Vous êtes sur la page 1sur 18

Licence 

1ère année Droit  
Année universitaire 2021– 2022 Cours de M. GUILLOU

DROIT CONSTITUTIONNEL
  

FICHE N°2

Présentation des grandes étapes de 


l’histoire constitutionnelle française

Documents à étudier :

Document 1. Laurent Habib, « La notion de Constitution », Institutions et vie politique, La


documentation française, Paris, édition mise à jour de 1997, p17
Document 2. « Les différents types de régimes », Institutions et vie politique, La documentation
française, édition mise à jour 1997, Paris, p6
Document 3. Les Constitutions de la France depuis 1789, Présentation par Jacques Godechot,
Garnier-Flammarion, Paris, 1970, p23
Document 4. Constitution du 3 septembre 1791 (extrait)
Document 5. Constitution du 5 Fructidore An III (22 août 1795) (extrait)
Document 6. Arrêté des Consuls du 20 floréal an X (10 mai 1802) portant que le peuple français sera
consulté sur cette question : Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul à vie ?
Document 7. Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 (extrait)
Document 8. Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics (extrait)
Document 9. Denis Baranger, « Le piège du droit constitutionnel », Jus Politicum, n° 3
[http://juspoliticum.com/article/Le-piege-du-droit-constitutionnel-146.html]
Document 10. « Les révisions constitutionnelles depuis 1958 », extrait du site de l’Assemblée
nationale [https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-
fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/la-revision-de-la-constitution]

Page 1 sur 18
Document 1. Laurent Habib, « La notion de Constitution », Institutions et vie politique, La
documentation française, édition mise à jour 1997, Paris, p17.

« Pardonnez aux constitutionnalistes, car ils ne savent pas de quoi ils parlent. Le néophyte éprouvera
sans doute de l’étonnement ou de l’agacement à voir les spécialistes s’interroger toujours et encore sur
la notion de Constitution. Pourtant, par ses enjeux et par ses conséquences, la question est
d’importance. Il s’agit de déterminer un objet certes, mais plus encore d’apprécier la part du fait et du
droit, du volontaire et de l’accident ou de la destinée. Les animateurs du débat ne sont pas innocents :
querelle de propriété sans doute qui partage les juristes, soucieux d’affirmer la prééminence du droit,
aux politistes, qui souhaitent eux ne parler que du fonctionnement réel des institutions. Le débat se
brouille plus encore lorsque la symbolique du mot Constitution s’en mêle : « Constitution »,
instrument de lutte contre le pouvoir absolu du monarque, garantie des droits individuels et collectifs,
manifestation de l’indépendance à l’égard du pouvoir colonial, affirmation de l’unité Etat-Nation…
Mais, s’il est possible de dégager aujourd’hui une conception dominante de la notion de Constitution
— tenant lieu de « vérité pédagogique » — il paraît difficile de ne pas en faire aussi la critique, tant
sur le plan factuel que sur un plan logique.

Il y a en principe deux manières de définir la Constitution selon que l’on privilégie une approche
matérielle ou formelle. La définition matérielle s’attache à décrire l’objet de la Constitution ; la
définition formelle s’attache au contraire à définir la Constitution par sa forme ou, par extension, par
sa procédure d’adoption ou encore par son auteur. En réalité, le point de vue matériel est le plus
souvent rejeté par les juristes au profit du point de vue formel.

La définition matérielle et ses conséquences

On peut considérer qu’il existe deux types de définitions matérielles.

 Le premier vise à prescrire un mode d’organisation des pouvoirs : l’article 16 de la


Déclarations des droits de l’homme et du citoyen de 1789 affirme, par exemple, que « toute
société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n’a point de constitution ». Ce type de définition a le mérite de rendre compte de
la dimension politique de la notion de constitution et renvoie à des notions voisines qui en sont
directement dérivées. On parlera ainsi de « monarchie constitutionnelle », par opposition à la
monarchie absolue, afin de marquer la limitation du pouvoir du souverain.
 Le second type de définition matérielle relève d’une ambition non plus normative mais
descriptive : on dira alors que la Constitution est l’ensemble des règles qui déterminent
l’ordonnancement régulier des pouvoirs publics. L’intérêt d’une telle définition résulte bien
sûr de sa généralité puisqu’on peut alors considérer que tout Etat a une Constitution, que le
fonctionnement des pouvoirs publics soit établi par des dispositions constitutionnelles écrites,
ou bien qu’il résulte de la coutume, c’est-à-dire de pratiques constantes, répétées et acceptées.
Il sera donc possible de dire que la Grande-Bretagne a une Constitution, alors que les règles
essentielles qui gouvernent son régime sont coutumières, à l’instar du droit de dissolution ou
de l’obligation pour le monarque de désigner comme Premier ministre le chef du parti
majoritaire aux Communes ; il sera également possible de considérer que les « lois
fondamentales du royaume » sous l’Ancien Régime tenaient lieu de Constitution.

Page 2 sur 18
En revanche, cette définition exclut les dispositions qui peuvent être contenues dans un texte
dénommé « Constitution » et qui ne sont pas relatives au fonctionnement des pouvoirs publics : ainsi
la Constitution suisse, à cause de l’existence d’un référendum d’initiative populaire en matière
constitutionnelle, porte-t-elle des dispositions sur l’abattage du bétail ou sur la consommation
d’absinthe ; ainsi encore, en France, les lois constitutionnelles de 1875 ont-elles fait l’objet d’une
révision en 1926 qui créait une Caisse autonome d’amortissement, dotée de ressources propres, afin de
restaurer la confiance dans le crédit de l’Etat. Si l’on fait prévaloir une définition matérielle, ces
dispositions, en raison de leur objet, ne sauraient faire partie de la Constitution.

Une telle conséquence est inacceptable pour des juristes que l’on qualifie de « positivistes ». Leur
ambition est de décrire le droit tel qu’il est et non tel qu’il devrait être en vertu de considérations
idéologiques et morales, ce qui les conduit à écarter les définitions matérielles prescriptives. Leur
attention se porte non point tant sur l’effectivité des règles que sur leur validité : ainsi, ils écartent
également les définitions matérielles à prétention descriptive qui déterminent a priori le contenu d’un
texte. Ils privilégient par conséquent une définition formelle de la Constitution.

La définition formelle

Il s’agit de rendre compte de ce qu’est une Constitution au regard du seul droit, et ainsi de spécifier
celle-ci par rapport aux autres normes et en premier lieu par rapport à la loi. La Constitution a cette
particularité, affirment les juristes positivistes, qu’elle est la norme suprême, qu’elle occupe le sommet
de ce que l’on appelle la hiérarchie des normes ou, autrement dit, que toutes les normes pour être
valides au regard du droit doivent lui être conformes. Une définition doit ainsi rendre compte de cette
caractéristique.

Partant de ces prémisses, il est facile de montrer qu’il n’y a de Constitution que lorsque sont cumulées
deux conditions, également nécessaires pour en garantir la suprématie et rendre ainsi possible une
distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués : l’existence d’une procédure particulière
de révision et l’existence d’un contrôle de constitutionnalité. […]

La Constitution en tant que norme

Si l’on cherche à définir la Constitution en tant que norme, on doit constater qu’il existe dans certains
systèmes normatifs, des textes nommés « Constitution », identifiables par leur seule appellation, qui
constituent des ensembles de règles qui visent tout à la fois à contraindre et à légitimer l’appréciation
subjective par toutes les autorités normatives de leurs compétences.

Plusieurs commentaires s’imposent ici qui permettront de justifier cette définition :

On ne présuppose pas là l’objet de ce texte : qu’il porte sur les rapports entre les pouvoirs publics ou
sur l’abattage du bétail, la Constitution contraint et légitime toujours l’exercice de leurs compétences
par les autorités normatives. Plus exactement, compte tenu du pouvoir d’interprétation dont les
autorités normatives disposent, la Constitution contraint et légitime l’appréciation subjective qu’elles
font, pour elles-mêmes et respectivement, de leurs compétences.

Par la place dans le système normatif à laquelle l’auteur destine son texte, il vise tout à la fois à
contraindre et à légitimer toutes les autorités normatives, qu’il s’agisse des pouvoirs constitués ou
même du pouvoir constituant, puisque celui-ci sera habilité ou non à suivre telle ou telle procédure de

Page 3 sur 18
révision. Il est vrai qu’une Constitution peut ne pas aborder les compétences d’une autorité A, mais, en
abordant au minimum les compétences de l’autorité B, elle contraint a contrario l’appréciation par A
de sa compétence. Cette caractéristique permet de distinguer la Constitution des autres normes qui ne
contraignent au mieux que certaines des autorités normatives, à l’exemple de la loi qui ne saurait
contraindre par définition le législateur.

Enfin, la Constitution, au sens où on l’entend ici, n’est que le moyen par lequel une autorité a entendu
contraindre et légitimer, sans qu’on puisse dire a priori si cet objectif a été atteint. Par exemple
l’article 27 de la Constitution de 1958, en vertu duquel « le droit de vote des membres du Parlement
est personnel » a été considéré à la fois par le législateur et par le Conseil constitutionnel comme
n’ayant pas réellement de valeur contraignante à l’égard des parlementaires. Malgré l’ineffectivité de
la contrainte qu’elle exerce cette disposition est pourtant bien constitutionnelle du point de vue qui est
le nôtre ici, c’est-à-dire qu’elle reflète au moins la volonté des auteurs du texte.

La Constitution comme mode d’organisation

Si l’on cherche au contraire à définir la Constitution comme un mode d’organisation, on dira qu’elle
est un ensemble de règles qui contraignent et légitiment effectivement l’appréciation subjective par
toutes les autorités normatives de leurs compétences.

Cette définition, volontairement extensive, est différente de la précédente puisque de simples lois, des
pratiques répétées, des coutumes, le jeu des rapports de force peuvent déterminer effectivement
l’appréciation de leurs compétences par toutes les autorités normatives. Pour donner un exemple,
l’existence d’un chef du gouvernement sous la IIIème République, doté d’un pouvoir de direction de
l’action gouvernementale, fait partie de la Constitution dans ce second sens, alors qu’elle n’est pas
envisagée par la Constitution entendue comme simple élément du système normatif.

Dès lors que l’on admet cette acception de la notion, de Constitution, il est pertinent d’en parler en
termes de « jeu » et de « règles du jeu » car il s’agira de prendre en compte, non seulement les règles
effectives de fonctionnement des institutions, mais également d’évaluer les stratégies mises en œuvre
par les « joueurs » pour augmenter la contrainte qu’ils exercent sur les autres et pour accroître leur
légitimité, bref, pour modifier en leur faveur l’appréciation subjective de leurs compétences. »

Page 4 sur 18
Document 2. « Les différents types de régimes », Institutions et vie politique, La documentation
française, édition mise à jour 1997, Paris, p6.

Page 5 sur 18
Document 3. Les Constitutions de la France depuis 1789, Présentation par Jacques Godechot,
Garnier-Flammarion, Paris, 1970, p23.

« Le 5 mai 1789, les Etats généraux se réunissaient à Versailles. Ils étaient composés de députés élus
par le clergé, la noblesse et le tiers état, ces derniers en nombre égal aux représentant des ordres
privilégiés. Il y avait exactement 175 ans que les Etats généraux ne s’étaient pas réunis, aussi
l’événement de 1789 avait-il une importance exceptionnelle, la convocation des états constituait à elle
seule une véritable révolution. Les députés étaient munis de cahiers de doléances, rédigés par leurs
électeurs. La plupart de ces cahiers estimaient que le malaise politique, économique, social, dont la
France souffrait était la conséquence du fait qu’elle ne possédait pas de constitution. De constitution
écrite et rationnelle s’entend. Car le régime monarchique fonctionnait […] selon certaines normes,
mais celles-ci avaient été fixées au cours des siècles par une multitude d’ordonnances qui se
superposaient et parfois se contredisaient. Or les écrivains politiques du XVIIIème siècle (les
« philosophes ») avaient, dans leurs écrits, répandu l’idée qu’un Etat moderne ne pouvait vivre que s’il
était pourvu d’une constitution rationnelle. Montesquieu, en France, — après Locke en Angleterre —
avait développé l’idée que la constitution devait distinguer nettement trois pouvoirs séparés, le
législatif, l’exécutif et le judiciaire. Voltaire demandait que la Constitution reconnût l’égalité fiscale,
l’abolition du servage et des droits féodaux, qu’elle réduisît la puissance des parlements et du clergé.
Les « physiocrates » et les économistes » auraient désiré que la Constitution organisât rationnellement
l’exploitation des terres, les manufactures et les échanges commerciaux. Jean-Jacques Rousseau
souhaitait que la constitution ou « contrat social » assurât le bonheur des citoyens en leur garantissant
une égalité, non plus seulement « en droits », mais « en jouissances », c’est-à-dire par une répartition
autoritaire des biens. Les rédacteurs des cahiers avaient lu les « philosophes » ou avaient entendu
parler de leurs idées, la plupart prescrivirent aux députés de s’occuper d’abord de rédiger une
constitution. D’ailleurs ils ne faisaient que suivre l’exemple de ce qui s’était passé en Amérique où les
« insurgents » avaient donné aux Etats-Unis, et à chacun des Etats qui les composaient, à partir de
1776, une constitution. 

Les Etats généraux, toutefois, ne purent s’occuper immédiatement de la Constitution. Pendant près de
deux mois, du 5 mai au 20 juin, ils furent troublés par un conflit entre le tiers état et le roi, soutenu par
la majorité des députés de la noblesse et par la plupart des membres du haut clergé. Le roi et les
privilégiés auraient voulu que les états délibérassent comme en 1614, c’est-à-dire « par ordre ».  Les
privilégiés auraient eu immanquablement la majorité et les états auraient été incapables d’opérer
aucune réforme sérieuse. Les députés du Tiers demandaient que l’on votât « par tête », ce qui les
assurait de la majorité, car ils étaient aussi nombreux que les privilégiés et certains d’être soutenus par
les députés membres du bas clergé et de la noblesse libérale. Le 17 juin, les députés du tiers état,
rejoints par quelques députés du clergé et de la noblesse, se proclamèrent « Assemblée nationale
constituante ». Mais l’Assemblée ne put vraiment se mettre au travail qu’après avoir eu raison de la
résistance royale, au cours de la séance du 20 juin et après que, sur l’ordre du roi lui-même, la plupart
des députés de la noblesse et du clergé aient rejoint, à la fin de juin, les députés du Tiers. C’est donc
seulement le 6 juillet que l’Assemblée constituante put élire un comité chargé de préparer la nouvelle
constitution. Il était composé de trente membres et se mit aussitôt à l’œuvre. Pour la plupart, ces
députés étaient modérés. Ils estimaient qu’ils avaient pour mission de mettre par écrit, dans un ordre
rationnel, les anciennes institutions de la France, qu’il ne s’agissait de modifier que dans la mesure où
elles n’étaient plus valables, ou si elles se contredisaient. Bien entendu il n’était pas question de
renverser la monarchie. Celle-ci était acceptée comme une donnée, et la Constitution conçue comme
un contrat négocié entre les députés et le roi. 

Page 6 sur 18
Huit jours après la formation du comité de constitution, le peuple de Paris s’emparait de la Bastille,
forteresse royale, et surtout symbole de l’absolutisme monarchique. Un nouveau comité de
constitution était élu. Mais l’insurrection parisienne était suivie de la grande peur et d’un soulèvement
généralisé des paysans contre leurs seigneurs et contre le régime féodal. Dans l’espoir d’apaiser la
révolte, la Constituante décidait le 27 juillet de travailler d’abord, à l’exemple des assemblées
américaines, à une « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Mais les troubles persistaient
et même s’aggravaient. Dans la nuit du 4 août, l’Assemblée votait l’abolition du régime « féodal » et
de tous les privilèges. En même temps, elle décidait que la Déclaration des droits précéderait la
Constitution et serait établie d’urgence. 

Déjà, le comité de constitution avait reçu un certain nombre de projets de déclaration : le 9 juillet,
celui de Mounier, le 10 ceux de La Fayette, Lally-Tollendal et Servan, le 21 celui de Sieyès, le 27
celui de Clermont-Tonnerre, synthèse des suggestions contenues dans les principaux cahiers. 

Après le 4 août, l’Assemblée forme un comité de cinq membres chargés spécialement d’examiner les
différents projets déposés jusque-là, de les fondre en un seul et de présenter son travail le 17 août.
C’est Mirabeau qui lut cette synthèse, mais elle suscita de violentes critiques et de vives objections :
l’abbé Grégoire demandait qu’on rappelât dans le préambule l’existence de Dieu ; le pasteur Rabaud
Saint-Etienne et le duc de Lévis-Mirepoix trouvaient confus le texte proposé. 

Le lendemain, 18 août, l’Assemblée décida que le comité prendrait pour base de son nouveau travail
les projets présentés par La Fayette, Sieyès et le sixième bureau (les députés à l’Assemblée avaient été
répartis entre trente bureaux). On discuta aussi pour savoir si la Déclaration serait présentée sous
forme d’articles, comme le demandaient La Fayette et Mounier, qui citaient en exemples les
déclarations américaines, ou si elle aurait une forme raisonnée, selon le voeu de Sieyès. La majorité
préféra une série d’articles. Le 19 août, la Constituante adopta presque tout le projet du sixième bureau
: il se composait de vingt-quatre articles clairs, précis, concis, rédigés en grande partie sous
l’inspiration de l’archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé, un libéral. Mais, au cours de la
discussion, beaucoup de ces articles devaient être totalement transformés. Certains furent abrégés,
plusieurs autres furent joints, d’autres au contraire furent divisés. Enfin, on coiffa le tout d’un
préambule, œuvre de Mounier et de Mirabeau.
Ce sont les questions religieuses qui donnèrent lieu aux plus vives controverses. Fallait-il placer la
Déclaration sous l’invocation de Dieu dans le préambule ? Le projet parlait du « législateur suprême
de l’Univers ». Des députés protestèrent. Finalement la Déclaration fut mise « sous les auspices de
l’Etre suprême » expression qui, pensait-on, satisferait la majorité des Français catholiques et ne
choquerait pas ceux qui professaient une autre religion.

Mais les membres du clergé — un quart de l’Assemblée, ne l’oublions pas — auraient voulu que la
Déclaration reconnût le catholicisme comme religion d’Etat. Mirabeau protesta. Il estimait même que
le mot « tolérance » était restrictif : « La liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si
sacré que le mot tolérance, qui voudrait l’exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui-même,
puisque l’existence de l’autorité qui a le pouvoir de tolérer atteinte à la liberté de penser, par cela
même qu’elle tolère, et qu’ainsi, elle pourrait ne pas tolérer ». Finalement l’Assemblée adopta l’article
10 : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses » rédaction qui ne satisfit pas
Mirabeau, car, disait-il, il « place en réservé l’intolérance dans la Déclaration ». 

Le droit de propriété entraîna également un vif débat. Il fut défini finalement dans l’article 17, proposé
par Adrien Duport. Le 26 août l’Assemblée décida de publier la Déclaration sans plus attendre, mais

Page 7 sur 18
reconnut qu’elle « n’était pas finie » et que si, dans le cours de la discussion de la Constitution, on
relevait quelque article qui méritât d’être inséré dans la Déclaration, elle l’ajouterait. Lorsque
l’Assemblée publia la Constitution, le 3 septembre 1791, elle estima que la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen avait acquis « un caractère religieux » et qu’il n’était plus possible de la
modifier. La Déclaration de 1789 est donc restée célèbre dans sa rédaction du 26 août. Si d’autres
déclarations des droits ont été publiées en 1793 et en 1795, c’est à celle de 1789 que se réfèrent […]
les constitutions du 27 octobre 1946 et du 4 octobre 1958.

[…] La Déclaration constitue d’abord l’acte de décès de l’Ancien Régime. Ses articles ont un
développement proportionnel, non à l’importance théorique des principes qu’ils énoncent, mais à
l’ampleur des abus qu’ils doivent réprimer, c’est-à-dire, en fin de compte, à la fréquence des doléances
exprimées par des cahiers : abus des lettres de cachet, inégalité dans l’admission aux emplois, retard
dans les indemnités dues lors des expropriations pour cause d’utilité publique. Elle ne traite pas de la
liberté du commerce et de l’industrie parce que, sur ce point, les cahiers étaient très divisés. Elle ne
fait pas allusion à la liberté de réunion parce que les cahiers ne la réclamaient pas. Elle ne mentionne
pas le droit à la vie, au travail, à l’instruction parce que la majorité de ses rédacteurs n’y songeaient
pas.

[…] Néanmoins, la Déclaration pose les assises de la société future. Comme on n’y trouve ni le mot de
roi, ni celui de monarchie, elle a, en fait, une allure républicaine que ses rédacteurs n’avaient pas
l’intention de lui donner. […] La Déclaration peut être considérée comme la charte, non seulement de
la démocratie politique, mais de la démocratie sociale. Dès sa publication, elle eut dans le monde
occidental un plus grand retentissement que les déclarations américaines à cause de son caractère
beaucoup plus universel. Elle devait devenir […] la base de toutes les constitutions françaises, ainsi
que de la plupart des constitutions mondiales, jusqu’à nos jours. »

Document 4. Constitution du 3 septembre 1791 (extrait).

« Titre premier

Dispositions fondamentales garanties par la Constitution

La Constitution garantit, comme droits naturels et civils : 1° Que tous les citoyens sont admissibles
aux places et emplois, sans autre distinction que celle des vertus et des talents ; 2° Que toutes les
contributions seront réparties entre tous les citoyens également en proportion de leurs facultés ; 3° Que
les mêmes délits seront punis des mêmes peines, sans aucune distinction des personnes. 

[…] Titre III

Chapitre II

Section première

Page 8 sur 18
[…] Art. 2. — La personne du roi est inviolable et sacrée ; son seul titre est Roi des Français.
Art. 3. — Il n’y a point en France d’autorité supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne que par elle, et
ce n’est qu’au nom de la loi qu’il peut exiger l’obéissance. 

[…] Section IV

Article premier. — Au roi seul appartiennent le choix et la révocation des ministres.

[…] Chapitre III

Section première

Article premier. — La Constitution délègue exclusivement au Corps législatif les pouvoirs et fonctions
ci-après : 1° De proposer et décréter les lois : le roi peut seulement inviter le Corps législatif à prendre
un objet en considération ; 2° De fixer les dépenses publiques ; 3° D’établir les contributions
publiques, d’en déterminer la nature, la quotité, la durée et le mode de perception ; 3° De faire la
répartition de la contribution directe entre les départements du royaume, de surveiller l’emploi de tous
les revenus publics, et de s’en faire rendre compte ; 5° De décréter la création ou la suppression des
offices publics ; 6° De déterminer le titre, le poids, l’empreinte et la dénomination des monnaies ; 7°
De permettre ou de défendre l’introduction des troupes étrangères sur le territoire français, et des
forces navales étrangères dans les ports du royaume ; 8° De statuer annuellement, après la proposition
du roi, sur le nombre d’hommes et de vaisseaux dont les armées de terre et de mer seront composées ;
sur la solde et le nombre d’individus de chaque grade ; sur les règles d’admission et d’avancement, les
formes de l’enrôlement et du dégagement, la formation des équipages de mer ; sur l’admission des
troupes ou des forces navales étrangères au service de France, et sur le traitement des troupes en cas de
licenciement ; 9° De statuer sur l’administration, et d’ordonner l’aliénation des domaines nationaux ;
10° De poursuivre devant la haute Cour nationale la responsabilité des ministres et des agents
principaux du Pouvoir exécutif ; — D’accuser et de poursuivre devant la même Cour, ceux qui seront
prévenus d’attentat et de complot contre la sûreté générale de l’Etat ou contre la Constitution ; 11°
D’établir les lois d’après lesquelles les marques d‘honneurs ou décorations purement personnelles
seront accordées à ceux qui ont rendu des services à l’Etat ; 12° Le Corps législatif a seul le droit de
décerner les honneurs publics à la mémoire des grands hommes. 

[…] Section III

Article premier. — Les décrets du Corps législatif sont présentés au roi, qui peut leur refuser son
consentement. 
Art. 2. — Dans le cas où le roi refuse son consentement, ce refus n’est que suspensif. — Lorsque les
deux législatures qui suivront celle qui aura présenté le décret, auront successivement représenté le
même décret dans les mêmes termes, le roi sera censé avoir donné la sanction. 
[…] Art. 4. — Le roi est tenu d’exprimer son consentement ou son refus sur chaque décret, dans les
deux mois de la présentation.
Art. 5. — Tout décret auquel le roi a refusé son consentement, ne peut lui être présenté par la même
législature.
Art. 6. — Les décrets sanctionnés par le roi, et ceux qui lui auront été présentés par trois législatures
consécutives, ont force de loi, et portent le nom et l’intitulé de lois.

Page 9 sur 18
[…] Chapitre IV

Article premier — Le Pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans la main du roi. — Le roi
est le chef suprême de l’administration générale du royaume : le soin de veiller au maintien de l’ordre
et de la tranquillité publique lui est confié. — Le roi est le chef suprême de l’armée de terre et de
l’armée navale. — Au roi est délégué le soin de veiller à la sûreté extérieure du royaume, d’en
maintenir les droits et les possessions. 

[…] Chapitre V

Article premier. — Le Pouvoir judiciaire ne peut, en aucun cas, être exercé par le Corps législatif ni
par le roi. 
Art. 2. — La justice sera rendue gratuitement par des juges élus à temps par le peuple, et institués par
des lettres-patentes du roi qui ne pourra les refuser. »

Document 5. Constitution du 5 Fructidore An III (22 août 1795) (extrait).

« Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen

Droits

[…] Art. 6. — La loi est la volonté générale, exprimée par la majorité ou des citoyens ou de leurs
représentants.

Devoirs

Article premier. — La Déclaration des droits contient les obligations des législateurs : le maintien de
la société demande que ceux qui la composent connaissent et remplissent également leurs devoirs.
Art. 2. — Tous les devoirs de l’homme et du citoyen dérivent de ces deux principes, gravés par la
nature dans tous les cœurs : — Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. —
Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir.
[…] Art. 5. — Nul n’est homme de bien, s’il n’est franchement et religieusement observateur des
lois. »

Document 6. Arrêté des Consuls du 20 floréal an X (10 mai 1802) portant que le peuple français
sera consulté sur cette question : Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul à vie ?

« Article Premier. — Le peuple français sera consulté sur cette question : Napoléon Bonaparte sera-t-
il Consul à vie ?

Page 10 sur 18
Art. 2. — Il sera ouvert, dans chaque commune, des registres où les citoyens seront invités à consigner
leur voeu sur cette question.
Art. 3. — Ces registres seront ouverts aux secrétariats de toutes les administrations, aux greffes de
tous les tribunaux, chez tous les maires et tous les notaires.
Art. 4. — Le délai pour voter dans chaque département sera de trois semaines, à compter du jour où
cet arrêté sera parvenu à la préfecture ; et de sept jours, à compter de celui où l’expédition sera
parvenue à chaque commune. »

Document 7. Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 (extrait).

« La divine Providence, en nous rappelant dans nos Etats après une longue absence, nous a imposé de
grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets : nous nous en sommes occupés sans
relâche ; et cette paix si nécessaire à la France comme au reste de l’Europe, est signée. Une Charte
constitutionnelle était sollicitée par l’état actuel du royaume, nous l’avons promise, et nous la
publions. Nous avons considéré que, bien que l’autorité tout entière résidât en France dans la personne
du roi, ses prédécesseurs n’avaient point hésité à en modifier l’exercice, suivant la différence des
temps ; que c’est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation
et l’extension de leurs droit à Saint Louis et à Philippe le Bel ; que l’ordre judiciaire a été établi et
développé par les lois de Louis XI, de Henri II et de Charles IX ; enfin, que Louis XIV a réglé presque
toutes les parties de l’administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n’avait
surpassé la sagesse. — Nous avons dû, à l’exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des
progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la
société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont
résultées : nous avons reconnu que le vœu de nos sujets pour une Charte constitutionnelle était
l’expression d’un besoin réel ; mais en cédant à ce vœu, nous avons pris toutes les précautions pour
que cette Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fiers de commander. Des
hommes sages, pris dans les premiers corps de l’Etat, se sont réunis à des commissions de notre
Conseil, pour travailler à cet important ouvrage. — En même temps que nous reconnaissions qu’une
Constitution libre et monarchique devait remplir l’attente de l’Europe éclairée, nous avons dû nous
souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt,
les droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu’instruits par l’expérience, ils
seraient convaincus que l’autorité suprême peut seule donner aux institution qu’elle établit, la force, la
permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue ; qu’ainsi lorsque la sagesse des rois s’accord
librement avec le vœu des peuples, une Charte constitutionnelle peut être de longue durée ; mais que,
quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n’est pas
moins en danger que le trône même. Nous avons enfin cherché les principes de la Charte
constitutionnelle dans le caractère français, et dans les monuments vénérables des siècles passés.
Ainsi, nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit
lier tous les souvenirs à toutes les espérances, en réunissant les temps anciens et les temps modernes.
— Nous avons remplacé, par la Chambre des députés, ces anciennes Assemblées des Champs de Mars
et de Mai, et ces Chambres du tiers-état, qui ont si souvent donné tout à la fois des preuves de zèle
pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l’autorité des rois. En cherchant ainsi à
renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre
souvenir, comme nous voudrions qu’on pût les effacer de l’histoire, tous les maux qui ont affligé la

Page 11 sur 18
patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famille, nous n’avons su
répondre à l’amour dont nous recevons tant de témoignages, qu’en prononçant des paroles de paix et
de consolation. Le vœu le plus cher à notre cœur, c’est que tous les Français vivent en frères, et que
jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l’acte solennel que nous leur
accordons aujourd’hui. - Sûrs de nos intentions, forts de notre conscience, nous nous engageons,
devant l’Assemblée qui nous écoute, à être fidèles à cette Charte constitutionnelle, nous réservant d’en
juger le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même
balance les rois et les nations.

[…] Article premier. — Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d’ailleurs leurs titres et
leurs rangs.
Art. 2. — Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l‘Etat.
Art. 3. — Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.
Art. 4. — Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pouvant être poursuivi ni arrêté
que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu’elle prescrit.
Art. 5. — Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même
protection.
Art. 6. — Cependant la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’Etat.
Art. 7. — Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, et ceux des autres cultes
chrétiens, reçoivent seuls des traitements du Trésor royal.
Art. 8. — Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant
aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté.

[…] Art. 16. — Le roi propose la loi.


[…] Art. 57. — Toute justice émane du roi. Elle s’administre en son nom par des juges qu’il nomme et
qu’il institue. »

Document 8. Loi du 25 février 1875 relative à l’organisation des pouvoirs publics (extrait).

« Article premier. — Le pouvoir législatif s’exerce par deux Assemblées : la Chambre des députés et
le Sénat. — La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions
déterminées par la loi électorale. — La composition, le mode de nomination et les attributions du
Sénat seront réglés par une loi spéciale.

Art. 2. — Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par
la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. 

Art. 3. — Le président de la République a l’initiative des lois, concurremment avec les membres de
deux Chambres. Il promulgue les lois lorsqu’elles ont été votées par les deux Chambres ; il en
surveille et en assure l’exécution. »

Page 12 sur 18
Page 13 sur 18
Document 9. Denis Baranger, « Le piège du droit constitutionnel », Jus Politicum, n° 3
[http://juspoliticum.com/article/Le-piege-du-droit-constitutionnel-146.html]

« L’histoire constitutionnelle n’est pas la discipline la plus à la mode, en particulier parmi les
constitutionnalistes. Elle est en général considérée, au mieux, comme une branche auxiliaire de
l’histoire politique. Pourtant, retrouver la dimension historique du droit constitutionnel se présente
comme la condition pour sortir des difficultés où se trouve plongée la théorie contemporaine. 

Dans la compréhension dominante des choses à notre époque, on trouve d’un côté un droit
constitutionnel appréhendé hors l’histoire, et de l’autre une histoire dite constitutionnelle, déplacée
dans le périmètre de l’histoire politique et considérée, pour l’essentiel, comme sans pertinence pour
comprendre le droit constitutionnel. On ne le dit pas ainsi, grands dieux ! Mais voilà ce que l’on fait.
Ce silence sur l’histoire dans ce qui porte l’étiquette de « science du droit constitutionnel » est ce qui
importe. Contrairement à toutes les apparences, pourtant, la théorie n’a, en la matière, rien à faire de
plus urgent que de l’histoire. Si elle s’en garde bien, c’est aussi parce qu’elle porte en elle la
conscience du fait que s’atteler à cette tâche reviendrait à se supprimer soi-même en tant que théorie.
Cela permettrait peut-être d’accéder à une compréhension plus élevée de son objet. 

[…] C’est une fois que l’on aura clarifié l’objet de l’histoire constitutionnelle que l’on pourra espérer
lui attribuer un rôle dans la compréhension des données du droit constitutionnel. On pourra alors, peut-
être, saisir combien la mise à l’écart de l’histoire constitutionnelle ne se réduit pas à la perte délibérée
d’un riche matériau culturel, mais encore à ce qui en résulte lorsqu’il s’agit de comprendre « le droit
constitutionnel » lui-même. Retrouver l’histoire constitutionnelle, c’est retrouver la dimension
historique du droit constitutionnel, et cela présente donc une portée théorique déterminante.
L’histoire constitutionnelle n’est pas une branche auxiliaire de l’histoire politique. Elle peut
revendiquer un objet qui lui appartient en propre. Cet objet est la constitution pensée comme devenir.
Reconnaître un objet propre à l’histoire constitutionnelle n’est pas sans portée. Cela implique de
renoncer à des réflexes de pensée extraordinairement ancrés dans nos esprits, à proportion des facilités
qu’ils nous procurent dans l’examen des questions que se pose celui qui entend comprendre les formes
politiques du passé. L’histoire constitutionnelle n’est cependant pas l’histoire de toutes les formes
politiques à toutes les époques. Il n’y a pas toujours eu des « constitutions », écrites ou non écrites. Les
modes de pensée liés à l’émergence de ces constitutions, à ce processus appelé constitutionnalisme,
constituent un ensemble assez délimité et assez cohérent de manières d’appréhender le pouvoir
politique.

Ce que l’on a pu appeler le « constitutionnalisme ancien » (au sujet non pas des constitutions antiques,
mais des droits publics des monarchies européennes d’ancien régime) était peut-être un ensemble
d’idées relatives au pouvoir politique constituant des « signes avant-coureurs » de l’apparition de
constitutions au sens moderne du terme. On ne peut d’ailleurs le dire que rétrospectivement, c’est une
évidence. Mais, au mieux, le « constitutionnalisme ancien » ainsi défini ne peut être qu’un
constitutionnalisme sans constitution. Je veux dire par là  : non pas le terme « constitution » tel que
nous l’employons pour traduire un autre terme (par exemple le grec politeia). Je ne vise pas non plus
ce terme en tant qu’il dénote lato sensu n’importe quelle organisation politique ou ensemble
d’institutions. Il s’agit ici de « la constitution » au sens où le mot a pris son élan dans notre culture
après la seconde moitié du seizième siècle, d’une manière associant étroitement une certaine
philosophie du droit et des idées politiques particulières, fréquemment en rupture consciente avec le
passé proche ou lointain. L’idée de constitution, ainsi délimitée, suppose pour être pensée que soit en

Page 14 sur 18
place un ensemble de caractéristiques structurelles, de manière de penser les rapports de la politique
avec le droit. Notre vision du pouvoir passe par des cadres de pensée particuliers. Le pouvoir tel que
nous le concevons n’est « de droit » qu’au terme d’une autorisation donnée de l’extérieur par le droit,
de sorte que le pouvoir validé par le droit reste néanmoins pouvoir. Il n’est pas converti en faculté de
dire, dans des occasions particulières, ce qui est juste de toute éternité. Il n’est donc pas une
juridiction, au sens classique de ce terme. Sa force est naturelle, et sa fragilité l’est tout autant.

[…] Pour ne parler que de lui, le droit politique des anciens régimes européens était dominé par une
idée des rapports entre pouvoir et droit qui n’est plus la nôtre. Le pouvoir y était intrinsèquement une
juridiction. Ce que faisait le détenteur d’une juridiction était « de droit » en raison d’une conformité
avec une justice supérieure. La justice, quant à elle, était appréhendée au sein d’une vision du monde
où la nature était porteuse de valeurs morales objectives. Dans les constitutions « modernes » (formule
donc un peu tautologique), le concept opératoire du pouvoir n’est plus celui-là  : La nature attribue
avant tout des capacités, des facultés d’action et non des habilitations morales. Un pouvoir qui n’est
pas de droit est à l’origine du droit, du moins dans la dimension positive, active, de ce terme. En
résulte un effet d’unification des sources du droit qui coexiste avec une conception du monde de
laquelle a été retirée toute idée d’une objectivité naturelle des valeurs morales1. De l’exercice de ce «
pouvoir constituant » résulte la constitution, et de la constitution procède une distribution de certaines
attributions à certaines autorités. L’idée de justice n’est plus le régulateur principal, le critère ultime de
la légitimité du pouvoir exercé sous forme d’attributions par le droit écrit. Plutôt ce critère est-il celui
de la légalité. Encore faut-il relever que légalité et légitimité ne se recouvrent qu’en partie. La légalité
est un critère de légitimité, un des aspects du phénomène plus large qu’est la légitimité. Par d’autres
aspects, la légitimité ne procède pas de la conformité au droit. Le droit, pris dans son ensemble, dans
son extension la plus grande, n’est plus la « loi fondamentale ». Bien au contraire, ce n’est pas le droit
dans son ensemble, mais un certain texte, la loi constitutionnelle, qui est appréhendé comme la loi
fondamentale, laquelle, en quelque sorte, est donnée au reste du droit. Elle devient la racine du droit
positif : sa « base constitutionnelle ». Cela est lié à l’idée selon laquelle il existe un pouvoir antérieur
au droit et distinct de lui : notre vision du pouvoir politique est ordonnée au moyen de concepts
intégrant tous cette caractéristique. Citons, parmi les plus centraux : la souveraineté, la représentation
et la responsabilité. L’une des implications de la souveraineté est de reconnaître l’autorité ultime à une
puissance qui, par-là , est conçue comme étant de droit, mais ne pouvant pas être réduite au droit seul.
La souveraineté du droit seul est une idée venue d’un lointain passé ou projetée utopiquement dans un
avenir restant à accomplir. Plus on affirme énergiquement la souveraineté du droit, plus on prend place
au nombre des adversaires de la souveraineté. La représentation, pour sa part, implique une conception
de la légitimité indépendante au moins en partie de la conformité au juste. La responsabilité, enfin,
implique le fait que le contenu de l’action politique compte dans l’appréciation de sa légitimité : le
ministre contraint à la démission par un vote de défiance ne l’est pas en raison d’une violation du
droit. Si l’on jette sur ces concepts un regard d’ensemble, on se rend compte qu’ils accompagnent le
concept moderne du pouvoir. Au contraire, ils n’étaient pas les accessoires naturels de la ‘juridiction’
des anciens droits. [...] »

1
« Dans le droit moderne, les valeurs morales « naturelles » par excellence, à savoir les droits de l’homme, sont certes
pensées comme inhérentes à l’homme naturel, mais elles sont également déclarées par le souverain dans la constitution ou au
côté de celle-ci. Cela n’est pas accidentel. Ce qui fonde l’Etat est une force morale posée d’emblée à son encontre, comme
son contraire, présente en lui comme son négatif. […] »

Page 15 sur 18
Document 10. « Les révisions constitutionnelles depuis 1958 », extrait du site de l’Assemblée
nationale (https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-
assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/la-revision-de-
la-constitution)

« Depuis 1958, il a été procédé au total à vingt-quatre révisions constitutionnelles d’importance


inégale. À l’exception des deux premières, les révisions ont été opérées en application de l’article 89
de la Constitution. Vingt-et-une ont été approuvées par le Congrès et une seule, en 2000, par
référendum, concernant la réduction à cinq ans du mandat présidentiel.

- Juin 1960, selon une procédure dérogatoire de révision concernant les dispositions relatives à la
« Communauté », c’est-à-dire à l’ensemble géopolitique associant la France à ses anciennes colonies
d’Afrique (procédure abrogée par la loi constitutionnelle du 4 août 1995) :

Loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin 1960 tendant à compléter les dispositions du titre XII de la
Constitution (pour l’indépendance des États africains et malgache membres de la Communauté).

- Octobre 1962, par référendum en application de l’article 11 de la Constitution :

Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage


universel.

- Décembre 1963, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 63-1327 du 30 décembre 1963 portant modification des dispositions de


l’article 28 de la Constitution (pour la modification de la date des sessions parlementaires).

- Octobre 1974, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 portant révision de l’article 61 de la Constitution


(pour l’extension du droit de saisine du Conseil constitutionnel à 60 députés ou 60 sénateurs).

- Juin 1976, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 76-527 du 18 juin 1976 modifiant l’article 7 de la Constitution (pour la


modification des règles de la campagne électorale des élections présidentielles – en cas de décès ou
d’empêchement d’un candidat).

- Juin 1992, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la Constitution un titre : « Des


Communautés européennes et de l’Union européenne » (pour la ratification du traité de Maastricht).

- Juillet 1993, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 portant révision de la Constitution du


4 octobre 1958 et modifiant ses titres VIII, IX, X et XVI (pour la création de la Cour de justice de la
République, chargée de juger de la responsabilité pénale des membres du Gouvernement).

- Novembre 1993, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 93-1256 du 25 novembre 1993 relative aux accords internationaux en matière
de droit d’asile.

Page 16 sur 18
- Août 1995, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995 portant extension du champ d’application du


référendum, instituant une session parlementaire ordinaire unique, modifiant le régime de
l’inviolabilité parlementaire et abrogeant les dispositions relatives à la Communauté et les dispositions
transitoires.

- Février 1996, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la sécurité
sociale.

- Juillet 1998, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie.

- Janvier 1999, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 99-49 du 25 janvier 1999 modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution
(modification de dispositions concernant l’Union européenne).

- Juillet 1999, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 99-568 du 8 juillet 1999 insérant au titre VI de la Constitution un article 53-2


et relative à la Cour pénale internationale.

Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes.

- Septembre - octobre 2000, par référendum :

Loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 relative à la durée du mandat du Président de la


République.

- Mars 2003, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 2003-267 du 25 mars 2003 relative au mandat d’arrêt européen.

Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la


République.

- Mars 2005, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le titre XV de la Constitution


(modification de dispositions concernant l’Union européenne).

Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement.

- Février 2007, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 2007-237 du 23 février 2007 modifiant l’article 77 de la Constitution (relatif à


la Nouvelle-Calédonie).

Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la


Constitution (modifiant le statut pénal du Président de la République et créant une procédure de
destitution par le Parlement constitué en Haute Cour).

Page 17 sur 18
Loi constitutionnelle n° 2007-239 du 23 février 2007 relative à l’interdiction de la peine de mort.

- Février 2008, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution


(modification de dispositions concernant l’Union européenne).

- Juillet 2008, par le Congrès :

Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V ème


République. »

Page 18 sur 18

Vous aimerez peut-être aussi