnue, les images de ce que cette personne
paraît, les attentes relatives au comportement qu'elle doit avoir. Le soi, c'est-à-dire
l'image que nous avons de nous-mêmes, est aussi un objet social. C'est l'acteur en
tant que vu, désigné et jugé par lui-même. La façon de se sentir, la manière de se
conduire, ce que nous tentons de faire de nous-mêmes, nos tentatives pour se
transformer, tout cela dépend en premier lieu du genre d'objet que nous pensons être
ou désirons être. Or, les types de soi possibles dépendent de la culture : étudiant,
professeur, citoyen, keuf ou meuf...

De plus, ces rôles existent en nombre limité et nous sont plus ou moins imposés. En
effet, le soi est élaboré au cours du processus d'interaction avec les autres. En traitant
avec les autres, c'est-à-dire en communiquant avec eux, nous découvrons ce que nous
sommes, c'est-à-dire les catégories dans lesquelles nous sommes rangés. Bien sûr,
nous pouvons prétendre à être un certain type de personne, mais cette revendication
doit prendre un sens dans les termes de la culture de ceux avec qui nous
communiquons et nous devons la rendre plausible.

Pour cela, nous devons la valider en rencontrant, en adoptant, les critères culturels
du rôle. Par exemple, si je veux vous apparaître comme un professeur, il faut que je
me conduise selon les critères culturels qui définissent ce qu'est un professeur (que
j'en adopte le comportement, le discours, la tenue...). Et nous savons ensuite que nous

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avons réussi la validation du rôle quand les autres indiquent, par leurs réponses,
qu'ils nous acceptent comme spécimens valables du rôle. Par exemple, le fait que
vous soyez sagement assis devant moi, à prendre des notes de ce que je dis, me laisse
croire que, dans ces eaux glacées de l'interaction sociale, je joue bien mon rôle et que
vous y croyez.

Ainsi, chacun de nous est continuellement engagé, durant toute sa vie dans un
processus de construction, de maintien et d'adaptation d'un soi. Agissant à partir du
répertoire des rôles fournis par sa culture, l'individu joue à être tel ou tel genre de
personne, constate son succès ou son échec qu'il lit dans les réponses des autres. Or,
tous les rôles auxquels nous sommes identifiés ne sont pas activement recherchés et
cultivés par nous-mêmes. Nous pouvons résister à certains rôles et les refuser (tels les
rôles d'alcooliques ou d'anciens prisonniers), ou encore les accepter avec résignation
(rôle de malade mental en traitement).

Les rôles que nous tenons sont forgés dans des concessions mutuelles de l'interaction
de groupe. Ils sont aussi façonnés à la mesure des forces et des ressources de chaque
membre du groupe, par ajustements successifs : nous ayant assigné à nous-mêmes tel
ou tel rôle, encore faut-il que les autres l'acceptent. Or, les autres peuvent aussi nous
contraindre à adopter un rôle que nous n'acceptons pas ou auquel nous nous
résignons. Et, une fois "pris" dans le rôle, nous sommes disposés à adopter tous les
ensembles de comportements qui expriment ou soutiennent ce rôle. Ainsi, du point
de vue de la théorie des rôles, le nœud central du problème du comportement
délinquant ou déviant, devient le processus d'acquisition des rôles et d'engagement
dans les rôles de délinquant.

§2. Les implications de l'interactionnisme en criminologie

C'est à partir des années 1950 que va se développer, en criminologie, une théorie
systématique du comportement déviant basée sur la réaction sociale. Les auteurs qui
s'inscrivent dans ce mouvement vont distinguer alors le premier passage à l'acte -
simple phénomène accidentel- des éventuelles réitérations secondaires. Celles-ci
marquent un engagement de l'auteur dans la délinquance et cette amplification
secondaire est présentée comme découlant de l'effet stigmatisant de la réaction
sociale intervenant quand la justice pénale classifie comme délinquant celui qui s'est
contenté en premier lieu de poser un acte délinquant.

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Sur ce tronc commun, se sont développés différents courants interactionnistes. L'un
des plus connu est celui de l'étiquetage social, représenté, notamment, par Howard
Becker.

SECTION II : H.S. BECKER : LA THÉORIE DE L'ÉTIQUETAGE (LABELLING


THEORY)

§1. Déviant comme Outsiders

Becker, né en 1928, a étudié la sociologie à l'Université de Chicago. Il publie, en 1963,


un ouvrage fondamental "Outsiders". Ce livre a constitué une étape très importante
du développement récent de la sociologie de la déviance. Et on peut dire que son
auteur est à l'origine du renouveau de la criminologie en France, dans les années
1970. En effet, il a contribué à élargir les limites dans lesquelles s'inscrivaient
antérieurement les recherches sur la délinquance.

Le terme de déviance qui désigne le domaine de la vie sociale étudié dans Outsiders
possède, dans la sociologie américaine un sens plus large que celui de délinquance.
Ainsi, sont qualifiés de "déviants" les comportements qui transgressent des normes
acceptées par tel groupe social ou par telle institution. Cette catégorie inclut donc les
actes sanctionnés par le système pénal, par exemple la consommation de marijuana
étudiée plus particulièrement dans le livre, mais aussi les maladies mentales ou
l'alcoolisme, qui sont des comportements déviants mais non délinquants.

Becker comprend même dans ce champ d'étude un groupe professionnel comme les
musiciens de jazz qui n'est exclu et ne s'exclut de la société conventionnelle que par
son mode de vie et ses goûts. En ce sens, le livre de Becker s'inscrit dans le courant de
la sociologie interactionniste américaine des années 60, avec des auteurs tels que
Erving Goffman [Asiles (1961), Stigmate (1963)] ou Edwin Lemert [Déviance et
contrôle social (1967)]. Le terme de "outsider" signifie, pour Becker, "étranger". Mais
ce terme même d'étranger a un double sens, selon que l'on se place du point de vue
du groupe ou du point de vue de l'individu :

- est "étranger" d'une part, l'individu qui, ayant transgressé une norme est perçu par
le groupe social comme un type particulier d'individu auquel on ne peut pas faire
confiance pour vivre selon les normes sur lesquelles s'accorde le groupe. L'individu
est donc considéré comme étranger au groupe. Mais, d'autre part, l'individu qui est
ainsi étiqueté comme étranger peut voir les choses autrement. Il se peut qu'il

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n'accepte pas la norme selon laquelle on le juge ou qu'il dénie à ceux qui le jugent la
compétence ou la légitimité pour le faire.

Il en découle donc un second sens du terme : le transgresseur peut estimer que ses
juges sont étrangers à son univers. Becker va alors essayer d'expliquer les situations
et les processus auxquels renvoie ce terme d'Outsiders à double usage, c'est-à-dire
qu'il va observer les situations dans lesquelles la norme est transgressée et celles dans
lesquelles on la fait appliquer, et les processus qui conduisent certains à transgresser
les normes et d'autres à les faire respecter. Dans ce but, il commence par définir le
terme de déviance : il note que la conception sociologique qui définit la déviance par
le défaut d'obéissance aux normes du groupe oublie un élément central dans cette
définition, à savoir que la déviance est créée par la société.

Pour Becker, cette affirmation ne signifie pas, comme on le dit classiquement, que les
causes de la déviance se trouvent dans la situation sociale de l'individu ou dans les
facteurs sociaux qui sont à l'origine de son action. Ce que Becker veut dire, c'est que
les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression
constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les
étiquetant comme déviants. Bref, la norme et son application créent la déviance :
supprimez le code pénal et il n'y a plus de délinquants. Donc, de ce point de vue, la
déviance n'est pas une qualité de l'auteur ou de l'acte commis par lui, mais plutôt une
conséquence de la création et de l'application, par les autres, de normes et de
sanctions à un "transgresseur". Le déviant est celui auquel cette étiquette a été
appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la collectivité
attache cette étiquette. Puisque la déviance est une conséquence des réactions des
autres à l'acte d'une personne, on ne peut donc pas supposer qu'il s'agit d'une
catégorie homogène. Il ne s'agit pas d'une catégorie homogène parce que :

- d'une part, le processus n'est pas infaillible : des individus peuvent être désignés
comme déviants alors qu'en réalité, ils n'ont transgressé aucune norme ;

- d'autre part, on ne peut pas non plus supposer que la catégorie qualifiée de
déviante comprendra effectivement tous les individus qualifiés de déviants : une
partie de ceux-ci peuvent ne pas être appréhendés et échapper aux poursuites
pénales, par exemple. (Il y en a même qui deviennent ministres !).

Donc, pour Becker, puisque la catégorie n'est ni homogène, ni exhaustive, il est vain
de chercher à découvrir, comme le fait la criminologie classique, par exemple, dans la
personnalité ou dans les conditions de vie des individus des "facteurs" du crime qui

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leur seraient communs. Par contre, ce qui est commun à tous ces individus, c'est
qu'ils partagent tous l'étiquette de déviants ainsi que l'expérience d'être étiquetés
comme étrangers au groupe social. Becker part donc de cette identité fondamentale
pour analyser la déviance : il considère la déviance comme le produit d'une
transaction effectuée entre un groupe social et un individu qui, aux yeux du groupe,
a transgressé une norme. Il ne s'intéresse donc pas aux caractéristiques sociales des
déviants mais concentre son analyse sur le processus au terme duquel ces individus
vont être considérés comme étrangers au groupe, ainsi qu'à leurs réactions à ce
jugement, à cet étiquetage. Le caractère déviant ou non d'un acte dépend donc de la
manière dont les autres réagissent, bref de ce que l'on appelle la réaction sociale. Or,
face à un acte donné, la réaction peut varier.

Il peut y avoir, par exemple :

- d'abord, une variation dans le temps (cf. légalisation de l'IVG) ;


- ensuite, une variation selon les catégories sociales auxquelles appartiennent
celui qui a commis l'acte et celui qui s'estime victime de l'acte : les lois
s'appliquent tendanciellement plus à certaines personnes qu'à d'autres. Tout
cela pour dire que le caractère déviant ou non d'un acte donné dépend en
partie de la nature de l'acte, c'est-à-dire de ce qu'il transgresse ou pas une
norme, du genre de norme transgressée, et en partie de ce que les autres en
feront. La déviance est donc, non une propriété du comportement lui-même,
mais de l'interaction entre la personne qui commet l'acte et celles qui
réagissent à cet acte.

§2 Carrière déviante

Très connu pour ses travaux sur la sociologie de la déviance, H. Becker (1985) estime
que l’explication de la déviance ne peut pas consister à dresser une liste de ses
facteurs probables: identité, statut social, éducation, inégalité, frustration, tension,
pauvreté, mésestime de soi, carence affective et à les croiser afin de dégager des
corrélations significatives (Ogien, 1995, 112). H. Becker admet volontiers que, d'une
part, toutes les variables inventoriées par l’analyse causale sont pertinentes; il
remarque, d'autre part, qu’elles ne le sont pas toutes, au même moment, avec la
même intensité. Pour saisir, dit-il, la place que tient chacun de ces facteurs probables
dans une désignation, il faut tenir compte d’une donnée pratique : la temporalité de
l’action.

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Comme Sutherland, dans son approche H. Becker s’oppose aux théories
psychologiques et génétiques qui, pour lui, laissent maintes zones d’ombre (.Becker,
1985, 82). Il considère que la délinquance fait l’objet d’un apprentissage progressif et
constitue donc une activité sociale et « ce ne sont pas des motivations déviantes qui
conduisent au comportement déviant, mais l’inverse; c’est le comportement déviant
qui produit la motivation » (Becker, 1985, 64). Dans une approche interactionniste de
l’initiation à la drogue, Becker montre la dialectique subtile qui se joue entre le novice
et les initiés.

En cherchant à comprendre comment un individu entre dans la déviance, au cours


de ses recherches H. Becker (1985, 82) en arrive au fait qu’il faut observer les
individus dans leur environnement naturel et s’entretenir avec eux afin de pénétrer
leur démarche et le sens qu’ils donnent à leurs actions. Il ne cherche pas à juger les
actions des individus ou à expliquer « pourquoi » ils fument, mais plutôt à
comprendre « comment » ils en sont arrivés à fumer. H. Becker va chercher à étudier
les processus qui mènent à la déviance, autrement dit, comment au fil du temps, les
individus intériorisent des dispositions à fumer de la marijuana. Pour lui, on ne
devient pas déviant du jour au lendemain, mais plutôt suite à une succession de
phases; c’est ce qu’il appelle les processus séquentiels d’entrée dans la carrière
déviante (Debuyst, 2008, 344). Aussi, pour analyser le développement de l’usage de
la drogue, mobilise-t-il la notion de carrière , pour décrire la logique de progression
d’un délinquant, même occasionnel, afin de mieux comprendre son parcours qui
n’est pas seulement biographique mais aussi social. Selon D. Le Breton (2004), la
notion de « carrière » est pertinente pour saisir l’ensemble des données sociales qui
concourent à la production des comportements d’un individu selon les circonstances.
Elle renvoie à la sociologie des professions et aux différentes séquences qui se
succèdent dans le cheminement de l’individu au sein d’un système institutionnel.
Elle traduit l’acquisition d’un savoir pratique et moral grandissant sur l’activité (Le
Breton, 2004, 236).

Selon H. Becker, c’est lors des interactions avec ceux qui sont déjà dans la
délinquance que le néophyte fait l’apprentissage des codes, du langage et des valeurs
qui régissent l’entre-soi du groupe et ceux qui règlent les relations avec les autres,
notamment les techniques de dissimulation qui sauvent les apparences et évitent la
répression. S’il cherche à s’opposer à la pesanteur sociale, s’il assume son choix de
comportement, il doit apprendre à maîtriser les contrôles sociaux qui le font
apparaître comme immoral et dangereux (Le Breton, 2004, 236).

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Dans sa recherche sur les fumeurs de marijuana, H. Becker dit qu’un fumeur de
marijuana doit apprendre à fumer et à éprouver les plaisirs de la drogue, puis il doit
apprendre à s’en procurer pour devenir un fumeur régulier. Il doit, dans le même
temps, reconsidérer l’image négative du drogué pour préserver son estime de soi
(inverser le stigmate). La délinquance est donc, pour Becker, le résultat d’un
processus d’apprentissage social qui passe par une redéfinition de son identité
sociale. On ne devient pas fumeur sans apprentissage, sous l’égide des autres qui
enseignent le « bon usage » et la « bonne interprétation » des symptômes de la
marijuana, une reconnaissance adéquate de ses effets et un sentiment de plaisir à la
fumer (Le Breton, 2004, 236). Il qualifie ce processus d’apprentissage de « conversion
», c’est-à-dire une transformation non seulement dans les conduites des individus
mais aussi dans leur rapport aux valeurs et aux normes (Debuyst, 2008, 354). Donc, le
délinquant se donne comme un « initié », « un converti».

Pour Becker, l’engagement dans la carrière commence par l’apprentissage. Le terme «


engagement » renvoie à un « processus par lequel divers types d’intérêts sont
progressivement investis dans l’adoption de certaines lignes de conduite » (Becker,
1985, 50). La première leçon consiste à apprendre la technique requise pour produire,
en fumant, des effets qui permettent une modification de la conception de la drogue.
Cette technique ne s’acquiert que par la fréquentation de groupes utilisant la
marijuana. Ce groupe de pairs est un instrument du passage en même temps que
l’initiation. A leur contact, le novice apprend à repérer ces sensations fugaces, au
départ plutôt désagréable, et à les associer au plaisir. Donc, c’est au cours des
interactions avec les délinquants plus expérimentés que le néophyte apprend à
prendre conscience des nouveaux types d’expériences et à les considérer comme
agréables (Becker, 1963, 53).

L’ultime étape d’une carrière délinquante consiste à entrer dans un groupe organisé.
Le fumeur entre ainsi dans la connaissance des arcanes d’un milieu accoutumé à
l’usage d’un produit prohibé, dont les dealers doivent se cacher autant que les
usagers. Une fois inséré dans un tel groupe, le déviant est plus assuré de persévérer
dans son comportement car il n’est plus seul, il acquiert des valeurs communes et
dispose désormais d’un savoir moral et pratique pour surmonter ses difficultés (Le
Breton, 2004, 237). Il va développer une compétence pour trouver le produit, évaluer
sa qualité (Becker, 1985, 62). Le fait d’entrer dans un groupe déviant permet enfin à
l’individu d’approfondir son apprentissage et de perfectionner ses techniques et ce, «
avec un minimum d’ennuis ». Au sein du groupe, nous dit D. Le Breton, le
délinquant trouve un système bien rodé de justification pour maintenir sa ligne de

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conduite envers et contre tout (2004, 237). Dans le groupe en effet, dit-il, les
problèmes ou les difficultés, auxquels le nouveau venu devrait être confronté afin
d’éviter la sanction sociale, ont déjà été affrontés par d’autres qui ont donc déjà
cherché des solutions pour les éviter. Le nouvel entrant peut alors apprendre les
combines, les subterfuges pour se maintenir ou progresser dans sa carrière
délinquante.

Bref, pour être qualifié de "délinquant" il suffit officiellement d'avoir commis un


"délit". Le mot de délit, du point de vue du Code pénal, n'implique rien d'autre, mais
il comporte socialement de façon sous-entendue un certain nombre de connotations
qui attribuent à tous ceux qui reçoivent cette étiquette des caractéristiques
accessoires. Ainsi, par exemple, si un homme a été reconnu coupable d'un
cambriolage, a été condamné, et pour cette raison qualifié de délinquant, on va
présumer qu'il est susceptible de commettre d'autres infractions ; c'est ce postulat qui
conduit la police, quand elle enquête sur un nouveau délit, à faire une rafle parmi les
personnes connues pour avoir commis antérieurement des infractions (cf. l'individu
"bien connu de nos services"). De plus, on considère que cet homme risque de
commettre d'autres types de délits puisqu'il s'est révélé être une personne "qui ne
respecte pas la loi". Ainsi, un individu qui a été appréhendé pour un seul acte
déviant court le risque, par ce fait même, d'être considéré comme déviant sous
d'autres rapports. Et, pour Becker, traiter une personne qui est déviante sous un
rapport particulier comme si elle l'était sous tous les rapports, c'est énoncer une
prophétie qui contribue à sa propre réalisation. En effet, divers mécanismes vont
alors se déclencher qui concourent à modeler la personne sur l'image qu'en ont les
autres ; à faire de la personne ce que les autres voudraient qu'elle soit. D'abord, du
fait de cette officialisation de la déviance, la participation à des groupes respectueux
des normes conventionnelles, bref au groupe des "honnêtes gens" tend à devenir
impossible, même lorsque les conséquences de l'activité déviante n'auraient pas, par
elles-mêmes, entraîné l'isolement de son auteur si elles étaient restées secrètes. Par
exemple, bien que l'effet de la drogue n'altère pas forcément votre capacité de travail,
une réputation de toxicomane a toutes chances de vous faire perdre votre emploi.
Dans de telles situations (le chômage), il est alors difficile de se conformer aux autres
normes même si, au départ, on ne comptait pas les transgresser et l'on risque alors de
se retrouver déviant sous d'autres aspects : le toxicomane se voit, par exemple,
contraint à d'autres types d'activités illégitimes, telles que le vol, parce que les
employeurs respectables refusent de l'embaucher ou de lui conserver son emploi.
Ainsi, le toxicomane se trouve placé, en raison même du mode de traitement de sa
déviance, dans une position telle qu'il est nécessairement conduit à la fraude et au

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délit, ne serait-ce que pour se procurer sa dose habituelle. Mais, on le voit, sa
conduite résulte moins de propriétés inhérentes à l'action déviante que des réactions
des autres à sa déviance.

§3. Fabrication de normes et de délinquants

L'explication de la déviance tient finalement à deux éléments :

- il faut qu'une norme soit instituée ;


- il faut qu'elle soit appliquée à un auteur.

Becker va donc s'intéresser aux circonstances dans lesquelles la norme va être


appliquée à un individu déviant ou, au contraire, ne le sera pas. Pour lui,
l'explication met en jeu plusieurs facteurs. Premièrement, il faut que quelqu'un
prenne l'initiative de créer, d'instituer une norme, puis de faire punir le présumé
coupable : créer et faire appliquer une norme suppose donc un esprit d'entreprise et
implique un entrepreneur. Ensuite, il faut que ceux qui souhaitent voir la norme
appliquée attirent l'attention des autres sur l'infraction : il faut, en d'autres termes
que quelqu'un crie "au voleur!". Et, pour crier au voleur, il faut y trouver un
avantage. Enfin, c'est l'intérêt personnel qui pousse à prendre cette initiative. Et le
type d'intérêt personnel varie en fonction de la complexité de la situation. Il y a des
situations complexes, dans lesquelles la norme peut être interprétée de plusieurs
façons divergentes, ou encore des situations dans lesquelles l'imposition du respect
de la norme peut faire naître des conflits (cf. les squatters : doit-on les expulser?). La
création, l'institution de la norme est le produit de l'initiative de certains individus
que Becker appelle des "entrepreneurs de morale". Il en distingue deux types : - ceux
qui créent la norme : ce sont les individus qui entreprennent une croisade pour la
réforme des mœurs et qui se préoccupent du contenu des lois et pensent agir pour le
bien de l'humanité. Par exemple, ils vont être convaincus que, pour assurer le
bonheur universel, il faut faire interdire le tabac, ou l'alcool, et qu'il faut donc
réformer la loi. Ils peuvent obtenir le soutien de gens dont les motifs sont moins purs
mais, en définitive, ce qui compte pour eux est la fin et non les moyens. Quand ils en
viennent à esquisser des réglementations spécifiques, ils font alors fréquemment
confiance aux spécialistes et ce sont souvent alors des juristes qui sont consultés car
ils sont experts dans l'art de rédiger un texte légal en termes recevables. Ainsi, ces
entrepreneurs de la morale ont besoin des services de professionnels. Mais, en
laissant à d'autres le soin de mettre au point des lois spécifiques, Becker observe
qu'ils laissent la porte ouverte à des influences imprévues car ceux qui préparent les
lois peuvent avoir leurs propres intérêts à défendre, qui risquent d'influencer la

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législation préparée. Ceux qui font appliquer les normes : avec la création d'une
législation nouvelle, Becker note que l'on voit souvent s'établir un nouveau dispositif
d'institutions et d'agents chargés de faire appliquer celle-ci. Aussi, ce qui a débuté
comme une campagne pour convaincre le monde de la nécessité morale d'une
nouvelle norme devient finalement une organisation destinée à faire respecter celle-
ci. Ainsi, pour Becker, le résultat final d'une croisade morale, c'est souvent une
nouvelle force de police. Becker s'est alors intéressé au travail du policier et en a tiré
les réflexions suivantes quant à l'application de la norme : Le policier qui est chargé
de faire appliquer la loi trouve dans cette occupation sa raison d'être. Deux intérêts
conditionnent son activité dans le cadre de ses fonctions : il doit, premièrement
justifier de son emploi et, deuxièmement, gagner le respect de ceux dont il s'occupe.
Pour justifier l'existence de son emploi, le représentant de la loi ( le policier, mais
aussi plus largement le magistrat) rencontre un double problème : - d'une part, il doit
démontrer aux autres que le problème ne cesse pas d'exister : les lois qu'il est censé
faire appliquer (et, du coup, son travail) ont de l'importance puisque des infractions
sont commises.- d'autre part, il doit montrer que son travail est efficace et que la
délinquance est bien prise en charge comme il convient.

Ainsi, le classement effectif dans la catégorie "déviant" d'un individu dépend de


plusieurs facteurs qui sont extérieurs au comportement réel de cet individu :
sentiment des représentants de la loi qu'à un moment donné, pour justifier leur
emploi, ils doivent manifester qu'ils font leur travail ; degré de déférence témoigné
envers ceux-ci par le fautif ; intervention d'un intermédiaire "bien placé" dans le
processus judiciaire ; place du genre d'acte commis dans la liste des priorités des
représentants de la loi, etc.

Pour conclure, on peut dire que l'apport essentiel de Becker est d'analyser la
déviance comme une action publiquement disqualifiée et comme le résultat des
initiatives d'autrui. Avant qu'un acte quelconque puisse être considéré comme
déviant, et qu'une catégorie d'individus puisse être étiquetée et traitée comme
"Outsiders", comme étrangère à la collectivité pour avoir commis cet acte, il faut que
quelqu'un ait instauré la norme qui définit l'acte comme déviant. Les normes ne
naissent pas spontanément. Pour qu'une norme soit créée, il faut que quelqu'un appelle
l'attention du public sur certains faits, puis donne l'impulsion indispensable pour mettre les
choses en train - une réforme législative- et dirige les énergies ainsi mobilisées dans la
direction adéquate. Sans ces initiatives destinées à instaurer des normes, la déviance,
qui consiste à transgresser une norme, n'existerait pas. Mais la déviance est aussi le
produit d'initiatives à un autre niveau. Une fois que la norme existe, il faut qu'elle

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soit appliquée à des individus déterminés avant que la catégorie abstraite de
déviants que crée cette norme puisse se peupler. Il faut découvrir les délinquants, les
identifier, les appréhender et prouver leur culpabilité. Cette tâche incombe
normalement à des professionnels spécialisés dans l'imposition du respect des
normes ; ce sont eux qui, en faisant appliquer des normes préexistantes, créent une
catégorie spécifique de déviants, d'outsiders.

SECTION III. LA "DÉRIVE" (DRIFT) : DAVID MATZA

Dans ce courant interactionniste, on peut encore citer David Matza, sociologue de la


nouvelle Ecole de Chicago. En 1964, il publie un livre "Delinquency and drift" dans
lequel il analyse la délinquance juvénile. Or cette analyse va déboucher sur l'analyse
du système judiciaire comprenant les tribunaux pour enfants, la police, et les
délégués à la liberté surveillée. Comment D. Matza arrive-t-il à ce résultat? D'abord,
parce qu'il définit la délinquance comme un processus, une "dérive" : cette dérive est
une séquence de mouvements graduels, de changements successifs, non perçus
comme tels par l'acteur. La délinquance est donc analysée comme un passage entre
statuts, mais ce passage n'est pas expressément ou consciemment effectué : pour
Matza, le délinquant ne choisit jamais clairement la délinquance; il navigue, il dérive,
entre la société conventionnelle et la société déviante, répondant tour à tour aux
demandes de l'une ou de l'autre. Ainsi, le délinquant dérive (drift) entre l'action
criminelle et l'action conventionnelle. Et si Matza étudie en détail la justice pour
mineurs et les agents de ce système judiciaire, c'est parce que, pour lui, c'est
l'institution judiciaire qui va avoir la charge de fixer la dérive et de répartir les
désignations, les "étiquetages" dirait Becker, entre délinquants et non-délinquants.

§1. Originalité de l’approche de Matza

L'originalité de la pensée de Matza est d'affirmer que la désignation l’étiquetage fait


l'objet d’une connivence, d'une transaction entre les parties, c'est-à-dire entre le juge
et le jeune délinquant. Cette démarche est donc originale dans la mesure où, à partir
du moment où l'on suppose une certaine complicité, une certaine connivence, entre
le juge et le délinquant, il devient impossible de définir la délinquance comme une
sous-culture, comme le faisaient les auteurs que nous avons précédemment étudiés
(Cohen, Cloward et Ohlin, par exemple). Matza insiste sur un fait, que les
culturalistes n'avaient peut-être pas assez remarqué, c’est que les délinquants sont
des adolescents. Le fait même de leur jeunesse rend improbable la création d'une
sous-culture délinquante parmi les délinquants juvéniles : pour qu’une sous-culture
puisse naître, il faut qu’elle puisse s’isoler du reste de la société. Or Matza observe

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que la culture dominante, celle des adultes, imprègne tout le système de valeurs des
adolescents qui restent ainsi encerclés par la culture conventionnelle. D'ailleurs,
Matza observe que lorsque l'on demande à des délinquants de hiérarchiser un certain
nombre de délits, on retrouve exactement la même hiérarchie que celle constatée
chez les individus qui mènent une vie conventionnelle.

1§ Délinquance : une situation atypique

Pour Matza, la délinquance se définit donc davantage par les situations typiques
auxquelles sont confrontés les délinquants que par une culture. Certes, on a vu que,
parmi ces situations, il en est une qui est déterminante dans l’élaboration de la
théorie de la sous-culture, c'est celle que Matza appelle la "situation de compagnie",
c'est-à-dire le fait d'appartenir à une "bande". C'est dans l'existence de cette "bande"
que les auteurs culturalistes ont fondé leur théorie de la sous-culture délinquante, en
partant de l'idée que pour que la bande se soude, il faut que ses membres partagent
un code commun ; et c'est ce code qui serait l'expression de la sous-culture. Au
contraire, pour Matza, le ciment de la bande, ce qui unit le groupe, n'est pas le
consensus mais un dissensus : chaque membre du groupe pense que les autres sont
engagés dans la délinquance au contraire de lui-même qui se conçoit comme une
exception en compagnie de vrais délinquants. Ainsi, l'image que chacun des
membres du groupe se fait de lui-même ne coïncide pas avec l'image que se font
d'eux les autres membres du groupe. Matza observe alors que les adolescents ont
d'ailleurs une conscience diffuse de ce quiproquo et que ce quiproquo fait naître, en
chacun d'eux une sorte d'angoisse statutaire, c'est-à-dire une anxiété qui porte sur
son identité sociale. D'où, entre ces adolescents des provocations, du genre "si t'es un
homme...; t'es pas capable de...; tu ne feras pas ça parce que t'as la trouille...; destinées
à leur permettre d'assurer leur statut.

§3. Technique de neutralisation

Pour Matza, le délinquant participe pleinement à l’univers de la normalité tout en y


dérogeant. Il se trouve dans une situation paradoxale : avoir surmonté les
incompatibilités pratiques qui naissent du heurt entre registres d’interprétation de
l’action opposés. Il est difficile, voire incompatible d’être voleur et honnête en même
temps, de tuer en respectant les principes moraux, se droguer en niant l’anormalité
de cette accoutumance.

Matza pense donc qu’il n’existe pas de sous-culture délinquante, c’est-à-dire de


système de valeurs délinquantes qui s’opposerait à la culture conventionnelle. Pour

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lui, ce qui est important pour caractériser les jeunes délinquants est le rapport qu’ils
entretiennent à l’égard de la culture conventionnelle et, en particulier, à l’égard de la
loi. Et, pour Matza, la caractéristique essentielle des jeunes délinquants est leur
profonde volonté de s'intégrer dans la société. En cela, ils ne diffèrent pas des autres
adolescents. Ainsi, en transgressant une règle, le jeune délinquant ne cherche pas à affirmer
une autre règle. Au contraire, en commettant une infraction, l'adolescent sait commettre une
infraction, il est bien conscient de ce qu'il fait. Mais il postule que la loi n'est pas applicable
dans son cas. Par exemple, le jeune délinquant niera sa responsabilité ("ce n’est pas de
ma faute"; c'est un accident") ou invoquera des forces sur lesquelles il n'a pas de
contrôle ("j'ai perdu mon sang-froid). Bref, le jeune délinquant met en place ce que
Matza appelle, comme Becker, un mécanisme de neutralisation52 consistant à annuler
le caractère délictueux de l'infraction.

Matza se demande alors comment, par cette neutralisation, le jeune arrive à convertir
le délit en simple action. Pour lui, le jeune ne fait rien d'autre que de mettre en
pratique ce qu'il apprend dès ses premiers contacts avec l'institution judiciaire. En
effet, pour le juge, il n'y a délit que si certaines conditions bien précises sont remplies,
et en particulier la conscience de commettre un délit. Et, concernant la justice des
mineurs aux Etats-Unis, les critères par lesquels est appréciée la culpabilité d'un
enfant sont très flous, le principe étant celui de la justice individualisée à chaque type
d'enfant ou d'adolescent.

Matza montre donc que l'institution judiciaire produit les délinquants qu'elle est
chargée, en principe, de combattre. En cela, il est fidèle au courant interactionniste.
Mais, en même temps, il va plus loin : en effet, pour lui, la justice la plus libérale, la
plus humaniste, c'est-à-dire celle qui prend le plus en compte l'infinité des
circonstances atténuantes (l'enfance, la famille, la société...) est aussi celle qui
contribue le plus fortement à généraliser la neutralisation, la dérive, et donc la
délinquance juvénile. Elle fournit aux jeunes les arguments dont ils ont besoin pour
se séparer de l'ordre légal et parti à la dérive vers la délinquance.

IV. Théorie de la domination et la criminologie critique

52
- Déni de responsabilité : le délinquant peut justifier son action en prétendant qu’il agit sous l’empire de causes extérieures ;
- Déni du mal causé : les jeunes délinquants s’attachent à estimer l’importance des torts que leurs forfaits occasionnent ;
- Déni de la victime : le délinquant fait valoir que la victime méritait le sort qui lui a été fait
- L’accusation des accusateurs : ici au lieu de justifier ses propre méfaits ; le délinquant s’en prend aux mobiles de ceux qui le condamnent : le policiers sont des
corrompus
- La soumission à des loyautés supérieures : respect des prescriptions du système normatif général peut être suspendu lorsque les circonstances obligent un
individu à obéir à celle d’un système normatif particulier.

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Dans le champ disciplinaire que l’on désigne sous le vocable général de la
criminologie, on retrouve de nombreuses approches et perspectives dont la variété
témoigne du caractère hétérogène – certains diront hétéroclite – de la discipline. Il
devient dès lors difficile d’y circonscrire un champ d’étude général, ce qui nous
autorise à postuler l’existence d’une pluralité de criminologies : criminologie du
passage à l’acte, criminologie clinique, criminologie critique, criminologie de la
réaction sociale, etc. Dans ce foisonnement de criminologies, la criminologie critique
se distingue à la fois par sa posture épistémologique et par son engagement politique
explicite. Nous proposons ici de présenter brièvement ces deux aspects spécifiques
qui permettent de distinguer la criminologie critique des autres criminologies.

La criminologie critique, appelée aussi criminologie nouvelle ou criminologie néo-


marxiste est apparue dans les années 60-70, dans les pays anglo-saxons.Dans
l'ouvrage de Taylor, Walton et Young " The new criminology" (1967), l'action
criminelle est considérée comme un acte politique par lequel un délinquant exprime
son rejet du pouvoir en place, un refus de l'organisation sociale de la société
capitaliste qui crée des discriminations.

La criminologie critique est un mouvement qui apparaît en opposition à l'interaction


symbolique. Cette criminologie a pour ambition de montrer que l'analyse du crime
ne peut se concevoir indépendamment des systèmes économiques et politiques dans
lesquels s'inscrit le crime. Ce courant est influencé par les thèses marxistes et la
sociologie du conflit. Il est également marqué par des théories radicales (telles les
luttes sociales et le féminisme), les questions suscitées par la guerre du Vietnam, la
révolte de la jeunesse (jeunesse bourgeoise,

mai 1968) Cette criminologie est militante. Elle conçoit le crime comme la résultante
d'un rapport politique ou économique de domination. Elle poursuit un objectif de
transformation des rapports politiques et sociaux.

La sociologie du conflit peut être représentée par TURK. Elle considère la société
comme composée de groupe en compétition ; chaque groupe luttant pour le contrôle
et la domination.

Les conflits peuvent porter sur des richesses mais également sur des problèmes de
cultures, de religion...

Cette conception amène à considérer le droit non pas comme le produit d'un
consensus social mais comme le reflet des valeurs du groupe dominant et qui, par

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conséquent, dispose du pouvoir d'influencer le droit. Le droit pénal serait, en fait, un
instrument politique mis en place par la classe dominante pour maintenir l'ordre
social et économique et pour criminaliser ceux qui menacent la position dominante
du groupe.

La criminologie néo-marxiste (caractérisée par un ouvrage collectif de TAYLOR,


WALTON & YOUNG) critique l'approche du conflit au motif que cette dernière
prend trop peu en considération la nature fondamentalement économique du conflit
social.

Dans nos sociétés, une petite part de la population (la bourgeoisie) détient une très
grande part des richesses. La structure sociale serait donc criminogène. L'analyse se
base donc sur la répartition des richesses. Le droit pénal ne sert qu'à la défense du
système en place, à assurer son maintien. La loi pénale n'est appliquée qu'à la classe
dominée. Lorsque la loi pénale est appliquée à un membre de la classe dominante,
c’est uniquement pour en faire un bouc émissaire dans le but de renforcer le mythe
de la neutralité de la loi. La criminologie critique démontre que les grandes
puissances peuvent impunément violer les lois de protection de l'environnement, de
santé... Elles parviennent à détourner l'attention des délits qu'elles commettent sur les
crimes commis par la classe populaire.

GRAHAM illustre ces théories en démontrant comment les grandes industries


pharmaceutiques ont tout mis en œuvre pour empêcher la criminalisation de leurs
produits : des lobbys ont fait pression pour empêcher l'interdiction des
amphétamines, du Valium, ...Dans cette perspective, le crime est envisagé comme un
acte politique, un acte de refus à l'égard d'une organisation sociale totalitaire et
capitaliste.

Ces travaux arrivent dans la criminologie de langue française à travers les travaux de
Michel FOUCAULT et de Robert CASTEL. Elle se consacre progressivement à la
procédure de la gestion de la déviance.

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Section III: Théorie de l’acteur sociale de Christian Debuyst

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Christian Debuyst était assistant d’Etienne de Greeff depuis 1951. Il a défendu sa
thèse de doctorat en 1959 et est nommé maître de conférences dès 1962. Il reprendra
plus tard la présidence de l’École de criminologie. Il a créé la théorie de « l’acteur
social ». Christian Debuyst explique qu’il est inutile de s’interroger sur le libre arbitre
de celui qui commet un crime ni même sur son déterminisme sauf les malades
mentaux. Ce qui lui parait utile est d’envisager l’homme délinquant comme un
acteur social. On ne peut pas juger d’une personne en la sortant de son contexte, de
son milieu. Il existe un système d’interrelation dans lequel chacun d’entre nous vit.
Cette notion d’acteur social renvoie au fait que tout individu est un sujet ayant un
point de vue qui se constitue progressivement en lien avec une série de variable :
l’histoire personnelle, la place que l’on occupe dans la société, les projets que l’on est
en mesure de construire, les difficultés auxquelles on est ou non confrontées.
Approcher le délinquant comme un acteur social permet d’enrichir la compréhension
de son acte. L’acteur social est un sujet ayant un point de vue qui se constitue
progressivement. Debuyst , a eu le mérite de systématiser le concept d’acteur social
comme grille de lecture du système de justice pénale. Il le définit de la manière
suivante : « sous le terme d’acteur social, sont présentes les idées que d’abord, le sujet
n’est pas un être passif dont le comportement résulterait du jeu des déterminismes
ou pourrait s’expliquer en termes de stimulus-réaction ; que d’autre part, il ne
constitue pas une abstraction dans la mesure où il est porteur d’un point de vue
propre qui dépend de la position qu’il occupe dans le cadre social, de l’histoire qui a
été sienne et des projets autour desquels son activité s’organise, que finalement, il est
appelé à être acteur, c’est-à-dire agissant ou intervenant et qu’il se trouve de ce fait
confronté à des règles, c’est-à-dire à un langage selon lequel il importe de s’exprimer,
confronté également au fait de se trouver constamment pris dans les jeux de pouvoir
et de vivre dans ses relations avec les autres à l’intérieur ou au-delà de ces jeux, des
processus de reconnaissance ou de non-reconnaissance qui paraissent essentiels dans
’élaboration de sa propre identité » (Debuyst, 1990 : 25-26 ; Debuyst, 2004 : 68). Cette
manière de définir le concept d’acteur social, bien que large, constitue une double
prise de distance par rapport aux positions de l’école positiviste italienne et par
rapport à celles de l’école pénale classique, car elle permet de considérer, « d’une
part, que l’homme situe ce à quoi il se trouve confronté par rapport à ses expériences
et la manière dont il les interprète, par rapport aux autres éléments constitutifs du
monde qui l’entoure, et réagit en fonction d’une stratégie ou, d’une manière plus
précise, d’un projet plus ou moins explicite qui l’anime, et d’autre part, le sujet
comme pôle interprétant et agissant à partir d’un point de vue qui a sa particularité
et qu’il importe de prendre en compte » (Debuyst, 1990 : 25-26). Le concept d’acteur

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103
social s’inscrit dans la perspective phénoménologique qui s’est développée à partir
des années 1925-1930 en psychiatrie et en criminologie et qui s’est caractérisée par «
la volonté d’atteindre le vécu du sujet ainsi que le monde des représentations à partir
duquel son comportement prenait sens » (Debuyst, 1990: 27). Cette perspective prend
en compte, au-delà de la fiction juridique du libre arbitre de l’école classique et en
quelque sorte au-delà du jeu des déterminismes de l’école positiviste italienne, « la
notion de liberté ou deresponsabilités vécues » (Bebuyst, 1990 : 100).

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104
CONCLUSION GENERALE

Dans le cadre de cours, notre objectif était de donner quelques outils scientifiques à
partir desquels, le lecteur peut expliquer et comprendre le phénomène criminel.
Nous avons vu qu’il était difficile de définir la criminologie en raison de la
controverse autour de son statut théorique et épistémologique. Malgré cette
controverse doctrinale, les différentes approches ou tendances se rejoignent sur
l’étude du phénomène criminel dans ses différents aspects.

La question du pourquoi et comment devient-on délinquant est encore d’actualité


dans notre pays mais les réponses à cette question ne sont pas à notre avis adéquates.
Les recherches en criminologie permettent non seulement de répondre de manière
générale à toutes questions mais aussi de prévenir le passage à l’acte (prophylaxie
criminelle). Plusieurs approches en criminologie ont pour objectif d’expliquer ou de
donner le sens à l’action criminelle ou le passage à l’acte. Chaque analyse
criminologique, traduit une facette du phénomène criminel sans parvenir à tout à
fait en épuiser les gisements possible du sens. Chaque approche suggère sa lecture de
l’action criminelle sans être nécessairement contradictoire avec un autre.

Avec les différentes théories étudiées dans le cadre de ce cours, nous pensons que le
lecteur, peut lire autrement la réalité sociale congolaise ainsi que l’action délinquante.
Dans l’approche écologique par exemple, les auteurs pensent qu’au lieu d’essayer de
dissuader les citoyens par le pénal, il serait efficace d’agir sur le milieu ou sur
l’environnement. Dans un climat de désordre social, les causes se trouvent dans la
structure elle-même. La délinquance peut être considérée comme un message, un
langage de force. Il faut arriver à comprendre le processus du passage à l’acte en
intégrant tous les aspects criminologiques en amont et en aval. Ce support étant
provisoire, cette conclusion sera remaniée au fur et à mesure que nos recherches
avancent.

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105
APPENDICE

Le tableau ci-dessous présente une synthèse des théories développées par quelques
auteurs vue dans ce cours.

Thorsten SELLIN (1896-1994)

L'approche culturaliste de la délinquance provient de recherches au sein de l'Ecole


de Chicago, sans que l'on puisse affirmer que cette école est une école culturaliste.
Car elle ne se réfère pas aux travaux anthropologiques culturalistes et ne prend pas
la culture pour objet d'étude principal. En fait, les premiers chercheurs se penchent
essentiellement sur les conditions et les effets de la désorganisation sociale qui
affecte le développement des grands centres urbains. Les thèmes abordés,
immigration, relations ethniques, assimilation, socialisation, ont une dimension
culturelle. Si bien, sans que les auteurs de ces études le veuillent au départ, la
problématique de déplace de la désorganisation sociale à la désorganisation
culturelle. Par Ecole de Chicago, pour reprendre la définition de A COULON
(L'Ecole de Chicago, PUF, Que sais-je?; 1992) et celle de J-M CHAPOULIE (La
tradition sociologique de Chicago, 1892-1961, Le Seuil, 2001), on désigne
généralement l'ensemble relativement cohérent des travaux réalisés entre 1915 et
1940 par des enseignants et des étudiants de l'Université de Chicago publiés dans
l'American Journal of Sociology ou dans une collection propre à cette université.
Ce qui explique que le poids de cette approche sociologique n'est pas représenté
par quelques ouvrages à fort tirage mais par les articles multiples consacrés à cette
question et qui influencent de proche en proche un certain nombre d'ouvrages
importants. Cette constatation est vraie dans beaucoup de disciplines, mais
particulièrement dans la criminologie ou la sociologie criminelle qui puise dans le
fonds très importants d'études empiriques réalisées sur le terrain. Cette sociologie
est de fait également une sociologie réformiste dont l'ambition n'est pas théorique
mais pratique, qui cherche à influencer directement les décisions des diverses
instances politiques. Edwin SUTHERLAND, adhère à cette perspective (Conflits
de culture et criminalité, Pédone, 1984, traduction de l'édition de 1938). L'homme
nait dans une culture et y apprend les manières d'agir et de penser qu'on y diffuse
et aussi les significations que l'on y donne "aux coutumes, aux croyances, aux
objets et à ses propres relations avec ses semblables ou avec les institutions
sociales". Poursuivant les travaux de Louis WIRTH, il propose un modèle explicatif
de la criminalité dans des situations de pluralisme culturel. Son analyse est centrée

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106
sur les conflits susceptibles d'exister entre les normes américaines et les normes
culturelles des immigrés, mais peut s'appliquer également à nombre de situations
européennes ou dans les situations coloniales. Il développe l'analyse d'un
relativisme culturel qu'il retrouve dans le code français (d'alors) qui ne permet pas
par exemple de tuer pour sauver son honneur, tandis que les normes kabyles
acceptent la réaction meurtrière du mari face à l'adultère de son épouse. La
modification des caractères de la criminalité d'une génération à l'autre constitue un
indice du comblement d'un fossé culturel originel. Les conflits de culture peuvent
d'après lui se produire dans trois contextes :

- à la frontière de zones de cultures contiguës, par simple contact ;


- quand la loi d'un groupe culturel est étendue pour couvrir le territoire d'un
autre groupe ;
- lorsque les membres d'un groupe culturel émigrent dans un autre groupe.

Le même auteur considère que les crimes des immigrants - surestimés dans les
statistiques parce qu'ils constituent des populations plus surveillées que d'autres,
sont des résultants soit d'un conflit entre les normes de conduite de la culture
nouvelle et celle de l'ancienne, soit du changement d'un environnement rural pour
un environnement urbain, ou bien du passage d'une société homogènes bien
organisée à une société hétérogène désorganisée. Il examine pour la montré les
modalités du contrôle parental. Il fournit là un modèle explicatif de la délinquance
des étrangers et des migrants qui sont utilisées par la suite dans un nombre
considérable de travaux sociologiques. Il ne nie pas l'influence possible de la
position sociale ou économique des individus dans la société mais souligne la
dimension culturelle d'un certain nombre de particularismes comportementaux
sans la prise en compte desquels on ne peut comprendre l'usage immodéré des
armes, les rituels de vengeance ou les querelles d'honneur. Son schéma explicatif
est bien entendu critiquer par ailleurs, sur principalement trois points :

- il accorderait une force trop grande au processus de socialisation en


considérant que toutes les normes culturelles doivent être nécessairement
intériorisées ;

- il surestimerait les différences entre les codes culturels, alors que des
préceptes majeurs se retrouvent dans toutes les civilisations (sur le vol, sur
le meurtre...) ;

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107
- il n'éclairerait pas le paradoxe suivant lequel la première génération, la plus
violemment confrontée au conflit de culture, ait une moins grande
propension à la délinquance que la deuxième génération. Mais sur ce point,
sa critique des statistiques devrait éclairer.

Pour Thorsten SELLIN, le phénomène criminel, d'une manière générale, révèle ce


qu'il désigne comme des conflits de culture. Plus une société se complexifie, écrit-il,
plus tend à s'élargir le nombre de groupes normatifs (producteur de normes et de
régulations spécifiques) - familial, professionnel, politique, religieux, de loisir... -
auxquels est susceptible de se rattacher l'individu, et plus il est probable que les
normes de ces groupes multiples feront apparaître des divergences et cela, quels
que soient les traits communs dus à l'acceptation générale de certaines normes. Il y
a conflit de culture (de valeurs et de normes), lorsque les règles de conduite, plus
ou moins divergentes, viennent concurremment régir l'économie de telle ou telle
situation particulière dans laquelle se trouve, à un moment donné, un individu. Ce
genre de situation engendre un état de désorganisation sociale, état consécutif à
l'éclatement des valeurs résultant de l'atomisation du corps social (la multiplication
des groupes secondaires) et peut placer l'individu dans une situation d'anomie.

Merton

Il part de l'observation que les individus dans une société agissent en fonction
d’objectifs et grâce à des moyens. Le sociologue prend l'exemple, dans les années
1950 aux États-Unis, d’individus ayant pour objectif de s’enrichir mais qui, ne
possédant pas les moyens de le faire (manque d'argent, d'éducation, etc). vont
utiliser des moyens illégaux pour s'enrichir.

La représentation structuro-fonctionnelle de Merton de la déviance et l'anomie.

Merton les appelle innovateurs même si ceux-ci sont considérés comme des
criminels. En les valorisant, il déplace le problème de la criminalité. L’origine du
problème se trouve dans la vie sociale, comme le prouverait l'exemple, aux États-
Unis, de l’enrichissement personnel avec des moyens différents selon les individus.

Le sociologue est à l'origine de la notion de dysfonction sociale : lorsque les


conséquences d’un fait social empêchent le système de s’adapter et risquent de
rendre difficile ou impossible son maintien (par exemple la criminalité urbaine
entraîne des conséquences dysfonctionnelles comme l'insécurité, certaines
dégradations, etc.).

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On distinguerait donc « fonction manifeste » et « fonction latente » :

Fonction manifeste : volontaire, voulue, comprise. Il y a des conséquences


objectives qui contribuent à son ajustement ou son adaptation.

Fonction latente : involontaire, pas comprise, ni voulue. Les conséquences sont du


même ordre que la fonction manifeste mais elles sont involontaires et
inconscientes.

À travers cette distinction figure une tentative d'analyse de pratiques qui


paraissent socialement irrationnelles en allant plus loin que les jugements moraux.
L'analyse fonctionnaliste que Merton utilise se fait en cinq étapes : description
spécifique de ce qui est étudié ; indication des types d'alternative ; évaluation de la
signification de l'activité déviante ; identification des motifs de conformisme ou de
déviance et description des modèles non reconnus.

Dans le même ordre d'idées, Merton étudie le système politique. Il montre qu'une
élection recouvre les deux fonctions écrites précédemment : la fonction manifeste
pour le vainqueur est de gagner l'élection, et la fonction latente est que l'élection
peut jouer le rôle d'ascenseur social.

Richard CLOWARD et Lloyd OHLIN

(Delinquency and Opportunity, The Free Press, 1960) proposent une extension de
la théorie de l'anomie, qui synthétise la théorie de MERTON avec celle des
associations différentielles de SUTHERLAND et celle de la désorganisation sociale
de SHAW et Mac KAY. "L'expérience du désespoir né de la certitude que leur
position dans la structure économique est à peu près fixe et immuable" pousse les
individus à chercher une réponse collective à la tension qu'ils éprouvent. La
délinquance est une des réponses. Mais ne devient pas délinquant qui veut car les
opportunités illégitimes sont elles aussi restreintes. La délinquance est un
ensemble de pratiques organisées exigeant certaines conditions. la probabilité de
les réunir diffère selon la position occupée par les individus dans la structure
sociale. La combinaison des possibilités de délinquance peut produire trois types
de sous-culture :

- Une sous-culture criminelle, qui prend naissance dans des quartiers


relativement organisés où les jeunes se socialisent au contact de pairs plus
âgés, dotés d'une expérience et modèle d'une certaine réussite sociale

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manifestée par des signes extérieurs souvent clinquants ;
- Une sous-culture conflictuelle, qui prend naissance dans les zones de
désorganisation sociale. Les jeunes développent des comportements
inadaptés et réfractaires qui les exposent au contrôle répressif, sans le
bénéfice de protections particulières ;
- Une sous-culture de l'évasion (qui rejoint le 4ème type de MERTON) qui
rassemble les individus qui se trouvent dans une situation de double échec :
échec dans l'intégration avec des moyens légitimes, échec dans l'intégration
avec des moyens illégitimes.

Cette théorie des opportunités différentielles affine celle de MERTON et met en


lumière le fait que l'engagement dans la délinquance dépend des capacités plus ou
moins avérées des individus à participer à l'univers de la criminalité organisée.

Cette notion de sous-culture est contestée radicalement par des auteurs comme
David MATZA (Delinquency and Drift, New York, Wiley, 1964). Il reproche à cette
théorie de reposer sur deux postulats erronés :

- Les valeurs délinquantes sont différentes des valeurs non-délinquantes ;


- Le délinquant agit toujours en accord avec ces valeurs.

Or, pour lui, les délinquants ne sont pas en conflit permanent avec la société. Ils
glissent ou dérivent dans la délinquance par une séquence de mouvements
graduels, non perçus par l'acteur comme tels, "le délinquant existe, de façon
transitoire dans les limbes entre la convention et le crime, répondant à tour de rôle
à la demande de chacun, flirtant tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre, mais
repoussant à plus tard l'engagement, évitant la décision. Ainsi le délinquant dérive
entre l'action criminelle et l'action conventionnelle". La culture dominante
imprègne tout leur système de valeurs car ils sont encerclés par les membres de la
société adulte : "Le délinquant n'est pas un étranger à la société dans laquelle il vit
mais il en est le reflet dérangeant, une caricature." Il reconnaît ou connaît la légalité
ou l'illégalité d'un acte, classe les infractions comme tout autre citoyen, et parfois
dénonce (plus que lui souvent) l'immoralité ou l'injustice d'une agression (violeurs,
assassins d'enfants et délateurs)...

Il nous semble en effet que le délinquant juvénile soit parfois bien plus conformiste
que d'autres citoyens et en tout cas se différencie nettement par son comportement
d'autres enfants ou adolescents qui pourraient contester certaines valeurs de la
société et devenir plus tard des militants politiques. C'est faire fausse route que de

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lui accorder la constance et la rationalité face aux situations qu'il endure.

Edwin SUTHERLAND:

La criminalité est apprise au contact de pairs délinquants (théorie originellement


publiée en 1947; l’édition de 1992 est exactement semblable).

a. Sutherland appelle sa théorie « association différentielle ». Le délinquant


adopte une identité délinquante en apprenant de nouvelles définitions des
faits sociaux qui l’entourent. Il apprend également des techniques, mais ceci
est secondaire pour Sutherland.

b. Ainsi, la délinquance est le résultat d’une prépondérance de « définitions »


favorables ou défavorables à la violation de la norme (ce qui est acceptable /
inacceptable). « Prépondérance » : résultat d’une combinaison de proximité
affective, proximité temporelle, répétition et d’autorité.

c. 9 principes d’une explication « génétique » (au sens de processus) (Edwin


Sutherland et Donald Cressey (1939), Principes de criminologie, Paris,
Cujas, 1966).

i. le comportement criminel est appris. Personne ne naît criminel.


ii. appris au contact d’autres personnes, communication verbale ou exemple.
iii. surtout appris à l’intérieur d’un groupe restreint (« prépondérance »).
Médias = influence distante et hors contexte immédiat (évidemment, les
médias n’étaient pas à l’époque ce qu’ils sont aujourd’hui). Ici il y a un lien
clair avec le « groupe de référence » dont il était question plus haut.
iv. apprentissage c’est d’apprendre à la fois des techniques et méthodes ainsi
que des buts, raisonnements et attitudes.

v. l’orientation ou la cible de l’opportunisme (généralisé chez les jeunes) est


fonction de l’interprétation favorable ou non des règles et non seulement de
la simple disponibilité des opportunités. Les opportunités ne sont pas des
données objectives.
vi. Un individu devient délinquant quand les interprétations des règles qui lui
sont connues sont à prépondérance négative. Ceci est le principe général de
l’association différentielle, qui s’applique également (à l’inverse) aux

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groupes non-délinquants.
vii. Les associations différentielles varient en intensité, fréquence, durée. On
peut aussi les modifier.
viii. La formation obtenue, qu’elle soit pro ou anti-crime, procède du même
mécanisme d’apprentissage par l’exemple et le symbole.
ix. Les buts des individus ne sont pas une explication du crime, puisqu’ils ne
différencient pas les délinquants des non-délinquants. Il faut chercher donc
l’explication ailleurs.

d. Ceci explique bien l’écologie criminelle : là où se trouvent beaucoup de


délinquants, beaucoup d’autres délinquants sont produits par association.
e. La théorie est également compatible avec le concept de désorganisation
sociale : la multiplication de groupes délinquants cause une perte de
confiance des résidents, une prise de contrôle par les gangs, et une police
inefficace (la police est réactive, et ici, n’a plus rien à quoi réagir puisque
personne ne l’appelle et personne ne coopère).
f. Il est important de noter que si le délinquant adopte une attitude et un mode
de vie, il adopte également l’identité de délinquant.

L'INTERACTIONNISME SYMBOLIQUE

Herbert BLUMER

a. L’expression « interactionnisme symbolique » en 1969. Il en jette trois bases :

i. Les humains agissent en fonction de leur perception de la réalité


ii. Nos interprétations subjectives de la réalité proviennent de ce que nous avons
appris des autres autour de nous
iii.Les humains ré-interprètent constamment leur propre comportement, ainsi que
celui des autres, à l’aide de symboles et de définitions apprises.

b. L’étiquetage : nommer c’est transformer. Frank Tannenbaum (1940) explique


que la plupart de jeunes testent les limites de ce qui est permis. Cependant,
certains d’entre eux sont identifiés comme « méchants » ou « irrécupérables ».
Terme : dramatization of evil, la dramatisation du mal. « Dramatisation » au
sens d’une pièce de théâtre, où chacun est appelé à jouer son rôle. Fonctionne
pour les bons élèves également.
c. Edwin Lemert (1940-50) utilise l’expression « self-fulfilling prophecy »

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112
(prophétie qui se réalise d’elle-même) pour illustrer le concept.

i. Il appelle la petite délinquance occasionnelle, très répandue, déviance


primaire (pré-étiquetage). Tout le monde s’y adonne à un moment où à un
autre. La plupart ne se font jamais prendre.
ii. Certains ce font attraper par les autorités. Une fois que le déviant est identifié
et qu’on commence à le ou la traiter comme tel(le), une autre forme de
délinquance surgit, qu’il nomme déviance secondaire. Celle-ci est directement
causée par la réaction de l’entourage (c’est le paradigme de la « réaction
sociale » comme cause de délinquance).
iii.Le rôle de déviant est une prophétie au sens où au moment où on colle
l’étiquette sur l’individu, il n’est pas plus déviant qu’un autre. Elle se réalise
pourtant d’elle-même parce qu’une fois identifié comme tel le déviant est pris
dans des ornières. Il est stigmatisé :

(1) on le surveille de plus près;

(2) on ne le laisse plus participer à des activités normales;

(3) on le sépare d’autres jeunes non-délinquants pour éviter qu’il les contamine;

(4) se faisant, il ne lui reste plus qu’à fréquenter d’autres étiquetés comme lui;

(5) on l’accuse dès que quelque chose va mal;

(6) on le punit plus sévèrement que les autres (parce qu’il est plus méchant);

(7) Il arrive à croire qu’il est vraiment différent des autres, puisqu’on le traite
différemment.

(8) Et il agit en conséquence (délinquance secondaire).

iv. C’est ce que Lemert appelle les « effets pervers du système de justice » : nos
méthodes de contrôle du crime en produisent davantage. Conséquence
pratique : bien des systèmes de justice (surtout dans les années 1970) ont
adopté une approche minimaliste, surtout pour les jeunes.
v. Attention : il ne faut pas en déduire qu’il suffit de nommer quelqu’un «
déviant » pour que le processus s’enclenche. Souvent, l’étiquette ne colle
pas. C’est que la plupart des gens appartiennent à des groupes multiples, et
que chacun de ces groupes ne lui appliquent pas nécessairement la même

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113
étiquette.

Howard BECKER : Outsiders

a. Becker reprend la théorie de l’étiquetage et la pousse plus loin. Jusqu’ici elle


n’est qu’« étiologique » (établit une cause) à la délinquance. Becker va un
peu plus loin, mais il commence de la même façon, en appelant les déviants
étiquetés des outsiders, c’est-à-dire des personnes exclues du groupe dont
elles faisaient partie (ce groupe peut être la famille, des amis, des camarades
de travail, un club, un parti politique, un genre, une ethnie, etc., etc.; en fait,
nous appartenons toujours à une multiplicité de groupes). Le groupe exclue
des individus pour protéger et/ou renforcer sa définition de lui-même.

b. La chose la plus importante que remarque Becker : la réaction d’exclusion


du groupe n’est pas prévisible à la simple connaissance de ses règles; dans
certains cas un bris de règle cause une réaction, dans d’autres, non.

c. Dans son étude des fumeurs de marijuana (conduite qui, à l’époque, était
passablement plus grave qu’aujourd’hui), Becker constate deux choses
intéressantes :

i. le fumeur débutant « apprend » à reconnaître et à apprécier les effets de la


mari à l’usage. Autrement dit, ses motifs de continuer se développent à
mesure qu’il s’adonne à sa consommation et y prend goût — sa déviance
est le résultat de sa pratique, et non le contraire.
ii. Les fumeurs apprennent également à ne plus se sentir coupable de
consommer une drogue illégale quand ils décident que les opinions de
ceux qui sont contre, ainsi que la loi, sont mal informés.
iii. Autrement dit, on devient outsider en interaction avec les autres, et non
seulement à cause d’un comportement.

d. Si le fumeur de mari est désigné comme « outsider », il peut :

i. Continuer d’appartenir ou se joindre à un autre groupe (celui des


fumeurs).
ii. Retourner la définition à l’envers et désigner ses accusateurs comme

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outsiders eux-mêmes.
iii. Accepter sa déviance et son exclusion.

e. D’une manière ou d’une autre, le caractère déviant de son activité provient


de la réaction des autres. L’activité n’est pas déviante en elle-même — ni
même parce qu’elle va à l’encontre de certaines règles : il faut une réaction
concrète.

f. La déviance est donc créée par la société — non pas au sens où des facteurs
sociaux poussent à la déviance (Merton ou Miller), mais au sens où c’est la
société qui créé des règles et qui les applique. Cette application créé des
exclus, ou « outsiders ». Ainsi, le criminologue doit s’intéresser à
l’organisation de la réponse sociale, et non à la déviance, qui en est
simplement le résultat. Ceci est différent de l’approche étiologique
précédente (étiquetage) : Becker renverse complètement le sujet à expliquer.
Il ne prétend pas que les crimes n’ont pas lieu, ou que personne n’en est
l’auteur; seulement, que le caractère principal de l’acte et de l’auteur est
qu’ils sont sujets à une réaction particulière de la part des autres membres
du groupe.

g. Becker prend l’exemple des indigènes des îles Trobriand et de leurs lois sur
l’inceste, telles que décrites par Malinowski (on peut trouver l’ouvrage sur
la toile). Notons au départ que les Trobriandais ont une définition spécifique
de l’inceste : le mariage doit être exogame (on ne se marie pas avec une
personne du même village). L’histoire est la suivante : Malinowski observe
qu’une liaison entre deux jeunes du même village est connue de tous, mais
personne n’en parle, et personne ne le dénonce. La situation change quand
un jeune homme d’un autre village se présente et demande la jeune femme
en mariage — comme elle refuse, il expose au grand jour son « inceste ». À
partir de ce moment — et seulement de ce moment — l’ensemble du village
dénonce cette conduite délinquante, et la honte s’abat sur les amoureux (ils
se suicident). Conclusion de Becker : ce n’est pas l’acte, ni les acteurs, qui
sont déviants; l’acte n’est rien, et n’a aucune conséquence, avant d’être
spécifiquement défini par le groupe.

h. Qui décide des règles? Y a-t-il consensus? NON.

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1. Premièrement, chaque sous-groupe définit ses règles dans un jeu de pouvoir
interne — il y a donc fort risque de friction (comme pour Miller).
2. Par ailleurs, il arrive fréquemment qu’un groupe décide d’imposer ses
règles à d’autres. Ceci est particulièrement évident dans le cas des règles
qu’on impose aux adolescents.

i. Les « entrepreneurs moraux » sont des gens qui tentent de mobiliser une
réaction anti-déviance; ils essaient d’organiser une croisade autour d’un
sujet qui leur paraît important (MADD, le Trobriandais jaloux, etc.). Ce
faisant, ils s’approprient le pouvoir d’exclure du groupe et s’adjugent une
identité de « super-membre », de modèle moral.

j. Conclusion : les individus créent les règles sociales en les appliquant. Elles
n’existent pas d’elles-mêmes.

BIBLIOGRAPHIE

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 COULON, A., L'École de Chicago, Paris, P.U.F. CHAZEL, F. (1967).
"Considérations sur la nature de l'anomie". Revue Française de Sociologie,
VIII, pp. 151-168,1922.
 DAVIS, K.,"Sexual Behavior", in Merton, R.K. et Nisbet, R. (Éds.),
Contemporary Social Problems, N.Y.: Harconit, Bran and Iovanovich, pp. 313-
405, 1971.

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117
 DEBUYST C., « une criminologie de l’étiquetage ou une criminologie du
passage à l’acte ? un problème que nous pose l’attitude clinique du Docteur E.
De GREEF », Annales internationales de criminologie, vol 12, Pp. 283-
290,1989.
 DEBUYST, Ch.,"Perspectives cliniques en criminologie. Le choix d'une
orientation". Revue internationale de criminologie et de police technique, 4,
pp. 405-418,1989.
 DIGNEFFE, F.,"Conduites déviantes, identité et valeurs. La perspective de E.
De Greeff". Déviance et Société, 13, (3), pp. 181-198,1989.
 DIGREEFF E., La Notion de Responsabilité en Anthropologie Criminelle » ;
revue de Droit pénal et de criminologie, vol. 11, PP. 445-460,1931.
 MEAD, G. H.,"The Psychology of Punitive Justice". The American Journal of
Sociology, XXIII, (5), pp. 577-602, 1918.
 MERTON R. K., Éléments de théorie et de méthode sociologique. Saint-Pierre
de Salenne : Gérard Monfort (Extraits : "Fonctions manifestes et fonctions
latentes", pp. 112-125 et "Quelques fonctions de la machine politique", pp.
126-139) ,1965.
 PIRES A.P., « De quelques enjeux épistémologiques d’une méthodologie
générale pour les sciences sociales », Dans J. Poupart et al, Boucherville,
Gaëtan Morin, PP.4-54
 SELLIN, T.,"Conflits culturels et criminalité". Revue de droit pénal et
criminologie, pp. 813-833 et 879-896,1938/1960

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION GENERALE............................................................................................1
PREMIERE PARTIE.................................................................................................................3
CRIMINOLOGIE : SCIENCE CONTROVERSEE................................................................3
CHAPITRE I..............................................................................................................................4
STATUT EPISTEMOLOGIQUE DE LA CRIMINOLOGIE................................................4
INTRODUCTION.................................................................................................................4
SECTION I: LES GRANDES REPRÉSENTATIONS MAJEURES DE LA
CRIMINOLOGIE..................................................................................................................5
§1. La première représentation.......................................................................................5
§2. La deuxième représentation......................................................................................6
§3. La troisième représentation.......................................................................................7
SECTION II : LA CRIMINOLOGIE : SA DEFINITION ET SON ÉVOLUTION....8
§2. Des pères fondateurs de la criminologie et de la date de naissance.................14
b. De la date de naissance de la criminologie.............................................................15
SECTION III : DIGRESSIONS SUR L'INVENTION DU TERME « CRIMINOLOGIE
» ET SES ÉQUIVALENTS..................................................................................................15
§1. Anthropologie criminelle........................................................................................16
§2. Sociologie criminelle....................................................................................................17

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§3. Biologie criminelle....................................................................................................18
SECTION IV : APPROCHE CONCEPTUELLES DE LA CRIMINOLOGIE..............18
§1. Criminologie comme science autonome...............................................................18
§2. La criminologie comme « champ d’étude » ou « corpus de connaissance »....19
§3. La criminologie comme une activité de connaissance........................................20
CHAPITRE II :........................................................................................................................23
LES COURANTS PARADIGMATIQUES EN CRIMINOLOGIE....................................23
SECTION I : PARADIGME ÉTIOLOGIQUE OU DU PASSAGE À L’ACTE...........24
§1.Notion générale.............................................................................................................24
§2. Les théories causales de la délinquance................................................................25
§3. Danger et faiblesse du paradigme de fait social ou étiologique........................28
SECTION II : LE PARADIGME DE LA RÉACTION SOCIALE OU DE LA
DÉFINITION SOCIALE....................................................................................................30
§1. Notion générale.........................................................................................................30
§2. Principe de « nullum crimen nulla poena sine lege »..........................................33
§3. Processus de criminalisation primaire et secondaire..........................................33
SECTION III : PARADIGME DES INTERACTIONS SOCIALES...............................34
§1. Dilemme paradigmatique........................................................................................34
§2. Solution au dilemme................................................................................................35
§3.Observations critiques..............................................................................................35
A. Criminologue personnage floue..................................................................................35
B. Danger dogmatique.......................................................................................................35
SECTION IV : APPROCHE ETHNO-CRIMINOLOGIQUE CONGOLAISE.............36
§1. La notion de crime ou infraction dans la culture congolaise.............................37
CHAPITRE III : LE CODE DE LANGAGE EN CRIMINOLOGIE SELON A. PIRES. .40
SECTION I. CODE INSTITUTIONNEL.........................................................................40
§1. Première caractéristique..........................................................................................40
§2. Deuxième caractéristique........................................................................................40
SECTION II. CODE DESCRIPTIF....................................................................................41
§1. Caractéristiques de ce code.....................................................................................41

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§2. Criminologie nouvelle selon A. Pires....................................................................42
DEUXIEME PARTIE :............................................................................................................43
DIFFÉRENTES APPROCHES THÉORIQUES EN CRIMINOLOGIE............................43
CHAPITRE I :..........................................................................................................................46
L'ECOLE DE CHICAGO : UNE ANALYSE EN TERMES DE MILIEU.........................46
§2. La délinquance comme une activité sportive ou une occupation.....................50
§1. Les facteurs sociaux de la délinquance juvénile...................................................51
§2. Délinquance area......................................................................................................51
CHAPITRE II :........................................................................................................................55
LE CULTURALISME.............................................................................................................55
Si les sociologues de l’Ecole de Chicago favorisent la notion de désorganisation
sociale dans l’explication du phénomène de délinquance, les culturalistes accordent
quant à eux, une importance accrue à la culture dans la formation-transformation de
l’individu. Pour les culturalistes, la société est un amas de cultures différentes, qui ne
favorisent pas toutes les mêmes valeurs et n’ont donc pas toutes les mêmes normes
de conduites. Ces cultures peuvent entrer en conflit sur certaines valeurs, sur
certaines normes et règles de conduites. Les valeurs « dominantes » et les normes de
conduite qui leur sont associées, ne le sont que parce que le groupe qui les impose
détient le pouvoir de le faire à un certain moment donné de l’histoire. Elles n’ont
donc rien d’universelles et d’immuables. Ainsi, les comportements jugés comme
déviants dans notre société actuelle ne le seront peut-être plus demain et ne le sont
peut-être pas dans une autre société appartenant à une culture différente..................55
Dans la perspective culturaliste, le poids de la culture est donc primordial dans la
formation-transformation de l’individu. C’est à travers le processus de socialisation,
l’apprentissage propre à chaque culture, qu’un individu devient ce qu’il est.............55
SECTION I : L'ORIENTATION THÉORIQUE DU CULTURALISME.......................55
§1. Les théories de la transmission culturelle.............................................................56
§2. Théorie de l’association différentielle d’Edwin Sutherland...............................57
§3. La théorie des conflits de culture : l'analyse de Thornstein SELLIN................60
CHAPITRE III :.......................................................................................................................66
LA DÉLINQUANCE COMME PRODUIT D'UNE SOUS-CULTURE...........................66
SECTION I: ANALYSE D’ALBERT K. COHEN............................................................66

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§1. Théorie de la sous-culture.......................................................................................67
CHAPITRE III :.......................................................................................................................74
LE FONCTIONNALISME....................................................................................................74
SECTION I : PARALLÉLISME DE FOND ENTRE APPROCHE CULTURALISME
ET FONCTIONNALISTE..................................................................................................74
§1. Par rapport au concept « statut »............................................................................74
§3. Du point de vue de la théorie de l’anticipation....................................................76
SECTION II : DU FONCTIONNALISME.......................................................................77
A. La théorie de l'anomie : Robert K. MERTON..........................................................77
§1 Généralité....................................................................................................................77
§2 Modes d’adaptation..................................................................................................79
B. La théorie des occasions illégitimes : l'analyse de CLOWARD et OHLIN.........81
§1. Concept d’occasion illégitime.................................................................................81
§2. Naissance de sous-culture délinquante.................................................................81
§3 De l’acte délinquant chez Cloward, Ohlin et Trasher..........................................82
CHAPITRE 4...........................................................................................................................87
L’INTERACTIONNISME SYMBOLIQUE..........................................................................87
SECTION I : LA THÉORIE DES RÔLES : G.H. MEAD................................................87
§1. L’esprit, le soi et la société.......................................................................................87
§2. Les implications de l'interactionnisme en criminologie......................................89
SECTION II : H.S. BECKER : LA THÉORIE DE L'ÉTIQUETAGE (LABELLING
THEORY).............................................................................................................................89
§1. Déviant comme Outsiders.......................................................................................89
§2 Carrière déviante.......................................................................................................92
§3. Fabrication de normes et de délinquants..............................................................96
SECTION III. LA "DÉRIVE" (DRIFT) : DAVID MATZA..............................................99
§1. Originalité de l’approche de Matza........................................................................99
1§ Délinquance : une situation atypique...................................................................100
§3. Technique de neutralisation..................................................................................100
CONCLUSION GENERALE..............................................................................................103

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122
BIBLIOGRAPHIE.............................................................................................................115
TABLE DES MATIÈRES......................................................................................................117

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