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Frédéric Rouvillois

Droit constitutionnel
e e
2. La V République - 5 édition

Flammarion

Collection : Champs
Maison d’édition : Flammarion

© Flammarion, 2001.
© Flammarion, 2016, pour cette édition.

ISBN numérique : 978-2-0813-9159-8


ISBN du pdf web : 978-2-0813-9160-4

Le livre a été imprimé sous les références :


ISBN : 978-2-0813-9158-1
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.
Présentation de l’éditeur :

Ce manuel en deux volumes (1. Fondements et pratiques ; 2. La Ve


République) est destiné aux étudiants en première année de licence
de droit et aux élèves des Instituts d’études politiques, ainsi qu’aux
candidats aux concours de la fonction publique.
La Ve République est née de la volonté de restaurer un État fort et
de rendre au pouvoir exécutif un rôle prépondérant. Mais les
cohabitations successives et les révisions constitutionnelles
favorables au renouveau du Parlement ont malmené ce schéma
initial. C’est dans cette perspective, celle d’une fragilisation encore
accrue par la révision du 23 juillet 2008, qu’il faut envisager la Ve
République. Après avoir évoqué la genèse de la Constitution du 4
octobre 1958, cet ouvrage présente les institutions qu’elle met en
place – le peuple, le président de la République, puis le couple
gouvernement/Parlement – (première partie), avant de s’attacher à
sa dimension « normative » (seconde partie), c’est-à-dire aux règles
qu’elle contient ou qu’elle organise sous l’égide du Conseil
constitutionnel, nouveau « gardien de la Constitution ».
Nouvelle édition revue et mise à jour, 2016.
Dans la même collection
Clémence Barray et Pierre-Xavier Boyer, Contentieux administratif.
Éric Canal-Forgues et Patrick Rambaud, Droit international public,
3e édition.
Michel Clapié, Manuel d’institutions européennes, 3e édition.
Jean-Pierre Clavier et François-Xavier Lucas, Droit commercial.
Emmanuel Dreyer, Droit pénal général.
Christophe de la Mardière, Droit fiscal général, 2e édition.
Rafael Encinas de Muñagorri, Introduction générale au droit,
4e édition.
Frédéric Rouvillois, Droit constitutionnel 1. Fondements et pratiques,
4e édition.
Frédéric Rouvillois, Libertés fondamentales, 2e édition.
Bertrand Seiller, Droit administratif 1. Les sources et le juge, 6e édition.
Bertrand Seiller, Droit administratif 2, 6e édition.
Sylvain Soleil, Introduction historique aux institutions, 3e édition.
Jean-Louis Thireau, Introduction historique au droit, 3e édition.
Droit
constitutionnel
Table des abréviations
AJDA Actualité juridique, droit administratif
AN Assemblée nationale
art. article
Ass. Assemblée
c. considérant
CCC Cahiers du Conseil constitutionnel
CCFP Commission nationale des comptes de campagne et des
financements politiques
CCP Commission constitutionnelle provisoire
CD Chambre des députés
CE Conseil d’État
CGCT Code général des collectivités territoriales
chr. chronique
D. Dalloz
déb. débats
DM Discours et messages (du général de Gaulle)
doc. documents
DPS Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du
4 octobre 1958
EDCE Études et documents du Conseil d’État
GAJA Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative
GD Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel
JCP Semaine juridique (ou Jurisclasseur périodique)
JO ou JORF Journal officiel de la République française
JOAN Journal officiel de l’Assemblée nationale
LC loi constitutionnelle
LO loi organique
LPA Les Petites Affiches
obs. observations
QPC Question prioritaire de constitutionnalité
R. Recueil Lebon
RAN Règlement de l’Assemblée nationale
RDP Revue du droit public et de la science politique
RF République française
RFDA Revue française de droit administratif
RFDC Revue française de droit constitutionnel
RFHIP Revue française d’histoire des idées politiques
RFSP Revue française de science politique
RPP Revue politique et parlementaire
RS Règlement du Sénat
s. section
S. Recueil Sirey
Introduction
L’Esprit de la constitution

« Une constitution, c’est un esprit, des institutions, une


pratique 1 » : cette remarque du général de Gaulle a été si souvent
répétée que l’on oublie parfois de s’interroger sur sa signification, et,
singulièrement, sur le plus obscur de ses termes. On comprend en
effet d’emblée ce que peuvent être les institutions et la pratique :
mais qu’en est-il de cet « esprit », auquel de Gaulle accorde la
première place ?

I. L’esprit

A. La notion
Le terme d’« esprit » est bien sûr susceptible de nombreuses
acceptions : c’est d’ailleurs ce qui rend la remarque aussi
énigmatique. Pourtant, on devine rapidement où de Gaulle, familier
de la pensée classique, a dû puiser son inspiration : dans une
terminologie qui remonte à L’Esprit des lois et, au-delà, au Traité des
lois de Jean Domat, à qui Montesquieu emprunta le titre de son
ouvrage. Dans cette littérature, le terme d’« esprit » a une
signification précise : c’est, explique Littré, ce d’après quoi on se
dirige ; ce qui en fait un synonyme de « principe » : « ce qui fait la
vie d’un État. Le gouvernement est frappé dans son principe ».
Domat, quant à lui, rapprochait l’esprit de l’intention de l’auteur de
la règle, et de l’objectif visé à travers elle 2. En ce sens, qui est celui
qu’utilise de Gaulle, l’esprit apparaît donc comme l’idée directrice, le
principe moteur, animateur et organisateur d’une règle ou d’un système.
Cette définition entraîne une première série de conséquences.
Tout d’abord, elle implique que c’est pour l’essentiel à l’origine du
système considéré que l’on pourra découvrir quel est son esprit.
D’où la nécessité permanente d’en revenir aux commencements :
retour qui ne manifeste, en ce qui concerne la Ve République, ni
idolâtrie des origines, ni fascination morbide pour les années 1960,
mais simplement le fait que pour comprendre un système, pour en
discerner l’esprit, il est indispensable de savoir par qui, comment,
pourquoi et selon quelle logique il a été fait.
Cette définition de l’esprit implique également que celui-ci
n’existe pas dans tous les cas. Une Constitution, contrairement à
l’affirmation du général de Gaulle, ce n’est pas toujours « un esprit,
des institutions et une pratique ». Parfois, et même assez souvent,
seuls les deux derniers éléments de l’énumération seront présents,
sans qu’il soit possible de discerner l’esprit qui les anime – et l’on
sera alors tenté de parler plutôt d’impulsions, ou de tendances
successives, variables, même si elles peuvent être durables. Au sens
où l’entendaient Montesquieu et de Gaulle, l’esprit n’existe en effet
que lorsque le créateur du système – s’il s’agit d’une Constitution, le
constituant – avait un projet déterminé, cohérent, univoque, en
fonction duquel il a élaboré la Constitution. Si en revanche il n’a
conçu celle-ci que comme une pierre d’attente provisoire, comme un
relais ou comme une façade, ou encore lorsque la Constitution
résulte d’un processus coutumier, on ne pourra sans difficulté parler
d’un tel « esprit ». C’est le cas, par exemple, de la Constitution de
1875, élaborée par une majorité monarchiste dans l’attente d’une
Restauration avant d’être récupérée par les républicains ; c’est le cas
aussi, pour de tout autres raisons, des constitutions soviétiques
d’avant 1990, ou de la Constitution anglaise.
Le problème de cet « esprit », inhérent à son immatérialité, tient
au fait qu’on l’utilise parfois comme un argument, d’autant plus
imparable qu’il est infalsifiable, en faveur de telle ou telle
interprétation plus ou moins contestable de la règle qu’il est censé
3
animer . « L’esprit, plus ou moins arbitrairement attribué à un texte
[…] n’est, souligne à ce propos François Luchaire, qu’un prétexte
pour ajouter à la loi et même parfois pour l’écarter 4. » Et de citer en
ce sens l’avant-projet du Code civil, qui précisait que « quand une
loi est claire, il ne faut point en éluder la lettre sous prétexte d’en
pénétrer l’esprit ». Si, de fait, on peut contester l’usage parfois
frauduleux qui a été fait de cette notion, on peut toutefois se
demander s’il n’est pas fallacieux d’opposer cet « esprit », disqualifié
comme purement subjectif, au « sens » de la Constitution, qui
résulterait « de l’ensemble des dispositions d’un texte et d’un
contexte », et pourrait être défini de manière incontestable au terme
d’« une démarche objective ».
On peut se le demander, d’abord, parce qu’il est rare que ce
« sens » soit clair, et qu’on a même contesté qu’il puisse exister en
dehors de la volonté de l’interprète qui va le déterminer.
L’opposition paraît discutable, en outre, dès lors que c’est à travers
le texte, le contexte, la logique d’ensemble et l’intention des auteurs,
que l’on pourra essayer de définir l’« esprit » de la règle – ou plutôt,
tenter de s’en approcher, cet « esprit » paraissant rétif à toute
formulation rigide. Enfin, le fait que l’esprit puisse être utilisé
comme un prétexte pour échapper à la règle pourrait tout aussi bien
être reproché au « sens » que l’on donne à celle-ci. Tout aussi bien,
ou tout aussi mal, puisque cette critique implique que la règle
n’existe qu’à travers la lettre de son texte, indépendamment de son
« sens » ou de son « esprit » : bref, que cette lettre est, à elle seule,
toute la règle. Affirmation soutenue par certains, mais non sans
duplicité, puisqu’il faudra bien dire, au moment où l’on voudra
appliquer la règle, ce que cette « lettre » veut dire. À l’inverse,
lorsque de Gaulle affirme le 18 mars 1960 que l’ouverture d’une
session extraordinaire du Parlement dans des circonstances
déterminées serait « contraire à l’esprit des institutions 5 » ; ou
lorsque le Conseil constitutionnel juge qu’il « résulte de l’esprit de la
6
Constitution » qu’il n’est pas compétent pour contrôler la
constitutionnalité des lois référendaires, l’un et l’autre ne font, fût-ce
en malmenant la lettre, que jouer leur rôle d’interprètes de la norme
et d’acteurs institutionnels. « La Constitution est une enveloppe,
observe encore de Gaulle : la question est de savoir ce qu’il y a
dedans 7. »
L’esprit n’est donc pas, ou pas forcément, un mythe,
contrairement à ce que pourrait affirmer une pensée ultra-
positiviste, pour qui la règle n’existe qu’à travers les interprétations
successives qui en sont proposées. Parler d’un tel « esprit » ne relève
pas non plus d’un anthropomorphisme naïf, qui consisterait à prêter
une « âme » à une règle de droit, comme si elle était un être vivant.
En l’occurrence, l’esprit ne participe pas de la règle : il n’est pas « en
elle », puisqu’il lui est imposé par celui qui l’a faite, et il lui demeure
donc « extérieur », même s’il en est indissociable, la règle ayant été
conçue, créée en fonction de cet esprit.
Pour ce qui est de la Ve République, le général de Gaulle
affirmait que « son esprit procède de la nécessité d’assurer aux
pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité dont ils
manquaient organiquement sous la IIIe et la IVe République », et
qu’il « consiste, tout en gardant un Parlement législatif, à faire en
sorte que le pouvoir ne soit plus la chose des partisans, mais qu’il
procède directement du peuple, ce qui implique que le chef de
l’État, élu par la nation, en soit la source et le détenteur 8 ».
Cette affirmation a cependant été fortement contestée, à
l’époque, mais aussi à nouveau de nos jours. L’esprit de la
Ve République serait tout à fait différent. Les rédacteurs de la
Constitution de 1958, et notamment le principal d’entre eux, Michel
Debré, auraient eu en effet pour ambition d’instaurer « un véritable
régime parlementaire », aussi éloigné du régime présidentiel que du
gouvernement d’Assemblée : un système d’équilibre et de
collaboration des pouvoirs, où le Président politiquement
irresponsable n’aurait eu qu’un rôle politique effacé. Pour le
confirmer, on rappelle les termes de la loi constitutionnelle du 3 juin
1958, qui prévoyait l’instauration d’un régime parlementaire, on
cite le discours de Michel Debré du 27 août 1958 devant le Conseil
d’État, on évoque les débats constituants, ou on souligne
l’importance qu’ont eue, dans la genèse de la Constitution de 1958,
e
les anciens présidents du Conseil de la IV , siégeant dans le
gouvernement du Général avec le titre de ministres d’État. Et l’on en
conclut que le véritable esprit de la Ve serait au fond purement et
pleinement parlementaire : ce qui implique du même coup que toute
la pratique gaullienne des années 1959-1969 aurait été infidèle à
l’esprit de la Constitution.
En fait, cette conception, dont on entrevoit un peu trop aisément
les sous-entendus politiques, semble reposer pour l’essentiel sur une
série d’illusions d’optique. Ainsi, elle paraît surestimer le rôle des
grands anciens de la IVe République, qui ont certes suggéré certaines
innovations techniques majeures (comme la procédure « couperet »
de l’article 49, al. 3), mais qui n’ont été écoutés et pris en compte
que lorsque leurs propositions corroboraient, ou du moins ne
s’opposaient pas fondamentalement, à celles du principal auteur de
la Constitution, le général de Gaulle. De même, cette lecture de la
Constitution néglige le caractère tactique et conjoncturel du
ralliement (trop démonstratif pour être sincère) des gaullistes au
parlementarisme classique ; elle feint d’oublier qu’il n’a jamais été
question, pour de Gaulle, de se contenter d’un simple rééquilibrage
entre l’exécutif et le législatif, et pour justifier cette omission, elle
laisse de côté tous les indices qui dévoilent la véritable intention des
constituants – qu’il s’agisse des termes employés, des compétences
attribuées, ou de l’ordre d’apparition dans le texte constitutionnel.
Le véritable esprit de 1958, c’est celui de la « Constitution de
Bayeux », de ce discours du 16 juin 1946 où le général de Gaulle
expose, avec un luxe de détails inhabituel, ses principes et ses choix
constitutionnels. C’est celui qu’il mettra en pratique dès 1959, sans
du reste rencontrer, à cet égard, de résistances significatives chez ses
propres ministres. C’est cet esprit dont il songe très vite, bien avant
la révision de 1962, à confirmer les bases en faisant élire le chef de
l’État au suffrage universel direct. C’est cet esprit, enfin, qu’il
entreprend de théoriser dans sa conférence de presse du 31 janvier
1964, et c’est dans cet esprit qu’il poursuit la mise en œuvre du
nouveau régime jusqu’à son départ en 1969.
À ce propos, il faut encore s’arrêter brièvement sur ce qu’on a
appelé, à la suite de Michel Debré, la « théorie des deux lectures de
la Constitution 9 ». Cette dernière pourrait, tout aussi légitimement,
être lue et appliquée sur un mode parlementaire, tel qu’il semble
résulter de la lettre du texte de 1958, que sur un mode semi-
présidentiel, correspondant à la pratique du général de Gaulle à
partir de 1959. Cette théorie présente le mérite non négligeable de
valider la pratique gaullienne, sans pour autant exclure la possibilité
d’une pratique parlementaire. De notre point de vue, elle appelle
toutefois deux remarques. La première, c’est qu’à s’en tenir au texte,
bien d’autres lectures seraient également possibles, et ont d’ailleurs
été avancées – par exemple, une lecture « sénatoriale » de la
Constitution 10, ou encore, une lecture néo-bonapartiste basée sur
une interprétation extensive des articles 11 et 16 ; à la rigueur on
pourrait dire qu’il y a autant de lectures possibles que de lecteurs,
sans qu’une d’entre elles s’impose de façon objective et irrécusable.
La seconde remarque, c’est que la « lecture » ne se confond pas avec
l’« esprit ». Si l’on peut concevoir une multitude de lectures, ou
d’interprétations, il ne saurait exister (par définition) qu’un seul
esprit de la Constitution – si difficile à discerner soit-il. Un esprit
dont il faut reconnaître, du reste, qu’il peut dans certains cas
sembler s’éloigner de la lettre du texte : mais l’histoire de la
e
V République nous rappelle que les infractions à la lettre de la
Constitution (comme celle qui consistait en 1962 à utiliser
l’article 11 pour la réviser alors que seul l’article 89 était prévu)
sont parfois plus conformes à son esprit que l’eût été la stricte
observance du texte.

B. Sa valeur
Si, tout en restant sur un plan général, on admet cette définition
« classique » de l’esprit de la Constitution – l’esprit comme principe
animateur, comme idée directrice –, on peut en déduire une seconde
série de conséquences, relatives à sa valeur : dans le cadre d’un
même système constitutionnel, cet esprit pourra être transgressé,
mais il ne saurait en revanche être remplacé par un autre…
On ne peut changer l’esprit d’une Constitution, dès lors que celle-
ci forme un tout cohérent conçu en fonction de cet esprit. Ou plus
exactement, on ne peut en changer, sans changer aussi de
Constitution. Cette évidence se trouve parfois dissimulée par le fait
que l’acte constituant – la décision de changer la Constitution – se
manifeste d’ordinaire par de profondes transformations
institutionnelles : ce qui permet d’oublier que celles-ci ne font que
traduire, sur un plan juridique, une transformation de cet esprit.
Mais il arrive que l’on change de Constitution tout en conservant
une part importante des institutions antérieures : ce qui change
alors, ce qui fait qu’on est passé à une autre Constitution, c’est
simplement le fait que l’esprit qui animait ces institutions n’est plus
le même qu’auparavant. C’est d’ailleurs précisément ce qui arrive en
e
1958. À bien des égards, la V ressemble comme une sœur à la
e
IV République qu’elle remplace : renvoyant expressément au
Préambule de cette dernière, et reprenant, au mot près, nombre de
ses dispositions essentielles – au point que certains, se plaçant sur
un terrain purement juridique, ont prétendu n’y voir qu’une simple
révision de la Constitution de 1946. Mais si les institutions sont
similaires, l’esprit, lui, n’est évidemment plus le même, étant né en
e
réaction à la faillite de la IV République. Et au fond, c’est avant tout
cette rupture avec l’esprit de la IVe (celui du constituant de 1946,
tenté par le régime d’assemblée, partisan de la souveraineté du
Parlement et de la loi, et hostile à toute personnalisation du
pouvoir) qui marque la naissance de la Ve République.
Si l’on ne peut changer l’esprit d’une Constitution, on peut en
revanche, tout en demeurant dans le même cadre juridique, lui être
infidèle – tant par la pratique que par la transformation des
institutions qui, jusqu’à un certain degré, peuvent être révisées dans
un sens peu compatible avec le principe et la logique initiale de la
Constitution. Ce qui arrive lorsqu’on introduit dans le texte des
exceptions et des dérogations significatives à certaines règles y
figurant.
À ce propos, on peut noter que la fidélité à l’esprit n’est pas
forcément synonyme d’immobilisme. Il est certain qu’une
Constitution, si elle veut durer, doit pouvoir évoluer avec le temps.
Mais elle peut parfaitement le faire en conformité avec l’esprit qui
l’anime : c’est le cas, on l’a dit, de la révision du 6 novembre 1962
(élection du Président au suffrage universel direct), qui, si profonde
soit-elle, se situe néanmoins pleinement dans la logique de la
nouvelle Constitution, dont elle n’est, affirmera le général de Gaulle,
qu’un « accomplissement ». Des révisions considérables peuvent
donc être conformes à l’esprit de la Constitution, alors que d’autres,
beaucoup plus anodines, pourront lui être contraires.
On doit observer ensuite que ces transgressions n’ont pas à être
appréciées en termes moraux (bien ou mal), mais seulement en
termes de logique : une révision, une pratique contraires à l’esprit
de la Constitution portent atteinte à sa cohérence globale, à son
équilibre et à son fonctionnement. Elles y introduisent une
perturbation, un « malaise ».
C’est à ce malaise, qui caractérise incontestablement la situation
présente de la Constitution, qu’il importe de s’arrêter maintenant.

II. Malaise dans la Constitution


« La corruption de chaque gouvernement, observait
Montesquieu, commence presque toujours par celle des
principes 11. » C’est aussi ce qu’inspire la crise contemporaine de la
e
V République, où les infidélités répétées à l’esprit de la Constitution
ont peu à peu conduit à le discréditer, et finalement à le contester
en tant que tel : insensiblement, on est passé de la transgression à la
contestation.

A. L’esprit transgressé
C’est dans son architecture institutionnelle et sa pratique initiale
que l’on discerne l’esprit d’une Constitution – par exemple, celui de
la Ve République, marqué par la volonté de restaurer l’État en
renforçant l’exécutif uni autour du Président. Et c’est donc par
rapport à ces données de base que l’on va pouvoir apprécier les
infidélités qui lui sont faites : des infidélités dont la fréquence et
surtout l’ampleur apparaissent depuis une quinzaine d’années sans
commune mesure avec celles que l’on observait jusqu’alors.

1. La pratique
Deux phénomènes caractéristiques du fonctionnement
institutionnel contemporain vont en effet clairement à l’encontre de
cet esprit : il s’agit de la cohabitation, et de l’hypertrophie des
contrôles juridictionnels.
La première, inaugurée en 1986, banalisée en 1993, radicalisée
de 1997 à 2002, s’oppose à l’esprit de la Ve République, tant dans
son principe que dans ses conséquences.
Dans son principe, d’abord, elle va à l’encontre de l’une des
thèses centrales de la République gaullienne, l’idée que le pouvoir
prééminent du chef de l’État, fondé sur la confiance que le peuple
lui accorde, implique aussi sa responsabilité politique : si cette
confiance disparaît, le Président est tenu de remettre son mandat en
jeu, de démissionner ou de se représenter devant les électeurs,
même lorsque cette perte de confiance s’est manifestée à l’occasion
d’un référendum ou d’élections législatives. En ce qui concerne ces
dernières, il est clair en effet que lorsque les électeurs ne
reconduisent pas la majorité sortante, qui soutenait le Président,
c’est en réalité ce dernier, et sa politique, qui se trouvent désavoués.
Or, la cohabitation consiste précisément à refuser d’assumer cette
responsabilité : le Président dont le camp a été battu aux législatives
reste en place malgré ce désaveu, même s’il doit pour cela renoncer,
en fait, à presque tous ses pouvoirs.
Les conséquences de cette attitude ne sont pas moins contraires à
e
l’esprit de la V . Elles conduisent en effet à dissocier la fonction et
ses pouvoirs : à admettre l’existence, au sommet de l’État, d’une
« dyarchie » (Président-Premier ministre), expressément condamnée
par de Gaulle comme incompatible avec l’ambition nationale et le
e
souci de restaurer l’État qui caractérise la V . Enfin, la cohabitation
favorise la renaissance de l’Assemblée nationale et des partis, qu’elle
transforme en arbitres tout-puissants du jeu politique et de
l’équilibre institutionnel.
À tous égards, la cohabitation apparaît donc comme la
e
transgression la plus radicale de l’esprit de la V République, une
transgression d’autant plus grave qu’elle en appelle d’autres, quand
elle n’alimente pas le discours des adversaires de la Constitution…

L’hypertrophie des contrôles juridictionnels représente un autre


type de transgression.
Le développement exponentiel des pouvoirs du Conseil
constitutionnel, depuis qu’il s’est reconnu compétent pour contrôler
la conformité des lois aux dispositions du Préambule de la
Constitution et qu’il peut être saisi par les parlementaires, conduit à
placer la politique sous le regard d’une instance non élue, moins
gardienne qu’interprète de la loi fondamentale. Que la promotion de
l’État de droit puisse justifier ce type de dérive, on en conviendra
volontiers : mais il faut reconnaître également que celle-ci est
contraire à l’esprit de la Constitution, ce que semblent d’ailleurs
admettre ceux qui décrivent, parfois avec satisfaction, ce « coup
d’État de droit 12 » comme une véritable révolution.
La création, en juillet 1993, de la Cour de justice de la
République, chargée de juger les ministres pour des actes
pénalement répréhensibles non détachables de leurs fonctions, la
banalisation de sa saisine, ou encore, les interminables controverses
suscitées, de 1999 à 2004, par la question de la responsabilité
pénale du chef de l’État illustrent un autre phénomène notable, la
pénalisation et la « judiciarisation » de la vie publique. Là aussi, la
e
tendance semble en contradiction avec l’esprit de la V République :
à la fois parce qu’elle apparaît comme un substitut (contestable) à
une responsabilité politique évanescente, et parce qu’elle implique
une négation de la spécificité des affaires d’État, qu’elle situe sur le
même plan que les affaires privées – oubliant qu’il s’agit de
questions de natures différentes, et qu’à force de les confondre, on
risque de subordonner l’intérêt collectif aux intérêts particuliers,
économiques ou catégoriels.

2. Les institutions
Sur le plan des institutions, les atteintes à l’esprit ne sont pas
moins visibles, qu’il s’agisse de la frénésie des révisions, ou de
l’effritement de certains principes essentiels.
« Le plus petit changement dans la Constitution entraîne la ruine
des principes 13 », écrivait Montesquieu à propos de Carthage. Sans
aller aussi loin, on peut se demander si des modifications répétées,
trop nombreuses et trop fréquentes, ne portent pas atteinte, en tant
que telles et quel que soit par ailleurs leur contenu, à l’esprit de la
Constitution.
Pour de Gaulle, la Constitution n’est certes qu’un instrument au
service d’une politique de restauration nationale : mais un
instrument dont l’efficience suppose un minimum de stabilité. La
Constitution implique une certaine permanence, sans laquelle elle
risque de perdre prestige et autorité. C’est pourquoi les retouches au
texte de 1958 ont longtemps été rares, cinq seulement avant 1992,
la seule révision majeure, celle de 1962, ayant été solennellement
adoptée par référendum. Or, depuis 1992, cette intangibilité a été
totalement remise en cause : depuis, les révisions se succèdent à un
rythme effréné, avec pas moins de 19 révisions, dont celle, massive,
du 23 juillet 2008, qui procède à une trentaine de retouches, parfois
de première grandeur… En outre, quelle que soit leur importance,
ces révisions ont toutes été adoptées (à une exception près) par la
voie du Congrès, ce qui évite les risques d’un appel au peuple, et
d’une manière souvent brouillonne : celles de 1993, relatives au
Conseil supérieur de la magistrature ou à la Cour de justice de la
République, étaient à peine adoptées que l’on songeait déjà très
officiellement à les remettre en chantier. Celle de 2005 relative au
référendum obligatoire en cas d’élargissement de l’Union
européenne n’a attendu que trois ans avant d’être neutralisée par la
loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. La révision n’est plus alors
la phase ultime qui précède un retour à la stabilité, elle est devenue
une étape sur un chemin dont on ignore où il mène, quand elle n’est
pas une réplique ponctuelle à une décision du Conseil
constitutionnel, le moyen le plus rapide de contourner un blocage
14
juridique .
Du reste, même lorsqu’elles s’avèrent marginales, ces révisions à
répétition, en altérant le prestige de la Constitution, n’en
contribuent pas moins au phénomène actuel d’érosion de la
souveraineté.
La Constitution de 1958 avait été faite pour permettre la
restauration d’un État « digne de ce nom », condition d’une
renaissance de la nation. Or, cet État se trouve attaqué de toutes
parts dans ce qui le singularise, dans sa souveraineté. Celle-ci – le
pouvoir suprême de décider, dans son ordre, sans avoir à obéir à
quiconque ni à qui que ce soit – se trouve en effet mise à mal, à la
fois par en haut, avec le développement de l’Union européenne, et
par en bas, à travers l’intensification d’une décentralisation d’ailleurs
accentuée par la construction communautaire.
Il va sans dire que cette double évolution est sans commune
mesure avec celle que souhaitaient les moins jacobins et les plus
européistes des constituants de 1958. Sans commune mesure, dès
lors qu’elle entraîne, à terme, un désarmement de l’État : c’est-à-
dire, bien au-delà d’une simple transgression, une véritable négation
de l’esprit de la Constitution.

B. L’esprit contesté
À bien des égards, la contestation de cet esprit n’est que le
prolongement logique des atteintes que l’on vient d’énumérer. À
force d’oublier l’esprit, on finit par vouloir le supprimer en
changeant de Constitution. On pensait que cette contestation, très
vive au sein de l’opposition durant les premières années du régime,
avait fini par être surmontée, au moins depuis l’alternance de 1981.
Mais on doit constater son retour en force, à la faveur des
dysfonctionnements croissants d’un système de moins en moins
fidèle à son esprit : un retour en force qui se manifeste aussi bien
chez les gouvernants que chez les gouvernés.

1. Du côté des gouvernés


L’esprit de la Ve République reposait notamment sur un acte de
foi dans la possibilité et la vertu d’une « démocratie participative »,
entretenant un dialogue constant entre les citoyens et le pouvoir.
Mais la pratique et l’évolution institutionnelle sont allées de plus en
plus clairement à l’encontre de cette perspective, en rendant aux
structures partisanes une place de premier plan, en n’ayant recours
au référendum qu’à doses homéopathiques, en privant le peuple de
son pouvoir constituant ou en accordant des pouvoirs croissants à
des instances non élues, technocratiques ou juridictionnelles.
L’attitude dubitative des gouvernés vis-à-vis du système et de son
personnel, ce qu’on appelle « la crise du politique », procède sans
doute, en partie, de cette apparente défiance que leur manifestent
les autorités depuis quelques décennies. Mais elle résulte aussi du
peu de confiance que ces autorités paraissent avoir dans leur propre
pouvoir : par exemple, lorsqu’elles multiplient les révisions
constitutionnelles au risque de discréditer la norme suprême
(comment serait-elle suprême si elle manque de sagesse au point de
devoir être retouchée tous les six mois ?), ou qu’elles tiennent un
discours qui laisse entendre que les vrais lieux du pouvoir sont
ailleurs que dans la politique.
À force de lui répéter qu’il ne dispose que de pouvoirs dérisoires,
de lui montrer qu’on ne croit pas en lui, le peuple a fini par ne plus
croire en la politique, et à ne plus s’intéresser aux affaires d’une cité
où il se sent de moins en moins impliqué…
Cette démobilisation se traduit, pour ce qui nous concerne, par
deux phénomènes remarquables : l’alternance et l’abstentionnisme.
Pour ce qui est de la première, il va de soi qu’elle ne remet pas en
cause, en tant que telle, le système constitutionnel : en 1981, on a
même estimé qu’elle le renforçait, en faisant la preuve de ses
capacités d’adaptation. Le problème, en fait, ne vient pas de
l’alternance, mais de sa répétition systématique depuis 1981 : depuis
cette date, en effet, à l’exception des élections de 2007, chaque
échéance politique nationale (législative ou présidentielle) a porté
au pouvoir ceux qui étaient dans l’opposition (1986, 1988, 1993,
1997, 2002, 2012) ou, du moins, hors du gouvernement (1995).
Désormais, on ne vote plus, on « zappe », la lassitude du corps
électoral se trouvant encore accusée par la ressemblance troublante
des programmes et des équipes, et par l’effet de brouillage qui
résulte des cohabitations successives.
Cette lassitude, les citoyens la manifestent d’une manière encore
plus visible avec l’abstentionnisme, dont l’importance théorique
paraît avoir été longtemps sous-estimée par les observateurs. Sur le
plan des principes, une seule abstention pose déjà un problème
grave, dans un système où chacun est censé avoir voté la loi et
consenti aux contraintes qu’elle impose. Mais lorsque c’est la
majorité (une majorité parfois considérable : près de 70 % des
électeurs inscrits lors du référendum sur le quinquennat du
24 septembre 2000) qui s’abstient, alors, ce sont les fondements
mêmes du système qui se trouvent mis en cause. Certes, cette
abstention généralisée, ce repliement des individus sur leur « sphère
privée » ne sont pas forcément un mal : ils correspondent même à
une situation décrite jadis par Benjamin Constant comme
caractérisant la « liberté des Modernes »… Mais elles n’en sont pas
moins peu compatibles avec l’esprit d’une constitution
démocratique, comme celle du 4 octobre 1958.

2. Du côté des gouvernants


La remise en question de l’esprit de cette Constitution n’est pas
moins flagrante du côté des gouvernants. Les révisions
constitutionnelles, on l’a noté plus haut, s’attaquent désormais aux
murs porteurs de l’architecture institutionnelle. Après la
souveraineté, grignotée depuis 1992, c’est le statut du Président qui
a été retouché à plusieurs reprises. La première fois, en
septembre 2000, la réduction de la durée du mandat représentait
déjà un vrai bouleversement dans la manière de concevoir la place
et le rôle de la « clé de voûte » du régime. Évolution d’autant plus
significative que cette durée du mandat présidentiel, et surtout le
fait qu’elle dépasse celle du mandat législatif, résultait d’un choix
raisonné des constituants de 1958, qui y voyaient le moyen
symbolique et pratique d’asseoir la supériorité présidentielle.
En septembre 2000, la perspective s’est trouvée brouillée par le
fait que les partisans d’une réduction de la durée du mandat se
recrutaient dans deux camps opposés, chez les partisans, mais aussi
chez les adversaires d’un renforcement de la présidence : c’est-à-dire
chez les tenants d’un retour à la IVe République, et chez les
admirateurs du régime présidentiel à l’américaine. Quoi qu’il en
soit, les uns et les autres manifestaient, en exigeant une telle
réduction, une commune hostilité à un système qu’ils jugeaient
archaïque, dépassé et déséquilibré. Et en ce sens, le fait qu’ils aient
regroupé, de la droite à la gauche, l’immense majorité de la classe
politique, semblait révélateur de la fragilité d’une Constitution qui
paraissait n’avoir jamais été aussi unanimement contestée.
Telle est d’ailleurs l’impression donnée alors par le débat sur
« l’avenir des institutions » organisé à l’Assemblée nationale le
19 décembre 2000, en présence du Premier ministre et des
principaux ténors du monde politique.
Le premier à prendre la parole, l’ancien Premier ministre Alain
Juppé, précisait d’emblée les termes du problème : « la question
n’est pas de savoir s’il faut respecter l’esprit des institutions, mais s’il
e e
faut en changer, et passer de la V à la VI République. C’est une
question légitime sur laquelle chacun peut avoir son point de vue ».
Si les partisans déclarés d’un passage immédiat à la
e
VI République paraissent relativement rares, la plupart des
participants au débat hésitent entre deux options : soit en « revenir à
un régime purement parlementaire », soit « instituer un vrai régime
présidentiel, en supprimant le poste de Premier ministre, le droit de
dissolution et la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée
nationale » (Alain Juppé). Chacune de ces deux solutions aurait pour
conséquence d’assurer une revalorisation du Parlement, qui est au
fond la tendance lourde de l’évolution institutionnelle depuis les
années 1990. À partir de cette date, en effet, toutes les révisions
constitutionnelles significatives semblent aller dans ce sens. Alors
que le rapport du comité Vedel remis au chef de l’État le 15 février
1993 plaide pour un Parlement plus actif aux compétences élargies,
alors que le Conseil constitutionnel interprète désormais le texte
constitutionnel de manière à favoriser un rééquilibrage en faveur du
Parlement 15, la révision du 25 juin 1992 permet au Parlement
d’adopter des « résolutions » sur les propositions d’actes
communautaires, celle du 4 août 1995 réserve une séance par mois
à l’ordre du jour fixé par les assemblées, celle du 8 juillet 1999
étend le champ d’application de l’article 88-4. « Avec le temps »,
affirme Valéry Giscard d’Estaing lors du débat sur les institutions à
l’Assemblée nationale, « le châtiment que la Ve République a infligé
au Parlement pourrait être atténué ». Même si ce « châtiment »
procède directement de la logique de la Constitution, et bien qu’il
soit indissociable de son esprit. En somme, sans que cela suscite la
moindre résistance significative, il s’agissait, pour la quasi-totalité
de la représentation nationale, de changer l’esprit et la Constitution
de la Ve République…
Telle est aussi la perspective ouverte, en juillet 2007, par le
président Sarkozy, qui nomme à cet effet un « Comité de réflexion et
de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des
institutions de la Ve République » dirigé par l’ancien Premier
ministre Édouard Balladur. C’est sur la base du rapport remis par ce
Comité, « Une Ve République plus démocratique », qu’est organisée
la révision adoptée par le Congrès le 21 juillet 2008, et promulguée
le 23 : une révision qui, s’enthousiasme alors le Premier ministre
François Fillon, « fait la part belle au Parlement » en retirant à
l’exécutif ce qu’il aurait « en trop » et en accordant au corps
législatif ce qui lui manquerait ; mais qui, précise le Président, laisse
intacts les « grands équilibres de nos institutions 16 ».
Dans les faits, la présidence Sarkozy s’avérera parfaitement
classique, la prédominance du chef de l’État n’étant contestée ni par
son Premier ministre, ni par le gouvernement, ni par la majorité
présidentielle à l’Assemblée : à cet égard, on peut contester
l’appréciation de ceux qui ont cru y voir, conformément à la
prophétie de Robert Badinter, une sorte d’« hyperprésidence » –
appréciation qui relève de l’illusion d’optique, par contraste avec
l’atonie de la présidence Chirac. Mais on doit constater aussi que le
rééquilibrage des institutions promis par la commission Balladur
s’est avéré fort limité : tout au plus pourrait-on dire que le
déséquilibre semble moins flagrant qu’auparavant.
Quant à la présidence Hollande – malgré les déclarations du
candidat et ses prétentions à une improbable « normalité » –, elle
n’apparaît pas, elle non plus, comme une rupture significative avec
la pratique de la Ve République. Au fond, quelles que soient les
intentions initiales, les désirs, proclamations et gesticulations 17, la
fonction et les structures s’imposent à ceux qui croyaient pouvoir les
modifier – et bien souvent, ce sont eux qui s’en trouvent
transformés, comme François Mitterrand en fit jadis l’expérience.

C’est dans ce contexte d’incertitude que l’on va étudier la


Constitution du 4 octobre 1958. Après avoir évoqué sa genèse
(chapitre préliminaire), on tentera de l’envisager de façon globale,
comme un système composé de trois éléments indissociables : un
esprit, des institutions et une pratique.
Mais comme l’esprit ne saurait être envisagé de façon abstraite,
on l’évoquera à travers les structures qu’il explique et la pratique
qu’il inspire – notamment pour apprécier dans quelle mesure on a
pu s’en écarter.
En ce qui concerne les structures, on distinguera les
« institutions » proprement dites des « normes » qu’elles doivent
respecter, et qu’elles peuvent produire en vertu de la Constitution,
sous la surveillance du Conseil constitutionnel et des juridictions
ordinaires. Distinction passablement artificielle, les normes n’étant
pas moins instituées que les institutions au sens strict ; mais
distinction qui peut s’avérer utile sur un plan didactique, à condition
toutefois de ne pas les considérer comme deux plans étanches. De
même qu’à aucun moment, il ne faudra oublier que ces institutions
et ces normes n’existent qu’à travers leur mise en œuvre concrète –
en dehors de laquelle elles ne sont que des mots inscrits sur du
papier. Une pratique animant des institutions (première partie) et
des normes (deuxième partie) : ce n’est qu’à condition de tenir
ensemble ces trois fils que l’on pourra espérer se diriger dans le
labyrinthe de la Constitution.
Chapitre préliminaire
GENÈSE DE LA Ve RÉPUBLIQUE
En 1958, la Ve République est née d’une révolution – même s’il
s’agit d’une révolution assez singulière, ni politique ni sociale, et
dont les acteurs ont rapidement renié la dimension révolutionnaire,
en mettant en avant certaines continuités entre le nouveau régime
qu’ils entendaient mettre en place et le « système » qu’ils venaient
de renverser. D’emblée, la Ve République se trouve placée sous le
double signe de la rupture et de la continuité 1. Certes, « tout régime
est porteur par rapport à celui qui le précède d’un germe de
continuité et d’un signe de contradiction », comme l’observent deux
politistes contemporains, qui ajoutent qu’« en consacrant la
permanence du principe républicain au prix d’un changement de
régime, la Ve République n’a pas échappé à cette règle 2 ». Mais il
faut sans doute aller au-delà de cette évidence : ce qui singularise la
Ve République, c’est que ces deux traits, rupture et permanence,
apparaissent l’un et l’autre très fortement marqués, sans que l’un
prenne jamais complètement le pas sur l’autre, et par conséquent,
sans que l’on sache très bien dans quel sens va pencher le balancier
qui, selon les cas, pourra incliner vers la rupture radicale, ou vers un
retour à la continuité.
Cette ambiguïté 3, qui la caractérise peut-être mieux que toute
autre chose, la Ve République la tient en particulier des circonstances
de sa genèse et de son élaboration constitutionnelle.
Section I
La naissance

Cette ambiguïté foncière se perçoit dès la naissance de la


e
V République, durant les deux phases que l’on peut y distinguer : la
disparition de « l’ancien régime » et l’élaboration du nouveau.
SOUS-SECTION 1
La disparition de la IVe République

L’étape initiale est aussi la plus clairement révolutionnaire du


processus : pourtant, on va constater qu’au retour au pouvoir du
général de Gaulle correspond aussi, presque immédiatement, un
retour à l’ordre.

A. Le retour du général de Gaulle

1. La crise
Tout événement d’importance résulte de causes complexes et
multiples, que par commodité on range parfois en trois séries :
causes lointaines, causes proches et causes immédiates.
Les causes « lointaines » du retour au pouvoir du général de
Gaulle en juin 1958 tiennent au dysfonctionnement criant du régime
issu de la Constitution du 27 octobre 1946.
La IVe République se caractérise notamment par une instabilité
ministérielle chronique 1, l’absence de majorité cohérente à
l’Assemblée entraînant une « valse des ministères » entrecoupée,
durant les crises, de longues périodes de vacance du pouvoir qui
donnent « aux ministres l’apparence de rois fainéants 2 ». Mais en
face de ces « gouvernements à secousses », qui dirigent mal, durent
peu et se remplacent difficilement, l’Assemblée nationale, qui se
prétend pourtant souveraine, s’avère également impuissante. Les
observateurs constatent à l’époque « un mélange désordonné
d’intrusion parlementaire dans les divers détails administratifs et
3
d’abdication parlementaire sur des points essentiels » : en
particulier, le pouvoir de faire la loi, de plus en plus fréquemment
abandonné à l’exécutif (on adopte, de 1946 à 1958, trente et une
lois accordant des pouvoirs spéciaux ou étendant la compétence
réglementaire), malgré l’inconstitutionnalité manifeste d’une telle
délégation. Les gagnants de cette confrontation entre un
gouvernement désarmé et une Assemblée divisée, ce sont les partis
politiques – mais des partis sans réels projets, qui « ne gouvernent
pas [mais] occupent le pouvoir », et contribuent ainsi au blocage de
plus en plus visible de l’État.
Un blocage qui, malgré les innombrables tentatives de réforme
constitutionnelle, paraît d’ailleurs irrémédiable : « un régime ne mue
pas 4 », constate un sénateur alors dans l’opposition, le bras droit du
général de Gaulle, et qui sera bientôt le principal rédacteur de la
nouvelle Constitution, Michel Debré.
Or, ce régime impuissant et discrédité se montre incapable de
résoudre de manière satisfaisante le problème le plus dramatique du
moment, celui des rapports avec l’ancien empire colonial en voie de
désagrégation 5. Débutant en 1954, trois mois seulement après
l’épilogue désastreux du conflit indochinois, les troubles en Algérie
se situent dans le prolongement d’une suite de batailles perdues : et
la perspective d’un « Diên Biên Phu diplomatique » engendre un
malaise croissant dans l’armée, massivement engagée sur le terrain,
et dans les populations d’origine européenne vivant en Algérie –
malaise qui contraste avec l’indifférence résignée de l’opinion
publique métropolitaine. Au début de 1958, la crise algérienne
approche de son paroxysme, et elle nourrit, dans certains milieux,
une hostilité de plus en plus vive à l’égard du régime. Dans son
journal, Le Courrier de la colère, Michel Debré donne le ton en
parlant de la « révolte légitime » que doit susciter l’incurie du
« Système », et réclame la création d’un « gouvernement de Salut
6
public ».
Dans ce contexte explosif, c’est une action de représailles décidée
par les autorités militaires – le bombardement d’une base arrière du
FLN, le village tunisien de Sakhiet (8 février 1958) – qui va mettre
le feu aux poudres. Il entraîne en effet un incident diplomatique
majeur, qui déclenche à son tour une crise ministérielle : le 15 avril,
la chute du gouvernement Félix Gaillard ouvre une interminable
période de vacance du pouvoir, qui va s’avérer fatale au régime.
Après plusieurs tentatives infructueuses, alors que la tension monte
à Paris comme à Alger, c’est finalement un partisan de la
négociation avec les indépendantistes, le MRP Pierre Pflimlin, qui
est pressenti pour former le nouveau gouvernement. Le 13 mai,
alors qu’à l’Assemblée nationale s’engage le débat d’investiture, une
manifestation monstre est organisée à Alger, qui, très vite, va
tourner à l’émeute. Une émeute tolérée par la police, rapidement
soutenue par l’armée, et qui, en début de soirée, parvient à
s’emparer du siège des pouvoirs publics en Algérie, le
« gouvernement général ». Après un moment de confusion, les
émeutiers, civils et militaires, annoncent l’organisation d’un
« comité de Salut public », dirigé par un officier gaulliste, le général
Massu. À 21 heures, ce dernier donne lecture à la foule du message
qu’il vient d’envoyer au président de la République : « Exigeons
création à Paris d’un gouvernement de Salut public, seul capable de
conserver l’Algérie partie intégrante de la Métropole. » Au Palais-
Bourbon, la nouvelle produit l’effet inverse : les députés font bloc
contre l’ennemi commun, et le gouvernement Pflimlin est investi
dans la nuit par une majorité imposante. Pourtant, il s’agit d’un
gouvernement fantôme, divisé, sans police fidèle ni soutien
populaire. De l’autre côté de la Méditerranée, en revanche, les
choses se précipitent. Le 14 mai, cent trente communes ont institué
des « comités de Salut public » ; l’Algérie tout entière, et donc la
majeure partie de l’armée, échappent au contrôle de l’État ; le 24,
c’est la Corse qui se rallie à l’insurrection. À Paris, on est désormais
certain qu’une guerre civile est sur le point d’éclater.
C’est alors qu’une initiative du président de la République René
Coty va permettre d’éviter le pire, en faisant officiellement appel au
général de Gaulle.

2. Le recours
De Gaulle, qui a quitté le pouvoir douze ans plus tôt, en 1946,
n’en demeure pas moins auréolé d’une gloire incontestée : pour tous,
il reste l’homme du 18 juin, le libérateur de la Patrie. C’est
pourquoi, dès le début de la crise, les militaires s’étaient tournés
vers lui, comme vers le seul recours possible. Sollicité par le comité
d’Alger, de Gaulle répond publiquement, le 15 mai, qu’il se tient
prêt, « devant les épreuves qui montent de nouveau vers [le pays], à
assumer les pouvoirs de la République ». Le ton de ce message qui,
loin de condamner l’insurrection, réserve ses foudres au régime,
suscite la fureur de la classe politique. Pourtant, même si le
gouvernement réplique en tentant d’organiser la « défense
républicaine », et adopte dans l’urgence le principe d’une révision
constitutionnelle, le mouvement – visites, correspondances,
rencontres plus ou moins secrètes – s’accélère autour du général de
Gaulle. Le 27 mai, celui-ci annonce qu’il a « entamé hier le
processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement
capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays ». Il s’agit en
réalité d’un formidable coup de bluff, qui a pour but de calmer
l’armée, tout en forçant la main au chef du gouvernement, Pierre
Pflimlin – qui, effectivement, démissionne le lendemain. Ce jour-là,
le 28, près de deux cent mille personnes défilent à Paris à l’appel de
la gauche, huant le Général au nom de la défense des libertés
républicaines. Parallèlement au risque de putsch militaire, se profile
7
celui d’un « Front populaire » dominé par le parti communiste .
Ainsi, rien n’est résolu. En un sens, l’hostilité à de Gaulle d’une
fraction notable de l’opinion n’a jamais été aussi profonde : mais
dans le même temps, il apparaît de plus en plus évident qu’il
8
n’existe pas d’autre choix . Aussi, lorsque, le 29 mai, le président
Coty, mettant le poids de sa fonction dans la balance, laisse
entendre qu’il démissionnera si l’Assemblée refuse son investiture au
« plus illustre des Français », c’est au fond le soulagement général.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le Parlement,
subitement, se résigne, persuadé qu’un refus aurait des
conséquences incalculables : le tour est joué. Le 31, de Gaulle reçoit
les représentants des différents groupes politiques, à l’exception des
er
communistes, pour leur exposer ses vues. Le 1 juin, à l’Assemblée
nationale, il est investi par une confortable majorité (329 voix
contre 224). Le 2, c’est une majorité analogue qui accorde à son
gouvernement les pouvoirs spéciaux en Algérie, et les pleins
pouvoirs pour prendre « pendant une durée de six mois, par voie de
décrets dénommés ordonnances, les mesures législatives nécessaires
au redressement de la nation ». Par le même texte, le Parlement se
met en congé, jusqu’à la rentrée normale d’octobre. Mais il n’y aura
pas de rentrée normale, puisque, en octobre, aura été officialisé ce
e
qui est déjà une évidence : la disparition de la IV République.

B. Le retour à l’ordre
1. L’apaisement
Le retour du général de Gaulle se traduit donc par la mort
e
annoncée de la IV République, dont il est entendu qu’il sera le
dernier président du Conseil ; mais aussi, et simultanément, par un
retour à l’ordre. Dès le 19 mai, dans sa première conférence de
presse, de Gaulle s’était voulu rassurant. Dix jours plus tard, alors
que le président Coty vient de faire appel à lui, il confirme qu’il
n’est pas question d’opérer une rupture radicale avec le passé. Pour
réussir, de Gaulle a besoin du soutien massif de l’opinion, et en
particulier de celui de la gauche non communiste ; or, il sait qu’il ne
l’obtiendra qu’en jouant le jeu de la continuité, ou du moins, de ce
que le socialiste Jules Moch appelle « l’équivoque ». C’est pourquoi,
er
le 1 juin, il se plie sans rechigner à la procédure prévue par la
Constitution pour demander à l’Assemblée l’investiture d’un
gouvernement qui, détail significatif, ne comprend que des hommes
de « l’ancien régime » – et en particulier, avec le titre de ministres
d’État, les porte-parole des quatre grands courants politiques : le
socialiste Guy Mollet, l’ancien président du Conseil MRP Pierre
Pflimlin, un indépendant, Louis Jacquinot, et un représentant du
continent africain, Félix Houphouët-Boigny. « Si j’ai fait le
gouvernement que j’ai fait, explique alors de Gaulle, c’est pour que
la République continue. » En revanche, aucun de ses proches n’y
figure, à l’exception du plus fidèle d’entre eux, Michel Debré,
nommé garde des Sceaux et chargé d’élaborer le nouveau projet de
Constitution.

2. La loi constitutionnelle du 3 juin 1958


Ce retour à la « normalité » se manifeste enfin, sur un plan
juridique, par l’adoption de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958.
Le but de cette loi est de déléguer au gouvernement le pouvoir
constituant, tout en sauvegardant les apparences – c’est-à-dire, sans
paraître imiter si peu que ce soit la fameuse loi du 10 juillet 1940,
par laquelle le Parlement avait confié au maréchal Pétain tout
pouvoir « à l’effet de promulguer […] une nouvelle Constitution de
9
l’État français ». Pour cela, on va user d’un « admirable subterfuge
juridique 10 », consistant à reprendre la procédure de révision
entamée trois ans plus tôt (en mai et juillet 1955), qui visait en
particulier à modifier l’article 90 de la Constitution, relatif aux
modalités de révision constitutionnelle. La loi du 3 juin se présente
donc comme l’aboutissement de cette procédure : c’est-à-dire
comme une dérogation transitoire aux dispositions de l’article 90.
Ce rattachement explicite permet ainsi, juridiquement, de présenter
la future Constitution comme une simple révision de la précédente –
conformément à la déclaration d’investiture du général de Gaulle,
qui avait affirmé vouloir que « ce qui devait être réformé le soit à
11
partir des institutions actuelles ».
En outre, moyen supplémentaire de se démarquer du souvenir de
Vichy, la loi du 3 juin ne confie pas le pouvoir de révision au
er
Général lui-même, mais au « gouvernement investi le 1 juin » ; et
elle ne le lui attribue que de façon provisoire, le projet de loi
constitutionnelle devant être soumis au peuple, seul détenteur du
pouvoir constituant, qui se prononcera par voie de référendum.
Enfin, ultime différence, la loi du 3 juin ne laisse pas toute liberté au
gouvernement : elle encadre le pouvoir qu’elle lui confie en
énonçant des règles de forme impératives, ainsi que les « principes »
de fond qu’il devra mettre en œuvre.
C’est donc à l’intérieur de ce cadre – conçu par de Gaulle et son
gouvernement, mais en fonction de ce qu’ils pensent pouvoir être
accepté par la majorité de l’Assemblée – que va être élaborée la
nouvelle Constitution.
SOUS-SECTION 2
L’élaboration de la Constitution

Là encore, des éléments contradictoires continuent d’apparaître,


tant sur le plan du mode d’élaboration que sur celui des principes
qui vont être inscrits dans la Constitution.

A. L’écriture
Côté rupture, il faut souligner l’originalité du mode
d’élaboration, même si celui-ci n’exclut pas toute intervention des
parlementaires.

1. L’avant-projet
Selon la « tradition républicaine », c’est à une Assemblée
constituante, spécialement élue à cet effet, qu’il appartient d’exercer
le pouvoir constituant originaire : c’est-à-dire d’établir la
Constitution. En 1945, chef du gouvernement, le général de Gaulle
s’était plié à cette tradition, jugeant que l’élaboration de la
Constitution par le gouvernement sous réserve de ratification
populaire faisait « un peu plébiscite 1 » : mais il avait rapidement
compris son erreur, qui le contraignit, l’année suivante, à
abandonner le pouvoir. Une Assemblée constituante est toujours
lourde, lente et difficile à manœuvrer, tiraillée par les courants qui
la divisent. En outre, remarque Léo Hamon, elle est déjà une
Assemblée parlementaire qui, lorsqu’elle élabore la Constitution,
« songe par priorité, invinciblement, aux pouvoirs des assemblées à
venir 2 ». En 1958, de Gaulle sait parfaitement que ce qu’il entend
instaurer, il ne pourra l’obtenir d’une Assemblée constituante. C’est
pourquoi, quitte à encourir une fois de plus l’accusation de
« bonapartisme », il va recourir à un autre mode d’élaboration qui
consiste à faire établir un projet de Constitution, sous l’autorité du
gouvernement, par un groupe d’experts nommés par ses soins.
Cette élaboration sera donc confiée à un « groupe de travail »
d’une vingtaine de jeunes juristes principalement issus du Conseil
d’État, dirigé par le garde des Sceaux. Au fur et à mesure, les textes
rédigés sont soumis par Michel Debré au « Comité interministériel »
qui réunit autour du général de Gaulle les quatre ministres d’État,
ainsi que le vice-président du Conseil d’État, René Cassin – et ce,
jusqu’à l’établissement de l’avant-projet définitif, le 26 juillet 1958.
À cette date, les grandes lignes de la future Constitution sont en
place : pour l’essentiel, elle ne changera plus.

2. Le projet définitif
Pour autant, la procédure d’élaboration n’est pas complètement
achevée. La loi du 3 juin a en effet prévu que « pour établir le
projet », le gouvernement devra recueillir en outre l’avis (politique)
du « Comité consultatif constitutionnel », ainsi que celui, juridique,
du Conseil d’État.
Le Comité consultatif constitutionnel était le moyen par lequel
« les assemblées expirantes espéraient faire entendre leur voix [aux]
autorités qui préparaient la Constitution 3 ». À cet effet, il était
majoritairement composé de parlementaires (26 membres sur 39,
dont 16 députés et 10 sénateurs), le reste étant désigné par le
gouvernement. Cependant, on ne saurait voir dans cette concession
procédurale un retour, même esquissé, à la tradition de l’Assemblée
constituante. Largement favorable à la révision, le Comité n’a, en
tout état de cause et comme son nom l’indique, qu’un pouvoir
consultatif, et il ne dispose du reste que de vingt jours pour émettre
son avis. À quelques exceptions près, son rapport ne différera pas de
façon significative de l’avant-projet gouvernemental, ne proposant,
pour l’essentiel, que des modifications de forme et de détail.
Il en va de même du Conseil d’État, saisi le 21 août, qui
manifeste d’emblée le « souci de ne pas contrarier les intentions du
gouvernement 4 », du moins sur le plan des principes. Cette
institution fera même un accueil chaleureux à Michel Debré lorsque
celui-ci viendra, le 27 août, exposer l’architecture générale de la
nouvelle Constitution. Le 3 septembre, ayant tenu compte des
corrections techniques proposées par le Conseil d’État, le Conseil des
ministres arrête donc le projet définitif. Le lendemain, place de la
République à Paris, le général de Gaulle le présente solennellement
au peuple français, insistant sur l’enracinement républicain du
projet : « c’est dans la légalité que moi-même et mon gouvernement
avons assumé le mandat exceptionnel d’établir un projet de nouvelle
Constitution ».
Le 13 mai est définitivement oublié, et c’est en se réclamant de
la continuité républicaine que le général de Gaulle lance la
campagne référendaire. Le 28 septembre, la nouvelle Constitution
est adoptée par une écrasante majorité (79,25 % de « oui », et
seulement 15 % d’abstentions), qui bouleverse de fond en comble
les données acquises de la sociologie électorale. Ultime rupture avec
le passé : le résultat du 28 septembre, s’il met en place un cadre
institutionnel nouveau, signe aussi au général de Gaulle un « chèque
en blanc » qui pèsera lourd sur la pratique du régime.
B. L’inspiration
Avant d’évoquer la façon dont la Constitution sera mise en place,
il reste à préciser son inspiration et sa structure d’ensemble. On
constate alors qu’à une certaine stabilité des principes correspond un
bouleversement dans les moyens, mais également dans la manière
même dont est conçue la Constitution.

1. La stabilité des principes


La stabilité des principes se manifeste sur deux modes parallèles :
par le renoncement à certaines transformations auxquelles de Gaulle
et son entourage semblaient pourtant attachés, et par la reprise
explicite de certaines références, symboles et valeurs présents dans
la Constitution de 1946.

a. Les renoncements
Le renoncement le plus spectaculaire concerne sans doute la
forme du gouvernement. Pendant les douze années que dure la
IVe République, de Gaulle et ses proches s’étaient montrés très
séduits par le modèle présidentiel à l’américaine 5, et l’anglophile
Michel Debré lui-même avait fini par s’y rallier, écrivant ainsi, en
mars 1958, qu’« il faut chercher un système démocratique en dehors
du système parlementaire, où le pouvoir serait créé autour d’un chef
de l’État issu du suffrage universel » (Le Monde, 4 mars 1958).
Or, sur ce plan, la loi constitutionnelle du 3 juin ne laisse aucun
doute : « le gouvernement doit être responsable devant le
Parlement » – ce qui signifie expressément que l’on demeure dans un
cadre parlementaire. La veille, déjà, Debré avait annoncé ce
ralliement, expliquant aux sénateurs que le nouveau gouvernement
ne prendrait pas « la responsabilité de passer du régime
parlementaire au régime présidentiel. Il veut restaurer le régime
parlementaire dans toute son acception 6 ». Sur ce point capital, les
constituants ne changeront plus : ils se contenteront de trouver des
justifications à ce retournement, affirmant que le régime
présidentiel, avec un chef d’État élu au suffrage universel direct,
serait « actuellement dangereux à mettre en œuvre » – du fait de la
présence d’un parti communiste encore très puissant, et parce
qu’« on ne peut imaginer un président élu au suffrage universel
direct par la totalité des habitants de la Communauté [franco-
7
africaine] ».
On le voit, ces arguments sont purement conjoncturels : ce qui
est « présentement hors d’état de fonctionner en France » pourrait
très bien ne l’être plus dans un autre contexte, ou à un autre
moment. Quant à la vraie raison de ce renoncement, elle est, là
encore, d’ordre tactique : « Les constitutions, commentera René
8
Cassin, sont faites pour être votées, et surtout par le référendum . »
Assimilé au bonapartisme et à la dictature, le modèle présidentiel
aurait paru inacceptable aux socialistes, dont le général de Gaulle
doit impérativement obtenir le soutien.
Dans le même sens, de Gaulle va renoncer à un projet original,
qu’il évoquait déjà le 16 juin 1946, dans le discours de Bayeux :
introduire au Sénat, à côté des élus politiques, « des représentants
des organisations économiques, familiales, intellectuelles, pour que
se fasse entendre, au-dedans même de l’État, la voix des grandes
activités du pays ». Mais la réalisation de ce projet aurait été perçue
comme une rupture trop franche avec la tradition parlementaire
française : de Gaulle préférera donc l’oublier – quitte à y revenir
9
quelques années plus tard .

b. Les reprises
À côté de ces renoncements, de ces continuités concédées, il faut
noter aussi la présence de continuités revendiquées : sur plusieurs
plans, la Constitution de la Ve République va reprendre des thèmes
et des termes qui figuraient déjà dans celle du 27 octobre 1946. Le
nouveau régime, annonce déjà de Gaulle dans son discours
d’investiture du 1er juin, sera « la continuation de la République »,
notamment sur le plan des valeurs et des symboles.
Sur le plan des valeurs, on observe que le Préambule de la
Constitution de 1958 renvoie expressément à celui de la
Constitution de 1946, affirmant l’attachement solennel du peuple
français aux droits et aux principes qui s’y trouvent énoncés. Le
Préambule révèle ainsi « le souci d’établir un trait d’union entre la
e 10
IV République et la République nouvelle », tant en ce qui
concerne le contenu des droits fondamentaux que leur place dans la
hiérarchie des normes. Dans le même sens, on note la ressemblance
des deux Constitutions en ce qui concerne la définition et,
naturellement, le titulaire de la souveraineté ; ainsi que, sur un plan
parallèle, la reprise de l’interdiction traditionnelle de remettre en
cause la « forme républicaine du gouvernement » (art. 89, al. 5).
Dans l’ordre des symboles, d’autre part, les constituants ont
repris purement et simplement les principaux articles liminaires de
la Constitution de 1946. Ainsi, celui où figure la définition du
régime : « la France est une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale » (art. 1er de la Constitution de 1946,
er
devenu l’article 2, al. 1 de celle de 1958 avant de redevenir l’article
1er depuis la révision du 4 août 1995). Ou encore, celui qui énonce
son « principe » : « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le
peuple » (art. 2, al. 5). Sur le plan des fondements, la stabilité paraît
donc totale.
2. La révolution des moyens
Mais la permanence des principes et des symboles contraste avec
le profond changement dans les moyens prévus pour les mettre en
œuvre – et au-delà, dans la finalité assignée à la Constitution. Ce
dont il s’agit fondamentalement, c’est, affirme Michel Debré,
d’« essayer de reconstruire un pouvoir, sans lequel il n’est ni État, ni
démocratie, c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, ni France, ni
République 11 ».
Ce pouvoir avait été laissé vacant par la République précédente,
du fait de l’hégémonie incontrôlée du Parlement et de l’abaissement
corrélatif du gouvernement. Sur ce plan, la réalisation des objectifs
des constituants suppose donc qu’ils prennent le contre-pied de leurs
prédécesseurs. La restauration qu’ils visent implique une rupture
radicale, qui n’est d’ailleurs rendue possible que par « la continuité
des apparences 12 » que l’on vient de rappeler.
Cette rupture transparaît de façon générale dans la manière de
concevoir l’État, son rôle et son statut ; mais elle se traduit surtout
sur le plan de l’organisation des pouvoirs, dont dépend directement
la restauration de l’État.

La réorganisation institutionnelle opérée par les constituants


révèle d’abord une mutation dans la manière d’appréhender la
politique. Les grands principes qu’on a accepté de conserver cèdent
le pas, au fond, à des considérations d’efficacité et de pragmatisme :
car ce qui importe d’abord, c’est le salut de l’État et de la nation. Par
suite, la Constitution elle-même n’a plus qu’un caractère
instrumental ; elle n’est plus une idole sacrée, mais un simple outil
au service d’une politique déterminée, un outil auquel on demande
seulement d’être fiable, adapté et souple : c’est-à-dire, commente
Michel Debré, « d’accorder des chances aux hommes politiques de
bonne foi qui, pour la nation et la liberté, veulent un État, c’est-à-
dire, avant toute chose, un gouvernement 13 ». Ainsi conçue, la
Constitution doit satisfaire un double impératif : elle doit permettre
au pouvoir d’État d’être efficace, et durable.
Ces exigences se traduisent par une refonte des institutions. Pour
être efficace, il suffit, estiment les rédacteurs de la Constitution, de
rompre avec ce « gouvernement d’Assemblée », « impraticable et
dangereux », installé en France depuis trois quarts de siècle. Pour
cela, il faut d’abord assurer le renforcement de l’exécutif, un
exécutif comprenant, au sommet, une « clé de voûte », le chef de
l’État, arbitre entre les pouvoirs et incarnation de la nation ; et à la
base, « un gouvernement qui soit fait pour gouverner, à qui on en
laisse le temps et la possibilité, qui ne se détourne pas vers autre
chose que sa tâche 14 ».
Il faut ensuite, l’hypothèse présidentielle étant (pour l’instant)
abandonnée, « rationaliser le parlementarisme », c’est-à-dire
encadrer juridiquement les modalités d’une collaboration équilibrée
entre le gouvernement et le Parlement. Ce qui implique que le
Parlement soit déchu de sa souveraineté, et qu’il se borne désormais
à « voter les lois [et] contrôler l’exécutif, sans prétendre sortir de
son rôle ».
Cet État rénové, il importe enfin de le faire durer. De Gaulle,
tout comme Debré, est féru d’histoire, fasciné par l’écoulement du
temps et par le spectre de la décadence. D’où la mission particulière
qu’il va confier à certaines institutions, chargées d’assurer la
pérennité de la réforme : notamment au président de la République,
gardien des principes, et au Conseil constitutionnel, gardien de la
Constitution, conçu avant tout comme « une arme contre la déviation
du régime parlementaire 15 ».
Ainsi, même si les éléments de continuité paraissent, à certains
égards, prédominants – identité du souverain et de la forme du
gouvernement –, la rupture n’en est pas moins franche, de même
que la volonté de ne pas la voir remise en cause. Somme toute,
constate Léo Hamon à l’automne 1958, « c’était bien une
révolution 16 ».
Section II
Mise en place

Même si la Constitution, adoptée par référendum, est


promulguée le 4 octobre 1958, on ne saurait s’arrêter à cette date :
une Constitution est un système vivant – esprit, institutions et
pratique – qui, sur une base textuelle plus ou moins stable, évolue
en permanence, s’éloignant ou se rapprochant, selon les moments,
de cette base initiale. Mais à cet égard, il faut souligner aussi que
tous ces moments ne se valent pas. En raison de l’importance
cruciale des habitudes, des précédents, des usages en la matière,
c’est en effet « dans la première décennie d’un régime politique que
se met en place la synthèse institutionnelle 1 » à partir de laquelle il
fonctionnera par la suite. C’est au cours de cette brève période des
commencements que le système prend forme : il sera ensuite très
difficile, et en tout cas assez périlleux, de revenir à une autre lecture
de la Constitution.
e
En ce qui concerne la V République, c’est durant les quatre
premières années de son existence que va se mettre en place la
configuration « classique » du régime, suivant un processus en deux
étapes amorcé avec le gouvernement Debré (janvier 1959-avril
1962), et à peu près accompli à l’issue du premier gouvernement
Pompidou (novembre 1962).
SOUS-SECTION 1
Le processus amorcé

A. La transition
Sur un plan juridique, l’installation des nouvelles institutions
suppose un nombre considérable de mesures particulières, dont la
Constitution a prévu l’adoption dans son titre XVII, « Dispositions
transitoires » (abrogé par la loi constitutionnelle du 4 août 1995).
Ce titre dispose en particulier que « les institutions de la République
prévues par la présente Constitution seront mises en place dans le
délai de quatre mois à compter de sa promulgation » (article 91,
al. 1er). Il précise en outre que « les mesures législatives nécessaires
à la mise en place des institutions et, jusqu’à cette mise en place, au
fonctionnement des pouvoirs publics, seront prises en Conseil des
ministres après avis du Conseil d’État, par ordonnance ayant force
de loi » (art. 92, al. 1er).
Sur la base de l’article 92, des « ordonnances portant lois
organiques » vont poser ces règles, qui ont pour objet de compléter
la Constitution et de permettre sa mise en œuvre. Parmi elles, on
peut citer l’ordonnance du 7 novembre 1958 (modifiée par
l’ordonnance du 4 février 1959) sur le Conseil constitutionnel,
l’ordonnance du 7 novembre 1958 (complétée par celle du
15 décembre) sur l’élection du président de la République, ou
encore l’ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances,
prévue par l’article 47, alinéa 1er.
Sur un plan politique, les choses ne traînent pas non plus. Sur la
lancée du référendum triomphant du 28 septembre, les législatives,
organisées les 23 et 30 novembre, amènent à l’Assemblée nationale
une majorité dominée par les partisans du Général et de la nouvelle
Constitution. L’élection présidentielle du 21 décembre, à l’issue de
laquelle de Gaulle est très largement élu (78,5 % des voix) par le
« collège élargi » d’environ 80 000 personnes prévu par l’article 6,
dessine les éléments du nouveau rapport de forces. Si l’on excepte le
Sénat, où va bientôt se concentrer l’opposition, l’ensemble des
rouages de l’État est entre les mains du Président et de ses amis.
C’est grâce à ce soutien que le général de Gaulle va pouvoir
imposer, à la faveur de la crise qui se poursuit en Algérie, une
lecture « présidentielle » de la Constitution.

B. Le gouvernement Debré

1. L’affirmation de la présidence
Mais pour cela, il lui faut un Premier ministre dont il puisse être
sûr. C’est dans cette perspective, celle de temps qui s’annoncent
difficiles, que le général de Gaulle décide de nommer Michel Debré
à la tête du gouvernement, le 8 janvier 1959.
Le communiqué officiel de la présidence précise que le Premier
ministre « a soumis à l’approbation du général de Gaulle ses
conceptions en ce qui concerne la politique générale et le nom des
personnalités qui deviendraient, le cas échéant, ses
collaborateurs 1 ». Texte intéressant, en ce qu’il manifeste, dès le
départ, le rapport de subordination au chef de l’État, qui deviendra
de plus en plus visible à partir de l’automne 1959.
Sur un plan constitutionnel, telle est en effet la tendance
dominante de cette période : le président de la République, se
prévalant de sa fonction d’arbitre et de garant des intérêts
supérieurs du pays (article 5), étend peu à peu ses pouvoirs aux
dépens de ceux que le Premier ministre tient du texte
constitutionnel. C’est ainsi que se produit « un transfert significatif
du pouvoir réglementaire du Premier ministre vers le président de la
2
République », de Gaulle estimant qu’un grand nombre de décrets,
intéressant le fonctionnement des pouvoirs publics, doivent de ce
fait être adoptés en Conseil des ministres, sous son contrôle et sous
sa signature.
Sur un autre plan, l’interventionnisme de l’Élysée définit
rapidement les contours de ce qu’on appellera bientôt le « domaine
réservé » (voir Domaine réservé) : Algérie, Affaires étrangères,
Défense, la liste n’est pas limitative, puisqu’elle ne dépend, au fond,
que du principal intéressé, le Président. Elle signifie que ce dernier
se réserve en la matière les décisions fondamentales, et qu’il laisse
au gouvernement le soin de les mettre en œuvre. Son existence
implique, à elle seule, qu’il n’y a pas de dissociation entre le
Président et le gouvernement – comme c’est le cas dans le schéma
parlementaire classique où le chef de l’État, « pouvoir neutre », se
situe au-dessus des « pouvoirs actifs » que sont le gouvernement et
le Parlement. Sans coïncider exactement avec lui, cette situation se
rapproche donc du schéma présidentiel, où le chef de l’État est aussi
chef du gouvernement.

2. Des résistances marginales


Mais l’autre caractéristique des rapports entre le Président et son
Premier ministre durant le gouvernement dirigé par Michel Debré,
c’est précisément la résistance, courtoise mais opiniâtre, que ce
dernier va opposer aux empiétements progressifs de l’Élysée.
À la fois par goût et par principe, celui qui fut naguère le
principal rédacteur de la Constitution est en effet hostile à une
dérive présidentielle – même si celle-ci a pu le tenter par moments 3.
Cette évolution lui paraît en effet mettre en cause l’équilibre et la
logique du « régime parlementaire authentique » inscrit dans le texte
de 1958. Par conséquent, s’il n’a pas les moyens de l’empêcher, du
moins va-t-il tenter de la ralentir en ne cédant que pas à pas à
l’inexorable présidentialisation du régime. Mais Debré ne peut, et du
reste ne veut pas aller au-delà. Dans le nouveau système, le Premier
ministre demeure désarmé face à un Président qui a pour lui sa
propre légitimité, confortée par les référendums triomphaux du
8 janvier 1961 et du 8 avril 1962, et qui bénéficie en outre de
l’appui d’une Assemblée nationale acquise et docile.
Aussi, bien que leurs rapports soient parfois tendus 4, n’y aura-t-il
pas d’affrontement public entre les deux responsables de l’exécutif :
sur ce plan, comme sur la politique algérienne, Debré est encore
plus fidèle au Général qu’à ses propres convictions. Et tel n’est pas le
moindre des paradoxes de ce premier épisode : c’est sous le
gouvernement d’un fervent de l’Algérie française que l’on accordera
l’indépendance, de même que c’est sous l’égide du principal
rédacteur de la Constitution que vont se produire les premières
atteintes caractérisées à la lettre de celle-ci.
C’est d’ailleurs sur un ultime accroc à la Constitution que
s’achève cette période. Après l’approbation massive des accords
d’Évian par le référendum du 8 avril 1962, le problème algérien est
résolu. Irrité depuis longtemps par la raideur de Michel Debré et
désireux d’avoir enfin les coudées franches, le Général décide alors
de changer de Premier ministre. Or, l’article 8, qui prévoit que le
Président nomme le Premier ministre, précise qu’« il met fin à ses
fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du
gouvernement ». S’il a l’initiative de la nomination, il n’a donc pas,
en principe, celle de la révocation. Ce n’est pourtant pas ainsi que
l’entend de Gaulle, qui va demander à Debré de démissionner : ce
que celui-ci, première victime de ce qu’on appellera bientôt la
« démission-révocation », accepte non sans amertume le 14 avril
1962, conscient d’avoir été joué une fois de plus.
SOUS-SECTION 2
L’accomplissement

A. Le premier gouvernement Pompidou


La nomination de Georges Pompidou en remplacement de Michel
Debré confirme la volonté d’inscrire dans la durée l’hégémonie
présidentielle. Pas question pour le chef de l’État de renoncer au
terrain gagné à l’occasion des années troubles qui viennent de
s’écouler. Avec Pompidou, qui fut son chef de cabinet de juin à
décembre 1958, le général de Gaulle dispose en effet de l’homme
idéal. Dépourvu d’ambitions politiques personnelles, étranger à tout
dogmatisme, Pompidou ne s’oppose ni à l’extension du domaine
réservé, ni à l’annexion, par le Président, « d’affaires qui étaient
jusqu’alors du ressort de Michel Debré 1 ». Souple et habile, il est
également assez fort pour affronter la guérilla parlementaire et
l’hostilité des partis, subitement réveillées par le dénouement de
l’affaire algérienne.
C’est dans ce contexte que vont se produire, à l’automne, deux
événements qui font de 1962 « l’année décisive » de l’histoire, ou du
moins de la mise en place, de la Ve République.

B. Le tournant de l’automne 1962


Ces événements, étroitement liés l’un à l’autre, qui vont achever
e
de donner à la V République sa configuration classique, ce sont,
d’une part, l’adoption par référendum du principe de l’élection du
Président au suffrage universel direct ; d’autre part, le relâchement
de la responsabilité parlementaire du gouvernement, et la
confirmation de ses liens privilégiés avec le chef de l’État. En réalité,
ni l’un ni l’autre ne sont très surprenants.

1. La révision de novembre 1962


L’élection du président de la République au suffrage universel
correspond en effet à l’idée que le général de Gaulle s’est toujours
faite du chef de l’État, « monarque républicain » dont la légitimité
procède, non de la connivence des notables ou du soutien des partis,
mais du rapport direct qu’il entretient avec le peuple souverain. En
1958, la gauche ne s’y était pas trompée, qui redoutait une telle
réforme ; et le dernier tome des Mémoires de guerre, paru en 1959,
où de Gaulle écrit qu’« il convient que, seul, le chef de l’État soit
2
l’élu de toute la nation », suffit à démontrer que le Général n’a pas
renoncé à ses convictions. En 1962, il va profiter de l’émoi soulevé
par l’attentat manqué du Petit-Clamart (22 août) pour faire passer la
réforme. Afin, proclame-t-il, que ses successeurs « soient
entièrement en mesure et complètement obligés de porter la charge
suprême […], il faudra qu’ils en reçoivent directement mission de
l’ensemble des citoyens ». Quant aux modalités de cette réforme, il
n’y a qu’un moyen possible : « par la voie la plus démocratique,
celle du référendum 3 ».
La classe politique issue de la IVe République a donc deux bonnes
raisons de s’offusquer de ce qui n’est pas une surprise. Une raison de
fond, puisque cette élection directe, en pérennisant la primauté
présidentielle, réduit encore ce qui restait de parlementaire dans le
régime instauré en 1958 ; et une raison de forme : l’utilisation, il est
vrai juridiquement douteuse, du « référendum législatif » (prévu par
l’article 11), qui permet de réviser la Constitution en se passant de
l’accord formel du Parlement.
Le succès du référendum du 28 octobre et la promulgation de la
loi constitutionnelle du 6 novembre 1962, officialisant le nouvel
équilibre des pouvoirs, ne mettront pas un terme à la controverse,
mais ils vont conforter durablement le nouvel équilibre
institutionnel (voir première partie, chap. II).

2. La motion de censure et ses conséquences


D’autant qu’en parallèle, l’Assemblée nationale, pour protester
contre la révision, avait adopté le 4 octobre une motion de censure
contre le gouvernement Pompidou, jugé complice de cette
« forfaiture ». Le lendemain, le Premier ministre avait remis la
démission de son gouvernement au président de la République, mais
celui-ci ne l’avait pas acceptée, et en avait appelé à l’arbitrage du
peuple en procédant, dès le 9 octobre, à la dissolution de
l’Assemblée. Les élections législatives, qui ont lieu les 18 et
25 novembre, vont être, plus encore que le référendum d’octobre,
un succès pour les gaullistes – et donc pour le gouvernement,
désormais soutenu à l’Assemblée par un bloc cohérent de 268
députés.
Et ce n’est finalement que le 28 novembre que le président de la
République accepte, pour la forme, la démission du gouvernement
Pompidou, auquel il renouvelle aussitôt sa confiance. La
signification de cette attitude est claire : le gouvernement est en
définitive responsable devant le peuple, puis devant le Président, et
enfin seulement, de façon subsidiaire et indirecte, devant
l’Assemblée nationale (voir Motion de censure).
Primauté du Président élu au suffrage universel, subordination
du Premier ministre, écrasement du Parlement, et notamment de
l’Assemblée dominée par une majorité acquise au chef de l’État : fin
1962, tous les traits classiques de la Ve République sont en place. La
genèse du régime est achevée, il peut maintenant adopter son
régime de croisière.
PREMIÈRE PARTIE
LES INSTITUTIONS
Après avoir examiné la genèse et la mise en place du système, il
paraît indispensable d’en revenir, plus précisément, à son
architecture constitutionnelle : une architecture qui, d’une part,
permet de comprendre pourquoi (et comment) il fonctionne, mais
qui, d’autre part, se trouve elle-même profondément marquée par ce
fonctionnement.
Quant au mode d’examen des différents organes de l’État auquel
on procédera dans cette première partie, on se bornera à reproduire
l’ordre – volontairement – adopté par la Constitution du 4 octobre
1958 (titres I, II, III et IV), qui les définit et détermine leurs
pouvoirs.
On évoquera donc successivement le peuple souverain
(chapitre Ier), le règne du Président (chapitre II), et le couple
Parlement/gouvernement (chapitre III) : ordre dont on se contentera
d’autant plus aisément qu’il correspond aussi à la hiérarchie des
pouvoirs et, pour l’essentiel, à la réalité de la pratique politique.
Chapitre I
LE PEUPLE SOUVERAIN
Dans l’étude d’un système démocratique ou qui, du moins,
prétend l’être, c’est bien au peuple souverain qu’il faut donner la
première place – qui est d’ailleurs celle qu’il occupe, conformément
à la tradition républicaine, dans le texte de la Constitution de 1958.
Cette primauté est pourtant à l’origine du plus épineux des
problèmes théoriques que pose la notion de peuple, celui de la
nature (juridique) de celui-ci. Problème mis en lumière par les
termes mêmes qu’emploie la Constitution, dont le dispositif précise
que « le peuple français [l’]a adopté[e] », alors que le titre Ier, et
notamment les articles 2, al. 5, 3 et 4, attribuent au peuple le
pouvoir souverain. Ce qui signifie que le peuple se confère à lui-
même la souveraineté, à travers ou sous la forme juridique de la
Constitution. À la fois instituant et institution 1, constituant et
constitué, le peuple est seul à pouvoir s’attribuer un tel pouvoir, en
dehors de toute règle d’habilitation, de tout cadre juridique,
puisque, par définition, ce n’est pas de la Constitution précédente
qu’il tire une telle compétence.
Même si on laisse de côté ce premier problème, qui relève du
philosophe plus que du juriste, deux difficultés subsistent. La
première est celle de la définition du peuple (auquel la souveraineté
a été conférée par la Constitution), moins évidente qu’il n’y paraît
au premier abord. La seconde tient à l’étendue et aux modalités de
ses pouvoirs, dont on ne peut (plus) se contenter de répéter, sans
autres précisions, qu’ils sont souverains. C’est à ces questions que
l’on s’attachera dans les développements qui suivent.
Section I
Le peuple

On s’arrêtera, dans cette première section, à la question de la


définition du peuple, avant de s’intéresser à son organisation, c’est-
à-dire à ce qui lui permet d’exister juridiquement et de participer à
la souveraineté.
SOUS-SECTION 1
Définition

Sous l’empire d’une philosophie politique héritée de la


Révolution française, le droit public a longtemps admis comme
incontestable une définition du peuple que l’on peut donc qualifier
de classique, qui coïncide avec la figure de la République « une et
indivisible ». Cependant, depuis une vingtaine d’années, les
évolutions constitutionnelles tendent à remettre profondément en
cause ses principaux éléments.

A. La définition classique
Le sens constitutionnel du mot « peuple » tel qu’il résulte du
texte de la Constitution ne pose pas de réel problème. On observe
d’ailleurs qu’il ne fit pratiquement l’objet d’aucune discussion en
1958, lors des débats constitutionnels, la question, si fondamentale
soit-elle, étant considérée comme réglée.
1
Selon la tradition républicaine , le peuple n’est autre que la
collectivité juridique formée par le corps électoral, « c’est l’ensemble
des citoyens à qui la Constitution confie l’exercice de la souveraineté
2
suivant des formules définies ». Telle est la définition que reprend
l’article 3 de la Constitution de 1958 3, explicitée par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 9 mai 1991 relative au statut de
la Corse (91-290 DC, Rec. 50).
Le gouvernement socialiste avait déposé un projet de loi sur
l’organisation de la Corse dont l’article 1er était ainsi rédigé : « La
République française garantit à la communauté historique et
culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du
peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle
et à la défense de ses intérêts […] spécifiques […] dans le respect de
l’unité nationale. »
Symboliquement très fort, ce texte reconnaissait l’existence
(réelle, et pas seulement légale) d’un peuple corse, formant une
catégorie à part au sein du peuple français. À terme, il risquait
d’initier un processus conduisant à considérer le peuple français
comme une mosaïque de peuples distincts, un ensemble réunissant
des sous-ensembles et n’existant qu’à travers eux. Le Conseil
constitutionnel, pour conclure à la non-conformité de cet article, va
donc préciser la signification constitutionnelle de cette notion de
« peuple » : la France est « une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale, qui assure l’égalité devant la loi de tous les
citoyens quelle que soit leur origine ; […] dès lors, la mention faite
par le législateur du “peuple corse composante du peuple français”
est contraire à la Constitution, laquelle ne reconnaît que le peuple
français, composé de tous les citoyens français sans distinction
d’origine, de race ou de religion » (c. 13).
Cette décision met en lumière deux points notables. En premier
lieu, l’idée que la Constitution « ne reconnaît que le peuple
français » : dans l’ordre interne, seul « le concept juridique de
“peuple français” a valeur constitutionnelle » (c. 12), à l’exclusion
de tout autre. Ce faisant, le Conseil réaffirme, se fondant
expressément sur une tradition biséculaire, l’unicité, l’exclusivité et
l’indivisibilité du peuple français.
En second lieu, le Conseil rappelle que ce peuple est « composé
de tous les citoyens français, sans distinction d’origine, de race ou
de religion ». Cela signifie d’abord qu’il n’est constitué que
d’individus, et non de « corps », de groupes ou de peuples distincts ;
ensuite, qu’il inclut tous les citoyens français, sans distinction
d’origine, de race ou de religion. Le Conseil marque par là sa
volonté d’interdire toute discrimination au sein de ce peuple : et
ainsi, de rappeler l’identité et l’interchangeabilité des citoyens,
considérés en tant que tels, indépendamment de leurs spécificités ou
de leurs enracinements respectifs. Au peuple abstrait, conçu
indépendamment de toute considération historique, géographique et
culturelle, correspondent ainsi des citoyens abstraits, considérés en
tant que tels et non dans leur singularité personnelle.
Sur ce dernier point, le Conseil avait pris parti dès 1982 4. Il
avait alors censuré une loi prévoyant des quotas féminins sur les
listes de candidats aux élections municipales, considérant que
l’établissement de tels quotas, si généreux soit-il, allait à l’encontre
du principe constitutionnel qui s’oppose à toute division par
catégorie des électeurs comme des éligibles – l’idée sous-jacente
étant que seule « l’interchangeabilité garantit, avec la parfaite
homogénéité du corps [électoral], l’indivisibilité de la souveraineté
dont il est le titulaire 5 ».

B. Vers l’éclatement
Selon la définition classique, le peuple est donc caractérisé par
son unité (il réunit l’ensemble des citoyens légalement aptes à
participer au suffrage), son indivisibilité (ces citoyens n’appartiennent
par ailleurs à aucune communauté politique dont ils seraient
également citoyens), et l’interchangeabilité de ses éléments (les
citoyens individuels étant conçus comme tels, dans un rapport de
stricte identité).
Mais cette définition héritée de la vision révolutionnaire de la
nation (et de l’individualisme égalitaire et contractualiste qui la
sous-tend), longtemps incontestée, tend depuis un quart de siècle à
être remise en cause, au fil des révisions constitutionnelles
successives.
En 1992, d’abord, la révision exigée par la ratification du traité
de Maastricht a conduit à un dédoublement de la notion de
citoyenneté. En 1998, une révision constitutionnelle reconnaît,
parallèlement à la citoyenneté française, l’existence d’une
« citoyenneté néo-calédonienne » au sein de la République. L’année
suivante, en 1999, la loi constitutionnelle du 8 juillet favorisant
« l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctions électives » tend à remettre en cause, avec
l’interchangeabilité des citoyens, la logique égalitaire et
individualiste qui fonde cette citoyenneté. En 2007, la loi
constitutionnelle du 24 février, modifiant l’article 77, établit des
distinctions au sein du corps électoral de Nouvelle-Calédonie en
fonction de la date d’installation dans l’Archipel – seuls certains des
inscrits bénéficiant de la pleine citoyenneté, et pouvant à ce titre
participer aux élections des assemblées délibérantes et aux
consultations à venir sur l’accession à la souveraineté. Plus
récemment encore, une proposition de loi constitutionnelle visant à
ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires,
enregistrée à l’Assemblée nationale le 10 décembre 2013, tend à
prolonger le mouvement de démantèlement de la notion abstraite de
peuple. Autant d’évolutions considérables, dont il faut préciser les
différents éléments afin d’en prendre la mesure.

1. Les offensives
Le traité sur l’Union européenne signé à Maastricht le 7 février
1992 instituait notamment une « citoyenneté de l’Union », attribuée
à « toute personne ayant la nationalité d’un État membre » (art. 8 du
traité CE). Parallèlement, un article 8B, ajouté au traité CE,
accordait à ces citoyens le droit de vote et d’éligibilité dans l’État
membre où ils résident pour les élections européennes, mais aussi
municipales.
Ces dispositions vont avoir sur la définition classique du peuple
un impact en deux temps.
Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel, examinant en
avril 1992 6 la constitutionnalité du traité, va distinguer les élections
locales des élections nationales, considérant que la citoyenneté ne
s’exprime en tant que telle et directement que dans ces dernières. Il
revient ainsi sur sa décision du 18 novembre 1982, où il avait
affirmé expressément le lien entre la qualité de citoyen et le droit de
vote et l’éligibilité pour tout suffrage politique, national ou local. La
distinction qu’il opère remet ainsi en question « l’unité d’expression
7
du corps politique », évolution significative dès lors que c’est à
travers cette expression que le corps politique se définit.
Un second coup de boutoir a lieu deux mois plus tard, le 25 juin,
lors de la révision constitutionnelle rendue nécessaire par la
décision du Conseil du 9 avril, qui avait déclaré plusieurs
dispositions du traité contraires à la Constitution. À cette occasion,
un nouvel article 88-3 est introduit dans la norme fondamentale :
d’une part, cet article reconnaît implicitement aux Français la
« double citoyenneté » instituée par le traité ; d’autre part, il
accorde, sous certaines réserves, le droit de vote et d’éligibilité aux
citoyens de l’Union résidant en France.
La Constitution reconnaît ainsi la coexistence de deux catégories
de citoyens (Français et ressortissants de l’Union), dotés de pouvoirs
distincts, mais susceptibles de prendre part au même vote. Par suite,
c’est l’unité du peuple qui se trouve battue en brèche, chaque
Français étant désormais aussi un citoyen de l’Union, et chaque
citoyen de l’Union ayant vocation, s’il s’installe en France, à y
participer aux élections municipales.
Une autre offensive majeure fait suite à l’accord de Nouméa du
5 mai 1998, et à la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 qui
entérine ses conclusions en introduisant deux nouveaux articles (76
8
et 77) dans le texte constitutionnel . Ceux-ci, observait alors le
rapporteur du projet de loi, portent « incontestablement atteinte à
9
l’indivisibilité de la République ». L’institution d’une citoyenneté
calédonienne, énoncée à l’article 77-3, ne constitue pas (encore) une
nationalité au sens fort 10 ; toutefois, elle n’en implique pas moins
l’existence d’un « peuple calédonien », en quelque sorte superposé
au peuple français. À cet égard, on retrouve l’effet de dédoublement
évoqué plus haut, à cette différence près que, si tous les Français
sont aussi des citoyens de l’Union, seuls certains d’entre eux sont
citoyens néo-calédoniens, ceux qui résident sur l’île depuis au moins
dix ans.
À une souveraineté partagée correspondent ainsi un peuple
divisé et une citoyenneté éclatée. « La Nouvelle-Calédonie, observait
alors un commentateur avisé, ouvre une voie qui ne peut que retenir
11
l’attention d’autres collectivités de la République . »
Le 28 juin 1999, le Parlement réuni en Congrès introduisait dans
la Constitution le principe dit de la parité homme-femme (art. 3 in
fine : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux
mandats électoraux et fonctions électives » ; art. 4 : les partis et
groupements politiques « contribuent à la mise en œuvre du
principe énoncé au dernier alinéa de l’article 3 dans les conditions
déterminées par la loi »). Ce faisant, il entendait expressément
surmonter l’obstacle que représentait la jurisprudence du Conseil
constitutionnel relative à l’égalité homme-femme en matière de
mandats électoraux, initiée dans la décision précitée du
18 novembre 1982, et rappelée à nouveau dans sa décision du
12
14 janvier 1999 .
Enfin, la proposition de loi constitutionnelle relative à la
ratification de la Charte européenne des langues régionales et
minoritaires dont la discussion débute à l’Assemblée nationale le
22 janvier 2014 participe du même mouvement. Confirmant cette
volonté de rupture, l’exposé des motifs de la proposition de loi
prend acte que « la position de la République sur les langues régionales,
traditionnellement réservée pour ne pas dire hostile, n’est plus tenable ».
Et qu’il n’y a plus lieu de considérer les préceptes de l’abbé
13
Grégoire « comme la référence ultime et indépassable en matière
de politique linguistique ». Bref, qu’il faut rompre avec le culte de
l’uniformité, et réconcilier la France « avec la multiplicité de ses
racines ».
Désormais, la Constitution reconnaît ainsi une citoyenneté à
géométrie variable, une citoyenneté concrète, rejetant l’idée d’une
interchangeabilité, de même que celle d’une stricte identité –
l’appartenance sexuelle des citoyens devant ainsi être prise en
compte, de même, par exemple, que la durée d’installation sur le
territoire de la Nouvelle-Calédonie en vertu de la loi
constitutionnelle du 24 février 2007.

2. Les contre-feux du Conseil constitutionnel


Cette évolution trouve cependant sur son chemin un obstacle de
taille, le Conseil constitutionnel, qui s’est érigé en défenseur des
conceptions classiques, « quitte à encourir les foudres de ceux qui
voient dans ces références au peuple français un signe
d’archaïsme 14 ». En 1999, par exemple, après avoir rappelé avec
éclat sa jurisprudence de 1982 sur les quotas féminins, il reprend, le
15 juin 1999 (99-412 DC), les termes mêmes de sa décision Statut de
la Corse de 1991 : « Le principe d’unicité du peuple français, dont
aucune section ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté
nationale, a […] valeur constitutionnelle » (c. 5). Par suite, la
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée le
7 mai 1999, est contraire à la Constitution en ce qu’elle porte
atteinte « aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la
République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français »
(c. 10).
Toutefois, cette vigilance du Conseil, si elle contribue à ralentir
le mouvement, puisqu’il faut une révision constitutionnelle, et non
une simple loi ordinaire, pour « surmonter » sa jurisprudence, ne
saurait évidemment suffire à bloquer l’évolution. Qu’il s’agisse en
effet de contourner une jurisprudence contraire ou d’anticiper une
éventuelle censure, un gouvernement déterminé bénéficiant de
l’appui d’une majorité parlementaire pourra toujours, s’il le juge
opportun, procéder à une révision constitutionnelle – devant
laquelle le Conseil ne pourra que s’incliner (voir Souveraineté du
constituant).
SOUS-SECTION 2
Organisation

Pour savoir ce qu’est le peuple, et la manière dont il agit, il faut


savoir comment il s’organise. À cet égard, on peut distinguer deux
niveaux parallèles : d’abord, une organisation administrative, qui
réglemente les modalités de la participation (électorale) du peuple à
la vie publique ; ensuite, une organisation proprement politique,
celle que vise l’article 4 de la Constitution en disposant que « les
partis et groupements politiques concourent à l’expression du
suffrage ».

A. L’organisation administrative
Le peuple est envisagé ici comme corps électoral, regroupant la
totalité des adultes français des deux sexes conformément au
principe rappelé par l’article 3, al. 3 : le suffrage « est toujours
universel ». Ce principe essentiel est explicité dans l’alinéa 4 du
même article : « sont électeurs, dans les conditions déterminées par
la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant
de leurs droits civils et politiques ».
Les conditions d’appartenance au corps électoral sont ainsi
1
réduites au minimum . Il s’agit de trois conditions de fond : la
nationalité, l’aptitude intellectuelle et la dignité morale, auxquelles
s’ajoute une condition de forme, l’inscription sur une liste électorale.

1. La nationalité
Cette condition classique est aussi très logique : si en effet le
peuple, ou la nation, sont souverains, l’appartenance à cette nation
conditionne évidemment l’exercice d’un droit caractéristique de la
souveraineté.
C’est dans cette perspective que le Conseil constitutionnel a
explicité le principe dans sa décision précitée du 9 avril 1992, en
déclarant non conforme à la Constitution une disposition du traité
de Maastricht conférant aux non-Français citoyens de l’Union le
droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales. En effet,
précisait le juge constitutionnel, la désignation des conseils
municipaux « a une incidence sur l’élection des sénateurs » (c. 26),
élus notamment par les représentants de ces conseils, et donc,
indirectement, sur « l’exercice de la souveraineté nationale » à
laquelle participe le Sénat.
C’est donc bien l’idée de souveraineté, et le fait qu’elle appartient
au peuple français (art. 3), qui justifient (seuls) une telle condition.
Inversement, celle-ci disparaît lorsque la souveraineté n’est pas en
cause. Ainsi par exemple, comme le souligne le Conseil
constitutionnel dans la même décision, en ce qui concerne l’élection
des représentants au Parlement européen. Ce dernier « ne constitue
pas une assemblée souveraine […] qui aurait vocation à concourir à
l’exercice de la souveraineté nationale » (c. 34) : par conséquent, le
fait qu’un non-Français, citoyen de l’Union, puisse participer en
France à l’élection de ce Parlement « ne contrevient pas à l’article 3
de la Constitution » (c. 33).
Et c’est pour les mêmes raisons que la condition de nationalité
n’est pas exigée lors des élections corporatives – élections
professionnelles, universitaires, élections aux organismes de Sécurité
sociale, etc. – (82-148 DC, 14 décembre 1982). Dès lors qu’un vote
n’implique pas la souveraineté, cette condition n’a plus lieu d’être.
Ce lien était d’ailleurs à l’arrière-plan des débats houleux suscités, à
la fin de l’année 2015, par la question de la déchéance de
nationalité des personnes condamnées pour participation à des
activités terroristes – les partisans de cette mesure reconnaissant
volontiers le peu d’efficacité de celle-ci dans la lutte contre le
terrorisme, mais soulignant sa forte dimension symbolique, puisqu’il
paraîtrait absurde qu’une personne ayant travaillé à faire disparaître
l’État continue néanmoins d’être dotée d’une fraction de la
souveraineté.

2. L’aptitude intellectuelle
N’étant pas objectivement mesurable, l’aptitude intellectuelle
sera présumée, d’abord, en fonction de l’âge de la personne. Pour
participer à l’exercice de la souveraineté, il faut avoir atteint un âge
minimum, laissant supposer une certaine indépendance
intellectuelle et financière. C’est la majorité, fixée par la loi du
5 juillet 1974 à dix-huit ans révolus.
À cela s’ajoute une exigence de capacité, présumée en général, et
à laquelle ne font exception que les majeurs sous tutelle – le juge qui
statue sur la mesure de tutelle pouvant en effet décider de priver
l’intéressé de son droit de vote 2. À cette exception près, un aliéné
conservera pleinement sa faculté de participer aux élections, et
même une personne hospitalisée sans son consentement pour
troubles mentaux pourra, « en tout état de cause […] exercer son
droit de vote », comme le rappelle l’article L. 3211-3, 7e du Code de
la santé publique.
En revanche, précise le Code électoral, « Les majeurs en tutelle
ou en curatelle sont inéligibles 3 ».
3. La dignité morale
Avec l’exigence de « dignité morale », on retrouve une idée
intéressante. La loi, suivant la tradition républicaine, est l’expression
de la volonté générale, autrement dit, de la volonté éclairée de
chacun. Celui qui a transgressé la loi, dès lors que cette
transgression a été établie par une condamnation pénale, a donc
désobéi à lui-même : c’est pourquoi il n’a plus vocation à participer
à la manifestation de la volonté générale. Suivant cette perspective,
l’interdiction des droits civiques, entraînant la privation des droits
de vote et d’éligibilité, était, dans l’ancien Code pénal, automatique.
Il appartient désormais en toute hypothèse au juge pénal d’en
apprécier l’opportunité (art. 131-26 alinéa 3 du nouveau Code
pénal) 4.
Quant à sa durée – cinq années au maximum en matière
correctionnelle, et dix en matière criminelle –, elle est calculée, le
cas échéant, à compter du jour où la condamnation est devenue
définitive : ce qui signifie que, de même que l’on peut voter à l’asile,
on peut, du moins au bout d’un certain temps, voter en prison.

4. L’inscription sur une liste électorale


À ces conditions de fond relatives à la personne, qui déterminent
son appartenance au corps électoral, s’ajoute enfin une condition de
forme, dont l’accomplissement conditionne l’exercice concret du
droit de vote et d’éligibilité : l’inscription sur une liste électorale
(obligatoire depuis la loi du 9 mai 1951). Cette formalité n’est pas
sans importance : malgré des campagnes de sensibilisation
inlassablement répétées, on estimait en 2006 que 8 % des citoyens
n’étaient pas inscrits sur ces listes, soit environ trois millions de
personnes – chiffre d’autant plus préoccupant qu’il faut y ajouter 4
ou 5 % d’électeurs qui ignorent qu’ils sont inscrits.
La liste électorale, qui existe dans chaque commune, est ouverte
aux personnes répondant aux conditions de fond énumérées ci-
dessus, et ayant un lien avec la commune (art. L. 11 du Code
électoral). Pour revenir sur le cas de figure que l’on vient d’évoquer,
cela signifie qu’un détenu s’inscrira sur la liste électorale de la
commune où est situé l’établissement pénitentiaire où il purge sa
peine, et un SDF, sur celle de la commune où est établi l’organisme
d’accueil auquel il est rattaché.
La liste électorale présente quatre caractéristiques, qui
s’expliquent pour l’essentiel par un souci de transparence et
d’équité. Elle est unique, ce qui signifie que la même liste sert pour
toutes les consultations politiques au suffrage universel, nationales,
locales et même européennes, mais aussi, que « nul ne peut être
inscrit sur plusieurs listes électorales » (art. L. 10 du Code électoral).
Elle est publique, et donc consultable par tous. Elle est permanente,
cette permanence manifestant symboliquement celle du peuple et de
sa souveraineté, qui s’exprime par le vote. Enfin, la liste électorale
est révisable tous les ans, mais elle demeure intangible en dehors de
la période de révision, afin d’éviter toute intervention arbitraire à la
veille d’une élection.

B. L’organisation politique
L’organisation politique du peuple se manifeste par l’existence
des partis et des groupements politiques – une existence reconnue
dans l’article 4 de la Constitution, mais à laquelle la révision du
23 juillet 2008 a donné une consistance encore accrue.
1. La reconnaissance
La reconnaissance de l’existence et de la fonction des partis
politiques est une innovation (inattendue) de la Constitution de
1958, en même temps qu’un élément de continuité avec le régime
précédent. À l’époque, elle avait pour objectif de rassurer l’opinion
publique sur les intentions d’un constituant notoirement hostile aux
partis, ainsi que Michel Debré le laisse entendre lorsqu’il explique
que cette reconnaissance « fonde les institutions sur cette expression
fondamentale de la liberté politique qu’est la pluralité des partis 5 ».
Quant au contenu de l’article 4, il s’organise suivant une logique
fort simple. Il commence par énoncer le rôle des partis dans le
système politique, et, donc, la légitimité qui résulte de leur
nécessité : « les partis et groupements politiques concourent à
l’expression du suffrage ». Ce qui n’implique pas forcément qu’ils
soient, comme l’écrivait le publiciste Joseph Barthélemy au début
du siècle, « le ressort essentiel et principal du régime », puisque par
définition ils ne sont pas seuls à y concourir, et que l’on peut, du
moins en principe, être candidat et même élu sans avoir la moindre
attache partisane. Cependant, même si en droit ils ne bénéficient pas
d’un monopole, les partis sont décrits, d’emblée, comme des rouages
indispensables à l’expression politique. Et c’est ce rôle qui justifie
que, suivant le même article 4, « ils se forment et exercent leurs
activités librement ».
Cette dernière disposition ne confère pas, en tant que telle, un
statut juridique spécifique aux partis – contrairement à ce qui existe,
par exemple, dans l’article 21-2 de la Loi fondamentale de la RFA.
Elle se borne à reconnaître aux partis et groupements les mêmes
droits qu’aux associations ordinaires – une loi leur accordant une
liberté de création encore plus large, puisqu’ils n’ont pas à être
déclarés pour bénéficier de la personnalité morale et du droit d’agir
en justice (loi no 88-227 du 11 mars 1988, art. 7). Reconnaissance
solennellement confirmée par la loi constitutionnelle du 23 juillet
2008, qui ajoute à l’article 4 un 3e alinéa proclamant que la loi
garantit « la participation équitable des partis et groupements
politiques à la vie démocratique de la Nation ».
Libres de se créer, les partis politiques sont également libres de
leurs programmes et de leurs activités, sous une double réserve.
La première, et la principale, c’est qu’ils « doivent respecter le
principe de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Cette
disposition de l’article 4 fut soupçonnée en 1958 d’être « une
dangereuse machine de guerre 6 », suffisamment vague pour
permettre l’interdiction de partis hostiles au gouvernement, et en
particulier du parti communiste. En réalité, elle restera à peu près
lettre morte. Dès le mois de juin 1959, le Conseil constitutionnel
censure un article du nouveau règlement de l’Assemblée nationale
qui autorisait celle-ci à empêcher la formation d’un groupe
parlementaire qu’elle estimerait ne pas respecter les principes de
l’article 4 (59-2 DC, Rec. 58). L’exigence de pluralisme l’emporte
donc, d’emblée, sur les principes censés la garantir… en interdisant
ses ennemis supposés.
Une seconde condition est apparue plus récemment, avec la
révision du 28 juin 1999, qui ajoute à l’article 4 un alinéa précisant
que les partis « contribuent à la mise en œuvre du principe [de
parité] dans les conditions déterminées par la loi ».
Ce principe consistant à favoriser « l’égal accès des femmes et
des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (art. 1er,
al. 2), les partis, qui concourent à « l’expression du suffrage », sont
en fait les seuls à être directement concernés par sa mise en œuvre.
Prévue par la loi du 6 juin 2000 7, l’obligation correspondante,
consistant à établir un équilibre entre les candidats lors des élections
au scrutin de liste – municipales, régionales, européennes et
sénatoriales –, diminue d’autant la liberté de mouvement des partis.
Ceux-ci sont en effet passibles de lourdes sanctions financières en
cas de non-respect de cette obligation.
Car ici comme ailleurs, l’argent demeure le nerf de la guerre,
sans lequel la liberté de création et d’action reconnue aux partis
resterait purement formelle. En fait, la seule limite véritable à cette
liberté concerne précisément leur mode de financement.

2. Le financement
Le problème du financement de la vie politique, des élections et
donc des partis, a pris une acuité singulière avec l’apparition de ce
qu’on pourrait appeler la démocratie des masses, et avec la
nécessité, pour les candidats, de séduire plus encore que de
convaincre. Cette évolution du style de la vie politique a en effet
contraint les partis à mettre en œuvre des méthodes nouvelles, celles
de la vente ou du spectacle, qui ont considérablement accru leurs
besoins financiers, encore augmentés par la multiplication des
consultations électorales.
Ces besoins nouveaux, ce renchérissement de la vie politique ont
suscité à leur tour des pratiques douteuses, et de là, une série de
scandales politico-financiers qui a contribué à décrédibiliser
profondément le régime, et, plus encore, la classe politique dans son
ensemble. D’où la nécessaire mise en place d’un statut financier des
partis, établi initialement par une loi du 11 mars 1988 puis, cet
encadrement s’avérant inadapté, par des lois successives du
15 janvier 1990, du 29 janvier 1993 et du 19 janvier 1995.
Ce statut s’articule autour de trois dispositions principales.
La première pose le principe du droit des partis à un financement
public – afin d’éviter les financements occultes. Le raisonnement qui
sous-tend ces dispositions – les partis ont besoin d’argent : si celui-ci
provient de l’État, ils n’auront plus à le chercher ailleurs dans des
conditions souvent illicites – est si simple, qu’il en paraît naïf. Dans
les faits, on voit mal pourquoi un tel financement public
empêcherait les partis de faire appel à d’autres sources pour en
8
obtenir des compléments toujours utiles . Mais le raisonnement
n’échappe pas non plus à une critique de principe : toute aide crée
en effet un lien entre celui qui l’accorde, et celui qui la reçoit (c’est
d’ailleurs le nœud du problème lorsque le premier est une personne
privée, entreprise, lobby, etc.). C’est pourquoi le Conseil
constitutionnel, saisi de la loi du 15 janvier 1990, a tenu à préciser
que l’aide ne devait « ni établir un lien de dépendance d’un parti
politique vis-à-vis de l’État, ni […] compromettre l’expression
démocratique des divers courants d’idées et d’opinions », le
« pluralisme » de ces dernières constituant le « fondement de la
démocratie » (89-271 DC, 11 janvier 1990, Rec. 21).
C’est à l’intérieur de ce cadre et dans le respect de ces
prescriptions que le législateur a pu intervenir, en prévoyant une
aide publique d’un montant considérable (environ 70 millions
d’euros en 2013) 9, et un mode de répartition permettant de
satisfaire aux exigences constitutionnelles.
L’aide publique est répartie en deux fractions égales.
Dans une première catégorie, les partis ayant présenté aux
dernières législatives, dans au moins cinquante circonscriptions, des
candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages 10, se partagent
la moitié du total, proportionnellement au nombre de voix obtenues
lors du premier tour de ces élections. Un montant qui peut, du reste,
être substantiellement réduit lorsque le parti en question ne se
conforme pas strictement au principe de parité, l’article 9-1 de la loi
de 1988 disposant désormais que lorsque l’écart entre le nombre de
candidats de chaque sexe dépasse 2 % du nombre total, le montant
attribué se trouve diminué d’un pourcentage égal à trois quarts de
cet écart : par exemple, 6 %, s’il y a 8 % d’écart entre les hommes et
les femmes. C’est ainsi qu’en 2013, l’UMP, lanterne rouge en matière
de parité avec seulement 129 candidates contre 377 candidats, ne
percevait-elle, au titre de la première catégorie, que 6,75 millions
d’euros pour 6,78 millions de voix : à l’inverse, le Front national,
très bon élève sur cette question de la parité, recevait 5,46 millions
d’euros d’aide publique pour 3,52 millions de votants.
Dans une seconde catégorie figurent les partis ou groupements
appartenant déjà à la première catégorie, mais représentés au
Parlement ; ils se répartissent les 50 % restants, en fonction du
nombre d’élus rattachés à chacun d’entre eux. Ces partis, entrant à
la fois dans les deux premières catégories, percevront donc un
financement au titre de l’une (proportionnellement au nombre de
voix) et de l’autre (proportionnellement au nombre de sièges 11).
La réglementation du financement privé est beaucoup plus stricte.
Si le financement par des personnes physiques est admis (jusqu’à
concurrence de 7 500 euros par an), et même encouragé par des
déductions fiscales, le financement par des personnes morales (à
l’exception des partis ou des groupements politiques) a été interdit
par la loi du 19 janvier 1995, afin d’empêcher pour l’avenir les
détestables dérives anciennes. Désormais, c’est donc l’État qui
fournit aux partis politiques l’essentiel de leur financement…
officiel.
Le système de financement se trouve enfin verrouillé par
l’obligation de rendre des comptes, supposée en garantir la
transparence. Les comptes, certifiés, sont examinés annuellement par
une « Commission nationale des comptes de campagne », qui les
publie au Journal officiel. En cas d’irrégularité, la sanction pourra
être la suppression de l’aide publique.

Réglementation méritoire ? Certes. Mais celle-ci remplit-elle


pleinement sa fonction ? On peut en douter, dès lors qu’elle ne
supprime ni les possibilités de corruption ou de financement occulte
(la Commission, ne disposant d’aucun pouvoir d’investigation, ne
contrôle que ce qu’on veut bien lui montrer), ni les risques de
scandale, d’autant plus frappants qu’ils contrastent avec la rigueur
12
de la réglementation . Comme si les exigences de la vie politique
contemporaine échappaient par nature au minutieux carcan de la
règle de droit.
Section II
Le souverain

Le peuple français est souverain : c’est ce qui résulte


implicitement du dispositif et du Préambule de la Constitution, ou
encore de l’article 2 qui, reproduisant la fameuse formule du
président Lincoln, énonce que le « principe » de la République est :
« gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».
Pourtant, on n’est pas très avancé lorsqu’on a proclamé cette
souveraineté du peuple : toute la question est en effet de savoir
comment il l’exerce. C’est ce que soulignait déjà Paul Reynaud en
1958, lors des travaux préparatoires, en s’élevant contre la référence
à Lincoln : « il n’est pas vrai que le peuple gère lui-même ses
affaires ; c’est une impossibilité si visible que la preuve [s’en] trouve
à l’article » suivant, l’article 3, qui, après avoir rappelé que « la
souveraineté nationale appartient au peuple », « nous dit, et c’est le
bon sens même 1 », que « le peuple l’exerce par ses représentants, et
par la voie du référendum ».
À cet égard, c’est donc l’article 3 qui apparaît comme le texte
essentiel. Il précise (ce qui n’allait pas forcément de soi) que la
souveraineté du peuple ne s’exerce pas n’importe comment, mais au
2
moyen du suffrage , et selon deux voies qu’elle a elle-même
organisées en les inscrivant dans la Constitution : une voie indirecte,
à travers l’élection, et une voie directe, par la participation aux
consultations référendaires.
Ces deux modes d’expression ne sont pourtant pas situés sur un
pied d’égalité. Longtemps, l’effet combiné de la tradition libérale et
du principe représentatif a exclu toute participation directe du
peuple à la vie publique, ne lui laissant que le pouvoir de choisir des
représentants chargés de vouloir à sa place et d’agir en son nom.
Cette situation d’exclusion a pris fin avec la Constitution de 1958,
soucieuse, au contraire, de rendre la parole au « souverain captif »,
et de ménager au moyen du référendum un contact permanent entre
la nation et le chef de l’État. Pourtant, quelle qu’ait pu être
e
l’intensité de la pratique référendaire au début de la V République,
le procédé n’a jamais cessé d’apparaître comme exceptionnel, même
lorsqu’il n’était pas affublé du qualificatif infamant de
« plébiscitaire ». On n’échappe pas facilement à sa culture politique,
ni au poids de l’histoire. Bien que le peuple ait désormais, dans
certaines conditions, la possibilité de se prononcer directement sur
des dispositions législatives ou constitutionnelles (sous-section 2) et
de s’adresser aux pouvoirs publics par le biais du droit de pétition
(sous-section 3), l’élection continue d’apparaître comme le seul
mode normal d’exercice de sa souveraineté (sous-section 1)…
SOUS-SECTION 1
Le pouvoir d’élire

Jamais, en France, le suffrage universel n’a été aussi


fréquemment sollicité que de nos jours. Sous la IIIe et la
e
IV République, les seules échéances significatives étaient, tous les
quatre ans, les élections législatives. Pas d’élections présidentielles,
en revanche, puisque le chef de l’État était élu par les chambres 1 ;
quant aux élections locales, elles n’avaient, dans un cadre encore
très centralisé, qu’une valeur réduite. Le contraste avec la situation
actuelle paraît donc saisissant. Aux législatives se sont ajoutées, à
partir de 1965, les élections présidentielles, puis les élections au
Parlement européen depuis 1979. Dans le même temps, la
décentralisation initiée en 1982 conférait un poids politique
croissant aux élections locales, municipales, cantonales, et bientôt
régionales 2. En quelques années, on est donc passé d’une véritable
torpeur démocratique à ce que François Mitterrand qualifiait de
« transe électorale permanente », toutes ces élections ayant une
dimension politique, et se trouvant étroitement liées les unes aux
autres.
Ce lien incontestable justifierait d’ailleurs, si l’on voulait donner
une image exacte des pouvoirs électifs du peuple, que l’on étudie
l’ensemble de ces élections, et leurs éventuelles interactions. On se
limitera pourtant aux élections nationales, se conformant en cela
aux usages et aux programmes universitaires – d’ailleurs légitimés
par le Conseil constitutionnel, qui a jugé que seules ces élections
devaient être qualifiées de « politiques », et qu’en revanche, les
scrutins locaux ou européens n’intéressaient pas en tant que tels « la
question de la souveraineté » (92-308 DC, 9 avril 1992, c. 33).
Dans ce cadre, on évoquera donc les élections parlementaires,
avant de s’arrêter à l’élection présidentielle qui demeure, malgré
l’évolution contemporaine de la fonction, le moment décisif de la vie
politique nationale.

A. Les élections parlementaires


Le renouvellement du Sénat ayant lieu au scrutin indirect, par
moitié tous les trois ans, il n’a pas le caractère spectaculaire et
dramatique des législatives, et il a par conséquent une répercussion
beaucoup plus réduite que les élections à l’Assemblée nationale.
Pourtant, bien que ni le jeu ni l’enjeu ne soient comparables, ces
deux élections méritent d’être évoquées.

1. Les élections législatives


Les élections législatives ont pour objet la désignation des
députés à l’Assemblée nationale. Leur importance particulière tient
aux pouvoirs encore considérables de cette Assemblée, qui peut être
dissoute par le président de la République, mais qui est également
susceptible de renverser le gouvernement : prérogative déterminante
pour la configuration même du régime, comme le confirment les
expériences de cohabitation (voir chap. II).
Ces élections ont lieu au moins tous les cinq ans – ce délai
constituant la durée maximale de la « législature » –, mais parfois
plus souvent, en cas de dissolution par le chef de l’État avant le
terme normal du mandat. De fait, sous la Ve, la durée moyenne
d’une législature est légèrement inférieure à quatre ans. En outre,
des élections partielles peuvent être organisées lorsqu’un siège,
pourvu lors des élections générales, vient à être vacant. En principe,
ce cas de figure est devenu exceptionnel du fait de l’existence de
« suppléants », élus en même temps que le député qu’ils sont chargés
de remplacer automatiquement en cas de vacance. Mais ce
remplacement automatique ne fonctionne pas en cas de démission
volontaire. Par ailleurs, il pourra arriver que le suppléant
démissionne à son tour, justement afin de provoquer une élection
partielle au profit d’un politicien « plus important ».
Le mode de scrutin, malgré son extrême importance politique,
n’est fixé que par une loi ordinaire, d’où son instabilité au moins
virtuelle. En réalité, conformément aux souhaits des constituants, et
en particulier de Michel Debré, le scrutin majoritaire uninominal à
e
deux tours a dominé jusqu’ici toute l’histoire de la V République, à
l’exception d’une brève période, précédant les législatives de 1986.
La majorité socialiste, se sachant gravement menacée, avait alors
adopté in extremis le scrutin proportionnel afin d’éviter un
basculement massif au profit de la droite modérée. Celle-ci finit tout
de même par l’emporter, mais d’extrême justesse, et rétablit aussitôt
le système antérieur (loi du 11 juillet 1986) – conformément au lieu
commun selon lequel le scrutin proportionnel serait synonyme
d’inefficacité et d’« ingouvernabilité ».
e
Comme durant la plus grande partie de la III République, le
scrutin est donc uninominal : ce qui implique que les électeurs se
prononcent pour un seul candidat, mais aussi que le territoire
national se trouve divisé en un grand nombre de circonscriptions, le
3
nombre de députés à élire étant de 577 .
Le découpage en circonscriptions effectué en 1958 4 étant devenu
obsolète, du fait, notamment, de l’urbanisation et de la
désertification rurale, un nouveau découpage fut prévu par la loi du
11 juillet 1986, qui répartit les sièges entre les départements (sous
réserve que chaque département dispose d’au moins deux députés),
puis confia au gouvernement le soin de fixer par voie d’ordonnances
le découpage des circonscriptions à l’intérieur des départements.
Cette disposition ayant été l’occasion de l’une des principales crises
de la première cohabitation – le président Mitterrand avait en effet
refusé de signer ces ordonnances –, c’est finalement une loi
ordinaire qui va établir ce découpage. Celle-ci va donner au Conseil
constitutionnel l’occasion de rappeler qu’un tel découpage, dont
dépend directement la représentativité politique de l’Assemblée,
doit s’effectuer « sur des bases essentiellement démographiques »
er
(86-208 DC, 1 juillet 1986). Ce qui signifie que chaque
circonscription doit regrouper approximativement le même nombre
d’électeurs, afin que chacun d’entre eux ait à peu près le même
poids électoral que les autres. Des disparités de population
manifestement excessives et franchement inéquitables seraient donc
inconstitutionnelles.
Ce qui, il est vrai, n’implique pas pour autant qu’elles soient
censurées : entre 1986 et de 2009, en dépit d’évolutions
démographiques souvent massives, les circonscriptions ne firent
l’objet d’aucune retouche. D’où une situation en contradiction
flagrante avec la règle mais que le Conseil constitutionnel, bien qu’il
ait averti les pouvoirs publics à de nombreuses reprises, se trouvait
incapable de censurer, ne pouvant en effet intervenir que lorsqu’il
est saisi d’une loi. Et il fallut attendre la loi no 2009-39 du 1er janvier
2009 pour mettre enfin bon ordre à ce scandale institutionnel :
ladite loi ayant autorisé le gouvernement à procéder par voie
d’ordonnances au redécoupage des circonscriptions législatives,
celui-ci fut réalisé par deux ordonnances du 29 juillet 2009, ratifiées
par une loi du 23 février 2010. Saisi de cette dernière, le Conseil
constitutionnel jugea que les quelques choix discutables effectués
par ces textes ne suffisaient pas à rendre le découpage
inconstitutionnel, « compte tenu […] du progrès réalisé par la
5
délimitation résultant de l’ordonnance du 29 juillet 2009 ». Et c’est
donc sur la base de cette nouvelle carte que furent organisées les
élections législatives des 10 et 17 juin 2012.
À l’avenir, ce décalage inadmissible entre la norme
constitutionnelle et la situation existante ne devrait plus se
reproduire : l’article 25, al. 3, de la Constitution, issu de la révision
de 2008, a en effet prévu la création d’une Commission
indépendante se prononçant, par un avis public, sur les projets et
propositions de loi délimitant les circonscriptions ou modifiant la
répartition des sièges de députés ou de sénateurs (Code électoral,
art. L 567-1 à 567-9). Présidée par une personnalité désignée par le
chef de l’État, cette Commission, si elle n’oblige pas en tant que telle
à opérer une remise à jour régulière, devrait du moins, par sa seule
présence, empêcher que se reproduise le genre de déraillement
évoqué plus haut.

Le mode de scrutin, on l’a dit, est majoritaire. Si aucun candidat


n’obtient la majorité absolue au premier tour, il y aura ballottage.
Un second tour est alors organisé le dimanche qui suit le premier
tour ; il est ouvert aux seuls candidats ayant recueilli au moins
6
12,5 % des voix des électeurs inscrits (loi du 9 juillet 1976) : c’est-
à-dire qu’en pratique seuls les deux ou trois candidats arrivés en tête
ont la possibilité d’y participer. Cette disposition relativement
récente vise explicitement à opérer, au niveau des élections
législatives, une bipolarisation de la vie publique, suivant une
technique que l’on retrouve dans le cadre de l’élection
présidentielle. C’est d’ailleurs en prenant modèle sur le second tour
de la présidentielle, qui n’est ouvert qu’aux deux candidats les
mieux placés, que certains ont suggéré de modifier en ce sens les
règles applicables aux élections législatives. Une solution que la
commission Jospin, en 2012, avait cependant jugée inopportune et
illégitime.

2. Les élections sénatoriales


Suivant l’article 24, alinéa 3, de la Constitution, « le Sénat est élu
au suffrage universel indirect. Il assure la représentation des
collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors
de France sont représentés au Sénat ».
Cette fois-ci, contrairement aux élections législatives, le peuple
n’est donc pas représenté en tant que tel, comme l’ensemble des
individus dotés de la citoyenneté, mais à travers les collectivités
territoriales. Par suite, il ne se prononce pas directement, mais par
l’intermédiaire de ceux qu’il a élus à la tête de ces collectivités :
députés (ce qui pose un problème théorique), conseillers régionaux
et conseillers de l’Assemblée de Corse, conseillers départementaux et
délégués des conseils municipaux (auxquels s’ajoutent, pour les
expatriés, les 150 membres du Conseil supérieur des Français à
7
l’étranger, qui élisent 12 sénateurs sur un total de 326 ).
À cet égard, le Sénat participe d’une logique (et d’une idéologie)
très différente de celle, résolument démocratique, individualiste et
égalitaire, qui préside aux élections législatives : une logique
libérale, attachée à la représentation de la société civile, et qui voit
dans le mode d’élection du Sénat le garant de sa prudence, sinon de
son conservatisme. Quels qu’aient été les efforts pour en réduire le
poids, les délégués des conseils municipaux constituent toujours, et
de très loin, la majorité du corps électoral du Sénat (95,5 % des
effectifs) : et celui-ci demeure ainsi, comme du temps de Gambetta,
« le grand Conseil des communes françaises » et, plus précisément,
des petites communes rurales qui continuent d’y être
surreprésentées 8.
C’est suivant la même logique que les sénateurs bénéficiaient
traditionnellement d’un mandat exceptionnellement long : sa durée,
neuf ans, en faisait le plus long de tous les mandats électifs, mais
donnait à ses bénéficiaires, expliquait Clemenceau, le temps de la
réflexion. Il a été ramené à six ans en 2003, conformément à la
tendance au raccourcissement de la durée des mandats 9. En outre,
contrairement à l’Assemblée nationale, le Sénat ne se renouvelle pas
10
entièrement à chaque élection, mais seulement par moitié , tous les
trois ans, ce qui permet de le faire échapper aux éventuelles sautes
d’humeur et aux emportements temporaires de l’opinion publique.
Politiquement, ceci a pour but et pour effet d’amortir les évolutions
de cette chambre, d’où il résulte que la majorité du Sénat est
souvent différente de celle de l’Assemblée nationale – extrêmement
sensible au contraire aux mouvements de l’opinion –, et parfois en
décalage avec la majorité présidentielle.
En ce qui concerne le mode de scrutin, on note que les sénateurs,
représentant des collectivités territoriales, sont élus dans le cadre du
11
département . Chaque département a au moins 1 sénateur, certains
d’entre eux en ayant, du fait de leur population, jusqu’à 11 (Nord) et
même 12 (Paris). Depuis la loi du 10 juillet 2000 (elle-même
o
modifiée par la loi n 2013-102 du 2 août 2013), on distingue, en ce
qui concerne le mode de scrutin applicable, selon le nombre de
sénateurs élus dans le département. « Dans les départements où sont
élus deux sénateurs ou moins, l’élection a lieu au scrutin majoritaire
à deux tours » (art. L. 294 du Code électoral). Dans les autres, qui
ont droit, en raison de leur forte population, à trois sièges de
sénateur ou plus, c’est la représentation proportionnelle qui
s’applique (art. L. 295 du Code électoral). Ce mode de scrutin a deux
conséquences majeures. D’abord, il accentue le poids des états-
majors partisans, qui déterminent les listes de candidats et l’ordre de
présentation de ces derniers, au détriment des « notables » locaux
jusqu’alors prédominants. Ensuite, il entraîne nécessairement une
féminisation progressive mais massive du Sénat, le principe de
12
parité s’appliquant pleinement dans ce cas de figure .

B. Les élections présidentielles


On évoquera plus en détail dans le chapitre suivant la question
de l’élection au suffrage universel direct, l’historique de
l’établissement de ce suffrage en 1962, et le problème longtemps
controversé de la durée du mandat présidentiel. On se contentera ici
de décrire les principales dispositions relatives à la candidature,
avant de s’arrêter brièvement à la campagne électorale.

1. La candidature
Le Président est élu au scrutin majoritaire à deux tours. À chaque
tour va s’opérer un filtrage sévère, non dépourvu de justifications
pratiques, mais qui n’en pose pas moins un problème de principe –
la démocratie étant fondée classiquement sur l’idée d’une similitude
(et d’une interchangeabilité) entre les gouvernants et les gouvernés,
tout citoyen devrait pouvoir se présenter à la magistrature suprême.
Or, au premier tour, la candidature à la présidence de la
République nécessite, outre les conditions communes à tous les
mandats électifs, le parrainage du candidat par au moins cinq cents
13
citoyens français, titulaires d’un mandat électif important …
Chacun de ces citoyens ne pouvant parrainer qu’une seule
candidature, et les parrains devant provenir d’au moins trente
départements différents, le but recherché par le législateur a été
d’écarter les candidats fantaisistes, marginaux ou locaux,
soupçonnés de vouloir perturber la sérénité de la campagne et de
porter atteinte au prestige de l’élection. Autre obstacle : le candidat
potentiel ne disposant que de trois semaines environ pour réunir les
cinq cents signatures exigées, seuls ceux qui bénéficient d’une forte
implantation locale peuvent espérer satisfaire à cette condition, et
passer le barrage (voir Partis et élections). Ceux qui y parviennent
pourront figurer sur la liste officielle des candidats, établie par le
Conseil constitutionnel au moins quinze jours avant le premier tour
du scrutin : une liste qui tourne autour de dix candidats depuis que
la loi du 18 juin 1976 a établi ces règles.
Ce système s’avère peu satisfaisant : c’est pourquoi la
Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique
réunie en 2012 sous la présidence de l’ancien Premier ministre
Lionel Jospin, après avoir noté qu’« il ne correspond plus aux
exigences d’une démocratie moderne », a proposé de le remplacer
par un « parrainage citoyen » à l’image de ce qui se pratique déjà
dans six États de l’Union européenne. Il suffirait alors de 150 000
signatures d’électeurs inscrits, émanant de 50 départements et
n’ayant pas à être rendues publiques, pour pouvoir se présenter – ce
qui remédierait aux principaux défauts du système actuel, qui
s’avère tout à la fois trop restrictif et trop peu discriminant 14.
Sur ce plan, la loi organique de modernisation des règles
applicables à l’élection présidentielle du 25 avril 2016 se contente
d’un toilettage a minima, prévoyant dans son article 3 qu’une fois
envoyée, une présentation ne peut être retirée ; ou encore, que huit
jours au moins avant le premier tour, le Conseil constitutionnel
publie les noms et qualités de la totalité des parrains. Ce qui, à vrai
dire, n’améliore en rien la situation pratique, ni le caractère
démocratique du mécanisme.
Mais le filtrage est encore plus sévère pour le second tour qui, en
cas de ballottage, a lieu le deuxième dimanche suivant le premier
tour. Ne peuvent en effet y participer que les deux candidats ayant
recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour, « le cas
échéant, précise l’article 7, après retrait de candidats plus
favorisés ». Ce qui signifie qu’il n’y a pas d’automatisme qui
contraindrait juridiquement les deux candidats les mieux placés à se
présenter : le cas échéant, ils pourraient se désister au profit d’autres
candidats, moins favorisés au premier tour, mais qu’ils jugeraient
plus susceptibles qu’eux-mêmes de l’emporter au second.

2. La campagne
Initialement sous-estimée par le général de Gaulle, la campagne
a une importance décisive sur les résultats de l’élection, notamment
du fait de l’utilisation systématique, depuis 1974, des techniques
onéreuses mais efficaces du marketing politique « à l’américaine ».
Officiellement, la campagne a une durée brève : ouverte par la
publication de la liste des candidats, elle s’étale sur quinze jours
pour le premier tour, puis sur une douzaine de jours pour le
deuxième. Mais officieusement, il en va bien sûr tout autrement, les
candidats, grands ou petits, étant de fait entrés en campagne
souvent plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant.
Cette distance entre l’officiel et l’officieux est d’ailleurs ce qui
domine la campagne présidentielle, notamment en ce qui concerne
l’égalité entre candidats. Cette dernière est proclamée par la loi
organique du 6 novembre 1962, qui déclare dans son article 3, IV,
que « tous les candidats bénéficient, de la part de l’État, des mêmes
facilités pour la campagne en vue de l’élection présidentielle ». Mais
en réalité, ni l’égalité des moyens 15, ni l’égal accès aux médias
audiovisuels (qui ne concerne que la campagne officielle, sans
prendre en compte l’intense couverture médiatique dont bénéficient,
avant l’ouverture de celle-ci, les ténors des grands partis) ne sont
autre chose que des vœux pieux – et on peut légitimement douter
qu’il en sera autrement dans le cadre institué par la loi organique du
25 avril 2016, qui prévoit dans son article 4 que « le principe
d’équité » entre les candidats est assuré sous le contrôle du Conseil
supérieur de l’audiovisuel entre la publication de la liste des
candidats et le début de la campagne, après quoi « le principe
d’égalité » devra s’appliquer jusqu’au scrutin…
En bref, le principe d’égalité, évidemment fondamental si l’on
veut laisser le souverain pleinement libre de son choix, est loin
d’être respecté dans la pratique du jeu politique. Et le peuple, sur
une autre échelle et par d’autres moyens, continue comme au
e
XIX siècle d’être encadré par les « notables »
SOUS-SECTION 2
Les votations référendaires

Une fois admis qu’« il n’est, en démocratie, de pouvoir de


décision valable qu’au nom du peuple, il y a risque d’accaparement
[…] quand ce pouvoir du peuple est délégué à des représentants ».
C’est pourquoi, concluait le gaulliste Léo Hamon, le référendum
apparaît comme une action tendant à « rendre sa liberté […] au
1
courant populaire » : à délivrer le « souverain captif ». La tonalité
de ces remarques est intéressante : elle rappelle que pour les
constituants de 1958, le référendum était à la fois un moyen de
rendre la parole au peuple, et de la reprendre au Parlement. Elle
indique en outre l’importance d’un mécanisme dont le président
Chirac répétait encore, dans une allocution télévisée du 6 juillet
e
2000, qu’il « est à la source de la V République », et qu’il représente
« la voie d’une démocratie sereine, où chaque citoyen affirme à la
fois sa volonté et sa responsabilité ».
Ce référendum était initialement prévu par deux articles (11 et
89) et, en principe, dans deux hypothèses bien distinctes : il était
reconnu au peuple souverain le double pouvoir de faire la loi, et de
refaire la Constitution. En outre, la révision du 28 mars 2003 relative
à l’organisation décentralisée de la République a introduit dans la
Constitution plusieurs hypothèses de référendums locaux ; et celle
er
du 1 mars 2005 a institué avec l’article 88-5 un mécanisme original
de référendum obligatoire, sur lequel est toutefois revenue
partiellement la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.
A. Faire la loi
À propos du « référendum législatif » prévu par l’article 11, trois
questions retiennent plus particulièrement l’attention : sa mise en
œuvre, son champ d’application et sa récente ouverture.

1. La mise en œuvre
Jusqu’à la révision de juillet 2008, le référendum prévu par
l’article 11 était, purement et simplement, un référendum
d’initiative « institutionnelle » (et non populaire), dont le
déclenchement impliquait essentiellement deux acteurs : le premier,
qui propose, peut être soit le gouvernement, soit les deux assemblées
de manière conjointe. Le second dispose : c’est le président de la
République, qui décide seul et librement, sans être tenu à
l’obligation de contreseing, de soumettre au référendum le projet
(ou la proposition) de loi qu’on lui a soumis. Chacune de ces deux
étapes est obligatoire, ce qui signifie qu’en cas de dissension entre
les partenaires, et singulièrement en cas de cohabitation, le recours
au référendum se trouve bloqué. Dans l’hypothèse inverse, c’est au
président de la République qu’appartiendra la réalité de l’initiative,
le chef de l’État demandant alors à son Premier ministre de lui
proposer tel projet de loi, qu’il pourra ensuite soumettre au
référendum. En résumé, le référendum de l’article 11 est, suivant le
contexte politique, soit entièrement entre les mains du Président,
soit pratiquement inutilisable.
Cette conception initiale, permettant à l’exécutif uni de
contourner le Parlement, a cependant été amendée par la révision
du 4 août 1995. Depuis, en effet, l’article 11, alinéa 2, précise que
« lorsque le référendum est organisé sur proposition du
gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une
déclaration qui est suivie d’un débat ».
En principe, ce débat ne devrait pas être suivi d’un vote sur le
texte. Cependant, l’Assemblée nationale pourrait toujours, pour
marquer son opposition au référendum, décider d’adopter une
motion de censure contre le gouvernement – comme ce fut d’ailleurs
le cas en octobre 1962, la censure votée contre le gouvernement de
Georges Pompidou visant en réalité le projet, initié par le général de
Gaulle, de révision par référendum de l’article 6 de la Constitution.
Quoi qu’il en soit, la révision de 1995, en rendant obligatoire un
débat qui jusqu’alors était au mieux facultatif, a en quelque sorte
réintégré le Parlement dans une procédure dont il avait été
volontairement écarté, l’appel du Président au peuple ne souffrant
pas d’intermédiaire : signe notable, dès cette époque, d’une
« reparlementarisation » feutrée du régime.

2. Le champ d’application
L’autre apport de la révision de 1995 concerne le champ
d’application du référendum, élargi par rapport au texte initial de
l’article 11, qui n’envisageait d’y recourir que pour des projets de loi
portant « sur l’organisation des pouvoirs publics », comportant
« approbation d’un accord de communauté » ou tendant « à
autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la
Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des
institutions ».
À l’origine, le référendum de l’article 11 ne concernait que des
questions très particulières : matériellement constitutionnelles,
puisque touchant l’organisation des pouvoirs publics, mais
formellement législatives, c’est-à-dire relevant normalement du
Parlement et ne portant pas atteinte au texte constitutionnel. Ainsi
le domaine d’intervention de ce référendum apparaissait-il tout à la
fois ambigu (comment n’être pas tenté de l’utiliser pour réviser la
Constitution ?) et très exigu. Étroitesse certes justifiée par le souci
d’éviter une banalisation du référendum, d’en préserver l’autorité et
le prestige, même lorsque la règle qu’on lui demande d’approuver
n’aura en définitive que la valeur d’une loi ordinaire. Mais étroitesse
présentant le défaut d’en restreindre exagérément l’usage, alors que
certains grands problèmes de société, étrangers à l’organisation des
pouvoirs publics, exigeraient pourtant d’être tranchés par le peuple
lui-même…
La volonté d’élargir le champ d’application de l’article 11 va se
manifester dès la présidence de François Mitterrand qui, en 1984,
suggère de l’étendre aux « garanties fondamentales des libertés
publiques ». Dans le climat troublé de l’époque, ce projet se heurte à
la résistance de l’opinion, relayée par le Sénat, qui soupçonne une
manœuvre attentatoire aux libertés. Ce projet de révision sera
formulé à nouveau par le rapport du comité Vedel, remis le
15 février 1993 au chef de l’État, dans la perspective d’une
rénovation des modes d’expression de la souveraineté nationale
donnant « au citoyen un rôle plus actif dans les grands choix de la
vie politique nationale 2 ». Mais, cohabitation oblige, cette seconde
tentative n’aura pas plus de succès que la première, et il faudra
attendre la révision du 4 août 1995, au lendemain de l’élection du
président Chirac, pour que soit enfin étendu le champ d’application
de l’article 11.
Quant au contenu de cet élargissement, il est, lui aussi, très
significatif : les « problèmes de société » ne sont plus les mêmes que
dix ans auparavant. Il ne s’agit pas d’étendre le champ du
référendum aux libertés fondamentales, que l’on estime désormais
suffisamment protégées, mais aux « réformes relatives à la politique
économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y
concourent ».
Cette formulation n’est pourtant pas dénuée d’ambiguïtés,
notamment lorsqu’elle évoque « la politique sociale de la nation ».
En 1995, le garde des Sceaux avait pris soin de préciser qu’« en
limitant l’extension du champ référendaire en matière économique
et sociale, le gouvernement [avait] choisi d’exclure […] les
questions de société 3 ». Mais en 2000, dans l’allocution où il
annonce le référendum sur le quinquennat, Jacques Chirac,
l’initiateur de la révision de 1995, suggère une interprétation moins
restrictive lorsqu’il déclare que « les Français doivent pouvoir
s’exprimer directement, eux-mêmes, sur certains grands sujets ».
C’est cependant la lecture la plus étroite que fera prévaloir Christine
Taubira le 28 février 2013 – l’objectif du ministre étant en effet de
tuer dans l’œuf toute velléité de soumettre au référendum la loi dite
sur le mariage pour tous : « Le constituant a […] considéré que les
sujets de société ne devaient pas être inclus dans le champ
référendaire. […] Par conséquent, il n’y a pas lieu de redonner la
parole au peuple sur de tels sujets […]. Si la souveraineté appartient
au peuple, celui-ci n’est pas à même de l’exercer au quotidien et en
toute matière. » Argumentation hautement discutable au regard du
principe démocratique, mais qui a du moins le mérite de la clarté.

3. L’ouverture
On a évoqué plus haut la « reparlementarisation » de la
e
V République initiée à partir du début des années 1990. Celle-ci se
manifeste dans toute son ampleur avec la révision du 23 juillet
2008. Alors qu’en vertu du premier alinéa de l’article 11 et de la
conception initiale de celui-ci, le président de la République est le
véritable maître du référendum législatif, celle-ci introduit en effet
une nouvelle procédure, s’ajoutant à l’ancienne, qui fait intervenir
directement le Parlement. Un référendum, précise le nouvel
article 11, alinéa 3, « peut être organisé à initiative d’un cinquième
des membres du Parlement, soutenu par un dixième des électeurs
inscrits sur les listes électorales ». L’initiative conjointe d’un
cinquième des parlementaires et d’un dixième des inscrits prend la
forme d’une proposition de loi, susceptible d’être examinée comme
telle par les deux chambres ; et ce n’est que dans l’hypothèse où
cette proposition ne l’aurait pas été par chacune d’elles dans un
délai de six mois que le président de la République aurait, en vertu
de l’alinéa 5, l’obligation de la soumettre au référendum.
Cette ouverture à la logique de l’initiative populaire, si
intéressante soit-elle, n’en demeure pas moins circonscrite. Outre le
fait qu’elle doit porter sur les objets restreints mentionnés au
premier alinéa de l’article 11, cette procédure ne peut en effet avoir
pour but l’abrogation d’une loi promulguée depuis moins d’un an
(alinéa 3). Par ailleurs, en cas d’échec du référendum, aucune
nouvelle proposition portant sur le même sujet ne pourrait être
présentée avant un délai de deux ans (alinéa 6).
Mais la principale interrogation porte sur sa mise en œuvre :
comment réunir en neuf mois le soutien de 10 % des électeurs à
l’appui d’une simple proposition de loi, ne pouvant porter sur des
« sujets de société », et dont l’adoption reste en toute hypothèse
incertaine ? Les parlementaires sauront-ils surmonter leur
traditionnelle défiance à l’égard des procédures de démocratie
directe ? Se trouvera-t-il un parti important prêt à prendre le risque
(politique, financier, etc.) de lancer un référendum dont
l’aboutissement n’a rien d’assuré ?
Le scepticisme suscité par ce nouveau mécanisme a été confirmé
par la lenteur avec laquelle fut adoptée la loi organique – cinq ans –,
comme si la majorité parlementaire, après avoir adopté en 2008 les
nouvelles dispositions de l’article 11, ne s’était nullement souciée de
leur éventuelle application. Un scepticisme dont on retrouve l’écho,
aussi bien à gauche qu’à droite, lors des débats qui ont précédé
l’adoption de la loi organique du 6 décembre 2013. Côté gauche,
Roger Gérard Schwartzenberg, ancien ministre et professeur de droit
public, ira jusqu’à reprocher aux projets de loi portant application
de l’article 11 d’être « inspirés par une réelle défiance envers ce
nouveau type de référendum ». Côté droit, la benjamine de
l’Assemblée, la députée frontiste Marion Maréchal, dénonçait « une
véritable usine à gaz », « dont on peut raisonnablement penser
qu’[elle] n’aboutira jamais à une seule consultation référendaire ».
Une prédiction se fondant sur le caractère manifestement
disproportionné du seuil exigé, 10 % des inscrits, soit 4,5 millions
d’électeurs, un chiffre extravagant lorsqu’on le compare à ce qui se
pratique chez nos voisins européens, et par exemple, à l’Italie, où
pour une population comparable, 500 000 électeurs suffisent à
déclencher la procédure…

B. Refaire la Constitution
C’est également un problème de mise en œuvre que pose
l’article 89 al. 2 – puisque le peuple, titulaire normal du pouvoir
constituant, se trouve en pratique supplanté dans ce rôle par un
organe constitué, le Congrès : phénomène dont il faut prendre la
mesure, avant de proposer une explication.
1. Le principe et la pratique
« L’initiative de la révision de la Constitution appartient
concurremment au président de la République sur proposition du
Premier ministre et aux membres du Parlement. Le projet ou la
proposition de révision […] doit être voté par les deux assemblées
en termes identiques. La révision est définitive après avoir été
approuvée par référendum. »
Les deux premiers alinéas de l’article 89, article unique du
titre XVI intitulé « De la révision », sont d’un laconisme significatif.
C’est le peuple qui est en principe compétent pour approuver, par
référendum, les révisions d’une Constitution dont il est
originairement le seul auteur. Celui qui a fait la Constitution est
logiquement susceptible de la refaire, de même qu’il aurait la faculté
d’en changer. Et c’est même sur ce plan que se manifeste avec le
plus d’éclat, et d’une manière pratiquement illimitée le pouvoir
souverain dont il est détenteur (voir Souveraineté du constituant).
Il est vrai qu’il n’est pas seul à détenir le pouvoir constituant
dérivé. En vertu de l’article 89, alinéa 3, ce pouvoir appartient
également au Congrès, réunissant les deux chambres du Parlement,
et se prononçant à la majorité des 3/5e. Mais celui-ci n’est appelé à
se prononcer que de façon dérogatoire, lorsque « le projet de
révision n’est pas présenté au référendum ». La rédaction est
significative de l’intention des constituants, qui ont voulu distinguer
la procédure de droit commun, celle du référendum, d’une
procédure exceptionnelle, à laquelle on n’a recours que lorsque la
question paraît décidément trop minime pour justifier que l’on
dérange le peuple souverain. « Une réforme des institutions que le
peuple tout entier a mises sur pied en 1958 ne peut être décidée que
par le peuple, confirme d’ailleurs le général de Gaulle. Il faut que le
peuple se prononce lui-même. Il est le seul à pouvoir transformer ce
qu’il a fait. » Quant au Congrès, « c’est bon pour les réformettes 4 » :
comme la révision du 30 décembre 1963, qui se contente de
modifier les dates des sessions parlementaires de printemps et
d’automne, inscrites dans l’article 28, sans toucher au nombre ni à la
durée des sessions. L’exposé des motifs du projet de loi
constitutionnelle précise à cet effet, de manière très éclairante, que
c’est « en raison de l’importance réduite de la modification
constitutionnelle envisagée » que « le Congrès sera appelé à
approuver le vote des deux assemblées conformément aux
dispositions de l’alinéa 3 de l’article 89 de la constitution 5 ».
Normalement, c’est donc bien le peuple qui dispose de ce pouvoir
6
constituant .
Et pourtant, la pratique institutionnelle sera tout autre. En dépit
de cette logique explicite, les successeurs du général de Gaulle
feront systématiquement appel au Congrès lorsqu’ils voudront
réviser la Constitution – y compris lorsque ces révisions touchent à
la souveraineté que le peuple s’est reconnue à lui-même dans
l’article 3, avec les révisions exigées par la ratification des traités de
Maastricht et d’Amsterdam, ou par les conséquences des accords de
Nouméa. Il faudra attendre le référendum sur le quinquennat du
24 septembre 2000 pour que soit enfin utilisé l’article 89, alinéa 2 –
non sans d’ailleurs qu’une part notable de la classe politique se soit
récriée à l’avance contre les dangers d’un tel recours, conseillant au
Président de s’en tenir sagement à la procédure habituelle. Et l’on
touche ici au second point.

2. Les difficultés de l’appel au peuple


Après avoir constaté cette distorsion entre le principe et la
réalité, on devine aisément ses causes. Elles tiennent au fait que la
mise en œuvre du référendum constituant est souvent délicate, tant
sur un plan technique que sur un plan politique.
La difficulté est d’abord technique. Pour en appeler au souverain,
il faut que l’initiative ait été prise par le président de la République
« sur proposition du Premier ministre », ou par « les membres du
Parlement ». Mais, en vertu de l’article 89, alinéa 2, il faut aussi, et
c’est là tout le problème, que le projet (ou la proposition) de
révision ait été « voté par les deux assemblées en termes
identiques ». Ce n’est qu’ensuite qu’interviendra le référendum.
Or, cette disposition, qui en soi ne paraît pas illégitime (il faut
rester prudent lorsqu’on touche à la norme suprême), peut avoir des
effets contestables. Elle accorde en effet aux assemblées, et
notamment au Sénat, souvent hostile au gouvernement, un véritable
droit de veto sur la révision. Si l’une des deux assemblées la refuse,
il n’est en effet pas possible de passer outre, et la Constitution se
trouve irrémédiablement bloquée jusqu’à un hypothétique
changement de majorité au sein de cette assemblée. C’est parce qu’il
refusait d’admettre que la Constitution dont il se considérait l’auteur
pût conduire à une telle impasse que le général de Gaulle crut
pouvoir recourir à deux reprises, en 1962 puis en 1969, à la
procédure de l’article 11 – qui, on l’a vu, permet à l’exécutif de
court-circuiter le Parlement en s’adressant directement au peuple.
Précisons, à ce propos, qu’il y céda de bonne foi, convaincu qu’il
était légitime d’utiliser l’article 11 pour procéder à une révision de
la Constitution. Cette opinion n’était d’ailleurs pas dépourvue
d’arguments : outre l’ambiguïté des dispositions de cet article
(évoquant « l’organisation des pouvoirs publics »), qui semblent
autoriser une telle lecture, celle-ci se fonde sur l’idée que le peuple
est toujours souverain, qu’il emprunte la voie de l’article 11 ou celle
de l’article 89, et qu’il peut donc faire ce qu’il veut, de la manière
dont il le souhaite. Le peuple ne change ni de nature, ni (par
conséquent) de pouvoir, en fonction des procédures qu’on lui fait
utiliser. Dans le même sens, il paraît étrange que les représentants du
peuple que sont les parlementaires puissent lui interdire cette
expression ultime de la souveraineté qu’est la révision.
Pourtant, quelle que soit la force de ces arguments, il est
incontestable que, sur un plan strictement juridique, la thèse inverse
l’emporte : en 1962, l’immense majorité de la doctrine, le Conseil
d’État à l’unanimité (sauf un) et la quasi-totalité du Conseil
constitutionnel se rangèrent à l’idée selon laquelle la Constitution,
ne prévoyant qu’un seul mode de révision, celui de l’article 89,
l’utilisation du référendum de l’article 11 était forcément non
conforme. Non-conformité il est vrai dépourvue de conséquences, le
Conseil constitutionnel se refusant à contrôler la constitutionnalité
d’une loi référendaire (décision du 6 novembre 1962), et cette
dernière s’intégrant, en l’espèce, à la Constitution, sans qu’il ait
jamais été (sérieusement) question de contester la valeur suprême
que le peuple souverain a entendu lui conférer. Rares sont ceux qui
ont osé contester la valeur constitutionnelle de l’élection du
Président au suffrage universel direct, et prétendre qu’une simple loi
ordinaire suffirait à l’abroger.
Ce qui a été contesté, en revanche, c’est le droit de veto dont
dispose chacune des deux assemblées en vertu de l’article 89,
alinéa 2 : privilège critiquable, tant dans son principe que dans ses
effets, et dont le comité présidé par Édouard Balladur a suggéré
l’abolition 7 – sans être pourtant suivi, en juillet 2008, par le pouvoir
constituant.
Le recours au référendum constituant pose, outre cette première
difficulté technique, un problème d’ordre politique : l’appel au
peuple n’est jamais sans risques.
Ce risque est même considérable pour qui entendrait se
e
soumettre à « l’esprit de la V République », tel qu’il fut explicité par
le général de Gaulle. Ce dernier, qui eut plus souvent recours au
référendum que tous ses successeurs réunis, avait en effet une vision
très exigeante du sens qu’il faut donner à la réponse du peuple, et
des conséquences que l’on doit en tirer. Pour lui, il était nécessaire
que le oui à la question posée ne fût pas « faible, médiocre et
8 9
aléatoire », mais « franc et massif ». Dans cette perspective, une
réponse « indécise en raison d’une faible majorité, ou marquée par
beaucoup d’abstentions » eût été considérée comme négative.
Quant aux conséquences d’une telle réponse, elles seraient très
graves : en cas de vote négatif, le Président, qui a posé la question,
devrait, étant donné l’importance de celle-ci, considérer qu’il a
perdu la confiance du peuple, ce qui implique qu’il renonce à son
mandat (comme le fit de Gaulle en avril 1969), ou qu’il le remette
en jeu.
Cependant, même pour un président qui refuse de se conformer
à cette lecture exigeante de la Constitution, le risque politique
inhérent à une telle procédure demeure réel : car on ne peut jamais
prévoir à coup sûr les résultats d’un référendum. Même si l’on met
de côté le précédent atypique d’avril 1969, le référendum de
septembre 1992 (Maastricht) où les « oui » ne l’emportèrent que
d’extrême justesse, la consultation de septembre 2000 (quinquennat)
où près de 70 % des inscrits préférèrent s’abstenir, et surtout le
référendum négatif du 29 mai 2005, sont des exemples significatifs
de cette « glorieuse incertitude » du référendum. En fait, depuis
1962, aucun référendum n’a pleinement comblé les attentes de ses
initiateurs : c’est pourquoi les politiques préfèrent recourir à la voie
du Congrès, rassurante et prévisible, quitte à se montrer infidèle à
l’esprit de la Constitution – et, parfois, à encourir par-dessus le
marché les reproches d’incohérence et d’inconstance, comme en
1995 ou en 2003, lorsque des révisions visant à étendre le champ
d’application du référendum ou à autoriser la pratique des
référendums locaux, furent adoptées, non par voie référendaire,
mais par le Congrès.

C. Le référendum local
Ce qu’il faut souligner en premier lieu, c’est que le référendum
local, bien qu’il semble relever de la même logique et des mêmes
principes, ne concerne pas le peuple au sens strict, mais seulement
une fraction de celui-ci, celle qui, habitant un certain territoire, sera
appelée à se prononcer. Ce qui signifie qu’il n’intéresse pas la
souveraineté nationale qui, selon l’article 3, n’appartient qu’au
peuple, et dont « aucune section du peuple » ne peut s’attribuer
l’exercice. Un requérant contestait l’article 123 de la loi du 13 août
2004 relative aux libertés et responsabilités locales, prévoyant un
référendum pour toutes les fusions de communes : selon lui, cette
disposition méconnaissait « le principe de la souveraineté nationale
en conférant à une section du peuple un pouvoir de décision ». Le
Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC no 2010-12 du 2 juillet
2010, répondit que la décision de procéder à une telle fusion « à la
suite d’une consultation des électeurs » ne mettait « en cause ni la
définition la souveraineté nationale, ni les conditions de son
exercice ».
1. L’hostilité initiale
Jusqu’à la révision du 28 mars 2003, le référendum local n’était
pas évoqué dans le texte constitutionnel. Contraire à la vieille
10
tradition républicaine, représentative et centralisatrice , il semblait
en outre difficilement compatible avec les termes mêmes de
l’article 72, al. 2, disposant que les collectivités territoriales
« s’administrent librement par des conseils élus » – ce qui exclut a
contrario toute intervention directe des citoyens dans les affaires
locales.
Ainsi, n’étaient conformes à la Constitution que les référendums
11
à valeur purement consultative , comme ceux prévus par les lois du
6 février 1992, dites « d’orientation sur l’administration territoriale
de la République », et du 4 février 1995, « d’orientation pour
l’aménagement et le développement du territoire ». En vertu de ces
lois, les électeurs pouvaient certes être consultés dans certaines
conditions, d’ailleurs étroitement définies, mais leur vote restait
dépourvu de toute valeur obligatoire, la décision finale demeurant
12
entre les mains des conseils élus .

2. Une ouverture progressive


a. La révision de 2003
La révision du 28 mars 2003 apparaît à cet égard comme une
rupture majeure : « La décentralisation des compétences, déclarait le
Premier ministre Jean-Pierre Raffarin dans l’exposé des motifs du
projet de loi constitutionnelle, doit aller de pair avec le
développement de la faculté d’expression directe dont disposent les
citoyens au niveau local. » Le référendum local, au sens large, est
désormais admis dans cinq hypothèses distinctes.
Dans deux cas, il ne s’agit que de référendums consultatifs, la
13
consultation étant alors décidée soit par le législateur , soit, sur
proposition du gouvernement ou des deux assemblées, par le
président de la République – qui « peut décider de consulter les
électeurs d’une collectivité territoriale située outre-mer sur une
question relative à son organisation, à sa compétence ou à son
régime législatif » (article 72-4, al. 2). C’est en vertu du premier de
ces mécanismes (article 72-1, al. 3) que fut organisée, le 6 juillet
2003, la consultation des électeurs corses relative au statut
particulier de l’île – laquelle se solda du reste par un échec, à la
surprise générale.
Mais la révision du 28 mars 2003 introduit aussi trois cas de
référendum décisionnel. En ce qui concerne les collectivités situées
er
outre-mer, l’article 72-4, al. 1 précise qu’aucun changement de
régime juridique ne pourra « intervenir sans que le consentement
des électeurs de la collectivité ou de la partie de collectivité
intéressée ait été préalablement recueilli » ; de même, toujours à
propos de l’outre-mer, l’article 73, al. 7 dispose que « la création par
la loi d’une collectivité se substituant à un département ou à une
région d’outre-mer, ou l’institution d’une assemblée délibérante
unique pour les deux collectivités, ne peut intervenir sans qu’ait été
recueilli […] le consentement des électeurs inscrits dans le ressort
de ces collectivités 14 ».
Mais l’hypothèse la plus novatrice est celle que vise l’article 72-
1, al. 2 : « Dans les conditions prévues par la loi organique, des
projets de délibération ou d’actes relevant de la compétence d’une
collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la
voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité. » On
doit noter qu’il s’agit de la seule utilisation expresse du terme
« référendum » dans le texte constitutionnel : toutes les autres
hypothèses, même lorsque le vote a un caractère décisionnel, sont
qualifiées, au moins implicitement, de consultation. Dans ce cas, la
votation référendaire a valeur de décision 15, et elle entraînera
l’adoption, ou le rejet, du projet de délibération ou d’acte soumis
16
aux électeurs . Ceux-ci se voient donc reconnaître un rôle éminent
– mais qu’il faut tout de même relativiser, dès lors que le
référendum local n’est pas d’initiative populaire, mais d’initiative
institutionnelle : c’est en effet la collectivité territoriale, et elle
seule, qui peut en saisir les électeurs. D’où la crainte – en particulier
si l’on considère la résistance constante manifestée par les élus
locaux à l’endroit des procédés de la démocratie directe – qu’il n’en
17
soit fait usage que dans des cas exceptionnels .

b. Le prolongement de 2010
L’exposé des motifs de ce qui deviendra la loi no 2010-1563 du
16 décembre 2010 de réforme des collectivités locales insiste sur la
nécessité d’« ancrer durablement la décentralisation », notamment
par une simplification du paysage institutionnel, tout en
reconnaissant que celle-ci ne peut se réaliser de façon strictement
unilatérale, par en haut, et qu’elle suppose une participation directe
des populations concernées.
La loi va d’ailleurs plus loin que le projet initial, qui prévoyait
une consultation simplement facultative dans l’hypothèse où
l’ensemble des collectivités locales concernées s’accordait sur le
regroupement ou la modification des limites territoriales d’un
département ou d’une région. Désormais, en vertu des articles 26
à 29 de la loi, ces opérations ne peuvent être réalisées que si le
projet recueille, dans chacune des collectivités territoriales
concernées, « l’accord de la majorité absolue des suffrages exprimés,
correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des
électeurs inscrits ».
Cette consultation d’un nouveau genre constitue un référendum,
obligatoire – puisqu’on doit l’organiser pour procéder à ces
opérations – et décisionnel – dès lors que l’on ne peut aller à
l’encontre de ce qu’ont décidé les électeurs ainsi consultés. En ce qui
concerne ses modalités, la loi renvoie à la section « Référendum
local » du CGCT. Comme les autres référendums locaux, ceux de la
loi de 2010 doivent obtenir la majorité absolue des suffrages,
correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des
inscrits : ils ne sont valides que si au moins la moitié des électeurs
inscrits a pris part au scrutin (article L. au 1112-7 CGCT). Dans le
cas contraire, on doit considérer la réponse comme négative, ce qui
empêchera la fusion ou le regroupement 18.
Peut-être était-ce faire trop peu de cas de la force d’inertie, mais
aussi, de l’attachement des habitants à des structures locales proches
et rassurantes : le 7 avril 2013, lors de la première mise en œuvre de
cette procédure, visant en l’espèce à fusionner en une seule
collectivité les deux conseils généraux du Haut et du Bas-Rhin et le
conseil régional d’Alsace, le projet fut rejeté par la majorité des
habitants du Haut-Rhin, et ne fut approuvée dans le Bas-Rhin que
par 23 % des inscrits, soit un nombre inférieur à celui exigé par la
loi.

c. L’ordonnance du 21 avril 2016


Les résistances de tous ordres suscitées en Bretagne par le projet
de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes vont
finalement conduire le président de la République à annoncer, le
11 février 2016, la tenue d’un référendum local, qui permettrait de
trancher la question – et de conférer une légitimité démocratique à
ce projet hautement controversé. Mais une fois l’idée lancée, se
posait la question, épineuse, de sa régularité juridique, une
collectivité locale ne pouvant organiser une consultation sur des
affaires ne la concernant pas de façon exclusive – ce qui était le cas,
en l’espèce, de la construction d’un aéroport visant à desservir tout
l’ouest du pays. D’où l’adoption d’une ordonnance no 2016-488 du
21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets
susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement. Cette
ordonnance introduit dans le code de l’environnement un nouvel
article L 120-30 disposant que « l’État peut consulter les électeurs
d’une aire territoriale déterminée afin de recueillir leur avis sur un
projet d’infrastructure ou d’équipement susceptible d’avoir une
incidence sur l’environnement ».
À ce propos, on note qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un
référendum local, puisque c’est l’État qui pose la question à la
population du territoire ; et que celle-ci se contente d’émettre un
avis, dépourvu de valeur décisionnelle. Mais à l’inverse, on observe
aussi que ce sont exclusivement les populations d’une certaine aire
géographique qui sont consultées ; et que seuls les électeurs de
nationalité française inscrits sur les listes électorales des communes
concernées pourront participer à la consultation : détails
caractéristiques des consultations impliquant la souveraineté, ainsi
qu’on l’a noté plus haut.
C’est sur cette base qu’a été adopté le décret no 2016-503 du
23 avril 2016 « relatif à la consultation des électeurs des communes
de Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l’aéroport de Nantes-
Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ». Sur un
plan politique, il n’est pas certain que cette manœuvre soit aussi
habile qu’elle paraît au premier abord – notamment parce que le fait
de délimiter le périmètre de consultation, et de le limiter
(arbitrairement) au département de la Loire-Atlantique, permettra,
quel que soit le résultat de la consultation, aux vaincus de contester
la légitimité de celle-ci. Sur un plan juridique, en revanche, on peut
y voir, malgré tout, une certaine avancée du référendum local.

D. Une exception : le référendum


obligatoire
Afin de désamorcer les craintes d’une partie de l’électorat et de
ne pas hypothéquer par avance les résultats du prochain référendum
sur la « Constitution européenne », le président de la République
Jacques Chirac avait annoncé en octobre 2004 l’inscription dans le
texte constitutionnel d’une disposition permettant de garantir aux
Français qu’ils seraient, à l’avenir, obligatoirement consultés par
référendum sur les nouvelles adhésions à l’Union – en particulier sur
celle de la Turquie. Avancée considérable de la démocratie pour les
uns, faux-semblant opportuniste et manœuvre politique pour les
autres, ce référendum d’un nouveau genre fit l’objet d’âpres débats
avant d’être finalement adopté par le Congrès le 28 février 2005.
Apparaissait ainsi un « référendum du troisième type », dont le
principe sera cependant remis en cause avant même qu’il ait pu être
mis en œuvre.

1. Un mécanisme inédit…
Sur le fond, l’article 88-5 disposait que « tout projet de loi
autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à
l’Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au
référendum par le président de la République » – étant précisé que
la règle ne s’appliquera qu’aux adhésions faisant suite aux
conférences intergouvernementales dont la convocation a été
er
décidée après le 1 juillet 2004, ce qui, en pratique, excluait la
19
Roumanie, la Bulgarie et la Croatie .
Techniquement, il s’agissait donc d’un référendum obligatoire,
dont la simplicité presque brutale tranchait avec les mécanismes
assez sophistiqués des articles 11 et 89. En effet, dès lors qu’il aurait
été question de ratifier un traité d’élargissement de l’Union, le
mécanisme se serait mis en marche, le président de la République
n’ayant en la matière qu’une « compétence liée » : ce qui signifie
qu’il aurait été juridiquement tenu de soumettre la question au
peuple, sans pouvoir éviter cette procédure ni en choisir une autre.
Tout usage du référendum impliquait jusqu’ici l’intervention des
institutions et une certaine collaboration entre l’exécutif et le
Parlement. Avec le référendum de l’article 88-5, l’un et l’autre se
trouvaient en quelque sorte dessaisis, le Président lui-même
n’intervenant que comme l’instrument passif et mécanique de la loi :
et c’est finalement le peuple, et lui seul, qui était amené à se
prononcer sans aucun intermédiaire. Ce qui signifiait, du reste,
qu’on ne pourrait, pour une fois, reprocher à ce référendum la
moindre dérive plébiscitaire, puisqu’en l’espèce, ce n’est pas la
volonté du chef de l’État, mais la décision prise par les organes de
l’Union européenne d’accepter l’adhésion d’un nouvel État membre,
qui déclenchait le processus référendaire.
En un sens, on pouvait donc voir dans ce nouveau référendum le
mécanisme institutionnel le plus proche de l’idéal démocratique, le
peuple étant seul en cause : au point que certains parlementaires ont
cru bon de s’en offusquer, à l’instar du sénateur Jean-Luc
Mélenchon : « Les représentants du peuple, s’interrogeait celui-ci
lors des débats du 16 février 2005 au Sénat, auraient-ils moins de
légitimité que le peuple à s’exprimer ? En ce cas, […] que signifient
nos assemblées et nos parlements ? »
2. … mais rapidement neutralisé
Telle était la ligne générale des critiques formulées contre ce
mécanisme qui, pour la première fois dans l’histoire de la
e
V République, rendait le recours au référendum inévitable – et qui
interdisait du coup tout contournement de l’intervention populaire.
Le principal grief, avancé contre le nouveau mécanisme
référendaire, était qu’il contribuait à restreindre encore les pouvoirs
du Parlement : « Pour tous les référendums prévus par notre
Constitution, observait ainsi le sénateur Christian Cointat, le
Parlement est consulté. Et là, pour une fois, il ne le serait pas ? On
peut l’expliquer, mais je considère que ce n’est pas normal. » On
peut l’expliquer, en effet : pourquoi consulter le Parlement sur une
procédure constitutionnellement obligatoire, et sur laquelle il n’y a
pas à délibérer ? Pour souligner cette prétendue anomalie, on se
prévaut donc de la « tradition républicaine », qui serait mise à mal
par ce référendum obligatoire. Jusqu’alors, déclare Robert Badinter,
en matière de ratification, « c’est toujours le Parlement qui décidait.
Or c’est ce droit que l’on vous demande d’abandonner, pour les
raisons invoquées. C’est absolument contraire à la vocation du
Parlement ! » – la ratification constituant « un pouvoir essentiel et
une prérogative essentielle du Parlement ».
Leur défiance chronique à l’égard du référendum n’empêchait
d’ailleurs pas les adversaires du nouveau mécanisme de déclarer
qu’il aurait pour effet de dévaluer cette procédure en la rendant trop
fréquente, et en la faisant porter sur des objets mineurs. « Ne
pensez-vous pas que, ce faisant, vous entraînerez la désuétude, sinon
le ridicule de l’institution référendaire ? accusait ainsi Robert
Badinter. Ne voyez-vous pas quel coup vous lui portez en rendant
cette procédure obligatoire ? » ; « Organisera-t-on, s’interrogeait
encore Christian Cointat, un référendum pour l’adhésion d’Andorre,
de Monaco, du Liechtenstein ou de la Suisse ? […] Nous ne pouvons
pas faire des référendums à tout bout de champ. »
Ainsi, l’article 88-5 introduit par la loi constitutionnelle du
1er mars 2005, consacrant la naissance d’une vraie procédure de
démocratie directe, permettait-il d’entrevoir avec une acuité
inhabituelle le rapport ambigu qu’une partie de la classe politique
entretient avec ce qu’elle continue de percevoir comme une sorte
d’usurpation. On admet cette démocratie directe tant qu’elle reste
facultative : en l’occurrence, c’est précisément le caractère
automatique du mécanisme, autrement dit, ce qui en fait tout
l’intérêt, qui fut perçu comme difficilement acceptable… Et c’est très
logiquement sur ce point précis que l’on va rapidement revenir.
Après diverses hésitations, la révision du 23 juillet 2008 conduit en
effet à introduire dans l’article 88-5 un second alinéa, qui annule
l’automaticité du mécanisme prévu à l’alinéa 1er. Il suffira désormais
d’une motion adoptée par chaque assemblée à la majorité des trois
cinquièmes pour éviter de recourir au référendum, les
parlementaires s’autorisant de la sorte à adopter eux-mêmes le projet
de loi de ratification selon la procédure du Congrès. Ce qui, en
principe comme en pratique, aboutit, en ménageant une
échappatoire, à faire disparaître le référendum obligatoire institué
en 2005.
SOUS-SECTION 3
Le droit de pétition

De nombreux auteurs ont estimé que le droit de pétition ne


constituait pas en tant que tel un mode d’expression du peuple
souverain. Outre le fait qu’il n’est pas mentionné par l’article 3 de la
Constitution, qui n’évoque à ce propos que l’élection et le
référendum, le droit de pétition n’a pas toujours été réservé aux
seuls citoyens composant le peuple. C’est ce que souligne du reste
Stanislas de Girardin, président du Tribunat sous la Constitution de
l’an VIII, lorsqu’il explique qu’il n’est pas « une portion de la
souveraineté, puisqu’il peut être exercé par tous les individus sans
distinction d’âge ni de sexe 1 ». La Constitution de 1791
reconnaissait par exemple comme un droit naturel reconnu à tout
homme « la liberté d’adresser aux autorités constituées des pétitions
signées individuellement ». Enfin, ce droit ne se rencontre pas dans
les seules constitutions démocratiques : il existe sous l’Ancien
Régime, et on le retrouve dans les deux Chartes de 1814 et 1830.
C’est même sous la Restauration qu’il connaît son heure de gloire –
constituant alors « un moyen efficace de contourner l’absence
d’initiative des chambres, et de leur permettre de se saisir de
2
certaines questions ».
Mais ce constat confirme qu’il s’agit bien d’un droit politique,
intéressant directement le fonctionnement de la cité : un droit que
les constitutions démocratiques 3 réservent le plus souvent aux seuls
citoyens, et qui retrouve une importance significative lorsque ces
derniers ont le sentiment que les voies d’accès au pouvoir sont
réduites ou bouchées.
À cet égard, on peut noter que la révision du 28 mars 2003
apparaît comme une première avancée. Dans l’exposé des motifs du
projet de loi constitutionnelle, le Premier ministre Jean-Pierre
Raffarin avait appelé au « développement de la faculté d’expression
directe dont disposent les citoyens au niveau local ». À cet effet, le
projet du gouvernement avait notamment prévu l’ambitieuse
consécration d’un droit de pétition qui aurait permis aux électeurs de
chaque collectivité territoriale « d’obtenir l’inscription à l’ordre du
jour de l’assemblée délibérante de cette collectivité de toute
question relevant de ses compétences ». Finalement, c’est une
version édulcorée de ce texte qui sera introduite dans la
er
Constitution, l’article 72-1, al. 1 disposant que les électeurs, par
l’exercice de ce droit de pétition, peuvent, non plus obtenir, mais
simplement demander une telle inscription à l’ordre du jour –
l’assemblée délibérante restant ainsi totalement libre de ses
mouvements.
C’est cependant la révision du 23 juillet 2008 qui constitue à cet
égard le vrai tournant, en réintroduisant dans le texte
constitutionnel le droit de pétition au niveau national, et en confiant
à un organe spécifique le soin de recueillir les pétitions, de s’assurer
qu’elles correspondent bien aux conditions constitutionnelles, et
d’en tirer les conséquences.

A. Des modalités encadrées


En vertu de cette révision, l’ancien Conseil économique et social
a en effet été remplacé par un Conseil économique social et
environnemental (CESE), auquel est consacré le titre XI de la
4
Constitution. Ce conseil, dispose la loi organique du 28 juin 2010 ,
« représentant les principales activités du pays […], favorise leur
collaboration et assure leur participation à la politique économique,
sociale et environnementale de la Nation ». Dans ce but, il peut être
saisi par voie de pétition, laquelle, précise le site du CESE, « lui
permet de prendre en compte une parole citoyenne construite en
dehors de toute institution ou organisation ».
Pour ce qui est de la procédure, l’article 5 de la loi organique
précise les conditions de fond et de forme de cette saisine, ainsi que
les suites susceptibles de lui être données.
Elle indique que le CESE peut être saisi par voie de pétition de
toute question à caractère économique, social ou environnemental –
à condition que la pétition, rédigée en français et établie par écrit,
soit « présentée dans les mêmes termes par au moins 500 000
personnes majeures, de nationalité française ou résidant
régulièrement en France ».

B. Une effectivité réduite


En 1845, un certain M. Barrau, rédigeant une brochure
consacrée au droit de pétition, assurait que « rien n’est plus frappant
ni aussi déplorable que la stérilité » de ce dernier. Un siècle plus
tard, l’immense pétition lancée par Jean Cornec, la FCPE et le
Comité d’action laïque pour dénoncer la loi scolaire adoptée en
1959, recueillit plus de 10 millions de signatures – sans avoir le
moindre impact sur la nouvelle législation. À un siècle d’intervalle
et dans des contextes politiques et constitutionnels très divers, ces
deux exemples indiquent que le problème majeur, en la matière, est
celui de l’effectivité – manifestement réduite lorsqu’elle est laissée
au bon vouloir des pouvoirs publics.
D’autant qu’en la matière, il faut reconnaître les difficultés liées
à la recevabilité.
Difficultés liées au seuil, fixé à 500 000 signatures par la loi
organique de 2010 – avec pour conséquence que trois ans plus tard,
une seule et unique pétition avait atteint ce chiffre : en l’occurrence,
la pétition demandant l’avis du CESE sur l’ouverture du mariage aux
couples de même sexe, qui avait été signée par 700 000 personnes
lorsque le CESE en fut saisi le 15 février 2013. Au seuil, mais aussi à
des questions de forme : le 26 février, après avoir consulté le
Premier ministre, le CESE rejeta la pétition comme irrecevable – au
motif qu’au lieu de porter sur une « question » (le « mariage
homosexuel »), le libellé de la saisine évoquait le projet de loi (sur
ledit mariage). Or, « la saisine du CESE pour avis sur un projet de loi
relève exclusivement du Premier ministre. Celle-ci ne saurait ainsi
être autorisée par voie de pétition citoyenne. » Le CESE aurait certes
pu requalifier la demande afin de la juger recevable : il préféra s’en
tenir à une interprétation stricte, au risque de dissuader ceux qui
désireraient faire usage du droit de pétition.
Le CESE ayant beau se présenter comme la « troisième assemblée
à vocation consultative », on a en effet le sentiment de voir la
montagne accoucher d’une souris – les efforts considérables
déployés pour saisir le Conseil ne débouchant, précise la loi
organique, que sur « un avis en assemblée plénière sur les questions
soulevées par les pétitions recevables et sur les suites qu’il propose
d’y donner » – avis rendu « dans un délai d’un an », et adressé au
Premier ministre, aux présidents des deux assemblées et au
mandataire de la pétition 5.
Section III
L’étendue de la souveraineté

Longtemps, la question que l’on vient d’évoquer, celle des


modalités d’exercice de la souveraineté, fut la seule à être posée par
les publicistes. En revanche, celle qui porte sur la consistance de
cette souveraineté était supposée résolue. Une nation, proclamait en
1789 le « père du droit public français », l’abbé Sieyès, ne peut
s’interdire de vouloir. « De quelque manière qu’une nation veuille, il
suffit qu’elle veuille ; toutes les formes sont bonnes, et sa volonté est
toujours la loi suprême. Il suffit que sa volonté paraisse pour que
tout droit positif cesse devant elle, comme devant la source et le
maître suprême de tout droit positif 1 ».
La souveraineté du peuple consiste dans le fait d’avoir le droit de
faire, dans son ordre, tout ce qu’il veut, sans être lié par un pouvoir
ou par une règle supérieure, toute norme applicable dans cet ordre
n’étant que l’expression de la souveraineté. Celle-ci ne peut être
cédée : « c’est [la] propriété inaliénable » de la communauté, qui
n’existe d’ailleurs qu’en tant qu’elle dispose de ce pouvoir, et qui
perdrait donc sa qualité si elle cédait ce qui la caractérise, cette
souveraineté qui fait d’elle « un tout voulant et agissant ».
Cependant, à l’instar de la définition classique du citoyen dont
on a évoqué plus haut l’actuelle dislocation, cette conception
traditionnelle de la souveraineté n’a pas résisté aux mutations
contemporaines. Depuis deux décennies, elle se trouve menacée par
une série de mouvements convergents au niveau européen et
régional – mouvements dont l’étude approfondie relève d’autres
disciplines, comme le droit administratif ou le droit communautaire,
mais qu’il paraît difficile de ne pas évoquer ici, au moins
brièvement.
SOUS-SECTION 1
Au niveau européen

A. Premières atteintes
À cet égard, une précaution s’impose : il faut rappeler que tout
traité, tout accord international implique par définition une certaine
limite à la souveraineté, l’État signataire s’obligeant, par cet accord,
à faire ou à ne pas faire ce qu’il stipule. Mais cette limite, volontaire,
réduite et temporaire, ne représente pas un véritable renoncement,
ni même une réduction de l’étendue de la souveraineté telle que
l’énonce l’article 3.
C’est d’ailleurs ce qu’a longtemps contrôlé le Conseil
constitutionnel, en vérifiant, sur le fondement de l’article 54, que le
traité signé par la France ne mettait pas « en cause les conditions
essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » (70-39 DC,
19 juin 1970), ou encore, en distinguant les « limitations de
souveraineté », conformes à la Constitution, des « transferts de tout
ou partie de la souveraineté nationale » (76-71 DC, 29-30 décembre
1976), jugés non conformes et impliquant donc, préalablement à la
ratification du traité, une révision de la Constitution.
C’est à une telle révision que procède le Parlement réuni en
Congrès le 25 juin 1992, à la suite de la décision 92-308 DC du
9 avril 1992, qui constatait que trois dispositions du traité de
Maastricht mettaient en cause ces « conditions essentielles d’exercice
de la souveraineté nationale ». Et tel est à nouveau le cas avec la loi
constitutionnelle no 99-49 du 25 janvier 1999, qui fait suite à la
décision du 31 décembre 1997 (97-394 DC) dans laquelle le Conseil
constitutionnel constatait la non-conformité de certaines
dispositions du traité d’Amsterdam ; puis avec la loi
er
constitutionnelle du 1 mars 2005, rendue nécessaire par la décision
2004-505 DC du 19 novembre 2004 relative au traité sur la
Constitution européenne.
Ces révisions, non susceptibles de contrôle en vertu du principe,
quelque peu paradoxal en l’occurrence, de la « souveraineté du
constituant » (92-312 DC, 2 septembre 1992, c. 19), vont donc
intégrer dans la Constitution des dispositions portant atteinte à ces
« conditions essentielles », et en fait, à la consistance même de la
souveraineté nationale.

La dynamique européenne entraîne à cet égard une réduction de


souveraineté au profit d’instances supranationales, celles de l’Union,
qui ont le pouvoir de créer des règles obligatoires, directement
applicables (c’est-à-dire créant immédiatement des droits et des
obligations dans le chef des citoyens français) et dotées, selon les
juridictions européennes, d’une valeur supérieure aux règles
1
nationales, quel que soit le niveau de ces dernières .
Le souverain doit donc se plier à un certain nombre de normes
qu’il n’a pas établies lui-même, d’autant que la réduction du
principe de l’unanimité au niveau communautaire lui enlève peu à
peu son droit de veto. De surcroît, il n’a plus le pouvoir de créer les
règles dans un certain nombre de domaines, de plus en plus larges,
désormais réservés aux institutions communautaires.

B. Vers une Constitution européenne ?


Défendue de longue date par les fédéralistes les plus
intransigeants et partiellement reprise par la CJCE qui, dès 1986,
avait qualifié les traités institutifs de « Charte constitutionnelle 2 »,
l’idée d’une « Constitution européenne » avait été bruyamment
relancée, en mai 2000, par le ministre allemand des Affaires
étrangères Joschka Fischer, puis par le président Chirac dans un
discours prononcé à Berlin le 27 juin 2000. Finalement, c’est le
Conseil européen de Laeken qui, les 14 et 15 décembre 2001, décide
de passer de l’idée à la réalisation : il va charger une « Convention »,
présidée par Valéry Giscard d’Estaing, de préparer un projet visant à
simplifier la répartition des compétences, à structurer la vie
politique de l’Union, à introduire « davantage de démocratie, de
transparence et d’efficacité » dans son fonctionnement institutionnel
– et donc de réfléchir à l’adoption d’une Constitution, destinée à se
substituer aux traités fondateurs.
Un an et demi plus tard, le 20 juin 2003, le président Giscard
d’Estaing soumettait aux chefs d’État et de gouvernement, réunis en
Conseil européen à Thessalonique, le projet élaboré par la
Convention. Reçu avec enthousiasme, ce projet se présentait
explicitement, dès son Préambule et son article 1er, comme l’ébauche
3
de « la future Constitution européenne ».

Si l’on s’en tenait au sens habituel des mots – notamment, du


terme « Constitution », qui implique a priori la présence d’un État,
qui va être juridiquement constitué par ce texte –, on pourrait voir
dans l’adoption d’un tel texte la naissance d’un État fédéral, l’Union,
scellant du même coup la fin de la souveraineté des États membres,
qui perdraient leur qualité propre pour se voir ravalés au rang
d’États fédérés. C’est d’ailleurs ce que laissait entendre le président
Giscard d’Estaing en comparant les travaux de la convention à ceux
des constituants américains de 1787, qui établirent à Philadelphie la
Constitution des États-Unis – et ce que paraissait confirmer le
contenu même du projet. Ainsi, son article 2 disposait que « l’Union
respecte l’identité nationale », et non la souveraineté, « de ses États
membres ». L’article 8 précisait que « la citoyenneté de l’Union
s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas » : c’est
précisément ce qui caractérise un système fédéral, par opposition à
un État unitaire. Certes, l’article 9 ajoutait que l’Union n’a qu’une
compétence d’attribution – mais il en va de même des États-Unis ou
de l’Allemagne fédérale. Autre élément significatif : l’article 10
inscrivait dans la Constitution le principe, d’origine
jurisprudentielle, de la primauté du droit communautaire – y
compris celui qui a été « adopté par les institutions de l’Union dans
l’exercice des compétences qui lui sont attribuées » – sur le droit des
États membres. Ce qui implique concrètement que n’importe quel
acte communautaire prévaut sur la totalité du droit interne, y
compris constitutionnel, et que les États ont l’obligation d’en tirer
toutes les conséquences.
Des indices concordants se retrouvaient aussi sur le plan
institutionnel, l’Union définie par le projet ressemblant à beaucoup
d’égards à un État en bonne et due forme : dotée d’un chef d’État, le
président du Conseil européen, élu par ce Conseil pour un mandat
de deux ans et demi renouvelable une fois ; d’un ministre des
Affaires étrangères de l’Union (article 27) ; d’une Commission dotée
du pouvoir d’initiative et d’exécution des lois ; d’un Conseil des
ministres se prononçant en principe à la majorité qualifiée, et d’un
Parlement exerçant conjointement avec lui les fonctions législatives
et budgétaires (article 22). Dernier indice, hautement symbolique :
le changement de dénomination des actes communautaires, l’ancien
« règlement » devenant « loi européenne », elle-même définie comme
un « acte législatif à portée générale », l’ancienne « directive » étant
quant à elle rebaptisée « loi-cadre européenne ».

À première vue, la Constitution élaborée par la « Convention sur


l’avenir de l’Europe » semblait donc représenter le terme ultime
d’une évolution vers la forme fédérale – et donc, vers le transfert de
souveraineté des États membres à l’Union. Mais peut-être est-ce
précisément ce qui va faire échouer le processus : dans l’ordre
institutionnel, on ne saurait surestimer l’impact de la dimension
symbolique. Le 13 décembre 2003, le sommet européen réuni à
Bruxelles se solde par un échec, aucun accord n’ayant été trouvé sur
le projet de Constitution. La machine est pourtant rapidement
relancée, les représentants des vingt-cinq États membres réunis à
nouveau à Bruxelles le 19 juin 2004 adoptant un « projet de traité
établissant une Constitution pour l’Europe » qui reprend pour
l’essentiel le texte établi par la Convention. Un traité est signé
officiellement le 29 octobre 2004 à Rome par les chefs d’État et de
gouvernement. Mais encore faut-il, pour qu’il entre en vigueur, qu’il
soit ratifié par l’ensemble des vingt-cinq États signataires. C’est alors
que va se produire un blocage imprévu.
En vertu de la Constitution de 1958, le vote de la loi de
ratification pouvait être réalisé, soit par la voie parlementaire, mode
ordinaire d’adoption des lois, soit par la voie référendaire : voie
exceptionnelle, certes, mais qui, vu l’importance et la solennité d’un
texte qualifié de « Constitution », semblait en l’espèce la seule
légitime, la seule susceptible de conférer au texte approuvé une
valeur démocratique indiscutable. C’est la raison pour laquelle,
comme François Mitterrand en septembre 1992 pour le traité de
Maastricht, le président Chirac décida de soumettre au référendum
le projet de loi de ratification. Une décision apparemment sans
risque, à en croire les premiers sondages, qui prévoyaient 66 % de
oui – mais qui, pour différentes raisons, va finalement tourner au
fiasco, le référendum du 29 mai 2005 se soldant par une large
victoire du non, d’ailleurs prolongée quelques jours plus tard, le
er
1 juin, par un rejet identique aux Pays-Bas. Malgré les protestations
de certains et les dénégations de certains autres, la « Constitution »
de l’Europe est morte le 29 mai 2005.
La Constitution, mais pas la dynamique de la construction, qui se
poursuit, quoique sur un mode mineur, durant les années qui
suivent. Lors du Conseil européen des 21 et 22 juin 2007, les chefs
d’État et de gouvernement, cette fois au nombre de 27, s’accordent
sur le principe d’un « traité simplifié » visant à sortir l’Union du
blocage institutionnel. Le 13 décembre, le traité est signé à Lisbonne
par les représentants des États membres.
À certains égards, ce dernier peut être perçu comme une version
à peine édulcorée de la Constitution européenne rejetée par les
Français le 29 mai 2005. Une version juste assez différente pour
justifier, cette fois, une ratification parlementaire, qui aura lieu le
7 février 2008, tout en évitant de donner au peuple le sentiment
trop vif que l’on bafoue impunément sa décision souveraine. Selon
le député européen Paul-Marie Couteaux, il ne s’agirait pourtant que
4
d’une « Constitution remaquillée », consacrant de nouveaux
empiétements sur la souveraineté nationale – en élargissant
notamment de façon sensible le cercle des questions échappant à la
décision à l’unanimité, et en rendant obligatoire la « Charte des
droits fondamentaux », même si cette dernière n’est plus intégrée
dans le corps du traité, comme c’était le cas précédemment. De
l’autre côté, Giscard d’Estaing, le père de la Constitution mort-née,
assurait que toute la question se résumait à une équation très
simple : « Traité de Lisbonne = Traité constitutionnel – son âme et
le rêve européen qu’il exprimait 5 ».
En fait, on doit reconnaître que, sur plusieurs points non
négligeables, le traité de Lisbonne paraît en retrait par rapport aux
projets précédents. Outre l’abandon des éléments symboliques
(comme l’hymne, le drapeau et la devise, ou encore, l’usage de
termes spécifiquement étatiques tels que « Constitution », « loi », ou
« ministre des Affaires étrangères de l’Union »), on a pu noter une
formulation plus rigoureuse des principes d’attribution, de
subsidiarité et de proportionnalité, qui régissent la limitation et
l’exercice des compétences de l’Union.
Dans le même sens encore, celui d’un retrait au moins apparent,
on constate que le principe de primauté, en vertu duquel l’ensemble
du droit de l’Union prévaut sur l’ensemble du droit des États
membres, principe caractéristique d’une remise en cause de la
souveraineté nationale, ne figure plus dans le corps du texte, mais
dans une « déclaration relative à des dispositions des traités » :
déplacement significatif, même si cette déclaration précise que « le
fait que le principe de la primauté ne soit pas inscrit dans le futur
traité ne modifiera en rien l’existence de ce principe ni la
jurisprudence en vigueur de la Cour de justice 6 ».
Enfin, comme le soulignait Michel Troper, bien que des
compétences nombreuses aient été transférées à l’Union, « il n’y a
pas de souveraineté européenne tant qu’il reste une souveraineté des
États, c’est-à-dire, le pouvoir ultime de décider et donc de reprendre
7
des compétences accordées antérieurement ». Or, ce droit de
sécession, qui figurait déjà dans le projet de Constitution
européenne, se trouve à nouveau proclamé dans le traité de
er
Lisbonne, dont l’article 50, alinéa 1 dispose que « tout État membre
peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se
retirer de l’Union ». Ce qui signifie qu’il a la faculté de recouvrer à
tout moment la plénitude de sa souveraineté, la Constitution
européenne cessant dès lors de lui être applicable. Ainsi, la
souveraineté de chaque État membre n’est-elle pas « absorbée »
définitivement par l’Union : mais simplement en attente, comme en
pointillé, son titulaire originaire conservant en toute hypothèse le
pouvoir de la récupérer, et demeurant ainsi souverain en puissance –
la question étant bien sûr de savoir si une souveraineté peut exister
autrement qu’en acte…

Au total, s’il traduit un recul par rapport aux projets de


Constitution européenne élaborés entre 2001 et 2005, le traité de
Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, n’en représente pas
moins un pas supplémentaire dans l’érosion de la souveraineté du
peuple.
SOUS-SECTION 2
Au niveau régional

D’autant que la dégradation de la souveraineté résulte aussi


d’une décentralisation dont les effets sont indissociables du
mouvement qui s’opère au niveau, supérieur, de la construction
européenne.

A. De la décentralisation...
« La décentralisation s’arrête où commence l’exercice de la
souveraineté nationale. Le démembrement commence lorsque
l’exercice de la souveraineté nationale devient impossible 1 », notait
Michel Debré en 1982, lors des débats sur les premières lois de
décentralisation.
Celles-ci allaient déjà au-delà de ce qu’avait souhaité le
constituant de 1958 en inscrivant dans l’article 72, alinéa 2, que les
collectivités territoriales de la République « s’administrent librement
par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ».
Cependant, cette décentralisation, résultant d’une série de lois
ordinaires, demeurait étroitement bridée par les normes
constitutionnelles, et en particulier, par le principe d’indivisibilité
er
de la République (art. 1 ). Au-delà, elle se trouvait corsetée par un
ensemble de règles restrictives mises en œuvre à la fois par
l’administration, le juge administratif et le Conseil constitutionnel,
attentif à ce que les prérogatives de l’État ne fussent « ni restreintes,
ni privées d’effet, même temporairement », par le principe de libre
administration (82-137 DC, 25 février 1982).
C’est ce que la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 « relative à
l’organisation décentralisée de la République » va partiellement
remettre en cause – en permettant à la « nouvelle décentralisation »,
désormais inscrite dans la Constitution elle-même, de dépasser les
limites constitutionnelles imposées à la loi du 2 mars 1982. Avant
d’en évoquer le contenu, il faut noter que c’est la dynamique
européenne qui a, sinon suscité, du moins facilité l’élaboration de
cette révision.
Les effets de la construction européenne sur la décentralisation
sont à la fois directs et indirects.
Indirects, d’abord, dans la mesure où la remise en cause, par
cette construction, du monopole et de l’intangibilité de la
souveraineté étatique, ouvre naturellement la voie aux
revendications régionalistes. Si la souveraineté est partagée avec le
niveau supérieur, pourquoi ne le serait-elle pas aussi avec le, ou les
niveaux inférieurs ? C’est d’ailleurs ce qu’implique la logique du
principe de subsidiarité, inscrit dans les traités européens depuis
Maastricht, selon lequel le niveau supérieur doit confier au niveau
inférieur tout ce dont celui-ci peut se charger de manière
satisfaisante. Cette tendance se trouve encore accentuée par le fait
que les principaux partenaires de la France au sein de l’Union
connaissent déjà, pour leur part, ce type de partage vertical, qu’il
s’agisse d’États fédéraux au sens propre (Belgique, RFA, Autriche),
d’États unitaires hyper-décentralisés (l’Espagne des « Communautés
autonomes », l’Italie des « régions à statut spécial »), ou comportant
des territoires à statut particulier (comme, en Grande-Bretagne,
l’Écosse et le pays de Galles depuis la dévolution de
septembre 1997). La construction européenne promeut ainsi un
modèle très particulier de rapports entre le centre et la périphérie,
entre l’État et ses « sous-États », qui va à l’encontre de la conception
française d’une souveraineté indivisible, au même titre que le peuple
qui la détient.
Mais l’effet de la dynamique européenne sur la décentralisation
est également direct, les régions se voyant reconnaître un rôle au
sein de l’Union, par-dessus les États membres dont elles font partie.
Dès 1988, la Commission crée un « Conseil consultatif des
collectivités régionales et locales » qui devient, après 1992, le
« Comité des régions ». Ainsi, le principe selon lequel les
compétences internationales sont réservées au pouvoir souverain,
dont elles constituent une caractéristique majeure, tend-il à être
remis en cause, au sein de l’Union, au profit des régions, en dehors
de toute habilitation étatique.
Ce rôle des régions est appelé à se développer dans le cadre
européen : en décembre 2000, les conclusions du sommet de Nice
envisageaient la question de la future répartition des compétences
entre les trois niveaux de l’Union, des États et des régions. Entré en
vigueur neuf ans plus tard, le traité de Lisbonne accentue la prise en
compte des régions. L’article 2 du Protocole sur l’application des
principes de subsidiarité et de proportionnalité dispose qu’avant de
« proposer un acte législatif », la Commission doit procéder à des
consultations devant tenir compte, « le cas échéant, de la dimension
régionale ou locale » de l’acte envisagé. Par ailleurs, le Comité des
régions, dont les membres, représentant les différentes régions,
exercent leurs fonctions « en pleine indépendance, dans l’intérêt
général de l’Union » (art. 256 bis), se voit reconnaître le rôle de
« gardien de la subsidiarité », étant compétent pour saisir la Cour de
justice des « actes législatifs » qu’il juge contraires à ce principe.
B. … au démembrement ?

1. La révision de 2003
C’est dans cette perspective que s’inscrit la révision du 28 mars
2003, qui retouche ou crée quinze articles de la Constitution, en
er
particulier, de façon volontairement symbolique, l’article 1 qui,
évoquant la France, dispose désormais que « son organisation est
décentralisée ».
Toute la question est bien sûr de savoir ce que recouvre, en
l’occurrence, le terme de « décentralisation », qui est sans conteste
l’un des plus imprécis du vocabulaire politique français.
Au premier abord, la révision du 28 mars 2003 paraît plutôt
séduisante, visant à évacuer les derniers restes d’un jacobinisme
anachronique qui s’obstinait à confondre unité et uniformité. Les
objectifs de la réforme, développés par le Premier ministre Jean-
Pierre Raffarin dans l’exposé des motifs du projet de loi
constitutionnelle, sont en effet assez ambitieux. À travers la
décentralisation, il s’agit de construire un État plus responsable, qui
continuera de « définir les grands principes », mais en se recentrant
sur « ses missions principales 2 » tout en reconnaissant la capacité et
l’autonomie de gestion des collectivités territoriales. Un État plus
responsable, donc, mais aussi plus efficace, la décentralisation
induisant une simplification des structures, et plus démocratique, les
citoyens étant « plus souvent consultés, notamment dans les débats
locaux ».
En ce sens, la révision confère (sans le nommer) une valeur
constitutionnelle au principe de subsidiarité, défini comme la clé de
répartition des compétences entre l’État et les collectivités
territoriales. Celles-ci, précise en effet le nouvel article 72 al. 2,
« ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur
échelon ». Quant à la réalisation de ce principe, elle sera facilitée
par de nouveaux mécanismes juridiques également inscrits dans la
Constitution : en particulier la possibilité d’introduire dans la loi ou
le règlement, « pour un objet et une durée limités, des dispositions à
caractère expérimental » (art. 37-1) ; ainsi que la faculté, ouverte
aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, de « déroger, à
titre expérimental […] aux dispositions législatives ou
réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences »
(art. 72, al. 4). Désormais, il sera donc possible de prendre en
compte les réalités, c’est-à-dire, les différences existant entre les
collectivités territoriales, et d’élaborer des réglementations plus
souples, plus efficaces, car mieux adaptées.

2. Les problèmes
Néanmoins, cette révision a fait l’objet de critiques virulentes – y
compris dans les rangs de la majorité, Jean-Louis Debré, alors
président de l’Assemblée nationale, ayant ainsi déclaré, dans le
prolongement de ce qu’affirmait son père Michel Debré, qu’« il ne
faut pas tomber d’un jacobinisme exacerbé dans un intégrisme
décentralisateur ». La décentralisation, ajoutait-il, ne doit pas être
« une grande braderie qui laisserait la République en morceaux »,
favorisant l’émergence de féodalités régionales susceptibles de
concurrencer victorieusement la souveraineté du peuple et
dépossédant « subrepticement [l’État] des missions relatives à la
3
cohésion nationale ». Pourtant, si dangers il y a, ceux-ci résultent
moins de la révision elle-même, qui au fond n’a rien de
révolutionnaire, que de la situation d’incertitude qu’elle inaugure.
Sur un plan juridique, la révision introduit plusieurs types
d’innovation : notamment, dans l’ordre normatif, la possibilité
ouverte aux collectivités territoriales de « déroger à titre
expérimental […] aux dispositions législatives et réglementaires qui
régissent l’exercice de leurs compétences » (art. 72, al. 4), ainsi que
la reconnaissance à ces collectivités d’un pouvoir réglementaire
« pour l’exercice de leurs compétences » (art. 72, al. 3). Cependant,
ni l’une ni l’autre de ces innovations n’entraîne une altération
significative de la souveraineté, ni même une remise en question de
la primauté des normes étatiques. Pour ce qui est des dérogations,
qui sont exclues en toute hypothèse « lorsque sont en cause les
conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un
droit constitutionnellement garanti », elles supposent l’intervention
préalable de la loi ou du règlement, qui doivent les avoir prévues.
Pour ce qui est, d’autre part, du pouvoir réglementaire local, la
révision se borne à consacrer ce qu’avait déjà implicitement reconnu
le Conseil constitutionnel 4 – qui admettait, parallèlement au
pouvoir réglementaire du Premier ministre prévu par l’article 21,
l’existence d’un autre type de pouvoir réglementaire, fondé sur le
principe de libre administration des collectivités locales énoncé dans
l’article 72, al. 2 (ancienne version). En outre, avant comme après la
révision, ce pouvoir réglementaire local demeure résiduel,
subsidiaire et subordonné. Au total, estimait alors un observateur,
« malgré les apparences, la réforme constitutionnelle a une portée
juridique essentiellement symbolique et ne devrait avoir de ce point
de vue que des effets marginaux 5 ».
Enfin, confortant cette logique, la Constitution prévoit, dans ce
qui est désormais l’article 72, al. 6, que « dans les collectivités
territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant
de chacun des membres du gouvernement, a la charge des intérêts
nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». La
hiérarchie normative et institutionnelle se trouve ainsi maintenue au
sein de ce qui demeure un État unitaire.
Le problème vient donc moins du texte lui-même que de la
situation d’incertitude qu’il ouvre. Après 2003, en effet, on a le
sentiment que chaque Président, sinon chaque Premier ministre,
développe sa propre vision de la décentralisation et y va de sa
propre réforme – quitte à abroger, parfois avant même qu’elles aient
eu le temps d’être mises en application, certaines des dispositions
phares de la réforme précédente.
o
C’est ainsi que la loi n 2014-58 du 27 janvier 2014 dite de
modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation
des métropoles prétend « retrouver l’esprit du processus de
décentralisation initié en 1982 sous l’impulsion du président
François Mitterrand 6 ». À ce titre, « cette démarche diffère des
initiatives portées par les précédents gouvernements ». Elle s’oppose
notamment à la loi Raffarin du 13 août 2004, qui avait pour objet
principal le transfert de compétences, notamment à titre
expérimental. Mais elle entend surtout se distinguer de la loi de
réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, définie
comme « une tentative de spécialisation uniforme des compétences
des collectivités locales. »
En effet, poursuit l’exposé des motifs de la loi de 2014, « les
réformes mises en œuvre ces dernières années n’ont pas su repenser
globalement les enjeux de l’intervention publique sur notre
territoire ». D’où la volonté de défaire ce qu’elles avaient fait, et par
exemple de rétablir la clause de compétence générale des
départements et des régions dont l’abolition, décidée par la loi du
er
16 décembre 2010, aurait dû prendre effet au 1 janvier 2015.
Et le mouvement se poursuit inexorablement : l’année suivante
o
débute avec la publication de la loi n 2015-29 du 16 janvier 2015
relative à la délimitation des régions – une mutation qui n’est
évidemment pas sans incidence sur les équilibres des pouvoirs et les
rapports de force entre l’État et les nouvelles « super régions ».
Quelques mois plus tard, c’est la monumentale et très controversée
loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation
territoriale de la république, dite loi NOTRe, qui est adoptée. Cette
dernière, qualifiée par certains de « monstre juridique », a pour
ambition de rationaliser et de moderniser la carte des territoires au
profit des régions et des intercommunalités, aux dépens des
départements et des communes. Une transformation qui pourrait
être jugée légitime, n’étaient l’impression d’improvisation qu’elle
donne (c’est ainsi que la « clause générale de compétence » des
régions et des départements, expressément rétablie en 2014 au nom
de la clarté et de la modernisation, se trouve supprimée, pour les
mêmes raisons, par la loi de 2015) et le sentiment de dépossession
qu’elle fait naître du côté des populations et des élus locaux, dépités
de n’avoir même pas été consultés par le gouvernement sur cette
réforme majeure.
L’observateur éprouve donc, face à ces chantiers inachevés, un
sentiment d’incertitude, de flottement, d’insécurité 7 – qui contraste
avec la situation d’avant 1982, où l’on considérait la centralisation
mise en place en l’an VIII comme l’une des « masses granitiques »,
l’un des éléments stabilisants de l’État, et l’une des marques
caractéristiques de la souveraineté du peuple.
Chapitre II
LE RÈGNE DU PRÉSIDENT
Le président de la République occupe une place de choix dans la
Constitution du 4 octobre 1958 : contrairement à la tradition
républicaine, qui accordait toujours cette place au Parlement ou au
Corps législatif, il est évoqué dès le titre II, juste après le peuple
(titre I) et l’énoncé des Principes du régime. Cela signifie-t-il pour
autant que le président de la République se substitue au Parlement à
la tête de l’État et au centre des pouvoirs ? Ou n’est-ce qu’un
hommage formel, qui ne porte pas à conséquence sur un plan
pratique et ne remet pas en cause le caractère parlementaire du
système – comme le laissent entendre d’autres dispositions du même
texte, notamment l’article 20 1 ?
Pour répondre à cette question, on doit se demander d’abord
quelle idée se faisaient du chef de l’État les auteurs du projet de
Constitution : comment ceux-ci, en particulier le général de Gaulle
et Michel Debré, concevaient-ils la fonction présidentielle ? Et l’on
s’aperçoit que l’un comme l’autre ont employé, pour définir le
Président, le terme de « monarque républicain » : expression
suffisamment énigmatique pour qu’on s’y arrête un instant.
Chez Michel Debré, issu d’un milieu profondément républicain,
cette désignation figure pour la première fois dans un texte rédigé
sous l’Occupation 2, où il expose ses projets de réforme
constitutionnelle. À l’époque, une opinion est très répandue : si la
France a été écrasée en 1940, c’est en raison de la faiblesse de ses
institutions, et en particulier parce qu’il manquait un chef à la tête
de l’État. Car les démocraties modernes, estime-t-on alors, ne
peuvent plus se passer d’un gouvernement efficace et puissant,
comme le prouvent d’ailleurs les deux seules démocraties qui soient
parvenues à résister à la poussée des puissances de l’Axe, la Grande-
Bretagne et les États-Unis. C’est sur ces deux exemples, considérés
comme les seuls modèles possibles, que se fonde la réflexion de
Michel Debré. « À la tête de la démocratie anglaise, il est un Roi ; à
la tête de la démocratie américaine, un Président. L’un et l’autre
sont chefs d’État. » Considérant les divisions profondes du peuple
français, Debré note cependant qu’un Président élu, comme le
Président américain, n’obtiendrait jamais la majorité absolue : dans
cette hypothèse, la France serait « gouvernée par le représentant
d’une minorité », ce qui lui semble inadmissible. La solution
présidentielle s’avérant inadaptée, « la France n’a donc pas le choix.
Son chef d’État ne peut être qu’un monarque ». Sera-t-il pour autant
un roi héréditaire, comme en Grande-Bretagne ? Une telle solution
n’est possible que « si la nation entière est prête à l’accepter », ce
qui, observe Debré, n’est pas le cas actuellement. Dès lors, « la seule
chance pour la démocratie française est, si l’on peut s’exprimer
ainsi, un monarque républicain ». Un « vrai chef d’État », n’étant
plus désigné par le Parlement, mais élu par un collège élargi
(comprenant des représentants des municipalités, des conseils
généraux, des universités, des syndicats), et pour une longue durée,
afin d’assurer « la permanence, la stabilité nécessaire 3 ».
Chez de Gaulle, la thématique monarchique relève de
perspectives très différentes. D’abord, elle est beaucoup plus
profondément ancrée, puisqu’elle se rattache à une tradition
familiale à laquelle le Général est toujours demeuré fidèle, y
compris après la Seconde Guerre mondiale et son ralliement exprès
à une forme républicaine de gouvernement. Ensuite, elle correspond
à sa vision des hommes et de la politique, le Général étant
convaincu que l’État, tout comme l’armée, ne saurait fonctionner
sans un chef unique, incontesté, susceptible de trancher les grands
problèmes et d’assumer la responsabilité de ses décisions. Il faut,
répétera-t-il inlassablement, « une tête à l’État 4 », et il n’en faut
qu’une seule : « on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au
5
sommet ». L’unité du commandement conditionne l’efficacité de
l’action, et ses chances de réussite.
Mais si de Gaulle et Debré emploient l’un et l’autre le terme de
« monarque républicain », ils ne s’accordent pas complètement sur le
sens de ce mot, et, en particulier, sur les pouvoirs dévolus au chef de
l’État. Pour de Gaulle, il s’agit en effet d’un monarque, sinon absolu,
du moins actif et puissant. « Bien loin que le Président doive,
comme naguère, demeurer dans un rôle de conseil et de
représentation », il doit avoir désormais, expliquera-t-il en 1962, « la
charge insigne du destin de la France et de celui de la République » :
ce qui suppose que, « pour porter ces responsabilités suprêmes, il
faut au chef de l’État des moyens », c’est-à-dire des pouvoirs « qui
6
lui soient adéquats ». « Le Président, soulignera-t-il plus tard, est
évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État 7. »
Pour Michel Debré, il en va différemment : le principal intérêt
qu’il trouve au monarque est, conformément à la tradition libérale,
de se situer au-dessus du jeu politique et d’assumer le rôle d’un
arbitre impartial entre les « pouvoirs actifs » que sont le Parlement
et le gouvernement. Le monarque anglais, qu’il prend pour modèle,
« n’est pas le représentant de la nation, il en est le symbole […]. Il
n’est pas l’autorité, mais la stabilité, la permanence, l’unité 8 ».
e
Comme le roi constitutionnel du XIX siècle, et contrairement au
Président américain, ce monarque républicain règne, mais ne
gouverne pas : idée que l’on retrouvera au moment de la genèse de
la Constitution de 1958, avec l’image d’un Président « clé de voûte »
du nouveau système – la caractéristique d’une clé de voûte étant
l’immobilité…
En ce qui concerne la définition des pouvoirs et le statut du chef
de l’État, le texte de 1958 paraît se ressentir de cette double
influence, partiellement contradictoire. Certains articles renvoient
en effet à la conception libérale d’un « monarque constitutionnel »
(art. 5, 8, 12, 17, 18, 54, 56, 61), alors que d’autres semblent
impliquer une approche beaucoup plus activiste du rôle du
Président (art. 11, 13, 16, 19). Et comme le prévoyaient à l’époque
les observateurs les plus perspicaces, c’est finalement cette dernière
conception, gaullienne, qui va l’emporter dans la pratique – du
moins en dehors des périodes de « cohabitation » durant lesquelles
le « monarque constitutionnel » réapparaît, en dépit de la légitimité
accrue qui résulte, depuis la révision de 1962, de son élection au
suffrage universel direct.
Les deux problèmes qui se posent à cet égard, du reste
inextricablement liés l’un à l’autre, sont donc celui du statut du
Président, et celui des pouvoirs qu’il détient, notamment en raison
de ce statut.
Section I
Une institution stable

Politiquement et symboliquement, le Président est, ou du moins


est devenu, l’élément central du système. D’où la relative prudence
qui se manifeste lorsque l’on touche à son statut. En parallèle, on
note une tendance à faire du président de la République un
intouchable, en interprétant de manière restrictive les dispositions
concernant sa responsabilité pénale, et les principes coutumiers qui
déterminent sa responsabilité politique : et l’on retrouve ici le poids
décidément considérable de la culture politique française, marquée
par la confrontation de ses racines monarchiques et de la tradition
républicaine…
SOUS-SECTION 1
Le mandat présidentiel

Dans une démocratie représentative, le mandat est l’acte par


lequel le peuple, suivant les règles prévues par la Constitution,
confie des pouvoirs à l’un de ses représentants. En ce qui concerne le
président de la République, il s’agit d’un mandat électif, dont la
durée a été abrégée et qui, depuis la révision de juillet 2008, n’est
plus renouvelable qu’une seule fois.

A. Un mandat électif
Le caractère électif du mandat constitue un élément essentiel du
statut du Président, et l’une des raisons de son autorité. Les
modalités de cette élection ont été radicalement transformées par la
révision de novembre 1962, qui apparaît ainsi comme l’un des
moments clés de l’histoire de la Ve République (voir chapitre
préliminaire).

1. Avant 1962
Avant 1958, sous la IIIe et la IVe République, le Président n’est
que l’élu du Parlement 1, et non celui du peuple : ce qui explique son
peu de prestige, surtout si l’on considère que le Parlement, méfiant à
l’égard de tout pouvoir personnel, choisissait systématiquement des
candidats assez effacés, plutôt que des hommes d’État véritables –
préférant Grévy à Gambetta en 1879, Carnot à Ferry en 1887, ou
Deschanel à Clemenceau en 1920.
En 1958, les constituants vont donc élargir ce corps électoral afin
de rendre le Président indépendant de la représentation nationale.
Cependant, il n’est pas encore question de l’élire au suffrage
universel direct. De Gaulle est soucieux de ne pas heurter l’opinion
publique de gauche en vue du référendum du 28 septembre 1958 :
or, celle-ci est traditionnellement hostile à ce mode d’élection du
Président, qu’elle identifie au bonapartisme plébiscitaire et à la
dictature. Au suffrage direct, on préfère donc un suffrage universel
indirect, le Président étant élu par un collège d’élus politiques 2
d’environ 80 000 membres, où les parlementaires ne forment plus
qu’une infime minorité, et où la France rurale, celle des communes
de moins de 2 000 habitants, se trouve nettement surreprésentée 3.
C’est ce collège qui, le 21 décembre 1958, va élire le général de
Gaulle à la présidence par 78,5 % des suffrages exprimés.
Cette élection par un collège élargi, enraciné dans la France
rurale, correspond à l’idée que certains constituants, et la majeure
partie de la classe politique, se font alors du nouveau Président : clé
de voûte, garant de la durée du système et symbole de la continuité
nationale, beaucoup plus qu’acteur de la vie politique quotidienne.
À l’époque, Maurice Duverger prophétise d’ailleurs que « son mode
d’investiture sera probablement l’un des éléments qui pousseront
dans le sens de l’affaiblissement des prérogatives présidentielles 4 ».
Mais dès 1959, la pratique gaullienne va remettre en question
cette façon de concevoir le rôle du Président : par contrecoup, elle
va conduire à repenser aussi les modalités de l’élection.

2. Depuis 1962
Dès 1959, en effet, le général de Gaulle propose une
interprétation très personnelle du terme d’« arbitre » qui, dans
er
l’article 5, alinéa 1 , définit sa mission : à la faveur de la guerre
d’Algérie, de la décolonisation, etc., il va sortir « de la situation de
l’arbitre régulateur pour entrer et rester dans celle de l’arbitre
5
capitaine ». Le pouvoir neutre devient ainsi un pouvoir actif,
l’ultime détenteur du pouvoir de décision.
À l’époque, les circonstances sont si dramatiques, les questions à
régler si délicates, que nul ne lui dispute ce rôle – même si certains
juristes contestent déjà la conformité de cette pratique à la lettre de
la Constitution. Mais les accords d’Évian et l’indépendance de
l’Algérie vont mettre fin à ce consensus, la classe politique
entreprenant aussitôt de critiquer violemment l’extension des
pouvoirs présidentiels. Ce que les gaullistes interprètent alors
comme une contre-offensive des partis menace la redistribution des
pouvoirs établie entre 1958 et 1962.
Mais pour de Gaulle, cette concentration ne se justifie pas
seulement en période d’exception : elle correspond à sa propre
vision de l’État, et à la seule lecture qu’il estime légitime, car
praticable, du texte constitutionnel. « Notre Constitution, explique-t-
il ainsi dans son discours du 26 octobre 1962, pour fonctionner
effectivement, exige […] que le chef de l’État en soit un 6. »
Or, de Gaulle sait qu’en démocratie, il n’existe qu’un moyen pour
assurer, en dehors des temps de crise, cette prééminence du chef de
l’État : si l’on entend le placer au-dessus du Corps législatif, il faut le
faire élire par le peuple. « Pour être, vis-à-vis de lui-même et vis-à-
vis des autres, en mesure de remplir une pareille mission, le
Président a besoin de la confiance directe de la nation. » Dès lors, la
conclusion s’impose d’elle-même : « Il s’agit que le Président soit élu
7
dorénavant au suffrage universel . » De la sorte, il aurait une
autorité supérieure à celle de tout autre organe électif, étant le seul
à avoir été élu par l’ensemble du peuple.
Telle était, du reste, la raison traditionnellement invoquée par
les partisans de la primauté du législatif pour refuser l’élection du
chef de l’exécutif : « l’expérience de 1848, écrivait ainsi le futur
président de la République Paul Deschanel, a appris aux
républicains […] que si [la présidence] était nommée par le peuple,
elle pourrait écraser les assemblées 8 ». Mais plus encore que sur le
souvenir malheureux du coup d’État du 2 décembre 1851 fomenté
par le président Louis-Napoléon Bonaparte, c’est sur une aversion de
principe (d’ailleurs bien antérieure à 1848 9) à toute
10
personnalisation du pouvoir que se fonde la méfiance de la
tradition républicaine à l’égard de cette élection. Étant attaché à la
primauté du Parlement et à la subordination de l’exécutif, il est
logique de s’opposer à ce qui, de façon presque automatique, inverse
l’équilibre entre ces deux pouvoirs.
En revanche, étant donné sa conception de l’État, il était
prévisible que de Gaulle fût tenté par une telle réforme. En
décembre 1961, il confie au président du Conseil constitutionnel
que « la Constitution a comme principal avantage d’avoir rendu à
l’État un chef : pour que celui-ci subsiste [après son départ], il est
nécessaire que son successeur soit élu au suffrage universel direct »,
afin de bénéficier d’une « autorité qui le porterait au-dessus de lui-
11
même ».
L’occasion de passer à l’acte va lui être fournie par l’attentat du
22 août 1962, dont il ne réchappe que par miracle. À la faveur de
l’émotion populaire, de Gaulle annonce le 20 septembre, puis fait
adopter par référendum le 28 octobre, la révision des articles 6 et 7
de la Constitution (promulguée le 6 novembre). À l’avenir (c’est-à-
dire, à l’issue du septennat commencé en décembre 1958), le
président de la République sera élu au suffrage universel direct.
Voilà pourquoi la révision de 1962 représente un tournant
capital. Un tournant, d’abord, dans la mesure où, en 1958, nul ne
songeait à une telle élection : il est vrai que les principaux obstacles
à celle-ci, l’existence de la Communauté franco-africaine, de
départements algériens et, subsidiairement, d’un parti communiste
dominant à gauche, ont disparu ou sont en voie de disparition. Un
tournant, ensuite, puisque cette révision institutionnalise ce qui
jusqu’alors résultait des circonstances dramatiques de la
décolonisation, et de la légitimité historique singulière du général de
Gaulle. Désormais, la primauté politique du Président ne dépend
plus d’un contexte, ou d’une personne particulière, elle se trouve
dotée d’un fondement constitutionnel, ce qui permettra aux
successeurs du Général de bénéficier d’une autorité comparable à la
sienne, et suffisante pour assurer le bon fonctionnement des
institutions.
C’est du reste ce qui explique le sentiment de révolte éprouvé à
12
l’époque par la classe politique . Outre le dépit d’avoir été berné
(au moyen de l’article 11, qui permet de contourner le veto du
Parlement), il y a la fureur de comprendre que le nouvel équilibre
des pouvoirs ne sera pas qu’une parenthèse destinée à se refermer
avec le départ du Général, mais qu’il correspond désormais à la
e
configuration « normale » de la V République. Seul élu du peuple
tout entier, le Président est au-dessus du Parlement, tout comme il
domine le gouvernement.
C’est enfin la raison pour laquelle les adversaires les plus
conséquents du système instauré en 1958 et achevé en 1962 ont
longtemps persisté à combattre le principe de l’élection du Président
au suffrage universel direct, conscients de s’attaquer ainsi au
13
fondement de ces institutions .

B. La durée du mandat
La primauté du Président se trouvait confortée, à l’origine, par la
durée exceptionnellement longue de son mandat. C’est parce qu’elle
va à l’encontre de cette logique que la révision d’octobre 2000, qui
réduit à cinq ans la durée du mandat présidentiel, présente sur ce
plan une importance supérieure à celle de juillet 2008 – qui se
contente de limiter la possibilité de renouvellement du mandat.

1. Du septennat au quinquennat
Initialement, l’article 6 précisait que le Président est élu pour
sept ans – renouvelables, dans la mesure où le texte ne l’interdit pas.
Cette durée, relativement longue, renvoie à la Constitution de la
e
III République, qui avait instauré le septennat pour des raisons
conjoncturelles, et à celle de la IVe qui, en 1946, l’avait repris
presque sans discussion. Mais en 1958, c’est après mûre réflexion, et
non par l’effet d’une fidélité aveugle au passé, que l’on choisit
d’accorder au Président un mandat de sept ans. Malgré de vives
14
résistances lors des travaux préparatoires , les constituants vont
rester fermement campés sur cette position. Le mandat du Président
doit être long : « la durée, écrivait Tocqueville, est un des premiers
15
éléments de la force ». En outre, il importe aussi que ce mandat
soit plus long que celui des députés, afin de manifester son autorité
et son indépendance vis-à-vis du Parlement. En octobre 1962, à
l’occasion de la révision, la question se pose à nouveau : et une fois
16
encore, « après un examen approfondi », le général de Gaulle
décide de conserver le septennat, considérant que cette durée n’est
pas seulement la conséquence, mais aussi « la condition et la
17
garantie » du rôle central attribué au Président. Le septennat,
18
explique-t-il alors, est « la plus solide colonne de la Constitution ».
Preuve, en négatif, de l’importance de cette question, le fait
qu’elle fera l’objet d’une interminable querelle, qui se poursuivra
e
tout au long de la V République, jusqu’à la révision d’octobre 2000.
Dès les années 1960, l’opposition réclame la réduction du mandat
présidentiel, et la coïncidence de sa durée avec le mandat législatif
afin de « rétablir l’équilibre entre le Président et le Parlement ».
« Dans notre République, réplique alors de Gaulle, c’est [parce que]
le chef de l’État répond de l’intérêt supérieur et permanent de la
France [qu’il] est élu par le peuple pour sept ans. »
Dans les années 1970, pourtant, c’est son propre successeur,
Georges Pompidou, qui va relancer la réforme. Dans un message au
Parlement du 3 avril 1973, il propose de réduire à cinq ans la durée
du mandat présidentiel. « La règle du septennat ne correspond plus
au rôle que le président de la République joue dans la définition des
orientations générales de la politique nationale. Les événements […]
doivent permettre aux Français de se prononcer sur ces orientations
19
à intervalles plus fréquents . » Le plus curieux est la façon dont
Georges Pompidou parvient à retourner à son profit la thématique
du quinquennat, expliquant que la durée (jugée excessive) du
mandat présidentiel constitue virtuellement un handicap par rapport
aux députés qui, étant élus plus souvent, pourraient prétendre du
coup à une légitimité supérieure. Réduire la durée du mandat aurait
ainsi pour objectif de limiter l’usure du pouvoir présidentiel, et
d’éviter que de futurs chefs de l’État ne se trouvent « dans une sorte
d’infériorité morale vis-à-vis du Parlement ».
L’hostilité de la gauche et des centristes empêchera cette
initiative de parvenir à terme. Sachant qu’il ne pourra obtenir, lors
de la phase ultime de la révision, la majorité des 3/5e au Congrès
(art. 89, al. 3), le président Pompidou décide d’arrêter le processus.
Son décès, le 2 avril 1974, et son remplacement par Valéry Giscard
d’Estaing, mettront un point final à cette tentative.
L’anecdote a notamment pour intérêt de mettre en lumière
l’ambiguïté de cette réforme : nul ne sachant exactement quelles
pourraient en être les conséquences, elle est défendue
simultanément par les adversaires de la primauté présidentielle, qui
associent durée et autorité, et par les partisans d’une
présidentialisation accrue, qui estiment au contraire que la
concentration du mandat dans le temps, évitant « l’usure du
pouvoir » présidentiel, ne pourra que profiter à celui-ci.

Telles sont les deux tendances que l’on retrouve, de mai à


septembre 2000, chez ceux qui vont parvenir à imposer cette
révision à un Président initialement fort récalcitrant. À plusieurs
reprises, ce dernier s’était montré sceptique sur une réforme
conduisant « presque automatiquement […] au régime présidentiel »
(14 juillet 1997). Une série de manœuvres va cependant le
contraindre à se rallier à ce qu’il désignait naguère comme une
« erreur » (14 juillet 1999). Le 5 juin 2000, Jacques Chirac annonce
son intention de déposer un projet de loi de révision, affirmant que
le septennat est désormais un délai « probablement trop long,
compte tenu des exigences de la démocratie ». Un mois plus tard, il
dévoile aux Français que la révision aura lieu – c’est une première –
par la voie du référendum constituant de l’article 89, alinéa 2. Après
que l’Assemblée nationale puis le Sénat se furent prononcés en
faveur de la révision (les 20 et 29 juin), le peuple français est invité
à voter le 24 septembre. La réduction du mandat présidentiel à cinq
ans sera approuvée par plus de 73 % des votants, triomphe relativisé
il est vrai par un taux d’abstention historique (près de 70 % des
inscrits), qui démontre à lui seul que l’importance de la réforme n’a
pas été perçue par l’opinion publique.
L’un des principaux reproches faits au projet de révision était
l’impossibilité de prévoir avec certitude où elle conduirait, et si elle
favoriserait un retour au « parlementarisme absolu » type
e
IV République, ou, au contraire, l’évolution vers un régime
présidentiel à l’américaine. La seule certitude était que cette
révision, promulguée le 2 octobre 2000 20, aurait des conséquences
sur l’équilibre du régime.
Et de fait, quinze ans plus tard, le rapport Refaire la démocratie,
publié en octobre 2015 sous la direction de l’historien Michel
Winock et du président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone,
constate qu’il en a « résulté une accélération du temps politique et
une omnipotence de la figure du président de la République qui ont
contribué à l’aggravation des déséquilibres institutionnels. […] Nous
nous accordons tous sur le fait que le passage au quinquennat a été
une erreur 21 ».

2. Le renouvellement du mandat
Au début de la IIe République, en 1848, cette question avait
suscité, au sein de la commission chargée d’élaborer les bases de la
nouvelle Constitution, un débat très vif qui se conclut, suivant le
conseil peu avisé de Tocqueville, par l’adoption de la règle du non-
22
renouvellement du mandat . Conseil peu avisé, puisque c’est en
invoquant ce motif que trois ans plus tard, le 2 décembre 1851, le
prince-président Louis-Napoléon Bonaparte renversera le régime, se
réclamant du droit du peuple souverain à choisir le Président qu’il
désire.
Si elle réapparaît sous la Constitution du 27 octobre 1946, c’est
sous une forme atténuée, l’article 29 précisant, dans son alinéa 2,
que le Président, élu pour sept ans, « n’est rééligible qu’une fois ».
Une précision qui va dans le même sens que les autres dispositions
constitutionnelles visant à restreindre les attributions du président.
En 1958, à l’inverse, la suppression de cette limite confirme la
volonté de renforcer la présidence – de même que, symétriquement,
la réintroduction de cette règle cinquante ans plus tard, avec la
révision du 23 juillet 2008, se présente comme participant du
« rééquilibrage » des institutions, lequel s’effectue en l’occurrence
aux dépens du chef de l’État : désormais, précise l’article 6 alinéa 2,
« nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».
À vrai dire, on pourrait s’interroger sur l’utilité d’une telle règle.
Le non-renouvellement ne présente un véritable intérêt que lorsqu’il
s’applique dès le premier mandat : permettant alors d’éviter, comme
le soulignait Tocqueville en 1848, que le Président ne consacre
l’essentiel de son énergie à sa prochaine réélection. Lorsqu’il ne
s’applique qu’au second, comme c’est le cas aux États-Unis ou en
Russie 23, il crée une dissymétrie difficilement gérable entre les
mandats. En outre, cette règle ne présente en France qu’un intérêt
assez théorique, aucun Président n’ayant jamais brigué un troisième
mandat.
En revanche, l’idée d’un septennat non renouvelable, remédiant
à la fois à l’excessive brièveté du quinquennat et au climat délétère
inhérent au caractère renouvelable du mandat présidentiel, a été
récemment agitée, aussi bien à droite qu’à gauche. À gauche, cette
proposition figurait dans le rapport Refaire la démocratie établi par le
groupe de travail dirigé par le président socialiste de l’Assemblée
nationale Claude Bartolone en octobre 2015. À droite, Maxime
Tandonnet, ancien conseiller du président Sarkozy, estimait quant à
lui qu’une telle transformation serait la seule « vraie réforme
constitutionnelle » salutaire pour la France, car permettant le
« retour au chef de l’État souverain, prestigieux et impartial 24 ».
C’est ce qu’affirmait enfin Marine Le Pen dans un mémorandum
adressé au président Hollande en novembre 2012, le non-
renouvellement étant à ses yeux un « gage d’honnêteté et d’efficacité
dans la politique menée par le chef de l’État qui doit agir
uniquement en fonction des engagements qu’il a pris devant les
Français et non pas en vue de sa future réélection ».

3. La fin du mandat
Si, en principe, le mandat dure bien cinq ans, renouvelable une
fois, il peut être interrompu avant de parvenir à son terme.
Les causes d’une telle interruption sont variées. L’article 7
distingue à cet égard deux séries d’hypothèses : la « vacance de la
présidence », c’est-à-dire le fait que la place est vide, à la suite d’une
25
démission (de Gaulle en avril 1969 ), d’un décès (Pompidou en
avril 1974) ou d’une destitution ; et l’« empêchement » du Président,
qui peut être empêché d’exercer ses fonctions pour des raisons
extérieures, ou personnelles (maladie grave, etc.).
Dans ces cas-là, se pose la question du remplacement ou de la
suppléance du chef de l’État. Et il existe alors deux types de réponse.
La première est celle qui se pratique aux États-Unis, avec un
système de remplacement automatique du Président par le vice-
Président élu en même temps que lui (Truman succédant à
Roosevelt, Johnson à Kennedy, Ford à Nixon), qui terminera le
mandat de quatre ans 26. L’avantage d’une telle procédure est clair :
il n’y a aucune vacance de la présidence, aucune discontinuité, ce
qui est capital, étant donné les attributions du Président américain.
En outre, ce système évite d’organiser des élections dans un moment
d’émotion populaire intense, laquelle risquerait de fausser les
résultats du scrutin. Mais ce système comporte aussi certains
inconvénients : notamment, le fait que le vice-Président est souvent
un personnage effacé, qui risque de ne pas faire le poids dans la
période de crise ouverte par la disparition (ou la démission) du
Président élu, d’autant qu’il ne bénéficie ni du prestige ni de la
légitimité de ce dernier.
Le second système se pratique en France : c’est celui de l’intérim,
organisé par l’article 7, alinéa 4, qui précise qu’« en cas de vacance
[…] ou d’empêchement constaté par le Conseil constitutionnel, saisi
par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses
membres, les fonctions du président de la République, à l’exception
de celles prévues aux articles 11 et 12 […], sont provisoirement
exercées par le président du Sénat et, si celui-ci est à son tour
empêché d’exercer ses fonctions, par le Gouvernement ».
Le choix du président du Sénat pour exercer l’intérim
présidentiel s’explique pour des raisons juridiques – il serait risqué
de confier ce rôle au président de l’Assemblée nationale, alors que
cette Assemblée peut, contrairement au Sénat, être dissoute, et
qu’elle pourrait l’avoir été juste avant la vacance présidentielle –,
mais aussi pour des raisons politiques : le président du Sénat est
supposé moins engagé dans la vie politique quotidienne que le
président de l’Assemblée ou que le Premier ministre, il représente
un élément de continuité. Or, c’est précisément cette continuité de
l’État qu’il lui appartient d’assurer, de manière d’ailleurs très
provisoire. « En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est
déclaré de façon définitive par le Conseil constitutionnel, le scrutin
pour l’élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de force
majeure constaté par le Conseil constitutionnel, 20 jours au moins et
35 jours au plus après l’ouverture de la vacance ou la déclaration du
caractère définitif de l’empêchement » (art. 7, al. 5).
Le rôle du Président par intérim se limite donc à assurer une
jonction, à éviter une défaillance, sans qu’il lui soit possible de
mener une politique personnelle – c’est pourquoi il ne peut ni
dissoudre l’Assemblée, ni en appeler au peuple par référendum, ni
réviser la Constitution (art. 7, al. 11). Fonction subsidiaire, certes,
mais capitale si l’on veut que le choix des citoyens puisse s’effectuer
« dans la clarté, le calme et la réflexion 27 », rappelait le président du
Sénat Alain Poher qui, après la démission du général de Gaulle le
28 avril 1969, puis après le décès de Georges Pompidou le 2 avril
1974, fut amené à deux reprises à exercer les fonctions de Président
par intérim. Capitale, également, afin d’assurer la continuité de
l’État, incarnée par le Président : c’est ainsi qu’au matin du 3 avril
1974, quelques heures seulement après la mort de Pompidou, le
Premier ministre Pierre Messmer remit au Président par intérim le
dispositif personnel de transmission des ordres permettant l’usage de
l’arme nucléaire…
SOUS-SECTION 2
La responsabilité du Président

Le statut du président de la République n’est pas entièrement


défini par le mandat dont il tient ses pouvoirs. Il dépend aussi des
conséquences de ses actes et de l’obligation éventuelle, pour lui,
d’avoir à en répondre. Responsabilité qui influera du reste sur la
manière dont il utilisera ses propres pouvoirs, et, le cas échéant, sur
la durée de son mandat.
On distingue, à cet égard, sa responsabilité pénale de sa
responsabilité politique, qui ne peut être sanctionnée directement
que par le peuple lui-même. Mais ces deux modes de responsabilité
ont en commun une même incertitude, et il serait souvent plus exact
de parler d’une (quasi-)irresponsabilité du chef de l’État.

A. La responsabilité pénale

1. L’immunité pénale du Président


Au niveau interne, la règle établie par l’article 68 de la
Constitution paraissait claire jusqu’à ce qu’une décision du Conseil
constitutionnel du 22 janvier 1999 ne vienne, en brouillant les
cartes, susciter un débat qui ne sera clos qu’avec la révision du
23 février 2007 – laquelle, contrairement aux intentions initiales,
tend finalement à conforter l’immunité présidentielle.

a. À la recherche d’une solution


À l’origine, la règle et ses modalités se trouvaient énoncées dans
l’article 68 : « Le Président n’est responsable des actes accomplis
dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne
peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par
un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des
membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice. »
Pour les actes « non détachables », accomplis par le Président en
tant que tel « dans l’exercice de ses fonctions », les choses
paraissaient donc assez simples. Le Président est irresponsable, sauf
en cas de haute trahison. Et cette irresponsabilité est perpétuelle, se
poursuivant après la fin de son mandat, comme le rappelait le
président Mitterrand dans une lettre envoyée à son prédécesseur
Giscard d’Estaing, indûment convoqué par une commission
d’enquête parlementaire dans l’affaire des « avions renifleurs 1 ».
Quant à la haute trahison, elle ne relevait que de la Haute Cour de
justice, selon des modalités faisant de ce « privilège de juridiction »
une immunité de fait.
D’abord 2, en effet, le Président ne pouvait être « mis en
accusation que par les deux assemblées statuant par un vote
identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les
composant ». Cette disposition suffisait déjà, étant donné les
rapports de force politiques au sein des assemblées, les majorités
exigées et la lourdeur de la procédure, à rendre toute mise en œuvre
extrêmement improbable. Dans l’hypothèse où un tel vote aurait
pourtant été acquis, le Président eût été jugé par la Haute Cour de
justice, elle-même composée, comme le précisait l’article 67 de la
Constitution, « de membres élus, en leur sein et en nombre égal, par
l’Assemblée nationale et le Sénat, après chaque renouvellement
général ou partiel de ces assemblées ». Ainsi, même lorsque la
responsabilité pénale du Président paraissait susceptible d’être
sanctionnée, l’organe qui en était chargé n’était pas une véritable
juridiction pénale, mais une instance incontestablement politique –
les vingt-quatre « juges » qui la composaient étant tous des
parlementaires élus à cet effet par leurs assemblées respectives, et
dont les fonctions cessaient en même temps que leurs mandats
électifs.
Pour ses actes « non détachables », le chef de l’État bénéficiait
donc, en pratique, d’une quasi-immunité.
Toutefois, ce n’est pas sur ce point que le mécanisme va être
critiqué, mais sur la question, il est vrai ambiguë, des actes
détachables, c’est-à-dire sans rapport avec les fonctions
présidentielles, ou accomplis par le Président avant son élection. On
admettait traditionnellement que celui-ci devait être considéré, au
regard de tels actes, comme un simple citoyen, et qu’à ce titre, il
était donc passible des tribunaux répressifs ordinaires – de même
qu’il relève par exemple des juridictions civiles pour les questions
patrimoniales qui le concernent. Mais cette interprétation fut
récusée par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision relative à
la Cour pénale internationale 98-408 DC du 22 janvier 1999, estima
que « pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale
[celle du Président] ne peut être mise en cause que devant la Haute
Cour ». Ce qui signifie que, « s’agissant d’actes antérieurs à sa
fonction, ou détachables de celle-ci », le Président bénéficie d’un
privilège de juridiction, puisqu’il ne pourrait être poursuivi que
« devant la seule Haute Cour de justice », comme le précisa le
Conseil dans une « communication » du 10 octobre 2000.
Étendant l’immunité de fait du chef de l’État aux actes
détachables, cette interprétation fut jugée inadmissible par certains
– entre autres, par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, qui
déposa le 29 mai 2001 une proposition de loi constitutionnelle
« tendant à modifier l’article 68 de la Constitution », dont on peut
noter qu’elle était présentée par Jean-Marc Ayrault et François
Hollande.
En ce qui concerne les actes détachables, cette proposition
renouait avec l’interprétation qui prévalait avant la décision du
Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 : « le président de la
République est pénalement responsable » (alinéa 2). L’objectif était
d’ailleurs clairement politique, voire idéologique : puisqu’il
s’agissait, précisait l’exposé des motifs, de « faire du chef de l’État un
véritable Président-citoyen, soumis aux lois de la République,
comme chacun de nos concitoyens ». Au-delà, soulignait le rapport
du député Bernard Roman, sa finalité était de remettre en cause
« l’idée ou le sentiment diffus que le chef de l’État, monarque
républicain, [bénéficie] d’une forme d’onction sacrée conférée par le
vote populaire » qui le fait échapper par là même à la loi commune.
La proposition reposait donc tout entière « sur la volonté […] de
désacraliser la fonction présidentielle, tout en la respectant ».
Désacraliser : comme n’importe quel citoyen, le Président est
responsable de ses actes. Mais respecter la fonction : il ne saurait
être poursuivi n’importe comment. Reprenant le mécanisme
applicable aux ministres poursuivis devant la Cour de justice de la
République (article 68-2), la proposition organisait un filtrage des
plaintes, effectué par une Commission des requêtes seule susceptible
de décider de l’engagement des poursuites, et, en outre, seule
compétente pour autoriser une mesure privative ou restrictive de
liberté.
Vivement contestée à droite, cette proposition n’ira pas jusqu’à
son terme, l’opposition résolue du Sénat interdisant toute révision
en ce sens de la Constitution.
Du reste, un événement jurisprudentiel majeur vint bientôt lui
enlever beaucoup de son intérêt. Le 10 octobre 2001, l’Assemblée
plénière de la Cour de cassation rendit en effet un arrêt qui se
démarquait nettement de la position adoptée par le Conseil
constitutionnel 3. Dans cette décision, la Cour reconnaissait certes, à
l’instar du Conseil, que le Président, « élu directement par le peuple
pour assurer, notamment, le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics ainsi que la continuité de l’État », ne peut par conséquent,
« pendant la durée de son mandat », être entendu comme témoin,
comme témoin assisté, ni a fortiori, être « mis en examen, cité ou
renvoyé pour une infraction pénale quelconque devant une
juridiction pénale de droit commun ». Cependant, contrairement
cette fois au Conseil constitutionnel, la Cour n’en déduisait pas que
le chef de l’État bénéficie pour cela d’un privilège de juridiction :
« La Haute Cour, n’étant compétente que pour connaître des actes de
haute trahison du Président commis dans l’exercice de ses
fonctions », ne saurait par conséquent connaître des actes
pénalement répréhensibles détachables desdites fonctions. Ceux-ci,
concluait la Cour, relèvent donc des seules juridictions pénales de
droit commun, lesquelles, ne pouvant toutefois exercer leur
compétence pendant la durée du mandat présidentiel, doivent
attendre la fin de ce mandat pour agir, la prescription de l’action
publique étant suspendue jusqu’au terme de celui-ci.
Ainsi ne s’agissait-il plus d’un privilège de juridiction,
aboutissant à une (injustifiable) immunité de fait, mais d’une
immunité de droit temporaire, la suspension des prescriptions
permettant à l’issue du mandat de lancer ou de reprendre la
procédure – et ainsi, de faire prévaloir l’égalité devant la loi sans
pour autant attenter à la majesté de la fonction présidentielle.

b. Un bouleversement en profondeur ?
Cette interprétation de l’article 68 ménageait très opportunément
la chèvre et le chou, l’intérêt supérieur de l’État et le respect dû à la
loi commune. Cependant, elle va rapidement être remise en cause.
Sous la pression des médias et d’une partie de l’opinion, le
président Chirac avait promis, durant la campagne électorale de
2002, de désigner une commission de spécialistes chargée de mener
une réflexion sur le statut pénal du chef de l’État. Nommée le
4 juillet 2002 et présidée par un constitutionnaliste irrécusable, le
professeur Avril, cette commission va proposer, dans un rapport
remis le 12 décembre 2002, une refonte en profondeur de cette
responsabilité – à l’origine de la révision du 23 février 2007.
D’une part, la commission proposait, dans une nouvelle
rédaction de l’article 67, de consacrer la solution de la Cour de
cassation – mais en généralisant sa portée d’une manière que
certains jugeront inconsidérée, inutile et dangereuse. L’immunité, en
effet, ne vaudrait pas devant les seules juridictions pénales (comme
dans l’arrêt du 10 octobre 2001), mais devant toutes les juridictions
nationales, y compris administratives, civiles ou prud’homales. Or,
autant l’immunité se justifie, en matière pénale, par le souci de
préserver la fonction, autant elle paraît superflue, et virtuellement
dramatique, en matière civile.
Mais la commission, non contente de systématiser la
jurisprudence de la Cour de cassation, a eu pour ambition de
remodeler dans son ensemble la responsabilité pénale du chef de
l’État. Et plutôt que d’améliorer la procédure devant la Haute Cour,
ou de définir le crime de haute trahison, elle a préféré abolir cette
dernière notion, jugée « désuète ».
Selon l’article 68 revu par la commission, le Président pourrait
en effet être destitué, « en cas de manquement à ses devoirs
manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », « par le
Parlement constitué en Haute Cour ». Ce système de destitution a de
quoi laisser perplexe. D’abord, bien sûr, parce qu’on ne sait pas
précisément ce que pourraient être ces « manquements
manifestement incompatibles », susceptibles d’entraîner la
destitution : en laissant au Parlement la liberté de le définir, on fait
de celui-ci l’arbitre ultime et le véritable gardien de la Constitution,
au-dessus du Conseil constitutionnel, du Président, et même du
peuple. La perplexité vient ensuite de ce que le Parlement se voit,
dans ce nouveau système, investi d’une double compétence, les
Chambres exerçant successivement une fonction de mise en
accusation du Président (article 68, alinéa 2), initiée par l’une et
acceptée par l’autre, puis de jugement du chef de l’État (article 68,
alinéa 4), les deux assemblées réunies en Haute Cour se prononçant
alors, comme lors de la phase précédente, à la majorité (article 68,
alinéa 5).
Malgré ces critiques, les conclusions de la commission Avril vont
être validées par le chef de l’État, puis reprises telles quelles par le
gouvernement, le texte ayant été présenté en Conseil des ministres
le 2 juillet 2003. Peut-être l’incertitude de ces solutions explique-t-
elle en partie le délai, inhabituellement long, entre cette
présentation et l’aboutissement constitutionnel, qui ne se réalise
qu’avec la révision du 23 février 2007. Celle-ci reprendra l’essentiel
des propositions de la commission Avril. Si elle laisse
opportunément de côté un mécanisme d’empêchement provisoire
rappelant vaguement le modèle américain, elle confirme, pour les
actes détachables, l’étendue (démesurée) de l’immunité de droit
4
pendant la durée du mandat ; et elle accentue, pour les actes non
détachables, l’immunité de fait dont bénéficie le chef de l’État. En
effet, en vertu du nouvel article 68, alinéa 4, la décision de réunir le
Parlement en Haute Cour n’est plus adoptée à la majorité simple,
mais à la majorité des 2/3 des membres composant chacune des
assemblées, majorité qualifiée qui s’impose également pour les
décisions de la Haute Cour elle-même.
Cet état du droit est-il destiné à durer ? François Hollande avait
été à l’origine, avec Jean-Marc Ayrault, de la proposition socialiste
de mai 2001. En mai 2012, lors du célèbre débat télévisé où il
affrontait Nicolas Sarkozy, le candidat à l’élection présidentielle
avait repris les mêmes thèses : « Moi, président de la République,
j’aurai à cœur de ne pas avoir un statut pénal de chef de l’État ; je le
ferai réformer, de façon à ce que si des actes antérieurs à ma prise de
fonctions venaient à être contestés, je puisse dans certaines conditions me
rendre à la convocation de tel ou tel magistrat ou m’expliquer devant un
certain nombre d’instances. » Dans le prolongement de ces
déclarations, la commission Jospin jugea elle aussi « nécessaire de
remettre en cause, tant au pénal qu’au civil, l’inviolabilité du
président de la République pour les actes qui n’ont pas été accomplis
en sa qualité de chef de l’État 5 ». Le 14 mars 2013, un projet de loi
constitutionnelle relative à la responsabilité juridictionnelle du
président de la République et des membres du gouvernement reprit
donc ces suggestions en proposant de réformer le statut
juridictionnel du président « dans un sens plus respectueux de
l’égalité ». Mais il resta sans suite – faute de la volonté politique,
puis de la majorité parlementaire nécessaires.

2. Un faux-semblant : la responsabilité pénale


internationale
Le chef de l’État bénéficie-t-il alors d’une complète immunité
pénale ? Une réponse négative semble résulter d’une récente
avancée du droit international, la création, dans le cadre de l’ONU,
d’une Cour pénale internationale (CPI) par le traité signé à Rome le
18 juillet 1998. Le préambule de ce traité affirme en effet que « les
crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté
internationale ne sauraient rester impunis » et qu’« à ces fins », les
États signataires décident de « créer une Cour pénale internationale
permanente et indépendante reliée au système des Nations unies,
ayant compétence à l’égard des crimes les plus graves » (al. 4),
crimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre ou
crimes d’agression (art. 5). À l’égard des responsables, politiques et
militaires, de tels crimes, l’article 27 du traité stipule que « le
présent statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune
distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité
de chef d’État ou de gouvernement […] n’exonère en aucun cas de
er
la responsabilité pénale au regard du présent statut… » (al. 1 ). Et
l’alinéa suivant précise que « les immunités ou règles de procédure
spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une
personne, en vertu du droit interne ou du droit international,
n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette
personne ».
Suite à la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999,
une révision du 26 juin 1999 (promulguée le 8 juillet 1999) a
introduit dans le texte de la Constitution un article 53-2, qui dispose
que « la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale
internationale dans les conditions prévues par le traité signé le
18 juillet 1998 ». Désormais 6, la CPI étant entrée en fonction le
er
1 juillet 2002, le Président, par dérogation au principe de
l’irresponsabilité inscrit dans l’article 68, est donc susceptible d’être
7
jugé par la Cour pénale internationale .
Cependant, même alors, cette responsabilité n’existera qu’en
droit. Dans les faits, la chose paraît plus douteuse, l’intervention de
la Cour se heurtant au principe de souveraineté, à la « puissance de
l’État ». C’est ce dont se félicitaient d’ailleurs les promoteurs du
traité, soulignant « le caractère symbolique de cette entreprise, qui
marque […] le dépassement d’une vision abusive de la souveraineté
des États ». La Cour, commentait ainsi le ministre français des
Affaires étrangères Hubert Védrine, « ne se substitue pas aux États :
elle n’intervient que si les autorités nationales sont incapables de
traduire en justice les responsables des grands crimes ou si elles s’y
refusent. [Mais] en cas de contestation […] la décision finale
appartient à la Cour, qui est le juge ultime de sa propre compétence.
À travers cette disposition, nous avons établi la primauté de la
8
juridiction internationale . » On pourrait presque dire sa
souveraineté, si celle-ci n’était pas, en pratique, assez probablement
vouée à l’impuissance, la Cour pénale internationale ne disposant
pas de forces de police propres, et se trouvant ainsi soumise, en tout
9
état de cause, au bon vouloir des États .

B. L’irresponsabilité politique
La question de l’irresponsabilité politique du Président est encore
plus controversée. Le principe est hérité de la règle de l’inviolabilité
du monarque, puis de la règle de l’irresponsabilité du chef de l’État
parlementaire (seuls le Premier ministre et le Cabinet étant, suivant
le parlementarisme classique, politiquement responsables devant le
Parlement). On peut noter au préalable que ces deux règles
(inviolabilité et irresponsabilité), bien que similaires dans leurs
conséquences, découlent en réalité de conceptions radicalement
opposées. Si le monarque est inviolable, c’est parce qu’il est
souverain et qu’il n’existe pas d’instance (humaine) devant laquelle
il pourrait répondre de ses actes : son irresponsabilité constitue le
corollaire logique de sa souveraineté. C’est en ce sens également
qu’on peut dire qu’en démocratie, le peuple, parce qu’il est
souverain et qu’il n’y a donc aucune instance qui lui soit supérieure,
est irresponsable. À l’inverse, c’est parce qu’il est impuissant, parce
qu’il « règne mais ne gouverne pas », que le chef d’État
parlementaire n’a pas à répondre devant le Parlement, représentant
du souverain, ni devant le souverain lui-même, d’actes qui ne sont
pas réellement les siens. L’irresponsabilité résulte ici, non de sa
souveraineté, mais, au contraire, de son absence de pouvoir actif.
C’est pour cela qu’il faut se défier de formules trop simples,
comme celles qui affirment que la responsabilité est liée au pouvoir,
que tout pouvoir doit être responsable et que, réciproquement, seule
l’absence de pouvoir justifie l’irresponsabilité. Cette équation
(responsabilité = pouvoir, ou encore « j’ai des responsabilités, donc
je suis responsable ») ne se vérifie que dans certains systèmes
constitutionnels, pour les représentants du souverain. De fait, sous la
IIe République, le Président, ses ministres et tous les dépositaires de
l’autorité publique « sont responsables, chacun en ce qui le
concerne, de tous les actes du gouvernement et de l’administration »
(art. 68). Le pouvoir dont ils sont dotés implique leur pleine
e
responsabilité. Réciproquement, sous la III République, où « chaque
acte du président de la République doit être contresigné par un
ministre » (loi constitutionnelle du 25 février 1875, art. 3), son
absence de pouvoirs propres explique que le chef de l’État soit
10
irresponsable, sauf en cas de haute trahison (art. 6) .
e
À cet égard, la V République, héritière, tout à la fois, de la
tradition monarchique française et du parlementarisme à l’anglaise,
offre un cas de figure assez complexe. Proclamée et pratiquée par
certains, qui affirment que les prérogatives dont dispose le Président
ne sauraient s’accommoder de son irresponsabilité, la responsabilité
politique de celui-ci est contestée par d’autres, ou réduite à sa plus
simple expression : ce qui révèle la faible consistance juridique de ce
principe. Si la responsabilité politique existe bien, elle dépend moins
des règles constitutionnelles que des rapports de force et des
convictions des acteurs politiques.

1. La responsabilité proclamée
La responsabilité politique du chef de l’État a été affirmée
expressément par de Gaulle : avant chaque consultation électorale
majeure, celui-ci a tenu à s’engager en tant que Président,
expliquant qu’il quitterait son mandat en cas d’échec, c’est-à-dire,
dans l’hypothèse où le peuple refuserait de lui conserver sa
confiance.
e
La V République, commente à l’époque le constitutionnaliste
René Capitant, « est un nouveau système d’institutions, parmi
lesquelles la plus importante est un président de la République
responsable devant le suffrage universel […]. Cette responsabilité
est la clé de voûte de tout le système 11. »
Cette responsabilité signifie que le Président doit avoir « la
confiance de la majorité du peuple », qu’« il peut tout » lorsqu’il en
dispose, mais qu’au contraire, sans elle, « il ne peut rien et doit se
retirer ». Cette perte de confiance peut donc se manifester à tout
moment, par un échec à la présidentielle, mais aussi à l’occasion
d’un référendum ou d’une élection législative 12. Enfin, il ne s’agit
pas, pour Capitant, d’une simple règle d’éthique politique, mais
d’une véritable norme constitutionnelle, même si elle est non écrite.
C’est pourquoi il se scandalisera des propos du président Pompidou,
affirmant qu’en avril 1969, après l’échec du référendum, de Gaulle
aurait résilié « volontairement ses fonctions » : autrement dit, qu’il
aurait eu le droit de ne pas le faire… C’est, estime Capitant, une
« contre-vérité ». Pour lui, le chef de l’État avait « l’obligation » de
quitter le pouvoir « après le scrutin par lequel le peuple français lui
avait retiré sa confiance », cette obligation découlant de « la règle
fondamentale sur laquelle repose l’édifice constitutionnel de la
Ve République, à savoir, que le Président est responsable devant le
peuple ».

2. La responsabilité limitée
Mais on constate que, dès cette époque, la valeur juridique de ce
principe était contestée. Pompidou, accuse Capitant, n’aurait pas
quitté le pouvoir en cas de référendum défavorable ou d’élection
législative contraire. Et c’est également ainsi que l’entendront tous
ses successeurs : Valéry Giscard d’Estaing affirmait en 1978 qu’il
irait jusqu’au bout de son mandat, même en cas d’élections
législatives remportées par la gauche ; François Mitterrand assuma
les cohabitations de 1986 puis de 1993, et Jacques Chirac fit de
même en 1997, prévenant ensuite les Français qu’il ne tirerait pas
les conséquences d’un (improbable) échec au référendum de
septembre 2000, et ne songeant pas un instant à démissionner après
le spectaculaire désaveu que constitua indéniablement le
référendum négatif du 29 mai 2005.
Le plus troublant dans l’affaire, c’est que, dans le même temps,
les présidents de la République continuent imperturbablement de
proclamer leur responsabilité politique, afin de justifier les
prérogatives dont ils disposent et le rôle de direction qu’ils
assument : « j’ai été élu pour être responsable devant les Français,
affirme ainsi Valéry Giscard d’Estaing en 1979. Les mesures que j’ai
acceptées, j’en prends la responsabilité. » « La politique préparée par
le gouvernement m’engage au premier chef : je suis le premier
responsable de la politique française 13 », renchérit son successeur en
1981. Quant au président Sarkozy, présentant un quart de siècle
plus tard les ambitions de la grande révision constitutionnelle qu’il
projette, il reprend, sur un ton aux résonances très gaulliennes, le
thème de la responsabilité du chef de l’État.
« Je souhaite, déclare-t-il ainsi à Épinal le 12 juillet 2007, que le
travail du Comité de réflexion s’organise autour de la notion de
responsabilité. » Et de préciser quelques jours plus tard que la
question de la responsabilité est « la question centrale de la réforme
des institutions de la République » (19 juillet). Quant à la signification
de cette responsabilité, elle paraît aussi classique qu’exigeante : « Je
suis pour que les institutions permettent à la volonté politique de
s’exprimer parce que je veux que la France soit gouvernée. Parce
que si le gouvernement ne peut pas gouverner, la France ne pourra
pas se réformer. Mais […] il ne peut y avoir de pouvoir fort sans
responsabilité forte. […] C’est pourquoi […] l’important est que la
réforme que vous proposerez conduise à plus de responsabilité dans
l’exercice de l’action publique. Si la responsabilité du Premier
ministre devant l’Assemblée nationale devait être maintenue, elle
devrait être assumée pour ce qu’elle est : un mécanisme respectueux
de notre tradition parlementaire. Elle ne saurait dédouaner le
Président des responsabilités politiques qu’il a devant le peuple et
devant le pays » (18 juillet).
Réaffirmation aussi urgente que nécessaire – le chef de l’État
laissant entendre que c’est l’oubli de ce principe à partir du milieu
des années 1970 qui a conduit à déliter progressivement le « lien de
confiance entre le peuple et les dirigeants, […] gravement atteint par
le déficit de responsabilité » (12 juillet).
Pourtant, ces proclamations solennelles n’auront aucune
conséquence normative visible, la responsabilité du Président ne
figurant toujours pas dans le texte de la Constitution révisée. Le
principe continue ainsi d’être proclamé, quand bien même l’on
refuse explicitement d’en tirer les conséquences.
Que penser alors d’une telle distorsion ? La lettre de la
Constitution l’emporterait-elle sur son esprit ? Tout ce que l’on peut
dire, c’est qu’il n’existe, quoi qu’en ait dit René Capitant, aucune
règle obligeant le président de la République à quitter le pouvoir au
cas où il perdrait la confiance du peuple souverain. La seule
sanction politique incontestable qu’il encourt, c’est le risque de
n’être pas réélu à la suite de son premier mandat. Mais peut-on
sérieusement parler à ce propos de responsabilité politique – alors
que l’échéance ne se présente que tous les cinq ans, à condition que
le Président accepte de se représenter, et que sa non-réélection
éventuelle pourrait avoir beaucoup d’autres causes que la volonté de
le sanctionner ? Doit-on en déduire qu’il n’est responsable que
durant son premier mandat, dès lors qu’il ne peut plus se
représenter, ni donc être sanctionné, à l’issue du second ?
En définitive, la responsabilité politique du Président n’a donc,
de nos jours, pas beaucoup plus de consistance que sa responsabilité
pénale.
Section II
Les pouvoirs du Président

Si l’on s’en tient à la lettre de la Constitution, la distinction


fondamentale, en ce qui concerne les prérogatives du Président,
oppose ses « pouvoirs propres », dispensés du contreseing du
Premier ministre, aux « pouvoirs partagés », qu’il ne peut exercer
qu’à condition d’obtenir l’accord (formalisé par le contreseing, c’est-
à-dire, le fait de signer la décision présidentielle) du chef du
gouvernement, et, le cas échéant, des ministres responsables.
Pouvoirs propres, pouvoirs partagés : d’emblée, la distinction suscite
une question et un constat.
Une question, d’abord : pourquoi une telle distinction, inconnue
du parlementarisme classique, où le chef de l’État ne dispose
d’aucun pouvoir propre, et où toutes ses décisions nécessitent donc
le contreseing ministériel ? La réponse est contenue dans la
question : précisément afin de rompre avec un tel régime, et avec les
e e
résultats désastreux qu’il a produits sous la III et la IV République,
imputés à l’absence d’un chef aux moments de crise, où son
intervention eût été indispensable. C’est en ce sens que Michel
Debré fait une distinction, en 1958, entre « les pouvoirs normaux du
futur président de la République » en matière de politique
quotidienne, « à peine plus accentués que ceux qui lui étaient
1
donnés par les lois de 1875 », et ses pouvoirs propres, qui ne
s’exerceront que dans des hypothèses relativement exceptionnelles.
Car ce sont précisément de telles hypothèses qui exigent « une
autorité supérieure […] en mesure de représenter la volonté de la
vie nationale et la légitimité de la patrie » : et donc, qui dispose à
cet effet de pouvoirs qu’elle pourra exercer librement. C’est
d’ailleurs ainsi que les pouvoirs propres sont formellement présentés
par l’article 19 : comme des exceptions au principe traditionnel du
contreseing. Mais s’il y a distinction, c’est aussi qu’à l’inverse les
pouvoirs « normaux », correspondant aux temps ordinaires, n’ont
pas à être assumés entièrement par le Président, et que le
gouvernement peut donc s’en charger.
Et on arrive ainsi au constat annoncé plus haut : cette distinction
entre pouvoirs propres et pouvoirs partagés va se trouver
rapidement remise en cause par la pratique initiée par le général de
Gaulle, puis reprise par ses successeurs. Si les pouvoirs propres
dévolus au chef de l’État demeurent à peu près intangibles, les
pouvoirs partagés sont, en effet, largement annexés par le Président
qui, renversant le schéma parlementaire, s’approprie la réalité de la
décision, le Premier ministre n’ayant plus qu’un pouvoir formel de
confirmation – et ne récupérant la direction effective que dans
l’hypothèse, très particulière, de la cohabitation.
Enfin, si la distinction cardinale pouvoirs propres / pouvoirs
partagés a pu faire l’objet d’une telle remise en cause, c’est
(notamment) parce que le Président n’est pas seulement titulaire de
« pouvoirs » juridiquement définis et énumérés par la Constitution.
2
L’action du chef de l’État se traduit aussi par des « actes matériels »
échappant à l’appréhension juridique : rencontres avec des chefs
d’État et de gouvernement étrangers, sommets européens ou, sur un
autre plan, voyages et discours en province, entretiens avec des
journalistes, conférences de presse, allocutions télévisées (à
périodicité régulière ou à l’occasion d’événements importants :
élections nationales, guerres, crises, révisions constitutionnelles,
etc.)…
De Gaulle avait déjà perçu l’importance de ces actes lorsqu’il
notait : « il faut que les Français me voient et m’entendent, que je
les entende et les voie », et qu’il ajoutait : « la télévision et les
3
voyages publics m’en donnent la possibilité ». Or, cet instrument
capital de la primauté présidentielle se trouve évidemment
dépourvu de contreseing ministériel…
Pour une large part, ce sont ces actes matériels, ces pouvoirs
innommés ou ignorés qui ont permis, hors cohabitation, d’imposer
une relecture du partage des compétences prévues par la
Constitution ; et en période de cohabitation, de limiter le
rétrécissement de la fonction présidentielle.
SOUS-SECTION 1
Les pouvoirs propres

Ces pouvoirs sont énumérés dans l’article 19. Il s’agit,


correspondant à des fonctions ponctuelles ou exceptionnelles, mais
toujours importantes, des compétences prévues aux articles 8,
alinéa 1er (nomination du Premier ministre), 11 (référendum
législatif), 12 (dissolution de l’Assemblée nationale), 16 (pouvoir de
crise), 18 (droit de message au Parlement), 54 et 61 (saisine du
Conseil constitutionnel) et 56 (nomination de trois membres du
Conseil constitutionnel).
En fait, cette énumération doit être lue à la lumière de l’article 5.
Celui-ci, note Gérard Conac, « ne définit pas les compétences du
président de la République : il les explique et les justifie 1 ». Or, il
dispose que « le Président veille au respect de la Constitution. Il
assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs
publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de
l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect
des traités. »
Telles sont les trois missions fondamentales du Président. C’est
afin de pouvoir les assurer qu’il dispose des pouvoirs propres
énumérés par l’article 19, qui peuvent ainsi se ranger en trois
catégories : les pouvoirs visant à assurer le respect de la
Constitution, ceux qui tendent à garantir la continuité de l’État,
l’indépendance nationale et l’intégrité du territoire, et enfin, ceux
qui visent à assurer le fonctionnement régulier des (autres)
institutions publiques.
A. Assurer le respect de la Constitution
Ces pouvoirs – énoncés par les articles 54, 56 et 61, qui
permettent au chef de l’État de nommer trois membres du Conseil
constitutionnel, et de saisir cette instance pour lui demander de
contrôler la constitutionnalité d’une loi ou d’un traité – seront
évoqués plus loin (deuxième partie, chap. I). Mais on doit rappeler
que, dans l’esprit du constituant de 1958, l’importance accordée au
Conseil constitutionnel ne relève pas d’une quelconque « idolâtrie »
de la norme constitutionnelle : de même que la Constitution n’est
conçue que comme un moyen au service d’une politique, de même,
le Conseil constitutionnel a été créé afin de prémunir le nouveau
régime contre les déviations du parlementarisme, et contre une
rechute toujours possible dans le « régime d’assemblée ». C’est ce
rôle proprement politique du Conseil qui justifie l’attribution au
Président des pouvoirs évoqués ci-dessus. Telle était du moins la
logique du système jusqu’à la révision du 23 juillet 2008 qui, entre
autres réformes, va reformuler l’article 56 relatif à la nomination
des membres du Conseil constitutionnel. Depuis, ce que la
Constitution définit toujours comme un pouvoir propre du Président
obéit à des règles qui déterminent aussi l’exercice d’un pouvoir
partagé, comme le pouvoir ordinaire de nomination visé par
l’article 13. Désormais, en effet, la nomination des membres du
Conseil constitutionnel s’exercera « après avis public de la
commission permanente compétente de chaque assemblée », le
Président ne pouvant procéder à une nomination lorsque les votes
négatifs représentent trois cinquièmes des suffrages exprimés dans
les deux commissions. Un mécanisme inspiré du système américain,
qui brouille la notion de « pouvoirs propres », les commissions
parlementaires citées plus haut se voyant attribuer en l’occurrence
un véritable droit de veto.

B. Garantir la continuité de l’État,


l’indépendance nationale et l’intégrité
du territoire
En 1958, cet objectif, évidemment essentiel, est ressenti avec une
acuité toute particulière : quatorze ans à peine après la Libération,
le contexte international paraît plus que jamais lourd de menaces,
alors que la France se trouve embourbée, en Afrique noire et en
Algérie, dans les affres dramatiques de la décolonisation.
Or, pour de Gaulle comme pour ses proches, une part notable de
la débâcle de 1940 était due à l’impuissance du président de la
République (à l’époque, le très incolore Albert Lebrun), ligoté par
des dispositions constitutionnelles qui l’empêchaient d’assumer, en
période de crise, le rôle de chef, susceptible de prendre seul les
décisions qui s’imposaient 2.
Telle est l’idée qui sous-tend le fameux article 16 de la
Constitution, où beaucoup de commentateurs ont vu la marque
propre du général de Gaulle. Avec cet article, il s’agit en effet de
conférer au Président, pour une durée limitée et dans un but précis,
des pouvoirs très étendus, « dictatoriaux », au sens romain du terme.
La dictature, en ce sens du moins, n’a rien à voir avec le despotisme
ou la tyrannie, puissance incontrôlée exercée sans limites dans le
temps par un individu pour son profit personnel. À Rome, le
dictateur se trouve légalement investi de la totalité du pouvoir, pour
une brève période (à peine quinze jours pour Cincinnatus), et afin
de sauver la République ; mais une fois sa tâche accomplie, il remet
ses pouvoirs à l’État, et reprend sa place normale au sein de la
société.
L’article 16 prévoit, pareillement, la mise en œuvre d’une
dictature de Salut public, qui s’inspire pour l’essentiel de l’héritage
antique et jacobin (celui du « comité de Salut public » de la
Convention). Les pouvoirs qu’il énonce se trouvent en effet encadrés
par des règles (relativement) contraignantes, et leur mise en œuvre
entraîne un certain nombre de conséquences. « La longueur du texte,
expliquera Michel Debré, est justifiée : sans enlever au président de
la République sa liberté de décision », qui conditionne l’efficacité, et
donc l’intérêt, de la procédure, « elle l’entoure de mesures et de
considérations qui lui confèrent un caractère solennel et doivent
empêcher les abus 3 ».

1. Les conséquences
La principale conséquence de l’article 16 est d’étendre très
largement les pouvoirs du Président qui, au-delà de ses compétences
ordinaires, pourra prendre toutes les mesures « exigées par les
circonstances », concentrant « entre ses mains la plénitude des
4
pouvoirs exécutif et législatif ».
Mais la mise en œuvre de l’article 16 entraîne également, par
contrecoup, certaines conséquences qui limitent ces pouvoirs. Ainsi,
« le Parlement se réunit de plein droit » (al. 4) et « l’Assemblée
nationale ne peut être dissoute » (al. 5). D’où la présence d’un
« contre-pouvoir » minimal sans lequel la dictature de Salut public
pourrait présenter des risques excessifs – contre-pouvoir qui n’a pas
pour autant vocation à intervenir, et donc à gêner le Président : en
particulier, l’Assemblée ne peut voter une motion de censure contre
le gouvernement en cas de désaccord avec la politique
présidentielle. Dans le même esprit, l’article 89, alinéa 4, précise
qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou
poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire » :
c’est l’étendue de ces pouvoirs exceptionnels qui, on l’a dit, justifie
le luxe de précautions entourant sa mise en œuvre.

2. La mise en œuvre
L’article 16 énumère deux séries de conditions destinées à en
encadrer l’usage.
er
Il s’agit d’abord de conditions de fond, figurant dans l’alinéa 1 :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la
nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution de ses engagements
internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et
que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels
est interrompu, le président de la République prend les mesures
exigées par ces circonstances. » Ces conditions sont cumulatives : il
faut, tout à la fois, que pèse une menace grave et immédiate, et que
le fonctionnement des pouvoirs publics soit interrompu. Quant au
Président, il pourra prendre alors les mesures exigées par ces
circonstances, ce qui implique l’idée d’une proportion (il ne pourra
pas faire plus) et d’un rapport (il ne pourra pas faire autre chose)
entre les unes et les autres. L’alinéa 3 ajoute à cela une condition
tenant à la finalité de ces mesures, qui « doivent être inspirées par la
volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les
moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission ». On note ici
l’emploi du terme « doivent », qui indique une obligation juridique,
et la précision « dans les moindres délais », qui suppose la brièveté
de la période.
Mais l’article 16 pose également des conditions de forme : et il
faut distinguer ici celles qui, établies dès 1958, se sont, à l’usage,
avérées nettement insuffisantes, de celles qui ont été ajoutées par la
loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.
À l’origine, ces conditions de forme étaient au nombre de trois.
Les mesures prises par le Président ne pouvaient l’être qu’« après
consultation officielle du Premier ministre, des présidents des
assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel » (al. 1er). Le
Président devait en informer la nation par un message (al. 2), et
consulter le Conseil constitutionnel sur le contenu de ces mesures
(al. 3).
Or, ces conditions s’avéraient assez théoriques, dans la mesure
5
où il n’existait pas d’instance chargée de contrôler le respect de ces
règles, ni de sanctionner leur éventuelle transgression par le chef de
l’État. Finalement, c’était au Président et à lui seul qu’il revenait
d’apprécier si les conditions de mise en œuvre de l’article 16 étaient
bien réunies, ou si elles avaient cessé de l’être.
C’est, du reste, ce qui s’est passé lors de la seule application de
l’article 16, le 23 avril 1961, à la suite du « putsch des généraux » à
Alger. Alors que celui-ci est maté sans difficulté en moins de trois
jours, l’article 16 va rester en vigueur jusqu’au 29 septembre 1961,
sans qu’il y ait de recours possible contre cette décision du
Président. Cette prolongation injustifiable constitua
incontestablement l’un des coups d’État les plus caractérisés initiés
par le président de Gaulle durant cette période de transition qui
6
s’étend entre 1958 et 1962 . Toujours est-il que sa plasticité
indéfinie est difficilement défendable : c’est pourquoi l’on a souvent
songé à corriger l’article 16 sur ce point – en particulier le comité
Vedel, qui, en 1993, avait proposé d’attribuer au Conseil
constitutionnel, saisi par le président de la République ou par une
demande conjointe des présidents des deux assemblées, le pouvoir
de constater que « les conditions exigées pour l’application du
présent article ne sont plus réunies ». Cette réforme sera finalement
consacrée par la révision du 23 juillet 2008, qui ajoute à l’article 16
un dernier alinéa permettant d’éviter une prolongation injustifiée
des pouvoirs exceptionnels. « Après trente jours d’exercice » (un
délai que l’on peut supposer suffisant, en général, pour remédier à
l’interruption du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels »), « le Conseil constitutionnel peut être saisi par le
président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante
députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions
énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans
les délais les plus brefs par un avis public. » Au-delà de soixante
jours, il procède de plein droit à cet examen, et se prononce là
encore par un avis public. Sans doute le Conseil ne peut-il, de lui-
même, mettre fin à l’exercice des pouvoirs de crise. Mais on peut
supposer qu’un Président qui passerait outre ces avis publics répétés
se rendrait coupable de ce que l’article 68 définit comme « un
manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec
l’exercice de ses fonctions », passible de la Haute Cour.

C. Assurer le fonctionnement régulier


des institutions publiques
Ces institutions sont, dans l’ordre, le gouvernement, le peuple et
le Parlement.

1. Le gouvernement
Le Président « nomme le Premier ministre. Il met fin à ses
fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du
er
gouvernement » (art. 8, al. 1 ). On reviendra sur ce pouvoir dans le
chapitre suivant. On se bornera à noter ici que ce double pouvoir,
de nommer et d’accepter la démission, dépend largement, bien qu’il
s’agisse d’un pouvoir propre, du contexte politique dans lequel il
s’exerce. Le Président pourra certes toujours nommer qui il veut,
mais en cas de désaccord avec l’Assemblée nationale, cette
nomination sera sans effet, le Premier ministre nommé étant alors
voué à l’impuissance, et plus probablement à une disparition rapide
par le biais de la motion de censure. D’autre part, le président de la
République ne pourra obtenir le départ de son Premier ministre que
si ce dernier accepte de lui obéir (ce qui suppose qu’il soit du même
bord politique), la Constitution ne donnant pas au chef de l’État les
moyens juridiques de contraindre son Premier ministre à la
démission.

2. Le peuple
On se contentera de rappeler que si la décision de soumettre un
projet de loi au référendum se trouve dispensée du contreseing, le
Président ne peut y procéder que « sur proposition du gouvernement
pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux
assemblées » (art. 11). Là encore, comme pour l’article 8, alinéa 1er,
se pose donc, avant tout, la question du contexte politique, et de
l’accord entre les deux têtes de l’exécutif. En cas de cohabitation, le
Président n’aura plus qu’un pouvoir négatif, celui de refuser de
soumettre au référendum un projet de loi, malgré la proposition
faite par le gouvernement ou par les deux assemblées (voir chap. I).
3. Le Parlement
Tel n’est pas le cas, en revanche, pour cette troisième série de
pouvoirs, relatifs aux rapports entre le Président et le Parlement.

a. Le droit de message
Le moins décisif d’entre eux est évoqué dans l’article 18 : « le
Président communique avec les deux assemblées par des messages
qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat ». On a longtemps
considéré qu’il ne s’agissait que d’un souvenir historique, la
procédure renvoyant au principe de séparation des pouvoirs et à
l’usage selon lequel le chef de l’État ne peut pénétrer dans l’enceinte
du Parlement. Un souvenir, et un archaïsme, les présidents de la
Ve République comprenant vite qu’il existe bien d’autres moyens,
plus efficaces et moins contraignants, de communiquer avec la
classe politique, et ne l’utilisant donc qu’avec parcimonie – cinq fois
seulement pour le général de Gaulle, et quatre fois pour le président
Mitterrand.
C’est pourquoi les observateurs ont été surpris de l’importance
donnée par le président Sarkozy à la modification de l’article 18, et
à la possibilité offerte au chef de l’État de s’exprimer directement et
en personne devant les assemblées parlementaires. Surpris, dans la
mesure où l’attribution d’une telle faculté au Président n’affecte en
rien l’équilibre des pouvoirs, ne renforçant de façon sensible ni son
autorité, comme l’ont affirmé certains, ni celle du Parlement,
comme d’autres l’ont prétendu.
Après des débats houleux – la gauche arguant de cette réformette
pour justifier son refus de voter la révision – la loi constitutionnelle
du 23 juillet 2008 ajoutera donc un second alinéa à l’article 18,
disposant que le Président « peut prendre la parole devant le
Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner
lieu, hors de sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun
vote ». Grâce à ces dispositions, accusait alors Robert Badinter, le
Président, s’adressant « directement aux parlementaires réunis en
Congrès […] présentera un bilan flatteur de son action et fera
acclamer par sa majorité son programme de gouvernement 7 ».
Prédiction fantasmatique aussitôt démentie par la réalité. Alors
que Nicolas Sarkozy n’utilisa cet article qu’une seule fois, le 22 juin
2009, le président Hollande, qui s’exprima solennellement devant le
Congrès réuni à Versailles le 16 novembre 2015, trois jours après la
vague d’attentats qui avait frappé la capitale, ne tarda pas à
constater à quel point cette procédure était dépourvue de
consistance. Applaudi presque unanimement lorsqu’il appelait à
réviser la Constitution en vue d’y introduire le mécanisme de l’état
d’urgence et la déchéance de nationalité des binationaux condamnés
pour terrorisme, le chef de l’État dut finalement « jeter l’éponge »
quatre mois plus tard, le 30 mars 2016, faute d’accord entre les
deux assemblées, et de consensus permettant d’obtenir, devant le
e
Congrès, la majorité qualifiée des 3/5 requise en vertu de
l’article 89 al. 3.

b. Le droit de dissolution
En revanche, nul n’a jamais mis en doute l’importance cruciale
du droit de dissolution prévu par l’article 12, qui dispose que « le
président de la République peut, après consultation du Premier
ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution
de l’Assemblée nationale ».
8
« Cette arme capitale de tout régime parlementaire » constitue
l’une des principales innovations de la Ve République. Elle
représente le moyen essentiel pour rééquilibrer les pouvoirs au sein
de l’État, et pour rompre définitivement avec le « régime
d’assemblée » imputé, historiquement, au blocage du droit de
dissolution sous les Républiques précédentes. Sous la IIIe, ce blocage
résultait de la nécessité d’obtenir « l’avis conforme » du Sénat (loi
constitutionnelle du 25 février 1875, art. 5) pour pouvoir procéder à
une dissolution : le Sénat refusant par principe, depuis la crise du
16 mai 1877, de donner son accord à une mesure jugée attentatoire
à la démocratie et à la tradition républicaine, la dissolution était
juridiquement impraticable. Sous la IVe République, l’article 51 de la
Constitution de 1946 subordonnait lui aussi le droit de dissolution
accordée au président du Conseil à des conditions drastiques, au-
dessus desquelles continuait en outre de planer le vieux préjugé
républicain d’hostilité à la dissolution : lorsqu’en novembre 1955,
les conditions étant enfin réunies, le président du Conseil Edgar
Faure eut la possibilité de la mettre en œuvre, personne ne le crut
« capable d’être, après le maréchal Mac-Mahon, le deuxième
9
responsable politique à prononcer une dissolution ». Et lorsqu’en
dépit des pressions réitérées du président René Coty, lui aussi
obsédé par le précédent Mac-Mahon, Edgar Faure décida malgré
tout de dissoudre l’Assemblée nationale, il lui en coûta sa carrière
politique.
Désormais, sous la Ve République, il n’est plus besoin de
l’assentiment d’un autre organe, ni de la réunion de conditions
difficiles. La seule limite que les constituants mettent au droit de
dissolution figure dans l’alinéa 4 : « il ne peut être procédé à une
nouvelle dissolution dans l’année qui suit » les élections législatives
organisées après une première dissolution, élections qui, précise
l’alinéa 2, « ont lieu 20 jours au moins, 40 jours au plus après la
dissolution ».
On retrouve un esprit analogue à celui qu’on discernait dans
l’article 16. Ces précisions et ces limites visent à empêcher un
comportement abusif du Président, qui pourrait sinon procéder à des
dissolutions successives jusqu’à ce qu’il obtienne à l’Assemblée une
majorité satisfaisante, ou même ne pas procéder à une réélection
aussitôt après la dissolution (et attendre pour le faire d’être sûr d’un
résultat favorable). Au fond, il ne s’agit pas, sur ce point, de donner
tous pouvoirs au Président, mais de lui permettre d’en appeler
librement à l’arbitrage du peuple, donné à l’occasion des nouvelles
élections, mais qu’une seconde dissolution aurait pour effet de
bafouer.
SOUS-SECTION 2
Les pouvoirs partagés

L’énumération limitative de l’article 19 signifie que tous les autres


pouvoirs du Président sont partagés avec le Premier ministre : c’est-
à-dire qu’ils doivent obtenir l’accord, formalisé par le contreseing,
du Premier ministre, et le cas échéant, celui des ministres
responsables.
Suivant la lettre de la Constitution, ces pouvoirs partagés
intéressent trois domaines ; mais ils ne concernent que la gestion
politique quotidienne qui, en vertu de l’article 20, relève en principe
du gouvernement.
Le premier de ces domaines a trait à la participation du Président
à la fonction gouvernementale. Le second concerne l’intervention du
Président dans la fonction législative. Enfin, le troisième est relatif à
la fonction judiciaire.
En régime parlementaire, l’exigence du contreseing signifie en
principe que le pouvoir appartient à celui qui contresigne, et qui
endosse ainsi (devant le Parlement) la responsabilité politique de la
décision. C’est le cas en Grande-Bretagne, où le monarque continue
de prendre formellement toutes les décisions importantes, mais sous
contreseing de son Premier ministre. C’était le cas également sous la
IIIe République, où le Président, apparemment très puissant, ne
1
faisait « que les gestes du pouvoir », la réalité de celui-ci
appartenant soit au président du Conseil, soit au ministre
directement concerné par la décision (par exemple le ministre des
Affaires étrangères en matière de politique extérieure).
Mais la pratique de la Ve République va s’éloigner de cette
conception, qui réduisait le chef de l’État à un rôle symbolique : la
réalité du partage qu’elle opère n’a qu’un rapport assez lointain avec
la lettre de la Constitution telle que pourrait l’interpréter
l’orthodoxie parlementaire. À cet égard, il faut toutefois préciser
qu’il s’agit d’une pratique fluctuante, puisqu’elle dépend de la
présence à l’Assemblée nationale d’une majorité favorable au
président de la République. Ce qui conduit à distinguer les périodes
« normales », où le Président, bénéficiant d’un tel soutien, peut
s’approprier l’essentiel de ces pouvoirs, et les périodes de
cohabitation, où il est contraint de composer avec un Premier
ministre imposé par une majorité hostile, et qui refusera par
conséquent de le laisser empiéter sur ses propres compétences.

A. En période « normale »
En période « normale » – cette normalité correspondant à la
pratique initiée par de Gaulle, et reprise sans défaillance par ses
successeurs jusqu’en 1986, puis de 1988 à 1993, de 1995 à 1997, et
depuis 2002 –, le Premier ministre n’est, suivant l’expression
consacrée, que le chef d’état-major du Président qui, l’ayant choisi,
le révoque à sa guise et peut lui imposer ses choix. Dans ce contexte,
les pouvoirs ne sont donc « partagés » que lorsque le Président le
veut bien, mais ils ne le sont aucunement lorsqu’ils touchent à son
« domaine réservé ».

1. Le partage avec le gouvernement


De façon générale, le partage dépend du Président et de son
ascendant sur son Premier ministre, celui-ci n’étant pas susceptible,
le cas échéant, de lui refuser son accord lorsqu’il l’exige. Il n’y a
donc de partage que dans une certaine mesure, qui varie en fonction
des questions traitées, mais aussi de la stature politique et des
personnalités respectives des deux titulaires de ce pouvoir. C’est
ainsi que certains Premiers ministres sont parvenus à conserver une
marge de décision et d’autonomie considérable, alors que d’autres se
sont résignés à une situation de relative subordination (Maurice
Couve de Murville de 1968 à 1969, Pierre Messmer de 1972 à 1974,
Jean-Pierre Raffarin de 2002 à 2005, François Fillon de 2007 à
2012 2, Jean-Marc Ayrault de 2012 à 2014). L’ensemble manifeste
effectivement une « dyarchie hiérarchisée 3 », avec cette précision
que la hiérarchie (et donc la dyarchie…) sera plus ou moins
marquée selon les cas.

a. Le pouvoir réglementaire
Il en va ainsi, en premier lieu, des pouvoirs visés par l’article 13,
exercés par le Président en Conseil des ministres. En vertu de
l’article 9 de la Constitution, c’est en effet le chef de l’État qui
préside le Conseil des ministres, et qui, dans ce cadre, « signe les
ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres » (13,
er
al. 1 ) : la Constitution de 1958 revenant à cet égard sur celle de
1946, qui avait transféré tous ces pouvoirs du président de la
République au président du Conseil.

Les ordonnances, dont l’article 38, alinéa 2 rappelle qu’elles


« sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État »,
constituent une incursion de l’exécutif dans le domaine législatif, sur
autorisation expresse du Parlement (voir chap. III). Longtemps, ces
ordonnances ont porté pour l’essentiel sur des questions
techniquement délicates ou politiquement sensibles. Par exemple,
c’est par voie d’ordonnances que furent organisés le maintien de
l’ordre en Algérie (vingt-neuf ordonnances seront ainsi prises sur le
fondement de la loi du 4 février 1960), la mise en œuvre des traités
de Rome, ou encore l’évolution du statut des Territoires d’outre-mer.
De par leur objet même, elles intéressaient donc directement le chef
de l’État : c’est pourquoi ce dernier, comme le reconnut Michel
Debré en 1960 lors du premier recours aux ordonnances, est « en
dernier ressort, juge de leur opportunité 4 ». Même si le domaine
d’intervention des ordonnances s’est considérablement élargi (voir
IIe partie, chap. II), le Président conserve en la matière un rôle
privilégié, y compris en période de cohabitation, puisqu’il peut alors
refuser de signer une ordonnance délibérée en Conseil des ministres,
comme le fit François Mitterrand en 1986 5. Dans ce cas de figure, le
gouvernement n’aura plus qu’à renoncer à cette procédure, et à
demander au Parlement d’adopter les mesures prévues par la voie
législative.

Outre les ordonnances, le Président signe également « les décrets


délibérés en Conseil des ministres ». A contrario, cela signifie que
seuls les décrets « simples », non délibérés en Conseil des ministres,
n’auront pas à être signés par le chef de l’État. Ils seront alors pris
par le Premier ministre qui, en vertu de l’article 21, « exerce le
pouvoir réglementaire […] sous réserve de l’article 13 » (sur ce
point, voir chap. III).
La difficulté vient ici de ce que la Constitution ne définit pas ce
qu’elle entend par « décrets délibérés en Conseil des ministres », et
qu’aucun texte n’en établit une énumération limitative. En pratique,
le président de la République, déterminant de façon discrétionnaire
l’ordre du jour du Conseil des ministres 6, pourra toujours faire en
sorte qu’une question déterminée soit traitée dans ce cadre, ce qui
aura pour résultat d’étendre son propre pouvoir réglementaire. Car
« il suffit qu’une disposition réglementaire soit, en fait ou en droit,
[…] soumise aux délibérations du Conseil des ministres, pour que le
décret qui la prend échappe à la compétence du Premier ministre,
7
dont les attributions réglementaires sont réduites d’autant ».
Or, comme l’a reconnu le Conseil d’État 8, un décret pris en
Conseil des ministres, même lorsque aucun texte n’imposait qu’il le
fût, ne pourra être modifié que par un décret de même nature et de
même valeur, c’est-à-dire, également délibéré en Conseil des
ministres et revêtu de la signature présidentielle. « Lorsqu’il signe un
décret en Conseil des ministres, le président de la République en
devient juridiquement l’auteur, et le décret ne peut plus être modifié
que par lui 9. » Cette solution a été vivement contestée, en
particulier par le Comité de révision de la Constitution présidé par
le doyen Vedel : alors que « le pouvoir réglementaire appartient
normalement au Premier ministre », le domaine de ce dernier tend,
« au fur et à mesure que tels ou tels objets de l’administration sont
réglementés par les décrets délibérés en Conseil des ministres », à se
rétrécir progressivement et irréversiblement 10. De fait, cette solution
manifeste clairement la suprématie du Président – qui pourrait
toujours refuser de signer un décret délibéré en Conseil des
ministres, alors qu’il paraît inconcevable qu’un décret signé par le
Président n’obtienne pas le contreseing, purement formel, du
Premier ministre et des ministres concernés.

b. Le pouvoir de nomination
Outre le pouvoir réglementaire qu’il partage avec le Premier
ministre, le Président, en vertu de l’article 13, alinéa 2, « nomme
aux emplois civils et militaires de l’État ». L’alinéa 3 du même
article énumère certains de ces emplois, et l’alinéa 4 renvoie à une
loi organique la détermination des « autres emplois auxquels il est
pourvu en Conseil des ministres ainsi que [des] conditions dans
lesquelles le pouvoir de nomination du président de la République
peut être par lui délégué pour être exercé en son nom ».
Comme en ce qui concerne le pouvoir réglementaire, ces alinéas
doivent se lire combinés avec l’article 21, qui précise que « sous
réserve des dispositions de l’article 13 », le Premier ministre nomme
aux emplois civils et militaires.
Là encore, cette compétence capitale paraît doublement
partagée : d’abord dans la mesure où le pouvoir de nomination du
Président est soumis au contreseing, ensuite parce que c’est au
Premier ministre qu’appartient la compétence de principe, le
Président n’ayant qu’une compétence d’exception. Mais la réalité est
tout autre : en fait, le Premier ministre n’a qu’un pouvoir de
nomination par décret très limité, à la fois sur un plan quantitatif et
sur un plan qualitatif, puisque ce pouvoir ne concerne que des
emplois relativement subalternes.
Si partage il y a, c’est, au sein même des pouvoirs du Président,
celui qui résulte de la distinction entre les « plus hauts emplois de
l’État », nommés discrétionnairement par le Président, et les emplois
dans les grands corps de l’État (magistrature, armée, enseignement
supérieur), où le pouvoir de nomination du Président s’effectue sans
réelle possibilité de choix 11. Et c’est, d’autre part, le partage entre
ces différents emplois, où le pouvoir de nomination du Président
n’est subordonné qu’au contreseing de son Premier ministre, et « les
emplois ou fonctions […] pour lesquels, en raison de leur
importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie
économique et sociale de la Nation », est exigée en outre une
approbation parlementaire. Pour ces derniers, en effet, l’alinéa 5 de
l’article 13 issu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 dispose
que « le pouvoir de nomination du président de la République
s’exerce après avis public de la commission permanente compétente
de chaque assemblée. Le président de la République ne peut
procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans
chaque commission représente au moins trois cinquièmes des
suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine
les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou
fonctions concernés ».
C’est le cas, on l’a déjà noté, pour les membres du Conseil
constitutionnel désignés par le président – ainsi que pour toute une
série d’emplois énumérés par la loi organique prévue à cet effet –,
l’objectif de cette disposition étant de limiter les nominations
contestables et les pratiques opaques consistant à placer à des postes
clés de l’État et de l’économie des fidèles méritants ou des agents
dévoués plutôt que des personnalités compétentes.
Cet effort de clarification a d’ailleurs été précisé par la loi
organique no 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du
cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, qui a fixé une
liste de 51 emplois et fonctions soumis à cette nouvelle procédure –
allant du P-DG d’Aéroports de Paris au gouverneur de la Banque de
France, et du président du conseil d’administration de la SNCF au P-
DG de Météo-France. Depuis, le gouvernement a entendu poursuivre
dans cette direction, qui consiste à délimiter plus étroitement les
compétences présidentielles de nomination. Tel fut ainsi le cas en ce
qui concerne l’audiovisuel public, conformément à ce qu’avait
annoncé le candidat Hollande lors du mémorable débat télévisé du
2 mai 2012 : désormais, en vertu de la loi no 2013-1028 du
15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public,
c’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qu’il revient de
procéder à la nomination des présidents de France-Télévision, de
Radio-France et de la société en charge de l’audiovisuel de la
France 12, la loi ayant renforcé en parallèle l’autonomie dudit
conseil, dont le chef de l’État ne désigne plus que le président.

c. Le domaine réservé
Même après la révision de 2008, le partage des pouvoirs
demeure globalement inégalitaire ; mais ce déséquilibre s’accentue
encore lorsque se trouve en jeu le « domaine réservé » du président
de la République. Cette notion ne figure pas expressément dans la
Constitution (voir Domaine réservé) : cependant, dès 1959, l’idée est
avancée selon laquelle existerait, au profit du chef de l’État, un tel
domaine transcendant la distinction établie dans l’article 19
(pouvoirs propres/pouvoirs partagés), et qui comprendrait
l’ensemble des questions internationales et militaires, en bref, tout
ce qui concerne directement l’intégrité du territoire et
l’indépendance nationale évoquées par l’article 5. Dans ce domaine,
le chef de l’État fixe seul les grandes orientations et prend toutes les
décisions importantes, parfois sans même devoir en avertir son
Premier ministre. C’est ainsi qu’en 1976, Jacques Chirac, Premier
ministre du président Giscard d’Estaing, apprit en Conseil des
ministres qu’un nouveau sous-marin nucléaire allait être construit.
De même, c’est le chef de l’État qui nomme directement les
ministres en charge de ces questions, qui ne vont en référer qu’à lui,
et qui apparaissent ainsi « en quelque sorte les secrétaires généraux
[du président, dirigeant] selon ses directives les ministères que
13
celui-ci entend contrôler de très près ».
À s’en tenir à la lettre de la Constitution, les compétences
présidentielles en matière d’affaires étrangères (art. 14 et 52) et de
défense semblent pourtant très classiques, fort proches de celles que
lui attribuaient les constitutions précédentes, et, en outre,
étroitement imbriquées avec celles du Premier ministre. Ainsi, bien
que le Président soit, en vertu de l’article 15, le « chef des armées »,
c’est le Premier ministre qui, d’après l’article 21, est « responsable
de la Défense nationale » et qui, en tant que chef du gouvernement,
« dispose […] de la force armée » (art. 20, al. 2). Mais en la matière,
la fiction du texte s’efface derrière la réalité de la « monarchie
républicaine ». Dans ces « grandes affaires » qui intéressent
directement le destin de la nation, le Premier ministre n’a pas à
intervenir, si ce n’est à la demande du président de la République
14
qui « procède à la répartition comme il le juge nécessaire ».

2. Les rapports avec le Parlement


Hors l’hypothèse d’une cohabitation, le Premier ministre est
l’homme du Président, responsable devant lui bien plus que devant
une majorité parlementaire d’ailleurs soumise au chef de l’État. Le
cas échéant, il n’a donc pas à lui refuser son accord en ce domaine,
et le partage des pouvoirs, là aussi, s’effectue donc à l’avantage du
Président.
er
Au titre de l’article 10, alinéa 1 , le Président a l’obligation de
promulguer la loi votée par le Parlement dans les quinze jours qui
suivent sa transmission au gouvernement. Il s’agit d’une compétence
liée, ce qui signifie que le Président n’a pas la possibilité de refuser
une telle promulgation. Toutefois, au titre de l’alinéa 2, il peut,
avant expiration de ce délai de quinze jours, demander une nouvelle
15
délibération de la loi , sans que cette nouvelle délibération puisse
être refusée par le Parlement. Ce pouvoir est un héritage des
Républiques précédentes 16. Il correspond à une conception des
rapports entre le Président et le Parlement qui n’est plus d’actualité
e
sous la V , où la grande majorité des lois votées par le Parlement
résulte de projets de loi qui émanent du gouvernement, et ont donc,
du moins en période « normale », reçu l’aval du Président lui-même.
C’est pourquoi ce pouvoir, utilisé à douze reprises sous la
e e
IV République, fut, sous la V , employé pour la première fois en
17
1983, dans un cas de figure assez singulier .
Le pouvoir de convoquer les sessions extraordinaires du
Parlement (art. 30) paraît plus problématique. Il doit être rapproché
de l’article 29, alinéa 1er, qui précise que « le Parlement est réuni en
session extraordinaire à la demande du Premier ministre ou de la
majorité des membres composant l’Assemblée nationale, sur un
ordre du jour déterminé ». Cela signifie en principe que la réunion
d’une telle session est décidée soit par le chef du gouvernement, soit
par la majorité de l’Assemblée, et que le Président n’intervient donc
que sur un plan formel : dès lors que la décision a été prise, il
semble tenu de signer le décret d’ouverture prévu par l’article 30,
n’ayant, en l’occurrence, qu’une compétence liée. Pourtant, malgré
l’apparente clarté du texte, celui-ci fut interprété en sens inverse par
le président de Gaulle. Le 18 mars 1960, dans une lettre adressée au
président de l’Assemblée nationale, le Général écrit qu’il n’a « pas
cru devoir décréter l’ouverture d’une session extraordinaire », bien
que celle-ci ait été décidée par la majorité de l’Assemblée, au motif
que cette réunion irait à l’encontre de l’esprit comme de la lettre de
la Constitution, et notamment de la prohibition du mandat impératif
(cette session extraordinaire ayant été décidée sous la pression des
lobbies agricoles). Un tel refus peut paraître juridiquement
contestable : c’est ce que laisse entendre le président Giscard
d’Estaing, qui, en mars 1979, tint à respecter la lettre des articles 29
et 30 en acceptant une convocation imposée par le groupe RPR à
l’Assemblée. Il n’empêche qu’elle est conforme à la logique du
régime, même en cas de cohabitation, ainsi que l’ont du reste
reconnu les Premiers ministres du président Mitterrand lorsque ce
dernier, en décembre 1987 puis en juillet 1993, refusa de convoquer
18
le Parlement en session extraordinaire . On peut d’ailleurs noter
que c’est surtout en cas de cohabitation qu’un tel pouvoir a vocation
à s’exercer : il est alors l’une des dernières armes qui restent au
Président en matière de politique intérieure.

3. Les rapports avec l’autorité judiciaire


Le Président impose enfin sa primauté dans les relations avec
l’autorité judiciaire, comme l’indique la pratique du droit de grâce,
et l’existence du Conseil supérieur de la magistrature.

a. Le droit de grâce
19
Le droit de grâce – c’est-à-dire, de dispenser un condamné de
l’exécution de tout ou partie de sa peine sans pour autant effacer la
condamnation – prévu à l’article 17 constitue lui aussi un héritage,
puisqu’il s’enracine dans la figure médiévale du roi justicier, fons
justiciae (fontaine de justice). Ce pouvoir régalien, aboli par les
e
Constitutions révolutionnaires, est rétabli sous la V République,
mais ne peut s’exercer qu’avec le contreseing du Premier ministre,
du ministre de la Justice et, le cas échéant, du ministre ayant
procédé à l’instruction du recours. Limitation contestable, d’ailleurs
contraire à ce que prévoyaient au départ les rédacteurs de la
Constitution, mais rapidement neutralisée par la pratique, le
contreseing du Premier ministre étant automatique et ne limitant en
rien le pouvoir discrétionnaire du président de la République.
À cet égard, la seule limite tient désormais au champ
d’application de ce droit de grâce qui, depuis la révision de
juillet 2008, ne peut plus porter sur des catégories entières de
délinquants envisagés de façon générale, comme c’était le cas
jusqu’alors, mais doit s’exercer uniquement « à titre individuel ».
Modification opportune, en ce qu’elle fait disparaître un usage
abusif et démagogique du droit de grâce (les fameuses « grâces
présidentielles du 14-Juillet »), et qu’elle réaffirme le « caractère
essentiellement personnel » de ce dernier, dans son objet comme
dans celui qui l’exerce.
Ce qui n’empêche pas l’exercice du droit de grâce de susciter
parfois des débats passionnés, au nom du respect dû à l’autorité
judiciaire, dont la grâce permet par nature de contourner les
décisions. C’est ce qu’éprouva le président Hollande lorsqu’il décida,
me
le 31 janvier 2016, de gracier M Jacqueline Sauvage, qui avait été
condamnée définitivement un mois et demi plus tôt pour le meurtre
de son mari par la cour d’assises du Loir-et-Cher (voir Grâce
présidentielle).

b. Le Conseil supérieur de la magistrature


En tant que « garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire »
(article 64), le président de la République était à l’origine chargé de
présider le Conseil supérieur de la magistrature, dont il désignait par
ailleurs les neuf membres de façon discrétionnaire (article 65,
alinéa 2). Mais l’indépendance de ce Conseil, chargé de faire des
propositions, de donner des avis et de prononcer des sanctions
concernant la carrière des magistrats judiciaires, se trouvait-elle
assurée entre les mains d’un Président qui n’était évidemment plus
le simple arbitre qu’avaient eu en vue les constituants de 1958 ?
Dans ce contexte radicalement renouvelé, le Conseil supérieur de la
magistrature n’était-il pas devenu, au fond, l’instrument de la
subordination de l’autorité judiciaire au pouvoir exécutif ? C’est
o
pour répondre à cette critique que la loi constitutionnelle n 93-952
du 27 juillet 1993 a révisé ce second alinéa : désormais, la majorité
des membres du Conseil supérieur de la magistrature serait
composée de magistrats élus par leurs pairs, et seuls trois membres
(sur douze, si l’on compte le Président et le garde des Sceaux,
membres de droit) resteraient désignés par des autorités politiques
(le président de la République et les présidents des deux
assemblées).
Mais le remède fut rapidement jugé insuffisant, notamment à
propos du parquet, qui demeurait subordonné au garde des Sceaux :
c’est pourquoi le projet d’une nouvelle révision de l’article 65 fut
agité à plusieurs reprises, avant d’être réalisé dans le cadre de la
révision du 23 juillet 2008.
Celle-ci commence par couper le lien unissant le « garant de
l’indépendance » de la justice, et l’organe censé la mettre en œuvre,
que le chef de l’État ne préside plus. Désormais, le Conseil supérieur
de la magistrature, lorsqu’il se réunit en formation plénière pour
répondre aux demandes d’avis formulées par le président de la
République au titre de l’article 64, se trouve présidé par le Premier
président de la Cour de cassation, le plus haut magistrat de l’ordre
judiciaire. Ce dernier préside également la formation compétente à
l’égard des magistrats du siège, le procureur général près la Cour de
cassation présidant quant à lui la formation compétente à l’égard
des magistrats du parquet. En définitive, le chef de l’État n’est plus
compétent que pour désigner, suivant la procédure très encadrée
prévue au dernier alinéa de l’article 13, deux des six « personnalités
qualifiées » siégeant, parmi quatorze autres membres, dans les
formations spéciales ou la formation plénière. Ainsi, le Conseil
supérieur de la magistrature s’est-il totalement détaché du président
de la République, lequel n’a plus en la matière qu’un pouvoir
marginal. Et une influence tout au plus indirecte sur des membres
qui, précise la loi organique du 22 juillet 2010, doivent exercer
« leur mission dans le respect des exigences d’indépendance,
d’impartialité, d’intégrité et de dignité 20 ».
Cette réduction, quoique extrêmement sensible, a pourtant été
jugée insuffisante par la commission présidée, en 2015, par le
président de l’Assemblée nationale Claude Bartolone. Le rapport
remis par celle-ci en octobre de cette même année, Refaire la
démocratie, propose en effet d’ériger le Conseil supérieur de la
magistrature en « garant de l’indépendance de la justice », lui
conférant explicitement la fonction exercée par le président de la
République en vertu de l’article 64 de la Constitution.

B. En période de cohabitation
Ce n’est qu’en période de cohabitation que l’on va revenir à une
figure plus « parlementaire » du chef de l’État.

1. Retour au partage
En cas de cohabitation, en effet, la répartition que l’on vient
d’évoquer se trouve largement remise en cause. En temps ordinaire,
cette répartition dépend du bon vouloir du Premier ministre, qui
accepte sa situation de subordination et les empiétements du
Président sur les compétences qu’il tient de la Constitution. Mais en
période de cohabitation, le Premier ministre ne doit plus rien au
Président, dont il est l’adversaire politique, et qui a été contraint de
le nommer par la nouvelle majorité à l’Assemblée nationale : par
conséquent, il n’a pas à accepter ce qu’un Premier ministre en
période « normale » n’aurait pas la possibilité de refuser. Dans ce
cas, on revient au partage prévu par la lettre de la Constitution,
c’est-à-dire, en pratique, à la domination du Premier ministre, qui
récupère la réalité du pouvoir. Dans ce cas de figure, le Président se
trouve relégué à un rôle plus conforme à la tradition parlementaire,
celui de garant à peu près immobile des institutions. Les seuls
pouvoirs dont il dispose encore sont les pouvoirs propres énumérés
par l’article 19, avec les limites évoquées plus haut en ce qui
er
concerne l’article 8, alinéa 1 (il peut nommer le Premier ministre
qu’il veut, mais il est en pratique obligé de se soumettre aux vœux
de la majorité de l’Assemblée nationale), et l’article 11 (le Président
ne pouvant recourir au référendum que sur proposition du
gouvernement, et donc à condition d’avoir son accord).
Quant aux pouvoirs partagés, le chef de l’État conserve certes la
possibilité de refuser de signer les actes pour lesquels sa signature est
constitutionnellement requise : ordre du jour du Conseil des
ministres (art. 9) 21, décrets réglementaires et décrets de nomination
(art. 13), convocation du Parlement en session extraordinaire
(art. 30), ordonnances (art. 38). Cependant, placés par l’échec de
leur propre camp dans une position politique difficile, et ne
bénéficiant plus que d’une légitimité réduite, les Présidents de
cohabitation, sachant qu’un refus systématique de signature serait
perçu comme un coup de force, n’en ont usé qu’avec modération.

2. Les limites au retour


En revanche, le « domaine réservé » du Président ne disparaît pas
tout à fait. C’est ainsi qu’en 1986 le président Mitterrand mit son
veto à la nomination, dans le gouvernement dirigé par Jacques
Chirac, d’un ministre des Affaires étrangères (Jean Lecanuet) et d’un
ministre de la Défense (François Léotard) qui n’avaient pas son
agrément. C’est ainsi également qu’il continua d’intervenir
activement dans le domaine international 22. Et le président Chirac
fera de même. Le 14 juillet 1997, il affirme ainsi que la Constitution
donne, dans tous ces domaines, « le dernier mot au président de la
République ». Mais c’est surtout en matière européenne qu’il va
s’ingénier à prendre de vitesse son Premier ministre Lionel Jospin,
chaque fois que se présente un dossier brûlant (la monnaie unique et
la politique européenne de défense en 1998, les sanctions contre
l’Autriche en février 2000, la Constitution européenne et l’évolution
des institutions européennes lors du sommet de Nice de
décembre 2000). Le domaine réservé, et les possibilités qu’il offre
d’intervenir dans la politique extérieure, apparaissent ainsi comme
le moyen privilégié de peser, malgré la cohabitation, sur la politique
intérieure.
On pourrait pourtant s’interroger sur cette surprenante
persistance du domaine réservé, et se demander si ce dernier n’a
pas, contrairement aux empiétements « ordinaires » du Président,
acquis une certaine valeur juridique : c’est-à-dire si la pratique
constante et ininterrompue des Présidents de la Ve République n’a
pas fait naître une sorte de coutume constitutionnelle. Mais il n’en
est rien, et cette persistance partielle du domaine réservé en période
de cohabitation semble moins résulter d’une règle de droit que de la
combinaison d’un certain nombre d’éléments de fait.
Si ce domaine subsiste en partie, c’est d’abord parce que certains
pouvoirs en matière de défense et d’affaires étrangères sont attribués
en propre au Président par divers textes, nationaux ou
23
internationaux , et qu’en outre il peut se réclamer sur ce plan des
dispositions de l’article 5. C’est ensuite parce que l’action du
Président en la matière se manifeste fréquemment par des « actes
matériels », pour lesquels il n’a pas, on le sait, à obtenir l’accord de
son Premier ministre. C’est enfin parce que le Premier ministre, soit
par principe (comme Jacques Chirac en 1986, soucieux de respecter
la conception gaullienne du chef de l’État), soit par convenance ou
par prudence politique (afin de ne pas envenimer la cohabitation),
accepte de ne pas l’envahir : parce qu’il renonce volontairement à
récupérer, dans ce domaine, l’ensemble des pouvoirs qu’il tient de la
Constitution – songeant peut-être à l’avenir, et au moment où il sera
lui-même président de la République…
Mais il lui serait juridiquement possible de se réapproprier ces
pouvoirs – comme Lionel Jospin l’avait d’ailleurs (maladroitement)
tenté lors de son voyage en Israël 24, fin février 2000 –, aucune règle
ne l’obligeant à respecter ce qui résulte entièrement de l’usage
politique et du rapport de forces.
Ce qu’on peut en conclure, c’est qu’en période de cohabitation le
domaine réservé ne disparaît pas, mais change de nature. Il s’agit
alors d’un domaine où le Président peut encore intervenir, le
Premier ministre ne pouvant l’empêcher de le faire, mais dont il ne
peut plus sortir, et qui n’est plus protégé : en bref, il s’agit désormais
d’un domaine disputé, plutôt que d’un domaine réservé.
Chapitre III
LE COUPLE PARLEMENT-
GOUVERNEMENT
En tant que phénomène social, le droit se manifeste toujours par
des rapports – réglés et sanctionnés – noués entre deux personnes,
ou deux groupes. Il n’en va pas autrement du droit constitutionnel,
qui se ramène dans tous les cas à des séries de relations de ce type,
et qui pourrait être entièrement étudié à travers ces innombrables
« couples » dont il organise la formation (Président/peuple avec le
référendum, Président/Parlement avec la dissolution, le droit de
message ou la convocation de sessions extraordinaires, etc.).
Pourtant, au sein de ce droit, un couple présente une consistance
indéniablement supérieure aux autres : celui qui unit le Parlement et
le gouvernement.
Sur un plan historique, d’abord, Parlement et gouvernement 1 ont
incontestablement partie liée. Dans l’histoire constitutionnelle
moderne, dans la France du XIXe siècle comme dans l’Angleterre de
la fin du XVIIIe, c’est en effet l’essor du Parlement qui va entraîner la
détermination d’un « gouvernement » distinct du monarque, puis sa
montée en puissance, au détriment de ce dernier. C’est en devenant
responsable devant le roi et le Parlement (parlementarisme dualiste,
ou « orléaniste »), avant de l’être devant le seul Parlement
(parlementarisme moniste), que le gouvernement va acquérir une
autonomie et un pouvoir propres, finissant par occuper au sein de
l’exécutif la place naguère dévolue au monarque, qui n’a plus alors
qu’un rôle symbolique ou protocolaire. Des deux côtés de la
Manche, la substitution progressive de la souveraineté démocratique
à la souveraineté royale va se traduire par l’attribution de l’exercice
de ce pouvoir au Parlement, représentant du peuple, et au
gouvernement responsable devant lui.
Et cette conjonction étroite ne disparaît pas au XXe siècle, ni
même après 1958. La Constitution de la Ve République en prend
acte, en consacrant le titre III au gouvernement, le titre IV au
Parlement, et le titre V à leurs rapports. Quant à la pratique
institutionnelle, elle démontre que cette liaison n’est pas fortuite :
sous la Ve République, le déclin du Parlement s’accompagne aussi
d’une subordination du gouvernement au Président. En août 1958,
Michel Debré pouvait encore croire que, dans la future Constitution,
le gouvernement serait « le centre de tout 2 ». Mais un gouvernement
qui ne peut s’appuyer que sur un Parlement diminué se trouve
contraint, comme il le comprendra vite, de se soumettre à la volonté
directrice du chef de l’État. À l’inverse, la rupture du « fait
majoritaire », résultant de l’élection à l’Assemblée nationale d’une
majorité hostile au Président, permettra aux gouvernements de
cohabitation, soutenus par ces majorités, de retrouver la plus grande
part de leurs attributs constitutionnels. En même temps, la
succession des cohabitations depuis 1986 n’a pu que favoriser un
certain renouveau du Parlement.
Ce lien indéfectible entre le Parlement et le gouvernement
apparaît tant sur le plan des structures de ces organes (section I),
que sur celui des rapports institutionnels qu’ils entretiennent
(section II).
Section I
Les organes

Avant 1958, le lien entre Parlement et gouvernement est


notamment d’ordre organique. Les ministres sont toujours députés
ou sénateurs, et réciproquement, tous les parlementaires peuvent
espérer devenir ministres : d’où un passage continuel d’un bord à
l’autre, et une « présence presque permanente du Parlement à
l’horizon du ministre 1 », qui ne sont pas sans présenter de graves
inconvénients : confusion des genres et des intérêts, poids démesuré
des considérations partisanes, mais aussi accentuation de
l’instabilité ministérielle, la survie d’un gouvernement dépendant de
parlementaires qui ont souvent pour ambition de faire partie du
suivant…
Telles sont précisément les raisons pour lesquelles les
constituants de 1958 vont tenter de couper ce lien organique, pour
ne conserver qu’un lien fonctionnel. Pourtant, on échappe
difficilement à des habitudes séculaires, et ces liens finiront par se
reconstituer, comme on va le voir en étudiant le statut du
gouvernement, puis l’organisation du Parlement.
SOUS-SECTION 1
Le gouvernement

Le statut du gouvernement résulte à la fois de sa structure et des


attributions spécifiques que lui accordent la Constitution et les
textes auxquels elle renvoie.

A. La structure du gouvernement
À ce propos, une distinction cardinale s’impose entre les
ministres, considérés isolément, et le gouvernement qui les réunit.

1. Les ministres
La situation des ministres suscite deux séries de questions :
comment accèdent-ils à ces fonctions ? Et quelles en sont, pour eux,
les conséquences statutaires ?

a. Nomination et révocation
C’est l’article 8 de la Constitution qui détermine les modalités de
la nomination des membres du gouvernement. Selon l’alinéa 1er, « le
président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à
ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du
gouvernement ». Et l’alinéa 2 ajoute : « Sur la proposition du
Premier ministre, il nomme les autres membres du gouvernement et
met fin à leurs fonctions. » Ce qui établit une distinction très nette
entre le Premier ministre et les autres membres du gouvernement.
Suivant la Constitution, le Président a toute liberté pour choisir
son Premier ministre. En droit, il en va ainsi même en cas de
cohabitation, bien qu’en réalité un Premier ministre ne bénéficiant
pas du soutien de l’Assemblée nationale se trouverait dans
l’impossibilité de gouverner, et rapidement contraint au départ par
le biais d’une motion de censure. « Le président de la République
nomme qui il veut », affirmait ainsi François Mitterrand lors d’un
entretien sur TF1 le 2 mars 1986, à la veille de la cohabitation,
avant de concéder qu’il devrait désigner « quelqu’un qui ait toutes
les chances d’avoir la majorité à l’Assemblée nationale ».
Cette liberté se traduit notamment par le fait que rien n’impose
au Président de nommer un parlementaire : ni Pompidou, nommé à
Matignon en avril 1962, ni Raymond Barre, qui y entre en
août 1976, n’avaient jamais été élus au Parlement avant leur
nomination. Rien n’impose non plus de choisir le leader d’un parti
politique puissant, comme le montrent également les exemples que
l’on vient de citer.
En fait, le Président, comme l’expliquait de Gaulle en 1962,
nomme le Premier ministre en tenant compte de la conjoncture, c’est-
à-dire de la politique qu’il entend mener. Il commence fréquemment
par désigner, en début de mandat, un Premier ministre très engagé
politiquement (Michel Debré en 1959, Jacques Chaban-Delmas en
1969, Jacques Chirac en 1974, Pierre Mauroy en 1981), avant de le
remplacer, quelques années plus tard, par un Premier ministre plus
« gestionnaire » (Georges Pompidou en 1962, Pierre Messmer en
1972, Raymond Barre en 1976, Laurent Fabius en 1984). Mais la
règle connaît des exceptions – et on songe ainsi à Villepin
remplaçant Raffarin en 2005, ou à Manuel Valls succédant à Jean-
Marc Ayrault en 2014…
Au fond, même lorsque le Président affirme le contraire 1, le
Premier ministre est toujours « le premier [de ses] collaborateurs
2
[…] », « une sorte de chef d’état-major civil » : l’homme de
confiance du Président. C’est pourquoi ce dernier s’est toujours
attribué, parallèlement à la liberté de nomination dont il dispose, le
pouvoir de le révoquer à sa guise.
Il faut souligner au préalable que le chef de l’État s’est bien
attribué ce pouvoir, en dépit de la lettre de l’article 8 qui prescrit
qu’il ne peut mettre fin aux fonctions de son Premier ministre que
« sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement »,
autrement dit, lorsque le Premier ministre le lui demande. Mais ce
n’est pas ainsi que va l’interpréter le général de Gaulle, qui explique
dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964 que celui « qui
choisit le Premier ministre […] a la faculté de le changer, soit parce
que se trouve accomplie la tâche qu’il lui destinait […], soit parce
qu’il ne l’approuverait plus 3 ».
Pour de Gaulle, comme pour ses successeurs, c’est donc le
Président qui décide : il révoque le Premier ministre lorsqu’il le
souhaite. Toutefois, même lorsqu’il s’agit effectivement d’une
révocation, les intéressés tiendront à faire « comme si » l’article 8
était respecté, et à simuler une démission volontaire, non seulement
consentie, mais librement décidée. Valéry Giscard d’Estaing raconte
à ce propos que, le 28 mars 1974, Jacques Chirac, qu’il venait de
nommer Premier ministre, lui aurait donné une « lettre de démission
en blanc » sur laquelle seule la date restait à inscrire. Le Président
s’étonnant de ce procédé, son Premier ministre lui aurait répondu :
« Il faut que vous soyez libre de mettre fin à mes fonctions et à
celles du gouvernement quand vous le souhaiterez 4. » L’anecdote
permet d’apercevoir les conditions, et donc les limites, de cette
« démission-révocation ». Celle-ci n’est concevable que lorsqu’il
existe un rapport de confiance, voire de connivence, entre le
Premier ministre et le chef de l’État. Ce qui signifie qu’en cas de
cohabitation, l’absence d’un tel rapport rendra impossible ce type de
pratique.
En définitive, on rencontre donc trois cas de démission du
Premier ministre.
Tout d’abord, on vient de le voir, la « démission-révocation », qui
peut traduire, de la part du président, la volonté de changer de
politique, ou le désir de se débarrasser d’un Premier ministre devenu
trop encombrant (Debré en 1962, Pompidou en 1968, Chaban-
Delmas en 1972, Mauroy en 1984, Rocard en 1991, Raffarin en
2005, Ayrault en 2014). En second lieu, la démission volontaire.
Celle-ci peut résulter de divergences de fond avec le président de la
République, comme c’est le cas pour Jacques Chirac le 26 juillet
1976. Celui-ci, constatant que le président Giscard d’Estaing
n’accepte pas le « renforcement sans équivoque de l’autorité du
Premier ministre » qu’il juge indispensable à l’accomplissement de
ses fonctions, décide unilatéralement d’en tirer les conséquences :
« dans ces conditions, je ne puis continuer à accomplir la tâche que
vous m’avez confiée, et j’ai l’honneur de vous remettre aujourd’hui
ma démission ». Mais cette démission volontaire peut également
avoir d’autres causes. C’est ainsi que Manuel Valls, après seulement
147 jours à Matignon, présente le 25 août 2014 la démission de son
gouvernement au président Hollande en raison de divergences
fondamentales avec certains de ses ministres, et en particulier avec
le charismatique et turbulent ministre des Finances Arnaud
Montebourg. Une démission qui semble s’apparenter à une sorte de
« super remaniement » déguisé, le communiqué de l’Élysée précisant
que le chef de l’État a demandé au Premier ministre démissionnaire
« de constituer une équipe en cohérence avec les orientations qu’il a
lui-même définies pour notre pays » – certains observateurs estimant
qu’en l’occurrence, le Premier ministre aurait choisi la démission
faute de mieux, afin de contraindre un Président hésitant à révoquer
les ministres dont il ne voulait plus. Enfin, troisième cas de figure, le
plus fréquent mais aussi le moins intéressant, la démission de
courtoisie, qui a lieu selon l’usage après chaque élection
présidentielle et après chaque renouvellement de l’Assemblée
nationale.
Même si, suivant l’article 8, alinéa 2, le choix des ministres est
subordonné à la proposition du Premier ministre, il dépend en
réalité du Président, qui les nomme. Le Premier ministre ne
proposera au chef de l’État que des ministres qui sont susceptibles
d’avoir son approbation, et à des postes qu’il agrée.
Réciproquement, le Président pourra décider de l’éviction de
certains ministres qui ont cessé de lui convenir : c’est l’une des
hypothèses, et la plus fréquente, de ce que l’on qualifie de
« remaniement ministériel », lequel consiste à modifier de façon plus
ou moins massive la composition d’un gouvernement, sans pour
autant provoquer la démission de celui-ci.
Quant aux ministères qui relèvent du domaine réservé du
Président, il arrive que leurs titulaires soient désignés directement
par ce dernier : en 1960, le général de Gaulle apprendra à Pierre
Messmer qu’il est ministre des Armées, avant même d’en avertir son
5
Premier ministre Michel Debré . Ces ministres, qui ont un rapport
très étroit avec le Président, bénéficient souvent, de ce fait, d’une
stabilité exceptionnelle : de Gaulle n’aura, de 1959 à 1969, que deux
ministres des Armées et deux ministres des Affaires étrangères.

En conclusion, on peut noter que le Premier ministre et les


membres du gouvernement sont en quelque sorte responsables
devant le chef de l’État. Cette responsabilité, qui se cumule avec leur
responsabilité devant le Parlement, n’a pourtant pas nui à la
stabilité gouvernementale, qui était l’un des principaux objectifs des
constituants. Depuis cette date, on ne compte que trente-deux
gouvernements – ce qui représente déjà un progrès substantiel par
e
rapport à la IV République, où les gouvernements duraient en
moyenne moins de six mois –, un chiffre qu’il faut encore réduire si
l’on veut approcher de la réalité, puisque seuls vingt et un Premiers
ministres se sont succédé à Matignon entre 1959 et 2014.
Le statut de ministre entraîne, pour l’essentiel, trois
conséquences majeures. Lors de l’entrée en fonction, il implique un
certain nombre d’incompatibilités ; ensuite, il fait bénéficier son
titulaire d’un privilège de juridiction pour les actes pénalement
répréhensibles qu’il a pu commettre dans l’exercice de ses fonctions.
En revanche, il impose un certain nombre d’obligations destinées à
garantir la moralité de la vie publique.

b. Incompatibilités
L’une des grandes idées constitutionnelles exposées par de Gaulle
après son retour au pouvoir est que « les fonctions parlementaires et
ministérielles doivent être absolument séparées. Si par exception un
député devenait ministre, il devrait abandonner sa carrière
parlementaire 6. » Pour lui, il s’agit d’une modalité indispensable à la
séparation des pouvoirs, mais aussi du meilleur moyen d’éviter
qu’une fois entrés au gouvernement les ministres ne continuent
d’être avant tout les représentants d’un parti. Cette volonté va se
traduire par l’inscription dans la Constitution d’un article 23, dont
er
l’alinéa 1 dispose que « les fonctions de membre du gouvernement
sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de
toute fonction de représentation professionnelle à caractère
national, et de tout emploi public ou de toute activité
professionnelle ».
Le caractère très absolu de l’interdit renvoie à l’idée que les
constituants de 1958 se font du ministre : celui-ci n’est pas, ou du
moins n’est plus un homme politique ; il doit être compétent, y
compris sur un plan technique, et surtout dévoué, totalement et sans
partage, à la chose publique. Parce qu’on entre au gouvernement
comme on entre en religion, en renonçant à tout le reste, le ministre
doit être l’homme de l’intérêt général, à l’exclusion de tout intérêt
particulier ou partisan.
Cependant, la principale incompatibilité concerne les fonctions
parlementaires. Elle a notamment pour objectif « de décourager le
parlementaire tenté d’ouvrir une crise ministérielle pour entrer au
7
gouvernement » et donc la fameuse « course aux portefeuilles » qui
résultait, sous les Républiques précédentes, de la possibilité de
cumuler les fonctions de ministre et de parlementaire.
En pratique, l’article 23 va obliger tout parlementaire accédant
au gouvernement à démissionner de son mandat. Le mécanisme a
8
été établi par une ordonnance du 17 novembre 1958 , qui précise
qu’il dispose alors d’un délai d’option d’un mois, durant lequel il ne
peut prendre part à aucun scrutin. S’il n’a pas opté au bout d’un
mois, il sera considéré comme ayant accepté d’entrer au
gouvernement, et donc supposé avoir renoncé à son mandat
parlementaire. Et c’est alors son suppléant qui prendra sa place au
Parlement.
Certains constituants, comme Michel Debré, auraient souhaité
que cette incompatibilité s’étende à l’exercice de fonctions de
responsabilité au sein d’un parti politique. Mais cette disposition
radicale ne sera pas inscrite dans la Constitution.
Plus largement, notait Bernard Chenot dès 1968, l’article 23 lui-
même, « du moins dans l’esprit », ne sera jamais pleinement
respecté, dans la mesure où « le parlementaire ministre est demeuré,
en général, l’homme de sa circonscription, […] présent chaque
semaine dans son fief, consolidant par un poste de maire ou de
conseiller général sa position locale 9 ». Une remise en question
accélérée, depuis quelques années, tant par la pratique que par la
règle elle-même. La pratique ? En particulier celle consistant, en
juin 2007, à exiger des ministres appartenant au premier
gouvernement Fillon qu’ils se présentent aux élections législatives,
et qu’ils soient élus – au motif, expliquait fin mai 2007 le Premier
ministre en déplacement électoral dans la Sarthe, que l’« on ne peut
pas avoir la responsabilité de conduire un ministère, et ne pas avoir
10
la confiance des habitants de son territoire » : « Les membres du
gouvernement, sauf exception, doivent être des élus du peuple […].
En démocratie, on choisit des hommes et des femmes, on les envoie
siéger au Parlement pour représenter le peuple, et parmi ceux qui
siègent au Parlement, on choisit des ministres. » « Je suis très
attaché à ce que les membres du gouvernement aient la légitimité
non seulement de la nomination, mais de l’élection. » C’est
pourquoi, annonçait-il alors, les ministres battus perdront
automatiquement leur poste au gouvernement…
De telles déclarations paraissent conformes à une certaine vision
du régime parlementaire, celui qui prévalait en France sous les IIIe
e
et IV Républiques. Elle n’en pose pas moins certains problèmes.
D’une part, le simple fait qu’il puisse y avoir des exceptions (ce
qui fut le cas en juin 2007) invalide le principe, puisque ceci
implique que certains ministres, ceux qui n’ont pas bénéficié d’une
élection, seraient au fond moins légitimes que les autres. En Grande-
Bretagne, comme en France sous les Républiques précédentes, il n’y
avait pas d’exception à la règle, et il ne pouvait y en avoir. D’autre
part, il faut bien reconnaître que cette approche de la fonction
e
ministérielle est radicalement contraire à l’esprit de la V République
où, précisément, le ministre est l’homme de la nation, et non de
« son territoire », le serviteur de l’intérêt général, pas le représentant
de son parti au sein du gouvernement.
C’est pourtant selon cette même logique que la Constitution va
être amendée par la révision du 23 juillet 2008. Celle-ci, sans
toucher en apparence au principe de l’incompatibilité établi par
l’article 23, en subvertit l’application à travers la nouvelle rédaction
de l’article 25. La loi organique du 13 janvier 2009 fixe les
conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à
assurer le remplacement « temporaire » des députés et des sénateurs
en cas d’acceptation par eux de fonctions gouvernementales. La
terminologie utilisée est limpide : le parlementaire acceptant des
fonctions gouvernementales n’est remplacé à son siège que de façon
temporaire, ce qui signifie qu’il demeure parlementaire, en
puissance, jusqu’au terme de son mandat, et qu’il peut le redevenir
en fait dès qu’il décide ou qu’on lui impose de quitter le
gouvernement. De sorte qu’en dépit de l’article 23, il n’existe plus
véritablement d’incompatibilité, et que le ministre, acceptant
d’entrer au gouvernement, ne renonce ni à son appartenance
partisane, ni à son ancrage territorial, ni, au fond, à son mandat.
Confusion des genres à laquelle le constituant de 1958 avait entendu
11
mettre fin : en vain .
Sans revenir sur cette évolution, la commission Jospin avait
suggéré en novembre 2012 d’introduire dans l’article 23 une
nouvelle incompatibilité, avec tout mandat local : sur ce plan, jugeait-
elle, le cumul paraît inconciliable avec le plein exercice des
fonctions gouvernementales, les exigences des fonctions électives
locales étant désormais « trop importantes » pour être exercées à
temps partiel par des personnes chargées d’une fonction
ministérielle. Sans compter que le ministre ne saurait « donner le
sentiment que certaines de ces décisions pourraient être indûment
12
influencées par la prise en compte d’un intérêt local ». Le projet de
loi relative aux incompatibilités applicables à l’exercice des
fonctions gouvernementales, déposé le 14 mars 2013, reprend ces
thèses en limitant l’incompatibilité « aux fonctions exécutives ou
éminentes au sein des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics ». Ce qui, ledit projet n’ayant pas été adopté,
n’empêchera pas, après les élections régionales de décembre 2015,
Jean-Yves Le Drian, élu président de la région Bretagne, de
conserver son prestigieux portefeuille de ministre de la Défense.

c. Responsabilité
L’autre élément marquant du statut des ministres tient aux règles
qui organisent leur responsabilité pénale.
Avant la révision du 27 juillet 1993, les ministres pouvaient être
jugés par la Haute Cour de justice (art. 67 ancien) pour « des actes
accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou
délits au moment où ils ont été commis » (art. 68, al. 2 ancien).
Mais si le principe de leur responsabilité était affirmé, la mise en
œuvre de celle-ci paraissait presque impossible, du fait de la
composition de la Haute Cour et des lenteurs de la procédure. C’est
ainsi qu’au tournant des années 1980, toute une série de scandales
retentissants avaient fini par être étouffés. Mais l’affaire dite « du
sang contaminé » va susciter un tel émoi populaire qu’elle va
contraindre la classe politique à réviser la Constitution, et à créer un
titre X, intitulé « de la responsabilité pénale des membres du
gouvernement » (art. 68-1, 68-2 et 68-3), qui met en place une Cour
de justice de la République compétente en la matière. Cette Cour se
veut moins politisée et plus efficace que l’ancienne Haute Cour :
comme on le proclame lors des débats à l’Assemblée, elle « n’a pas
pour but de protéger les hommes politiques, mais au contraire, de
protéger la justice de la politique 13 ».
Cet objectif se donne d’ailleurs certains moyens, qui rapprochent
la Cour des juridictions pénales ordinaires. Les innovations
concernent d’abord sa composition (art. 68-2, alinéa 1er) : les
politiques y restent certes majoritaires (douze membres sur quinze),
mais la présence en son sein de trois magistrats professionnels issus
de la Cour de cassation, dont le président de la Cour de justice,
semble garantir une certaine impartialité. L’autre innovation
majeure concerne la saisine. Suivant l’article 68-2, alinéa 2, « toute
personne qui se prétend lésée par un crime ou par un délit commis
par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions
peut porter plainte auprès d’une commission des requêtes », qui
pourra, après examen, ordonner le classement de l’affaire ou la
transmettre au procureur général près la Cour de cassation, afin de
saisir la Cour de justice de la République. Or, cette commission est
composée exclusivement de hauts magistrats élus par leurs pairs (LO
no 93-1252 du 23 novembre 1993, art. 12). Enfin, contrairement à la
Haute Cour, mais comme n’importe quelle autre juridiction pénale,
la Cour de justice de la République statue sur le fondement du Code
pénal, et est tenue de respecter le principe classique de légalité des
délits et des peines. Quant à ses arrêts, ils peuvent, dans les
conditions déterminées par le Code de procédure pénale, faire
l’objet d’un pourvoi en cassation.
Pourtant, en dépit de ces innovations, la mise en œuvre pratique
s’avère peu satisfaisante. Le premier problème est celui de la
compétence de la Cour. Quels actes peut-elle juger ? D’une manière
assez critiquable sur le plan des principes, mais fort significative du
contexte dans lequel fut adoptée la révision, l’article 68-3 précise
d’abord qu’elle est compétente, rétroactivement, pour « les faits
commis avant son entrée en vigueur ». Sans cette précision, en effet,
elle n’aurait pu juger les faits relatifs à l’affaire du sang contaminé,
qui se serait trouvée par conséquent amnistiée d’office… Mais le
véritable problème tient à la définition des « actes accomplis » par
« les membres du gouvernement » « dans l’exercice de leurs
fonctions » (art. 68-1, al. 1er) : il est en effet souvent très délicat de
déterminer si un ministre a pu accomplir un acte en tant que tel, ou
en tant que simple citoyen. Et l’on retrouve ici le problème de la
distinction entre actes détachables et non détachables, le ministre ou
l’ancien ministre relevant pour ces derniers de la Cour de justice de
la République, mais pour les autres, des juridictions pénales
ordinaires.
Le second problème tient à la politisation qui continue
d’entacher la Cour de justice, en dépit des garde-fous mis en place
en 1993. Une politisation qui s’est manifestée avec éclat lors du
procès du sang contaminé, et tout spécialement dans la décision
rendue par la Cour le 9 mars 1999. On a pu établir alors que tous les
juges parlementaires de droite avaient voté contre la relaxe pure et
simple de l’ancien ministre de la Santé, le socialiste Edmond Hervé,
alors que tous les juges parlementaires de gauche avaient voté en sa
faveur. Les observateurs ont remarqué aussi que la Cour de justice
s’était comportée alors comme une cour souveraine en inventant,
toujours au profit d’Edmond Hervé, une « dispense de peine » non
prévue par le Code pénal.
Le 14 mars 2013, suite au rapport de la commission Jospin, un
projet de loi constitutionnelle « relative à la responsabilité juridique
du président de la République et des membres du gouvernement »
fut déposé, envisageant, au nom de « l’égalité de tous devant la
justice », de supprimer la Cour de justice de la République. Selon ce
projet, les ministres auraient relevé des juridictions pénales de droit
commun, y compris pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs
fonctions – la seule limite consistant en un filtrage assuré par une
commission composée de hauts magistrats, destiné à éviter les mises
en causes abusives. Mais les circonstances politiques peu propices en
empêchèrent l’adoption.

d. Statut financier
Ce sont toujours les crises qui suscitent les évolutions
constitutionnelles. Et comme l’affaire du sang contaminé avait
conduit à instituer la Cour de justice de la République, c’est le
scandale Cahuzac, du nom du ministre du Budget pris début 2013
dans une affaire de fraude fiscale, qui a abouti à la mise en place
d’un statut financier des membres du gouvernement.
C’est dans l’urgence que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault
annonce, dès avril, l’élaboration d’une loi sur la moralisation de la
vie politique, qu’il juge seule « de nature à recréer de la confiance ».
Adoptée au pas de charge, la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013
relative à la transparence de la vie politique, après avoir rappelé que
les membres du gouvernement doivent exercer « leurs fonctions avec
dignité, probité et intégrité, et veillent à prévenir ou à faire cesser
immédiatement tout conflit d’intérêts », établit une obligation de
déclaration. Selon son article 4, chaque membre du gouvernement
doit, dans les deux mois suivant sa nomination et dans les deux mois
qui suivent la cessation de ses fonctions, adresser au président de la
Haute Autorité pour la transparence de la vie publique créée par la
loi « une déclaration exhaustive, exacte et sincère de sa situation
patrimoniale », ainsi qu’une déclaration d’intérêts portant sur toutes
les activités professionnelles rémunérées exercées au moment de la
nomination et au cours des cinq années précédentes. La Haute
Autorité, avec l’aide de l’administration fiscale, établit l’exactitude
de ces déclarations et les rend publiques dans un délai de trois mois.
Il lui appartient en outre de contrôler les variations de la situation
patrimoniale des ministres – et de transmettre le dossier au parquet
lorsqu’elle constate une évolution de cette situation patrimoniale
que l’intéressé s’avère incapable d’expliquer de façon satisfaisante.
Enfin, c’est à la Haute Autorité qu’il revient d’enjoindre au ministre
de faire cesser, le cas échéant, les situations constitutives de conflit
d’intérêts.
Le scandale Cahuzac a traumatisé le gouvernement, et au-delà, la
classe politique dans son ensemble : d’où la sévérité des sanctions
pénales prévues en cas d’absence de déclaration ou de déclaration
mensongère – les articles 26 et 27 de la loi prévoyant, à titre
complémentaire, l’interdiction des droits civiques, l’interdiction
d’exercer une fonction publique et l’inéligibilité pour une durée qui
peut aller jusqu’à dix ans.
On notera à ce propos que le mécanisme n’a pas eu à attendre
longtemps pour se mettre à fonctionner, puisque dès le 31 mars
2014, le président de la Haute Autorité saisissait le parquet du cas
d’un membre du gouvernement Ayrault, Yamina Benguigui, ministre
de la Francophonie, pour « omission d’une partie substantielle » de
son patrimoine, qu’elle était soupçonnée d’avoir dissimulé
frauduleusement au moyen d’un montage financier 14.

2. Le gouvernement en tant qu’ensemble


Au sens restrictif où l’entend la Constitution de 1958, le
gouvernement apparaît comme une instance collégiale, qui dispose
en propre d’un certain nombre d’attributions et se trouve par
conséquent responsable devant le Parlement ; une instance dirigée
par le Premier ministre, composée de l’ensemble des ministres et des
secrétaires d’État. Il constitue donc un ensemble hiérarchisé,
structuré, solidaire et responsable – cette dernière caractéristique
étant évoquée plus loin, à propos de ses rapports avec le Parlement.

a. Un ensemble hiérarchisé
e
Sous la V République, le gouvernement comporte
habituellement entre une trentaine et une quarantaine de membres,
un ensemble dont la hiérarchisation, fonctionnellement
indispensable, se manifeste sur deux plans : entre le Premier
ministre et les autres ministres, puis entre les ministres eux-mêmes.
Même si, juridiquement, le Premier ministre n’exerce pas de
15
« pouvoir hiérarchique » sur les autres ministres , et bien que,
politiquement, l’appellation « chef du gouvernement », expressément
proscrite par le général de Gaulle, n’ait jamais eu droit de cité sous
e
la V République, il est indéniable que le Premier ministre domine le
gouvernement. Situé entre le Président, qui le nomme, et les autres
ministres, dont il propose la nomination, il y occupe à tous égards
une place à part. Mais il est surtout investi, en vertu de l’article 21,
du pouvoir de diriger le gouvernement, quoiqu’il ne le fasse, dans le
cadre du « fait majoritaire », qu’en tant que « second » du président
de la République. En définitive, il est plus que « le premier des
ministres » à l’égard de ses collègues et par rapport au
gouvernement, même s’il n’est que cela vis-à-vis du Président. D’où
une primauté de droit qui sera d’ailleurs confirmée, dans les faits,
par la pratique institutionnelle.

En dessous du Premier ministre, on discerne au sein même du


gouvernement une double, voire une triple hiérarchisation.
Il existe d’abord, plus ou moins implicite, une hiérarchie
matérielle entre les ministères. Au sommet, les « grands ministères »,
anciens et prestigieux, souvent désignés du nom du bâtiment qu’ils
occupent parfois depuis des siècles (le Quai d’Orsay pour les Affaires
étrangères, la Place Beauvau pour le ministère de l’Intérieur, la
Place Vendôme pour le ministère de la Justice, ou encore Bercy pour
le ministère des Finances), ont en charge les fonctions régaliennes
de l’État. Le bas de l’échelle est occupé par des « petits ministères »,
plus récents, voire conjoncturels (« Temps libre », « Droits de la
femme ») ; quant au degré intermédiaire, il est constitué par des
ministères inclassables, dont l’importance varie en fonction des
circonstances ou de la personnalité, plus ou moins brillante, de leur
titulaire (le meilleur exemple étant le ministère de la Culture).
À cette hiérarchie matérielle des ministères se superpose une
hiérarchie protocolaire des ministres, variable suivant les
gouvernements. La catégorie la plus élevée est celle des ministres
d’État, distinction purement honorifique attribuée en général à des
proches du Président (ou, en cas de cohabitation, du Premier
ministre), ou à des représentants des principales tendances
politiques de la majorité. Les ministres proprement dits sont placés à
la tête d’un département ministériel autonome, alors que les
ministres délégués sont rattachés, soit au Premier ministre, soit à un
ministre ordinaire. Et sauf exception, il en va de même pour les
secrétaires d’État, généralement attachés à un ministre.
Enfin, à ces deux hiérarchies s’en ajoute une troisième qui, si elle
a toujours existé de façon informelle, a connu durant les premières
années de la présidence Sarkozy une amorce de formalisation : une
hiérarchie personnelle, liée à la confiance que le Président accorde à
tel ou tel membre du gouvernement 16.

b. Un ensemble structuré
L’ensemble que constitue le gouvernement se réunit en des
formations plus ou moins solennelles.
Le « Conseil de cabinet », rassemblé autour du Premier ministre,
e e
était d’une importance capitale sous la III et la IV République, où il
avait pour objet de préparer le Conseil des ministres. Sous la
Ve République, en revanche, il ne sera pratiqué que dans les
premières années du régime, à une douzaine de reprises, sous
l’impulsion d’un Debré encore fidèle au schéma parlementaire. Mais
le président de Gaulle n’accepte que « de mauvaise grâce 17 » cet
usage qui lui donne l’impression qu’une part du pouvoir lui
échappe : ces conseils cesseront donc après le départ de Michel
Debré.
Ils réapparaîtront, il est vrai, et de façon très logique, lors des
épisodes de cohabitation. C’est ainsi qu’entre 1997 et 2002, alors
que Manuel Valls dirige la communication du Premier ministre
Lionel Jospin, ce dernier décide d’établir une réunion de
gouvernement bimensuelle dans le but de mettre en pratique la
collégialité. Plus étonnante, en revanche, semble la résurgence de
telles réunions à partir d’avril 2014, alors que Manuel Valls vient à
son tour d’être nommé à Matignon. Une fois encore, c’est en se
prévalant de la notion de « collégialité » que le Premier ministre
décide de réunir, tous les quinze jours, l’ensemble des ministres et
des secrétaires d’État pour « une délibération ouverte et
confiante 18 ». Mais alors qu’en cohabitation, ce type de réunion
paraît inévitable, il ne l’est nullement en période « normale » – et
plus encore qu’un souci d’assurer la « collégialité », on est tenté d’y
voir une manifestation des ambitions du Premier ministre, et de sa
volonté d’affirmer, face au Président, son statut de « chef du
gouvernement ».

En dehors de cette hypothèse, les ministres se réunissent aussi


dans le cadre de « Comités interministériels » permanents, établis en
vertu de textes législatifs ou réglementaires, et chargés de certains
domaines déterminés ; de « Comités restreints », réunis
ponctuellement mais très fréquemment par le Premier ministre sur
une question particulière ; ou encore, de « séminaires de
gouvernance » mensuels, institués sous le gouvernement Raffarin.
Cependant, la principale formation demeure le Conseil des
ministres, qui constitue « le sommet de l’appareil gouvernemental et
19
administratif français ». Cette formation, très solennisée, se réunit
en principe tous les mercredis matin, au palais de l’Élysée, sous la
présidence du chef de l’État. Et bien entendu, c’est ce qui importe. À
l’époque gaullienne, et sur instruction expresse du Président, les
procès-verbaux du Conseil des ministres ne portaient pas la mention
« le conseil a décidé ». Car « le Conseil, commente celui qui était à
l’époque secrétaire général du gouvernement, ne décide rien ; les
décisions sont prises en Conseil 20 », mais par le chef de l’État. Cela
signifie que, pour l’essentiel, les ministres ne votent pas sur un ordre
du jour d’ailleurs déterminé par le Président, mais qu’ils se
contentent d’être présents, d’opiner, et, au mieux et sur sa demande,
de donner leur avis.
Une situation qui paraît difficile à faire évoluer. En 1974,
Giscard d’Estaing, désireux de dépoussiérer le vieux rituel gaullien,
déclara dès le premier Conseil des ministres qu’il entendait
« réserver à chaque séance une partie à un débat d’orientation
générale sur un problème d’actualité » : l’idée resta un vœu pieux.
Trente ans plus tard, au début de la présidence Sarkozy, le Premier
ministre se faisait le porte-parole du nouveau chef d’État en
déplorant que « depuis le général de Gaulle il n’y [ait] plus de débat
au Conseil des ministres », et appelait de ses vœux une
transformation profonde, assez conforme du reste à ce que semble
être sa conception des fonctions ministérielles. Il faut, insistait-il,
que « le Conseil des ministres redevienne un lieu de débats, comme
dans un conseil d’administration où des hommes et des femmes
d’horizons différents peuvent dire qu’ils ne sont pas d’accord avec
une mesure 21 ». Le président Sarkozy va donc décider de consacrer
la dernière partie du Conseil, la partie D, à des débats portant sur
l’actualité et la prévision : initiative novatrice mais rapidement
abandonnée après l’enthousiasme des premiers jours, puisqu’on n’en
compte que quatre en 2009, et plus aucun après 2010. En réalité, le
débat était vite devenu « une communication comme une autre 22 »,
mettant en scène le Président en majesté. Où l’on constate une fois
de plus que l’on sort difficilement de la voie tracée à l’origine par le
général de Gaulle.

c. Un ensemble solidaire
Conformément à la tradition parlementaire, le gouvernement
forme un ensemble solidaire. Cette solidarité se traduit par sa
responsabilité politique collective devant l’Assemblée nationale, que
l’on évoquera plus loin, mais aussi par son mode de décision
collégial, par l’existence d’un programme gouvernemental commun
er
à tous les ministres (art. 49 al. 1 ), ou encore, par la révocation des
ministres adoptant des positions jugées incompatibles avec cette
solidarité.
Solidaire, le gouvernement survit donc au départ d’un, et même
de plusieurs de ses membres, lors d’éventuels « remaniements
ministériels » ; en revanche, il disparaît dès que le Premier ministre
présente au Président la démission de son gouvernement – même
lorsqu’il ne s’agit que d’une démission de courtoisie, aussitôt suivie
par la reconduction du même gouvernement 23.

B. Attributions
Hormis celles qui relèvent des rapports entre le gouvernement et
le Parlement (section II), les attributions gouvernementales se
répartissent, sur un mode inégalitaire, entre le Premier ministre et
les autres ministres.

1. Les pouvoirs du Premier ministre


Le Premier ministre peut être envisagé sous trois angles
distincts : comme tel, comme chef de « l’action du gouvernement »,
et en tant que « second » du président de la République. C’est
également ainsi que l’on peut décrire ses pouvoirs.

a. Le Premier ministre comme tel


En tant que tel, le Premier ministre possède deux prérogatives
propres : le pouvoir réglementaire, et le droit de saisine du Conseil
constitutionnel, prévu par les articles 54 et 61, sur lequel on
reviendra plus loin (deuxième partie, chap. I).
En vertu de l’article 21, le Premier ministre « assure l’exécution
des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le
pouvoir réglementaire ». Le pouvoir réglementaire proprement dit,
lorsqu’il s’exerce sous la forme de décrets délibérés en Conseil des
ministres (art. 13), relève en réalité du président de la République,
qui signe ces actes. En outre, depuis 1959, il est d’usage de faire
signer par le chef de l’État un certain nombre de décrets « non
délibérés en Conseil des ministres » – en particulier lorsqu’ils portent
sur des matières intéressant les fonctions constitutionnelles du
Président : organisation de la Défense, de l’Administration ou de la
Justice, publication des traités, etc. Cependant, ces décrets sont
24
considérés par le juge administratif comme des décrets du Premier
ministre : ce qui signifie que la signature du Président est
surabondante, dépourvue de portée juridique, et que ces décrets
pourront le cas échéant être modifiés par d’autres décrets du
Premier ministre, non signés par le Président. Parallèlement, c’est au
Premier ministre, et à lui seul, qu’appartient ce pouvoir
réglementaire. Quant aux autres ministres, ils ne disposent du
pouvoir réglementaire qu’en tant que « chefs de service », pour
assurer « le bon fonctionnement de l’Administration placée sous leur
autorité » (CE 7 février 1936, Jamart, R., p. 172, S., 1937, p. 113,
note Rivero), ou lorsqu’un texte législatif ou réglementaire les
charge de prendre les mesures d’application nécessaires.

b. Le Premier ministre comme chef de l’action


gouvernementale
« Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement » (art. 21,
al. 1er) 25. À ce titre, il adresse des instructions aux autres ministres,
coordonne leurs travaux, et assure un arbitrage en cas de conflit –
26
« arbitrages acceptés, parfois sollicités et, en général, respectés ».
Notons toutefois que ce n’est pas toujours le cas : c’est ainsi que les
ministres du premier gouvernement de la Ve République
reprochaient à Michel Debré de les bombarder à tout instant de
circulaires impérieuses, de les convoquer sans arrêt, et de « se
comporter en chef de tous les départements ministériels 27 ». C’est
ainsi également que certains ministres suffisamment indispensables
pour ne pas risquer la révocation – et assez ambitieux pour en
prendre le risque – n’ont pas hésité à entrer en conflit ouvert avec le
Premier ministre – qu’il s’agisse de Nicolas Sarkozy affrontant
Dominique de Villepin, ou d’Arnaud Montebourg contredisant
vertement Jean-Marc Ayrault.
Par ailleurs, c’est au Premier ministre qu’il revient naturellement
d’exercer les nombreux pouvoirs que la Constitution attribue au
gouvernement dans son ensemble : détermination de la politique de
er 28
la nation (art. 20, al. 1 ) , direction de l’Administration et de la
Force armée (art. 20, al. 2), mais aussi convocation des électeurs
pour l’élection présidentielle (art. 7, al. 2) ou saisine du Conseil
constitutionnel pour faire constater l’empêchement du Président
(art. 7, al. 4).
On remarque à ce propos que si le président de la République
peut recourir au référendum de l’article 11 « sur proposition du
gouvernement », c’est en revanche « sur proposition du Premier
ministre » qu’il peut prendre l’initiative de réviser la Constitution
(art. 89, al. 1er). Mais cette bizarrerie se trouve neutralisée par la
pratique : si le pouvoir de proposition est toujours exercé, en fait,
par le Premier ministre, cette compétence est en temps normal de
pure forme. En cas de cohabitation, en revanche, elle peut permettre
à l’hôte de Matignon de bloquer toute initiative présidentielle en la
matière.

c. Le Premier ministre comme second du Président


À ce titre, le Premier ministre doit être consulté, dans certaines
hypothèses déterminées, par le Président (art. 12, art. 16), qui n’est
cependant pas tenu de suivre son avis, y compris en période de
cohabitation. En outre, le Premier ministre assure aussi la
suppléance du chef de l’État, qu’il pourra remplacer « le cas échéant
[…] dans la présidence des Conseils et Comités supérieurs de la
Défense nationale » prévus à l’article 15 (art. 21, al. 3) ; et, de façon
exceptionnelle, « en vertu d’une délégation expresse […] pour la
présidence d’un Conseil des ministres » pour un ordre du jour
déterminé (art. 21, al. 4) – comme le fit par exemple Dominique de
Villepin le 7 septembre 2005, lors de l’hospitalisation au Val-de-
Grâce du président Chirac.

2. Les attributions des ministres


Les attributions des ministres sont plus modestes, d’autant que
« la Constitution ignore pratiquement le ministre, sauf quand elle
prévoit la possibilité pour le Premier ministre de [lui] déléguer
29
certains de ses pouvoirs ». Si l’on excepte la participation au
gouvernement et aux décisions adoptées collégialement par celui-ci,
ces attributions se limitent pour l’essentiel à deux points : le
contreseing des actes du Premier ministre et du Président, et la
direction d’un département ministériel.

a. Le contreseing
L’article 19 prévoit que les actes du Président, à l’exception de
ceux qui relèvent de ses pouvoirs propres, sont contresignés par le
Premier ministre mais aussi, « le cas échéant, par les ministres
responsables » : c’est-à-dire, par les ministres auxquels incombent à
titre principal la préparation et l’application des actes concernés (CE
20 mars 1992, Union syndicale des magistrats, R., p. 122). Si un
ministre non responsable signe un tel décret, celui-ci n’en devient
pas pour autant illégal ; il le serait en revanche si le ministre
responsable ne l’avait pas contresigné.
L’article 22 met en avant une notion légèrement différente en
précisant que « les actes du Premier ministre sont contresignés, le
cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ». La
jurisprudence entend par là les ministres compétents pour signer
« les mesures réglementaires ou individuelles que comporte
nécessairement l’exécution du décret » (CE 27 avril 1962, Sicard, R.,
p. 279). L’absence de contreseing ne sera alors légale que dans
l’hypothèse où l’acte réglementaire du Premier ministre n’impliquait
30
aucune mesure réglementaire ou individuelle d’exécution .

b. La direction d’un département ministériel


L’un des principaux changements intervenus en 1959 résulte de
la transformation des rapports entre les ministres et les
administrations placées sous leur direction. Auparavant, écrit
Bernard Chenot, conseiller d’État et ancien ministre, « leur autorité
politique était réelle [mais] ils influaient moins sur les affaires de
leur département ministériel, conduites par les directeurs ».
Aujourd’hui, à l’inverse, « le recul de l’influence politique des
ministres a pour contrepartie un progrès dans l’administration de
31
l’État ».
Ce renversement tient à la transformation de l’équilibre
institutionnel, mais aussi, de façon non négligeable, à la rupture des
liens organiques entre gouvernement et Parlement, et à l’accès de
« techniciens » et d’experts au gouvernement. Sous la Ve République,
32
les ministres sont issus en majorité de la haute fonction publique .
Tel était du reste l’un des objectifs du général de Gaulle et des
constituants de 1958 : faire du ministre un serviteur de l’État
dévoué et compétent, et non plus le représentant d’un parti ou d’une
catégorie sociale.
Pour remplir ce rôle administratif désormais prioritaire, le
ministre dispose donc, conformément à la jurisprudence Jamart,
d’un pouvoir réglementaire qui s’exerce par voie d’arrêtés. C’est par
là qu’il pourra organiser les services qu’il dirige, donner des ordres
aux agents qui en dépendent et, dans une certaine mesure, régler
leur situation.
SOUS-SECTION 2
L’organisation du Parlement

En 1955, Michel Debré, alors sénateur, publie un article


retentissant où il dénonce les trois vices du système parlementaire
français 1 : le cumul des mandats, le nombre excessif des
commissions et le « vote par procuration », qui permet aux
parlementaires, en cas d’absence, de faire voter quelqu’un d’autre à
leur place.
Le cumul, explique-t-il, fait que « les préoccupations locales
l’emportent dans l’esprit de nos parlementaires sur les
préoccupations nationales ». Les commissions, si elles éclairent le
législateur, lui permettent « aussi de mieux empiéter sur l’exécutif ».
Quant au vote par procuration, il « permet de faire siéger une
assemblée sans ses membres […], d’augmenter le nombre des
scrutins sans inconvénients », et au total, de contrôler encore plus
étroitement le gouvernement. Ces trois pratiques, conclut Debré,
résultent d’« une conception favorable à la toute-puissance des
assemblées parlementaires […] ; mais à l’usage, elles sont devenues
des causes » de cette omnipotence. C’est donc en y remédiant, en
réformant le mode de fonctionnement du Parlement, que l’on pourra
s’attaquer à ces « ressorts très profonds du régime d’assemblée ».
En fait, les mesures préconisées dans ce texte ne seront pas
toutes réalisées. Mais ces remarques révèlent deux points
significatifs : d’une part, l’intérêt qu’éprouvent les futurs
constituants pour ces questions d’organisation parlementaire ;
d’autre part, la direction d’ensemble qu’ils vont donner à leur
réforme.
Sur beaucoup de plans, ils vont se montrer très traditionalistes,
par exemple en renouant avec un bicamérisme effectif, hérité de la
IIIe République, qui rend au Sénat son prestige et une large part de
ses anciens pouvoirs. De même, le statut des élus reste assez proche
de ce qu’il était sous les Républiques précédentes. En revanche, le
travail parlementaire a été largement réaménagé en fonction des
objectifs du nouveau régime – avant que la volonté de restaurer le
Parlement ne conduise, à partir des années 1990, à faire
partiellement marche arrière…

A. La situation des parlementaires


Si le statut du parlementaire, député ou sénateur, demeure
conforme à la tradition, en revanche, les modalités de sa
participation au travail parlementaire ont été sensiblement
modifiées – pour partie, en vain, en raison du poids considérable des
habitudes et des usages contraires.

1. Le statut
Le statut du parlementaire a été organisé de sorte que celui-ci
puisse assurer ses fonctions avec la plus large indépendance
possible. C’est dans cette perspective qu’il est à la fois réglé, protégé
et contrôlé.

a. Un statut réglé
Le statut du parlementaire est réglé en partie par la Constitution,
dont l’article 24 prévoit que les 577 députés sont élus au suffrage
direct, et que les sénateurs, dont le nombre ne peut dépasser 348, le
sont au suffrage indirect. Mais il l’est aussi par la loi organique à
er
laquelle renvoie l’article 25, alinéa 1 , qui la charge de fixer « la
durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres,
leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des
inéligibilités et des incompatibilités ». Ainsi, c’est la loi organique
qui dispose que « toute personne qui à la date du 1er tour de scrutin,
remplit les conditions pour être électeur et n’entre dans aucun des
cas d’inéligibilité prévus par le présent livre peut être élue à
l’Assemblée nationale » (art. LO 127 du Code électoral), mais que
« nul ne peut être élu au Sénat s’il n’est âgé de vingt-quatre ans
2
révolus » (art. LO 296 du Code électoral) .
À ce propos, on distingue l’inéligibilité, qui, dans certaines
conditions, interdit d’être candidat (et conduit donc, dans
l’hypothèse où elle est prononcée après l’élection, à la cessation
automatique du mandat), de l’incompatibilité, qui, elle, oblige
simplement l’élu à choisir, après son élection, entre le mandat qu’il
vient d’obtenir et un mandat et une fonction qu’il détenait déjà.
L’inéligibilité apparaît beaucoup plus radicale : elle peut d’ailleurs
être prononcée à titre de peine en cas d’infraction aux règles
relatives au financement des campagnes électorales (art. LO 128 du
Code électoral). Quant à l’objectif qu’elle vise en général, il est
exactement inverse de celui que poursuit l’incompatibilité : par
3
l’inéligibilité, il s’agit en général de préserver la liberté de l’électeur,
qui pourrait être influencé dans ses choix par la situation d’autorité
occupée par le candidat (c’est ainsi que le défenseur des droits, le
contrôleur général des lieux de privation de liberté ou encore, dans
une circonscription comprise dans le ressort dans lequel il exerce ou
a exercé des fonctions depuis trois ans, le préfet, sont inéligibles en
vertu du Code électoral). Au contraire, les incompatibilités visent à
garantir l’indépendance de l’élu au cours de son mandat.
Sur ce plan, le statut du parlementaire résulte de la combinaison
de trois règles.
La première pose le principe de l’incompatibilité entre le mandat
parlementaire et les fonctions d’agent public (du fait de la
subordination hiérarchique de ces agents au pouvoir exécutif), de
membre du gouvernement, du Conseil constitutionnel, du Conseil
supérieur de la magistrature, ou encore du Conseil économique,
social et environnemental. Cette règle ne connaît que de rares
exceptions : notamment, du fait de leur indépendance
constitutionnellement reconnue, les professeurs titulaires de
l’enseignement supérieur peuvent être élus au Parlement sans pour
autant renoncer à leurs fonctions.
Une seconde règle énonce, à l’inverse, la compatibilité de
principe du mandat parlementaire avec les activités privées : il n’y a
pas de raison pour que ces dernières portent atteinte à la liberté de
l’élu – implicitement considéré par les constituants de 1958 comme
le représentant des intérêts particuliers, contrairement au ministre,
exclusivement voué à l’intérêt général et soumis comme tel à des
incompatibilités beaucoup plus larges. La seule exception notable à
cette compatibilité de principe concerne les activités dépendant
financièrement de l’État, d’une collectivité publique ou encore d’un
État étranger : puisque l’on retrouve alors le même risque de
dépendance que précédemment.
Enfin, la troisième règle instaure une limite au cumul des
mandats. Réclamée par Michel Debré dès 1955, il a fallu attendre
trente ans 4 pour qu’un début de limitation soit mis en place, avant
d’être accentué par la loi du 5 avril 2000. Désormais, l’article LO
141 du Code électoral dispose que « le mandat de député est
incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats énumérés ci-
après : conseiller régional, conseiller de l’Assemblée de Corse,
conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d’une
commune d’au moins 3 500 habitants ». On remarque qu’il ne s’agit
pas ici d’une interdiction de cumul, mais d’une limitation : pourtant,
il n’est pas évident que l’on puisse aller au-delà – le point ultime
o
ayant peut-être été atteint par la loi organique n 2014-125 du
14 février 2014, qui durcit la règle en ajoutant au Code électoral un
article LO 141-1 rendant le mandat de député incompatible avec
5
toute fonction exécutive locale .
Lorsqu’un parlementaire se trouve en situation d’incompatibilité,
il doit donc, dans les trente jours qui suivent l’élection,
démissionner du mandat de son choix (ou, s’il est titulaire d’un
emploi public, demander à être placé dans la position spéciale
prévue par son statut). S’il ne le fait pas dans les délais, il sera
déclaré démissionnaire d’office de son mandat le plus ancien par le
Conseil constitutionnel.

b. Un statut protégé
C’est afin de garantir l’indépendance de l’élu que sont énoncées
les incompatibilités visées par l’article 25, et c’est pour la même
raison que le parlementaire voit son statut protégé par les
immunités établies dans l’article 26.
Le parlementaire bénéficie, en premier lieu, de
l’irresponsabilité : « aucun membre du Parlement ne peut être
poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des
opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».
Pour pouvoir s’exprimer en toute liberté, et en toute conscience,
conformément au principe du système représentatif, le
parlementaire ne doit pas craindre les conséquences éventuelles de
ses actes ou de ses opinions. C’est parce qu’il doit, en tant que
représentant, pouvoir dire ce qu’il veut, qu’il est perpétuellement
irresponsable, aussi bien pénalement que civilement. De là,
l’ancienneté de la règle, que l’on rencontre déjà dans la Constitution
6
de 1791 , et que la Constitution de 1958 se contente de reprendre,
en cela strictement fidèle à la tradition du parlementarisme.
En second lieu, le parlementaire bénéficie de l’inviolabilité
(art. 26, al. 2, 3 et 4) : il ne peut être arrêté ou détenu, en matière
criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation du bureau de
l’assemblée à laquelle il appartient, sauf en cas de flagrant délit ou
de condamnation définitive. L’inviolabilité se distingue de
l’irresponsabilité, puisqu’elle ne constitue qu’une immunité
temporaire : elle ne permet pas à l’élu d’échapper aux conséquences
pénales de ses actes, mais simplement, de différer (éventuellement)
son arrestation ou sa détention. Là encore, la Constitution de 1958
s’inspire des dispositions correspondantes des Constitutions de 1875
et 1946. Toutefois, comme pour l’irresponsabilité, il s’agit de
garantir la liberté – ici, la liberté physique – de l’élu, tant que celui-
ci demeure titulaire de son mandat et que sa condamnation n’est pas
définitivement acquise. Cette garantie ne disparaît qu’en cas de
flagrant délit, notamment parce que l’on sait alors avec certitude
qu’une condamnation sera prononcée.
Depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, la levée de
l’immunité parlementaire se trouve facilitée, puisque c’est désormais
le Bureau, et non plus, comme auparavant, l’assemblée tout entière
qui en décide. En outre, par un effet de dissymétrie significatif, c’est
l’assemblée à laquelle appartient le parlementaire qui doit requérir
la suspension, pour la durée de la session, de « la détention, [des]
mesures privatives ou restrictives de libertés ou [de] la poursuite »
dont il fait l’objet (art. 26, al. 3). Ces innovations avaient pour but,
sans pour autant altérer la dignité du mandat parlementaire, d’éviter
que cette immunité ne soit perçue comme synonyme d’impunité. En
fait, elles n’ont pas toujours eu l’effet escompté – pour la simple
raison qu’il est souvent plus facile d’influencer les quelques
membres d’un bureau que l’ensemble d’une assemblée 7.

c. Un statut contrôlé
En 2013, l’électrochoc de l’affaire Cahuzac, ministre du Budget
convaincu d’avoir commis les fraudes fiscales qu’il avait pour
mission de poursuivre, n’épargne pas les parlementaires : il est vrai
que c’est alors qu’il siégeait à la Commission des finances de
l’Assemblée nationale que Cahuzac a commencé à violer la loi – et
c’est à l’Assemblée encore, devant ses anciens collègues, qu’il se
parjura en leur promettant, les yeux dans les yeux, n’avoir rien à se
reprocher.
D’où la décision, audacieuse mais inévitable, de soumettre les
parlementaires au même type de contrôles que les membres du
gouvernement (voir supra). « Les critiques contre la moralité
e
parlementaire », notait Joseph Barthélemy sous la III République, ne
sont pas vraiment inédites, puisqu’elles « datent de la naissance des
parlements 8 ». Mais le respect dû à l’institution, qu’illustre le
caractère très absolu de l’irresponsabilité dont bénéficient députés et
sénateurs, rendait jusqu’ici presque inconcevable toute mesure
sérieuse de contrôle de leur patrimoine : comme s’il valait mieux ne
pas regarder, plutôt que de risquer de mettre au jour des
enrichissements suspects, et d’entacher du coup le renom de
l’institution. Allant à l’encontre de cette tradition, la loi no 2013-906
du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique
impose aux parlementaires les mêmes obligations qu’aux membres
du gouvernement – le Conseil constitutionnel ayant jugé que le
principe de séparation des pouvoirs ne faisait pas obstacle à ce
qu’une autorité administrative, la Haute Autorité pour la
transparence de la vie publique, soit chargée de contrôler les
variations de la situation patrimoniale des parlementaires 9. C’est en
effet au président de la HATVP que les parlementaires doivent
adresser, dans les deux mois suivant leur entrée en fonctions, une
déclaration exhaustive, exacte, sincère et certifiée sur l’honneur de
leur situation patrimoniale ainsi que de leurs intérêts et activités. En
vertu de l’article LO 135 al. 5 et 6, la Haute Autorité apprécie les
variations des situations patrimoniales et, le cas échéant, transmet le
dossier au parquet ainsi qu’au Bureau de l’assemblée à laquelle
appartient le parlementaire. Au début des années 1930, Joseph
Barthélemy, observateur lucide des mœurs politiques, jugeait assez
vain de vouloir, par la loi, « imposer la vertu automatique ». Mais il
est vrai que l’abandonner à la conscience éclairée de chacun n’est
pas sans dangers…

2. La participation au travail parlementaire


C’est sur ce plan que la Constitution de 1958 s’est montrée la
plus novatrice. L’article 27 de la Constitution pose en effet deux
principes qui, malgré la modestie et l’apparente banalité de leur
énoncé, s’avèrent passablement révolutionnaires : « Tout mandat
er
impératif est nul » (al. 1 ) ; « le droit de vote des membres du
Parlement est personnel » (al. 2). Cependant, ces dispositions
heurteront trop d’habitudes, et trop d’intérêts, pour être pleinement
respectées.
Il en va ainsi, d’une manière indirecte, de la prohibition du
mandat impératif. Mais c’est surtout l’obligation du vote personnel
qui va faire l’objet d’une transgression systématique, presque
aussitôt après la naissance de la Constitution.
L’échec de cette règle, et de la prohibition corrélative du vote
par procuration, est sans doute l’exemple le plus flagrant de la
distorsion entre le droit, inscrit dans le texte constitutionnel, et une
pratique immémoriale qu’il visait à neutraliser, mais qui finit par
l’emporter. L’obligation de vote personnel, que Michel Debré jugeait
10
« fondamentale » et « nécessaire pour la santé de la République »,
se trouve pourtant inscrite dans les règlements des assemblées, et
très strictement interprétée par le Conseil constitutionnel dans une
décision du 22 décembre 1961 (61-16 DC). Mais en dépit de cet
encadrement juridique rigoureux, les vieilles habitudes ne tardent
pas à reparaître : dès 1960, les députés, bravant l’interdit,
recommencent à voter par procuration, aidés en cela par le système
de vote électronique qui vient d’être mis en place. Et en 1968,
Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, affirme
publiquement qu’on a fait une erreur en inscrivant dans la
Constitution une règle aussi manifestement inapplicable. Les
prescriptions, si impératives soient-elles, sont « insuffisantes pour
supprimer des problèmes qui tiennent à la nature des choses »,
notait déjà Léo Hamon.
Le vote par procuration va donc prospérer malgré l’interdiction
expresse figurant dans l’article 27, alinéa 2 : contradiction
caricaturale entre la norme et la pratique qui contribuera à l’érosion
du prestige et de la crédibilité du Parlement.
C’est la raison pour laquelle plusieurs présidents de l’Assemblée
nationale, soucieux de revaloriser l’institution parlementaire,
tenteront de remettre en vigueur, au moins partiellement,
l’obligation du vote personnel : réforme qu’un autre président,
Philippe Séguin, parviendra à réaliser en 1993-1994, à la faveur de
la révision du règlement de l’Assemblée.
Paradoxalement, c’est donc le renouveau du Parlement qui a
permis de renouer avec une règle conçue à l’origine au profit de
l’exécutif, mais que le triomphe de ce dernier avait rendue inutile…
B. Le Parlement : des structures
repensées
Les structures du Parlement et l’organisation de ses travaux ne
sont pas déterminées exclusivement par la Constitution et par les
lois organiques auxquelles elle renvoie. Pour une part notable, elles
relèvent aussi des règlements adoptés par chaque assemblée. Ceux-ci,
précise l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au
fonctionnement des assemblées parlementaires, fixent « la
composition et le mode de désignation des membres des
commissions mentionnées à l’article 43 de la Constitution ainsi que
les règles de leur fonctionnement » ; mais ils établissent aussi
l’organisation du Bureau, prévoient l’existence des groupes
politiques et déterminent les jours et les horaires des séances. Sous
la IIIe et la IVe République, ces règlements avaient une importance
de premier plan, du fait de l’hégémonie parlementaire, et parce que
les assemblées, que nul ne pouvait contraindre à respecter la
Constitution, se conformaient en général de façon scrupuleuse à
leurs propres règlements intérieurs. Le meilleur observateur de la
vie parlementaire de l’époque, Eugène Pierre, allait jusqu’à en
conclure qu’ils avaient « plus d’influence que la Constitution elle-
même sur la marche des affaires publiques », et qu’ils constituaient
ainsi « un instrument redoutable aux mains des partis 11 ». Depuis
1958, il n’en va évidemment plus tout à fait de même. Toutefois, les
règlements des assemblées n’en sont pas pour autant devenus
négligeables. Fait significatif du poids qu’ils conservent, ils doivent
obligatoirement, avant leur mise en application, être soumis au
Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la
Constitution (art. 61, al. 1er) 12.
C’est de l’ensemble de ces textes, constitutionnels, organiques ou
réglementaires, mais également des dispositions jurisprudentielles et
même coutumières, que résulte l’organisation interne du Parlement
et de ses travaux.

1. L’organisation des travaux


a. Les sessions
Le régime et la durée des sessions ont été établis par les
articles 28, 29 et 30 de la Constitution avec un luxe de détails
révélateur de l’importance que leur prêtaient les constituants.
Hostiles au « régime conventionnel », où la souveraineté de
l’Assemblée se manifeste par sa permanence 13, ceux-ci ont donc
décidé que le Parlement ne siégerait qu’une partie de l’année,
14
initialement fractionnée en deux « sessions ordinaires ». Depuis la
révision du 4 août 1995, et afin de faciliter l’organisation et la
planification rationnelle du travail législatif, ces deux sessions ont
été remplacées par une session ordinaire unique, qui débute le
premier jour ouvrable d’octobre et s’achève le dernier jour ouvrable
er
de juin (art. 28, al. 1 ) – soit une durée de neuf mois, avec cette
précision que « le nombre de jours de séance que chaque assemblée
peut tenir au cours de la session ordinaire ne peut excéder cent
15
vingt ».
Cette session ordinaire unique se réunit de plein droit 16, de façon
automatique, au jour prévu par la Constitution. Ce n’est pas le cas
en revanche des sessions extraordinaires, réunies à la demande du
Premier ministre ou de la majorité des membres composant
l’Assemblée nationale (art. 29), et dont l’article 30 précise qu’elles
sont ouvertes et closes par décret du président de la République
(voir chap. II). Ces sessions extraordinaires sont entourées de
précautions considérables, qu’explique la crainte de voir le
Parlement parvenir, grâce à cet artifice, à siéger en permanence, et
ainsi, à paralyser l’action du gouvernement. En conséquence, elles
ne peuvent se réunir que sur un ordre du jour déterminé (art. 29,
al. 2), le décret de clôture intervenant dès que le Parlement a épuisé
l’ordre du jour pour lequel il a été convoqué, et au plus tard douze
jours à compter de sa réunion. Il n’en ira autrement que s’il a été
réuni à la demande du Premier ministre : dans ce cas, il est vrai, le
risque de débordement qui justifiait cette précaution a disparu.
Enfin, et pour la même raison, seul le Premier ministre pourra
demander la réunion d’une nouvelle session extraordinaire dans le
mois qui suit la clôture de la session précédente (art. 29, al. 3).

b. L’ordre du jour
17
Désormais fixé par la « Conférence des présidents », l’ordre du
jour énumère les questions qui seront traitées en séance par
e
l’assemblée. Sa maîtrise par les chambres était, sous la III et la
IVe République, l’un des fondements de la puissance du Parlement et
de sa supériorité sur le gouvernement, qui ne pouvait participer à la
législation que dans la mesure où les chambres permettaient à ses
18
projets de venir en discussion . C’est pourquoi les partisans de la
réforme de l’État, d’André Tardieu à Michel Debré, avaient toujours
réclamé que l’ordre du jour puisse être déterminé en priorité par le
gouvernement 19.
C’est ce qu’établissait à l’origine l’article 48, qui disposait que
« l’ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans
l’ordre que le gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi
déposés par le gouvernement et des propositions de loi acceptées
par lui ». Cette règle, dont le Conseil constitutionnel contrôlait
strictement l’application, opérait ainsi un renversement complet, en
assurant l’écrasante prédominance des lois d’origine
gouvernementale, qui représentaient au moins 80 % des textes
adoptés. Elle ne connaissait que deux limites. Selon la première, une
séance par semaine au moins était réservée par priorité aux
questions des membres du Parlement et aux réponses du
gouvernement (art. 48, al. 2). En vertu de la seconde, issue de la
révision du 4 août 1995, une séance par mois était réservée par
priorité à l’ordre du jour fixé par chaque assemblée (art. 48, al. 3).
Cette seconde limite, même modeste, introduisait ainsi une
véritable exception au principe de priorité établi en 1958, remettant
en cause le monopole de l’initiative que détenait jusqu’alors le
gouvernement. En fait, elle annonçait le bouleversement réalisé par
er
la révision de juillet 2008, et entré en vigueur le 1 mars 2009.
er
Désormais, en effet, l’article 48, alinéa 1 dispose que « l’ordre du
jour est fixé par chaque assemblée ».
e
On ne revient pas, certes, à la situation de la IV République,
puisque le 2e alinéa précise que « deux semaines de séance sur
quatre sont réservées par priorité, et dans l’ordre que le
gouvernement a fixé, à l’examen des textes et aux débats dont il
demande l’inscription à l’ordre du jour ». Ce qui signifie qu’en
réalité, le gouvernement continue de maîtriser l’ordre du jour sur la
20
moitié du temps de séance . En outre, selon l’alinéa 3, il peut
intervenir sur le temps restant en faisant inscrire par priorité des
textes essentiels à la vie de l’État et de la nation (comme les projets
21
de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale, ou
encore, les projets de loi relatifs aux états de crise ou aux
déclarations de guerre), ainsi que des textes en attente, transmis
depuis au moins six semaines par l’autre assemblée. Autant de
précautions indispensables qui n’existaient pas sous les Républiques
précédentes.
Pour le reste, en revanche, chaque assemblée se trouve
désormais maîtresse de son ordre du jour, sous réserve des
dispositions figurant dans les trois derniers alinéas de l’article 48 :
une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité au
contrôle de l’action du gouvernement et des politiques publiques ;
par ailleurs, un jour de séance par mois, l’ordre du jour est arrêté
par les groupes d’opposition de l’assemblée ; enfin, une séance par
semaine au moins est réservée par priorité aux questions des
membres du Parlement, et aux réponses du gouvernement. Outre ces
limites, il faut reconnaître qu’il n’est pas aisé de changer les
habitudes – d’où, un bilan mitigé, à mi-chemin entre changement et
immobilisme…

Toutefois, même si le nombre de séances durant lesquelles


l’ordre du jour sera effectivement déterminé par les assemblées est
appelé à demeurer minoritaire, il n’en reste pas moins que le
système s’est trouvé profondément bouleversé – la compétence de
principe revenant, pour la première fois depuis un demi-siècle, au
Parlement lui-même.

Quant aux questions inscrites à l’ordre du jour, elles seront


examinées lors des séances publiques qui ont lieu le mardi, le
mercredi et le jeudi, suivant des règles de discussion, d’intervention
et de votation minutieusement organisées par les règlements des
assemblées, et que les parlementaires doivent respecter sous peine
de sanctions disciplinaires.

2. Les organes du travail parlementaire


Ces organes sont, pour la plupart, évoqués dans la Constitution
elle-même, mais ce sont en général les règlements des assemblées
qui en déterminent la composition et en précisent les pouvoirs.
a. Les structures internes
Paradoxalement, le rôle et le prestige des présidents des
assemblées n’ont pas été atteints, après 1958, par la remise en cause
de la souveraineté du Parlement, bien au contraire. Le renforcement
résulte en particulier de la durée accrue de leur mandat, contrastant
avec la pratique des Républiques précédentes qui, par méfiance à
l’égard de tout pouvoir personnel, limitaient cette durée à un an.
Désormais, le président de l’Assemblée nationale est élu pour toute
la législature, c’est-à-dire, en principe, pour cinq ans, et l’élection du
président du Sénat a lieu après chaque renouvellement partiel, tous
les trois ans (art. 32). Mais cette durée est parfois bien supérieure,
les présidents pouvant être indéfiniment réélus : c’est ainsi que
Jacques Chaban-Delmas demeurera à la tête de l’Assemblée
nationale de 1959 à 1969.
La Constitution confère d’ailleurs aux présidents des attributions
étendues (rôle consultatif prévu par les articles 12 et 16, nomination
de trois membres du Conseil constitutionnel, pouvoir de saisir le
Conseil constitutionnel, intérim exercé par le président du Sénat),
auxquelles s’ajoutent les prérogatives que leur accordent les
règlements de leurs assemblées respectives, dont ils sont chargés
d’assurer le bon fonctionnement. Mais il faut noter aussi que, sous la
e
V République, les présidents des assemblées sont fréquemment des
personnes d’une stature politique de premier plan, la présidence
étant souvent une situation d’attente ou de repli temporaire : autre
e
différence significative avec la pratique de la III République.
Le président assure en outre la présidence du Bureau, organe
collectif élu par les parlementaires, renouvelé chaque année, et qui
doit s’efforcer de reproduire la configuration politique de
e
l’Assemblée (RAN, art. 10, al. 2 ). Le Bureau a en pratique un rôle
non négligeable, puisque le règlement lui confère « tout pouvoir
pour régler les délibérations de l’Assemblée et pour organiser et
diriger tous les services » de celle-ci (RAN, art. 14, al. 1er) ; et que la
Constitution elle-même lui attribue certaines compétences, comme
d’autoriser l’arrestation des parlementaires faisant l’objet de
poursuites pénales.

Dernier organe notable, la Conférence des présidents est


composée du président de chaque assemblée, de ses vice-présidents,
des présidents de groupes politiques, des présidents des commissions
permanentes, du rapporteur général de la Commission des finances
et du président de la commission pour l’Union européenne (RAN,
art. 47, al. 1er ; RS, art. 29, al. 1er). Les règlements des assemblées
attribuent traditionnellement à ces conférences certains pouvoirs
pour préparer l’organisation du travail en séance publique. Mais ces
attributions ont été très sensiblement accrues par la révision du
23 juillet 2008. Ainsi, ce sont ces conférences qui, désormais, jugent
de la conformité de la présentation du projet de loi aux conditions
fixées par la loi organique, laquelle conditionne leur inscription à
l’ordre du jour (article 39, alinéa 4). Ce sont elles qui déterminent
l’ordre du jour de chaque assemblée, dans le cadre prévu par la
Constitution (article 48). Enfin, c’est à elles qu’il appartient, le cas
échéant et de manière conjointe, de s’opposer à ce que le
gouvernement engage la procédure accélérée (article 45, alinéa 2).
Et c’est ainsi qu’un organe jusqu’ici ignoré de la Constitution se
trouve investi de pouvoirs très significatifs – qui manifestent à la
fois le renforcement du Parlement, et la prise en compte spécifique
des représentants des partis et des groupes politiques.

b. Les groupes politiques


Même si, en droit, ils n’en ont pas l’obligation, les parlementaires
« peuvent se grouper par affinités politiques » (RAN, art. 19), et ils
le font le plus souvent. Les groupes politiques, qui bénéficient
d’avantages considérables mais aussi de pouvoirs propres (leur
président participe à la Conférence des présidents), doivent, pour se
former, compter au moins quinze membres à l’Assemblée nationale,
et dix au Sénat. Depuis la révision de juillet 2008, la Constitution
distingue d’ailleurs, parmi eux, les « groupes d’opposition » et les
« groupes minoritaires » (article 48, alinéa 5), l’article 51-1 précisant
que le règlement de chaque chambre « reconnaît des droits
spécifiques aux groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi
qu’aux groupes minoritaires ». Disposition conforme à la logique de
l’article 4, alinéa 3, également issu de la révision de juillet 2008,
selon lequel « la loi garantit l’expression pluraliste des opinions et la
participation équitable des partis et groupements politiques à la vie
démocratique de la Nation ».

Précision importante : l’interdiction du mandat impératif


figurant dans l’article 27, alinéa 1er, interdit la constitution, sous
quelque forme que ce soit, de « groupes de défense d’intérêts
particuliers, locaux ou professionnels » (RAN, art. 23). Si les lobbies
22
ne sont pas absents ni dépourvus d’influence , ils doivent du moins
rester extérieurs au Parlement. Pourtant, au regard de la prohibition
du mandat impératif et du principe de liberté de vote qu’elle
implique, on peut se demander si ce ne sont pas plutôt l’existence et
les pouvoirs des groupes politiques qui posent un problème.

c. Les commissions
Dans son article de 1955, Michel Debré dénonçait le poids des
commissions permanentes qui, instaurées au début du siècle, lui
paraissaient avoir puissamment contribué à l’assujettissement du
gouvernement. Leur nombre (dix-neuf à l’Assemblée nationale sous
e
la IV République), leur spécialisation et leur permanence leur
permettaient en effet de contrôler sans cesse le ministère
correspondant, et faisaient de leurs présidents des concurrents des
ministres, prêts à dénoncer le moindre faux pas, et à prendre leur
23
place le cas échéant. L’article 43, alinéa 1 , qui limite désormais à
huit le nombre de commissions permanentes dans chaque
24
assemblée , supprime ce risque de concurrence.
Pour les constituants, l’intervention des commissions
permanentes dans le travail législatif ne devait d’ailleurs être que
l’exception, les projets et propositions de loi ne leur étant envoyés
qu’à défaut de l’avoir été, à la demande du gouvernement ou de
l’Assemblée, à des commissions spécialement désignées à cet effet
er
(art. 43, al. 1 ). Mais en pratique, la réunion de ces commissions
législatives spéciales, qui auraient dû assurer la dépossession des
commissions permanentes, ne fut que rarement demandée, sans
doute pour des raisons politiques analogues à celles qui expliquent
la désuétude du vote personnel. Dans le nouvel équilibre des
pouvoirs, le gouvernement n’avait plus grand-chose à craindre des
commissions permanentes, et les assemblées avaient tout intérêt à
leur conserver un rôle important.
Si elles sont devenues exceptionnelles, des commissions spéciales
n’en continuent pas moins d’être constituées de temps à autre, à la
demande du gouvernement ou d’un ou plusieurs présidents de
groupes représentant la majorité absolue des députés. Elles portent,
en général, sur des sujets sensibles ou très médiatisés – comme ce
fut le cas en octobre 2013 avec la commission spéciale pour
l’examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le
système prostitutionnel, ou encore, sous la précédente législature,
avec le projet de loi relative à la bioéthique en novembre 2010.

Les délégations parlementaires, enfin, visent à remédier à


l’insuffisante spécialisation des commissions permanentes, dont elles
reproduisent d’ailleurs certains traits, notamment dans leur
composition. Ces délégations sont créées par une loi ordinaire, sans
que le Conseil constitutionnel n’y trouve rien à redire, dès lors
qu’elles n’ont qu’un rôle consultatif et informatif (82-142 DC,
27 juillet 1982, Rec. 52). Elles sont tantôt propres à une assemblée
déterminée, comme les délégations aux droits des femmes créées par
la loi du 12 juillet 1999, tantôt communes aux deux chambres, à
l’exemple de la délégation parlementaire au renseignement issu de
la loi du 9 octobre 2009.
o
Une loi n 79-654 du 6 juillet 1979 avait créé, dans chacune des
deux assemblées, une délégation parlementaire pour l’Union
européenne, comptant trente-six membres. L’article 88-4, al. 3, issu
de la révision du 23 juillet 2008, dispose désormais qu’« au sein de
chaque assemblée parlementaire est instituée une commission
chargée des affaires européennes ». Celles-ci comprennent 48
membres à l’Assemblée, 36 au Sénat, et disposent de pouvoirs très
significatifs. C’est ainsi qu’en vertu de l’article 151-1-1 du RAN, elles
peuvent, sur demande d’une commission permanente ou spéciale, ou
encore de leur propre initiative, formuler des observations sur toute
disposition d’un projet ou d’une proposition de loi portant sur un
domaine couvert par l’activité de l’Union européenne. Des
observations qu’elles peuvent même présenter en séance publique,
sur autorisation de la Conférence des présidents.
Section II
Les rapports entre Parlement
et gouvernement

Le titre V, le plus long de la Constitution, est consacré aux


rapports du Parlement avec le gouvernement : des rapports qui
s’articulent autour de deux fonctions, une fonction de législation,
relevant en principe du Parlement, mais à laquelle le gouvernement
prend une part extrêmement active ; et une fonction de contrôle
exercée par le Parlement, qui de la sorte participe, fût-ce de manière
négative, à l’action gouvernementale. Ces fonctions, symétriques,
s’avèrent indissociables – comme le manifeste symboliquement
l’article 49 al. 3, par lequel le gouvernement peut s’approprier la
fonction législative, mais au risque de voir engagée sa responsabilité
politique. Malgré son étroitesse, ce lien n’implique pas pour autant
une égalité entre les deux intervenants, ni une équivalence des
fonctions. Soucieux de donner au gouvernement les moyens de
gouverner, décidés également à mettre fin à la désastreuse
instabilité ministérielle qui caractérisait la IVe République, les
constituants de 1958 ont voulu privilégier l’exécutif afin, pensaient-
ils, de contrebalancer l’hégémonie naturelle du Parlement. S’est
ensuivi un déséquilibre qui a marqué toute la pratique
e
institutionnelle de la V République – même s’il paraît de nos jours,
en particulier depuis la révision de juillet 2008, en voie de
résorption partielle.
SOUS-SECTION 1
Le contrôle du gouvernement

L’intervention du Parlement dans la fonction gouvernementale,


et plus spécialement le contrôle qu’il exerce sur celle-ci, envisagée
de façon générale par l’article 24, peut s’effectuer de différentes
manières, tantôt prévues par la Constitution elle-même, tantôt régies
par d’autres textes.
Cependant, la distinction la plus significative se situe ici moins
sur ce plan formel que sur le fond, entre un contrôle conçu comme
un mode de participation à l’action gouvernementale, et un contrôle
politique susceptible de déboucher sur une sanction à travers la mise
en jeu de la responsabilité du gouvernement.

A. Contrôle et participation
La participation du Parlement à l’action gouvernementale fut
longtemps considérée, sous la Ve République, comme un élément
mineur, une partie marginale de son activité – le constituant ayant
fait en sorte d’interdire tout retour à la situation ancienne, où les
chambres avaient la faculté de se mêler de tout, ce qu’elles faisaient
de façon souvent inopportune. Pour l’essentiel, le Parlement d’après
1958 avait donc la possibilité de s’informer, en questionnant le
gouvernement au moyen de procédures n’ayant qu’un impact
limité : ainsi, les questions écrites, usuelles depuis le début du siècle
et portant en général sur des points de technique 1 ; les questions
orales sans débat, posées en séance par un parlementaire à un
ministre ou au Premier ministre ; ou encore, les questions orales
avec débat, qui ne subsistent plus actuellement qu’au Sénat. On peut
observer à ce propos que les commissions, permanentes ou spéciales,
ont également pour rôle, outre leur participation au travail législatif,
d’assurer « l’information de l’Assemblée pour lui permettre d’exercer
son contrôle sur la politique du gouvernement » (RAN, art. 145,
al. 1er).
C’est avec la volonté de restaurer les pouvoirs du Parlement,
manifeste à partir des années 1990, que ces modes de participation
vont peu à peu s’étoffer, portant à la fois sur l’action
gouvernementale proprement dite, et sur celle des institutions
européennes.

1. Le Parlement et la politique interne


L’article 24 de la Constitution, on l’a déjà noté, assigne pour
fonction au Parlement de contrôler l’action du gouvernement et
d’évaluer les politiques publiques. À ce titre, le Parlement dispose de
moyens renouvelés. Cependant, il ne lui appartient pas de se
substituer au gouvernement. C’est pourquoi, s’il a la faculté
d’intervenir dans certains domaines particulièrement sensibles, il n’a
pas pour autant, comme sous les Républiques précédentes, la
possibilité de toucher à tout.
Traduction concrète de l’importance nouvelle donnée à ces
fonctions : les moyens dont le Parlement se trouve doté depuis la
révision de juillet 2008. Ainsi, l’article 51-2, entré en vigueur le
er
1 mars 2009, prévoit-il que « pour l’exercice des missions de
contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de l’article 24,
des commissions d’enquête peuvent être créées au sein de chaque
assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des
éléments d’information ».
Certes, ces commissions existaient déjà auparavant, prévues par
l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958. Toutefois, cette
consécration constitutionnelle manifeste un changement de
2
perspective, et donne plus de consistance à ces commissions
jusqu’alors cantonnées dans un rôle assez modeste, sans aucun
rapport avec leurs homologues américains. Autre innovation
caractéristique : l’article 47-2, prévoyant que « la Cour des comptes
assiste le Parlement dans le contrôle de l’action du gouvernement »,
ainsi que « dans l’évaluation des politiques publiques ». Le besoin
crée l’organe : désormais, le Parlement dispose des instruments
nécessaires à l’exercice de ses fonctions.
Toujours est-il qu’il ne saurait se livrer à un interventionnisme
tous azimuts : l’objectif de la révision de juillet 2008 n’était pas de
revenir à un régime d’assemblée. À cet égard, il faut donc distinguer
certains domaines particuliers, spécifiquement politiques, en ce qu’ils
intéressent directement l’existence de la cité, et dans lesquels il lui
appartient donc d’intervenir.
Il en va ainsi, traditionnellement, des traités internationaux les
plus importants, énumérés dans l’article 53, alinéa 1 et 2 : « Les
traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs
à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de
l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux
qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession,
échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou
approuvés qu’en vertu d’une loi », lesdits traités ne prenant effet
« qu’après avoir été ratifiés ou approuvés ».
Dans le même ordre d’idées, l’article 35, alinéa 1 dispose que « la
déclaration de guerre est autorisée par le Parlement », l’alinéa 3
précisant que lorsque la durée de l’intervention dépasse quatre mois,
le gouvernement doit soumettre sa prolongation à l’autorisation du
Parlement – avec la possibilité, en cas de refus du Sénat, de
demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort.
Enfin, toujours dans la même perspective, si l’article 36 dispose
que « l’état de siège est décrété en Conseil des ministres » – ce qui
s’impose de façon évidente, étant donné l’urgence de telles mesures
–, en revanche, « sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être
autorisée que par le Parlement ».
On a évoqué plus haut, à propos des pouvoirs du président de la
République, les nouvelles dispositions de l’article 13, qui relèvent de
cette même logique : lorsque sont en jeu des questions importantes
« pour la garantie des droits et des libertés », même lorsqu’il s’agit
de nominations, le Parlement se trouve désormais investi d’un
véritable droit de regard qui, en l’espèce, lui permet de s’opposer
aux choix du chef de l’État.
En revanche, lorsqu’il s’agit de la gestion ordinaire des affaires
publiques, ses pouvoirs sont beaucoup plus restreints.
C’est ce que confirme l’article 34-1, issu lui aussi de la révision
de juillet 2008. Cet article consacre pourtant une innovation
majeure, presque une rupture, en disposant que « les assemblées
peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi
organique ». Ce faisant, il va à l’encontre de l’un des tabous de la
e
V République, les résolutions parlementaires ayant été sous les
Républiques précédentes l’une des causes de cette instabilité
ministérielle chronique qui condamnait bien souvent l’État à
l’impuissance. Toutefois, malgré son côté apparemment
révolutionnaire, cette ouverture s’avère finalement limitée, le
second alinéa de l’article 34-1 déclarant en effet irrecevables, et
donc insusceptibles d’être inscrites à l’ordre du jour, les propositions
de résolution que le gouvernement jugerait « de nature à mettre en
cause sa responsabilité » ou contenant « des injonctions à son
égard » – la décision du gouvernement sur ce point ne pouvant être
ni contrôlée, ni contredite.
En somme, le droit de résolution n’est rien de plus qu’un simple
droit d’expression sur des questions de politique ordinaire : il n’est
en rien un pouvoir d’intervention, ni une manière indirecte ou
biaisée de censurer le gouvernement. Bref, toutes les précautions ont
été prises pour éviter ce que les constituants de 1958 redoutaient
par-dessus tout : la rechute dans les « délices » et les « poisons » du
parlementarisme absolu 3.

2. Le Parlement et la politique européenne


L’un des éléments majeurs de l’action gouvernementale est
désormais sa participation à la politique européenne dans le cadre
des institutions de l’Union, et plus précisément, du Conseil. C’est
ainsi que le contrôle effectué par l’Assemblée nationale et le Sénat
sur les « projets ou propositions d’actes » de l’Union qui leur sont
soumis en vertu de l’article 88-4 peut être considéré comme un
mode de contrôle indirect du gouvernement.
On retrouve d’ailleurs, sur ce plan, les outils juridiques existant
au niveau interne. Depuis la révision de juillet 2008, une
« Commission chargée des affaires européennes » s’est substituée au
sein de chaque assemblée parlementaire aux « délégations pour
l’Union européenne » issues de la loi du 6 juillet 1979, et dotées
alors d’un simple rôle consultatif et informatif (article 88-4,
alinéa 3). Par ailleurs, les assemblées peuvent adopter des
« résolutions européennes » sur les projets ou propositions
transmises au Conseil de l’Union, mais également sur « tout
document émanant d’une institution de l’Union européenne ». Cette
nouvelle formulation, issue elle aussi de la révision de juillet 2008,
étend considérablement le champ de ces résolutions – lesquelles
étaient à l’origine limitées aux seuls projets ou propositions d’actes
« comportant des dispositions de nature législative », comme le
précisait l’article 88-4 dans la formulation issue de la loi
constitutionnelle du 25 juin 1992. Désormais, ce sont tous les
projets, propositions et documents émanant des institutions de
l’Union qui peuvent faire l’objet de ces « résolutions européennes » –
d’où une activité soutenue avec cinquante-trois « résolutions
européennes » adoptées à l’Assemblée nationale entre août 2012 et
mai 2016.
Cette innovation va dans le sens qu’encourage le traité de
Lisbonne qui, afin de réduire le déficit démocratique aigu reproché à
l’Union, proclame la nécessité « d’encourager une participation
accrue des parlements nationaux aux activités de [celle-ci], et de
renforcer leur capacité à exprimer leur point de vue sur les projets
d’actes législatifs de l’Union européenne, ainsi que sur d’autres
questions qui peuvent présenter pour eux un intérêt particulier 4 »…
Cela dit, lesdites résolutions n’ont qu’un impact symbolique sur
les institutions européennes. Au niveau interne, de même, elles n’ont
ni portée normative ni caractère contraignant, comme le soulignait
le Conseil constitutionnel dans une décision (92-314 DC) du
17 décembre 1992, indiquant qu’elles ne sauraient « porter atteinte
aux prérogatives que le gouvernement tient de la Constitution », ni,
a fortiori, « conduire à la mise en jeu de sa responsabilité ».

Outre ces résolutions, les assemblées peuvent enfin, depuis la


révision de 2008, adopter deux types de « motions européennes ».
Les unes, visées par l’article 88 -5 al. 2 et adoptées à la majorité des
e
3/5 de chaque assemblée, ont pour objet de faire échapper à la
procédure référendaire un projet de loi de ratification d’un traité
d’élargissement de l’Union européenne. Les autres, prévues par
l’article 88-7, permettent aux assemblées de s’opposer à la
procédure de révision simplifiée des traités européens prévue par le
traité de Lisbonne.

B. Contrôle et sanction
Parmi les « principes » qu’aurait à respecter la future
Constitution, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 énonçait le fait
que « le gouvernement doit être responsable devant le Parlement ».
L’article 20 de la Constitution, le premier qui soit consacré au
gouvernement, précise donc qu’« il est responsable devant le
Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux
articles 49 et 50 ». L’article 49 détermine les procédures
d’engagement de la responsabilité, alors que l’article 50 en précise
les conséquences éventuelles.

1. L’engagement de la responsabilité
L’article 49 reprend la distinction classique entre une
responsabilité engagée par le Premier ministre, jadis intitulée
« question de confiance », et une responsabilité mise en cause par
l’Assemblée nationale elle-même, la motion de censure.

a. La responsabilité engagée par le gouvernement


Si le terme même de « question de confiance », qu’utilisait
l’article 49 de la Constitution de 1946, a disparu de celle de 1958,
ce n’est point par hasard, mais parce que le gouvernement est
désormais présumé disposer de la confiance de l’Assemblée – et que
c’est donc à cette dernière de démontrer le contraire. Or, cette
présomption entraîne, à cet égard, une conséquence décisive : c’est
que le gouvernement n’a plus l’obligation de poser cette « question
de confiance » – contrairement aux gouvernements de la
IVe République qui, pour être investis, devaient obtenir la confiance
de l’Assemblée nationale sur le programme et la politique qu’ils
comptaient poursuivre (art. 45, al. 2, de la Constitution de 1946).

e
Sous la V République, le gouvernement peut engager sa
responsabilité, de deux manières différentes.
er
Il le peut, tout d’abord, sur le fondement de l’article 49 al. 1 ,
qui dispose que « le Premier ministre, après délibération du Conseil
des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité
du gouvernement sur son programme, ou éventuellement sur une
déclaration de politique générale ».
À s’en tenir à la lettre de ce texte, il semblerait pourtant que l’on
doive distinguer deux cas de figure : l’engagement de la
responsabilité du gouvernement sur une déclaration de politique
générale, dont le texte précise qu’il n’est qu’éventuel, et l’engagement
de la responsabilité sur le programme du gouvernement qui, au
contraire, paraît obligatoire – conformément au principe du régime
parlementaire, qui suppose que le gouvernement s’assure, lors de sa
mise en place, qu’il dispose bien de la confiance de l’Assemblée.
e
Pourtant, la pratique de la V République a rapidement remis en
cause cette distinction entre un engagement obligatoire et un
5
engagement éventuel . Fidèle à ses convictions, Michel Debré ne
manque pas, dès le 15 janvier 1959, d’engager la responsabilité de
son gouvernement sur son programme, déclarant à ce propos que
« le gouvernement parlementaire […] doit être soumis au contrôle
des assemblées » (JOAN, déb., 16 janvier 1959). Son successeur à
Matignon, Georges Pompidou, fait encore de même le 26 avril 1962.
Mais l’habitude va se perdre aussitôt après, et en avril 1966,
Pompidou explique que « la lettre et l’esprit de la Constitution de
1958 veulent […] que le gouvernement soit entièrement libre de
demander ou non un vote de confiance » (JOAN, déb., 13 avril
1966). Il faudra attendre quinze ans pour que Raymond Barre,
devenu Premier ministre, engage à nouveau la responsabilité de son
gouvernement sur son programme, le 28 avril 1977, non sans avoir
déclaré l’année précédente, en se fondant sur la « doctrine
Pompidou », qu’il n’en avait nullement l’obligation (JOAN, déb.,
5 octobre 1976). Quant à la raison invoquée, elle est très simple : le
gouvernement procède désormais du Président, et ainsi, il n’a plus à
être investi par le Parlement pour entrer en fonctions.
À ce propos, s’est posée la question de l’intervention
présidentielle dans la décision d’engager la responsabilité du
gouvernement, celle-ci étant délibérée en Conseil des ministres. Si
l’on admet que le gouvernement procède du Président, et qu’en
outre ce dernier est politiquement responsable (et qu’il devrait donc
quitter l’Élysée en cas d’élections législatives contraires), il est assez
logique d’en déduire qu’il est également susceptible d’intervenir
dans une décision dont les éventuelles conséquences le concernent
directement. C’est ainsi que l’entendra le président Pompidou
lorsqu’il affirmera, en mai 1972, qu’il n’a « pas cru devoir
s’opposer » à l’engagement de la responsabilité du gouvernement
par son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Toutefois, cette
interprétation, qui ne repose sur aucun texte, ne prévaut plus en cas
de cohabitation (c’est-à-dire, dans une hypothèse où la
responsabilité politique du Président a été implicitement récusée) :
le Président ne pourra plus alors s’opposer à la décision de son
Premier ministre d’engager sa responsabilité sur le fondement de
er
l’article 49 al. 1 , ou sur celui de l’article 49 al. 3.
En vertu de l’article 49 al. 3, en effet, le Premier ministre pourra,
après délibération du Conseil des ministres, engager la
responsabilité de son gouvernement devant l’Assemblée nationale,
mais cette fois-ci, sur le vote d’un texte particulier. « Dans ce cas, ce
texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure,
déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les
conditions prévues » à l’alinéa 2 du même article. Ces dispositions
intéressent moins, on le voit, les pouvoirs de contrôle du Parlement
que sa fonction législative, ou plutôt, les limites apportées à celle-
ci : c’est pourquoi on les examinera plus en détail dans la sous-
section suivante, consacrée à cette fonction.

Enfin, « le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat


l’approbation d’une déclaration de politique générale » (art. 49
al. 4). Cette procédure s’avère beaucoup moins formelle que les
précédentes, dans la mesure où une réponse négative du Sénat
n’obligerait pas le gouvernement à démissionner. En fait, une
réponse négative serait improbable, le Premier ministre ne
s’adressant au Sénat que lorsqu’il a la certitude qu’il lui sera
favorable, afin de montrer à l’opinion « qu’il peut compter dans les
deux assemblées sur le soutien actif de la majorité des élus du
pays 6 ». Et c’est le caractère informel de cette procédure qui
explique aussi qu’elle puisse être librement mise en œuvre par le
Premier ministre, sans délibération préalable du Conseil des
ministres.

b. La motion de censure
Dans ce second cas de figure, ce n’est plus le gouvernement qui
engage sa responsabilité, c’est l’Assemblée nationale qui, de son
propre mouvement, tente de la mettre en cause. Ce procédé,
caractéristique du régime parlementaire, se trouve désormais
étroitement encadré, afin de garantir la stabilité du gouvernement,
et de ne le contraindre à la démission que lorsqu’il est devenu
évident qu’il a perdu l’appui de la majorité de l’Assemblée. On
retrouve ici l’idée d’une présomption de confiance, que seule une
opposition résolue pourra remettre en cause.
C’est pourquoi cette motion de censure se présente, dans la
Constitution de 1958, comme une véritable course d’obstacles de
difficulté croissante.
D’abord, l’initiative de cette motion de censure devra être prise,
sous peine d’irrecevabilité, par un dixième au moins des membres
de l’Assemblée. Ensuite – moyen classique de calmer les esprits en
leur faisant prendre conscience des risques d’une telle décision –, le
vote ne pourra avoir lieu aussitôt, mais seulement quarante-huit
heures après le dépôt de la motion. Par ailleurs, et c’est sans doute
l’obstacle le plus difficilement surmontable, « seuls sont recensés les
votes favorables à la motion de censure, qui ne peut être adoptée
qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée ». Cela signifie
qu’un vote à la majorité des présents, qui pourrait être acquis par
surprise, ne suffirait pas à faire adopter la motion : dans ce système,
tous ceux qui n’ont pas voté pour la motion sont réputés avoir voté
contre elle, et constituent ainsi des alliés objectifs du gouvernement.
Enfin, pour éviter une guérilla parlementaire permanente, « un
député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure
au cours d’une même session ordinaire, et de plus d’une au cours de
la même session extraordinaire ».
D’où l’efficacité réduite de ce mécanisme, qui, s’il fut
fréquemment mis en œuvre, n’a fonctionné jusqu’au bout qu’une
seule fois, le 2 octobre 1962.
2. L’obligation de démissionner
« Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure
ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de
politique générale du gouvernement, le Premier ministre doit
remettre au président de la République la démission du
gouvernement » : l’article 50 énonce la conséquence logique de la
mise en cause de la responsabilité gouvernementale. Une
conséquence explicitée par le Conseil d’État dans son arrêt du
19 octobre 1962 (Brocas, R., p. 553) : « L’adoption par l’Assemblée
nationale d’une motion de censure entraîne le retrait du Premier
ministre et de son gouvernement. » Ce qui implique que le
gouvernement n’a plus, à partir de cette date et jusqu’à son
remplacement, qu’une compétence réduite, celle d’expédier les
affaires courantes ; mais aussi, et surtout, que le Président a de son
côté une compétence liée, et qu’il ne peut que prendre acte de la
démission du gouvernement, qui résulte automatiquement de la
motion de censure.
Ce n’est pourtant pas ainsi que l’entendra le président de Gaulle
après la seule et unique adoption d’une motion de censure, le
2 octobre 1962, puisqu’il n’acceptera la démission du gouvernement
que près de deux mois plus tard, le 28 novembre 1962, après avoir
procédé dans l’intervalle à la dissolution de l’Assemblée, et affirmé
qu’il lui eût été possible de maintenir le gouvernement en dépit de
la motion de censure votée contre lui.
SOUS-SECTION 2
La collaboration à la fonction
législative

Parallèlement à la fonction légiférante, au pouvoir de faire la loi


au sens propre, la Constitution de 1958 a confié à l’exécutif un
pouvoir normatif autonome, qui traduit sur ce plan le bouleversement
que représente la fin de la souveraineté parlementaire.
Cette innovation se manifeste en effet par une délimitation du
domaine de la loi, qui n’est plus illimité comme naguère, et qui ne
s’étend qu’aux matières énumérées par l’article 34 (voir deuxième
partie, chap. II). Réciproquement, si la loi n’a plus qu’une
compétence d’attribution, c’est parce que la compétence de droit
commun appartient au pouvoir réglementaire, dont relèvent
désormais toutes « les matières autres que celles qui sont du
domaine de la loi » (art. 37, al. 1er). Le pouvoir réglementaire y
interviendra donc de façon autonome (et non plus pour procéder à
l’application d’une loi) ; et il pourra, en outre, faire sanctionner les
empiétements éventuels du pouvoir législatif.
En 1958, la loi et le règlement autonome semblent ainsi
pratiquement placés sur le même plan, sans que la première puisse
encore être considérée comme supérieure. Pourtant, la jurisprudence
viendra rapidement remettre en cause cette nouvelle architecture,
en reconnaissant le caractère (inévitablement) subordonné du
règlement. Du reste, la pratique institutionnelle, et l’étroite
collaboration d’un gouvernement et d’un Parlement également
dominés par le chef de l’État, vont enlever toute dimension
conflictuelle à cette valorisation (d’ailleurs de plus en plus relative)
du règlement, celui-ci et la loi n’apparaissant plus comme
l’émanation de pouvoirs concurrents, mais comme deux expressions
complémentaires du pouvoir d’État.
Cette collaboration se manifeste également, sur un plan
parallèle, avec la pratique des ordonnances. Bien que contraire à la
Constitution de 1875, et expressément prohibée par l’article 13 de la
Constitution de 1946, la législation déléguée n’avait pourtant cessé
d’être pratiquée, sous le nom de « décrets-lois », à partir des années
1920. L’article 38 prend acte de cette nécessité en permettant au
gouvernement de demander au Parlement, pour l’exécution de son
programme, l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un
délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la
loi. Ce qui signifie en particulier que ces ordonnances pourront
abroger ou modifier des lois existantes.
La collaboration est ici de tous les instants. Au point de départ,
le gouvernement doit demander au Parlement l’autorisation de
prendre de telles ordonnances, en déposant un projet de loi qui
détermine la finalité 1 et le domaine d’intervention de celles-ci (86-
207 DC, 25 au 26 juin 1986, Rec. 61). La loi d’habilitation, quant à
elle, définira le délai durant lequel le gouvernement est habilité à
prendre ces ordonnances, et la date du dépôt du projet de loi de
ratification.
Une fois signée par le président de la République (art. 13) et
publiée, l’ordonnance devra en effet faire l’objet d’un projet de loi
de ratification, déposé devant le Parlement. Ce dépôt effectué, on
distingue plusieurs cas de figure. Si le projet déposé n’est pas inscrit
à l’ordre du jour, comme c’est le cas le plus fréquent, l’ordonnance,
non ratifiée, sera considérée comme n’ayant qu’une valeur
réglementaire 2. Le gouvernement ne pourra plus modifier les
dispositions de cette ordonnance portant sur le domaine de la loi,
mais celle-ci sera, comme n’importe quel acte administratif, soumise
au contrôle de légalité exercé par les juridictions administratives.
Second cas de figure, si le projet déposé est inscrit à l’ordre du jour
et qu’il est ratifié, expressément ou seulement implicitement 3,
l’ordonnance acquiert, rétroactivement, valeur législative. Enfin,
troisième cas de figure, si le Parlement refusait expressément de
ratifier une ordonnance inscrite à l’ordre du jour, celle-ci serait
évidemment caduque : c’est d’ailleurs pour éviter ce risque que le
gouvernement omet fréquemment d’inscrire à l’ordre du jour les
projets de loi de ratification.
En revanche, avant la date d’expiration figurant dans la loi
d’habilitation, le Parlement ne saurait intervenir dans les domaines
en question : pour d’évidentes raisons de logique et d’efficacité, la
loi qui confère au gouvernement le pouvoir de statuer par voie
d’ordonnances dessaisit du même coup, de façon temporaire et
ponctuelle, le Parlement de sa propre compétence 4.
Mais cette collaboration étroite du Parlement et du
gouvernement ne se manifeste pas seulement à côté, ou aux marges
de la fonction légiférante : puisque sur ce plan, le gouvernement et
le Parlement apparaissent pratiquement cotitulaires du pouvoir de
faire la loi. Cette collaboration apparaît à chacun des stades de la
procédure législative, au niveau de l’initiative, de l’élaboration puis
de l’adoption de la loi, et, plus encore, dans les cas particuliers que
constituent les lois organiques et les lois de finances.

A. L’initiative
« L’initiative des lois appartient concurremment au Premier
ministre et aux membres du Parlement » : en vertu de l’article 39,
alinéa 1er, les projets de loi, établis par le Premier ministre, semblent
er
placés sur le même plan que les propositions de loi (art. 40, al. 1 )
déposées par les parlementaires. En réalité, cette égalité s’avère
largement illusoire.

1. Les pouvoirs du gouvernement


Les projets de loi sont pourtant soumis à des règles d’élaboration
plus strictes que les simples propositions. Ils sont en effet délibérés
en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État (art. 39, al. 2).
Chronologiquement, la première étape consistera donc à demander
un avis (juridique) au Conseil d’État, avis que le gouvernement n’est
pas tenu de suivre, même s’il le fera dans la plupart des cas. Une fois
inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, il y sera délibéré.
Cela n’implique pas pour autant qu’il relève du chef de l’État, à
l’instar des actes réglementaires visés par l’article 13, et que
l’intervention du Premier ministre soit, comme pour ces derniers,
purement formelle. Au contraire, cette fois-ci, c’est la délibération
en Conseil des ministres qui apparaît comme une simple règle de
forme, « sans doute pour ne pas mêler le Président à une procédure
parlementaire qui n’engage la responsabilité que du Premier
5
ministre ». Le projet sera alors déposé sur le bureau de l’Assemblée
nationale ou du Sénat par un décret du Premier ministre – sauf s’il
s’agit d’un projet de loi de finances ou de loi de financement de la
Sécurité sociale, auquel cas il sera obligatoirement soumis en
premier lieu à l’Assemblée nationale ; ou à moins qu’il ne s’agisse
d’un projet de loi « ayant pour principal objet l’organisation des
collectivités territoriales » ou relatif « aux instances représentatives
des Français établis hors de France », lesquels doivent, depuis la
révision du 28 mars 2003, être soumis d’abord au Sénat (art. 39,
6
al. 2) .
Enfin, depuis la révision du 23 juillet 2008, une dernière étape
est venue s’ajouter à celles que l’on vient d’énumérer. En vertu de
l’article 39, alinéa 3, « la présentation des projets de loi déposés
devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions
fixées par une loi organique ». Publiée le 15 avril 2009, celle-ci
dispose que les projets de loi soumis au Conseil d’État doivent être
précédés d’un exposé des motifs et accompagnés d’une étude
d’impact précisant leur articulation avec le droit européen, leurs
modalités d’application et leurs conséquences économiques,
financières, sociales et environnementales, et enfin, leur impact sur
l’emploi public 7.
Si, ajoute l’alinéa 4 de l’article 39, la Conférence des présidents
de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par
cette loi organique sont méconnues, ledit projet de loi ne pourra
être inscrit à l’ordre du jour. Il ne sera pas discuté, ni bien sûr
adopté. La Conférence des présidents ne pouvant toutefois en
décider de façon discrétionnaire, ce qui lui permettrait virtuellement
d’interdire au gouvernement de déposer des projets de loi, c’est au
Conseil constitutionnel qu’il appartiendra de trancher dans un délai
de huit jours en cas de désaccord sur ce point entre ladite
Conférence des présidents, et le gouvernement, auteur du projet de
loi.

2. Le rôle du Parlement
S’il doit se conformer à ces procédures, le gouvernement n’est
limité dans son pouvoir d’initiative par aucune règle de fond
spécifique. Le Parlement, au contraire, paraît plus libre sur un plan
formel ; en revanche, il se trouve strictement encadré par une série
de règles de fond dont le non-respect entraînerait l’irrecevabilité de
ses propositions de loi.
Ces règles concernent d’abord les éventuelles conséquences
financières de ses propositions et de ses amendements, puisque
ceux-ci « ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour
conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la
création ou l’aggravation d’une charge publique » (art. 40).
Les règles d’irrecevabilité visent, ensuite, à garantir le principe
de répartition des compétences résultant des articles 34 et 37. Le
gouvernement, et depuis la révision de juillet 2008, le président de
l’assemblée saisie pourront opposer l’irrecevabilité d’une proposition
ou d’un amendement « s’il apparaît au cours de la procédure
législative » qu’ils ne sont pas « du domaine de la loi » ou qu’ils sont
contraires « à une délégation accordée en vertu de l’article 38 »
(art. 41). À ce propos, la Constitution précise qu’en cas de désaccord
sur ce point entre le gouvernement et le président de l’assemblée à
laquelle a été opposée l’irrecevabilité, c’est au Conseil
constitutionnel, saisi par l’un ou par l’autre, qu’il appartiendra de
trancher. En fait, l’irrecevabilité de l’article 41 s’avère assez
perturbante, notamment parce qu’elle bloque le processus législatif :
c’est pourquoi le gouvernement, qui dispose d’autres moyens
efficaces pour faire respecter sa compétence réglementaire, n’en a
usé qu’avec parcimonie 8.

B. L’élaboration de la loi
Comme le soulignait J.-M. Belorgey en 1991, « on sait de longue
date qu’on ne peut pas confondre législatif et législateur et que, à
cette entité collective qu’est le “législateur” des juristes, le
législatif », c’est-à-dire le Parlement, « n’est que modestement partie
9
prenante ». Le caractère inégalitaire de cette collaboration,
constaté au niveau de l’initiative, reparaît aux différentes étapes de
l’élaboration de la loi, même s’il tend de nos jours à se rééquilibrer.

1. Le passage en commission
Aussitôt après avoir été déposés, les projets et les propositions de
loi sont envoyés pour examen, soit à des commissions spécialement
désignées à cet effet (art. 43, al. 1er), soit, à défaut, c’est-à-dire
presque toujours, à l’une des commissions permanentes de
l’assemblée concernée. La commission a pour fonction de préparer le
travail en séance publique : à cet effet, elle étudie le texte,
s’interroge sur son opportunité et suggère les modifications ou les
amendements qu’elle juge utiles. À ce niveau, les projets de loi
bénéficiaient naguère d’un avantage notable : ils ne pouvaient être
modifiés par les commissions, contrairement aux propositions de loi,
pour lesquelles celles-ci avaient toute latitude pour élaborer une
nouvelle rédaction. En ce qui concerne les projets de loi, leur
discussion portait donc, devant la première assemblée saisie, « sur le
texte présenté par le gouvernement » (art. 42, al. 1er), les
amendements proposés par la commission devant apparaître d’une
manière distincte.
La révision de juillet 2008 a entendu supprimer cette inégalité de
er
départ. En vertu des nouvelles dispositions de l’article 42, alinéa 1 ,
la discussion en séance porte en toute hypothèse sur le texte adopté
en commission, sans distinction entre les projets et les propositions
de loi. Ce principe ne connaît qu’une seule série d’exceptions :
lorsqu’il s’agit de projets de révision constitutionnelle, de projets de
loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale, dont
l’importance éminente et la technicité justifient que la discussion
porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur
le texte même présenté par le gouvernement.

2. La séance publique
Une fois le texte examiné par la commission, il pourra être
inscrit à l’ordre du jour. Le fait que le gouvernement disposait
naguère d’une maîtrise presque totale de l’ordre du jour des
assemblées – puisque celui-ci comportait « par priorité et dans
l’ordre que le gouvernement a fixé la discussion des projets de loi
déposés par le gouvernement ou des propositions de loi acceptées
par lui » – constituait l’une des principales causes du déséquilibre.
Par ce pouvoir exorbitant, le gouvernement pouvait en effet différer
aussi longtemps qu’il le souhaitait l’examen des propositions qui
n’avaient pas son agrément, et privilégier sans limites ses propres
projets. Sur la petite centaine de lois votées chaque année, entre 80
et 90 % résultaient de l’initiative gouvernementale, et en 1995 par
exemple, 45 % des projets de loi avaient été adoptés, contre
seulement 0,8 % des propositions… Les nouvelles règles relatives à
l’ordre du jour, issues de la révision de juillet 2008, ont toutefois
permis un certain rééquilibrage. Ainsi, le pourcentage de textes
définitivement adoptés issus de propositions de loi est-il passé de
25 % pour la session 2007-2008, à 38,6 % pour la session 2009-
2010.

a. Le moment de la discussion
Même si elle pouvait avoir d’autres justifications, l’accélération
de la procédure législative imposée naguère par un gouvernement
entièrement maître de l’ordre du jour des assemblées avait pour
effet de limiter encore la marge d’intervention des parlementaires –
et plus spécialement des commissions, contraintes d’examiner au
pas de charge des textes toujours plus nombreux. D’où la volonté,
consacrée lors de la révision de juillet 2008, de leur donner plus de
temps pour l’examen des projets et des propositions de loi.
Désormais, précise l’article 42, alinéa 3, la discussion en séance ne
peut intervenir qu’après un délai de six semaines après le dépôt du
texte et, devant la seconde assemblée saisie, « à l’expiration d’un
délai de quatre semaines à compter de sa transmission ».
Cette règle nouvelle ne connaît que deux séries d’exceptions.
D’une part, une fois encore, les textes engageant directement la vie
de la nation, comme les projets de loi de finances, de financement
de la Sécurité sociale et les projets relatifs aux états de crise. Dans
ces cas-là, l’importance des enjeux et la nécessité impérative de
respecter certaines échéances (si la loi de finances n’est pas votée au
er
1 janvier, l’État n’a plus les moyens de payer ses agents ni
d’honorer ses dettes) l’emportent sur le confort des parlementaires.
D’autre part, seconde catégorie d’exceptions, s’il y a une urgence
réelle, le gouvernement peut décider d’engager une procédure
accélérée. En ce cas, les règles précitées relatives aux délais
minimum ne s’appliquent plus. Toutefois, le gouvernement n’a pas
sur ce point de pouvoir discrétionnaire : l’article 45, alinéa 2 précise
en effet que les conférences des présidents des deux assemblées
peuvent s’y opposer conjointement si elles estiment que la situation
n’est pas véritablement urgente.

b. Le déroulement de la discussion
Le déroulement de la séance publique comporte deux phases
successives : la discussion générale, où le projet (ou la proposition)
est examiné de façon globale, puis la discussion des articles.
La discussion générale débute, lorsqu’il s’agit d’un projet, par
l’audition éventuelle du gouvernement, à laquelle succèdent la
présentation du rapport de la commission saisie et les discours des
orateurs des groupes politiques. Mais cette discussion générale peut
être interrompue par le vote d’une motion de procédure, d’une
exception d’irrecevabilité, tendant à faire reconnaître que le texte
proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions
constitutionnelles, d’une question préalable visant à contester
l’opportunité d’une délibération, ou d’un renvoi en commission, afin
que soit présenté un nouveau rapport sur le texte.

Au cours de cette seconde phase, le texte fait l’objet d’un examen


beaucoup plus serré, article par article.
10
C’est notamment à ce stade qu’il peut subir des amendements,
c’est-à-dire être modifié à l’initiative du gouvernement ou des
er
membres du Parlement (art. 44, al. 1 ).
Ce droit a longtemps été conçu de façon assez restrictive,
l’amendement proposé devant avoir un lien suffisamment étroit avec
le texte qu’il prétendait modifier, et ne pas excéder une certaine
ampleur. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel avait censuré,
dans une décision du 23 janvier 1987 (86-225 DC, Rec. 13), un
usage abusif de ce droit, en se fondant sur « les limites inhérentes à
l’exercice du droit d’amendement ». En fait, estimait le Conseil, ce
droit ne saurait être un moyen de contourner les prescriptions
constitutionnelles relatives à la procédure législative, et notamment,
d’accélérer cette procédure en rattachant artificiellement, à un
projet ou une proposition de loi ayant suivi la voie normale, des
dispositions entièrement nouvelles sous couvert d’amendement. En
l’espèce, il s’agissait d’intégrer à un « projet de loi relatif à diverses
mesures d’ordre social et économique », en fin de discussion, les
vingt articles de l’ordonnance relative à l’aménagement du temps de
travail que le chef de l’État avait refusé de signer trois jours plus
tôt… Le Conseil était ensuite revenu à une appréciation plus souple
des conditions du droit d’amendement, se bornant à exiger que « les
adjonctions ou modifications […] apportées en cours de discussion,
quels qu’en soient le nombre et la portée », ne fussent pas
« dépourvues de tout lien avec l’objet du projet ou de la proposition
soumis au vote du Parlement » (03-472 DC, 26 juin 2003). Une
approche finalement consacrée par la Constitution, dont l’article 45,
alinéa 1er dispose, depuis la révision de juillet 2008, que « tout
amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il
présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».
Cette ouverture du droit d’amendement s’accompagne il est vrai
d’un encadrement plus strict de ce dernier. Ainsi, en vue d’une
meilleure gestion du temps et d’une préparation plus satisfaisante,
l’article 99 du règlement de l’Assemblée nationale issu d’une
résolution du 27 mai 2009 a établi que les amendements devaient
être déposés au plus tard le troisième jour ouvrable précédant la
date du début de la discussion du texte, à 17 heures. À l’expiration
de ce délai, seuls restent recevables les amendements déposés par le
gouvernement ou la commission saisie au fond – cette règle
s’appliquant, précise le premier alinéa de l’article 99, sauf décision
contraire de la Conférence des présidents.

Le gouvernement dispose lui aussi des moyens de limiter ce droit


d’amendement ; d’abord, après l’ouverture du débat, en s’opposant
« à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement
soumis à la commission » (art. 44, al. 2) ; ensuite, en exigeant que
l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur le texte en
discussion « en ne retenant que les amendements proposés ou
acceptés par le gouvernement » (art. 44, al. 3). En 1959, une note
du Premier ministre décrivait la procédure de l’article 44 comme
l’« une des prérogatives qui ont pour objet de rationaliser notre
parlementarisme. Elles choquent certes nos habitudes mais elles
apparaissent comme propres à marquer notre réaction contre les
11
abus des assemblées que nous avons connus » : et singulièrement,
ajoutait alors Léo Hamon, comme un moyen « d’éviter une suite
fastidieuse de votes propices au sabotage ». De fait, ce « vote
bloqué » peut s’avérer fort utile, notamment lorsque le
gouvernement ne bénéficie pas au Parlement d’un soutien
inconditionnel, ou lorsque l’opposition se montre spécialement
agressive, comme ce fut le cas par exemple sous la première
cohabitation, ou durant les trois années qui précédèrent les
législatives de 1993 12.
Ce n’est qu’à la suite de cette discussion, les parlementaires
s’étant prononcés, sauf hypothèse de vote bloqué, sur chaque
amendement puis sur chaque article, que le texte sera soumis à un
vote d’ensemble, et enfin, le cas échéant, adopté à la majorité des
suffrages exprimés.

C. L’adoption de la loi
Si, à ce stade, les pouvoirs du gouvernement ne paraissent pas
plus considérables que lors des étapes précédentes, ils semblent
encore plus diversifiés. Sans doute la décision finale appartient-elle
en principe au Parlement, tout projet ou proposition de loi étant
« examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en
er
vue de l’adoption d’un texte identique » (art. 45, al. 1 ). Mais au
cours de cette dernière phase, le gouvernement aura l’occasion
d’intervenir, à la fois avant et après l’adoption.

1. Avant l’adoption
Avant l’adoption, le gouvernement peut agir dans deux
circonstances très différentes : lorsque les deux assemblées ne
parviennent pas à un accord sur le texte, ou lorsqu’il craint que
l’Assemblée nationale ne refuse d’adopter un projet ou une
proposition de loi.

a. En cas de blocage
En cas de désaccord entre les deux assemblées, le texte examiné
fera d’abord l’objet d’une « navette », de l’une à l’autre. Mais si ce
désaccord persiste après deux lectures successives (ou
éventuellement une seule, lorsque l’urgence a été déclarée sans que
les conférences des présidents s’y soient opposées), c’est pour
l’essentiel au gouvernement qu’il appartiendra de débloquer la
procédure.
Le Premier ministre aura en effet la faculté de réunir une
commission mixte paritaire, composée de sept députés et de sept
sénateurs, chargée de proposer un texte de compromis sur les
dispositions faisant l’objet du désaccord 13. Depuis la révision de
juillet 2008, les présidents des deux assemblées agissant
conjointement ont eux aussi la possibilité de réunir une telle
commission mixte paritaire – mais uniquement lorsque le désaccord
porte sur une proposition de loi. Si cette commission parvient à
établir un tel texte, celui-ci peut être soumis par le gouvernement, et
par lui seul, pour approbation aux deux assemblées (art. 45, al. 3).
Mais dans le cas contraire, le gouvernement « peut, après une
nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat, demander à
l’Assemblée nationale de statuer définitivement » (art. 45, al. 4).
Cet article est intéressant à plusieurs égards. D’abord parce que,
14
en conférant le « dernier mot » à l’Assemblée nationale , il montre
que le bicamérisme ne saurait être parfaitement égalitaire, sous
peine de paralysie et d’impuissance. Il faut que l’une des deux
assemblées puisse, le cas échéant, l’emporter sur l’autre. Mais
l’article 45 indique aussi que la suprématie de l’Assemblée nationale
dépend largement du gouvernement lui-même, qui conserve une
entière liberté de manœuvre à chacune des dernières étapes du
processus. La Constitution précise à chaque fois qu’il peut agir, et
implique donc qu’il pourrait tout aussi bien ne pas le faire. En outre,
c’est également à lui qu’il appartiendra de donner son accord aux
éventuels amendements que pourrait proposer la commission mixte
paritaire (art. 45, al. 3).

b. En cas de réticence
S’il craint qu’une loi ne soit pas adoptée par l’Assemblée
nationale ou qu’elle y fasse l’objet d’une obstruction systématique, le
Premier ministre pourra faire usage des pouvoirs que lui confère
l’article 49 al. 3, suivant lequel il peut, « après délibération du
Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement
devant l’Assemblée nationale » sur le vote d’un texte, qui sera
considéré comme adopté « sauf si une motion de censure, déposée
dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée ».
Ces dispositions avaient été suggérées, à l’origine, comme le
moyen de forcer la main à une majorité acquise mais tiède, voire
réticente, sur un texte particulier. Elles avaient été inscrites dans la
Constitution malgré l’hostilité de certains proches du Général,
comme Paul Reynaud, qui les jugeait « dégradantes », et même
Michel Debré. Ce dernier imaginait en effet d’autres moyens de
discipliner la majorité de l’Assemblée que cette arme lourde, qui ne
laisse le choix qu’entre la soumission (le texte est adopté sans vote),
et la démission (puisqu’une éventuelle motion de censure adoptée
contre le gouvernement entraînerait aussi, à coup sûr, la dissolution
de l’Assemblée par le chef de l’État). Debré considérait du reste que
cette procédure, « si elle était employée à tout instant […], serait
15
dangereuse pour le régime ».
Il sera pourtant le premier à la mettre en œuvre, dès
novembre 1959, puis à nouveau, à propos de la loi instituant la
force de frappe, à trois reprises, en octobre, novembre et
décembre 1960. Mais c’est surtout à partir du septennat Giscard
d’Estaing, et plus spécialement après la démission de Jacques Chirac
en 1976, que l’article 49, al. 3, va faire l’objet d’une utilisation
massive. La raison en est très simple : le Président et son nouveau
Premier ministre, Raymond Barre, ne disposent plus à l’Assemblée
d’une majorité soudée et enthousiaste, et ils sont donc fréquemment
obligés de la contraindre à la discipline en lui donnant le choix entre
le soutien au gouvernement et les risques d’une rupture.
Pour ce qui est de la pratique constitutionnelle récente, on peut
noter trois points significatifs. Le premier, c’est que pendant les cinq
années que dura la troisième cohabitation, de 1997 à 2002, le
Premier ministre Lionel Jospin s’était systématiquement refusé à
faire usage de cette procédure – non parce qu’elle s’avérait inutile,
mais pour des raisons de principe, par « respect […] à l’égard du
16
pouvoir parlementaire », et pour des raisons politiques, le chef
d’un gouvernement de cohabitation se devant de ménager la
majorité dont il tire toute son autorité.
Second point notable : le 12 février 2003, moins d’un an après
son entrée en fonction, son successeur, Jean-Pierre Raffarin, va au
contraire utiliser l’article 49 al. 3 à l’occasion des débats sur le
projet de loi relatif à la réforme des modes de scrutin aux élections
régionales et européennes. La difficulté, en l’espèce, ne venait
naturellement pas de la majorité, qui soutenait le gouvernement,
mais de l’énorme masse d’amendements déposés par les adversaires
du projet afin de bloquer la discussion et donc d’en retarder
l’adoption au moyen de ce détournement de procédure. Dans ce
contexte, l’utilisation du 49, al. 3, a, bien sûr, été contestée par les
auteurs des amendements. Pourtant, même si elle contraste avec
l’attitude du précédent gouvernement, cette utilisation semble
conforme à la logique d’un « parlementarisme rationalisé », et plus
largement, à l’esprit d’une Constitution avant tout soucieuse
17
d’efficacité .
Troisième point : l’article 49 al. 3, qui semblait être entré en
sommeil depuis 2006 et n’avait plus été utilisé sous la présidence
Sarkozy, a connu depuis 2015 un regain d’activité paradoxal mais
incontestable – du fait de la montée en puissance, au sein du groupe
socialiste à l’Assemblée, de ceux que l’on appelle les « frondeurs »,
hostiles à l’orientation jugée trop libérale du président Hollande et
de son Premier ministre. En 2015, c’est le projet de loi pour la
croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi
Macron », qui va alimenter cette « fronde ». Et conduire le Premier
ministre Manuel Valls à engager à trois reprises la responsabilité de
son gouvernement sur le vote du texte, en première, deuxième et
troisième lecture (février, juin et juillet 2015). Le 16 juin, le Premier
ministre, soucieux de justifier une utilisation peu conforme à la
tradition politique de la gauche socialiste, avait d’ailleurs déclaré
qu’il ne s’agissait pas d’un « acte d’autorité », mais d’un « acte
d’efficacité pour l’économie et pour les entreprises françaises ».
Cette arme s’est donc avérée d’une efficacité incontestable,
aucune des motions de censure votées à la suite de sa mise en œuvre
n’ayant recueilli, comme l’exige l’article 49 al. 2, les voix de la
majorité des membres composant l’Assemblée – même si plusieurs
d’entre elles, en mai et en juin 1967, ont failli l’obtenir. Elle
apparaissait comme le moyen par excellence, pour le gouvernement,
de tourner la séparation des pouvoirs et de s’approprier, au nom de
18
« l’efficacité […] gouvernementale », la compétence législative en
19
principe dévolue au Parlement et à lui seul .
Et c’est précisément pour cette raison qu’après avoir été
inlassablement combattue par les partisans d’un renforcement du
Parlement, elle sera l’une des cibles de la révision de juillet 2008.
Certes, celle-ci n’ira pas jusqu’à supprimer purement et simplement
le mécanisme de l’article 49 al. 3, comme certains le réclamaient.
Néanmoins, la révision va réduire sensiblement son champ
d’application : outre les projets de loi de finances et de financement
de la Sécurité sociale, sur lesquels le gouvernement entend, ainsi
qu’on l’a déjà noté, conserver un contrôle total, il ne peut plus être
utilisé que pour un seul texte par session – mais éventuellement à
plusieurs reprises, comme le montrent les trois engagements de
responsabilité suscités par la « loi Macron » en 2015.
Quoi qu’il en soit, l’usage systématique de l’article 49 al.3 – qui,
il faut bien le dire, relevait très largement du mythe – se trouve
désormais prohibé par la Constitution.

2. Après l’adoption
L’article 10, qui permet de demander au Parlement une nouvelle
délibération de la loi avant la promulgation de celle-ci, réserve ce
pouvoir au chef de l’État. Mais le Premier ministre dispose lui aussi
de moyens d’intervenir sur la loi votée, soit directement, avant sa
promulgation, soit, de manière indirecte, après celle-ci.

a. Avant la promulgation
Avant promulgation, le Premier ministre aura la possibilité de
saisir le Conseil constitutionnel en vertu de l’article 61, alinéa 2, en
particulier s’il estime que la loi empiète sur le domaine assigné au
règlement par l’article 37, et donc qu’elle excède le champ
d’intervention qui lui est réservé dans l’article 34 de la Constitution.
Toutefois, l’intervention du Premier ministre s’avère d’une
efficacité des plus limitées depuis que le Conseil constitutionnel,
dans une décision capitale du 30 juillet 1982 (82-143 DC, Rec. 57),
a jugé qu’une loi intervenant dans le domaine réglementaire n’était
pas, de ce seul fait, contraire à la Constitution. Cette position du
Conseil s’avère, malgré les apparences, assez conforme à l’esprit de
la Constitution de 1958, dont l’objectif n’était nullement d’établir un
système de normes rigides, mais de favoriser en tout état de cause
l’efficacité concrète de la machine étatique. Or, une telle
transgression des frontières établies par les articles 34 et 37 n’est
pas, en soi, préjudiciable à cet objectif, puisque l’efficacité exige
que, suivant les circonstances, un tel assouplissement puisse être
toléré. Mais elle exige également, en parallèle, que le gouvernement
ne puisse se faire forcer la main par le Parlement ; c’est pourquoi il
dispose du moyen d’empêcher, s’il le souhaite, de telles incursions,
en opposant l’irrecevabilité : celle de l’article 41, qui permet de
prévenir ces empiétements (voir plus haut), et celle de l’article 37,
alinéa 2, qui permettra d’agir après coup, pour récupérer les matières
perdues.

b. Après la promulgation
En vertu de l’article 37, alinéa 2, en effet, les textes de forme
er
législative intervenus dans les matières visées par l’alinéa 1 , c’est-à-
dire les matières « autres que celles qui sont du domaine de la loi »,
peuvent être modifiés par décret, après avis du Conseil d’État.
Toutefois, pour les lois adoptées après l’entrée en vigueur de la
Constitution, le gouvernement devra d’abord saisir le Conseil
constitutionnel, à qui il appartiendra de déclarer si elles relèvent
effectivement du domaine du règlement, et non du domaine de la
loi. Contrairement aux autres procédures permettant au
gouvernement de préserver le domaine réglementaire (art. 41 et
art. 61, al. 2), ce mécanisme de « récupération », inauguré par une
décision du Conseil constitutionnel du 27 novembre 1959, a été
20
fréquemment utilisé .

D. Les lois « particulières »


On doit évoquer, brièvement et pour conclure, les lois
« particulières » que sont les lois organiques, les lois de finances et,
depuis 1996, les lois de financement de la Sécurité sociale. Les unes
et les autres ont une importance politique considérable, les
premières en raison de leur contenu « matériellement
constitutionnel » (voir deuxième partie, chap. II), les autres, du fait
de la nécessité évidente, pour l’État, de disposer des moyens
financiers nécessaires à son action. C’est pourquoi leur mode
d’élaboration se distingue, parfois assez nettement, de celui des lois
ordinaires.

1. Les lois organiques


Évoquant les lois organiques dans son discours du 27 août 1958,
Michel Debré soulignait qu’il ne fallait pas que de telles lois fussent
hâtivement rédigées et votées. « Une procédure particulière […]
marquée par un long temps de réflexion et des pouvoirs accrus au
Sénat est destinée à faire des lois organiques des textes dotés d’une
plus grande stabilité, c’est-à-dire, comme il se doit, entourés d’un
plus grand respect 21. » Obligatoirement soumise au contrôle du
Conseil constitutionnel, la loi organique est donc élaborée en
prenant un certain nombre de précautions. Le temps, d’abord,
puisqu’il doit s’écouler six semaines au minimum entre le moment
où un projet (ou une proposition) de loi organique est déposé, et
celui où il pourra être soumis à la délibération puis au vote, délai
ramené à quinze jours si la procédure accélérée a été engagée dans
les conditions prévues par l’article 45. Le consensus, ensuite : en cas
de désaccord persistant avec le Sénat, l’Assemblée nationale ne
pourrait adopter une loi organique en dernière lecture qu’à la
majorité absolue de ses membres. Quant aux lois organiques
relatives au Sénat, elles devront, en toute hypothèse, être adoptées
dans les mêmes termes par les deux assemblées (art. 46, al. 4) : ce
qui signifie que l’Assemblée nationale n’a plus le dernier mot, et que
le Sénat dispose alors d’un droit de veto. Il en va d’ailleurs de
même, le Sénat étant directement concerné par la question, des lois
organiques déterminant le droit de vote et d’éligibilité aux élections
municipales accordé aux citoyens de l’Union européenne résidant en
France (art. 88, al. 3).

2. Les lois de finances et de financement


de la Sécurité sociale
a. Les lois de finances
En matière de lois organiques, la Constitution accorde une place
privilégiée au Sénat. Pour les lois de finances, en revanche, elle
semble faire la part belle à l’Assemblée nationale, titulaire
traditionnelle du pouvoir budgétaire, à qui seront soumis en premier
lieu les projets de loi de finances. Mais elle favorise surtout le
gouvernement, qui continue de contrôler la procédure du début à la
fin.
Cette prédominance du gouvernement se trouvait naguère
confortée par les dispositions de l’ordonnance organique du
2 janvier 1959, qui détaillaient les modalités d’élaboration des
différentes lois de finances : la loi de finances de l’année, prévoyant
et autorisant, pour chaque année civile, l’ensemble des ressources et
des charges de l’État, les lois de finances rectificatives, et enfin les
lois de règlement par lesquelles le Parlement contrôlait la manière
dont avait été mise en œuvre la loi de finances de l’année
précédente (art. 2 de l’ordonnance du 2 janvier 1959).
Ce vénérable monument juridique a vécu : il a été
progressivement remplacé, entre 2001 et 2005, par les dispositions
o er
de la loi organique n 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de
finances, dite « LOLF », appelée à devenir « la nouvelle Constitution
financière de la France ». En vertu de cette nouvelle loi, déclarait à
l’époque la secrétaire d’État au Budget Florence Parly, le Parlement
disposera « d’un pouvoir accru de contrôle démocratique sur le
22
budget », l’objectif affiché de cette (prétendue) « révolution
copernicienne » étant de rétablir, sur ce plan, un certain équilibre
23
entre l’exécutif et le législateur . La loi organique relative aux lois
de finances participe ainsi du mouvement général de renforcement
du Parlement dont la révision de juillet 2008 constitue jusqu’ici le
point ultime.
De fait, observe Arnaud Le Gall, la loi organique confère au
Parlement de nouveaux droits en termes d’information et de
contrôle – notamment en élargissant les pouvoirs des commissions
des finances des deux assemblées, et en détaillant la mission
d’assistance confiée à la Cour des comptes par l’article 47-2 de la
Constitution. Mais à beaucoup d’égards, cet accroissement doit être
relativisé. Par ailleurs, en effet, l’adoption de la loi de finances
annuelle continue de faire l’objet d’un protocole très précis, le
gouvernement devant impérativement disposer des crédits
nécessaires au début de l’année civile. À ce titre, l’article 47 réserve
l’initiative de la loi de finances au gouvernement et à lui seul,
puisqu’il n’existe que des projets de loi de finances (et non des
propositions…). L’Assemblée nationale, saisie de ce projet, devra se
prononcer en première lecture dans un délai de quarante jours, faute
de quoi le gouvernement aura la possibilité de saisir le Sénat, qui
devra alors statuer dans les quinze jours. Si le Parlement ne parvient
pas à adopter la loi de finances dans les soixante-dix jours,
l’article 47, alinéa 3 précise que les dispositions du projet de loi
pourront être mises en vigueur par voie d’ordonnance. Si, à
l’inverse, c’est par la faute du gouvernement que la loi « n’a pas été
déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet
exercice, le gouvernement demande d’urgence au Parlement
l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits
se rapportant aux services votés » (art. 47, al. 4).

b. Les lois de financement de la Sécurité sociale


Définies dans l’article 47-1 issu de la loi constitutionnelle du
22 février 1996, les lois de financement de la Sécurité sociale
constituent en tant que telles une nouvelle catégorie de lois,
innovation justifiée par l’ampleur des fonds gérés par la Sécurité
sociale (295,5 milliards d’euros de dépenses pour le régime général
en 2007), et par la sensibilité de l’opinion et des médias aux
difficultés financières qu’elle rencontre. La procédure d’adoption de
ces lois reproduit, pour des raisons analogues, celle prévue dans
l’article 47 pour la loi de finances, en fixant toutefois des délais
légèrement plus brefs (cinquante jours au total au lieu de soixante-
dix).
DEUXIÈME PARTIE
LES NORMES
Une fois évoquées les institutions de la Ve République, il importe
d’examiner l’ensemble des normes (juridiques) qu’elles produisent et
qui les encadrent : ce que l’on pourrait appeler « l’ordre
constitutionnel » (chap. II), non sans préciser que cet ordre, s’il est
dominé par la Constitution, comprend également des normes infra-
constitutionnelles, internes ou internationales.
Mais auparavant, il est nécessaire de s’arrêter sur l’organe qui,
plus que tout autre, a permis la formation de cet ordre en conférant
à la Constitution l’effectivité juridique qui lui avait toujours fait
défaut jusque-là : le Conseil constitutionnel (chap. I).
Chapitre I
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
En 1958, nombreux sont les participants aux travaux
d’élaboration de la future Constitution qui devinent l’importance à
venir du Conseil constitutionnel. C’est ainsi que devant le Comité
consultatif constitutionnel, Paul Coste-Floret affirme, avec d’autres,
qu’il s’agit de « l’une des pièces maîtresses 1 » du nouveau régime.
Quelques jours plus tard, Michel Debré souligne à son tour que
« l’existence de ce Conseil, l’autorité qui doit être la sienne,
représentent une grande et nécessaire innovation 2 ».
Encore faut-il préciser. Si innovation il y a, ce n’est que par
rapport à la France : ailleurs, aux États-Unis comme en Europe
occidentale, des instances comparables existent depuis longtemps, et
ont même servi de modèles aux constituants français. De plus, si
l’institution est originale, l’idée ne l’est aucunement. En France, la
volonté de contrôler la loi pour la soumettre à la Constitution
remonte à l’Ancien Régime, et en tout cas, sous des formes
« modernes », aux premières Constitutions écrites de l’époque
révolutionnaire. Mais il est vrai que toutes ces tentatives s’étaient
soldées, en pratique, par des échecs retentissants.
Précision complémentaire : dans les débuts de la Ve République,
le Conseil constitutionnel est loin de combler les vœux que l’on
vient d’évoquer, et sa souplesse constante à l’égard de l’exécutif, de
même que sa sévérité à l’encontre du Parlement, lui vaudront d’être
férocement critiqué. Ce n’est que peu à peu, à partir du début des
années 1970, que le Conseil constitutionnel va s’imposer comme une
instance indépendante et crédible, avant de monter en puissance, à
la faveur des révisions constitutionnelles et de sa propre
jurisprudence. C’est dans la perspective de cette dynamique que l’on
doit examiner le fonctionnement de cette institution (section I),
avant de s’interroger sur ses compétences, qui lui ont permis, au
cours des quatre dernières décennies, de jouer un rôle moteur dans
la construction de l’État de droit (section II).
Section I
Un juge politique ?

Même s’il est aujourd’hui difficile de nier le caractère


juridictionnel du Conseil constitutionnel, il faut tout de même
reconnaître qu’il demeure une juridiction à part. Il ne saurait en être
autrement, étant donné les compétences qui sont les siennes et qui
l’amènent, sur plusieurs plans parallèles, à réguler l’exercice de la
souveraineté. Par nature, le Conseil constitutionnel est le juge du
politique : et c’est pour cela qu’il est aussi, dans son organisation
(sous-section 1) comme dans son fonctionnement (sous-section 2),
un juge politique.
SOUS-SECTION 1
Organisation

Cette première question, celle de l’organisation du Conseil, est


évidemment fondamentale, puisque, derrière l’institution, ce sont
des personnes qui jugent. Elle renvoie donc à deux séries de
problèmes, la composition du Conseil, et le statut de ses membres.

A. La composition
C’est sur la question de sa composition que les critiques faites à
l’institution ont été les plus vives. Il faut reconnaître que c’est là que
son caractère politique affleure de la manière la plus visible, et ceci,
pour une raison que Michel Debré exposait déjà du temps de la
Résistance : « La magistrature ordinaire n’a pas l’autorité suffisante
pour trancher de tels litiges. Pour faire entrer dans nos mœurs cette
réforme légitime, il faudra […] un tribunal spécial dont la
composition fasse une large part aux exigences de la politique […].
1
Ainsi, le droit et l’opportunité seraient également représentés . »
Pourtant, il a fallu attendre plusieurs décennies avant que ces
critiques finissent par s’apaiser 2.

1. Les membres
Les membres du Conseil constitutionnel sont soit nommés, soit
de droit.
a. Les membres nommés
Les premiers sont désignés exclusivement par des politiques.
Selon l’article 56, en effet, « le Conseil constitutionnel comprend
neuf membres […]. Trois des membres sont nommés par le
président de la République, trois par le président de l’Assemblée
nationale et trois par le président du Sénat. » Or, les autorités
compétentes ont eu longtemps toute liberté de choix. Ainsi, les
nominations du président de la République relevaient-elles de ses
pouvoirs propres, et n’étaient-elles soumises à aucun contrôle. En
outre, contrairement à ce qui se pratique pour la quasi-totalité des
juridictions constitutionnelles étrangères, aucune condition de
capacité, aucun diplôme, aucune compétence juridique n’est exigée
des membres du Conseil – lesquels, en revanche, ont souvent une
expérience politique significative : environ 50 % des membres du
Conseil constitutionnel nommés depuis 1959 ont été ministres ou
parlementaires. Cette situation correspond donc toujours à l’idée
que les constituants de 1958 se faisaient du Conseil, régulateur des
pouvoirs et non pas Cour suprême – mais plus vraiment à ce qu’il a
fini par devenir depuis les années 1970. D’où l’intérêt, mais aussi les
réserves, que suscite sur ce point la révision de juillet 2008.
Désormais en effet, précise le nouvel article 56, la nomination des
membres effectuée par le président de la République est soumise,
conformément aux dispositions de l’article 13, alinéa 5, à l’avis de la
commission permanente compétente de chaque assemblée, et elle
e
est donc susceptible d’être refusée à la majorité des 3/5 . Quant aux
nominations effectuées par les présidents des assemblées
parlementaires, elles sont soumises « au seul avis de la commission
permanente compétente de l’assemblée concernée ». Ce qui signifie
certes la mise en place d’un vrai contrôle, ce qui devrait empêcher
les nominations de complaisance ; mais ce qui accentue en revanche
le caractère politique de ces nominations, lequel ne correspond plus
aux missions très techniques désormais assignées au Conseil
constitutionnel.

b. Les membres de droit


D’autant qu’à côté de ces membres nommés continuent de siéger,
en vertu de l’article 56, alinéa 2, les anciens présidents de la
République, qui « font de droit partie à vie du Conseil
constitutionnel ». La création de cette catégorie s’expliquait, en
1958, par des raisons conjoncturelles – il fallait penser au
reclassement du président Coty, sur le point d’être remplacé par le
général de Gaulle –, et par des raisons de principe : si l’on veut
conserver toute sa dignité à l’institution présidentielle, clé de voûte
du nouveau régime, il importe de conférer à ses anciens titulaires
une situation honorifique qui leur permette de demeurer dans l’État
sans pour autant repasser sous les fourches caudines de l’élection.
Mais cette solution n’est pas sans soulever certaines difficultés.
Conçue pour des personnalités en fin de carrière et qui, ayant
occupé la tête de l’État, ne songent plus guère à jouer un rôle
politique actif, elle s’avère peu adaptée à des personnages plus
jeunes. À ces derniers, il est très difficile d’interdire à tout jamais de
briguer un mandat électif du seul fait qu’ils ont été présidents, et
qu’ils sont pour cette raison « membres à vie » du Conseil
constitutionnel. D’où une solution intermédiaire, utilisée notamment
pour Giscard d’Estaing, consistant à « mettre en congé » les anciens
présidents lorsqu’ils sont par ailleurs élus, ce qui leur interdit
simplement de siéger au Conseil pendant la durée de leur mandat
électif 3.
En outre, on l’a noté plus haut, une telle situation ne correspond
plus à la nouvelle figure d’un Conseil perçu comme le garant ultime
de l’État de droit – cette présence encombrante faisant peser un
doute persistant sur la nature et l’impartialité de la juridiction
constitutionnelle. D’où la déclaration du président du Conseil
constitutionnel, Laurent Fabius, qui, en avril 2016, au tout début de
son mandat, appela à la suppression pure et simple de cette
catégorie, historiquement justifiable, mais désormais juridiquement,
sociologiquement et politiquement inopportune 4…

2. Le président du Conseil constitutionnel


Si les membres « ordinaires » du Conseil ont le plus souvent une
certaine orientation politique, il en va nécessairement ainsi de celui
qui est désigné président. Celui-ci, nommé par le président de la
République, « a voix prépondérante en cas de partage ». D’ordinaire,
le chef de l’État choisit donc à cette place hautement stratégique
l’un de ses fidèles, quelqu’un dont il peut être sûr : c’est ainsi que de
Gaulle nommera successivement deux proches, Léon Noël puis
Gaston Palewski, que Georges Pompidou fera de même en 1974 en
choisissant Roger Frey après avoir proposé le poste à Michel Debré,
et que François Mitterrand désignera à la présidence Daniel Mayer,
Robert Badinter puis Roland Dumas. En mars 2000, la nomination
d’Yves Guéna, gaulliste historique mais nullement inconditionnel du
chef de l’État, s’explique par les circonstances très particulières de sa
désignation, Yves Guéna ayant, au cours des mois précédents, assuré
en tant que doyen d’âge l’intérim du président Dumas, virtuellement
démissionnaire. Mais le choix de ses successeurs, Jean-Louis Debré
puis Laurent Fabius, confirme que la tradition subsiste.
À cet égard, on s’est souvent demandé s’il ne serait pas plus
satisfaisant de faire élire le président du Conseil par ses collègues.
Ce serait, affirmait Jean-Pierre Cot en 1974, « une élémentaire
5
garantie [d]’impartialité ». Mais il semble qu’il s’agisse, au fond,
d’une fausse bonne solution, à la fois parce qu’elle obligerait à
procéder à une nouvelle élection à chaque renouvellement, tous les
trois ans ; et parce qu’elle aurait pour conséquence, contrairement à
l’effet recherché, de faire entrer la politique au cœur même du
Conseil. Le président, observait le doyen Vedel, deviendrait alors
« bon gré mal gré le chef d’une majorité 6 », en conflit permanent
avec la minorité, pour le plus grand tort de l’institution.
En fait, la solution retenue correspond à la configuration actuelle
du système politique, le chef de l’État nommant le président du
Conseil qui a lui-même un rôle prépondérant – non seulement en cas
de partage des voix, mais également dans le fonctionnement
quotidien du Conseil, puisqu’il est chargé de le convoquer, de fixer
l’ordre du jour, de désigner le rapporteur de chaque affaire et,
naturellement, d’en présider les séances.

B. Le statut
Le statut des membres du Conseil vise, de façon très
traditionnelle, à garantir l’indépendance indispensable à l’exercice
de leurs fonctions.

1. La durée
Le principal élément de ce statut figure dans la Constitution elle-
même, qui précise que le Conseil se renouvelle par tiers tous les
trois ans, que la durée normale du mandat de chaque conseiller est
7
de neuf ans, et que ce mandat n’est pas renouvelable . Cette
dernière disposition assure aux membres du Conseil une réelle
liberté : elle leur permet d’assumer sans remords leur « devoir
8
d’ingratitude » à l’égard des autorités qui les ont nommés, sachant
qu’ils n’ont rien à en attendre et qu’il ne servirait à rien d’être
complaisant – le seul moyen plus efficace étant la nomination à vie
dont bénéficient les membres de la Cour suprême américaine.
Une fois en place, le conseiller est irrévocable : rien ne peut le
contraindre au départ, si ce n’est la « démission d’office », prononcée
par la majorité du Conseil pour des motifs graves, susceptibles de
compromettre la dignité de l’institution. C’est pour éviter une telle
procédure que le président Dumas avait finalement préféré
er
démissionner « volontairement » le 1 mars 2000.

2. Les incompatibilités
Afin d’en garantir l’indépendance, les fonctions des membres du
Conseil sont incompatibles avec celles de ministre et de membre du
Parlement (art. 57) : double incompatibilité que justifie la place
d’arbitre entre les pouvoirs conférée au Conseil.
L’ordonnance organique du 7 novembre 1958 dans la version
o
issue de la loi organique n 2013-906 du 11 octobre 2013 ajoute aux
fonctions incompatibles celles de membre du CESE et de défenseur
des droits, mais précise surtout que ces fonctions sont « également
incompatibles » avec « l’exercice de tout mandat électoral », de toute
fonction publique et de toute activité professionnelle ou salariée. On
ne doit pouvoir soupçonner la femme de César ; de même, l’autorité
et la crédibilité du Conseil exigent que l’impartialité de ses membres
9
ne puisse être suspectée .

Enfin, le statut de l’institution corrobore cette volonté d’assurer


l’indépendance de la fonction qu’elle exerce. Le Conseil bénéficie en
effet d’une triple autonomie, réglementaire (puisqu’il adopte ou
contrôle les règles qui régissent son propre fonctionnement),
financière et administrative – le Conseil disposant d’une
administration propre, d’ailleurs notoirement insuffisante au regard
de l’extension de sa mission.
SOUS-SECTION 2
Fonctionnement

Initialement rudimentaire, conformément au rôle restreint qui


était alors assigné au Conseil constitutionnel, la procédure en usage
devant lui s’est peu à peu rapprochée des procédures
juridictionnelles classiques, se conformant en particulier au principe
du contradictoire : désormais, le texte des saisines (depuis 1983) et
les observations en défense du gouvernement (depuis 1995) sont
publiés au Journal officiel. Progressivement, depuis la révision de
1974, le Conseil tend à s’identifier à une juridiction véritable. C’est
ce qui ressort des modalités de jugement et de saisine.

A. La saisine
De la facilité avec laquelle on peut la saisir dépend en grande
partie l’efficacité d’une juridiction ; d’où l’importance de la révision
de 1974 qui, en ouvrant la saisine à la minorité des assemblées
parlementaires, va provoquer l’essor du Conseil constitutionnel ;
mais aussi, l’intérêt de la révision de juillet 2008, qui l’attribue enfin
aux citoyens eux-mêmes.

1. La révision de 1974
La saisine du Conseil constitutionnel ne pose aucune difficulté
particulière en matière électorale (art. 58, 59 et 60). En
l’occurrence, il s’agit d’un contentieux assez classique, et le Conseil
pourra être saisi par les électeurs, les candidats, et, dans certains cas
(présidentielles, référendum), par les préfets. Pas de problèmes non
plus en ce qui concerne les lois organiques, les règlements des
assemblées, et depuis la révision de juillet 2008, les propositions de
loi mentionnées à l’article 11, dont le Conseil est saisi
automatiquement. À cet égard, la seule réelle difficulté concerne
donc le contrôle de conformité des lois ordinaires (art. 61, al. 2), et
subsidiairement, des engagements internationaux (art. 54).
Au départ, en effet, la saisine du Conseil fut volontairement
réservée aux quatre principaux personnages de l’État, le président de
la République, le Premier ministre et les présidents des deux
assemblées. Le but de cette restriction était double : empêcher une
contestation permanente de la loi et à travers elle, de l’action du
gouvernement, et parallèlement, interdire au Conseil de se
transformer en une Cour suprême toute-puissante, placée au-dessus
des autorités élues. La saisine du Conseil par une fraction
minoritaire du Parlement avait pourtant été défendue lors des
travaux préparatoires, en particulier par le député (et futur ministre)
gaulliste Raymond Triboulet 1, et même favorablement accueillie par
le Comité consultatif constitutionnel. Mais l’« amendement
Triboulet », selon lequel le Conseil pouvait être saisi par un tiers des
membres de chaque assemblée, disparut finalement du projet
définitif. Une Cour constitutionnelle, expliqua alors Michel Debré,
serait très vite insupportable à la fois au Parlement et « à un certain
sentiment populaire qui n’accepterait pas […] la transformation des
2
juges en élément politique fondamental de la vie française ».
La question ne cessera, dans les années qui suivent, d’agiter les
esprits. Cependant, il faudra attendre la révision initiée en 1974 3
sous l’impulsion du nouveau président du Conseil constitutionnel
Roger Frey, pour que le droit de saisine soit enfin étendu à soixante
députés ou soixante sénateurs (loi constitutionnelle du 29 octobre
1974, modifiant l’article 61, al. 2, de la Constitution). À l’époque,
cette révision fut jugée dérisoire par nombre d’observateurs –
notamment parce qu’elle semblait en retrait par rapport à l’idée
initialement lancée par le président Giscard d’Estaing de permettre
au Conseil de se saisir d’office de toute loi qui lui paraîtrait porter
atteinte aux libertés constitutionnelles. Pourtant, ce qu’on désignait
alors comme « le degré zéro de la réforme 4 » va rapidement susciter
une véritable révolution, en offrant à l’opposition parlementaire une
tribune permanente, mais surtout, en permettant au Conseil,
presque systématiquement saisi, d’affirmer sa position au cœur du
jeu institutionnel.
La révision de 1974 a suscité un saut quantitatif : alors qu’on ne
compte, de 1959 à 1974, que neuf cas de contrôle de la loi
ordinaire, ce sont plusieurs centaines de lois qui ont été déférées au
Conseil par les parlementaires depuis 1974. Et cet essor a entraîné à
son tour un saut qualitatif : jugeant (beaucoup) plus souvent, le
Conseil constitutionnel va être amené à juger différemment, et à se
rapprocher ainsi des juridictions classiques. À cet égard, il n’est pas
certain que des propositions plus radicales, comme l’autosaisine
imaginée par le président Giscard d’Estaing, eussent été plus riches
de conséquences que la révision adoptée en 1974. En toute
hypothèse, on imagine mal que le Conseil constitutionnel, étant
donné sa composition actuelle, soit plus puissant ou plus influent
qu’il ne l’est aujourd’hui.

2. La révision de 2008
L’exception d’inconstitutionnalité « consiste à permettre au juge,
lorsqu’il a à appliquer à un procès relevant de sa compétence une loi
dont la constitutionnalité lui semble douteuse, de soulever à
l’encontre de cette loi, soit d’office, soit à l’initiative des parties, la
5
question préalable de sa constitutionnalité ». Dans ce cas, le juge
pourra statuer lui-même sur la question (contrôle diffus, de type
américain) ou, au contraire, en saisir une juridiction
constitutionnelle spécifique, ce qui l’obligera à surseoir dans
l’attente de la décision (contrôle concentré, utilisé en Allemagne
fédérale, en Autriche, en Italie, en Espagne…). Dans tous les cas,
cependant, la loi déclarée inconstitutionnelle par exception ne
disparaîtra pas de l’ordre juridique où elle figure déjà –
contrairement à ce qui se passe avec le contrôle par voie d’action, à
la française. Elle sera simplement privée d’effets dans l’espèce
considérée.
Sous la IIIe République, l’introduction d’un tel contrôle avait
e
nourri un important débat doctrinal et politique. Mais sous la V , ce
n’est que vers la fin des années 1980, alors que le Conseil
constitutionnel s’est acquis la réputation d’un promoteur de l’État de
droit, que l’on va reprendre l’idée, et songer à lui donner
compétence pour ce type de contrôle, sur saisine des simples
citoyens, en plus de ses pouvoirs traditionnels. Évoquée par le
président du Conseil constitutionnel Robert Badinter, largement
répercutée par les médias, plébiscitée par l’opinion, l’idée est reprise
par le président Mitterrand le 14 juillet 1989, « à l’occasion du
bicentenaire de la Révolution française ». Le 28 mars 1990, un
projet de révision constitutionnelle est adopté en Conseil des
ministres, puis, fin avril, par l’Assemblée nationale.
D’une manière qui rompt avec le modèle américain pour se
rapprocher de ce que pratiquent certaines cours constitutionnelles
européennes, ce contrôle aurait été réservé au Conseil
constitutionnel, les juridictions ordinaires n’ayant que le pouvoir de
renvoyer les lois qu’elles auraient jugées contraires aux droits
fondamentaux aux juridictions suprêmes de leur ordre (Conseil
d’État ou Cour de cassation), à charge pour ces dernières d’en saisir
le Conseil. Mais l’impossibilité de trouver un texte de compromis
avec le Sénat en juin 1990 bloque la procédure de révision. À l’été
1990, celle-ci paraît définitivement enterrée, et les tentatives
périodiques de relance, notamment en 1993 suite au rapport du
comité Vedel, n’auront pas plus de succès.
Il faudra donc attendre quinze ans et la révision du 23 juillet
2008 pour que cette mutation pourtant largement consensuelle soit
consacrée, dans le nouvel article 61-1 : « Lorsque, à l’occasion d’une
instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la
Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de
cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé 6. »
On notera ici que le contrôle a un objet plus limité que celui visé
par l’article 61 : les justiciables ne peuvent saisir le Conseil que
lorsque des droits et des libertés constitutionnellement garantis ont
été violés, et non, par exemple, lorsqu’une loi leur semble porter
atteinte à une règle de compétence ou de procédure – les
justiciables, explique à ce propos le rapport du comité Balladur,
« n’ayant pas à s’ériger en gardiens » de la norme suprême, mais
7
simplement, à veiller au respect de leurs propres droits .

3. Conséquences
Dans le cadre du contrôle a priori de l’article 61, une fois le
Conseil saisi – par soixante députés, soixante sénateurs, ou par les
quatre autorités initialement compétentes –, la machine est lancée.
En ce qui concerne le contrôle de conformité, la saisine est en effet
définitive, sans que les requérants aient la possibilité de se désister.
C’est ce que le Conseil a rappelé à propos de l’« amendement
Malraux » qui attribuait la carte d’ancien combattant aux
volontaires des Brigades internationales. Après avoir signé la saisine
du Conseil, un certain nombre de parlementaires, pris à partie par la
presse, avaient jugé plus prudent de se désister. Le Conseil,
considérant qu’il ne statuait pas pour les requérants, mais au bénéfice
de la Constitution, a jugé ces désistements sans valeur et sans effet
(96-386 DC, 30 décembre 1996, Rec. 154).
Dans le cadre du contrôle a posteriori, en revanche, la possibilité
de se désister paraissait aller de soi, l’intérêt particulier de l’auteur
de la QPC, qui vise à défendre l’un de ses droits violés par une
disposition législative, étant incontestablement présent. Pourtant, la
loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’application de
l’article 61-1 de la Constitution en ayant décidé autrement,
l’article 23-9 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 dispose que
« l’extinction, pour quelque cause que ce soit, de l’instance à
l’occasion de laquelle la question a été posée, est sans conséquences
sur l’examen de la question ». Une solution qu’éclaire à vrai dire
l’objectif de la QPC, laquelle, par-delà l’intérêt particulier du
justiciable, vise à purger la législation en vigueur des dispositions
attentatoires aux droits constitutionnellement garantis.
Quant à la saisine du Conseil, elle a pour conséquence, dans le
cadre du contrôle a priori, de suspendre le délai de promulgation de
la loi : un délai qui, le cas échéant, ne recommencera à courir qu’à
compter de la décision du Conseil. Dans le cadre du contrôle a
posteriori, en revanche, la saisine du Conseil n’a aucun impact
immédiat sur la loi contestée, qui continuera donc à s’appliquer – et
ne cessera de produire des effets juridiques que si le Conseil la
déclare contraire à la Constitution, à partir de la date déterminée
par lui.

B. Le procès constitutionnel

1. Le contrôle a priori
Lorsqu’il est saisi d’une loi sur le fondement de l’article 61, le
Conseil a l’obligation de statuer dans un délai d’un mois qui peut,
s’il y a urgence, être ramené à huit jours sur demande du
gouvernement (art. 61, al. 3). Ce délai est bref : mais en réalité, le
Conseil, qui suit l’actualité politique et les débats parlementaires,
anticipe les saisines et peut donc s’y préparer. L’instruction de
l’affaire est confiée par le Président à un rapporteur, qui procède à
l’audition des représentants du secrétariat général du gouvernement,
chargé d’assurer la défense de la loi déférée, et à celle des
requérants.
On observe à ce propos que la loi n’est pas défendue par le
Parlement, qui l’a pourtant votée, mais par le gouvernement, qui est
généralement à son origine par le biais du pouvoir d’initiative : c’est
l’un des paradoxes de la Ve République, où ce sont des membres du
pouvoir législatif qui contestent la loi, alors que l’exécutif est chargé
de la défendre.
Sur la base du rapport, le Conseil, réuni en séance plénière,
prend à la majorité des membres présents une décision, qui sera
publiée au Journal officiel.

2. Le contrôle a posteriori
Si les éléments constitutifs du « procès constitutionnel » étaient
déjà présents avant la QPC, ils ne l’étaient, note Dominique
Rousseau, qu’« à l’état sommaire 8 ». C’est la mise en place de la QPC
qui leur a conféré une consistance et un relief inédits – le
« marqueur » le plus significatif de ce tournant étant la décision du
4 février 2010 portant « Règlement intérieur de la procédure suivie
devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de
constitutionnalité ».
Pour que l’on soit en présence d’un procès, il faut certes qu’il
existe un litige : critère décisif, dont Dominique Rousseau constate
qu’il est « clairement satisfait » dans le cadre de la QPC. Mais à ce
premier critère s’en ajoute un second, le « critère procédural ». Or,
lui aussi est désormais présent : « depuis la QPC, le Conseil est
formellement soumis aux exigences du procès équitable et du
tribunal neutre et impartial ». En somme, l’adoption par le Conseil
d’un tel « code de procédure » confirme que l’on est en présence
d’un procès véritable.

La saisine du Conseil, si elle est sans effets immédiats sur la loi


contestée, emporte ainsi deux conséquences procédurales. En
premier lieu, il appartient au Conseil d’en aviser les parties à
l’instance ou leurs représentants, mais aussi le président de la
République, le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée
nationale et du Sénat. En second lieu, en découle l’obligation pour le
Conseil de statuer dans un délai de trois mois à compter de sa
saisine. Le délai est supérieur à ce que prévoit le contrôle a priori,
mais il s’explique aisément : d’une part, l’urgence est ici moins
nécessaire, dans la mesure où le recours ne suspend pas la
promulgation d’une loi, et donc, l’application de cette dernière ;
d’autre part, la rapidité paraît hors d’atteinte, dès lors qu’il ne s’agit
pas de juger un texte sur lequel on a eu tout loisir de se préparer,
mais de statuer sur une loi en cours d’application dont on ne pouvait
anticiper la saisine. Ce qui n’empêche pas le Conseil de se prononcer
parfois très vite, lorsque cela s’avère indispensable : c’est ainsi que
le 2 février 2012, le Conseil constitutionnel est saisi par le Conseil
d’État d’une QPC introduite par Marine Le Pen portant sur les
dispositions de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du
président de la République au suffrage universel, prévoyant la
publication du nom et de la qualité des citoyens qui ont présenté les
candidats à l’élection présidentielle : la sempiternelle question du
parrainage… La question est potentiellement délicate (une telle
obligation ne porte-t-elle pas atteinte au principe du pluralisme des
courants d’idées et d’opinions ?), mais la réponse ne saurait
attendre, élection oblige. Le Conseil ayant tenu son audience
publique dès le 16 février, la décision QPC no 2011-233 sera rendue
publique le 21 février.

Dans le cas de la QPC, l’audience est à la fois contradictoire et,


sauf cas exceptionnels, publique. Les portes du Conseil
constitutionnel sont donc ouvertes aux parties, à leurs représentants
et au public.
À la fin de l’audience, le président du Conseil constitutionnel
renvoie l’affaire en délibéré et annonce la date à laquelle la décision
sera rendue publique. Cette dernière sera notifiée aux parties et
communiquée au Conseil d’État ou à la Cour de cassation ainsi qu’à
la juridiction devant laquelle la QPC avait été soulevée.

La diversité des missions assignées au Conseil constitutionnel se


manifeste, concrètement, par les (seize) différents types de décision
qu’il est susceptible de rendre, chacune de ces catégories étant
formellement identifiable par une initiale ou un acronyme. Ainsi,
par exemple, celles qui portent déclaration de conformité des lois, des
engagements internationaux et des règlements des assemblées
(art. 54 et 61) sont désignées par les lettres DC, alors que celles qui
procèdent au contrôle a posteriori (art. 61-1) sont identifiées par les
initiales QPC. Les décisions rendues sur examen de textes de forme
législative (art. 37, al. 2) sont reconnaissables à la lettre L ; celles qui
sont relatives aux incompatibilités parlementaires, par la lettre I ;
celles qui statuent sur la déchéance parlementaire, par la lettre D.
Les décisions portant sur la constitutionnalité des « lois du pays »
(art. 77) sont identifiées par les lettres LP, etc.
Mais toutes ces décisions ont en commun, du fait de leur origine,
de n’être susceptibles d’aucun recours et de s’imposer aux pouvoirs
publics et aux autorités administratives et juridictionnelles.
Section II
Le gardien de la Constitution

C’est sur ce plan que se marque surtout le caractère évolutif de la


situation du Conseil. D’abord conçu essentiellement comme un
gardien des institutions, il va peu à peu devenir, principalement,
celui de la Constitution, non sans interpréter de façon extensive sa
première mission.
SOUS-SECTION 1
Le gardien des institutions

Avec le Conseil constitutionnel, déclare Michel Debré en 1958, la


Constitution crée « une arme contre la déviation du régime
parlementaire 1 ».
Dans cette perspective, jugée prioritaire par les constituants, la
tâche assignée au Conseil est double.
D’une part, il lui appartient de s’assurer du fonctionnement
régulier des institutions issues du suffrage universel : on l’a vu à
propos du président de la République, notamment en cas
d’utilisation de l’article 16 2 ou de prolongation de sa mise en
œuvre 3, d’empêchement ou de vacance (voir première partie,
chap. II). On l’a noté aussi en ce qui concerne les rapports entre le
gouvernement et le Parlement, le Conseil exerçant alors, par le biais
des articles 37, al. 2, 41 et 61, un rôle de protecteur de la
compétence réglementaire. On l’a remarqué enfin à propos du
Parlement, le Conseil étant chargé de contrôler le règlement des
assemblées, de sanctionner leurs éventuels dysfonctionnements, ou
encore d’apprécier les incompatibilités et de prononcer la déchéance
des parlementaires inéligibles.
D’autre part, et de façon plus générale, il lui appartient aussi de
contrôler l’exercice de la souveraineté, lors de l’élection
présidentielle, des votations référendaires ou des élections
parlementaires. Sous la Ve République, on vote beaucoup plus
souvent que sous les régimes précédents : et c’est au Conseil qu’il
appartient de contrôler que le vote n’est pas seulement plus
fréquent, mais qu’il est aussi plus fiable, plus conforme aux règles en
vigueur, et, par là même, plus fidèle à ce que l’on suppose être la
volonté du souverain.

A. Le Conseil et l’expression
de la volonté nationale
Lors de l’élection présidentielle et des votations référendaires,
c’est le peuple tout entier qui se prononce, de manière unitaire. La
volonté souveraine se manifeste alors directement ; c’est pourquoi le
Conseil constitutionnel dispose dans ces deux hypothèses de
compétences analogues et, au fond, relativement circonscrites.

1. L’élection présidentielle
Pour l’élection présidentielle, l’intervention du Conseil
constitutionnel se situe principalement en amont.
Il est d’abord chargé du contrôle des candidatures : c’est lui qui
recueille et vérifie les parrainages, s’assure de l’éligibilité des
candidats et en publie la liste officielle. Parallèlement, il est consulté
sur l’organisation des opérations électorales, et, à l’aide de
magistrats « délégués », s’assure du bon déroulement du scrutin 4.
Sans doute est-il aussi compétent, après le vote, pour examiner
les réclamations dont il peut être saisi par un préfet ou par l’un des
candidats (art. 58, al. 2). Il annule d’ailleurs, pour irrégularité, un
nombre assez conséquent de suffrages individuels – plus de onze
mille en 1995. Toutefois, il semble inconcevable qu’il aille beaucoup
plus loin, et notamment, qu’il remette en cause l’ensemble des
résultats, tant pour des raisons juridiques, puisqu’il faudrait que les
irrégularités constatées soient suffisamment massives pour inverser
le rapport de forces, que pour des raisons politiques : une annulation
qui ne se produirait que plusieurs jours après les résultats
entraînerait des remous incontrôlables, mais également une
suspicion profonde, et peut-être définitive, à l’égard du Conseil.
Quelle que soit sa place actuelle, ce dernier n’a pas la légitimité
séculaire de la Cour suprême américaine, et c’est à juste titre que le
doyen Vedel soulignait son « insertion toujours équivoque et peut-
être fragile […] dans les institutions françaises 5 ».
En fait, lors de l’élection présidentielle, l’enjeu est tel que le droit
n’a plus vraiment sa place 6. C’est aussi pour cette raison qu’il n’est
pas possible de montrer sur ce plan la même sévérité que pour les
élections législatives en ce qui concerne le financement de la
campagne électorale. Si, en effet, les dépenses des candidats sont
plafonnées, et leurs comptes vérifiés par le Conseil constitutionnel,
une infraction aux règles en vigueur ne saurait avoir pour
conséquence l’inéligibilité de l’auteur de l’infraction : tout
simplement parce qu’il n’est pas concevable de déclarer la
déchéance d’un candidat élu, et de procéder à de nouvelles élections
auxquelles il ne pourrait même pas se présenter.
Elle peut en revanche avoir de lourdes conséquences financières,
comme le constata Nicolas Sarkozy après les présidentielles de 2012.
Ses comptes de campagne ayant été rejetés le 19 décembre 2012 par
la Commission nationale des comptes de campagne et des
financements publics, le Conseil constitutionnel confirma la décision
de rejet : ayant dépassé de 2,1 % le plafond autorisé, le candidat
Sarkozy dut acquitter une amende équivalant au dépassement, et se
7
vit privé du remboursement public des sommes engagées .
Enfin, après avoir examiné les réclamations, le Conseil
constitutionnel est chargé de proclamer les résultats du scrutin
(art. 58, al. 2) dans certains délais : les résultats du premier tour
seront publiés le mercredi suivant le scrutin, et ceux du second tour,
dans les dix jours qui suivent la fin des opérations.

2. Le référendum
En ce qui concerne les votations référendaires, le Conseil dispose
de pouvoirs similaires à ceux qui lui sont attribués pour l’élection
présidentielle. Conformément à l’article 60, il veille à la régularité
des opérations, il reçoit des réclamations à leur propos et en
proclame les résultats.
Cependant, en la matière, le Conseil a longtemps conçu sa propre
compétence de manière restrictive, à la fois en amont et en aval de
la votation.
En amont, il estimait, à l’origine, n’avoir qu’une compétence
consultative – et non juridictionnelle. C’est pourquoi il refusait de
connaître des réclamations dont il était saisi avant le scrutin contre
les actes préliminaires, considérant que les seules réclamations dont
il pouvait connaître en vertu de l’article 50 de l’ordonnance du
7 novembre 1958, étaient celles formulées à l’issue du scrutin. Le
Conseil va revenir sur sa position dans une série de décisions
rendues durant l’été 2000, au cours des mois qui ont précédé le
référendum sur le quinquennat du 24 septembre. Il déclare alors
« qu’en vertu de la mission générale de contrôle de la régularité des
opérations référendaires qui lui est conférée par l’article 60 de la
Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur
des requêtes mettant en cause la régularité d’opérations à venir dans
le cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait
de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle […],
vicierait le déroulement général du vote, ou porterait atteinte au
fonctionnement normal des pouvoirs publics 8 ». Désormais, le
Conseil opère donc le même type de contrôle sur les actes
préparatoires au référendum que celui qu’il exerce sur les actes
9
préalables aux élections parlementaires (11 juin 1981, Delmas) .
En aval de la votation, le Conseil constitutionnel peut être saisi
d’une réclamation, avant de procéder à la proclamation des
résultats. Pourtant, en vertu de sa propre jurisprudence, le principal
continue de lui échapper. Il s’est en effet déclaré incompétent pour
contrôler la constitutionnalité des lois référendaires, au motif que
celles-ci, « adoptées par le peuple à la suite d’un référendum,
constituent l’expression directe de la souveraineté nationale » (62-20
DC, 6 novembre 1962 ; de même, 92-313 DC, 23 septembre 1992).
C’est pourquoi, s’inspirant des conclusions du comité Vedel,
certains parlementaires avaient suggéré, lors des travaux
préparatoires à la révision du 4 août 1995, de rendre obligatoire le
contrôle du Conseil constitutionnel sur tout projet de loi soumis au
référendum, préalablement à celui-ci. L’objectif était de concilier le
principe de suprématie de la Constitution et celui de la souveraineté
du peuple – puisque ce dernier n’aurait eu alors à se prononcer que
sur des projets certifiés conformes à la Constitution. Mais cette
suggestion fut alors repoussée 10, et ne fut reprise que dans la
er
nouvelle formulation de l’article 61 al. 1 issu de la révision de
juillet 2008.

B. Les élections parlementaires


Suivant la tradition républicaine, c’est aux assemblées
souveraines, et à elles seules, qu’il appartenait de vérifier les
pouvoirs de leurs membres, et donc la validité de leur élection. Mais
e
si les assemblées de la III République assumèrent généralement ce
rôle avec une certaine impartialité, il n’en fut pas de même sous la
e
IV République, où le « règne des partis » se fit sentir, en 1951 et en
1956, jusque dans ces procédures. C’est pourquoi les constituants de
1958 décidèrent de confier au Conseil constitutionnel le contentieux
11
des élections législatives et sénatoriales . Il s’agit, cette fois, d’un
contentieux véritable, notamment parce que le Conseil est saisi,
comme n’importe quelle juridiction, d’une requête, et que son
jugement peut se traduire par l’annulation de l’élection contestée.
On doit néanmoins distinguer deux cas de figure, suivant que le
Conseil contrôle la régularité juridique ou la régularité financière de
l’élection.

1. Le contrôle de la régularité juridique


a. L’élection
Ce pouvoir lui est attribué par l’article 59, en vertu duquel il
statue « en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des
députés et des sénateurs ». La dimension contentieuse de ce contrôle
e
découle des termes mêmes de la Constitution. Sous la III et la
IVe République, tous les mandats faisaient l’objet d’une vérification
par l’assemblée concernée. Désormais, le juge constitutionnel ne
12
contrôle que ceux qui ont été contestés . De là certains éléments
caractéristiques de ce contentieux. Par exemple, la requête ne sera
recevable que sous certaines conditions relatives au requérant (qui
devra être un électeur de la circonscription ou une personne ayant
fait acte de candidature), aux délais (le Conseil devra être saisi dans
les dix jours qui suivent l’élection), ou encore à l’objet et à la forme
de la requête. De même, le Conseil ne pourra statuer ultra petita, au-
delà de ce qui lui a été demandé ; et il se trouvera dessaisi en cas de
désistement des requérants.
Cette requête n’aura aucun effet suspensif : l’élu dont l’élection a
été contestée demeurera en place jusqu’au jugement. Elle aura pour
seule conséquence de saisir le Conseil, qui instruira l’affaire, en
avisera l’élu concerné, ordonnera éventuellement une enquête et
prendra, enfin, une décision motivée. Le Conseil a alors le choix. Il
peut soit rejeter la requête, soit rectifier les résultats en cas d’erreur
de calcul, soit annuler l’élection contestée, soit, enfin, réformer la
proclamation des résultats et proclamer élu le candidat qui l’a été
régulièrement au vu des résultats.
Cette dernière procédure, la plus sévère puisqu’elle n’entraîne
pas de nouvelles élections et qu’elle n’offre pas de seconde chance
au candidat irrégulièrement élu, n’a, en fait, jamais été mise en
œuvre. Mais l’annulation elle-même n’est prononcée qu’avec
13
prudence par le juge constitutionnel, dans des cas limites . Il ne
suffit pas qu’il y ait eu fraude, pressions ou manœuvres : il faut
encore que celles-ci aient été d’une ampleur telle qu’elles aient pu
inverser les résultats du scrutin ou en altérer la sincérité. Et comme
de tels effets sont toujours d’appréciation délicate, le Conseil ne
reconnaîtra généralement leur existence que lorsque l’écart de voix
entre les candidats a été très faible, et qu’on peut ainsi présumer
qu’elles ont eu une « influence suffisante pour modifier le résultat du
scrutin » (commission constitutionnelle provisoire, 12 décembre
1958, Rec. 83). Au contraire, un écart de voix considérable, même
s’il résulte d’irrégularités « flagrantes » (7 juin 1973, Rec. 90) ou
« particulièrement condamnables » (8 avril 1986, Rec. 37), évitera
presque à coup sûr l’annulation – qui risquerait d’être interprétée
comme un désaveu de la volonté populaire. « Plus la fraude est
massive, ironisait à ce propos François Luchaire, moins elle est
14
censurée puisqu’elle a permis un large écart de voix . »

b. Le contrôle des actes préparatoires


Comme en matière de référendum, et pour le même motif, le
Conseil a longtemps refusé de contrôler les actes préparatoires aux
élections parlementaires (CCP, 12 décembre 1958, Rec. 87).
Cependant, le Conseil d’État s’étant lui aussi déclaré incompétent
pour connaître de certains de ces actes (CE 6 juin 1981, Delmas, R.,
p. 224), cette solution aboutissait à un déni de justice. C’est ce qui
décida le Conseil constitutionnel à interpréter plus largement sa
propre compétence, et à accepter ainsi de connaître de la légalité
d’un décret du président de la République portant convocation des
collèges électoraux pour l’élection des députés, sur saisine d’un
particulier 15.

2. Le contrôle de la régularité financière


Les lois du 15 janvier 1990, du 29 janvier 1993 et du 19 janvier
1995 ont chargé le Conseil constitutionnel de tirer les conséquences
d’irrégularités dans les comptes de campagne des candidats aux
élections à l’Assemblée nationale (et non aux élections sénatoriales).
Le Conseil est alors saisi par une autorité administrative, la
Commission nationale des comptes de campagne et des
financements politiques, qui, lorsqu’elle décèle des irrégularités dans
un compte de campagne, peut décider de le rejeter et d’en saisir le
juge constitutionnel. Celui-ci n’est pas tenu par la décision de la
CCFP. Cependant, s’il confirme l’existence d’irrégularités, il
prononcera les sanctions prévues par la loi (art. LO 128, al. 2 du
Code électoral) : l’inéligibilité pour un an, ce qui aura pour
conséquence, lorsque le candidat sanctionné a remporté l’élection,
de le faire déclarer démissionnaire d’office. Cela empêchera aussi ce
dernier de se présenter aux nouvelles élections partielles organisées
suite à sa propre démission, et lui fera en outre perdre son droit au
remboursement de ses dépenses électorales (art. L. 52-15 du Code
électoral). Par ailleurs, lorsque l’inéligibilité a été prononcée par le
Conseil suite à un dépassement du plafond des dépenses, la CCFP
condamnera le candidat à verser au Trésor public une somme égale
au montant du dépassement constaté définitivement par le Conseil
constitutionnel.
Ce type de sanction s’avère très dissuasif, puisque le candidat qui
ne respecte pas les règles risque de se retrouver non seulement privé
de son mandat, mais aussi personnellement ruiné. Pourtant, on a pu
s’interroger sur la légitimité d’un tel contrôle, et sur le caractère
parfois disproportionné de ces sanctions, alors que les fautes qu’elles
punissent résultent souvent de l’inexpérience des candidats et de la
complexité des textes. On s’est demandé aussi s’il n’était pas excessif
qu’une simple erreur comptable suffise à rendre nulle et non avenue
16
l’expression solennelle de la volonté populaire . Enfin, l’objectivité
même d’un tel contrôle peut paraître sujette à caution, puisque, si le
Conseil est parfois obligé de prononcer l’inéligibilité (par exemple,
lorsque le compte de campagne n’a pas été déposé dans les délais
prescrits), il en a simplement la faculté dans d’autres hypothèses
(notamment en cas de dépassement du plafond des dépenses), ce qui
pourrait lui permettre, le cas échéant, de se montrer plus souple
avec certains candidats qu’avec d’autres. Même en ce qui concerne
les élections parlementaires, le Conseil constitutionnel n’est pas, et
ne saurait être, un juge comme les autres.
SOUS-SECTION 2
Le juge de la Constitution

À côté de son rôle d’arbitre chargé de veiller au respect des


équilibres fondamentaux du système, le Conseil a acquis
progressivement celui de gardien de la Constitution au sens formel.
Dans son discours du 27 août 1958, Michel Debré soulignait que « la
création du Conseil constitutionnel manifeste la volonté de
subordonner la loi […] à la règle supérieure édictée par la
Constitution 1 ». Pourtant, malgré son importance, cette fonction
était alors perçue comme subsidiaire : ce n’est que peu à peu qu’elle
est devenue la fonction principale du Conseil constitutionnel.

A. L’objet du contrôle
L’objet du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel, c’est-à-
dire les différentes règles dont il lui appartient de vérifier la
conformité à la Constitution, paraît très étendu. Pour autant, il n’est
pas illimité : outre les actes qui relèvent de la compétence d’autres
juges, certaines normes lui échappent en raison de leurs origines,
qui les placent au-dessus de tout contrôle.

1. Les normes contrôlées


Au sein de cette première catégorie, certaines normes sont
obligatoirement déférées au Conseil. En vertu de l’article 61,
alinéa 1er, il en va ainsi des lois organiques avant leur promulgation,
le Conseil s’assurant qu’elles ont bien été prises « dans le respect de
la procédure prévue à l’article 46 » (60-6 DC, 15 janvier 1960,
Rec. 21), et naturellement, qu’elles sont conformes à la Constitution.
Il en va de même des règlements des assemblées parlementaires
avant leur mise en application, et des propositions de loi
mentionnées à l’article 11 avant qu’elles ne soient soumises au
référendum 2. Pour les autres normes, en revanche, la saisine du
Conseil, et donc le contrôle qu’il est susceptible d’effectuer, ne sont
qu’éventuels. Tel est le cas des lois ordinaires, des engagements
internationaux, ou encore des « lois du pays ».

a. Les lois ordinaires


Celles-ci, précise l’article 61, alinéa 2, « peuvent être déférées au
Conseil constitutionnel avant leur promulgation ».
À cet égard, on distingue habituellement deux « modèles » de
justice constitutionnelle : un modèle « américain », issu de la
jurisprudence de la Cour suprême, où la loi est contrôlée a posteriori,
après être entrée dans l’ordre juridique, et en général par voie
d’exception, par une juridiction quelconque saisie d’un litige à
l’occasion duquel elle a été invoquée. À ce modèle américain
s’oppose un modèle dit « européen », où la loi fait l’objet d’un
contrôle a priori, par voie d’action, exercé avant sa promulgation par
une juridiction constitutionnelle spécifique.
Jusqu’à la révision de juillet 2008, c’est à ce modèle européen
que se rattachait en gros le système français tel qu’il résultait de
l’article 61, alinéa 2. Selon cet article, en effet, la loi est contrôlée
après son adoption, mais avant sa promulgation, et donc
préalablement à toute mise en œuvre. En revanche, une fois
promulguée par le président de la République, elle ne sera plus
susceptible d’être déférée au Conseil constitutionnel. Entrée en
vigueur, la loi produira des effets de droit, même si elle est contraire
à la Constitution, jusqu’à ce qu’elle soit supprimée ou modifiée par
une loi postérieure. Cette situation présente des avantages pratiques
non négligeables, notamment sur le plan de la « sécurité
juridique » : les administrés savent ainsi que tant qu’elle n’a pas été
régulièrement modifiée, une loi promulguée est applicable, et qu’ils
doivent en tenir compte. Mais cette situation est plus gênante sur un
plan logique : comment, en effet, admettre la pleine validité
juridique d’une loi contraire à la Constitution – sinon par une
pirouette intellectuelle consistant à dire qu’en permettant leur non-
censure la Constitution autorise l’existence de normes contraires à
ses propres prescriptions ?
C’est pourquoi le Conseil, interprétant largement sa compétence,
a fini par contrôler indirectement les lois promulguées. Dans sa
décision du 25 janvier 1985 (85-187 DC, Rec. 43), il a admis la
possibilité de contester une loi promulguée à l’occasion de l’examen
d’une loi nouvelle qui lui a été déférée lorsque celle-ci modifie,
complète, ou affecte le domaine de la loi ancienne. Par la suite, le
Conseil constitutionnel va procéder à plusieurs reprises au contrôle
au fond de textes à valeur législative déjà promulgués à l’occasion
de l’examen de lois non promulguées les modifiant : pourtant, à une
3
exception près , il a toujours conclu à la conformité de la loi
ancienne.
Mais c’est aussi pour cette raison que certains, soulignant que la
protection des droits fondamentaux relève désormais de la
Constitution et non plus de la loi, ont réclamé l’instauration d’un
contrôle de celle-ci par voie d’exception, s’exerçant à l’occasion d’un
litige quelconque et à la demande des justiciables. Souhait
finalement accompli, on l’a vu, par l’article 61-1 issu de la révision
de 2008, lequel fait en quelque sorte de la France un système mixte,
où se trouvent combinés un contrôle par voie d’action et un contrôle
par voie d’exception.
Quant aux normes susceptibles d’être ainsi contrôlées,
o
l’article 23-1 de l’ordonnance n 58-1067 du 7 novembre 1958
portant loi organique sur le Conseil constitutionnel utilise les termes
volontairement larges de « dispositions législatives ». Ainsi le contrôle
peut-il porter sur tous les actes de valeur législative : c’est-à-dire, sur
les lois ordinaires, quelle que soit leur date (y compris antérieures à
1958) 4, mais aussi sur les ordonnances ratifiées, puisqu’elles ont
alors valeur légale, sur les ordonnances portant lois organiques
prises en 1958-1959 en application de l’ancien article 92 de la
Constitution, et même sur les lois organiques – lesquelles, ayant
nécessairement été contrôlées et déclarées conformes par le Conseil,
ne peuvent toutefois faire l’objet d’une QPC qu’en cas de
« changement de circonstances » prévu par l’article 23-2 5.

b. Les engagements internationaux


En ce qui concerne le contrôle a priori, le Conseil constitutionnel
est saisi des engagements internationaux dans les mêmes conditions
qu’il l’est des lois ordinaires, avant qu’ils aient été ratifiés ou
approuvés ; en revanche, il peut être saisi sans délai, aussi
longtemps que la loi autorisant la ratification n’a pas été
promulguée.
Ce qui diffère, ce sont les conséquences. Alors que les
dispositions d’une loi déclarées non conformes ne peuvent être
promulguées et sont donc inapplicables, l’engagement international
contraire à la Constitution ne disparaît pas de l’ordre juridique. Le
Conseil constitutionnel n’en aurait pas le pouvoir, puisque cet
engagement résulte de l’accord de plusieurs États. Simplement,
précise l’article 54, « l’autorisation de ratifier ou d’approuver
l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après
révision de la Constitution ».
Il ne saurait y avoir de contradiction entre le traité, applicable à
la France, et la Constitution. Mais comme le traité ne peut être
modifié unilatéralement ni renégocié à l’infini, c’est le cas échéant à
la Constitution de s’adapter. Et à cet égard, c’est donc au constituant
qu’il appartiendra de décider de la révision et de ses modalités.
En revanche, la QPC n’est pas applicable aux engagements
internationaux : prohibition logique, et qui s’étend aux lois
autorisant la ratification d’un traité, comme l’a souligné le Conseil
d’État dans les semaines qui ont suivi la mise en marche de cette
nouvelle procédure 6. Cette prohibition s’étend aux actes de droit
dérivé de l’Union européenne, ainsi que l’a précisé de son côté la
Cour de cassation, qui, le 18 juin 2010, refusa de transmettre au
Conseil constitutionnel une QPC portant sur un règlement de
7
l’Union .

c. Les « lois du pays »


Issu de la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, le nouvel
article 77 de la Constitution étend la compétence du Conseil
constitutionnel à certains actes du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Il
peut en effet être saisi des « lois du pays » prévues par l’article 104
de la loi organique du 19 mars 1999, dans un délai de dix jours, par
le Haut Commissaire de la République, le gouvernement de
Nouvelle-Calédonie, le président du Congrès, le président d’une
assemblée de province ou dix-huit membres du Congrès. Prononcée
dans un délai de trois mois, l’éventuelle inconstitutionnalité de la
« loi du pays » aura les mêmes effets que l’inconstitutionnalité d’une
loi ordinaire : elle ne pourra être promulguée 8.
Une identité que l’on retrouve aussi à propos de la QPC.
L’article 3 de la loi organique du 10 décembre 2009 relative à
l’application de l’article 61-1 de la Constitution a inséré dans
l’article 107 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la
Nouvelle-Calédonie un alinéa aux termes duquel « les dispositions
d’une loi du pays peuvent faire l’objet d’une question prioritaire de
constitutionnalité 9 ». Le cas échéant, celle-ci pourra donc être
abrogée par le Conseil constitutionnel.

2. Les normes échappant au contrôle


Dans cette catégorie figurent tout d’abord les actes qui relèvent
d’un autre juge que le Conseil constitutionnel : c’est ainsi que le juge
administratif, chargé d’examiner la « légalité » des actes
administratifs, a en réalité pour mission de contrôler leur conformité
à l’ensemble des normes supérieures, y compris constitutionnelles 10.
Cela n’implique pas que le juge administratif soit aussi juge
constitutionnel, pas plus qu’il n’est d’ailleurs juge communautaire.
Cela signifie seulement que, de par les compétences qui lui sont
attribuées, le Conseil constitutionnel ne saurait être qu’un juge
d’exception, auquel il « n’appartient pas de se prononcer sur la
légalité des décrets 11 », la Constitution ne lui ayant pas conféré une
telle compétence. Le rôle que lui ont attribué les constituants de
1958 n’est pas de faire respecter la Constitution en général, mais d’y
soumettre celui qui risque le plus de la transgresser, celui dont la
transgression serait aussi la plus lourde de conséquences : le
Parlement.
Et c’est pour des raisons parallèles que sa compétence ne s’étend
ni aux lois constitutionnelles, issues de la volonté du constituant 12,
qu’il ne pourrait d’ailleurs contrôler qu’en instituant explicitement
une hiérarchie des normes constitutionnelles (voir Souveraineté du
constituant), ni aux lois référendaires, adoptées directement par le
peuple. Sur ce dernier plan, le Conseil est demeuré, en 1992 (92-313
DC, 23 septembre 1992), fidèle à sa jurisprudence du 6 novembre
1962 (62-20 DC), si l’on excepte toutefois une variation significative
dans la motivation. Alors qu’en 1962 le refus de contrôler la loi
référendaire résultait « de l’esprit de la Constitution qui a fait du
Conseil constitutionnel un organe régulateur de l’activité des
pouvoirs publics », trente ans plus tard ce refus ne procède plus que
« de l’équilibre des pouvoirs établi par la Constitution »…
C’est pour tenir compte de cette jurisprudence, qui laissait au
moins virtuellement la porte ouverte à des lois contraires à la
er
Constitution, que le nouvel article 61 al. 1 issu de la révision de
juillet 2008 dispose désormais que « les propositions de lois
mentionnées à l’article 11 » sont obligatoirement soumises au
contrôle préalable du Conseil constitutionnel avant d’être soumises
au référendum.
La question qui demeurait en suspens était de savoir si cette
exclusion valait aussi dans le cas d’une QPC. Certains
commentateurs avisés, comme Bruno Genevois, reconnaissaient
qu’« il y aurait quelque paradoxe à ouvrir une possibilité de contrôle
par la voie de l’exception [des lois adoptées par la voie de
référendum]. Rien ne paraît justifier que le contrôle a posteriori
puisse être plus étendu que le contrôle a priori. »
Pourtant, l’hypothèse inverse paraissait défendable. Si, en vertu
de la jurisprudence du 6 novembre 1962, les lois référendaires ne
sont pas susceptibles d’un contrôle par le juge constitutionnel, en
revanche, une fois promulguées, elles ne constituent pas une
catégorie spécifique, dotées du fait de leur origine d’une valeur
supérieure à celle de lois adoptées suivant la procédure
parlementaire. C’est ainsi qu’elles sont susceptibles d’être modifiées
ou abrogées par une loi ordinaire. Voilà pourquoi on aurait pu
admettre qu’au regard de la QPC, la loi référendaire soit soumise au
même régime que la loi ordinaire qui peut la modifier.
Le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation d’une
QPC portant sur la conformité d’une disposition de la loi
référendaire du 9 novembre 1988 sur la Nouvelle-Calédonie à
l’article 72 de la Constitution garantissant le principe de libre
administration des collectivités territoriales, trancha la question
o
dans une décision n 2014-392 QPC du 8 avril 2014. Reprenant sa
jurisprudence classique, il déclara que, dès lors « qu’aucune
disposition de la Constitution ou d’une loi organique prise sur son
fondement ne donne compétence au Conseil constitutionnel pour se
prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité aux fins
d’apprécier la conformité aux droits et libertés que la Constitution
garantit d’une disposition législative adoptée par le Peuple français
par la voie du référendum », « il n’y a pas lieu, pour le Conseil
constitutionnel, de connaître des dispositions de la loi adoptée par le
13
Peuple français par voie de référendum le 6 novembre 1988 ».

B. Les effets du contrôle


Les contrôles opérés par le Conseil constitutionnel vont produire
deux types d’effets : des effets répressifs, qui se traduisent par une
sanction prononcée en cas d’atteinte à une norme protégée, et des
effets préventifs, qui peuvent être organisés par le Conseil lui-même,
ou résulter de comportements spontanés des pouvoirs publics.

1. L’effet répressif
À cet égard, il faut distinguer les effets proprement dits, et
l’autorité de la décision qu’il prononce.

a. Des effets variables


Pour les lois organiques, les lois ordinaires et les règlements des
assemblées, pour lesquels le Conseil est saisi avant leur
promulgation ou leur mise en application par la voie de l’article 61,
la conséquence de la décision de non-conformité est énoncée par
l’article 62, alinéa 1 : « une disposition déclarée inconstitutionnelle
ne peut être promulguée ni mise en application ». Sans être à
proprement parler « annulée », puisqu’elle n’a jamais véritablement
existé, elle se trouve définitivement « bloquée », et ne saurait
produire d’effets juridiques.
À ce propos, on note que la Constitution ne parle pas d’un
« texte », mais d’une « disposition », ce qui signifie que le Conseil,
s’il est saisi de la loi (ou du règlement parlementaire) dans son
entier, pourra ne censurer qu’une partie de celle-ci. Et de fait, les
décisions déclarant la non-conformité totale d’une loi sont peu
fréquentes, moins de 5 % de l’ensemble. Mais cette situation n’en
suscite pas moins certaines difficultés : peut-on admettre qu’une loi,
amputée d’articles peut-être fondamentaux, puisse malgré cela être
promulguée et s’imposer aux sujets de droit ? L’ordonnance du
7 novembre 1958 a permis au Conseil, lorsqu’il n’a censuré que
certaines dispositions d’un texte, de déclarer si elles sont, ou non,
inséparables de ce dernier. Si tel est le cas, le texte ne saurait être
promulgué. À l’inverse, si la disposition censurée est jugée séparable
du reste de la loi, celle-ci pourra être promulguée par le président de
la République, à moins toutefois qu’il ne décide de demander au
Parlement une nouvelle délibération, afin de « réaliser la mise en
conformité de la loi votée avec la Constitution en substituant aux
dispositions non conformes à celle-ci des dispositions nouvelles
faisant droit à la décision du Conseil constitutionnel » (85-197 DC,
23 août 1985).
Sur ce plan, le Conseil s’est arrogé d’importants pouvoirs
d’appréciation et de modulation. Toutefois, c’est indéniablement le
contrôle des lois promulguées par le biais de l’exception
d’inconstitutionnalité qui lui confère les pouvoirs les plus larges, lui
offrant la faculté de déterminer les dates d’effets de ses propres
décisions, mais aussi, les conséquences de celles-ci 14. « Une
disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de
l’article 61-1 », dispose à cet égard le nouvel article 62, alinéa 2,
« est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans
lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles
d’être remis en cause. »

Enfin, pour ce qui est des engagements internationaux, la


décision de non-conformité prononcée par le Conseil entraînera des
effets tout à fait différents, puisque le blocage ne peut être que
temporaire. L’engagement pourra être ratifié ou approuvé, mais
après révision de la Constitution, et il entrera ainsi en vigueur une
fois opérée l’éventuelle mise en conformité de cette dernière.

b. L’autorité de la décision
Sur ce point, la Constitution précise que « les décisions du
Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles
s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles » (art. 62, al. 3).
L’absence de recours contre les décisions du Conseil apparente
celui-ci à une juridiction souveraine – au même titre que le sont,
dans leurs ordres respectifs, le Conseil d’État et la Cour de cassation
–, à cette différence près que seule une intervention du pouvoir
constituant, et non une simple loi ordinaire, sera susceptible de
surmonter sa décision. L’autorité de ces décisions a été qualifiée par
le Conseil lui-même d’autorité de chose jugée (88-244 DC, 20 juillet
1988), ce qui signifie qu’elles s’imposent à tous, et non pas
seulement aux parties. En revanche, cette autorité ne concerne en
principe que l’affaire, ou le texte particulier, sur lequel s’est
prononcé le Conseil.
Celui-ci a toutefois précisé que cette autorité n’était pas
strictement limitée à la loi qui lui a été soumise, mais qu’elle
s’étendait aux dispositions d’une autre loi, même rédigées sous une
forme différente, dès lors qu’elles avaient « en substance un objet
analogue à celui des dispositions déclarées contraires à la
Constitution » (89-258 DC, 8 juillet 1989). En l’espèce, le Conseil va
déclarer non conforme une loi d’amnistie qui reprenait, quoique en
termes distincts, une disposition qu’il avait censurée l’année
précédente à l’occasion du contrôle d’une autre loi, au motif qu’elle
méconnaissait « l’autorité qui s’attache, en vertu de l’article 62 de la
Constitution, à [une] décision du Conseil constitutionnel ».
L’autorité de ces décisions s’impose aux pouvoirs publics : au
Parlement, dans la mesure où il est l’auteur de la loi, mais
également à l’exécutif, et en particulier au Président, qui, quoi qu’il
pense de la décision du Conseil, ne pourra promulguer une loi
déclarée non conforme.
Enfin, ces décisions s’imposent à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles. « La difficulté, note sur ce point
Élisabeth Zoller, vient de ce que la Constitution n’a pas fait du
Conseil constitutionnel une Cour suprême 15 » : les autres juridictions
sont certes tenues de respecter les décisions particulières du Conseil,
qu’elles ne peuvent contester en tant que telles, mais elles ne sont en
revanche nullement obligées de se soumettre à sa jurisprudence,
c’est-à-dire de respecter les principes dégagés par le Conseil à
l’occasion des affaires dont il est saisi. Il est vrai toutefois que les
juridictions, initialement méfiantes à l’égard du Conseil
constitutionnel, ont progressivement évolué à son égard, à mesure
qu’il s’affirmait comme l’incontournable protecteur des libertés.
Même si des divergences subsistent, elles ont désormais tendance à
adopter sa jurisprudence, confirmant ainsi le sacre du Conseil qui,
peu à peu et de manière informelle, accède au rang de « Cour
suprême ».

2. L’effet préventif
Cet effet capital se réalise suivant deux modes distincts : un
mode organisé par le Conseil lui-même, et un mode spontané
résultant du comportement des acteurs du jeu institutionnel qui, de
plus en plus souvent, préfèrent anticiper les décisions du juge
constitutionnel plutôt que d’en subir la censure.

a. La prévention organisée
À l’occasion d’une décision reconnaissant la conformité d’une
disposition dont il a été saisi, le Conseil peut soumettre la mise en
œuvre de cette dernière à certaines conditions. C’est la technique de
la « conformité sous réserve » : le texte n’est jugé conforme à la
Constitution que sous réserve d’être appliqué suivant les directives
expressément énoncées par le Conseil. C’est en ce sens qu’il s’agit
d’une technique préventive : l’interprétation du Conseil exclut par
avance les applications non conformes, et elle prévient ainsi les
atteintes à la Constitution.
Si elle a connu une véritable explosion au cours des années
1990, cette technique est pratiquement née avec le Conseil
constitutionnel, puisqu’on en trouve une première illustration dès
1959 (le règlement de l’Assemblée nationale étant alors déclaré
« conforme à la Constitution, sous réserve des observations qui
16
suivent … »). Par la suite, le Conseil va développer un certain
nombre de variantes, qui relèvent toujours du même principe. À cet
égard, on distingue trois types de réserves d’interprétation. Les
réserves « neutralisantes » consistent à déclarer qu’une disposition
ne peut être appliquée d’une certaine manière, sous peine de porter
atteinte à la Constitution. À l’inverse, l’interprétation « directive »
détermine comment la disposition contestée doit être appliquée pour
être conforme : ce faisant, elle s’adresse au gouvernement et à
l’administration qui la mettront en œuvre. Enfin, les interprétations
« constructives » manifestent avec le plus d’éclat les pouvoirs que
s’est attribués le Conseil, puisque celui-ci ne se borne pas à
déterminer la façon dont il faut lire les dispositions en question,
mais ajoute de son propre chef certains éléments à la loi afin de la
rendre conforme à la Constitution. En un sens, il tend alors,
pratiquement, à participer à l’œuvre du législateur.
L’effet préventif mis en œuvre par le Conseil paraît avoir ainsi
une portée encore supérieure à l’effet répressif de son contrôle : en
évitant de censurer, et en définissant lui-même la façon dont il
faudra, à l’avenir, comprendre et appliquer telle disposition, le
Conseil s’arroge un pouvoir sans commune mesure avec celui que
prévoyait initialement le constituant.

b. La prévention spontanée
L’effet préventif « spontané » concerne pour l’essentiel le
gouvernement, puisque c’est lui qui établit les projets de loi
(art. 39), dispose de l’administration (art. 20) et assure l’exécution
des lois (art. 21) : c’est donc à lui qu’il appartient, d’abord,
d’anticiper une éventuelle censure du Conseil. « Les ministres,
observait Robert Badinter, alors président du Conseil
constitutionnel, n’aiment guère voir leurs textes censurés. C’est
désagréable et quelquefois vexant de s’entendre dire qu’on a
méconnu la Constitution. Aussi, au moment de l’élaboration des
projets de lois, les experts, les conseillers qui entourent les ministres,
prennent le plus grand soin à veiller à ce qu’on ne méconnaisse pas
17
les dispositions constitutionnelles . » Cette pratique a été
officialisée dès 1988 par une circulaire du Premier ministre qui
demandait aux membres du gouvernement « de tout faire pour
déceler et éliminer les risques d’inconstitutionnalité susceptibles
d’entacher les projets de loi, les amendements et les propositions de
18
loi inscrits à l’ordre du jour ». Quant à la réalisation de ces
objectifs, elle passe à la fois par le secrétariat général du
gouvernement, chargé d’« un véritable rôle de veille
19
constitutionnelle », et par le Conseil d’État, dont les formations
administratives ont pour mission d’examiner la validité juridique
des projets de loi avant leur transmission au Parlement.
Mais cet effet préventif spontané s’exerce aussi à l’égard du
législateur. À ce propos, Guillaume Drago évoquait une « véritable
réécriture de la loi sous la dictée du Conseil constitutionnel », avant de
souligner que l’influence du Conseil sur le Parlement s’était
considérablement accrue depuis la mise en œuvre de la QPC en
2010 : « Placés plus que jamais sous le regard de la Constitution, la
loi et les législateurs doivent prendre en considération les exigences
constitutionnelles, même si les parlementaires peuvent considérer
que la question constitutionnelle ne se posera que plus tard, une fois
la loi entrée en vigueur et contestée par une QPC devant un juge
ordinaire, donc loin d’eux 20. » En fait, le législateur est encouragé à
pratiquer une autocensure vigilante, consistant à intégrer le
« surmoi constitutionnel » que représente désormais la jurisprudence
du Conseil.
C’est ce que soulignait le président du Conseil constitutionnel
Jean-Louis Debré lors de ses vœux au chef de l’État pour l’année
2014. Il y appelait à renforcer encore l’hégémonie juridico-morale
du Conseil, et n’hésitait pas à fustiger un législateur accusé d’avoir
osé enfreindre ses oracles : « À plusieurs reprises au cours de ces
derniers mois, des dispositions législatives ont été adoptées alors
qu’elles contrevenaient directement à l’autorité de la chose jugée
par le Conseil. Ce dernier n’a alors pu que les censurer une
deuxième, ou plutôt j’espère, une dernière fois. […] Cette situation
est préoccupante. L’État de droit est fondé sur le respect de la règle
de droit et des décisions de justice. Bien plus, pour le Conseil
constitutionnel, l’article 62 de la Constitution dispose que l’autorité
de ses décisions s’impose aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles. »
Ce qui est reproché au législateur, ce n’est pas de violer, au sens
propre, l’autorité de la chose jugée, mais de n’avoir pas
suffisamment intégré le « surmoi constitutionnel » précité. Bref, de
demeurer indocile – par exemple, en ayant l’audace de faire figurer
dans la loi de finances pour 2014 des dispositions qui, dans celle de
2013, avaient déjà fait l’objet d’une censure par le Conseil. De
manifester, en somme, une indépendance désormais scandaleuse,
car jugée attentatoire à l’État de droit que le Conseil estime
incarner.
Or, loin d’être jugée contestable, cette revendication impérialiste
va être aussitôt intégrée par les intéressés, et notamment, par le
gouvernement : lors du premier Conseil des ministres du
gouvernement Valls, en avril 2014, le nouveau Premier ministre
déclarera à l’intention des membres de son gouvernement que « le
21
risque d’inconstitutionnalité doit s’anticiper et s’évaluer ».
Chapitre II
L’ORDRE CONSTITUTIONNEL
Les normes juridiques qui composent le droit français forment un
ensemble cohérent et hiérarchisé : un ordre que l’on peut qualifier
de « constitutionnel », dès lors que la Constitution, qui y occupe le
rang suprême, réunit ces règles en un système dont elle détermine la
structure et l’organisation. Pourtant, il s’agit d’un ordre très
particulier, tant en raison de l’objet propre de la Constitution, que
des normes diversifiées que contient cet ordre, et des rapports que
celles-ci entretiennent entre elles, sous le contrôle du Conseil
constitutionnel.
Section I
Le bloc de constitutionnalité

Le terme de « bloc de constitutionnalité », acclimaté dans le


langage juridique français par le doyen Favoreu, désigne l’ensemble
des normes – ou plutôt des catégories de normes – à valeur
constitutionnelle, auxquelles le Conseil constitutionnel pourra
confronter les textes dont il est saisi. Pourtant, si familière soit-elle,
cette métaphore n’est pas sans susciter quelques interrogations, dans
la mesure où ce fameux « bloc » paraît à la fois mouvant, et d’une
cohérence assez relative.
SOUS-SECTION 1
Un ensemble en expansion

Corollaire de l’essor du Conseil constitutionnel, le phénomène


d’expansion de la constitutionnalité paraît si décisif qu’il conduit à
scinder l’histoire de la Ve République en deux périodes nettement
distinctes : avant, puis après la décision du 16 juillet 1971, par
laquelle le Conseil va affirmer avec éclat la valeur juridique du
Préambule de la Constitution de 1958 et, au-delà, des règles qui s’y
rattachent.

A. La Constitution des origines

1. La question du Préambule
En pratique, la question fondamentale, « Qu’est-ce que la
Constitution ? », renvoie à une interrogation plus concrète : quelles
sont les règles dotées d’une valeur constitutionnelle, et dont le
respect sera garanti contre les transgressions ? Ce qui, dans le cadre
de la Ve République, aboutit au problème suivant : les dispositions
du Préambule bénéficient-elles d’une telle protection
juridictionnelle ?
L’importance d’une telle question tient notamment au contenu
du Préambule, qui réunit des dispositions moins techniques
qu’idéologiques, et qui énonce les grands principes et les droits
fondamentaux des citoyens. Si on lui donne valeur constitutionnelle,
on place du même coup ces principes et ces droits hors d’atteinte du
législateur, qui devra les respecter sous peine d’annulation de la loi ;
parallèlement, on confère ainsi au juge chargé de garantir cette
norme suprême et de protéger les libertés qu’elle proclame une
légitimité, et donc une autorité, de premier plan.
Derrière la question de la valeur du Préambule, il y a donc un
choix politique. En refusant de reconnaître une valeur
constitutionnelle au Préambule, on fait prévaloir la volonté du
peuple à travers celle de la loi, « expression de la volonté générale ».
Au contraire, lorsqu’on affirme l’intangibilité des droits et des
libertés, situés au-dessus de la loi et presque au-dessus du souverain,
on se rattache à une tradition libérale, foncièrement méfiante à
l’égard des débordements de la démocratie, et qui préfère s’en
remettre à la raison des juges plutôt qu’aux passions de la foule.
C’est pourquoi cette question, qui remonte pratiquement à la
Révolution française, revient comme un leitmotiv, tout au long du
e e
XIX siècle, et surtout de la III République – où les libéraux regrettent
que l’on ne se serve de la Déclaration des droits « que pour la
pendre aux murs 1 », sans lui donner, malgré la révérence dont on
l’entoure, la moindre valeur juridique 2.
Après quelques hésitations, la Constitution du 27 octobre 1946,
fidèle à son inspiration dominante, va résoudre cette controverse en
faveur de la loi. Précédée d’un Préambule ambitieux, qui renoue
avec la tradition révolutionnaire des Déclarations des droits, la
Constitution dénie pourtant à ce dernier toute suprématie effective 3.
Bien que son article 81 évoque « la jouissance des droits et des
libertés garantis [à tous les citoyens] par le Préambule de la
présente Constitution », son article 92 précise en effet que le Comité
constitutionnel, chargé d’examiner la compatibilité des lois à la
Constitution, n’est pas compétent pour contrôler leur conformité aux
dispositions du Préambule.
2. La réponse des constituants
Assez paradoxalement, la Constitution du 4 octobre 1958,
quoique marquée par la pensée libérale, reprend des positions
analogues. Ses rédacteurs considèrent en effet que la Constitution au
sens propre n’intègre pas le Préambule qui n’a, selon eux, qu’une
valeur inférieure à celle-ci, et au mieux, législative 4. Les raisons de
ce choix ont, pour certaines, été évoquées plus haut. D’abord, la
fonction attribuée au Conseil constitutionnel est principalement
institutionnelle : il s’agit d’en faire un défenseur des équilibres
politiques, et non un garant des droits fondamentaux que les
constituants estiment d’ailleurs suffisamment protégés par l’autorité
judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle » (art. 66). Il s’agit,
ensuite, d’éviter l’accusation classique de vouloir substituer à la
démocratie un « gouvernement des juges », en offrant au Conseil le
moyen de mettre systématiquement en cause les décisions du
Parlement. « Ce qui est grave, affirme-t-on lors des débats
préparatoires, c’est le contrôle de constitutionnalité posé dans des
termes tels que le Conseil constitutionnel est habilité à contrôler la
conformité de la loi […] avec le Préambule de la Constitution » et
ses dispositions virtuelles, chacun appréciant d’une manière
particulière « ce que signifie ce Préambule et ce que sont les diverses
dispositions auxquelles il renvoie 5 ».
Dans ces conditions, il paraît à la fois inopportun et inutile de
conférer au Préambule une valeur constitutionnelle : à un membre
du Comité consultatif qui l’interroge à ce propos, le commissaire du
gouvernement Janot, représentant le général de Gaulle, répond :
« Non, certainement, […] le Préambule n’a pas valeur
constitutionnelle 6. » Pourtant, et c’est ce qui les distingue des
rédacteurs de la Constitution de 1946, les constituants de 1958
laissent ouverte, en ne l’interdisant pas explicitement, la possibilité
d’une reconnaissance ultérieure de la valeur constitutionnelle du
Préambule – évolution que certains d’entre eux ont d’ailleurs
souhaitée dès l’origine, et dont le Conseil constitutionnel lui-même
va très vite comprendre la nécessité 7.

B. Le tournant de 1971
Cette reconnaissance va pourtant attendre douze ans avant de
s’accomplir. Le 16 juillet 1971, saisi d’une loi relative au droit
d’association, le Conseil constitutionnel accepte pour la première
fois de contrôler la conformité d’une norme législative aux
dispositions du Préambule, et, plus précisément, à la catégorie la
plus incertaine de toutes celles qu’il contient, les « principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République », au nombre
desquels, affirme le Conseil, figure le principe de liberté
d’association.
La doctrine a parfois contesté le caractère révolutionnaire de
cette reconnaissance 8, rappelant en particulier que la décision du
16 juillet 1971 avait été précédée par une décision du 19 juin 1970
(70-39 DC), qui se référait déjà à « la Constitution et notamment [à]
son Préambule » – ce qui implique que ce dernier est une
composante de la Constitution, et qu’il a donc la même valeur que
celle-ci. Il n’en reste pas moins que l’on ne s’est rendu compte
qu’après coup de cette décision qui, sans celle du 16 juillet 1971,
serait sans doute restée dans l’ombre. Au contraire, la décision de
1971 fut immédiatement perçue comme une rupture décisive :
rupture sur un plan politique, puisque pour la première fois « la
haute juridiction se désolidarisait d’un choix important de
l’exécutif », mais surtout sur « le plan juridique, [où] sa décision
amorçait un tournant fondamental 9 ». Si le timide visa de juin 1970
pouvait passer inaperçu, l’audacieuse décision du 16 juillet 1971 ne
le pouvait pas. Une étape essentielle était franchie, puisque
désormais le Préambule tout entier, ainsi que les normes auxquelles
il renvoie, se trouvaient hissés au même niveau que le reste de la
Constitution. Ce qui signifie que désormais le Conseil constitutionnel
peut contrôler les textes dont il est saisi au regard d’une masse de
10
normes constitutionnelles « potentiellement illimitée », et dont il
est pratiquement libre, en interprétant le Préambule, de déterminer
le contenu.
À partir de cette décision, puis de celle du 27 décembre 1973
(73-51 DC), qui censure une disposition portant « atteinte au
principe d’égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des
droits de l’homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le
Préambule de la Constitution », le Conseil va suivre
méthodiquement la voie qu’il s’est lui-même ouverte. Ce faisant, il
s’est s’imposé comme le défenseur des libertés, mais aussi comme le
moteur de l’expansion des normes constitutionnelles, et de la
« constitutionnalisation » de l’ordre juridique qui en résulte.
SOUS-SECTION 2
Un ensemble hétérogène

L’expression « bloc de constitutionnalité », on l’a dit, ne rend


compte que de façon approximative d’un ensemble en construction
et en transformation rapide : d’autant que cet ensemble s’avère
fondamentalement complexe, sinon hétérogène, tant dans son
contenu que dans la valeur des normes qu’il réunit.

A. Dans son contenu


En France, soulignait Élisabeth Zoller, « à la différence de ce qui
se passe aux États-Unis et en Allemagne, les sources formelles de la
Constitution sont plurales. Qu’il s’agisse de la Cour suprême ou de la
Cour constitutionnelle allemande, l’une et l’autre n’appliquent que
leur Constitution […]. Le Conseil constitutionnel, lui, applique des
règles qui se trouvent dans d’autres instruments juridiques que la
1
Constitution de 1958 . »
Le bloc de constitutionnalité comprend tout d’abord les articles
er
de la Constitution elle-même, de l’article 1 à l’article 89, qui en
forment le noyau dur. Ces dispositions sont d’ailleurs les plus
fréquemment invoquées, et elles sont utilisées dans leur intégralité
par le Conseil constitutionnel, alors même que ce premier sous-
ensemble comprend, comme toute constitution écrite, des règles de
portée très différente – d’un côté, des normes « programmatiques »
énonçant les principes qui fondent le régime (art. 1 à 4, art. 5,
art. 66, art. 89), et de l’autre, des règles « procédurales » beaucoup
plus nombreuses, qui ont pour fonction de les mettre en œuvre.
Cependant, les ensembles normatifs les plus intéressants sont
ceux qui se rattachent au Préambule de la Constitution, et ceux qui
« dérivent » de celle-ci – les seconds, malgré les apparences,
n’appartenant pas au bloc de constitutionnalité.

1. Le Préambule et ses prolongements


Le Préambule de 1958, auquel la décision du 16 juillet 1971 a
reconnu une valeur juridique, est très laconique. Pour l’essentiel, il
se contente de rappeler « l’attachement » du peuple français « aux
droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels
qu’ils sont définis par la Déclaration de 1789, confirmée et
complétée par le Préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux
droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de
2004 ». Mais ce faisant, il renvoie explicitement à ces trois séries de
règles – auxquelles le juge constitutionnel va progressivement se
référer de manière autonome, en se dispensant de viser le
Préambule de 1958, bien que ce ne soit qu’à travers lui que les deux
premières ont valeur constitutionnelle 2.

a. La Déclaration de 1789
Même si sa valeur juridique est implicitement reconnue dès
1971, ce n’est que deux ans plus tard, dans sa décision du
27 décembre 1973, que le Conseil se réfère expressément à la
Déclaration de 1789. Reconnaissance tardive ? Au contraire,
l’audace du Conseil, qui va se servir de ce texte pour invalider une
disposition de la loi de finances, apparaît pleinement lorsqu’on sait
qu’en 1958, lors des débats préparatoires, c’est précisément la
référence à cette Déclaration presque bicentenaire qui était mise en
avant pour justifier le refus de donner une valeur juridique au
Préambule. « Je vous demande, questionnait alors Raymond Janot,
si vous estimez que les règles […] édictées en 1789 peuvent devenir
normatives au siècle où nous sommes ? Croyez-vous que la structure
de la société moderne est comparable à celle du XVIIIe siècle 3 ? »
En fait, loin d’utiliser ces règles comme des reliques, le Conseil
va profiter de leur plasticité et de leur généralité pour les resituer
dans le contexte contemporain, et pour en imposer une lecture très
constructive. Même s’il n’a pas eu l’occasion d’utiliser tous les
principes qui figurent dans la Déclaration, et bien qu’il ait surtout
fait usage de certains d’entre eux (le principe d’égalité de l’article 6,
le principe de légalité des délits et des peines de l’article 8, le
principe de liberté de pensée et d’opinion de l’article 11, la
séparation des pouvoirs énoncée à l’article 16, le droit de propriété
proclamé par l’article 17), il semble qu’il n’y ait pas lieu de
distinguer entre les dix-sept articles de la Déclaration, qui ont tous
effectivement valeur constitutionnelle.

b. Le Préambule de 1946
En 1946, les constituants ont fait précéder le texte
constitutionnel d’un Préambule qui expose de façon détaillée les
principes de la nouvelle République. Mais ceux-ci reflètent surtout
l’idéologie dominante et les rapports de forces de l’Assemblée
constituante. Après avoir réaffirmé « solennellement les droits et les
libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des
droits de 1789, et les principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République » – coup de chapeau à la tradition libérale –, le
Préambule proclame « en outre, comme particulièrement nécessaires
à notre temps », un certain nombre de « principes politiques,
économiques et sociaux », d’inspiration clairement socialiste.
Si on laisse de côté la question de la compatibilité de ces
différents principes, on note que le Préambule de 1946 énonce deux
nouvelles catégories de règles : les principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République, et les « principes politiques,
économiques et sociaux […] particulièrement nécessaires à notre
temps ».
Ces derniers ne posent pas de réelles difficultés, même si leur
formulation semble parfois trop large, trop imprécise pour qu’ils
soient susceptibles d’être effectivement mis en œuvre – on songe par
exemple au droit reconnu à chacun d’obtenir un emploi, ou au droit
qu’a tout être humain « d’obtenir de la collectivité des moyens
convenables d’existence ». Pourtant, ces principes ont tous, au moins
virtuellement, valeur constitutionnelle 4, et certains d’entre eux
s’avèrent même d’une très grande importance juridique – par
exemple, le consentement de l’État français « aux limitations de
souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix »
figurant dans l’alinéa 15 du Préambule.
Plus problématiques apparaissent les principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République – pour une raison évidente,
formulée jadis par Jean Rivero à travers « une triple question :
quelle République ? Quelles lois ? Quels principes 5 ? ». Car le
Préambule de 1946, alors qu’il énumère les principes
« particulièrement nécessaires », se contente d’évoquer l’existence de
ces « principes fondamentaux », sans prendre la peine de dire ce
qu’il entend par là. Le silence du texte est total, tout comme la
liberté qu’il laisse ainsi au juge constitutionnel de « découvrir » de
nouveaux principes : une liberté dont celui-ci usera d’ailleurs assez
largement, de 1971 jusqu’au milieu des années 1980 6. Mais une
liberté dangereuse, qui lui attirera des critiques virulentes,
condamnant cette création de « principes introuvables, […] à
géométrie variable, au contenu élastique ou aux effets aléatoires 7 »,
et le pouvoir illimité qu’elle lui confère.
C’est ce qui va pousser le Conseil à modifier son attitude à leur
égard.
Tout d’abord, il opère une clarification de la notion, en
particulier dans sa décision du 20 juillet 1988 (88-244 DC), où il
donne enfin des réponses aux trois questions de Rivero. Il n’y a de
principe fondamental qu’appuyé sur un texte législatif précis, adopté
sous l’une des trois Républiques qui ont précédé la Constitution de
1946 ; enfin, il doit s’agir d’un principe obligatoire, doté d’une réelle
constance et d’une généralité suffisante. Ainsi, et bien que les
conditions qu’il a posées demeurent assez peu contraignantes, le
Conseil n’est plus totalement libre de fabriquer à sa guise des
« principes fondamentaux ». Ni, symétriquement, de refuser de les
reconnaître, lorsque ceux qui le saisissent invoquent contre une loi
un principe fondamental correspondant bien à ces trois critères…
C’est du moins ce que l’on pensait jusqu’à la décision du 17 mai
8
2013, dite « mariage pour tous », où le Conseil a montré qu’il lui
arrivait de faire prévaloir des considérations politiques sur les règles
du jeu qu’il a lui-même instituées. En l’occurrence, la définition du
droit au mariage comme n’étant ouvert qu’aux personnes de sexes
différents apparaissait en effet, au regard des critères précités,
comme ayant « un caractère obligatoire et général », fondé sur une
législation « précise et constante […] adoptée sous l’une des
Républiques ayant précédé la Constitution de 1946 ». Les trois
critères étaient présents : en théorie, on aurait dû y voir un
« principe fondamental », et donc, invalider une loi dont l’article
central, niant ledit principe, n’était pas conforme à la Constitution.
Pour échapper à cette logique, le Conseil entreprit de modifier la
règle du jeu en se livrant au double mouvement que relate le
considérant 21 : « Si la législation républicaine antérieure à 1946 et
les lois postérieures ont, jusqu’à la loi déférée, regardé le mariage
comme l’union d’un homme et d’une femme, cette règle qui n’intéresse
ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni
l’organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe
fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier
alinéa du Préambule de 1946. »
En examinant ce considérant, on constate, d’abord, que le
Conseil rajoute un quatrième critère, inédit, portant sur l’objet du
« Principe fondamental » – lequel doit concerner les « droits et
libertés fondamentaux », la « souveraineté nationale » ou
l’« organisation des pouvoirs publics ». Toutefois, cette (opportune)
innovation ne suffisant pas à résoudre le problème, le Conseil se
livre dans un second mouvement à une interprétation tout aussi
spectaculaire de la notion de « droits et libertés fondamentaux », en
déclarant que le mariage n’en est pas un. Que lui-même ait déclaré
dans une récente décision 9 que « la liberté du mariage, composante
de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 », rend l’interprétation
acrobatique – puisqu’on voit mal comment la règle délimitant
l’étendue d’une liberté fondamentale (autrement dit, déterminant la
consistance de cette dernière), pourrait ne pas « intéresser les droits et
libertés fondamentaux »… Mais il faut ce qu’il faut : et voilà comment
la loi fut sauvée par le Conseil.
À propos des principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République, on constate enfin, parallèlement à une volonté de
clarification des critères, une tendance à la stabilisation de cette
catégorie qui, depuis la fin des années 1980 10, a pratiquement cessé
de s’enrichir de nouveaux principes. À ce jour, le Conseil n’en a
découvert de nouveaux qu’à deux reprises, en 2002, lorsqu’il
reconnaît le principe de l’atténuation de la responsabilité pénale des
mineurs 11, puis en août 2011, avec le principe fondamental relatif
aux dispositions particulières applicables dans les trois départements
du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle 12. Mais tout laisse à
croire qu’il s’agit de cas isolés. Désormais, par prudence, le juge
constitutionnel préfère fonder ses avancées jurisprudentielles sur des
règles écrites, et en particulier sur celles qui figurent dans la
Déclaration de 1789. Ce qui lui laisse une liberté de manœuvre
pratiquement équivalente, tout en conférant à ses audaces une
légitimité formelle indiscutable.

c. La Charte de l’environnement de 2004


L’idée d’une « Charte de l’environnement adossée à la
Constitution » avait été lancée par le président Chirac dès le mois de
mai 2001. Une commission dirigée par le paléontologue Yves
Coppens, nommée après la présidentielle de 2002, a remis au chef
de l’État un projet de Charte dont la version définitive fut présentée
en Conseil des ministres le 25 juin 2003. Cette Charte, déclare
l’exposé des motifs, a pour ambition de constituer « une troisième et
nouvelle étape du pacte républicain », faisant suite à l’affirmation
des droits civils et politiques par la Déclaration des droits de
l’homme de 1789, puis à la reconnaissance des droits économiques
et sociaux par le Préambule de 1946. Comme ces deux séries de
droits, la Charte se trouvera donc rattachée à la Constitution de
1958, et bénéficiera par conséquent de la même valeur normative. À
travers le Préambule, elle s’intégrera pleinement au bloc de
constitutionnalité.
On est toutefois tenté, comme pour les « principes politiques,
économiques et sociaux » de 1946, de s’interroger sur l’effectivité, et
même, sur la juridicité des principes figurant dans la Charte. Si
certains d’entre eux semblent dotés d’une réelle consistance, et
paraissent par conséquent susceptibles d’être mis en œuvre et
sanctionnés (notamment les articles 3, 4 et surtout 5, relatif au
principe de précaution), d’autres, en revanche, ressemblent fort à
er
des vœux pieux (article 1 : « Chacun a le droit de vivre dans un
environnement équilibré et favorable à sa santé » ; article 2 : « Toute
personne a le devoir de prendre part à la préservation et à
l’amélioration de l’environnement… »), relevant de l’ordre du
symbole beaucoup plus que du droit.
Depuis, le Conseil a expressément reconnu valeur
constitutionnelle à l’ensemble des droits et devoirs reconnus dans la
Charte 13, et a admis qu’il pouvait se livrer, sur cette base, aussi bien
à un contrôle a priori avant promulgation qu’à un contrôle a
14
posteriori selon le mécanisme de la QPC .
On notera pour conclure qu’en 2007, Nicolas Sarkozy, tout juste
élu à la présidence de la République, avait clairement suggéré à la
commission présidée par Édouard Balladur et chargée de préparer la
future révision constitutionnelle, de réfléchir à un nouveau
développement du Préambule. La commission Balladur ayant jugé
de telles adjonctions superflues et la révision du 23 juillet 2008
n’ayant pas touché au Préambule, Nicolas Sarkozy, très attaché à
cette idée, constitua à cet effet une nouvelle commission dont il
confia la présidence à Simone Veil. Mais encore, à la surprise
générale, cette commission renonça à proposer une révision en ce
sens, son rapport, Redécouvrir le Préambule de la Constitution, remis le
17 décembre 2008, jugeant sur ce point l’état du droit français
largement suffisant.

2. Les normes dérivées


L’hétérogénéité du bloc de constitutionnalité apparaît surtout
lorsque l’on considère les normes dérivées, ou déduites, c’est-à-dire
celles « qui se présentent comme des conséquences, comme des
15
modes d’exécution de la Constitution ».
Il existe en effet toute une série de règles auxquelles renvoie la
Constitution, et que le Conseil constitutionnel va, à ce titre, utiliser
comme des normes de référence.
C’est ainsi que, dès 1959, le Conseil contrôle la conformité du
règlement de l’Assemblée nationale aux ordonnances portant loi
16
organique de l’article 92 . De même, en 1960, il déclare les
dispositions d’une loi sur la redevance télévisuelle non conformes
aux prescriptions de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi
organique relative aux lois de finances, « et par suite à celles de
l’article 34 de la Constitution qui renvoie expressément à ladite loi
organique 17 ».
Pourtant, ces normes dérivées ne sauraient être considérées
comme faisant partie du bloc de constitutionnalité, sauf à vider cette
notion de sa substance.
Le problème est assez délicat. Le contrôle exercé par le Conseil
portant en effet sur la constitutionnalité des règles qui lui sont
déférées, on est d’abord tenté d’attribuer à toutes les normes de
référence qu’il utilise pour l’exercer une valeur constitutionnelle.
Mais ce qui sera sanctionné en l’occurrence, ce n’est pas la non-
conformité à la norme de référence (loi organique, ordonnance,
etc.), c’est, de manière indirecte, « par suite », la transgression de la
règle constitutionnelle qui renvoie à la norme en question, et qui
implique donc nécessairement que les normes d’application se
soumettent à cette dernière. Lorsque ces normes d’application sont
des lois, la sanction d’une éventuelle non-conformité ne peut être
que du ressort du Conseil constitutionnel, sans que cela confère pour
autant une valeur constitutionnelle aux « normes dérivées » en
question.
Cela se démontre d’ailleurs d’une autre manière. Si les lois
ordinaires doivent être conformes aux dispositions de certaines lois
organiques, dès lors que la Constitution renvoie à ces dernières,
celles-ci devront à leur tour être conformes aux règles contenues
dans le bloc de constitutionnalité. À elle seule, cette obligation suffit
à indiquer l’existence d’une gradation, que le Conseil constitutionnel
rappelle en soulignant que ces normes dérivées ne s’imposent
« qu’autant qu’elles sont conformes à la Constitution 18 ». Ce qui
implique qu’elles demeurent bien distinctes de la Constitution, à
laquelle elles sont subordonnées.

B. Dans sa valeur
Les normes contenues dans le bloc de constitutionnalité se
distinguent quant à leur nature, on vient de le voir, mais également
quant à leur valeur. Elles n’ont pas toutes la même effectivité, et les
nécessités de leur mise en œuvre impliquent même l’émergence
d’une certaine hiérarchisation.

1. Une effectivité variable


La première variation significative concerne l’effectivité de ces
normes, c’est-à-dire le degré de respect dont elles bénéficient de la
part de leurs destinataires, institutions, acteurs du jeu politique, etc.
L’une des caractéristiques du droit constitutionnel tient en effet à ce
que « le lien entre la règle de fond et la sanction n’a pas
l’automaticité qu’elle revêt en droit pénal ou en droit civil, et de ce
point de vue, [il] est cousin du droit international public, dans la
mesure où il est confronté à la question de l’effectivité de la
règle 19 » – pour une raison analogue, la présence immédiate du
pouvoir politique et de la souveraineté.
À ce propos, il faut mettre à part deux types de normes. D’abord,
celles dont l’objet même a disparu – comme, à la fin du Préambule
de 1946, celles qui concernent l’Union française ; ensuite, celles qui
s’avèrent à l’évidence trop vagues ou trop larges pour être
susceptibles d’application – comme le « droit au bonheur » des
Déclarations révolutionnaires, ou le « droit de vivre dans un
environnement équilibré et respectueux de la santé » proclamé par
la Charte de l’environnement de 2004. Dans l’un et l’autre cas, une
mise en œuvre s’avère pratiquement impossible. Par suite, on doit
s’interroger sur la nature de ces dispositions – et si l’on admet
qu’une effectivité minimale conditionne le caractère juridique d’une
règle, on sera tenté d’en conclure qu’il ne s’agit pas de normes
véritables, mais de préceptes moraux ou d’objectifs politiques qui,
malgré les apparences, n’appartiennent pas réellement au bloc de
constitutionnalité.
Cependant, même les règles qui relèvent indubitablement de
celui-ci n’ont pas toutes une effectivité identique. Parmi elles, il en
existe dont l’effectivité est totale, en ce sens qu’il n’est pas question,
pour leurs destinataires, de les transgresser. Il s’agit en particulier
des règles énonçant des obligations quantifiables (article 6 : le
président de la République est élu pour cinq ans au suffrage
universel direct), ou extrêmement précises (article 24 : le Parlement
comprend l’Assemblée nationale et le Sénat). D’autres règles sont
d’une effectivité moindre, quoique encore considérable (articles 34,
37, 38, 39), et l’on descend ainsi par degrés jusqu’à certaines
dispositions dont l’effectivité paraît très relative, au point qu’on a pu
se demander si elles existaient encore (article 27, al. 2 : le droit de
vote des membres du Parlement est personnel).
Mais l’effectivité de la règle dépend moins, au fond, de sa valeur
que de l’existence d’une sanction en cas de transgression. Or, pour
qu’une règle fasse l’objet d’une sanction, il faut d’abord que celle-ci
puisse être prononcée. Ce n’est pas le cas, par exemple, dans
l’hypothèse de l’article 8 (le Président met fin aux fonctions du
Premier ministre sur la présentation par celui-ci de la démission du
gouvernement) ou de l’article 20 (le gouvernement détermine et
conduit la politique de la nation), puisqu’il n’y a aucun moyen, ni
aucune instance, qui soit susceptible d’empêcher le Président de
révoquer son Premier ministre ou de déterminer à sa place la
politique de la nation. Et si elle est possible, encore faut-il que la
sanction soit voulue, à la fois par l’instance chargée de la prononcer,
et par les acteurs compétents pour la saisir. À cet égard, le cas de
figure du vote personnel paraît exemplaire : longtemps, en effet, ce
sont les autorités de saisine qui se sont refusé à demander au Conseil
de censurer la transgression systématique de ce principe
constitutionnel ; mais lorsque, enfin, le Conseil constitutionnel fut
saisi d’une loi adoptée en contravention avec ce principe, c’est lui
qui, dans sa décision du 23 janvier 1987 (86-225 DC), a renoncé à
sanctionner une transgression dont il ne contestait pas l’existence.
Cette double condition ne connaît qu’une exception
significative : lorsque la règle apparaît tout à la fois évidente et
fondamentale. Dans ce cas, en effet, c’est la crainte d’une sanction
d’un autre type, d’une sanction politique prononcée par l’opinion
publique puis lors des élections, qui contraindra les intéressés à se
conformer à la norme constitutionnelle.

2. Une hiérarchisation interne ?


L’idée qu’il existe une hiérarchie entre les règles contenues dans
le bloc a été contestée par de nombreux auteurs. Ceux-ci font
observer que la Constitution elle-même n’en établit aucune (à
l’exception de l’interdit formulé dans l’article 89 al. selon lequel « la
forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une
révision »), et que par conséquent le Conseil constitutionnel, par
prudence ou par pragmatisme, s’est toujours refusé à en instaurer
une de sa propre autorité.
Pourtant, en pratique, une telle hiérarchisation va s’avérer
indispensable, du fait de l’hétérogénéité du bloc de
constitutionnalité, afin de concilier entre eux des principes
constitutionnels d’inspirations antagonistes. D’où l’apparition, à
travers la jurisprudence du Conseil, d’un semblant d’ordre, qui
conduit à distinguer approximativement trois niveaux.
Au sommet, un certain nombre de principes intangibles semblent
ne pas avoir à être conciliés avec les autres, et ne pas pouvoir être
remis en cause. Ainsi le principe de dignité de la personne humaine,
qui tire sa suprématie de son caractère « matriciel », ou encore
l’objectif constitutionnel du pluralisme, qualifié par le Conseil de
« fondement de la démocratie 20 », dans la mesure où il constitue
« l’une des garanties essentielles des autres droits et libertés et de la
souveraineté nationale 21 ».
Juste en dessous de ces principes intangibles, les droits
ordinaires apparaissent, au contraire, susceptibles de conciliation
avec d’autres droits et libertés de même rang et de même nature. Il
en va ainsi, entre autres, de la liberté individuelle, de la liberté
d’enseignement ou encore du droit de grève, qui peuvent être
limités ou aménagés, à condition toutefois de ne pas subir
d’« atteintes substantielles ». C’est à ce niveau que la hiérarchie
paraît la plus incertaine, la conciliation entre deux règles
constitutionnelles s’effectuant suivant des paramètres variables, et
donc ne profitant pas toujours à la même. Mais la raison en est
simple : c’est qu’il n’existe pas de hiérarchisation au sein même de
cette catégorie.
En revanche, une hiérarchie réapparaît lorsque l’on compare les
droits contenus dans cette catégorie intermédiaire à certains
« objectifs à valeur constitutionnelle » mineurs, comme le droit à un
logement décent ou le droit au travail, ou qu’on les confronte avec
des droits de « second rang », comme le droit de propriété. Les
rapports entre ces derniers et les autres droits fondamentaux
s’analysent moins en termes de conciliation qu’en termes de
subordination. Et le Conseil ne sanctionnera le législateur qu’en cas
d’« atteinte excessive », assimilable à une véritable « dénaturation »
du droit en question 22.
D’où la possibilité de conclure, avec les réserves que l’on vient de
mentionner, à l’existence d’une hiérarchie interne des normes
constitutionnelles, d’ailleurs indispensable à la fonction qui leur est
assignée.
Section II
Les normes infra-constitutionnelles

Le bloc de constitutionnalité ne s’étend pas au-delà des limites


que l’on vient d’évoquer. Cependant, c’est bien la Constitution qui
va déterminer le mode d’élaboration des règles étrangères à ce bloc,
encadrer leur contenu et organiser leurs rapports, entre elles et avec
les normes contenues dans le bloc. Et c’est dans ce sens que les
normes infra-constitutionnelles, comme le droit international ou la
loi, relèvent de l’ordre constitutionnel.
SOUS-SECTION 1
La situation ambiguë du droit
international

Pour des raisons idéologiques, « l’orientation générale de la


Constitution du 27 octobre 1946 était nettement
internationaliste 1 », comme le proclamaient en particulier son
2
Préambule et ses articles 26 et 28, qui « établissaient une forme de
subordination du droit interne au droit international ».
Conçue en partie par réaction aux errances de la IVe République,
la Constitution de 1958 revient largement sur cette orientation en
rappelant le primat de la souveraineté et de l’indépendance
nationale. Pourtant, la rupture avec la IVe n’est jamais radicale : le
renvoi au Préambule de 1946 intègre donc les deux alinéas
« internationalistes » (14 et 15) que comprend ce dernier. En outre,
les constituants ne remettent pas en cause le principe de la
supériorité des traités sur les lois internes (art. 55), ce qui eût été
« perçu comme un manque de fidélité de la France 3 » à l’égard de
ses partenaires et de ses propres engagements. Ce qui importe seul,
au fond, c’est de préserver le sanctuaire de la souveraineté que
représente la Constitution. Mais même cet impératif reste conçu
d’une manière assez souple, puisqu’il est possible de conclure des
engagements internationaux contraires à la Constitution, sous
réserve de réviser cette dernière préalablement à leur ratification
(art. 54).
Les rapports du droit international, au sens large, et de la
Constitution de 1958, se placent donc sous le signe d’une certaine
ambiguïté. Malgré une valeur incontestablement supra-législative, le
droit international demeure exclu du bloc de constitutionnalité, en
4
dépit de certaines « turbulences jurisprudentielles » qui laissent
entrevoir la possibilité d’une intégration. Parallèlement, l’infériorité
des normes internationales à la Constitution n’empêche pas
certaines d’entre elles d’échapper à la censure du Conseil, ce qui
introduit, au sein de l’ordre constitutionnel, un autre type de
perturbation.

A. La non-intégration dans le bloc


de constitutionnalité

1. L’exclusion
Le principe de l’exclusion des traités et des accords
internationaux du bloc de constitutionnalité a été posé par le
Conseil dans sa décision du 15 janvier 1975 (no 74-54 DC). Il y
reconnaissait que les articles 55 et 61 confèrent aux traités « une
autorité supérieure à celle de la loi », « dans les conditions qu’[ils]
définissent ». Or, ce sont précisément ces conditions qui font
problème, puisque, contrairement à celle des normes
constitutionnelles, la supériorité d’une disposition issue d’un traité
« présente un caractère à la fois relatif et contingent, tenant, d’une
part, à ce qu’elle est limitée au champ d’application du présent
traité, et d’autre part, à ce qu’elle est subordonnée à une condition
de réciprocité dont la réalisation peut varier selon le comportement
du ou des États signataires, et le moment où doit s’apprécier le
respect de cette condition ». Le Conseil en tire une double
conclusion. D’abord, sur le plan des principes, « une loi contraire à
un traité ne serait pas pour autant contraire à la Constitution », ce
qui signifie que traités et Constitution continuent de former deux
ensembles distincts. De là, sur un plan contentieux : chargé de
contrôler la conformité des lois à la Constitution et à elle seule, il
n’appartient pas au Conseil d’examiner leur conformité aux
stipulations des traités internationaux « en raison de la différence de
nature de ces deux contrôles », et plus fondamentalement, de ces
deux types de normes.

2. Vers un infléchissement ?
Inlassablement critiquée, cette position n’en a pas moins été
maintenue par le Conseil, quoique sur des fondements qui diffèrent
en partie de ceux qu’il invoquait en 1975 : puisque, en particulier, il
est apparu assez vite que l’exigence de réciprocité, sans objet pour
les conventions internationales relatives aux droits de l’homme, ne
pouvait à elle seule fonder cette exclusion de principe. À partir de
1986, note Bruno Genevois, le Conseil « a agi en tant que
responsable à titre principal mais non exclusif de la mise en œuvre
5
de l’ordre constitutionnel », rappelant que « dans le cadre de leurs
compétences respectives, il incombe aux différents organes de
l’État », c’est-à-dire aux juridictions ordinaires, « de veiller à
6
l’application des conventions internationales ». Quant au Conseil
lui-même, s’il lui appartient « de s’assurer que la loi respecte le
champ d’application de l’article 55, il ne lui appartient pas en
revanche d’examiner la conformité de celle-ci aux stipulations d’un
traité ou d’un accord international ».
Pourtant, certaines dissonances jurisprudentielles semblent
laisser entrevoir une possible remise en cause partielle de cette
exclusion, au profit du droit communautaire, qui pourrait se voir
incorporer dans le droit constitutionnel. Dans sa décision du
2 septembre 1992 (92-312 DC), le Conseil constitutionnel avait jugé
que la loi organique relative aux modalités d’exercice du droit de
vote et d’éligibilité des ressortissants communautaires aux élections
municipales, prévues par l’article 88-3 de la Constitution, devrait se
conformer aux dispositions « prévues par le traité sur l’Union
européenne » et aux « prescriptions édictées [sur ce point] à
l’échelon de la Communauté européenne ». Ainsi, même non
contraire à la Constitution, une loi organique pourrait être
sanctionnée par le Conseil du fait de sa non-conformité à une
disposition communautaire. C’est ainsi que le Conseil va contrôler la
conformité d’une telle loi organique au droit communautaire,
7
primaire et dérivé . Peut-on en déduire que celui-ci se trouve
désormais intégré au bloc de constitutionnalité ? Sans doute pas,
pour les raisons évoquées plus haut à propos des « normes
dérivées », ou « déduites ». Comme pour ces dernières, ce n’est qu’à
travers la Constitution elle-même, qui renvoie expressément au
traité, que les dispositions conventionnelles se trouvent utilisées
pour contrôler la loi organique : ce qui signifie que la non-
conformité de cette dernière au droit communautaire impliquerait,
indirectement mais certainement, une contradiction avec la
8
Constitution, en tant que celle-ci renvoie au traité .

B. L’infériorité à la Constitution
Le bloc de constitutionnalité formant l’ultime échelon de
l’échelle des normes applicables dans l’ordre interne, il paraît
logique d’en déduire que le droit international, dans la mesure où il
n’appartient pas à ce bloc, se trouve en position d’infériorité par
rapport au droit constitutionnel.
1. Le principe
Cependant, même sur ce plan, les données du problème ne sont
pas d’une interprétation évidente. Si, énonce ainsi l’article 54, le
Conseil constitutionnel « a déclaré qu’un engagement international
comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de la
ratifier et de l’approuver ne peut intervenir qu’après la révision de la
Constitution ». Interdisant la ratification de dispositions
conventionnelles non conformes, il paraît plausible de voir dans cet
article « la consécration de la primauté de la Constitution sur le
9 e
droit international ». Plus fidèle à la tradition de la IV République,
l’article 55 se borne apparemment à énoncer le primat du traité sur
la loi interne. Pourtant, mis en perspective avec le 14e alinéa du
Préambule de 1946, il a pu être interprété comme « une déclaration
de principe affirmant nettement la supériorité de tout le droit
international général et conventionnel sur les normes internes, y
10
compris constitutionnelles ».
Sur ce plan, le système juridique tel qu’il résulte du texte
constitutionnel semble donc, au premier abord, caractérisé par ses
contradictions. Cependant, celles-ci disparaissent si l’on considère,
parallèlement aux règles, les moyens de leur mise en œuvre. Il
n’existe en effet, dans l’ordre juridique français, aucun organe
habilité à sanctionner la (prétendue) supériorité du droit
international sur la norme constitutionnelle, alors qu’il appartient
bien au Conseil de bloquer, lorsqu’il en est saisi en vertu de
l’article 54, la ratification d’un engagement international non
conforme à la Constitution : et donc de garantir la primauté de celle-
ci en laissant « en toute hypothèse le dernier mot au constituant 11 ».
Tel est le principe que le Conseil d’État rappelle, de façon
explicite, dans son arrêt d’assemblée du 30 octobre 1998, Sarran et
Levacher (R., p. 368). Saisi d’un décret organisant la consultation
électorale des populations de Nouvelle-Calédonie prévue par
l’article 76 de la Constitution, le Conseil d’État avait à apprécier la
conformité de ce décret aux dispositions de deux accords
internationaux, le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques et la Convention européenne des droits de l’homme. Mais
le décret ayant été pris sur le fondement de l’article 76 de la
Constitution, il s’agissait en réalité d’apprécier la conformité de cet
article aux dispositions des traités en question. Le Conseil d’État a
jugé que la « suprématie […] conférée aux engagements
internationaux » par l’article 55 ne concerne que les lois, et qu’elle
« ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature
constitutionnelle 12 ».
La portée de l’article 55 se trouve ainsi réduite à ce qui découle
expressément de ses termes (le traité prévaut sur la loi non
constitutionnelle). Mais surtout, et pour la première fois 13, la
suprématie de la Constitution se trouve explicitement affirmée, non
toutefois sans certaines réserves : « Même si le pouvoir constituant
est souverain, en ce sens que les lois constitutionnelles échappent au
contrôle de la conventionalité, il ne peut, souligne Bruno Genevois,
14
ignorer les engagements internationaux de la France . » Et ce,
d’autant que le Conseil a reconnu valeur constitutionnelle à la règle
pacta sunt servanda selon laquelle les accords (internationaux)
doivent être appliqués de bonne foi par ceux qui les ont conclus.
Enfin, par-delà ce premier constat, on a noté qu’en vertu de cette
jurisprudence, « le rang du droit international est antérieurement
déduit d’une disposition interne, [il dépend] des énoncés
constitutionnels, lesquels sont sujets à des changements échappant
15
totalement au droit international ». La supériorité de la
Constitution sur le droit international implique donc qu’elle pourrait
même, le cas échéant, remettre en cause la supériorité de ce dernier
sur les lois ordinaires.

2. La mise en œuvre
Si le principe de la primauté constitutionnelle paraît finalement
bien établi, sa mise en œuvre n’est pas totalement satisfaisante. À ce
propos, il faut distinguer suivant le moment où s’opère le contrôle
par le juge interne.

En vertu de l’article 54, le Conseil constitutionnel peut se livrer à


un contrôle a priori, avant ratification ou approbation. Mais il n’en a
la possibilité qu’à condition d’être saisi. Or, cette saisine étant à
l’origine conçue de façon très restrictive, l’intervention du Conseil
est longtemps demeurée marginale – seules quatre décisions ayant
été rendues en la matière avant 1992. Cela ne signifie pas que les
accords internationaux souscrits par la France depuis 1958 aient été
exempts de toute inconstitutionnalité, mais seulement que les plus
hautes autorités de l’État n’ont pas, à quelques exceptions près,
estimé opportun d’en saisir le Conseil. Depuis la révision du 25 juin
1992, celui-ci peut être saisi en outre par soixante députés ou
soixante sénateurs, ce qui ne peut qu’intensifier son
interventionnisme et réduire l’introduction d’engagements
internationaux non conformes. Pourtant, là encore, il ne s’agit que
d’une possibilité, et rien n’assure que certains actes internationaux
n’échapperont pas à ce contrôle, faute d’un nombre suffisant de
requérants.
En outre, la sanction de la primauté de la Constitution dépend de
l’attitude adoptée par le Conseil. Or, sa jurisprudence évolue, à cet
égard, avec le contenu de la Constitution et des normes de référence
qu’il peut utiliser.
La position initiale du Conseil était ferme. Dans une décision du
17 juin 1970 (70-39 DC) relative à l’attribution de ressources
propres à la Communauté européenne, il a ainsi jugé qu’un accord
ne saurait porter atteinte aux « conditions essentielles d’exercice de
la souveraineté nationale ». En parallèle, dans sa décision relative
aux élections à l’Assemblée européenne du 30 décembre 1976 (76-
71 DC), il a précisé que si les limitations de souveraineté étaient
effectivement conformes, en revanche, « les transferts de tout ou
partie de la souveraineté nationale » ne le sont pas. Distinguo subtil,
mais qui manifeste le souci de conserver la souveraineté dans son
intégrité et dans son indivisibilité. Dans sa décision relative au traité
de Maastricht du 9 avril 1992 (92-308 DC), le Conseil a rappelé
enfin que toute clause d’un traité ne correspondant pas à ces deux
critères serait contraire à la Constitution, et contraindrait à réviser
cette dernière préalablement à toute ratification. À cette occasion, et
pour la première fois, il déclare trois clauses du traité non
conformes à la Constitution.
À la suite de cette décision, la révision du 25 juin 1992 introduit
dans le texte constitutionnel des références expresses aux traités
instituant les Communautés européennes, ce qui va perturber les
règles du jeu – c’est-à-dire les normes de référence dont dispose le
Conseil. Saisi à nouveau du traité de Maastricht, celui-ci sera obligé
de reconnaître qu’en vertu de « la souveraineté du constituant » les
clauses jugées inconstitutionnelles dans sa décision du 9 avril sont
devenues conformes, puisqu’elles sont désormais expressément
autorisées par les articles 88-2 et 88-3 (92-312 DC, 2 septembre
1992).
Cela implique que le constituant peut tout faire, y compris porter
atteinte à la souveraineté qui fonde pourtant sa propre compétence :
mais qu’il ne le peut qu’en vertu de la Constitution elle-même, qui
apparaît ainsi comme le moyen juridique de sa propre
neutralisation. Telle est la démarche que l’on retrouvera dans la
décision du 31 décembre 1997 (97-394 DC) relative au traité
d’Amsterdam.
Une fois entré en vigueur, l’engagement international échappe
définitivement au contrôle du Conseil constitutionnel. Dans ce cas,
« le respect du traité semble devoir s’imposer comme s’impose le
respect de la loi promulguée, sans qu’il soit besoin de s’interroger
16
sur sa constitutionnalité ». Et cette véritable « immunité
constitutionnelle » s’étend au droit communautaire dérivé, adopté
par les institutions issues des traités instituant la Communauté et
l’Union européenne. Ces actes n’étant, comme le déclare le Conseil,
« que la conséquence d’engagements internationaux souscrits par la
France » (77-90 DC, 30 décembre 1977), ils bénéficient de la même
présomption de conformité que ces derniers. Situation d’autant plus
17
lourde de « perturbations constitutionnelles à venir » que ces
actes, adoptés au niveau communautaire, n’ont pas été directement
contrôlés par les autorités nationales, et que leur quantité est sans
18
commune mesure avec celle des accords internationaux classiques .
Ainsi le primat de la Constitution sur le droit international
récemment confirmé par le Conseil d’État n’exclut-il pas, en fait, la
présence massive, dans l’ordre juridique interne, de normes
internationales (virtuellement) contraires à la Constitution.
SOUS-SECTION 2
L’irrésistible déclin de la loi

En France, le thème de la suprématie de la loi est antérieur à la


Révolution, même si cette dernière lui a donné tout son relief.
Pourtant, l’apogée de la loi dans les premières années de la
Révolution précède de peu l’amorce de son déclin. La mystique
légaliste ne se relèvera jamais tout à fait de la faillite du
jacobinisme. Désormais convaincu que la loi peut être tyrannique, le
courant libéral, se souvenant des leçons de Montesquieu, va jouer la
Constitution, et les droits qu’elle protège, contre la loi. Étant donné
l’enracinement de la figure de la loi dans la culture politique
républicaine, du fait, aussi, de la « souveraineté » du Parlement,
l’entreprise de démystification sera forcément de longue haleine. Il
faudra plus d’un siècle pour que, dans les esprits, l’État de droit
l’emporte sur l’État légal, et plusieurs décennies encore avant que
l’essor du Conseil constitutionnel donne à ce passage une réelle
consistance juridique. Cependant, une fois la tendance amorcée, il
semble que le mouvement de déclin se poursuive d’une manière
irrésistible. Inférieure à la Constitution, mais aussi à un droit
international de plus en plus touffu, la loi ne s’impose plus qu’au
pouvoir réglementaire : et encore, le développement de certaines
collectivités infra-étatiques quasi autonomes contribue-t-il à réduire
cet ultime sanctuaire.

A. Une subordination croissante


Lorsque l’on parle d’une subordination croissante, cela ne
signifie pas que la loi descende graduellement dans la hiérarchie des
normes : mais que la masse des normes situées au-dessus d’elle
s’accroît peu à peu.

1. La loi et la Constitution
Ce mouvement de subordination et d’encadrement progressif de
la loi est très sensible dans ses rapports avec la Constitution.
On discerne à ce propos trois moments successifs. De 1958 à
1971, les normes constitutionnelles que doit respecter le législateur
sont peu nombreuses – ce sont celles qui figurent dans le texte de la
Constitution – et ne concernent, pour l’essentiel, que la
« constitutionnalité externe », les questions de forme (la loi doit être
adoptée selon telle procédure) et de compétence (le législateur
ordinaire ne peut empiéter sur ce qui relève du pouvoir
réglementaire ou de la loi organique). La situation change après la
décision du 16 juillet 1971 : d’un seul coup, avec la reconnaissance
de la valeur constitutionnelle du Préambule, la masse de normes que
le législateur doit respecter s’étend de manière illimitée. Et ces
normes ne concernent plus seulement la forme, elles portent
directement sur le fond, sur le contenu même de la loi, désormais
contrainte de respecter les droits et les libertés énoncés dans le bloc
de constitutionnalité.
L’activisme jurisprudentiel du Conseil constitutionnel n’est pas, à
l’égard de la loi, dépourvu d’ambiguïté : c’est notamment grâce à
son intervention que le Parlement a recouvré une part de l’autorité
qu’il avait perdue au début de la Ve République. Dans le même sens,
le Conseil a contribué à neutraliser la distinction établie par les
articles 34 et 37, notamment en refusant de considérer comme
inconstitutionnelle « une disposition de nature réglementaire
contenue dans une loi 1 ». Mais en sens inverse, sa jurisprudence
tend aussi à renforcer la densité du maillage constitutionnel qui
enserre la norme législative. C’est la troisième phase du processus,
caractérisée par le gonflement progressif du bloc de
constitutionnalité aux dépens de la liberté de mouvement du
législateur, mais aussi par la sophistication croissante du contrôle
effectué sur la loi. Ainsi, alors même que le Parlement retrouve, sur
un plan politique, une part de son autorité, la loi qu’il adopte
apparaît dans un état de subordination de plus en plus étroit.

2. La loi et le droit international


Sur ce point, l’article 55 de la Constitution est clair : « Les traités
ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur
publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve,
pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »
Plus problématique est la mise en œuvre de cette primauté, dont le
Conseil constitutionnel va affirmer, d’abord implicitement (dans la
décision IVG du 15 janvier 1975 2) puis de façon explicite, qu’elle ne
relève pas de lui, mais des juridictions ordinaires, judiciaires et
administratives 3.
Jusqu’alors, le juge ordinaire, s’il faisait traditionnellement
prévaloir le traité sur la loi antérieure (l’accord international étant
alors considéré comme l’expression la plus récente de la volonté du
souverain), refusait en général, en vertu du même principe, de faire
primer le traité sur la loi postérieure contraire. Suite à la décision du
15 janvier 1975, le juge judiciaire va rapidement abandonner cette
position. Dans un arrêt du 24 mai 1975, Société des cafés Jacques
4
Vabre , la Cour de cassation reconnaît qu’en vertu de l’article 55 de
la Constitution, le traité de Rome a une autorité supérieure à celle
des lois même postérieures. Durant quinze ans, en revanche, le juge
administratif refusera obstinément de sauter le pas : et ce n’est
5
qu’avec l’arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 que le Conseil d’État
s’aligne sur les positions de la Cour de cassation, conformément aux
vœux du Conseil constitutionnel. Cependant, comme le juge
judiciaire, c’est sur le fondement de l’article 55 – et non point d’une
primauté inhérente à la nature du droit international ou à la
spécificité du droit communautaire – que le Conseil d’État reconnaît
la supériorité du traité : parce qu’une loi qui enfreint un accord
international méconnaît ainsi nécessairement le principe
constitutionnel de l’article 55. Depuis, le Conseil d’État a étendu sa
6
jurisprudence à l’ensemble du droit communautaire . Là encore,
l’effet de masse est considérable, du simple fait de la quantité de ces
normes, qui imposent au législateur une contrainte de plus en plus
serrée – y compris dans des domaines aussi traditionnellement
réservés au Parlement que le budget et les finances publiques.

Une fois dessinée la tendance générale, il faut nuancer le propos.


L’article 55 est en effet moins simple qu’il n’y paraît au premier
abord, notamment parce qu’il ne reconnaît la primauté qu’aux
traités régulièrement ratifiés ou approuvés, et qu’il assortit cette
reconnaissance d’une condition, leur application par l’autre partie.
À la prendre au pied de la lettre, la définition du champ
d’application figurant dans l’article 55 paraît réduite. Mais si cette
lecture restrictive n’a jamais été admise par les tribunaux, ceux-ci
n’ont pas pour autant entendu donner une interprétation
exagérément extensive du texte. En particulier, ils se sont toujours
montrés réticents à l’égard de la coutume internationale, jusqu’à ce
que le Conseil d’État se prononce explicitement dans un sens
7
négatif . Si l’existence de la coutume en tant que norme est bien
reconnue, conformément d’ailleurs à ce qu’implique le 14e alinéa du
Préambule, qui se réfère indistinctement aux « règles du droit
international public », l’idée qu’elle aurait une valeur supérieure à
celle de la loi se trouve expressément récusée. En vertu de
l’article 55, cette primauté est réservée aux accords internationaux,
directement issus de la volonté de l’État, et aux normes qui en
dérivent.
Mais encore faut-il que ces accords soient respectés par les autres
parties : c’est la condition de réciprocité. À ce propos, il faut
rappeler que cette condition ne joue ni à l’égard du droit
communautaire dérivé, ni à l’égard des conventions humanitaires,
qui, reconnaît le Conseil constitutionnel dans sa décision 98-408 DC
du 22 janvier 1999 (RFDA, 1999, p. 285), « s’imposent à chacun des
États parties indépendamment des conditions de leur exécution par
les autres États parties ». Cette condition ne joue donc qu’en dehors
de ces hypothèses, l’absence de réciprocité ayant alors pour effet de
remettre en cause la valeur de l’accord, et plus précisément, sa
supériorité sur les lois (80-126 DC, 30 décembre 1980), qui, le cas
échéant, n’auront pas à se soumettre à ses dispositions.

B. Une supériorité résiduelle

1. La loi et le règlement
En 1958, l’offensive menée par les constituants contre la
primauté du Parlement se traduit, sur un plan normatif, par une
remise en cause de la suprématie de la loi. Comme certains s’en
scandalisent alors, « l’humiliation du législateur conduit à la
décadence de la loi 8 ». Expressément subordonnée à la Constitution
et aux traités, celle-ci est également limitée dans son champ
d’intervention, l’article 34 de la Constitution énumérant
limitativement les matières qu’elle peut traiter, sous la surveillance
du Conseil constitutionnel. Sur un plan institutionnel, le législateur
ne dispose donc plus que d’une compétence d’exception, la
compétence de droit commun appartenant au pouvoir réglementaire
en vertu de l’article 37. Et ce renversement se répercute sur le plan
normatif, puisqu’il semble logique d’en déduire que les règlements
autonomes, pris dans les domaines qui ne relèvent plus de la
compétence du législateur, ne sont plus subordonnés à la loi, mais
qu’ils ont la même valeur que celle-ci.
À l’époque, les commentateurs y verront une véritable
révolution, qui remet en cause deux siècles de suprématie de la loi.
Mais en fait, on comprendra vite que cette révolution n’a pas
(vraiment) eu lieu. Dès le 26 juin 1959, le Conseil d’État (Syndicat
général des ingénieurs conseils, R., p. 394, concl. Fournier, RDP, 1959,
p. 1004) juge qu’un décret du président du Conseil, pris sous
l’empire de la Constitution de 1946 mais analogue aux règlements
autonomes de la nouvelle Constitution, est soumis aux principes
généraux du droit, qui « s’imposent à toute autorité réglementaire,
même en l’absence de dispositions législatives ». Ainsi, ces principes
généraux, dégagés par le juge administratif, s’ils n’ont pas
« nécessairement » à être respectés par le législateur, s’imposent en
revanche, en toute hypothèse, à l’autorité réglementaire : ce qui
signifie que tous les règlements, quels qu’ils soient, ont une valeur
non pas égale, mais inférieure à celle de la loi. C’est ce que le
Conseil constitutionnel confirmera implicitement dans sa décision
du 26 juin 1969 (69-55 l), en reconnaissant que seul le législateur
peut déroger aux principes généraux du droit.
La loi demeure donc supérieure aux règlements, fussent-ils
autonomes, y compris aux plus élevés d’entre eux, les décrets
délibérés en Conseil des ministres. Pourtant, en dépit de cette
reconquête partielle que prolonge, sur un plan institutionnel, le
retour en grâce du Parlement, la suprématie du principe de légalité
n’est plus que résiduelle.

2. L’émergence de règlements à valeur


législative
En France, la loi est historiquement liée à la souveraineté de
l’État. C’est pourquoi l’érosion de celle-ci, notamment, sur un plan
interne, sous les coups de boutoir d’une décentralisation radicale,
contribue logiquement à l’affaiblissement du principe de légalité.
Même s’il demeure encore limité, sinon virtuel, on ne saurait donc
négliger ce phénomène qui pourrait impliquer à terme une remise
en cause de la hiérarchie traditionnelle, à travers l’émergence de
normes réglementaires « locales », à valeur législative ou quasi
législative.
On a déjà noté à ce propos le cas, singulier mais révélateur, de la
Nouvelle-Calédonie. Depuis la révision du 20 juillet 1998, qui fait
suite aux accords de Nouméa, certains des actes adoptés par
l’Assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie sont qualifiés de
« lois du pays ». Or, la plupart des matières ressortissant, en
métropole, de la compétence de la loi ordinaire, relèvent, en vertu
de la loi organique du 19 mars 1999 prévue par le nouvel article 77
de la Constitution, de ces « lois du pays ». Et ces dernières, si elles
doivent se conformer à la Constitution, ne sont plus susceptibles
d’être modifiées par une « loi du Parlement » français.
Cette attribution d’un pouvoir législatif à une collectivité infra-
étatique constitue, en France, une rupture historique ; la question
est de savoir si cette innovation a vocation à s’étendre, comme
certains le réclament depuis déjà plusieurs années.
Telle était la position défendue naguère par Alain Madelin, pour
qui « ces évolutions sont porteuses d’une nouvelle conception du
droit : dans une société de plus en plus complexe, la production du
droit échappe à la logique du Tout-État […] centralisateur et
jacobin » (Libération, 10 octobre 2000). Certes, on l’a vu, la loi
constitutionnelle du 28 mars 2003 n’est pas allée, sur ce plan, aussi
9
loin que le désiraient ses initiateurs , même si le nouvel article 72,
al. 4 consacre le droit à la dérogation et à l’expérimentation des
collectivités territoriales ou de leurs groupements, c’est-à-dire,
précisément, ce que préconisaient Alain Madelin ou les artisans des
accords de Matignon de juillet 2000. Mais à terme, on peut
parfaitement concevoir une accentuation de la décentralisation,
impliquant notamment une redéfinition de la loi, qui se bornerait à
énoncer le cadre normatif au sein duquel les collectivités locales
disposeraient d’une large autonomie.
Plus largement, une telle évolution contraindrait à repenser, et
sans doute à dépasser et à refaire dans son ensemble le système
constitutionnel actuellement en vigueur. Et l’on retrouve ici, à
défaut d’une conclusion, les perspectives et les incertitudes que l’on
évoquait dans l’introduction de cet ouvrage : des incertitudes dont
on a pu constater qu’elles pesaient de plus en plus lourdement sur
l’ensemble des pratiques, des institutions et des normes qui
constituent la Ve République.
GLOSSAIRE CRITIQUE

Cohabitation et Constitution
En 2000, le principal argument des partisans du quinquennat, qui
décrivaient ce dernier comme le seul moyen d’éviter à l’avenir de
nouvelles cohabitations et de sauver ainsi l’« avenir même de notre
régime politique » (J. Massot, Pouvoirs, no 91, 1999, p. 129), aura eu
au moins un mérite : celui de remettre en cause le mythe doctrinal
selon lequel la cohabitation serait « la Constitution, toute la
Constitution, rien que la Constitution » (François Mitterrand,
Message au Parlement, 8 avril 1986, cité in F. Luchaire et G. Conac,
Le Droit constitutionnel de la cohabitation, p. 323). La cohabitation ne
serait au fond qu’un retour à la Constitution telle qu’elle fut écrite et
conçue en 1958, dans la mesure où elle entraînerait de façon
automatique l’abandon d’« usages qui, au-delà des textes, ont accru
le rôle [du Président] dans les affaires publiques ». « Le phénomène
majeur de la cohabitation, expliquait à ce propos Anne-Marie
Cohendet, est en effet le retour à la lettre de la Constitution »
(« Cohabitation et Constitution », Pouvoirs, no 91, 1999, p. 46).
Mieux, c’est grâce à elle que l’on aurait enfin découvert, pour la
toute première fois, « le sens d’un texte jadis confusément enfoui
sous un amoncellement de pratiques contraires » (A.-M. Cohendet,
La Cohabitation, PUF, 1993, p. 8), la cohabitation provoquant ainsi
« une entrée en vigueur de la Constitution », « véritablement
révélée » par son intercession salvatrice.
On reste évidemment songeur devant cette mystérieuse Constitution
qui ne vient au jour que vingt-huit ans après sa naissance, et par
l’entremise d’une situation que ses rédacteurs auraient sans doute
vigoureusement récusée – avant de comprendre que toute cette
démonstration repose sur une certaine définition, très discutable, du
mot « Constitution ».
Tout dépend en effet de ce que l’on entend par là. Si la Constitution
est quelque chose de plus que la lettre de la norme, si elle est « un
esprit, des institutions [et] une pratique », alors il est clair que la
cohabitation, en bouleversant les usages, l’ordre et le
fonctionnement de l’État, opère un quasi-changement de
Constitution. Celui qu’entendait dénoncer le futur président du
Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud en 1997, lorsqu’il écrivait
dans Le Monde que la nouvelle cohabitation risquait d’entraîner la
« dégénérescence du pouvoir présidentiel », clé de voûte de la
Ve République (Le Monde, 26 juin 1997).
Mais qu’en est-il si, au contraire, on considère que la Constitution
n’est rien d’autre que « le texte approuvé par le peuple en 1958 et
révisé en 1962 » (A.-M. Cohendet, La Cohabitation, p. 324), et qu’elle
coïncide exactement avec sa lettre ? Même en ce cas, on est bien
forcé de reconnaître qu’elle « a encore été violée » durant la
cohabitation (ibid., p. 7). Cependant, contrairement à ce qu’avancent
les tenants de cette définition textuelle, la Constitution n’a pas été
violée en dépit de la cohabitation, parce que le retour au texte
n’aurait pas été « total », ainsi que le prétend le professeur Cohendet
(« Cohabitation et Constitution », p. 46), mais à cause d’elle. D’un
côté, en effet, celle-ci interdit au Président d’user de pouvoirs qui lui
sont constitutionnellement reconnus, comme celui de nommer, et
donc de choisir son Premier ministre : quoi qu’il ait pu en dire,
François Mitterrand fut contraint, en 1986, de faire appel au chef de
la nouvelle majorité parlementaire, puis, en 1993, au délégué de
cette majorité (Édouard Balladur). De même, Jacques Chirac fut
obligé, en 1997, de nommer à Matignon le leader de la Gauche
plurielle. Plus largement, c’est l’usage des principaux « pouvoirs
propres » du Président qui se trouve quasiment neutralisé en cas de
cohabitation : en particulier le recours au référendum de l’article 11,
qui ne peut être mis en œuvre par le Président que sur proposition
du gouvernement ou des deux assemblées. D’un autre côté, et à
l’inverse, la cohabitation pousse également le Président, lorsqu’il en
a l’occasion, à abuser de la règle en profitant de ses imprécisions :
par exemple, « à s’octroyer plusieurs droits de veto en refusant de
signer les ordonnances et les décrets de nomination en Conseil des
ministres » (A.-M. Cohendet, « Cohabitation et Constitution », p. 46),
ou en refusant d’inscrire à l’ordre du jour du Conseil des ministres le
projet de loi relatif à la Corse (14 février 2001). Veto présidentiel
qui n’aurait ni lieu, ni raison d’être en dehors du contexte
conflictuel inhérent à une telle situation.
En bref, quelle que soit la manière dont on conçoit la Constitution –
que l’on s’en tienne à sa lettre, ou qu’on y voie un ensemble vivant
de normes et de pratiques –, il semble que l’équation cohabitation
= Constitution relève, au mieux, de l’illusion d’optique.
Au mieux, puisqu’en réalité, comme l’a observé le doyen Vedel, la
cohabitation n’est « tolérable [que] pour le temps limité d’un
carême préparant la résurrection du pouvoir » (Le Monde, 23 avril
1997). Au-delà, « cet état de division intestine à l’intérieur du
pouvoir exécutif », comme le qualifiait Olivier Shrameck,
deviendrait « pernicieux », à la fois pour une Constitution qu’il ne
révèle pas mais dénature, et « pour le sens même de l’État » (RDP,
2008, no 1, p. 6).

►Bibliographie
La Cohabitation, Pouvoirs, no 91, 1999.
J. MASSOT, Alternance et cohabitation sous la Ve République, La
Documentation française, 1997.
J. MASSOT, « La Ve République est-elle soluble dans la
cohabitation ? », Mélanges Ardant, LGDJ, 1999, p. 163-172.
F. ROUVILLOIS (dir.), La Cohabitation ou la fin de la Ve République, F.-X.
de Guibert, 2001.

Domaine réservé
C’est d’abord parce que « tous les chefs de l’État » de la
Ve République en « ont à la fois contesté l’existence et revendiqué le
bénéfice » (J. Massot, Chef de l’État et chef du gouvernement, p. 103),
que la notion de domaine réservé apparaît si énigmatique.
L’expression est née le 15 novembre 1959, durant les Assises de
l’Union pour la nouvelle République (UNR), où Jacques Chaban-
Delmas, alors président de l’Assemblée nationale, évoque l’existence
d’un « domaine réservé » au chef de l’État, qui s’étendrait aux
questions internationales, algériennes et militaires. À l’époque, il ne
s’agit pas pour lui d’énoncer un nouveau principe constitutionnel de
répartition des compétences, mais simplement d’établir une
distinction interne à l’usage exclusif du parti gaulliste – et d’affirmer
que ce dernier n’a aucun droit de regard ni de critique sur ces
questions particulières, réservées au seul Président. Pourtant, le
succès immédiat de cette expression n’est pas dû à un quiproquo,
mais au fait qu’elle décrit au fond la pratique présidentielle telle
qu’elle est en train de s’affirmer à l’époque. Quel que soit le sens que
son inventeur ait voulu donner à cette expression, le général de
Gaulle se comporte, dès cette date, comme s’il existait effectivement
un tel domaine réservé.
Les « grandes affaires », et donc, au premier chef, les questions
internationales et militaires qui intéressent l’existence même de la
nation relèvent de celui qui est en charge de son destin. Toute la
difficulté vient de ce que la démarcation entre ces « grandes
affaires » et celles qui le sont moins n’est pas définie, et ne saurait
l’être – car il ne peut « y avoir de séparation étanche entre les deux
plans », souligne de Gaulle lors de sa conférence de presse du
31 janvier 1964. Cependant, si la frontière est mobile, elle dépend
toujours du Président, qui « procède à la répartition comme il le
juge nécessaire ». « Il n’y a pas de domaine réservé au chef de l’État,
pour cette bonne raison qu’ils lui appartiennent tous », confirmera à
ce propos Chaban-Delmas après avoir été Premier ministre du
président Pompidou (L’Ardeur, Stock, 1975, p. 255-256). Et c’est à
peu près ce que répétera Pierre Mauroy, Premier ministre de
François Mitterrand, constatant en 1982 qu’« il n’y a pas de frontière
fixée une fois pour toutes entre les activités du président de la
République et celles du Premier ministre. Par nature et par vocation,
le président de la République a autorité sur l’ensemble des
problèmes de la Nation » (cité in D. Chagnollaud et J.-L.
Quermonne, La Ve République, t. II, p. 68). Autrement dit, il existe
bien un domaine réservé, mais cette réserve ne joue que dans un
sens, pour interdire au Premier ministre d’intervenir dans le champ
d’action du Président, sans pour autant empêcher ce dernier
d’étendre ce domaine à sa guise en fonction des circonstances.
La principale question que soulève cette notion est celle de sa nature
juridique. Si l’on y regarde d’un peu plus près, on aperçoit en effet
deux phénomènes curieusement apparentés : d’une part, le fait
e
qu’un tel domaine a bien existé, notamment sous la III République,
au profit du chef de l’État, d’autre part, le fait que sous la Ve, le
domaine réservé a en partie survécu aux cohabitations qui se sont
succédé depuis 1986.
Sous la IIIe République, le Président, par ailleurs presque
complètement dépossédé de ses attributions, conserve un réel
pouvoir d’action en matière diplomatique et militaire : « je ne
permets à personne, proclame ainsi Jules Grévy, de diriger deux
choses : la guerre et les affaires extérieures […]. Les ministres sont
mes commis. S’ils ne marchent pas à ma fantaisie, je les change »
(cité in J. Massot, L’Arbitre et le Capitaine, p. 51). De fait, Grévy
interviendra activement dans ces secteurs, de même que ses
successeurs Carnot, Faure et Loubet, à l’origine de l’alliance franco-
russe, ou encore Poincaré, écrivant en janvier 1913 qu’il saura
« veiller à l’unité de la politique étrangère » (cité in A. Esmein et H.
Nezard, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, t. II,
p. 176-177). La position d’infériorité du Président ne l’empêche
donc ni de revendiquer ni d’assumer un tel rôle.
e
Or il en va de même, sous la V République, durant les périodes de
cohabitation. Le chef de l’État conserve alors une marge de
manœuvre significative en matière diplomatique – continuant par
exemple de représenter la France aux sommets internationaux ou
aux Conseils européens – comme en matière militaire : « Celui qui a
la responsabilité ultime de l’emploi de nos armes, expliquait ainsi le
président Mitterrand en novembre 1986, c’est le chef de l’État. »
« La décision finale n’appartient qu’à un seul » (cité in J. Massot,
L’Arbitre et le Capitaine, p. 282).
Faut-il en déduire que le domaine réservé du Président, ne
procédant pas d’un simple rapport de forces (dont il ne bénéficie
qu’en période de fait majoritaire), résulte d’une véritable règle de
droit, et donc qu’il possède la nature et la valeur d’une coutume
constitutionnelle ? Sans s’arrêter ici aux difficultés tenant à
l’existence même d’une telle coutume, il suffit, pour récuser cette
hypothèse, de constater trois faits.
D’abord, la légitimité d’un tel domaine n’a cessé d’être contestée.
Sous la IIIe République, elle le fut par les présidents du Conseil ou les
ministres de la Guerre, qui revendiquaient l’exclusivité de ces
interventions : c’est même pour cela que le président Casimir-Périer
démissionna en 1894, après avoir compris, quelques mois seulement
e
après son élection, qu’il ne pourrait rien faire. Sous la V République,
c’est l’opposition qui se scandalisera de « cette thèse inimaginable »
(F. Mitterrand, JO, Sénat, déb., 5 juillet 1961). Inlassablement
dénoncée, l’existence d’un tel domaine n’a donc jamais été conçue
comme obligatoire.
Ensuite, et corrélativement, cette pratique fit l’objet d’innombrables
e e
interruptions, sous la III , et plus encore sous la IV République.
Enfin, on doit reconnaître que l’intervention du Président en matière
diplomatique et militaire n’a pas la même signification sous la
e
V République que sous les Républiques précédentes ; et qu’au sein
e
de la V , le domaine réservé des « temps ordinaires » diffère
profondément de celui des périodes de cohabitation : dans un cas, il
s’agit d’une réserve que le Président peut étendre à sa guise et où
nul ne pénètre sans son aval, dans l’autre, d’un champ où il peut
s’aventurer, mais au risque de se heurter aux initiatives du Premier
ministre.
De toute évidence, on ne saurait donc parler de coutume. Mais
comment, alors, expliquer cette récurrence de l’intervention
présidentielle dans ces domaines particuliers ? Probablement, et
faute de mieux, par des raisons de fait. « En France, observait
Esmein, la continuité de vues qu’exige l’action diplomatique donne
au président de la République personnellement un rôle plus
important que dans la politique intérieure » (Éléments de droit
constitutionnel français et comparé, t. II, p. 176). Ce pouvoir, ajoutait
un ancien secrétaire général de l’Élysée, Abel Combarieu, est « né de
la nécessité de la politique » (cité in J. Massot, L’Arbitre et le
Capitaine, p. 51), et du fait que le Président demeure plus longtemps
en place que des ministres soumis à une instabilité chronique. À cet
« usage », le nouvel équilibre des pouvoirs résultant de la
Constitution de 1958 et les nouvelles perspectives assignées à l’État
se sont bornés à donner une densité accrue, sans pour autant en
modifier la nature : sans en faire autre chose que ce qu’il a toujours
été, une simple pratique.

Effets dans le temps de la QPC


L’une des raisons qui ont longtemps conduit à refuser l’introduction,
en France, d’un contrôle de constitutionnalité des lois en vigueur
tient à la crainte que l’on pouvait avoir des effets d’un tel contrôle :
et notamment, des conséquences de l’annulation d’une loi sur les
actes pris sur le fondement de celle-ci. En 1990, alors que le
président Mitterrand, poussé en cela par son ancien garde des
Sceaux, devenu président du Conseil constitutionnel, Robert
Badinter, envisage de mettre en place un mécanisme d’exception
d’inconstitutionnalité, l’exposé des motifs du projet de loi
constitutionnelle détaille la solution qui a finalement été imaginée :
« Il est proposé de donner aux déclarations d’inconstitutionnalité un
effet comparable à celui de l’abrogation d’un texte. Ainsi, une
disposition législative déclarée inconstitutionnelle par la voie de
l’exception cessera d’être applicable pour l’avenir sous réserve,
naturellement, de l’application de la décision du Conseil
constitutionnel aux procédures juridictionnelles en cours, y compris
devant le juge de cassation. Cette solution semble largement
préférable à celle d’une disparition rétroactive, qui pourrait créer
des difficultés insoupçonnées et parfois inextricables. » D’où, la
nouvelle formulation de l’article 62, proposé dans l’article 2 du
projet de loi constitutionnelle : « Une disposition déclarée
inconstitutionnelle sur le fondement du cinquième alinéa de
l’article 61 cesse d’être applicable et ne peut plus être appliquée aux
procédures en cours, y compris devant le juge de cassation. »
Pourtant, le problème ne paraît pas entièrement résolu. Cette
formulation a pour conséquence bénéfique d’éviter les annulations
en cascade, puisqu’elle ne vaut que pour l’avenir, sans caractère
rétroactif, si ce n’est au bénéfice des procédures en cours. Toutefois,
un tel mécanisme risque de susciter de graves difficultés pratiques,
en créant, potentiellement, d’importantes lacunes dans la législation.
Si une disposition cesse immédiatement d’être applicable, quel sera
le droit en vigueur ? Faudra-t-il exhumer des dispositions parfois
très anciennes, et manifestement inapplicables ? Ou se contenter,
provisoirement, d’une situation de non-droit, en attendant que le
législateur comble la lacune ainsi créée par le juge ?
C’est pour éviter une telle situation, virtuellement désastreuse, que
le constituant de 2008 a finalement reformulé, dans le second
alinéa de l’article 62 de la Constitution, la règle relative aux
pouvoirs du Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle a
posteriori : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le
fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication
de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée
par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et
limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont
susceptibles d’être remis en cause. » Autrement dit, le Conseil
constitutionnel se voit attribuer, sur ce fondement, un pouvoir
considérable, dans la mesure où il lui appartient de déterminer la
date d’effet de l’abrogation qu’il prononce, mais aussi les
conséquences que pourrait avoir, notamment pour l’auteur du
recours, le fait de différer ladite abrogation.
Cette abrogation, bien entendu, pourra avoir un effet immédiat.
Telle est, du reste, l’hypothèse normale, et, statistiquement, la plus
fréquente : en 2011, sur trente décisions de non-conformité
prononcées par le Conseil constitutionnel, dix-neuf étaient à effet
immédiat.
Dans ce cas, expliquait le président du Conseil constitutionnel, Jean-
Louis Debré, « la décision rendue par le Conseil doit logiquement
bénéficier au requérant à la QPC et à tous ceux qui avaient
également un contentieux en cours. C’est le sens des décisions
no 2010-1 QPC, 2010-6 juillet QPC et 2010-10 QPC. Par exemple,
dans cette dernière affaire, le Conseil a veillé à rappeler le caractère
rétroactif de sa décision au bénéfice des consorts C. : la disparition de
la composition inconstitutionnelle des tribunaux maritimes
commerciaux (TMC) “est applicable à toutes les infractions non
jugées définitivement au jour de la publication de la décision”.
Ainsi, à cette date, les personnes non encore jugées par un TMC et
les personnes dont la condamnation par un TMC n’a pas acquis un
caractère définitif, soit parce qu’elles sont encore dans le délai pour
former un pourvoi en cassation, soit parce que ce dernier n’a pas été
rejeté par la Cour de cassation, se sont vu reconnaître, par le Conseil
constitutionnel, le droit d’être, selon le cas, jugées ou rejugées par le
TMC siégeant dans une composition des juridictions pénales de droit
commun » (Jean-Louis Debré, Cahiers du Conseil constitutionnel,
octobre 2010).
Mais comme le montrent les statistiques que l’on vient de citer, il
arrive aussi relativement souvent, que l’abrogation soit à effet
différé : tel était d’ailleurs le cas de l’abrogation prononcée dans la
première décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel, la
o
décision n 2010-1 QPC du 28 mai 2010 – dont l’article 2 disposait
que l’abrogation de diverses dispositions législatives déterminant le
calcul des pensions militaires d’invalidité et les retraites du
combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant
er
appartenu à l’Union française prendrait effet à compter du 1 janvier
2011. Le Conseil constitutionnel, s’il a effectivement le pouvoir de
différer la date d’effet de l’abrogation qu’il prononce, a cependant le
souci de justifier sa décision. Selon les cas, le Conseil évoquera
donc, soit les « conséquences manifestement excessives » qu’aurait
o
une abrogation immédiate (Décision n 2013-357 QPC du
29 novembre 2013), soit, en le détaillant plus ou moins, le préjudice
entraîné par le vide juridique ainsi créé (no 2010-108, no 2011-112,
o
n 2011-190), soit même, en particulier lorsque se trouve mise en
cause la sûreté et qu’il ressent donc le besoin de donner une
justification particulièrement forte à sa décision de différer
l’abrogation, une combinaison des deux formules précédentes (cf.
o
Hospitalisation d’office, n 2011-135, hospitalisation sans
o
consentement, n 2010-71). Et si tel est le cas, si l’effet immédiat de
l’abrogation est susceptible de produire de telles conséquences, c’est
parce qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de
même nature que celui du Parlement », et qu’il ne peut par
conséquent se substituer à ce dernier en instituant à sa place des
règles générales qui viendraient combler les lacunes ainsi créées.
C’est ainsi, par exemple, comme il l’explique dans son importante
o
décision sur la garde à vue n 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010,
« qu’il ne lui appartient pas d’indiquer les modifications des règles
de procédure pénale qui doivent être choisies pour qu’il soit remédié
à l’inconstitutionnalité constatée ». C’est au législateur et à lui seul
qu’il revient « d’apprécier les suites qu’il convient de donner à cette
déclaration d’inconstitutionnalité » : ce qui suppose qu’il ait
suffisamment de temps pour le faire – d’où, précisément, l’effet
différé de l’abrogation.
Cependant, si cette possibilité de différer l’abrogation se justifie
pleinement au regard de l’intérêt général et du bon fonctionnement
d’ensemble de l’ordre juridique, elle n’en pose pas moins une
difficulté, du point de vue de l’intérêt de l’auteur du recours : « En
principe, une déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à la
partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité »,
o
reconnaît le Conseil dans sa décision n 2010-14/22 QPC. D’où la
possibilité qui lui est attribuée de moduler les conséquences de
l’effet différé, le Conseil pouvant, selon les cas, décider de préserver
la situation du requérant en ordonnant au juge de surseoir à statuer,
ou lui refuser le bénéfice des effets de la décision
d’inconstitutionnalité.
Dans certains cas, le Conseil prévoit donc le sursis à statuer, comme
o
il le fait et comme il l’explique dans la décision n 2010-1 QPC
précitée : « Afin de préserver l’effet utile de la présente décision à la
solution des instances actuellement en cours, il appartient, d’une
er
part, aux juridictions de surseoir à statuer jusqu’au 1 janvier 2011
dans les instances dont l’issue dépend de l’application des
dispositions déclarées inconstitutionnelles et, d’autre part, au
législateur de prévoir une application des nouvelles dispositions à
ces instances en cours à la date de la présente décision. »
Dans d’autres cas en revanche, il le refuse expressément : dans sa
décision no 2010-14/22 QPC, par exemple, il déclare que s’« il y a
er
lieu […] de reporter au 1 juillet 2011 la date de cette abrogation
afin de permettre au législateur de remédier à cette
inconstitutionnalité », en revanche, « les mesures prises avant cette
date en application des dispositions déclarées contraires à la
Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette
inconstitutionnalité » (de même, no 2010-32, 2010-45, 2010-71) ; si,
en principe, une déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à
la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité,
l’abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les
objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche
des auteurs d’infractions et entraînerait des conséquences
manifestement excessives.
Ce qui signifie, en somme, que les auteurs du recours qui a conduit
le Conseil à abroger, comme contraires à la Constitution, les
dispositions qu’ils contestaient, n’en tireront pour eux-mêmes aucun
avantage. Il est vrai qu’en l’occurrence, la nullité de la garde à vue à
laquelle ces requérants avaient été soumis aurait conduit à
l’annulation de l’ensemble de la procédure pénale les concernant, ce
qui eût été politiquement et socialement inacceptable. Toujours est-
il que ces pouvoirs considérables désormais confiés au Conseil
constitutionnel font de lui, non plus seulement le garant, mais, au
sens fort du terme, l’arbitre des libertés.

Grâce présidentielle
Comment, lorsqu’on est chef de l’État, échapper à la singularité de la
fonction ? Telle est l’une des questions posées en 2015 par l’affaire
Jacqueline Sauvage, du nom de cette sexagénaire condamnée par
deux cours d’assises successives pour le meurtre de son mari, mais
graciée le 31 janvier de cette année par le président Hollande.
Prévu à l’article 17 de la Constitution de 1958, le droit de grâce est
en effet l’une des dispositions les moins « républicaines » de notre
Ve République. Ce droit, dit de « rémission », en ce qu’il permet au
chef de l’État de remettre tout ou partie de sa peine à une personne
condamnée, remonte à l’époque où le roi, « lieutenant de Dieu sur
terre », était à la fois souverain et source de justice : et par
conséquent, libre de réformer, au nom de cette justice, les effets de
décisions prises par les juridictions pénales. Cette dimension
monarchique avait d’ailleurs conduit la Révolution à supprimer le
droit de grâce – en vertu d’un décret pris par l’Assemblée
constituante quelques jours avant la fuite à Varennes, le 4 juin 1791.
Tout aussi logiquement, ce droit était absent des constitutions
républicaines de l’An I et de l’An III, mais il fut rétabli par le
Premier consul en 1802 – ce qui, notait Adolphe Thiers, revenait à
« assimiler autant que possible son autorité à celle de la royauté »
(A. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, Paulin, 1845, t.
III, p. 540). Par la suite, si on le retrouve dans les constitutions de la
IIe ou de la IVe République, c’est de façon encadrée et surtout,
dépersonnalisée, puisque le Président l’exerce après avis du Conseil
d’État dans la première, et « au sein du Conseil supérieur de la
magistrature » dans la seconde : exercice collégial censé retirer à ce
droit son caractère monarchique.
Mais en 1958, les constituants de la Ve République entendent rompre
avec cette logique : ils reviennent alors, avec l’article 17, à un
exercice personnel et, en fait, discrétionnaire du droit de grâce. À
l’époque, lors de l’élaboration de la Constitution, ce retour irrite les
représentants de l’autorité judiciaire, qui accusent cette « novation »
d’être en réalité une régression qui ramènerait l’État « très haut dans
l’évolution historique » (M. Chazelle, Comité consultatif
constitutionnel, 31 juillet 1958). Côté gaulliste, en revanche, on se
félicite de cette personnalisation, qui correspond au fait que le
« chef de l’État n’est responsable de l’exercice du droit de grâce que
devant sa conscience et devant Dieu (s’il y croit) » (Fr. Luchaire,
Comité interministériel, 30 juin 1958).
Le droit de grâce, en ce qu’il remet en cause les conséquences d’une
décision juridictionnelle parfaitement régulière, se situe de fait dans
la plus totale anormalité. Dans le dérogatoire absolu : ce que
conforte encore le fait que le décret de grâce n’est pas publié au
Journal officiel, comme s’il devait rester secret, et que sa légalité est
insusceptible d’être contestée devant le juge administratif. Une fois
pris, le décret de grâce est définitif, incontestable.
Voilà pourquoi François Hollande, qui, durant des années, avait
réclamé l’institution d’un « président citoyen » et vilipendé les
« dérives monarchiques » de la Ve, s’est toujours senti mal à l’aise
face à cette prérogative héritée des rois. Jusqu’ici, rappelait à l’hiver
2015 le site de l’Élysée, il ne l’avait utilisée « qu’une seule fois, en
permettant une libération conditionnelle sans éteindre la peine » au
profit de Philippe El-Shennawy, le plus ancien détenu de France,
incarcéré depuis 38 ans – ce qui ne portait qu’une atteinte minime à
l’autorité judiciaire. Mais il en allait tout autrement dans le cas de
Mme Sauvage – dont la condamnation définitive par la Cour d’assises
du Loir-et-Cher était toute récente, puisqu’elle remontait au
3 décembre dernier. Gracier la condamnée revenait ainsi à remettre
en cause les conséquences des jugements de deux cours d’assises
successives. À cet égard, le président Hollande aurait donc pu
détourner pudiquement le regard – en se réclamant de la tradition
républicaine, ou de la majesté de la loi, ou du respect de l’autorité
judiciaire, ou de la séparation des pouvoirs, ou même du principe
démocratique puisque le jugement avait été rendu par des jurys
citoyens. Ce qui lui aurait permis, en refusant la grâce, de
réendosser le costume du « président normal ».
Sauf qu’à cette place et dans cette fonction, c’est cette (pseudo)
normalité qui s’avère anormale. D’autant que, comme l’a montré
l’expérience de la Révolution, la suppression du droit de grâce
profite peut-être à l’institution judiciaire, mais jamais à la justice.
« Summum jus, summa injuria », dit un adage latin : le droit strict est
strictement injuste, ainsi que le prouve d’ailleurs le cas de
Mme Sauvage, cette dernière, si l’on s’en tenait à la loi, ne pouvant,
malgré des décennies de souffrance infligées par un mari
monstrueux, qu’être jugée coupable, et punie en conséquence.
Et c’est ainsi que François Hollande céda – sans que l’on puisse
savoir à quoi, ou à qui : à la pression des comités de soutien, des
médias et des 400 000 signatures lui demandant d’agir ainsi ? Ou à
la logique monarchique de sa fonction de chef de l’État ? Pourtant,
s’il y céda, ce fut de mauvaise grâce, non sans hésitations ni
réticences avouées... C’est ce qu’indiquait la communication publiée
par l’Élysée, où le président déclarait avoir voulu faire face à « une
situation humaine exceptionnelle », et où il affirmait n’avoir agi que
dans « le respect de l’autorité judiciaire » – alors que la grâce est par
définition le moyen ultime de passer, au nom de la justice, par-
dessus les limites, les blocages, les pesanteurs inhérents à cette
autorité judiciaire.

Nature du régime
e
La question de la nature de la V République a longtemps fait les
délices, et/ou le désespoir, des professeurs de droit. Ces derniers
disposaient en effet, depuis la fin du XIXe siècle, d’une classification
commode, qui leur permettait de ranger les démocraties
représentatives existantes dans deux cases bien déterminées : les
régimes parlementaires (caractérisés par la collaboration entre les
pouvoirs et la responsabilité du gouvernement) et les régimes
présidentiels (où les pouvoirs sont strictement séparés, et où
l’exécutif n’est pas responsable devant le Parlement). Or, il est clair
que la Ve République ne rentre dans aucune de ces deux catégories.
Malgré l’obligation implicite figurant dans la loi constitutionnelle du
3 juin 1958, et en dépit des affirmations de Michel Debré,
notamment lors de sa présentation du projet de Constitution au
e
Conseil d’État le 27 août 1958, la V République ne correspond que
d’assez loin au modèle parlementaire, qu’il soit « classique » ou
« rationalisé ». « Ce qui ne permet à personne de confondre le
gouvernement parlementaire [avec les autres systèmes], écrivait en
1860 le publiciste libéral Prévost-Paradol, c’est que [dans les autres
systèmes], le pouvoir ne soumet ses actes [aux assemblées] que dans
la mesure où il le juge convenable […]. Le caractère propre de ces
assemblées [des régimes non parlementaires], c’est de ne point
posséder le droit d’initiative, c’est de n’avoir d’autre aliment pour
leurs discussions que les propositions mêmes du pouvoir, c’est
surtout de n’avoir jamais […] sous la main les ministres
responsables » (Du gouvernement parlementaire, Paris, M. Lévy, 1860,
p. 8). La Ve République, on le voit, est assez loin du compte. Est-elle
pour autant un régime présidentiel ? Ici, on pourrait rappeler les
diatribes du général de Gaulle contre « ces néophytes » qui rêvaient
de faire de la Ve République un système à l’américaine, sans penser
qu’il en résulterait « la paralysie générale » et le retour au régime
des partis. Mais il suffirait d’évoquer la cohabitation pour constater
que la France, en tout état de cause, n’appartient pas à une catégorie
qui se caractérise par la disparition du Premier ministre.
Pour s’en tirer, certains ont alors essayé d’imaginer des catégories
intermédiaires : la Ve République serait à mi-chemin entre les deux,
mais tout de même un peu plus d’un côté, et de nature « semi-
présidentielle », sauf peut-être en cas de cohabitation, où elle serait
plutôt « semi-parlementaire ». Ces distinguo subtils n’ont convaincu
personne mais ils ont permis de prendre conscience du caractère
artificiel de ces classifications académiques – et, au-delà, du faible
intérêt scientifique des controverses sur la nature des démocraties
représentatives. Si tant est que l’on puisse parler de la nature d’un
régime, il semble donc aussi vain que difficile de définir celle de la
Ve République, ballottée, au gré des scrutins et au fil des révisions
successives, entre des formules presque opposées – sauf à admettre
qu’elle puisse périodiquement changer de nature…
En outre, l’intérêt d’une telle question a été relativisé par la montée
en puissance du Conseil constitutionnel et par l’émergence
consécutive de ce que certains ont appelé la « Constitution
normative ». Même s’il ne remet nullement en cause l’importance
primordiale des problèmes institutionnels, ce phénomène, qui
apparaît comme l’une des évolutions majeures du droit
constitutionnel contemporain, a conduit une part de la doctrine à
mettre l’accent sur d’autres types de notions et de distinctions que
celles qui prévalaient jusqu’alors – opposant par exemple l’État de
droit à l’État légal. Quant à savoir si ces distinctions sont plus
opératoires que celles qui prévalaient jusqu’alors… ?

Partis et élections
Si l’on s’en tient à l’article 4 de la Constitution, le rôle des partis
n’est que de concourir à l’expression du suffrage. En réalité, leur rôle
dans la vie politique s’est affirmé progressivement, jusqu’à leur
conférer un monopole de fait sur les principales élections politiques.
Pour certaines élections, et en particulier la présidentielle, la
législation applicable rend pratiquement impossible toute
candidature n’émanant pas directement des principaux partis
politiques. C’est en effet à travers le système du parrainage
obligatoire des candidatures (par des citoyens bénéficiaires d’un
mandat électif) que va se réaliser la mainmise des partis.
En 1962, au moment où l’on instaure l’élection du chef de l’État au
suffrage universel direct, ce système avait été établi afin d’empêcher
que n’importe qui puisse se présenter – ce qui aurait eu pour effet,
sans même parler des insurmontables difficultés pratiques, de
discréditer cette élection, ses résultats, et l’autorité du Président élu.
« Il faut bien, s’exclame alors le général de Gaulle, éviter
l’énergumène qui jettera le trouble » (cité in R. Belin, Lorsqu’une
République chasse l’autre, p. 222). Cependant, de Gaulle tenait aussi à
ce « qu’une personnalité libre de toute attache partisane, ne
disposant d’aucun appareil de soutien […] eût une chance de
briguer les suffrages. Limiter la compétition aux candidats en
mesure de mobiliser un réseau de parrains, c’était, pensait-il, faire la
part trop belle aux […] états-majors des partis » (E. Burin des
Roziers, Retour aux sources, p. 87). « Est-ce que la démocratie, ce
n’est pas, précisément, que tout le monde puisse se présenter à une
élection ? Le peuple fera le tri ! » (cité in A. Peyrefitte, C’était de
Gaulle, t. I, p. 238). C’est suivant cette perspective qu’après avoir
songé d’abord au chiffre de cinquante parrains, il accepte
finalement, sous la pression de son Premier ministre Georges
Pompidou, d’aller jusqu’à cent, mais refuse de suivre ce dernier, qui
suggère de monter jusqu’à mille, deux mille, « voire cinq mille »
parrains (ibid., p. 246), ce qui eût limité les candidatures aux
représentants des deux ou trois principaux partis. « Le Général
pensait qu’aller au-delà conduirait à donner aux partis politiques un
rôle […] capital dans la désignation des candidats » (R. Belin,
Lorsqu’une République chasse l’autre, p. 224).
C’est pourtant ce qui va arriver : après l’élection présidentielle de
1974, une loi organique du 18 juin 1976 relève la barre à cinq cents
parrainages, provenant d’au moins trente départements (ou TOM)
différents. Si l’on ajoute que ces parrainages sont uniques (on ne
peut parrainer qu’un seul candidat), publics, et qu’ils doivent être
recueillis dans un délai très bref, les choses sont claires. Désormais,
il est pratiquement impossible de se présenter à la présidentielle si
l’on ne dispose pas, au niveau local et sur l’ensemble du pays, d’un
réseau dense, bien implanté, qui ne peut être que celui d’un grand
parti. Or, comme le notait Maurice Duverger, « le choix des
candidats à la présidence est un élément aussi important que le
choix entre ces candidats ». C’est pourquoi, « dans les nations
développées, aucune élection présidentielle n’a donné la victoire à
une personnalité indépendante des grands partis » (M. Duverger, La
Monarchie républicaine, R. Laffont, 1974, p. 54 et 55).
À bien des égards, il en va de même pour les votations référendaires
qui, dans l’esprit des constituants, avaient pourtant pour but de
court-circuiter les structures partisanes en rendant la parole au
peuple. Ici, les effets de la loi ont été amplifiés par la jurisprudence,
constitutionnelle et administrative, qui a eu pour conséquence
d’attribuer aux partis un véritable monopole d’expression. Ceux-ci
sont seuls habilités à participer à la campagne officielle, et ils y
participent proportionnellement à leur représentativité (CE Ass.,
28 octobre 1988, CNIP, R., p. 385 ; CE Ass., 10 septembre 1992,
Galland, R., p. 343 ; CE Ass., 1er septembre 2000, Larrouturou, Meyet
o
et autres, concl. H. Savoie, RFDA n 5, 2000, p. 1002 ; ainsi que CC,
23 août 2000, Hauchemaille, Larrouturou, LPA, 29 août 2000, p. 12).
Ainsi le décret du 18 août 2000 organisant la campagne en vue du
référendum du 24 septembre a-t-il réparti le temps de parole de la
campagne télévisée officielle entre les partis, et non sur la base d’un
partage égal entre partisans et adversaires d’une réduction du
mandat présidentiel : ce qui, la quasi-totalité des grands partis étant
favorables au « oui », entraînait un déséquilibre flagrant en faveur
de cette position. Malgré cela, le juge constitutionnel a estimé
qu’« en réservant aux partis ou groupements politiques l’accès aux
émissions [officielles], les auteurs du décret n’ont fait que mettre en
œuvre les dispositions de l’article 4 de la Constitution », sans violer
ni le principe de libre communication des pensées et des opinions,
ni « l’exigence constitutionnelle du pluralisme » (CC, 6 septembre
2000, Pasqua, LPA, 13 septembre 2000, p. 15).
Sans doute un tel monopole peut-il se justifier pour des raisons de
fait, ou de « faisabilité ». Juridiquement, en revanche, il paraît
beaucoup moins fondé, notamment au regard des termes mêmes de
l’article 4, et de l’intention des constituants qui redoutaient
précisément qu’il ne fût interprété de cette façon. En outre,
observait Mitterrand en 1972, « peut-on dire que l’on respecte les
citoyens à qui on demande un oui massif quand on leur refuse le
droit à une information équitable ? Quand le temps de parole est
réparti à [la télévision] de telle manière que les partisans du oui
[…] peuvent disposer de quatre fois plus de temps que l’ensemble
de leurs adversaires ? » (Le Figaro, 19 avril 1972). Sur un plan
politique, enfin, ce monopole n’est pas sans susciter quelques
interrogations, à une époque où la « crise des partis politiques » (cf.
H. Portelli, La Ve République, p. 505 sq.) et l’effondrement de leur
représentativité met en cause leur fonction de modes d’expression
privilégiés de la société civile : ce dont témoignent du reste, de
façon spectaculaire, les résultats du référendum du 24 septembre
2000, son abstentionnisme record et le niveau inédit des votes
blancs et nuls…
Ainsi les consultations présidentielles et référendaires, précisément
conçues pour libérer les moments essentiels de la vie politique de
l’emprise des partis – et initialement en butte à l’hostilité de ces
derniers – se trouvent-elles désormais entièrement entre leurs
mains : renversement symptomatique de l’évolution du système.

►Bibliographie
C. BOUTIN et F. ROUVILLOIS (dir.), Partis politiques et démocratie, F.-X.
de Guibert, 2005.

Représentation proportionnelle
Les manuels de droit public opposent traditionnellement au scrutin
majoritaire, efficace mais injuste, une représentation proportionnelle
certes juste, mais totalement inefficace. De fait, la représentation
proportionnelle, qui s’efforce d’assurer à chaque parti, dans les
instances élues, une représentation en rapport avec sa force
numérique, se fonde sur la justice, et sur ce que l’on peut considérer
comme la logique démocratique, en vertu de laquelle, si la majorité
gouverne, tous doivent être représentés, pas seulement ceux qui ont
voté pour cette majorité. Mais cet argument de justice a longtemps
permis aux adversaires de la proportionnelle de lui dénier toute
efficacité pratique : conforme à l’idéal, ce mode de scrutin serait,
dans les faits, littéralement catastrophique.
En particulier, on lui a souvent reproché d’entraîner l’émiettement
inéluctable de la représentation et des partis, et d’empêcher par
conséquent toute constitution de majorités cohérentes et stables.
« Une société politique doit avoir un gouvernement », expliquait au
début du XXe siècle le leader libéral belge Frère-Orban. Or, ajoutait-
il, le scrutin proportionnel « est un artifice imaginé pour entraver,
énerver, paralyser la majorité. Quelle est la suite de l’introduction
de cet engin dans l’institution politique ? C’est que, après avoir
fractionné, divisé, ce qui empêche qu’il y ait une majorité, les
groupes ne sont plus occupés qu’à une chose, c’est à essayer de
former une majorité », qui sera inévitablement de coalition, c’est-à-
dire, incertaine et fragile. En somme, entravant l’unité d’action au
sein des chambres, la représentation proportionnelle « porte atteinte
au régime parlementaire, au prestige et à la force du pouvoir ». Un
demi-siècle plus tard, Michel Debré, pourfendant une représentation
proportionnelle comparée à une véritable « bombe atomique » qui
tue le pouvoir à coup sûr (cf. La Mort de l’État républicain, Gallimard,
1947, p. 157 sq.), ne dira rien de plus.
À une époque comme la nôtre, où l’efficacité de l’autorité et des lois
est devenue un impératif catégorique, on ne saurait se satisfaire d’un
scrutin qui, si équitable soit-il, constitue sur ce plan un obstacle
majeur. Pourtant, ce vice rédhibitoire est-il aussi évident que le
prétendent ses détracteurs ? En l’espèce, les mutations
contemporaines du système institutionnel obligent à conclure qu’en
définitive, ce lieu commun a perdu à peu près toute pertinence. Sous
certaines conditions (notamment de « seuil »), en effet, la
représentation proportionnelle, si elle reste par définition plus
« juste » que le scrutin majoritaire, pourra s’avérer tout aussi
efficace que ce dernier.
Pourquoi ? D’abord, parce que les régimes parlementaires ont
quelque peu évolué depuis la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, en effet,
ce n’est plus le Parlement qui agit, qui gouverne, qui décide ; ce
n’est plus lui qui se trouve au centre de l’État, c’est l’exécutif,
dominé, en France, par un président de la République élu au
suffrage universel direct – et échappant de ce fait, tout comme les
ministres qu’il nomme, aux effets supposés désastreux du scrutin
proportionnel.
À cet égard, ce dernier ne pourrait porter atteinte à l’autorité de
l’État que s’il influait directement sur la détermination des
responsables de l’exécutif – comme c’est le cas, de façon
effectivement très problématique, en Israël.
En France, en revanche, dans le cadre de la Constitution du
4 octobre 1958, la (prétendue) nuisance de la représentation
proportionnelle ne saurait, vu la situation réelle du pouvoir au sein
de l’État, être que relativement dérisoire.
Limitée à une Assemblée nationale dotée pour l’essentiel d’un rôle
de représentation, de contrôle et d’expression, la proportionnelle ne
présente plus de nos jours aucun des risques que l’on pouvait
craindre à l’époque, lointaine, où les chambres concentraient entre
leurs mains la totalité du pouvoir de décision. Et non seulement le
risque a disparu, mais la fonction tribunicienne que revendique
désormais le Parlement, pourrait être mieux assurée par une
Assemblée élue au scrutin proportionnel, et reflétant plus
exactement, dans sa composition, la variété de l’opinion publique.
En définitive, c’est le système tout entier qui en profite : sans
compter que ce débouché électoral « normal », s’il permet de
satisfaire des partis jusque-là non représentés, peut également avoir,
pour ces derniers, un effet de « dégonflage », en plaçant leur
électorat devant ses responsabilités, puisqu’il ne s’agit plus
simplement d’émettre un vote protestataire sans véritables
conséquences, mais bien d’envoyer des représentants au Parlement.
Dans le même ordre d’idées, on peut noter que la représentation
proportionnelle élargit l’offre électorale, c’est-à-dire non pas le
nombre des candidats qui se présentent, mais celui des candidats
susceptibles d’être élus. Par suite, on peut estimer qu’elle aurait
vraisemblablement une incidence positive sur le taux de
participation électorale, l’abstention étant due pour partie à
l’insuffisance de cette offre – et au sentiment d’inutilité d’un vote
qui, porté sur un candidat minoritaire, serait destiné à rester sans
effets.
Enfin, l’instauration d’une dose de proportionnelle aurait
vraisemblablement pour effet de neutraliser l’impact du scrutin
majoritaire qui, en démultipliant mécaniquement l’importance des
déplacements de vote, suscite artificiellement le phénomène des
« vagues », tantôt roses, tantôt bleues, se succédant les unes aux
autres : bref, de neutraliser ces basculements violents et répétitifs, et
d’assurer ainsi à la représentation parlementaire une relative
stabilité : ce qui paraît particulièrement indispensable de nos jours,
mais aussi beaucoup plus conforme à la situation réelle de l’opinion
publique.

►Bibliographie
E. FABRY (dir.), Plus de proportionnelle pour mieux représenter la société
civile ?, Fondation pour l’innovation politique, 2007.
Souveraineté du constituant
Le principe de la souveraineté du constituant a été réaffirmé par le
Conseil constitutionnel dans sa décision 92-312 DC du 2 septembre
1992 : « Le pouvoir constituant est souverain […]. Il lui est loisible
d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur
constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée […]. Ainsi
rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution
des dispositions nouvelles qui […] dérogent à une règle ou à un
principe de valeur constitutionnelle. »
La souveraineté se manifeste par la capacité de créer des normes
constitutionnelles, et de le faire de la manière dont l’entend le
titulaire de ce pouvoir. Elle se manifeste donc par l’absence de
limites à son intervention. En l’occurrence, il est vrai, le Conseil
constitutionnel rappelait l’existence de deux séries de bornes au
pouvoir de révision, la première tenant au contexte de la révision, la
seconde, à son contenu. Pour lui, cette souveraineté du constituant
s’appréciait en effet « sous réserve, d’une part, des limitations
touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la
Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent
des articles 7, 16 et 89, alinéa 4 du texte constitutionnel, et, d’autre
part, du respect des prescriptions du 5e alinéa de l’article 89 en
vertu desquelles “la forme républicaine du gouvernement ne peut
faire l’objet d’une révision” ».
L’article 89, alinéa 4 (« Aucune procédure de révision ne peut être
engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du
territoire »), est un souvenir de juillet 1940, où, à la faveur de la
défaite, la IIIe République fut abolie et remplacée par le
gouvernement du maréchal Pétain. Les articles 7 in fine et 16 visent
également à interdire une révision arrachée au peuple à l’occasion
d’une crise ouverte par la vacance de la présidence, ou par
l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics.
Quant à l’article 89, alinéa 5 (« La forme républicaine du
gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision »), il reprend mot
pour mot une disposition introduite dans la Constitution de la
e
III République par l’article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août
1884, avant d’être reprise dans celle de 1946. Dans tous les cas, il
s’agissait donc de marquer très fortement l’impossibilité d’une
dérive autocratique ou dictatoriale, fût-elle consacrée dans les
formes ou acclamée par le peuple – auquel on signifie ainsi qu’il n’a
pas la possibilité de renoncer à sa propre souveraineté.
Cependant, on s’est longtemps interrogé sur la consistance de ces
limites, et donc sur l’existence de bornes effectives à la souveraineté
du constituant. Depuis peu, le Conseil constitutionnel, en se
déclarant incompétent en toute hypothèse pour connaître des
révisions (03-469 DC du 26 mars 2003), semble du reste avoir
tranché la question en faveur de la reconnaissance d’une pleine
souveraineté, renonçant à évoquer comme à mettre en œuvre des
règles supra-constitutionnelles.
Les limites précitées, établies par le texte constitutionnel, et
rappelées par le Conseil dans sa décision du 2 septembre 1992,
souffraient, dès l’origine, de leur manque de précision. Le reproche
valait tout spécialement pour la principale d’entre elles,
l’intangibilité de la forme républicaine du gouvernement énoncée
par l’article 89, alinéa 5. Celle-ci peut certes signifier, si on
l’interprète de manière stricte, l’interdiction d’une restauration
monarchique par une simple révision (telle était l’intention de ses
premiers auteurs, en 1884). Mais elle pourrait aussi faire l’objet
d’une lecture extensive, impliquant l’intangibilité, non seulement
des structures institutionnelles, mais aussi des valeurs ou des grands
principes « républicains » – ce qui serait susceptible d’inclure le
respect de la souveraineté nationale, l’indivisibilité de l’État ou son
indépendance monétaire. Selon qu’on l’interprète d’une manière ou
d’une autre, cette limite pourrait donc s’avérer dérisoire, ou très
contraignante. Dans cette seconde hypothèse, elle conférerait au
juge constitutionnel un pouvoir créatif démesuré : « contrôler la
révision, surtout au regard d’un critère potentiellement aussi
attractif que la “forme républicaine du gouvernement”, n’est-ce pas
en effet », s’interrogeait J.-E. Schoettl, « refuser à la représentation
nationale la possibilité de surmonter les déconvenues que lui inflige
la jurisprudence du Conseil par ce “lit de justice” dont il a été
question à propos de la révision constitutionnelle de 1993 sur le
droit d’asile, révision qui a servi à contrer la décision du Conseil du
13 août 1993 ? […] N’est-ce pas [lui] fournir une arme redoutable
susceptible de mettre à mal la souveraineté nationale et le suffrage
universel ? » (J.-E. Schoettl, « Le Conseil constitutionnel peut-il
contrôler une loi constitutionnelle ? », LPA, 8 avril 2003, p. 20).
De fait, dans sa décision de 1992, le Conseil opérait une distinction
implicite entre le constituant originaire, le peuple, dont il renonçait
d’emblée à contrôler l’expression, et le constituant dérivé, le
Congrès, seul susceptible, en définitive, d’être sanctionné en cas de
non-respect des limites inscrites dans la Constitution. Malgré la
lettre de l’article 89, le peuple et le Congrès, placés par cet article
dans une situation d’égalité, se trouvaient au fond dans des positions
radicalement différentes au regard de ces limites : le peuple,
constituant originaire, conservait sa pleine liberté en tout état de
cause, et il échappait, pour cette raison, à toute sanction que
pourrait prononcer contre sa décision un organe constitué. C’est ce
que semblait déjà laisser entendre le Conseil constitutionnel dans sa
décision du 6 novembre 1962, lorsqu’il prit soin de rappeler que les
lois « adoptées par le peuple à la suite d’un référendum, constituant
l’expression directe de la souveraineté nationale » (cons. 2), se
situent par nature hors de sa portée.

Selon la jurisprudence du Conseil, seul le constituant dérivé se


trouvait donc soumis à ces limites. Or, cette ultime restriction à la
souveraineté du constituant vient de disparaître, depuis que le
Conseil, dans sa décision 03-469 DC du 26 mars 2003, rendue sur la
loi relative à l’organisation décentralisée de la République
approuvée par le Congrès le 17 mars, a reconnu qu’il ne tenait « ni
de l’article 61, ni de l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la
Constitution, le pouvoir de statuer sur une révision
constitutionnelle ».
Sur un plan juridique, cette position peut certes laisser un peu
perplexe. D’un côté, il ne fait aucun doute que le constituant de
1958 n’a jamais entendu soumettre les révisions au Conseil
constitutionnel. Mais d’un autre côté, on doit s’interroger sur le sens
de dispositions – notamment celles de l’article 89, alinéa 5 – rendues
purement « platoniques » par l’absence d’une sanction – ou plus
précisément d’organes susceptibles de l’infliger, ce qui est le cas si le
Conseil constitutionnel se reconnaît incompétent. Sur ce point, il est
vrai, sa position n’est pas d’une clarté ni d’une rigueur totales, le
Conseil ayant estimé, quelques mois après sa décision du 26 mars,
que la souveraineté du constituant, et notamment son pouvoir
d’introduire « dans le texte de la Constitution des règles nouvelles
qui […] dérogent à des règles ou principes de valeur
constitutionnelle », s’apprécient « sous réserve des prescriptions des
articles 7, 16 et 89 de la Constitution » (03-478 DC du 30 juillet
2003).
Mais sur un plan politique, la position du Conseil paraît finalement
assez réaliste. Toutes les hypothèses visées par la Constitution
impliquent en effet des situations de crise ou de tension grave. Si,
dans un tel contexte, le constituant, originaire ou dérivé, se
prononçait souverainement en révisant le texte constitutionnel, on
imagine mal le Conseil parvenir à s’y opposer – sauf à imposer de sa
propre initiative un improbable « gouvernement des juges », maître
d’œuvre de la « supra-constitutionnalité », au moins aussi éloigné de
l’esprit de la Ve République que la révision qu’il serait parvenu à
invalider.
Sa position actuelle, par laquelle le Conseil renonce par avance à
intervenir, paraît donc la mieux à même de prendre acte de ce fait
indépassable qu’est la souveraineté du constituant.
La question ultime et fondamentale serait alors de savoir si le
constituant peut, en vertu de cette souveraineté, renoncer à être
souverain. Ce qui paraît logiquement inadmissible pour le
constituant originaire – une génération, écrivait Balzac, n’a pas le
droit d’en amoindrir une autre –, mais encore plus inconcevable
pour le constituant dérivé. Si un peuple n’a pas le droit de renoncer
à sa souveraineté, a fortiori, ses représentants d’un moment ne
sauraient-ils disposer de façon discrétionnaire de ce qui en fait un
peuple.

►Bibliographie
O. BEAUD, « La souveraineté de l’État, le pouvoir constitutionnel et le
traité de Maastricht », RFDA, 1993, p. 1045-1068.
F. CHALTIEL, « La souveraineté du pouvoir constituant dérivé :
développements récents », LPA, 20 juin 2003, p. 7 sq.
B. GENEVOIS, « Les limites d’ordre juridique à l’intervention du
o
pouvoir constituant », RFDA, n 14, 1998, p. 909-921.
BIBLIOGRAPHIE

I. Manuels et ouvrages généraux


sur la Ve République
Dans la masse considérable de manuels et d’ouvrages généraux
consacrés à la Ve République, on a, faute de place, été contraint
d’opérer un choix. On ne recensera ici, outre les ouvrages qui ont
été les plus sollicités dans ce livre, que ceux qui paraissent répondre
à la fois aux besoins des étudiants, et aux exigences de
l’enseignement du droit constitutionnel en première année de
licence.

►Parmi les ouvrages anciens, encore utiles


et éclairants, on citera notamment :
M. DUVERGER, La Ve République, PUF, 1959 : souvent contestable,
toujours perspicace.
L. HAMON, Cours de droit constitutionnel et d’institutions politiques, Les
Cours de droit, 1968-1969 : rédigé par un juriste de premier ordre
qui occupa, à l’époque, des fonctions gouvernementales, et qui
connaissait donc la machine de l’intérieur.
M. PRELOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, Dalloz, 3e éd.,
1963 : chef-d’œuvre méconnu.
G. VEDEL, Cours de droit constitutionnel et d’institutions politiques, Les
Cours de droit, 1958-1959, 1959-1960, puis 1960-1961 : un ouvrage
historiquement passionnant qui, dans ses éditions successives,
appréhende en temps réel la formation et la mise en place du
nouveau régime.

►Parmi les ouvrages contemporains, ensuite :


P. ARDANT, B. MATHIEU, Institutions politiques et droit constitutionnel,
LGDJ, coll. « Manuel », 27e éd., 2015 : ce manuel de référence avait
un peu vieilli, il vient d’être brillamment dépoussiéré et amplifié,
notamment par l’ajout d’un important développement consacré aux
droits et libertés fondamentaux.
A.-M. COHENDET, Droit constitutionnel, LGDJ, coll. « Cours », 2015 :
aussi complet que critique.
V. CONSTANTINESCO, S. PIERRÉ-CAPS, Droit constitutionnel, PUF, 5e éd.,
2011 : hétérodoxe et novateur, beaucoup plus qu’un simple manuel,
un essai qui « entend rester en phase avec les visages actuels du
questionnement politique ».
O. DUHAMEL, G. TUSSEAU, Droit constitutionnel et institutions politiques,
Seuil, 3e éd., 2013 : rédigé par deux professeurs à l’IEP de Paris – le
premier, par ailleurs créateur de la revue Pouvoirs, ayant été un
praticien occasionnel de la vie politique –, un ouvrage original et
passionnant, axé sur le droit comparé et la pratique institutionnelle.
e
L. FAVOREU (dir.), Droit constitutionnel, Dalloz, coll. « Précis », 17 éd.,
2015 : représentant par excellence du « nouveau droit
constitutionnel » initié par l’École d’Aix-Marseille, ce livre se
singularise par la place qu’il accorde à la théorie normativiste de la
Constitution au Conseil constitutionnel, et à ce qu’il appelle le
e
« droit constitutionnel des libertés » (III partie), généralement
étudié en licence. Un reproche : la place bien maigre que laisse à
l’histoire et à la pratique cette approche « purifiée » mais quelque
peu désincarnée du droit constitutionnel.
B. FRANÇOIS, Le Régime politique de la Ve République, La Découverte,
e
coll. « Repères », 5 éd., 2011 : rédigé par un universitaire
longtemps associé à Arnaud Montebourg au sein de la Convention
VIe République, ce petit livre, beaucoup plus essai que manuel, a le
mérite d’ouvrir des perspectives et de pourfendre les idées reçues.
J. GICQUEL, J.-E. GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques,
Montchrestien, 29e éd., 2015 : un classique indémodable qui se
recommande en particulier par la richesse de son information et la
rigueur de ses analyses.
O. GOHIN, Droit constitutionnel, LexisNexis, coll. « Manuel », 2e éd.,
2013 : Un ouvrage qui, malgré le titre de la collection où il figure,
renoue avec la tradition des Traités, dont il a l’ampleur imposante,
et l’ambition constante de dépasser la simple description du droit
positif.
F. HAMON et M. TROPER, Droit constitutionnel, LGDJ, coll. « Manuel »,
36e éd., 2015 : prenant la suite de Georges Burdeau, et imprimant à
son célèbre manuel des orientations théoriques et philosophiques
sensiblement différentes, Francis Hamon et Michel Troper en ont
cependant conservé les principales qualités, en particulier l’équilibre
et la finesse.
A.-M. LE POURHIET, Droit constitutionnel, Economica, coll. « Corpus
droit public », 5e éd., 2013. À la fois complet et anticonformiste, un
manuel engagé mais engageant, par l’une des personnalités
montantes du droit public français, décidément peu adepte de la
langue de bois.
P. PACTET, F. MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Droit constitutionnel, Dalloz/Sirey,
e
33 éd., 2014 : le succès de cet ouvrage, devenu à juste titre l’un des
best-sellers de la matière, tient à sa simplicité, au meilleur sens du
terme, qui en fait un instrument de travail accessible, fiable et
efficace.
M. VERPEAUX, Manuel de droit constitutionnel, PUF, coll. « Droit
fondamental », 2e éd., 2015 : un manuel volontairement accessible,
dont la particularité est d’intégrer au droit constitutionnel le droit
institutionnel de l’UE, en lui consacrant sa cinquième et dernière
partie.
É. ZOLLER, Droit constitutionnel, PUF, coll. « Droit fondamental »,
2e éd., 1999 : malgré son intitulé, il s’agit en réalité d’un ouvrage,
d’ailleurs remarquable, de droit constitutionnel comparé, où le
système français est essentiellement étudié à travers ses rapports
avec la tradition et la pratique anglo-saxonnes. Difficile mais
stimulant.

►En ce qui concerne la pratique


de la Ve République, on mentionnera quatre
classiques :
e
P. AVRIL, La V République. Histoire politique et constitutionnelle, PUF,
coll. « Droit fondamental », 2e éd., 1994.
J. CHAPSAL, La Vie politique sous la Ve République, PUF, coll. « Thémis-
e
science politique », 5 éd., 1993 (2 vol.).
J.-J. CHEVALLIER, G. CARCASSONNE, O. DUHAMEL, Histoire de la
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H. PORTELLI, La Ve République, Grasset, « Livre de Poche », 1994.
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F. ROUVILLOIS, Les Origines de la V République, PUF, coll. « Que sais-
je ? », 1998.

II. Dictionnaires, textes et sources


P. AVRIL, J. GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, PUF, coll. « Que
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G. CARCASSONNE, La Constitution, introduite et commentée, Seuil, 2005.
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M. DUVERGER, Constitutions et documents politiques, PUF, coll.
« Thémis », 14e éd., 1996.
L. FAVOREU et L. PHILIP, Les Grandes Décisions du Conseil
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D. MAUS, Les Grands Textes de la pratique institutionnelle de la Ve
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4e éd., 2003.
INDEX

Abstentionnisme : 1-2, 3
Acte administratif : 1
Acte(s) :
– détachable(s) : 1, 2, 3, 4
– matériel(s) : 1-2, 3
Alternance : 1-2
Amendement : 1n23, 2n26, 3-4, 5-6, 7, 8
Arbitrage, arbitre : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11n15,
12n16, 13, 14, 15, 16
Assemblée constituante : 1-2, 3n1, 4, 5
Assemblées :
– bureau : 1-2, 3, 4
– commission d’enquête : 1, 2n2
– commissions parlementaires : 1, 2n12
– conférence des présidents : 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8, 9
– groupes d’opposition ou minoritaires : 1, 2-3
– groupes politiques : 1, 2, 3n17, 4-5, 6
– ordre du jour : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12
– président : 1-2, 3-4
– règlement : 1, 2, 3, 4, 5
– sessions : 1, 2-3
Autorité judiciaire : 1n7, 2-3, 4, 5n10
Ballottage : 1, 2
Bicamérisme : 1, 2
Bloc de constitutionnalité : 1, 2-3, 4-5, 6-7, 8-9, 10
Bonapartisme : 1, 2, 3
Campagne électorale : 1, 2, 3, 4
Charte de l’environnement de 2004 : 1, 2-3, 4
Charte européenne des langues régionales et minoritaires : 1, 2-3
Chef du gouvernement : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8
Citoyen, citoyenneté : 1-2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12,
13-14, 15-16, 17, 18, 19, 20, 21, 22-23, 24, 25, 26, 27,
28, 29-30, 31, 32, 33-34, 35, 36
Citoyen consommateur : 1
Cohabitation : 1-2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13, 14,
15n6, 16, 17, 18-19, 20, 21, 22, 23-24, 25-26, 27, 28,
29, 30-31, 32-33, 34
Comité consultatif constitutionnel : 1, 2n3, 3, 4, 5
Commission chargée des affaires européennes : 1, 2-3
Commission mixte paritaire : 1n20, 2-3
Commission de rénovation et déontologie de la vie publique : 1,
2n14, 3n5
Congrès (articles 1 et 2) : 3, 4-5, 6, 7, 8, 9
Conseil constitutionnel : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11-
12, 13, 14n4, 15, 16, 17, 18-19, 20, 21-22, 23-24, 25,
26n15, 27-28, 29, 30, 31, 32, 33, 34-35, 36, 37-38, 39-
40, 41, 42n15, 43, 44, 45-46, 47-48, 49, 50, 51, 52,
53n1, 54-55, 56, 57-58, 59, 60-61, 62-63, 64n8, 65, 66-
67, 68-69, 70-71, 72-73, 74-75, 76-77, 78-79, 80-81, 82-
83, 84-85, 86, 87-88, 89, 90-91, 92, 93-94, 95, 96, 97-
98, 99
– autorité des décisions : 1, 2-3
– conformité sous réserve : 1
– contentieux électoral et référendaire : 1, 2n11
– contrôle par voie d’action : 1, 2-3
– décision du 16 juillet 1971 : 1n12, 2, 3-4, 5
– décision du 1 janvier 1975 : 2, 3-4
– désistement : 1, 2
– effet du contrôle : 1-2, 3, 4, 5-6
– exception d’inconstitutionnalité : 1, 2, 3, 4
– jurisprudence : 1, 2-3, 4, 5
– membres : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8
– président : 1-2, 3-4, 5, 6
– saisine : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10n11, 11, 12, 13,
14
Conseil d’État : 1, 2n12, 3-4, 5, 6, 7n15, 8n5, 9, 10,
11n21, 12, 13-14, 15, 16, 17-18, 19n9, 20, 21, 22, 23,
24n4, 25-26, 27, 28-29, 30, 31, 32
Conseil de cabinet : 1
Conseil des ministres : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10-11, 12,
13, 14, 15-16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23
Conseil économique et social et environnemental : 1-2, 3
Conseil supérieur de la magistrature : 1, 2-3, 4, 5
Constituant : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
– souveraineté du : 1, 2, 3, 4-5
Constitution de 1848, IIe République : 1n3, 2n16, 3n6
e
Constitution de 1875, III République : 1, 2
e
Constitution de 1946, IV République : 1, 2n11, 3, 4-5, 6,
7n16, 8n6, 9, 10, 11n3, 12, 13, 14-15, 16
Constitution de 1958 :
– article 3 : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8
– article 4 : 1, 2-3
– article 1 : 2, 3, 4, 5, 6
– article 1 : 2
– article 1 : 2, 3
– article 1 : 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
– article 1 : 2, 3n3
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9
– article 1 : 2
– article 1 : 2-3, 4, 5n16, 6, 7
– article 1 : 2, 3
– article 1 : 2
– article 1, pouvoirs propres, pouvoirs partagés : 2-3, 4, 5, 6,
7
– article 1 : 2, 3, 4, 5
– article 1 : 2, 3, 4, 5, 6, 7-8
– article 1 : 2, 3
– article 1, domaine de la loi : 2, 3, 4, 5
– article 1-2 : 3-4
– article 1 : 2, 3, 4-5, 6
– article 1 : 2, 3, 4
– article 1 : 2, 3
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6n19, 7
– article 1 : 2-3, 4
– article 1, al. 1 : 2-3, 4
– article 1, al. 2 : 2
– article 1, al. 3 : 2, 3, 4, 5-6
– article 1 : 2, 3, 4, 5
– article 1 : 2, 3, 4n3, 5-6, 7
– article 1 : 2, 3-4
– article 1 : 2, 3
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6
– article 1-2 : 3-4, 5
– article 1-2 : 3
– article 1-2 : 3, 4
– article 1-2 : 3, 4, 5-6
– article 1-2 : 3, 4-5, 6, 7
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6, 7, 8n12, 9, 10, 11, 12
– article 1, al. 5 : 2, 3
– préambule : 1-2, 3-4, 5, 6-7, 8
Constitution européenne : 1, 2-3, 4, 5, 6
Contreseing : 1, 2-3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10-11
Corps électoral : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Corse :
– peuple : 1-2
– statut : 1
Cour de justice de la République : 1-2, 3, 4-5
Cour pénale internationale : 1, 2-3
Cour suprême des États-Unis : 1, 2, 3, 4n9
Coutume constitutionnelle : 1, 2
Crise : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17n7, 18, 19, 20, 21
Cumul des mandats : 1, 2, 3
Décentralisation : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8n11, 9-10
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : 1, 2,
3, 4-5
Découpage électoral : 1
Décrets délibérés en Conseil des ministres : 1-2, 3, 4
Démission : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10n2, 11-12, 13, 14-
15, 16, 17, 18, 19n2, 20-21, 22-23, 24-25, 26, 27, 28
Démocratie semi-directe : 1, 2, 3, 4
Département ministériel : 1, 2-3
Discours de Bayeux : 1-2, 3
Dissolution (droit de) : 1, 2-3
Domaine réservé : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9
Droits fondamentaux : 1, 2n1, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Durée du mandat : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10
Dyarchie : 1, 2, 3
Effectivité : 1-2, 3, 4, 5-6
Élection(s) :
– européennes : 1n17, 2, 3, 4, 5, 6
– législatives : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10, 11n2, 12-13,
14n23, 15, 16, 17, 18, 19
– municipales : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
– présidentielle : 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8, 9-10, 11, 12-13,
14, 15, 16, 17-18, 19-20, 21-22, 23, 24, 25, 26n2, 27,
28n23, 29, 30, 31-32, 33-34
– sénatoriales : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7
Empêchement : 1-2, 3, 4, 5
Engagements internationaux : 1, 2, 3, 4-5
– contrôle : 1-2
– supériorité sur la loi : 1, 2-3, 4-5
– valeur infra-constitutionnelle : 1-2, 3
Esprit de la Constitution : 1-2, 3-4, 5-6, 7, 8, 9, 10n11, 11,
12, 13, 14-15
État de droit : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8
Étude d’impact : 1
Financement politique : 1-2, 3-4, 5, 6
Forme républicaine du gouvernement : v. article 1, al. 5
Gouvernement des juges : 1, 2
Grâce : 1-2, 3-4
Haute Autorité pour la transparence de la vie publique : 1, 2
Haute Cour de Justice : 1-2, 3
Haute trahison : 1-2, 3-4, 5
Hiérarchie : 1
– des normes constitutionnelles : 1, 2, 3, 4
– ministérielle : 1-2
Hyperprésidence : 1
Immunité parlementaire : 1
Incompatibilité :
– ministérielle : 1
– parlementaire : 1, 2-3, 4, 5
Individualisation des peines : 1n4
Inéligibilité : 1, 2-3, 4, 5-6, 7n3
Instabilité ministérielle : 1, 2, 3, 4
Intérim : 1-2, 3, 4
Irrecevabilité : 1, 2, 3, 4, 5
Judiciarisation : 1
Légalité des délits et des peines (principe de) : 1, 2
Législature : 1, 2, 3
Liste électorale : 1, 2, 3, 4
Lobby : 1
Loi :
– de finances et de financement de la Sécurité sociale : 1, 2
– du 3 juin 1958 : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7
– du pays : 1
– organique : 1n6, 2n10, 3n3, 4-5, 6-7, 8, 9, 10-11, 12,
13, 14, 15-16, 17-18, 19, 20, 21, 22n10, 23, 24, 25,
26, 27-28, 29, 30, 31, 32, 33, 34
– référendaire : 1, 2, 3-4
LOLF : 1
Mandat :
– impératif : 1, 2, 3
– renouvellement : 1, 2-3, 4, 5
Message (droit de) : 1, 2, 3
Ministre(s) : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10
Monarchie républicaine : 1
Motion de censure : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10n19
Nationalité : 1-2
Normes dérivées : 1-2, 3
Objectifs à valeur constitutionnelle : 1
Opinion publique : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7
Ordonnance(s) :
– du 2 janvier 1959 : 1, 2, 3
– de l’article 1 : 2, 3, 4
– de l’article 1 : 2, 3
Parité hommes-femmes : 1, 2, 3-4, 5
Parlement (renouveau du) : 1, 2, 3n4
Parlementarisme rationalisé : 1, 2, 3, 4
Parrainage : 1-2, 3, 4, 5-6
Parti(s) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11n10, 12, 13, 14,
15-16, 17, 18, 19-20, 21
Pétition : 1, 2-3
Peuple : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10-11, 12-13, 14-15,
16-17, 18-19, 20, 21, 22-23, 24-25, 26n15, 27-28, 29,
30, 31, 32, 33, 34, 35-36, 37-38, 39-40, 41, 42-43, 44,
45-46, 47, 48, 49-50, 51, 52-53, 54, 55-56, 57-58, 59n6,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67-68, 69-70
Plébiscite : 1, 2
Pluralisme : 1, 2, 3, 4, 5
Pouvoirs :
– partagés : 1-2, 3, 4, 5
– propres : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Premier ministre : 1, 2-3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15-16, 17n11, 18-19, 20, 21, 22, 23, 24-25, 26, 27-
28, 29-30, 31-32, 33-34, 35-36, 37, 38-39, 40-41, 42, 43,
44, 45-46, 47-48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57,
58, 59
Président normal : 1n1, 2
Président de la République : 1n3, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8-9, 10,
11-12, 13, 14, 15-16, 17, 18, 19, 20-21, 22, 23, 24-25,
26, 27-28, 29-30, 31, 32, 33-34, 35, 36-37, 38-39, 40,
41, 42, 43, 44, 45-46, 47, 48, 49, 50, 51n10, 52, 53,
54-55, 56-57, 58-59, 60-61, 62, 63, 64
Principes :
– fondamentaux reconnus par les lois de la République : 1, 2-3
– généraux du droit : 1n4, 2
– particulièrement nécessaires à notre temps : 1
Procès constitutionnel : 1-2
Question(s) écrites/orales : 1, 2-3
Quinquennat : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10
QPC : 1n4, 2, 3-4, 5-6, 7-8, 9n14, 10, 11n9, 12n12, 13,
14-15
Rapport Balladur : 1, 2, 3, 4
Rapport Vedel : 1, 2, 3, 4, 5, 6
Référendum : 1, 2, 3-4, 5, 6-7, 8, 9, 10-11, 12n3, 13,
14-15, 16-17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29-30, 31, 32, 33-34, 35, 36, 37, 38
– local : 1, 2-3, 4-5
– obligatoire : 1, 2n6, 3, 4-5
Régime :
– d’assemblée : 1, 2, 3, 4, 5
– parlementaire : 1-2, 3, 4, 5, 6n10, 7, 8, 9, 10, 11,
12, 13
– présidentiel : 1, 2-3, 4, 5n11, 6-7, 8
– semi-présidentiel : 1, 2
Règlement autonome : 1-2, 3-4
Remaniement : 1, 2
Résolutions européennes : 1
Responsabilité : 1
– devant le chef de l’État : 1, 2
– devant le Parlement : 1, 2
– du gouvernement : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10
– pénale des ministres : 1n7, 2, 3
– pénale du Président : 1, 2, 3-4, 5-6, 7-8, 9
– politique : 1, 2, 3, 4n18, 5-6, 7, 8, 9-10, 11
Révision constitutionnelle : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9n3, 10,
11, 12n12, 13, 14
Révision de 1963 : 1, 2n14
Révision du 1 juillet 2008 : 2, 3-4, 5n3, 6, 7, 8, 9, 10, 11,
12-13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22n1, 23n2, 24
Révolution : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7n1, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15
Scrutin :
– majoritaire : 1, 2-3, 4-5
– proportionnel : 1, 2-3
SDF : 1
Séance publique : 1, 2, 3-4, 5
Séparation des pouvoirs (principe de) : 1, 2, 3, 4, 5, 6
Septennat : 1, 2-3, 4, 5
Souveraineté : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7-8, 9-10, 11, 12, 13-14,
15, 16, 17-18, 19-20, 21-22, 23, 24n15, 25, 26, 27-28,
29-30, 31-32, 33, 34-35, 36-37, 38, 39, 40, 41, 42, 43,
44n13, 45, 46, 47, 48, 49, 50-51, 52n9, 53-54, 55, 56-
57
Subsidiarité (principe de) : 1, 2-3, 4
Suffrage universel : 1n3, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13-14, 15-16, 17, 18n2, 19, 20, 21, 22, 23, 24
Tradition :
– (ou pensée) libérale : 1, 2-3, 4, 5
– républicaine : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10n1, 11, 12,
13
Traité :
– d’Amsterdam : 1, 2, 3
– de Lisbonne : 1-2, 3, 4-5
– de Maastricht : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10
– de Rome sur la Constitution européenne : 1, 2, 3, 4
Union européenne : 1-2, 3, 4, 5-6, 7n6, 8n17, 9, 10, 11-
12, 13, 14, 15, 16
Vacance : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7
Veto : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9
Vice-président : 1, 2, 3n5, 4
Vote bloqué : 1-2
Vote personnel : 1-2, 3, 4
TABLE

Table des abréviations


Introduction - L’Esprit de la constitution

Chapitre préliminaire - Genèse de la Ve République


Section I - La naissance
Section II - Mise en place

PREMIÈRE PARTIE - LES INSTITUTIONS

Chapitre I - Le peuple souverain


Section I - Le peuple
Section II - Le souverain
Section III - L’étendue de la souveraineté

Chapitre II - Le règne du Président


Section I - Une institution stable
Section II - Les pouvoirs du Président

Chapitre III - Le couple Parlement-gouvernement


Section I - Les organes
Section II - Les rapports entre Parlement et gouvernement
DEUXIÈME PARTIE - LES NORMES

Chapitre I - Le Conseil constitutionnel


Section I - Un juge politique ?
Section II - Le gardien de la Constitution

Chapitre II - L’ordre constitutionnel


Section I - Le bloc de constitutionnalité
Section II - Les normes infra-constitutionnelles

Glossaire critique
Bibliographie
Index
Notes

1. Ch. de Gaulle, conférence de presse du 31 janvier 1964, Discours


et messages, Plon, « Livre de Poche », 1970, t. IV, p. 168.

2. J. Domat, Traité des lois, in Les Lois civiles dans leur ordre naturel,
Durand, 1777, p. VI et XXIV.
3. Ainsi le garde des Sceaux D. Perben déclarait-il, en 2003, pour
justifier le projet de révision du statut pénal du chef de l’État, que
« le texte respecte l’esprit de la Constitution, car il donne la
responsabilité de la destinée du Président à l’autre pouvoir issu du
suffrage universel qu’est le Parlement » (Le Monde, 3 juillet 2003).
Toute la question est ici de savoir si, selon cet esprit, ce n’est pas
plutôt au peuple souverain, et à lui seul, qu’il appartient de défaire
ce qu’il a fait – autrement dit, de destituer celui qu’il a élu.
4. F. Luchaire, « De la méthode en droit constitutionnel », RDP,
1981, p. 315.
5. Cité in D. Maus, Textes et documents sur la pratique institutionnelle
de la Ve République, La Documentation française, 2e éd., 1982,
p. 223.
6. Décision no 62-20 DC, 6 novembre 1962 ; voir, de même, la
décision no 01-444 DC, 9 mai 2001 relative à la loi organique
modifiant la date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée
nationale ; en l’espèce, la référence à l’esprit de la Constitution avait
été implicitement avancée pour justifier l’« inversion du
calendrier ».
7. 15 décembre 1965, in DM, t. IV, p. 453.
8. 31 janvier 1964, in DM, t. IV, p. 168.
9. Cf. M. Debré, Trois Républiques pour une France, Mémoires, Albin
Michel, 1988, t. II, p. 417.
10. Cf. M. Prélot, Pour comprendre la nouvelle Constitution, 2e éd.,
Paris, Le Centurion, 1959, p. 46-49.
11. L’Esprit des lois, livre VIII, chap. I.

12. Forgée par Olivier Cayla à propos du Conseil d’État et de l’arrêt


d’assemblée Nicolo (20 octobre 1989, R., p. 190), l’expression décrit
parfaitement l’évolution d’ensemble, et sa justification ordinaire.
13. L’Esprit des lois, livre VIII, chap. XIV.

14. Ce que Georges Vedel, évoquant la loi constitutionnelle du 25


novembre 1993 relative au droit d’asile, avait plaisamment qualifié
de « lit de justice ».
15. C’est ainsi qu’il n’assure plus une protection systématique au
domaine réglementaire (82-143 DC, 30 juillet 1982, « Blocage des
prix »), alors qu’il se montre très strict en ce qui concerne le
domaine législatif, sanctionnant notamment l’« incompétence
négative » du législateur lorsque celui-ci renonce à ses propres
prérogatives au profit du pouvoir réglementaire (82-132 DC, 16
janvier 1982, Rec. 18), et l’obligeant ainsi à assumer la plénitude de
ses compétences.
16. Nicolas Sarkozy, Discours du 12 juillet 2007.
17. La presse et l’opinion eurent ainsi beau jeu de se gausser du
président Hollande faisant l’aller-retour en voiture pour voter à
Tulle aux élections européennes du 25 mai 2014, et perdant ainsi
douze heures dans les transports et les embouteillages alors que se
produisait le « séisme » que créa ce jour-là la victoire du Front
national.
Notes

1. Vingt et un gouvernements en moins de douze ans, dont cinq


depuis le début de la législature, en 1956.
2. J. Moch, « De Gaulle, d’hier à demain », La Nef, juillet 1958, p. 9.
3. S. Hoffmann, Esprit, décembre 1957, p. 813-814.
4. M. Debré, Ces princes qui nous gouvernent, Paris, Plon, 1957, p. 29.
5. Le 4 septembre 1958, présentant la nouvelle Constitution,
Malraux décrira la IVe comme « la machine à crises ministérielles à
laquelle Diên Biên Phu semblait annoncer la grande nuit funèbre de
la France… » (DPS, t. III, p. 598).
6. Courrier de la colère, nos des 23 novembre 1957 et 8 mai 1958.
7. Voir G. Vedel, Cours, op. cit., p. 717.
8. Le 29, le leader socialiste Guy Mollet écrit à un correspondant
qu’il se trouve « devant le dilemme : gouvernement de Gaulle ou
pronunciamento de colonels […]. C’est pourquoi je me suis demandé
si nous pouvions obtenir de De Gaulle les garanties nécessaires » (13
mai 1958-13 mai 1962, Paris, Plon, 1962, p. 11).
9. Sur le parallèle entre ces deux lois, voir C. Boutin, « La loi du 3
juin 1958 », Revue juridique d’Auvergne, vol. III, 1999, p. 81-94.
10. J. Chapsal, La Vie politique sous la Ve République, Paris, PUF,
5e éd., 1993, t. I, p. 4.
11. Ce qui permet en outre aux normativistes les plus radicaux,
comme le professeur Otto Pfersmann, d’écrire que « juridiquement »,
il n’existe pas de rupture entre la IVe et la Ve République, « car la
Constitution du 4 octobre 1958 n’est qu’une révision de la
Constitution de 1946 selon les termes de la loi constitutionnelle du 3
juin 1958 révisant les dispositions concernant la procédure de
révision. En stricts termes constitutionnels, il n’existe pas de
“Ve” République en 1958 » (in L. Favoreu [dir.], Droit constitutionnel,
Paris, Dalloz, 3e éd., 2000, p. 122). Encore faudrait-il savoir s’il
existe de « stricts termes constitutionnels », ce dont on peut
légitimement douter.
Notes

1. Cité par O. Guichard, Mon général, Paris, Grasset, 1980, p. 77.


2. L. Hamon, De Gaulle dans la République, Paris, Plon, 1958, p. 114.
3. G. Burdeau, Droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 19e éd., 1980,
p. 444.
4. E. Burin des Roziers, in D. Maus, L. Favoreu et J.-L. Parodi,
L’Écriture…, op. cit., p. 815.
5. Voir F. Rouvillois, « Se choisir un modèle, Michel Debré et le
parlementarisme anglais en 1958 », RFHIP, no 12, 2000, p. 351 sq.
6. DPS, t. I, p. 191.
7. M. Debré, 27 août 1958, DPS, t. III, p. 256.
8. DPS, t. III, p. 195.
9. Cette idée reparaîtra en effet dans le projet de loi
constitutionnelle soumis au référendum le 27 avril 1969, dont
l’échec entraînera le départ de De Gaulle.
10. B. Genevois, « Le Préambule et les droits fondamentaux », in D.
Maus, L’Écriture…, op. cit., p. 485.
11. DPS, t. III, p. 258.
12. L. Hamon, De Gaulle, op. cit., p. 6.
13. DPS, t. III, p. 269.
14. De Gaulle, Discours du 4 septembre 1958, DPS, t. III, p. 601.
15. DPS, t. III, p. 260.
16. L. Hamon, De Gaulle, op. cit., p. 3.
Notes

1. Cité in P. Avril, La Ve République. Histoire politique et


constitutionnelle, Paris, PUF, 1994, 2e éd., p. 40.
2. R. Belin, Lorsqu’une République chasse l’autre, Michalon, Paris,
1999, p. 78.
3. Y compris après 1958. C’est ainsi que, dans une note au général
de Gaulle du 18 avril 1960, il reconnaît « les très grandes difficultés
que nous rencontrons […] à concilier les mœurs parlementaires et
l’intérêt de l’État », l’incompatibilité du régime parlementaire,
« même sous sa meilleure forme », avec les réformes indispensables,
et donc, la nécessité de ce qu’il nomme une « mise au point
constitutionnelle : le renforcement de la présidence de la République
et l’affirmation encore plus nette que l’autorité gouvernementale
vient, avant toutes choses, du lien étroit entre Président et
gouvernement » (Archives M. Debré, FNSP, DE 29).
4. Sur ce point, voir M. Debré, Entretiens avec le général de Gaulle,
1961-1969, Paris, Albin Michel, 1993, p. 17 sq.
Notes

1. E. Burin des Roziers, Retour aux sources, op. cit., p. 40.


2. De Gaulle, Mémoires de guerre, Paris, Plon, « Le Livre de Poche »,
1973, t. III, p. 311.
3. De Gaulle, 20 septembre 1962, DM, t. IV, p. 23.
Notes

1. J.-L. Parodi, « Effets et non-effets de l’élection présidentielle au


suffrage direct », Pouvoirs, no 14, 1980, p. 5. En 1946, André Philip,
présidant les débats à l’Assemblée constituante, affirmait à propos
du président de la République que l’institution sera « en définitive,
ce qu’en fera le premier titulaire de la charge » (cité in G. Berlia,
RDP, 1970, p. 1079). Vingt ans plus tard, Georges Pompidou
soulignera la nécessité « de créer des précédents : on en connaît
l’importance en matière institutionnelle » (Assemblée nationale,
13 avril 1966).
Notes

1. Sur ce point, voir notamment J.-M. Denquin, 1958, la genèse de la


Ve République, Paris, PUF, 1988 ; D. Maus, Études sur la Constitution
de la Ve République. Mise en place, pratique, STH, 1990 ; D. Maus, L.
Favoreu et J.-L. Parodi, L’Écriture de la Constitution de 1958, Aix-en-
Provence, PUAM-Economica, 1992 ; F. Rouvillois, Les Origines de la
Ve République, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1998.
2. D. Chagnollaud et J.-L. Quermonne, La Ve République, Paris,
Flammarion, coll. « Champs », 2000, p. 9.
3. Cf. G. Vedel, Cours de droit constitutionnel et d’institutions politiques,
Paris, Les Cours de droit, 1960-1961, p. 755.
Notes

1. Constitution du 23 juin 1793, art. 7 : « Le peuple souverain est


l’universalité des citoyens français » ; Constitution du 22 août 1795,
Déclaration des droits et des devoirs, art. 17 : « La souveraineté
réside essentiellement dans l’universalité des citoyens » ;
Constitution du 4 novembre 1848, art. 1er : « La souveraineté réside
dans l’universalité des citoyens français. »
2. É. Laboulaye, Questions constitutionnelles, Paris, Charnay, 1873,
p. 384.
3. Article 3, al. 1er : « La souveraineté nationale appartient au peuple
qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
4. Décision no 82-146 DC, 18 novembre 1982.
5. GD, 9e éd., p. 818.
6. Décision no 92-308 DC, 9 avril 1992.
7. GD, 9e éd., p. 822.
8. Sur cet accord, ses prolongements et ses conséquences, O. Gohin,
Institutions administratives, Paris, LGDJ, 2002, 4e éd., p. 579-593.
9. JOAN, déb., 12 juin 1998, p. 4958.
10. Le statut établi par la loi organique du 19 mars 1999 précise
dans son article 4 qu’« il est institué une citoyenneté de la Nouvelle-
Calédonie dont bénéficient les personnes de nationalité française qui
remplissent les conditions fixées à l’article 188 ».
11. J.-Y. Faberon, « La nouvelle donne institutionnelle en Nouvelle-
Calédonie », RFDC, 1999, p. 370.
12. Décision no 98-407 DC : « Considérant que, en l’état et pour les
motifs énoncés dans la décision susvisée du 18 novembre 1982, la
qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des
conditions identiques à tous […] sans que puisse être opérée aucune
distinction […] en raison de leur sexe… »
13. Auteur, entre autres, d’un Rapport sur la nécessité et les moyens
d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française,
présenté à la Convention le 4 juin 1794.
14. M. Verpeaux, note sous la décision no 99-412 DC, RFDC, 1999,
p. 601.
Notes

1. Elles relèvent du droit électoral qui, s’il est bien un prolongement


du droit constitutionnel dont il réglemente en partie la mise en
œuvre, n’en apparaît pas moins doté d’une certaine autonomie :
autonomie à la fois historique, puisque les principes essentiels de ce
droit sont demeurés stables depuis la Révolution en dépit des
bouleversements constitutionnels, et juridique, ces principes étant
dotés d’une forte spécificité, quelle que soit la juridiction qui les
applique (sur ce point, voir A. et F. Demichel, Droit électoral, Dalloz,
1973, p. 11-16).
2. Article L5 du Code électoral, issu de la loi no 2007-308 du 5 mars
2007, article 12.
3. Article LO 129 du Code électoral, modifié par la loi organique
no 2011-410 du 14 avril 2011, article 1.
4. L’article L7 du Code électoral prévoyait à cet égard une incapacité
automatique en cas de condamnations pour certaines infractions,
notamment en lien avec le financement de la vie politique. Le
Conseil constitutionnel, dans l’une de ses toutes premières décisions
QPC, abrogea cet article du code, le jugeant contraire au principe
constitutionnel de l’individualisation des peines (décision no 2010-
6/7 QPC, 11 juin 2010).
5. DPS, t. III, p. 268.
6. Opinion évoquée, mais naturellement contredite, par M. Debré, le
27 août 1958, DPS, t. III, p. 267.
7. JORF, p. 8560.
8. Utiles, puisque ce financement public n’empêche pas les partis
d’afficher des comptes déficitaires : en 1999, en dépit des
129 millions de francs touchés au titre de l’aide publique, le RPR,
alors dans l’opposition, accusait un déficit de 7,4 millions de francs
(Le Monde, 11 novembre 2000) ; en 2008, son héritier, l’UMP,
affichait, malgré 50 millions d’euros de recettes, une dette de
15 millions d’euros ; déficit qui s’élevait, en juillet 2014, à 74,5
millions d’euros.
9. Décret no 2013-430 du 27 mai 2013.
10. Art. 9, modifié par la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013,
article 14. À cela s’ajoutent « les partis qui n’ont présenté des
candidats que dans une ou plusieurs collectivités territoriales
d’outre-mer ou en Nouvelle-Calédonie, dont les candidats ont
obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés dans l’ensemble des
circonscriptions où ils se sont présentés ».
11. Chaque parlementaire « rapportant » chaque année au parti
auquel il est affilié environ 41 000 euros.
12. Il suffit de citer à ce propos les scandales à répétition suscités
depuis 2013 par le financement de la campagne Sarkozy de 2012 –
et les comportements illégaux suscités par la rigidité de la
réglementation plafonnant les dépenses.
Notes

1. Puis, jusqu’en 1962, par un collège électoral de 81 764


« notables ».
2. Code électoral, art. L. 335 sq., issus de la loi du 10 juillet 1985.
3. Un chiffre qui, dispose désormais l’article 24 issu de la révision
du 23 juillet 2008, ne saurait être dépassé.
4. Pour une approche globale, C. Benelbaz, « Le redécoupage
électoral sous la Ve République », RDP, 2010, no 6, p. 1662 sq.
5. Décision no 2010-602 DC du 18 février 2010.
6. Sauf, précise l’article L.162 al. 4 et 5 du Code électoral, dans
l’hypothèse où un seul, voire aucun des candidats, n’aurait obtenu
ce pourcentage.
7. Code électoral, art. LO 274. Selon l’article 24 issu de la révision
de juillet 2008, ce nombre ne saurait excéder 348.
8. Sans que le Conseil constitutionnel, fidèle à la lettre de
l’article 24-3 et à l’idée d’une représentation des collectivités, n’y
trouve rien à redire (cf. Décision no 00-431 DC, 6 juillet 2000).
9. Art. 275 du Code électoral, issu de la loi organique no 2003-696
du 30 juillet 2003 portant réforme de la durée du mandat et de l’âge
d’éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat.
10. Avant la loi organique du 30 juillet 2003, il s’agissait d’un
renouvellement par tiers, ce qui accentuait encore l’effet
d’amortissement et le sentiment de continuité.
11. À l’exception des douze sénateurs élus par les Français établis
hors de France, auxquels il faut ajouter les sept sénateurs
représentant les collectivités d’outre-mer non départementalisées
(art. LO 438-1 et LO 334-14-1 du Code électoral).
12. Après les élections du 21 septembre 2008, le nombre de femmes
sénateurs est passé de 60 à 75 ; il n’était que de 20 avant les
élections de septembre 2001.
13. La loi organique no 2012-272 du 28 février 2012 précise qu’il
s’agit des « membres du Parlement, des conseils régionaux, de
l’Assemblée de Corse, des conseils généraux des départements, de
Mayotte, des conseils territoriaux de Saint-Barthélemy, de Saint-
Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, du Conseil de Paris, de
l’assemblée de la Polynésie française, du congrès et des assemblées
de province de la Nouvelle-Calédonie, de l’assemblée territoriale des
îles Wallis-et-Futuna, maires, maires délégués des communes
associées, maires des arrondissements de Lyon et de Marseille ou
membres élus de l’Assemblée des Français de l’étranger », auxquels
s’ajoutent « les présidents des organes délibérants des communautés
urbaines, des communautés d’agglomération, les présidents des
communautés de communes, le président de la Polynésie française,
le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et les
ressortissants français membres du Parlement européen élus en
o
France […] ». La loi organique n 2016-506 du 25 avril 2016 y
ajoute quatre nouvelles catégories, dont les maires d’arrondissement
de Paris.
14. Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique,
Pour un renouveau démocratique, p. 11 sq.
15. Le plafond « officiel » des dépenses – fixé par l’art. 3 de la loi
no 62-1292 du 6 novembre 1962 à 13,7 millions d’euros pour le
premier tour, et à 18,3 millions d’euros pour le second – ne permet
évidemment pas d’assurer cette égalité, puisqu’il ne peut être atteint
que par les très grands partis.
Notes

1. L. Hamon, Cours de droit constitutionnel et d’institutions politiques,


Paris, Les Cours de droit, 1968-1969, p. 399.
2. Rapport remis au président de la République le 15 février 1993
par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, JORF,
16 février 1993, p. 2547 et 2549.
3. « En limitant l’extension du champ référendaire aux matières
économiques et sociales, le Gouvernement a choisi d’exclure les
sujets touchant à la souveraineté comme la défense et la justice ou
ce qu’il est convenu d’appeler les questions de société avec les
libertés publiques, le droit pénal, ou encore les lois de finances dont
l’examen relève des prérogatives traditionnelles du Parlement. Il
doit donc être clair qu’il ne saurait y avoir de référendum sur des
sujets tels que la peine de mort, la repénalisation de l’avortement ou
sur l’expulsion des immigrants clandestins, le référendum n’étant
pas – et ne devant pas être – un instrument de démagogie. »
(J. Toubon, garde des Sceaux, Audition à l’Assemblée nationale,
Rapport no 2138, 5 juillet 1995.)
4. Cité in A. Peyrefitte, C’était de Gaulle, t. II, Fayard, 1987, p. 146.
5. JO, doc, Annexe no 1060, séance du 15 décembre 1960.
6. En 1961, Georges Vedel allait jusqu’à écrire que « le référendum
est obligatoire », sauf exception (Cours, op. cit., p. 773).
7. « Lorsque le projet ou la proposition de révision n’a pas été voté
en termes identiques après deux lectures dans chaque assemblée, le
président de la République peut soumettre au référendum le texte
adopté à la majorité des 3/5e de suffrages exprimés par l’une ou
l’autre des deux assemblées » (Proposition no 68, in Comité de
réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des
institutions de la Ve République. Une Ve République plus démocratique,
Paris, Fayard, La Documentation française, 2008, p. 151).
8. 18 octobre 1962, in DM, t. IV, p. 37.
9. 20 décembre 1960, in DM, t. III, p. 260.
10. Le référendum, note Signorel en 1896, « devenu l’un des articles
fondamentaux des partis […] qui veulent discréditer […] le système
de la représentation et, avec lui, le régime parlementaire », a « failli
s’introduire chez nous, subrepticement, au point de vue municipal »
(Étude de législation comparée sur le référendum législatif, A. Rousseau,
1896, p. 189-190). À Paris, en juin 1889, le conseil municipal
décida de consulter la population par référendum sur la question du
métropolitain : mais ce référendum n’eut pas lieu, le ministre de
l’Intérieur ayant ordonné aux préfets « de s’opposer énergiquement à
ces sortes de votations ».
11. Ainsi, lorsque les habitants de 46 communes du département de
la Somme s’étaient prononcés, à 91 %, contre le projet de
construction d’un troisième aéroport parisien à Chaulnes, le préfet
avait déclaré ce référendum illégal et dépourvu d’effets juridiques
(Le Monde, 11 décembre 2001).
12. La seule exception, résultant de la loi no 71-588 du 16 juillet
1971 relative aux fusions et aux regroupements de communes, qui
prévoyait des consultations à valeur décisionnelle, était jugée d’une
constitutionnalité douteuse par une partie de la doctrine – cette loi
n’ayant d’ailleurs pas fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité.
13. Ce sont les cas visés par l’article 72-1, al. 3 : « Lorsqu’il est
envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d’un statut
particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la
loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités
intéressées. » Parallèlement, « la modification des limites des
collectivités territoriales peut également donner lieu à la
consultation des électeurs dans les conditions prévues par la loi ».
14. La première mise en œuvre, le 7 décembre 2003, s’est d’ailleurs
soldée par un échec – les électeurs antillais ayant refusé l’institution
d’une collectivité territoriale unique, perçue par beaucoup d’entre
eux comme un prélude à l’indépendance.
15. Sur un plan contentieux, elle relève, non de la compétence du
Conseil constitutionnel, comme le précise expressément le nouvel
article 60 issu de la révision du 28 mars 2003, mais du juge
administratif – le constituant prenant acte de la jurisprudence du
Conseil d’État (CE, ass. 30 octobre 1998, Sarran et Levacher, Rec.,
p. 368), suivant laquelle ne sont soumis au contrôle du Conseil
constitutionnel que les référendums par lesquels le peuple exerce sa
souveraineté, ce qui, de fait, n’est pas le cas.
16. À la condition, introduite par la loi organique no 2003-705 du 1er
août 2003 relative au référendum local, que la moitié au moins des
électeurs inscrits aient pris part à la votation (art. LO 1112-7
CGCT) : ce qui, vu les taux de participation, risque de marginaliser
encore cette pratique.
17. Comme le reconnaissait M. Fatin-Rouge Stefanini, ce mécanisme
« n’occupe pas, pour l’instant, une place importante au sein des
procédures visant à favoriser la démocratie de proximité » (« Le
référendum local de l’article 72-1, premier bilan depuis 2003 », in A.
Marceau, La Démocratie locale à la recherche d’un nouveau souffle,
Paris, L’Harmattan, 2013, p. 256).
18. Il en va de même en vertu de l’art. L 2113-3 al. 2 du CGCT,
modifié par l’art. 21 de la loi du 16 décembre 2010, en matière de
fusion de communes, « lorsque la demande ne fait pas l’objet de
délibérations concordantes des conseils municipaux de toutes les
communes concernées ». À ce propos, on note que la loi de 2010 est
o
en recul par rapport à la loi n 2004-809 du 13 août 2004 relative
aux libertés et responsabilités locales qui, dans son article 123,
prévoyait une consultation populaire en toute hypothèse.
19. Le Traité d’adhésion de la Croatie à l’Union européenne ne fut
ratifié par le Sénat que le 15 janvier 2013, et le 17 par l’Assemblée
nationale, l’adhésion de la Croatie devenant effective au 1er juillet
2013.
Notes

1. M. Block, Petit dictionnaire politique et social, Perrin, 1896, p. 573.


2. A. Esmein, Éléments de droit constitutionnel, Sirey, 1906, p. 455.
3. Constitution de 1793, Déclaration des droits, article 32 ;
Constitution de 1795, article 364 ; Constitution de 1848, art. 8.
4. LO no 2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique,
social et environnemental.
5. Dans l’intervalle, précisa le Bureau du CESE le 26 février 2013,
« la saisine du CESE ne saurait […] avoir un effet suspensif d’une
procédure législative en cours ».
Notes

1. DPS, t. II, p. 126.


2. Art. 3, al. 3 : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les
conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal
et secret. » À quoi on peut ajouter qu’il est aussi toujours unique,
personnel (sauf certains cas énumérés par la loi) et facultatif.
Notes

1. Le principe de cette primauté fut posé par la CJCE le 15 juillet


1964, dans l’arrêt Costa c/ENEL, Aff. 6-64. Six ans plus tard, la Cour
affirmait la primauté du droit communautaire sur les droits
fondamentaux garantis par les Constitutions nationales dans sa
décision du 17 décembre 1970, Internationale Handelgesellschaft, Aff.
11-70.
2. CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste « Les Verts » c/Parlement
européen, aff. 294/83, rec. 1339.
3. V. Giscard d’Estaing, Présentation de l’avant-projet, octobre 2002,
in Cités, no 13, 2003, p. 125.
4. Mémorandum du 25 juin 2007, in Les Cahiers de l’indépendance,
no 4, 2007, p. 12.
5. Études européennes, 24 novembre 2010, p. 4.
6. Dans la « Déclaration no 17 », « la Conférence rappelle que, selon
une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union
européenne, les traités et le droit adopté par l’Union sur la base des
traités priment le droit des États membres, dans les conditions
définies par ladite jurisprudence. En outre, la Conférence a décidé
d’annexer au présent Acte final l’avis du Service juridique du
Conseil sur la primauté tel qu’il figure au document 1 1 1 97/07
(JUR 260) ».
7. Cité in A. Laquièze, A. Paynot, L’Union européenne tend-elle à
devenir un État ?, Fondation pour l’innovation politique, 2004, p. 26.
Notes

1. JOAN, déb., 1982, p. 246.


2. « Il nous faut un État fort et concentré sur ses missions
principales, ses missions régaliennes, et non pas un État qui, à force
de vouloir s’occuper de tout, fait tout mal » (J.-P. Raffarin, cité in Le
Monde, 30 octobre 2002).
3. Cité in Le Monde, 4 novembre 2002.
4. Dans sa décision no 01-454 DC du 17 janvier 2002, AJDA, 2002,
p. 100, obs. J.-E. Schoettl.
5. P. L. Frier, « Le pouvoir réglementaire local : force de frappe ou
puissance symbolique ? », AJDA, 24 mars 2003, p. 563.
6. Exposé des motifs du projet de loi, Sénat, 10 avril 2013.
7. On peut citer enfin, comme confirmant cette tendance jusqu’à la
caricature, le chef-d’œuvre d’improvisation que constitue, en juin
2014, le projet de réforme des régions (cf. « Le jour où François
Hollande a redessiné la France », Le Monde, 3 juin 2014).
Notes

1. Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ?, Genève, Droz, 1970, p. 182-


183.
Notes

1. « Le premier organe de la République institué par la Constitution


est le peuple », note M. Prélot (Institutions politiques et droit
constitutionnel, 3e éd., Paris, Dalloz, 1963, p. 588).
Notes

1. Loi constitutionnelle du 25 février 1875, art. 2 : « le président de


la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat
et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale » ;
Constitution du 27 octobre 1946, art. 29 : « le président de la
République est élu par le Parlement ».
2. Collège dont la composition est fixée par l’article 6, qui précise
qu’il réunit « les membres du Parlement, des conseils généraux et
des assemblées des TOM, ainsi que les représentants élus des
conseils municipaux », les maires de toutes les communes et un
certain nombre de représentants supplémentaires en fonction du
poids démographique de la commune.
3. Alors que les 16 millions de ruraux sont représentés par 39 000
électeurs, les 27 millions de Français urbains ne sont représentés
que par 33 500 électeurs.
4. M. Duverger, La Ve République, Paris, PUF, 1959, p. 32.
5. L. Hamon, Cours, op. cit., p. 351.
6. DM, t. IV, p. 41.
7. 4 octobre 1962, ibid., p. 32.
8. P. Deschanel, Gambetta, Paris, Hachette, 1919, p. 182.
9. « Nous avons craint, écrit ainsi Boissy d’Anglas en 1795, qu’étant
nommé par tous, il n’acquît une trop grande puissance relativement
au Corps législatif, dont chaque membre n’est nommé que par une
portion de citoyens. » Cité in A. Esmein et H. Nézard, Éléments de
droit constitutionnel français et comparé, 7e éd., Paris, Sirey, 1924,
p. 41.
10. « Nous avons pour le pouvoir exécutif une sorte d’aversion
originelle. Nous traînons […] tout un cortège de préjugés et de
préventions contre lui », déplorait en 1883 le futur président du
Conseil Waldeck-Rousseau (L’État et la Liberté, Paris, Charpentier,
1906, p. 58).
11. Léon Noël, De Gaulle et les débuts de la Ve République, Paris, Plon,
1976, p. 199. Dès mars 1961, au congrès de l’UNR, le Premier
ministre Michel Debré se prononçait en faveur d’une telle élection,
tout en demeurant hostile au régime présidentiel.
12. Que reflètent les articles des principaux ténors de cette classe
politique, recueillis en octobre 1962 par la Revue politique et
parlementaire : « Forfaiture » (G. Monnerville), « Au mieux, un
régime à la Salazar » (G. Mollet), « Vers un système consulaire » (M.
Faure), « Le dernier pas vers l’absolutisme » (E. Bonnafous), « Le
régime personnel » (J. Lecanuet).
13. Ainsi, Arnaud Montebourg, qui affirmait encore en 2000 que
« les grands républicains ont toujours combattu cette réforme » (La
Machine à trahir, Paris, Denoël, 2000, p. 203 sq.). Ou encore, de
l’autre côté de l’échiquier politique, la thèse, très critique, de Louis
Aliot, L’Élection du président de la Ve République au suffrage universel
direct, Paris, F.-X. de Guibert, 2003.
14. DPS, t. II, p. 89.
15. A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique (1835), Œuvres,
Paris, Gallimard, 1951, t. I, p. 126.
16. M. Debré, Le Monde, 13 octobre 1973.
17. L. Noël, L’Avenir du gaullisme, Paris, Plon, 1973, p. 32.
18. Cité in C. Boutin et F. Rouvillois, Quinquennat ou septennat ?,
Paris, Flammarion, coll. « Dominos », 2000, p. 41.
19. Projet de loi constitutionnelle, 10 septembre 1973, exposé des
motifs.
o
20. Loi constitutionnelle n 2000-964, 2 octobre 2000, JORF,
p. 15582.
21. C. Bartolone et M. Winock, Refaire la démocratie, Assemblée
nationale, rapport no 3100, octobre 2015, p. 83.
22. Constitution du 4 novembre 1848, article 45 : « Le président de
la République est élu pour quatre ans, et n’est rééligible qu’après un
intervalle de quatre années. »
23. Aux États-Unis, c’est le 22e amendement qui, en 1951,
constitutionnalise une coutume établie par George Washington, mais
violée par Franklin Roosevelt, qui fut réélu à trois reprises ; en
Russie, l’article 81 alinéa 3 de la Constitution de 1993 dispose
qu’une personne ne peut exercer la fonction de président « plus de
deux mandats consécutifs ».
24. Le Figaro, 18 novembre 2015.
25. Une démission qui, en l’occurrence, ressemble il est vrai à une
abdication, même si cette procédure est en principe réservée aux
monarchies ; mais au fond, peut-être peut-on y voir une
confirmation supplémentaire de la nature hybride du régime établi
en 1958, et que de Gaulle n’hésitait pas à qualifier de « monarchie
républicaine » (Cf. F. Rouvillois, « Les quasi-abdications d’un quasi-
monarque », RDP, no 1, 2015, p. 31 sq.).
26. Le 25e amendement (1967) dispose qu’en cas de décès ou de
démission du Président, « le vice-Président devient Président » – et
ne se contente pas d’agir « à la place du président ». En cas de
vacance de la vice-présidence, le Président désigne un remplaçant,
avec l’accord de la Chambre et du Sénat.
27. A. Poher, L’Intérim, Paris, L. Berthet, 1976, p. 8.
Notes

1. « Il me paraît clair que, en vertu d’une longue et constante


tradition républicaine et parlementaire, confirmée par la
Constitution du 4 octobre 1958, et notamment ses articles 18 et 68
al. 1er, la responsabilité du président de la République ne peut être
mise en cause devant le Parlement » (François Mitterrand, lettre du
29 août 1984, in D. Maus, Les Grands Textes de la pratique
institutionnelle de la Ve République, op. cit., p. 300).

2. Auparavant encore, il faudra que l’une des deux assemblées ait


été saisie d’une « proposition de résolution portant mise en
accusation devant la Haute Cour de justice » qui, pour être
recevable, doit avoir été signée par 1/10e au moins des membres de
cette assemblée (RAN, art. 158 ; RS, art. 86, al. 1er) : soit 58 députés
ou 33 sénateurs. Les difficultés rencontrées au printemps 2001 par
le député socialiste Arnaud Montebourg pour réunir le nombre de
signatures requis montrent que cette première étape n’est pas de
pure forme.
3. Cour de cassation, assemblée plénière, 10 octobre 2001,
Breisacher, Bull. crim., 2001, no 206.
4. Ce n’est qu’à l’issue de son mandat que l’ancien Président pourra
être poursuivi pour des actes détachables, comme ce fut le cas pour
Jacques Chirac, condamné, tardivement, le 15 décembre 2011, à
deux ans de prison avec sursis pour des faits remontant aux années
1990 dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris.
5. Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique,
Pour un renouveau démocratique, op.cit., p. 69.
6. En juin 2016, 124 États avaient ratifié le traité.
7. Pour des crimes commis après le 1er juillet 2002. On peut noter
que l’article 53-2 de la Constitution déroge également aux articles
68-1 (responsabilité des ministres), art. 26, al. 2 et 3 (immunités
parlementaires), 34 (amnistie et prescription), et 66 (pouvoir de
l’autorité judiciaire).
8. JOAN, déb., 22 février 2000, p. 1096-1097.
9. Dans son rapport 2012-2013, la CPI reconnaissait avoir « besoin
que les États parties coopèrent pleinement et promptement avec elle
pour l’aider et la soutenir, notamment en ce qui concerne
l’arrestation et la remise des personnes, la localisation et le gel des
avoirs et la protection des victimes et des témoins » (rapport
A/68/314).
10. Dispositions reprises par les articles 38 et 42, al. 1er de la
Constitution du 27 octobre 1946.
11. R. Capitant, « Un Président responsable », Écrits politiques, 1960-
1970, Paris, Flammarion, 1971, p. 53-54.
12. Ibid., p. 420. Dans le même sens, M. et J.-L. Debré, Le Pouvoir
politique, Paris, Seghers, 1977, p. 106-112.
13. Cité in J. Massot, L’Arbitre et le Capitaine, Paris, Flammarion,
coll. « Champs », 1987, p. 145 et p. 201.
Notes

1. F. Luchaire et G. Conac, Le Droit constitutionnel de la cohabitation.


Bilan d’une expérience politique, Paris, Economica, 1989, p. 42.
2. Le seul véritable pouvoir qui reste alors au Président serait de
démissionner, comme certains le proposent d’ailleurs à Albert
Lebrun le 7 juillet 1940, pour protester contre la disparition
programmée de la IIIe République (A. Lebrun, Témoignage, Paris,
Plon, 1945, p. 105). Il en ira de même, dix-huit ans plus tard, pour
le président René Coty, obligé de mettre sa démission dans la
balance pour contraindre la classe politique à accepter le retour du
général de Gaulle.
3. M. Debré, Mémoires, t. II, op. cit., p. 377.
4. Décision du président de l’Assemblée nationale, Jacques Chaban-
Delmas, 19 septembre 1961 (cité in D. Maus, Textes et documents,
2e éd., op. cit., p. 148-149).
5. Dans son arrêt d’assemblée du 2 mars 1962, Rubin de Servens, R.,
p. 143, le Conseil d’État estime à cet égard que la décision de mettre
en application l’article 16 « présente le caractère d’un acte de
gouvernement, dont il n’appartient au Conseil d’État ni d’apprécier
la légalité, ni de contrôler la durée d’application ». Il faut souligner
en revanche que les mesures prises par le président de la République
sont susceptibles d’un tel contrôle lorsqu’elles relèvent du domaine
réglementaire – et que le Conseil d’État serait donc compétent pour
en connaître en temps normal : seules les décisions prises dans le
domaine de la loi échapperont alors à son contrôle.
6. Cf. F. Rouvillois, « La Ve République, un coup d’État de tous les
jours ? », in Ch. Boutin, F. Rouvillois, Les Coups d’État, Paris, F.-X. de
Guibert, 2008, p. 204-205.
7. R. Badinter, « Non à l’hyper-présidence », Le Monde, 20 et
21 juillet 2008, p. 12.
8. Comme l’affirme Michel Debré dans son discours du 27 août
1958.
9. G. Elgey, Histoire de la IVe République, troisième partie, t. 1er,
Paris, Fayard, 1992, p. 391.
Notes

1. J. Barthélemy, Précis de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 1936,


p. 321.
2. « On a un président de la République qui est élu au suffrage
universel, avec une légitimité considérable, et avec une élection qui
coïncide avec l’élection législative. Les Français attendent que ce
président de la République mette en œuvre son projet. Le rôle du
Premier ministre que je suis, qui a conçu le projet avec lui, c’est de
mettre en œuvre le projet du président de la République » (F. Fillon,
RTL, 6 juin 2007).
3. Pour reprendre le sous-titre de l’ouvrage de J. Massot, Chef de
l’État et chef du gouvernement, Paris, La Documentation française,
1993.
4. JOAN, déb., 2 février 1960, p. 116.
5. À trois reprises, en juillet (privatisations), septembre
(délimitation des circonscriptions électorales) et décembre
(aménagement du temps de travail).
6. En vertu d’une circulaire du Premier ministre du 11 avril 1975,
codifiant une pratique existant depuis 1959 et persistant en cas de
cohabitation (cf. C. Gouaud, « Le Conseil des ministres sous la
Ve République », RDP, 1988, p. 476).
7. R. Odent, cité in J. Massot, Chef de l’État et chef du gouvernement,
op. cit., p. 119.
8. CE, Ass., 10 décembre 1992, Meyet, RDP, 1992, p. 1799, concl.
Kessler.
9. Communiqué de presse du Conseil d’État, cité in D. Pouyaud,
RFDA, 1993, p. 61.
10. Rapport, op. cit., JORF 16 février 1993, p. 2541.
11. À la fois parce que ces recrutements s’effectuent par voie de
concours, et que les promotions y sont très strictement encadrées, et
parce que le nombre des emplois en question, environ 70 000, est
trop important pour qu’un véritable pouvoir de décision puisse s’y
exercer.
12. Auparavant, ces responsables étaient nommés, en vertu de la loi
du 5 mars 2009, par décret du président de la République, après
avis conforme du CSA et des commissions parlementaires
compétentes.
13. B. Chenot, Être ministre, Paris, Plon, 1967, p. 22.
14. 31 janvier 1964, in DM, t. IV, p. 172.
15. De même, il pourra, au titre de l’article 61, al. 2, déférer cette
loi au Conseil constitutionnel, ce qui aura pour effet de suspendre le
délai de promulgation (al. 4).
16. Constitution de 1848, art. 58 ; loi constitutionnelle du 16 juillet
1875, art. 7 ; Constitution de 1946, art. 36.
17. La loi sur l’Exposition universelle de 1989 avait été adoptée par
une loi du 30 juin 1983, mais le gouvernement avait dû renoncer au
projet entre le moment de l’adoption et celui de la promulgation.
Pour ne pas être obligé d’adopter une seconde loi annulant la
première, le président Mitterrand demanda une seconde
délibération : celle-ci n’eut naturellement pas lieu, ce qui permit
d’enterrer le projet à moindres frais…
18. Le 16 décembre 1987, le président Mitterrand ayant affirmé que
« ces compétences relèvent de la seule responsabilité et de la seule
appréciation du président de la République », son Premier ministre
Jacques Chirac reconnaîtra que « c’est parfaitement conforme à ses
prérogatives présidentielles » (Le Monde, 22 décembre 1987).
19. La grâce se distingue de l’amnistie, qui fait disparaître
rétroactivement la condamnation prononcée, et qui est également
accordée par le président de la République.
20. Loi organique no 2010-830 du 22 juillet 2010 relative à
l’application de l’article 65 de la Constitution, art. 7.
21. C’est ainsi que Jacques Chirac a demandé, le 14 février 2001, le
report de l’inscription du projet de loi sur la Corse, afin de permettre
au gouvernement de « réexaminer les difficultés constitutionnelles
soulevées par le Conseil d’État ».
22. En mars 1993, il prévient ainsi : « Je veillerai à la continuité de
notre politique extérieure » (cité in J. Massot, Chef de l’État et chef du
gouvernement, op. cit., p. 104).
23. Par exemple, en matière de défense, le décret no 64-46 du
14 janvier 1964, JORF, p. 722, relatif à la force de frappe nucléaire ;
ou, en matière européenne, l’article 9 B du traité sur l’UE, qui
précise que « le Conseil européen réunit les chefs d’État ou de
gouvernement des États membres ainsi que le président de la
Commission »…
24. Prenant des positions très hostiles au Hezbollah lors d’une
conférence à Jérusalem, puis violemment pris à partie, le lendemain,
à l’université palestinienne de Bir Zeit, le Premier ministre s’attira
les foudres (purement verbales) du chef de l’État qui, faute de
mieux, finit par protester par voie de presse.
Notes

1. M. Debré, Refaire un État, une démocratie, un pouvoir, Paris, Plon,


1958, p. 20.
2. M. Prélot, Institutions politiques et droit constitutionnel, op. cit.,
p. 646.
3. Ch. de Gaulle, Mémoires d’espoir, t. I, Plon, 1970, p. 301.
Notes

1. « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la


nation » : ce qui semble impliquer que le Président ne le fait pas…
2. Sous le pseudonyme Jacquier-Bruère, Refaire la France, Paris,
Plon, 1945, p. 115-123.
3. Ce raisonnement renvoie à la tradition libérale à laquelle se
rattache Michel Debré, son monarque républicain ressemblant trait
pour trait au Président décrit par le duc de Broglie dans ses Vues sur
le gouvernement de la France (Paris, Michel Lévy, 1870, p. 227) : « un
chef investi de tous les attributs de la royauté, […] un chef roi sauf
le nom et la durée », mais ne pouvant agir qu’avec le concours des
ministres et l’accord du Parlement.
4. 20 septembre 1962, in DM., t. IV, p. 23.
5. 31 janvier 1964, ibid., p. 172.
6. 20 septembre 1962, ibid., p. 22.
7. 31 janvier 1964, ibid., p. 172.
8. Jacquier-Bruère, Refaire la France, op. cit., p. 116.
Notes

1. François Hollande, lors du débat du 2 mai 2012, avait ainsi


déclaré, en vue de se démarquer de la pratique de Nicolas Sarkozy :
« Moi, président de la République, je ne traiterai pas mon Premier
ministre de collaborateur » : ses rapports avec Jean-Marc Ayrault,
jusqu’au départ de celui-ci en avril 2014, mais aussi avec Manuel
Valls depuis cette date, confirment que le Président « normal » s’est
contenté d’endosser... la normalité de la présidence.
2. L. Hamon, Cours, op. cit., p. 424.
3. À cet égard, il faut souligner l’ambiguïté des travaux
préparatoires. Si, devant le Comité consultatif constitutionnel, le
général de Gaulle affirme que le Président ne pourra révoquer son
Premier ministre, on s’aperçoit en revanche que ce « parallélisme
des formes » qu’il évoque dans sa conférence de presse de 1964
avait été envisagé à plusieurs reprises lors des mêmes travaux
préparatoires, tant par Debré, qui soutient que « le pouvoir de
nomination comporte le pouvoir de révocation » (DPS, t. I, p. 271),
que par de Gaulle lui-même (ibid., p. 277, 291).
4. Cité in C. Delporte, Come back, ou l’art de revenir en politique,
Paris, Flammarion, 2014, p. 31.
5. Entretien de l’auteur avec P. Messmer, Institut de France, 2 mars
1999.
6. DPS, t. I, p. 235.
7. B. Chenot, Être ministre, op. cit., p. 13.
8. Ordonnance no 58-1099 du 17 novembre 1958, portant loi
organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, JORF,
18 novembre 1958.
9. B. Chenot, Être ministre, op. cit., p. 103 et p. 13.
10. Nouvelobs.com, 27 mai 2007.
11. On peut noter à ce propos que le rapport du comité compensait
en partie cette atteinte à l’esprit de la Constitution en proposant une
rédaction plus large de l’article 23, rendant incompatibles les
fonctions de ministre avec l’exercice de tout mandat électif,
notamment local. Mais ce refus du mélange des genres,
particulièrement justifié à une époque où la décentralisation a
donné une importance inédite aux mandats locaux, fut finalement
écarté du projet de loi constitutionnelle. Ce qui fait que l’on pourra
désormais siéger au gouvernement tout en étant titulaire d’un
mandat électif local, et en demeurant un parlementaire
« temporairement remplacé ».
12. Pour un renouveau démocratique, op. cit., p. 56-57.
13. JOAN, déb., 22 juin 1993.
14. Le Monde, 31 mars 2014.
15. CE 12 novembre 1965, Compagnie marchande de Tunisie, R.,
p. 602, AJDA, 1966, p. 167, concl. Questiaux. Rendu à propos du
président du Conseil de la IVe République, cet arrêt vaut également
e
pour le Premier ministre de la V . Il déduit l’absence de pouvoir
hiérarchique du président du Conseil, de ce qu’en vertu de la
Constitution, « la hiérarchie administrative aboutit au ministre », et
qu’en outre, il serait aberrant que le ministre, chargé de
contresigner les actes du président du Conseil, ait à approuver un
décret annulant l’une de ses propres décisions. L’autorité exercée par
le président du Conseil sur les autres ministres n’est donc pas
juridique, mais politique, manifestée par l’« arbitrage » qu’il doit
assurer entre eux.
16. Les (sept) plus proches participaient depuis 2008 au « G7 »,
cercle rapproché réuni autour du chef de l’État : regroupement jugé
problématique, à l’époque, par le Premier ministre François Fillon,
qui en était exclu, et qui estima nécessaire de rappeler que « les
sept » n’échappaient pas à son autorité, « notamment dans les
arbitrages budgétaires », tout en précisant que le fait de « donner
une trop grande publicité » à cette structure parallèle n’était « pas
sain pour le fonctionnement du gouvernement » (JDD, 1er septembre
2008).
17. M. Debré, Mémoires, t. III, op. cit., p. 29.
18. « Conseil des ministres, les six consignes de Manuel Valls », Le
Monde, 4 avril 2014.
19. J. Massot, L’Arbitre et le Capitaine, op. cit., p. 286.
20. R. Belin, Lorsqu’une République chasse l’autre, op. cit., p. 82.
21. Le 23 mai 2007, sur Europe 1, il déclarait ne pas demander aux
ministres de « renoncer à leurs convictions » : « J’attends de ce
gouvernement qu’il soit un lieu de débat. » Virage radical par
rapport à l’« acte de sacrifice » que de Gaulle exigeait de ses
ministres, obligés de renoncer à leurs opinions et à leurs
appartenances (cf. 8 août 1958, DPS II, p. 303).
22. B. Bonte, Dans le secret du Conseil des ministres, Paris, Éditions du
moment, 2011, p. 121.
23. Ainsi après l’élection présidentielle : 3e gouvernement
Pompidou, 8 janvier 1966. Ou après les élections législatives : 1er
e
gouvernement Pompidou, 28 novembre 1962, 4 gouvernement
Pompidou, 1er avril 1967, 2e gouvernement Messmer, 2 avril 1973,
3e gouvernement Barre, 31 mars 1978, etc.
24. CE 27 avril 1962, Sicard, R., p. 279 : « S’il est constant que le
décret attaqué n’a pas été délibéré en Conseil des ministres, la
circonstance qu’il ait été néanmoins signé par le chef de l’État n’est
pas de nature à l’entacher d’illégalité, dès lors que le Premier
ministre, investi du pouvoir réglementaire par l’article 21 de la
Constitution, y a lui-même apposé sa signature. »
25. « Dans les institutions de la Ve République, déclarait ainsi le
président Chirac le 14 juillet 2002, le Premier ministre assume la
responsabilité du gouvernement. C’est lui qui gouverne » (Le Monde,
16 juillet 2002). Quant à Jean-Pierre Raffarin, il précisait dans le
même sens : « Un gouvernement, ça discute, un Premier ministre, ça
décide » (France 2, 26 septembre 2002).
26. B. Chenot, Être ministre, op. cit., p. 23.
27. L. Noël, De Gaulle, op. cit., p. 179 ; de même, R. Belin, Lorsqu’une
République chasse l’autre, op. cit., p. 205.
28. Dans la mesure où c’est le Premier ministre qui élabore le
programme gouvernemental et qui demande au Parlement
l’autorisation de recourir aux ordonnances « pour l’exécution de [ce]
programme » (art. 38, al. 1er).
29. T.-S. Renoux et M. de Villiers, Code constitutionnel, op. cit.,
p. 344.
30. CE Ass., 10 juillet 1981, Union patronale des Hauts-de-Seine, R.,
p. 305 ; sur cette question, voir la circulaire du Premier ministre en
er
date du 30 janvier 1997, JORF, 1 février 1997.
31. B. Chenot, Être ministre, op. cit., p. 59.
32. Une proportion encore accrue pour les Premiers ministres,
puisque jusqu’en 2002 elle dépassait les 80 %. Depuis la réélection
de Jacques Chirac, en revanche, un seul d’entre eux, Dominique de
Villepin, a été choisi dans ce vivier jadis quasi exclusif, et plus
aucun n’en est issu depuis l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 : au
point que l’on peut se demander s’il s’agit d’une coïncidence
fortuite, d’une mutation sociologique d’envergure, ou d’une volonté
délibérée de rompre avec une certaine forme d’élitisme républicain.
Notes

1. M. Debré, « Les trois caractéristiques du système parlementaire


français », RFSP, 1955, p. 21-48.
2. Avant la loi organique no 2003-696 du 30 juillet 2003 (JORF,
p. 13016), l’âge d’éligibilité était de 35 ans révolus.
3. La seule exception concerne les majeurs sous tutelle ou en
curatelle, selon l’article LO 129 du Code électoral.
4. Avec la loi organique du 30 décembre 1985, introduisant les
articles LO 141 et 297 du Code électoral.
5. C’est-à-dire, les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de
maire délégué, d’adjoint au maire, de président ou de vice-président
du conseil départemental ou régional, de président d’établissement
public de coopération intercommunale ou de syndicat mixte ; ou
encore, selon le nouvel article LO 147, avec les fonctions de
président ou de vice-président du conseil d’administration d’un
établissement public local, d’une société d’économie mixte locale,
d’une société publique locale ou d’un organisme de HLM.
6. « Les représentants de la nation […] ne pourront être recherchés,
accusés ni jugés en aucun temps pour ce qu’ils auront dit, écrit ou
fait, dans l’exercice de leurs fonctions de représentants » (titre III,
chap. 1er, section V, art. 7). Voir, de même, Constitution de 1848,
article 36 ; loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, art. 13 ;
Constitution de 1946, article 21.
7. C’est ainsi que l’opinion interpréta, en janvier 2014, le refus de
lever l’immunité du sénateur Serge Dassault – jusqu’à ce que ce
dernier le réclame expressément, afin d’être en mesure de répondre
aux suspicions pesant sur lui.
8. J. Barthélemy, P. Duez, Traité de droit constitutionnel, op. cit.,
p. 597.
9. Décision no 2013-675 DC, 9 octobre 2013.
10. JOAN, déb., 26 mai 1959, p. 557.
11. E. Pierre, Traité de droit politique et parlementaire, cité in P. Avril
et J. Gicquel, Droit parlementaire, Paris, Montchrestien, 2e éd., 1996,
p. 9.
12. Au 1er mai 2016, 77 décisions avaient été rendues à ce titre, le
Conseil s’étant par ailleurs reconnu compétent pour contrôler le
règlement du Congrès (DC, 63-24, 20 décembre 1963).
13. Voir en ce sens la Constitution du 26 juin 1793, art. 39 : « Le
corps législatif est un, indivisible et permanent » ; et 40 : « sa session
est d’un an ».
14. À l’origine, une session d’automne du 1er mardi d’octobre au 3e
vendredi de décembre, et une session de printemps, ouverte le
dernier mardi d’avril et n’excédant pas trois mois. Pour des raisons
pratiques, la loi constitutionnelle du 30 décembre 1963 a modifié
ces dates en disposant que la première session, ouverte le 2 octobre,
durerait quatre-vingts jours, et que la seconde, ouverte le 2 avril, ne
pourrait excéder quatre-vingt-dix jours.
15. Soit cinquante de moins qu’avant 1995. On remarque cependant
que la rigidité de ces dispositions est assouplie par l’alinéa 3 de
l’article 28 qui permet au Premier ministre ou à la majorité de
chaque assemblée de décider, dans le cadre de la session ordinaire,
de jours de séance supplémentaires.
16. Il existe d’autres sessions de plein droit : notamment, après
dissolution (art. 12, al. 3), en cas d’application de l’article 16, en cas
de message au Parlement (art. 18).
17. Composées du président de chaque assemblée, des vice-
présidents, des présidents de groupes politiques, des présidents de
commissions permanentes, du rapporteur de la Commission des
finances et du président de la délégation pour l’Union européenne,
ces conférences sont convoquées chaque semaine par le président de
l’assemblée intéressée (RAN, art. 48, 1er, RS, art. 29, 1er).
e
18. Sous la IV République, c’est par son représentant à la
Conférence des présidents que le gouvernement était susceptible de
prendre position sur l’ordre du jour.
19. Pour Tardieu, trois fois président du Conseil sous la
IIIe République, c’est grâce à ce pouvoir d’initiative que « la majorité
des députés est, à tout instant, maîtresse de l’exécutif » (La
Profession parlementaire, Paris, Flammarion, 1937, p. 201).
20. Une maîtrise gérée avec efficacité et professionnalisme : le
gouvernement opérant dans le temps qui lui est imparti un véritable
« drainage de l’ordre du jour » en allongeant la « semaine
ministérielle », ou en utilisant la procédure accélérée, qui permet de
réunir une commission mixte paritaire après une seule lecture dans
chaque assemblée : c’est ainsi qu’entre juillet 2009 et mai 2010,
62 % des projets de loi ont fait l’objet d’une telle procédure, contre
moins de 26 % sur la session 2007-2008… (Cf. S. Douteaud, « Un an
de gestion parlementaire du nouvel article 48 de la Constitution »,
o
RFDC, n 87, 2011, p. 536).
21. En 2009, le gouvernement n’a pas hésité à préempter quatre
semaines afin de se livrer à l’examen des lois de finances en dehors
de l’ordre du jour gouvernemental – et à utiliser ce mécanisme pour
les lois de finances rectificatives, bien que ces dernières ne figurent
pas parmi les exceptions limitativement énoncées dans l’article 48…
22. Cf. G. Houillon, Le Lobbying en droit public, Bruxelles, Bruylant,
2012.
23. Antérieurement à la révision de 2008, l’ancien article 43,
alinéa 2 en limitait le nombre à six.
24. On compte actuellement sept Commissions au Sénat, et huit à
l’Assemblée nationale : Commission des affaires culturelles et de
l’éducation, Commission des affaires économiques, Commission des
affaires étrangères, Commission des affaires sociales, Commission de
la défense nationale et des forces armées, Commission du
développement durable et de l’aménagement du territoire,
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle
budgétaire, Commission des lois constitutionnelles, de la législation
et de l’administration générale de la République (RAN, art. 36).
Notes

1. B. Chenot, Être ministre, op. cit., p. 46.


Notes

1. Rédigées par un parlementaire, elles sont adressées par le


président de l’assemblée intéressée au ministre concerné qui, dans
un délai d’un mois, parfois deux, publiera sa réponse au Journal
officiel.
2. Voir par exemple, suite au scandale Cahuzac, la « Commission
d’enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action
du gouvernement et des services de l’État entre le 4 décembre 2012
et le 2 avril 2013 dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la
démission d’un membre du gouvernement » ; créée le 25 avril 2013,
cette commission a remis son rapport le 8 octobre 2013.
3. Mais un droit largement utilisé : entre le début de la XIVe
législature et le mois de mai 2016, soit un peu moins de deux ans,
85 propositions de résolution avaient ainsi été adoptées. Des
résolutions qui, sans contenir d’instructions à proprement parler,
n’en formulent pas moins habituellement des demandes ou des
souhaits, adressés au gouvernement ou au président de la
République.
4. Traité de Lisbonne, 13 décembre 2007, Protocole sur le rôle des
parlements nationaux dans l’UE.
5. Et même entre le « programme » et la « déclaration de politique
générale ». Le 3 juillet 2002, c’est en effet sur une telle
« déclaration » que le nouveau Premier ministre J.-P. Raffarin avait
engagé sa responsabilité devant l’Assemblée nationale, avant de
demander au Sénat, le lendemain, d’approuver la même déclaration
sur le fondement de l’article 49, al. 4. Il en fut de même pour Jean-
Marc Ayrault en juillet 2012 et pour Manuel Valls le 8 avril 2014
puis le 16 septembre 2014.
6. Lettre du président Valéry Giscard d’Estaing, avril 1978, cité in D.
Maus, Textes, 2e éd., op. cit., p. 311.
Notes

1. Dans une décision no 76-72 DC du 12 janvier 1977, le Conseil


constitutionnel précise que le gouvernement a l’obligation
« d’indiquer avec précision au Parlement lors du dépôt d’un projet
de loi d’habilitation […] qu’elle est la finalité des mesures qu’il se
propose de prendre ».
2. CE., section, 3 novembre 1961, Damiani, R., p. 607 ; CE Ass., 24
novembre 1961, Fédération nationale des syndicats de police, R.,
p. 658, S., 1963, III, p. 59, note L. Hamon. Celui-ci relève que, dans
cette hypothèse, l’acte de l’exécutif « demeure administratif par
nature », comme les anciens décrets-lois.
3. Cette ratification implicite pouvant résulter « d’une manifestation
de volonté implicitement mais clairement exprimée par le
Parlement » (72-73 L, 29 février 1972), ou même simplement
« impliquée », indirectement mais nécessairement, par une loi ayant
un objet différent (84-224 DC, 23 janvier 1987).
4. La pratique des ordonnances paraît révélatrice de la résignation
du Parlement à son état d’abaissement. À ce propos, les observateurs
ont noté l’extraordinaire recrudescence de cette procédure entre
2000 et 2005 – les ordonnances étant très nombreuses, parfois plus
que les lois elles-mêmes, et portant sur des questions variées, allant
jusqu’à toucher au droit civil. À l’époque, le sénateur (et professeur
de droit) Hugues Portelli y avait vu « l’illustration caricaturale de
l’omnipotence législative du gouvernement, […] synonyme de
décadence de la loi » (H. Portelli, « Les ordonnances : les raisons
d’une dérive », Droits, no 44, 2007, p. 6-7). Un certain reflux semblait
s’être produit suite à l’élection de François Hollande à la présidence
de la République, peut-être lié à la volonté de favoriser un
renouveau du parlement. On ne comptait ainsi que 25 ordonnances
en 2013. Cependant, l’arrivée de l’énergique Manuel Valls à
Matignon en avril 2014 a conduit à renouer avec les anciens usages.
On n’adoptera ainsi pas moins de 70 ordonnances en 2015, et 38
entre les seuls mois de janvier et d’avril 2016.
5. J. Massot, Chef de l’État et chef du gouvernement, op. cit., p. 123.
6. À l’époque, cette disposition avait suscité les protestations du
président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, qui exigeait
que l’on « respecte la tradition de la Ve République, laquelle donne
la primauté à l’Assemblée ». Celle-ci, expliquait-il, « est la seule
chambre à être élue directement par le peuple », le Sénat n’ayant
donc qu’« un rôle complémentaire de celui des députés » (entretien
au Parisien, 1er décembre 2002).
7. Une règle dont sont dispensés les projets de lois particulières,
comme les lois constitutionnelles, les lois de finances, les lois de
financement de la sécurité sociale, ou encore les lois relatives aux
états de crise…
8. Avant celle du 1er juillet 2014, la dernière en date, seules onze
décisions avaient été rendues sur ce fondement par le Conseil
constitutionnel, la plus récente datant du 23 mai 1979.
9. J.-M. Belorgey, Le Parlement à refaire, Paris, Gallimard, 1991,
p. 15.
10. Selon la nouvelle rédaction de l’article 44, alinéa 1, « ce droit
s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par
les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi
organique ».
11. Cité in L. Hamon, D., 1960, p. 352.
12. Il semble en voie de raréfaction : si l’on dénombre à l’Assemblée
nationale quarante-trois utilisations de 1986 à 1988, et soixante-six
de 1990 à 1992, il n’est plus utilisé depuis que deux fois par an en
moyenne.
13. Durant la session 2000-2001, vingt-cinq commissions mixtes
paritaires furent constituées, dont seulement six parvinrent à un
accord : de là, une banalisation du « dernier mot » de l’Assemblée,
déplorée par le président du Sénat, Christian Poncelet, qui y voyait
le signe d’« une dégradation certaine » du bicamérisme.
14. Pouvoir encore élargi par la révision de juillet 2008, qui prévoit
que l’Assemblée nationale est notamment libre de choisir le texte sur
lequel elle va statuer définitivement, qui sera « soit le texte élaboré
par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié
le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le
Sénat ».
15. L. Hamon, Cours, op. cit., p. 487.
16. Comme l’affirmait le président de l’Assemblée nationale
o
Raymond Forni en juin 2001 (cité in Pouvoirs, n 99, 2001, p. 200).
17. Cf. J.-L. Debré, Le Monde, 16-17 février 2003 : « C’est une juste
application de la Constitution. »
18. R. Barre, JOAN, déb., 19 décembre 1979.
19. À ce propos, il faut tout de même noter que l’article 49, al. 3, ne
surmonte que l’opposition de l’Assemblée. En revanche, le texte en
question devra avoir été voté par le Sénat, l’article 49, al. 3, ne
pouvant être utilisé devant cette chambre, puisque elle-même ne
pourrait mettre en cause la responsabilité du gouvernement en
votant une motion de censure. Pourtant, il serait toujours possible
de combiner les dispositions de l’article 49, al. 3, et celles de
l’article 45, al. 4, qui, on l’a vu, permet au gouvernement, en cas de
désaccord entre les deux assemblées, de donner le dernier mot à
l’Assemblée nationale. Ainsi, la loi pourra être considérée comme
adoptée alors même qu’elle ne l’a été, en fait, par aucune des deux
chambres.
er
20. Au 1 mai 2016, 262 décisions « L » avaient été rendues.
21. DPS, t. III, p. 260.
22. Le Monde, 28 juillet 2001.
23. Sur cette question, A. Le Gall, « À propos de la loi organique du
1er août 2001 », RRJ, 3-2007, p. 1302 sq.
Notes

1. Au sens contemporain d’ensemble des ministres, et non au sens


classique, beaucoup plus large, où l’utilise encore Maurice Block à la
fin du XIXe siècle : « l’ensemble des pouvoirs auxquels, dans chaque
État, appartient l’exercice de la souveraineté effective » (Petit
dictionnaire politique et social, op. cit., p. 358).
2. M. Debré, Refaire une démocratie, op. cit., p. 47.
Notes

1. Jacquier-Bruère, Refaire la France, op. cit., p. 155.


2. Dans un livre publié en novembre 1981, François Mitterrand,
alors président de la République, écrit encore : « Où l’indépendance
irait-elle se nicher dans ce cénacle recruté homme par homme […]
par les archontes de la majorité ? » (Politique, Paris, Fayard, 1981,
t. II, p. 204).
3. En août 2013, suite à l’invalidation par le Conseil de ses comptes
de campagne, Nicolas Sarkozy déclara « démissionner » du Conseil :
une hypothèse non prévue par la Constitution, et par conséquent
juridiquement impossible.
4. « Il serait logique, compte tenu notamment de l’accentuation du
caractère juridictionnel du Conseil, qu’elle soit supprimée », déclare
Laurent Fabius sur RTL le 16 mars – rappelant qu’il s’agit du reste
de l’une des soixante propositions du candidat Hollande en 2012…
5. JOAN, déb., 10 octobre 1974, p. 4956.
6. Préface à D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, Paris,
Montchrestien, 1999, 5e éd., p. 9.
7. À une exception près : en vertu de l’article 12 du 8 novembre
1958, lorsqu’un membre, nommé pour terminer le mandat de son
prédécesseur, a siégé moins de trois ans, il pourra, à l’expiration de
ce mandat, être nommé à nouveau pour une durée de neuf ans.
8. D. Rousseau, Sur le Conseil constitutionnel, la doctrine Badinter et la
démocratie, Paris, Descartes & Cie, 1997, p. 37.
9. Les membres du Conseil, lorsqu’ils entrent en fonctions, prêtent
d’ailleurs le serment de respecter strictement cette obligation
d’impartialité, de même que le secret des délibérations et
l’obligation de réserve.
Notes

1. Voir le récit circonstancié de cette tentative, finalement vouée à


l’échec, in R. Triboulet, Un ministre du Général, Paris, Plon, 1985,
p. 18-19.
2. DPS, t. II, p. 176.
3. En ce qui concerne les traités, ce n’est que depuis la révision
constitutionnelle du 25 juin 1992 que la saisine a été étendue, sur le
modèle des lois ordinaires, à soixante députés ou soixante sénateurs.
4. P. Juillard, RDP, 1974, p. 1704.
5. P. Bon, « Exception d’inconstitutionnalité », in O. Duhamel, Y.
Meny, Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992.
6. Parmi une littérature surabondante, on pourra se reporter en
premier lieu à la synthèse très claire de deux conseillers d’État,
Christine Maugüé et Jacques-Henri Stahl, La Question prioritaire de
constitutionnalité, Paris, Dalloz, 2011.
7. Une Ve République plus démocratique, p. 169.
8. D. Rousseau, « Le procès constitutionnel », Pouvoirs, no 137, 2011,
p. 48.
Notes

1. DPS, t. III, p. 260.


2. Ainsi, en janvier 1960, lors de l’affaire des « barricades » d’Alger,
le Président préférera renoncer à la mise en œuvre de l’article 16
après que le Conseil constitutionnel lui eut fait officieusement savoir
que, le cas échéant, il émettrait un avis négatif (L. Noël, De Gaulle,
op. cit., p. 101).
3. Depuis la révision du 23 juillet 2008.
4. En revanche, le contrôle de la campagne lui échappe, relevant
d’une instance spécifique, la Commission nationale de contrôle de la
campagne électorale, composée de cinq hauts magistrats, établie en
vertu de l’article 13 du décret no2001-213 du 8 mars 2001.
5. Préface à P. Jan et J.-P. Roy, Le Conseil constitutionnel vu du
Parlement, Paris, Ellipses, 1997, p. 6.
6. « Il est à peu près vain de vouloir encadrer une telle opération
politique, inscrite au cœur de notre dispositif constitutionnel »,
remarque le doyen Vedel (préface à Y.-M. Doublet, L’Argent et la
Politique en France, Paris, Economica, 1997, p. VI).
7. Décision no 2013-156 PDR, 4 juillet 2013 sur un recours de M.
Nicolas Sarkozy dirigé contre la décision du 19 décembre 2012 de la
Commission nationale des comptes de campagnes et des
financements politiques.
8. Décision no 2000-23 et 2000-24 REF du 23 août 2000.
9. Le Conseil d’État ayant, quant à lui, renoncé à contrôler les
décisions préparatoires au référendum (CE Ass., 1er septembre 2000,
Larrouturou, RFDA, 2000, p. 1002).
10. Le gouvernement estimant alors qu’elle conduirait à « transférer
au Conseil constitutionnel la compétence reconnue au président de
la République, et à lui seul, d’être le garant fondamental de la
Constitution » (JOAN, déb., 12 juillet 1995, p. 917).
11. Ce contentieux relève en partie d’autres juges, notamment des
tribunaux administratifs qui, sur saisine du préfet, peuvent se
prononcer en première instance sur l’éligibilité des candidats, le
Conseil constitutionnel n’étant alors compétent qu’en appel.
12. Ce qui n’empêche pas sa jurisprudence d’être abondante : en
avril 2016, on comptait 2 821 décisions AN, et 177 décisions SEN.
13. Seules cinq annulations ont ainsi été prononcées à l’occasion des
législatives de 2012 ; de 1959 à 2013, le total des annulations
n’excède pas soixante-sept.
14. F. Luchaire, Le Conseil constitutionnel, Paris, Economica, 2e éd.,
1997, t. I, p. 384.
15. Décision no 81-1 ELEC, 11 juin 1981, Delmas ; cette orientation
fut confirmée par la décision no 97-12 ELEC du 20 mars 1997,
Richard, bien que le Conseil d’État, ayant renversé sa jurisprudence,
se reconnaisse désormais lui aussi compétent (CE Ass., 12 mars
1993, Union nationale écologiste, R., p. 67). Sur ce rôle du Conseil
constitutionnel en tant que « juge administratif », cf. O. Gohin, Droit
e o
constitutionnel, Paris, Litec, 2 éd., 2013, n 979.
16. Il est vrai que, par réalisme, le Conseil constitutionnel a effacé
« partiellement le caractère très strict qui s’attacherait à la lettre de
la loi ou au prononcé automatique d’une sanction sévère » (J.-P.
Camby, « Le contentieux des élections des députés, éléments pour
un bilan », p. 87), par exemple en ce qui concerne la prohibition des
dons et des avantages matériels procurés par des personnes morales
énoncée dans l’article L. 52-8 du Code électoral (14 octobre 1997,
Première circonscription du Val-de-Marne, AJDA, 1998, p. 63).
Notes

1. DPS, t. III, p. 260.


2. Depuis la révision du 23 juillet 2008.
3. Dans une décision 99-410 DC du 15 mars 1999, le Conseil
constitutionnel, déclarant inconstitutionnels les articles de la loi
organique relative à la Nouvelle-Calédonie prévoyant une peine
automatique d’inéligibilité en cas de faillite personnelle, a estimé
que les dispositions de la loi du 25 janvier 1985 auxquelles
renvoyait la loi organique contrôlée étaient contraires à la
Constitution, dans la mesure où elles méconnaissaient le principe de
la nécessité des peines (cons. 42). En revanche, les conséquences
juridiques de cette déclaration d’inconstitutionnalité, qui n’apparaît
même pas dans le dispositif de la décision, restent fort incertaines :
on a parlé à cet égard d’« une sorte d’inconstitutionnalité virtuelle
qui n’est pas revêtue de l’autorité de chose jugée » (J.-P. Camby,
« Une loi promulguée, frappée d’inconstitutionnalité ? », RDP, 1999,
p. 657).
4. Décision no 2010-73 QPC du 3 décembre 2010 Société ZEturf
Limited, à propos de la loi du 2 juin 1891 sur les courses de
chevaux.
5. Décision no 2012-278 QPC du 5 octobre 2012, Mme Élisabeth B.
6. CE 14 mai 2010, Rujovi´c, req. no 312305 : « La loi autorisant la
ratification d’un traité, qui n’a pas d’autre objet que de permettre
une telle ratification, […] est, par sa nature même, insusceptible de
porter atteinte à des droits et libertés au sens des dispositions de
l’article 61-1 de la Constitution. »
7. « Sous le couvert de la critique des articles L 450-1 et L 450-4 du
Code de commerce, la question posée ne tend en réalité qu’à
contester la conformité à la constitution du règlement
communautaire no 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence » (Cass., Ass. pl. no 09-72655).
8. Pour un exemple récent, cf. la décision no 2013-3 LP du
1er octobre 2013.
9. Cf. Décision no 2013-308 QPC du 26 avril 2013.
10. Sauf lorsque ces actes administratifs sont pris en vertu d’une loi
elle-même inconstitutionnelle, qui fait alors écran, et interdit au
juge administratif d’en censurer l’inconstitutionnalité, puisque le
juge serait alors nécessairement amené à apprécier la
constitutionnalité de la loi sur le fondement de laquelle l’acte a été
pris.
11. Décision no 84-184 DC, 29 décembre 1984. De même, comme le
Conseil l’a lui-même souligné, ce n’est que par exception qu’il est
amené, dans le cadre du contentieux électoral, à contrôler la légalité
des décrets préparatoires à une élection parlementaire ou à un
référendum.
12. Et ce, qu’il s’agisse du constituant originaire, le peuple souverain
se prononçant par référendum, ou du constituant dérivé, c’est-à-dire,
selon l’article 89, alinéa 3, du Parlement réuni en Congrès et se
prononçant à la majorité qualifiée des 3/5e. C’est ce que le Conseil
constitutionnel a récemment rappelé dans sa décision 03-469 DC du
26 mars 2003, alors qu’il avait été saisi de la révision
constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la
République approuvée par Congrès le 17 mars : « le Conseil
constitutionnel ne tient ni de l’article 61, ni de l’article 89, ni
d’aucune autre disposition de la Constitution, le pouvoir de statuer
sur une révision constitutionnelle ». Se trouve ainsi réaffirmé le
principe énoncé par le Conseil dès sa décision 62-20 DC du 6
novembre 1962, suivant lequel il n’a qu’une compétence
d’attribution (cf. J.-E. Schoettl, « Le Conseil constitutionnel peut-il
contrôler une loi constitutionnelle ? », LPA, 8 avril 2003, p. 17 sq.).
13. Cons. 8 ; le considérant 7 explique que si l’article 61-1 donne au
Conseil mission d’apprécier la conformité des dispositions
législatives aux droits et libertés que la Constitution garantit, « sans
préciser si cette compétence s’étend à l’ensemble des textes de
caractère législatif », il apparaît néanmoins, « au regard de
l’équilibre des pouvoirs établi par la Constitution », qu’il en exclut
les dispositions qui, adoptées par le Peuple français à la suite d’un
référendum, « constituent l’expression directe de la souveraineté
nationale ». La seule différence notable avec la décision initiale du 6
novembre 1962 vient de ce que le Conseil n’évoque plus l’« esprit de
la Constitution », mais l’« équilibre des pouvoirs établi par la
Constitution » – une notion certes moins contestée mais pas moins
incertaine…
14. Sur ce point, cf. S. Brimo, « Les conséquences de la modulation
dans le temps des effets des décisions QPC », RDP, no 5, 2011,
p. 1189 sq., qui note que le juge constitutionnel devient ainsi
« maître indirect du travail parlementaire », et « maître éventuel de
l’action juridictionnelle »…
15. É. Zoller, Droit constitutionnel, PUF, 1999, p. 276.
16. Décision no 59-2 DC, 17, 18 et 24 juin 1959.
17. Le Monde, 3 mars 1989.
18. Circulaire du Premier ministre, 25 mai 1988.
19. O. Schrameck, « L’influence de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel sur l’action gouvernementale », in G. Drago et
N. Molfessis, La Légitimité de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, Paris, Economica, 1999, p. 112.
20. http://www.juspoliticum.com/L-influence-de-la-QPC-sur-
le.html.
21. « Conseil des ministres, les six consignes de Manuel Valls », Le
Monde, 4 avril 2014.
Notes

1. DPS, t. II, p. 178.


2. DPS, t. III, p. 260.
Notes

1. Vte Combes de Lestrade, « Le Tribunal d’Empire en Autriche »,


RPP, 1903, t. 37, p. 501.
2. Sur ce point, Ch. de La Mardière, « Retour sur la valeur juridique
de la Déclaration de 1789 », RFDC, 1999, p. 254.
3. Même si certains affirment qu’en dépit de « sanctions très
imparfaites », le Préambule n’en a pas moins valeur
constitutionnelle, et qu’il s’impose, comme tel, au législateur
ordinaire (R. Pelloux, « La valeur juridique du Préambule de la
Constitution de 1946 », La Vie judiciaire, 1952, no 341, p. 1).
4. B. Genevois, « Le Préambule et les droits fondamentaux », in D.
Maus, L. Favoreu et J.-L. Parodi, L’Écriture…, op. cit., p. 494. Valeur
reconnue, au moins implicitement, par le Conseil d’État dans son
arrêt du 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs conseils, R.,
p. 394, lorsqu’il évoque « les principes généraux du droit qui,
résultant notamment du Préambule de la Constitution, s’imposent à
toute autorité réglementaire… ».
5. P.-H. Teitgen, 5 août 1958, DPS, t. II, p. 179.
6. DPS, t. II, p. 254. Sur ce point, voir l’étonnant souvenir de
l’amiral Philippe de Gaulle, rapportant que son « père entre en
fureur lorsqu’il constate que la rédaction [de la Constitution] fait un
lien intempestif entre 1958 et les Préambules des Constitutions
antérieures » (Mémoires accessoires, 1946-1982, Paris, Plon, 2000,
p. 94-95).
7. L. Noël, De Gaulle, p. 129. En juillet 1968, par exemple, le
président du Conseil constitutionnel G. Palewski envoie au général
de Gaulle un avant-projet de révision prévoyant de donner au
Conseil « une compétence générale et non plus limitative » (De
Gaulle, Lettres, notes et carnets, 1966-1969, Paris, Plon, 1987,
p. 227).
8. Il faut évoquer aussi l’idée selon laquelle le Préambule aurait eu
dès le départ valeur constitutionnelle. À ce propos, on peut noter
que c’est précisément ce qu’affirment, à l’époque, les principaux
représentants de la doctrine, M. Duverger (La Ve République, p. 159-
160), C. Eisenmann et L. Hamon (« La juridiction constitutionnelle
en droit français », La Juridiction constitutionnelle à l’époque
contemporaine, Cologne, C. Heymann Verlag, 1962, p. 267), R.
Pelloux (« Quelques réflexions sur le Préambule de la Constitution
française de 1958 », Mélanges Basdevant, Paris, Pédone, 1960,
p. 394), M. Prélot (Institutions politiques, p. 170) ou encore G. Vedel
(Cours, p. 784-785). On pourrait se ranger à cette interprétation en
considérant que ce n’est qu’en 1971 que le Conseil a eu enfin, pour
la première fois, l’occasion de le reconnaître explicitement. Mais
cette hypothèse séduisante semble contredite, dans les années 1960,
par l’attitude des membres du Conseil, puis par la découverte
rétrospective des travaux préparatoires, et par la stupeur suscitée en
1971 par la décision du Conseil.
9. J. Robert, « Propos sur le sauvetage d’une liberté », RDP, 1971,
p. 1171 ; au même moment, J. Rivero rapproche cette décision de
l’arrêt de la Cour suprême américaine Marbury v. Madison qui, en
1803, posa le principe du contrôle de la constitutionnalité des lois
(« Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République, une nouvelle catégorie constitutionnelle », D., chr.,
1972, p. 265).
10. D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 65.
Notes

1. É. Zoller, Droit constitutionnel, op. cit., p. 215-216.


2. Il en va différemment de la Charte de 2004, dont l’« adossement »
à la Constitution résulte d’une révision en bonne et due forme,
réalisée par la loi constitutionnelle no 2005-205 du 1er mars 2005.
3. DPS, t. II, p. 254.
4. À l’exception des trois derniers alinéas du Préambule, relatifs à la
« défunte Union française » (F. Luchaire, Le Conseil constitutionnel,
t. I, op. cit., p. 167).
5. J. Rivero, « Les principes fondamentaux reconnus par les lois de
la République… », op. cit., p. 266.
6. Décision no 71-44 DC, Liberté d’association ; no 76-70 DC, Droits
de la défense ; no 77-83 DC, Liberté d’enseignement et liberté de
conscience ; no 80-119 DC, Indépendance de la juridiction
administrative ; no 83-165 DC, Indépendance des professeurs
d’université.
7. D. Loschak, « Le Conseil constitutionnel protecteur des
libertés ? », Pouvoirs, no 13, 1980, p. 37.
8. Décision no 2013-669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage
aux couples de personnes de même sexe.
9. Décision no 2010-92 QPC du 28 janvier 2011.
10. Décision no 89-256 DC du 25 juillet 1989, reconnaissant comme
principe fondamental la compétence de l’autorité judiciaire en
matière d’atteinte à la propriété immobilière.
11. Décision no 2002-461 DC, 29 août 2002.
12. Décision no 2011-157 QPC du 5 août 2011 ; principe en vertu
duquel, « à défaut de leur abrogation ou de leur harmonisation avec
le droit commun, ces dispositions particulières ne peuvent être
aménagées que dans la mesure où les différences de traitement qui
en résultent ne sont pas accrues et que leur champ d’application
n’est pas élargi ».
13. Décision no 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances
pour 2010, c. Loi finances pour 2010-79. « Ces dispositions, comme
l’ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de
l’environnement, ont valeur constitutionnelle. »
14. À propos de sa décision no 2011-116 QPC du 8 avril 2011, le
Conseil a déclaré dans un communiqué de presse que celle-ci lui a
fourni « l’occasion de préciser que son contrôle a posteriori des lois
s’exerce au regard de la Charte de l’environnement ».
15. J.-M. Blanquer, « Bloc de constitutionnalité ou ordre
constitutionnel », Mélanges J. Robert, Paris Montchrestien, 1998,
p. 229.
16. Décision no 59-2 DC, 17, 18 et 24 juin 1959.
17. Décision no 60-8 DC, 11 août 1960.
o
18. Décisions n 96-381 DC et 96-382 DC, 14 octobre 1996.
19. O. Beaud, Le Sang contaminé, Paris, PUF, 1999, p. 158.
o
20. Décision n 89-271 DC, 11 janvier 1990.
21. Décision no 84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984.
22. Décision no 96-373 DC, 9 avril 1996, c. 22.
Notes

1. Nguyen Quoc Dinh, « La Constitution de 1958 et le droit


international », RDP, 1959, p. 516.
2. Alinéa 14 : la République, « fidèle à ses traditions […] se
conforme aux règles du droit public international ».
3. C. Pollmann, « La révision de l’article 54 », RDP, 1994, p. 1082.
4. D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit., p. 115.
5. B. Genevois, « Faut-il maintenir la jurisprudence issue de la
décision du 15 janvier 1975 ? », CCC, no 7, 1999, p. 103.
6. Décision no 89-268 DC, 29 décembre 1989.
7. Décision no 98-400 DC, 20 mai 1998.
8. « Sauf disposition constitutionnelle spécifique, note J.-E. Schoettl,
il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, lorsqu’il est saisi sur le
fondement de l’article 61 de la Constitution, d’examiner la
conformité de la loi à un accord international » (AJDA, 1998,
p. 702).
9. M. Blumann, cité in C. Blaizot-Hazard, « Les contradictions des
articles 54 et 55 de la Constitution », RDP, 1992, p. 1298. Il s’agit,
souligne le président Latournerie durant les travaux préparatoires,
d’éviter que certains accords internationaux ne puissent mettre en
cause, avec la Constitution, « la souveraineté française » (DPS, t. III,
p. 315). À l’époque, cet article scandalisera les internationalistes
comme Charles Rousseau, pour qui la notion de traité
inconstitutionnel est « un non-sens en elle-même dans un système
juridique fondé sur la primauté du droit international » (« La
Constitution de 1958 et les traités internationaux », Mélanges
Basdevant, Paris, Pédone, 1960, p. 468).
10. P. Pactet, cité in C. Blaizot-Hazard, « Les contradictions »,
op. cit., p. 1301.
11. J.-F. Flauss, RDP, 1999, p. 925.
12. De façon encore plus explicite, le Conseil d’État, dans un arrêt
du 3 décembre 2001, Syndicat national de l’industrie pharmaceutique
(AJDA, 18 novembre 2002, page 1219), rappela que « le principe de
primauté de l’ordre communautaire ne saurait conduire, dans l’ordre
interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution ».
Optique partagée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation,
comme le montre l’arrêt Fraisse du 2 juin 2000, qui confirme : « la
suprématie conférée aux engagements internationaux ne
s’appliquant pas dans l’ordre interne aux dispositions de valeur
constitutionnelle… »
13. Précurseur, l’arrêt d’assemblée du Conseil d’État Koné du
3 juillet 1996 (R., p. 255) faisait prévaloir un principe
constitutionnel non écrit sur un traité bilatéral d’extradition.
14. B. Genevois, « Normes de référence du contrôle de
constitutionnalité et respect de la hiérarchie en leur sein », Mélanges
Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 334.
15. D. Alland, « Consécration d’un paradoxe : primauté du droit
interne sur le droit international », RFDA, 1998, p. 1103.
16. Rapport français à la Conférence des Cours ayant compétence
constitutionnelle de l’Union européenne, CCC, no 4, 1998, p. 63.
17. D. Alland, « Consécration d’un paradoxe… », op. cit., p. 1097.
18. Dans ses conclusions sur CE, Ass., 18 décembre 1998, Sarl du
Parc d’activités de Blotzheim, RFDA, 1999, p. 324, le commissaire
du gouvernement G. Bachelier estimait le nombre total de
conventions internationales en vigueur à 6 270.
Notes

1. Décision no 82-143 DC, 30 juillet 1982.


2. Décision no 74-54 DC, 15 janvier 1975.
3. Décision no 86-216 DC, 3 septembre 1986, c. 6.
4. Cass, Chambre mixte, 24 mai 1975, Société des cafés Jacques
Vabre, D., 1975, p. 497, concl. Touffait : « … c’est à bon droit et sans
excéder ses pouvoirs que la Cour d’appel a décidé que l’article 95 du
Traité devait être appliqué en l’espèce, à l’exclusion de l’article 265
du Code des Douanes, bien que ce dernier texte fût postérieur ».
5. CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, R., p. 190, concl. Frydman.
6. En particulier aux règles du droit dérivé, règlements (CE
24 septembre 1990, Boisdet, R., p. 250) et directives (CE 28 février
1992, SA Rothmans International, R., p. 80).
7. CE, Ass., 6 juin 1997, Aquarone, R., p. 206.
8. P. Durand, « La décadence de la loi dans la Constitution de la
Ve République », JCP, I, 1959, p. 1470.
9. J.-F. Brisson, « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition
matérielle de compétences entre l’État et les collectivités locales »,
AJDA, 24 mars 2003, p. 529 sq. ; P.-L. Frier, « Le pouvoir
réglementaire local », AJDA, 24 mars 2003, p. 559 sq.
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