Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Droit constitutionnel
e e
2. La V République - 5 édition
Flammarion
Collection : Champs
Maison d’édition : Flammarion
© Flammarion, 2001.
© Flammarion, 2016, pour cette édition.
I. L’esprit
A. La notion
Le terme d’« esprit » est bien sûr susceptible de nombreuses
acceptions : c’est d’ailleurs ce qui rend la remarque aussi
énigmatique. Pourtant, on devine rapidement où de Gaulle, familier
de la pensée classique, a dû puiser son inspiration : dans une
terminologie qui remonte à L’Esprit des lois et, au-delà, au Traité des
lois de Jean Domat, à qui Montesquieu emprunta le titre de son
ouvrage. Dans cette littérature, le terme d’« esprit » a une
signification précise : c’est, explique Littré, ce d’après quoi on se
dirige ; ce qui en fait un synonyme de « principe » : « ce qui fait la
vie d’un État. Le gouvernement est frappé dans son principe ».
Domat, quant à lui, rapprochait l’esprit de l’intention de l’auteur de
la règle, et de l’objectif visé à travers elle 2. En ce sens, qui est celui
qu’utilise de Gaulle, l’esprit apparaît donc comme l’idée directrice, le
principe moteur, animateur et organisateur d’une règle ou d’un système.
Cette définition entraîne une première série de conséquences.
Tout d’abord, elle implique que c’est pour l’essentiel à l’origine du
système considéré que l’on pourra découvrir quel est son esprit.
D’où la nécessité permanente d’en revenir aux commencements :
retour qui ne manifeste, en ce qui concerne la Ve République, ni
idolâtrie des origines, ni fascination morbide pour les années 1960,
mais simplement le fait que pour comprendre un système, pour en
discerner l’esprit, il est indispensable de savoir par qui, comment,
pourquoi et selon quelle logique il a été fait.
Cette définition de l’esprit implique également que celui-ci
n’existe pas dans tous les cas. Une Constitution, contrairement à
l’affirmation du général de Gaulle, ce n’est pas toujours « un esprit,
des institutions et une pratique ». Parfois, et même assez souvent,
seuls les deux derniers éléments de l’énumération seront présents,
sans qu’il soit possible de discerner l’esprit qui les anime – et l’on
sera alors tenté de parler plutôt d’impulsions, ou de tendances
successives, variables, même si elles peuvent être durables. Au sens
où l’entendaient Montesquieu et de Gaulle, l’esprit n’existe en effet
que lorsque le créateur du système – s’il s’agit d’une Constitution, le
constituant – avait un projet déterminé, cohérent, univoque, en
fonction duquel il a élaboré la Constitution. Si en revanche il n’a
conçu celle-ci que comme une pierre d’attente provisoire, comme un
relais ou comme une façade, ou encore lorsque la Constitution
résulte d’un processus coutumier, on ne pourra sans difficulté parler
d’un tel « esprit ». C’est le cas, par exemple, de la Constitution de
1875, élaborée par une majorité monarchiste dans l’attente d’une
Restauration avant d’être récupérée par les républicains ; c’est le cas
aussi, pour de tout autres raisons, des constitutions soviétiques
d’avant 1990, ou de la Constitution anglaise.
Le problème de cet « esprit », inhérent à son immatérialité, tient
au fait qu’on l’utilise parfois comme un argument, d’autant plus
imparable qu’il est infalsifiable, en faveur de telle ou telle
interprétation plus ou moins contestable de la règle qu’il est censé
3
animer . « L’esprit, plus ou moins arbitrairement attribué à un texte
[…] n’est, souligne à ce propos François Luchaire, qu’un prétexte
pour ajouter à la loi et même parfois pour l’écarter 4. » Et de citer en
ce sens l’avant-projet du Code civil, qui précisait que « quand une
loi est claire, il ne faut point en éluder la lettre sous prétexte d’en
pénétrer l’esprit ». Si, de fait, on peut contester l’usage parfois
frauduleux qui a été fait de cette notion, on peut toutefois se
demander s’il n’est pas fallacieux d’opposer cet « esprit », disqualifié
comme purement subjectif, au « sens » de la Constitution, qui
résulterait « de l’ensemble des dispositions d’un texte et d’un
contexte », et pourrait être défini de manière incontestable au terme
d’« une démarche objective ».
On peut se le demander, d’abord, parce qu’il est rare que ce
« sens » soit clair, et qu’on a même contesté qu’il puisse exister en
dehors de la volonté de l’interprète qui va le déterminer.
L’opposition paraît discutable, en outre, dès lors que c’est à travers
le texte, le contexte, la logique d’ensemble et l’intention des auteurs,
que l’on pourra essayer de définir l’« esprit » de la règle – ou plutôt,
tenter de s’en approcher, cet « esprit » paraissant rétif à toute
formulation rigide. Enfin, le fait que l’esprit puisse être utilisé
comme un prétexte pour échapper à la règle pourrait tout aussi bien
être reproché au « sens » que l’on donne à celle-ci. Tout aussi bien,
ou tout aussi mal, puisque cette critique implique que la règle
n’existe qu’à travers la lettre de son texte, indépendamment de son
« sens » ou de son « esprit » : bref, que cette lettre est, à elle seule,
toute la règle. Affirmation soutenue par certains, mais non sans
duplicité, puisqu’il faudra bien dire, au moment où l’on voudra
appliquer la règle, ce que cette « lettre » veut dire. À l’inverse,
lorsque de Gaulle affirme le 18 mars 1960 que l’ouverture d’une
session extraordinaire du Parlement dans des circonstances
déterminées serait « contraire à l’esprit des institutions 5 » ; ou
lorsque le Conseil constitutionnel juge qu’il « résulte de l’esprit de la
6
Constitution » qu’il n’est pas compétent pour contrôler la
constitutionnalité des lois référendaires, l’un et l’autre ne font, fût-ce
en malmenant la lettre, que jouer leur rôle d’interprètes de la norme
et d’acteurs institutionnels. « La Constitution est une enveloppe,
observe encore de Gaulle : la question est de savoir ce qu’il y a
dedans 7. »
L’esprit n’est donc pas, ou pas forcément, un mythe,
contrairement à ce que pourrait affirmer une pensée ultra-
positiviste, pour qui la règle n’existe qu’à travers les interprétations
successives qui en sont proposées. Parler d’un tel « esprit » ne relève
pas non plus d’un anthropomorphisme naïf, qui consisterait à prêter
une « âme » à une règle de droit, comme si elle était un être vivant.
En l’occurrence, l’esprit ne participe pas de la règle : il n’est pas « en
elle », puisqu’il lui est imposé par celui qui l’a faite, et il lui demeure
donc « extérieur », même s’il en est indissociable, la règle ayant été
conçue, créée en fonction de cet esprit.
Pour ce qui est de la Ve République, le général de Gaulle
affirmait que « son esprit procède de la nécessité d’assurer aux
pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité dont ils
manquaient organiquement sous la IIIe et la IVe République », et
qu’il « consiste, tout en gardant un Parlement législatif, à faire en
sorte que le pouvoir ne soit plus la chose des partisans, mais qu’il
procède directement du peuple, ce qui implique que le chef de
l’État, élu par la nation, en soit la source et le détenteur 8 ».
Cette affirmation a cependant été fortement contestée, à
l’époque, mais aussi à nouveau de nos jours. L’esprit de la
Ve République serait tout à fait différent. Les rédacteurs de la
Constitution de 1958, et notamment le principal d’entre eux, Michel
Debré, auraient eu en effet pour ambition d’instaurer « un véritable
régime parlementaire », aussi éloigné du régime présidentiel que du
gouvernement d’Assemblée : un système d’équilibre et de
collaboration des pouvoirs, où le Président politiquement
irresponsable n’aurait eu qu’un rôle politique effacé. Pour le
confirmer, on rappelle les termes de la loi constitutionnelle du 3 juin
1958, qui prévoyait l’instauration d’un régime parlementaire, on
cite le discours de Michel Debré du 27 août 1958 devant le Conseil
d’État, on évoque les débats constituants, ou on souligne
l’importance qu’ont eue, dans la genèse de la Constitution de 1958,
e
les anciens présidents du Conseil de la IV , siégeant dans le
gouvernement du Général avec le titre de ministres d’État. Et l’on en
conclut que le véritable esprit de la Ve serait au fond purement et
pleinement parlementaire : ce qui implique du même coup que toute
la pratique gaullienne des années 1959-1969 aurait été infidèle à
l’esprit de la Constitution.
En fait, cette conception, dont on entrevoit un peu trop aisément
les sous-entendus politiques, semble reposer pour l’essentiel sur une
série d’illusions d’optique. Ainsi, elle paraît surestimer le rôle des
grands anciens de la IVe République, qui ont certes suggéré certaines
innovations techniques majeures (comme la procédure « couperet »
de l’article 49, al. 3), mais qui n’ont été écoutés et pris en compte
que lorsque leurs propositions corroboraient, ou du moins ne
s’opposaient pas fondamentalement, à celles du principal auteur de
la Constitution, le général de Gaulle. De même, cette lecture de la
Constitution néglige le caractère tactique et conjoncturel du
ralliement (trop démonstratif pour être sincère) des gaullistes au
parlementarisme classique ; elle feint d’oublier qu’il n’a jamais été
question, pour de Gaulle, de se contenter d’un simple rééquilibrage
entre l’exécutif et le législatif, et pour justifier cette omission, elle
laisse de côté tous les indices qui dévoilent la véritable intention des
constituants – qu’il s’agisse des termes employés, des compétences
attribuées, ou de l’ordre d’apparition dans le texte constitutionnel.
Le véritable esprit de 1958, c’est celui de la « Constitution de
Bayeux », de ce discours du 16 juin 1946 où le général de Gaulle
expose, avec un luxe de détails inhabituel, ses principes et ses choix
constitutionnels. C’est celui qu’il mettra en pratique dès 1959, sans
du reste rencontrer, à cet égard, de résistances significatives chez ses
propres ministres. C’est cet esprit dont il songe très vite, bien avant
la révision de 1962, à confirmer les bases en faisant élire le chef de
l’État au suffrage universel direct. C’est cet esprit, enfin, qu’il
entreprend de théoriser dans sa conférence de presse du 31 janvier
1964, et c’est dans cet esprit qu’il poursuit la mise en œuvre du
nouveau régime jusqu’à son départ en 1969.
À ce propos, il faut encore s’arrêter brièvement sur ce qu’on a
appelé, à la suite de Michel Debré, la « théorie des deux lectures de
la Constitution 9 ». Cette dernière pourrait, tout aussi légitimement,
être lue et appliquée sur un mode parlementaire, tel qu’il semble
résulter de la lettre du texte de 1958, que sur un mode semi-
présidentiel, correspondant à la pratique du général de Gaulle à
partir de 1959. Cette théorie présente le mérite non négligeable de
valider la pratique gaullienne, sans pour autant exclure la possibilité
d’une pratique parlementaire. De notre point de vue, elle appelle
toutefois deux remarques. La première, c’est qu’à s’en tenir au texte,
bien d’autres lectures seraient également possibles, et ont d’ailleurs
été avancées – par exemple, une lecture « sénatoriale » de la
Constitution 10, ou encore, une lecture néo-bonapartiste basée sur
une interprétation extensive des articles 11 et 16 ; à la rigueur on
pourrait dire qu’il y a autant de lectures possibles que de lecteurs,
sans qu’une d’entre elles s’impose de façon objective et irrécusable.
La seconde remarque, c’est que la « lecture » ne se confond pas avec
l’« esprit ». Si l’on peut concevoir une multitude de lectures, ou
d’interprétations, il ne saurait exister (par définition) qu’un seul
esprit de la Constitution – si difficile à discerner soit-il. Un esprit
dont il faut reconnaître, du reste, qu’il peut dans certains cas
sembler s’éloigner de la lettre du texte : mais l’histoire de la
e
V République nous rappelle que les infractions à la lettre de la
Constitution (comme celle qui consistait en 1962 à utiliser
l’article 11 pour la réviser alors que seul l’article 89 était prévu)
sont parfois plus conformes à son esprit que l’eût été la stricte
observance du texte.
B. Sa valeur
Si, tout en restant sur un plan général, on admet cette définition
« classique » de l’esprit de la Constitution – l’esprit comme principe
animateur, comme idée directrice –, on peut en déduire une seconde
série de conséquences, relatives à sa valeur : dans le cadre d’un
même système constitutionnel, cet esprit pourra être transgressé,
mais il ne saurait en revanche être remplacé par un autre…
On ne peut changer l’esprit d’une Constitution, dès lors que celle-
ci forme un tout cohérent conçu en fonction de cet esprit. Ou plus
exactement, on ne peut en changer, sans changer aussi de
Constitution. Cette évidence se trouve parfois dissimulée par le fait
que l’acte constituant – la décision de changer la Constitution – se
manifeste d’ordinaire par de profondes transformations
institutionnelles : ce qui permet d’oublier que celles-ci ne font que
traduire, sur un plan juridique, une transformation de cet esprit.
Mais il arrive que l’on change de Constitution tout en conservant
une part importante des institutions antérieures : ce qui change
alors, ce qui fait qu’on est passé à une autre Constitution, c’est
simplement le fait que l’esprit qui animait ces institutions n’est plus
le même qu’auparavant. C’est d’ailleurs précisément ce qui arrive en
e
1958. À bien des égards, la V ressemble comme une sœur à la
e
IV République qu’elle remplace : renvoyant expressément au
Préambule de cette dernière, et reprenant, au mot près, nombre de
ses dispositions essentielles – au point que certains, se plaçant sur
un terrain purement juridique, ont prétendu n’y voir qu’une simple
révision de la Constitution de 1946. Mais si les institutions sont
similaires, l’esprit, lui, n’est évidemment plus le même, étant né en
e
réaction à la faillite de la IV République. Et au fond, c’est avant tout
cette rupture avec l’esprit de la IVe (celui du constituant de 1946,
tenté par le régime d’assemblée, partisan de la souveraineté du
Parlement et de la loi, et hostile à toute personnalisation du
pouvoir) qui marque la naissance de la Ve République.
Si l’on ne peut changer l’esprit d’une Constitution, on peut en
revanche, tout en demeurant dans le même cadre juridique, lui être
infidèle – tant par la pratique que par la transformation des
institutions qui, jusqu’à un certain degré, peuvent être révisées dans
un sens peu compatible avec le principe et la logique initiale de la
Constitution. Ce qui arrive lorsqu’on introduit dans le texte des
exceptions et des dérogations significatives à certaines règles y
figurant.
À ce propos, on peut noter que la fidélité à l’esprit n’est pas
forcément synonyme d’immobilisme. Il est certain qu’une
Constitution, si elle veut durer, doit pouvoir évoluer avec le temps.
Mais elle peut parfaitement le faire en conformité avec l’esprit qui
l’anime : c’est le cas, on l’a dit, de la révision du 6 novembre 1962
(élection du Président au suffrage universel direct), qui, si profonde
soit-elle, se situe néanmoins pleinement dans la logique de la
nouvelle Constitution, dont elle n’est, affirmera le général de Gaulle,
qu’un « accomplissement ». Des révisions considérables peuvent
donc être conformes à l’esprit de la Constitution, alors que d’autres,
beaucoup plus anodines, pourront lui être contraires.
On doit observer ensuite que ces transgressions n’ont pas à être
appréciées en termes moraux (bien ou mal), mais seulement en
termes de logique : une révision, une pratique contraires à l’esprit
de la Constitution portent atteinte à sa cohérence globale, à son
équilibre et à son fonctionnement. Elles y introduisent une
perturbation, un « malaise ».
C’est à ce malaise, qui caractérise incontestablement la situation
présente de la Constitution, qu’il importe de s’arrêter maintenant.
A. L’esprit transgressé
C’est dans son architecture institutionnelle et sa pratique initiale
que l’on discerne l’esprit d’une Constitution – par exemple, celui de
la Ve République, marqué par la volonté de restaurer l’État en
renforçant l’exécutif uni autour du Président. Et c’est donc par
rapport à ces données de base que l’on va pouvoir apprécier les
infidélités qui lui sont faites : des infidélités dont la fréquence et
surtout l’ampleur apparaissent depuis une quinzaine d’années sans
commune mesure avec celles que l’on observait jusqu’alors.
1. La pratique
Deux phénomènes caractéristiques du fonctionnement
institutionnel contemporain vont en effet clairement à l’encontre de
cet esprit : il s’agit de la cohabitation, et de l’hypertrophie des
contrôles juridictionnels.
La première, inaugurée en 1986, banalisée en 1993, radicalisée
de 1997 à 2002, s’oppose à l’esprit de la Ve République, tant dans
son principe que dans ses conséquences.
Dans son principe, d’abord, elle va à l’encontre de l’une des
thèses centrales de la République gaullienne, l’idée que le pouvoir
prééminent du chef de l’État, fondé sur la confiance que le peuple
lui accorde, implique aussi sa responsabilité politique : si cette
confiance disparaît, le Président est tenu de remettre son mandat en
jeu, de démissionner ou de se représenter devant les électeurs,
même lorsque cette perte de confiance s’est manifestée à l’occasion
d’un référendum ou d’élections législatives. En ce qui concerne ces
dernières, il est clair en effet que lorsque les électeurs ne
reconduisent pas la majorité sortante, qui soutenait le Président,
c’est en réalité ce dernier, et sa politique, qui se trouvent désavoués.
Or, la cohabitation consiste précisément à refuser d’assumer cette
responsabilité : le Président dont le camp a été battu aux législatives
reste en place malgré ce désaveu, même s’il doit pour cela renoncer,
en fait, à presque tous ses pouvoirs.
Les conséquences de cette attitude ne sont pas moins contraires à
e
l’esprit de la V . Elles conduisent en effet à dissocier la fonction et
ses pouvoirs : à admettre l’existence, au sommet de l’État, d’une
« dyarchie » (Président-Premier ministre), expressément condamnée
par de Gaulle comme incompatible avec l’ambition nationale et le
e
souci de restaurer l’État qui caractérise la V . Enfin, la cohabitation
favorise la renaissance de l’Assemblée nationale et des partis, qu’elle
transforme en arbitres tout-puissants du jeu politique et de
l’équilibre institutionnel.
À tous égards, la cohabitation apparaît donc comme la
e
transgression la plus radicale de l’esprit de la V République, une
transgression d’autant plus grave qu’elle en appelle d’autres, quand
elle n’alimente pas le discours des adversaires de la Constitution…
2. Les institutions
Sur le plan des institutions, les atteintes à l’esprit ne sont pas
moins visibles, qu’il s’agisse de la frénésie des révisions, ou de
l’effritement de certains principes essentiels.
« Le plus petit changement dans la Constitution entraîne la ruine
des principes 13 », écrivait Montesquieu à propos de Carthage. Sans
aller aussi loin, on peut se demander si des modifications répétées,
trop nombreuses et trop fréquentes, ne portent pas atteinte, en tant
que telles et quel que soit par ailleurs leur contenu, à l’esprit de la
Constitution.
Pour de Gaulle, la Constitution n’est certes qu’un instrument au
service d’une politique de restauration nationale : mais un
instrument dont l’efficience suppose un minimum de stabilité. La
Constitution implique une certaine permanence, sans laquelle elle
risque de perdre prestige et autorité. C’est pourquoi les retouches au
texte de 1958 ont longtemps été rares, cinq seulement avant 1992,
la seule révision majeure, celle de 1962, ayant été solennellement
adoptée par référendum. Or, depuis 1992, cette intangibilité a été
totalement remise en cause : depuis, les révisions se succèdent à un
rythme effréné, avec pas moins de 19 révisions, dont celle, massive,
du 23 juillet 2008, qui procède à une trentaine de retouches, parfois
de première grandeur… En outre, quelle que soit leur importance,
ces révisions ont toutes été adoptées (à une exception près) par la
voie du Congrès, ce qui évite les risques d’un appel au peuple, et
d’une manière souvent brouillonne : celles de 1993, relatives au
Conseil supérieur de la magistrature ou à la Cour de justice de la
République, étaient à peine adoptées que l’on songeait déjà très
officiellement à les remettre en chantier. Celle de 2005 relative au
référendum obligatoire en cas d’élargissement de l’Union
européenne n’a attendu que trois ans avant d’être neutralisée par la
loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. La révision n’est plus alors
la phase ultime qui précède un retour à la stabilité, elle est devenue
une étape sur un chemin dont on ignore où il mène, quand elle n’est
pas une réplique ponctuelle à une décision du Conseil
constitutionnel, le moyen le plus rapide de contourner un blocage
14
juridique .
Du reste, même lorsqu’elles s’avèrent marginales, ces révisions à
répétition, en altérant le prestige de la Constitution, n’en
contribuent pas moins au phénomène actuel d’érosion de la
souveraineté.
La Constitution de 1958 avait été faite pour permettre la
restauration d’un État « digne de ce nom », condition d’une
renaissance de la nation. Or, cet État se trouve attaqué de toutes
parts dans ce qui le singularise, dans sa souveraineté. Celle-ci – le
pouvoir suprême de décider, dans son ordre, sans avoir à obéir à
quiconque ni à qui que ce soit – se trouve en effet mise à mal, à la
fois par en haut, avec le développement de l’Union européenne, et
par en bas, à travers l’intensification d’une décentralisation d’ailleurs
accentuée par la construction communautaire.
Il va sans dire que cette double évolution est sans commune
mesure avec celle que souhaitaient les moins jacobins et les plus
européistes des constituants de 1958. Sans commune mesure, dès
lors qu’elle entraîne, à terme, un désarmement de l’État : c’est-à-
dire, bien au-delà d’une simple transgression, une véritable négation
de l’esprit de la Constitution.
B. L’esprit contesté
À bien des égards, la contestation de cet esprit n’est que le
prolongement logique des atteintes que l’on vient d’énumérer. À
force d’oublier l’esprit, on finit par vouloir le supprimer en
changeant de Constitution. On pensait que cette contestation, très
vive au sein de l’opposition durant les premières années du régime,
avait fini par être surmontée, au moins depuis l’alternance de 1981.
Mais on doit constater son retour en force, à la faveur des
dysfonctionnements croissants d’un système de moins en moins
fidèle à son esprit : un retour en force qui se manifeste aussi bien
chez les gouvernants que chez les gouvernés.
1. La crise
Tout événement d’importance résulte de causes complexes et
multiples, que par commodité on range parfois en trois séries :
causes lointaines, causes proches et causes immédiates.
Les causes « lointaines » du retour au pouvoir du général de
Gaulle en juin 1958 tiennent au dysfonctionnement criant du régime
issu de la Constitution du 27 octobre 1946.
La IVe République se caractérise notamment par une instabilité
ministérielle chronique 1, l’absence de majorité cohérente à
l’Assemblée entraînant une « valse des ministères » entrecoupée,
durant les crises, de longues périodes de vacance du pouvoir qui
donnent « aux ministres l’apparence de rois fainéants 2 ». Mais en
face de ces « gouvernements à secousses », qui dirigent mal, durent
peu et se remplacent difficilement, l’Assemblée nationale, qui se
prétend pourtant souveraine, s’avère également impuissante. Les
observateurs constatent à l’époque « un mélange désordonné
d’intrusion parlementaire dans les divers détails administratifs et
3
d’abdication parlementaire sur des points essentiels » : en
particulier, le pouvoir de faire la loi, de plus en plus fréquemment
abandonné à l’exécutif (on adopte, de 1946 à 1958, trente et une
lois accordant des pouvoirs spéciaux ou étendant la compétence
réglementaire), malgré l’inconstitutionnalité manifeste d’une telle
délégation. Les gagnants de cette confrontation entre un
gouvernement désarmé et une Assemblée divisée, ce sont les partis
politiques – mais des partis sans réels projets, qui « ne gouvernent
pas [mais] occupent le pouvoir », et contribuent ainsi au blocage de
plus en plus visible de l’État.
Un blocage qui, malgré les innombrables tentatives de réforme
constitutionnelle, paraît d’ailleurs irrémédiable : « un régime ne mue
pas 4 », constate un sénateur alors dans l’opposition, le bras droit du
général de Gaulle, et qui sera bientôt le principal rédacteur de la
nouvelle Constitution, Michel Debré.
Or, ce régime impuissant et discrédité se montre incapable de
résoudre de manière satisfaisante le problème le plus dramatique du
moment, celui des rapports avec l’ancien empire colonial en voie de
désagrégation 5. Débutant en 1954, trois mois seulement après
l’épilogue désastreux du conflit indochinois, les troubles en Algérie
se situent dans le prolongement d’une suite de batailles perdues : et
la perspective d’un « Diên Biên Phu diplomatique » engendre un
malaise croissant dans l’armée, massivement engagée sur le terrain,
et dans les populations d’origine européenne vivant en Algérie –
malaise qui contraste avec l’indifférence résignée de l’opinion
publique métropolitaine. Au début de 1958, la crise algérienne
approche de son paroxysme, et elle nourrit, dans certains milieux,
une hostilité de plus en plus vive à l’égard du régime. Dans son
journal, Le Courrier de la colère, Michel Debré donne le ton en
parlant de la « révolte légitime » que doit susciter l’incurie du
« Système », et réclame la création d’un « gouvernement de Salut
6
public ».
Dans ce contexte explosif, c’est une action de représailles décidée
par les autorités militaires – le bombardement d’une base arrière du
FLN, le village tunisien de Sakhiet (8 février 1958) – qui va mettre
le feu aux poudres. Il entraîne en effet un incident diplomatique
majeur, qui déclenche à son tour une crise ministérielle : le 15 avril,
la chute du gouvernement Félix Gaillard ouvre une interminable
période de vacance du pouvoir, qui va s’avérer fatale au régime.
Après plusieurs tentatives infructueuses, alors que la tension monte
à Paris comme à Alger, c’est finalement un partisan de la
négociation avec les indépendantistes, le MRP Pierre Pflimlin, qui
est pressenti pour former le nouveau gouvernement. Le 13 mai,
alors qu’à l’Assemblée nationale s’engage le débat d’investiture, une
manifestation monstre est organisée à Alger, qui, très vite, va
tourner à l’émeute. Une émeute tolérée par la police, rapidement
soutenue par l’armée, et qui, en début de soirée, parvient à
s’emparer du siège des pouvoirs publics en Algérie, le
« gouvernement général ». Après un moment de confusion, les
émeutiers, civils et militaires, annoncent l’organisation d’un
« comité de Salut public », dirigé par un officier gaulliste, le général
Massu. À 21 heures, ce dernier donne lecture à la foule du message
qu’il vient d’envoyer au président de la République : « Exigeons
création à Paris d’un gouvernement de Salut public, seul capable de
conserver l’Algérie partie intégrante de la Métropole. » Au Palais-
Bourbon, la nouvelle produit l’effet inverse : les députés font bloc
contre l’ennemi commun, et le gouvernement Pflimlin est investi
dans la nuit par une majorité imposante. Pourtant, il s’agit d’un
gouvernement fantôme, divisé, sans police fidèle ni soutien
populaire. De l’autre côté de la Méditerranée, en revanche, les
choses se précipitent. Le 14 mai, cent trente communes ont institué
des « comités de Salut public » ; l’Algérie tout entière, et donc la
majeure partie de l’armée, échappent au contrôle de l’État ; le 24,
c’est la Corse qui se rallie à l’insurrection. À Paris, on est désormais
certain qu’une guerre civile est sur le point d’éclater.
C’est alors qu’une initiative du président de la République René
Coty va permettre d’éviter le pire, en faisant officiellement appel au
général de Gaulle.
2. Le recours
De Gaulle, qui a quitté le pouvoir douze ans plus tôt, en 1946,
n’en demeure pas moins auréolé d’une gloire incontestée : pour tous,
il reste l’homme du 18 juin, le libérateur de la Patrie. C’est
pourquoi, dès le début de la crise, les militaires s’étaient tournés
vers lui, comme vers le seul recours possible. Sollicité par le comité
d’Alger, de Gaulle répond publiquement, le 15 mai, qu’il se tient
prêt, « devant les épreuves qui montent de nouveau vers [le pays], à
assumer les pouvoirs de la République ». Le ton de ce message qui,
loin de condamner l’insurrection, réserve ses foudres au régime,
suscite la fureur de la classe politique. Pourtant, même si le
gouvernement réplique en tentant d’organiser la « défense
républicaine », et adopte dans l’urgence le principe d’une révision
constitutionnelle, le mouvement – visites, correspondances,
rencontres plus ou moins secrètes – s’accélère autour du général de
Gaulle. Le 27 mai, celui-ci annonce qu’il a « entamé hier le
processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement
capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays ». Il s’agit en
réalité d’un formidable coup de bluff, qui a pour but de calmer
l’armée, tout en forçant la main au chef du gouvernement, Pierre
Pflimlin – qui, effectivement, démissionne le lendemain. Ce jour-là,
le 28, près de deux cent mille personnes défilent à Paris à l’appel de
la gauche, huant le Général au nom de la défense des libertés
républicaines. Parallèlement au risque de putsch militaire, se profile
7
celui d’un « Front populaire » dominé par le parti communiste .
Ainsi, rien n’est résolu. En un sens, l’hostilité à de Gaulle d’une
fraction notable de l’opinion n’a jamais été aussi profonde : mais
dans le même temps, il apparaît de plus en plus évident qu’il
8
n’existe pas d’autre choix . Aussi, lorsque, le 29 mai, le président
Coty, mettant le poids de sa fonction dans la balance, laisse
entendre qu’il démissionnera si l’Assemblée refuse son investiture au
« plus illustre des Français », c’est au fond le soulagement général.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le Parlement,
subitement, se résigne, persuadé qu’un refus aurait des
conséquences incalculables : le tour est joué. Le 31, de Gaulle reçoit
les représentants des différents groupes politiques, à l’exception des
er
communistes, pour leur exposer ses vues. Le 1 juin, à l’Assemblée
nationale, il est investi par une confortable majorité (329 voix
contre 224). Le 2, c’est une majorité analogue qui accorde à son
gouvernement les pouvoirs spéciaux en Algérie, et les pleins
pouvoirs pour prendre « pendant une durée de six mois, par voie de
décrets dénommés ordonnances, les mesures législatives nécessaires
au redressement de la nation ». Par le même texte, le Parlement se
met en congé, jusqu’à la rentrée normale d’octobre. Mais il n’y aura
pas de rentrée normale, puisque, en octobre, aura été officialisé ce
e
qui est déjà une évidence : la disparition de la IV République.
B. Le retour à l’ordre
1. L’apaisement
Le retour du général de Gaulle se traduit donc par la mort
e
annoncée de la IV République, dont il est entendu qu’il sera le
dernier président du Conseil ; mais aussi, et simultanément, par un
retour à l’ordre. Dès le 19 mai, dans sa première conférence de
presse, de Gaulle s’était voulu rassurant. Dix jours plus tard, alors
que le président Coty vient de faire appel à lui, il confirme qu’il
n’est pas question d’opérer une rupture radicale avec le passé. Pour
réussir, de Gaulle a besoin du soutien massif de l’opinion, et en
particulier de celui de la gauche non communiste ; or, il sait qu’il ne
l’obtiendra qu’en jouant le jeu de la continuité, ou du moins, de ce
que le socialiste Jules Moch appelle « l’équivoque ». C’est pourquoi,
er
le 1 juin, il se plie sans rechigner à la procédure prévue par la
Constitution pour demander à l’Assemblée l’investiture d’un
gouvernement qui, détail significatif, ne comprend que des hommes
de « l’ancien régime » – et en particulier, avec le titre de ministres
d’État, les porte-parole des quatre grands courants politiques : le
socialiste Guy Mollet, l’ancien président du Conseil MRP Pierre
Pflimlin, un indépendant, Louis Jacquinot, et un représentant du
continent africain, Félix Houphouët-Boigny. « Si j’ai fait le
gouvernement que j’ai fait, explique alors de Gaulle, c’est pour que
la République continue. » En revanche, aucun de ses proches n’y
figure, à l’exception du plus fidèle d’entre eux, Michel Debré,
nommé garde des Sceaux et chargé d’élaborer le nouveau projet de
Constitution.
A. L’écriture
Côté rupture, il faut souligner l’originalité du mode
d’élaboration, même si celui-ci n’exclut pas toute intervention des
parlementaires.
1. L’avant-projet
Selon la « tradition républicaine », c’est à une Assemblée
constituante, spécialement élue à cet effet, qu’il appartient d’exercer
le pouvoir constituant originaire : c’est-à-dire d’établir la
Constitution. En 1945, chef du gouvernement, le général de Gaulle
s’était plié à cette tradition, jugeant que l’élaboration de la
Constitution par le gouvernement sous réserve de ratification
populaire faisait « un peu plébiscite 1 » : mais il avait rapidement
compris son erreur, qui le contraignit, l’année suivante, à
abandonner le pouvoir. Une Assemblée constituante est toujours
lourde, lente et difficile à manœuvrer, tiraillée par les courants qui
la divisent. En outre, remarque Léo Hamon, elle est déjà une
Assemblée parlementaire qui, lorsqu’elle élabore la Constitution,
« songe par priorité, invinciblement, aux pouvoirs des assemblées à
venir 2 ». En 1958, de Gaulle sait parfaitement que ce qu’il entend
instaurer, il ne pourra l’obtenir d’une Assemblée constituante. C’est
pourquoi, quitte à encourir une fois de plus l’accusation de
« bonapartisme », il va recourir à un autre mode d’élaboration qui
consiste à faire établir un projet de Constitution, sous l’autorité du
gouvernement, par un groupe d’experts nommés par ses soins.
Cette élaboration sera donc confiée à un « groupe de travail »
d’une vingtaine de jeunes juristes principalement issus du Conseil
d’État, dirigé par le garde des Sceaux. Au fur et à mesure, les textes
rédigés sont soumis par Michel Debré au « Comité interministériel »
qui réunit autour du général de Gaulle les quatre ministres d’État,
ainsi que le vice-président du Conseil d’État, René Cassin – et ce,
jusqu’à l’établissement de l’avant-projet définitif, le 26 juillet 1958.
À cette date, les grandes lignes de la future Constitution sont en
place : pour l’essentiel, elle ne changera plus.
2. Le projet définitif
Pour autant, la procédure d’élaboration n’est pas complètement
achevée. La loi du 3 juin a en effet prévu que « pour établir le
projet », le gouvernement devra recueillir en outre l’avis (politique)
du « Comité consultatif constitutionnel », ainsi que celui, juridique,
du Conseil d’État.
Le Comité consultatif constitutionnel était le moyen par lequel
« les assemblées expirantes espéraient faire entendre leur voix [aux]
autorités qui préparaient la Constitution 3 ». À cet effet, il était
majoritairement composé de parlementaires (26 membres sur 39,
dont 16 députés et 10 sénateurs), le reste étant désigné par le
gouvernement. Cependant, on ne saurait voir dans cette concession
procédurale un retour, même esquissé, à la tradition de l’Assemblée
constituante. Largement favorable à la révision, le Comité n’a, en
tout état de cause et comme son nom l’indique, qu’un pouvoir
consultatif, et il ne dispose du reste que de vingt jours pour émettre
son avis. À quelques exceptions près, son rapport ne différera pas de
façon significative de l’avant-projet gouvernemental, ne proposant,
pour l’essentiel, que des modifications de forme et de détail.
Il en va de même du Conseil d’État, saisi le 21 août, qui
manifeste d’emblée le « souci de ne pas contrarier les intentions du
gouvernement 4 », du moins sur le plan des principes. Cette
institution fera même un accueil chaleureux à Michel Debré lorsque
celui-ci viendra, le 27 août, exposer l’architecture générale de la
nouvelle Constitution. Le 3 septembre, ayant tenu compte des
corrections techniques proposées par le Conseil d’État, le Conseil des
ministres arrête donc le projet définitif. Le lendemain, place de la
République à Paris, le général de Gaulle le présente solennellement
au peuple français, insistant sur l’enracinement républicain du
projet : « c’est dans la légalité que moi-même et mon gouvernement
avons assumé le mandat exceptionnel d’établir un projet de nouvelle
Constitution ».
Le 13 mai est définitivement oublié, et c’est en se réclamant de
la continuité républicaine que le général de Gaulle lance la
campagne référendaire. Le 28 septembre, la nouvelle Constitution
est adoptée par une écrasante majorité (79,25 % de « oui », et
seulement 15 % d’abstentions), qui bouleverse de fond en comble
les données acquises de la sociologie électorale. Ultime rupture avec
le passé : le résultat du 28 septembre, s’il met en place un cadre
institutionnel nouveau, signe aussi au général de Gaulle un « chèque
en blanc » qui pèsera lourd sur la pratique du régime.
B. L’inspiration
Avant d’évoquer la façon dont la Constitution sera mise en place,
il reste à préciser son inspiration et sa structure d’ensemble. On
constate alors qu’à une certaine stabilité des principes correspond un
bouleversement dans les moyens, mais également dans la manière
même dont est conçue la Constitution.
a. Les renoncements
Le renoncement le plus spectaculaire concerne sans doute la
forme du gouvernement. Pendant les douze années que dure la
IVe République, de Gaulle et ses proches s’étaient montrés très
séduits par le modèle présidentiel à l’américaine 5, et l’anglophile
Michel Debré lui-même avait fini par s’y rallier, écrivant ainsi, en
mars 1958, qu’« il faut chercher un système démocratique en dehors
du système parlementaire, où le pouvoir serait créé autour d’un chef
de l’État issu du suffrage universel » (Le Monde, 4 mars 1958).
Or, sur ce plan, la loi constitutionnelle du 3 juin ne laisse aucun
doute : « le gouvernement doit être responsable devant le
Parlement » – ce qui signifie expressément que l’on demeure dans un
cadre parlementaire. La veille, déjà, Debré avait annoncé ce
ralliement, expliquant aux sénateurs que le nouveau gouvernement
ne prendrait pas « la responsabilité de passer du régime
parlementaire au régime présidentiel. Il veut restaurer le régime
parlementaire dans toute son acception 6 ». Sur ce point capital, les
constituants ne changeront plus : ils se contenteront de trouver des
justifications à ce retournement, affirmant que le régime
présidentiel, avec un chef d’État élu au suffrage universel direct,
serait « actuellement dangereux à mettre en œuvre » – du fait de la
présence d’un parti communiste encore très puissant, et parce
qu’« on ne peut imaginer un président élu au suffrage universel
direct par la totalité des habitants de la Communauté [franco-
7
africaine] ».
On le voit, ces arguments sont purement conjoncturels : ce qui
est « présentement hors d’état de fonctionner en France » pourrait
très bien ne l’être plus dans un autre contexte, ou à un autre
moment. Quant à la vraie raison de ce renoncement, elle est, là
encore, d’ordre tactique : « Les constitutions, commentera René
8
Cassin, sont faites pour être votées, et surtout par le référendum . »
Assimilé au bonapartisme et à la dictature, le modèle présidentiel
aurait paru inacceptable aux socialistes, dont le général de Gaulle
doit impérativement obtenir le soutien.
Dans le même sens, de Gaulle va renoncer à un projet original,
qu’il évoquait déjà le 16 juin 1946, dans le discours de Bayeux :
introduire au Sénat, à côté des élus politiques, « des représentants
des organisations économiques, familiales, intellectuelles, pour que
se fasse entendre, au-dedans même de l’État, la voix des grandes
activités du pays ». Mais la réalisation de ce projet aurait été perçue
comme une rupture trop franche avec la tradition parlementaire
française : de Gaulle préférera donc l’oublier – quitte à y revenir
9
quelques années plus tard .
b. Les reprises
À côté de ces renoncements, de ces continuités concédées, il faut
noter aussi la présence de continuités revendiquées : sur plusieurs
plans, la Constitution de la Ve République va reprendre des thèmes
et des termes qui figuraient déjà dans celle du 27 octobre 1946. Le
nouveau régime, annonce déjà de Gaulle dans son discours
d’investiture du 1er juin, sera « la continuation de la République »,
notamment sur le plan des valeurs et des symboles.
Sur le plan des valeurs, on observe que le Préambule de la
Constitution de 1958 renvoie expressément à celui de la
Constitution de 1946, affirmant l’attachement solennel du peuple
français aux droits et aux principes qui s’y trouvent énoncés. Le
Préambule révèle ainsi « le souci d’établir un trait d’union entre la
e 10
IV République et la République nouvelle », tant en ce qui
concerne le contenu des droits fondamentaux que leur place dans la
hiérarchie des normes. Dans le même sens, on note la ressemblance
des deux Constitutions en ce qui concerne la définition et,
naturellement, le titulaire de la souveraineté ; ainsi que, sur un plan
parallèle, la reprise de l’interdiction traditionnelle de remettre en
cause la « forme républicaine du gouvernement » (art. 89, al. 5).
Dans l’ordre des symboles, d’autre part, les constituants ont
repris purement et simplement les principaux articles liminaires de
la Constitution de 1946. Ainsi, celui où figure la définition du
régime : « la France est une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale » (art. 1er de la Constitution de 1946,
er
devenu l’article 2, al. 1 de celle de 1958 avant de redevenir l’article
1er depuis la révision du 4 août 1995). Ou encore, celui qui énonce
son « principe » : « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le
peuple » (art. 2, al. 5). Sur le plan des fondements, la stabilité paraît
donc totale.
2. La révolution des moyens
Mais la permanence des principes et des symboles contraste avec
le profond changement dans les moyens prévus pour les mettre en
œuvre – et au-delà, dans la finalité assignée à la Constitution. Ce
dont il s’agit fondamentalement, c’est, affirme Michel Debré,
d’« essayer de reconstruire un pouvoir, sans lequel il n’est ni État, ni
démocratie, c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, ni France, ni
République 11 ».
Ce pouvoir avait été laissé vacant par la République précédente,
du fait de l’hégémonie incontrôlée du Parlement et de l’abaissement
corrélatif du gouvernement. Sur ce plan, la réalisation des objectifs
des constituants suppose donc qu’ils prennent le contre-pied de leurs
prédécesseurs. La restauration qu’ils visent implique une rupture
radicale, qui n’est d’ailleurs rendue possible que par « la continuité
des apparences 12 » que l’on vient de rappeler.
Cette rupture transparaît de façon générale dans la manière de
concevoir l’État, son rôle et son statut ; mais elle se traduit surtout
sur le plan de l’organisation des pouvoirs, dont dépend directement
la restauration de l’État.
A. La transition
Sur un plan juridique, l’installation des nouvelles institutions
suppose un nombre considérable de mesures particulières, dont la
Constitution a prévu l’adoption dans son titre XVII, « Dispositions
transitoires » (abrogé par la loi constitutionnelle du 4 août 1995).
Ce titre dispose en particulier que « les institutions de la République
prévues par la présente Constitution seront mises en place dans le
délai de quatre mois à compter de sa promulgation » (article 91,
al. 1er). Il précise en outre que « les mesures législatives nécessaires
à la mise en place des institutions et, jusqu’à cette mise en place, au
fonctionnement des pouvoirs publics, seront prises en Conseil des
ministres après avis du Conseil d’État, par ordonnance ayant force
de loi » (art. 92, al. 1er).
Sur la base de l’article 92, des « ordonnances portant lois
organiques » vont poser ces règles, qui ont pour objet de compléter
la Constitution et de permettre sa mise en œuvre. Parmi elles, on
peut citer l’ordonnance du 7 novembre 1958 (modifiée par
l’ordonnance du 4 février 1959) sur le Conseil constitutionnel,
l’ordonnance du 7 novembre 1958 (complétée par celle du
15 décembre) sur l’élection du président de la République, ou
encore l’ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances,
prévue par l’article 47, alinéa 1er.
Sur un plan politique, les choses ne traînent pas non plus. Sur la
lancée du référendum triomphant du 28 septembre, les législatives,
organisées les 23 et 30 novembre, amènent à l’Assemblée nationale
une majorité dominée par les partisans du Général et de la nouvelle
Constitution. L’élection présidentielle du 21 décembre, à l’issue de
laquelle de Gaulle est très largement élu (78,5 % des voix) par le
« collège élargi » d’environ 80 000 personnes prévu par l’article 6,
dessine les éléments du nouveau rapport de forces. Si l’on excepte le
Sénat, où va bientôt se concentrer l’opposition, l’ensemble des
rouages de l’État est entre les mains du Président et de ses amis.
C’est grâce à ce soutien que le général de Gaulle va pouvoir
imposer, à la faveur de la crise qui se poursuit en Algérie, une
lecture « présidentielle » de la Constitution.
B. Le gouvernement Debré
1. L’affirmation de la présidence
Mais pour cela, il lui faut un Premier ministre dont il puisse être
sûr. C’est dans cette perspective, celle de temps qui s’annoncent
difficiles, que le général de Gaulle décide de nommer Michel Debré
à la tête du gouvernement, le 8 janvier 1959.
Le communiqué officiel de la présidence précise que le Premier
ministre « a soumis à l’approbation du général de Gaulle ses
conceptions en ce qui concerne la politique générale et le nom des
personnalités qui deviendraient, le cas échéant, ses
collaborateurs 1 ». Texte intéressant, en ce qu’il manifeste, dès le
départ, le rapport de subordination au chef de l’État, qui deviendra
de plus en plus visible à partir de l’automne 1959.
Sur un plan constitutionnel, telle est en effet la tendance
dominante de cette période : le président de la République, se
prévalant de sa fonction d’arbitre et de garant des intérêts
supérieurs du pays (article 5), étend peu à peu ses pouvoirs aux
dépens de ceux que le Premier ministre tient du texte
constitutionnel. C’est ainsi que se produit « un transfert significatif
du pouvoir réglementaire du Premier ministre vers le président de la
2
République », de Gaulle estimant qu’un grand nombre de décrets,
intéressant le fonctionnement des pouvoirs publics, doivent de ce
fait être adoptés en Conseil des ministres, sous son contrôle et sous
sa signature.
Sur un autre plan, l’interventionnisme de l’Élysée définit
rapidement les contours de ce qu’on appellera bientôt le « domaine
réservé » (voir Domaine réservé) : Algérie, Affaires étrangères,
Défense, la liste n’est pas limitative, puisqu’elle ne dépend, au fond,
que du principal intéressé, le Président. Elle signifie que ce dernier
se réserve en la matière les décisions fondamentales, et qu’il laisse
au gouvernement le soin de les mettre en œuvre. Son existence
implique, à elle seule, qu’il n’y a pas de dissociation entre le
Président et le gouvernement – comme c’est le cas dans le schéma
parlementaire classique où le chef de l’État, « pouvoir neutre », se
situe au-dessus des « pouvoirs actifs » que sont le gouvernement et
le Parlement. Sans coïncider exactement avec lui, cette situation se
rapproche donc du schéma présidentiel, où le chef de l’État est aussi
chef du gouvernement.
A. La définition classique
Le sens constitutionnel du mot « peuple » tel qu’il résulte du
texte de la Constitution ne pose pas de réel problème. On observe
d’ailleurs qu’il ne fit pratiquement l’objet d’aucune discussion en
1958, lors des débats constitutionnels, la question, si fondamentale
soit-elle, étant considérée comme réglée.
1
Selon la tradition républicaine , le peuple n’est autre que la
collectivité juridique formée par le corps électoral, « c’est l’ensemble
des citoyens à qui la Constitution confie l’exercice de la souveraineté
2
suivant des formules définies ». Telle est la définition que reprend
l’article 3 de la Constitution de 1958 3, explicitée par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 9 mai 1991 relative au statut de
la Corse (91-290 DC, Rec. 50).
Le gouvernement socialiste avait déposé un projet de loi sur
l’organisation de la Corse dont l’article 1er était ainsi rédigé : « La
République française garantit à la communauté historique et
culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du
peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle
et à la défense de ses intérêts […] spécifiques […] dans le respect de
l’unité nationale. »
Symboliquement très fort, ce texte reconnaissait l’existence
(réelle, et pas seulement légale) d’un peuple corse, formant une
catégorie à part au sein du peuple français. À terme, il risquait
d’initier un processus conduisant à considérer le peuple français
comme une mosaïque de peuples distincts, un ensemble réunissant
des sous-ensembles et n’existant qu’à travers eux. Le Conseil
constitutionnel, pour conclure à la non-conformité de cet article, va
donc préciser la signification constitutionnelle de cette notion de
« peuple » : la France est « une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale, qui assure l’égalité devant la loi de tous les
citoyens quelle que soit leur origine ; […] dès lors, la mention faite
par le législateur du “peuple corse composante du peuple français”
est contraire à la Constitution, laquelle ne reconnaît que le peuple
français, composé de tous les citoyens français sans distinction
d’origine, de race ou de religion » (c. 13).
Cette décision met en lumière deux points notables. En premier
lieu, l’idée que la Constitution « ne reconnaît que le peuple
français » : dans l’ordre interne, seul « le concept juridique de
“peuple français” a valeur constitutionnelle » (c. 12), à l’exclusion
de tout autre. Ce faisant, le Conseil réaffirme, se fondant
expressément sur une tradition biséculaire, l’unicité, l’exclusivité et
l’indivisibilité du peuple français.
En second lieu, le Conseil rappelle que ce peuple est « composé
de tous les citoyens français, sans distinction d’origine, de race ou
de religion ». Cela signifie d’abord qu’il n’est constitué que
d’individus, et non de « corps », de groupes ou de peuples distincts ;
ensuite, qu’il inclut tous les citoyens français, sans distinction
d’origine, de race ou de religion. Le Conseil marque par là sa
volonté d’interdire toute discrimination au sein de ce peuple : et
ainsi, de rappeler l’identité et l’interchangeabilité des citoyens,
considérés en tant que tels, indépendamment de leurs spécificités ou
de leurs enracinements respectifs. Au peuple abstrait, conçu
indépendamment de toute considération historique, géographique et
culturelle, correspondent ainsi des citoyens abstraits, considérés en
tant que tels et non dans leur singularité personnelle.
Sur ce dernier point, le Conseil avait pris parti dès 1982 4. Il
avait alors censuré une loi prévoyant des quotas féminins sur les
listes de candidats aux élections municipales, considérant que
l’établissement de tels quotas, si généreux soit-il, allait à l’encontre
du principe constitutionnel qui s’oppose à toute division par
catégorie des électeurs comme des éligibles – l’idée sous-jacente
étant que seule « l’interchangeabilité garantit, avec la parfaite
homogénéité du corps [électoral], l’indivisibilité de la souveraineté
dont il est le titulaire 5 ».
B. Vers l’éclatement
Selon la définition classique, le peuple est donc caractérisé par
son unité (il réunit l’ensemble des citoyens légalement aptes à
participer au suffrage), son indivisibilité (ces citoyens n’appartiennent
par ailleurs à aucune communauté politique dont ils seraient
également citoyens), et l’interchangeabilité de ses éléments (les
citoyens individuels étant conçus comme tels, dans un rapport de
stricte identité).
Mais cette définition héritée de la vision révolutionnaire de la
nation (et de l’individualisme égalitaire et contractualiste qui la
sous-tend), longtemps incontestée, tend depuis un quart de siècle à
être remise en cause, au fil des révisions constitutionnelles
successives.
En 1992, d’abord, la révision exigée par la ratification du traité
de Maastricht a conduit à un dédoublement de la notion de
citoyenneté. En 1998, une révision constitutionnelle reconnaît,
parallèlement à la citoyenneté française, l’existence d’une
« citoyenneté néo-calédonienne » au sein de la République. L’année
suivante, en 1999, la loi constitutionnelle du 8 juillet favorisant
« l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctions électives » tend à remettre en cause, avec
l’interchangeabilité des citoyens, la logique égalitaire et
individualiste qui fonde cette citoyenneté. En 2007, la loi
constitutionnelle du 24 février, modifiant l’article 77, établit des
distinctions au sein du corps électoral de Nouvelle-Calédonie en
fonction de la date d’installation dans l’Archipel – seuls certains des
inscrits bénéficiant de la pleine citoyenneté, et pouvant à ce titre
participer aux élections des assemblées délibérantes et aux
consultations à venir sur l’accession à la souveraineté. Plus
récemment encore, une proposition de loi constitutionnelle visant à
ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires,
enregistrée à l’Assemblée nationale le 10 décembre 2013, tend à
prolonger le mouvement de démantèlement de la notion abstraite de
peuple. Autant d’évolutions considérables, dont il faut préciser les
différents éléments afin d’en prendre la mesure.
1. Les offensives
Le traité sur l’Union européenne signé à Maastricht le 7 février
1992 instituait notamment une « citoyenneté de l’Union », attribuée
à « toute personne ayant la nationalité d’un État membre » (art. 8 du
traité CE). Parallèlement, un article 8B, ajouté au traité CE,
accordait à ces citoyens le droit de vote et d’éligibilité dans l’État
membre où ils résident pour les élections européennes, mais aussi
municipales.
Ces dispositions vont avoir sur la définition classique du peuple
un impact en deux temps.
Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel, examinant en
avril 1992 6 la constitutionnalité du traité, va distinguer les élections
locales des élections nationales, considérant que la citoyenneté ne
s’exprime en tant que telle et directement que dans ces dernières. Il
revient ainsi sur sa décision du 18 novembre 1982, où il avait
affirmé expressément le lien entre la qualité de citoyen et le droit de
vote et l’éligibilité pour tout suffrage politique, national ou local. La
distinction qu’il opère remet ainsi en question « l’unité d’expression
7
du corps politique », évolution significative dès lors que c’est à
travers cette expression que le corps politique se définit.
Un second coup de boutoir a lieu deux mois plus tard, le 25 juin,
lors de la révision constitutionnelle rendue nécessaire par la
décision du Conseil du 9 avril, qui avait déclaré plusieurs
dispositions du traité contraires à la Constitution. À cette occasion,
un nouvel article 88-3 est introduit dans la norme fondamentale :
d’une part, cet article reconnaît implicitement aux Français la
« double citoyenneté » instituée par le traité ; d’autre part, il
accorde, sous certaines réserves, le droit de vote et d’éligibilité aux
citoyens de l’Union résidant en France.
La Constitution reconnaît ainsi la coexistence de deux catégories
de citoyens (Français et ressortissants de l’Union), dotés de pouvoirs
distincts, mais susceptibles de prendre part au même vote. Par suite,
c’est l’unité du peuple qui se trouve battue en brèche, chaque
Français étant désormais aussi un citoyen de l’Union, et chaque
citoyen de l’Union ayant vocation, s’il s’installe en France, à y
participer aux élections municipales.
Une autre offensive majeure fait suite à l’accord de Nouméa du
5 mai 1998, et à la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 qui
entérine ses conclusions en introduisant deux nouveaux articles (76
8
et 77) dans le texte constitutionnel . Ceux-ci, observait alors le
rapporteur du projet de loi, portent « incontestablement atteinte à
9
l’indivisibilité de la République ». L’institution d’une citoyenneté
calédonienne, énoncée à l’article 77-3, ne constitue pas (encore) une
nationalité au sens fort 10 ; toutefois, elle n’en implique pas moins
l’existence d’un « peuple calédonien », en quelque sorte superposé
au peuple français. À cet égard, on retrouve l’effet de dédoublement
évoqué plus haut, à cette différence près que, si tous les Français
sont aussi des citoyens de l’Union, seuls certains d’entre eux sont
citoyens néo-calédoniens, ceux qui résident sur l’île depuis au moins
dix ans.
À une souveraineté partagée correspondent ainsi un peuple
divisé et une citoyenneté éclatée. « La Nouvelle-Calédonie, observait
alors un commentateur avisé, ouvre une voie qui ne peut que retenir
11
l’attention d’autres collectivités de la République . »
Le 28 juin 1999, le Parlement réuni en Congrès introduisait dans
la Constitution le principe dit de la parité homme-femme (art. 3 in
fine : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux
mandats électoraux et fonctions électives » ; art. 4 : les partis et
groupements politiques « contribuent à la mise en œuvre du
principe énoncé au dernier alinéa de l’article 3 dans les conditions
déterminées par la loi »). Ce faisant, il entendait expressément
surmonter l’obstacle que représentait la jurisprudence du Conseil
constitutionnel relative à l’égalité homme-femme en matière de
mandats électoraux, initiée dans la décision précitée du
18 novembre 1982, et rappelée à nouveau dans sa décision du
12
14 janvier 1999 .
Enfin, la proposition de loi constitutionnelle relative à la
ratification de la Charte européenne des langues régionales et
minoritaires dont la discussion débute à l’Assemblée nationale le
22 janvier 2014 participe du même mouvement. Confirmant cette
volonté de rupture, l’exposé des motifs de la proposition de loi
prend acte que « la position de la République sur les langues régionales,
traditionnellement réservée pour ne pas dire hostile, n’est plus tenable ».
Et qu’il n’y a plus lieu de considérer les préceptes de l’abbé
13
Grégoire « comme la référence ultime et indépassable en matière
de politique linguistique ». Bref, qu’il faut rompre avec le culte de
l’uniformité, et réconcilier la France « avec la multiplicité de ses
racines ».
Désormais, la Constitution reconnaît ainsi une citoyenneté à
géométrie variable, une citoyenneté concrète, rejetant l’idée d’une
interchangeabilité, de même que celle d’une stricte identité –
l’appartenance sexuelle des citoyens devant ainsi être prise en
compte, de même, par exemple, que la durée d’installation sur le
territoire de la Nouvelle-Calédonie en vertu de la loi
constitutionnelle du 24 février 2007.
A. L’organisation administrative
Le peuple est envisagé ici comme corps électoral, regroupant la
totalité des adultes français des deux sexes conformément au
principe rappelé par l’article 3, al. 3 : le suffrage « est toujours
universel ». Ce principe essentiel est explicité dans l’alinéa 4 du
même article : « sont électeurs, dans les conditions déterminées par
la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant
de leurs droits civils et politiques ».
Les conditions d’appartenance au corps électoral sont ainsi
1
réduites au minimum . Il s’agit de trois conditions de fond : la
nationalité, l’aptitude intellectuelle et la dignité morale, auxquelles
s’ajoute une condition de forme, l’inscription sur une liste électorale.
1. La nationalité
Cette condition classique est aussi très logique : si en effet le
peuple, ou la nation, sont souverains, l’appartenance à cette nation
conditionne évidemment l’exercice d’un droit caractéristique de la
souveraineté.
C’est dans cette perspective que le Conseil constitutionnel a
explicité le principe dans sa décision précitée du 9 avril 1992, en
déclarant non conforme à la Constitution une disposition du traité
de Maastricht conférant aux non-Français citoyens de l’Union le
droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales. En effet,
précisait le juge constitutionnel, la désignation des conseils
municipaux « a une incidence sur l’élection des sénateurs » (c. 26),
élus notamment par les représentants de ces conseils, et donc,
indirectement, sur « l’exercice de la souveraineté nationale » à
laquelle participe le Sénat.
C’est donc bien l’idée de souveraineté, et le fait qu’elle appartient
au peuple français (art. 3), qui justifient (seuls) une telle condition.
Inversement, celle-ci disparaît lorsque la souveraineté n’est pas en
cause. Ainsi par exemple, comme le souligne le Conseil
constitutionnel dans la même décision, en ce qui concerne l’élection
des représentants au Parlement européen. Ce dernier « ne constitue
pas une assemblée souveraine […] qui aurait vocation à concourir à
l’exercice de la souveraineté nationale » (c. 34) : par conséquent, le
fait qu’un non-Français, citoyen de l’Union, puisse participer en
France à l’élection de ce Parlement « ne contrevient pas à l’article 3
de la Constitution » (c. 33).
Et c’est pour les mêmes raisons que la condition de nationalité
n’est pas exigée lors des élections corporatives – élections
professionnelles, universitaires, élections aux organismes de Sécurité
sociale, etc. – (82-148 DC, 14 décembre 1982). Dès lors qu’un vote
n’implique pas la souveraineté, cette condition n’a plus lieu d’être.
Ce lien était d’ailleurs à l’arrière-plan des débats houleux suscités, à
la fin de l’année 2015, par la question de la déchéance de
nationalité des personnes condamnées pour participation à des
activités terroristes – les partisans de cette mesure reconnaissant
volontiers le peu d’efficacité de celle-ci dans la lutte contre le
terrorisme, mais soulignant sa forte dimension symbolique, puisqu’il
paraîtrait absurde qu’une personne ayant travaillé à faire disparaître
l’État continue néanmoins d’être dotée d’une fraction de la
souveraineté.
2. L’aptitude intellectuelle
N’étant pas objectivement mesurable, l’aptitude intellectuelle
sera présumée, d’abord, en fonction de l’âge de la personne. Pour
participer à l’exercice de la souveraineté, il faut avoir atteint un âge
minimum, laissant supposer une certaine indépendance
intellectuelle et financière. C’est la majorité, fixée par la loi du
5 juillet 1974 à dix-huit ans révolus.
À cela s’ajoute une exigence de capacité, présumée en général, et
à laquelle ne font exception que les majeurs sous tutelle – le juge qui
statue sur la mesure de tutelle pouvant en effet décider de priver
l’intéressé de son droit de vote 2. À cette exception près, un aliéné
conservera pleinement sa faculté de participer aux élections, et
même une personne hospitalisée sans son consentement pour
troubles mentaux pourra, « en tout état de cause […] exercer son
droit de vote », comme le rappelle l’article L. 3211-3, 7e du Code de
la santé publique.
En revanche, précise le Code électoral, « Les majeurs en tutelle
ou en curatelle sont inéligibles 3 ».
3. La dignité morale
Avec l’exigence de « dignité morale », on retrouve une idée
intéressante. La loi, suivant la tradition républicaine, est l’expression
de la volonté générale, autrement dit, de la volonté éclairée de
chacun. Celui qui a transgressé la loi, dès lors que cette
transgression a été établie par une condamnation pénale, a donc
désobéi à lui-même : c’est pourquoi il n’a plus vocation à participer
à la manifestation de la volonté générale. Suivant cette perspective,
l’interdiction des droits civiques, entraînant la privation des droits
de vote et d’éligibilité, était, dans l’ancien Code pénal, automatique.
Il appartient désormais en toute hypothèse au juge pénal d’en
apprécier l’opportunité (art. 131-26 alinéa 3 du nouveau Code
pénal) 4.
Quant à sa durée – cinq années au maximum en matière
correctionnelle, et dix en matière criminelle –, elle est calculée, le
cas échéant, à compter du jour où la condamnation est devenue
définitive : ce qui signifie que, de même que l’on peut voter à l’asile,
on peut, du moins au bout d’un certain temps, voter en prison.
B. L’organisation politique
L’organisation politique du peuple se manifeste par l’existence
des partis et des groupements politiques – une existence reconnue
dans l’article 4 de la Constitution, mais à laquelle la révision du
23 juillet 2008 a donné une consistance encore accrue.
1. La reconnaissance
La reconnaissance de l’existence et de la fonction des partis
politiques est une innovation (inattendue) de la Constitution de
1958, en même temps qu’un élément de continuité avec le régime
précédent. À l’époque, elle avait pour objectif de rassurer l’opinion
publique sur les intentions d’un constituant notoirement hostile aux
partis, ainsi que Michel Debré le laisse entendre lorsqu’il explique
que cette reconnaissance « fonde les institutions sur cette expression
fondamentale de la liberté politique qu’est la pluralité des partis 5 ».
Quant au contenu de l’article 4, il s’organise suivant une logique
fort simple. Il commence par énoncer le rôle des partis dans le
système politique, et, donc, la légitimité qui résulte de leur
nécessité : « les partis et groupements politiques concourent à
l’expression du suffrage ». Ce qui n’implique pas forcément qu’ils
soient, comme l’écrivait le publiciste Joseph Barthélemy au début
du siècle, « le ressort essentiel et principal du régime », puisque par
définition ils ne sont pas seuls à y concourir, et que l’on peut, du
moins en principe, être candidat et même élu sans avoir la moindre
attache partisane. Cependant, même si en droit ils ne bénéficient pas
d’un monopole, les partis sont décrits, d’emblée, comme des rouages
indispensables à l’expression politique. Et c’est ce rôle qui justifie
que, suivant le même article 4, « ils se forment et exercent leurs
activités librement ».
Cette dernière disposition ne confère pas, en tant que telle, un
statut juridique spécifique aux partis – contrairement à ce qui existe,
par exemple, dans l’article 21-2 de la Loi fondamentale de la RFA.
Elle se borne à reconnaître aux partis et groupements les mêmes
droits qu’aux associations ordinaires – une loi leur accordant une
liberté de création encore plus large, puisqu’ils n’ont pas à être
déclarés pour bénéficier de la personnalité morale et du droit d’agir
en justice (loi no 88-227 du 11 mars 1988, art. 7). Reconnaissance
solennellement confirmée par la loi constitutionnelle du 23 juillet
2008, qui ajoute à l’article 4 un 3e alinéa proclamant que la loi
garantit « la participation équitable des partis et groupements
politiques à la vie démocratique de la Nation ».
Libres de se créer, les partis politiques sont également libres de
leurs programmes et de leurs activités, sous une double réserve.
La première, et la principale, c’est qu’ils « doivent respecter le
principe de la souveraineté nationale et de la démocratie ». Cette
disposition de l’article 4 fut soupçonnée en 1958 d’être « une
dangereuse machine de guerre 6 », suffisamment vague pour
permettre l’interdiction de partis hostiles au gouvernement, et en
particulier du parti communiste. En réalité, elle restera à peu près
lettre morte. Dès le mois de juin 1959, le Conseil constitutionnel
censure un article du nouveau règlement de l’Assemblée nationale
qui autorisait celle-ci à empêcher la formation d’un groupe
parlementaire qu’elle estimerait ne pas respecter les principes de
l’article 4 (59-2 DC, Rec. 58). L’exigence de pluralisme l’emporte
donc, d’emblée, sur les principes censés la garantir… en interdisant
ses ennemis supposés.
Une seconde condition est apparue plus récemment, avec la
révision du 28 juin 1999, qui ajoute à l’article 4 un alinéa précisant
que les partis « contribuent à la mise en œuvre du principe [de
parité] dans les conditions déterminées par la loi ».
Ce principe consistant à favoriser « l’égal accès des femmes et
des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » (art. 1er,
al. 2), les partis, qui concourent à « l’expression du suffrage », sont
en fait les seuls à être directement concernés par sa mise en œuvre.
Prévue par la loi du 6 juin 2000 7, l’obligation correspondante,
consistant à établir un équilibre entre les candidats lors des élections
au scrutin de liste – municipales, régionales, européennes et
sénatoriales –, diminue d’autant la liberté de mouvement des partis.
Ceux-ci sont en effet passibles de lourdes sanctions financières en
cas de non-respect de cette obligation.
Car ici comme ailleurs, l’argent demeure le nerf de la guerre,
sans lequel la liberté de création et d’action reconnue aux partis
resterait purement formelle. En fait, la seule limite véritable à cette
liberté concerne précisément leur mode de financement.
2. Le financement
Le problème du financement de la vie politique, des élections et
donc des partis, a pris une acuité singulière avec l’apparition de ce
qu’on pourrait appeler la démocratie des masses, et avec la
nécessité, pour les candidats, de séduire plus encore que de
convaincre. Cette évolution du style de la vie politique a en effet
contraint les partis à mettre en œuvre des méthodes nouvelles, celles
de la vente ou du spectacle, qui ont considérablement accru leurs
besoins financiers, encore augmentés par la multiplication des
consultations électorales.
Ces besoins nouveaux, ce renchérissement de la vie politique ont
suscité à leur tour des pratiques douteuses, et de là, une série de
scandales politico-financiers qui a contribué à décrédibiliser
profondément le régime, et, plus encore, la classe politique dans son
ensemble. D’où la nécessaire mise en place d’un statut financier des
partis, établi initialement par une loi du 11 mars 1988 puis, cet
encadrement s’avérant inadapté, par des lois successives du
15 janvier 1990, du 29 janvier 1993 et du 19 janvier 1995.
Ce statut s’articule autour de trois dispositions principales.
La première pose le principe du droit des partis à un financement
public – afin d’éviter les financements occultes. Le raisonnement qui
sous-tend ces dispositions – les partis ont besoin d’argent : si celui-ci
provient de l’État, ils n’auront plus à le chercher ailleurs dans des
conditions souvent illicites – est si simple, qu’il en paraît naïf. Dans
les faits, on voit mal pourquoi un tel financement public
empêcherait les partis de faire appel à d’autres sources pour en
8
obtenir des compléments toujours utiles . Mais le raisonnement
n’échappe pas non plus à une critique de principe : toute aide crée
en effet un lien entre celui qui l’accorde, et celui qui la reçoit (c’est
d’ailleurs le nœud du problème lorsque le premier est une personne
privée, entreprise, lobby, etc.). C’est pourquoi le Conseil
constitutionnel, saisi de la loi du 15 janvier 1990, a tenu à préciser
que l’aide ne devait « ni établir un lien de dépendance d’un parti
politique vis-à-vis de l’État, ni […] compromettre l’expression
démocratique des divers courants d’idées et d’opinions », le
« pluralisme » de ces dernières constituant le « fondement de la
démocratie » (89-271 DC, 11 janvier 1990, Rec. 21).
C’est à l’intérieur de ce cadre et dans le respect de ces
prescriptions que le législateur a pu intervenir, en prévoyant une
aide publique d’un montant considérable (environ 70 millions
d’euros en 2013) 9, et un mode de répartition permettant de
satisfaire aux exigences constitutionnelles.
L’aide publique est répartie en deux fractions égales.
Dans une première catégorie, les partis ayant présenté aux
dernières législatives, dans au moins cinquante circonscriptions, des
candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages 10, se partagent
la moitié du total, proportionnellement au nombre de voix obtenues
lors du premier tour de ces élections. Un montant qui peut, du reste,
être substantiellement réduit lorsque le parti en question ne se
conforme pas strictement au principe de parité, l’article 9-1 de la loi
de 1988 disposant désormais que lorsque l’écart entre le nombre de
candidats de chaque sexe dépasse 2 % du nombre total, le montant
attribué se trouve diminué d’un pourcentage égal à trois quarts de
cet écart : par exemple, 6 %, s’il y a 8 % d’écart entre les hommes et
les femmes. C’est ainsi qu’en 2013, l’UMP, lanterne rouge en matière
de parité avec seulement 129 candidates contre 377 candidats, ne
percevait-elle, au titre de la première catégorie, que 6,75 millions
d’euros pour 6,78 millions de voix : à l’inverse, le Front national,
très bon élève sur cette question de la parité, recevait 5,46 millions
d’euros d’aide publique pour 3,52 millions de votants.
Dans une seconde catégorie figurent les partis ou groupements
appartenant déjà à la première catégorie, mais représentés au
Parlement ; ils se répartissent les 50 % restants, en fonction du
nombre d’élus rattachés à chacun d’entre eux. Ces partis, entrant à
la fois dans les deux premières catégories, percevront donc un
financement au titre de l’une (proportionnellement au nombre de
voix) et de l’autre (proportionnellement au nombre de sièges 11).
La réglementation du financement privé est beaucoup plus stricte.
Si le financement par des personnes physiques est admis (jusqu’à
concurrence de 7 500 euros par an), et même encouragé par des
déductions fiscales, le financement par des personnes morales (à
l’exception des partis ou des groupements politiques) a été interdit
par la loi du 19 janvier 1995, afin d’empêcher pour l’avenir les
détestables dérives anciennes. Désormais, c’est donc l’État qui
fournit aux partis politiques l’essentiel de leur financement…
officiel.
Le système de financement se trouve enfin verrouillé par
l’obligation de rendre des comptes, supposée en garantir la
transparence. Les comptes, certifiés, sont examinés annuellement par
une « Commission nationale des comptes de campagne », qui les
publie au Journal officiel. En cas d’irrégularité, la sanction pourra
être la suppression de l’aide publique.
1. La candidature
Le Président est élu au scrutin majoritaire à deux tours. À chaque
tour va s’opérer un filtrage sévère, non dépourvu de justifications
pratiques, mais qui n’en pose pas moins un problème de principe –
la démocratie étant fondée classiquement sur l’idée d’une similitude
(et d’une interchangeabilité) entre les gouvernants et les gouvernés,
tout citoyen devrait pouvoir se présenter à la magistrature suprême.
Or, au premier tour, la candidature à la présidence de la
République nécessite, outre les conditions communes à tous les
mandats électifs, le parrainage du candidat par au moins cinq cents
13
citoyens français, titulaires d’un mandat électif important …
Chacun de ces citoyens ne pouvant parrainer qu’une seule
candidature, et les parrains devant provenir d’au moins trente
départements différents, le but recherché par le législateur a été
d’écarter les candidats fantaisistes, marginaux ou locaux,
soupçonnés de vouloir perturber la sérénité de la campagne et de
porter atteinte au prestige de l’élection. Autre obstacle : le candidat
potentiel ne disposant que de trois semaines environ pour réunir les
cinq cents signatures exigées, seuls ceux qui bénéficient d’une forte
implantation locale peuvent espérer satisfaire à cette condition, et
passer le barrage (voir Partis et élections). Ceux qui y parviennent
pourront figurer sur la liste officielle des candidats, établie par le
Conseil constitutionnel au moins quinze jours avant le premier tour
du scrutin : une liste qui tourne autour de dix candidats depuis que
la loi du 18 juin 1976 a établi ces règles.
Ce système s’avère peu satisfaisant : c’est pourquoi la
Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique
réunie en 2012 sous la présidence de l’ancien Premier ministre
Lionel Jospin, après avoir noté qu’« il ne correspond plus aux
exigences d’une démocratie moderne », a proposé de le remplacer
par un « parrainage citoyen » à l’image de ce qui se pratique déjà
dans six États de l’Union européenne. Il suffirait alors de 150 000
signatures d’électeurs inscrits, émanant de 50 départements et
n’ayant pas à être rendues publiques, pour pouvoir se présenter – ce
qui remédierait aux principaux défauts du système actuel, qui
s’avère tout à la fois trop restrictif et trop peu discriminant 14.
Sur ce plan, la loi organique de modernisation des règles
applicables à l’élection présidentielle du 25 avril 2016 se contente
d’un toilettage a minima, prévoyant dans son article 3 qu’une fois
envoyée, une présentation ne peut être retirée ; ou encore, que huit
jours au moins avant le premier tour, le Conseil constitutionnel
publie les noms et qualités de la totalité des parrains. Ce qui, à vrai
dire, n’améliore en rien la situation pratique, ni le caractère
démocratique du mécanisme.
Mais le filtrage est encore plus sévère pour le second tour qui, en
cas de ballottage, a lieu le deuxième dimanche suivant le premier
tour. Ne peuvent en effet y participer que les deux candidats ayant
recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour, « le cas
échéant, précise l’article 7, après retrait de candidats plus
favorisés ». Ce qui signifie qu’il n’y a pas d’automatisme qui
contraindrait juridiquement les deux candidats les mieux placés à se
présenter : le cas échéant, ils pourraient se désister au profit d’autres
candidats, moins favorisés au premier tour, mais qu’ils jugeraient
plus susceptibles qu’eux-mêmes de l’emporter au second.
2. La campagne
Initialement sous-estimée par le général de Gaulle, la campagne
a une importance décisive sur les résultats de l’élection, notamment
du fait de l’utilisation systématique, depuis 1974, des techniques
onéreuses mais efficaces du marketing politique « à l’américaine ».
Officiellement, la campagne a une durée brève : ouverte par la
publication de la liste des candidats, elle s’étale sur quinze jours
pour le premier tour, puis sur une douzaine de jours pour le
deuxième. Mais officieusement, il en va bien sûr tout autrement, les
candidats, grands ou petits, étant de fait entrés en campagne
souvent plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant.
Cette distance entre l’officiel et l’officieux est d’ailleurs ce qui
domine la campagne présidentielle, notamment en ce qui concerne
l’égalité entre candidats. Cette dernière est proclamée par la loi
organique du 6 novembre 1962, qui déclare dans son article 3, IV,
que « tous les candidats bénéficient, de la part de l’État, des mêmes
facilités pour la campagne en vue de l’élection présidentielle ». Mais
en réalité, ni l’égalité des moyens 15, ni l’égal accès aux médias
audiovisuels (qui ne concerne que la campagne officielle, sans
prendre en compte l’intense couverture médiatique dont bénéficient,
avant l’ouverture de celle-ci, les ténors des grands partis) ne sont
autre chose que des vœux pieux – et on peut légitimement douter
qu’il en sera autrement dans le cadre institué par la loi organique du
25 avril 2016, qui prévoit dans son article 4 que « le principe
d’équité » entre les candidats est assuré sous le contrôle du Conseil
supérieur de l’audiovisuel entre la publication de la liste des
candidats et le début de la campagne, après quoi « le principe
d’égalité » devra s’appliquer jusqu’au scrutin…
En bref, le principe d’égalité, évidemment fondamental si l’on
veut laisser le souverain pleinement libre de son choix, est loin
d’être respecté dans la pratique du jeu politique. Et le peuple, sur
une autre échelle et par d’autres moyens, continue comme au
e
XIX siècle d’être encadré par les « notables »
SOUS-SECTION 2
Les votations référendaires
1. La mise en œuvre
Jusqu’à la révision de juillet 2008, le référendum prévu par
l’article 11 était, purement et simplement, un référendum
d’initiative « institutionnelle » (et non populaire), dont le
déclenchement impliquait essentiellement deux acteurs : le premier,
qui propose, peut être soit le gouvernement, soit les deux assemblées
de manière conjointe. Le second dispose : c’est le président de la
République, qui décide seul et librement, sans être tenu à
l’obligation de contreseing, de soumettre au référendum le projet
(ou la proposition) de loi qu’on lui a soumis. Chacune de ces deux
étapes est obligatoire, ce qui signifie qu’en cas de dissension entre
les partenaires, et singulièrement en cas de cohabitation, le recours
au référendum se trouve bloqué. Dans l’hypothèse inverse, c’est au
président de la République qu’appartiendra la réalité de l’initiative,
le chef de l’État demandant alors à son Premier ministre de lui
proposer tel projet de loi, qu’il pourra ensuite soumettre au
référendum. En résumé, le référendum de l’article 11 est, suivant le
contexte politique, soit entièrement entre les mains du Président,
soit pratiquement inutilisable.
Cette conception initiale, permettant à l’exécutif uni de
contourner le Parlement, a cependant été amendée par la révision
du 4 août 1995. Depuis, en effet, l’article 11, alinéa 2, précise que
« lorsque le référendum est organisé sur proposition du
gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une
déclaration qui est suivie d’un débat ».
En principe, ce débat ne devrait pas être suivi d’un vote sur le
texte. Cependant, l’Assemblée nationale pourrait toujours, pour
marquer son opposition au référendum, décider d’adopter une
motion de censure contre le gouvernement – comme ce fut d’ailleurs
le cas en octobre 1962, la censure votée contre le gouvernement de
Georges Pompidou visant en réalité le projet, initié par le général de
Gaulle, de révision par référendum de l’article 6 de la Constitution.
Quoi qu’il en soit, la révision de 1995, en rendant obligatoire un
débat qui jusqu’alors était au mieux facultatif, a en quelque sorte
réintégré le Parlement dans une procédure dont il avait été
volontairement écarté, l’appel du Président au peuple ne souffrant
pas d’intermédiaire : signe notable, dès cette époque, d’une
« reparlementarisation » feutrée du régime.
2. Le champ d’application
L’autre apport de la révision de 1995 concerne le champ
d’application du référendum, élargi par rapport au texte initial de
l’article 11, qui n’envisageait d’y recourir que pour des projets de loi
portant « sur l’organisation des pouvoirs publics », comportant
« approbation d’un accord de communauté » ou tendant « à
autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la
Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des
institutions ».
À l’origine, le référendum de l’article 11 ne concernait que des
questions très particulières : matériellement constitutionnelles,
puisque touchant l’organisation des pouvoirs publics, mais
formellement législatives, c’est-à-dire relevant normalement du
Parlement et ne portant pas atteinte au texte constitutionnel. Ainsi
le domaine d’intervention de ce référendum apparaissait-il tout à la
fois ambigu (comment n’être pas tenté de l’utiliser pour réviser la
Constitution ?) et très exigu. Étroitesse certes justifiée par le souci
d’éviter une banalisation du référendum, d’en préserver l’autorité et
le prestige, même lorsque la règle qu’on lui demande d’approuver
n’aura en définitive que la valeur d’une loi ordinaire. Mais étroitesse
présentant le défaut d’en restreindre exagérément l’usage, alors que
certains grands problèmes de société, étrangers à l’organisation des
pouvoirs publics, exigeraient pourtant d’être tranchés par le peuple
lui-même…
La volonté d’élargir le champ d’application de l’article 11 va se
manifester dès la présidence de François Mitterrand qui, en 1984,
suggère de l’étendre aux « garanties fondamentales des libertés
publiques ». Dans le climat troublé de l’époque, ce projet se heurte à
la résistance de l’opinion, relayée par le Sénat, qui soupçonne une
manœuvre attentatoire aux libertés. Ce projet de révision sera
formulé à nouveau par le rapport du comité Vedel, remis le
15 février 1993 au chef de l’État, dans la perspective d’une
rénovation des modes d’expression de la souveraineté nationale
donnant « au citoyen un rôle plus actif dans les grands choix de la
vie politique nationale 2 ». Mais, cohabitation oblige, cette seconde
tentative n’aura pas plus de succès que la première, et il faudra
attendre la révision du 4 août 1995, au lendemain de l’élection du
président Chirac, pour que soit enfin étendu le champ d’application
de l’article 11.
Quant au contenu de cet élargissement, il est, lui aussi, très
significatif : les « problèmes de société » ne sont plus les mêmes que
dix ans auparavant. Il ne s’agit pas d’étendre le champ du
référendum aux libertés fondamentales, que l’on estime désormais
suffisamment protégées, mais aux « réformes relatives à la politique
économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y
concourent ».
Cette formulation n’est pourtant pas dénuée d’ambiguïtés,
notamment lorsqu’elle évoque « la politique sociale de la nation ».
En 1995, le garde des Sceaux avait pris soin de préciser qu’« en
limitant l’extension du champ référendaire en matière économique
et sociale, le gouvernement [avait] choisi d’exclure […] les
questions de société 3 ». Mais en 2000, dans l’allocution où il
annonce le référendum sur le quinquennat, Jacques Chirac,
l’initiateur de la révision de 1995, suggère une interprétation moins
restrictive lorsqu’il déclare que « les Français doivent pouvoir
s’exprimer directement, eux-mêmes, sur certains grands sujets ».
C’est cependant la lecture la plus étroite que fera prévaloir Christine
Taubira le 28 février 2013 – l’objectif du ministre étant en effet de
tuer dans l’œuf toute velléité de soumettre au référendum la loi dite
sur le mariage pour tous : « Le constituant a […] considéré que les
sujets de société ne devaient pas être inclus dans le champ
référendaire. […] Par conséquent, il n’y a pas lieu de redonner la
parole au peuple sur de tels sujets […]. Si la souveraineté appartient
au peuple, celui-ci n’est pas à même de l’exercer au quotidien et en
toute matière. » Argumentation hautement discutable au regard du
principe démocratique, mais qui a du moins le mérite de la clarté.
3. L’ouverture
On a évoqué plus haut la « reparlementarisation » de la
e
V République initiée à partir du début des années 1990. Celle-ci se
manifeste dans toute son ampleur avec la révision du 23 juillet
2008. Alors qu’en vertu du premier alinéa de l’article 11 et de la
conception initiale de celui-ci, le président de la République est le
véritable maître du référendum législatif, celle-ci introduit en effet
une nouvelle procédure, s’ajoutant à l’ancienne, qui fait intervenir
directement le Parlement. Un référendum, précise le nouvel
article 11, alinéa 3, « peut être organisé à initiative d’un cinquième
des membres du Parlement, soutenu par un dixième des électeurs
inscrits sur les listes électorales ». L’initiative conjointe d’un
cinquième des parlementaires et d’un dixième des inscrits prend la
forme d’une proposition de loi, susceptible d’être examinée comme
telle par les deux chambres ; et ce n’est que dans l’hypothèse où
cette proposition ne l’aurait pas été par chacune d’elles dans un
délai de six mois que le président de la République aurait, en vertu
de l’alinéa 5, l’obligation de la soumettre au référendum.
Cette ouverture à la logique de l’initiative populaire, si
intéressante soit-elle, n’en demeure pas moins circonscrite. Outre le
fait qu’elle doit porter sur les objets restreints mentionnés au
premier alinéa de l’article 11, cette procédure ne peut en effet avoir
pour but l’abrogation d’une loi promulguée depuis moins d’un an
(alinéa 3). Par ailleurs, en cas d’échec du référendum, aucune
nouvelle proposition portant sur le même sujet ne pourrait être
présentée avant un délai de deux ans (alinéa 6).
Mais la principale interrogation porte sur sa mise en œuvre :
comment réunir en neuf mois le soutien de 10 % des électeurs à
l’appui d’une simple proposition de loi, ne pouvant porter sur des
« sujets de société », et dont l’adoption reste en toute hypothèse
incertaine ? Les parlementaires sauront-ils surmonter leur
traditionnelle défiance à l’égard des procédures de démocratie
directe ? Se trouvera-t-il un parti important prêt à prendre le risque
(politique, financier, etc.) de lancer un référendum dont
l’aboutissement n’a rien d’assuré ?
Le scepticisme suscité par ce nouveau mécanisme a été confirmé
par la lenteur avec laquelle fut adoptée la loi organique – cinq ans –,
comme si la majorité parlementaire, après avoir adopté en 2008 les
nouvelles dispositions de l’article 11, ne s’était nullement souciée de
leur éventuelle application. Un scepticisme dont on retrouve l’écho,
aussi bien à gauche qu’à droite, lors des débats qui ont précédé
l’adoption de la loi organique du 6 décembre 2013. Côté gauche,
Roger Gérard Schwartzenberg, ancien ministre et professeur de droit
public, ira jusqu’à reprocher aux projets de loi portant application
de l’article 11 d’être « inspirés par une réelle défiance envers ce
nouveau type de référendum ». Côté droit, la benjamine de
l’Assemblée, la députée frontiste Marion Maréchal, dénonçait « une
véritable usine à gaz », « dont on peut raisonnablement penser
qu’[elle] n’aboutira jamais à une seule consultation référendaire ».
Une prédiction se fondant sur le caractère manifestement
disproportionné du seuil exigé, 10 % des inscrits, soit 4,5 millions
d’électeurs, un chiffre extravagant lorsqu’on le compare à ce qui se
pratique chez nos voisins européens, et par exemple, à l’Italie, où
pour une population comparable, 500 000 électeurs suffisent à
déclencher la procédure…
B. Refaire la Constitution
C’est également un problème de mise en œuvre que pose
l’article 89 al. 2 – puisque le peuple, titulaire normal du pouvoir
constituant, se trouve en pratique supplanté dans ce rôle par un
organe constitué, le Congrès : phénomène dont il faut prendre la
mesure, avant de proposer une explication.
1. Le principe et la pratique
« L’initiative de la révision de la Constitution appartient
concurremment au président de la République sur proposition du
Premier ministre et aux membres du Parlement. Le projet ou la
proposition de révision […] doit être voté par les deux assemblées
en termes identiques. La révision est définitive après avoir été
approuvée par référendum. »
Les deux premiers alinéas de l’article 89, article unique du
titre XVI intitulé « De la révision », sont d’un laconisme significatif.
C’est le peuple qui est en principe compétent pour approuver, par
référendum, les révisions d’une Constitution dont il est
originairement le seul auteur. Celui qui a fait la Constitution est
logiquement susceptible de la refaire, de même qu’il aurait la faculté
d’en changer. Et c’est même sur ce plan que se manifeste avec le
plus d’éclat, et d’une manière pratiquement illimitée le pouvoir
souverain dont il est détenteur (voir Souveraineté du constituant).
Il est vrai qu’il n’est pas seul à détenir le pouvoir constituant
dérivé. En vertu de l’article 89, alinéa 3, ce pouvoir appartient
également au Congrès, réunissant les deux chambres du Parlement,
et se prononçant à la majorité des 3/5e. Mais celui-ci n’est appelé à
se prononcer que de façon dérogatoire, lorsque « le projet de
révision n’est pas présenté au référendum ». La rédaction est
significative de l’intention des constituants, qui ont voulu distinguer
la procédure de droit commun, celle du référendum, d’une
procédure exceptionnelle, à laquelle on n’a recours que lorsque la
question paraît décidément trop minime pour justifier que l’on
dérange le peuple souverain. « Une réforme des institutions que le
peuple tout entier a mises sur pied en 1958 ne peut être décidée que
par le peuple, confirme d’ailleurs le général de Gaulle. Il faut que le
peuple se prononce lui-même. Il est le seul à pouvoir transformer ce
qu’il a fait. » Quant au Congrès, « c’est bon pour les réformettes 4 » :
comme la révision du 30 décembre 1963, qui se contente de
modifier les dates des sessions parlementaires de printemps et
d’automne, inscrites dans l’article 28, sans toucher au nombre ni à la
durée des sessions. L’exposé des motifs du projet de loi
constitutionnelle précise à cet effet, de manière très éclairante, que
c’est « en raison de l’importance réduite de la modification
constitutionnelle envisagée » que « le Congrès sera appelé à
approuver le vote des deux assemblées conformément aux
dispositions de l’alinéa 3 de l’article 89 de la constitution 5 ».
Normalement, c’est donc bien le peuple qui dispose de ce pouvoir
6
constituant .
Et pourtant, la pratique institutionnelle sera tout autre. En dépit
de cette logique explicite, les successeurs du général de Gaulle
feront systématiquement appel au Congrès lorsqu’ils voudront
réviser la Constitution – y compris lorsque ces révisions touchent à
la souveraineté que le peuple s’est reconnue à lui-même dans
l’article 3, avec les révisions exigées par la ratification des traités de
Maastricht et d’Amsterdam, ou par les conséquences des accords de
Nouméa. Il faudra attendre le référendum sur le quinquennat du
24 septembre 2000 pour que soit enfin utilisé l’article 89, alinéa 2 –
non sans d’ailleurs qu’une part notable de la classe politique se soit
récriée à l’avance contre les dangers d’un tel recours, conseillant au
Président de s’en tenir sagement à la procédure habituelle. Et l’on
touche ici au second point.
C. Le référendum local
Ce qu’il faut souligner en premier lieu, c’est que le référendum
local, bien qu’il semble relever de la même logique et des mêmes
principes, ne concerne pas le peuple au sens strict, mais seulement
une fraction de celui-ci, celle qui, habitant un certain territoire, sera
appelée à se prononcer. Ce qui signifie qu’il n’intéresse pas la
souveraineté nationale qui, selon l’article 3, n’appartient qu’au
peuple, et dont « aucune section du peuple » ne peut s’attribuer
l’exercice. Un requérant contestait l’article 123 de la loi du 13 août
2004 relative aux libertés et responsabilités locales, prévoyant un
référendum pour toutes les fusions de communes : selon lui, cette
disposition méconnaissait « le principe de la souveraineté nationale
en conférant à une section du peuple un pouvoir de décision ». Le
Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC no 2010-12 du 2 juillet
2010, répondit que la décision de procéder à une telle fusion « à la
suite d’une consultation des électeurs » ne mettait « en cause ni la
définition la souveraineté nationale, ni les conditions de son
exercice ».
1. L’hostilité initiale
Jusqu’à la révision du 28 mars 2003, le référendum local n’était
pas évoqué dans le texte constitutionnel. Contraire à la vieille
10
tradition républicaine, représentative et centralisatrice , il semblait
en outre difficilement compatible avec les termes mêmes de
l’article 72, al. 2, disposant que les collectivités territoriales
« s’administrent librement par des conseils élus » – ce qui exclut a
contrario toute intervention directe des citoyens dans les affaires
locales.
Ainsi, n’étaient conformes à la Constitution que les référendums
11
à valeur purement consultative , comme ceux prévus par les lois du
6 février 1992, dites « d’orientation sur l’administration territoriale
de la République », et du 4 février 1995, « d’orientation pour
l’aménagement et le développement du territoire ». En vertu de ces
lois, les électeurs pouvaient certes être consultés dans certaines
conditions, d’ailleurs étroitement définies, mais leur vote restait
dépourvu de toute valeur obligatoire, la décision finale demeurant
12
entre les mains des conseils élus .
b. Le prolongement de 2010
L’exposé des motifs de ce qui deviendra la loi no 2010-1563 du
16 décembre 2010 de réforme des collectivités locales insiste sur la
nécessité d’« ancrer durablement la décentralisation », notamment
par une simplification du paysage institutionnel, tout en
reconnaissant que celle-ci ne peut se réaliser de façon strictement
unilatérale, par en haut, et qu’elle suppose une participation directe
des populations concernées.
La loi va d’ailleurs plus loin que le projet initial, qui prévoyait
une consultation simplement facultative dans l’hypothèse où
l’ensemble des collectivités locales concernées s’accordait sur le
regroupement ou la modification des limites territoriales d’un
département ou d’une région. Désormais, en vertu des articles 26
à 29 de la loi, ces opérations ne peuvent être réalisées que si le
projet recueille, dans chacune des collectivités territoriales
concernées, « l’accord de la majorité absolue des suffrages exprimés,
correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des
électeurs inscrits ».
Cette consultation d’un nouveau genre constitue un référendum,
obligatoire – puisqu’on doit l’organiser pour procéder à ces
opérations – et décisionnel – dès lors que l’on ne peut aller à
l’encontre de ce qu’ont décidé les électeurs ainsi consultés. En ce qui
concerne ses modalités, la loi renvoie à la section « Référendum
local » du CGCT. Comme les autres référendums locaux, ceux de la
loi de 2010 doivent obtenir la majorité absolue des suffrages,
correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des
inscrits : ils ne sont valides que si au moins la moitié des électeurs
inscrits a pris part au scrutin (article L. au 1112-7 CGCT). Dans le
cas contraire, on doit considérer la réponse comme négative, ce qui
empêchera la fusion ou le regroupement 18.
Peut-être était-ce faire trop peu de cas de la force d’inertie, mais
aussi, de l’attachement des habitants à des structures locales proches
et rassurantes : le 7 avril 2013, lors de la première mise en œuvre de
cette procédure, visant en l’espèce à fusionner en une seule
collectivité les deux conseils généraux du Haut et du Bas-Rhin et le
conseil régional d’Alsace, le projet fut rejeté par la majorité des
habitants du Haut-Rhin, et ne fut approuvée dans le Bas-Rhin que
par 23 % des inscrits, soit un nombre inférieur à celui exigé par la
loi.
1. Un mécanisme inédit…
Sur le fond, l’article 88-5 disposait que « tout projet de loi
autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à
l’Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au
référendum par le président de la République » – étant précisé que
la règle ne s’appliquera qu’aux adhésions faisant suite aux
conférences intergouvernementales dont la convocation a été
er
décidée après le 1 juillet 2004, ce qui, en pratique, excluait la
19
Roumanie, la Bulgarie et la Croatie .
Techniquement, il s’agissait donc d’un référendum obligatoire,
dont la simplicité presque brutale tranchait avec les mécanismes
assez sophistiqués des articles 11 et 89. En effet, dès lors qu’il aurait
été question de ratifier un traité d’élargissement de l’Union, le
mécanisme se serait mis en marche, le président de la République
n’ayant en la matière qu’une « compétence liée » : ce qui signifie
qu’il aurait été juridiquement tenu de soumettre la question au
peuple, sans pouvoir éviter cette procédure ni en choisir une autre.
Tout usage du référendum impliquait jusqu’ici l’intervention des
institutions et une certaine collaboration entre l’exécutif et le
Parlement. Avec le référendum de l’article 88-5, l’un et l’autre se
trouvaient en quelque sorte dessaisis, le Président lui-même
n’intervenant que comme l’instrument passif et mécanique de la loi :
et c’est finalement le peuple, et lui seul, qui était amené à se
prononcer sans aucun intermédiaire. Ce qui signifiait, du reste,
qu’on ne pourrait, pour une fois, reprocher à ce référendum la
moindre dérive plébiscitaire, puisqu’en l’espèce, ce n’est pas la
volonté du chef de l’État, mais la décision prise par les organes de
l’Union européenne d’accepter l’adhésion d’un nouvel État membre,
qui déclenchait le processus référendaire.
En un sens, on pouvait donc voir dans ce nouveau référendum le
mécanisme institutionnel le plus proche de l’idéal démocratique, le
peuple étant seul en cause : au point que certains parlementaires ont
cru bon de s’en offusquer, à l’instar du sénateur Jean-Luc
Mélenchon : « Les représentants du peuple, s’interrogeait celui-ci
lors des débats du 16 février 2005 au Sénat, auraient-ils moins de
légitimité que le peuple à s’exprimer ? En ce cas, […] que signifient
nos assemblées et nos parlements ? »
2. … mais rapidement neutralisé
Telle était la ligne générale des critiques formulées contre ce
mécanisme qui, pour la première fois dans l’histoire de la
e
V République, rendait le recours au référendum inévitable – et qui
interdisait du coup tout contournement de l’intervention populaire.
Le principal grief, avancé contre le nouveau mécanisme
référendaire, était qu’il contribuait à restreindre encore les pouvoirs
du Parlement : « Pour tous les référendums prévus par notre
Constitution, observait ainsi le sénateur Christian Cointat, le
Parlement est consulté. Et là, pour une fois, il ne le serait pas ? On
peut l’expliquer, mais je considère que ce n’est pas normal. » On
peut l’expliquer, en effet : pourquoi consulter le Parlement sur une
procédure constitutionnellement obligatoire, et sur laquelle il n’y a
pas à délibérer ? Pour souligner cette prétendue anomalie, on se
prévaut donc de la « tradition républicaine », qui serait mise à mal
par ce référendum obligatoire. Jusqu’alors, déclare Robert Badinter,
en matière de ratification, « c’est toujours le Parlement qui décidait.
Or c’est ce droit que l’on vous demande d’abandonner, pour les
raisons invoquées. C’est absolument contraire à la vocation du
Parlement ! » – la ratification constituant « un pouvoir essentiel et
une prérogative essentielle du Parlement ».
Leur défiance chronique à l’égard du référendum n’empêchait
d’ailleurs pas les adversaires du nouveau mécanisme de déclarer
qu’il aurait pour effet de dévaluer cette procédure en la rendant trop
fréquente, et en la faisant porter sur des objets mineurs. « Ne
pensez-vous pas que, ce faisant, vous entraînerez la désuétude, sinon
le ridicule de l’institution référendaire ? accusait ainsi Robert
Badinter. Ne voyez-vous pas quel coup vous lui portez en rendant
cette procédure obligatoire ? » ; « Organisera-t-on, s’interrogeait
encore Christian Cointat, un référendum pour l’adhésion d’Andorre,
de Monaco, du Liechtenstein ou de la Suisse ? […] Nous ne pouvons
pas faire des référendums à tout bout de champ. »
Ainsi, l’article 88-5 introduit par la loi constitutionnelle du
1er mars 2005, consacrant la naissance d’une vraie procédure de
démocratie directe, permettait-il d’entrevoir avec une acuité
inhabituelle le rapport ambigu qu’une partie de la classe politique
entretient avec ce qu’elle continue de percevoir comme une sorte
d’usurpation. On admet cette démocratie directe tant qu’elle reste
facultative : en l’occurrence, c’est précisément le caractère
automatique du mécanisme, autrement dit, ce qui en fait tout
l’intérêt, qui fut perçu comme difficilement acceptable… Et c’est très
logiquement sur ce point précis que l’on va rapidement revenir.
Après diverses hésitations, la révision du 23 juillet 2008 conduit en
effet à introduire dans l’article 88-5 un second alinéa, qui annule
l’automaticité du mécanisme prévu à l’alinéa 1er. Il suffira désormais
d’une motion adoptée par chaque assemblée à la majorité des trois
cinquièmes pour éviter de recourir au référendum, les
parlementaires s’autorisant de la sorte à adopter eux-mêmes le projet
de loi de ratification selon la procédure du Congrès. Ce qui, en
principe comme en pratique, aboutit, en ménageant une
échappatoire, à faire disparaître le référendum obligatoire institué
en 2005.
SOUS-SECTION 3
Le droit de pétition
A. Premières atteintes
À cet égard, une précaution s’impose : il faut rappeler que tout
traité, tout accord international implique par définition une certaine
limite à la souveraineté, l’État signataire s’obligeant, par cet accord,
à faire ou à ne pas faire ce qu’il stipule. Mais cette limite, volontaire,
réduite et temporaire, ne représente pas un véritable renoncement,
ni même une réduction de l’étendue de la souveraineté telle que
l’énonce l’article 3.
C’est d’ailleurs ce qu’a longtemps contrôlé le Conseil
constitutionnel, en vérifiant, sur le fondement de l’article 54, que le
traité signé par la France ne mettait pas « en cause les conditions
essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » (70-39 DC,
19 juin 1970), ou encore, en distinguant les « limitations de
souveraineté », conformes à la Constitution, des « transferts de tout
ou partie de la souveraineté nationale » (76-71 DC, 29-30 décembre
1976), jugés non conformes et impliquant donc, préalablement à la
ratification du traité, une révision de la Constitution.
C’est à une telle révision que procède le Parlement réuni en
Congrès le 25 juin 1992, à la suite de la décision 92-308 DC du
9 avril 1992, qui constatait que trois dispositions du traité de
Maastricht mettaient en cause ces « conditions essentielles d’exercice
de la souveraineté nationale ». Et tel est à nouveau le cas avec la loi
constitutionnelle no 99-49 du 25 janvier 1999, qui fait suite à la
décision du 31 décembre 1997 (97-394 DC) dans laquelle le Conseil
constitutionnel constatait la non-conformité de certaines
dispositions du traité d’Amsterdam ; puis avec la loi
er
constitutionnelle du 1 mars 2005, rendue nécessaire par la décision
2004-505 DC du 19 novembre 2004 relative au traité sur la
Constitution européenne.
Ces révisions, non susceptibles de contrôle en vertu du principe,
quelque peu paradoxal en l’occurrence, de la « souveraineté du
constituant » (92-312 DC, 2 septembre 1992, c. 19), vont donc
intégrer dans la Constitution des dispositions portant atteinte à ces
« conditions essentielles », et en fait, à la consistance même de la
souveraineté nationale.
A. De la décentralisation...
« La décentralisation s’arrête où commence l’exercice de la
souveraineté nationale. Le démembrement commence lorsque
l’exercice de la souveraineté nationale devient impossible 1 », notait
Michel Debré en 1982, lors des débats sur les premières lois de
décentralisation.
Celles-ci allaient déjà au-delà de ce qu’avait souhaité le
constituant de 1958 en inscrivant dans l’article 72, alinéa 2, que les
collectivités territoriales de la République « s’administrent librement
par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ».
Cependant, cette décentralisation, résultant d’une série de lois
ordinaires, demeurait étroitement bridée par les normes
constitutionnelles, et en particulier, par le principe d’indivisibilité
er
de la République (art. 1 ). Au-delà, elle se trouvait corsetée par un
ensemble de règles restrictives mises en œuvre à la fois par
l’administration, le juge administratif et le Conseil constitutionnel,
attentif à ce que les prérogatives de l’État ne fussent « ni restreintes,
ni privées d’effet, même temporairement », par le principe de libre
administration (82-137 DC, 25 février 1982).
C’est ce que la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 « relative à
l’organisation décentralisée de la République » va partiellement
remettre en cause – en permettant à la « nouvelle décentralisation »,
désormais inscrite dans la Constitution elle-même, de dépasser les
limites constitutionnelles imposées à la loi du 2 mars 1982. Avant
d’en évoquer le contenu, il faut noter que c’est la dynamique
européenne qui a, sinon suscité, du moins facilité l’élaboration de
cette révision.
Les effets de la construction européenne sur la décentralisation
sont à la fois directs et indirects.
Indirects, d’abord, dans la mesure où la remise en cause, par
cette construction, du monopole et de l’intangibilité de la
souveraineté étatique, ouvre naturellement la voie aux
revendications régionalistes. Si la souveraineté est partagée avec le
niveau supérieur, pourquoi ne le serait-elle pas aussi avec le, ou les
niveaux inférieurs ? C’est d’ailleurs ce qu’implique la logique du
principe de subsidiarité, inscrit dans les traités européens depuis
Maastricht, selon lequel le niveau supérieur doit confier au niveau
inférieur tout ce dont celui-ci peut se charger de manière
satisfaisante. Cette tendance se trouve encore accentuée par le fait
que les principaux partenaires de la France au sein de l’Union
connaissent déjà, pour leur part, ce type de partage vertical, qu’il
s’agisse d’États fédéraux au sens propre (Belgique, RFA, Autriche),
d’États unitaires hyper-décentralisés (l’Espagne des « Communautés
autonomes », l’Italie des « régions à statut spécial »), ou comportant
des territoires à statut particulier (comme, en Grande-Bretagne,
l’Écosse et le pays de Galles depuis la dévolution de
septembre 1997). La construction européenne promeut ainsi un
modèle très particulier de rapports entre le centre et la périphérie,
entre l’État et ses « sous-États », qui va à l’encontre de la conception
française d’une souveraineté indivisible, au même titre que le peuple
qui la détient.
Mais l’effet de la dynamique européenne sur la décentralisation
est également direct, les régions se voyant reconnaître un rôle au
sein de l’Union, par-dessus les États membres dont elles font partie.
Dès 1988, la Commission crée un « Conseil consultatif des
collectivités régionales et locales » qui devient, après 1992, le
« Comité des régions ». Ainsi, le principe selon lequel les
compétences internationales sont réservées au pouvoir souverain,
dont elles constituent une caractéristique majeure, tend-il à être
remis en cause, au sein de l’Union, au profit des régions, en dehors
de toute habilitation étatique.
Ce rôle des régions est appelé à se développer dans le cadre
européen : en décembre 2000, les conclusions du sommet de Nice
envisageaient la question de la future répartition des compétences
entre les trois niveaux de l’Union, des États et des régions. Entré en
vigueur neuf ans plus tard, le traité de Lisbonne accentue la prise en
compte des régions. L’article 2 du Protocole sur l’application des
principes de subsidiarité et de proportionnalité dispose qu’avant de
« proposer un acte législatif », la Commission doit procéder à des
consultations devant tenir compte, « le cas échéant, de la dimension
régionale ou locale » de l’acte envisagé. Par ailleurs, le Comité des
régions, dont les membres, représentant les différentes régions,
exercent leurs fonctions « en pleine indépendance, dans l’intérêt
général de l’Union » (art. 256 bis), se voit reconnaître le rôle de
« gardien de la subsidiarité », étant compétent pour saisir la Cour de
justice des « actes législatifs » qu’il juge contraires à ce principe.
B. … au démembrement ?
1. La révision de 2003
C’est dans cette perspective que s’inscrit la révision du 28 mars
2003, qui retouche ou crée quinze articles de la Constitution, en
er
particulier, de façon volontairement symbolique, l’article 1 qui,
évoquant la France, dispose désormais que « son organisation est
décentralisée ».
Toute la question est bien sûr de savoir ce que recouvre, en
l’occurrence, le terme de « décentralisation », qui est sans conteste
l’un des plus imprécis du vocabulaire politique français.
Au premier abord, la révision du 28 mars 2003 paraît plutôt
séduisante, visant à évacuer les derniers restes d’un jacobinisme
anachronique qui s’obstinait à confondre unité et uniformité. Les
objectifs de la réforme, développés par le Premier ministre Jean-
Pierre Raffarin dans l’exposé des motifs du projet de loi
constitutionnelle, sont en effet assez ambitieux. À travers la
décentralisation, il s’agit de construire un État plus responsable, qui
continuera de « définir les grands principes », mais en se recentrant
sur « ses missions principales 2 » tout en reconnaissant la capacité et
l’autonomie de gestion des collectivités territoriales. Un État plus
responsable, donc, mais aussi plus efficace, la décentralisation
induisant une simplification des structures, et plus démocratique, les
citoyens étant « plus souvent consultés, notamment dans les débats
locaux ».
En ce sens, la révision confère (sans le nommer) une valeur
constitutionnelle au principe de subsidiarité, défini comme la clé de
répartition des compétences entre l’État et les collectivités
territoriales. Celles-ci, précise en effet le nouvel article 72 al. 2,
« ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des
compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur
échelon ». Quant à la réalisation de ce principe, elle sera facilitée
par de nouveaux mécanismes juridiques également inscrits dans la
Constitution : en particulier la possibilité d’introduire dans la loi ou
le règlement, « pour un objet et une durée limités, des dispositions à
caractère expérimental » (art. 37-1) ; ainsi que la faculté, ouverte
aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, de « déroger, à
titre expérimental […] aux dispositions législatives ou
réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences »
(art. 72, al. 4). Désormais, il sera donc possible de prendre en
compte les réalités, c’est-à-dire, les différences existant entre les
collectivités territoriales, et d’élaborer des réglementations plus
souples, plus efficaces, car mieux adaptées.
2. Les problèmes
Néanmoins, cette révision a fait l’objet de critiques virulentes – y
compris dans les rangs de la majorité, Jean-Louis Debré, alors
président de l’Assemblée nationale, ayant ainsi déclaré, dans le
prolongement de ce qu’affirmait son père Michel Debré, qu’« il ne
faut pas tomber d’un jacobinisme exacerbé dans un intégrisme
décentralisateur ». La décentralisation, ajoutait-il, ne doit pas être
« une grande braderie qui laisserait la République en morceaux »,
favorisant l’émergence de féodalités régionales susceptibles de
concurrencer victorieusement la souveraineté du peuple et
dépossédant « subrepticement [l’État] des missions relatives à la
3
cohésion nationale ». Pourtant, si dangers il y a, ceux-ci résultent
moins de la révision elle-même, qui au fond n’a rien de
révolutionnaire, que de la situation d’incertitude qu’elle inaugure.
Sur un plan juridique, la révision introduit plusieurs types
d’innovation : notamment, dans l’ordre normatif, la possibilité
ouverte aux collectivités territoriales de « déroger à titre
expérimental […] aux dispositions législatives et réglementaires qui
régissent l’exercice de leurs compétences » (art. 72, al. 4), ainsi que
la reconnaissance à ces collectivités d’un pouvoir réglementaire
« pour l’exercice de leurs compétences » (art. 72, al. 3). Cependant,
ni l’une ni l’autre de ces innovations n’entraîne une altération
significative de la souveraineté, ni même une remise en question de
la primauté des normes étatiques. Pour ce qui est des dérogations,
qui sont exclues en toute hypothèse « lorsque sont en cause les
conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un
droit constitutionnellement garanti », elles supposent l’intervention
préalable de la loi ou du règlement, qui doivent les avoir prévues.
Pour ce qui est, d’autre part, du pouvoir réglementaire local, la
révision se borne à consacrer ce qu’avait déjà implicitement reconnu
le Conseil constitutionnel 4 – qui admettait, parallèlement au
pouvoir réglementaire du Premier ministre prévu par l’article 21,
l’existence d’un autre type de pouvoir réglementaire, fondé sur le
principe de libre administration des collectivités locales énoncé dans
l’article 72, al. 2 (ancienne version). En outre, avant comme après la
révision, ce pouvoir réglementaire local demeure résiduel,
subsidiaire et subordonné. Au total, estimait alors un observateur,
« malgré les apparences, la réforme constitutionnelle a une portée
juridique essentiellement symbolique et ne devrait avoir de ce point
de vue que des effets marginaux 5 ».
Enfin, confortant cette logique, la Constitution prévoit, dans ce
qui est désormais l’article 72, al. 6, que « dans les collectivités
territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant
de chacun des membres du gouvernement, a la charge des intérêts
nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». La
hiérarchie normative et institutionnelle se trouve ainsi maintenue au
sein de ce qui demeure un État unitaire.
Le problème vient donc moins du texte lui-même que de la
situation d’incertitude qu’il ouvre. Après 2003, en effet, on a le
sentiment que chaque Président, sinon chaque Premier ministre,
développe sa propre vision de la décentralisation et y va de sa
propre réforme – quitte à abroger, parfois avant même qu’elles aient
eu le temps d’être mises en application, certaines des dispositions
phares de la réforme précédente.
o
C’est ainsi que la loi n 2014-58 du 27 janvier 2014 dite de
modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation
des métropoles prétend « retrouver l’esprit du processus de
décentralisation initié en 1982 sous l’impulsion du président
François Mitterrand 6 ». À ce titre, « cette démarche diffère des
initiatives portées par les précédents gouvernements ». Elle s’oppose
notamment à la loi Raffarin du 13 août 2004, qui avait pour objet
principal le transfert de compétences, notamment à titre
expérimental. Mais elle entend surtout se distinguer de la loi de
réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, définie
comme « une tentative de spécialisation uniforme des compétences
des collectivités locales. »
En effet, poursuit l’exposé des motifs de la loi de 2014, « les
réformes mises en œuvre ces dernières années n’ont pas su repenser
globalement les enjeux de l’intervention publique sur notre
territoire ». D’où la volonté de défaire ce qu’elles avaient fait, et par
exemple de rétablir la clause de compétence générale des
départements et des régions dont l’abolition, décidée par la loi du
er
16 décembre 2010, aurait dû prendre effet au 1 janvier 2015.
Et le mouvement se poursuit inexorablement : l’année suivante
o
débute avec la publication de la loi n 2015-29 du 16 janvier 2015
relative à la délimitation des régions – une mutation qui n’est
évidemment pas sans incidence sur les équilibres des pouvoirs et les
rapports de force entre l’État et les nouvelles « super régions ».
Quelques mois plus tard, c’est la monumentale et très controversée
loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation
territoriale de la république, dite loi NOTRe, qui est adoptée. Cette
dernière, qualifiée par certains de « monstre juridique », a pour
ambition de rationaliser et de moderniser la carte des territoires au
profit des régions et des intercommunalités, aux dépens des
départements et des communes. Une transformation qui pourrait
être jugée légitime, n’étaient l’impression d’improvisation qu’elle
donne (c’est ainsi que la « clause générale de compétence » des
régions et des départements, expressément rétablie en 2014 au nom
de la clarté et de la modernisation, se trouve supprimée, pour les
mêmes raisons, par la loi de 2015) et le sentiment de dépossession
qu’elle fait naître du côté des populations et des élus locaux, dépités
de n’avoir même pas été consultés par le gouvernement sur cette
réforme majeure.
L’observateur éprouve donc, face à ces chantiers inachevés, un
sentiment d’incertitude, de flottement, d’insécurité 7 – qui contraste
avec la situation d’avant 1982, où l’on considérait la centralisation
mise en place en l’an VIII comme l’une des « masses granitiques »,
l’un des éléments stabilisants de l’État, et l’une des marques
caractéristiques de la souveraineté du peuple.
Chapitre II
LE RÈGNE DU PRÉSIDENT
Le président de la République occupe une place de choix dans la
Constitution du 4 octobre 1958 : contrairement à la tradition
républicaine, qui accordait toujours cette place au Parlement ou au
Corps législatif, il est évoqué dès le titre II, juste après le peuple
(titre I) et l’énoncé des Principes du régime. Cela signifie-t-il pour
autant que le président de la République se substitue au Parlement à
la tête de l’État et au centre des pouvoirs ? Ou n’est-ce qu’un
hommage formel, qui ne porte pas à conséquence sur un plan
pratique et ne remet pas en cause le caractère parlementaire du
système – comme le laissent entendre d’autres dispositions du même
texte, notamment l’article 20 1 ?
Pour répondre à cette question, on doit se demander d’abord
quelle idée se faisaient du chef de l’État les auteurs du projet de
Constitution : comment ceux-ci, en particulier le général de Gaulle
et Michel Debré, concevaient-ils la fonction présidentielle ? Et l’on
s’aperçoit que l’un comme l’autre ont employé, pour définir le
Président, le terme de « monarque républicain » : expression
suffisamment énigmatique pour qu’on s’y arrête un instant.
Chez Michel Debré, issu d’un milieu profondément républicain,
cette désignation figure pour la première fois dans un texte rédigé
sous l’Occupation 2, où il expose ses projets de réforme
constitutionnelle. À l’époque, une opinion est très répandue : si la
France a été écrasée en 1940, c’est en raison de la faiblesse de ses
institutions, et en particulier parce qu’il manquait un chef à la tête
de l’État. Car les démocraties modernes, estime-t-on alors, ne
peuvent plus se passer d’un gouvernement efficace et puissant,
comme le prouvent d’ailleurs les deux seules démocraties qui soient
parvenues à résister à la poussée des puissances de l’Axe, la Grande-
Bretagne et les États-Unis. C’est sur ces deux exemples, considérés
comme les seuls modèles possibles, que se fonde la réflexion de
Michel Debré. « À la tête de la démocratie anglaise, il est un Roi ; à
la tête de la démocratie américaine, un Président. L’un et l’autre
sont chefs d’État. » Considérant les divisions profondes du peuple
français, Debré note cependant qu’un Président élu, comme le
Président américain, n’obtiendrait jamais la majorité absolue : dans
cette hypothèse, la France serait « gouvernée par le représentant
d’une minorité », ce qui lui semble inadmissible. La solution
présidentielle s’avérant inadaptée, « la France n’a donc pas le choix.
Son chef d’État ne peut être qu’un monarque ». Sera-t-il pour autant
un roi héréditaire, comme en Grande-Bretagne ? Une telle solution
n’est possible que « si la nation entière est prête à l’accepter », ce
qui, observe Debré, n’est pas le cas actuellement. Dès lors, « la seule
chance pour la démocratie française est, si l’on peut s’exprimer
ainsi, un monarque républicain ». Un « vrai chef d’État », n’étant
plus désigné par le Parlement, mais élu par un collège élargi
(comprenant des représentants des municipalités, des conseils
généraux, des universités, des syndicats), et pour une longue durée,
afin d’assurer « la permanence, la stabilité nécessaire 3 ».
Chez de Gaulle, la thématique monarchique relève de
perspectives très différentes. D’abord, elle est beaucoup plus
profondément ancrée, puisqu’elle se rattache à une tradition
familiale à laquelle le Général est toujours demeuré fidèle, y
compris après la Seconde Guerre mondiale et son ralliement exprès
à une forme républicaine de gouvernement. Ensuite, elle correspond
à sa vision des hommes et de la politique, le Général étant
convaincu que l’État, tout comme l’armée, ne saurait fonctionner
sans un chef unique, incontesté, susceptible de trancher les grands
problèmes et d’assumer la responsabilité de ses décisions. Il faut,
répétera-t-il inlassablement, « une tête à l’État 4 », et il n’en faut
qu’une seule : « on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au
5
sommet ». L’unité du commandement conditionne l’efficacité de
l’action, et ses chances de réussite.
Mais si de Gaulle et Debré emploient l’un et l’autre le terme de
« monarque républicain », ils ne s’accordent pas complètement sur le
sens de ce mot, et, en particulier, sur les pouvoirs dévolus au chef de
l’État. Pour de Gaulle, il s’agit en effet d’un monarque, sinon absolu,
du moins actif et puissant. « Bien loin que le Président doive,
comme naguère, demeurer dans un rôle de conseil et de
représentation », il doit avoir désormais, expliquera-t-il en 1962, « la
charge insigne du destin de la France et de celui de la République » :
ce qui suppose que, « pour porter ces responsabilités suprêmes, il
faut au chef de l’État des moyens », c’est-à-dire des pouvoirs « qui
6
lui soient adéquats ». « Le Président, soulignera-t-il plus tard, est
évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État 7. »
Pour Michel Debré, il en va différemment : le principal intérêt
qu’il trouve au monarque est, conformément à la tradition libérale,
de se situer au-dessus du jeu politique et d’assumer le rôle d’un
arbitre impartial entre les « pouvoirs actifs » que sont le Parlement
et le gouvernement. Le monarque anglais, qu’il prend pour modèle,
« n’est pas le représentant de la nation, il en est le symbole […]. Il
n’est pas l’autorité, mais la stabilité, la permanence, l’unité 8 ».
e
Comme le roi constitutionnel du XIX siècle, et contrairement au
Président américain, ce monarque républicain règne, mais ne
gouverne pas : idée que l’on retrouvera au moment de la genèse de
la Constitution de 1958, avec l’image d’un Président « clé de voûte »
du nouveau système – la caractéristique d’une clé de voûte étant
l’immobilité…
En ce qui concerne la définition des pouvoirs et le statut du chef
de l’État, le texte de 1958 paraît se ressentir de cette double
influence, partiellement contradictoire. Certains articles renvoient
en effet à la conception libérale d’un « monarque constitutionnel »
(art. 5, 8, 12, 17, 18, 54, 56, 61), alors que d’autres semblent
impliquer une approche beaucoup plus activiste du rôle du
Président (art. 11, 13, 16, 19). Et comme le prévoyaient à l’époque
les observateurs les plus perspicaces, c’est finalement cette dernière
conception, gaullienne, qui va l’emporter dans la pratique – du
moins en dehors des périodes de « cohabitation » durant lesquelles
le « monarque constitutionnel » réapparaît, en dépit de la légitimité
accrue qui résulte, depuis la révision de 1962, de son élection au
suffrage universel direct.
Les deux problèmes qui se posent à cet égard, du reste
inextricablement liés l’un à l’autre, sont donc celui du statut du
Président, et celui des pouvoirs qu’il détient, notamment en raison
de ce statut.
Section I
Une institution stable
A. Un mandat électif
Le caractère électif du mandat constitue un élément essentiel du
statut du Président, et l’une des raisons de son autorité. Les
modalités de cette élection ont été radicalement transformées par la
révision de novembre 1962, qui apparaît ainsi comme l’un des
moments clés de l’histoire de la Ve République (voir chapitre
préliminaire).
1. Avant 1962
Avant 1958, sous la IIIe et la IVe République, le Président n’est
que l’élu du Parlement 1, et non celui du peuple : ce qui explique son
peu de prestige, surtout si l’on considère que le Parlement, méfiant à
l’égard de tout pouvoir personnel, choisissait systématiquement des
candidats assez effacés, plutôt que des hommes d’État véritables –
préférant Grévy à Gambetta en 1879, Carnot à Ferry en 1887, ou
Deschanel à Clemenceau en 1920.
En 1958, les constituants vont donc élargir ce corps électoral afin
de rendre le Président indépendant de la représentation nationale.
Cependant, il n’est pas encore question de l’élire au suffrage
universel direct. De Gaulle est soucieux de ne pas heurter l’opinion
publique de gauche en vue du référendum du 28 septembre 1958 :
or, celle-ci est traditionnellement hostile à ce mode d’élection du
Président, qu’elle identifie au bonapartisme plébiscitaire et à la
dictature. Au suffrage direct, on préfère donc un suffrage universel
indirect, le Président étant élu par un collège d’élus politiques 2
d’environ 80 000 membres, où les parlementaires ne forment plus
qu’une infime minorité, et où la France rurale, celle des communes
de moins de 2 000 habitants, se trouve nettement surreprésentée 3.
C’est ce collège qui, le 21 décembre 1958, va élire le général de
Gaulle à la présidence par 78,5 % des suffrages exprimés.
Cette élection par un collège élargi, enraciné dans la France
rurale, correspond à l’idée que certains constituants, et la majeure
partie de la classe politique, se font alors du nouveau Président : clé
de voûte, garant de la durée du système et symbole de la continuité
nationale, beaucoup plus qu’acteur de la vie politique quotidienne.
À l’époque, Maurice Duverger prophétise d’ailleurs que « son mode
d’investiture sera probablement l’un des éléments qui pousseront
dans le sens de l’affaiblissement des prérogatives présidentielles 4 ».
Mais dès 1959, la pratique gaullienne va remettre en question
cette façon de concevoir le rôle du Président : par contrecoup, elle
va conduire à repenser aussi les modalités de l’élection.
2. Depuis 1962
Dès 1959, en effet, le général de Gaulle propose une
interprétation très personnelle du terme d’« arbitre » qui, dans
er
l’article 5, alinéa 1 , définit sa mission : à la faveur de la guerre
d’Algérie, de la décolonisation, etc., il va sortir « de la situation de
l’arbitre régulateur pour entrer et rester dans celle de l’arbitre
5
capitaine ». Le pouvoir neutre devient ainsi un pouvoir actif,
l’ultime détenteur du pouvoir de décision.
À l’époque, les circonstances sont si dramatiques, les questions à
régler si délicates, que nul ne lui dispute ce rôle – même si certains
juristes contestent déjà la conformité de cette pratique à la lettre de
la Constitution. Mais les accords d’Évian et l’indépendance de
l’Algérie vont mettre fin à ce consensus, la classe politique
entreprenant aussitôt de critiquer violemment l’extension des
pouvoirs présidentiels. Ce que les gaullistes interprètent alors
comme une contre-offensive des partis menace la redistribution des
pouvoirs établie entre 1958 et 1962.
Mais pour de Gaulle, cette concentration ne se justifie pas
seulement en période d’exception : elle correspond à sa propre
vision de l’État, et à la seule lecture qu’il estime légitime, car
praticable, du texte constitutionnel. « Notre Constitution, explique-t-
il ainsi dans son discours du 26 octobre 1962, pour fonctionner
effectivement, exige […] que le chef de l’État en soit un 6. »
Or, de Gaulle sait qu’en démocratie, il n’existe qu’un moyen pour
assurer, en dehors des temps de crise, cette prééminence du chef de
l’État : si l’on entend le placer au-dessus du Corps législatif, il faut le
faire élire par le peuple. « Pour être, vis-à-vis de lui-même et vis-à-
vis des autres, en mesure de remplir une pareille mission, le
Président a besoin de la confiance directe de la nation. » Dès lors, la
conclusion s’impose d’elle-même : « Il s’agit que le Président soit élu
7
dorénavant au suffrage universel . » De la sorte, il aurait une
autorité supérieure à celle de tout autre organe électif, étant le seul
à avoir été élu par l’ensemble du peuple.
Telle était, du reste, la raison traditionnellement invoquée par
les partisans de la primauté du législatif pour refuser l’élection du
chef de l’exécutif : « l’expérience de 1848, écrivait ainsi le futur
président de la République Paul Deschanel, a appris aux
républicains […] que si [la présidence] était nommée par le peuple,
elle pourrait écraser les assemblées 8 ». Mais plus encore que sur le
souvenir malheureux du coup d’État du 2 décembre 1851 fomenté
par le président Louis-Napoléon Bonaparte, c’est sur une aversion de
principe (d’ailleurs bien antérieure à 1848 9) à toute
10
personnalisation du pouvoir que se fonde la méfiance de la
tradition républicaine à l’égard de cette élection. Étant attaché à la
primauté du Parlement et à la subordination de l’exécutif, il est
logique de s’opposer à ce qui, de façon presque automatique, inverse
l’équilibre entre ces deux pouvoirs.
En revanche, étant donné sa conception de l’État, il était
prévisible que de Gaulle fût tenté par une telle réforme. En
décembre 1961, il confie au président du Conseil constitutionnel
que « la Constitution a comme principal avantage d’avoir rendu à
l’État un chef : pour que celui-ci subsiste [après son départ], il est
nécessaire que son successeur soit élu au suffrage universel direct »,
afin de bénéficier d’une « autorité qui le porterait au-dessus de lui-
11
même ».
L’occasion de passer à l’acte va lui être fournie par l’attentat du
22 août 1962, dont il ne réchappe que par miracle. À la faveur de
l’émotion populaire, de Gaulle annonce le 20 septembre, puis fait
adopter par référendum le 28 octobre, la révision des articles 6 et 7
de la Constitution (promulguée le 6 novembre). À l’avenir (c’est-à-
dire, à l’issue du septennat commencé en décembre 1958), le
président de la République sera élu au suffrage universel direct.
Voilà pourquoi la révision de 1962 représente un tournant
capital. Un tournant, d’abord, dans la mesure où, en 1958, nul ne
songeait à une telle élection : il est vrai que les principaux obstacles
à celle-ci, l’existence de la Communauté franco-africaine, de
départements algériens et, subsidiairement, d’un parti communiste
dominant à gauche, ont disparu ou sont en voie de disparition. Un
tournant, ensuite, puisque cette révision institutionnalise ce qui
jusqu’alors résultait des circonstances dramatiques de la
décolonisation, et de la légitimité historique singulière du général de
Gaulle. Désormais, la primauté politique du Président ne dépend
plus d’un contexte, ou d’une personne particulière, elle se trouve
dotée d’un fondement constitutionnel, ce qui permettra aux
successeurs du Général de bénéficier d’une autorité comparable à la
sienne, et suffisante pour assurer le bon fonctionnement des
institutions.
C’est du reste ce qui explique le sentiment de révolte éprouvé à
12
l’époque par la classe politique . Outre le dépit d’avoir été berné
(au moyen de l’article 11, qui permet de contourner le veto du
Parlement), il y a la fureur de comprendre que le nouvel équilibre
des pouvoirs ne sera pas qu’une parenthèse destinée à se refermer
avec le départ du Général, mais qu’il correspond désormais à la
e
configuration « normale » de la V République. Seul élu du peuple
tout entier, le Président est au-dessus du Parlement, tout comme il
domine le gouvernement.
C’est enfin la raison pour laquelle les adversaires les plus
conséquents du système instauré en 1958 et achevé en 1962 ont
longtemps persisté à combattre le principe de l’élection du Président
au suffrage universel direct, conscients de s’attaquer ainsi au
13
fondement de ces institutions .
B. La durée du mandat
La primauté du Président se trouvait confortée, à l’origine, par la
durée exceptionnellement longue de son mandat. C’est parce qu’elle
va à l’encontre de cette logique que la révision d’octobre 2000, qui
réduit à cinq ans la durée du mandat présidentiel, présente sur ce
plan une importance supérieure à celle de juillet 2008 – qui se
contente de limiter la possibilité de renouvellement du mandat.
1. Du septennat au quinquennat
Initialement, l’article 6 précisait que le Président est élu pour
sept ans – renouvelables, dans la mesure où le texte ne l’interdit pas.
Cette durée, relativement longue, renvoie à la Constitution de la
e
III République, qui avait instauré le septennat pour des raisons
conjoncturelles, et à celle de la IVe qui, en 1946, l’avait repris
presque sans discussion. Mais en 1958, c’est après mûre réflexion, et
non par l’effet d’une fidélité aveugle au passé, que l’on choisit
d’accorder au Président un mandat de sept ans. Malgré de vives
14
résistances lors des travaux préparatoires , les constituants vont
rester fermement campés sur cette position. Le mandat du Président
doit être long : « la durée, écrivait Tocqueville, est un des premiers
15
éléments de la force ». En outre, il importe aussi que ce mandat
soit plus long que celui des députés, afin de manifester son autorité
et son indépendance vis-à-vis du Parlement. En octobre 1962, à
l’occasion de la révision, la question se pose à nouveau : et une fois
16
encore, « après un examen approfondi », le général de Gaulle
décide de conserver le septennat, considérant que cette durée n’est
pas seulement la conséquence, mais aussi « la condition et la
17
garantie » du rôle central attribué au Président. Le septennat,
18
explique-t-il alors, est « la plus solide colonne de la Constitution ».
Preuve, en négatif, de l’importance de cette question, le fait
qu’elle fera l’objet d’une interminable querelle, qui se poursuivra
e
tout au long de la V République, jusqu’à la révision d’octobre 2000.
Dès les années 1960, l’opposition réclame la réduction du mandat
présidentiel, et la coïncidence de sa durée avec le mandat législatif
afin de « rétablir l’équilibre entre le Président et le Parlement ».
« Dans notre République, réplique alors de Gaulle, c’est [parce que]
le chef de l’État répond de l’intérêt supérieur et permanent de la
France [qu’il] est élu par le peuple pour sept ans. »
Dans les années 1970, pourtant, c’est son propre successeur,
Georges Pompidou, qui va relancer la réforme. Dans un message au
Parlement du 3 avril 1973, il propose de réduire à cinq ans la durée
du mandat présidentiel. « La règle du septennat ne correspond plus
au rôle que le président de la République joue dans la définition des
orientations générales de la politique nationale. Les événements […]
doivent permettre aux Français de se prononcer sur ces orientations
19
à intervalles plus fréquents . » Le plus curieux est la façon dont
Georges Pompidou parvient à retourner à son profit la thématique
du quinquennat, expliquant que la durée (jugée excessive) du
mandat présidentiel constitue virtuellement un handicap par rapport
aux députés qui, étant élus plus souvent, pourraient prétendre du
coup à une légitimité supérieure. Réduire la durée du mandat aurait
ainsi pour objectif de limiter l’usure du pouvoir présidentiel, et
d’éviter que de futurs chefs de l’État ne se trouvent « dans une sorte
d’infériorité morale vis-à-vis du Parlement ».
L’hostilité de la gauche et des centristes empêchera cette
initiative de parvenir à terme. Sachant qu’il ne pourra obtenir, lors
de la phase ultime de la révision, la majorité des 3/5e au Congrès
(art. 89, al. 3), le président Pompidou décide d’arrêter le processus.
Son décès, le 2 avril 1974, et son remplacement par Valéry Giscard
d’Estaing, mettront un point final à cette tentative.
L’anecdote a notamment pour intérêt de mettre en lumière
l’ambiguïté de cette réforme : nul ne sachant exactement quelles
pourraient en être les conséquences, elle est défendue
simultanément par les adversaires de la primauté présidentielle, qui
associent durée et autorité, et par les partisans d’une
présidentialisation accrue, qui estiment au contraire que la
concentration du mandat dans le temps, évitant « l’usure du
pouvoir » présidentiel, ne pourra que profiter à celui-ci.
2. Le renouvellement du mandat
Au début de la IIe République, en 1848, cette question avait
suscité, au sein de la commission chargée d’élaborer les bases de la
nouvelle Constitution, un débat très vif qui se conclut, suivant le
conseil peu avisé de Tocqueville, par l’adoption de la règle du non-
22
renouvellement du mandat . Conseil peu avisé, puisque c’est en
invoquant ce motif que trois ans plus tard, le 2 décembre 1851, le
prince-président Louis-Napoléon Bonaparte renversera le régime, se
réclamant du droit du peuple souverain à choisir le Président qu’il
désire.
Si elle réapparaît sous la Constitution du 27 octobre 1946, c’est
sous une forme atténuée, l’article 29 précisant, dans son alinéa 2,
que le Président, élu pour sept ans, « n’est rééligible qu’une fois ».
Une précision qui va dans le même sens que les autres dispositions
constitutionnelles visant à restreindre les attributions du président.
En 1958, à l’inverse, la suppression de cette limite confirme la
volonté de renforcer la présidence – de même que, symétriquement,
la réintroduction de cette règle cinquante ans plus tard, avec la
révision du 23 juillet 2008, se présente comme participant du
« rééquilibrage » des institutions, lequel s’effectue en l’occurrence
aux dépens du chef de l’État : désormais, précise l’article 6 alinéa 2,
« nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».
À vrai dire, on pourrait s’interroger sur l’utilité d’une telle règle.
Le non-renouvellement ne présente un véritable intérêt que lorsqu’il
s’applique dès le premier mandat : permettant alors d’éviter, comme
le soulignait Tocqueville en 1848, que le Président ne consacre
l’essentiel de son énergie à sa prochaine réélection. Lorsqu’il ne
s’applique qu’au second, comme c’est le cas aux États-Unis ou en
Russie 23, il crée une dissymétrie difficilement gérable entre les
mandats. En outre, cette règle ne présente en France qu’un intérêt
assez théorique, aucun Président n’ayant jamais brigué un troisième
mandat.
En revanche, l’idée d’un septennat non renouvelable, remédiant
à la fois à l’excessive brièveté du quinquennat et au climat délétère
inhérent au caractère renouvelable du mandat présidentiel, a été
récemment agitée, aussi bien à droite qu’à gauche. À gauche, cette
proposition figurait dans le rapport Refaire la démocratie établi par le
groupe de travail dirigé par le président socialiste de l’Assemblée
nationale Claude Bartolone en octobre 2015. À droite, Maxime
Tandonnet, ancien conseiller du président Sarkozy, estimait quant à
lui qu’une telle transformation serait la seule « vraie réforme
constitutionnelle » salutaire pour la France, car permettant le
« retour au chef de l’État souverain, prestigieux et impartial 24 ».
C’est ce qu’affirmait enfin Marine Le Pen dans un mémorandum
adressé au président Hollande en novembre 2012, le non-
renouvellement étant à ses yeux un « gage d’honnêteté et d’efficacité
dans la politique menée par le chef de l’État qui doit agir
uniquement en fonction des engagements qu’il a pris devant les
Français et non pas en vue de sa future réélection ».
3. La fin du mandat
Si, en principe, le mandat dure bien cinq ans, renouvelable une
fois, il peut être interrompu avant de parvenir à son terme.
Les causes d’une telle interruption sont variées. L’article 7
distingue à cet égard deux séries d’hypothèses : la « vacance de la
présidence », c’est-à-dire le fait que la place est vide, à la suite d’une
25
démission (de Gaulle en avril 1969 ), d’un décès (Pompidou en
avril 1974) ou d’une destitution ; et l’« empêchement » du Président,
qui peut être empêché d’exercer ses fonctions pour des raisons
extérieures, ou personnelles (maladie grave, etc.).
Dans ces cas-là, se pose la question du remplacement ou de la
suppléance du chef de l’État. Et il existe alors deux types de réponse.
La première est celle qui se pratique aux États-Unis, avec un
système de remplacement automatique du Président par le vice-
Président élu en même temps que lui (Truman succédant à
Roosevelt, Johnson à Kennedy, Ford à Nixon), qui terminera le
mandat de quatre ans 26. L’avantage d’une telle procédure est clair :
il n’y a aucune vacance de la présidence, aucune discontinuité, ce
qui est capital, étant donné les attributions du Président américain.
En outre, ce système évite d’organiser des élections dans un moment
d’émotion populaire intense, laquelle risquerait de fausser les
résultats du scrutin. Mais ce système comporte aussi certains
inconvénients : notamment, le fait que le vice-Président est souvent
un personnage effacé, qui risque de ne pas faire le poids dans la
période de crise ouverte par la disparition (ou la démission) du
Président élu, d’autant qu’il ne bénéficie ni du prestige ni de la
légitimité de ce dernier.
Le second système se pratique en France : c’est celui de l’intérim,
organisé par l’article 7, alinéa 4, qui précise qu’« en cas de vacance
[…] ou d’empêchement constaté par le Conseil constitutionnel, saisi
par le Gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses
membres, les fonctions du président de la République, à l’exception
de celles prévues aux articles 11 et 12 […], sont provisoirement
exercées par le président du Sénat et, si celui-ci est à son tour
empêché d’exercer ses fonctions, par le Gouvernement ».
Le choix du président du Sénat pour exercer l’intérim
présidentiel s’explique pour des raisons juridiques – il serait risqué
de confier ce rôle au président de l’Assemblée nationale, alors que
cette Assemblée peut, contrairement au Sénat, être dissoute, et
qu’elle pourrait l’avoir été juste avant la vacance présidentielle –,
mais aussi pour des raisons politiques : le président du Sénat est
supposé moins engagé dans la vie politique quotidienne que le
président de l’Assemblée ou que le Premier ministre, il représente
un élément de continuité. Or, c’est précisément cette continuité de
l’État qu’il lui appartient d’assurer, de manière d’ailleurs très
provisoire. « En cas de vacance ou lorsque l’empêchement est
déclaré de façon définitive par le Conseil constitutionnel, le scrutin
pour l’élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de force
majeure constaté par le Conseil constitutionnel, 20 jours au moins et
35 jours au plus après l’ouverture de la vacance ou la déclaration du
caractère définitif de l’empêchement » (art. 7, al. 5).
Le rôle du Président par intérim se limite donc à assurer une
jonction, à éviter une défaillance, sans qu’il lui soit possible de
mener une politique personnelle – c’est pourquoi il ne peut ni
dissoudre l’Assemblée, ni en appeler au peuple par référendum, ni
réviser la Constitution (art. 7, al. 11). Fonction subsidiaire, certes,
mais capitale si l’on veut que le choix des citoyens puisse s’effectuer
« dans la clarté, le calme et la réflexion 27 », rappelait le président du
Sénat Alain Poher qui, après la démission du général de Gaulle le
28 avril 1969, puis après le décès de Georges Pompidou le 2 avril
1974, fut amené à deux reprises à exercer les fonctions de Président
par intérim. Capitale, également, afin d’assurer la continuité de
l’État, incarnée par le Président : c’est ainsi qu’au matin du 3 avril
1974, quelques heures seulement après la mort de Pompidou, le
Premier ministre Pierre Messmer remit au Président par intérim le
dispositif personnel de transmission des ordres permettant l’usage de
l’arme nucléaire…
SOUS-SECTION 2
La responsabilité du Président
A. La responsabilité pénale
b. Un bouleversement en profondeur ?
Cette interprétation de l’article 68 ménageait très opportunément
la chèvre et le chou, l’intérêt supérieur de l’État et le respect dû à la
loi commune. Cependant, elle va rapidement être remise en cause.
Sous la pression des médias et d’une partie de l’opinion, le
président Chirac avait promis, durant la campagne électorale de
2002, de désigner une commission de spécialistes chargée de mener
une réflexion sur le statut pénal du chef de l’État. Nommée le
4 juillet 2002 et présidée par un constitutionnaliste irrécusable, le
professeur Avril, cette commission va proposer, dans un rapport
remis le 12 décembre 2002, une refonte en profondeur de cette
responsabilité – à l’origine de la révision du 23 février 2007.
D’une part, la commission proposait, dans une nouvelle
rédaction de l’article 67, de consacrer la solution de la Cour de
cassation – mais en généralisant sa portée d’une manière que
certains jugeront inconsidérée, inutile et dangereuse. L’immunité, en
effet, ne vaudrait pas devant les seules juridictions pénales (comme
dans l’arrêt du 10 octobre 2001), mais devant toutes les juridictions
nationales, y compris administratives, civiles ou prud’homales. Or,
autant l’immunité se justifie, en matière pénale, par le souci de
préserver la fonction, autant elle paraît superflue, et virtuellement
dramatique, en matière civile.
Mais la commission, non contente de systématiser la
jurisprudence de la Cour de cassation, a eu pour ambition de
remodeler dans son ensemble la responsabilité pénale du chef de
l’État. Et plutôt que d’améliorer la procédure devant la Haute Cour,
ou de définir le crime de haute trahison, elle a préféré abolir cette
dernière notion, jugée « désuète ».
Selon l’article 68 revu par la commission, le Président pourrait
en effet être destitué, « en cas de manquement à ses devoirs
manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », « par le
Parlement constitué en Haute Cour ». Ce système de destitution a de
quoi laisser perplexe. D’abord, bien sûr, parce qu’on ne sait pas
précisément ce que pourraient être ces « manquements
manifestement incompatibles », susceptibles d’entraîner la
destitution : en laissant au Parlement la liberté de le définir, on fait
de celui-ci l’arbitre ultime et le véritable gardien de la Constitution,
au-dessus du Conseil constitutionnel, du Président, et même du
peuple. La perplexité vient ensuite de ce que le Parlement se voit,
dans ce nouveau système, investi d’une double compétence, les
Chambres exerçant successivement une fonction de mise en
accusation du Président (article 68, alinéa 2), initiée par l’une et
acceptée par l’autre, puis de jugement du chef de l’État (article 68,
alinéa 4), les deux assemblées réunies en Haute Cour se prononçant
alors, comme lors de la phase précédente, à la majorité (article 68,
alinéa 5).
Malgré ces critiques, les conclusions de la commission Avril vont
être validées par le chef de l’État, puis reprises telles quelles par le
gouvernement, le texte ayant été présenté en Conseil des ministres
le 2 juillet 2003. Peut-être l’incertitude de ces solutions explique-t-
elle en partie le délai, inhabituellement long, entre cette
présentation et l’aboutissement constitutionnel, qui ne se réalise
qu’avec la révision du 23 février 2007. Celle-ci reprendra l’essentiel
des propositions de la commission Avril. Si elle laisse
opportunément de côté un mécanisme d’empêchement provisoire
rappelant vaguement le modèle américain, elle confirme, pour les
actes détachables, l’étendue (démesurée) de l’immunité de droit
4
pendant la durée du mandat ; et elle accentue, pour les actes non
détachables, l’immunité de fait dont bénéficie le chef de l’État. En
effet, en vertu du nouvel article 68, alinéa 4, la décision de réunir le
Parlement en Haute Cour n’est plus adoptée à la majorité simple,
mais à la majorité des 2/3 des membres composant chacune des
assemblées, majorité qualifiée qui s’impose également pour les
décisions de la Haute Cour elle-même.
Cet état du droit est-il destiné à durer ? François Hollande avait
été à l’origine, avec Jean-Marc Ayrault, de la proposition socialiste
de mai 2001. En mai 2012, lors du célèbre débat télévisé où il
affrontait Nicolas Sarkozy, le candidat à l’élection présidentielle
avait repris les mêmes thèses : « Moi, président de la République,
j’aurai à cœur de ne pas avoir un statut pénal de chef de l’État ; je le
ferai réformer, de façon à ce que si des actes antérieurs à ma prise de
fonctions venaient à être contestés, je puisse dans certaines conditions me
rendre à la convocation de tel ou tel magistrat ou m’expliquer devant un
certain nombre d’instances. » Dans le prolongement de ces
déclarations, la commission Jospin jugea elle aussi « nécessaire de
remettre en cause, tant au pénal qu’au civil, l’inviolabilité du
président de la République pour les actes qui n’ont pas été accomplis
en sa qualité de chef de l’État 5 ». Le 14 mars 2013, un projet de loi
constitutionnelle relative à la responsabilité juridictionnelle du
président de la République et des membres du gouvernement reprit
donc ces suggestions en proposant de réformer le statut
juridictionnel du président « dans un sens plus respectueux de
l’égalité ». Mais il resta sans suite – faute de la volonté politique,
puis de la majorité parlementaire nécessaires.
B. L’irresponsabilité politique
La question de l’irresponsabilité politique du Président est encore
plus controversée. Le principe est hérité de la règle de l’inviolabilité
du monarque, puis de la règle de l’irresponsabilité du chef de l’État
parlementaire (seuls le Premier ministre et le Cabinet étant, suivant
le parlementarisme classique, politiquement responsables devant le
Parlement). On peut noter au préalable que ces deux règles
(inviolabilité et irresponsabilité), bien que similaires dans leurs
conséquences, découlent en réalité de conceptions radicalement
opposées. Si le monarque est inviolable, c’est parce qu’il est
souverain et qu’il n’existe pas d’instance (humaine) devant laquelle
il pourrait répondre de ses actes : son irresponsabilité constitue le
corollaire logique de sa souveraineté. C’est en ce sens également
qu’on peut dire qu’en démocratie, le peuple, parce qu’il est
souverain et qu’il n’y a donc aucune instance qui lui soit supérieure,
est irresponsable. À l’inverse, c’est parce qu’il est impuissant, parce
qu’il « règne mais ne gouverne pas », que le chef d’État
parlementaire n’a pas à répondre devant le Parlement, représentant
du souverain, ni devant le souverain lui-même, d’actes qui ne sont
pas réellement les siens. L’irresponsabilité résulte ici, non de sa
souveraineté, mais, au contraire, de son absence de pouvoir actif.
C’est pour cela qu’il faut se défier de formules trop simples,
comme celles qui affirment que la responsabilité est liée au pouvoir,
que tout pouvoir doit être responsable et que, réciproquement, seule
l’absence de pouvoir justifie l’irresponsabilité. Cette équation
(responsabilité = pouvoir, ou encore « j’ai des responsabilités, donc
je suis responsable ») ne se vérifie que dans certains systèmes
constitutionnels, pour les représentants du souverain. De fait, sous la
IIe République, le Président, ses ministres et tous les dépositaires de
l’autorité publique « sont responsables, chacun en ce qui le
concerne, de tous les actes du gouvernement et de l’administration »
(art. 68). Le pouvoir dont ils sont dotés implique leur pleine
e
responsabilité. Réciproquement, sous la III République, où « chaque
acte du président de la République doit être contresigné par un
ministre » (loi constitutionnelle du 25 février 1875, art. 3), son
absence de pouvoirs propres explique que le chef de l’État soit
10
irresponsable, sauf en cas de haute trahison (art. 6) .
e
À cet égard, la V République, héritière, tout à la fois, de la
tradition monarchique française et du parlementarisme à l’anglaise,
offre un cas de figure assez complexe. Proclamée et pratiquée par
certains, qui affirment que les prérogatives dont dispose le Président
ne sauraient s’accommoder de son irresponsabilité, la responsabilité
politique de celui-ci est contestée par d’autres, ou réduite à sa plus
simple expression : ce qui révèle la faible consistance juridique de ce
principe. Si la responsabilité politique existe bien, elle dépend moins
des règles constitutionnelles que des rapports de force et des
convictions des acteurs politiques.
1. La responsabilité proclamée
La responsabilité politique du chef de l’État a été affirmée
expressément par de Gaulle : avant chaque consultation électorale
majeure, celui-ci a tenu à s’engager en tant que Président,
expliquant qu’il quitterait son mandat en cas d’échec, c’est-à-dire,
dans l’hypothèse où le peuple refuserait de lui conserver sa
confiance.
e
La V République, commente à l’époque le constitutionnaliste
René Capitant, « est un nouveau système d’institutions, parmi
lesquelles la plus importante est un président de la République
responsable devant le suffrage universel […]. Cette responsabilité
est la clé de voûte de tout le système 11. »
Cette responsabilité signifie que le Président doit avoir « la
confiance de la majorité du peuple », qu’« il peut tout » lorsqu’il en
dispose, mais qu’au contraire, sans elle, « il ne peut rien et doit se
retirer ». Cette perte de confiance peut donc se manifester à tout
moment, par un échec à la présidentielle, mais aussi à l’occasion
d’un référendum ou d’une élection législative 12. Enfin, il ne s’agit
pas, pour Capitant, d’une simple règle d’éthique politique, mais
d’une véritable norme constitutionnelle, même si elle est non écrite.
C’est pourquoi il se scandalisera des propos du président Pompidou,
affirmant qu’en avril 1969, après l’échec du référendum, de Gaulle
aurait résilié « volontairement ses fonctions » : autrement dit, qu’il
aurait eu le droit de ne pas le faire… C’est, estime Capitant, une
« contre-vérité ». Pour lui, le chef de l’État avait « l’obligation » de
quitter le pouvoir « après le scrutin par lequel le peuple français lui
avait retiré sa confiance », cette obligation découlant de « la règle
fondamentale sur laquelle repose l’édifice constitutionnel de la
Ve République, à savoir, que le Président est responsable devant le
peuple ».
2. La responsabilité limitée
Mais on constate que, dès cette époque, la valeur juridique de ce
principe était contestée. Pompidou, accuse Capitant, n’aurait pas
quitté le pouvoir en cas de référendum défavorable ou d’élection
législative contraire. Et c’est également ainsi que l’entendront tous
ses successeurs : Valéry Giscard d’Estaing affirmait en 1978 qu’il
irait jusqu’au bout de son mandat, même en cas d’élections
législatives remportées par la gauche ; François Mitterrand assuma
les cohabitations de 1986 puis de 1993, et Jacques Chirac fit de
même en 1997, prévenant ensuite les Français qu’il ne tirerait pas
les conséquences d’un (improbable) échec au référendum de
septembre 2000, et ne songeant pas un instant à démissionner après
le spectaculaire désaveu que constitua indéniablement le
référendum négatif du 29 mai 2005.
Le plus troublant dans l’affaire, c’est que, dans le même temps,
les présidents de la République continuent imperturbablement de
proclamer leur responsabilité politique, afin de justifier les
prérogatives dont ils disposent et le rôle de direction qu’ils
assument : « j’ai été élu pour être responsable devant les Français,
affirme ainsi Valéry Giscard d’Estaing en 1979. Les mesures que j’ai
acceptées, j’en prends la responsabilité. » « La politique préparée par
le gouvernement m’engage au premier chef : je suis le premier
responsable de la politique française 13 », renchérit son successeur en
1981. Quant au président Sarkozy, présentant un quart de siècle
plus tard les ambitions de la grande révision constitutionnelle qu’il
projette, il reprend, sur un ton aux résonances très gaulliennes, le
thème de la responsabilité du chef de l’État.
« Je souhaite, déclare-t-il ainsi à Épinal le 12 juillet 2007, que le
travail du Comité de réflexion s’organise autour de la notion de
responsabilité. » Et de préciser quelques jours plus tard que la
question de la responsabilité est « la question centrale de la réforme
des institutions de la République » (19 juillet). Quant à la signification
de cette responsabilité, elle paraît aussi classique qu’exigeante : « Je
suis pour que les institutions permettent à la volonté politique de
s’exprimer parce que je veux que la France soit gouvernée. Parce
que si le gouvernement ne peut pas gouverner, la France ne pourra
pas se réformer. Mais […] il ne peut y avoir de pouvoir fort sans
responsabilité forte. […] C’est pourquoi […] l’important est que la
réforme que vous proposerez conduise à plus de responsabilité dans
l’exercice de l’action publique. Si la responsabilité du Premier
ministre devant l’Assemblée nationale devait être maintenue, elle
devrait être assumée pour ce qu’elle est : un mécanisme respectueux
de notre tradition parlementaire. Elle ne saurait dédouaner le
Président des responsabilités politiques qu’il a devant le peuple et
devant le pays » (18 juillet).
Réaffirmation aussi urgente que nécessaire – le chef de l’État
laissant entendre que c’est l’oubli de ce principe à partir du milieu
des années 1970 qui a conduit à déliter progressivement le « lien de
confiance entre le peuple et les dirigeants, […] gravement atteint par
le déficit de responsabilité » (12 juillet).
Pourtant, ces proclamations solennelles n’auront aucune
conséquence normative visible, la responsabilité du Président ne
figurant toujours pas dans le texte de la Constitution révisée. Le
principe continue ainsi d’être proclamé, quand bien même l’on
refuse explicitement d’en tirer les conséquences.
Que penser alors d’une telle distorsion ? La lettre de la
Constitution l’emporterait-elle sur son esprit ? Tout ce que l’on peut
dire, c’est qu’il n’existe, quoi qu’en ait dit René Capitant, aucune
règle obligeant le président de la République à quitter le pouvoir au
cas où il perdrait la confiance du peuple souverain. La seule
sanction politique incontestable qu’il encourt, c’est le risque de
n’être pas réélu à la suite de son premier mandat. Mais peut-on
sérieusement parler à ce propos de responsabilité politique – alors
que l’échéance ne se présente que tous les cinq ans, à condition que
le Président accepte de se représenter, et que sa non-réélection
éventuelle pourrait avoir beaucoup d’autres causes que la volonté de
le sanctionner ? Doit-on en déduire qu’il n’est responsable que
durant son premier mandat, dès lors qu’il ne peut plus se
représenter, ni donc être sanctionné, à l’issue du second ?
En définitive, la responsabilité politique du Président n’a donc,
de nos jours, pas beaucoup plus de consistance que sa responsabilité
pénale.
Section II
Les pouvoirs du Président
1. Les conséquences
La principale conséquence de l’article 16 est d’étendre très
largement les pouvoirs du Président qui, au-delà de ses compétences
ordinaires, pourra prendre toutes les mesures « exigées par les
circonstances », concentrant « entre ses mains la plénitude des
4
pouvoirs exécutif et législatif ».
Mais la mise en œuvre de l’article 16 entraîne également, par
contrecoup, certaines conséquences qui limitent ces pouvoirs. Ainsi,
« le Parlement se réunit de plein droit » (al. 4) et « l’Assemblée
nationale ne peut être dissoute » (al. 5). D’où la présence d’un
« contre-pouvoir » minimal sans lequel la dictature de Salut public
pourrait présenter des risques excessifs – contre-pouvoir qui n’a pas
pour autant vocation à intervenir, et donc à gêner le Président : en
particulier, l’Assemblée ne peut voter une motion de censure contre
le gouvernement en cas de désaccord avec la politique
présidentielle. Dans le même esprit, l’article 89, alinéa 4, précise
qu’« aucune procédure de révision ne peut être engagée ou
poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire » :
c’est l’étendue de ces pouvoirs exceptionnels qui, on l’a dit, justifie
le luxe de précautions entourant sa mise en œuvre.
2. La mise en œuvre
L’article 16 énumère deux séries de conditions destinées à en
encadrer l’usage.
er
Il s’agit d’abord de conditions de fond, figurant dans l’alinéa 1 :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la
nation, l’intégrité du territoire ou l’exécution de ses engagements
internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et
que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels
est interrompu, le président de la République prend les mesures
exigées par ces circonstances. » Ces conditions sont cumulatives : il
faut, tout à la fois, que pèse une menace grave et immédiate, et que
le fonctionnement des pouvoirs publics soit interrompu. Quant au
Président, il pourra prendre alors les mesures exigées par ces
circonstances, ce qui implique l’idée d’une proportion (il ne pourra
pas faire plus) et d’un rapport (il ne pourra pas faire autre chose)
entre les unes et les autres. L’alinéa 3 ajoute à cela une condition
tenant à la finalité de ces mesures, qui « doivent être inspirées par la
volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les
moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission ». On note ici
l’emploi du terme « doivent », qui indique une obligation juridique,
et la précision « dans les moindres délais », qui suppose la brièveté
de la période.
Mais l’article 16 pose également des conditions de forme : et il
faut distinguer ici celles qui, établies dès 1958, se sont, à l’usage,
avérées nettement insuffisantes, de celles qui ont été ajoutées par la
loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.
À l’origine, ces conditions de forme étaient au nombre de trois.
Les mesures prises par le Président ne pouvaient l’être qu’« après
consultation officielle du Premier ministre, des présidents des
assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel » (al. 1er). Le
Président devait en informer la nation par un message (al. 2), et
consulter le Conseil constitutionnel sur le contenu de ces mesures
(al. 3).
Or, ces conditions s’avéraient assez théoriques, dans la mesure
5
où il n’existait pas d’instance chargée de contrôler le respect de ces
règles, ni de sanctionner leur éventuelle transgression par le chef de
l’État. Finalement, c’était au Président et à lui seul qu’il revenait
d’apprécier si les conditions de mise en œuvre de l’article 16 étaient
bien réunies, ou si elles avaient cessé de l’être.
C’est, du reste, ce qui s’est passé lors de la seule application de
l’article 16, le 23 avril 1961, à la suite du « putsch des généraux » à
Alger. Alors que celui-ci est maté sans difficulté en moins de trois
jours, l’article 16 va rester en vigueur jusqu’au 29 septembre 1961,
sans qu’il y ait de recours possible contre cette décision du
Président. Cette prolongation injustifiable constitua
incontestablement l’un des coups d’État les plus caractérisés initiés
par le président de Gaulle durant cette période de transition qui
6
s’étend entre 1958 et 1962 . Toujours est-il que sa plasticité
indéfinie est difficilement défendable : c’est pourquoi l’on a souvent
songé à corriger l’article 16 sur ce point – en particulier le comité
Vedel, qui, en 1993, avait proposé d’attribuer au Conseil
constitutionnel, saisi par le président de la République ou par une
demande conjointe des présidents des deux assemblées, le pouvoir
de constater que « les conditions exigées pour l’application du
présent article ne sont plus réunies ». Cette réforme sera finalement
consacrée par la révision du 23 juillet 2008, qui ajoute à l’article 16
un dernier alinéa permettant d’éviter une prolongation injustifiée
des pouvoirs exceptionnels. « Après trente jours d’exercice » (un
délai que l’on peut supposer suffisant, en général, pour remédier à
l’interruption du « fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels »), « le Conseil constitutionnel peut être saisi par le
président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante
députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions
énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans
les délais les plus brefs par un avis public. » Au-delà de soixante
jours, il procède de plein droit à cet examen, et se prononce là
encore par un avis public. Sans doute le Conseil ne peut-il, de lui-
même, mettre fin à l’exercice des pouvoirs de crise. Mais on peut
supposer qu’un Président qui passerait outre ces avis publics répétés
se rendrait coupable de ce que l’article 68 définit comme « un
manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec
l’exercice de ses fonctions », passible de la Haute Cour.
1. Le gouvernement
Le Président « nomme le Premier ministre. Il met fin à ses
fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du
er
gouvernement » (art. 8, al. 1 ). On reviendra sur ce pouvoir dans le
chapitre suivant. On se bornera à noter ici que ce double pouvoir,
de nommer et d’accepter la démission, dépend largement, bien qu’il
s’agisse d’un pouvoir propre, du contexte politique dans lequel il
s’exerce. Le Président pourra certes toujours nommer qui il veut,
mais en cas de désaccord avec l’Assemblée nationale, cette
nomination sera sans effet, le Premier ministre nommé étant alors
voué à l’impuissance, et plus probablement à une disparition rapide
par le biais de la motion de censure. D’autre part, le président de la
République ne pourra obtenir le départ de son Premier ministre que
si ce dernier accepte de lui obéir (ce qui suppose qu’il soit du même
bord politique), la Constitution ne donnant pas au chef de l’État les
moyens juridiques de contraindre son Premier ministre à la
démission.
2. Le peuple
On se contentera de rappeler que si la décision de soumettre un
projet de loi au référendum se trouve dispensée du contreseing, le
Président ne peut y procéder que « sur proposition du gouvernement
pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux
assemblées » (art. 11). Là encore, comme pour l’article 8, alinéa 1er,
se pose donc, avant tout, la question du contexte politique, et de
l’accord entre les deux têtes de l’exécutif. En cas de cohabitation, le
Président n’aura plus qu’un pouvoir négatif, celui de refuser de
soumettre au référendum un projet de loi, malgré la proposition
faite par le gouvernement ou par les deux assemblées (voir chap. I).
3. Le Parlement
Tel n’est pas le cas, en revanche, pour cette troisième série de
pouvoirs, relatifs aux rapports entre le Président et le Parlement.
a. Le droit de message
Le moins décisif d’entre eux est évoqué dans l’article 18 : « le
Président communique avec les deux assemblées par des messages
qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat ». On a longtemps
considéré qu’il ne s’agissait que d’un souvenir historique, la
procédure renvoyant au principe de séparation des pouvoirs et à
l’usage selon lequel le chef de l’État ne peut pénétrer dans l’enceinte
du Parlement. Un souvenir, et un archaïsme, les présidents de la
Ve République comprenant vite qu’il existe bien d’autres moyens,
plus efficaces et moins contraignants, de communiquer avec la
classe politique, et ne l’utilisant donc qu’avec parcimonie – cinq fois
seulement pour le général de Gaulle, et quatre fois pour le président
Mitterrand.
C’est pourquoi les observateurs ont été surpris de l’importance
donnée par le président Sarkozy à la modification de l’article 18, et
à la possibilité offerte au chef de l’État de s’exprimer directement et
en personne devant les assemblées parlementaires. Surpris, dans la
mesure où l’attribution d’une telle faculté au Président n’affecte en
rien l’équilibre des pouvoirs, ne renforçant de façon sensible ni son
autorité, comme l’ont affirmé certains, ni celle du Parlement,
comme d’autres l’ont prétendu.
Après des débats houleux – la gauche arguant de cette réformette
pour justifier son refus de voter la révision – la loi constitutionnelle
du 23 juillet 2008 ajoutera donc un second alinéa à l’article 18,
disposant que le Président « peut prendre la parole devant le
Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner
lieu, hors de sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun
vote ». Grâce à ces dispositions, accusait alors Robert Badinter, le
Président, s’adressant « directement aux parlementaires réunis en
Congrès […] présentera un bilan flatteur de son action et fera
acclamer par sa majorité son programme de gouvernement 7 ».
Prédiction fantasmatique aussitôt démentie par la réalité. Alors
que Nicolas Sarkozy n’utilisa cet article qu’une seule fois, le 22 juin
2009, le président Hollande, qui s’exprima solennellement devant le
Congrès réuni à Versailles le 16 novembre 2015, trois jours après la
vague d’attentats qui avait frappé la capitale, ne tarda pas à
constater à quel point cette procédure était dépourvue de
consistance. Applaudi presque unanimement lorsqu’il appelait à
réviser la Constitution en vue d’y introduire le mécanisme de l’état
d’urgence et la déchéance de nationalité des binationaux condamnés
pour terrorisme, le chef de l’État dut finalement « jeter l’éponge »
quatre mois plus tard, le 30 mars 2016, faute d’accord entre les
deux assemblées, et de consensus permettant d’obtenir, devant le
e
Congrès, la majorité qualifiée des 3/5 requise en vertu de
l’article 89 al. 3.
b. Le droit de dissolution
En revanche, nul n’a jamais mis en doute l’importance cruciale
du droit de dissolution prévu par l’article 12, qui dispose que « le
président de la République peut, après consultation du Premier
ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution
de l’Assemblée nationale ».
8
« Cette arme capitale de tout régime parlementaire » constitue
l’une des principales innovations de la Ve République. Elle
représente le moyen essentiel pour rééquilibrer les pouvoirs au sein
de l’État, et pour rompre définitivement avec le « régime
d’assemblée » imputé, historiquement, au blocage du droit de
dissolution sous les Républiques précédentes. Sous la IIIe, ce blocage
résultait de la nécessité d’obtenir « l’avis conforme » du Sénat (loi
constitutionnelle du 25 février 1875, art. 5) pour pouvoir procéder à
une dissolution : le Sénat refusant par principe, depuis la crise du
16 mai 1877, de donner son accord à une mesure jugée attentatoire
à la démocratie et à la tradition républicaine, la dissolution était
juridiquement impraticable. Sous la IVe République, l’article 51 de la
Constitution de 1946 subordonnait lui aussi le droit de dissolution
accordée au président du Conseil à des conditions drastiques, au-
dessus desquelles continuait en outre de planer le vieux préjugé
républicain d’hostilité à la dissolution : lorsqu’en novembre 1955,
les conditions étant enfin réunies, le président du Conseil Edgar
Faure eut la possibilité de la mettre en œuvre, personne ne le crut
« capable d’être, après le maréchal Mac-Mahon, le deuxième
9
responsable politique à prononcer une dissolution ». Et lorsqu’en
dépit des pressions réitérées du président René Coty, lui aussi
obsédé par le précédent Mac-Mahon, Edgar Faure décida malgré
tout de dissoudre l’Assemblée nationale, il lui en coûta sa carrière
politique.
Désormais, sous la Ve République, il n’est plus besoin de
l’assentiment d’un autre organe, ni de la réunion de conditions
difficiles. La seule limite que les constituants mettent au droit de
dissolution figure dans l’alinéa 4 : « il ne peut être procédé à une
nouvelle dissolution dans l’année qui suit » les élections législatives
organisées après une première dissolution, élections qui, précise
l’alinéa 2, « ont lieu 20 jours au moins, 40 jours au plus après la
dissolution ».
On retrouve un esprit analogue à celui qu’on discernait dans
l’article 16. Ces précisions et ces limites visent à empêcher un
comportement abusif du Président, qui pourrait sinon procéder à des
dissolutions successives jusqu’à ce qu’il obtienne à l’Assemblée une
majorité satisfaisante, ou même ne pas procéder à une réélection
aussitôt après la dissolution (et attendre pour le faire d’être sûr d’un
résultat favorable). Au fond, il ne s’agit pas, sur ce point, de donner
tous pouvoirs au Président, mais de lui permettre d’en appeler
librement à l’arbitrage du peuple, donné à l’occasion des nouvelles
élections, mais qu’une seconde dissolution aurait pour effet de
bafouer.
SOUS-SECTION 2
Les pouvoirs partagés
A. En période « normale »
En période « normale » – cette normalité correspondant à la
pratique initiée par de Gaulle, et reprise sans défaillance par ses
successeurs jusqu’en 1986, puis de 1988 à 1993, de 1995 à 1997, et
depuis 2002 –, le Premier ministre n’est, suivant l’expression
consacrée, que le chef d’état-major du Président qui, l’ayant choisi,
le révoque à sa guise et peut lui imposer ses choix. Dans ce contexte,
les pouvoirs ne sont donc « partagés » que lorsque le Président le
veut bien, mais ils ne le sont aucunement lorsqu’ils touchent à son
« domaine réservé ».
a. Le pouvoir réglementaire
Il en va ainsi, en premier lieu, des pouvoirs visés par l’article 13,
exercés par le Président en Conseil des ministres. En vertu de
l’article 9 de la Constitution, c’est en effet le chef de l’État qui
préside le Conseil des ministres, et qui, dans ce cadre, « signe les
ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres » (13,
er
al. 1 ) : la Constitution de 1958 revenant à cet égard sur celle de
1946, qui avait transféré tous ces pouvoirs du président de la
République au président du Conseil.
b. Le pouvoir de nomination
Outre le pouvoir réglementaire qu’il partage avec le Premier
ministre, le Président, en vertu de l’article 13, alinéa 2, « nomme
aux emplois civils et militaires de l’État ». L’alinéa 3 du même
article énumère certains de ces emplois, et l’alinéa 4 renvoie à une
loi organique la détermination des « autres emplois auxquels il est
pourvu en Conseil des ministres ainsi que [des] conditions dans
lesquelles le pouvoir de nomination du président de la République
peut être par lui délégué pour être exercé en son nom ».
Comme en ce qui concerne le pouvoir réglementaire, ces alinéas
doivent se lire combinés avec l’article 21, qui précise que « sous
réserve des dispositions de l’article 13 », le Premier ministre nomme
aux emplois civils et militaires.
Là encore, cette compétence capitale paraît doublement
partagée : d’abord dans la mesure où le pouvoir de nomination du
Président est soumis au contreseing, ensuite parce que c’est au
Premier ministre qu’appartient la compétence de principe, le
Président n’ayant qu’une compétence d’exception. Mais la réalité est
tout autre : en fait, le Premier ministre n’a qu’un pouvoir de
nomination par décret très limité, à la fois sur un plan quantitatif et
sur un plan qualitatif, puisque ce pouvoir ne concerne que des
emplois relativement subalternes.
Si partage il y a, c’est, au sein même des pouvoirs du Président,
celui qui résulte de la distinction entre les « plus hauts emplois de
l’État », nommés discrétionnairement par le Président, et les emplois
dans les grands corps de l’État (magistrature, armée, enseignement
supérieur), où le pouvoir de nomination du Président s’effectue sans
réelle possibilité de choix 11. Et c’est, d’autre part, le partage entre
ces différents emplois, où le pouvoir de nomination du Président
n’est subordonné qu’au contreseing de son Premier ministre, et « les
emplois ou fonctions […] pour lesquels, en raison de leur
importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie
économique et sociale de la Nation », est exigée en outre une
approbation parlementaire. Pour ces derniers, en effet, l’alinéa 5 de
l’article 13 issu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 dispose
que « le pouvoir de nomination du président de la République
s’exerce après avis public de la commission permanente compétente
de chaque assemblée. Le président de la République ne peut
procéder à une nomination lorsque l’addition des votes négatifs dans
chaque commission représente au moins trois cinquièmes des
suffrages exprimés au sein des deux commissions. La loi détermine
les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou
fonctions concernés ».
C’est le cas, on l’a déjà noté, pour les membres du Conseil
constitutionnel désignés par le président – ainsi que pour toute une
série d’emplois énumérés par la loi organique prévue à cet effet –,
l’objectif de cette disposition étant de limiter les nominations
contestables et les pratiques opaques consistant à placer à des postes
clés de l’État et de l’économie des fidèles méritants ou des agents
dévoués plutôt que des personnalités compétentes.
Cet effort de clarification a d’ailleurs été précisé par la loi
organique no 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du
cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, qui a fixé une
liste de 51 emplois et fonctions soumis à cette nouvelle procédure –
allant du P-DG d’Aéroports de Paris au gouverneur de la Banque de
France, et du président du conseil d’administration de la SNCF au P-
DG de Météo-France. Depuis, le gouvernement a entendu poursuivre
dans cette direction, qui consiste à délimiter plus étroitement les
compétences présidentielles de nomination. Tel fut ainsi le cas en ce
qui concerne l’audiovisuel public, conformément à ce qu’avait
annoncé le candidat Hollande lors du mémorable débat télévisé du
2 mai 2012 : désormais, en vertu de la loi no 2013-1028 du
15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public,
c’est au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qu’il revient de
procéder à la nomination des présidents de France-Télévision, de
Radio-France et de la société en charge de l’audiovisuel de la
France 12, la loi ayant renforcé en parallèle l’autonomie dudit
conseil, dont le chef de l’État ne désigne plus que le président.
c. Le domaine réservé
Même après la révision de 2008, le partage des pouvoirs
demeure globalement inégalitaire ; mais ce déséquilibre s’accentue
encore lorsque se trouve en jeu le « domaine réservé » du président
de la République. Cette notion ne figure pas expressément dans la
Constitution (voir Domaine réservé) : cependant, dès 1959, l’idée est
avancée selon laquelle existerait, au profit du chef de l’État, un tel
domaine transcendant la distinction établie dans l’article 19
(pouvoirs propres/pouvoirs partagés), et qui comprendrait
l’ensemble des questions internationales et militaires, en bref, tout
ce qui concerne directement l’intégrité du territoire et
l’indépendance nationale évoquées par l’article 5. Dans ce domaine,
le chef de l’État fixe seul les grandes orientations et prend toutes les
décisions importantes, parfois sans même devoir en avertir son
Premier ministre. C’est ainsi qu’en 1976, Jacques Chirac, Premier
ministre du président Giscard d’Estaing, apprit en Conseil des
ministres qu’un nouveau sous-marin nucléaire allait être construit.
De même, c’est le chef de l’État qui nomme directement les
ministres en charge de ces questions, qui ne vont en référer qu’à lui,
et qui apparaissent ainsi « en quelque sorte les secrétaires généraux
[du président, dirigeant] selon ses directives les ministères que
13
celui-ci entend contrôler de très près ».
À s’en tenir à la lettre de la Constitution, les compétences
présidentielles en matière d’affaires étrangères (art. 14 et 52) et de
défense semblent pourtant très classiques, fort proches de celles que
lui attribuaient les constitutions précédentes, et, en outre,
étroitement imbriquées avec celles du Premier ministre. Ainsi, bien
que le Président soit, en vertu de l’article 15, le « chef des armées »,
c’est le Premier ministre qui, d’après l’article 21, est « responsable
de la Défense nationale » et qui, en tant que chef du gouvernement,
« dispose […] de la force armée » (art. 20, al. 2). Mais en la matière,
la fiction du texte s’efface derrière la réalité de la « monarchie
républicaine ». Dans ces « grandes affaires » qui intéressent
directement le destin de la nation, le Premier ministre n’a pas à
intervenir, si ce n’est à la demande du président de la République
14
qui « procède à la répartition comme il le juge nécessaire ».
a. Le droit de grâce
19
Le droit de grâce – c’est-à-dire, de dispenser un condamné de
l’exécution de tout ou partie de sa peine sans pour autant effacer la
condamnation – prévu à l’article 17 constitue lui aussi un héritage,
puisqu’il s’enracine dans la figure médiévale du roi justicier, fons
justiciae (fontaine de justice). Ce pouvoir régalien, aboli par les
e
Constitutions révolutionnaires, est rétabli sous la V République,
mais ne peut s’exercer qu’avec le contreseing du Premier ministre,
du ministre de la Justice et, le cas échéant, du ministre ayant
procédé à l’instruction du recours. Limitation contestable, d’ailleurs
contraire à ce que prévoyaient au départ les rédacteurs de la
Constitution, mais rapidement neutralisée par la pratique, le
contreseing du Premier ministre étant automatique et ne limitant en
rien le pouvoir discrétionnaire du président de la République.
À cet égard, la seule limite tient désormais au champ
d’application de ce droit de grâce qui, depuis la révision de
juillet 2008, ne peut plus porter sur des catégories entières de
délinquants envisagés de façon générale, comme c’était le cas
jusqu’alors, mais doit s’exercer uniquement « à titre individuel ».
Modification opportune, en ce qu’elle fait disparaître un usage
abusif et démagogique du droit de grâce (les fameuses « grâces
présidentielles du 14-Juillet »), et qu’elle réaffirme le « caractère
essentiellement personnel » de ce dernier, dans son objet comme
dans celui qui l’exerce.
Ce qui n’empêche pas l’exercice du droit de grâce de susciter
parfois des débats passionnés, au nom du respect dû à l’autorité
judiciaire, dont la grâce permet par nature de contourner les
décisions. C’est ce qu’éprouva le président Hollande lorsqu’il décida,
me
le 31 janvier 2016, de gracier M Jacqueline Sauvage, qui avait été
condamnée définitivement un mois et demi plus tôt pour le meurtre
de son mari par la cour d’assises du Loir-et-Cher (voir Grâce
présidentielle).
B. En période de cohabitation
Ce n’est qu’en période de cohabitation que l’on va revenir à une
figure plus « parlementaire » du chef de l’État.
1. Retour au partage
En cas de cohabitation, en effet, la répartition que l’on vient
d’évoquer se trouve largement remise en cause. En temps ordinaire,
cette répartition dépend du bon vouloir du Premier ministre, qui
accepte sa situation de subordination et les empiétements du
Président sur les compétences qu’il tient de la Constitution. Mais en
période de cohabitation, le Premier ministre ne doit plus rien au
Président, dont il est l’adversaire politique, et qui a été contraint de
le nommer par la nouvelle majorité à l’Assemblée nationale : par
conséquent, il n’a pas à accepter ce qu’un Premier ministre en
période « normale » n’aurait pas la possibilité de refuser. Dans ce
cas, on revient au partage prévu par la lettre de la Constitution,
c’est-à-dire, en pratique, à la domination du Premier ministre, qui
récupère la réalité du pouvoir. Dans ce cas de figure, le Président se
trouve relégué à un rôle plus conforme à la tradition parlementaire,
celui de garant à peu près immobile des institutions. Les seuls
pouvoirs dont il dispose encore sont les pouvoirs propres énumérés
par l’article 19, avec les limites évoquées plus haut en ce qui
er
concerne l’article 8, alinéa 1 (il peut nommer le Premier ministre
qu’il veut, mais il est en pratique obligé de se soumettre aux vœux
de la majorité de l’Assemblée nationale), et l’article 11 (le Président
ne pouvant recourir au référendum que sur proposition du
gouvernement, et donc à condition d’avoir son accord).
Quant aux pouvoirs partagés, le chef de l’État conserve certes la
possibilité de refuser de signer les actes pour lesquels sa signature est
constitutionnellement requise : ordre du jour du Conseil des
ministres (art. 9) 21, décrets réglementaires et décrets de nomination
(art. 13), convocation du Parlement en session extraordinaire
(art. 30), ordonnances (art. 38). Cependant, placés par l’échec de
leur propre camp dans une position politique difficile, et ne
bénéficiant plus que d’une légitimité réduite, les Présidents de
cohabitation, sachant qu’un refus systématique de signature serait
perçu comme un coup de force, n’en ont usé qu’avec modération.
A. La structure du gouvernement
À ce propos, une distinction cardinale s’impose entre les
ministres, considérés isolément, et le gouvernement qui les réunit.
1. Les ministres
La situation des ministres suscite deux séries de questions :
comment accèdent-ils à ces fonctions ? Et quelles en sont, pour eux,
les conséquences statutaires ?
a. Nomination et révocation
C’est l’article 8 de la Constitution qui détermine les modalités de
la nomination des membres du gouvernement. Selon l’alinéa 1er, « le
président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à
ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du
gouvernement ». Et l’alinéa 2 ajoute : « Sur la proposition du
Premier ministre, il nomme les autres membres du gouvernement et
met fin à leurs fonctions. » Ce qui établit une distinction très nette
entre le Premier ministre et les autres membres du gouvernement.
Suivant la Constitution, le Président a toute liberté pour choisir
son Premier ministre. En droit, il en va ainsi même en cas de
cohabitation, bien qu’en réalité un Premier ministre ne bénéficiant
pas du soutien de l’Assemblée nationale se trouverait dans
l’impossibilité de gouverner, et rapidement contraint au départ par
le biais d’une motion de censure. « Le président de la République
nomme qui il veut », affirmait ainsi François Mitterrand lors d’un
entretien sur TF1 le 2 mars 1986, à la veille de la cohabitation,
avant de concéder qu’il devrait désigner « quelqu’un qui ait toutes
les chances d’avoir la majorité à l’Assemblée nationale ».
Cette liberté se traduit notamment par le fait que rien n’impose
au Président de nommer un parlementaire : ni Pompidou, nommé à
Matignon en avril 1962, ni Raymond Barre, qui y entre en
août 1976, n’avaient jamais été élus au Parlement avant leur
nomination. Rien n’impose non plus de choisir le leader d’un parti
politique puissant, comme le montrent également les exemples que
l’on vient de citer.
En fait, le Président, comme l’expliquait de Gaulle en 1962,
nomme le Premier ministre en tenant compte de la conjoncture, c’est-
à-dire de la politique qu’il entend mener. Il commence fréquemment
par désigner, en début de mandat, un Premier ministre très engagé
politiquement (Michel Debré en 1959, Jacques Chaban-Delmas en
1969, Jacques Chirac en 1974, Pierre Mauroy en 1981), avant de le
remplacer, quelques années plus tard, par un Premier ministre plus
« gestionnaire » (Georges Pompidou en 1962, Pierre Messmer en
1972, Raymond Barre en 1976, Laurent Fabius en 1984). Mais la
règle connaît des exceptions – et on songe ainsi à Villepin
remplaçant Raffarin en 2005, ou à Manuel Valls succédant à Jean-
Marc Ayrault en 2014…
Au fond, même lorsque le Président affirme le contraire 1, le
Premier ministre est toujours « le premier [de ses] collaborateurs
2
[…] », « une sorte de chef d’état-major civil » : l’homme de
confiance du Président. C’est pourquoi ce dernier s’est toujours
attribué, parallèlement à la liberté de nomination dont il dispose, le
pouvoir de le révoquer à sa guise.
Il faut souligner au préalable que le chef de l’État s’est bien
attribué ce pouvoir, en dépit de la lettre de l’article 8 qui prescrit
qu’il ne peut mettre fin aux fonctions de son Premier ministre que
« sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement »,
autrement dit, lorsque le Premier ministre le lui demande. Mais ce
n’est pas ainsi que va l’interpréter le général de Gaulle, qui explique
dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964 que celui « qui
choisit le Premier ministre […] a la faculté de le changer, soit parce
que se trouve accomplie la tâche qu’il lui destinait […], soit parce
qu’il ne l’approuverait plus 3 ».
Pour de Gaulle, comme pour ses successeurs, c’est donc le
Président qui décide : il révoque le Premier ministre lorsqu’il le
souhaite. Toutefois, même lorsqu’il s’agit effectivement d’une
révocation, les intéressés tiendront à faire « comme si » l’article 8
était respecté, et à simuler une démission volontaire, non seulement
consentie, mais librement décidée. Valéry Giscard d’Estaing raconte
à ce propos que, le 28 mars 1974, Jacques Chirac, qu’il venait de
nommer Premier ministre, lui aurait donné une « lettre de démission
en blanc » sur laquelle seule la date restait à inscrire. Le Président
s’étonnant de ce procédé, son Premier ministre lui aurait répondu :
« Il faut que vous soyez libre de mettre fin à mes fonctions et à
celles du gouvernement quand vous le souhaiterez 4. » L’anecdote
permet d’apercevoir les conditions, et donc les limites, de cette
« démission-révocation ». Celle-ci n’est concevable que lorsqu’il
existe un rapport de confiance, voire de connivence, entre le
Premier ministre et le chef de l’État. Ce qui signifie qu’en cas de
cohabitation, l’absence d’un tel rapport rendra impossible ce type de
pratique.
En définitive, on rencontre donc trois cas de démission du
Premier ministre.
Tout d’abord, on vient de le voir, la « démission-révocation », qui
peut traduire, de la part du président, la volonté de changer de
politique, ou le désir de se débarrasser d’un Premier ministre devenu
trop encombrant (Debré en 1962, Pompidou en 1968, Chaban-
Delmas en 1972, Mauroy en 1984, Rocard en 1991, Raffarin en
2005, Ayrault en 2014). En second lieu, la démission volontaire.
Celle-ci peut résulter de divergences de fond avec le président de la
République, comme c’est le cas pour Jacques Chirac le 26 juillet
1976. Celui-ci, constatant que le président Giscard d’Estaing
n’accepte pas le « renforcement sans équivoque de l’autorité du
Premier ministre » qu’il juge indispensable à l’accomplissement de
ses fonctions, décide unilatéralement d’en tirer les conséquences :
« dans ces conditions, je ne puis continuer à accomplir la tâche que
vous m’avez confiée, et j’ai l’honneur de vous remettre aujourd’hui
ma démission ». Mais cette démission volontaire peut également
avoir d’autres causes. C’est ainsi que Manuel Valls, après seulement
147 jours à Matignon, présente le 25 août 2014 la démission de son
gouvernement au président Hollande en raison de divergences
fondamentales avec certains de ses ministres, et en particulier avec
le charismatique et turbulent ministre des Finances Arnaud
Montebourg. Une démission qui semble s’apparenter à une sorte de
« super remaniement » déguisé, le communiqué de l’Élysée précisant
que le chef de l’État a demandé au Premier ministre démissionnaire
« de constituer une équipe en cohérence avec les orientations qu’il a
lui-même définies pour notre pays » – certains observateurs estimant
qu’en l’occurrence, le Premier ministre aurait choisi la démission
faute de mieux, afin de contraindre un Président hésitant à révoquer
les ministres dont il ne voulait plus. Enfin, troisième cas de figure, le
plus fréquent mais aussi le moins intéressant, la démission de
courtoisie, qui a lieu selon l’usage après chaque élection
présidentielle et après chaque renouvellement de l’Assemblée
nationale.
Même si, suivant l’article 8, alinéa 2, le choix des ministres est
subordonné à la proposition du Premier ministre, il dépend en
réalité du Président, qui les nomme. Le Premier ministre ne
proposera au chef de l’État que des ministres qui sont susceptibles
d’avoir son approbation, et à des postes qu’il agrée.
Réciproquement, le Président pourra décider de l’éviction de
certains ministres qui ont cessé de lui convenir : c’est l’une des
hypothèses, et la plus fréquente, de ce que l’on qualifie de
« remaniement ministériel », lequel consiste à modifier de façon plus
ou moins massive la composition d’un gouvernement, sans pour
autant provoquer la démission de celui-ci.
Quant aux ministères qui relèvent du domaine réservé du
Président, il arrive que leurs titulaires soient désignés directement
par ce dernier : en 1960, le général de Gaulle apprendra à Pierre
Messmer qu’il est ministre des Armées, avant même d’en avertir son
5
Premier ministre Michel Debré . Ces ministres, qui ont un rapport
très étroit avec le Président, bénéficient souvent, de ce fait, d’une
stabilité exceptionnelle : de Gaulle n’aura, de 1959 à 1969, que deux
ministres des Armées et deux ministres des Affaires étrangères.
b. Incompatibilités
L’une des grandes idées constitutionnelles exposées par de Gaulle
après son retour au pouvoir est que « les fonctions parlementaires et
ministérielles doivent être absolument séparées. Si par exception un
député devenait ministre, il devrait abandonner sa carrière
parlementaire 6. » Pour lui, il s’agit d’une modalité indispensable à la
séparation des pouvoirs, mais aussi du meilleur moyen d’éviter
qu’une fois entrés au gouvernement les ministres ne continuent
d’être avant tout les représentants d’un parti. Cette volonté va se
traduire par l’inscription dans la Constitution d’un article 23, dont
er
l’alinéa 1 dispose que « les fonctions de membre du gouvernement
sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de
toute fonction de représentation professionnelle à caractère
national, et de tout emploi public ou de toute activité
professionnelle ».
Le caractère très absolu de l’interdit renvoie à l’idée que les
constituants de 1958 se font du ministre : celui-ci n’est pas, ou du
moins n’est plus un homme politique ; il doit être compétent, y
compris sur un plan technique, et surtout dévoué, totalement et sans
partage, à la chose publique. Parce qu’on entre au gouvernement
comme on entre en religion, en renonçant à tout le reste, le ministre
doit être l’homme de l’intérêt général, à l’exclusion de tout intérêt
particulier ou partisan.
Cependant, la principale incompatibilité concerne les fonctions
parlementaires. Elle a notamment pour objectif « de décourager le
parlementaire tenté d’ouvrir une crise ministérielle pour entrer au
7
gouvernement » et donc la fameuse « course aux portefeuilles » qui
résultait, sous les Républiques précédentes, de la possibilité de
cumuler les fonctions de ministre et de parlementaire.
En pratique, l’article 23 va obliger tout parlementaire accédant
au gouvernement à démissionner de son mandat. Le mécanisme a
8
été établi par une ordonnance du 17 novembre 1958 , qui précise
qu’il dispose alors d’un délai d’option d’un mois, durant lequel il ne
peut prendre part à aucun scrutin. S’il n’a pas opté au bout d’un
mois, il sera considéré comme ayant accepté d’entrer au
gouvernement, et donc supposé avoir renoncé à son mandat
parlementaire. Et c’est alors son suppléant qui prendra sa place au
Parlement.
Certains constituants, comme Michel Debré, auraient souhaité
que cette incompatibilité s’étende à l’exercice de fonctions de
responsabilité au sein d’un parti politique. Mais cette disposition
radicale ne sera pas inscrite dans la Constitution.
Plus largement, notait Bernard Chenot dès 1968, l’article 23 lui-
même, « du moins dans l’esprit », ne sera jamais pleinement
respecté, dans la mesure où « le parlementaire ministre est demeuré,
en général, l’homme de sa circonscription, […] présent chaque
semaine dans son fief, consolidant par un poste de maire ou de
conseiller général sa position locale 9 ». Une remise en question
accélérée, depuis quelques années, tant par la pratique que par la
règle elle-même. La pratique ? En particulier celle consistant, en
juin 2007, à exiger des ministres appartenant au premier
gouvernement Fillon qu’ils se présentent aux élections législatives,
et qu’ils soient élus – au motif, expliquait fin mai 2007 le Premier
ministre en déplacement électoral dans la Sarthe, que l’« on ne peut
pas avoir la responsabilité de conduire un ministère, et ne pas avoir
10
la confiance des habitants de son territoire » : « Les membres du
gouvernement, sauf exception, doivent être des élus du peuple […].
En démocratie, on choisit des hommes et des femmes, on les envoie
siéger au Parlement pour représenter le peuple, et parmi ceux qui
siègent au Parlement, on choisit des ministres. » « Je suis très
attaché à ce que les membres du gouvernement aient la légitimité
non seulement de la nomination, mais de l’élection. » C’est
pourquoi, annonçait-il alors, les ministres battus perdront
automatiquement leur poste au gouvernement…
De telles déclarations paraissent conformes à une certaine vision
du régime parlementaire, celui qui prévalait en France sous les IIIe
e
et IV Républiques. Elle n’en pose pas moins certains problèmes.
D’une part, le simple fait qu’il puisse y avoir des exceptions (ce
qui fut le cas en juin 2007) invalide le principe, puisque ceci
implique que certains ministres, ceux qui n’ont pas bénéficié d’une
élection, seraient au fond moins légitimes que les autres. En Grande-
Bretagne, comme en France sous les Républiques précédentes, il n’y
avait pas d’exception à la règle, et il ne pouvait y en avoir. D’autre
part, il faut bien reconnaître que cette approche de la fonction
e
ministérielle est radicalement contraire à l’esprit de la V République
où, précisément, le ministre est l’homme de la nation, et non de
« son territoire », le serviteur de l’intérêt général, pas le représentant
de son parti au sein du gouvernement.
C’est pourtant selon cette même logique que la Constitution va
être amendée par la révision du 23 juillet 2008. Celle-ci, sans
toucher en apparence au principe de l’incompatibilité établi par
l’article 23, en subvertit l’application à travers la nouvelle rédaction
de l’article 25. La loi organique du 13 janvier 2009 fixe les
conditions dans lesquelles sont élues les personnes appelées à
assurer le remplacement « temporaire » des députés et des sénateurs
en cas d’acceptation par eux de fonctions gouvernementales. La
terminologie utilisée est limpide : le parlementaire acceptant des
fonctions gouvernementales n’est remplacé à son siège que de façon
temporaire, ce qui signifie qu’il demeure parlementaire, en
puissance, jusqu’au terme de son mandat, et qu’il peut le redevenir
en fait dès qu’il décide ou qu’on lui impose de quitter le
gouvernement. De sorte qu’en dépit de l’article 23, il n’existe plus
véritablement d’incompatibilité, et que le ministre, acceptant
d’entrer au gouvernement, ne renonce ni à son appartenance
partisane, ni à son ancrage territorial, ni, au fond, à son mandat.
Confusion des genres à laquelle le constituant de 1958 avait entendu
11
mettre fin : en vain .
Sans revenir sur cette évolution, la commission Jospin avait
suggéré en novembre 2012 d’introduire dans l’article 23 une
nouvelle incompatibilité, avec tout mandat local : sur ce plan, jugeait-
elle, le cumul paraît inconciliable avec le plein exercice des
fonctions gouvernementales, les exigences des fonctions électives
locales étant désormais « trop importantes » pour être exercées à
temps partiel par des personnes chargées d’une fonction
ministérielle. Sans compter que le ministre ne saurait « donner le
sentiment que certaines de ces décisions pourraient être indûment
12
influencées par la prise en compte d’un intérêt local ». Le projet de
loi relative aux incompatibilités applicables à l’exercice des
fonctions gouvernementales, déposé le 14 mars 2013, reprend ces
thèses en limitant l’incompatibilité « aux fonctions exécutives ou
éminentes au sein des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics ». Ce qui, ledit projet n’ayant pas été adopté,
n’empêchera pas, après les élections régionales de décembre 2015,
Jean-Yves Le Drian, élu président de la région Bretagne, de
conserver son prestigieux portefeuille de ministre de la Défense.
c. Responsabilité
L’autre élément marquant du statut des ministres tient aux règles
qui organisent leur responsabilité pénale.
Avant la révision du 27 juillet 1993, les ministres pouvaient être
jugés par la Haute Cour de justice (art. 67 ancien) pour « des actes
accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crimes ou
délits au moment où ils ont été commis » (art. 68, al. 2 ancien).
Mais si le principe de leur responsabilité était affirmé, la mise en
œuvre de celle-ci paraissait presque impossible, du fait de la
composition de la Haute Cour et des lenteurs de la procédure. C’est
ainsi qu’au tournant des années 1980, toute une série de scandales
retentissants avaient fini par être étouffés. Mais l’affaire dite « du
sang contaminé » va susciter un tel émoi populaire qu’elle va
contraindre la classe politique à réviser la Constitution, et à créer un
titre X, intitulé « de la responsabilité pénale des membres du
gouvernement » (art. 68-1, 68-2 et 68-3), qui met en place une Cour
de justice de la République compétente en la matière. Cette Cour se
veut moins politisée et plus efficace que l’ancienne Haute Cour :
comme on le proclame lors des débats à l’Assemblée, elle « n’a pas
pour but de protéger les hommes politiques, mais au contraire, de
protéger la justice de la politique 13 ».
Cet objectif se donne d’ailleurs certains moyens, qui rapprochent
la Cour des juridictions pénales ordinaires. Les innovations
concernent d’abord sa composition (art. 68-2, alinéa 1er) : les
politiques y restent certes majoritaires (douze membres sur quinze),
mais la présence en son sein de trois magistrats professionnels issus
de la Cour de cassation, dont le président de la Cour de justice,
semble garantir une certaine impartialité. L’autre innovation
majeure concerne la saisine. Suivant l’article 68-2, alinéa 2, « toute
personne qui se prétend lésée par un crime ou par un délit commis
par un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions
peut porter plainte auprès d’une commission des requêtes », qui
pourra, après examen, ordonner le classement de l’affaire ou la
transmettre au procureur général près la Cour de cassation, afin de
saisir la Cour de justice de la République. Or, cette commission est
composée exclusivement de hauts magistrats élus par leurs pairs (LO
no 93-1252 du 23 novembre 1993, art. 12). Enfin, contrairement à la
Haute Cour, mais comme n’importe quelle autre juridiction pénale,
la Cour de justice de la République statue sur le fondement du Code
pénal, et est tenue de respecter le principe classique de légalité des
délits et des peines. Quant à ses arrêts, ils peuvent, dans les
conditions déterminées par le Code de procédure pénale, faire
l’objet d’un pourvoi en cassation.
Pourtant, en dépit de ces innovations, la mise en œuvre pratique
s’avère peu satisfaisante. Le premier problème est celui de la
compétence de la Cour. Quels actes peut-elle juger ? D’une manière
assez critiquable sur le plan des principes, mais fort significative du
contexte dans lequel fut adoptée la révision, l’article 68-3 précise
d’abord qu’elle est compétente, rétroactivement, pour « les faits
commis avant son entrée en vigueur ». Sans cette précision, en effet,
elle n’aurait pu juger les faits relatifs à l’affaire du sang contaminé,
qui se serait trouvée par conséquent amnistiée d’office… Mais le
véritable problème tient à la définition des « actes accomplis » par
« les membres du gouvernement » « dans l’exercice de leurs
fonctions » (art. 68-1, al. 1er) : il est en effet souvent très délicat de
déterminer si un ministre a pu accomplir un acte en tant que tel, ou
en tant que simple citoyen. Et l’on retrouve ici le problème de la
distinction entre actes détachables et non détachables, le ministre ou
l’ancien ministre relevant pour ces derniers de la Cour de justice de
la République, mais pour les autres, des juridictions pénales
ordinaires.
Le second problème tient à la politisation qui continue
d’entacher la Cour de justice, en dépit des garde-fous mis en place
en 1993. Une politisation qui s’est manifestée avec éclat lors du
procès du sang contaminé, et tout spécialement dans la décision
rendue par la Cour le 9 mars 1999. On a pu établir alors que tous les
juges parlementaires de droite avaient voté contre la relaxe pure et
simple de l’ancien ministre de la Santé, le socialiste Edmond Hervé,
alors que tous les juges parlementaires de gauche avaient voté en sa
faveur. Les observateurs ont remarqué aussi que la Cour de justice
s’était comportée alors comme une cour souveraine en inventant,
toujours au profit d’Edmond Hervé, une « dispense de peine » non
prévue par le Code pénal.
Le 14 mars 2013, suite au rapport de la commission Jospin, un
projet de loi constitutionnelle « relative à la responsabilité juridique
du président de la République et des membres du gouvernement »
fut déposé, envisageant, au nom de « l’égalité de tous devant la
justice », de supprimer la Cour de justice de la République. Selon ce
projet, les ministres auraient relevé des juridictions pénales de droit
commun, y compris pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs
fonctions – la seule limite consistant en un filtrage assuré par une
commission composée de hauts magistrats, destiné à éviter les mises
en causes abusives. Mais les circonstances politiques peu propices en
empêchèrent l’adoption.
d. Statut financier
Ce sont toujours les crises qui suscitent les évolutions
constitutionnelles. Et comme l’affaire du sang contaminé avait
conduit à instituer la Cour de justice de la République, c’est le
scandale Cahuzac, du nom du ministre du Budget pris début 2013
dans une affaire de fraude fiscale, qui a abouti à la mise en place
d’un statut financier des membres du gouvernement.
C’est dans l’urgence que le Premier ministre Jean-Marc Ayrault
annonce, dès avril, l’élaboration d’une loi sur la moralisation de la
vie politique, qu’il juge seule « de nature à recréer de la confiance ».
Adoptée au pas de charge, la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013
relative à la transparence de la vie politique, après avoir rappelé que
les membres du gouvernement doivent exercer « leurs fonctions avec
dignité, probité et intégrité, et veillent à prévenir ou à faire cesser
immédiatement tout conflit d’intérêts », établit une obligation de
déclaration. Selon son article 4, chaque membre du gouvernement
doit, dans les deux mois suivant sa nomination et dans les deux mois
qui suivent la cessation de ses fonctions, adresser au président de la
Haute Autorité pour la transparence de la vie publique créée par la
loi « une déclaration exhaustive, exacte et sincère de sa situation
patrimoniale », ainsi qu’une déclaration d’intérêts portant sur toutes
les activités professionnelles rémunérées exercées au moment de la
nomination et au cours des cinq années précédentes. La Haute
Autorité, avec l’aide de l’administration fiscale, établit l’exactitude
de ces déclarations et les rend publiques dans un délai de trois mois.
Il lui appartient en outre de contrôler les variations de la situation
patrimoniale des ministres – et de transmettre le dossier au parquet
lorsqu’elle constate une évolution de cette situation patrimoniale
que l’intéressé s’avère incapable d’expliquer de façon satisfaisante.
Enfin, c’est à la Haute Autorité qu’il revient d’enjoindre au ministre
de faire cesser, le cas échéant, les situations constitutives de conflit
d’intérêts.
Le scandale Cahuzac a traumatisé le gouvernement, et au-delà, la
classe politique dans son ensemble : d’où la sévérité des sanctions
pénales prévues en cas d’absence de déclaration ou de déclaration
mensongère – les articles 26 et 27 de la loi prévoyant, à titre
complémentaire, l’interdiction des droits civiques, l’interdiction
d’exercer une fonction publique et l’inéligibilité pour une durée qui
peut aller jusqu’à dix ans.
On notera à ce propos que le mécanisme n’a pas eu à attendre
longtemps pour se mettre à fonctionner, puisque dès le 31 mars
2014, le président de la Haute Autorité saisissait le parquet du cas
d’un membre du gouvernement Ayrault, Yamina Benguigui, ministre
de la Francophonie, pour « omission d’une partie substantielle » de
son patrimoine, qu’elle était soupçonnée d’avoir dissimulé
frauduleusement au moyen d’un montage financier 14.
a. Un ensemble hiérarchisé
e
Sous la V République, le gouvernement comporte
habituellement entre une trentaine et une quarantaine de membres,
un ensemble dont la hiérarchisation, fonctionnellement
indispensable, se manifeste sur deux plans : entre le Premier
ministre et les autres ministres, puis entre les ministres eux-mêmes.
Même si, juridiquement, le Premier ministre n’exerce pas de
15
« pouvoir hiérarchique » sur les autres ministres , et bien que,
politiquement, l’appellation « chef du gouvernement », expressément
proscrite par le général de Gaulle, n’ait jamais eu droit de cité sous
e
la V République, il est indéniable que le Premier ministre domine le
gouvernement. Situé entre le Président, qui le nomme, et les autres
ministres, dont il propose la nomination, il y occupe à tous égards
une place à part. Mais il est surtout investi, en vertu de l’article 21,
du pouvoir de diriger le gouvernement, quoiqu’il ne le fasse, dans le
cadre du « fait majoritaire », qu’en tant que « second » du président
de la République. En définitive, il est plus que « le premier des
ministres » à l’égard de ses collègues et par rapport au
gouvernement, même s’il n’est que cela vis-à-vis du Président. D’où
une primauté de droit qui sera d’ailleurs confirmée, dans les faits,
par la pratique institutionnelle.
b. Un ensemble structuré
L’ensemble que constitue le gouvernement se réunit en des
formations plus ou moins solennelles.
Le « Conseil de cabinet », rassemblé autour du Premier ministre,
e e
était d’une importance capitale sous la III et la IV République, où il
avait pour objet de préparer le Conseil des ministres. Sous la
Ve République, en revanche, il ne sera pratiqué que dans les
premières années du régime, à une douzaine de reprises, sous
l’impulsion d’un Debré encore fidèle au schéma parlementaire. Mais
le président de Gaulle n’accepte que « de mauvaise grâce 17 » cet
usage qui lui donne l’impression qu’une part du pouvoir lui
échappe : ces conseils cesseront donc après le départ de Michel
Debré.
Ils réapparaîtront, il est vrai, et de façon très logique, lors des
épisodes de cohabitation. C’est ainsi qu’entre 1997 et 2002, alors
que Manuel Valls dirige la communication du Premier ministre
Lionel Jospin, ce dernier décide d’établir une réunion de
gouvernement bimensuelle dans le but de mettre en pratique la
collégialité. Plus étonnante, en revanche, semble la résurgence de
telles réunions à partir d’avril 2014, alors que Manuel Valls vient à
son tour d’être nommé à Matignon. Une fois encore, c’est en se
prévalant de la notion de « collégialité » que le Premier ministre
décide de réunir, tous les quinze jours, l’ensemble des ministres et
des secrétaires d’État pour « une délibération ouverte et
confiante 18 ». Mais alors qu’en cohabitation, ce type de réunion
paraît inévitable, il ne l’est nullement en période « normale » – et
plus encore qu’un souci d’assurer la « collégialité », on est tenté d’y
voir une manifestation des ambitions du Premier ministre, et de sa
volonté d’affirmer, face au Président, son statut de « chef du
gouvernement ».
c. Un ensemble solidaire
Conformément à la tradition parlementaire, le gouvernement
forme un ensemble solidaire. Cette solidarité se traduit par sa
responsabilité politique collective devant l’Assemblée nationale, que
l’on évoquera plus loin, mais aussi par son mode de décision
collégial, par l’existence d’un programme gouvernemental commun
er
à tous les ministres (art. 49 al. 1 ), ou encore, par la révocation des
ministres adoptant des positions jugées incompatibles avec cette
solidarité.
Solidaire, le gouvernement survit donc au départ d’un, et même
de plusieurs de ses membres, lors d’éventuels « remaniements
ministériels » ; en revanche, il disparaît dès que le Premier ministre
présente au Président la démission de son gouvernement – même
lorsqu’il ne s’agit que d’une démission de courtoisie, aussitôt suivie
par la reconduction du même gouvernement 23.
B. Attributions
Hormis celles qui relèvent des rapports entre le gouvernement et
le Parlement (section II), les attributions gouvernementales se
répartissent, sur un mode inégalitaire, entre le Premier ministre et
les autres ministres.
a. Le contreseing
L’article 19 prévoit que les actes du Président, à l’exception de
ceux qui relèvent de ses pouvoirs propres, sont contresignés par le
Premier ministre mais aussi, « le cas échéant, par les ministres
responsables » : c’est-à-dire, par les ministres auxquels incombent à
titre principal la préparation et l’application des actes concernés (CE
20 mars 1992, Union syndicale des magistrats, R., p. 122). Si un
ministre non responsable signe un tel décret, celui-ci n’en devient
pas pour autant illégal ; il le serait en revanche si le ministre
responsable ne l’avait pas contresigné.
L’article 22 met en avant une notion légèrement différente en
précisant que « les actes du Premier ministre sont contresignés, le
cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ». La
jurisprudence entend par là les ministres compétents pour signer
« les mesures réglementaires ou individuelles que comporte
nécessairement l’exécution du décret » (CE 27 avril 1962, Sicard, R.,
p. 279). L’absence de contreseing ne sera alors légale que dans
l’hypothèse où l’acte réglementaire du Premier ministre n’impliquait
30
aucune mesure réglementaire ou individuelle d’exécution .
1. Le statut
Le statut du parlementaire a été organisé de sorte que celui-ci
puisse assurer ses fonctions avec la plus large indépendance
possible. C’est dans cette perspective qu’il est à la fois réglé, protégé
et contrôlé.
a. Un statut réglé
Le statut du parlementaire est réglé en partie par la Constitution,
dont l’article 24 prévoit que les 577 députés sont élus au suffrage
direct, et que les sénateurs, dont le nombre ne peut dépasser 348, le
sont au suffrage indirect. Mais il l’est aussi par la loi organique à
er
laquelle renvoie l’article 25, alinéa 1 , qui la charge de fixer « la
durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres,
leurs indemnités, les conditions d’éligibilité, le régime des
inéligibilités et des incompatibilités ». Ainsi, c’est la loi organique
qui dispose que « toute personne qui à la date du 1er tour de scrutin,
remplit les conditions pour être électeur et n’entre dans aucun des
cas d’inéligibilité prévus par le présent livre peut être élue à
l’Assemblée nationale » (art. LO 127 du Code électoral), mais que
« nul ne peut être élu au Sénat s’il n’est âgé de vingt-quatre ans
2
révolus » (art. LO 296 du Code électoral) .
À ce propos, on distingue l’inéligibilité, qui, dans certaines
conditions, interdit d’être candidat (et conduit donc, dans
l’hypothèse où elle est prononcée après l’élection, à la cessation
automatique du mandat), de l’incompatibilité, qui, elle, oblige
simplement l’élu à choisir, après son élection, entre le mandat qu’il
vient d’obtenir et un mandat et une fonction qu’il détenait déjà.
L’inéligibilité apparaît beaucoup plus radicale : elle peut d’ailleurs
être prononcée à titre de peine en cas d’infraction aux règles
relatives au financement des campagnes électorales (art. LO 128 du
Code électoral). Quant à l’objectif qu’elle vise en général, il est
exactement inverse de celui que poursuit l’incompatibilité : par
3
l’inéligibilité, il s’agit en général de préserver la liberté de l’électeur,
qui pourrait être influencé dans ses choix par la situation d’autorité
occupée par le candidat (c’est ainsi que le défenseur des droits, le
contrôleur général des lieux de privation de liberté ou encore, dans
une circonscription comprise dans le ressort dans lequel il exerce ou
a exercé des fonctions depuis trois ans, le préfet, sont inéligibles en
vertu du Code électoral). Au contraire, les incompatibilités visent à
garantir l’indépendance de l’élu au cours de son mandat.
Sur ce plan, le statut du parlementaire résulte de la combinaison
de trois règles.
La première pose le principe de l’incompatibilité entre le mandat
parlementaire et les fonctions d’agent public (du fait de la
subordination hiérarchique de ces agents au pouvoir exécutif), de
membre du gouvernement, du Conseil constitutionnel, du Conseil
supérieur de la magistrature, ou encore du Conseil économique,
social et environnemental. Cette règle ne connaît que de rares
exceptions : notamment, du fait de leur indépendance
constitutionnellement reconnue, les professeurs titulaires de
l’enseignement supérieur peuvent être élus au Parlement sans pour
autant renoncer à leurs fonctions.
Une seconde règle énonce, à l’inverse, la compatibilité de
principe du mandat parlementaire avec les activités privées : il n’y a
pas de raison pour que ces dernières portent atteinte à la liberté de
l’élu – implicitement considéré par les constituants de 1958 comme
le représentant des intérêts particuliers, contrairement au ministre,
exclusivement voué à l’intérêt général et soumis comme tel à des
incompatibilités beaucoup plus larges. La seule exception notable à
cette compatibilité de principe concerne les activités dépendant
financièrement de l’État, d’une collectivité publique ou encore d’un
État étranger : puisque l’on retrouve alors le même risque de
dépendance que précédemment.
Enfin, la troisième règle instaure une limite au cumul des
mandats. Réclamée par Michel Debré dès 1955, il a fallu attendre
trente ans 4 pour qu’un début de limitation soit mis en place, avant
d’être accentué par la loi du 5 avril 2000. Désormais, l’article LO
141 du Code électoral dispose que « le mandat de député est
incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats énumérés ci-
après : conseiller régional, conseiller de l’Assemblée de Corse,
conseiller général, conseiller de Paris, conseiller municipal d’une
commune d’au moins 3 500 habitants ». On remarque qu’il ne s’agit
pas ici d’une interdiction de cumul, mais d’une limitation : pourtant,
il n’est pas évident que l’on puisse aller au-delà – le point ultime
o
ayant peut-être été atteint par la loi organique n 2014-125 du
14 février 2014, qui durcit la règle en ajoutant au Code électoral un
article LO 141-1 rendant le mandat de député incompatible avec
5
toute fonction exécutive locale .
Lorsqu’un parlementaire se trouve en situation d’incompatibilité,
il doit donc, dans les trente jours qui suivent l’élection,
démissionner du mandat de son choix (ou, s’il est titulaire d’un
emploi public, demander à être placé dans la position spéciale
prévue par son statut). S’il ne le fait pas dans les délais, il sera
déclaré démissionnaire d’office de son mandat le plus ancien par le
Conseil constitutionnel.
b. Un statut protégé
C’est afin de garantir l’indépendance de l’élu que sont énoncées
les incompatibilités visées par l’article 25, et c’est pour la même
raison que le parlementaire voit son statut protégé par les
immunités établies dans l’article 26.
Le parlementaire bénéficie, en premier lieu, de
l’irresponsabilité : « aucun membre du Parlement ne peut être
poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des
opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».
Pour pouvoir s’exprimer en toute liberté, et en toute conscience,
conformément au principe du système représentatif, le
parlementaire ne doit pas craindre les conséquences éventuelles de
ses actes ou de ses opinions. C’est parce qu’il doit, en tant que
représentant, pouvoir dire ce qu’il veut, qu’il est perpétuellement
irresponsable, aussi bien pénalement que civilement. De là,
l’ancienneté de la règle, que l’on rencontre déjà dans la Constitution
6
de 1791 , et que la Constitution de 1958 se contente de reprendre,
en cela strictement fidèle à la tradition du parlementarisme.
En second lieu, le parlementaire bénéficie de l’inviolabilité
(art. 26, al. 2, 3 et 4) : il ne peut être arrêté ou détenu, en matière
criminelle ou correctionnelle qu’avec l’autorisation du bureau de
l’assemblée à laquelle il appartient, sauf en cas de flagrant délit ou
de condamnation définitive. L’inviolabilité se distingue de
l’irresponsabilité, puisqu’elle ne constitue qu’une immunité
temporaire : elle ne permet pas à l’élu d’échapper aux conséquences
pénales de ses actes, mais simplement, de différer (éventuellement)
son arrestation ou sa détention. Là encore, la Constitution de 1958
s’inspire des dispositions correspondantes des Constitutions de 1875
et 1946. Toutefois, comme pour l’irresponsabilité, il s’agit de
garantir la liberté – ici, la liberté physique – de l’élu, tant que celui-
ci demeure titulaire de son mandat et que sa condamnation n’est pas
définitivement acquise. Cette garantie ne disparaît qu’en cas de
flagrant délit, notamment parce que l’on sait alors avec certitude
qu’une condamnation sera prononcée.
Depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, la levée de
l’immunité parlementaire se trouve facilitée, puisque c’est désormais
le Bureau, et non plus, comme auparavant, l’assemblée tout entière
qui en décide. En outre, par un effet de dissymétrie significatif, c’est
l’assemblée à laquelle appartient le parlementaire qui doit requérir
la suspension, pour la durée de la session, de « la détention, [des]
mesures privatives ou restrictives de libertés ou [de] la poursuite »
dont il fait l’objet (art. 26, al. 3). Ces innovations avaient pour but,
sans pour autant altérer la dignité du mandat parlementaire, d’éviter
que cette immunité ne soit perçue comme synonyme d’impunité. En
fait, elles n’ont pas toujours eu l’effet escompté – pour la simple
raison qu’il est souvent plus facile d’influencer les quelques
membres d’un bureau que l’ensemble d’une assemblée 7.
c. Un statut contrôlé
En 2013, l’électrochoc de l’affaire Cahuzac, ministre du Budget
convaincu d’avoir commis les fraudes fiscales qu’il avait pour
mission de poursuivre, n’épargne pas les parlementaires : il est vrai
que c’est alors qu’il siégeait à la Commission des finances de
l’Assemblée nationale que Cahuzac a commencé à violer la loi – et
c’est à l’Assemblée encore, devant ses anciens collègues, qu’il se
parjura en leur promettant, les yeux dans les yeux, n’avoir rien à se
reprocher.
D’où la décision, audacieuse mais inévitable, de soumettre les
parlementaires au même type de contrôles que les membres du
gouvernement (voir supra). « Les critiques contre la moralité
e
parlementaire », notait Joseph Barthélemy sous la III République, ne
sont pas vraiment inédites, puisqu’elles « datent de la naissance des
parlements 8 ». Mais le respect dû à l’institution, qu’illustre le
caractère très absolu de l’irresponsabilité dont bénéficient députés et
sénateurs, rendait jusqu’ici presque inconcevable toute mesure
sérieuse de contrôle de leur patrimoine : comme s’il valait mieux ne
pas regarder, plutôt que de risquer de mettre au jour des
enrichissements suspects, et d’entacher du coup le renom de
l’institution. Allant à l’encontre de cette tradition, la loi no 2013-906
du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique
impose aux parlementaires les mêmes obligations qu’aux membres
du gouvernement – le Conseil constitutionnel ayant jugé que le
principe de séparation des pouvoirs ne faisait pas obstacle à ce
qu’une autorité administrative, la Haute Autorité pour la
transparence de la vie publique, soit chargée de contrôler les
variations de la situation patrimoniale des parlementaires 9. C’est en
effet au président de la HATVP que les parlementaires doivent
adresser, dans les deux mois suivant leur entrée en fonctions, une
déclaration exhaustive, exacte, sincère et certifiée sur l’honneur de
leur situation patrimoniale ainsi que de leurs intérêts et activités. En
vertu de l’article LO 135 al. 5 et 6, la Haute Autorité apprécie les
variations des situations patrimoniales et, le cas échéant, transmet le
dossier au parquet ainsi qu’au Bureau de l’assemblée à laquelle
appartient le parlementaire. Au début des années 1930, Joseph
Barthélemy, observateur lucide des mœurs politiques, jugeait assez
vain de vouloir, par la loi, « imposer la vertu automatique ». Mais il
est vrai que l’abandonner à la conscience éclairée de chacun n’est
pas sans dangers…
b. L’ordre du jour
17
Désormais fixé par la « Conférence des présidents », l’ordre du
jour énumère les questions qui seront traitées en séance par
e
l’assemblée. Sa maîtrise par les chambres était, sous la III et la
IVe République, l’un des fondements de la puissance du Parlement et
de sa supériorité sur le gouvernement, qui ne pouvait participer à la
législation que dans la mesure où les chambres permettaient à ses
18
projets de venir en discussion . C’est pourquoi les partisans de la
réforme de l’État, d’André Tardieu à Michel Debré, avaient toujours
réclamé que l’ordre du jour puisse être déterminé en priorité par le
gouvernement 19.
C’est ce qu’établissait à l’origine l’article 48, qui disposait que
« l’ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans
l’ordre que le gouvernement a fixé, la discussion des projets de loi
déposés par le gouvernement et des propositions de loi acceptées
par lui ». Cette règle, dont le Conseil constitutionnel contrôlait
strictement l’application, opérait ainsi un renversement complet, en
assurant l’écrasante prédominance des lois d’origine
gouvernementale, qui représentaient au moins 80 % des textes
adoptés. Elle ne connaissait que deux limites. Selon la première, une
séance par semaine au moins était réservée par priorité aux
questions des membres du Parlement et aux réponses du
gouvernement (art. 48, al. 2). En vertu de la seconde, issue de la
révision du 4 août 1995, une séance par mois était réservée par
priorité à l’ordre du jour fixé par chaque assemblée (art. 48, al. 3).
Cette seconde limite, même modeste, introduisait ainsi une
véritable exception au principe de priorité établi en 1958, remettant
en cause le monopole de l’initiative que détenait jusqu’alors le
gouvernement. En fait, elle annonçait le bouleversement réalisé par
er
la révision de juillet 2008, et entré en vigueur le 1 mars 2009.
er
Désormais, en effet, l’article 48, alinéa 1 dispose que « l’ordre du
jour est fixé par chaque assemblée ».
e
On ne revient pas, certes, à la situation de la IV République,
puisque le 2e alinéa précise que « deux semaines de séance sur
quatre sont réservées par priorité, et dans l’ordre que le
gouvernement a fixé, à l’examen des textes et aux débats dont il
demande l’inscription à l’ordre du jour ». Ce qui signifie qu’en
réalité, le gouvernement continue de maîtriser l’ordre du jour sur la
20
moitié du temps de séance . En outre, selon l’alinéa 3, il peut
intervenir sur le temps restant en faisant inscrire par priorité des
textes essentiels à la vie de l’État et de la nation (comme les projets
21
de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale, ou
encore, les projets de loi relatifs aux états de crise ou aux
déclarations de guerre), ainsi que des textes en attente, transmis
depuis au moins six semaines par l’autre assemblée. Autant de
précautions indispensables qui n’existaient pas sous les Républiques
précédentes.
Pour le reste, en revanche, chaque assemblée se trouve
désormais maîtresse de son ordre du jour, sous réserve des
dispositions figurant dans les trois derniers alinéas de l’article 48 :
une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité au
contrôle de l’action du gouvernement et des politiques publiques ;
par ailleurs, un jour de séance par mois, l’ordre du jour est arrêté
par les groupes d’opposition de l’assemblée ; enfin, une séance par
semaine au moins est réservée par priorité aux questions des
membres du Parlement, et aux réponses du gouvernement. Outre ces
limites, il faut reconnaître qu’il n’est pas aisé de changer les
habitudes – d’où, un bilan mitigé, à mi-chemin entre changement et
immobilisme…
c. Les commissions
Dans son article de 1955, Michel Debré dénonçait le poids des
commissions permanentes qui, instaurées au début du siècle, lui
paraissaient avoir puissamment contribué à l’assujettissement du
gouvernement. Leur nombre (dix-neuf à l’Assemblée nationale sous
e
la IV République), leur spécialisation et leur permanence leur
permettaient en effet de contrôler sans cesse le ministère
correspondant, et faisaient de leurs présidents des concurrents des
ministres, prêts à dénoncer le moindre faux pas, et à prendre leur
23
place le cas échéant. L’article 43, alinéa 1 , qui limite désormais à
huit le nombre de commissions permanentes dans chaque
24
assemblée , supprime ce risque de concurrence.
Pour les constituants, l’intervention des commissions
permanentes dans le travail législatif ne devait d’ailleurs être que
l’exception, les projets et propositions de loi ne leur étant envoyés
qu’à défaut de l’avoir été, à la demande du gouvernement ou de
l’Assemblée, à des commissions spécialement désignées à cet effet
er
(art. 43, al. 1 ). Mais en pratique, la réunion de ces commissions
législatives spéciales, qui auraient dû assurer la dépossession des
commissions permanentes, ne fut que rarement demandée, sans
doute pour des raisons politiques analogues à celles qui expliquent
la désuétude du vote personnel. Dans le nouvel équilibre des
pouvoirs, le gouvernement n’avait plus grand-chose à craindre des
commissions permanentes, et les assemblées avaient tout intérêt à
leur conserver un rôle important.
Si elles sont devenues exceptionnelles, des commissions spéciales
n’en continuent pas moins d’être constituées de temps à autre, à la
demande du gouvernement ou d’un ou plusieurs présidents de
groupes représentant la majorité absolue des députés. Elles portent,
en général, sur des sujets sensibles ou très médiatisés – comme ce
fut le cas en octobre 2013 avec la commission spéciale pour
l’examen de la proposition de loi renforçant la lutte contre le
système prostitutionnel, ou encore, sous la précédente législature,
avec le projet de loi relative à la bioéthique en novembre 2010.
A. Contrôle et participation
La participation du Parlement à l’action gouvernementale fut
longtemps considérée, sous la Ve République, comme un élément
mineur, une partie marginale de son activité – le constituant ayant
fait en sorte d’interdire tout retour à la situation ancienne, où les
chambres avaient la faculté de se mêler de tout, ce qu’elles faisaient
de façon souvent inopportune. Pour l’essentiel, le Parlement d’après
1958 avait donc la possibilité de s’informer, en questionnant le
gouvernement au moyen de procédures n’ayant qu’un impact
limité : ainsi, les questions écrites, usuelles depuis le début du siècle
et portant en général sur des points de technique 1 ; les questions
orales sans débat, posées en séance par un parlementaire à un
ministre ou au Premier ministre ; ou encore, les questions orales
avec débat, qui ne subsistent plus actuellement qu’au Sénat. On peut
observer à ce propos que les commissions, permanentes ou spéciales,
ont également pour rôle, outre leur participation au travail législatif,
d’assurer « l’information de l’Assemblée pour lui permettre d’exercer
son contrôle sur la politique du gouvernement » (RAN, art. 145,
al. 1er).
C’est avec la volonté de restaurer les pouvoirs du Parlement,
manifeste à partir des années 1990, que ces modes de participation
vont peu à peu s’étoffer, portant à la fois sur l’action
gouvernementale proprement dite, et sur celle des institutions
européennes.
B. Contrôle et sanction
Parmi les « principes » qu’aurait à respecter la future
Constitution, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 énonçait le fait
que « le gouvernement doit être responsable devant le Parlement ».
L’article 20 de la Constitution, le premier qui soit consacré au
gouvernement, précise donc qu’« il est responsable devant le
Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux
articles 49 et 50 ». L’article 49 détermine les procédures
d’engagement de la responsabilité, alors que l’article 50 en précise
les conséquences éventuelles.
1. L’engagement de la responsabilité
L’article 49 reprend la distinction classique entre une
responsabilité engagée par le Premier ministre, jadis intitulée
« question de confiance », et une responsabilité mise en cause par
l’Assemblée nationale elle-même, la motion de censure.
e
Sous la V République, le gouvernement peut engager sa
responsabilité, de deux manières différentes.
er
Il le peut, tout d’abord, sur le fondement de l’article 49 al. 1 ,
qui dispose que « le Premier ministre, après délibération du Conseil
des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité
du gouvernement sur son programme, ou éventuellement sur une
déclaration de politique générale ».
À s’en tenir à la lettre de ce texte, il semblerait pourtant que l’on
doive distinguer deux cas de figure : l’engagement de la
responsabilité du gouvernement sur une déclaration de politique
générale, dont le texte précise qu’il n’est qu’éventuel, et l’engagement
de la responsabilité sur le programme du gouvernement qui, au
contraire, paraît obligatoire – conformément au principe du régime
parlementaire, qui suppose que le gouvernement s’assure, lors de sa
mise en place, qu’il dispose bien de la confiance de l’Assemblée.
e
Pourtant, la pratique de la V République a rapidement remis en
cause cette distinction entre un engagement obligatoire et un
5
engagement éventuel . Fidèle à ses convictions, Michel Debré ne
manque pas, dès le 15 janvier 1959, d’engager la responsabilité de
son gouvernement sur son programme, déclarant à ce propos que
« le gouvernement parlementaire […] doit être soumis au contrôle
des assemblées » (JOAN, déb., 16 janvier 1959). Son successeur à
Matignon, Georges Pompidou, fait encore de même le 26 avril 1962.
Mais l’habitude va se perdre aussitôt après, et en avril 1966,
Pompidou explique que « la lettre et l’esprit de la Constitution de
1958 veulent […] que le gouvernement soit entièrement libre de
demander ou non un vote de confiance » (JOAN, déb., 13 avril
1966). Il faudra attendre quinze ans pour que Raymond Barre,
devenu Premier ministre, engage à nouveau la responsabilité de son
gouvernement sur son programme, le 28 avril 1977, non sans avoir
déclaré l’année précédente, en se fondant sur la « doctrine
Pompidou », qu’il n’en avait nullement l’obligation (JOAN, déb.,
5 octobre 1976). Quant à la raison invoquée, elle est très simple : le
gouvernement procède désormais du Président, et ainsi, il n’a plus à
être investi par le Parlement pour entrer en fonctions.
À ce propos, s’est posée la question de l’intervention
présidentielle dans la décision d’engager la responsabilité du
gouvernement, celle-ci étant délibérée en Conseil des ministres. Si
l’on admet que le gouvernement procède du Président, et qu’en
outre ce dernier est politiquement responsable (et qu’il devrait donc
quitter l’Élysée en cas d’élections législatives contraires), il est assez
logique d’en déduire qu’il est également susceptible d’intervenir
dans une décision dont les éventuelles conséquences le concernent
directement. C’est ainsi que l’entendra le président Pompidou
lorsqu’il affirmera, en mai 1972, qu’il n’a « pas cru devoir
s’opposer » à l’engagement de la responsabilité du gouvernement
par son Premier ministre Jacques Chaban-Delmas. Toutefois, cette
interprétation, qui ne repose sur aucun texte, ne prévaut plus en cas
de cohabitation (c’est-à-dire, dans une hypothèse où la
responsabilité politique du Président a été implicitement récusée) :
le Président ne pourra plus alors s’opposer à la décision de son
Premier ministre d’engager sa responsabilité sur le fondement de
er
l’article 49 al. 1 , ou sur celui de l’article 49 al. 3.
En vertu de l’article 49 al. 3, en effet, le Premier ministre pourra,
après délibération du Conseil des ministres, engager la
responsabilité de son gouvernement devant l’Assemblée nationale,
mais cette fois-ci, sur le vote d’un texte particulier. « Dans ce cas, ce
texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure,
déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les
conditions prévues » à l’alinéa 2 du même article. Ces dispositions
intéressent moins, on le voit, les pouvoirs de contrôle du Parlement
que sa fonction législative, ou plutôt, les limites apportées à celle-
ci : c’est pourquoi on les examinera plus en détail dans la sous-
section suivante, consacrée à cette fonction.
b. La motion de censure
Dans ce second cas de figure, ce n’est plus le gouvernement qui
engage sa responsabilité, c’est l’Assemblée nationale qui, de son
propre mouvement, tente de la mettre en cause. Ce procédé,
caractéristique du régime parlementaire, se trouve désormais
étroitement encadré, afin de garantir la stabilité du gouvernement,
et de ne le contraindre à la démission que lorsqu’il est devenu
évident qu’il a perdu l’appui de la majorité de l’Assemblée. On
retrouve ici l’idée d’une présomption de confiance, que seule une
opposition résolue pourra remettre en cause.
C’est pourquoi cette motion de censure se présente, dans la
Constitution de 1958, comme une véritable course d’obstacles de
difficulté croissante.
D’abord, l’initiative de cette motion de censure devra être prise,
sous peine d’irrecevabilité, par un dixième au moins des membres
de l’Assemblée. Ensuite – moyen classique de calmer les esprits en
leur faisant prendre conscience des risques d’une telle décision –, le
vote ne pourra avoir lieu aussitôt, mais seulement quarante-huit
heures après le dépôt de la motion. Par ailleurs, et c’est sans doute
l’obstacle le plus difficilement surmontable, « seuls sont recensés les
votes favorables à la motion de censure, qui ne peut être adoptée
qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée ». Cela signifie
qu’un vote à la majorité des présents, qui pourrait être acquis par
surprise, ne suffirait pas à faire adopter la motion : dans ce système,
tous ceux qui n’ont pas voté pour la motion sont réputés avoir voté
contre elle, et constituent ainsi des alliés objectifs du gouvernement.
Enfin, pour éviter une guérilla parlementaire permanente, « un
député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure
au cours d’une même session ordinaire, et de plus d’une au cours de
la même session extraordinaire ».
D’où l’efficacité réduite de ce mécanisme, qui, s’il fut
fréquemment mis en œuvre, n’a fonctionné jusqu’au bout qu’une
seule fois, le 2 octobre 1962.
2. L’obligation de démissionner
« Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure
ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de
politique générale du gouvernement, le Premier ministre doit
remettre au président de la République la démission du
gouvernement » : l’article 50 énonce la conséquence logique de la
mise en cause de la responsabilité gouvernementale. Une
conséquence explicitée par le Conseil d’État dans son arrêt du
19 octobre 1962 (Brocas, R., p. 553) : « L’adoption par l’Assemblée
nationale d’une motion de censure entraîne le retrait du Premier
ministre et de son gouvernement. » Ce qui implique que le
gouvernement n’a plus, à partir de cette date et jusqu’à son
remplacement, qu’une compétence réduite, celle d’expédier les
affaires courantes ; mais aussi, et surtout, que le Président a de son
côté une compétence liée, et qu’il ne peut que prendre acte de la
démission du gouvernement, qui résulte automatiquement de la
motion de censure.
Ce n’est pourtant pas ainsi que l’entendra le président de Gaulle
après la seule et unique adoption d’une motion de censure, le
2 octobre 1962, puisqu’il n’acceptera la démission du gouvernement
que près de deux mois plus tard, le 28 novembre 1962, après avoir
procédé dans l’intervalle à la dissolution de l’Assemblée, et affirmé
qu’il lui eût été possible de maintenir le gouvernement en dépit de
la motion de censure votée contre lui.
SOUS-SECTION 2
La collaboration à la fonction
législative
A. L’initiative
« L’initiative des lois appartient concurremment au Premier
ministre et aux membres du Parlement » : en vertu de l’article 39,
alinéa 1er, les projets de loi, établis par le Premier ministre, semblent
er
placés sur le même plan que les propositions de loi (art. 40, al. 1 )
déposées par les parlementaires. En réalité, cette égalité s’avère
largement illusoire.
2. Le rôle du Parlement
S’il doit se conformer à ces procédures, le gouvernement n’est
limité dans son pouvoir d’initiative par aucune règle de fond
spécifique. Le Parlement, au contraire, paraît plus libre sur un plan
formel ; en revanche, il se trouve strictement encadré par une série
de règles de fond dont le non-respect entraînerait l’irrecevabilité de
ses propositions de loi.
Ces règles concernent d’abord les éventuelles conséquences
financières de ses propositions et de ses amendements, puisque
ceux-ci « ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour
conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la
création ou l’aggravation d’une charge publique » (art. 40).
Les règles d’irrecevabilité visent, ensuite, à garantir le principe
de répartition des compétences résultant des articles 34 et 37. Le
gouvernement, et depuis la révision de juillet 2008, le président de
l’assemblée saisie pourront opposer l’irrecevabilité d’une proposition
ou d’un amendement « s’il apparaît au cours de la procédure
législative » qu’ils ne sont pas « du domaine de la loi » ou qu’ils sont
contraires « à une délégation accordée en vertu de l’article 38 »
(art. 41). À ce propos, la Constitution précise qu’en cas de désaccord
sur ce point entre le gouvernement et le président de l’assemblée à
laquelle a été opposée l’irrecevabilité, c’est au Conseil
constitutionnel, saisi par l’un ou par l’autre, qu’il appartiendra de
trancher. En fait, l’irrecevabilité de l’article 41 s’avère assez
perturbante, notamment parce qu’elle bloque le processus législatif :
c’est pourquoi le gouvernement, qui dispose d’autres moyens
efficaces pour faire respecter sa compétence réglementaire, n’en a
usé qu’avec parcimonie 8.
B. L’élaboration de la loi
Comme le soulignait J.-M. Belorgey en 1991, « on sait de longue
date qu’on ne peut pas confondre législatif et législateur et que, à
cette entité collective qu’est le “législateur” des juristes, le
législatif », c’est-à-dire le Parlement, « n’est que modestement partie
9
prenante ». Le caractère inégalitaire de cette collaboration,
constaté au niveau de l’initiative, reparaît aux différentes étapes de
l’élaboration de la loi, même s’il tend de nos jours à se rééquilibrer.
1. Le passage en commission
Aussitôt après avoir été déposés, les projets et les propositions de
loi sont envoyés pour examen, soit à des commissions spécialement
désignées à cet effet (art. 43, al. 1er), soit, à défaut, c’est-à-dire
presque toujours, à l’une des commissions permanentes de
l’assemblée concernée. La commission a pour fonction de préparer le
travail en séance publique : à cet effet, elle étudie le texte,
s’interroge sur son opportunité et suggère les modifications ou les
amendements qu’elle juge utiles. À ce niveau, les projets de loi
bénéficiaient naguère d’un avantage notable : ils ne pouvaient être
modifiés par les commissions, contrairement aux propositions de loi,
pour lesquelles celles-ci avaient toute latitude pour élaborer une
nouvelle rédaction. En ce qui concerne les projets de loi, leur
discussion portait donc, devant la première assemblée saisie, « sur le
texte présenté par le gouvernement » (art. 42, al. 1er), les
amendements proposés par la commission devant apparaître d’une
manière distincte.
La révision de juillet 2008 a entendu supprimer cette inégalité de
er
départ. En vertu des nouvelles dispositions de l’article 42, alinéa 1 ,
la discussion en séance porte en toute hypothèse sur le texte adopté
en commission, sans distinction entre les projets et les propositions
de loi. Ce principe ne connaît qu’une seule série d’exceptions :
lorsqu’il s’agit de projets de révision constitutionnelle, de projets de
loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale, dont
l’importance éminente et la technicité justifient que la discussion
porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur
le texte même présenté par le gouvernement.
2. La séance publique
Une fois le texte examiné par la commission, il pourra être
inscrit à l’ordre du jour. Le fait que le gouvernement disposait
naguère d’une maîtrise presque totale de l’ordre du jour des
assemblées – puisque celui-ci comportait « par priorité et dans
l’ordre que le gouvernement a fixé la discussion des projets de loi
déposés par le gouvernement ou des propositions de loi acceptées
par lui » – constituait l’une des principales causes du déséquilibre.
Par ce pouvoir exorbitant, le gouvernement pouvait en effet différer
aussi longtemps qu’il le souhaitait l’examen des propositions qui
n’avaient pas son agrément, et privilégier sans limites ses propres
projets. Sur la petite centaine de lois votées chaque année, entre 80
et 90 % résultaient de l’initiative gouvernementale, et en 1995 par
exemple, 45 % des projets de loi avaient été adoptés, contre
seulement 0,8 % des propositions… Les nouvelles règles relatives à
l’ordre du jour, issues de la révision de juillet 2008, ont toutefois
permis un certain rééquilibrage. Ainsi, le pourcentage de textes
définitivement adoptés issus de propositions de loi est-il passé de
25 % pour la session 2007-2008, à 38,6 % pour la session 2009-
2010.
a. Le moment de la discussion
Même si elle pouvait avoir d’autres justifications, l’accélération
de la procédure législative imposée naguère par un gouvernement
entièrement maître de l’ordre du jour des assemblées avait pour
effet de limiter encore la marge d’intervention des parlementaires –
et plus spécialement des commissions, contraintes d’examiner au
pas de charge des textes toujours plus nombreux. D’où la volonté,
consacrée lors de la révision de juillet 2008, de leur donner plus de
temps pour l’examen des projets et des propositions de loi.
Désormais, précise l’article 42, alinéa 3, la discussion en séance ne
peut intervenir qu’après un délai de six semaines après le dépôt du
texte et, devant la seconde assemblée saisie, « à l’expiration d’un
délai de quatre semaines à compter de sa transmission ».
Cette règle nouvelle ne connaît que deux séries d’exceptions.
D’une part, une fois encore, les textes engageant directement la vie
de la nation, comme les projets de loi de finances, de financement
de la Sécurité sociale et les projets relatifs aux états de crise. Dans
ces cas-là, l’importance des enjeux et la nécessité impérative de
respecter certaines échéances (si la loi de finances n’est pas votée au
er
1 janvier, l’État n’a plus les moyens de payer ses agents ni
d’honorer ses dettes) l’emportent sur le confort des parlementaires.
D’autre part, seconde catégorie d’exceptions, s’il y a une urgence
réelle, le gouvernement peut décider d’engager une procédure
accélérée. En ce cas, les règles précitées relatives aux délais
minimum ne s’appliquent plus. Toutefois, le gouvernement n’a pas
sur ce point de pouvoir discrétionnaire : l’article 45, alinéa 2 précise
en effet que les conférences des présidents des deux assemblées
peuvent s’y opposer conjointement si elles estiment que la situation
n’est pas véritablement urgente.
b. Le déroulement de la discussion
Le déroulement de la séance publique comporte deux phases
successives : la discussion générale, où le projet (ou la proposition)
est examiné de façon globale, puis la discussion des articles.
La discussion générale débute, lorsqu’il s’agit d’un projet, par
l’audition éventuelle du gouvernement, à laquelle succèdent la
présentation du rapport de la commission saisie et les discours des
orateurs des groupes politiques. Mais cette discussion générale peut
être interrompue par le vote d’une motion de procédure, d’une
exception d’irrecevabilité, tendant à faire reconnaître que le texte
proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions
constitutionnelles, d’une question préalable visant à contester
l’opportunité d’une délibération, ou d’un renvoi en commission, afin
que soit présenté un nouveau rapport sur le texte.
C. L’adoption de la loi
Si, à ce stade, les pouvoirs du gouvernement ne paraissent pas
plus considérables que lors des étapes précédentes, ils semblent
encore plus diversifiés. Sans doute la décision finale appartient-elle
en principe au Parlement, tout projet ou proposition de loi étant
« examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en
er
vue de l’adoption d’un texte identique » (art. 45, al. 1 ). Mais au
cours de cette dernière phase, le gouvernement aura l’occasion
d’intervenir, à la fois avant et après l’adoption.
1. Avant l’adoption
Avant l’adoption, le gouvernement peut agir dans deux
circonstances très différentes : lorsque les deux assemblées ne
parviennent pas à un accord sur le texte, ou lorsqu’il craint que
l’Assemblée nationale ne refuse d’adopter un projet ou une
proposition de loi.
a. En cas de blocage
En cas de désaccord entre les deux assemblées, le texte examiné
fera d’abord l’objet d’une « navette », de l’une à l’autre. Mais si ce
désaccord persiste après deux lectures successives (ou
éventuellement une seule, lorsque l’urgence a été déclarée sans que
les conférences des présidents s’y soient opposées), c’est pour
l’essentiel au gouvernement qu’il appartiendra de débloquer la
procédure.
Le Premier ministre aura en effet la faculté de réunir une
commission mixte paritaire, composée de sept députés et de sept
sénateurs, chargée de proposer un texte de compromis sur les
dispositions faisant l’objet du désaccord 13. Depuis la révision de
juillet 2008, les présidents des deux assemblées agissant
conjointement ont eux aussi la possibilité de réunir une telle
commission mixte paritaire – mais uniquement lorsque le désaccord
porte sur une proposition de loi. Si cette commission parvient à
établir un tel texte, celui-ci peut être soumis par le gouvernement, et
par lui seul, pour approbation aux deux assemblées (art. 45, al. 3).
Mais dans le cas contraire, le gouvernement « peut, après une
nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat, demander à
l’Assemblée nationale de statuer définitivement » (art. 45, al. 4).
Cet article est intéressant à plusieurs égards. D’abord parce que,
14
en conférant le « dernier mot » à l’Assemblée nationale , il montre
que le bicamérisme ne saurait être parfaitement égalitaire, sous
peine de paralysie et d’impuissance. Il faut que l’une des deux
assemblées puisse, le cas échéant, l’emporter sur l’autre. Mais
l’article 45 indique aussi que la suprématie de l’Assemblée nationale
dépend largement du gouvernement lui-même, qui conserve une
entière liberté de manœuvre à chacune des dernières étapes du
processus. La Constitution précise à chaque fois qu’il peut agir, et
implique donc qu’il pourrait tout aussi bien ne pas le faire. En outre,
c’est également à lui qu’il appartiendra de donner son accord aux
éventuels amendements que pourrait proposer la commission mixte
paritaire (art. 45, al. 3).
b. En cas de réticence
S’il craint qu’une loi ne soit pas adoptée par l’Assemblée
nationale ou qu’elle y fasse l’objet d’une obstruction systématique, le
Premier ministre pourra faire usage des pouvoirs que lui confère
l’article 49 al. 3, suivant lequel il peut, « après délibération du
Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement
devant l’Assemblée nationale » sur le vote d’un texte, qui sera
considéré comme adopté « sauf si une motion de censure, déposée
dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée ».
Ces dispositions avaient été suggérées, à l’origine, comme le
moyen de forcer la main à une majorité acquise mais tiède, voire
réticente, sur un texte particulier. Elles avaient été inscrites dans la
Constitution malgré l’hostilité de certains proches du Général,
comme Paul Reynaud, qui les jugeait « dégradantes », et même
Michel Debré. Ce dernier imaginait en effet d’autres moyens de
discipliner la majorité de l’Assemblée que cette arme lourde, qui ne
laisse le choix qu’entre la soumission (le texte est adopté sans vote),
et la démission (puisqu’une éventuelle motion de censure adoptée
contre le gouvernement entraînerait aussi, à coup sûr, la dissolution
de l’Assemblée par le chef de l’État). Debré considérait du reste que
cette procédure, « si elle était employée à tout instant […], serait
15
dangereuse pour le régime ».
Il sera pourtant le premier à la mettre en œuvre, dès
novembre 1959, puis à nouveau, à propos de la loi instituant la
force de frappe, à trois reprises, en octobre, novembre et
décembre 1960. Mais c’est surtout à partir du septennat Giscard
d’Estaing, et plus spécialement après la démission de Jacques Chirac
en 1976, que l’article 49, al. 3, va faire l’objet d’une utilisation
massive. La raison en est très simple : le Président et son nouveau
Premier ministre, Raymond Barre, ne disposent plus à l’Assemblée
d’une majorité soudée et enthousiaste, et ils sont donc fréquemment
obligés de la contraindre à la discipline en lui donnant le choix entre
le soutien au gouvernement et les risques d’une rupture.
Pour ce qui est de la pratique constitutionnelle récente, on peut
noter trois points significatifs. Le premier, c’est que pendant les cinq
années que dura la troisième cohabitation, de 1997 à 2002, le
Premier ministre Lionel Jospin s’était systématiquement refusé à
faire usage de cette procédure – non parce qu’elle s’avérait inutile,
mais pour des raisons de principe, par « respect […] à l’égard du
16
pouvoir parlementaire », et pour des raisons politiques, le chef
d’un gouvernement de cohabitation se devant de ménager la
majorité dont il tire toute son autorité.
Second point notable : le 12 février 2003, moins d’un an après
son entrée en fonction, son successeur, Jean-Pierre Raffarin, va au
contraire utiliser l’article 49 al. 3 à l’occasion des débats sur le
projet de loi relatif à la réforme des modes de scrutin aux élections
régionales et européennes. La difficulté, en l’espèce, ne venait
naturellement pas de la majorité, qui soutenait le gouvernement,
mais de l’énorme masse d’amendements déposés par les adversaires
du projet afin de bloquer la discussion et donc d’en retarder
l’adoption au moyen de ce détournement de procédure. Dans ce
contexte, l’utilisation du 49, al. 3, a, bien sûr, été contestée par les
auteurs des amendements. Pourtant, même si elle contraste avec
l’attitude du précédent gouvernement, cette utilisation semble
conforme à la logique d’un « parlementarisme rationalisé », et plus
largement, à l’esprit d’une Constitution avant tout soucieuse
17
d’efficacité .
Troisième point : l’article 49 al. 3, qui semblait être entré en
sommeil depuis 2006 et n’avait plus été utilisé sous la présidence
Sarkozy, a connu depuis 2015 un regain d’activité paradoxal mais
incontestable – du fait de la montée en puissance, au sein du groupe
socialiste à l’Assemblée, de ceux que l’on appelle les « frondeurs »,
hostiles à l’orientation jugée trop libérale du président Hollande et
de son Premier ministre. En 2015, c’est le projet de loi pour la
croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi
Macron », qui va alimenter cette « fronde ». Et conduire le Premier
ministre Manuel Valls à engager à trois reprises la responsabilité de
son gouvernement sur le vote du texte, en première, deuxième et
troisième lecture (février, juin et juillet 2015). Le 16 juin, le Premier
ministre, soucieux de justifier une utilisation peu conforme à la
tradition politique de la gauche socialiste, avait d’ailleurs déclaré
qu’il ne s’agissait pas d’un « acte d’autorité », mais d’un « acte
d’efficacité pour l’économie et pour les entreprises françaises ».
Cette arme s’est donc avérée d’une efficacité incontestable,
aucune des motions de censure votées à la suite de sa mise en œuvre
n’ayant recueilli, comme l’exige l’article 49 al. 2, les voix de la
majorité des membres composant l’Assemblée – même si plusieurs
d’entre elles, en mai et en juin 1967, ont failli l’obtenir. Elle
apparaissait comme le moyen par excellence, pour le gouvernement,
de tourner la séparation des pouvoirs et de s’approprier, au nom de
18
« l’efficacité […] gouvernementale », la compétence législative en
19
principe dévolue au Parlement et à lui seul .
Et c’est précisément pour cette raison qu’après avoir été
inlassablement combattue par les partisans d’un renforcement du
Parlement, elle sera l’une des cibles de la révision de juillet 2008.
Certes, celle-ci n’ira pas jusqu’à supprimer purement et simplement
le mécanisme de l’article 49 al. 3, comme certains le réclamaient.
Néanmoins, la révision va réduire sensiblement son champ
d’application : outre les projets de loi de finances et de financement
de la Sécurité sociale, sur lesquels le gouvernement entend, ainsi
qu’on l’a déjà noté, conserver un contrôle total, il ne peut plus être
utilisé que pour un seul texte par session – mais éventuellement à
plusieurs reprises, comme le montrent les trois engagements de
responsabilité suscités par la « loi Macron » en 2015.
Quoi qu’il en soit, l’usage systématique de l’article 49 al.3 – qui,
il faut bien le dire, relevait très largement du mythe – se trouve
désormais prohibé par la Constitution.
2. Après l’adoption
L’article 10, qui permet de demander au Parlement une nouvelle
délibération de la loi avant la promulgation de celle-ci, réserve ce
pouvoir au chef de l’État. Mais le Premier ministre dispose lui aussi
de moyens d’intervenir sur la loi votée, soit directement, avant sa
promulgation, soit, de manière indirecte, après celle-ci.
a. Avant la promulgation
Avant promulgation, le Premier ministre aura la possibilité de
saisir le Conseil constitutionnel en vertu de l’article 61, alinéa 2, en
particulier s’il estime que la loi empiète sur le domaine assigné au
règlement par l’article 37, et donc qu’elle excède le champ
d’intervention qui lui est réservé dans l’article 34 de la Constitution.
Toutefois, l’intervention du Premier ministre s’avère d’une
efficacité des plus limitées depuis que le Conseil constitutionnel,
dans une décision capitale du 30 juillet 1982 (82-143 DC, Rec. 57),
a jugé qu’une loi intervenant dans le domaine réglementaire n’était
pas, de ce seul fait, contraire à la Constitution. Cette position du
Conseil s’avère, malgré les apparences, assez conforme à l’esprit de
la Constitution de 1958, dont l’objectif n’était nullement d’établir un
système de normes rigides, mais de favoriser en tout état de cause
l’efficacité concrète de la machine étatique. Or, une telle
transgression des frontières établies par les articles 34 et 37 n’est
pas, en soi, préjudiciable à cet objectif, puisque l’efficacité exige
que, suivant les circonstances, un tel assouplissement puisse être
toléré. Mais elle exige également, en parallèle, que le gouvernement
ne puisse se faire forcer la main par le Parlement ; c’est pourquoi il
dispose du moyen d’empêcher, s’il le souhaite, de telles incursions,
en opposant l’irrecevabilité : celle de l’article 41, qui permet de
prévenir ces empiétements (voir plus haut), et celle de l’article 37,
alinéa 2, qui permettra d’agir après coup, pour récupérer les matières
perdues.
b. Après la promulgation
En vertu de l’article 37, alinéa 2, en effet, les textes de forme
er
législative intervenus dans les matières visées par l’alinéa 1 , c’est-à-
dire les matières « autres que celles qui sont du domaine de la loi »,
peuvent être modifiés par décret, après avis du Conseil d’État.
Toutefois, pour les lois adoptées après l’entrée en vigueur de la
Constitution, le gouvernement devra d’abord saisir le Conseil
constitutionnel, à qui il appartiendra de déclarer si elles relèvent
effectivement du domaine du règlement, et non du domaine de la
loi. Contrairement aux autres procédures permettant au
gouvernement de préserver le domaine réglementaire (art. 41 et
art. 61, al. 2), ce mécanisme de « récupération », inauguré par une
décision du Conseil constitutionnel du 27 novembre 1959, a été
20
fréquemment utilisé .
A. La composition
C’est sur la question de sa composition que les critiques faites à
l’institution ont été les plus vives. Il faut reconnaître que c’est là que
son caractère politique affleure de la manière la plus visible, et ceci,
pour une raison que Michel Debré exposait déjà du temps de la
Résistance : « La magistrature ordinaire n’a pas l’autorité suffisante
pour trancher de tels litiges. Pour faire entrer dans nos mœurs cette
réforme légitime, il faudra […] un tribunal spécial dont la
composition fasse une large part aux exigences de la politique […].
1
Ainsi, le droit et l’opportunité seraient également représentés . »
Pourtant, il a fallu attendre plusieurs décennies avant que ces
critiques finissent par s’apaiser 2.
1. Les membres
Les membres du Conseil constitutionnel sont soit nommés, soit
de droit.
a. Les membres nommés
Les premiers sont désignés exclusivement par des politiques.
Selon l’article 56, en effet, « le Conseil constitutionnel comprend
neuf membres […]. Trois des membres sont nommés par le
président de la République, trois par le président de l’Assemblée
nationale et trois par le président du Sénat. » Or, les autorités
compétentes ont eu longtemps toute liberté de choix. Ainsi, les
nominations du président de la République relevaient-elles de ses
pouvoirs propres, et n’étaient-elles soumises à aucun contrôle. En
outre, contrairement à ce qui se pratique pour la quasi-totalité des
juridictions constitutionnelles étrangères, aucune condition de
capacité, aucun diplôme, aucune compétence juridique n’est exigée
des membres du Conseil – lesquels, en revanche, ont souvent une
expérience politique significative : environ 50 % des membres du
Conseil constitutionnel nommés depuis 1959 ont été ministres ou
parlementaires. Cette situation correspond donc toujours à l’idée
que les constituants de 1958 se faisaient du Conseil, régulateur des
pouvoirs et non pas Cour suprême – mais plus vraiment à ce qu’il a
fini par devenir depuis les années 1970. D’où l’intérêt, mais aussi les
réserves, que suscite sur ce point la révision de juillet 2008.
Désormais en effet, précise le nouvel article 56, la nomination des
membres effectuée par le président de la République est soumise,
conformément aux dispositions de l’article 13, alinéa 5, à l’avis de la
commission permanente compétente de chaque assemblée, et elle
e
est donc susceptible d’être refusée à la majorité des 3/5 . Quant aux
nominations effectuées par les présidents des assemblées
parlementaires, elles sont soumises « au seul avis de la commission
permanente compétente de l’assemblée concernée ». Ce qui signifie
certes la mise en place d’un vrai contrôle, ce qui devrait empêcher
les nominations de complaisance ; mais ce qui accentue en revanche
le caractère politique de ces nominations, lequel ne correspond plus
aux missions très techniques désormais assignées au Conseil
constitutionnel.
B. Le statut
Le statut des membres du Conseil vise, de façon très
traditionnelle, à garantir l’indépendance indispensable à l’exercice
de leurs fonctions.
1. La durée
Le principal élément de ce statut figure dans la Constitution elle-
même, qui précise que le Conseil se renouvelle par tiers tous les
trois ans, que la durée normale du mandat de chaque conseiller est
7
de neuf ans, et que ce mandat n’est pas renouvelable . Cette
dernière disposition assure aux membres du Conseil une réelle
liberté : elle leur permet d’assumer sans remords leur « devoir
8
d’ingratitude » à l’égard des autorités qui les ont nommés, sachant
qu’ils n’ont rien à en attendre et qu’il ne servirait à rien d’être
complaisant – le seul moyen plus efficace étant la nomination à vie
dont bénéficient les membres de la Cour suprême américaine.
Une fois en place, le conseiller est irrévocable : rien ne peut le
contraindre au départ, si ce n’est la « démission d’office », prononcée
par la majorité du Conseil pour des motifs graves, susceptibles de
compromettre la dignité de l’institution. C’est pour éviter une telle
procédure que le président Dumas avait finalement préféré
er
démissionner « volontairement » le 1 mars 2000.
2. Les incompatibilités
Afin d’en garantir l’indépendance, les fonctions des membres du
Conseil sont incompatibles avec celles de ministre et de membre du
Parlement (art. 57) : double incompatibilité que justifie la place
d’arbitre entre les pouvoirs conférée au Conseil.
L’ordonnance organique du 7 novembre 1958 dans la version
o
issue de la loi organique n 2013-906 du 11 octobre 2013 ajoute aux
fonctions incompatibles celles de membre du CESE et de défenseur
des droits, mais précise surtout que ces fonctions sont « également
incompatibles » avec « l’exercice de tout mandat électoral », de toute
fonction publique et de toute activité professionnelle ou salariée. On
ne doit pouvoir soupçonner la femme de César ; de même, l’autorité
et la crédibilité du Conseil exigent que l’impartialité de ses membres
9
ne puisse être suspectée .
A. La saisine
De la facilité avec laquelle on peut la saisir dépend en grande
partie l’efficacité d’une juridiction ; d’où l’importance de la révision
de 1974 qui, en ouvrant la saisine à la minorité des assemblées
parlementaires, va provoquer l’essor du Conseil constitutionnel ;
mais aussi, l’intérêt de la révision de juillet 2008, qui l’attribue enfin
aux citoyens eux-mêmes.
1. La révision de 1974
La saisine du Conseil constitutionnel ne pose aucune difficulté
particulière en matière électorale (art. 58, 59 et 60). En
l’occurrence, il s’agit d’un contentieux assez classique, et le Conseil
pourra être saisi par les électeurs, les candidats, et, dans certains cas
(présidentielles, référendum), par les préfets. Pas de problèmes non
plus en ce qui concerne les lois organiques, les règlements des
assemblées, et depuis la révision de juillet 2008, les propositions de
loi mentionnées à l’article 11, dont le Conseil est saisi
automatiquement. À cet égard, la seule réelle difficulté concerne
donc le contrôle de conformité des lois ordinaires (art. 61, al. 2), et
subsidiairement, des engagements internationaux (art. 54).
Au départ, en effet, la saisine du Conseil fut volontairement
réservée aux quatre principaux personnages de l’État, le président de
la République, le Premier ministre et les présidents des deux
assemblées. Le but de cette restriction était double : empêcher une
contestation permanente de la loi et à travers elle, de l’action du
gouvernement, et parallèlement, interdire au Conseil de se
transformer en une Cour suprême toute-puissante, placée au-dessus
des autorités élues. La saisine du Conseil par une fraction
minoritaire du Parlement avait pourtant été défendue lors des
travaux préparatoires, en particulier par le député (et futur ministre)
gaulliste Raymond Triboulet 1, et même favorablement accueillie par
le Comité consultatif constitutionnel. Mais l’« amendement
Triboulet », selon lequel le Conseil pouvait être saisi par un tiers des
membres de chaque assemblée, disparut finalement du projet
définitif. Une Cour constitutionnelle, expliqua alors Michel Debré,
serait très vite insupportable à la fois au Parlement et « à un certain
sentiment populaire qui n’accepterait pas […] la transformation des
2
juges en élément politique fondamental de la vie française ».
La question ne cessera, dans les années qui suivent, d’agiter les
esprits. Cependant, il faudra attendre la révision initiée en 1974 3
sous l’impulsion du nouveau président du Conseil constitutionnel
Roger Frey, pour que le droit de saisine soit enfin étendu à soixante
députés ou soixante sénateurs (loi constitutionnelle du 29 octobre
1974, modifiant l’article 61, al. 2, de la Constitution). À l’époque,
cette révision fut jugée dérisoire par nombre d’observateurs –
notamment parce qu’elle semblait en retrait par rapport à l’idée
initialement lancée par le président Giscard d’Estaing de permettre
au Conseil de se saisir d’office de toute loi qui lui paraîtrait porter
atteinte aux libertés constitutionnelles. Pourtant, ce qu’on désignait
alors comme « le degré zéro de la réforme 4 » va rapidement susciter
une véritable révolution, en offrant à l’opposition parlementaire une
tribune permanente, mais surtout, en permettant au Conseil,
presque systématiquement saisi, d’affirmer sa position au cœur du
jeu institutionnel.
La révision de 1974 a suscité un saut quantitatif : alors qu’on ne
compte, de 1959 à 1974, que neuf cas de contrôle de la loi
ordinaire, ce sont plusieurs centaines de lois qui ont été déférées au
Conseil par les parlementaires depuis 1974. Et cet essor a entraîné à
son tour un saut qualitatif : jugeant (beaucoup) plus souvent, le
Conseil constitutionnel va être amené à juger différemment, et à se
rapprocher ainsi des juridictions classiques. À cet égard, il n’est pas
certain que des propositions plus radicales, comme l’autosaisine
imaginée par le président Giscard d’Estaing, eussent été plus riches
de conséquences que la révision adoptée en 1974. En toute
hypothèse, on imagine mal que le Conseil constitutionnel, étant
donné sa composition actuelle, soit plus puissant ou plus influent
qu’il ne l’est aujourd’hui.
2. La révision de 2008
L’exception d’inconstitutionnalité « consiste à permettre au juge,
lorsqu’il a à appliquer à un procès relevant de sa compétence une loi
dont la constitutionnalité lui semble douteuse, de soulever à
l’encontre de cette loi, soit d’office, soit à l’initiative des parties, la
5
question préalable de sa constitutionnalité ». Dans ce cas, le juge
pourra statuer lui-même sur la question (contrôle diffus, de type
américain) ou, au contraire, en saisir une juridiction
constitutionnelle spécifique, ce qui l’obligera à surseoir dans
l’attente de la décision (contrôle concentré, utilisé en Allemagne
fédérale, en Autriche, en Italie, en Espagne…). Dans tous les cas,
cependant, la loi déclarée inconstitutionnelle par exception ne
disparaîtra pas de l’ordre juridique où elle figure déjà –
contrairement à ce qui se passe avec le contrôle par voie d’action, à
la française. Elle sera simplement privée d’effets dans l’espèce
considérée.
Sous la IIIe République, l’introduction d’un tel contrôle avait
e
nourri un important débat doctrinal et politique. Mais sous la V , ce
n’est que vers la fin des années 1980, alors que le Conseil
constitutionnel s’est acquis la réputation d’un promoteur de l’État de
droit, que l’on va reprendre l’idée, et songer à lui donner
compétence pour ce type de contrôle, sur saisine des simples
citoyens, en plus de ses pouvoirs traditionnels. Évoquée par le
président du Conseil constitutionnel Robert Badinter, largement
répercutée par les médias, plébiscitée par l’opinion, l’idée est reprise
par le président Mitterrand le 14 juillet 1989, « à l’occasion du
bicentenaire de la Révolution française ». Le 28 mars 1990, un
projet de révision constitutionnelle est adopté en Conseil des
ministres, puis, fin avril, par l’Assemblée nationale.
D’une manière qui rompt avec le modèle américain pour se
rapprocher de ce que pratiquent certaines cours constitutionnelles
européennes, ce contrôle aurait été réservé au Conseil
constitutionnel, les juridictions ordinaires n’ayant que le pouvoir de
renvoyer les lois qu’elles auraient jugées contraires aux droits
fondamentaux aux juridictions suprêmes de leur ordre (Conseil
d’État ou Cour de cassation), à charge pour ces dernières d’en saisir
le Conseil. Mais l’impossibilité de trouver un texte de compromis
avec le Sénat en juin 1990 bloque la procédure de révision. À l’été
1990, celle-ci paraît définitivement enterrée, et les tentatives
périodiques de relance, notamment en 1993 suite au rapport du
comité Vedel, n’auront pas plus de succès.
Il faudra donc attendre quinze ans et la révision du 23 juillet
2008 pour que cette mutation pourtant largement consensuelle soit
consacrée, dans le nouvel article 61-1 : « Lorsque, à l’occasion d’une
instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une
disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la
Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de
cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé 6. »
On notera ici que le contrôle a un objet plus limité que celui visé
par l’article 61 : les justiciables ne peuvent saisir le Conseil que
lorsque des droits et des libertés constitutionnellement garantis ont
été violés, et non, par exemple, lorsqu’une loi leur semble porter
atteinte à une règle de compétence ou de procédure – les
justiciables, explique à ce propos le rapport du comité Balladur,
« n’ayant pas à s’ériger en gardiens » de la norme suprême, mais
7
simplement, à veiller au respect de leurs propres droits .
3. Conséquences
Dans le cadre du contrôle a priori de l’article 61, une fois le
Conseil saisi – par soixante députés, soixante sénateurs, ou par les
quatre autorités initialement compétentes –, la machine est lancée.
En ce qui concerne le contrôle de conformité, la saisine est en effet
définitive, sans que les requérants aient la possibilité de se désister.
C’est ce que le Conseil a rappelé à propos de l’« amendement
Malraux » qui attribuait la carte d’ancien combattant aux
volontaires des Brigades internationales. Après avoir signé la saisine
du Conseil, un certain nombre de parlementaires, pris à partie par la
presse, avaient jugé plus prudent de se désister. Le Conseil,
considérant qu’il ne statuait pas pour les requérants, mais au bénéfice
de la Constitution, a jugé ces désistements sans valeur et sans effet
(96-386 DC, 30 décembre 1996, Rec. 154).
Dans le cadre du contrôle a posteriori, en revanche, la possibilité
de se désister paraissait aller de soi, l’intérêt particulier de l’auteur
de la QPC, qui vise à défendre l’un de ses droits violés par une
disposition législative, étant incontestablement présent. Pourtant, la
loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’application de
l’article 61-1 de la Constitution en ayant décidé autrement,
l’article 23-9 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 dispose que
« l’extinction, pour quelque cause que ce soit, de l’instance à
l’occasion de laquelle la question a été posée, est sans conséquences
sur l’examen de la question ». Une solution qu’éclaire à vrai dire
l’objectif de la QPC, laquelle, par-delà l’intérêt particulier du
justiciable, vise à purger la législation en vigueur des dispositions
attentatoires aux droits constitutionnellement garantis.
Quant à la saisine du Conseil, elle a pour conséquence, dans le
cadre du contrôle a priori, de suspendre le délai de promulgation de
la loi : un délai qui, le cas échéant, ne recommencera à courir qu’à
compter de la décision du Conseil. Dans le cadre du contrôle a
posteriori, en revanche, la saisine du Conseil n’a aucun impact
immédiat sur la loi contestée, qui continuera donc à s’appliquer – et
ne cessera de produire des effets juridiques que si le Conseil la
déclare contraire à la Constitution, à partir de la date déterminée
par lui.
B. Le procès constitutionnel
1. Le contrôle a priori
Lorsqu’il est saisi d’une loi sur le fondement de l’article 61, le
Conseil a l’obligation de statuer dans un délai d’un mois qui peut,
s’il y a urgence, être ramené à huit jours sur demande du
gouvernement (art. 61, al. 3). Ce délai est bref : mais en réalité, le
Conseil, qui suit l’actualité politique et les débats parlementaires,
anticipe les saisines et peut donc s’y préparer. L’instruction de
l’affaire est confiée par le Président à un rapporteur, qui procède à
l’audition des représentants du secrétariat général du gouvernement,
chargé d’assurer la défense de la loi déférée, et à celle des
requérants.
On observe à ce propos que la loi n’est pas défendue par le
Parlement, qui l’a pourtant votée, mais par le gouvernement, qui est
généralement à son origine par le biais du pouvoir d’initiative : c’est
l’un des paradoxes de la Ve République, où ce sont des membres du
pouvoir législatif qui contestent la loi, alors que l’exécutif est chargé
de la défendre.
Sur la base du rapport, le Conseil, réuni en séance plénière,
prend à la majorité des membres présents une décision, qui sera
publiée au Journal officiel.
2. Le contrôle a posteriori
Si les éléments constitutifs du « procès constitutionnel » étaient
déjà présents avant la QPC, ils ne l’étaient, note Dominique
Rousseau, qu’« à l’état sommaire 8 ». C’est la mise en place de la QPC
qui leur a conféré une consistance et un relief inédits – le
« marqueur » le plus significatif de ce tournant étant la décision du
4 février 2010 portant « Règlement intérieur de la procédure suivie
devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de
constitutionnalité ».
Pour que l’on soit en présence d’un procès, il faut certes qu’il
existe un litige : critère décisif, dont Dominique Rousseau constate
qu’il est « clairement satisfait » dans le cadre de la QPC. Mais à ce
premier critère s’en ajoute un second, le « critère procédural ». Or,
lui aussi est désormais présent : « depuis la QPC, le Conseil est
formellement soumis aux exigences du procès équitable et du
tribunal neutre et impartial ». En somme, l’adoption par le Conseil
d’un tel « code de procédure » confirme que l’on est en présence
d’un procès véritable.
A. Le Conseil et l’expression
de la volonté nationale
Lors de l’élection présidentielle et des votations référendaires,
c’est le peuple tout entier qui se prononce, de manière unitaire. La
volonté souveraine se manifeste alors directement ; c’est pourquoi le
Conseil constitutionnel dispose dans ces deux hypothèses de
compétences analogues et, au fond, relativement circonscrites.
1. L’élection présidentielle
Pour l’élection présidentielle, l’intervention du Conseil
constitutionnel se situe principalement en amont.
Il est d’abord chargé du contrôle des candidatures : c’est lui qui
recueille et vérifie les parrainages, s’assure de l’éligibilité des
candidats et en publie la liste officielle. Parallèlement, il est consulté
sur l’organisation des opérations électorales, et, à l’aide de
magistrats « délégués », s’assure du bon déroulement du scrutin 4.
Sans doute est-il aussi compétent, après le vote, pour examiner
les réclamations dont il peut être saisi par un préfet ou par l’un des
candidats (art. 58, al. 2). Il annule d’ailleurs, pour irrégularité, un
nombre assez conséquent de suffrages individuels – plus de onze
mille en 1995. Toutefois, il semble inconcevable qu’il aille beaucoup
plus loin, et notamment, qu’il remette en cause l’ensemble des
résultats, tant pour des raisons juridiques, puisqu’il faudrait que les
irrégularités constatées soient suffisamment massives pour inverser
le rapport de forces, que pour des raisons politiques : une annulation
qui ne se produirait que plusieurs jours après les résultats
entraînerait des remous incontrôlables, mais également une
suspicion profonde, et peut-être définitive, à l’égard du Conseil.
Quelle que soit sa place actuelle, ce dernier n’a pas la légitimité
séculaire de la Cour suprême américaine, et c’est à juste titre que le
doyen Vedel soulignait son « insertion toujours équivoque et peut-
être fragile […] dans les institutions françaises 5 ».
En fait, lors de l’élection présidentielle, l’enjeu est tel que le droit
n’a plus vraiment sa place 6. C’est aussi pour cette raison qu’il n’est
pas possible de montrer sur ce plan la même sévérité que pour les
élections législatives en ce qui concerne le financement de la
campagne électorale. Si, en effet, les dépenses des candidats sont
plafonnées, et leurs comptes vérifiés par le Conseil constitutionnel,
une infraction aux règles en vigueur ne saurait avoir pour
conséquence l’inéligibilité de l’auteur de l’infraction : tout
simplement parce qu’il n’est pas concevable de déclarer la
déchéance d’un candidat élu, et de procéder à de nouvelles élections
auxquelles il ne pourrait même pas se présenter.
Elle peut en revanche avoir de lourdes conséquences financières,
comme le constata Nicolas Sarkozy après les présidentielles de 2012.
Ses comptes de campagne ayant été rejetés le 19 décembre 2012 par
la Commission nationale des comptes de campagne et des
financements publics, le Conseil constitutionnel confirma la décision
de rejet : ayant dépassé de 2,1 % le plafond autorisé, le candidat
Sarkozy dut acquitter une amende équivalant au dépassement, et se
7
vit privé du remboursement public des sommes engagées .
Enfin, après avoir examiné les réclamations, le Conseil
constitutionnel est chargé de proclamer les résultats du scrutin
(art. 58, al. 2) dans certains délais : les résultats du premier tour
seront publiés le mercredi suivant le scrutin, et ceux du second tour,
dans les dix jours qui suivent la fin des opérations.
2. Le référendum
En ce qui concerne les votations référendaires, le Conseil dispose
de pouvoirs similaires à ceux qui lui sont attribués pour l’élection
présidentielle. Conformément à l’article 60, il veille à la régularité
des opérations, il reçoit des réclamations à leur propos et en
proclame les résultats.
Cependant, en la matière, le Conseil a longtemps conçu sa propre
compétence de manière restrictive, à la fois en amont et en aval de
la votation.
En amont, il estimait, à l’origine, n’avoir qu’une compétence
consultative – et non juridictionnelle. C’est pourquoi il refusait de
connaître des réclamations dont il était saisi avant le scrutin contre
les actes préliminaires, considérant que les seules réclamations dont
il pouvait connaître en vertu de l’article 50 de l’ordonnance du
7 novembre 1958, étaient celles formulées à l’issue du scrutin. Le
Conseil va revenir sur sa position dans une série de décisions
rendues durant l’été 2000, au cours des mois qui ont précédé le
référendum sur le quinquennat du 24 septembre. Il déclare alors
« qu’en vertu de la mission générale de contrôle de la régularité des
opérations référendaires qui lui est conférée par l’article 60 de la
Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur
des requêtes mettant en cause la régularité d’opérations à venir dans
le cas où l’irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait
de compromettre gravement l’efficacité de son contrôle […],
vicierait le déroulement général du vote, ou porterait atteinte au
fonctionnement normal des pouvoirs publics 8 ». Désormais, le
Conseil opère donc le même type de contrôle sur les actes
préparatoires au référendum que celui qu’il exerce sur les actes
9
préalables aux élections parlementaires (11 juin 1981, Delmas) .
En aval de la votation, le Conseil constitutionnel peut être saisi
d’une réclamation, avant de procéder à la proclamation des
résultats. Pourtant, en vertu de sa propre jurisprudence, le principal
continue de lui échapper. Il s’est en effet déclaré incompétent pour
contrôler la constitutionnalité des lois référendaires, au motif que
celles-ci, « adoptées par le peuple à la suite d’un référendum,
constituent l’expression directe de la souveraineté nationale » (62-20
DC, 6 novembre 1962 ; de même, 92-313 DC, 23 septembre 1992).
C’est pourquoi, s’inspirant des conclusions du comité Vedel,
certains parlementaires avaient suggéré, lors des travaux
préparatoires à la révision du 4 août 1995, de rendre obligatoire le
contrôle du Conseil constitutionnel sur tout projet de loi soumis au
référendum, préalablement à celui-ci. L’objectif était de concilier le
principe de suprématie de la Constitution et celui de la souveraineté
du peuple – puisque ce dernier n’aurait eu alors à se prononcer que
sur des projets certifiés conformes à la Constitution. Mais cette
suggestion fut alors repoussée 10, et ne fut reprise que dans la
er
nouvelle formulation de l’article 61 al. 1 issu de la révision de
juillet 2008.
A. L’objet du contrôle
L’objet du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel, c’est-à-
dire les différentes règles dont il lui appartient de vérifier la
conformité à la Constitution, paraît très étendu. Pour autant, il n’est
pas illimité : outre les actes qui relèvent de la compétence d’autres
juges, certaines normes lui échappent en raison de leurs origines,
qui les placent au-dessus de tout contrôle.
1. L’effet répressif
À cet égard, il faut distinguer les effets proprement dits, et
l’autorité de la décision qu’il prononce.
b. L’autorité de la décision
Sur ce point, la Constitution précise que « les décisions du
Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles
s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles » (art. 62, al. 3).
L’absence de recours contre les décisions du Conseil apparente
celui-ci à une juridiction souveraine – au même titre que le sont,
dans leurs ordres respectifs, le Conseil d’État et la Cour de cassation
–, à cette différence près que seule une intervention du pouvoir
constituant, et non une simple loi ordinaire, sera susceptible de
surmonter sa décision. L’autorité de ces décisions a été qualifiée par
le Conseil lui-même d’autorité de chose jugée (88-244 DC, 20 juillet
1988), ce qui signifie qu’elles s’imposent à tous, et non pas
seulement aux parties. En revanche, cette autorité ne concerne en
principe que l’affaire, ou le texte particulier, sur lequel s’est
prononcé le Conseil.
Celui-ci a toutefois précisé que cette autorité n’était pas
strictement limitée à la loi qui lui a été soumise, mais qu’elle
s’étendait aux dispositions d’une autre loi, même rédigées sous une
forme différente, dès lors qu’elles avaient « en substance un objet
analogue à celui des dispositions déclarées contraires à la
Constitution » (89-258 DC, 8 juillet 1989). En l’espèce, le Conseil va
déclarer non conforme une loi d’amnistie qui reprenait, quoique en
termes distincts, une disposition qu’il avait censurée l’année
précédente à l’occasion du contrôle d’une autre loi, au motif qu’elle
méconnaissait « l’autorité qui s’attache, en vertu de l’article 62 de la
Constitution, à [une] décision du Conseil constitutionnel ».
L’autorité de ces décisions s’impose aux pouvoirs publics : au
Parlement, dans la mesure où il est l’auteur de la loi, mais
également à l’exécutif, et en particulier au Président, qui, quoi qu’il
pense de la décision du Conseil, ne pourra promulguer une loi
déclarée non conforme.
Enfin, ces décisions s’imposent à toutes les autorités
administratives et juridictionnelles. « La difficulté, note sur ce point
Élisabeth Zoller, vient de ce que la Constitution n’a pas fait du
Conseil constitutionnel une Cour suprême 15 » : les autres juridictions
sont certes tenues de respecter les décisions particulières du Conseil,
qu’elles ne peuvent contester en tant que telles, mais elles ne sont en
revanche nullement obligées de se soumettre à sa jurisprudence,
c’est-à-dire de respecter les principes dégagés par le Conseil à
l’occasion des affaires dont il est saisi. Il est vrai toutefois que les
juridictions, initialement méfiantes à l’égard du Conseil
constitutionnel, ont progressivement évolué à son égard, à mesure
qu’il s’affirmait comme l’incontournable protecteur des libertés.
Même si des divergences subsistent, elles ont désormais tendance à
adopter sa jurisprudence, confirmant ainsi le sacre du Conseil qui,
peu à peu et de manière informelle, accède au rang de « Cour
suprême ».
2. L’effet préventif
Cet effet capital se réalise suivant deux modes distincts : un
mode organisé par le Conseil lui-même, et un mode spontané
résultant du comportement des acteurs du jeu institutionnel qui, de
plus en plus souvent, préfèrent anticiper les décisions du juge
constitutionnel plutôt que d’en subir la censure.
a. La prévention organisée
À l’occasion d’une décision reconnaissant la conformité d’une
disposition dont il a été saisi, le Conseil peut soumettre la mise en
œuvre de cette dernière à certaines conditions. C’est la technique de
la « conformité sous réserve » : le texte n’est jugé conforme à la
Constitution que sous réserve d’être appliqué suivant les directives
expressément énoncées par le Conseil. C’est en ce sens qu’il s’agit
d’une technique préventive : l’interprétation du Conseil exclut par
avance les applications non conformes, et elle prévient ainsi les
atteintes à la Constitution.
Si elle a connu une véritable explosion au cours des années
1990, cette technique est pratiquement née avec le Conseil
constitutionnel, puisqu’on en trouve une première illustration dès
1959 (le règlement de l’Assemblée nationale étant alors déclaré
« conforme à la Constitution, sous réserve des observations qui
16
suivent … »). Par la suite, le Conseil va développer un certain
nombre de variantes, qui relèvent toujours du même principe. À cet
égard, on distingue trois types de réserves d’interprétation. Les
réserves « neutralisantes » consistent à déclarer qu’une disposition
ne peut être appliquée d’une certaine manière, sous peine de porter
atteinte à la Constitution. À l’inverse, l’interprétation « directive »
détermine comment la disposition contestée doit être appliquée pour
être conforme : ce faisant, elle s’adresse au gouvernement et à
l’administration qui la mettront en œuvre. Enfin, les interprétations
« constructives » manifestent avec le plus d’éclat les pouvoirs que
s’est attribués le Conseil, puisque celui-ci ne se borne pas à
déterminer la façon dont il faut lire les dispositions en question,
mais ajoute de son propre chef certains éléments à la loi afin de la
rendre conforme à la Constitution. En un sens, il tend alors,
pratiquement, à participer à l’œuvre du législateur.
L’effet préventif mis en œuvre par le Conseil paraît avoir ainsi
une portée encore supérieure à l’effet répressif de son contrôle : en
évitant de censurer, et en définissant lui-même la façon dont il
faudra, à l’avenir, comprendre et appliquer telle disposition, le
Conseil s’arroge un pouvoir sans commune mesure avec celui que
prévoyait initialement le constituant.
b. La prévention spontanée
L’effet préventif « spontané » concerne pour l’essentiel le
gouvernement, puisque c’est lui qui établit les projets de loi
(art. 39), dispose de l’administration (art. 20) et assure l’exécution
des lois (art. 21) : c’est donc à lui qu’il appartient, d’abord,
d’anticiper une éventuelle censure du Conseil. « Les ministres,
observait Robert Badinter, alors président du Conseil
constitutionnel, n’aiment guère voir leurs textes censurés. C’est
désagréable et quelquefois vexant de s’entendre dire qu’on a
méconnu la Constitution. Aussi, au moment de l’élaboration des
projets de lois, les experts, les conseillers qui entourent les ministres,
prennent le plus grand soin à veiller à ce qu’on ne méconnaisse pas
17
les dispositions constitutionnelles . » Cette pratique a été
officialisée dès 1988 par une circulaire du Premier ministre qui
demandait aux membres du gouvernement « de tout faire pour
déceler et éliminer les risques d’inconstitutionnalité susceptibles
d’entacher les projets de loi, les amendements et les propositions de
18
loi inscrits à l’ordre du jour ». Quant à la réalisation de ces
objectifs, elle passe à la fois par le secrétariat général du
gouvernement, chargé d’« un véritable rôle de veille
19
constitutionnelle », et par le Conseil d’État, dont les formations
administratives ont pour mission d’examiner la validité juridique
des projets de loi avant leur transmission au Parlement.
Mais cet effet préventif spontané s’exerce aussi à l’égard du
législateur. À ce propos, Guillaume Drago évoquait une « véritable
réécriture de la loi sous la dictée du Conseil constitutionnel », avant de
souligner que l’influence du Conseil sur le Parlement s’était
considérablement accrue depuis la mise en œuvre de la QPC en
2010 : « Placés plus que jamais sous le regard de la Constitution, la
loi et les législateurs doivent prendre en considération les exigences
constitutionnelles, même si les parlementaires peuvent considérer
que la question constitutionnelle ne se posera que plus tard, une fois
la loi entrée en vigueur et contestée par une QPC devant un juge
ordinaire, donc loin d’eux 20. » En fait, le législateur est encouragé à
pratiquer une autocensure vigilante, consistant à intégrer le
« surmoi constitutionnel » que représente désormais la jurisprudence
du Conseil.
C’est ce que soulignait le président du Conseil constitutionnel
Jean-Louis Debré lors de ses vœux au chef de l’État pour l’année
2014. Il y appelait à renforcer encore l’hégémonie juridico-morale
du Conseil, et n’hésitait pas à fustiger un législateur accusé d’avoir
osé enfreindre ses oracles : « À plusieurs reprises au cours de ces
derniers mois, des dispositions législatives ont été adoptées alors
qu’elles contrevenaient directement à l’autorité de la chose jugée
par le Conseil. Ce dernier n’a alors pu que les censurer une
deuxième, ou plutôt j’espère, une dernière fois. […] Cette situation
est préoccupante. L’État de droit est fondé sur le respect de la règle
de droit et des décisions de justice. Bien plus, pour le Conseil
constitutionnel, l’article 62 de la Constitution dispose que l’autorité
de ses décisions s’impose aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles. »
Ce qui est reproché au législateur, ce n’est pas de violer, au sens
propre, l’autorité de la chose jugée, mais de n’avoir pas
suffisamment intégré le « surmoi constitutionnel » précité. Bref, de
demeurer indocile – par exemple, en ayant l’audace de faire figurer
dans la loi de finances pour 2014 des dispositions qui, dans celle de
2013, avaient déjà fait l’objet d’une censure par le Conseil. De
manifester, en somme, une indépendance désormais scandaleuse,
car jugée attentatoire à l’État de droit que le Conseil estime
incarner.
Or, loin d’être jugée contestable, cette revendication impérialiste
va être aussitôt intégrée par les intéressés, et notamment, par le
gouvernement : lors du premier Conseil des ministres du
gouvernement Valls, en avril 2014, le nouveau Premier ministre
déclarera à l’intention des membres de son gouvernement que « le
21
risque d’inconstitutionnalité doit s’anticiper et s’évaluer ».
Chapitre II
L’ORDRE CONSTITUTIONNEL
Les normes juridiques qui composent le droit français forment un
ensemble cohérent et hiérarchisé : un ordre que l’on peut qualifier
de « constitutionnel », dès lors que la Constitution, qui y occupe le
rang suprême, réunit ces règles en un système dont elle détermine la
structure et l’organisation. Pourtant, il s’agit d’un ordre très
particulier, tant en raison de l’objet propre de la Constitution, que
des normes diversifiées que contient cet ordre, et des rapports que
celles-ci entretiennent entre elles, sous le contrôle du Conseil
constitutionnel.
Section I
Le bloc de constitutionnalité
1. La question du Préambule
En pratique, la question fondamentale, « Qu’est-ce que la
Constitution ? », renvoie à une interrogation plus concrète : quelles
sont les règles dotées d’une valeur constitutionnelle, et dont le
respect sera garanti contre les transgressions ? Ce qui, dans le cadre
de la Ve République, aboutit au problème suivant : les dispositions
du Préambule bénéficient-elles d’une telle protection
juridictionnelle ?
L’importance d’une telle question tient notamment au contenu
du Préambule, qui réunit des dispositions moins techniques
qu’idéologiques, et qui énonce les grands principes et les droits
fondamentaux des citoyens. Si on lui donne valeur constitutionnelle,
on place du même coup ces principes et ces droits hors d’atteinte du
législateur, qui devra les respecter sous peine d’annulation de la loi ;
parallèlement, on confère ainsi au juge chargé de garantir cette
norme suprême et de protéger les libertés qu’elle proclame une
légitimité, et donc une autorité, de premier plan.
Derrière la question de la valeur du Préambule, il y a donc un
choix politique. En refusant de reconnaître une valeur
constitutionnelle au Préambule, on fait prévaloir la volonté du
peuple à travers celle de la loi, « expression de la volonté générale ».
Au contraire, lorsqu’on affirme l’intangibilité des droits et des
libertés, situés au-dessus de la loi et presque au-dessus du souverain,
on se rattache à une tradition libérale, foncièrement méfiante à
l’égard des débordements de la démocratie, et qui préfère s’en
remettre à la raison des juges plutôt qu’aux passions de la foule.
C’est pourquoi cette question, qui remonte pratiquement à la
Révolution française, revient comme un leitmotiv, tout au long du
e e
XIX siècle, et surtout de la III République – où les libéraux regrettent
que l’on ne se serve de la Déclaration des droits « que pour la
pendre aux murs 1 », sans lui donner, malgré la révérence dont on
l’entoure, la moindre valeur juridique 2.
Après quelques hésitations, la Constitution du 27 octobre 1946,
fidèle à son inspiration dominante, va résoudre cette controverse en
faveur de la loi. Précédée d’un Préambule ambitieux, qui renoue
avec la tradition révolutionnaire des Déclarations des droits, la
Constitution dénie pourtant à ce dernier toute suprématie effective 3.
Bien que son article 81 évoque « la jouissance des droits et des
libertés garantis [à tous les citoyens] par le Préambule de la
présente Constitution », son article 92 précise en effet que le Comité
constitutionnel, chargé d’examiner la compatibilité des lois à la
Constitution, n’est pas compétent pour contrôler leur conformité aux
dispositions du Préambule.
2. La réponse des constituants
Assez paradoxalement, la Constitution du 4 octobre 1958,
quoique marquée par la pensée libérale, reprend des positions
analogues. Ses rédacteurs considèrent en effet que la Constitution au
sens propre n’intègre pas le Préambule qui n’a, selon eux, qu’une
valeur inférieure à celle-ci, et au mieux, législative 4. Les raisons de
ce choix ont, pour certaines, été évoquées plus haut. D’abord, la
fonction attribuée au Conseil constitutionnel est principalement
institutionnelle : il s’agit d’en faire un défenseur des équilibres
politiques, et non un garant des droits fondamentaux que les
constituants estiment d’ailleurs suffisamment protégés par l’autorité
judiciaire, « gardienne de la liberté individuelle » (art. 66). Il s’agit,
ensuite, d’éviter l’accusation classique de vouloir substituer à la
démocratie un « gouvernement des juges », en offrant au Conseil le
moyen de mettre systématiquement en cause les décisions du
Parlement. « Ce qui est grave, affirme-t-on lors des débats
préparatoires, c’est le contrôle de constitutionnalité posé dans des
termes tels que le Conseil constitutionnel est habilité à contrôler la
conformité de la loi […] avec le Préambule de la Constitution » et
ses dispositions virtuelles, chacun appréciant d’une manière
particulière « ce que signifie ce Préambule et ce que sont les diverses
dispositions auxquelles il renvoie 5 ».
Dans ces conditions, il paraît à la fois inopportun et inutile de
conférer au Préambule une valeur constitutionnelle : à un membre
du Comité consultatif qui l’interroge à ce propos, le commissaire du
gouvernement Janot, représentant le général de Gaulle, répond :
« Non, certainement, […] le Préambule n’a pas valeur
constitutionnelle 6. » Pourtant, et c’est ce qui les distingue des
rédacteurs de la Constitution de 1946, les constituants de 1958
laissent ouverte, en ne l’interdisant pas explicitement, la possibilité
d’une reconnaissance ultérieure de la valeur constitutionnelle du
Préambule – évolution que certains d’entre eux ont d’ailleurs
souhaitée dès l’origine, et dont le Conseil constitutionnel lui-même
va très vite comprendre la nécessité 7.
B. Le tournant de 1971
Cette reconnaissance va pourtant attendre douze ans avant de
s’accomplir. Le 16 juillet 1971, saisi d’une loi relative au droit
d’association, le Conseil constitutionnel accepte pour la première
fois de contrôler la conformité d’une norme législative aux
dispositions du Préambule, et, plus précisément, à la catégorie la
plus incertaine de toutes celles qu’il contient, les « principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République », au nombre
desquels, affirme le Conseil, figure le principe de liberté
d’association.
La doctrine a parfois contesté le caractère révolutionnaire de
cette reconnaissance 8, rappelant en particulier que la décision du
16 juillet 1971 avait été précédée par une décision du 19 juin 1970
(70-39 DC), qui se référait déjà à « la Constitution et notamment [à]
son Préambule » – ce qui implique que ce dernier est une
composante de la Constitution, et qu’il a donc la même valeur que
celle-ci. Il n’en reste pas moins que l’on ne s’est rendu compte
qu’après coup de cette décision qui, sans celle du 16 juillet 1971,
serait sans doute restée dans l’ombre. Au contraire, la décision de
1971 fut immédiatement perçue comme une rupture décisive :
rupture sur un plan politique, puisque pour la première fois « la
haute juridiction se désolidarisait d’un choix important de
l’exécutif », mais surtout sur « le plan juridique, [où] sa décision
amorçait un tournant fondamental 9 ». Si le timide visa de juin 1970
pouvait passer inaperçu, l’audacieuse décision du 16 juillet 1971 ne
le pouvait pas. Une étape essentielle était franchie, puisque
désormais le Préambule tout entier, ainsi que les normes auxquelles
il renvoie, se trouvaient hissés au même niveau que le reste de la
Constitution. Ce qui signifie que désormais le Conseil constitutionnel
peut contrôler les textes dont il est saisi au regard d’une masse de
10
normes constitutionnelles « potentiellement illimitée », et dont il
est pratiquement libre, en interprétant le Préambule, de déterminer
le contenu.
À partir de cette décision, puis de celle du 27 décembre 1973
(73-51 DC), qui censure une disposition portant « atteinte au
principe d’égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des
droits de l’homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le
Préambule de la Constitution », le Conseil va suivre
méthodiquement la voie qu’il s’est lui-même ouverte. Ce faisant, il
s’est s’imposé comme le défenseur des libertés, mais aussi comme le
moteur de l’expansion des normes constitutionnelles, et de la
« constitutionnalisation » de l’ordre juridique qui en résulte.
SOUS-SECTION 2
Un ensemble hétérogène
a. La Déclaration de 1789
Même si sa valeur juridique est implicitement reconnue dès
1971, ce n’est que deux ans plus tard, dans sa décision du
27 décembre 1973, que le Conseil se réfère expressément à la
Déclaration de 1789. Reconnaissance tardive ? Au contraire,
l’audace du Conseil, qui va se servir de ce texte pour invalider une
disposition de la loi de finances, apparaît pleinement lorsqu’on sait
qu’en 1958, lors des débats préparatoires, c’est précisément la
référence à cette Déclaration presque bicentenaire qui était mise en
avant pour justifier le refus de donner une valeur juridique au
Préambule. « Je vous demande, questionnait alors Raymond Janot,
si vous estimez que les règles […] édictées en 1789 peuvent devenir
normatives au siècle où nous sommes ? Croyez-vous que la structure
de la société moderne est comparable à celle du XVIIIe siècle 3 ? »
En fait, loin d’utiliser ces règles comme des reliques, le Conseil
va profiter de leur plasticité et de leur généralité pour les resituer
dans le contexte contemporain, et pour en imposer une lecture très
constructive. Même s’il n’a pas eu l’occasion d’utiliser tous les
principes qui figurent dans la Déclaration, et bien qu’il ait surtout
fait usage de certains d’entre eux (le principe d’égalité de l’article 6,
le principe de légalité des délits et des peines de l’article 8, le
principe de liberté de pensée et d’opinion de l’article 11, la
séparation des pouvoirs énoncée à l’article 16, le droit de propriété
proclamé par l’article 17), il semble qu’il n’y ait pas lieu de
distinguer entre les dix-sept articles de la Déclaration, qui ont tous
effectivement valeur constitutionnelle.
b. Le Préambule de 1946
En 1946, les constituants ont fait précéder le texte
constitutionnel d’un Préambule qui expose de façon détaillée les
principes de la nouvelle République. Mais ceux-ci reflètent surtout
l’idéologie dominante et les rapports de forces de l’Assemblée
constituante. Après avoir réaffirmé « solennellement les droits et les
libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des
droits de 1789, et les principes fondamentaux reconnus par les lois
de la République » – coup de chapeau à la tradition libérale –, le
Préambule proclame « en outre, comme particulièrement nécessaires
à notre temps », un certain nombre de « principes politiques,
économiques et sociaux », d’inspiration clairement socialiste.
Si on laisse de côté la question de la compatibilité de ces
différents principes, on note que le Préambule de 1946 énonce deux
nouvelles catégories de règles : les principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République, et les « principes politiques,
économiques et sociaux […] particulièrement nécessaires à notre
temps ».
Ces derniers ne posent pas de réelles difficultés, même si leur
formulation semble parfois trop large, trop imprécise pour qu’ils
soient susceptibles d’être effectivement mis en œuvre – on songe par
exemple au droit reconnu à chacun d’obtenir un emploi, ou au droit
qu’a tout être humain « d’obtenir de la collectivité des moyens
convenables d’existence ». Pourtant, ces principes ont tous, au moins
virtuellement, valeur constitutionnelle 4, et certains d’entre eux
s’avèrent même d’une très grande importance juridique – par
exemple, le consentement de l’État français « aux limitations de
souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix »
figurant dans l’alinéa 15 du Préambule.
Plus problématiques apparaissent les principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République – pour une raison évidente,
formulée jadis par Jean Rivero à travers « une triple question :
quelle République ? Quelles lois ? Quels principes 5 ? ». Car le
Préambule de 1946, alors qu’il énumère les principes
« particulièrement nécessaires », se contente d’évoquer l’existence de
ces « principes fondamentaux », sans prendre la peine de dire ce
qu’il entend par là. Le silence du texte est total, tout comme la
liberté qu’il laisse ainsi au juge constitutionnel de « découvrir » de
nouveaux principes : une liberté dont celui-ci usera d’ailleurs assez
largement, de 1971 jusqu’au milieu des années 1980 6. Mais une
liberté dangereuse, qui lui attirera des critiques virulentes,
condamnant cette création de « principes introuvables, […] à
géométrie variable, au contenu élastique ou aux effets aléatoires 7 »,
et le pouvoir illimité qu’elle lui confère.
C’est ce qui va pousser le Conseil à modifier son attitude à leur
égard.
Tout d’abord, il opère une clarification de la notion, en
particulier dans sa décision du 20 juillet 1988 (88-244 DC), où il
donne enfin des réponses aux trois questions de Rivero. Il n’y a de
principe fondamental qu’appuyé sur un texte législatif précis, adopté
sous l’une des trois Républiques qui ont précédé la Constitution de
1946 ; enfin, il doit s’agir d’un principe obligatoire, doté d’une réelle
constance et d’une généralité suffisante. Ainsi, et bien que les
conditions qu’il a posées demeurent assez peu contraignantes, le
Conseil n’est plus totalement libre de fabriquer à sa guise des
« principes fondamentaux ». Ni, symétriquement, de refuser de les
reconnaître, lorsque ceux qui le saisissent invoquent contre une loi
un principe fondamental correspondant bien à ces trois critères…
C’est du moins ce que l’on pensait jusqu’à la décision du 17 mai
8
2013, dite « mariage pour tous », où le Conseil a montré qu’il lui
arrivait de faire prévaloir des considérations politiques sur les règles
du jeu qu’il a lui-même instituées. En l’occurrence, la définition du
droit au mariage comme n’étant ouvert qu’aux personnes de sexes
différents apparaissait en effet, au regard des critères précités,
comme ayant « un caractère obligatoire et général », fondé sur une
législation « précise et constante […] adoptée sous l’une des
Républiques ayant précédé la Constitution de 1946 ». Les trois
critères étaient présents : en théorie, on aurait dû y voir un
« principe fondamental », et donc, invalider une loi dont l’article
central, niant ledit principe, n’était pas conforme à la Constitution.
Pour échapper à cette logique, le Conseil entreprit de modifier la
règle du jeu en se livrant au double mouvement que relate le
considérant 21 : « Si la législation républicaine antérieure à 1946 et
les lois postérieures ont, jusqu’à la loi déférée, regardé le mariage
comme l’union d’un homme et d’une femme, cette règle qui n’intéresse
ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni
l’organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe
fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier
alinéa du Préambule de 1946. »
En examinant ce considérant, on constate, d’abord, que le
Conseil rajoute un quatrième critère, inédit, portant sur l’objet du
« Principe fondamental » – lequel doit concerner les « droits et
libertés fondamentaux », la « souveraineté nationale » ou
l’« organisation des pouvoirs publics ». Toutefois, cette (opportune)
innovation ne suffisant pas à résoudre le problème, le Conseil se
livre dans un second mouvement à une interprétation tout aussi
spectaculaire de la notion de « droits et libertés fondamentaux », en
déclarant que le mariage n’en est pas un. Que lui-même ait déclaré
dans une récente décision 9 que « la liberté du mariage, composante
de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen de 1789 », rend l’interprétation
acrobatique – puisqu’on voit mal comment la règle délimitant
l’étendue d’une liberté fondamentale (autrement dit, déterminant la
consistance de cette dernière), pourrait ne pas « intéresser les droits et
libertés fondamentaux »… Mais il faut ce qu’il faut : et voilà comment
la loi fut sauvée par le Conseil.
À propos des principes fondamentaux reconnus par les lois de la
République, on constate enfin, parallèlement à une volonté de
clarification des critères, une tendance à la stabilisation de cette
catégorie qui, depuis la fin des années 1980 10, a pratiquement cessé
de s’enrichir de nouveaux principes. À ce jour, le Conseil n’en a
découvert de nouveaux qu’à deux reprises, en 2002, lorsqu’il
reconnaît le principe de l’atténuation de la responsabilité pénale des
mineurs 11, puis en août 2011, avec le principe fondamental relatif
aux dispositions particulières applicables dans les trois départements
du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle 12. Mais tout laisse à
croire qu’il s’agit de cas isolés. Désormais, par prudence, le juge
constitutionnel préfère fonder ses avancées jurisprudentielles sur des
règles écrites, et en particulier sur celles qui figurent dans la
Déclaration de 1789. Ce qui lui laisse une liberté de manœuvre
pratiquement équivalente, tout en conférant à ses audaces une
légitimité formelle indiscutable.
B. Dans sa valeur
Les normes contenues dans le bloc de constitutionnalité se
distinguent quant à leur nature, on vient de le voir, mais également
quant à leur valeur. Elles n’ont pas toutes la même effectivité, et les
nécessités de leur mise en œuvre impliquent même l’émergence
d’une certaine hiérarchisation.
1. L’exclusion
Le principe de l’exclusion des traités et des accords
internationaux du bloc de constitutionnalité a été posé par le
Conseil dans sa décision du 15 janvier 1975 (no 74-54 DC). Il y
reconnaissait que les articles 55 et 61 confèrent aux traités « une
autorité supérieure à celle de la loi », « dans les conditions qu’[ils]
définissent ». Or, ce sont précisément ces conditions qui font
problème, puisque, contrairement à celle des normes
constitutionnelles, la supériorité d’une disposition issue d’un traité
« présente un caractère à la fois relatif et contingent, tenant, d’une
part, à ce qu’elle est limitée au champ d’application du présent
traité, et d’autre part, à ce qu’elle est subordonnée à une condition
de réciprocité dont la réalisation peut varier selon le comportement
du ou des États signataires, et le moment où doit s’apprécier le
respect de cette condition ». Le Conseil en tire une double
conclusion. D’abord, sur le plan des principes, « une loi contraire à
un traité ne serait pas pour autant contraire à la Constitution », ce
qui signifie que traités et Constitution continuent de former deux
ensembles distincts. De là, sur un plan contentieux : chargé de
contrôler la conformité des lois à la Constitution et à elle seule, il
n’appartient pas au Conseil d’examiner leur conformité aux
stipulations des traités internationaux « en raison de la différence de
nature de ces deux contrôles », et plus fondamentalement, de ces
deux types de normes.
2. Vers un infléchissement ?
Inlassablement critiquée, cette position n’en a pas moins été
maintenue par le Conseil, quoique sur des fondements qui diffèrent
en partie de ceux qu’il invoquait en 1975 : puisque, en particulier, il
est apparu assez vite que l’exigence de réciprocité, sans objet pour
les conventions internationales relatives aux droits de l’homme, ne
pouvait à elle seule fonder cette exclusion de principe. À partir de
1986, note Bruno Genevois, le Conseil « a agi en tant que
responsable à titre principal mais non exclusif de la mise en œuvre
5
de l’ordre constitutionnel », rappelant que « dans le cadre de leurs
compétences respectives, il incombe aux différents organes de
l’État », c’est-à-dire aux juridictions ordinaires, « de veiller à
6
l’application des conventions internationales ». Quant au Conseil
lui-même, s’il lui appartient « de s’assurer que la loi respecte le
champ d’application de l’article 55, il ne lui appartient pas en
revanche d’examiner la conformité de celle-ci aux stipulations d’un
traité ou d’un accord international ».
Pourtant, certaines dissonances jurisprudentielles semblent
laisser entrevoir une possible remise en cause partielle de cette
exclusion, au profit du droit communautaire, qui pourrait se voir
incorporer dans le droit constitutionnel. Dans sa décision du
2 septembre 1992 (92-312 DC), le Conseil constitutionnel avait jugé
que la loi organique relative aux modalités d’exercice du droit de
vote et d’éligibilité des ressortissants communautaires aux élections
municipales, prévues par l’article 88-3 de la Constitution, devrait se
conformer aux dispositions « prévues par le traité sur l’Union
européenne » et aux « prescriptions édictées [sur ce point] à
l’échelon de la Communauté européenne ». Ainsi, même non
contraire à la Constitution, une loi organique pourrait être
sanctionnée par le Conseil du fait de sa non-conformité à une
disposition communautaire. C’est ainsi que le Conseil va contrôler la
conformité d’une telle loi organique au droit communautaire,
7
primaire et dérivé . Peut-on en déduire que celui-ci se trouve
désormais intégré au bloc de constitutionnalité ? Sans doute pas,
pour les raisons évoquées plus haut à propos des « normes
dérivées », ou « déduites ». Comme pour ces dernières, ce n’est qu’à
travers la Constitution elle-même, qui renvoie expressément au
traité, que les dispositions conventionnelles se trouvent utilisées
pour contrôler la loi organique : ce qui signifie que la non-
conformité de cette dernière au droit communautaire impliquerait,
indirectement mais certainement, une contradiction avec la
8
Constitution, en tant que celle-ci renvoie au traité .
B. L’infériorité à la Constitution
Le bloc de constitutionnalité formant l’ultime échelon de
l’échelle des normes applicables dans l’ordre interne, il paraît
logique d’en déduire que le droit international, dans la mesure où il
n’appartient pas à ce bloc, se trouve en position d’infériorité par
rapport au droit constitutionnel.
1. Le principe
Cependant, même sur ce plan, les données du problème ne sont
pas d’une interprétation évidente. Si, énonce ainsi l’article 54, le
Conseil constitutionnel « a déclaré qu’un engagement international
comporte une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de la
ratifier et de l’approuver ne peut intervenir qu’après la révision de la
Constitution ». Interdisant la ratification de dispositions
conventionnelles non conformes, il paraît plausible de voir dans cet
article « la consécration de la primauté de la Constitution sur le
9 e
droit international ». Plus fidèle à la tradition de la IV République,
l’article 55 se borne apparemment à énoncer le primat du traité sur
la loi interne. Pourtant, mis en perspective avec le 14e alinéa du
Préambule de 1946, il a pu être interprété comme « une déclaration
de principe affirmant nettement la supériorité de tout le droit
international général et conventionnel sur les normes internes, y
10
compris constitutionnelles ».
Sur ce plan, le système juridique tel qu’il résulte du texte
constitutionnel semble donc, au premier abord, caractérisé par ses
contradictions. Cependant, celles-ci disparaissent si l’on considère,
parallèlement aux règles, les moyens de leur mise en œuvre. Il
n’existe en effet, dans l’ordre juridique français, aucun organe
habilité à sanctionner la (prétendue) supériorité du droit
international sur la norme constitutionnelle, alors qu’il appartient
bien au Conseil de bloquer, lorsqu’il en est saisi en vertu de
l’article 54, la ratification d’un engagement international non
conforme à la Constitution : et donc de garantir la primauté de celle-
ci en laissant « en toute hypothèse le dernier mot au constituant 11 ».
Tel est le principe que le Conseil d’État rappelle, de façon
explicite, dans son arrêt d’assemblée du 30 octobre 1998, Sarran et
Levacher (R., p. 368). Saisi d’un décret organisant la consultation
électorale des populations de Nouvelle-Calédonie prévue par
l’article 76 de la Constitution, le Conseil d’État avait à apprécier la
conformité de ce décret aux dispositions de deux accords
internationaux, le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques et la Convention européenne des droits de l’homme. Mais
le décret ayant été pris sur le fondement de l’article 76 de la
Constitution, il s’agissait en réalité d’apprécier la conformité de cet
article aux dispositions des traités en question. Le Conseil d’État a
jugé que la « suprématie […] conférée aux engagements
internationaux » par l’article 55 ne concerne que les lois, et qu’elle
« ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature
constitutionnelle 12 ».
La portée de l’article 55 se trouve ainsi réduite à ce qui découle
expressément de ses termes (le traité prévaut sur la loi non
constitutionnelle). Mais surtout, et pour la première fois 13, la
suprématie de la Constitution se trouve explicitement affirmée, non
toutefois sans certaines réserves : « Même si le pouvoir constituant
est souverain, en ce sens que les lois constitutionnelles échappent au
contrôle de la conventionalité, il ne peut, souligne Bruno Genevois,
14
ignorer les engagements internationaux de la France . » Et ce,
d’autant que le Conseil a reconnu valeur constitutionnelle à la règle
pacta sunt servanda selon laquelle les accords (internationaux)
doivent être appliqués de bonne foi par ceux qui les ont conclus.
Enfin, par-delà ce premier constat, on a noté qu’en vertu de cette
jurisprudence, « le rang du droit international est antérieurement
déduit d’une disposition interne, [il dépend] des énoncés
constitutionnels, lesquels sont sujets à des changements échappant
15
totalement au droit international ». La supériorité de la
Constitution sur le droit international implique donc qu’elle pourrait
même, le cas échéant, remettre en cause la supériorité de ce dernier
sur les lois ordinaires.
2. La mise en œuvre
Si le principe de la primauté constitutionnelle paraît finalement
bien établi, sa mise en œuvre n’est pas totalement satisfaisante. À ce
propos, il faut distinguer suivant le moment où s’opère le contrôle
par le juge interne.
1. La loi et la Constitution
Ce mouvement de subordination et d’encadrement progressif de
la loi est très sensible dans ses rapports avec la Constitution.
On discerne à ce propos trois moments successifs. De 1958 à
1971, les normes constitutionnelles que doit respecter le législateur
sont peu nombreuses – ce sont celles qui figurent dans le texte de la
Constitution – et ne concernent, pour l’essentiel, que la
« constitutionnalité externe », les questions de forme (la loi doit être
adoptée selon telle procédure) et de compétence (le législateur
ordinaire ne peut empiéter sur ce qui relève du pouvoir
réglementaire ou de la loi organique). La situation change après la
décision du 16 juillet 1971 : d’un seul coup, avec la reconnaissance
de la valeur constitutionnelle du Préambule, la masse de normes que
le législateur doit respecter s’étend de manière illimitée. Et ces
normes ne concernent plus seulement la forme, elles portent
directement sur le fond, sur le contenu même de la loi, désormais
contrainte de respecter les droits et les libertés énoncés dans le bloc
de constitutionnalité.
L’activisme jurisprudentiel du Conseil constitutionnel n’est pas, à
l’égard de la loi, dépourvu d’ambiguïté : c’est notamment grâce à
son intervention que le Parlement a recouvré une part de l’autorité
qu’il avait perdue au début de la Ve République. Dans le même sens,
le Conseil a contribué à neutraliser la distinction établie par les
articles 34 et 37, notamment en refusant de considérer comme
inconstitutionnelle « une disposition de nature réglementaire
contenue dans une loi 1 ». Mais en sens inverse, sa jurisprudence
tend aussi à renforcer la densité du maillage constitutionnel qui
enserre la norme législative. C’est la troisième phase du processus,
caractérisée par le gonflement progressif du bloc de
constitutionnalité aux dépens de la liberté de mouvement du
législateur, mais aussi par la sophistication croissante du contrôle
effectué sur la loi. Ainsi, alors même que le Parlement retrouve, sur
un plan politique, une part de son autorité, la loi qu’il adopte
apparaît dans un état de subordination de plus en plus étroit.
1. La loi et le règlement
En 1958, l’offensive menée par les constituants contre la
primauté du Parlement se traduit, sur un plan normatif, par une
remise en cause de la suprématie de la loi. Comme certains s’en
scandalisent alors, « l’humiliation du législateur conduit à la
décadence de la loi 8 ». Expressément subordonnée à la Constitution
et aux traités, celle-ci est également limitée dans son champ
d’intervention, l’article 34 de la Constitution énumérant
limitativement les matières qu’elle peut traiter, sous la surveillance
du Conseil constitutionnel. Sur un plan institutionnel, le législateur
ne dispose donc plus que d’une compétence d’exception, la
compétence de droit commun appartenant au pouvoir réglementaire
en vertu de l’article 37. Et ce renversement se répercute sur le plan
normatif, puisqu’il semble logique d’en déduire que les règlements
autonomes, pris dans les domaines qui ne relèvent plus de la
compétence du législateur, ne sont plus subordonnés à la loi, mais
qu’ils ont la même valeur que celle-ci.
À l’époque, les commentateurs y verront une véritable
révolution, qui remet en cause deux siècles de suprématie de la loi.
Mais en fait, on comprendra vite que cette révolution n’a pas
(vraiment) eu lieu. Dès le 26 juin 1959, le Conseil d’État (Syndicat
général des ingénieurs conseils, R., p. 394, concl. Fournier, RDP, 1959,
p. 1004) juge qu’un décret du président du Conseil, pris sous
l’empire de la Constitution de 1946 mais analogue aux règlements
autonomes de la nouvelle Constitution, est soumis aux principes
généraux du droit, qui « s’imposent à toute autorité réglementaire,
même en l’absence de dispositions législatives ». Ainsi, ces principes
généraux, dégagés par le juge administratif, s’ils n’ont pas
« nécessairement » à être respectés par le législateur, s’imposent en
revanche, en toute hypothèse, à l’autorité réglementaire : ce qui
signifie que tous les règlements, quels qu’ils soient, ont une valeur
non pas égale, mais inférieure à celle de la loi. C’est ce que le
Conseil constitutionnel confirmera implicitement dans sa décision
du 26 juin 1969 (69-55 l), en reconnaissant que seul le législateur
peut déroger aux principes généraux du droit.
La loi demeure donc supérieure aux règlements, fussent-ils
autonomes, y compris aux plus élevés d’entre eux, les décrets
délibérés en Conseil des ministres. Pourtant, en dépit de cette
reconquête partielle que prolonge, sur un plan institutionnel, le
retour en grâce du Parlement, la suprématie du principe de légalité
n’est plus que résiduelle.
Cohabitation et Constitution
En 2000, le principal argument des partisans du quinquennat, qui
décrivaient ce dernier comme le seul moyen d’éviter à l’avenir de
nouvelles cohabitations et de sauver ainsi l’« avenir même de notre
régime politique » (J. Massot, Pouvoirs, no 91, 1999, p. 129), aura eu
au moins un mérite : celui de remettre en cause le mythe doctrinal
selon lequel la cohabitation serait « la Constitution, toute la
Constitution, rien que la Constitution » (François Mitterrand,
Message au Parlement, 8 avril 1986, cité in F. Luchaire et G. Conac,
Le Droit constitutionnel de la cohabitation, p. 323). La cohabitation ne
serait au fond qu’un retour à la Constitution telle qu’elle fut écrite et
conçue en 1958, dans la mesure où elle entraînerait de façon
automatique l’abandon d’« usages qui, au-delà des textes, ont accru
le rôle [du Président] dans les affaires publiques ». « Le phénomène
majeur de la cohabitation, expliquait à ce propos Anne-Marie
Cohendet, est en effet le retour à la lettre de la Constitution »
(« Cohabitation et Constitution », Pouvoirs, no 91, 1999, p. 46).
Mieux, c’est grâce à elle que l’on aurait enfin découvert, pour la
toute première fois, « le sens d’un texte jadis confusément enfoui
sous un amoncellement de pratiques contraires » (A.-M. Cohendet,
La Cohabitation, PUF, 1993, p. 8), la cohabitation provoquant ainsi
« une entrée en vigueur de la Constitution », « véritablement
révélée » par son intercession salvatrice.
On reste évidemment songeur devant cette mystérieuse Constitution
qui ne vient au jour que vingt-huit ans après sa naissance, et par
l’entremise d’une situation que ses rédacteurs auraient sans doute
vigoureusement récusée – avant de comprendre que toute cette
démonstration repose sur une certaine définition, très discutable, du
mot « Constitution ».
Tout dépend en effet de ce que l’on entend par là. Si la Constitution
est quelque chose de plus que la lettre de la norme, si elle est « un
esprit, des institutions [et] une pratique », alors il est clair que la
cohabitation, en bouleversant les usages, l’ordre et le
fonctionnement de l’État, opère un quasi-changement de
Constitution. Celui qu’entendait dénoncer le futur président du
Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud en 1997, lorsqu’il écrivait
dans Le Monde que la nouvelle cohabitation risquait d’entraîner la
« dégénérescence du pouvoir présidentiel », clé de voûte de la
Ve République (Le Monde, 26 juin 1997).
Mais qu’en est-il si, au contraire, on considère que la Constitution
n’est rien d’autre que « le texte approuvé par le peuple en 1958 et
révisé en 1962 » (A.-M. Cohendet, La Cohabitation, p. 324), et qu’elle
coïncide exactement avec sa lettre ? Même en ce cas, on est bien
forcé de reconnaître qu’elle « a encore été violée » durant la
cohabitation (ibid., p. 7). Cependant, contrairement à ce qu’avancent
les tenants de cette définition textuelle, la Constitution n’a pas été
violée en dépit de la cohabitation, parce que le retour au texte
n’aurait pas été « total », ainsi que le prétend le professeur Cohendet
(« Cohabitation et Constitution », p. 46), mais à cause d’elle. D’un
côté, en effet, celle-ci interdit au Président d’user de pouvoirs qui lui
sont constitutionnellement reconnus, comme celui de nommer, et
donc de choisir son Premier ministre : quoi qu’il ait pu en dire,
François Mitterrand fut contraint, en 1986, de faire appel au chef de
la nouvelle majorité parlementaire, puis, en 1993, au délégué de
cette majorité (Édouard Balladur). De même, Jacques Chirac fut
obligé, en 1997, de nommer à Matignon le leader de la Gauche
plurielle. Plus largement, c’est l’usage des principaux « pouvoirs
propres » du Président qui se trouve quasiment neutralisé en cas de
cohabitation : en particulier le recours au référendum de l’article 11,
qui ne peut être mis en œuvre par le Président que sur proposition
du gouvernement ou des deux assemblées. D’un autre côté, et à
l’inverse, la cohabitation pousse également le Président, lorsqu’il en
a l’occasion, à abuser de la règle en profitant de ses imprécisions :
par exemple, « à s’octroyer plusieurs droits de veto en refusant de
signer les ordonnances et les décrets de nomination en Conseil des
ministres » (A.-M. Cohendet, « Cohabitation et Constitution », p. 46),
ou en refusant d’inscrire à l’ordre du jour du Conseil des ministres le
projet de loi relatif à la Corse (14 février 2001). Veto présidentiel
qui n’aurait ni lieu, ni raison d’être en dehors du contexte
conflictuel inhérent à une telle situation.
En bref, quelle que soit la manière dont on conçoit la Constitution –
que l’on s’en tienne à sa lettre, ou qu’on y voie un ensemble vivant
de normes et de pratiques –, il semble que l’équation cohabitation
= Constitution relève, au mieux, de l’illusion d’optique.
Au mieux, puisqu’en réalité, comme l’a observé le doyen Vedel, la
cohabitation n’est « tolérable [que] pour le temps limité d’un
carême préparant la résurrection du pouvoir » (Le Monde, 23 avril
1997). Au-delà, « cet état de division intestine à l’intérieur du
pouvoir exécutif », comme le qualifiait Olivier Shrameck,
deviendrait « pernicieux », à la fois pour une Constitution qu’il ne
révèle pas mais dénature, et « pour le sens même de l’État » (RDP,
2008, no 1, p. 6).
►Bibliographie
La Cohabitation, Pouvoirs, no 91, 1999.
J. MASSOT, Alternance et cohabitation sous la Ve République, La
Documentation française, 1997.
J. MASSOT, « La Ve République est-elle soluble dans la
cohabitation ? », Mélanges Ardant, LGDJ, 1999, p. 163-172.
F. ROUVILLOIS (dir.), La Cohabitation ou la fin de la Ve République, F.-X.
de Guibert, 2001.
Domaine réservé
C’est d’abord parce que « tous les chefs de l’État » de la
Ve République en « ont à la fois contesté l’existence et revendiqué le
bénéfice » (J. Massot, Chef de l’État et chef du gouvernement, p. 103),
que la notion de domaine réservé apparaît si énigmatique.
L’expression est née le 15 novembre 1959, durant les Assises de
l’Union pour la nouvelle République (UNR), où Jacques Chaban-
Delmas, alors président de l’Assemblée nationale, évoque l’existence
d’un « domaine réservé » au chef de l’État, qui s’étendrait aux
questions internationales, algériennes et militaires. À l’époque, il ne
s’agit pas pour lui d’énoncer un nouveau principe constitutionnel de
répartition des compétences, mais simplement d’établir une
distinction interne à l’usage exclusif du parti gaulliste – et d’affirmer
que ce dernier n’a aucun droit de regard ni de critique sur ces
questions particulières, réservées au seul Président. Pourtant, le
succès immédiat de cette expression n’est pas dû à un quiproquo,
mais au fait qu’elle décrit au fond la pratique présidentielle telle
qu’elle est en train de s’affirmer à l’époque. Quel que soit le sens que
son inventeur ait voulu donner à cette expression, le général de
Gaulle se comporte, dès cette date, comme s’il existait effectivement
un tel domaine réservé.
Les « grandes affaires », et donc, au premier chef, les questions
internationales et militaires qui intéressent l’existence même de la
nation relèvent de celui qui est en charge de son destin. Toute la
difficulté vient de ce que la démarcation entre ces « grandes
affaires » et celles qui le sont moins n’est pas définie, et ne saurait
l’être – car il ne peut « y avoir de séparation étanche entre les deux
plans », souligne de Gaulle lors de sa conférence de presse du
31 janvier 1964. Cependant, si la frontière est mobile, elle dépend
toujours du Président, qui « procède à la répartition comme il le
juge nécessaire ». « Il n’y a pas de domaine réservé au chef de l’État,
pour cette bonne raison qu’ils lui appartiennent tous », confirmera à
ce propos Chaban-Delmas après avoir été Premier ministre du
président Pompidou (L’Ardeur, Stock, 1975, p. 255-256). Et c’est à
peu près ce que répétera Pierre Mauroy, Premier ministre de
François Mitterrand, constatant en 1982 qu’« il n’y a pas de frontière
fixée une fois pour toutes entre les activités du président de la
République et celles du Premier ministre. Par nature et par vocation,
le président de la République a autorité sur l’ensemble des
problèmes de la Nation » (cité in D. Chagnollaud et J.-L.
Quermonne, La Ve République, t. II, p. 68). Autrement dit, il existe
bien un domaine réservé, mais cette réserve ne joue que dans un
sens, pour interdire au Premier ministre d’intervenir dans le champ
d’action du Président, sans pour autant empêcher ce dernier
d’étendre ce domaine à sa guise en fonction des circonstances.
La principale question que soulève cette notion est celle de sa nature
juridique. Si l’on y regarde d’un peu plus près, on aperçoit en effet
deux phénomènes curieusement apparentés : d’une part, le fait
e
qu’un tel domaine a bien existé, notamment sous la III République,
au profit du chef de l’État, d’autre part, le fait que sous la Ve, le
domaine réservé a en partie survécu aux cohabitations qui se sont
succédé depuis 1986.
Sous la IIIe République, le Président, par ailleurs presque
complètement dépossédé de ses attributions, conserve un réel
pouvoir d’action en matière diplomatique et militaire : « je ne
permets à personne, proclame ainsi Jules Grévy, de diriger deux
choses : la guerre et les affaires extérieures […]. Les ministres sont
mes commis. S’ils ne marchent pas à ma fantaisie, je les change »
(cité in J. Massot, L’Arbitre et le Capitaine, p. 51). De fait, Grévy
interviendra activement dans ces secteurs, de même que ses
successeurs Carnot, Faure et Loubet, à l’origine de l’alliance franco-
russe, ou encore Poincaré, écrivant en janvier 1913 qu’il saura
« veiller à l’unité de la politique étrangère » (cité in A. Esmein et H.
Nezard, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, t. II,
p. 176-177). La position d’infériorité du Président ne l’empêche
donc ni de revendiquer ni d’assumer un tel rôle.
e
Or il en va de même, sous la V République, durant les périodes de
cohabitation. Le chef de l’État conserve alors une marge de
manœuvre significative en matière diplomatique – continuant par
exemple de représenter la France aux sommets internationaux ou
aux Conseils européens – comme en matière militaire : « Celui qui a
la responsabilité ultime de l’emploi de nos armes, expliquait ainsi le
président Mitterrand en novembre 1986, c’est le chef de l’État. »
« La décision finale n’appartient qu’à un seul » (cité in J. Massot,
L’Arbitre et le Capitaine, p. 282).
Faut-il en déduire que le domaine réservé du Président, ne
procédant pas d’un simple rapport de forces (dont il ne bénéficie
qu’en période de fait majoritaire), résulte d’une véritable règle de
droit, et donc qu’il possède la nature et la valeur d’une coutume
constitutionnelle ? Sans s’arrêter ici aux difficultés tenant à
l’existence même d’une telle coutume, il suffit, pour récuser cette
hypothèse, de constater trois faits.
D’abord, la légitimité d’un tel domaine n’a cessé d’être contestée.
Sous la IIIe République, elle le fut par les présidents du Conseil ou les
ministres de la Guerre, qui revendiquaient l’exclusivité de ces
interventions : c’est même pour cela que le président Casimir-Périer
démissionna en 1894, après avoir compris, quelques mois seulement
e
après son élection, qu’il ne pourrait rien faire. Sous la V République,
c’est l’opposition qui se scandalisera de « cette thèse inimaginable »
(F. Mitterrand, JO, Sénat, déb., 5 juillet 1961). Inlassablement
dénoncée, l’existence d’un tel domaine n’a donc jamais été conçue
comme obligatoire.
Ensuite, et corrélativement, cette pratique fit l’objet d’innombrables
e e
interruptions, sous la III , et plus encore sous la IV République.
Enfin, on doit reconnaître que l’intervention du Président en matière
diplomatique et militaire n’a pas la même signification sous la
e
V République que sous les Républiques précédentes ; et qu’au sein
e
de la V , le domaine réservé des « temps ordinaires » diffère
profondément de celui des périodes de cohabitation : dans un cas, il
s’agit d’une réserve que le Président peut étendre à sa guise et où
nul ne pénètre sans son aval, dans l’autre, d’un champ où il peut
s’aventurer, mais au risque de se heurter aux initiatives du Premier
ministre.
De toute évidence, on ne saurait donc parler de coutume. Mais
comment, alors, expliquer cette récurrence de l’intervention
présidentielle dans ces domaines particuliers ? Probablement, et
faute de mieux, par des raisons de fait. « En France, observait
Esmein, la continuité de vues qu’exige l’action diplomatique donne
au président de la République personnellement un rôle plus
important que dans la politique intérieure » (Éléments de droit
constitutionnel français et comparé, t. II, p. 176). Ce pouvoir, ajoutait
un ancien secrétaire général de l’Élysée, Abel Combarieu, est « né de
la nécessité de la politique » (cité in J. Massot, L’Arbitre et le
Capitaine, p. 51), et du fait que le Président demeure plus longtemps
en place que des ministres soumis à une instabilité chronique. À cet
« usage », le nouvel équilibre des pouvoirs résultant de la
Constitution de 1958 et les nouvelles perspectives assignées à l’État
se sont bornés à donner une densité accrue, sans pour autant en
modifier la nature : sans en faire autre chose que ce qu’il a toujours
été, une simple pratique.
Grâce présidentielle
Comment, lorsqu’on est chef de l’État, échapper à la singularité de la
fonction ? Telle est l’une des questions posées en 2015 par l’affaire
Jacqueline Sauvage, du nom de cette sexagénaire condamnée par
deux cours d’assises successives pour le meurtre de son mari, mais
graciée le 31 janvier de cette année par le président Hollande.
Prévu à l’article 17 de la Constitution de 1958, le droit de grâce est
en effet l’une des dispositions les moins « républicaines » de notre
Ve République. Ce droit, dit de « rémission », en ce qu’il permet au
chef de l’État de remettre tout ou partie de sa peine à une personne
condamnée, remonte à l’époque où le roi, « lieutenant de Dieu sur
terre », était à la fois souverain et source de justice : et par
conséquent, libre de réformer, au nom de cette justice, les effets de
décisions prises par les juridictions pénales. Cette dimension
monarchique avait d’ailleurs conduit la Révolution à supprimer le
droit de grâce – en vertu d’un décret pris par l’Assemblée
constituante quelques jours avant la fuite à Varennes, le 4 juin 1791.
Tout aussi logiquement, ce droit était absent des constitutions
républicaines de l’An I et de l’An III, mais il fut rétabli par le
Premier consul en 1802 – ce qui, notait Adolphe Thiers, revenait à
« assimiler autant que possible son autorité à celle de la royauté »
(A. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, Paulin, 1845, t.
III, p. 540). Par la suite, si on le retrouve dans les constitutions de la
IIe ou de la IVe République, c’est de façon encadrée et surtout,
dépersonnalisée, puisque le Président l’exerce après avis du Conseil
d’État dans la première, et « au sein du Conseil supérieur de la
magistrature » dans la seconde : exercice collégial censé retirer à ce
droit son caractère monarchique.
Mais en 1958, les constituants de la Ve République entendent rompre
avec cette logique : ils reviennent alors, avec l’article 17, à un
exercice personnel et, en fait, discrétionnaire du droit de grâce. À
l’époque, lors de l’élaboration de la Constitution, ce retour irrite les
représentants de l’autorité judiciaire, qui accusent cette « novation »
d’être en réalité une régression qui ramènerait l’État « très haut dans
l’évolution historique » (M. Chazelle, Comité consultatif
constitutionnel, 31 juillet 1958). Côté gaulliste, en revanche, on se
félicite de cette personnalisation, qui correspond au fait que le
« chef de l’État n’est responsable de l’exercice du droit de grâce que
devant sa conscience et devant Dieu (s’il y croit) » (Fr. Luchaire,
Comité interministériel, 30 juin 1958).
Le droit de grâce, en ce qu’il remet en cause les conséquences d’une
décision juridictionnelle parfaitement régulière, se situe de fait dans
la plus totale anormalité. Dans le dérogatoire absolu : ce que
conforte encore le fait que le décret de grâce n’est pas publié au
Journal officiel, comme s’il devait rester secret, et que sa légalité est
insusceptible d’être contestée devant le juge administratif. Une fois
pris, le décret de grâce est définitif, incontestable.
Voilà pourquoi François Hollande, qui, durant des années, avait
réclamé l’institution d’un « président citoyen » et vilipendé les
« dérives monarchiques » de la Ve, s’est toujours senti mal à l’aise
face à cette prérogative héritée des rois. Jusqu’ici, rappelait à l’hiver
2015 le site de l’Élysée, il ne l’avait utilisée « qu’une seule fois, en
permettant une libération conditionnelle sans éteindre la peine » au
profit de Philippe El-Shennawy, le plus ancien détenu de France,
incarcéré depuis 38 ans – ce qui ne portait qu’une atteinte minime à
l’autorité judiciaire. Mais il en allait tout autrement dans le cas de
Mme Sauvage – dont la condamnation définitive par la Cour d’assises
du Loir-et-Cher était toute récente, puisqu’elle remontait au
3 décembre dernier. Gracier la condamnée revenait ainsi à remettre
en cause les conséquences des jugements de deux cours d’assises
successives. À cet égard, le président Hollande aurait donc pu
détourner pudiquement le regard – en se réclamant de la tradition
républicaine, ou de la majesté de la loi, ou du respect de l’autorité
judiciaire, ou de la séparation des pouvoirs, ou même du principe
démocratique puisque le jugement avait été rendu par des jurys
citoyens. Ce qui lui aurait permis, en refusant la grâce, de
réendosser le costume du « président normal ».
Sauf qu’à cette place et dans cette fonction, c’est cette (pseudo)
normalité qui s’avère anormale. D’autant que, comme l’a montré
l’expérience de la Révolution, la suppression du droit de grâce
profite peut-être à l’institution judiciaire, mais jamais à la justice.
« Summum jus, summa injuria », dit un adage latin : le droit strict est
strictement injuste, ainsi que le prouve d’ailleurs le cas de
Mme Sauvage, cette dernière, si l’on s’en tenait à la loi, ne pouvant,
malgré des décennies de souffrance infligées par un mari
monstrueux, qu’être jugée coupable, et punie en conséquence.
Et c’est ainsi que François Hollande céda – sans que l’on puisse
savoir à quoi, ou à qui : à la pression des comités de soutien, des
médias et des 400 000 signatures lui demandant d’agir ainsi ? Ou à
la logique monarchique de sa fonction de chef de l’État ? Pourtant,
s’il y céda, ce fut de mauvaise grâce, non sans hésitations ni
réticences avouées... C’est ce qu’indiquait la communication publiée
par l’Élysée, où le président déclarait avoir voulu faire face à « une
situation humaine exceptionnelle », et où il affirmait n’avoir agi que
dans « le respect de l’autorité judiciaire » – alors que la grâce est par
définition le moyen ultime de passer, au nom de la justice, par-
dessus les limites, les blocages, les pesanteurs inhérents à cette
autorité judiciaire.
Nature du régime
e
La question de la nature de la V République a longtemps fait les
délices, et/ou le désespoir, des professeurs de droit. Ces derniers
disposaient en effet, depuis la fin du XIXe siècle, d’une classification
commode, qui leur permettait de ranger les démocraties
représentatives existantes dans deux cases bien déterminées : les
régimes parlementaires (caractérisés par la collaboration entre les
pouvoirs et la responsabilité du gouvernement) et les régimes
présidentiels (où les pouvoirs sont strictement séparés, et où
l’exécutif n’est pas responsable devant le Parlement). Or, il est clair
que la Ve République ne rentre dans aucune de ces deux catégories.
Malgré l’obligation implicite figurant dans la loi constitutionnelle du
3 juin 1958, et en dépit des affirmations de Michel Debré,
notamment lors de sa présentation du projet de Constitution au
e
Conseil d’État le 27 août 1958, la V République ne correspond que
d’assez loin au modèle parlementaire, qu’il soit « classique » ou
« rationalisé ». « Ce qui ne permet à personne de confondre le
gouvernement parlementaire [avec les autres systèmes], écrivait en
1860 le publiciste libéral Prévost-Paradol, c’est que [dans les autres
systèmes], le pouvoir ne soumet ses actes [aux assemblées] que dans
la mesure où il le juge convenable […]. Le caractère propre de ces
assemblées [des régimes non parlementaires], c’est de ne point
posséder le droit d’initiative, c’est de n’avoir d’autre aliment pour
leurs discussions que les propositions mêmes du pouvoir, c’est
surtout de n’avoir jamais […] sous la main les ministres
responsables » (Du gouvernement parlementaire, Paris, M. Lévy, 1860,
p. 8). La Ve République, on le voit, est assez loin du compte. Est-elle
pour autant un régime présidentiel ? Ici, on pourrait rappeler les
diatribes du général de Gaulle contre « ces néophytes » qui rêvaient
de faire de la Ve République un système à l’américaine, sans penser
qu’il en résulterait « la paralysie générale » et le retour au régime
des partis. Mais il suffirait d’évoquer la cohabitation pour constater
que la France, en tout état de cause, n’appartient pas à une catégorie
qui se caractérise par la disparition du Premier ministre.
Pour s’en tirer, certains ont alors essayé d’imaginer des catégories
intermédiaires : la Ve République serait à mi-chemin entre les deux,
mais tout de même un peu plus d’un côté, et de nature « semi-
présidentielle », sauf peut-être en cas de cohabitation, où elle serait
plutôt « semi-parlementaire ». Ces distinguo subtils n’ont convaincu
personne mais ils ont permis de prendre conscience du caractère
artificiel de ces classifications académiques – et, au-delà, du faible
intérêt scientifique des controverses sur la nature des démocraties
représentatives. Si tant est que l’on puisse parler de la nature d’un
régime, il semble donc aussi vain que difficile de définir celle de la
Ve République, ballottée, au gré des scrutins et au fil des révisions
successives, entre des formules presque opposées – sauf à admettre
qu’elle puisse périodiquement changer de nature…
En outre, l’intérêt d’une telle question a été relativisé par la montée
en puissance du Conseil constitutionnel et par l’émergence
consécutive de ce que certains ont appelé la « Constitution
normative ». Même s’il ne remet nullement en cause l’importance
primordiale des problèmes institutionnels, ce phénomène, qui
apparaît comme l’une des évolutions majeures du droit
constitutionnel contemporain, a conduit une part de la doctrine à
mettre l’accent sur d’autres types de notions et de distinctions que
celles qui prévalaient jusqu’alors – opposant par exemple l’État de
droit à l’État légal. Quant à savoir si ces distinctions sont plus
opératoires que celles qui prévalaient jusqu’alors… ?
Partis et élections
Si l’on s’en tient à l’article 4 de la Constitution, le rôle des partis
n’est que de concourir à l’expression du suffrage. En réalité, leur rôle
dans la vie politique s’est affirmé progressivement, jusqu’à leur
conférer un monopole de fait sur les principales élections politiques.
Pour certaines élections, et en particulier la présidentielle, la
législation applicable rend pratiquement impossible toute
candidature n’émanant pas directement des principaux partis
politiques. C’est en effet à travers le système du parrainage
obligatoire des candidatures (par des citoyens bénéficiaires d’un
mandat électif) que va se réaliser la mainmise des partis.
En 1962, au moment où l’on instaure l’élection du chef de l’État au
suffrage universel direct, ce système avait été établi afin d’empêcher
que n’importe qui puisse se présenter – ce qui aurait eu pour effet,
sans même parler des insurmontables difficultés pratiques, de
discréditer cette élection, ses résultats, et l’autorité du Président élu.
« Il faut bien, s’exclame alors le général de Gaulle, éviter
l’énergumène qui jettera le trouble » (cité in R. Belin, Lorsqu’une
République chasse l’autre, p. 222). Cependant, de Gaulle tenait aussi à
ce « qu’une personnalité libre de toute attache partisane, ne
disposant d’aucun appareil de soutien […] eût une chance de
briguer les suffrages. Limiter la compétition aux candidats en
mesure de mobiliser un réseau de parrains, c’était, pensait-il, faire la
part trop belle aux […] états-majors des partis » (E. Burin des
Roziers, Retour aux sources, p. 87). « Est-ce que la démocratie, ce
n’est pas, précisément, que tout le monde puisse se présenter à une
élection ? Le peuple fera le tri ! » (cité in A. Peyrefitte, C’était de
Gaulle, t. I, p. 238). C’est suivant cette perspective qu’après avoir
songé d’abord au chiffre de cinquante parrains, il accepte
finalement, sous la pression de son Premier ministre Georges
Pompidou, d’aller jusqu’à cent, mais refuse de suivre ce dernier, qui
suggère de monter jusqu’à mille, deux mille, « voire cinq mille »
parrains (ibid., p. 246), ce qui eût limité les candidatures aux
représentants des deux ou trois principaux partis. « Le Général
pensait qu’aller au-delà conduirait à donner aux partis politiques un
rôle […] capital dans la désignation des candidats » (R. Belin,
Lorsqu’une République chasse l’autre, p. 224).
C’est pourtant ce qui va arriver : après l’élection présidentielle de
1974, une loi organique du 18 juin 1976 relève la barre à cinq cents
parrainages, provenant d’au moins trente départements (ou TOM)
différents. Si l’on ajoute que ces parrainages sont uniques (on ne
peut parrainer qu’un seul candidat), publics, et qu’ils doivent être
recueillis dans un délai très bref, les choses sont claires. Désormais,
il est pratiquement impossible de se présenter à la présidentielle si
l’on ne dispose pas, au niveau local et sur l’ensemble du pays, d’un
réseau dense, bien implanté, qui ne peut être que celui d’un grand
parti. Or, comme le notait Maurice Duverger, « le choix des
candidats à la présidence est un élément aussi important que le
choix entre ces candidats ». C’est pourquoi, « dans les nations
développées, aucune élection présidentielle n’a donné la victoire à
une personnalité indépendante des grands partis » (M. Duverger, La
Monarchie républicaine, R. Laffont, 1974, p. 54 et 55).
À bien des égards, il en va de même pour les votations référendaires
qui, dans l’esprit des constituants, avaient pourtant pour but de
court-circuiter les structures partisanes en rendant la parole au
peuple. Ici, les effets de la loi ont été amplifiés par la jurisprudence,
constitutionnelle et administrative, qui a eu pour conséquence
d’attribuer aux partis un véritable monopole d’expression. Ceux-ci
sont seuls habilités à participer à la campagne officielle, et ils y
participent proportionnellement à leur représentativité (CE Ass.,
28 octobre 1988, CNIP, R., p. 385 ; CE Ass., 10 septembre 1992,
Galland, R., p. 343 ; CE Ass., 1er septembre 2000, Larrouturou, Meyet
o
et autres, concl. H. Savoie, RFDA n 5, 2000, p. 1002 ; ainsi que CC,
23 août 2000, Hauchemaille, Larrouturou, LPA, 29 août 2000, p. 12).
Ainsi le décret du 18 août 2000 organisant la campagne en vue du
référendum du 24 septembre a-t-il réparti le temps de parole de la
campagne télévisée officielle entre les partis, et non sur la base d’un
partage égal entre partisans et adversaires d’une réduction du
mandat présidentiel : ce qui, la quasi-totalité des grands partis étant
favorables au « oui », entraînait un déséquilibre flagrant en faveur
de cette position. Malgré cela, le juge constitutionnel a estimé
qu’« en réservant aux partis ou groupements politiques l’accès aux
émissions [officielles], les auteurs du décret n’ont fait que mettre en
œuvre les dispositions de l’article 4 de la Constitution », sans violer
ni le principe de libre communication des pensées et des opinions,
ni « l’exigence constitutionnelle du pluralisme » (CC, 6 septembre
2000, Pasqua, LPA, 13 septembre 2000, p. 15).
Sans doute un tel monopole peut-il se justifier pour des raisons de
fait, ou de « faisabilité ». Juridiquement, en revanche, il paraît
beaucoup moins fondé, notamment au regard des termes mêmes de
l’article 4, et de l’intention des constituants qui redoutaient
précisément qu’il ne fût interprété de cette façon. En outre,
observait Mitterrand en 1972, « peut-on dire que l’on respecte les
citoyens à qui on demande un oui massif quand on leur refuse le
droit à une information équitable ? Quand le temps de parole est
réparti à [la télévision] de telle manière que les partisans du oui
[…] peuvent disposer de quatre fois plus de temps que l’ensemble
de leurs adversaires ? » (Le Figaro, 19 avril 1972). Sur un plan
politique, enfin, ce monopole n’est pas sans susciter quelques
interrogations, à une époque où la « crise des partis politiques » (cf.
H. Portelli, La Ve République, p. 505 sq.) et l’effondrement de leur
représentativité met en cause leur fonction de modes d’expression
privilégiés de la société civile : ce dont témoignent du reste, de
façon spectaculaire, les résultats du référendum du 24 septembre
2000, son abstentionnisme record et le niveau inédit des votes
blancs et nuls…
Ainsi les consultations présidentielles et référendaires, précisément
conçues pour libérer les moments essentiels de la vie politique de
l’emprise des partis – et initialement en butte à l’hostilité de ces
derniers – se trouvent-elles désormais entièrement entre leurs
mains : renversement symptomatique de l’évolution du système.
►Bibliographie
C. BOUTIN et F. ROUVILLOIS (dir.), Partis politiques et démocratie, F.-X.
de Guibert, 2005.
Représentation proportionnelle
Les manuels de droit public opposent traditionnellement au scrutin
majoritaire, efficace mais injuste, une représentation proportionnelle
certes juste, mais totalement inefficace. De fait, la représentation
proportionnelle, qui s’efforce d’assurer à chaque parti, dans les
instances élues, une représentation en rapport avec sa force
numérique, se fonde sur la justice, et sur ce que l’on peut considérer
comme la logique démocratique, en vertu de laquelle, si la majorité
gouverne, tous doivent être représentés, pas seulement ceux qui ont
voté pour cette majorité. Mais cet argument de justice a longtemps
permis aux adversaires de la proportionnelle de lui dénier toute
efficacité pratique : conforme à l’idéal, ce mode de scrutin serait,
dans les faits, littéralement catastrophique.
En particulier, on lui a souvent reproché d’entraîner l’émiettement
inéluctable de la représentation et des partis, et d’empêcher par
conséquent toute constitution de majorités cohérentes et stables.
« Une société politique doit avoir un gouvernement », expliquait au
début du XXe siècle le leader libéral belge Frère-Orban. Or, ajoutait-
il, le scrutin proportionnel « est un artifice imaginé pour entraver,
énerver, paralyser la majorité. Quelle est la suite de l’introduction
de cet engin dans l’institution politique ? C’est que, après avoir
fractionné, divisé, ce qui empêche qu’il y ait une majorité, les
groupes ne sont plus occupés qu’à une chose, c’est à essayer de
former une majorité », qui sera inévitablement de coalition, c’est-à-
dire, incertaine et fragile. En somme, entravant l’unité d’action au
sein des chambres, la représentation proportionnelle « porte atteinte
au régime parlementaire, au prestige et à la force du pouvoir ». Un
demi-siècle plus tard, Michel Debré, pourfendant une représentation
proportionnelle comparée à une véritable « bombe atomique » qui
tue le pouvoir à coup sûr (cf. La Mort de l’État républicain, Gallimard,
1947, p. 157 sq.), ne dira rien de plus.
À une époque comme la nôtre, où l’efficacité de l’autorité et des lois
est devenue un impératif catégorique, on ne saurait se satisfaire d’un
scrutin qui, si équitable soit-il, constitue sur ce plan un obstacle
majeur. Pourtant, ce vice rédhibitoire est-il aussi évident que le
prétendent ses détracteurs ? En l’espèce, les mutations
contemporaines du système institutionnel obligent à conclure qu’en
définitive, ce lieu commun a perdu à peu près toute pertinence. Sous
certaines conditions (notamment de « seuil »), en effet, la
représentation proportionnelle, si elle reste par définition plus
« juste » que le scrutin majoritaire, pourra s’avérer tout aussi
efficace que ce dernier.
Pourquoi ? D’abord, parce que les régimes parlementaires ont
quelque peu évolué depuis la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, en effet,
ce n’est plus le Parlement qui agit, qui gouverne, qui décide ; ce
n’est plus lui qui se trouve au centre de l’État, c’est l’exécutif,
dominé, en France, par un président de la République élu au
suffrage universel direct – et échappant de ce fait, tout comme les
ministres qu’il nomme, aux effets supposés désastreux du scrutin
proportionnel.
À cet égard, ce dernier ne pourrait porter atteinte à l’autorité de
l’État que s’il influait directement sur la détermination des
responsables de l’exécutif – comme c’est le cas, de façon
effectivement très problématique, en Israël.
En France, en revanche, dans le cadre de la Constitution du
4 octobre 1958, la (prétendue) nuisance de la représentation
proportionnelle ne saurait, vu la situation réelle du pouvoir au sein
de l’État, être que relativement dérisoire.
Limitée à une Assemblée nationale dotée pour l’essentiel d’un rôle
de représentation, de contrôle et d’expression, la proportionnelle ne
présente plus de nos jours aucun des risques que l’on pouvait
craindre à l’époque, lointaine, où les chambres concentraient entre
leurs mains la totalité du pouvoir de décision. Et non seulement le
risque a disparu, mais la fonction tribunicienne que revendique
désormais le Parlement, pourrait être mieux assurée par une
Assemblée élue au scrutin proportionnel, et reflétant plus
exactement, dans sa composition, la variété de l’opinion publique.
En définitive, c’est le système tout entier qui en profite : sans
compter que ce débouché électoral « normal », s’il permet de
satisfaire des partis jusque-là non représentés, peut également avoir,
pour ces derniers, un effet de « dégonflage », en plaçant leur
électorat devant ses responsabilités, puisqu’il ne s’agit plus
simplement d’émettre un vote protestataire sans véritables
conséquences, mais bien d’envoyer des représentants au Parlement.
Dans le même ordre d’idées, on peut noter que la représentation
proportionnelle élargit l’offre électorale, c’est-à-dire non pas le
nombre des candidats qui se présentent, mais celui des candidats
susceptibles d’être élus. Par suite, on peut estimer qu’elle aurait
vraisemblablement une incidence positive sur le taux de
participation électorale, l’abstention étant due pour partie à
l’insuffisance de cette offre – et au sentiment d’inutilité d’un vote
qui, porté sur un candidat minoritaire, serait destiné à rester sans
effets.
Enfin, l’instauration d’une dose de proportionnelle aurait
vraisemblablement pour effet de neutraliser l’impact du scrutin
majoritaire qui, en démultipliant mécaniquement l’importance des
déplacements de vote, suscite artificiellement le phénomène des
« vagues », tantôt roses, tantôt bleues, se succédant les unes aux
autres : bref, de neutraliser ces basculements violents et répétitifs, et
d’assurer ainsi à la représentation parlementaire une relative
stabilité : ce qui paraît particulièrement indispensable de nos jours,
mais aussi beaucoup plus conforme à la situation réelle de l’opinion
publique.
►Bibliographie
E. FABRY (dir.), Plus de proportionnelle pour mieux représenter la société
civile ?, Fondation pour l’innovation politique, 2007.
Souveraineté du constituant
Le principe de la souveraineté du constituant a été réaffirmé par le
Conseil constitutionnel dans sa décision 92-312 DC du 2 septembre
1992 : « Le pouvoir constituant est souverain […]. Il lui est loisible
d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur
constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée […]. Ainsi
rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution
des dispositions nouvelles qui […] dérogent à une règle ou à un
principe de valeur constitutionnelle. »
La souveraineté se manifeste par la capacité de créer des normes
constitutionnelles, et de le faire de la manière dont l’entend le
titulaire de ce pouvoir. Elle se manifeste donc par l’absence de
limites à son intervention. En l’occurrence, il est vrai, le Conseil
constitutionnel rappelait l’existence de deux séries de bornes au
pouvoir de révision, la première tenant au contexte de la révision, la
seconde, à son contenu. Pour lui, cette souveraineté du constituant
s’appréciait en effet « sous réserve, d’une part, des limitations
touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la
Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent
des articles 7, 16 et 89, alinéa 4 du texte constitutionnel, et, d’autre
part, du respect des prescriptions du 5e alinéa de l’article 89 en
vertu desquelles “la forme républicaine du gouvernement ne peut
faire l’objet d’une révision” ».
L’article 89, alinéa 4 (« Aucune procédure de révision ne peut être
engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du
territoire »), est un souvenir de juillet 1940, où, à la faveur de la
défaite, la IIIe République fut abolie et remplacée par le
gouvernement du maréchal Pétain. Les articles 7 in fine et 16 visent
également à interdire une révision arrachée au peuple à l’occasion
d’une crise ouverte par la vacance de la présidence, ou par
l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics.
Quant à l’article 89, alinéa 5 (« La forme républicaine du
gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision »), il reprend mot
pour mot une disposition introduite dans la Constitution de la
e
III République par l’article 2 de la loi constitutionnelle du 14 août
1884, avant d’être reprise dans celle de 1946. Dans tous les cas, il
s’agissait donc de marquer très fortement l’impossibilité d’une
dérive autocratique ou dictatoriale, fût-elle consacrée dans les
formes ou acclamée par le peuple – auquel on signifie ainsi qu’il n’a
pas la possibilité de renoncer à sa propre souveraineté.
Cependant, on s’est longtemps interrogé sur la consistance de ces
limites, et donc sur l’existence de bornes effectives à la souveraineté
du constituant. Depuis peu, le Conseil constitutionnel, en se
déclarant incompétent en toute hypothèse pour connaître des
révisions (03-469 DC du 26 mars 2003), semble du reste avoir
tranché la question en faveur de la reconnaissance d’une pleine
souveraineté, renonçant à évoquer comme à mettre en œuvre des
règles supra-constitutionnelles.
Les limites précitées, établies par le texte constitutionnel, et
rappelées par le Conseil dans sa décision du 2 septembre 1992,
souffraient, dès l’origine, de leur manque de précision. Le reproche
valait tout spécialement pour la principale d’entre elles,
l’intangibilité de la forme républicaine du gouvernement énoncée
par l’article 89, alinéa 5. Celle-ci peut certes signifier, si on
l’interprète de manière stricte, l’interdiction d’une restauration
monarchique par une simple révision (telle était l’intention de ses
premiers auteurs, en 1884). Mais elle pourrait aussi faire l’objet
d’une lecture extensive, impliquant l’intangibilité, non seulement
des structures institutionnelles, mais aussi des valeurs ou des grands
principes « républicains » – ce qui serait susceptible d’inclure le
respect de la souveraineté nationale, l’indivisibilité de l’État ou son
indépendance monétaire. Selon qu’on l’interprète d’une manière ou
d’une autre, cette limite pourrait donc s’avérer dérisoire, ou très
contraignante. Dans cette seconde hypothèse, elle conférerait au
juge constitutionnel un pouvoir créatif démesuré : « contrôler la
révision, surtout au regard d’un critère potentiellement aussi
attractif que la “forme républicaine du gouvernement”, n’est-ce pas
en effet », s’interrogeait J.-E. Schoettl, « refuser à la représentation
nationale la possibilité de surmonter les déconvenues que lui inflige
la jurisprudence du Conseil par ce “lit de justice” dont il a été
question à propos de la révision constitutionnelle de 1993 sur le
droit d’asile, révision qui a servi à contrer la décision du Conseil du
13 août 1993 ? […] N’est-ce pas [lui] fournir une arme redoutable
susceptible de mettre à mal la souveraineté nationale et le suffrage
universel ? » (J.-E. Schoettl, « Le Conseil constitutionnel peut-il
contrôler une loi constitutionnelle ? », LPA, 8 avril 2003, p. 20).
De fait, dans sa décision de 1992, le Conseil opérait une distinction
implicite entre le constituant originaire, le peuple, dont il renonçait
d’emblée à contrôler l’expression, et le constituant dérivé, le
Congrès, seul susceptible, en définitive, d’être sanctionné en cas de
non-respect des limites inscrites dans la Constitution. Malgré la
lettre de l’article 89, le peuple et le Congrès, placés par cet article
dans une situation d’égalité, se trouvaient au fond dans des positions
radicalement différentes au regard de ces limites : le peuple,
constituant originaire, conservait sa pleine liberté en tout état de
cause, et il échappait, pour cette raison, à toute sanction que
pourrait prononcer contre sa décision un organe constitué. C’est ce
que semblait déjà laisser entendre le Conseil constitutionnel dans sa
décision du 6 novembre 1962, lorsqu’il prit soin de rappeler que les
lois « adoptées par le peuple à la suite d’un référendum, constituant
l’expression directe de la souveraineté nationale » (cons. 2), se
situent par nature hors de sa portée.
►Bibliographie
O. BEAUD, « La souveraineté de l’État, le pouvoir constitutionnel et le
traité de Maastricht », RFDA, 1993, p. 1045-1068.
F. CHALTIEL, « La souveraineté du pouvoir constituant dérivé :
développements récents », LPA, 20 juin 2003, p. 7 sq.
B. GENEVOIS, « Les limites d’ordre juridique à l’intervention du
o
pouvoir constituant », RFDA, n 14, 1998, p. 909-921.
BIBLIOGRAPHIE
Abstentionnisme : 1-2, 3
Acte administratif : 1
Acte(s) :
– détachable(s) : 1, 2, 3, 4
– matériel(s) : 1-2, 3
Alternance : 1-2
Amendement : 1n23, 2n26, 3-4, 5-6, 7, 8
Arbitrage, arbitre : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11n15,
12n16, 13, 14, 15, 16
Assemblée constituante : 1-2, 3n1, 4, 5
Assemblées :
– bureau : 1-2, 3, 4
– commission d’enquête : 1, 2n2
– commissions parlementaires : 1, 2n12
– conférence des présidents : 1, 2-3, 4, 5-6, 7, 8, 9
– groupes d’opposition ou minoritaires : 1, 2-3
– groupes politiques : 1, 2, 3n17, 4-5, 6
– ordre du jour : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12
– président : 1-2, 3-4
– règlement : 1, 2, 3, 4, 5
– sessions : 1, 2-3
Autorité judiciaire : 1n7, 2-3, 4, 5n10
Ballottage : 1, 2
Bicamérisme : 1, 2
Bloc de constitutionnalité : 1, 2-3, 4-5, 6-7, 8-9, 10
Bonapartisme : 1, 2, 3
Campagne électorale : 1, 2, 3, 4
Charte de l’environnement de 2004 : 1, 2-3, 4
Charte européenne des langues régionales et minoritaires : 1, 2-3
Chef du gouvernement : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8
Citoyen, citoyenneté : 1-2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9-10, 11, 12,
13-14, 15-16, 17, 18, 19, 20, 21, 22-23, 24, 25, 26, 27,
28, 29-30, 31, 32, 33-34, 35, 36
Citoyen consommateur : 1
Cohabitation : 1-2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10-11, 12, 13, 14,
15n6, 16, 17, 18-19, 20, 21, 22, 23-24, 25-26, 27, 28,
29, 30-31, 32-33, 34
Comité consultatif constitutionnel : 1, 2n3, 3, 4, 5
Commission chargée des affaires européennes : 1, 2-3
Commission mixte paritaire : 1n20, 2-3
Commission de rénovation et déontologie de la vie publique : 1,
2n14, 3n5
Congrès (articles 1 et 2) : 3, 4-5, 6, 7, 8, 9
Conseil constitutionnel : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10, 11-
12, 13, 14n4, 15, 16, 17, 18-19, 20, 21-22, 23-24, 25,
26n15, 27-28, 29, 30, 31, 32, 33, 34-35, 36, 37-38, 39-
40, 41, 42n15, 43, 44, 45-46, 47-48, 49, 50, 51, 52,
53n1, 54-55, 56, 57-58, 59, 60-61, 62-63, 64n8, 65, 66-
67, 68-69, 70-71, 72-73, 74-75, 76-77, 78-79, 80-81, 82-
83, 84-85, 86, 87-88, 89, 90-91, 92, 93-94, 95, 96, 97-
98, 99
– autorité des décisions : 1, 2-3
– conformité sous réserve : 1
– contentieux électoral et référendaire : 1, 2n11
– contrôle par voie d’action : 1, 2-3
– décision du 16 juillet 1971 : 1n12, 2, 3-4, 5
– décision du 1 janvier 1975 : 2, 3-4
– désistement : 1, 2
– effet du contrôle : 1-2, 3, 4, 5-6
– exception d’inconstitutionnalité : 1, 2, 3, 4
– jurisprudence : 1, 2-3, 4, 5
– membres : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8
– président : 1-2, 3-4, 5, 6
– saisine : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10n11, 11, 12, 13,
14
Conseil d’État : 1, 2n12, 3-4, 5, 6, 7n15, 8n5, 9, 10,
11n21, 12, 13-14, 15, 16, 17-18, 19n9, 20, 21, 22, 23,
24n4, 25-26, 27, 28-29, 30, 31, 32
Conseil de cabinet : 1
Conseil des ministres : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7, 8, 9, 10-11, 12,
13, 14, 15-16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23
Conseil économique et social et environnemental : 1-2, 3
Conseil supérieur de la magistrature : 1, 2-3, 4, 5
Constituant : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
– souveraineté du : 1, 2, 3, 4-5
Constitution de 1848, IIe République : 1n3, 2n16, 3n6
e
Constitution de 1875, III République : 1, 2
e
Constitution de 1946, IV République : 1, 2n11, 3, 4-5, 6,
7n16, 8n6, 9, 10, 11n3, 12, 13, 14-15, 16
Constitution de 1958 :
– article 3 : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8
– article 4 : 1, 2-3
– article 1 : 2, 3, 4, 5, 6
– article 1 : 2
– article 1 : 2, 3
– article 1 : 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14
– article 1 : 2, 3n3
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9
– article 1 : 2
– article 1 : 2-3, 4, 5n16, 6, 7
– article 1 : 2, 3
– article 1 : 2
– article 1, pouvoirs propres, pouvoirs partagés : 2-3, 4, 5, 6,
7
– article 1 : 2, 3, 4, 5
– article 1 : 2, 3, 4, 5, 6, 7-8
– article 1 : 2, 3
– article 1, domaine de la loi : 2, 3, 4, 5
– article 1-2 : 3-4
– article 1 : 2, 3, 4-5, 6
– article 1 : 2, 3, 4
– article 1 : 2, 3
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6n19, 7
– article 1 : 2-3, 4
– article 1, al. 1 : 2-3, 4
– article 1, al. 2 : 2
– article 1, al. 3 : 2, 3, 4, 5-6
– article 1 : 2, 3, 4, 5
– article 1 : 2, 3, 4n3, 5-6, 7
– article 1 : 2, 3-4
– article 1 : 2, 3
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6
– article 1-2 : 3-4, 5
– article 1-2 : 3
– article 1-2 : 3, 4
– article 1-2 : 3, 4, 5-6
– article 1-2 : 3, 4-5, 6, 7
– article 1 : 2, 3-4, 5, 6, 7, 8n12, 9, 10, 11, 12
– article 1, al. 5 : 2, 3
– préambule : 1-2, 3-4, 5, 6-7, 8
Constitution européenne : 1, 2-3, 4, 5, 6
Contreseing : 1, 2-3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10-11
Corps électoral : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Corse :
– peuple : 1-2
– statut : 1
Cour de justice de la République : 1-2, 3, 4-5
Cour pénale internationale : 1, 2-3
Cour suprême des États-Unis : 1, 2, 3, 4n9
Coutume constitutionnelle : 1, 2
Crise : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17n7, 18, 19, 20, 21
Cumul des mandats : 1, 2, 3
Décentralisation : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8n11, 9-10
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : 1, 2,
3, 4-5
Découpage électoral : 1
Décrets délibérés en Conseil des ministres : 1-2, 3, 4
Démission : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10n2, 11-12, 13, 14-
15, 16, 17, 18, 19n2, 20-21, 22-23, 24-25, 26, 27, 28
Démocratie semi-directe : 1, 2, 3, 4
Département ministériel : 1, 2-3
Discours de Bayeux : 1-2, 3
Dissolution (droit de) : 1, 2-3
Domaine réservé : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9
Droits fondamentaux : 1, 2n1, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Durée du mandat : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10
Dyarchie : 1, 2, 3
Effectivité : 1-2, 3, 4, 5-6
Élection(s) :
– européennes : 1n17, 2, 3, 4, 5, 6
– législatives : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10, 11n2, 12-13,
14n23, 15, 16, 17, 18, 19
– municipales : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
– présidentielle : 1, 2, 3-4, 5-6, 7, 8, 9-10, 11, 12-13,
14, 15, 16, 17-18, 19-20, 21-22, 23, 24, 25, 26n2, 27,
28n23, 29, 30, 31-32, 33-34
– sénatoriales : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7
Empêchement : 1-2, 3, 4, 5
Engagements internationaux : 1, 2, 3, 4-5
– contrôle : 1-2
– supériorité sur la loi : 1, 2-3, 4-5
– valeur infra-constitutionnelle : 1-2, 3
Esprit de la Constitution : 1-2, 3-4, 5-6, 7, 8, 9, 10n11, 11,
12, 13, 14-15
État de droit : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8
Étude d’impact : 1
Financement politique : 1-2, 3-4, 5, 6
Forme républicaine du gouvernement : v. article 1, al. 5
Gouvernement des juges : 1, 2
Grâce : 1-2, 3-4
Haute Autorité pour la transparence de la vie publique : 1, 2
Haute Cour de Justice : 1-2, 3
Haute trahison : 1-2, 3-4, 5
Hiérarchie : 1
– des normes constitutionnelles : 1, 2, 3, 4
– ministérielle : 1-2
Hyperprésidence : 1
Immunité parlementaire : 1
Incompatibilité :
– ministérielle : 1
– parlementaire : 1, 2-3, 4, 5
Individualisation des peines : 1n4
Inéligibilité : 1, 2-3, 4, 5-6, 7n3
Instabilité ministérielle : 1, 2, 3, 4
Intérim : 1-2, 3, 4
Irrecevabilité : 1, 2, 3, 4, 5
Judiciarisation : 1
Légalité des délits et des peines (principe de) : 1, 2
Législature : 1, 2, 3
Liste électorale : 1, 2, 3, 4
Lobby : 1
Loi :
– de finances et de financement de la Sécurité sociale : 1, 2
– du 3 juin 1958 : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7
– du pays : 1
– organique : 1n6, 2n10, 3n3, 4-5, 6-7, 8, 9, 10-11, 12,
13, 14, 15-16, 17-18, 19, 20, 21, 22n10, 23, 24, 25,
26, 27-28, 29, 30, 31, 32, 33, 34
– référendaire : 1, 2, 3-4
LOLF : 1
Mandat :
– impératif : 1, 2, 3
– renouvellement : 1, 2-3, 4, 5
Message (droit de) : 1, 2, 3
Ministre(s) : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7-8, 9, 10
Monarchie républicaine : 1
Motion de censure : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10n19
Nationalité : 1-2
Normes dérivées : 1-2, 3
Objectifs à valeur constitutionnelle : 1
Opinion publique : 1, 2, 3, 4, 5, 6-7
Ordonnance(s) :
– du 2 janvier 1959 : 1, 2, 3
– de l’article 1 : 2, 3, 4
– de l’article 1 : 2, 3
Parité hommes-femmes : 1, 2, 3-4, 5
Parlement (renouveau du) : 1, 2, 3n4
Parlementarisme rationalisé : 1, 2, 3, 4
Parrainage : 1-2, 3, 4, 5-6
Parti(s) : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7-8, 9, 10, 11n10, 12, 13, 14,
15-16, 17, 18, 19-20, 21
Pétition : 1, 2-3
Peuple : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9, 10-11, 12-13, 14-15,
16-17, 18-19, 20, 21, 22-23, 24-25, 26n15, 27-28, 29,
30, 31, 32, 33, 34, 35-36, 37-38, 39-40, 41, 42-43, 44,
45-46, 47, 48, 49-50, 51, 52-53, 54, 55-56, 57-58, 59n6,
60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67-68, 69-70
Plébiscite : 1, 2
Pluralisme : 1, 2, 3, 4, 5
Pouvoirs :
– partagés : 1-2, 3, 4, 5
– propres : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Premier ministre : 1, 2-3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15-16, 17n11, 18-19, 20, 21, 22, 23, 24-25, 26, 27-
28, 29-30, 31-32, 33-34, 35-36, 37, 38-39, 40-41, 42, 43,
44, 45-46, 47-48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 57,
58, 59
Président normal : 1n1, 2
Président de la République : 1n3, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8-9, 10,
11-12, 13, 14, 15-16, 17, 18, 19, 20-21, 22, 23, 24-25,
26, 27-28, 29-30, 31, 32, 33-34, 35, 36-37, 38-39, 40,
41, 42, 43, 44, 45-46, 47, 48, 49, 50, 51n10, 52, 53,
54-55, 56-57, 58-59, 60-61, 62, 63, 64
Principes :
– fondamentaux reconnus par les lois de la République : 1, 2-3
– généraux du droit : 1n4, 2
– particulièrement nécessaires à notre temps : 1
Procès constitutionnel : 1-2
Question(s) écrites/orales : 1, 2-3
Quinquennat : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8, 9, 10
QPC : 1n4, 2, 3-4, 5-6, 7-8, 9n14, 10, 11n9, 12n12, 13,
14-15
Rapport Balladur : 1, 2, 3, 4
Rapport Vedel : 1, 2, 3, 4, 5, 6
Référendum : 1, 2, 3-4, 5, 6-7, 8, 9, 10-11, 12n3, 13,
14-15, 16-17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27,
28, 29-30, 31, 32, 33-34, 35, 36, 37, 38
– local : 1, 2-3, 4-5
– obligatoire : 1, 2n6, 3, 4-5
Régime :
– d’assemblée : 1, 2, 3, 4, 5
– parlementaire : 1-2, 3, 4, 5, 6n10, 7, 8, 9, 10, 11,
12, 13
– présidentiel : 1, 2-3, 4, 5n11, 6-7, 8
– semi-présidentiel : 1, 2
Règlement autonome : 1-2, 3-4
Remaniement : 1, 2
Résolutions européennes : 1
Responsabilité : 1
– devant le chef de l’État : 1, 2
– devant le Parlement : 1, 2
– du gouvernement : 1, 2, 3, 4, 5-6, 7, 8-9, 10
– pénale des ministres : 1n7, 2, 3
– pénale du Président : 1, 2, 3-4, 5-6, 7-8, 9
– politique : 1, 2, 3, 4n18, 5-6, 7, 8, 9-10, 11
Révision constitutionnelle : 1, 2, 3-4, 5, 6, 7, 8, 9n3, 10,
11, 12n12, 13, 14
Révision de 1963 : 1, 2n14
Révision du 1 juillet 2008 : 2, 3-4, 5n3, 6, 7, 8, 9, 10, 11,
12-13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22n1, 23n2, 24
Révolution : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7n1, 8, 9, 10, 11, 12, 13,
14, 15
Scrutin :
– majoritaire : 1, 2-3, 4-5
– proportionnel : 1, 2-3
SDF : 1
Séance publique : 1, 2, 3-4, 5
Séparation des pouvoirs (principe de) : 1, 2, 3, 4, 5, 6
Septennat : 1, 2-3, 4, 5
Souveraineté : 1, 2-3, 4, 5, 6, 7-8, 9-10, 11, 12, 13-14,
15, 16, 17-18, 19-20, 21-22, 23, 24n15, 25, 26, 27-28,
29-30, 31-32, 33, 34-35, 36-37, 38, 39, 40, 41, 42, 43,
44n13, 45, 46, 47, 48, 49, 50-51, 52n9, 53-54, 55, 56-
57
Subsidiarité (principe de) : 1, 2-3, 4
Suffrage universel : 1n3, 2, 3, 4-5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13-14, 15-16, 17, 18n2, 19, 20, 21, 22, 23, 24
Tradition :
– (ou pensée) libérale : 1, 2-3, 4, 5
– républicaine : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10n1, 11, 12,
13
Traité :
– d’Amsterdam : 1, 2, 3
– de Lisbonne : 1-2, 3, 4-5
– de Maastricht : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9-10
– de Rome sur la Constitution européenne : 1, 2, 3, 4
Union européenne : 1-2, 3, 4, 5-6, 7n6, 8n17, 9, 10, 11-
12, 13, 14, 15, 16
Vacance : 1, 2, 3, 4-5, 6, 7
Veto : 1-2, 3, 4, 5, 6, 7, 8-9
Vice-président : 1, 2, 3n5, 4
Vote bloqué : 1-2
Vote personnel : 1-2, 3, 4
TABLE
Glossaire critique
Bibliographie
Index
Notes
2. J. Domat, Traité des lois, in Les Lois civiles dans leur ordre naturel,
Durand, 1777, p. VI et XXIV.
3. Ainsi le garde des Sceaux D. Perben déclarait-il, en 2003, pour
justifier le projet de révision du statut pénal du chef de l’État, que
« le texte respecte l’esprit de la Constitution, car il donne la
responsabilité de la destinée du Président à l’autre pouvoir issu du
suffrage universel qu’est le Parlement » (Le Monde, 3 juillet 2003).
Toute la question est ici de savoir si, selon cet esprit, ce n’est pas
plutôt au peuple souverain, et à lui seul, qu’il appartient de défaire
ce qu’il a fait – autrement dit, de destituer celui qu’il a élu.
4. F. Luchaire, « De la méthode en droit constitutionnel », RDP,
1981, p. 315.
5. Cité in D. Maus, Textes et documents sur la pratique institutionnelle
de la Ve République, La Documentation française, 2e éd., 1982,
p. 223.
6. Décision no 62-20 DC, 6 novembre 1962 ; voir, de même, la
décision no 01-444 DC, 9 mai 2001 relative à la loi organique
modifiant la date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée
nationale ; en l’espèce, la référence à l’esprit de la Constitution avait
été implicitement avancée pour justifier l’« inversion du
calendrier ».
7. 15 décembre 1965, in DM, t. IV, p. 453.
8. 31 janvier 1964, in DM, t. IV, p. 168.
9. Cf. M. Debré, Trois Républiques pour une France, Mémoires, Albin
Michel, 1988, t. II, p. 417.
10. Cf. M. Prélot, Pour comprendre la nouvelle Constitution, 2e éd.,
Paris, Le Centurion, 1959, p. 46-49.
11. L’Esprit des lois, livre VIII, chap. I.
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi
fi