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LES INSTITUTIONS DE LA Vème REPUBLIQUE

PLAN:

INTRODUCTION :

SECTION I : La fonction exécutive: Qui gouvernera et déterminera la politique de la nation ?

SECTION II: La fonction législative: Un parlement renforcé ?.

Conclusion : quelle nouvelle forme de démocratie et quels nouveaux droits pour les
citoyens ?

1
INTRODUCTION

Les constitutionnalistes s’efforcent généralement de classer les différents régimes


politiques dans des catégories pré-établies: ainsi, pour les démocraties, on parle comme nous
l’avons évoqué :
- soit de régime parlementaire (régime de nécessaire collaboration des pouvoirs du fait
de la responsabilité de l’exécutif devant le législatif - possibilité de renversement du
gouvernement par le biais de motion de défiance ou de censure, le chef de l’Etat étant
irresponsable politiquement - et de l’existence d’un droit de dissolution confié à
l’exécutif, généralement au chef de gouvernement, le Chef de l’Etat n’exerçant que des
fonctions honorifiques) ;
- soit de régime présidentiel ( régime de nette séparation des pouvoirs, chacun d’entre-
eux étant irresponsable politiquement ).

Ces deux types de régimes connaissent des applications variées de leur principe générant
ainsi des formules mixtes, voir des dérives, le régime d’assemblée pour le régime
parlementaire (forte domination du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif), le
présidentialisme pour le régime présidentiel (domination forte du Chef de l’Etat sur
l’ensemble des autres pouvoirs).
A cet égard, les diverses expériences conduites par la France depuis sa première
constitution en 1791, lui ont permis de faire l’apprentissage de nombreuses formules (une
quinzaine de constitutions en deux siècles) comme le régime présidentiel en 1848 ou le régime
d’assemblée en 1946. Il reste que chaque formule, chaque Constitution ne peut se comprendre
qu’en rapport avec les constitutions passées.
En la matière, la Constitution du 4 octobre 1958, instituant la V°République et
approuvé par référendum le 27 septembre 1958, ne déroge pas à cette règle. Elle se présente,
à bien des égards, dans son texte originel comme dans ses révisions, comme la somme d’un
certain nombre d’expériences passées. Plusieurs de ses dispositions s’expliquent par des
évènements intervenues au cours des régimes précédents, et ceci explique, en grande partie le
caractère mixte de ce régime politique, ni tout à fait parlementaire, ni tout à fait présidentiel.

S’il est donc difficile de classer à priori dans une catégorie le régime politique de la
Vème République: sa physionomie ressort par contre de l’étude du rôle et des attributions de la
fonction exécutive et de la prise en compte de la dernière révision constitutionnelle (Section I:
La fonction exécutive: qui gouvernera et déterminera la politique de la nation ?), de la
fonction législative (Section II: La fonction législative, un parlement renforcé ?) et du
contrôle de constitutionnalité (Section III: le contrôle de constitutionnalité, un
gouvernement des juges ?).

2
Document n°1 : De la nécessité de rompre avec le fétichisme constitutionnel
« Comprendre le régime de la Vème République implique alors de rompre avec le fétichisme
constitutionnel, c’est-à-dire avec la croyance, constitutive du mode de pensée juridique, dans
le caractère déterminant des prescriptions de la Constitution dans la structuration de la vie
politique. Tous les juristes ne sont pas dupes, bien sûr. Les plus agnostiques des spécialistes
des questions constitutionnelles ne manquent pas d’indiquer que non seulement les textes
constitutionnels ne « marchent » pas tout seuls, mais aussi que la structuration de la
compétition politique résulte moins d’un texte constitutionnel que d’une série de
« conventions » qui n’ont par fois que peu à voir avec la formalisation juridique des activités
politiques. Pourtant, éviter le fétichisme constitutionnel n’est pas simple. Il faut
nécessairement s’interdire une forme de raisonnement causal, ancrée très profondément dans
notre façon d’aborder les régimes politiques (et constitutive du droit constitutionnel comme
discipline savante), qui associe tel type de « variable » institutionnelle (comme l’élection du
président au suffrage universel) à tel type d’effet politique (comme la prééminence
présidentielle) ; il faut se défaire de l’idée d’une « logique » de la Constitution, dont nul ne
pourrait échapper et qui aurait en elle-même, mécaniquement, des effets structurants et
contraignants sur le jeu politique. En s’appuyant sur une série de travaux qui ont renouvelé
les études de sociologie politique des institutions depuis une quinzaine d’années, [nous
montrerons] que ce que l’on désigne comme la « Vème République » ne saurait se réduire à
une série de variables institutionnelles (élection du président de la République au suffrage
universel, élection des députés au scrutin majoritaire, existence d’un droit de dissolution de
l’Assemblée nationale, etc.) qui détermineraient et contraindraient le déroulement de la vie
politique par la « logique » même de leur combinaison. Sans négliger la description de ces
éléments constitutionnels, nous chercherons plutôt à être attentif[s] aux processus au terme
desquels des dispositions constitutionnelles peuvent être vécues comme des règles du « jeu »
politique, contraintes tout autant que ressources de ce « jeu » ; à la façon dont des schémas
institutionnels (on entend par là une combinaison de règles de conduites attendues, de
hiérarchies de positions, de principes de classement, etc.) finissent par s’imposer et
deviennent des structures de coordination, le plus souvent tacite, des pratiques, des attentes
ou des jugements sur l’action dans l’espace politique. »
BASTIEN François, Le régime politique de la Vème République, Paris, La Découverte,
2008, pp.6-8.

Document n°2
ème
La naissance de la V République

ème
Pour un certain nombre de constitutionnalistes, la IV République, en tant que régime d’assemblée,
rendait le pouvoir exécutif insuffisamment stable pour assumer la décolonisation de l’Union française et sortir de
l’enlisement dans lequel elle se trouve avec la guerre d’Algérie.
L’insurrection à Alger, le 13 mai 1958 (opération « résurrection ») des partisans de l’Algérie française
fait éclater une crise qui menace la France d’un “régime des colonels” (régime dictatorial qu’a connu la Grèce
jusqu’à la fin des années 70). Le recours au général De Gaulle et par là même l’acceptation de ses exigences en
matière institutionnelle, quasi-identiques à celles qui avaient pourtant été rejetées en 1946, s’explique par le fait
qu’en “métropole”, il parait le mieux placé, sinon le seul, à être capable de neutraliser les velléités putchistes des
chefs militaires à Alger.

Au delà des idées et de la volonté même du général De Gaulle, l’instauration d’un exécutif fort, avec des
pouvoirs importants entre les mains du chef de l’Etat, s’explique, en grande partie par ces circonstances.

3
Ainsi l’article 16 qui permet au Président de la République “lorsque les institutions de la République,
l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont
menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs constitutionnels est
interrompu” de prendre “les mesures exigées par ces circonstances” et lui donne quasiment les pleins pouvoirs,
s’explique par la gravité d’une situation politique qui mettra encore quatre années avant d’être dénouée 1.
Mais laisser de Gaulle imposer ses conceptions constitutionnelles, c’est :
- outre le renforcement des fonctions accordées au Président de la République ;
- accepter une neutralisation relative du rôle des partis et donc de l’Assemblée nationale ;
- assurer la réhabilitation des procédés de démocratie directe dont la République s’était toujours méfiée
depuis le coup d’Etat du 2 décembre 1851 (articles 11 et 89 de la nouvelle Constitution).

Par ailleurs, le rapport de force politique du moment a lui aussi contribué à façonner les institutions
adoptées en 1958. Le Général De Gaulle a besoin du ralliement au moins partiel de la droite classique qui lui est
traditionnellement opposée : il lui concédera donc un regain d’importance accordé à la chambre haute, le Sénat, et
d’autre part, le maintien provisoire du mode d’élection du Président de la République par un collège de grands
électeurs dans lequel la France des notables, rurale et conservatrice, est dominante.

ème
Chronologie de l’avènement de la V République
Sur « fond de coup d’Etat », le passage de la IV ème à la Vème République s’est opéré dans la légalité
constitutionnelle après une période intermédiaire de plusieurs mois. Le 31 mai 1958, le général de Gaulle est
désigné comme Président du Conseil par le Président René Coty et investi le lendemain par l’Assemblée nationale
par 329 voix contre 224. Le 3 juin, de Gaulle fait voter deux lois :
- une loi de “pleins pouvoirs” qui doit lui permettre de prendre par décrets les dispositions pour organiser le
redressement du pays;
ème
- une seconde loi, dite loi constitutionnelle lui permettant de préparer la révision de la IV République.

Ainsi, sous forme d’une apparente révision, est élaboré par de Gaulle lui-même et ses conseillers, un
nouveau texte constitutionnel qui sera directement soumis à référendum le 28 septembre 1958 après consultation
d’un comité consultatif constitutionnel et avis du Conseil d’Etat.
Approuvé par 79,25% des suffrages exprimés, la nouvelle constitution est promulguée le 4 octobre 1958.
Comme le fait remarquer le constitutionnaliste Philippe Ardant, “c’est de Gaulle qu’on plébiscite plus que la
Constitution qu’on approuve”.

naissance de la V République : un coup d’Etat ?


“Entre de Gaulle et les républicains il y a d’abord, il y aura toujours le coup d’Etat. Sacrifiant à
l’usage, saluerai-je avant d’aller plus loin l’homme du 18 juin 1940, le chef de la France en guerre,
le libérateur de la Patrie, et gémirai-je sur le malentendu qui l’oppose aujourd’hui à ses compagnons
d’autrefois restés républicains ?
Mais il n’y a pas de malentendu. De gaulle occupe le pouvoir parce qu’il l’a ardemment désiré,
patiemment approché, habilement investi, audacieusement saisi. Je ne lésine pas sur l’hommage dû
au soldat lucide et courageux qui à l’heure du doute a pris parti pour son pays.
Je lui dénie seulement le droit de considérer que les services rendus valent inscription d’hypothèque
sur la nation et je déplore qu’il tire un bénéfice illicite de sa gloire, cet incomparable investissement
historique. Du 13 mai au 3 juin 1958, le général de Gaulle a réussi un premier coup d’Etat.
Après avoir inspiré une conjuration politique et exploité une sédition militaire, il a renversé l’ordre
établi mais décadent qui s’appelait quand même la République. Telle est la vérité qui, assurément,
contredit la version officielle selon laquelle le général de Gaulle, la preuve faite de l’impuissance de
e
la IV République, aurait exercé un arbitrage entre l’Etat humilié et d’arrogants vassaux, rétabli
l’ordre, garanti le respect des lois et assumé sans rupture de continuité les pouvoirs de la République.
Au reste, l’insistance que met le général de Gaulle à invoquer à tout propos et hors de propos ce qu’il
nomme “sa légitimité” souligne le besoin qu’il éprouve d’une justification.

1
Il convient de noter cependant, que l’insertion de l’article 16, est également à mettre en rapport avec le
traumatisme de la défaite de mai-juin 1940, cet article permettant, dans l’absolu, de maintenir l’intégrité de l’Etat
et de la République, en cas d’envahissement du territoire.

4
De cette légitimité discrètement sous-entendue tout le temps de sa retraite à Colombey il proclama
le dogme lors de l’affaire des barricades d’Alger par cette formule sacramentelle prononcée à la
radiotélévision : “En vertu du mandat que le peuple m’a donné et de la légitimité nationale que
j’incarne depuis vingt ans, je demande à tous et à toutes de me soutenir quoi qu’il arrive” (...) “La
légitimité profonde, précisa-t-il, est celle qui procède non point de la représentation multiple,
incertaine et troublée des tendances qui divisent la Nation, mais bien des sentiments, des espoirs, des
institutions qui tendent au contraire à les unir”, étant bien entendu que ces sentiments, ces espoirs et
ces institutions, lui-même les incarne. L’audace de l’argument ne parvient pas cependant à dissimuler
une sorte de gêne. Le général de Gaulle souffre de ne gouverner que par effraction, au détriment de
la légalité en vigueur. Cette légalité qui se refuse à lui il la récuse, il la bafoue, mais la légitimité plus
légendaire qu’historique, dont il se oint pour en tenir lieu ne le délivre pas de sa nostalgie. On le croit
préoccupé de sa succession alors que son vrai souci est de consolider l’origine de son pouvoir en lui
constituant après coup un état civil convenable”
F. Mitterrand, “Le coup d’Etat permanent”, UGE, coll 10/18, 1993 (1964), p.85-87.

SECTION I: La fonction exécutive: Qui gouvernera et déterminera la politique de la


nation sous la Vème République ?

La fonction exécutive repose sur un système bicéphale avec un chef d’Etat et un


gouvernement dirigé par un Premier ministre, mais on peut aussi parler de système tricéphale,
si l’on finit par considérer qu’il existe, le Chef de l’Etat, le Chef de gouvernement (le Premier
Ministre) et le gouvernement.
--->La prééminence du Chef de l’Etat
---> Un gouvernement constitué de ministres dirigés par un Premier ministre.
---> Une répartition des rôles qui requiert une action concertée, dépendantes de la tonalité de la
majorité parlementaire

A) La prééminence du Chef de l’Etat

Le Président de la République dispose de prérogatives importantes, par rapport aux


régimes précédents de la III° République et plus particulièrement de la IV° République, qui
légitiment son élection au suffrage universel direct. Ses principales attributions sont décrites
dans le Titre II de la Constitution (articles 5 à 19).

Document n°3

Le Président clef de voûte des institutions


“Si vous me permettez une image empruntée à l’architecture, je dirai qu’à ce régime parlementaire
neuf, et à cette Communauté qui commence à s’ébaucher, il faut une clef de voûte. Cette clef de
voûte, c’est le président de la République”
Michel Debré, discours devant l’Assemblée générale du Conseil d’Etat appelée à délibérer sur
le projet de Constitution, le 27 août 1958.

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Document n°4

Présidents : ce que parler veut dire


Moins riche dans son contenu et abusant du " je ", le discours des chefs d'Etat de la Ve
République s'est appauvri à mesure que la fonction évoluait

Tous ceux qui ont scruté d'un peu près les méandres de la vie politique savent que les mots en
sont doublement l'essence – à la fois son contenu fondamental et son carburant. Ils forgent les
rapports de force, rassemblent et opposent, distinguent, mettent en garde, rassurent,
expliquent, justifient… Tant de fonctions – et bien d'autres – qui ne leur sont guère
reconnues. Car la parole politique a mauvaise presse, assimilée au mieux à du temps perdu et,
le plus souvent, à des promesses qui ne seront pas tenues.

" Les paroles sont une forme d'acte, rappelle Paul Bacot, professeur à l'Institut d'études
politiques de Lyon et directeur de la revueMots. Les langages du politique (ENS Editions). Il
n'y a pas d'action publique sans discours. La politique, ce processus qui consiste à présenter
et essayer d'imposer une représentation du monde, n'est même que du discours. " " Derrière
le mot se cache bien plus qu'une entrée du dictionnaire, souligne Pascal Marchand,
professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Toulouse. Un
mot est porteur d'histoire et d'identité. C'est un marqueur de territoire, vecteur du débat. "

" La frontière entre les mots et les actes est très poreuse ", renchérit sa collègue Marlène
Coulomb-Gully, qui rappelle ceux de Victor Hugo – " Les mots sont des êtres vivants " – et
de Freud – " Si l'on cède sur les mots, on finit par céder sur les choses ". " Pour forger et
contrôler l'imaginaire, il faut contrôler les mots, c'est fondamental en politique ", souligne à
son tour l'historien Christian Delporte. " La politique passe par le verbe ", écrivent Pascal
Perrineau, professeur à Sciences Po, et Denis Muzet, président de l'Institut Médiascopie, en
préambule de leur étude sur l'impact des mots de Marine Le Pen (" Marine Le Pen, femme de
paroles plus que d'action ", Le Monde du 13 février). " Les mots sont le véhicule de
représentations, de projections, d'attentes autour desquelles se noue ou non le lien de
confiance ", insistent-ils.

L'enjeu est donc considérable. Reste à observer quel usage il en est fait. Difficile de se
repérer et de distinguer la moindre tendance lorsqu'on est enseveli, comme c'est le cas de nos
jours, sous l'avalanche permanente de mots issus des réseaux sociaux et de l'information en
continu. Pour profiter de leur recul, retournons-nous vers ces universitaires qui se tiennent à
l'écart de l'instantané pour observer le long terme.

Chercheur en analyse logométrique du discours politique au CNRS, enseignant à l'université


de Nice, Damon Mayaffre travaille sur un corpus constitué de quelque 700 discours, soit
environ 2 millions de mots prononcés par les présidents depuis la création de la Ve
République, en 1958. Il les passe à la moulinette d'un logiciel produit par le CNRS et
l'université de Nice, qui livre de multiples informations. Mots, codes grammaticaux,
structures syntaxiques des discours présidentiels sont repérés, analysés et comparés.

Fruit de savants calculs mathématiques, un indice statistique mesure en particulier le degré de


surutilisation ou de sous-utilisation de différents termes par rapport à la moyenne du corpus.

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Exemple : les mots " croissance " et " chômage ", à l'évidence dictés par l'ampleur de la crise,
sont sous-représentés dans les discours de Charles de Gaulle et Georges Pompidou, et
surreprésentés dans ceux de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Cet indice permet
d'attribuer à chaque président des mots spécifiques – ceux qu'il a particulièrement surutilisés
par rapport à leur fréquence moyenne dans l'ensemble du corpus.

Cette analyse retient, pour Charles de Gaulle, les mots " Algérie ", " peuple ", " algérien ", "
univers ", " Etat ", " destin ", " régime ", " atomique ", " totalitaire " et " nation ". Pour
Georges Pompidou, les termes surreprésentés sont " monétaires ", " parisien ", " coopération
", " civilisation ", " autoroute ", " jeunesse ", " communauté " et " individu ". Pour Valéry
Giscard d'Estaing, l'ordinateur repère " actuel ", " situation ", " problème ", " événement ", "
énergie ", " question ", " programme " et " pétrole ". Amateur de poésie, le normalien
Georges Pompidou est celui qui possède la plus grande richesse lexicale. Professoral et
didactique, Valéry Giscard d'Estaing fut lexicalement le plus pauvre.

Au-delà de cette simple différence de profils et de tempéraments, une césure importante


apparaît avec François Mitterrand, grand amateur (et pratiquant) de la langue française. Ses
mots les plus spécifiques – avant " nationalisation ", " nationaliser ", " Europe " et " socialiste
" – furent " je ", " me ", " penser ", " moi ", " dire "… Cette surreprésentation du " je ",
apparue avec François Mitterrand, est sans doute le fruit de la rencontre entre un ego et
l'audiovisuel triomphant. Cette propension, dont Nicolas Sarkozy devint ensuite le champion,
renvoie à l'une des évolutions majeures du discours présidentiel depuis un demi-siècle.

L'évolution du pouvoir, accentuée par la demande des médias audiovisuels, s'est


accompagnée dans les discours d'un effet de vases communicants : ce qui concerne le
phatique, c'est-à-dire la mise en contact (exemple type en linguistique : " allô "), a pris le pas
sur le sens. D'après M. Mayaffre, la phrase de Nicolas Sarkozy statistiquement la plus
significative, celle qui contient le plus de mots spécifiques de ses discours, est la suivante : "
Ce que j'ai dit, je le ferai parce que je vous le dois. " Soit une phrase dont aucun mot ne
renvoie à une réalité, mais qui a pour seule fonction d'affermir l'idée d'un contact direct entre
le locuteur et son auditoire ; en l'espèce entre le président et le " peuple ". " La personne du
président phagocyte l'ensemble du discours ", note M. Mayaffre.

Cette personnalisation de la fonction présidentielle s'est accompagnée d'une diversification


des thèmes abordés. Au triptyque qui avait cours jusqu'aux années 2000 – international,
institutions, socio-économique –, reflet direct des prérogatives présidentielles, a succédé un
ensemble plus diffus et composite. La thématique institutionnelle a quasiment disparu, la
place de l'international s'est sensiblement réduite, tandis que les questions liées à la sécurité,
la formation, la macro et la microéconomie sont apparues en force. La propension de M.
Sarkozy à employer un discours dit de proximité, parsemé d'allusions très explicites à des
faits divers pour créer du consensus face à l'horreur, et émaillé de fautes de syntaxe a
fortement contribué, elle, à faire descendre le chef de l'Etat du surplomb où il se tenait
traditionnellement. S'il ne figure pas dans le corpus de M. Mayaffre, nul n'a oublié le "
Casse-toi pauv'con ! ", lancé par le président Sarkozy à une personne qui refusait sa poignée
de main lors de sa visite officielle au Salon de l'agriculture, le 23 février 2008.

Sur le long cours, Damon Mayaffre observe le passage d'un discours nominal (noms,
adjectifs, déterminants) à un discours verbal : verbes, pronoms… Sans oublier cette floraison
d'adverbes qui viennent " booster les mots, comme s'ils avaient perdu de leur puissance
", remarque la chercheuse en sciences de l'information et de la communication Marlène

7
Coulomb-Gully. Les six mots statistiquement les plus spécifiques de Jacques Chirac ? "
Naturellement ", " aujourd'hui ", " notamment ", " démocratie ", " jeune ", " probablement
"…

Moins de substantifs, moins de substance ; plus de verbes, en particulier de verbes modaux


(vouloir, falloir…) ou énonciatifs (" je pense ", " je répète "…), le plus souvent conjugués au
présent de l'indicatif, alors que la politique est censée faire référence au passé et ouvrir des
perspectives sur l'avenir. M. Mayaffre évoque " un glissement de l'idée, portée par le nom,
vers le leader, porté par le pronom ". D'où la conclusion du chercheur : " L'énonciation
prend le pas sur l'énoncé ", comme un cadre venant " manger " le tableau qu'il devrait mettre
en valeur.

L'impression dominante de ces linguistes, s'agissant du discours politique en général, est celle
de l'appauvrissement d'une langue qui se serait homogénéisée tout en se glissant dans les
formats très courts, dictés par les médias. " Au début des années 1960, le discours politique
traduisait une confrontation sur des visions alternatives du monde et de la société. A la fin
des années 1980, ce discours s'est technicisé ", souligne l'universitaire Pascal Marchand.

L'alternance de 1981, puis le tournant de la rigueur ont effacé la bataille idéologique et


atténué certains clivages droite-gauche. Il est moins question d'imaginer l'avenir du pays que
d'aménager à la marge ce qui peut l'être. Les chiffres prennent une place croissante. Faut-il se
féliciter de la disparition de querelles idéologiques qui sont couramment jugées dépassées ?
Un vocabulaire plus technique correspondrait-il à une meilleure prise en compte de la réalité
? Le sociologue Denis Muzet déplore, lui, que les hommes politiques " parlent tous de la
même façon ", construisant leurs discours avec des copier-coller dépourvus " d'origine,
d'identité, de trajectoire et de destinée ". " Les discours politiques sont souvent relativement
semblables, indifférenciés ", note également Paul Bacot.

Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI-Sciences Po),


Vincent Martigny avance une explication : " Les hommes politiques ont le sentiment que la
langue est un carcan supplémentaire " qui s'ajouterait aux contraintes de la réalité. Ils se
méfieraient donc des pièges du discours, présumant en outre qu'il sera a priori perçu comme "
insincère ". Selon ce chercheur, il y aurait là un profond malentendu. " Les Français ont été
fascinés par Barack Obama, qui est “l'homme du discours”.Les gens veulent des paroles qui
permettent de savoir où l'on va et d'expliquer ce que l'on fait. La décorrélation entre le
“dire” et le “faire” est l'une des raisons de la défiance des citoyens pour la politique
", estime M. Martigny. En filigrane se profile une spirale où la dépréciation de la parole
contribuerait à la perte de crédit des politiques, qui dévaloriserait à son tour les mots qu'ils
emploient.

Jean-Baptiste de Montvalon

Le Monde 22 février 2014, Jean Baptiste de Montvallon

8
La fin du président
2|6la politique à bout de souffle Depuis un demi-siècle, la position, le rôle et l'image du chef de
l'Etat n'ont cessé de se dégrader. François Hollande est l'incarnation la plus aboutie de ce déclin

Il y eut ce jour où, dans le bureau de François Hollande, un visiteur eut la surprise de voir
débouler une collaboratrice pieds nus et parapheurs à la main. Ce matin d'hiver où, en plein
rendez-vous, le président entreprit de fermer lui-même les lourds rideaux de son bureau, sous
l'œil embarrassé de ses interlocuteurs, qui constatèrent sa difficulté à y parvenir. Ou encore ces
fins de soirée où, au grand étonnement des huissiers, il est arrivé au chef de l'Etat de prendre
lui-même le soin d'éteindre une à une les lumières du premier =3�tage de l'Elysée.

Chacun sait, depuis Louis XIV, que la grandeur d'un prince réside aussi dans les plus menus
gestes de son quotidien. Or ce qui était vrai à Versailles le reste à l'Elysée. A l'instar du roi de
France, qui, de son lever à son coucher, devait apparaître aux yeux de la cour dans toute sa
superbe, de même le président de la République doit-il aujourd'hui se montrer aux Français avec
la majesté que charrie sa fonction. Dans un pays qui a guillotiné son roi mais dont le président
continue de vivre dans un palais qui rappelle l'Ancien Régime, le pouvoir du souverain n'est
rien sans l'étiquette. Ces fameuses " cordes d'imagination ", comme les appelait Pascal dans les
Pensées. Celles dont un homme a besoin pour s'attacher le " respect " des autres.

A quoi le chef de l'Etat en est-il réduit, en cette fin 2014, pas loin d'un demi-siècle après la
première élection présidentielle au suffrage universe l direct, la première " rencontre entre
l'homme et le peuple ", selon le mot du général de Gaulle ? Un habitué de l'Elysée, accablé par
la trivialité des menues tâches auxquelles s'adonne François Hollande, du choix des capsules
de café les moins onéreuses à la surveillance de la consommation des bouteilles d'eau lors des
réunions de cabinet, répond d'une lapidaire formule : " Sinon, que voulez-vous qu'il fasse toute
la journée ? " Le commentaire, acerbe, confine à la caricature, l'essentiel de l'agenda
présidentiel restant évidemment occupé par de lourds dossiers de politique intérieure et les
affaires diplomatiques et militaires.

Il n'en demeure pas moins que François Hollande, parvenu à la moitié de son quinquennat,
apparaît aujourd'hui comme le plus faible des présidents de la Ve République. Au point de se
voir comparé, au printemps et cet été, en pleine frénésie commémorative des deux guerres
mondiales, au dernier président de la IVe, René Coty, préposé à l'inauguration des
chrysanthèmes.

Inquiétant symptôme

La situation politique de François Hollande, néanmoins, ne tient pas seulement à sa méthode de

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gouvernement, à sa pratique des institutions ou à sa personnalité. Elle constitue aussi
l'inquiétant symptôme, ou l'éclatant symbole, de la dégradation progressive et continue, depuis
un demi-siècle, de la position, du rôle et de l'image du chef de l'Etat.

Constitutionnalistes, historiens et philosophes notent d'ailleurs à ce sujet un saisissant paradoxe


: " La fonction présidentielle n'a cessé d'être réévaluée à la hausse, note ainsi l'historien Jean
Garrigues, auteur d'un essai intitulé Les Hommes providentiels. Histoire d'une fascination
française (Seuil, 2012). La loi sur le quinquennat de 2000, par exemple, subordonne les
législatives à la présidentielle et renforce théoriquement la mainmise du président sur la
majorité p arlementaire. L'usage sarkozyste de l'hyperprésidence, qui considérait le premier
ministre comme un collaborateur, constituait également une hypertrophie de la fonction
présidentielle. Mais cette hypertrophie a été contredite, au contraire, par une sorte de
dévaluation de la part de ceux qui ont été conduits à incarner cette fonction. "

A suivre l'historien, l'évolution serait donc à double sens. Comme si, décennie après décennie,
la fonction s'était renforcée en même temps que ses titulaires s'étaient montrés de moins en
moins à la hauteur de celle-ci. " Il n'y a pas eu de déclin, plutôt un renforcement, confirme le
philosophe Jean-Claude Monod, auteur de Qu'est-ce qu'un chef en démocratie ? Politiques du
charisme (Seuil, 2012). Le président a étendu son domaine d'action, alors que la
Ve République lui donnait plutôt un rôle d'arbitre. Cela n'a pas tenu très longtemps, de Gaulle
en ayant fait très tôt celui qui détermine la politique du gouvernement. Comme partout dans le
monde, et notamment aux Etats-Unis, il y a une tendance =3� la présidentialisation et au
renforcement de l'exécutif, ce qui crée un contraste entre les prérogatives constitutionnelles, la
pratique du pouvoir et la perception d'une impuissance. "

Dans un domaine où l'enjeu de l'incarnation compte tant, la question des personnalités est
évidemment centrale. Or celles-ci, selon les observateurs, n'ont très vite plus été à la hauteur de
la fonction telle qu'originellement voulue par de Gaulle. " La déchéance de l'incarnation
présidentielle ne date pas des deux derniers présidents, estime ainsi Jean Garrigues. On
pourrait presque dire qu'à partir du moment où de Gaulle démissionne de cette institution
taillée par et pour lui, il y a déjà un affaissement du charisme présidentiel. Le côté un peu
bonhomme et bourgeois de Pompidou n'est déjà plus à la hauteur du grand connétable de
France qu'était de Gaulle. "

Jusqu'à François Mitterrand, cependant, le chef de l'Etat pouvait faire valoir une certaine
hauteur, à la fois de stature et de culture. C'est surtout à partir du règne de Jacques Chirac, " qui
a donné l'image du roi fainéant, d'un président inaudible et quasiment à la retraite, ou en

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préretraite ", selon Jean Garrigues, que la dégradation s'accélère : " Sarkozy a trivialisé la
fonction. Dans son langage, son comportement, ses relations aux médias, il a enlevé toute
distance. Et Hollande n'a fait que renforcer cet effet de proximité en jouant sur la normalité et
en essayant d'incarner un président proche des Français. "

Nicolas Sarkozy avait beau jouer, il y a trois ans encore, la carte de l'omniprésident ou de
l'hyperprésident, la tendance semble inexorable : les chefs de l'Etat, depuis un demi-siècle,
semblent confrontés à une lente dégradation de la perception de leur capacité à agir, une
dégradation qui les dépasse très largement. Et qui se révèle flagrante en matière économique.
Là encore, c'est à partir de l'après-Mitterrand, avec l'accélération de la mondialisation des
échanges et du capitalisme financier, que l'impuissance du chef de l'Etat devient manifeste. "
Les décisions économiques sont plus déterminées par les marchés et les agences de notation
que par les forces politiques élues, y compris le président, pourtant censé incarner ce cap
général, analyse Jean-Claude Monod. C'est le “paradoxe de la puissance impuissante” dont
parle le philosophe allemand Hans Blumenberg : d'un côté, la puissance militaire et la bombe
; de l'autre, le fait qu'un frémissement des marchés puisse faire reculer, voire chuter un
gouvernement. "

L'enterrement du " grand dessein "

C'est d'abord en matière économique et sociale que l'incapacité de l'exécutif à agir sur le réel et
à obtenir des résultats est la plus criante. En 1999, Lionel Jospin, à propos de Michelin, l'avait
concédé : " L'Etat ne peut pas tout. " Il n'était certes que premier ministre, mais il avait alors
payé cher cet aveu d'impuissance.< /p>

Les présidents, eux, ne le concèdent jamais, même si le pouvoir les contraint quasi
immanquablement à renier leurs promesses de campagne. Ce fut le cas de Valéry Giscard
d'Estaing, qui vit son ambition de " société libérale avancée " percutée par les conséquences du
choc pétrolier de 1973. Ce fut le cas de François Mitterrand, qui, avec le tournant de la
rigueur de 1983, renonça à sa promesse de " changer la vie ". C'est le cas de François Hollande,
et en particulier de ses engagements, pris pendant sa campagne, de terrasser la finance.

" Le fait que le volontarisme économique n'apparaisse plus que comme un argument de
campagne, et non plus comme un vrai axe de gouvernement, contribue à expliquer
l'impopularité de Hollande ", poursuit Jean-Claude Monod.

Le récent départ du dernier représentant du volontarisme économique et d'un colbertisme d'Etat,


Arnaud Montebourg, a clos ce chapitre. C 'est un paradoxe supplémentaire : l'Elysée assure
depuis l'été 2012 que seuls des résultats en matière économique pourront atténuer le désamour
de l'opinion pour le chef de l'Etat, alors que celui-ci semble de moins en moins à même d'en

11
obtenir, sinon grâce à un retournement de conjoncture.

La fin du président ? Assurément, l'enterrement du " grand dessein " cher à Charles de Gaulle.
" A partir de Sarkozy, c'est le président à réaction : le poids des contraintes économiques, des
péripéties sociétales ou des éruptions sociales conditionne et dicte la politique, estime Jean-
Claude Monod. En permanence, le président godille à vue entre les écueils de la crise. Le
navigateur au long cours qu'était de Gaulle a laissé la place à des marins d'eau douce. "

Giscard premier responsable

La présidence, pourtant, n'a r ien d'un long fleuve politique tranquille. Depuis l'adoption du
quinquennat en 2000, chaque nouveau président semble plus fragile face aux remous politiques
et médiatiques. Au " Sarko bashing " a succédé le " Hollande bashing ", comme si le fauteuil
présidentiel, et donc celui qui l'occupe, ne constituait plus une garantie de respect.

Selon Jean Garrigues, le premier responsable serait Valéry Giscard d'Estaing, " premier à avoir
rompu cette barrière du sacré en voulant américaniser les comportements politiques,
notamment à travers la mise en avant de sa famille ". Mais le mélange des genres
volontairement entretenu par Nicolas Sarkozy entre sphère publique et privée, puis les
mésaventures d'un François Hollande, incapable sur ce terrain d'échapper au ridicule, ont placé
le chef de l'Etat dans une situation inédite. " Le “Avec Carla, c'est du sérieux” de Nicolas
Sarkozy, c'est du même ordre que François Hollande sur son scooter ", observe le
constitutionnaliste Didier Maus.

Le président, incontestablement, est nu, ou de moins en moins vêtu, armé, protégé.


Traditionnellement contraint de consolider en permanence son édifice majoritaire, le voilà
désormais en butte à l'hostilité, voire à l'acharnement de son propre camp. C'est le cas de M.
Hollande, ciblé sans vergogne par ses anciens ministres et conseillers, et même par son ex-
compagne.

" Cette impressionnante perte d'esprit public et de solidarité confine parfois à l'indécence
quand tel conseiller, après avoir été remercié pour des comportements étranges, une semaine
plus tard, charge le président.

On passe du devoir de réserve à un devoir de critique de l'équipe dont on a fait partie ", s'étonne
Jean-Claude Monod. Le président ne fait plus peur, incapable d'imposer le respect à son propre
camp. " Les institutions étaient taillées pour quelqu'un dont la dimension historique, le
charisme, l'autorité et l'ambition étaient à la mesure de ce pouvoir quasi absolu, estime Jean
Garrigues. Pour habiter cet absolutisme présidentiel, il faut une personnalité exceptionnelle.
L'Histoire de France n'en génère plus. "

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David Revault d'Allonnes et Thomas Wieder

Le Monde 15 octobre 2014

Le Front national est l'enfant de la Ve République

Conçues pour un " homme providentiel ", le général de Gaulle, nos institutions s'avèrent délétères
en son absence et renforcent l'extrême droite. Finissons-en avec la monarchie républicaine !
Election après élection, depuis quarante ans, le Front national se renforce. La France n'est pas
isolée : après une éclipse au sortir de la seconde guerre mondiale, la quasi-totalité des pays
développés connaît une résurgence de l'extrême droite. Mais ce qui singularise la France, depuis
le début des années 2000, c'est que le vote frontiste s'étend au point de faire craindre à chaque
élection que ce parti s'empare du pouvoir.

Nos homologues n'ont pas la même angoisse face au résultat des urnes, à l'exception notable des
Autrichiens dont le candidat d'extrême droite a dominé le premier tour de l'élection présidentielle
le 24 avril et sera opposé à un écologiste lors du second tour le 22 mai, ou encore de ce qui s'est
produit en Pologne aux élections présidentielle puis législatives de 2015, avec le parti
ultraconservateur PiS. Si l'extrême droite existe en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Royaume-
Uni, elle n'a aucune chance d'arriver au pouvoir au niveau national. Même dans les pays
démocratiques où elle réalise de bons scores (au Danemark, en Suède, en Norvège, aux Pays-
Bas, en Grèce…), elle ne peut prétendre gouverner seule.

Et si cette particularité française était le fruit des institutions de la Ve République ?

La Constitution de 1958 a été pensée, de façon explicite, du discours de Bayeux de Charles de


Gaulle à sa présentation par Michel Debré devant le Conseil d'Etat, contre les partis politiques. Ses
institutions ont été conçues à un moment particulier de l'histoire où, dans un pays en guerre civile,
s'est imposé le recours à un homme providentiel. C'est ce qui a donné à la Ve République le
contour que nous lui connaissons, en particulier depuis 1962 et l'élection du président de la
République au suffrage universel direct : un système présidentialiste, selon la formule du
constitutionnaliste Olivier Duhamel.

Certes, la Ve République s'est adaptée, mais il n'est pas saugrenu de penser que, plus de
cinquante ans après son adoption, elle a effectivement façonné les comportements politiques, ceux
des électeurs comme ceux du personnel politique : la défiance vis-à-vis des " errements du régime

13
des partis ", selon la formule gaullienne, est le fond sur lequel prospère le Front national, qui
s'appellera peut-être demain " les patriotes ". C'est cela qui fait son succès, la méfiance à l'encontre
des partis politiques, et celle-ci est inscrite dans les gènes de la Ve République.

Un mouvement qui parvient à se positionner comme le parti antisystème a tout pour gagner dans
un régime pareil. Or, c'est bien la place que nos institutions ont donnée au Front national. La
révision constitutionnelle de 2000, avec le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral,
permettant à l'élection du président de la République de précéder celle des députés, est venue
encore renforcer le fait présidentiel ; la multitude des révisions intervenues depuis 1992 (19, dont
celle de 2008) n'a pas réellement empiété sur son rôle, même si l'article 4 consacré aux partis et
groupements politiques a été légèrement étoffé.

Pensées pour un homme providentiel qui allait durer et qui inscrirait son projet dans l'histoire, les
institutions de la Ve République et son droit électoral ont un effet particulièrement délétère sans
cet homme providentiel. Combinées avec le régime électoral choisi, et en particulier le scrutin
majoritaire à deux tours pour l'élection des députés, ces institutions font que l'on assiste à une
succession de majorités tenues à un homme, qui s'opposent les unes aux autres, au moins dans
les discours.

Aucune culture du compromis ou du consensus ne peut émerger d'un tel terreau ; tous sont vus
comme compromissions et pertes de repères, faisant le jeu de ceux qui se proclament à l'extérieur
du système. Et de fait, les institutions, Constitution et droit électoral, pris ensemble, maintiennent
l'extrême droite à l'extérieur de la sphère de la responsabilité au niveau national, voire de la sphère
de la représentation. C'est faire le lit d'un discours irresponsable, sans que ses conséquences en
apparaissent. Dans un tel contexte, la seule stratégie ne peut être que de gagner l'élection
suprême.

Les risques de surenchère

Le parallèle avec les Etats-Unis, autre démocratie présidentielle, n'infirme pas cette thèse, bien au
contraire. Les scores de Donald Trump, candidat à la primaire républicaine qui affiche un
positionnement extrémiste, montrent les risques de surenchère qu'entraîne une forte
personnalisation du pouvoir dans des périodes où les sociétés sont tentées par le rejet du système.
Mais si Donald Trump était élu, il ne disposerait pas des mêmes pouvoirs que Marine Le Pen en
France : le rôle du Congrès, du Sénat, ainsi que celui des Etats fédérés et de la Cour suprême,
l'existence d'élections à mi-mandat tempèrent les pouvoirs du président américain. Les deux
mandats d'Obama l'ont cruellement rappelé à ceux qui attendaient d'un homme nouveau une
reconfiguration de la politique des Etats-Unis.

La réponse institutionnelle n'est pas la seule à donner au vote d'extrême droite, mais elle est la

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plus puissante, celle qui peut modifier en profondeur notre rapport à la politique car elle en
changera les règles du jeu. Il n'est pas sûr que cette réponse puisse advenir de la classe politique
actuelle, forgée par la Constitution, habituée au cumul des mandats et à leur succession, et qui a
tôt fait d'intégrer le vote frontiste dans ses calculs. Mais il est clair que d'autres institutions sont
nécessaires si nous ne voulons pas que la Ve République tienne sa promesse, celle de la mise à
l'écart des partis politiques de gouvernement.

Et, par-delà la question du Front national qui tire avantage de cette situation, il s'agit aussi de savoir
larguer les amarres par rapport à notre héritage monarchique : un pouvoir plus disséminé, moins
hystérique, n'est-ce pas ce dont nous avons besoin pour cesser de vivre la politique sur le mode
de l'invective et la poser sur le mode de l'efficacité ? Dans son discours de Bayeux, de Gaulle
rappelait la formule de Solon sur la question de la meilleure Constitution : " Dites-moi d'abord pour
quel peuple et à quelle époque. " Aujourd'hui, nos institutions ne correspondent ni au temps ni aux
hommes. Il est grand temps d'y faire face.

Valérie Charolles

Le Monde 6 mai 2016

élection en terre inconnue


ScrutinLes législatives s'inscrivent dans un bouleversement politique sans précédent, analyse
Luc Rouban, du Cevipof
Comment l'élection présidentielle inédite que nous venons de vivre va-t-elle se traduire dans les
prochaines législatives ? Quel rôle -donnera-t-elle à l'Assemblée nationale ? Luc Rouban, -
directeur de recherches CNRS au Centre de recherches -politiques de Sciences Po (Cevipof),
vient de codiriger avec -Pascal Perrineau La Démocratie de l'entre-soi -(Presses de Sciences Po,
218 pages, 17 euros). Il analyse les équilibres politiques à venir.

Au-delà de leurs résultats partisans, en quoi les élections législatives de juin -vont-elles se
distinguer des précédentes ?

On assiste à un tournant historique, à une évolution sans précédent du régime socio-politique de


la Ve République. Non pas une modification constitutionnelle des rapports de force -entre
l'exécutif et le législatif, mais une évolution du contexte dans lequel nos institutions vont devoir
fonctionner. Au sortir du premier tour du 23 avril, on s'est retrouvé avec quatre candidats
quasiment à égalité. Si l'on ajoute à cela que nombre d'électeurs ont voté par -défaut au second
tour, du fait de la présence du Front national (FN), on obtient une situation -inédite : pour la
première fois sous la Ve République, la présidentielle n'a pas défini l'équilibre politique à venir.

Cela va donc donner à l'Assemblée nationale un rôle inhabituel dans la Ve République ?

En effet. L'organisation générale de notre Constitution donne une prééminence à l'exécutif, en


réaction au parlementarisme de la IVe République, marqué par le scrutin proportionnel et par
une extrême instabilité ministérielle. A partir de l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel
direct, en 1962, le régime devient semi-présidentiel. Renforcement du pouvoir exécutif dans le
sens de la décision et de l'action plutôt que du débat démocratique : telle était la marque

15
essentielle de la Ve République portée par le général de Gaulle. Dans l'équilibre originel des
institutions, le Parlement est donc là pour donner une majorité au premier ministre – lequel est
chargé de la mise en œuvre de la politique du gouvernement, subordonné au pouvoir
présidentiel.
Dès les années 1970, toutefois, cette soumission de l'Assemblée nationale est de plus en plus
remise en cause par les intellectuels et par les -juristes, et cela s'accentue encore à partir des -
années 1990-2000. Pour au moins deux raisons. D'une part, du fait de l'émergence d'une
démocratie beaucoup plus critique, qui demande un meilleur contrôle sur l'exécutif : à mesure
que les politiques publiques deviennent plus complexes – notamment dans le domaine de
l'environnement, de la technologie, de la santé –, il -devient nécessaire de les évaluer plus en
détail, et de contrôler les groupes d'intérêt qui y sont liés. Surviennent alors diverses
modifications constitutionnelles – la dernière date de 2008 –, qui renforcent la capacité d'initiative
législative et le pouvoir de contrôle des parlementaires.
A cette évolution se sont ajoutées, entre 1986 et 2002, trois périodes de cohabitation – dont celle,
particulièrement longue, de 1997-2002, entre Jacques Chirac et le premier ministre Lionel Jospin.
Cette cœxistence d'un président et d'une majorité politique qui lui est opposée à l'Assemblée
nationale affaiblit le pouvoir exécutif. C'est pour ça que Jacques Chirac, en 2000, propose la
réforme du quinquennat, qui comprend l'organisation systématique des législatives après la
présidentielle. Le risque de cohabitation est ainsi considérablement réduit. Dès lors, les
législatives deviennent une élection secondaire marquée par un fort taux d'abstention, qui -
confirme en quelque sorte l'élection présidentielle. C'est ce schéma qui vient d'être bouleversé.
L'élection présidentielle de 2017 donne aux législatives un statut décisif, car ce sont -elles, cette
fois, qui vont permettre de trancher les équilibres politiques.

Vont-elles véritablement y parvenir ?

Tout ce que l'on peut dire, c'est que les reports de voix entre le premier tour de la présidentielle et
celui des législatives sont très incertains. A titre d'exemple : selon l'enquête réalisée juste avant
le 23 avril par le Cevipof, seuls 61 % des électeurs qui comptaient voter au premier tour de la
présidentielle pour Emmanuel Macron avaient -l'intention de donner leur voix à un candidat d'En
marche ! aux législatives – 14 % à un candidat du Parti socialiste (PS), 7 % à un candidat Les
Républicains (LR). Du côté de ceux qui avaient l'intention de voter pour Jean-Luc Mélenchon,
54 % comptaient rester -fidèles à La France insoumise pour les législatives, 16 % ayant
l'intention de rallier le PS et 11 % Europe Ecologie-Les Verts (EELV)…
Autre facteur d'incertitude : la disparition du vote de classe. Excepté celui du FN – et encore –,
les électorats sont aujourd'hui très composites. La plupart d'entre eux n'ont pas une base
socioprofessionnelle bien déterminée, contrairement à ce qui fut longtemps le cas (vote ouvrier,
vote des cadres, etc.). Désormais, le choix électoral se détermine sur des considérations qui
relèvent aussi bien de la religion (ou son absence) que de l'âge ou du patrimoine. C'est moins
l'idéologie qui est en jeu que les valeurs et les -intérêts de chacun. A quoi s'ajoutent des
éléments d'interaction sociale, dans les familles ou sur les réseaux sociaux. Tout cela entraîne un
ajustement beaucoup plus complexe et incertain entre l'offre et la demande politiques, qui rend
l'ensemble des opérations électorales plus aléatoire qu'autrefois.

Au premier tour de la présidentielle, près de la moitié des votes exprimés sont -allés à des
candidats ayant des positions -populistes. Comment ce courant peut-il se refléter dans la
législature à venir ?

C'est un héritage qui va peser sur tout le quinquennat. Le populisme, c'est le registre de l'affectif
contre la démonstration rationnelle – un clivage que l'on voyait parfaitement à l'œuvre lors du
débat télévisé du 3 mai entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Dans les législatives à venir,
cette fracture risque de se traduire par de très forts taux d'abstention. Or, au sortir de ces
élections, nous ne serons pas dans une démocratie populiste mais dans une démocratie élitaire.

16
Les tensions entre le peuple et ses représentants vont donc être très fortes. En témoigne, entre
autres, le fait qu'un nombre croissant de -citoyens souhaiteraient que soient conférés à leurs
représentants parlementaires des mandats impératifs et non des mandats libres.

C'est-à-dire ?

Dans les modèles de théorie politique, le mandat libre, ou mandat de représentants, est mené
par des mandataires sociaux : des professionnels de la politique qui vont disposer d'une certaine
marge d'autonomie. Le mandat impératif, lui, est conduit par des représentants qui mettent
strictement en œuvre le programme qui a été décliné pendant la campagne électorale. Ce type
de mandat est déclaré nul par notre Constitution : le député y représente l'ensemble de la nation,
il n'est pas censé défendre les intérêts d'un quelconque groupe de pression.
Pourtant, ce modèle, qui n'est à l'œuvre dans aucune démocratie véritable, a aujourd'hui la -
faveur d'un nombre croissant de nos concitoyens. Dans le cadre du Baromètre de la -confiance
politique du Cevipof, j'ai mené récemment une enquête dans laquelle je posais la question
suivante : " Un élu doit-il avant tout -décider en toute liberté de la meilleure solution pour le
territoire qu'il représente, ou décider en cherchant avant tout à respecter ses engagements
électoraux ? " Au niveau local comme -national, les réponses se répartissent en deux groupes
quasiment égaux. La nature du lien de représentation est donc loin de faire consensus.
Si l'on étudie plus finement ces deux catégories de réponses, on s'aperçoit que, globalement, les
catégories sociales supérieures préfèrent le mandat libre et les catégories populaires le mandat
impératif. Le facteur discriminant est moins le revenu que le niveau d'études. Le mandat libre est
ainsi choisi par 21 % des personnes qui n'ont pas de diplôme, 33 % de celles qui ont un niveau
CAP-BEP, 43 % de celles qui ont un -niveau supérieur à bac + 2, et 55 % de celles qui ont fait
une école de commerce ou d'ingénieurs. On peut conclure de ces résultats que les citoyens les
moins éduqués ne se sentent pas suffisamment représentés par leurs élus, et n'ont pas
confiance en eux du fait d'un trop grand éloignement social.

Comment réduire cette fracture -entre les élus et les citoyens ?

Je vous renvoie dans ce domaine à la fameuse formule du sociologue italien Roberto Michels -
1876-1936 - sur " la loi d'airain de l'oligarchie ". La démocratie spontanée, transparente et directe
est une utopie : partout, toujours, il y aura des oligarchies. Il faut en accepter le principe. Mais il
faut que ces élites puissent représenter davantage la population française et sa sociologie. Cette
diversification, autrefois, passait notamment par la force des partis politiques : le Parti
communiste fut pendant longtemps un centre de formation des ouvriers qui entraient en politique,
de même que le Parti socialiste au niveau local. Mais aujourd'hui les principaux partis sont
grandement fragilisés, et ils ne jouent plus ce rôle. Pour faire une carrière de député, il faut
pratiquement avoir fait des études supérieures, voire Sciences Po Paris ! Le non-renouvellement
des élites est l'aboutissement de toutes les discriminations qui ont lieu en amont dans le système
scolaire français, et c'est dans ce domaine qu'il faudrait porter les efforts en priorité. Une fois les
canaux de recrutement des politiques -organisés, c'est trop tard.

Quelles solutions, encore, pour améliorer -l'efficacité de la démocratie représentative ?

D'abord, renforcer la moralisation de la vie -politique, en mettant en place – comme Emmanuel -


Macron veut en partie le faire – un -contrôle de déontologie beaucoup plus strict sur les élus. -
Ensuite, renforcer considérablement, à l'école, l'apprentissage des institutions et de la vie
politique. Nos enquêtes le montrent, le niveau de connaissances de base en matière d'institutions
est consternant chez les jeunes – parfois même chez les jeunes diplômés. L'ignorance en -
matière politique fait le lit du simplisme et du populisme : si l'on veut vraiment améliorer la
démocratie, il faut développer l'éducation civique. C'est essentiel pour la génération à venir.

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Ne faudrait-il pas également modifier le mode de scrutin des législatives ?

Pourquoi pas, mais comment ? Passer au scrutin à un tour, ce qui obligerait d'emblée les
différents partis à composer entre eux, comme dans les pays du Nord ? J'ai de gros doutes sur
l'efficacité de cette solution. Les traditions et les histoires politiques sont très différentes en
France et dans les pays scandinaves : ils ont de longue date une culture du consensus, quand
nous avons une culture du conflit. Quant à l'introduction d'une dose de proportionnelle, à -laquelle
s'est engagé Emmanuel Macron, il faudra la manier avec une extrême prudence, car elle risque -
d'entraîner une forte instabilité. Or, dans le -contexte de -menaces terroristes et de tensions
internationales qui pèsent actuellement sur notre pays, nous avons besoin d'un exécutif fort. Pas
de gouvernements qui sautent tous les trois mois.
Propos recueillis par Catherine Vincent
Le Monde 13 mai 2017

---> Un Président de la République élu au suffrage universel direct


---> L’importance des attributions du chef de l’Etat

1°) Un Président de la République élu au suffrage universel direct

Depuis 1962, le Président de la République est élu au suffrage universel direct alors que
le texte initial (article 6) ne prévoyait que la désignation à travers un collège de “grands
électeurs”, composé de représentants des conseils municipaux en nombre variable selon
l’importance des communes, des conseillers généraux et des membres du Parlement, soit
environ 80 000 personnes. Par rapport à la III° République et à la IV° République, il s’agissait
cependant d’un collège élargi, puisque les Présidents n’étaient alors élus que par le Parlement
et par lui seul.
Ce n’est qu’en 1962 (référendum du 28 octobre 1962, article 11, Loi du 6 novembre
1962), que le général de Gaulle prit l’initiative de proposer par référendum (62.5% de réponses
positives), le principe de l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel.
Document n°5
Un Président non investi seulement par le Parlement
“Du Parlement composé de deux chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir
exécutif ne saurait procéder, sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le
gouvernement ne serait bientôt plus rien qu’un assemblage de délégations. Sans doute aura-t-il fallu,
pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l’Assemblée nationale constituante le
président du gouvernement provisoire, puisque, sur la table rase, il n’y avait aucun autre procédé
acceptable de désignation. Mais il ne peut y avoir là qu’une disposition du moment. En vérité, l’unité,
la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France doivent être des choses sacrées,
sous peine de voir rapidement la direction du pays impuissante et disqualifiée.
Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline seraient-elles maintenues à la longue si le
pouvoir exécutif émanait de l’autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun des membres
du gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout
entière, n’était, à son poste, que le mandataire d’un parti?
C’est donc du chef de l’Etat, placé au dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement,

18
mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le président de l’Union française en
même temps que celui de la République que doit procéder le pouvoir exécutif”.
Général de Gaulle, discours de Bayeux, 16 juin 1946.
Il en résulta un conflit politique, le renversement du gouvernement de G.Pompidou2 par une
motion de censure, la dissolution de l’Assemblée nationale et de nouvelles élections qui
donnèrent la majorité au parti soutenant le chef de l’Etat.
A cette occasion, les adversaires de la réforme ne manquaient pas de rappeler le précédent du
prince-président, élu au suffrage universel, président de la II° République (1848-1851).
Incontestablement, cette révision de la constitution est la plus importante des révisions,
puisqu’elle a contribué à bouleverser la nature du régime, on ne peut plus dire à partir de cette
révision que la constitution de la Vème République relève d’un régime parlementaire classique.
Selon Maurice Duverger, on glisse à cette date vers un régime semi-présidentiel (ou de type
orléaniste).
Les régimes semi-présidentiels, également qualifiés de présidentialisme parlementaire,
correspondent à des régimes mixtes dans lesquels on retrouve certains traits du système
présidentiel, conjugués aux mécanismes parlementaires. Le Président, élu au suffrage universel,
dispose de prérogatives juridiques plus grande que celle d’un chef d’Etat parlementaire, qui
sont la conséquence directe d’une plus grande légitimité. En effet, le chef de l’Etat devient un
représentant du peuple à l’égal du parlement et donc nettement supérieur au Premier ministre
et aux membres du gouvernement.
Il faut ici bien mesurer les conséquences de l’élection au suffrage universel du chef de l’Etat.
L’opinion publique apprécie indiscutablement ce système de désignation du chef de l’Etat,
comme en témoignent les taux très élevés de participation3.
Ce qui était une réforme difficile il y a plus de quarante ans, est parfaitement admise
aujourd’hui et semble pouvoir être difficilement mise en cause. De plus l’octroi d’une assise
populaire au Président de la République a eu les effets escomptés en légitimant l’extension de
ses pouvoirs au regard des précédentes républiques et en confirmant sa prééminence non
seulement au sein de l’exécutif, mais également face au Parlement.

Par ailleurs, l’élection présidentielle a renforcé le phénomène de bipolarisation, d’une


part, en contraignant les forces politiques à se regrouper autour de deux personnalités incarnant
deux lignes politiques et, d’autre part, en devenant l’élection de référence par rapport à laquelle
toutes les autres consultations électorales se situent, ce qui les conduit à adopter un schéma
bipolaire4.

2
Le gouvernement de Georges Pompidou fut renversé le 5 octobre 1962, par le vote d’une motion de
censure qui recueillit 280 voix sur 480, c’est la première et unique fois, à ce jour, qu’un gouvernement fut contraint
à démissionner suite à l’adoption d’une motion de censure. La dissolution de l’Assemblée nationale eut lieu le 10
octobre 1962, les élections eurent les 18 et 25 novembre, le référendum le 28 octobre..
3
Cependant, les élections de 2002 ont été marquées par un taux élevé d’abstention, et les deux candidats
arrivés au second tour en l’occurrence J. Chirac et J.M Le Pen n’ont recueilli que 36% des suffrages exprimés du
premier tour.
4
Deux élections présidentielles n’ont toutefois pas renforcé la bipolarisation droite / gauche :

19
Les reclassements politiques se font généralement à partir de l’élection présidentielle
(une majorité pour le Président) laquelle oriente toute la classe politique5.

Enfin, l’élection présidentielle a été un puissant facteur de personnalisation du pouvoir.

Sa mise en place a correspondu à l’essor des moyens de communication de masse, a permis à


des candidats de s’imposer aux partis6 et a entraîné un dialogue direct entre les candidats à la
charge suprême et le peuple. Cette personnalisation lié à la médiatisation présente bien des
dangers par rapport à un idéal démocratique, dans la mesure où :
- elle estompe le rôle des assemblées ;
- elle tend à favoriser l’idée de l’existence de « sauveur suprême ».

Document n°6
Pourquoi la France a-t-elle tant d'appétit pour les chefs ?
En ces temps de discrédit des hommes politiques, 80 % des Français disent vouloir " un vrai
chef pour remettre de l'ordre ". Les mythologies bonapartiste et gaulliste semblent persister dans
les esprits

Est-ce à cause de la crise au sein du gouvernement, du discrédit de la classe politique ou du


sentiment d'impuissance face à des décisions prises à un échelon supranational ? A moins que
la crise économique réveille l'espoir d'un sauveur capable de changer la donne ? Plus de 80 %
des personnes interrogées dans le cadre de deux sondages Ipsos réalisés en 2013 et 2014
déclarent avoir " besoin d'un vrai chef pour remettre de l'ordre ". Si cette propension à glorifier
des figures d'exception s'exprime dans d'autres démocraties, elle s'incarne en France dans des
institutions taillées sur mesure par un personnage qui continue de hanter le récit national.

Mise en place par Charles de Gaulle pour mettre fin à l'instabilité politique de la
IVe République, la Constitution de 1958 a renforcé le pouvoir exécutif : elle limite les pouvoirs
du Parlement et confère au président une puissance sans égale. Au point que la Ve République

- celle de 1969 qui donna lieu à un affrontement au sein de la droite entre gaulliste et non
gaulliste, entre G. Pompidou et Alain Poher ;
- celle de 2002 qui, également au second tour, vit une opposition entre droite et extrême droite,
entre J. Chirac et J.M. Le Pen.
5
Ainsi, en 1988, F. Mitterrand, afin de dégager une majorité parlementaire en concordance avec ses
orientations, ouvrit le gouvernement à des membres de la société civile (B. Kouchner, B. Tapie, …) et à des
parlementaires de droite (J.P. Soisson, …) qui s’inscrivirent dans ce que l’on qualifia de « majorité
présidentielle ». La création de l’UMP en 2002 par les partisans de J. Chirac relève également d’une volonté
d’assurer un reclassement politique en cherchant à créer un parti unique de la droite, unifié autour du Président,
tentative qui a cependant échoué, l’Union pour le Démocratie Française, fondé par l’ancien Président Valéry
Giscard d’Estaing s’est maintenu, avec à sa tête F. Bayrou.
6
Toutefois, il convient de relever qu’aucun candidat n’a pu s’imposer sans l’appui d’une structure
partisane.

20
s'est vu qualifier de " monarchie républicaine ".

" Si la France possède un rapport particulier à la verticalité, c'est sans doute lié à l'histoire
millénaire de l'autorité monarchique, mais aussi au poids de l'expérience bonapartiste, qui a
laissé une marque positive, explique l'historien Jean Garrigues. Lors du retour des cendres de
Bonaparte, en 1840, plus d'un million de Parisiens et de provinciaux avaient assisté à la
cérémonie. Avec Charles de Gaulle, on assiste à une double résurgence de l'homme
providentiel, en tant que résistant solitaire de 1940 et en tant que père protecteur de 1958. "

Depuis 1962, le président, qui était auparavant élu par les députés et les sénateurs, est consacré
par le peuple au suffrage universel direct. Fort de cette légitimité, il exerce un pouvoir qui est
rarement contrebalancé par le Parlement. Surtout depuis l'instauration du quinquennat,
en 2002 : l'élection présidentielle précède désormais les élections législatives. Sauf cas
exceptionnel, l'Assemblée nationale, élue dans la foulée de la présidentielle, conforte la majorité
qui vient de remporter l'Elysée. Le président bénéficie alors de l'obéissance d'un gouvernement,
dont il désigne le chef. " Les ministres ont officiellement du pouvoir, mais c'est un pouvoir
d'illusion, affirme Jean-Michel Djian, auteur d'un livre et d'un film, Ministre ou rien, sur la
fonction ministérielle. Dans la pratique, ils n'en ont pas. C'est une seule personne qui décide
d'aller faire la guerre au Mali ! "

Certes, une charte de déontologie datant de 2012 stipule que " chaque membre du gouvernement
a le droit de s'exprimer dans le respect de la confidentialité qui s'attache aux délibérations du
gouvernement sur tout sujet, y compris les sujets extérieurs à ses attributions ". Il arrive même
que les ministres s'invectivent en public. Mais, in fine, ils sont souvent sommés de rentrer dans
le rang ou de démissionner. Le déroulement des conseils des ministres témoigne de cette
culture d'obédience. " Le président donne la parole à tel ministre qui prononce une
communication, éventuellement il laisse son premier ministre dire un mot, puis il conclut et
passe au point suivant ", résume Jean-Pierre Dubois, professeur de droit constitutionnel.

Rien à voir avec l'Allemagne, où un règlement de procédure gouvernementale protège le droit


des ministres à la délibération. Les points soulevés par le chancelier doivent leur être soumis
huit jours avant la réunion et ils donnent lieu à un débat contradictoire, puis à un vote. " Les
ministres sont plus autonomes, souligne le sociologue Yves Sintomer. Ils n'ont pas la moitié
de leur cabinet nommé par le premier ministre ou le président. Les réunions interministérielles
ne sont pas tranchées de manière autoritaire par la chancelière. " Dans ce pays traumatisé par
le nazisme, on préfère aujourd'hui la culture de la négociation au culte de la personnalité. "
La France n'a pas mené une réflexion suffisante sur son propre passé autoritaire - le fascisme
français des années 1930, le gouvernement de Vichy, son comportement pendant la guerre
d'Algérie ", estime le sociologue.

21
Quoi qu'il en soit, le chef ne véhicule pas, en France, une image aussi inquiétante qu'outre-Rhin.
Même si la gauche reste moins à l'aise que la droite avec les leaders." On suspecte toujours la
gauche d'être incapable d'assumer cette fonction, affirme le philosophe Robert Damien. Si bien
que lorsque François Mitterrand a accédé aux plus hautes fonctions, on s'est demandé s'il n'était
pas de droite ! " Mais derrière les dénégations, la réalité est moins tranchée. " La gauc he a
toujours combattu le bonapartismemais, en dépit de cette méfiance, elle aussi a donné naissance
à plusieurs figures de sauveur, comme Léon Gambetta auquel on a même reproché d'être un
nouveau César ", rappelle l'historien Jean Garrigues.

Un mythe ancien et partagé alimente donc la fabrique contemporaine des hommes


providentiels. Mais, malgré cette longue tradition, la chefferie perd peu à peu de son aura sacrée.
La dimension esthétique et l'éloquence littéraire autrefois attachées à la fonction suprême se
sont dissoutes dans la banalisation de l'image de président. " François Mitterrand est le dernier
chef en phase avec le modèle imaginaire français, estime Jean-Michel Djian. Habité par un
machiavélisme noble, c'était un lettré qui aimait l'art et le pouvoir. Ce cycle est terminé. "

" Si Nicolas Sarkozy était dominé par son corps personnel, avec un verbe approximatif,
François Hollande est, quant à lui, trop effacé, avec un langage trop technique ", renchérit le
philosophe Robert Damien. Les portraits officiels qui trônent dans les mairies portent
l'empreinte de cette désacralisation : alors que François Mitterrand avait choisi Gisèle Freund,
photographe de James Joyce et Marguerite Yourcenar, Nicolas Sarkozy a fait confiance à
Philippe Warrin, celui des émissions de téléréalité, le " Loft " et la " Star Ac'".

Car le leadership politique est aujourd'hui chahuté par les transformations du monde et de la
société. L'autorité de la fonction s'est abîmée dans la mondialisation et la construction
européenne, qui donnent l'impression que ce sont des institutions - et non plus des hommes,
aussi puissants soient-ils - qui décident de l'avenir des Etats. " Face au poids des agences de
notation européennes, les citoyens ont un sentiment de dépossession démocratique ", affirme le
philosophe Jean-Claude Monod.

Au même moment, l'émergence de mouvements sans leader comme les " indignés " dit
l'aspiration contemporaine à davantage d'horizontalité. " Pendant le XXe siècle, on a dit aux
masses qu'elles ne pourraient pas s'en sortir sans chef pour les orienter, assure l'historien Yves
Cohen. Ce n'est plus un discours tenable au XXIe siècle, même si une modalité de la vie
politique reste présidentialiste. "

Ainsi démythifiés, les sauveurs potentiels n'apparaissent plus aussi légitimes que leurs
prédécesseurs. Du coup, pour sortir du lot, certains surjouent les postures martiales à la manière

22
de Nicolas Sarkozy qui avait choisi pour scène la Camargue, en 2007 : il s'était fait filmer sur
une blanche monture, comme pour mimer la chevauchée victorieuse du futur empereur au pont
d'Arcole...

C'est que la v irilité à l'ancienne continue de faire ses preuves. La cote de popularité du président
François Hollande n'a-t-elle pas frémi lorsque, confortant son statut traditionnel de chef des
armées, il a pris la décision d'intervenir au Mali ? " Le vieux bonapartisme renaît aujourd'hui
de ses cendres, affirme Christian Salmon.Maisc'est un bonapartisme d'opérette. Une épopée en
carton-pâte. "

Il n'est pas simple d'adapter l'image du chef à la démocratie. C'est pourtant ce que proposent
deux philosophes dans des ouvrages récents. Pour Jean-Claude Monod, " l'idée que les
dirigeants le sont par nature est en crise, mais c'est une illusion de croire aux bienfaits
automatiques de l'impersonnel. Un chef est nécessaire en démocratie pour porter les intérêts du
peuple. C'est quelqu'un à qui on peut demander des comptes ". Robert Damien, lui, défend une
vision inspirée de son expérience d'entraîneur de rugby : " Il existe une conception désastreuse
d'une autorité exclusivement pyramidale, qui consiste à refuser toute contestation. La nouvelle
matrice doit être celle du chef d'équipe et reposer sur la coopération. "

Marion Rousset

À LIRE" éloge del 'autorité. Généalogie d'une (dé)raison politique "de Robert Damien(Armand
Colin, 2013). " Le Siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de
l'autorité (1890-1940) "d'Yves Cohen (Amsterdam, 2013)." Qu'est- chef en démocratie ?
Politiques du charisme "de Jean-Claude Monod (Seuil, 2012)." Les hommes providentiels.
Histoire d'une fascination française "de Jean Garrigues (Seuil, 2012).

Le Monde 30 août 2014

a) Les modalités de l’élection proprement dite

• Les conditions de candidature : la question du parrainage


La réforme de 1962, instaurant l’élection au suffrage universel direct du Chef de l’Etat,

23
précisait que pour être candidat, il convenait d’obtenir la signature de 100 élus dans dix
départements différents. Mais suite aux élections de 1965, 1969 et de 1974, le législateur a
enregistré une inflation de candidatures :

- élections présidentielles de 1965 : 6 candidats, De Gaulle, Mitterrrand, Lecanuet,


Tixier-Vignancourt, Marcilhacy (1,71%), Barbu (1,15%) ;
- élections présidentielles de 1969 : 7 candidats, Pompidou, Poher, Duclos, Deferre
(5,01%), Rocard (3,61%), Ducatel ((1,26%), Krivine (1,05%) ;
- élections présidentielles de 1974 : 11 candidats, Gisgard-D’Estaing, Mitterrand,
Chaban-Delmas, Royer (3,17%), Laguillier (2,33%), Dumont (1,32%), Krivine
(0,36%), Héraud (0,07%), Le Pen (0,74%), Muller (0,69%), Renouvin (0,17%).

Afin d’éviter un nombre de candidats trop conséquent, la Loi organique du 18 juin 1976 a
relevé le nombre de signatures exigibles pour être candidat à la magistrature suprême.
Désormais, pour être candidat à l’élection présidentielle, il convient de recueillir la signature
de 500 élus appartenant à 30 départements différents .

Cette loi organique a permis une limitation du nombre de candidatures, en 1981, il y a 10


candidats.

Document n°7
Elections présidentielles de 1981

premier tour second tour


26 avril 1981 10 mai 1981
% des inscrits % des votants % des inscrits % des votants
Inscrits 36 398 859 36 398 762
Abstentions 6 882 777 18,91 5 149 210 14,15
Votants 29 516 082 81,09 31 249 552 85,85
Nuls 477 965 01,62 898 984 02,88
Suffrages exprimés 29 038 117 98,38 30 350 568 97,12
premier tour second tour
26 avril 1981 10 mai 1981
voix % des inscrits % des exprimés voix % des inscrits % des exprimés
Valéry Giscard d'Estaing 8.222.432 22,59 28,32 14.642.306 40,23 48,24
François Mitterrand 7 505 960 20,62 25,85 15 708 262 43,16 51,76
Jacques Chirac 5 225 848 14,36 18,00
Georges Marchais 4 456 922 12,24 15,35
Brice Lalonde 1 126 254 03,09 03,88
Arlette Laguiller 668 057 01,84 02,30
Michel Crépeau 642 847 01,77 02,21
Michel Debré 481 821 01,32 01,66
Marie-France Garaud 386 623 01,06 01,33
Huguette Bouchardeau 321 353 00,88 01,11

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24
Elections présidentielles de 1988

premier tour second tour


24 avril 1988 8 mai 1988
% des inscrits % des votants % des inscrits % des votants
Inscrits 38 179 118 38 168 869
Abstentions 7 119 818 18,65 6 083 798 15,94
Votants 31 059 300 81,35 32 085 071 84,06
Nuls 622 566 02,00 1 161 822 03,62
Suffrages exprimés 30 436 734 98,00 30 923 249 96,38
premier tour second tour
24 avril 1988 8 mai 1988
voix % des inscrits % des exprimés voix % des inscrits % des exprimés
François Mitterrand 10.381.322 27,19 34,11 16.704.279 43,76 54,02
Jacques Chirac 6 075 160 15,91 19,96 14 218 970 37,25 45,98
Raymond Barre 5 035 144 13,19 16,54
Jean-Marie Le Pen 4 376 742 11,46 14,38
André Lajoinie 2 056 261 05,39 06,76
Antoine Waechter 1 149 897 03,01 03,78
Pierre Juquin 639 133 01,67 02,10
Arlette Laguiller 606 201 01,59 01,99
Pierre Boussel 116 874 00,31 00,38

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25
Elections présidentielles de 1995

premier tour second tour


23 avril 1995 7 mai 1995
% des inscrits % des votants % des inscrits % des votants
Inscrits 39 993 954 39 976 944
Abstentions 8 646 994 21,62 8 131 125 20,34
Votants 31 346 960 78,38 31 845 819 79,66
Nuls 882 408 02,81 1 902 148 05,97
Suffrages exprimés 30 464 552 97,19 29 943 671 94,03
premier tour second tour
23 avril 1995 7 mai 1995
voix % des inscrits % des exprimés voix % des inscrits % des exprimés
Lionel Jospin 7.098.191 17,75 23,30 14.180.644 35,47 47,36
Jacques Chirac 6 348 696 15,87 20,84 15 763 027 39,43 52,64
Édouard Balladur 5 658 996 14,15 18,58
Jean-Marie Le Pen 4 571 138 11,43 15,00
Robert Hue 2 632 936 06,58 08,64
Arlette Laguiller 1 615 653 04,04 05,30
Philippe de Villiers 1 443 235 03,61 04,74
Dominique Voynet 1 010 738 02,53 03,32
Jacques Cheminade 84 969 00,21 00,28

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26
Toutefois, les élections présidentielles de mai 2002 ont réouvert le débat suite à la présentation
de 15 candidats7. En 2007, il y a eu 11 candidats : Gérard Schivardi, Olivier Besancenot, Arlette
Laguiller, Frédéric Nihous, Marie-George Buffet, Dominique Voynet, Ségolène Royal,
François Bayrou, Nicolas Sarkozy, Philippe De Villiers,Jean-Marie Le Pen . S’agit-il d’un
filtrage contraire aux principes démocratiques?
En 2012, il y eut dix candidats : Jacques Cheminade, Nathalie Artaud, Philippe Poutou, Eva
Joly, Jean-Luc Melenchon, François Hollande, François Bayrou, Nicolas Sarkozy, Nicolas
Dupont-Aignan, Marine Le Pen.

Election présidentielle 2002

Nombre % Inscrits

7
Extrême Gauche : Gluxtein, Laguiller, Besançenot. Gauche : Taubira, Chevènement, Jospin, Hue,
Mamère. Droite : Le Page, Madelin, Bayrou, Chirac. Extrême droite : Le Pen, Mégret. Indépendant : Saint-Josse
(Chasse, Pêche, Nature et Tradition).

27
Inscrits 41 192 272 100,00

Abstentions 8 359 440 20,29

Votants 32 832 832 79,71

Nombre % Votants

Blancs ou Nuls 1 769 904 5,39

Exprimés 31 062 928 94,61

Voix % Exprimés

M. JACQUES CHIRAC 25 537 894 82,21

M. JEAN-MARIE LE PEN 5 525 034 17,79

RAPPEL DES RESULTATS 1er tour


DIMANCHE 21 AVRIL 2002

Nombre % Inscrits

Inscrits 41 197 964 100,00

Abstentions 11 700 076 28,40

Votants 29 497 888 71,60

Nombre % Votants

Blancs ou Nuls 998 401 3,38

Exprimés 28 499 487 96,62

Voix % Exprimés

M. BRUNO MEGRET 667 043 2,34

Mme CORINNE LEPAGE 535 875 1,88

M. DANIEL GLUCKSTEIN 132 696 0,47

M. FRANCOIS BAYROU 1 949 219 6,84

M. JACQUES CHIRAC 5 666 021 19,88

M. JEAN-MARIE LE PEN 4 804 772 16,86

Mme CHRISTIANE TAUBIRA 660 515 2,32

28
M. JEAN SAINT-JOSSE 1 204 801 4,23

M. NOEL MAMERE 1 495 774 5,25

M. LIONEL JOSPIN 4 610 267 16,18

Mme CHRISTINE BOUTIN 339 157 1,19

M. ROBERT HUE 960 548 3,37

M. JEAN-PIERRE CHEVENEMENT 1 518 568 5,33

M. ALAIN MADELIN 1 113 551 3,91

Mme ARLETTE LAGUILLER 1 630 118 5,72

M. OLIVIER BESANCENOT 1 210 562 4,25

Election présidentielle 2007

Nombre % Inscrits

Inscrits 44 472 733 100,00

Abstentions 7 130 729 16,03

Votants 37 342 004 83,97

Nombre % Votants

Blancs ou Nuls 1 568 426 4,20

Exprimés 35 773 578 95,80

Voix % Exprimés

M. Nicolas SARKOZY 18 983 138 53,06

Mme Ségolène ROYAL 16 790 440 46,94

RAPPEL DES RESULTATS 1er tour


DIMANCHE 22 AVRIL 2007

Nombre % Inscrits

Inscrits 44 472 834 100,00

Abstentions 7 218 592 16,23

Votants 37 254 242 83,77

29
Nombre % Votants

Blancs ou Nuls 534 846 1,44

Exprimés 36 719 396 98,56

Voix % Exprimés

M. Olivier BESANCENOT 1 498 581 4,08

Mme Marie-George BUFFET 707 268 1,93

M. Gérard SCHIVARDI 123 540 0,34

M. François BAYROU 6 820 119 18,57

M. José BOVÉ 483 008 1,32

Mme Dominique VOYNET 576 666 1,57

M. Philippe de VILLIERS 818 407 2,23

Mme Ségolène ROYAL 9 500 112 25,87

M. Frédéric NIHOUS 420 645 1,15

M. Jean-Marie LE PEN 3 834 530 10,44

Mme Arlette LAGUILLER 487 857 1,33

M. Nicolas SARKOZY 11 448 663 31,18

Document n°8
Résultats* 2nd tour 2012

Nombre % Inscrits % Votants


Inscrits 46 066 307
Abstentions 9 049 998 19,65
Votants 37 016 309 80,35
Blancs ou nuls 2 154 956 4,68 5,82
Exprimés 34 861 353 75,68 94,18

Liste des candidats Voix % Exprimés


M. François HOLLANDE 18 000 668 51,64
M. Nicolas SARKOZY 16 860 685 48,36

30
Résultats* 1er tour

Nombre % Inscrits % Votants


Inscrits 46 028 542
Abstentions 9 444 143 20,52
Votants 36 584 399 79,48
Blancs ou nuls 701 190 1,52 1,92
Exprimés 35 883 209 77,96 98,08

Liste des candidats Voix % Exprimés


Mme Eva JOLY 828 345 2,31
Mme Marine LE PEN 6 421 426 17,90
M. Nicolas SARKOZY 9 753 629 27,18
M. Jean-Luc MÉLENCHON 3 984 822 11,10
M. Philippe POUTOU 411 160 1,15
Mme Nathalie ARTHAUD 202 548 0,56
M. Jacques CHEMINADE 89 545 0,25
M. François BAYROU 3 275 122 9,13
M. Nicolas DUPONT-AIGNAN 643 907 1,79
M. François HOLLANDE 10 272 705 28,63

France Entière

*
Résultats au 2d tour

Liste des candidats Voix % Inscrits % Exprimés

M. Emmanuel MACRON 20 743 128 43,61 66,10

Mme Marine LE PEN 10 638 475 22,36 33,90

31
Nombre % Inscrits % Votants

Inscrits 47 568 693

Abstentions 12 101 366 25,44

Votants 35 467 327 74,56

Blancs 3 021 499 6,35 8,52

Nuls 1 064 225 2,24 3,00

Exprimés 31 381 603 65,97 88,48

En raison des arrondis à la deuxième décimale, la somme des pourcentages peut ne pas être égale à
100%.

France Entière

*
Rappel des résultats au 1er tour

Liste des candidats Voix % Inscrits % Exprimés

M. Emmanuel MACRON 8 656 346 18,19 24,01

Mme Marine LE PEN 7 678 491 16,14 21,30

M. François FILLON 7 212 995 15,16 20,01

32
Liste des candidats Voix % Inscrits % Exprimés

M. Jean-Luc MÉLENCHON 7 059 951 14,84 19,58

M. Benoît HAMON 2 291 288 4,82 6,36

M. Nicolas DUPONT-AIGNAN 1 695 000 3,56 4,70

M. Jean LASSALLE 435 301 0,91 1,21

M. Philippe POUTOU 394 505 0,83 1,09

M. François ASSELINEAU 332 547 0,70 0,92

Mme Nathalie ARTHAUD 232 384 0,49 0,64

M. Jacques CHEMINADE 65 586 0,14 0,18

Nombre % Inscrits % Votants

Inscrits 47 582 183

Abstentions 10 578 455 22,23

Votants 37 003 728 77,77

33
Nombre % Inscrits % Votants

Blancs 659 997 1,39 1,78

Nuls 289 337 0,61 0,78

Exprimés 36 054 394 75,77 97,43

En raison des arrondis à la deuxième décimale, la somme des pourcentages peut ne pas être égale à
100%.

*Résultats proclamés par le conseil constitutionnel.

Face à cette interrogation, on peut relever qu’une série d’institutions publiques mobilisent des
moyens pour contrôler le bon fonctionnement des élections présidentielles, justifiant peut-être
ainsi, les dispositifs de limitation du nombre de candidats :
- les candidats bénéficient de facilités pour leur campagne électorale, heures de
radiodiffusion et de télévision et remboursement des frais de campagne au cas où ils
obtiendraient 5 % des suffrages exprimés, facilités qui se traduisent en coûts pour la
communauté des citoyens ;
- le Conseil Constitutionnel publie la liste des candidatures officiellement retenues ainsi
que les résultats8, et le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel veille à ce que chacun des
candidats disposent d’un droit d’antenne équitable.

8
Notons ici une particularité à propos du Conseil constitutionnel : selon la loi n°76527 du 18 juin 1976,
en cas de décès ou d’empêchement d’un candidat, « dans les sept jours précédant la date limite du dépôt des
présentations de candidature, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date, annoncé
publiquement sa décision d’être candidate décède ou se trouve empêchée, le Conseil Constitutionnel peut décider
de reporter l ‘élection » : il y a là une prérogative qui permet au Conseil Constitutionnel d’apprécier la
représentativité électorale d’un candidat . Par ailleurs, « si avant le premier tour, un des candidats » ou si « l’un
des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant les retraits éventuels » décède ou est empêché, il
appartient au Conseil Constitutionnel de prononcer le report de l’élection dans le premier cas ou « de procéder de
nouveau à l’ensemble des opérations électorales dans le second cas ».

34
Relevons que la révision de 2008 modifie le premier alinéa de l’article 6 de la
Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut accomplir plus de deux mandats consécutifs. »
La limitation du cumul des mandats « dans le temps » entame formellement la liberté de
choix du suffrage universel (c’est pour cette raison que le comité Balladur n’avait pas retenu
cette réforme proposée par Nicolas Sarkozy), mais peut se justifier compte tenu de l’importance
des prérogatives présidentielles (cette solution a d’ailleurs été retenue dans nombre de pays
européens où le président de la République n’a pourtant pas les mêmes pouvoirs que le
Président français ; cette limitation du cumul dans le temps des mandats présidentiels existe aux
Etats-Unis depuis 1951).

• Le mode de suffrage
Document n°9
Le Chef de l’Etat (en vertu de l’article 7 et de la Loi n°62-1292 du 6 novembre 1962) « est
élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas obtenue, il est procédé
(Loi Constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003), le « quatorzième jour suivant » à un
second tour.
« Seuls peuvent s’y présenter les deux candidats qui, le cas échéant après retrait de
candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de suffrages au
premier tour ».

Document n°10

Modalités de remplacement du président en cas d’empêchement.


Le Chef de l’Etat est élu seul et la formule du Vice-Président n’existe pas. Il en résulte que l’intérim est assuré
par le Président du Sénat, et non par le Président de l’Assemblée nationale, les pouvoirs du Président intérimaire
sont légèrement réduits par rapport à ceux du Président de plein exercice: il ne peut ni dissoudre l’Assemblée
nationale, ni procéder à un référendum, mais il a par contre la faculté de mettre en oeuvre l’article 16 des pleins
pouvoirs. Selon l’article 7, « si celui-ci est à son tour empêché d’exercer ses fonctions », l’exercice de ses fonctions
revient au gouvernement. Plus précisément, une ordonnance de 1959 précise qu’en cas d’empêchement du
Président du Sénat, l’intérim est assuré par le Premier ministre puis par tous les ministres et les secrétaires d’Etat
dans leur ordre de nomination au Journal Officiel. Ensuite, ce sont les préfets, chacun dans son département qui
assure la continuité de l’Etat.

b) Un Président originellement élu pour sept ans

Le Président de la République est élu pour sept ans dans le texte originel : il convient de relever
qu’originellement, cette durée ne s’explique pas pour des raisons objectives tenant à la nature
de la charge, mais par le conflit qui opposa en 1873-1875 les monarchistes et les républicains
de l’Assemblée de Versailles. Il sembla souhaitable, pour régler les susceptibilités de confier
au maréchal Mac-Mahon un “intérim” de 7 ans, calculé sur l’espérance de vie du comte de

35
Chambord9.
Or, le choix du septennat, choix de pure circonstance, a trouvé des défenseurs qui mobilisaient
généralement deux arguments :

- celui de la nécessaire dissociation entre durée du mandat présidentiel et parlementaire


(celui des députés) afin de maintenir à un niveau haut la fonction symbolique du Chef
de l’Etat ;

- celui de la nécessité pour un Chef d’Etat en charge de fonctions essentielles de disposer


d’un mandat de longue durée, pour éviter que celui-ci soit constamment en campagne
électorale, comme c’est le cas aux Etats-Unis (mandat de quatre ans pour le Président
aux Etats-Unis). Aux Etats-Unis, les quatre années se ramènent à deux utiles, la
première étant hypothéquée par les décisions de la précédente présidence, et la dernière
marquée par la nouvelle campagne électorale.

c) L’adoption du quinquennat

Par la loi constitutionnelle n°2000-964 du 2 octobre 2000, et suite au référendum du 24


septembre 200010, l’article 6 a été modifié stipulant que désormais, « Le Président de la
République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct ».

Les partisans de la réduction de la durée du mandat relevait que :


- cela créerait une simultanéité avec la législature et éviterait ainsi les périodes de
cohabitation (non adéquation entre orientation politique du Chef de L’Etat et celle de
la majorité de l’Assemblée nationale), source à leurs yeux de dysfonctionnement de
l’appareil d’Etat à son plus haut niveau ;
- cela permettrait aux citoyens de se prononcer plus régulièrement pour désigner le
personnage le plus important dans les actuelles institutions républicaines ; source par
conséquent d’un renforcement de la démocratie.
Il reste que l’argument en faveur du quinquennat qui consiste à souligner un nécessaire
renforcement de la cohésion de l’action de l’Etat par accord entre pouvoir exécutif et
législatif est largement critiquable sous l’effet :

- de l’existence d’une possibilité de non adéquation entre majorité présidentielle et

9
Cf. Loi du 20 novembre 1873 qui confia le titre de Chef d'Etat à Mac-Mahon. Amendement Henri
Wallon du 30 janvier 1875 sur la dépersonnalisation de la fonction présidentielle.
10
Ce référendum a été marqué par une abstention conséquente, 69.81% des inscrits, le « oui » recueillant
84% des suffrages.

36
majorité parlementaire, suite à une dissolution de l’Assemblée nationale, à un
empêchement ou un décès du Chef de l’Etat donnant lieu par conséquent à une nouvelle
élection diachronique ;

- d’une interrogation légitime en démocratie, sur la nécessaire alliance entre pouvoir


exécutif et législatif, voire judiciaire, au regard du non moins essentiel principe de
séparation et d’indépendance des pouvoirs. La volonté d’éviter une cohabitation par
concordance de la durée des mandats présidentiel et des députés, participe au fond d’une
volonté de renforcer le rôle du Chef de l’Etat dans le fonctionnement quotidien des
institutions de la Vème République :

• loin d’une conception de son rôle en tant qu’arbitre « au dessus des


partis » ; et posant ainsi une interrogation autour de la légitimité de l’existence d’un
premier ministre – dès lors qu’il y a concordance entre majorité présidentielle,
parlementaire et par conséquent gouvernementale, le rôle du Premier Ministre tend
à se confondre avec un « super directeur de cabinet présidentiel », simple « fusible »
du Chef de l’Etat en cas de crise politique et/ou sociale - ;

• loin de l’idée d’une démocratie tempérée par l’exercice d’un contrôle


régulier par des contre-pouvoirs, le quinquennat (associé au bouleversement du
calendrier électoral opéré en 2002, fait précéder l’élection présidentielle sur les
élections législatives) conduisant à un mode fonctionnement des institutions dans
lequel « on vote plus souvent, mais on contrôle moins », au risque de « l’omni-
présidence » ou d’une dérive présidentialiste.

Ainsi, l’adoption du quinquennat participe apparemment, par la réduction de la durée


du mandat présidentiel, d’une volonté de voir le poids du Chef de l’Etat amoindri.

Mais l’analyse du fonctionnement de nos institutions depuis 2002 semble montrer, au


contraire, un affaiblissement conséquent du rôle du Premier Ministre au profit d’un
renforcement de celui du Chef de l’Etat.

Encore qu’en la matière, là aussi, des interrogations apparaissent, si l’affaiblissement de


l’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin - peut être pour des raisons conjoncturelles
(réformes impopulaires sur la question des retraites ou sur l’assurance maladie) – semblait
avéré en fin de fonction ; le rôle éminent du Chef de l’Etat dans la détermination et la
conduite de la politique de la nation reste à prouver lorsque Jacques Chirac était Président.
Somme toute, l’adoption du quinquennat a brouillé plus que clarifié la répartition des rôles

37
au sein du pouvoir exécutif, mais ce brouillage était peut être lié aux hommes qui occupaient
de 2002 à 2007 les fonctions essentielles du pouvoir exécutif.

Depuis le 6 mai 2007 et jusqu'en 2012, une lecture plus claire des institutions apparaît :
le Chef de l’Etat détermine et conduit la politique de la Nation dans les faits, le Premier
ministre et les ministres sont en charge d’exécuter, de mettre en oeuvre les orientations
présidentielles. La révision de juillet 2008 tend à confirmer - dans la pratique - une telle
lecture présidentialiste de nos institutions – en référence à la modification de l'article 18 de
la Constitution conférant la possibilité au Chef de l'Etat de prononcer un discours – en
personne – devant les députés et les sénateurs.
Il reste que, au delà des premiers enseignements que l’on peut tirer de l’adoption du
quinquennat, il convient de rappeler que le septennat était un des mandats le plus long et
surtout qui donnait des pouvoirs à un seul homme sans contreseing.
Le septennat était logique pour un chef de l’Etat dans un régime parlementaire classique,
pas vraiment dans le cadre de la Vème République. L’importance des pouvoirs du chef de
l’Etat justifiait son élection au suffrage universel, non la durée de son mandat.

Le manque de lisibilité des fonctions de chacun des membres de l’exécutif de 2002 à


2007 et la dérive présidentialiste de 2007 à 2012, ne proviendrait pas en soi de l’adoption
du quinquennat mais de l’abandon du découpage initialement opéré par la pratique
gaullienne :
- au Chef de l’Etat, un rôle d’arbitre auquel se surajoutent des fonctions de « haute
politique », en charge des questions de défense et de politique étrangère11 ;
- au Premier Ministre, le rôle de déterminer et de conduire la politique de la Nation au
quotidien, conformément à l’article 20 et 21 de la Constitution.
Découpage que semble vouloir assurer François Hollande.
Cette réaffirmation du découpage des rôles s’inscrirait dans une lecture plus
parlementaire du régime de la Vème République, mais justifierait finalement, la
proposition de F. Mitterrand de l’adoption d’un septennat non renouvelable pour le Chef
de l’Etat, pour autant que l’on puisse croire en l’existence d’un Chef d’Etat assumant
pleinement un rôle d’arbitre, se situant « au dessus des partis ».

Document n°11

11
Une telle lecture semble indiquer qu’il existerait au profit du Chef de l’Etat un « domaine réservé », celui
des questions de défense et des affaires étrangères dans le texte constitutionnel, il convient ici de préciser que ce
n’est point le cas, seule la pratique des différents présidents justifient une telle appréhension de leurs fonctions et
de leur rôle (Cf. Infra).

38
Du scandale comme arme politique
Une campagne électorale permanente
C'est une caractéristique des scandales que d'entretenir la confusion : les accusateurs insistent
sur la gravité des fautes et les défenseurs sont plus soucieux de les minimiser et de dénoncer le
complot. Les récentes affaires qui viennent d'allonger une liste déjà très longue l'ont à nouveau
illustré.
Alors que les affaires Tapie, Bettencourt, Karachi, celle des sondages de l'Elysée, d'un
financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 sont encore en cours, une
soudaine accumulation - Jean-François Copé et l'agence Bygmalion, les enregistrements de
Patrick Buisson et les révélations des écoutes téléphoniques impliquant un ancien président de
la République, son avocat et un magistrat de la Cour de cassation - suscite les mêmes réactions.
Pour les amateurs de complots et d'intrigues, rien ne serait nouveau sous le soleil. A la limite,
il n'y aurait rien à dénoncer que les dénonciations. Pour les autres, l'occasion serait trop belle
s'ils ne craignaient d'alimenter l'impression de complot. On peut craindre que tous aient perdu
la mémoire. On peut minimiser ou au contraire s'indigner des affaires qui défraient la chronique,
sans comprendre que leur prolifération signifie plus que les turpitudes isolées d'individus ou
d'un camp politique, même si, en l'occurrence, la droite semble avoir une longueur d'avance. Il
est en effet difficile d'accepter que la politique française se rapproche du monde délinquant sans
qu'on ait voulu ou su tirer le signal d'alarme.
Les scandales prolifèrent en France depuis trois décennies.

En 1986, au début de la cohabitation, le Carrefour du développement fut un premier révélateur


des affaires qui concernent essentiellement le financement politique et sont devenues une
méthode ordinaire de lutte politique. Ensuite, il y eut l'affaire Urba, l'affaire Elf, l'affaire des
HLM de la ville de Paris, pour n'en nommer que quelques-unes.
Les lois sur le financement politique adoptées entre 1988 et 1993 auraient dû tout changer.

Ce ne fut pas le cas. Les affaires continuent, et il faut bien en rechercher le sens. On peut même
mettre d'accord ceux qui affectent de ne voir que la tricherie ou le complot : les mêmes raisons
expliquent la montée des violations de normes et des dévoilements.
Le scandale est devenu une méthode ordinaire des luttes politiques parce que l'argent prenait
de plus en plus de place. Encore un paradoxe de la Ve République : son fondateur prétendait
être " au-dessus des partis " ; il a pourtant organisé un parti puissant et discipliné comme l'UDR.
L'Etat-UDR a financé tant que les dirigeants du parti gaulliste ont tenu l'Etat. Ensuite, il fallut
trouver de nouvelles ressources. La conquête de la Mairie de Paris en 1977 fut l'aubaine.

Pour l'union de la gauche aussi, la conquête passa par la recherche de financements. Le cabinet
d'études Urba Conseil avait été créé en 1973 pour centraliser les versements des entreprises au
Parti socialiste. Dans tous les cas, l'argent local fut primordial. La banalité du financement
illégal enleva toute culpabilité, au point que les valises circulaient et que, dans certains cas,
comme à Paris, les adversaires politiques se partageaient les commissions.

Le financement public des partis n'arrêta pas les dérives, car le présidentialisme imposait ses
règles en concentrant le pouvoir et l'attention sur les individus. L'élection présidentielle a envahi
l'espace politique au point de le transformer en campagne électorale permanente, obnubilée par
les rivalités de personnes. Or ces luttes personnalisées condamnent à s'attaquer au crédit des
personnes. La réduction des écarts politiques, la désidéologisation des visions déplacent les
oppositions du registre programmatique au registre tactique, aux intrigues et aux coups bas
entre " amis de trente ans ", manière de dire à la fois la stabilité du personnel politique et la

39
longue comédie de relations dominées par l'intérêt.

L'élection du président de la République au suffrage universel a transformé la politique en


combat de chefs de troupes sans programme et pour des places. Au bout de quelques décennies,
le cynisme ordinaire a conduit à utiliser tous les moyens pour gagner, à commencer par l'argent,
et tous les moyens pour faire perdre, à commencer par les scandales. Il est naturel de chercher
les solutions dans le droit. Quoi d'autre ? Or les conduites illégales ont été encouragées par
l'impunité relative.

Les délais judiciaires ne sont pas seulement longs à cause de la lourdeur de la justice, mais aussi
à cause des obstacles posés par les pressions politiques et les aides des avocats et des banquiers
auxiliaires de corruption. Il semble parfois que la lenteur soit organisée pour laisser aux accusés
le temps de mourir. Ainsi, l'affaire des HLM de la Ville de Paris, énorme par l'ampleur de la
corruption, a été jugée vingt ans plus tard en ne retenant comme charge que trois emplois fictifs.
Et avec des sanctions mineures. Ce sera le délai de l'affaire de Karachi si elle vient jamais
devant un tribunal. Pourtant, il y a eu mort d'hommes. Devant la criminalisation de la politique
française, avant sa judiciarisation, faut-il s'abandonner à la résignation ? Après tout, si cela dure
depuis plusieurs décennies...

Il n'en va pourtant pas seulement de la corruption. Les violences verbales, l'hypocrisie et les
mépris réciproques vont de pair. Les enregistrements de Patrick Buisson sont surtout une leçon
de choses. La violence, la haine et le cynisme montent aussi dans la société, stimulés, provoqués
par les conduites dont les citoyens ne voient pas tout. A moins qu'un coin de voile ne se lève
sur ce " familialisme amoral " qui, selon un spécialiste de la Mafia (Edward C. Banfield),
caractérisait les relations au sein des communautés du sud de l'Italie, où l'on privilégiait la
famille et les clients en étant incapable de s'élever à l'idée d'un quelconque intérêt général.
Alain Garrigou
Professeur de science politique (université Paris-Ouest), Le Monde 14 mars 2014

2°) L’importance des attributions du chef de l’Etat

a) Un Président arbitre ?

Document n°12
Selon l’article 5 de la Constitution12, le Chef de L’Etat est chargé d’assurer par son
arbitrage « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de
l’Etat ». «Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect
des traités”. Il « veille au respect de la Constitution ».

Cette notion d’arbitrage a suscité depuis 1958 de multiples interrogations. S’agit-il d’un
arbitre-régulateur qui se contente de veiller au respect des règles de fonctionnement et qui en

12
Modifié par la loi n°95-880 du 4 août 1995

40
sanctionne les violations ? Ou bien a t’il un rôle plus conséquent, consistant à proposer des
solutions de sortie de conflits et donc à s’immiscer régulièrement dans la conduite de la
politique de la nation ? La seconde conception a nettement prévalu, dès le général De Gaulle
(1958-1969) mais également avec tous ses successeurs à travers les mandats de G. Pompidou
(1969-1974) ; Valéry-Giscard D’Estaing ((1974-1981), F. Mitterrand (1981-1995), J. Chirac
(1995-2007) et François Hollande (2012-2017 (?)). Une lecture plus présidentialiste des
institutions s'est imposée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Document n°13
Le 31 janvier 1964, le Général De Gaulle déclarait que « l’autorité indivisible de l’Etat est déléguée toute
entière au président par le peuple qui l’a élu et il n’y a aucune autorité ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni
judiciaire qui ne puisse être conférée ou maintenue autrement que par lui.
Il lui appartient d’ajouter le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dans lesquels il délègue l’action
à d’autres ».

La lecture mittérrandienne de cette intervention consistait à relever que la souveraineté du peuple était
ainsi déléguée dans sa totalité au Président de la République et que par conséquent, l’on se rapprochait d’une
monarchie élective, dans laquelle le Chef de l’Etat assurait la distribution des délégations de pouvoirs. F.
Mitterrand soulignait ainsi que la déclaration du général de Gaulle était :

- contraire au principe républicain selon lequel « la souveraineté du peuple ne peut être délégué à un seul
homme, mais à la totalité de la représentation nationale, qui ne peut elle-même l’exercer qu’en assurant
l’indépendance réciproque des fonctions essentielles de l’Etat » ;

- et même contradictoire avec le discours du 27 août 1958 devant le Conseil d’Etat de l’un des rédacteurs
de la Constitution et premier Premier Ministre du général De Gaulle, Michel Debré, qui relevait que « le
Président de la République comme il se doit, n’a pas d’autre pouvoir que de solliciter d’un autre pouvoir :
il sollicite le Parlement, il sollicite le Conseil Constitutionnel, il sollicite le suffrage universel ». Dans son
ouvrage « Le coup d’Etat permanent », F. Mitterrand notait que « De Gaulle ne sollicite pas, il prend »,
et à l’appui de son propos, il relevait ainsi que De Gaulle avait interprété abusivement « l’article 15 qui
fait de lui le chef des armées et l’article 52 qui l’autorise à négocier et à ratifier les traités ». « De Gaulle
a fait passer sous sa seule autorité la Défense nationale et les Affaires étrangères ».
D’après F. Miterrand, « Le coup d’Etat permanent », UGE, coll 10/18, 1993 (1964)

Document n°14
« G. Pompidou consacre l’idée de la prééminence, mais en une formulation moins extrême, et en précisant la
dualité de la fonction présidentielle. « (…) je crois que le choix fait par le peuple français démontre son adhésion
à la conception que le général de Gaulle a eue du rôle du président de la République : à la fois chef suprême de

41
l’exécutif, gardien et garant de la Constitution, il est à ce double titre chargé de donner les impulsions
fondamentales, de définir les directions essentielles, et d’assurer et de contrôler le bon fonctionnement des pouvoirs
publics ; à la fois arbitre et premier responsable national ». (G. Pompidou, conférence de presse du 10 juillet 1969).
Giscard d’Estaing reprend l’idée, sur un mode mineur en une formule plus concentré. « Le président de la
République n’est pas un partisan. Il n’est pas un chef de parti. Mais il ne peut pas rester non plus indifférent au
sort de la France. Il est à la fois arbitre et responsable » (Valéry Giscard d’Estaing, discours de Verdun sur-le-
Doubs, 27 janvier 1978). Mitterrand ne renie pas la dualité, mais inverse les connexions : l’impulsion intervient
dans les domaines de l’article 5, l’arbitrage dans les autres. « Le président de la République exerce à la fois une
fonction d’autorité, notamment dans les domaines désignés par l’article 5 de la Constitution, et une fonction
d’arbitrage, de conciliation, de conseil en de multiples circonstances »(François Mitterrand, entretien avec la revue
« Pouvoirs », n°45, mars 1988) ».
O. Duhamel, « Droit constitutionnel. Le pouvoir politique en France », tome 1, Ed Seuil, 1999, 158-159.

Entre 2007 et 2012, le Chef de l’Etat endosse toute la responsabilité, symboliquement il


se rend devant le Congrès du Medef, il se comporte par ailleurs en véritable chef de la majorité
parlementaire, participant le dimanche 19 octobre 2007 au bureau politique de l’UMP.

b) Des responsabilités importantes sans contreseing

Document n°15
Les responsabilités les plus importantes sont exercées sans contreseing13,
L’article 19 de la Constitution de 1958 distingue deux types d’attributions du Président
de la République, celles qui sont soumises à contreseing et celle qui n’y sont pas soumises, plus
exactement est stipulé que :

“Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1° alinéa), 11,
12, 16, 18, 54, 56 et 61, sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les
ministres responsables”.

13
Le contreseing est une procédure qui consiste, en régime parlementaire, à faire endosser la responsabilité
du chef de l’Etat, irresponsable devant le gouvernement, par son gouvernement. Elle fut créée sous le Directoire,
les actes d’un Directeur devaient être contresignés par les quatre autre. Cette procédure témoigne de la
responsabilité politique commune du Chef de l’Etat et de son gouvernement, mais elle constitue aussi un système
de limitation des initiatives personnelles du chef de l’Etat qui doit solliciter le contreseing de son gouvernement.
Or, sous la III° République, le Président ne pouvait rien faire sans contreseing, sauf à envoyer un message de
démission aux assemblées.

42
Le Président peut donc exercer sans contreseing les attributions suivantes:

• La nomination d’un Premier ministre (article 814) qui n’obéit à aucune condition15,
un Premier ministre reste en fonction tant qu’il n’a pas présenté sa démission ou qu’il
n’a pas été renversé par l’Assemblée. Ainsi, contrairement à une idée répandue, celui-
ci n’est pas responsable devant le Chef de l’Etat. Mais sur ce point, dans la pratique,
c’est une question de rapport de force politique.

Si les majorités présidentielle et parlementaire concordent, le chef de l’exécutif est


effectivement le Président ; il choisit son Premier ministre et oblige, éventuellement, la
majorité parlementaire à l’accepter. Il en est de même pour le renvoi. Plusieurs Premiers
ministres ont été renvoyés par le Président qui avait décidé de changer de stratégie : ce fut
les cas de Michel Debré (1962) et Georges Pompidou (1968) sous le mandat de de Gaulle,
de Jacques Chaban-Delmas (1972) renvoyé par G. Pompidou et de Pierre Mauroy (1984),
Michel Rocard (1991) et Edith Cresson (1992) sous les mandats de François Mitterrand, de
Jean-Pierre Raffarin (2005) sous le second mandat de Jacques Chirac, de Jean-Marc Ayrault
(2014) sous François Hollande.
Quant à Jacques Chirac justement en 1976, il a pris l’initiative de sa démission, pour
marquer son désaccord avec Valery Giscard d’Estaing. Quant aux ministres, ils sont
nommés et démis par le Président de la République sur présentation du Premier ministre.
C’est donc à ce dernier qu’appartient la décision. Dans la pratique, de nouveau le rapport
de force intervient. En dehors des périodes de cohabitation, le Président est en mesure
d’imposer au Premier ministre un certain nombre d’éléments que celui-ci devra prendre
dans son équipe pour avoir l’agrément du Chef de l’Etat. Dans l’hypothèse d’une
cohabitation, il peut y avoir une éventuelle négociation pour faire des choix qui aideraient
à une coopération dans les domaines tels que la politique étrangère ou la défense nationale
où le Président estime pouvoir jouer un rôle important. Une coutume constitutionnelle s’est
créée depuis 1965 qui oblige le Premier ministre à démissionner lorsqu’un nouveau
Président ou une nouvelle Assemblée Nationale sont élus.

14
Document n°16 : Article 8 : «Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à
ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement(1er alinéa).
Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à
leurs fonctions ».
15
Cela dit, le Chef de l’Etat se trouve dans une obligation, sous peine d’une grande instabilité, de nommer
un Premier ministre aux orientations politiques en conformité avec celles de la majorité des députés de l’Assemblée
nationale.

43
• Le recours au référendum (article 11) qui ne peut intervenir, dans le texte originel,
que dans trois hypothèses: un projet de loi portant organisation des pouvoirs publics, la
ratification d’un traité qui aurait des incidences sur les institutions et l’approbation d’un
accord de communauté. La communauté constituée entre la France et ses anciennes
colonies d’Afrique n’existe plus depuis 1961, seules subsistent les deux premières
hypothèses. Pour exemple, la seconde a ainsi été mise en œuvre pour ratifier le traité
de Maastricht en 1992 et c’est la première qui a été utilisée en 1962 pour l’adoption du
principe de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Ce dernier usage de l’article 11 pour réformer la Constitution a suscité une vive polémique:
ne fallait-il pas pour réviser la Constitution s’en tenir à l’article 89, article unique tu Titre
XVI qui s’intitule d’ailleurs “De la révision”16.

A noter, par ailleurs, que la lettre de la constitution assortit l’exercice de cette compétence
d’une proposition effectuée par le gouvernement ou les assemblées. La pratique a été
jusqu’ici contraire au texte (le Président suggérant la proposition au gouvernement).

Toutefois, rien ne permet de dire que la lettre du texte ne reprendra pas toute son autorité
en cas de nouvelle cohabitation. Juridiquement, sans proposition, pas d’initiative
présidentielle possible.
Enfin relevons que depuis 1995, le champ du référendum a été étendu aux réformes
relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y
concourent. Mais depuis cette date, aucun référendum n’a été organisé sur ce type de
réforme17.
16
Les opposants à l’usage de l’article 11 pour réviser la Constitution soulignent par ailleurs que ne figurent
dans ce Titre XVI aucune référence à d’autres procédures possibles de révision. Ils relèvent enfin, que dans le texte
originel, et plus précisément dans l’article 85, figurait une procédure de révision des dispositions afférentes à la
Communauté, mais y était précisé, que cette procédure était dérogatoire à celle prévue par l’article 89. Les
défenseurs de la pratique gaullienne soulignent de leur coté, que si dans l’article 11, il n’est effectivement point
précisé que son application pourrait se faire par dérogation aux dispositions de l’article 89, l’idée que son usage
est également dérogatoire aux procédures d’adoption de lois ordinaire ou organiques n’y figure pas non plus, et
dans une telle lecture, cet article n’aurait donc aucune application. Ils en concluent donc que toute loi
constitutionnelle, organique ou ordinaire portant sur l’organisation des pouvoirs publics est susceptible de faire
l’objet d’un référendum par la voie de l’article 11. Enfin, plus pratiquement, ils considèrent que le constituant,
futur exécutif, n’a certainement pas souhaiter totalement se lier les mains en matière de révision et que l’usage de
l’article 11 pour réviser la Constitution pouvait, à bien des égard, permettre de surmonter l’hostilité parlementaire
d’un moment.
ème
17
Document n°17 L’article 11 de la Constitution de la V République, après
modification de la loi constitutionnelle n°95-880 du 4 août 1995
“Le président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions
ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au
référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à
la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à
autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le
fonctionnement des institutions. Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement,

44
Par ailleurs la révision de 2008 élargit aux questions environnementales le champ du
référendum et ouvre la voie à une initiative populaire.

Document n°18
ARTICLE 11. [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques
nécessaires à leur application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23
juillet 2008)] Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la
durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées, publiées au
Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation
des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou
environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à
autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des
incidences sur le fonctionnement des institutions.
Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait,
devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat.
Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à
l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des
électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition
de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée
depuis moins d'un an.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel
contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi
organique.
Si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé
par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.
Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle
proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant
l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin.
Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet ou de la proposition de loi, le
Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la
proclamation des résultats de la consultation.

Précisons ici que le référendum de l’article 88-5 de la Constitution, soumis à


contreseing, prévoit une procédure pour les projets de loi autorisant la ratification
d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne. La portée de cette
disposition, adoptée en 2005, a toutefois été atténuée en juillet 2008 puisque,
désormais, par le vote d’une motion adoptée en termes identiques par chaque
assemblée à la majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l’adoption
d’un tel projet de loi par le Congrès.

Par ailleurs, depuis 2003, le Président de la République peut consulter les électeurs
d’une collectivité territoriale d’outre-mer sur « une question relative à son
organisation, à ses compétences ou à son régime législatif » ou sur son changement
de statut (article 72-4 de la Constitution). La procédure est la même que celle utilisée

celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat. Lorsque le référendum a
conclu à l’adoption du projet de loi, le président de la République promulgue la loi dans les quinze jours
qui suivent la proclamation des résultats de la consultation”.

45
pour l’article 11. Cette disposition a été utilisée une fois, en 2003, en Martinique, en
Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

Document n°19
Les révisions de la Constitution
Force est de constater que le texte originel de la Constitution de 1958 a été largement remanié, ainsi 24
révisions ont été opérées, soit par la voie de l’article 89, soit par la voie contestée de l’article 11 ou
encore par l’article 85.
1960 : (Loi constitutionnelle n°60-525 du 4 juin) nouvelle procédure de révision des dispositions de la
Communauté française (art 85).
1962 (Loi constitutionnelle n°62-1292 du 6 novembre): élection du président de la république au
suffrage universel direct (art 11)
1963 : (Loi constitutionnelle n°63-1327 du 30 décembre) aménagement du régime des sessions
parlementaires (art 89)
1974 : (Loi constitutionnelle n°1974-904 du 29 octobre) modification de l’article 61 pour permettre
l’élargissement de la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel - d’une loi votée par le Parlement
avant promulgation - à 60 députés ou 60 sénateurs18 (art 89).

1976 : (Loi constitutionnelle n°1976-554 du 18 juin) modification des modalités d’élection du président
de la République notamment concernant le parrainage des candidats et le cas d’un décès de candidat (art
89).
1992 (Loi constitutionnelle n°1992-554 du 25 juin) : modifications des articles 2, 54 permettant la
ratification du traité de Maastricht (art 89).
1993 : (Loi constitutionnelle n°1993-952 du 27 juillet) création de la Cour de justice de la République
et changement du statut du Conseil supérieur de la magistrature (art 89)
1993 : (Loi constitutionnelle n°1993-1256 du 25 novembre) ajout d’un article 53-1 concernant les
accords conclu avec les Etats européens et le droit d’asile (art 89).
1995 : (Loi constitutionnelle n°1995-554 du 4 août) instauration d’une session parlementaire unique,
élargissement du champ du référendum, modification du régime d’ordre du jour du Parlement et de
l’immunité des parlementaires supposant une modification des articles 28,11, 48 et 26 (art 89).
1996 (Loi constitutionnelle n°1996-138 du 22 février): élargissement du rôle du Parlement par la
création de loi de financement de la sécurité sociale supposant une modification des articles 34, 39 et
l’ajout d’un article 47-1 (art 89).
1998 (Loi constitutionnelle n°1998-610 du 20 juillet) : rétablissement du titre XIII (art 76 et 77) fixant
des dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie.
1999 : (Loi constitutionnelle n°99-49 du 25 janvier) modifications des articles 88-2 et 88-4 permettant
la ratification du traité d’Amsterdam. (art89)
1999 : Deux Lois constitutionnelles n°1999-568-569 du 8 juillet) : modification des articles 3 et 4 afin
de favoriser la parité hommes femmes dans les mandats publics, création d’un nouvel article 53-2 pour
permettre la ratification du traité créant la Cour pénale internationale.
2000 : (Loi constitutionnelle n°2000-964 du 2 octobre): modification de l’article 6 afin d’instaurer le
quinquennat pour la durée du mandat présidentiel. (art 89)
2003 Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003) : modification de l’article 1 afin d’affirmer le
caractère décentralisé de la République française (art 89). (Loi constitutionnelle n°2003-267 du 28 mars
2003) et modification de la constitution par rapport au mandat européen. (art 89)
2005 : Loi constitutionnelle n°2005-204/ Titre XV sur le TCE (art89)
2005 : Loi constitutionnelle n°2005-205/ Charte de l’environnement (art89)
2007 : Loi constitutionnelle du 19 février 2007 sur le statut du chef de l’Etat, sur la Nouvelle Calédonie

18
Cette possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés ou soixante sénateurs a été élargi
aux engagements internationaux, par modification de l’article 54 par la Loi constitutionnelle n°1992-554 du 25
juin 1992.

46
et sur la peine de mort. (art89)
2008 : La loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème
République. (art 89)

Document n°20
Les dispositions de l’article 89
En vertu de l’article 8919, la révision peut être à l’initiative des assemblées ou de l’exécutif.

Dans la première hypothèse, suite à l’initiative d’un ou plusieurs députés ou sénateurs, une « proposition
de révision doit être approuvée dans les mêmes termes par les deux chambres » à la majorité simple des
suffrages exprimés et ensuite obligatoirement soumise à référendum.
Dans cette hypothèse le pouvoir exécutif est absent de la procédure.

Toutefois, s’il se trouvait en désaccord avec l’initiative parlementaire, un certain nombre de dispositions
constitutionnelles, et plus particulièrement celle concernant la fixation de l’ordre du jour des assemblées
et ce au moins avant la réforme de 1995, lui permettait de freiner voir de bloquer le processus. Ceci
explique pourquoi cette modalité d’utilisation de l’article 89 n’a jamais été usité.
Dans la seconde hypothèse, formellement20, le Premier Ministre propose un projet de révision au Chef
de l’Etat qui décide en dernier ressort de la poursuite ou non de la procédure. Suite à cela, le Chef de
l’Etat a le choix entre deux procédures :
- la reprise de celle qui correspond à une initiative parlementaire (adoption d’un texte identique
par les deux chambres suivie d’un référendum ;
- une démarche sans référendum, qui consiste, après vote de chacune des chambres sur un texte
identique, en la réunion du Congrès à Versailles (députés et sénateurs rassemblés) qui vote à la
majorité des 3/5ème des suffrages exprimés.
Quelle que soit l’hypothèse, on peut relever que le Parlement dispose d’importantes prérogatives en
matière de révision, puisqu’il doit y avoir toujours un accord entre les deux chambres. Cette disposition
est une forme de garantie contre toute révision qui tendrait, par trop, à renforcer le rôle du pouvoir
exécutif. On peut également relever, que dans le cadre de la procédure de révision, le Sénat a un rôle
aussi fort que l’Assemblée Nationale, et dispose d’un quasi droit de véto.
Enfin, l’expérience de la fin de la Troisième République a conduit le constituant à bloquer toute révision
qui porterait atteinte à la « forme républicaine de gouvernement » ou qui se déroulerait alors que
l’intégrité du territoire est mise en cause.

Document n°21

L’usage de l’article 11 (1958-2004)


Si le général de Gaulle a utilisé quatre fois la procédure référendaire en onze années, il n’a cependant pas
ème
été le seul Président à y avoir recours ; la V République a connu jusqu’ici sept référendums selon la procédure
de l’article 11, mais il est en revanche le seul à avoir procédé à une révision de la Constitution par le biais de

19
Article 89 : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de
la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.
Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. La
révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
Toutefois le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République
décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé
que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de
l’Assemblée nationale.
Aucune procédure de révision ne peut être engagé ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité
du territoire.
La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet de révision ».
20
Dans la pratique, le texte constitutionnel n’est guère respecté, le Chef de l’Etat se trouve en réalité à
l’initiative de la révision. Toujours est-il, que la réforme du quinquennat eut été bloqué si le Premier Ministre de
l’époque Lionel Jospin avait refusé formellement d’en faire la proposition.

47
l’article 11.

Quatre ont concerné l’autorisation de ratification d’un traité :


- en avril 1962, à l’initiative de de Gaulle pour la ratification des accords d’Evian.
- en avril 1972, à l’initiative de G. Pompidou, pour approuver l’élargissement de la Communauté Economique
Européenne à la Grande-Bretagne, l’Irlande et le Danemark ;
− en septembre 1992, à l’initiative de F. Mitterrand pour permettre la ratification du Traité de Maastricht
créant l’Union Européenne ;
− en mai 2005 pour le Traité Instituant une Constitution pour L'Europe (Victoire du non).

Les quatre autres recours à l’article 11 concernent l’organisation des pouvoirs publics :
- En janvier 1961 : le général de Gaulle fait approuver le principe de l’autodétermination en Algérie et l’autorisation
d’y régler par décrets l’organisation des pouvoirs publics.
- En octobre 1962, nouveau recours au référendum pour modifier le mode d’élection du Président de la République.
- En avril 1969 : le général de Gaulle donne un caractère plébiscitaire au référendum portant sur la réforme du
Sénat et la régionalisation. Désavoué par la réponse négative, il se retire. (Dans ce cas aussi, la procédure de
l’article 89 qui se justifiait puisqu’il y avait réforme de la constitution, a été contournée).
- En novembre 1988, François Mitterrand (et Michel Rocard) ont fait ratifier les accords Matignon sur l’évolution
de la Nouvelle Calédonie par voie référendaire.

• La mise en oeuvre du droit de dissolution (article 1221) qui n’est soumise qu’à une
seule restriction conséquente : il n’est pas possible de dissoudre plus d’une fois dans
la même année22. Sous la III° République, il fallait l’avis conforme du Sénat et sous la
IV° République, des délais très précis devaient être observés (il fallait que la législature
ait au moins 18 mois d’existence et que deux crises ministérielles réglementaires se
soient produites dans les 18 mois suivants).

• L’article 16 23permet au Président de la République de prendre, en cas de menace grave

21
Document n°22 Article 12 : « Le président de la République peut, après consultation du Premier
ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
L’assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a
lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de
quinze jours.
Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections ».
22
Relevons également que les dissolutions ne peuvent avoir lieu durant l’intérim du Chef de l’Etat et en
période d’application de l’article 16.
Dans la pratique, les dissolutions de l’Assemblée nationale ont répondu :
- à une volonté du Chef de l’Etat de disposer d’une majorité parlementaire conforme à ses
orientations, ces dissolutions suivent généralement l’élection présidentielle (cas des dissolutions opérées
par F. Mitterrand en 1981 et 1988 ;
- à une tentative de sortie de crise politique ou sociale (cas des dissolutions de 1962 et de 1968
opérées par de Gaulle).
Seule la dissolution du 21 avril 1997 opérée par J. Chirac sort de ce cadre.
23
Document n°23 Article 16 :“Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation,
l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave
et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président
de la République prend les mesures exigées par les circonstances, après consultation officielle du Premier
ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.

48
et immédiate pour les institutions de la République, l’intégrité du territoire,
l’indépendance de la nation ou le respect des engagements internationaux et lorsque le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu, toutes les mesures exigées
par les circonstances”.

Il n’existe que quelques limites à la mise en oeuvre de l’article 16: le Conseil


constitutionnel émet un avis rendu public sur la matérialité de la menace (depuis 2008, il peut
être saisi après 30 jours et 60 jours pour analyser de nouveau la situation) et le parlement ne
peut être dissous pendant la période: il siège de plein droit. Il aurait donc la possibilité si le
Président outrepassait ses pouvoirs de le traduire en Haute cour.
L’application de l’article 16, d’avril 1961 à septembre 1961, a montré que deux problèmes
majeurs subsistaient dans la pratique:
- le premier tient à la durée puisque seul le Président peut décider d’y mettre fin.
-Le second problème réside dans le rôle du parlement pendant l’application de l’article 16: a
t’il la possibilité de voter les lois ? Cette question n’a pas été tranchée en 1961. Or, que peut
faire un parlement réuni de plein droit au titre de l’article 16, s’il ne peut exercer sa fonction
naturelle ?
Document n°24

ème
La seule application de l’article 16 en quarante années de V République
(23 avril-30 septembre 1961)

“Dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 avril 1961, alors qu’à Paris le général de Gaulle assiste
avec le président sénégalais, M. Léopold Sedar Senghor, à une représentation de Britannicus, à
Alger, un “quarteron de généraux en retraite établit un pouvoir insurrectionnel par un
pronunciamento militaire”.
C’est ainsi, que dès le lendemain, de Gaulle, dans une allocution pour laquelle il s’était mis
exceptionnellement en uniforme, décrira le “putsch”, organisé par les généraux Salan, Challe,
Jouhaud et Zeller. Voilà donc, ajoute-t-il, “l’Etat bafoué” et “la nation défiée” par des “usurpateurs”.
Le conseil des ministres, aussitôt réuni, décrète l’état d’urgence pour circonscrire le mouvement en

Il en informe la nation par un message.


Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans
les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels”. La révision
de 2008 a rajouté cet alinéa : « Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel
peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante
sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce
dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les
mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de
cette durée. »

49
Algérie avant de le réduire. Un an auparavant, la “semaine des barricades” avait semblé moins
menaçante. Depuis lors cependant, la situation s’était tendue au fur et à mesure que de Gaulle
accélérait, à travers ses déclarations, sa politique d’autodétermination. Cette fois-ci, on était bien
près des conditions posées par l’article 16 de la Constitution et qui décrivait une situation que de
Gaulle avait voulu conjurer en introduisant cet article dans le projet constitutionnel de 1958. Il
voulait alors éviter, a-t-il confié, que le Président de la République ne soit paralysé dans son action
par la carence des textes, comme l’avait été Albert Lebrun en 1940.
Le 23 avril, il saisit donc le Conseil constitutionnel, qui donne aussitôt un avis favorable pour la
mise en oeuvre de cet article, car les généraux d’Alger “sont entrés en rébellion ouverte contre les
pouvoirs publics” et, en conséquence, menacent les institutions de la République, qui “ne peuvent
fonctionner de façon régulière”. La “décision” mettant en application cet article est publiée le même
jour au Journal officiel, ainsi que celle qui prolonge l’état d’urgence et porte à quinze jours le délai
de garde à vue. Le 25 avril, le Parlement étant réuni de plein droit, de Gaulle lui adresse un message,
dans lequel il précise que les Assemblées devraient poursuivre normalement leurs tâches législatives
et de contrôle. Lorsque l’ordre est rétabli à Alger, les groupes politiques au Parlement s’élèvent
contre la prolongation de l’article 16. De Gaulle leur répond le 16 juin, au cours d’une réception à
l’Elysée, en disant : “L’article 16 ? Mais tout se tient ! Le jour où l’affaire algérienne sera réglée, le
jour où il n’y aura plus de risque de crime, il n’y aura plus besoin de l’article 16 ... et il n’y aura plus
besoin de de Gaulle !”. C’est une fois de plus, le problème des relations entre l’exécutif et le législatif
qui est posé par les parlementaires à travers l’usage prolongé de cet article, bien que le Conseil
constitutionnel ait permis celui-ci par une décision du 8 septembre 1961.Le groupe socialiste
prépare, même, une motion de censure sur ce thème contre le gouvernement, lorsque, le samedi 9
septembre, se rendant à Colombey-les-Deux-Eglises, de Gaulle échappe à un attentat fomenté par
l’OAS, à Pont de Seine, et dont les auteurs, lourdement condamnés, seront graciés et amnistiés entre
1968 et 1970.

M. Jacques Chaban-Delmas, alors président de l’Assemblée nationale, déclare cette motion


irrecevable, parce qu’elle est déposée en période d’application de l’article 16.
Cette interprétation personnelle n’a pas été totalement approuvée par de Gaulle, qui ne le cachera
pas quelques jours plus tard. Au conseil des ministres, le 20 septembre, le général annonce qu’il
mettra fin à l’application de cet article à la fin du mois”.
André Passeron, art : “Cinq mois d’article 16”, in le Monde, 2 décembre 1992.

Selon Bastien François, somme toute la révision de 2008, n’apporte pas grand
chose. La révision permet à des parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel
pour faire constater qu’il n’y a plus lieu de maintenir la mise en œuvre des pouvoirs
exceptionnels. L’efficacité de ce dispositif serait cependant toute relative :
juridiquement, un avis négatif du Conseil constitutionnel n’obligerait pas le
Président à mettre fin à l’usage de l’article 16 ; en cas de crise réellement grave, le
Conseil constitutionnel pourrait être dans l’incapacité de se réunir. Surtout, cette
réforme ne touche pas à l’essentiel : le fait que les actes présidentiels pris en
application de l’article 16 et portant sur le domaine de la loi (et donc, notamment,
tout ce qui concerne les droits fondamentaux) ne peuvent pas faire l’objet d’un
contrôle juridictionnel. En outre, du point de vue de la communication du
gouvernement sur la révision constitutionnelle, il paraît abusif de voir dans cette
adjonction une réelle limitation des pouvoirs présidentiels, s’agissant d’un article
(heureusement) tombé en désuétude.
L’article 16 de la Constitution est soit inutile (d’autres dispositifs, comme l’état
d’urgence et l’état de siège, permettent de faire face aux crises tout en protégeant
davantage les libertés publiques), soit dangereux (comme l’a montré son seul usage
depuis 1958). Cette disposition de la Constitution, qui pour ses rédacteurs renvoyait
au souvenir de la débâcle de juin 1940 mais aussi à la situation de guerre en Algérie,
pourrait être aujourd’hui supprimée.

50
• L’envoi d’un message aux assemblées (article 1824) qui n’est suivi d’aucun débat. En
2008, a été inséré, après le premier alinéa de l’article 18 de la Constitution, un alinéa
ainsi rédigé :
« Il peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner
lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote. Hors session, les assemblées parlementaires
sont réunies spécialement à cet effet ».

Selon Bastien François, depuis la fin du XIXe siècle, le Président de la République ne peut
pas intervenir devant les assemblées parlementaires, auxquelles il ne peut s’adresser que par
voie de message écrit (lu à la tribune par le président de chaque chambre). Revenir sur cette
tradition, certes désuète, pose un réel problème de principe quant à l’équilibre et au
fonctionnement du régime de la Ve République (c’est d’ailleurs vraisemblablement pourquoi
Nicolas Sarkozy y tenait tant).
En lançant le processus de révision de la Constitution, dans un discours du 12 juillet 2008 à
Epinal, Nicolas Sarkozy expliquait à ses auditeurs que « dès lors que le Président gouverne »,
ce dernier doit être « responsable ». Mais comment organiser cette responsabilité ? Comment
et devant qui doit-elle être engagée ?
La réponse pour Nicolas Sarkozy était simple : il fallait que le Président « puisse s’exprimer
au moins une fois par an devant le Parlement pour expliquer son action et pour rendre compte
de ses résultats ». L’idée est assez curieuse parce que, généralement, on rend compte de son
action ou de ses résultats devant ceux qui vous ont mandaté pour agir. Ainsi, un Premier
ministre dans un régime parlementaire rend compte de son action – et rend des comptes – devant
le Parlement dans la mesure où il est issu d’une majorité qui s’est dégagée à l’occasion des
élections législatives et qui peut à tout instant lui retirer sa confiance ou, en tout cas, chercher
à infléchir la politique qu’il mène. Or, en France, le président de la République ne doit rien au
Parlement (il a d’ailleurs été élu avant les élections législatives). Pourquoi faudrait-il alors qu’il
se présente devant lui ? Toujours selon Bastien François, en réalité, cette disposition aurait du
sens si le président de la République devenait constitutionnellement et explicitement le chef de
l’exécutif (c’est ce qu’avait proposé très maladroitement le comité Balladur). Mais alors,
puisque nous restons dans un régime parlementaire, il devrait être responsable – au sens
constitutionnel – devant l’Assemblée nationale, c’est-à-dire prendre le risque de subir sa
censure et d’être obligé de démissionner face à la défiance parlementaire. Ce qui est difficile à
imaginer : pourquoi la légitimité élective des députés l’emporterait-elle sur celle, de même
nature, du président de la République ? Mais alors, si le vrai chef de l’exécutif ne peut pas être
renversé par l’Assemblée nationale, nous ne sommes plus dans un régime parlementaire mais
dans un régime présidentiel, et il faut l’assumer. Dans ce cas, il faut augmenter
considérablement les pouvoirs du Parlement, assurer sa totale indépendance vis-à-vis du
pouvoir exécutif, et supprimer le droit de dissolution de l’Assemblée nationale par le président
de la République. Solution que personne ne souhaite véritablement… D’où cette curieuse
réforme : le Président, quand il le souhaitera, ira vanter les mérites de son action devant les
parlementaires, puis s’en retournera tranquillement à l’Élysée, son devoir communicationnel
accompli, tandis que « hors sa présence » les parlementaires pourront débattre mais… pas voter.
La responsabilité politique selon Nicolas Sarkozy c’est donc ça : un président tout puissant qui,
sans prendre le moindre risque et en conservant l’arme ultime de disciplinarisation des députés
– le droit de dissolution –, daigne venir expliquer sa politique devant les parlementaires. On se
demande où est le « rééquilibrage » annoncé des institutions… Accepter que le président de la

24
Document n°25 Article 18 : « Le Président de la République communique avec les deux assemblées du
Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat.». Il peut prendre la parole devant
le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait
l’objet d’aucun vote. Hors session, les assemblées parlementaires sont réunies spécialement à cet effet «

51
République s’exprime ainsi devant le Parlement aurait pour conséquence d’officialiser une
pratique démocratiquement déviante – le découplage entre l’exercice du pouvoir d’État et la
responsabilité politique des gouvernants. C'est donc graver dans le marbre constitutionnel un
principe d’irresponsabilité des gouvernants. C'est marginaliser encore un peu plus le Premier
ministre. Ce serait accepter symboliquement le dévoiement présidentialiste de la Ve
République.
• Pouvoir de nomination de trois des neuf membres du conseil constitutionnel, ainsi que
du président du conseil constitutionnel (article 5625), article 56 modifié en 2008.
Cette modification a pour objectif de mieux contrôler le pouvoir de nomination du Chef de
l’Etat. Il s’agit de faire en sorte qu’une commission compétente donne son avis et qu’il n’y ait
pas une majorité des trois cinquièmes contre , et ce en vertu des dispositions de l’article 13
modifié en 2008 .
Article 13 : dernier alinéa : « Une loi organique détermine les emplois ou fonctions, autres que
ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des
droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de
la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée.
Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs
dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux
commissions. La loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions
concernés.

• Le Président peut saisir le Conseil constitutionnel du point de savoir si une loi votée par
le Parlement et non encore promulguée est conforme ou non à la Constitution (article
61, alinéa 226). Cet article 61 a été modifié en 2008.

25
Document n°26 Article 56 : « Le Conseil constitutionnel comprend neuf membres, dont le mandat dure
neuf ans et n’est pas renouvelable. Le Conseil constitutionnel se renouvelle par tiers tous les trois ans. Trois des
membres sont nommés par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale, trois
par le président du Sénat ».
« En sus des neuf membres prévus ci-dessus, font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les
anciens Présidents de la République.
Le Président est nommé par le Président de la République. Il a voix prépondérante en cas de partage ».
Cet article 56 a été modifié en 2008, il se présente de la façon suivante : ARTICLE 56. [Entrée en vigueur dans
les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application (article 46-I de la loi
constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008)] Le Conseil constitutionnel comprend neuf membres, dont le
mandat dure neuf ans et n'est pas renouvelable. Le Conseil constitutionnel se renouvelle par tiers tous les trois
ans. Trois des membres sont nommés par le Président de la République, trois par le président de l'Assemblée
nationale, trois par le président du Sénat. La procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 est applicable à
ces nominations. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée sont soumises au seul avis
de la commission permanente compétente de l'assemblée concernée. En sus des neuf membres prévus ci-dessus,
font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens Présidents de la République. Le président est
nommé par le Président de la République. Il a voix prépondérante en cas de partage.

26

Document n°27 article 61 : “Les lois organiques, avant leur promulgation, et les règlements
des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil
constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.
Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation,
par le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président
du Sénat, ou soixante députés ou soixante sénateurs.
Dans les deux cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans
le délai d’un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s’il y a urgence, ce délai est ramené à huit
jours. Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation”.
ARTICLE 61-1. [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires

52
Cette modification permet que le Conseil Constitutionnel soit saisi lors d’une affaire en
cours comme aux Etats-Unis.

• Il peut encore demander au Conseil Constitutionnel de se prononcer sur la


constitutionnalité d’un engagement international avant que ne soit donnée l’autorisation
de ratification ou l’approbation (article 54 de la Constitution27).

Les autres responsabilités présidentielles sont exercées avec contreseing parmi


lesquelles, on trouve l’exercice :
- de la présidence du Conseil des ministres (art 9) ;
- de la promulgation des lois (art 10) ;
- de la signature des ordonnances et des décrets délibérés en Conseil des ministres (art
13) ; rappelons que cet article a été modifié en juillet 2008 L’article 13 de la Constitution
est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Une loi organique détermine les emplois,
autres que ceux mentionnés au troisième alinéa, pour lesquels, en raison de leur
importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la
Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis
d’une commission constituée de membres des deux assemblées du Parlement. Elle
détermine la composition de cette commission ainsi que les modalités selon lesquelles
son avis est rendu. »
- Une série de lois organiques ont été votées pour préciser l'application de cette nouvelle
disposition (Loi organique du 5 mars 2009, du 23 juillet 2010 et du 29 mars 2011. Parmi
les emplois publics soumis à nomination du Chef de l'Etat, on peut citer, le Défenseur
des droits, les directeurs d'agences, présidents de commissions ...

La nomination aux emplois publics est une prérogative essentielle du pouvoir exécutif.
D’après l’article 13 de la Constitution, ce pouvoir est partagé entre le Président (pour les
emplois les plus importants) et le Premier ministre (pour tous les autres). En pratique, c’est
toutefois le Président qui domine très largement le processus de nomination.

à leur application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008)] Lorsque, à l'occasion
d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits
et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du
Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine
les conditions d'application du présent article.

27
Document n°28 : Article 54 : “Si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la
République, par le Premier ministre, par le président de l’une ou l’autre assemblée ou par soixante députés
ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte une clause contraire à la
Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut
intervenir qu’après la révision de la Constitution” .

53
Selon Bastien François, recueillir préalablement l’avis du Parlement est une bonne idée,
mais en la matière, on pourrait envisager les réformes suivantes :
– Avant de prévoir leur contrôle parlementaire, il est essentiel de définir précisément le
champ des nominations présidentielles. En l’état des textes, la listes des emplois
exigeant la signature du président de la République, est notamment établie par…
décret en Conseil des ministres, autrement dit (hors période de cohabitation) à la
discrétion du président de la République. François Mitterrand, à la veille de la
première cohabitation, avait utilisé ce moyen pour accroître considérablement le
nombre d’emplois publics dépendants de la signature présidentielle. Il est temps de
mettre fin à ce type de stratagème et de marquer clairement la frontière délimitant les
nominations par le Président et par le Premier ministre.
D’autant que l’analyse comparée montre qu’il s’agit encore une fois d’une exception
française (notre Président nomme un nombre de fonctionnaires beaucoup plus
important que ses homologues européens), que cette situation est source de conflits
lors des cohabitations, et que ce pouvoir présidentiel élargi à l’extrême est incohérent
avec le fait que c’est le gouvernement qui « dispose de l’administration » selon
l’article 20 de la Constitution.
– Ce système n’a d’intérêt que s’il repose sur des auditions publiques, la transparence
limitant d’éventuels marchandages. La seule éventualité d’une audition publique,
comme le montrent les exemples étrangers, serait sans doute suffisante pour freiner
des nominations de complaisance. Ce principe doit être inscrit dans la Constitution.
Pour éviter « l’effet de discipline qui s’attache au fait majoritaire » (comme le dit
lucidement l’exposé des motifs de la réforme), il faut laisser l’initiative du contrôle des
nominations présidentielles à une minorité de parlementaires (par exemple 60 députés ou 60
sénateurs) qui, dans les 15 jours suivant la nomination, pourrait demander à auditionner
publiquement toute personne nommée à certains emplois publics (y compris certains emplois
pourvus en conseil des ministres car pourquoi écarter les préfets, les directeurs d’administration
centrale, les recteurs ou encore les ambassadeurs ?). L’audition pourrait être suivie d’un débat
et d’un vote.

Document n°29
« La présidence du Conseil des ministres pourrait être protocolaire. Elle ne le fut jamais. Le pouvoir de
nomination pourrait être symbolique.
Il s’exerce toujours après négociation, et subsiste en période de cohabitation, le président ayant, par
exemple, refusé à la fin mai 1993 la désignation d’un directeur des affaires criminelles et des grâces qu’il
estimait trop militant. La signature des décrets et ordonnances n’est jamais purement formelle : en atteste
la conception du général de Gaulle, et la pratique de François Mitterrand.
Ce dernier refusa de signer, le 14 juillet 1986, le projet d’ordonnances relatives à la privatisation
d’entreprises, le 2 octobre 1986 celui relatif au découpage des circonscriptions de l’Assemblée nationale
et le 17 décembre 1986 celui relatif à l’aménagement du temps de travail, laissant ainsi entendre que le
gouvernement RPR-UDF était trop antinational (privatisations de nationalisations approuvées par le
général de Gaulle), trop anti-républicain (adoption d’un nouveau mode de scrutin et de nouvelles
circonscriptions par l’exécutif et non le Parlement), trop antisocial (ouverture excessive des possibilités de
travailler le dimanche, etc.). Les raisons d’être de ces refus furent politiques. Ils confirmèrent
définitivement l’interprétation présidentialiste de l’article 13 ».
O. Duhamel, « Droit constitutionnel. Le pouvoir politique en France », tome 1, Ed
Seuil, 1999, p. 182.

• du droit de grâce (art 17) ; Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre

54
individuel. »

Le droit de grâce n'est pas une innovation de la Cinquième République, c'était l'un des droits
régaliens des anciens rois de France. Il est relativement étonnant que l'exercice du droit de grâce
fasse l'objet d'un contreseing ministériel par le ministre de justice alors que la Constitution de
la Cinquième république dispense plusieurs actes présidentiels de cette condition. C'est d'autant
plus surprenant que le droit de grâce apparaît comme une prérogative personnelle du chef de
l'Etat. Le contreseing ministériel est de nature à faire de la grâce un acte politique susceptible
d'engager la responsabilité du Gouvernement car la pratique du contreseing aux actes
présidentiels vise à pallier l'irresponsabilité présidentielle. Toutefois, dans la pratique, l'usage
de ce droit n'a jamais fait l'objet d'une mise en question du Gouvernement. À l'époque où la
peine de mort était encore appliquée en France (elle ne sera abolie qu'en 1981), le président de
la République était obligé de par la loi d'examiner le cas de chaque condamné à mort, l'exécution
ne pouvant avoir lieu qu'une fois que le recours en grâce avait été rejeté.

Le rejet du recours en grâce, sur lequel il était mentionné que le chef de l'État « décide de laisser
la justice suivre son cours », équivalait en fait à un ordre d'exécution.

La grâce s'apparente à une suppression ou à une réduction de la peine. La condamnation reste


inscrite au casier judiciaire et diffère ainsi de l'amnistie. Elle ne peut être obtenue qu'à titre
individuel (la grâce collective, qui est désormais impossible depuis la réforme constitutionnelle
du 2008, était souvent mise en œuvre le 14 juillet, jour de la fête nationale française). C'est
également le seul décret à ne pas être publié au Journal officiel.

 1991 : début de la systématisation de la grâce du 14 juillet.


 1999 : décret de grâce du 14 juillet et décret de grâce du 25 décembre à l'occasion du
passage à l'an 2000.
 2004 : deux mois de remise de peine pour les détenus n'ayant pas commencé leur peine.
 2005 : un mois de remise de peine pour les détenus n'ayant pas commencé leur peine.
Exclusion des récidivistes.
 2006 : 15 jours de remise de peine par mois restant à purger, limité à 4 mois. Les détenus
n'ayant pas commencé leur peine en sont exclus.
 2007 : le président de la République Nicolas Sarkozy n'a pas exercé la grâce
présidentielle du 14 juillet. Il en a été de même en 2008.

Les condamnations pour terrorisme, trafic de stupéfiants, crimes et délits contre un mineur de
15 ans, délits financiers, violences contre les forces de l'ordre, infractions routières et actes
racistes ont été exclues de la grâce présidentielle, au gré des affaires qui ont choqué l'opinion,
selon un message que voulait faire passer le président alors en fonction.

55
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a encadré l'exercice du droit de grâce en interdisant
les grâces collectives.

Du fait que le droit de grâce est un acte qui se rattache au domaine judiciaire de l'exécution des
peines, le juge administratif est incompétent pour connaître de la décision du droit de grâce
prise par un Président de la République (arrêt du Conseil d'État Gombert rendu le 28 mars
1947).

Bénéficiaires

 Paul Touvier, coupable de crime contre l'humanité, condamné à mort, fugitif, est gracié
par le président Georges Pompidou, le 23 novembre 1971.
 Omar Raddad condamné en 1994 pour meurtre a bénéficié de la grâce présidentielle en
1998.
 Le député communiste de la Somme Maxime Gremetz a bénéficié d'une grâce
individuelle en 2002, qui lui a permis de retrouver son siège de parlementaire.
 Jean-Charles Marchiani, ancien préfet du Var condamné en 2007 à trois ans de prison
pour corruption et incarcéré en 2008, a bénéficié d'une grâce partielle la même année ;
cette décision est toutefois contestée, car à l'inverse des 26 autres grâces décidées le
même jour, la sienne n'a pas été formulée sur proposition des services du ministère de
la Justice pour comportement méritant.

• de la garantie de l’indépendance de l’autorité judiciaire (art 64).

Enfin, en matière de politique étrangère et de diplomatie, c’est le Président de la République


qui, en tant que chef de l’Etat, accrédite les ambassadeurs de France et reçoit l’accréditation des
ambassadeurs étrangers (art 14).
Mais c’est aussi lui, innovation importante, qui “négocie et ratifie les traités” (art 52). C’est là
l’origine d’un des pans du “domaine réservé” qu’a créé le général de Gaulle, celui de la politique
étrangère et qu’ont repris ses successeurs, auquel on adjoint les questions de défense en vertu
de l’article 15 (présidence des conseils et comités supérieurs de défense nationale, “chef des
armées”)28.
Relevons que le Chef de l'Etat décide seul de l'emploi de la force nucléaire (décret du 14 janvier
1964).

Document n°30

28
A noter cependant, que seul le Parlement, en vertu de l’article 35, autorise la déclaration de guerre ,
d’un autre coté, depuis un décret du 12 juin 1996, le Chef de l’Etat dispose « seul » du pouvoir d’user de la force
nucléaire.

56
Qu’est ce que le “domaine réservé” ?
“Le 15 novembre 1959 à Bordeaux, M. Jacques Chaban-Delmas, maire de la ville, député de la
Gironde et président de l’Assemblée nationale, déclare, en conclusion des premières assises
nationales de l’Union pour la nouvelle République (UNR, le parti gaulliste) : “Le secteur présidentiel
comprend l’Algérie, sans oublier le Sahara, la communauté franco-africaine, les affaires étrangères,
la défense. Le secteur ouvert se rapporte au reste, un reste, d’ailleurs, considérable, puisqu’il réunit
les éléments mêmes de la condition humaine. Dans le premier secteur, le gouvernement exécute :
dans le second, il conçoit. Pour l’UNR, dans le premier cas, elle doit suivre de Gaulle pas à pas ;
dans le second, il lui revient de devancer l’évènement”.
Voilà, un an après la fondation du parti gaulliste, et alors que de Gaulle exerce depuis onze mois la
magistrature suprême, une formulation schématique, mais claire et réaliste, de la pratique des
institutions, même si elle ne correspond pas à la lettre de celles-ci.

Quoique le terme de “domaine réservé” n’ait pas été employé par M. Chaban-Delmas, c’est celui qui
sera utilisé couramment, par la suite, pour désigner le secteur présidentiel, dont M. Mitterrand
indique, dans ses propositions de réforme, qu’il n’a “aucune réalité constitutionnelle”. Car c’est sur
la nature même - présidentielle ou parlementaire - du régime fondé par la Constitution du 4 octobre
1958 que, très vite, se sont développées les controverses. M. Chaban-Delmas avait-il traduit
exactement la conception que le général avait de l’exercice de sa fonction ?

Quelques jours avant le congrès de Bordeaux, de Gaulle avait en effet décrit son schéma, comme il
le fera à plusieurs reprises ensuite, en disant : “La politique se trouve définie par le président de la
République, décidée par le gouvernement, approuvée par le Parlement, adoptée par la nation
française”, mais, lui même, il ne parlait pas, alors, de secteur présidentiel. Le contenu de ce secteur,
énuméré par M. Chaban-Delmas, correspond toutefois bel et bien au partage qui se faisait dans la
réalité, bien que de Gaulle ait toujours veillé à préserver les apparences”
André Passeron, art : “Le domaine réservé”, in “Le Monde”, 2 décembre 1992.

c) L’irresponsabilité du Président

En régime parlementaire, le Président de la République est traditionnellement


irresponsable29. Par contre, le Président est responsable en cas de haute trahison (article 68),
devant la haute cour composé exclusivement de parlementaires.

Document n°31
article 67 (loi constitutionnelle n°2007-238-23/02) «Le Président de la République n'est pas
responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
Il ne peut durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de
témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai
de prescription ou de forclusion30 est suspendu. Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle
peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation de ses
fonctions » ».
Document n°32

29
Il n’y a pas de responsabilité pénale du Chef de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions, mais qu’en est-il
en dehors de l’exercice de ses fonctions. A cette question, le Conseil constitutionnel, par sa décision du 5 janvier
1999 a affirmé un principe d’ « immunité de juridiction générale » concernant le Président de la République.
Restait à savoir, si celui-ci pouvait être entendu à titre de témoin dans une enquête, l’actuel Chef de l’Etat, en
l’occurrence M.J. Chirac, a également exclu cette possibilité, et ce contrairement à la pratique sous la IIIème
République.
30
Forclusion : perte de la faculté de faire valoir un droit par l'expiration d'un délai

57
Article 68 : « Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs
manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué
en Haute Cour.
La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt
transmise à l'autre qui se prononce dans les quinze jours.
La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à
bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat.
Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres
composant l'assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les
votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.
Une loi organique fixe les conditions d'application du présent article ».
Article 53-2 : La République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les
conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998.
La procédure de mise en accusation débute par un vote à la majorité absolue et comme
la notion de haute trahison n’est pas défini par le Code pénal, on en déduit que sous des aspects
juridictionnels, les critères politiques ne seraient pas absents. En l’absence de référence au code
pénal, les juges de la haute cour seraient entièrement libres dans l’énoncé de la peine.

Document n°33
Le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi de toutes les lois organiques, a rendu sa
décision le 19 novembre 2014 sur celle relative à la destitution du Président de la République.
Se prononçant sur la loi organique, il ne peut plus remettre en cause la procédure de destitution
elle-même, prévue par l’article 68 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision de
2007. Il n’a d’ailleurs pas eu à se prononcer à cette époque car il n’est pas compétent pour
apprécier les révisions constitutionnelles.
La responsabilité politique du Président de la République

Cette procédure de destitution constitue pourtant une remise en cause du principe de


l’irresponsabilité du Président de la République, élément fondamental du régime parlementaire.
Si l’article 67 rappelle que « le Président de la République n’est pas responsable des actes
accomplis en cette qualité », la nouvelle rédaction précise immédiatement que cette règle
s’impose « sous réserve des dispositions (…) de l’article 68« . Or les dispositions de l’article
68 mentionnent que la destitution du Président peut intervenir en cas de « manquement à ses
devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Le flou de cette notion,
laissant la porte ouverte à toutes sortes d’interprétations rend possible l’engagement de la
responsabilité politique du Président.

Le Conseil constitutionnel souligne le caractère politique de cette responsabilité. Il précise ainsi


que « la Haute Cour n’est pas une juridiction chargée de juger le Président de la République
pour des infractions commises par lui en cette qualité, mais une assemblée parlementaire
compétente pour prononcer sa destitution ». La précision est indispensable, mais met en
lumière toute l’ambiguïté de la terminologie employée dans la Constitution. La référence à une

58
« Cour » fait présumer un caractère judiciaire voire pénal, alors que la Haute Cour est l’exacte
copie du Congrès, assemblée politique qui réunit l’Assemblée nationale et le Sénat. Quoi qu’il
en soit, le Conseil constitutionnel ne peut modifier une terminologie qui figure dans la
Constitution. Il se borne donc à tirer les conséquences du caractère parlementaire de la Haute
Cour, mentionnant ainsi que la procédure est soumise aux règles de sincérité et de clarté des
débats parlementaires. Il rappelle également que le principe de séparation des pouvoirs
s’applique au Président de la République, principe déjà affirmé dans décision du 3 mars 2009.

Cette affirmation semble un peu surprenante. La réforme offre en effet au parlement une arme
très puissante permettant la mise en cause directe du Président de la République. Cet
accroissement de la puissance du parlement n’est pas remis en cause par le Conseil qui se limite
à sanctionner certains éléments de la procédure de destitution.

Le droit de signer plusieurs propositions de résolution

Dans ses observations transmises au Conseil constitutionnel, le gouvernement affirme que la


loi organique se préoccupe « d’éviter le déclenchement de procédures abusives et répétitives ».
En réalité, la seule disposition de la loi organique destinée à remplir cet objectif est celle
interdisant à un parlementaire de signer plus d’une proposition de résolution tendant à la
destitution du Président de la République pendant la durée du mandat présidentiel. À dire vrai,
la précaution relevait de la pure fiction juridique, car rien n’interdisait à l’opposition de calibrer
ses signatures, dès lors que la proposition doit être signée par seulement 10% des membres de
l’assemblée concernée.

Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel a estimé qu’ « en limitant le droit de chaque
membre du Parlement à la signature d’une seule proposition de résolution par mandat
présidentiel », la loi organique apporte aux modalités de mise en œuvre de l’article 68 de la
Constitution « une restriction d’une ampleur telle qu’elle en méconnaît la portée ». Cette
disposition est déclarée inconstitutionnelle, et les parlementaires peuvent donc désormais signer
autant de propositions de destitution qu’ils le souhaitent, créant ainsi une forme inédite de
harcèlement à l’encontre du Président.

Le Conseil semble très soucieux de la protection des droits du Parlement. Mais comment
apprécier cette censure si l’on considère l’équilibre des pouvoirs ? N’importe quel
parlementaire peut désormais engager, de manière réitérée, la responsabilité du Président. À
l’inverse, ce même parlementaire accusé d’avoir commis une fraude fiscale, d’avoir menti sur
son patrimoine, voire acheté les voix de ses électeurs, peut tranquillement siéger, sachant que
la levée de son immunité doit être décidée par l’Assemblée elle-même. La définition de la

59
séparation des pouvoirs semble être d’une intensité variable selon que l’on envisage l’Exécutif
ou le Législatif.

L’ordre du jour ou comment choisir la bonne date

Le Conseil s’efforce cependant d’encadrer quelque peu la procédure. C’est ainsi qu’il précise
la portée de l’article 2 de la loi, qui prévoit que la proposition de résolution, une fois signée
d’un dixième des membres de l’assemblée concernée, est transmise à sa commission des lois.
Cette dernière n’est cependant pas tenue de l’adopter ou de la rejeter, ni même de l’examiner.
Dans ces trois hypothèses, la procédure est tout simplement abandonnée. La loi organique
prévoit enfin que la proposition est caduque si elle n’est pas inscrite à l’ordre du jour de
l’assemblée au plus tard le treizième jour suivant les conclusions de la Commission.

La gestion de l’ordre du jour peut-elle être utilisée pour repousser l’examen de la résolution
pendant treize jours ? Pour envisager une telle pratique, il faut déjà qu’il y ait entente préalable
sur ce point entre le Président et son Premier ministre. Observons cependant que depuis la
révision du 23 juillet 2008, le gouvernement ne peut plus aussi facilement maîtriser l’ordre du
jour et imposer au parlement son rythme de travail.

L’article 48 de la Constitution établit en effet un ordre du jour partagé. Le gouvernement


conserve le contrôle de deux semaines de séance sur quatre, et l’Assemblée des deux autres
semaines, dont l’une est réservée en priorité au contrôle de l’action du gouvernement et à
l’évaluation des politiques publiques (la destitution du Président de la République ne peut donc
être débattue durant cette période). À cela s’ajoute un jour par mois dont l’ordre du jour est
déterminé par les groupes d’opposition ou minoritaires.

Certes, le gouvernement peut demander l’inscription prioritaire des textes transmis par l’autre
assemblée depuis au moins six semaines. Par cette pratique, il peut, théoriquement, grever le
temps parlementaire au point de vider de son contenu la semaine sur quatre en principe réservée
à l’ordre du jour décidé par l’assemblée, celle qui n’est pas précisément affectée au contrôle de
l’action du gouvernement. Le gouvernement n’est pas en mesure, en revanche, de s’opposer au
jour sanctuarisé dont l’ordre du jour est défini par l’opposition. Il suffit donc à cette dernière de
fixer la date du vote de la proposition de résolution moins de treize jours avant ce jour.

Quant à l’adoption de la résolution par la seconde assemblée, elle doit intervenir dans un délai
de quinze jours, fixé cette fois non par la loi organique mais par le Constitution (Article 68).
Sur cette question, la loi organique se borne à prévoir que si la clôture de la session fait obstacle
à l’examen de cette proposition, celle-ci est inscrite à l’ordre du jour dès l’ouverture de la

60
prochaine session ordinaire.

Une fois que la proposition de résolution est adoptée par chaque assemblée, la Haute Cour,
c’est-à-dire concrètement l’ensemble des députés et sénateurs, est réunie. Se pose alors la
question de la procédure suivie devant la Haute Cour.

La procédure devant la Haute Cour

Après la constitution du bureau de la Haute Cour, une commission spéciale composée de six
vice-présidents de l’Assemblée nationale et six vice-présidents du Sénat est chargée de
l’instruction du dossier. Elle a les mêmes prérogatives qu’une commission d’enquête
parlementaire ordinaire. Le Conseil constitutionnel énonce à ce propos deux réserves
d’interprétation.

Il affirme ainsi que la Commission ne peut user à l’égard du Président ou de son représentant
de mesures de contraintes, contrairement à ce que peut faire une commission d’enquête à
l’égard de personnes qui refusent de témoigner. Elle ne peut pas davantage limiter le temps de
parole accordé au Président ou à son représentant. Le Conseil fait d’ailleurs observer que la
Commission dispose d’un délai de quinze jours pour rédiger un rapport, ce qui laisse largement
le temps de consacrer du temps à la défense du Président.

La loi organique n’est guère précise sur l’organisation des débats qui se déroulent ensuite devant
la Haute Cour. De manière un peu surprenante, le législateur a réintroduit le Premier ministre
dans la procédure, précisant qu’il prenait part aux débats. Le Conseil constitutionnel déclare
cette disposition inconstitutionnelle dans la mesure où l’Article 68 ne mentionne pas le Premier
ministre parmi les participants.

D’une manière générale, le Conseil constitutionnel sanctionne une certaine légèreté de la loi
organique. Son article 5 charge en effet le Bureau de la Haute Cour de prendre « les dispositions
nécessaires pour organiser les travaux de la Haute Cour ». Autrement dit, ce serait le parlement
lui-même qui définirait la procédure lui permettant de destituer le Président. Cette fois, le
Conseil estime que « le respect du principe de la séparation des pouvoirs ainsi que l’exigence
de clarté et de sincérité des débats devant la Haute Cour imposent que les règles relatives aux
débats devant la Haute Cour qui n’ont pas été prévues par le législateur organique soient fixées
par un règlement de la Haute Cour, soumis à l’examen du Conseil constitutionnel en
application de l’article 61 de la Constitution ». Le Conseil affirme donc que le règlement de la
Haute Cour aurait donc dû figurer dans la loi organique et lui être soumis. En l’absence de toute
mention de l’inséparabilité des dispositions annulées, on doit déduire que le Conseil estime
qu’elles sont séparables, ce qui signifie que le texte peut être promulgué, amputé des
dispositions déclarées inconstitutionnelles. Conformément à l’article 10 al. 2 de la Constitution,

61
le Président de la République peut cependant demander au parlement une nouvelle délibération,
c’est-à-dire un nouveau vote destiné à purger l’inconstitutionnalité. Cette nouvelle délibération
devrait cependant être précédée d’une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel, afin qu’il
puisse statuer sur le règlement de la Haute Cour. En l’absence d’une demande de nouvelle
délibération, la loi sera publiée amputée des dispositions inconstitutionnelles, ce qui signifie
qu’en l’absence de règlement, la Haute Cour ne pourra valablement se réunir.

Quoi qu’il en soit, ces querelles de procédure ne doivent pas masquer un mouvement de fond
visant à une sorte de destruction de l’équilibre constitutionnel établi en 1958. Depuis quelques
années, toutes les réformes vont dans le sens d’un affaiblissement de l’institution présidentielle.

Affaiblir l’institution présidentielle

Souvenons-nous de l’instauration du quinquennat en 2000, quinquennat adopté, disait-on, dans


le but d’éviter la cohabitation. Aujourd’hui, une partie de la droite appelle à la dissolution,
précisément dans le but d’obtenir une nouvelle cohabitation. Souvenons-nous aussi de l’article
53 al. 2 de la Constitution, rédigé après l’adoption de la Convention de Rome créant la Cour
pénale internationale. Après que le Conseil constitutionnel ait considéré comme non conforme
à la Constitution la disposition du traité (art. 27) permettant de déférer les Chefs d’État devant
la Cour (décision du 22 janvier 1999), la Constitution a été révisée pour permettre la
reconnaissance de la juridiction de la Cour « dans les conditions fixées par le traité ».
Autrement dit, le privilège de juridiction touchant le Président est écarté dans l’hypothèse,
certes très improbable, où il serait mis en cause devant la Cour pénale internationale. Sur le
plan théorique, l’articulation avec la destitution relève d’une certaine forme de surréalisme. La
mise en accusation du Président devant la Cour pénale conduirait sans doute à engager la
procédure de destitution… ce qui conférerait au procureur de la CPI l’initiative de la destitution.

Dernière étape donc, la possibilité de destitution du Président, élément d’un statut pénal devenu
engagement d’une responsabilité politique. Si cette procédure finit par entrer en vigueur, on ne
doute pas qu’elle sera utilisée. Même si les procédures ne parviennent pas à leur terme, elles
feront partie d’un débat politique de plus en plus violent et affirmeront une nouvelle puissance
parlementaire. En plaçant ainsi le Parlement au centre du pouvoir, en le maintenant au surplus
comme seul juge des immunités parlementaires, en institutionnalisant un soupçon permanent à
l’encontre du Président, c’est une Vè République bis, ou ter, ou quater, qui se met ainsi en place,
accélérant le retour aux poisons et délices des républiques passées. À moins que cette forme
d’impeachment à la français ne soit le signe d’une soumission au modèle américain ?

Roseline Letteron, « N'importe quel parlementaire peut désormais engager, de manière


réitérer, la responsabilité du Président », in Droit et Justice, 24 novembre 2014 (sur le

62
Web, Contre-points, le nivellement par le haut)

B) Un gouvernement constitué de ministres dirigés par un Premier ministre.

Le Gouvernement, avec à sa tête un Premier ministre, est le deuxième pôle de cet


exécutif bicéphale qui organise la constitution de la Vème République. Dans son Titre III, la
Constitution de 1958 a renforcé les rôles du Premier ministre et du gouvernement.
Mais, à la différence du président de la République, il ne possède pas la légitimité
populaire directe. En effet, il émane de la majorité de l’Assemblée nationale dont il dépend
puisqu’il est responsable devant elle. Il est donc, par excellence, l’élément de “logique
parlementaire” du système de la Vème République.

1°) Le renforcement du rôle du Premier ministre

Le renforcement du rôle et de la fonction du Premier ministre se repère en premier lieu


par le changement d’appellation, significatif en lui même: sous la IIIème et la IVème
République, le chef de gouvernement était nommé président du Conseil, terme sans
signification réelle puisque traditionnellement, en France, c’est le Président de la République
qui préside le conseil des ministres. Par ailleurs, il avait fallu attendre 1934 pour que le président
du Conseil dispose d’une infrastructure administrative propre avec la création des “services de
Matignon”, auparavant, il devait obligatoirement détenir en même temps un portefeuille
ministériel pour bénéficier d’une implantation matérielle31.
Depuis 1958, il y a une affirmation solennelle du rôle du gouvernement, selon l’article

31
Le Premier ministre siège à Matignon. Outre son cabinet, y travaille le secrétariat général du
gouvernement dont le rôle est de coordonner l’ensemble des travaux du gouvernement et ses relations avec le
Parlement et l’Elysée. Un certain nombre de services sont par ailleurs rattachés au Premier Ministre :
- la direction de la documentation,
- la direction des journaux officiels,
- la direction générale de l’administration et de la fonction publique,
- le Commissariat général au Plan (1946-2006) remplacé par le Centre d'Analyse Stratégique,
- le Commissariat à l’Energie Atomique,
- la délégation générale à la recherche scientifique et technique,
- le Centre National d’Etudes Spatiales,
- le secrétariat général de la Défense nationale.

63
2032: “le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation” . Enfin, le Premier
ministre exerce sur ses collaborateurs une autorité réelle, puisqu’aux termes de l’article 2133,
“il dirige l'action du gouvernement”.

2°) Le rôle du gouvernement, point de passage obligé de toute politique législative

La représentation de l’exécutif auprès du parlement appartient sans partage au chef


du gouvernement, puisque le Président de la République n’est qu’à titre exceptionnel amené à
prendre contact avec les assemblées, que ce soit par son droit de message ou par la possibilité
de tenir un discours devant le Congrès (art 18).

Le Premier ministre a avec les membres du parlement, l’initiative des lois (article 39).
Cet article 39 a été modifié en 2008, il est désormais ainsi rédigé :

Document n°36
Article 39, ancienne version : “L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux
membres du Parlement. Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil
d’Etat et déposés sur le bureau de l’une des deux assemblées. (L. const. n ° 96-138 du 22 février 1996) “Les
projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis en premier lieu à
l’Assemblée nationale”.

Article 39, nouvelle version :

« L'initiative des lois appartient concurremment au Premier Ministre et aux membres du Parlement.

Les projets de loi sont délibérés en Conseil des Ministres après avis du Conseil d'Etat et déposés sur le bureau de
l'une des deux assemblées. Les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale sont soumis
en premier lieu à l'Assemblée nationale. Sans préjudice du premier alinéa de l'article 44, les projets de loi ayant
pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales et les projets de loi relatifs aux instances
représentatives des Français établis hors de France sont soumis en premier lieu au Sénat.

La présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées
par une loi organique.

Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l'ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée
saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence
des présidents et le Gouvernement, le président de l'assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le
Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours.
Dans les conditions prévues par la loi, le président d'une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d'État,
avant son examen en commission, une proposition de loi déposée par l'un des membres de cette assemblée, sauf
si ce dernier s'y oppose.

32
Document n° 34 article 20: « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.
Il dispose de l’administration et de la force armée.
Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles
49 et 50”.
33
Document n°35 Article 21 :“Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est
responsable de la Défense nationale. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article
13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires. Il peut déléguer certains
de ses pouvoirs aux ministres. Il supplée, le cas échéant, le président de la République dans la présidence
des conseils et comités prévus à l’article 15. Il peut à titre exceptionnel, le suppléer pour la présidence d’un
Conseil des ministres en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé”.

64
Comme le souligne Bastien François, cette modification accroît le pouvoir du Parlement, par le
biais du rôle renforcé de la Conférence des Présidents laquelle est composée du Président de
la chambre considérée, des six vice-présidents, des huit présidents des commissions
permanentes (Affaires culturelles, Affaires étrangères, Défense, Finance, Affaires
économiques, Lois, Affaires sociales, Développement durable), des présidents des groupes
politiques, du président de la délégation pour l'Union Européenne, en présence d'un représentant
du gouvernement, généralement le ministre chargé des relations avec le Parlement.

Le Premier ministre partage également avec la majorité des membres de l’Assemblée nationale,
le droit de demander au Président de la République la tenue d’une session extraordinaire du
parlement34.
A noter que le général De Gaulle a estimé qu’il était en droit d’apprécier l’opportunité d’y
donner suite.
C’est le Premier ministre seul, qui peut engager la responsabilité du gouvernement tout
entier après délibération du conseil des ministres (le chef de l’Etat intervient donc
personnellement même dans ce secteur où le Premier ministre a un rôle prédominant).

C’est le gouvernement qui déclare l’urgence d’un texte, qui provoque la réunion
d’une commission mixte paritaire (article 45). Cet article 45 a été modifié en 2008 .

Document n°38

Article 45 ancienne version

Article 45 : “Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du
Parlement en vue de l’adoption d’un texte identique. Lorsque, par suite d’un désaccord entre les deux
assemblées, un projet ou une proposition de loi n’a pu être adopté après deux lectures par chaque assemblée
ou, si le Gouvernement a déclaré l’urgence, après une seule lecture par chacune d’entre-elles, le Premier
ministre a la faculté de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un
texte sur les dispositions restant en discussion. Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis
par le Gouvernement pour approbation aux deux assemblées. Aucun amendement n’est recevable sauf
accord du Gouvernement. Si la commission mixte ne parvient pas à l’adoption d’un texte commun ou si ce
texte n’est pas adopté dans les conditions prévues à l’alinéa précédent, le Gouvernement peut, après une
nouvelle lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, demander à l’Assemblée nationale de statuer
définitivement. En ce cas, l’Assemblée nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission
mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés
par le Sénat”.

34
Document n°37 Article 29 : “Le Parlement est réuni en session extraordinaire à la demande
du Premier ministre ou de la majorité des membres composant l’Assemblée nationale, sur un ordre du jour
déterminé. Lorsque la session extraordinaire est tenue à la demande des membres de l’Assemblée nationale,
le décret de clôture intervient dès que le Parlement a épuisé l’ordre du jour pour lequel il a été convoqué
et au plus tard douze jours à compter de sa réunion. Le Premier ministre peut seul demander une nouvelle
session avant l’expiration du mois qui suit le décret de clôture”.

65
Article 45 nouvelle version :

ARTICLE 45. [entrée en vigueur le 1er mars 2009] Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement
dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique. Sans préjudice de l'application
des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même
indirect, avec le texte déposé ou transmis.
Lorsque, par suite d'un désaccord entre les deux assemblées, un projet ou une proposition de loi n'a pu être adopté
après deux lectures par chaque assemblée ou, si le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée
sans que les Conférences des présidents s'y soient conjointement opposées, après une seule lecture par chacune
d'entre elles, le Premier ministre ou, pour une proposition de loi, les présidents des deux assemblées agissant
conjointement, ont la faculté de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un
texte sur les dispositions restant en discussion.
Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux
assemblées. Aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement.
Si la commission mixte ne parvient pas à l'adoption d'un texte commun ou si ce texte n'est pas adopté dans les
conditions prévues à l'alinéa précédent, le Gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l'Assemblée
nationale et par le Sénat, demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement. En ce cas, l'Assemblée
nationale peut reprendre soit le texte élaboré par la commission mixte, soit le dernier texte voté par elle, modifié
le cas échéant par un ou plusieurs des amendements adoptés par le Sénat.

Comme le relève Bastien François, antérieurement, il suffisait au gouvernement de déclarer


l’urgence pour supprimer la navette parlementaire et limiter l’examen du texte à une seule
lecture par chaque chambre. Or, la déclaration d’urgence est une facilité dont les gouvernements
successifs ont usé et abusé . Par exemple, de 2002 à 2007, les gouvernements Raffarin et
Villepin y ont eu recours à 59 reprises.
La révision permet aux assemblées de s’opposer à la déclaration d’urgence, sur décision
conjointe de leurs conférences des présidents. Cet organe, qui joue un rôle important dans
l’organisation des travaux parlementaires (et qui voit son existence consacrée au niveau
constitutionnel), se réunit chaque semaine.
En pratique, cette garantie risque d’être très peu protectrice des droits du Parlement,
puisqu’elle suppose une opposition conjointe des deux chambres (d’où de probables difficultés
en cas de divergence des majorités) et que leur décision sera prise par un cercle restreint
d’acteurs, dans une relative opacité.
Dans ces conditions, selon Bastien François il serait peut être préférable
– d’exiger l’accord préalable des deux conférences des présidents pour déclarer l’urgence.
– de contraindre le gouvernement à demander l’urgence dès le dépôt du texte sur le bureau
de la première assemblée saisie (alors qu’il peut actuellement exercer cette prérogative jusqu’à
la clôture de la discussion générale) ;
– d’insérer la possibilité pour les deux présidents des assemblées de convoquer
conjointement une commission mixte paritaire (CMP) en cas d’échec de la navette
parlementaire (prérogative actuellement réservée au gouvernement).

Relevons par ailleurs que selon le 59ème rapport du Sénat sur la session 2005-2006 relevait
que « La procédure d'urgence ayant par définition pour objet d'accélérer le processus
d'élaboration de la loi, on pourrait légitimement supposer qu'une fois la loi votée, le
Gouvernement en tire les conséquences en hâtant la mise en oeuvre réglementaire des lois
examinées dans ce cadre. Or, les résultats observés sur la session écoulée démontrent qu'il n'en
est rien : le taux d'application des dispositions adoptées après déclaration d'urgence plafonne
ainsi à 15 %, soit un niveau deux fois inférieur aux mesures votées selon la procédure de droit
commun. A la lumière des chiffres des trois dernières sessions, il apparaît donc que la

66
déclaration d'urgence n'est pas un gage d'application rapide des lois concernées... En tout état
de cause, il n'est pas possible d'établir de corrélation directe entre déclaration d'urgence et
application des lois. Il semble que la procédure d'urgence réponde finalement plus aux
contraintes résultant de la surcharge de l'ordre du jour des assemblées qu'à la volonté
gouvernementale d'une application rapide et totale des lois concernées ».
Enfin relevons tout de même qu'avec un taux d'application totale ou partielle de 88 pour cent
pour l'ensemble des lois votées en 2011-2012, le dernier rapport sénatorial notait un net progrès.

Il peut demander, à l’initiative de son gouvernement, le “vote bloqué” pour clore un débat
(art 44).

Document n°39
Ancien Article 44 : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement.
Après l’ouverture du débat, le Gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas
antérieurement été soumis à la commission.
Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en
discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».

Nouvel article 44 :

« Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement.


« Ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions et limites fixées par les règlements des
assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique. »
Après l’ouverture du débat, le Gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas
antérieurement été soumis à la commission.
Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en
discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».

Selon Bastien François, depuis 1981, on assiste à une véritable inflation des amendements.
Sous la XIe législature (1997-2002), 50 851 amendements ont été déposés à l’Assemblée
nationale, dont 3 141 par le gouvernement (85,7 % ont été adoptés), 12 405 par les commissions
parlementaires (86,9 % ont été adoptés), et 35 305 par les députés (9,4 % ont été adoptés). Sous
la XIIe législature (2002-2007), ce chiffre a été presque multiplié par cinq (243 259
amendements déposés, 16 878 adoptés, à relier avec le record obtenu de 137537 amendements
concernant le projet de loi relatif au secteur de l'énergie). On comprend dès lors que le droit
d’amendement soit de plus en plus réglementé par une jurisprudence restrictive du Conseil
constitutionnel.

Selon le Site Web du Sénat , « Bien que la part des lois définitivement adoptées d’origine
parlementaire ait fortement augmenté depuis la révision de 2008 (en 2010-2011, plus du tiers
des textes définitivement adoptés était d’origine parlementaire et près d’un quart d’origine
sénatoriale), l’exercice du droit d’amendement demeure un outil privilégié des parlementaires
pour exercer leur pouvoir législatif.

Ainsi, le droit d’amendement est très largement utilisé : au cours de ces dix dernières années,
le nombre d’amendements en séance déposés devant l’Assemblée nationale et le Sénat s’établit

67
à:

Assemblée nationale Sénat

2000-2001 8 479 5 109


2001-2002 5 545 4 443
2002-2003 35 393 7 558
2003-2004 27 073 10 398
2004-2005 26 471 7 686
2005-2006 147 861* 8 652
2006-2007 7 867 5 672
2007-2008 13 778 5 988
2009-2010 23 776 8 435
2010-2011 10 147 8 377

* L’écart de 2005-2006 résulte des 137 665 amendements déposés à l’Assemblée nationale sur le projet de loi
relatif au secteur de l’énergie.

En outre, en 2009-2010 et en 2010-2011, ont été déposés au Sénat respectivement 2 559 et


2 487 amendements en commission.

L’efficacité du droit d’amendement est garantie par une réglementation minutieuse qui
s’efforce de concilier la nécessaire liberté d’expression et le bon ordonnancement des débats.

Document n°40

LES IRRECEVABILITÉS CONSTITUTIONNELLES OPPOSABLES AUX


AMENDEMENTS

Ces règles sont appliquées en premier lieu par les assemblées elles-mêmes et figurent dans leur
Règlement. Leur méconnaissance est ensuite sanctionnée par le Conseil constitutionnel,
lorsqu’un texte lui est soumis aux fins de contrôler sa conformité à la Constitution. Il peut
soulever d’office ces irrecevabilités, alors même qu’elles n’ont pas été soulevées dans la saisine.

 Le contrôle de recevabilité des amendements en commission

Le président de la commission saisie au fond se prononce sur la recevabilité financière ou


sociale des amendements au regard de l’article 40 de la Constitution ou de l’article L.O. 111-3
du code de la sécurité sociale. Ce contrôle systématique est fait a priori, c’est-à-dire

68
préalablement au dépôt et à la mise en distribution des amendements. « Le cas échéant », c’est-
à-dire en cas de difficulté d’appréciation ou de souhait du Président de la commission saisie au
fond, les amendements sont transmis à la commission des finances ou à la commission des
affaires sociales qui rendent un avis écrit au président de la commission saisie au fond.

La commission est compétente pour statuer sur les autres irrecevabilités, à l’exception de
l’irrecevabilité fondée sur l’article 41 de la Constitution (respect de la « frontière » entre les
domaines de la loi et du règlement), qui ne peut être soulevée que par le Gouvernement ou le
Président du Sénat, le cas échéant après consultation du président de la commission des lois ou
d’un membre du bureau de celle-ci. En cas de désaccord, c’est le Conseil constitutionnel qui
statue dans les huit jours.

 Le contrôle de recevabilité des amendements en séance

Le contrôle de la recevabilité financière (article 40 de la constitution) des amendements en


séance relève de la compétence de la commission des finances. Ce contrôle systématique est
fait a priori, c’est-à-dire préalablement au dépôt et à la mise en distribution des amendements.
La commission des finances est compétente également pour le contrôle de la recevabilité des
amendements au regard de la loi organique relative aux lois de finances (irrecevabilité
« LOLF »). La contrôle de la recevabilité sociale (article L.O. 111-3 du code de la sécurité
sociale) des amendements en séance relève pour sa part de la commission des affaires sociales.

En ce qui concerne l’irrecevabilité fondée sur l’article 41 de la Constitution, elle est soulevée
et prononcée dans les mêmes conditions que pour les amendements en commission.

La commission saisie au fond est compétente pour se prononcer sur les autres motifs
d’irrecevabilité.

 Les différents types d’irrecevabilité

1- Les irrecevabilités financières « article 40 de la Constitution » : L’article 40 de la


Constitution prévoit que les amendements formulés par les membres du Parlement « ne sont
pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des
ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

2- La protection du domaine de la loi de finances : les irrecevabilités « LOLF » :

- L’article 34 de la loi organique relative aux lois de finances détermine le domaine et la

69
structure des lois de finances. Ce contrôle permet de sanctionner toute disposition qui n’aurait
pas sa place dans une loi de finances ou qui ne se trouve pas dans la bonne partie de la loi de
finances et, à l’inverse, de sanctionner toute disposition qui se trouverait dans une loi
« ordinaire », alors qu’elle entre dans le champ de la loi de finances ;

- l’article 36 de la loi organique relative aux lois de finances dispose que « l’affectation,
totale ou partielle, à une autre personne morale d’une ressource établie au profit de l’État ne
peut résulter que d’une disposition de loi de finances ». Les amendements qui, dans le cadre
d’une loi ordinaire, ne respecteraient pas ce « domaine réservé » sont irrecevables.

3- La protection du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale : les « irrecevabilités


sociales » : fondées sur l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale qui délimite le champ
des lois de financement de la sécurité sociale, ce contrôle permet de sanctionner, dans les lois
de financement de la sécurité sociale, les dispositions qui n’y auraient pas leur place et, dans
les « lois ordinaires », les dispositions qui devraient figurer dans la loi de financement de la
sécurité sociale.

4- L’irrecevabilité des dispositions ne relevant pas du domaine de la loi : en vertu de l’article


41 de la Constitution, un amendement ou une proposition de loi qui n’est pas du domaine de la
loi peut être déclaré irrecevable par le Gouvernement ou le Président de l’assemblée saisie. En
cas de désaccord entre celui-ci et le Gouvernement, le Conseil constitutionnel peut être saisi de
la question. Il se prononce dans les huit jours.

5- L’irrecevabilité des « cavaliers législatifs » : L’article 45, alinéa 1er, de la Constitution


prévoit que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un
lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. ». Pour apprécier l’existence d’un lien
direct ou indirect, il convient comme l’a fait le Conseil constitutionnel de recourir à la technique
du « faisceau d’indices ». Les indices ou les références sont au nombre de trois : l’intitulé,
l’exposé des motifs et l’objet du texte.

6- L’irrecevabilité fondée sur la « règle de l’entonnoir » : Après la première lecture, un


amendement peut être déclaré irrecevable dès son dépôt s’il remet en cause les « conformes »,
c’est-à-dire des dispositions déjà adoptées dans les mêmes termes par les deux assemblées. Un
amendement peut être parallèlement déclaré irrecevable s’il introduit après la première lecture,
une disposition additionnelle sans relation directe avec les dispositions restant en discussion
(sauf si l’amendement assure le respect de la Constitution, opère une coordination avec des
textes en cours de discussion ou corrige une erreur matérielle) ;

7- L’irrecevabilité des amendements non soumis au préalable à la commission : Le principe est


que chaque amendement en séance doit avoir été examiné par la commission saisie du texte sur

70
lequel il porte avant l’ouverture du débat en séance publique. L’article 44, alinéa 2, de la
Constitution permet au Gouvernement, après l’ouverture du débat, de « s’opposer à l’examen
de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission ». Cette procédure
est très peu utilisée en pratique, puisque l’hypothèse d’un amendement non soumis à la
commission est relativement rare.

Site Web du Sénat

Document n°41

Le droit d'amendement, Assemblée Nationale,

fiche de synthèse n°37 : L’exercice du droit d’amendement

Fiche publiée le 2 mai 2014

Le droit d’amendement est aujourd’hui la forme d’expression principale du droit d’initiative


des députés ; plusieurs milliers sont ainsi déposés annuellement.

Partagé avec le Gouvernement, ce droit, bien que libre et illimité, est toutefois strictement
encadré par des dispositions constitutionnelles, organiques et réglementaires inspirées du
« parlementarisme rationalisé ».

Les plus importantes portent sur la recevabilité financière (les amendements parlementaires ne
sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des
ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique) et législative (les
amendements doivent relever du domaine de la loi) des amendements.

D’autres restrictions, portant en particulier sur les délais de dépôt, sur l’examen préalable par
la commission saisie au fond, sur le lien avec le texte en discussion ou sur les restrictions qui
s’appliquent après la première lecture, viennent en complément.

En séance publique, l’ordre d’appel des amendements et les modalités de leur discussion font
l’objet de dispositions réglementaires précises qui assurent une organisation claire des débats
et permettent l’expression de toutes les opinions.

 I. – L’encadrement du droit d’amendement

71
 II. – La présentation matérielle des amendements et l’org...
 ANNEXE - Principales formules d’amendements

Le droit d’amendement est le droit de soumettre au vote des assemblées parlementaires des
modifications aux textes dont elles sont saisies, qu’il s’agisse de projets de loi (d’initiative
gouvernementale), ou de propositions de loi (d’initiative parlementaire). Il peut être considéré
comme un « prolongement » du droit d’initiative législative ; avec le temps, il est même devenu
dans de nombreux parlements et notamment en France la forme d’expression principale du droit
d’initiative des parlementaires.

Il trouve sa source dans le premier alinéa de l’ article 44 de la Constitution, qui énonce que « les
membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement ». Depuis la révision de
juillet 2008, cet article précise que ce droit « s’exerce en séance ou en commission selon les
conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi
organique ».

Les caractères principaux du droit d’amendement sont de trois ordres :

- c’est un droit partagé entre le Gouvernement et les parlementaires ;

- c’est un droit individuel ou collectif (contrairement aux questions, par exemple, les
amendements peuvent être co-signés) ;

- c’est un droit illimité (sous réserve des restrictions présentées ci-après), ce qui peut en faire
un moyen d’obstruction.

Le principe général, affirmé par l’ article 45 de la Constitution, est que le droit d’amendement
s’exerce librement au stade de la première lecture : tout amendement est recevable à ce stade
dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte. Au cours des lectures suivantes, les
amendements ne peuvent porter que sur les dispositions restant en discussion, ce qui exclut les
amendements introduisant des dispositions nouvelles. Il s’agit, en outre, d’un droit encadré par
la Constitution, dans l’esprit du parlementarisme rationalisé qui a présidé à son élaboration.

I. – L’encadrement du droit d’amendement

Les règles qui suivent sont applicables aux amendements comme aux sous-amendements.
Toutefois, les sous-amendements ne sont pas recevables lorsqu’ils contredisent le sens de
l’amendement ou excèdent son champ. En revanche, les délais de dépôt ne leur sont pas
opposables.

72
1. – Le contrôle de la recevabilité financière des amendements

a) Principe général

L’ article 40 de la Constitution précise que les amendements formulés par les membres du
Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une
diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique.
La rédaction employée permet de présenter un amendement diminuant une ressource publique,
sous réserve qu’il soit gagé par l’augmentation à due concurrence d’une autre ressource
publique ; en revanche, elle proscrit toute compensation dans le domaine des charges publiques.

La jurisprudence constitutionnelle a précisé la portée de l’irrecevabilité financière. Elle a ainsi


décidé qu’elle s’appliquait non seulement aux dépenses de l’État mais aussi à celles des autres
personnes publiques et que l’incidence des mesures proposées se jugeait par rapport au texte
examiné ou au droit existant, s’il est plus favorable.

b) La recevabilité financière des amendements aux projets de loi de finances et aux projets de loi de financement
de la sécurité sociale

Le contrôle de la recevabilité financière des amendements aux projets de loi de finances et aux
projets de loi de financement de la sécurité sociale obéit à des règles particulières :

- les règles applicables aux lois de finances ont été assouplies à compter de l’examen du projet
de loi de finances pour 2006, qui est le premier à avoir été présenté en application de la loi
organique relative aux lois de finances du 1er août 2001.

Cette loi organique a modifié les modalités du contrôle budgétaire du Parlement, en substituant
à l’ancienne répartition des crédits par ministères, titres de dépenses puis chapitres budgétaires,
une répartition distinguant une cinquantaine de missions de l’État (dont une dizaine
interministérielles) et, à l’intérieur de celles-ci, environ 170 programmes.

L’ article 47 de la loi organique précitée précise que la notion de charge publique doit être
appréciée au niveau de chaque mission, ce qui permet dorénavant aux parlementaires de
proposer, à l’intérieur d’une même mission, des augmentations de crédits au sein d’un
programme compensées par une diminution d’autres crédits au sein d’un autre programme ; en
outre, les parlementaires ont la faculté de créer un programme nouveau en compensant cette
mesure par la diminution des crédits affectés à un autre programme de la même mission ;

- pour les projets de loi de financement de la sécurité sociale, le paragraphe IV de l’ article L.O.

73
111-7-1 du code de la sécurité sociale précise que, s’agissant des amendements portant sur les
objectifs de dépenses inscrits en loi de financement, la charge s’entend de chaque objectif de
dépenses par branche ou de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM).

Ce dernier assouplissement, introduit par une loi organique du 2 août 2005, permet en principe
aux parlementaires d’opérer des arbitrages au sein de l’ONDAM ou des objectifs de dépenses
par branche.

c) Les modalités du contrôle

Il convient de distinguer les amendements déposés en commission de ceux déposés en


séance.Dans le premier cas, il revient au président de la commission et, en cas de doute, à son
bureau, d’apprécier la recevabilité de l’amendement au regard de l’ article 40 de la Constitution,
au besoin après avis du président ou du rapporteur général de la commission des finances. Les
amendements qu’il déclare irrecevables ne sont pas examinés par la commission. Le
Gouvernement ou un député peut également opposer à tout moment l’article 40 de la
Constitution à une modification apportée par une commission au texte d’un projet ou d’une
proposition de loi, c’est-à-dire à un amendement adopté par une commission et intégré dans le
texte qui servira de base à la discussion en séance publique. L’irrecevabilité est appréciée par
le président ou le rapporteur général de la commission des finances.S’agissant des
amendements déposés en vue de leur examen en séance, c’est le Président de l’Assemblée qui
est chargé d’en apprécier la recevabilité financière. Cependant, selon un usage constant, le
Président suit quasiment toujours l’avis du président de la commission des finances ou, à défaut,
du rapporteur général ou d’un membre du bureau de la commission des finances désigné à cet
effet (l’article 89, alinéa 3 du Règlement prévoit cette consultation « en cas de doute »). Tous
les amendements litigieux sont ainsi renvoyés, lors de l’enregistrement, au président de la
commission des finances, et son avis joue un rôle déterminant. Lorsque l’avis conclut à
l’irrecevabilité, l’amendement est renvoyé à l’auteur. Il n’est pas mis en distribution et ne sera
pas appelé en discussion.

Cette procédure de contrôle a priori n’interdit pas d’opposer ultérieurement l’irrecevabilité


financière aux propositions de loi et aux amendements. Cette faculté, prévue par l’article 89,
alinéa 4 du Règlement, est reconnue aussi bien au Gouvernement qu’à tout député. En pratique,
l’opposition aura rarement lieu d’être formulée à ce stade puisque la première vérification, faite
au moment du dépôt, devrait avoir éliminé d’office les initiatives encourant l’irrecevabilité.

L'irrecevabilité financière peut cependant être opposée aux amendements mis en distribution.
Dans ce cas, l’appréciation de recevabilité est portée dans les mêmes conditions que lors du
dépôt, c’est-à-dire sur décision du Président de l’Assemblée après avis du président de la
commission des finances. Compte tenu de l’examen systématique de recevabilité des

74
amendements au dépôt, il n’y a lieu de procéder à une nouvelle consultation que dans des cas
exceptionnels : il en va ainsi, par exemple, lorsque la discussion fait apparaître un fait nouveau
mettant en cause l’avis de recevabilité formulé au dépôt.

Il est à noter que la procédure de contrôle de la recevabilité financière organisée par le


Règlement confie aux seules instances parlementaires le soin de statuer sur la question de
recevabilité au cours de la procédure législative. En cas de litige sur la recevabilité d’un
amendement – en particulier lorsque le Gouvernement conteste la recevabilité affirmée par
l’autorité parlementaire compétente –, c’est la décision de cette dernière qui prévaut, sans appel,
à ce stade, à un juge extérieur, contrairement à ce qui est prévu en matière de recevabilité
« législative ».

Les décisions prises par les instances parlementaires dans le domaine de la recevabilité
financière ne peuvent être contestées que par la voie du recours devant le Conseil
constitutionnel, présenté en application de l’ article 61, alinéa 2 de la Constitution, après
l’adoption de la loi. Le Conseil constitutionnel se reconnaît en effet compétent pour apprécier
s’il a été fait, dans le cours de la procédure législative, une application correcte de l’article 40
de la Constitution, qu’il s’agisse des décisions d’irrecevabilité ou de recevabilité financière.
Dans ce dernier cas, cependant, le Conseil estime qu’il ne peut être saisi que si l’exception
d’irrecevabilité financière a été soulevée devant la première chambre qui a été saisie de
l’amendement.

2. – Le contrôle de la recevabilité législative des amendements

L’ article 41 de la Constitution prévoit que « s’il apparaît au cours de la procédure législative


qu’une proposition ou un amendement n’est pas du domaine de la loi (...), le Gouvernement ou
le président de l’assemblée saisie peut opposer l’irrecevabilité ». En cas de désaccord entre
eux, « le Conseil constitutionnel, à la demande de l’un ou de l’autre, statue dans un délai de
huit jours ».

Initialement, seul le Gouvernement pouvait opposer l’irrecevabilité et, dans la pratique, la


complexité de la procédure s’est traduite par une faible utilisation de celle-ci. En confiant ce
droit au Président de l’Assemblée nationale, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a
entendu lui donner un second souffle.

Une différence majeure qui oppose cette procédure à celle destinée à assurer le respect de
l’article 40 est que la recevabilité législative n’est pas systématiquement contrôlée au moment
du dépôt des propositions et des amendements parlementaires : ce contrôle requiert
l’intervention du Gouvernement ou du Président de l’Assemblée.

75
Mettant en œuvre l’ article 41 de la Constitution, l’article 93 du Règlement de l’Assemblée
nationale prévoit ainsi que l’irrecevabilité d’une proposition ou d’un amendement peut être
opposée à tout moment tant par le Président de l’Assemblée que par le Gouvernement. Elle
précise également que l’amendement qui prend la forme d’une disposition du texte résultant
des travaux de la commission peut aussi faire l’objet d’une telle contestation. Les deuxième et
troisième alinéas de l’article 93 envisagent respectivement le cas d’une irrecevabilité opposée
par le Gouvernement et celui d’une irrecevabilité opposée par le Président de l’Assemblée. Si
l’irrecevabilité est opposée par le Gouvernement, il revient alors au Président de l’Assemblée
de se prononcer. Dès lors que le Président de l’Assemblée est en désaccord avec le
Gouvernement, il saisit le Conseil constitutionnel. Si l’irrecevabilité est opposée par le
Président de l’Assemblée, il doit consulter le Gouvernement et, en cas de désaccord avec ce
dernier, saisir le Conseil constitutionnel. Dès lors que le Président de l’Assemblée envisage
d’opposer l’irrecevabilité ou doit se prononcer sur l’irrecevabilité opposée par le
Gouvernement, il est prévu qu’il puisse consulter le président de la commission des lois ou un
membre du bureau de cette commission désigné à cet effet.

3. – Autres restrictions au droit d’amendement

a) Restrictions liées à la bonne organisation du débat parlementaire

Pour permettre une discussion ordonnée et cohérente des articles d’un projet de loi et des
amendements qui s’y rapportent, et pour donner à chaque acteur du débat, Gouvernement,
rapporteur et députés, le temps de préparer cette discussion, il est nécessaire de prévoir une date
limite pour le dépôt de ces derniers. La réforme du Règlement du 27 mai 2009 a institutionnalisé
le délai de dépôt des amendements en commission : les amendements doivent être déposés au
secrétariat de la commission au plus tard le troisième jour ouvrable, à 17 heures, précédant
l’examen du texte en commission. Elle a modifié le délai pour les amendements déposés sur le
texte discuté en séance en le portant également au troisième jour ouvrable précédant l’examen
du texte en séance, à 17 heures, au lieu de la veille de la discussion à 17 heures, comme c’était
le cas depuis 2006.

Le Conseil constitutionnel a admis la fixation de tels délais sous réserve que les présidents de
commissions, s’agissant de l’examen des textes par ces dernières, ou la Conférence des
présidents, s’agissant de la séance publique, puissent fixer un autre délai si le délai de droit
commun ne permet pas que soient respectées les « exigences de clarté et de sincérité » des
débats, et ce, afin de garantir pleinement « le caractère effectif du droit d’amendement conféré

76
aux parlementaires par l’article 44 de la Constitution » ( Décision n° 2009-581 DC du 25 juin
2009). Pour les amendements en séance, la loi organique du 15 avril 2009 impose qu’en tout
état de cause, les amendements des députés soient déposés avant le début de l’examen du texte
en séance.

Des délais particuliers sont prévus pour l’examen de la seconde partie des projets de loi de
finances : les amendements rattachés à l’examen des crédits doivent être déposés au plus tard
l’avant-veille de la discussion à 13 heures, ceux présentés aux articles non rattachés au plus tard
la veille à 13 heures.

Après l’expiration des délais susvisés, restent recevables les sous-amendements, les
amendements du Gouvernement et des commissions saisies au fond, les amendements portant
sur les articles modifiés ou ajoutés par un amendement du Gouvernement ou de la commission
au fond déposé hors délais.

b) Irrecevabilité liée à l’objet de l’amendement

L’article 98 du Règlement de l’Assemblée nationale énonce que les amendements ne peuvent


porter que sur un seul article. Les sous-amendements ne peuvent contredire le sens de
l’amendement qu’ils visent et ne peuvent être sous-amendés. En outre, conformément à l’
article 45 de la Constitution, ce même article 98 admet la recevabilité, en première lecture, de
tout amendement dès lors que celui-ci présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou
transmis. Dans tous les cas, il revient au Président de l’Assemblée d’apprécier la recevabilité,
au regard de ces dispositions, des amendements déposés.

c) Restriction liée à l’examen en commission

En application de l’ article 44, alinéa 2 de la Constitution, le Gouvernement peut s’opposer à la


discussion des amendements qui n’ont pas été soumis à la commission saisie au fond. Cette
arme de procédure n’est généralement utilisée qu’en cas d’obstruction manifeste, à l’égard
d’amendements déposés après la dernière réunion de la commission.

d) Restrictions liées aux nécessités de la procédure législative

Comme on l’a vu, la procédure législative, fondée sur un système de navette entre les deux
assemblées, vise à rapprocher progressivement leurs points de vue respectifs en vue de
l’adoption d’un texte identique. Dès lors, il est logique que tous les articles de loi qui, à un stade
donné de la procédure, ont été adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées, sortent
du champ de la navette et ne soient plus amendables. Sont également prohibés les amendements

77
qui remettraient en cause des dispositions adoptées conformes en introduisant dans le texte des
additions incompatibles. Il peut seulement être fait exception aux règles qui viennent d’être
exposées pour assurer la coordination avec d’autres dispositions, pour rectifier une erreur
matérielle ou pour assurer le respect d’une disposition constitutionnelle.

Après la première lecture, les amendements doivent être en relation directe avec une disposition
restant en discussion, sous réserve des trois exceptions précitées. Cette règle, inscrite de longue
date dans le Règlement des assemblées, a été progressivement consacrée par le Conseil
constitutionnel entre 1998 et 2006. Elle prohibe, en principe, l’introduction, à ce stade de la
navette, d’articles additionnels. Le Conseil constitutionnel n’hésite pas à censurer, en outre, les
dispositions nouvelles introduites sous forme de paragraphes additionnels. Le texte issu des
délibérations de la commission mixte paritaire fait l’objet de restrictions particulières à
l’exercice du droit d’amendement, fondées sur la lettre de l’ article 45, alinéa 3 de la
Constitution qui prévoit que seuls sont recevables les amendements du Gouvernement et les
amendements parlementaires dont le Gouvernement a accepté le dépôt. Ces restrictions se
justifient par la nécessité de ne pas dénaturer l’accord sur un texte commun qui a pu être trouvé
entre les deux assemblées.

Lorsque le Gouvernement décide, en application de l’article 45, alinéa 4 de la Constitution, de


donner le dernier mot à l’Assemblée nationale par le biais d’une ultime lecture dite « lecture
définitive », les seuls amendements recevables au dernier texte voté par l’Assemblée nationale
sont ceux précédemment adoptés, en séance, par le Sénat, en nouvelle lecture.

e) Le vote bloqué

Conséquence logique de l’existence de procédures d’adoption contraignantes exprimant le


parlementarisme rationalisé voulu par les rédacteurs de la Constitution de 1958, l’ article 44,
alinéa 3, de la Constitution autorise le Gouvernement à demander à l’Assemblée saisie de se
prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, les seuls amendements
alors retenus étant ceux proposés ou acceptés par le Gouvernement.

f) Restrictions liées à la nature du texte discuté

Compte tenu de leur nature, ne peuvent être amendés les textes des conventions internationales
annexés aux projets de loi autorisant leur ratification, les motions visant à soumettre à
référendum certains projets de loi, les résolutions déposées en application de l’ article 34-1 de
la Constitution, ainsi que les propositions de la Conférence des présidents relatives à l’ordre du
jour.

78
Enfin, l’ordre du jour des assemblées comporte en priorité les textes retenues par le
gouvernement (art 48). Mais là encore, cet article a donné lieu à une révision en 2008,
élargissant le champ d’initiative parlementaire.

Document n°42
ARTICLE 48. [dispositions en vigueur] Sans préjudice de l'application des trois derniers alinéas de l'article 28,
l'ordre du jour des assemblées comporte, par priorité et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, la discussion des
projets de loi déposés par le Gouvernement et des propositions de loi acceptées par lui.
Une séance par semaine au moins est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux
réponses du Gouvernement.
Une séance par mois est réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque assemblée.
ARTICLE 48. [entrée en vigueur le 1er mars 2009] Sans préjudice de l'application des trois derniers alinéas de
l'article 28, l'ordre du jour est fixé par chaque assemblée.
Deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité, et dans l'ordre que le Gouvernement a fixé, à
l'examen des textes et aux débats dont il demande l'inscription à l'ordre du jour.
En outre, l'examen des projets de loi de finances, des projets de loi de financement de la sécurité sociale et, sous
réserve des dispositions de l'alinéa suivant, des textes transmis par l'autre assemblée depuis six semaines au moins,
des projets relatifs aux états de crise et des demandes d'autorisation visées à l'article 35 est, à la demande du
Gouvernement, inscrit à l'ordre du jour par priorité.
Une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l'ordre fixé par chaque assemblée au contrôle
de l'action du Gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques.
Un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l'initiative des groupes
d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'à celle des groupes minoritaires.
Une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l'article 29, est
réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement.

ARTICLE 28. Le Parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire qui commence le premier jour
ouvrable d'octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin.
Le nombre de jours de séance que chaque assemblée peut tenir au cours de la session ordinaire ne peut
excéder cent vingt. Les semaines de séance sont fixées par chaque assemblée.
Le Premier ministre, après consultation du président de l'assemblée concernée, ou la majorité des membres
de chaque assemblée peut décider la tenue de jours supplémentaires de séance.
Les jours et les horaires des séances sont déterminés par le règlement de chaque assemblée.
ARTICLE 35. La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement.
Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus
tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner
lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote.
Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation
du Parlement. Il peut demander à l'Assemblée nationale de décider en dernier ressort.
Si le Parlement n'est pas en session à l'expiration du délai de quatre mois, il se prononce à l'ouverture de la
session suivante.

Selon Bastien François, cette révision modifie les modalités de fixation de l’ordre du
jour (ODJ) des assemblées, c’est-à-dire la liste des textes et sujets que les parlementaires
examinent en séance publique. Antérieurement, l’ODJ était fixé prioritairement par le
gouvernement. Même si ce dernier était politiquement amené à se concerter avec sa majorité
parlementaire, les discussions se déroulaient avant la réunion de la conférence des présidents
(donc en toute opacité) et portaient plus sur le calendrier que sur le contenu de l’ODJ. Après
quoi, chaque assemblée ne pouvait déterminer elle-même l’objet de ses travaux que pour le
temps laissé disponible par le gouvernement, c’est-à-dire… à peu près rien en pratique : de
2002 à 2007, cet ODJ complémentaire a représenté au total trois séances, soit 3h30 de débat en
cinq ans. Très modestement, la révision constitutionnelle de 1995 a créé une « fenêtre
parlementaire » (ou « niche »), sous forme d’une séance par mois réservée à l’ODJ fixé par
chaque chambre.

79
Cette révision prétend donc renverser la logique des constituants de 1958, en posant comme
principe la fixation par chaque assemblée de son ODJ (via sa conférence des présidents ) et en
faisant de l’intervention du gouvernement l’exception. En outre, cet article réserve une séance
par mois à un ordre de jour fixé par l’opposition parlementaire .

Cette révision va indéniablement dans le sens d’une démocratisation de nos institutions, mais
insuffisamment loin.

Il met fin au quasi-monopole actuel du gouvernement pour fixer l’ODJ. Toutefois, le


gouvernement reste maître de deux semaines de séance sur quatre et peut, de surcroît, inscrire
prioritairement à l’ODJ une série non négligeable de textes (Loi de finances et Loi de
financement de la sécurité sociale), énumérés au troisième alinéa de l’article. Comme chaque
chambre sera par ailleurs politiquement plus ou moins tenue d’inscrire à son ODJ les projets de
loi adoptés par l’autre chambre (à défaut, le gouvernement pourra les inscrire d’office au bout
d’un mois), la prééminence gouvernementale risque d’avoir encore de beaux jours devant elle.

Il prend acte du relatif échec de l’actuelle « fenêtre parlementaire » (article 48 alinéa 3) : la


pratique montre que cette séance mensuelle est généralement insuffisante pour permettre
l’adoption d’une proposition de loi, au point que l’organisation de simples « débats » lui est
parfois préférée. Compte tenu des contraintes pesant sur le reste de l’ODJ et des irrecevabilités
financières de l’article 40 de la Constitution, une proposition de loi ne peut donc guère aboutir
sans le soutien du gouvernement.
En somme, seule la majorité profite (un peu) de cette procédure. Le fait de confier une séance
mensuelle à la seule opposition parlementaire – et donc d’en faire avant tout un moment de
contrôle du Gouvernement – est donc un progrès, mais d’ampleur malheureusement très
limitée : l’actuelle « fenêtre » n’a représenté sous la législature précédente que 209 heures de
débat à l’Assemblée nationale, sur plus de 5 000 heures au total.

En conclusion, le statut du Premier ministre le place donc d’une manière indiscutable à


la tête de la formation gouvernementale, mais, compte tenu des pouvoirs du Président de la
République, il apparaît que le Premier ministre se présente davantage comme un relais de la
politique déterminée par le Président (sauf en cas de cohabitation où il assure alors la première
place).
Son rôle est néanmoins indispensable sur le plan technique, car il a la maîtrise de la
machine gouvernementale et administrative, et sur le plan politique, car il est chargé de conduire
la majorité parlementaire.
En conséquence, le rôle du chef du gouvernement est ambigu: il est fondamental, pour
assurer l’impulsion et la coordination de l’action gouvernementale, mais le Premier ministre

80
reste subordonné au chef de l’Etat pour la définition de la politique à mener, eputêtre encore
plus aujourd'hui sous l'effet de l'adoption du quinquennat.
La constitution de 1958 a posé le principe de l’incompatibilité entre les fonctions
gouvernementales et les mandats parlementaires (article 2335).
Jusqu’en 1958, il était en effet possible d’être ministre tout en conservant son mandat
électif, avec même la possibilité de prendre part aux votes de l’assemblée à laquelle on
appartenait. Ainsi, en 1947, les ministres communistes du gouvernement Ramadier ont voté
contre le gouvernement auquel ils appartenaient, conduisant à leur révocation.
Il a donc été mis fin en 1958 à une confusion des responsabilités: c’est la raison pour
laquelle tout parlementaire est élu avec un suppléant (au Sénat, c’est le suivant de la liste des
candidats) qui occupe le siège en cas de décès ou de nomination à une fonction
gouvernementale. A noter que la démission ne permet pas au suppléant d’occuper le siège: elle
entraîne automatiquement une élection partielle.
Cette incompatibilité des mandats met fin à la superposition des taches de “contrôleur”
et de “contrôlé” mais en même temps, elle peut créer une coupure entre le gouvernement et le
parlement. Dans cette perspective, les conditions de nomination des membres du gouvernement
sur un plan politique (parts respectives des politiques et des fonctionnaires, dosages entre partis
politiques) et la hiérarchie gouvernementale avec les différents titres ajustés à la structure
ministérielle peuvent être décisifs.

En effet, l’importance des pouvoirs donnés au gouvernement dans ses relations avec le
parlement en font le point de passage obligé de toute politique législative.

Document n°44
« La composition d’un gouvernement est hiérarchisée. A sa tête, un Premier ministre qui a des attributions propres
qui lui donne une existence constitutionnelle. Au sommet de la hiérarchie des ministres, les ministres d’Etat.
C’est une manière éventuelle de valoriser la présence d’une personnalité dans le gouvernement (l’exemple d’André
Malraux à la tête du Ministère de la Culture reste le plus significatif), de souligner l’importance attribuée à un
portefeuille ministériel précis ou enfin de marquer l’adhésion d’un représentant d’une formation politique à
l’équipe gouvernementale. Les ministres à portefeuille dirigent un secteur d’activité. Les ministres délégués
sont des ministres à part entière mais gèrent une délégation d’un autre ministre auquel ils sont rattachés. Les
secrétaires d’Etat sont soit autonomes, auquel cas ils disposent d’un budget et d’une administration propre ; soit
rattachés au Premier ministre ou à un ministre dont ils dépendent ou sous l’autorité duquel ils sont placés. Les
secrétaires d’Etat ne siègent pas au Conseil des Ministres sauf pour les affaires qui les concernent ».
E. Le Masson, J.P. Oppenheim « Institutions politiques. Droit Constitutionnel », Ed Foucher.

C) Une répartition des rôles qui requiert une action concertée mais dépendantes de la

35
Document n°43 Article 23 : « Les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec
l’exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère
national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle.
Une loi organique fixe les conditions dans lesquelles il est pourvu au remplacement des titulaires de
tels mandats, fonctions ou emplois.
Le remplacement des membres du parlement a lieu conformément aux dispositions de l’article 25 ».

81
tonalité de la majorité parlementaire

Le texte constitutionnel semble imposer une collaboration forte entre les trois
composantes du pouvoir exécutif et donc exclure les phénomènes de cohabitation. Cependant,
la pratique allait démontrer une plus grande souplesse des institutions leur conférant un
caractère semi-présidentiel ou présidentialiste en cas de concordance entre majorité
présidentielle et majorité de l’Assemblée nationale, et un caractère parlementaire en cas de
discordance.

1°) Une lecture classique de la répartition des rôles au sein du pouvoir exécutif

A la lecture du texte constitutionnel, les trois composantes du pouvoir exécutif semblent


devoir être complémentaires, disposant de pouvoirs propres dans des domaines communs
(règlement, nomination, défense, diplomatie), se validant mutuellement (contreseing, action
face au pouvoir législatif); et devant être aussi solidaires - le gouvernement et son chef ont
besoin du soutien présidentiel face à l’opinion et au parlement, le chef de l’Etat doit s’appuyer
sur le gouvernement pour concrétiser ses orientations -.
En d’autres termes, le constituant ne semble guère avoir pris en compte la possibilité de
l’existence d’une majorité parlementaire hostile aux orientations du Chef de l’Etat, conduisant
à ce que l’on a appelé la cohabitation entre Président de la République et Premier ministre. Dans
le cadre cette lecture classique, il convient de souligner que chacune des composantes de
l’exécutif détient des pouvoirs spécifiques.
Le Président de la République détient des pouvoirs de “haute politique” (nomination du Premier
ministre, référendum, dissolution de l’Assemblée nationale, pouvoirs spéciaux, ...) qui lui
donnent un rôle d’impulsion, d’animation, de contrôle, d’arbitrage mais qui ne lui permettent
cependant pas de gouverner quotidiennement le pays, ni d’avoir des relations constantes avec
le parlement (en la matière, la capacité nouvelle donnée au Chef de l'Etat de s'adresser en
personne aux parlementaires ne change point la donne).
Il revient au Premier ministre justement de détenir ces pouvoirs de gestion quotidienne,
notamment grave à son pouvoir réglementaire et aux différents organismes de coordination dont
il dispose. Cependant il tend à manquer de légitimité populaire au regard du chef de l’Etat. Le
gouvernement quant à lui, détient la direction des ministères, c’est à dire de l’administration, et
des multiples moyens de relations avec le parlement dans le cadre de la procédure législative.
Mais, comme le Premier ministre, il peut souffrir d’un déficit de légitimité.
Si le Chef de l’Etat semble s’imposer hiérarchiquement au sein de l’exécutif, cela ne
signifie pas pour autant qu’il puisse se passer de la collaboration des deux autres pouvoirs, en
effet, la Constitution confie des responsabilités dans les mêmes domaines à chacune des
composantes du pouvoir exécutif :

82
- en matière militaire, le Président est le chef des armées (art 15), mais le gouvernement
dispose de la force armée (art 20) et le Premier ministre est responsable de la Défense
nationale (art 21);
- en matière de politique étrangère, le Président accrédite les ambassadeurs (art 14) et
négocie les traités (art 52), mais ce sont le premier ministre et son gouvernement qui
sont compétents pour les simples accords;
- en matière réglementaire, le Premier ministre est en charge de l’exécution des lois (art
21), mais le Président de la République intervient également (art 13: signature de
certains décrets, des ordonnances, des nominations importantes) et le gouvernement
« dispose de l’administration »(art 20) ;
- en matière politique enfin, le Président ne peut utiliser l’article 11 que sur proposition
du gouvernement et l’article 89 sur proposition du Premier ministre. De même le
Premier ministre ne peut utiliser l’article 49 sans l’accord du Conseil des ministres.

A cela, s’ajoute également la règle du contreseing qui implique que pour la majorité des
actes de l’exécutif, la signature de ses trois composantes est indispensable36.

Ainsi, la lecture classique de la répartition des rôles au sein du pouvoir exécutif semble
imposer l’idée d’un nécessaire un accord entre ses trois composantes.

Aucune d’entre elles ne pourrait gouverner seule et chacune d’entre elles pourrait
bloquer l’activité régulière des pouvoirs publics.
Et si l’exécutif apparaît déséquilibré en faveur de son Président, il reste tricéphale et ne
s’apparente pas tout à fait à un régime présidentialiste. En ce sens, il est difficile d’être en accord
avec O. Duhamel sur l’idée que « la Vème République connaît donc un régime constitutionnel
semi-présidentiel qui d’ordinaire fait vivre un système politique présidentialiste »37.
Il reste que tout dépend de la majorité parlementaire. Si celle-ci soutient le chef de l’Etat, ce
qui est le schéma normal sous la Vème République, la répartition des rôles profite à celui-ci; si
ce n’est pas le cas, alors le Premier ministre a un rôle plus conséquent.

Document n°45
Suite aux élections législatives de novembre 1958, « les députés gaullistes, qui refusent d’être classés à droite, et
qui proclament (suivis en cela par de nombreux commentateurs) le caractère périmé de l’opposition droite/gauche

36
Relevons ainsi que selon l’article 22 de la Constitution, « les actes du Premier ministre sont contresignés,
le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ».
37
O. Duhamel, « Droit constitutionnel. Le pouvoir politique en France », tome 1, Ed Seuil, 1999, p.73.

83
– ce qui suscite de violentes réactions hostiles des partis de gauche -, veulent occuper le centre de l’hémicycle.
Le début de l’année 1959 voit ainsi naître toute une série de discussions passionnées au Parlement ou dans la
presse sur la signification de la répartition des sièges dans l’hémicycle. Serions nous entrés dans une nouvelle ère
politique ? »
Bastien François, « Misère de la Vème République . Pourquoi il faut changer les
institutions», éd Denoël, 2001, p.60.

Document n°46
L’apparition du fait majoritaire
« La Constitution de 1958 a été élaborée dans la hantise de l’instabilité gouvernementale, caractéristique du régime
précédent. Par là, elle est une Constitution-contre, elle se veut Constitution rupture, sans trop d’illusions en réalité,
tant paraissent ancrées les données de la vie parlementaire française. Et dans un premier temps d’ailleurs, la plupart
des acteurs du jeu politique conserveront les réflexes acquis sous la IVe République ; il leur faudra du temps pour
prendre conscience du changement du contexte politique, sous l’effet de l’apparition du fait majoritaire : un parti,
ou le plus souvent une coalition de partis, s’engage à soutenir le gouvernement à l’Assemblée jusqu’aux élections
législatives suivantes ; le gouvernement dispose d’une majorité stable.
Cette situation donne à l’exécutif une latitude nouvelle dans ses relations avec le Parlement ; elle va permettre en
même temps au président de la république d’affirmer sa primauté au sein du système constitutionnel.
Les prévisions pessimistes du constituant sont démenties et la stabilité devient la règle, les dispositions
du texte de 1958 doivent être lues et sont appliquées dans une nouvelle perspective ».
Ph. Ardant, "Les institutions de la Ve République", Ed Hachette (7ème ed, 2001)

Document n°47
« La majorité comme évidence. Tardive toutefois. La Vème République ne commence « à fonctionner » selon une
logique réellement majoritaire qu’au milieu des années soixante-dix, soit plus de quinze ans après sa naissance.
L’élection présidentielle au suffrage universel direct ne produit pas immédiatement une bipolarisation des forces
politiques. La première, en 1965, qui voit s’affronter le général De Gaulle et François Mitterrand au second tour,
est une sorte de leurre : il n’y a pas deux camps structurés polairement. Pour user d’une formule, il y a d’un côté
un candidat historique et de l’autre un candidat par défaut. Même chose, ceteris paribus, pour l’élection
présidentielle de 1969. Ici encore, il est difficile de parler de camps structurés en présence. Mieux encore,
l’élection présidentielle est l’occasion d’une sévère remise en cause des institutions : la candidature du « binôme »
Defferre-Mendès France est même en actes, une contestation de la lecture présidentialiste de la Vème République
(sans grand succès, il est vrai). Ce n’est en fait qu’en 1974, et surtout en 1981, que cette bipolarisation apparaît
nettement, alors même que l’idée d’une prééminence présidentielle s’impose dans tous les camps ».
Bastien François, « Misère de la Vème République . Pourquoi il faut changer les
institutions», éd Denoël, 2001, p.66.

84
Document n°48
« La thèse n’est pas originale, mais elle est d’une importance capitale pour comprendre le fonctionnement actuel
du régime et les images dont il se pare : c’est le retournement stratégique de la gauche, sa conversion, lente et
parfois chaotique, qui a imposé la lecture majoritaire et présidentialiste des institutions. Ce ralliement à la Vème
République ne découle pas d’une théorie du pouvoir, d’une contagion de son « esprit » et encore moins du respect
de la « règle » constitutionnelle, mais de raisons essentiellement tactiques.
C’est parce que l’élection présidentielle peut permettre au parti communiste de se réinsérer dans le système
politique tout en contrôlant ses troupes ; c’est parce qu’elle peut forcer une reconstitution de la gauche socialiste,
qui connaît une forte division avec le déclin de la SFIO ; bref, c’est parce qu’elle peut servir leurs propres intérêts
partisans que des dirigeants de la gauche vont investir l’élection présidentielle, vont finir par accepter, non sans
résistances, le principe de la prééminence présidentielle, et vont faire en faire l’axe d’une recomposition partisane
à vocation majoritaire. La gauche n’a pas simplement accepté cette interprétation du régime : c’est elle qui lui a
donné sa réalité. En investissant l’élection présidentielle, elle a contrecarré la logique plébiscitaire voulue par le
général De Gaulle en imposant une compétition démocratique fondée sur la défense d’un programme susceptible
de façonner et de superposer majorités présidentielle et parlementaire, ouvrant alors la voie à cette transitivité
majoritaire qui est l’horizon actuel de tout le jeu politique
».
Bastien François, « Misère de la Vème République . Pourquoi il faut changer les
institutions», éd Denoël, 2001, pp.70-71.

2°) La direction du pouvoir exécutif dépend de la conjoncture politique

Deux situations peuvent se présenter, une concordance des majorités présidentielle et


parlementaire, une discordance partielle ou totale des majorités parlementaire et présidentielle.

a) En cas de concordance des majorités parlementaire et présidentielle : le fait majoritaire

La V° République instaure deux pôles de légitimité, leur alliance n’était pas évidente en
théorie (durée des mandats). Si elle intervient, elle entraîne une association de l’exécutif et du
législatif. L’association des deux pouvoirs bénéficie à l’exécutif qui, comme en Grande
Bretagne combine à son profit le vote des lois et le pouvoir réglementaire.
Dans ce cas de figure, le Président de la République occupe indiscutablement la
première place. Grâce à l’étendue de ses pouvoirs, à sa légitimité populaire, à la pratique
présidentielle, il est le concepteur et l’animateur de la politique nationale. Il en assure la totale
responsabilité devant le peuple qu’il peut consulter quand il le juge nécessaire.

Document n°49
Les rapports Président de la République / Premier ministre sous le général de Gaulle

85
“Il y a en France des ministres. On murmure même qu’il y a encore un Premier ministre. Mais il n’y
a plus de gouvernement. Seul le président de la République (de Gaulle) ordonne et décide. Certes
les ministres sont appelés rituellement à lui fournir assistance et conseils. Mais comme les
chérubins38 de l’Ancien Testament, ils n’occupent qu’un rang modeste dans la hiérarchie des
serviteurs élus et ne remplissent leur auguste office qu’après avoir attendu qu’on les sonne. (...) Du
Premier ministre qu’il maintient rudement dans une posture humiliante il serait surprenant qu’il
songeât à faire un maître et ne rate pas une occasion de lui rappeler qu’il n’est, comme Rouher sous
Napoléon III, que le premier de ses ministres et rien de plus”.
F. Mitterrand, “Le coup d’Etat permanent”, UGE, coll 10/18, 1993 (1964), p.113-114.

Le Premier ministre acquiert une grande autonomie face au parlement et une autorité
nouvelle sur le gouvernement, mais subit une réelle dépendance envers le chef de l’Etat. Il
exerce une double mission, technique, de mise en oeuvre de la politique présidentielle et,
politique, d’animation de la majorité parlementaire. Directement au contact des problèmes
concrets, il permet au Président de garder un certain recul. Le gouvernement assure une mission
technique de gestion des départements ministériels et de relations avec le parlement. Il bénéficie
à ce titre, des techniques de parlementarisme rationalisé qui en font un instrument efficace de
la volonté présidentielle. Ainsi, le gouvernement et son Premier ministre se trouvent depuis
1958 à la fois plus puissants que par le passé face aux partis et au parlement, mais également
plus dépendants du chef de l’Etat. Ils y gagnent une instabilité inconnue dans les institutions
républicaines, mais y perdent le rôle directeur dans l’action exécutive.

b) En cas de discordance partielle ou totale entre majorité parlementaire et présidentielle.

Si le chef de l’Etat ne dispose pas d’une majorité parlementaire comme ce fut le cas de
1986 à 1988 (F. Mitterrand/J. Chirac), de 1993 à 1995 (F. Mitterrand/E. Balladur) et de 1997 à
2002 (J. Chirac/L.Jospin), la répartition des rôles est différente.
Le chef de l’Etat se trouve placé en retrait. Il perd son autorité sur le gouvernement et
son chef et se replie sur ses pouvoirs propres qui ne sont pas suffisants pour gérer
quotidiennement le pays. Il conserve une influence réelle, le pouvoir d’écarter certaines
personnalités lors de la constitution du gouvernement, la possibilité de demander l’arbitrage
populaire, le droit d’intervenir dans son domaine réservé, la faculté de s’opposer à certaines
mesures ... mais ce n’est plus sa politique qui est appliqué. La première place est détenue par le
gouvernement et le Premier ministre.
Disposant d’une légitimité via la majorité parlementaire, ceux-ci appliquent strictement la
constitution selon laquelle c’est bien le gouvernement qui détermine et conduit la politique de
la nation39. Ainsi, la façon dont les rôles au sein de l’exécutif se modulent selon la conjoncture

38
Chérubins : figure d'ange ou angelot. Mélange de lion, de taureau, d'oiseau et d'homme. Hiérarchie
celeste : l'Un, les séraphins, les chérubins, les trônes, les dominations, les autorités, les puissances, les
principautés, les archanges, les anges.
39
Il convient de relever que cette répartition des rôles entre Président et Premier ministre s’est relativement
imposé lorsqu’à la suite de la réélection de F. Mitterrand en 1988 et de la dissolution de l’Assemblée nationale,

86
parlementaire exprime la souplesse et l’ambiguïté du régime.

SECTION II: La fonction législative: un parlementarisme rationalisé et limité.

Les attributions principales du Parlement sont fixées dans le cadre du Titre IV de la


Constitution. Conformément à l’article 2440 de la Constitution, la fonction législative est
exercée au sein des deux assemblées, l’Assemblée nationale et le Sénat. Cet article a été
modifié en 2008 .

Document n°50

ARTICLE 24. Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques.
Il comprend l'Assemblée nationale et le Sénat.
Les députés à l'Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au
suffrage direct.
Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit, est élu au suffrage indirect. Il
assure la représentation des collectivités territoriales de la République.
Les Français établis hors de France sont représentés à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Ce bicaméralisme ou bicamérisme n’est pas égalitaire, puisque l’Assemblée nationale peut


avoir au moment du vote des lois ordinaires le dernier mot sur le Sénat et qu’elle est seule à
mettre en oeuvre la responsabilité ministérielle.
La justification de l’existence de deux chambres résiderait dans la nécessité d’assurer une
représentation des citoyens à l’Assemblée nationale et des collectivités locales au Sénat (dans
les Etats fédérés, ce sont les Etats qui sont représentés par la deuxième chambre ou chambre
haute).

Vis à vis du parlement, la Constitution de 1958 a apporté des changements majeurs: si


elle n’a pas fondamentalement restreint son champ d’action, sauf pour le domaine de la loi, elle
a fait en sorte que l’initiative passe du pouvoir législatif au pouvoir exécutif.
Le rôle du parlement a été limité et son fonctionnement a été rationalisé.

Cet aspect ressort des conditions de fonctionnement du Parlement et de l’exercice de ses


trois prérogatives que sont le vote de la loi, la mise en oeuvre de la responsabilité ministérielle
et le droit d’information.
---> conditions de fonctionnement du Parlement
---> exercice de ses trois prérogatives que sont le vote de la loi, la mise en oeuvre de la

une majorité simplement relative se dégagea autour des orientations du Chef de l’Etat. Les Premiers ministres M.
Rocard, E. Cresson et P. Bérégovoy ne disposèrent pas d’une majorité automatique à la chambre basse, et le
Président, de son coté, laissa les gouvernements gouverner, intervenant rarement dans le domaine de la politique
intérieure.
40
Article 24, alinéa 1 : « Le Parlement comprend l’Assemblée nationale et le Sénat ».

87
responsabilité ministérielle et le droit d’information

A) Les conditions de fonctionnement du parlement

1°) Composition, durée des pouvoirs, recrutement et organisation du Parlement

a) L’Assemblée nationale

• Composition, durée des pouvoirs et recrutement de la chambre basse


Document n°51
L’Assemblée nationale comprend 577 députés élus pour un mandat de cinq ans,
l’Assemblée étant renouvelable intégralement. L’âge requis pour être éligible est de 18 ans
(depuis la loi organique du 14 avril 2011). Tout député est doté d’un suppléant qui le remplacera
dans trois cas de figure :
- lorsque le député devient membre du gouvernement ou du Conseil Constitutionnel ;
- lorsqu’il décède
- ou lorsqu’il est chargé d’une mission gouvernementale dont la durée excède 6 mois.
Dans tous les autres cas, et notamment la démission, une élection partielle est organisée.
Les incompatibilités des fonctions de députés avec d’autres mandats, fonctions ou activités sont
en pleine évolution.
Aux incompatibilités classiques - celles de sénateurs, membre du gouvernement, membre du
Conseil Economique et Social, du Conseil Constitutionnel, de la fonction publique, de l’armée,
de la magistrature et du corps diplomatique - s’ajoutent aujourd’hui les incompatibilités qui
relèvent de la législation concernant la limitation du cumul des mandats.
Par ailleurs, les députés comme les sénateurs jouissent de type d’immunités qui visent à
protéger les membres du législatif du pouvoir juridictionnel :
- d’une part l’irresponsabilité qui immunise les membres du Parlement pour des opinions ou
votes émis dans l’exercice de leur fonction ;
- et d’autre part l’inviolabilité qui les dote d’une protection particulière en matière pénale.
Ces deux immunités peuvent être levées par l’assemblée dont le parlementaire fait partie, selon
une procédure qui a été améliorée par la révision constitutionnelle d’août 1995.
Quant au régime électoral, celui-ci relève de la loi ordinaire et n’est donc pas inscrit
dans la constitution qui se contente de préciser que les députés sont élus au suffrage direct.
Seule l’élection de mars 1986 s’est déroulée au scrutin à la proportionnelle, le mode de scrutin
adopté pour toutes les autres étant le scrutin majoritaire à deux tours. Le relatif consensus qui
semblait s’être dessiné ces dernières années autour de ce mode de scrutin est remis en question.
Depuis 1958, il y a eu 14 élections de l’Assemblée nationale : quatre sous les mandats du
général de Gaulle (novembre 1958, novembre 1962, mars 1967 et juin 1968), une sous G.
Pompidou (mars 1973) et Valéry Giscard d’Estaing (mars 1978), quatre sous les mandats de F.
Mitterrand (juin 1981, mars 1986, juin 1988 et mars 1993),deux sous les mandats de J. Chirac
(juin 1997, juin 2002), une sous le mandat de N. Sarkozy en juin 2007, une sous le mandat de
François Hollande.

• Organisation de l’Assemblée nationale


Document n°52
L’Assemblée Nationale (comme le Sénat) dispose d’un bureau qui constitue l’organe
directeur des travaux. Il comprend 22 membres dont le Président élu pour la durée de la
législature : il lui revient de présider les débats et d’être responsable du maintien de l’ordre.
Les assemblées sont par ailleurs composées de groupes parlementaires. En effet, les

88
députés se répartissent en différents groupes politiques auxquels ils peuvent adhérer,
s’apparenter ou se faire rattacher administrativement. Pour constituer un groupe à l’Assemblée
Nationale, il suffit de 15 députés. Les groupes se répartissent les sièges au sein de la conférence
des présidents des commissions et du bureau de l’assemblée. La conférence des présidents
rassemble le président, les vice-présidents, les présidents des commissions et des groupes
auxquels se joignent un représentant du gouvernement et le rapporteur général du budget.
L’Assemblée peut décider de la constitution d’une commission spécifique et temporaire.
Il peut s’agir :- d’une commission d’enquête dont le rôle est de fournir un travail d’investigation,
d’éclairer l’Assemblée sur un problème spécifique (exemple : commission d’enquête sur les
“pertes du Crédit Lyonnais”) ;- commissions “ad-hoc” créées pour étudier un projet ou une
proposition de loi transversale à plusieurs commissions.

b) Le Sénat

• Composition, durée des pouvoirs et recrutement de la chambre haute

Document n°53
Le Sénat comprenait 321 sénateurs, élus pour une durée de 9 ans. Cette chambre était
renouvelée par tiers tous les trois ans et ne peut toujours être dissoute.
Aux 304 sénateurs départementaux s’ajoutaient trois représentants des territoires
d’outre-mer, deux des collectivités à statut particulier (Mayotte et Saint Pierre et Micquelon)
et douze sénateurs assurant la représentation des français de l’étranger établis hors de France.
La durée du mandat constituait l’un des premiers griefs adressé au Sénat : elle était le
reflet de la méfiance classique de certains milieux conservateurs à l’égard des fluctuations du
suffrage universel.
L’âge requis pour être éligible était de 35 ans, ce qui donnait à cette chambre une
moyenne d’âge beaucoup plus élevée que celle de l’Assemblée Nationale et contribuait à en
accentuer le notabilisme.
Le statut des sénateurs est identique à celui des députés.
L’élection des sénateurs est le fruit d’un suffrage indirect. Ce sont des élus d’élus. Un
collège électoral - appelé grands électeurs - constitué des députés, des conseillers régionaux,
des conseillers généraux et des délégués des communes - contribue à l’élection des sénateurs
à l’échelle du département. Ce mode de recrutement, ajouté à la durée du mandat, était à
l’origine de critiques convergentes à l’égard du Sénat.
On pouvait d’abord reprocher l’inégalité de représentation à laquelle il aboutissait
puisque le poids des communes rurales dans la désignation des sénateurs était tout à fait
disproportionné relativement à leur importance démographique. Si cette situation était induite
par la pléthore de communes en France - plus de 36 000 - on ne pouvait que s’étonner qu’au
seuil du XXIème siècle, une France de plus en plus intégrée à l’Union Européenne, transfère
et donc simplifie à l’échelle nationale un handicap qu’elle n’a pas pu résoudre à l’échelle
locale.
Le second grief tient au mode de recrutement qui contribuait à figer une approche du
territorial qui relève plus probablement du passé que du futur. Le mode de désignation des
sénateurs donne un poids considérable aux conseils généraux et valorise la structure
départementale au détriment de la région.
Enfin, les conséquences sur l’orientation politique de la représentation nationale étaient
claires : ce mode de recrutement contribuait à faire du Sénat une chambre conservatrice,
inéluctablement conservatrice sous l’actuelle et précédentes républiques. L’introduction de la
loi sur la parité, pour dernier exemple n’a guère modifié la donne, cette chambre restait
essentiellement masculine.

89
Il y avait là une “anomalie” que Lionel Jospin, en tant que Premier Ministre, ne s’est pas privé
de relever.

La loi du 30 juillet 2003 a modifié la donne. Il y avait 331 sénateurs, il y en a eu 343


après les élections partielles de septembre 2008 et 348 en 2011. Dans les départements élisant
au moins trois (anciennement quatre) sénateurs, on vote à la représentation proportionnelle pour
des listes devant respecter la parité, dans ceux élisant moins de trois sénateurs, le scrutin reste
majoritaire à deux tours.

La durée du mandat a été réduite à 6 ans (pour une partie des sénateurs lors de l’élection
sénatoriale du 26 septembre 2004), l’âge d’éligibilité a été réduite à 24 ans.
Ces nouvelles dispositions ont eu des effets non négligeables sur la représentation
sénatoriale en termes de rajeunissement et féminisation, suite à l’élection sénatoriale du 26
septembre 2004, la proportion de femmes est passée ainsi de 10.6% à 16.9% (56 sénatrices sur
321 sièges) contre 12.7% à l’Assemblée nationale sur la législature 2002-2007 ; la moyenne
d’âge des sénateurs en 2007 (61 ans) se rapproche de celle des députés (57.5 ans sur la
législature 2002-2007). En 2011, il y eut 78 sénatrices (22,4%) et une majorité de gauche se
dégagea. En septembre 2014, le Sénat repart à droite et il y a 86 sénatrices (24%), l'assemblée
nationale comptant 156 femmes députés (27%)
Représentant des collectivités territoriales, en 2011, 79 sénateurs n'ont pas de mandat local
(21%), 98 sont conseillers généraux, 126 sont maires, 24 adjoints au maire, 34 présidents de
conseils généraux, 4 conseillers régionaux. La loi à l'époque, prévoit pas plus d'un mandat local
mais ne rentrent pas en compte les responsabilités liées aux intercommunalités. 140 sénateurs
sont présidents ou vice-présidents d'intercommunalité.

L'article 1er de la loi organique du 16 février 2014 crée dans le code électoral un nouvel
article qui dresse la liste des fonctions exécutives locales incompatibles avec le mandat de
député ou de sénateur. Il s'agit entre autres des fonctions :
- de maire, de maire d'arrondissement, de maire de secteur, de maire délégué et d'adjoint au
maire ;
- de président et de vice-président d'établissement public de coopération intercommunale à
fiscalité propre ;
- de président et de vice-président de conseil général ;
- de président et de vice-président de conseil régional ;

Cette loi sera applicable en 2017.

• Organisation du Sénat

Document n°54
La perte d’autonomie que la Constitution de 1958 organise à l’égard du Parlement,
s’applique au Sénat de la même manière qu’à l’Assemblée nationale. Les différences entre les
deux chambres sont minimes.
Pour constituer un groupe parlementaire au Sénat, il suffisait de 15 sénateurs, depuis
2011, il en faut dix, cela a permis au sénateurs Europe Ecologie, les Verts de disposer d'un
groupe.
L’organisation des commissions au Sénat diffère légèrement de la chambre des députés : au
nombre de 7.

Comme le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat est consulté par le

90
Président de la République en cas de dissolution et en cas de recours à l’article 16 ; il a
également le droit de saisine du Conseil Constitutionnel et désigne trois de ses membres.

La différence essentielle vient du fait que le Président du Sénat est élu à chaque
renouvellement partiel de cette chambre et qu’il assume l’intérim de la présidence en cas de
vacance de celle-ci : il s’agit là d’une prérogative qui en fait le chef de l’Etat pendant une durée
de 20 à 35 jours et justifie le rang de troisième personnage de l’Etat que lui attribue un décret
du 2 décembre 1958.

Document n°55

Le Sénat représentant de la vie locale : une vieille idée neuve


“Il est clair et il est entendu que le vote définitif des lois et des budgets revient à une assemblée élue
au suffrage universel et direct. Mais le premier mouvement d’une telle assemblée ne comporte pas
nécessairement une clairvoyance et une sérénité entières. Il faut donc attribuer à une deuxième
assemblée élue et composée d’une autre manière la fonction d’examiner publiquement ce que la
première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets. Or, si les
grands courants de politique générale sont naturellement reproduits dans le sein de la Chambre des
députés, la vie locale, elle aussi, a ses tendances et ses droits. (...) Tout nous conduit donc à instituer
une deuxième Chambre dont, pour l’essentiel, nos conseils généraux et municipaux éliront les
membres”.
Général de Gaulle, Discours de Bayeux, 16 juin 1946.

Document n°56

" Hollande sera plus à l'aise avec un Sénat à droite "


Olivier Rozenberg, spécialiste des Parlements européens, analyse les enjeux des élections du
28 septembre

Olivier Rozenberg est chercheur au Centre d'études européennes de Sciences Po. Spécialiste
des Parlements européens, il est notamment l'auteur, avec Eric Thiers, deL'Opposition
parlementaire (La Documentation française, 2013)

Mode de scrutin, composition du corps électoral... Sur ces points, les élections sénatoriales
organisées dimanche 28 septembre obéissent à des règles nouvelles. Lesquelles ?

La principale innovation concerne le mode de scrutin. Jusqu'alors, la proportionnelle


s'appliquait aux départements élisant quatre sénateurs ou plus. Désormais, elle concernera aussi
les départements comptant trois sénateurs. Seuls les départements élisant un ou deux sénateurs,
c'est-à-dire les plus petits, appliquent le scrutin majoritaire à deux tours. A terme, cela signifiera
que les trois quarts des sénateurs seront élus à la proportionnelle, contre la moitié jusqu'à
présent.

91
Politiquement, l'extension de la proportionnelle est par définition désavantageuse pour le camp
arrivé en tête, donc probablement la droite. Sociologiquement, la proportionnelle est un peu
moins favorable aux notables locaux. D'autre part, les listes ayant l'obligation d'être paritaires,
cela devrait permettre à un plus grand nombre de femmes d'être élues.

Le basculement à droite, dimanche, est-il assuré ?

95 % du collège électoral du Sénat étant composé de conseillers municipaux, la défaite


historique de la gauche aux municipales de mars laisse peu de chance à cette dernière de
conserver la majorité, d'autant plus que celle-ci n'est que de 6 voix. Dès lors, on peut prévoir
que non seulement la droite sera majoritaire dimanche, mais qu'elle le sera encore plus dans
trois ans quand l'autre moitié du Sénat sera renouvelée, dans la mesure où ce renouvellement se
fera aussi sur la base des municipales de mars.

Deuxième facteur défavorable pour la gauche : le fait que certains élus pourraient vouloir
sanctionner le gouvernement parce qu'ils sont contre plusieurs de ses projets, comme la vraie-
fausse suppression des conseils généraux, la hausse annoncée du seuil pour le regroupement
communal et la baisse des dotations de l'Etat. Certains élus sans étiquette qui avaient penché
pour la gauche en 2011 pour sanctionner Sarkozy, notamment parce qu'il avait supprimé la taxe
foncière, pourront donc, cette fois, être tentés de sanctionner Hollande.

En quoi un Sénat de droite handicapera-t-il le gouvernement ?

D'abord, il faut dire que le fait d'avoir un Sénat de gauche n'a pas été simple pour Hollande.
Tant que le Sénat était dans l'opposition à Sarkozy, en 2011-2012, la majorité de gauche était
unie. Or après l'élection de Hollande, cette majorité s'est délitée et, sur certains textes
fondamentaux, comme le budget, le gouvernement n'a pas eu de majorité. Le résultat est que la
proportion de textes sur lesquels l'Assemblée a eu le dernier mot, faute d'accord entre elle et le
Sénat, a considérablement augmenté : un sur cinq sous Hollande, alors que ce n'est arrivé qu'une
fois sous Sarkozy avec un Sénat de droite.

De ce point de vue, Hollande sera plus à l'aise avec un Sénat à droite car cela aura au moins le
mérite de la clarté : les ministres sauront d'avance à quoi s'en tenir en venant défendre un texte,

92
et les médias ne gloseront plus sur l'incapacité du gouvernement à tenir sa majorité. Par ailleurs,
on peut s'attendre qu'une majorité de droite ne fasse pas de l'obstruction systématique, que le
futur président du Sénat soit Gérard Larcher ou Jean-Pierre Raffarin - tous deux UMP - .

Depuis trois ans, le Sénat a eu un président socialiste, une première sous la Ve République.
Cela a-t-il eu des conséquences sur son fonctionnement ? Jean-Pierre Bel a-t-il imprimé
sa marque ?

Pour Hollande, le Sénat a d'abord été un vivier puisqu'il a recruté à l'Elysée certains membres
du cabinet de Jean-Pierre Bel. S'agissant de Bel lui-même, on peut lui savoir gré d'avoir montré,
en tant que premier socialiste à présider le Sénat, que l'alternance y était possible. Mais force
est de reconnaître qu'il ne s'est pas imposé comme une figure nationale d'envergure.

Un grand président du Sénat est quelqu'un qui est capable de relayer une forme d'opposition au
pouvoir exécutif : ce fut le cas de Gaston Monnerville et d'Alain Poher face à de Gaulle, ou plus
récemment sous Gérard Larcher quand la majorité sénatoriale de droite, face à Sarkozy, s'est
posée en garante des droits fondamentaux en prenant position contre les tests ADN - pour les
candidats au regroupement familial - par exemple.

" Le rôle du Sénat est tout à fait accessoire ", affirma de Gaulle en 1969. Le Sénat " est
une anomalie parmi les démocraties ", déclara Lionel Jospin, alors premier ministre, en
1998. Ces jugements sont-ils fondés ? Peut-on imaginer une réforme du Sénat ?

Sur la longue durée, il y a une tendance au recul du bicamérisme en Europe : la Suède a


supprimé sa deuxième chambre en 1968, l'Irlande a failli supprimer la sienne en 2013, et Renzi
veut sérieusement réduire les pouvoirs du Sénat en Italie... Est-ce à dire qu'il faille supprimer
le Sénat ? C'est vrai que, sur certains points, il a un passif lourd : c'est le cas sur la réforme
territoriale où, depuis des décennies, compte tenu de sa composition, il est arc-bouté sur la
défense des communes et des départements. Cela dit, je pense que le bicamérisme est un bien,
d'autant plus dans nos sociétés où la pression de l'actualité incite les gouvernements à légiférer
dans l'urgence. Dans ce contexte, le fait que les textes fassent la navette entre deux chambres
permet d'améliorer leur qualité.

Quant aux réformes possibles du Sénat, il faut peut-être réfléchir à améliorer sa représentativité
en généralisant la proportionnelle sur une base régionale et non plus départementale.

93
Propos recueillis par Thomas Wieder

Le Monde 28 septembre 2014.

Document n°57
Sénat et réforme institutionnelle
Quelle réforme vous semble actuellement prioritaire pour nos institutions, et plus précisément
pour le Sénat en particulier ? Tel était le sens de notre première question, qui a reçu un accueil
contrasté.

Cette évocation d’une éventuelle révision constitutionnelle, fruit sans doute de l’enthousiasme
estudiantin, a tout d’abord provoqué un certain scepticisme. La sénatrice Catherine Procaccia
(sénatrice du Val de Marne, secrétaire du Sénat, UMP) a ainsi évoqué son inquiétude devant le
changement en permanence de nos institutions, rejointe en cela par Catherine Deroche
(sénatrice du Maine et Loire, UMP) qui ne voit guère de réforme institutionnelle nécessaire à
court terme. C’est encore le professeur Didier Maus qui exprime le plus clairement ce
scepticisme vis-à-vis de la révision constitutionnelle, en affirmant « qu’il n’y a aucune urgence
à faire quoi que ce soit en matière institutionnelle », l’important étant aujourd’hui de « faire
fonctionner ce qui existe ». Ce qui est important dans une assemblée, c’est « le rapport de force
politique » selon Didier Maus, qui rejoint ici Catherine Deroche selon laquelle l’important est
de présenter une majorité cohérente au Sénat, lorsque l’ancienne majorité avait pu parfois
donner une « image un peu baroque » de l’institution. Pour le professeur Maus, la seule révision
constitutionnelle qui aurait un réel effet serait celle qui modifierait le statut du président de la
République, « pivot du système ». Or, une telle réforme serait un « suicide politique » pour ceux
qui la proposeraient, tant les Français sont attachés à l’élection du président de la République
au suffrage universel.

Toutefois, il faut noter qu’une proposition de réforme est souvent revenue, y compris chez ceux
qui semblaient gagnés par un certain scepticisme en matière institutionnelle : la diminution du
nombre de parlementaires, députés et sénateurs confondus. La sénatrice Nathalie Goulet
(sénatrice de l’Orne, UDI-UC), propose ainsi une diminution drastique du nombre de
parlementaires afin de lutter contre l’absentéisme tout en dégageant plus de moyens pour les
commissions d’enquête. Cette proposition est également revenue chez les sénateurs Philippe
Marini (sénateur de l’Oise, président de la commission des finances, UMP), Catherine
Procaccia et Catherine Deroche, cette dernière estimant qu’il s’agit d’une des rares grandes

94
réformes qui pourrait faire une certaine unanimité dans le pays. Cette proposition de réduire le
nombre de parlementaires pour accroitre leurs moyens est donc, de loin, celle qui a semblé
rallier le plus grand nombre de suffrages au cours de nos entretiens.

Cette proposition n’est néanmoins pas la seule qui ait été formulée. Ainsi, Nathalie Goulet
l’assortissait de propositions plus précises concernant principalement l’instauration d’une plus
grande transparence dans le fonctionnement du Sénat, notamment au niveau de l’IRFM
(indemnité de représentation et de frais de mandat) ou de la structure juridique des groupes
politiques[4].

Le sénateur Jean-Pierre Sueur (sénateur du Loiret, président de la commission des lois, SOC)
a, quant à lui, insisté sur la nécessité de rééquilibrer les institutions, afin de redonner plus de
pouvoir à un Parlement encore enserré par la rationalisation du parlementarisme intervenue en
1958.

En tant que président de la commission des lois, il apporte une importance toute particulière à
la procédure législative et à la réduction du recours à la procédure accélérée. « Pour faire de
bonnes lois, cela suppose du temps », ainsi que des corrections grâce au mécanisme de la
navette parlementaire, que la procédure accélérée vient supprimer en limitant la procédure
législative à une lecture devant chaque assemblée[5]. Selon Jean-Pierre Sueur, « on perd trop
souvent de vue que les assemblées n’ont de sens que pour faire la loi ».

Enfin, des propositions plus inattendues ont été formulées. Philippe Marini a ainsi évoqué la
possibilité de rétablir le cumul du mandat parlementaire avec un exécutif local, qui sera prohibé
à partir de 2017 en vertu de la loi organique votée le 22 janvier 2014. Pour le président de la
commission des finances, le cumul est nécessaire pour renforcer la position des sénateurs face
à l’exécutif et former des « leaders de territoire ». Position qui n’est pas sans lien avec le
suffrage indirect employé pour l’élection des sénateurs.

II. Sénat et mode de scrutin

Après avoir subi de multiples modifications, le mode de scrutin pour l’élection des sénateurs a-
t-il atteint un point d’équilibre ? Telle était en substance le sens de notre seconde question.

Sur cette question si sensible du mode de scrutin, les avis ont été pour le moins contrastés. La
constatation du professeur Didier Maus, selon lequel l’expérience montre que modifier le mode
de scrutin se retourne généralement contre ceux qui l’ont fait et espéraient en bénéficier, semble
faire consensus chez les élus de la droite et du centre. Philippe Marini constate ainsi que, si le
retour de la proportionnelle dans les départements où l’on élit trois sénateurs a été un handicap
réel pour la droite et le centre, l’expérience montre que les réformes du mode de scrutin réalisées

95
dans un « but opportuniste » se retourne généralement contre la majorité qui l’a mis au point.
Catherine Deroche évoque un « effet boomerang », tandis Catherine Procaccia espère ainsi que
l’on va cesser de faire évoluer une loi électorale qui devient illisible pour tout le monde. Elle
estime par ailleurs que, dans la mesure où 50% des sièges sont désormais élus au scrutin
majoritaire et les autres 50% à la représentation proportionnelle, un certain équilibre a été
atteint. Sans surprise, le discours est sensiblement différent chez Jean-Pierre Sueur. Pour le
président de la commission des lois, le mode de scrutin pour l’élection des sénateurs reste « très
déséquilibré » et « très inégalitaire ». Bien qu’il n’ait pas empêché l’alternance, ce déséquilibre
au profit des petites communes et au détriment des grandes villes reste ainsi sensible, justifiant
à terme une nouvelle modification du corps électoral. Le président de la commission des lois
pointe d’ailleurs à cette occasion un autre inconvénient du mode de scrutin actuel, à savoir la
désignation de délégués électoraux dans les grandes villes, lorsque le nombre de conseillers
municipaux est inférieur au nombre des grands électeurs requis.

Cette « élection au troisième degré », avec des délégués qui sont en quelque sorte « les nommés
des élus » ne lui semble guère satisfaisante.

Le professeur Julie Benetti estime également que la surreprésentation des communes rurales et
la sous-représentation des communes les plus peuplées demeurent des questions importantes
pour la légitimité du Sénat. Par ailleurs, elle insiste sur le fait que la composition du collège
électoral ne prend pas en compte les différentes intercommunalités dont la récente montée en
puissance bouleverse la carte des collectivités territoriales (bien qu’elles n’aient pas le statut de
collectivité territoriale à part entière). Julie Benetti rappelle que la Commission Jospin avait, en
2012, soulevé la question d’un Sénat intégralement élu à la proportionnelle, dans le cadre de
circonscriptions régionales. Elle note toutefois qu’une telle révolution aurait des conséquences
profondes pour le Sénat, le scrutin de liste entrainant une mainmise des partis sur les élus bien
plus importante qu’elle ne l’est actuellement. Cette réserve rejoint d’ailleurs les préoccupations
de Catherine Procaccia, attachée à un scrutin majoritaire qui permet d’être élue pour son travail,
et non parce que l’on fait partie d’une liste (même si elle concède par ailleurs que la
proportionnelle a eu pour avantage d’augmenter le nombre de femmes élues au Sénat).

Les désaccords sur le mode de scrutin restent donc sensibles, le seul point de consensus étant
que l’Assemblée nationale et le Sénat doivent être élus selon des modalités différentes.

Et que pensent les députés, en cette journée où leurs collègues sénateurs sont à l’honneur ? Le
député Alain Marsaud (10e circonscription des Français établis hors de France, UMP), en guise
de boutade, nous a livré sa proposition pour la réforme du Sénat : sa disparition « pure et
simple ». Mais, au-delà de la provocation, c’est peut-être lui qui était le plus réaliste en nous
assurant « qu’il n’y aurait pas de réforme institutionnelle prochainement ». Pourquoi ? Parce

96
qu’il n’y a « pas de volonté des politiques de présenter une véritable réforme
constitutionnelle », tout simplement… A moins que l’Elysée ne décide de brusquer les choses ?
[7]

Source : site Web, « Les chevaliers des grands arrêts »

FIGAROVOX/ANALYSE - Le président PS de l'Assemblée Nationale a déclaré jeudi dernier


être favorable à une suppression du Sénat. Maxime Tandonnet défend cette institution phare de
la République en soulignant son apport primordial dans le travail législatif.

Maxime Tandonnet décrypte chaque semaine l'exercice de l'État pour FigaroVox. Il est haut
fonctionnaire, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République et auteur
de nombreux ouvrages, dont Histoire des présidents de la République, Perrin, 2013. Vous
pouvez également retrouver ses chroniques sur son blog.

L'idée de supprimer le Sénat n'est pas nouvelle, mais émise par un président de l'Assemblée
nationale, elle semble sans précédent. En effet, d'après la Constitution, le Parlement forme un
tout constitué de deux assemblées solidaires l'une de l'autre qui forment les deux piliers d'une
même maison. Selon son article 24: «Le Parlement vote la loi. Il contrôle l'action du
Gouvernement […] Il comprend l'Assemblée nationale et le Sénat.» Toutes deux ont la même
importance, la même valeur, malgré des modes de désignations distincts: «Les députés à
l'Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au
suffrage direct. Le Sénat, dont le nombre de membres ne peut excéder trois cent quarante-huit,
est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la
République.»

L'idée de supprimer le Sénat n'est pas nouvelle, mais émise par un président de
l'Assemblée nationale, elle semble sans précédent.

Pour interpréter la position prise par M. Bartelone, il faut remonter dans l'histoire. Dès la IIIe
République, l'existence du Sénat créé par la Constitution de 1875 était déjà controversée. Cette
chambre «haute», nommée pour l'essentiel au suffrage indirect par les élus des collectivités
locales, était considérée comme un outil de conservatisme, destiné à équilibrer le pouvoir de la
Chambre des députés, plus politique et plus marquée à gauche. La suppression du Sénat (ou sa
neutralisation) a longtemps été un serpent de mer de la vie politique française. Les radicaux,
dont Clemenceau, y ont été favorables mais n'ont jamais mis en œuvre ce projet. Le Sénat avait

97
à l'époque des pouvoirs équivalents à ceux de la Chambre des députés et aucune loi ne pouvait
passer sans l'accord des deux assemblées, ce qui constituait un facteur de paralysie. Sous la IVe
République, en 1947, il a été remplacé par un Conseil de la République et amputé de ses
prérogatives essentielles. Le général de Gaulle a recréé un puissant Sénat dans la Constitution
de 1958.

La suppression du Sénat (ou sa neutralisation) a longtemps été un serpent de mer


de la vie politique française.

L'idée de supprimer le Sénat se fonde toujours, depuis 1875, sur la même accusation de
conservatisme et d'obstacle au gouvernement du pays. Cette critique, valable sous la IIIe
République, ne résiste pas un instant à l'analyse dans le cadre des institutions actuelles.

En cas de désaccord entre la chambre Haute et l'Assemblée nationale sur un projet de loi, le
gouvernement peut donner le «dernier mot» à cette dernière et donc, à sa propre majorité. Cette
procédure permet donc à l'exécutif de surmonter un éventuel rejet de ses textes législatifs venu
du Sénat. L'idée qu'il serait un outil d'empêchement des réformes au quotidien est donc
totalement infondée.

La qualité du travail législatif des sénateurs, moins partisan, moins passionnel,


moins polémique, davantage tourné vers la réflexion de fond, est largement
reconnue.

Au contraire, la qualité du travail législatif des sénateurs, moins partisan, moins passionnel,
moins polémique, davantage tourné vers la réflexion de fond, est largement reconnue. Par son
mode de fonctionnement, il apporte une véritable valeur ajoutée au travail parlementaire. Moins
soumis à la pression partisane et à la discipline majoritaire, il exprime souvent des positions
plus personnelles et moins idéologiques, ce qui constitue un enrichissement évident de la vie
démocratique nationale. En cela, il se rapproche du modèle d'une assemblée démocratique
exprimant la voix de la nation, à travers ses représentants, plutôt que celle des partis politiques.
Sous les quinquennats de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, la procédure de «dernier mot»
des députés n'a quasiment jamais servi. Les gouvernements, prenant acte de l'intérêt de l'apport
du Sénat au travail législatif se sont efforcés d'obtenir sur leurs projets de réformes, une
approbation dans les mêmes termes des deux chambres.

Son rôle, en matière de révision constitutionnelle est absolument stratégique pour les équilibres
politiques du pays. Aucune réforme de la Constitution n'est possible sans l'accord, par un vote
majoritaire, du Sénat (avant que le texte, adopté par les deux assemblées, ne soit soumis au
référendum ou à un vote à la majorité des 3/5ème des sénateurs et députés réunis en Congrès).
Or aujourd'hui, avec un Sénat dans l'opposition, la majorité socialiste est dans l'impossibilité de
procéder à une réforme de la Constitution en dehors d'un consensus politique. Ainsi, l'un des

98
projets phare de la campagne présidentielle de François Hollande -l'ouverture du droit de vote
aux élections locales aux ressortissants étrangers, qui nécessite une réforme de la Constitution-
devient quasiment impossible à réaliser. Pour une décision aussi fondamentale et exceptionnelle
que la révision de la Constitution, loi suprême du pays, la sagesse, le recul, l'indépendance et la
réflexion du Sénat, placé sur un pied d'égalité avec l'Assemblée nationale, sont indispensables
à la République.

Aucune réforme de la Constitution n'est possible sans l'accord, par un vote


majoritaire, du Sénat.

Par ailleurs, supprimer le Sénat, chargé de représenter les collectivités territoriales, peut sembler
totalement paradoxal en une période où la décentralisation, donc le transfert des compétences
aux régions, départements et aux communes, est un axes majeurs de toutes les politiques
gouvernementales, et cela depuis plus de 30 ans.

Enfin, il ne faut pas négliger l'attachement des Français à une institution phare de la République
depuis presque un siècle et demi. Quand le Général de Gaulle, excédé par l'hostilité à son égard
du Sénat et de son président Gaston Monnerville, a proposé sa suppression par référendum en
avril 1969, il a été battu à une large majorité et comme il s'y était engagé, a démissionné de la
présidence de la République. Le Sénat a beaucoup changé depuis lors et n'a plus rien de
assemblée polémique arc-boutée au rejet passionnel du chef de l'Etat qu'elle a pu avoir à cette
époque.

Il ne faut pas négliger l'attachement des Français à une institution phare de la


République depuis presque un siècle et demi.

S'attaquer au Sénat et réclamer sa suppression est une attitude facile, à l'image d'un mode de
fonctionnement de la politique qui consiste à allumer des polémiques stériles destinées à
détourner l'attention des vrais problèmes. Il est toutefois indéniable que l'image de la chambre
haute s'est dégradée ces dernières années dans l'opinion publique, prêtant le flanc à ce type de
déclaration. Les mandats qui s'éternisent dans le temps, de renouvellement en renouvellement,
par la force de la routine et parfois le clientélisme, peuvent donner l'impression d'un phénomène
d'appropriation de la vie publique et de privilèges excessifs. Une Chambre haute, élue au
suffrage indirect, synonyme de sagesse, est nécessaire à la République française. Il lui faut
pourtant rajeunir et se moderniser. Le principe d'un mandat unique de six ans -voire d'un seul
renouvellement autorisé- serait une première étape dans la voie de son renouveau démocratique.

Source : Le Figaro, 30 janvier 2015, Web.

99
Supprimer le Sénat, ce « vieux truc » ? La parole est à la défense

Pascal Riché | Cofondateur


Rémi Noyon | Journaliste

Le Sénat n’est-il vraiment qu’un « bel objet inutile, vieux truc doré posé sur la cheminée de la
République », comme le décrivait, vendredi matin sur France Inter, le chroniqueur Thomas
Legrand ?

Que se passe-t-il ce dimanche ?

179 sièges de sénateurs sur 348 seront renouvelés ce dimanche 28 septembre, pour une durée
de six ans, par le vote de 8 8420 « grands électeurs » (à 95%, des délégués des conseils
municipaux et des maires : à 5%, des conseillers généraux et régionaux, des députés, des
sénateurs).

Il y a 1 732 candidats.

Les élections sénatoriales de ce dimanche (voir encadré) font ressurgir l’éternel débat sur
l’utilité de cette chambre un peu désuète.

Les chefs d’accusation sont nombreux : la haute chambre serait un marigot coûteux et
structurellement conservateur, arc-bouté sur ses prérogatives, engoncé dans le clientélisme...

Nombreux sont les politiques ou les juristes qui demandent la refonte de son mode d’élection
et de son fonctionnement. Certains vont même jusqu’à souhaiter sa suppression dans le cadre
d’une hypothétique VIe République.

La chambre qu’on ne pouvait pas dissoudre

Le Sénat, de fait, a peu de pouvoirs. Une sénatrice écologiste, Corinne Bouchoux (Maine-et-
Loire), a démontré devant ses collègues, en juin dernier, que malgré le travail « colossal » du
Sénat, seul un quart des amendements sénatoriaux sont suivis d’effet :

« Un certain nombre d’universitaires en déduisent que notre institution ne sert


plus à rien. Cette vision mérite, à mes yeux, d’être prise en compte ! »

A l’inverse, ses défenseurs mettent en avant son rôle de « refroidissement » du processus


législatif. « Le Sénat n’est certes pas une barrière infranchissable. Mais son rôle n’est pas nul :
il prolonge la procédure, il permet d’éclairer les enjeux des textes. Il permet de ne pas aller trop
vite, ce qui est important », commente le spécialiste du droit constitutionnel Didier Maus.

100
Bien qu’elle ne soit pas une fan absolue de cette assemblée, Marie-Anne Cohendet, professeure
de droit public à la Sorbonne, rappelle aussi que le Sénat ne peut pas être dissous par le Président
et que, par conséquent, il y règne un esprit différent, peut-être plus indépendant et transpartisan
qu’à l’Assemblée.

Cet esprit, et le temps que savent prendre les sénateurs pour travailler, permettrait d’améliorer
la qualité des textes.

C’est l’Assemblée qui a le dernier mot

Le Sénat joue également un rôle de représentation des collectivités territoriales (même si les
petites communes sont surreprésentées).

Le bilan du président Bel

Jean-Pierre Bel devait entièrement dépoussiérer le Palais du Luxembourg. Trois ans plus tard,
les résultats ne sont pas là. Bel a tenté de réduire « l’absentéisme » en commission, mais sa
proposition n’a toujours pas été inscrite à l’ordre du jour.

On notera seulement que l’effectif minimum pour constituer un groupe a été abaissé de quinze
à dix sénateurs et que c’est sous son règne que la réserve parlementaire du Sénat a été rendue
publique.

Enfin, comme le rappelle Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à Sciences-Po


Bordeaux, le Sénat produit chaque année un rapport précieux sur l’application des lois. Il vérifie
que les lois, une fois votées, ne sont pas laissées lettre morte et que les décrets d’application
suivent.

Au-delà de ces généralités, il est difficile de citer des faits d’armes concrets du Sénat. Car
hormis en matière constitutionnelle (ou loi organique qui le vise lui-même), c’est l’Assemblée
qui a le dernier mot. On l’a vu encore lors de la réforme du cumul des mandats : le Sénat était
vent debout contre la réforme, mais n’a pas été un obstacle sérieux pour le gouvernement.

Nous avons contacté divers constitutionnalistes pour tenter de recenser les épisodes pendant
lesquels le Sénat a joué un véritable rôle, soit de contrepouvoir, soit de proposition. Ils sont très
rares.

101
Le Sénat a résisté aux pulsions autoritaires de de Gaulle

Vincent Boyer, université de Bretagne-Sud (Vannes) :

« Le meilleur exemple est celui de 1962, lorsque le général de Gaulle a décidé de


faire passer au suffrage universel le mode de désignation du président de
République, en passant par l’article 11 de la Constitution [qui prévoit le
référendum, mais n’est pas prévu pour réviser la Constitution ndlr].

Le Sénat, et particulièrement son président [Gaston Monnerville], s’est


vigoureusement opposé à ce qui pouvait s’apparenter à une violation de la
Constitution. Certes, le général l’a emporté, mais le Sénat a permis à l’opposition
de s’exprimer.

Un nouveau bras de fer a eu lieu entre le général de Gaulle et le Sénat lors du


référendum de 1969 [portant sur les régions et la réforme-assassinat du Sénat],
mais cette fois, c’est le premier qui n’a pas réussi à convaincre les Français : il a
alors démissionné.

Dans ces deux exemples, le Sénat a joué un rôle important en dénonçant la dérive
présidentialiste du régime. »

En 1971, il a sauvé la liberté d’association

Dans la rubrique historique de son site internet, le Sénat se vante d’avoir « sauvé la liberté
d’association ». C’est cet épisode qu’évoque spontanément Jean-Philippe Derosier, professeur
de droit public à l’université de Rouen, lorsqu’on lui demande de prendre la défense des
sénateurs :

« L’exemple qui me vient en tête est lié à la célèbre décision du Conseil


constitutionnel datée du 16 juillet 1971 (71-44 DC), baptisée “liberté
d’association”. »

Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Raymond Marcellin, souhaite alors instaurer un contrôle


administratif de la déclaration des associations. Sa décision fait suite à des démêlés qu’il a pu
avoir avec l’association des Amis de La Cause du peuple, du nom d’un journal trotskiste.

La valeur du préambule

Il réussit à faire voter une loi en ce sens, restrictive du point de vue des libertés, qui vient
compléter le texte du 1er juillet 1901. Tout au long des discussions, le Sénat s’est opposé à cette
loi.

102
Son président, Alain Poher, va donc saisir le Conseil constitutionnel. Ce dernier censure le texte
et, à cette occasion, confirme sa volonté (déjà manifeste en 1970) de donner une valeur
constitutionnelle au préambule de la Constitution et donc à des principes tels que la liberté
d’association, garantie en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République.

En 1990, il a contré le Président sur une question constitutionnelle

Même sur les questions constitutionnelles, le Sénat est rarement une force de blocage. Il y a
pourtant un exemple où il a fait dérailler un projet défendu par le garde des Sceaux Robert
Badinter, que rappelle Pascal Jan, professeur de droit constitutionnel à l’Institut d’études
politiques (IEP) de Bordeaux :

« Le Sénat bloque très rarement des projets de révision constitutionnelle, car il a


conscience qu’il n’est pas l’institution la mieux élue.

Mais c’est arrivé en 1990, où il a montré qu’il pouvait jouer un rôle de


contrepouvoir efficace.

Il s’est opposé à un projet défendu par le Président [Mitterrand] visant à contrôler


la constitutionnalité des lois, a posteriori. Pour le Sénat, qui se voit en garant des
libertés, cette réforme instaurait une insécurité juridique. »

Le Sénat avait jugé qu’il était peu démocratique de confier au Conseil constitutionnel, instance
non élue, le pouvoir d’abroger une loi déjà promulguée. Il exigeait le renvoi automatique devant
le Parlement des lois déclarées non conformes à la Constitution.

« Le projet avait été adopté par l’Assemblée nationale en avril, mais il a été
profondément modifié par le Sénat. Face aux divergences entre les deux
chambres, il a été abandonné.

Ce n’est qu’en 2008 que cette réforme, appelée aujourd’hui QPC [pour question
prioritaire de constitutionnalité], a finalement été adoptée. »

En 2007, il a fait dérailler les test ADN pour le regroupement familial

Première rébellion sénatoriale sous l’ère Sarkozy : le 26 septembre 2007, par 24 voix contre 13,
la commission des Lois du Sénat a supprimé l’article du projet de loi sur l’immigration qui
prévoyait la possibilité de recourir à des tests génétiques pour permettre le regroupement
familial.

103
Très controversé, cet article avait été introduit par le député UMP Thierry Mariani, avec le
soutien du ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux.

Le marteau-piqueur contre la mouche

Les sénateurs ont alors joué leur rôle de protecteur des libertés individuelles : « Nous avons eu
la volonté de ne pas utiliser un marteau-piqueur pour écraser une mouche », avait expliqué le
sénateur Jean-René Lecerf, membre de la commission.

Le Sénat avait vidé le texte de sa substance, en restreignant ses modalités d’application.

En 2009, le ministre de l’Immigration Eric Besson a renoncé à signer le décret d’application de


cet article devenu usine à gaz.

Il a parfois quelques idées...

Le Sénat est aussi régulièrement l’initiateur de textes de lois. Le Monde a ainsi listé des
exemples de propositions émanant de la chambre haute :

 la loi autorisant l’expérimentation des maisons de naissance est issue du groupe de


sénateurs centristes UDI-UC ;

 la loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire
national vient du groupe écologiste ;

 dans la loi d’encadrement des stages, le Sénat est à l’origine de la revalorisation de la


gratification minimale de 436 euros à 523 euros.

2°) Régime des sessions, initiative des lois et fixation de l’ordre du jour

En matière de conditions de fonctionnement, le régime des sessions a été défini


originellement de manière rigoureuse (deux fois trois mois, dans l’esprit des gaullistes, cela
permettait d’en finir avec le régime d’assemblée en limitant la période de contrôle de l’exécutif
par le législatif) et les sessions extraordinaires sont toujours ouvertes et closes par décret du
Président la République, sur demande, soit du Premier ministre, soit de la majorité des membres
d’une chambre.
En 1960, le général De Gaulle a considéré que le Président n’était jamais lié par une

104
demande et que dés lors, qu’il avait un pouvoir de signature, il avait une faculté d’appréciation
de l’opportunité.
Dans le cadre de la révision du 31 juillet 1995, a été instauré une session unique de 9
mois, au lieu des deux sessions de trois mois en vigueur depuis 1963 (modification de l’article
28 41 ).
Certains gaullistes craignaient ici que cette révision du régime des sessions,
réintroduisent le régime d’assemblée par un contrôle plus serré de l’exécutif par le législatif.
A l’expérience, il ressort plutôt que l’instauration de la session unique a multiplié les temps de
séance des assemblées et en 2004, J.L. Debré, alors Président de l’Assemblée nationale a fini
par considérer que cette réforme a également encouragé une inflation législative et qu’il faudrait
opérer un retour en arrière.
Alors que sous la IVème République, il convenait de faire voter un projet d’ordre du
jour par l’Assemblée, ce qui supposait l’existence d’une majorité pour le voter, dans la
Constitution de 1958, l’initiative des lois appartient au Premier ministre et aux membres du
parlement (article 39) et le gouvernement partage désormais la maîtrise de l’ordre du jour
(article 48) depuis la révision de 2008.

Ces trois dispositions, le régime des sessions, l’initiative des lois et la fixation de l’ordre
du jour, paraissent être de pure procédure. En fait, elles recouvrent des questions de principe
importantes: ne disait-on pas en 1793 qu’une assemblée se devait d’être “permanente” et
“maîtresse de son ordre du jour”.

A ces dispositions qui encadrent pour le moins fortement l’activité du Parlement, se


rajoutent encore d’autres dispositions telles que l’exception d’irrecevabilité.

3°) L’exception d’irrecevabilité

Lorsqu’un projet de loi est discuté, c’est le texte du gouvernement qui était (est) présenté
en séance et non celui élaboré par la commission compétente (article 42). Mais cet article a été
modifié en 2008.

Document n°59
ARTICLE 42. [dispositions en vigueur] La discussion des projets de loi porte, devant la première assemblée
saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement.

41 Document n°58
Article 28: “Le parlement se réunit de plein droit en une session ordinaire, qui commence le premier jour
ouvrable d’octobre et prend fin le dernier jour ouvrable de juin. Le nombre de jours de séance que chaque assemblée
peut tenir au cours de la session ordinaire ne peut excéder cent-vingt. Les semaines de séance sont fixées par chaque
assemblée. Le Premier ministre, après consultation du président de l’assemblée concernée, ou la majorité des
membres de chaque assemblée, peut décider la tenue de jours supplémentaires de séance. Les jours et les horaires
des séances sont déterminés par le règlement de chaque assemblée. Une séance par mois est réservé par priorité à
l’ordre du jour fixé par chaque assemblée”.

105
Une assemblée saisie d'un texte voté par l'autre assemblée délibère sur le texte qui lui est transmis.
ARTICLE 42. [entrée en vigueur le 1er mars 2009] La discussion des projets et des propositions de loi porte, en
séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l'article 43 ou, à défaut, sur le texte dont
l'assemblée a été saisie.
Toutefois, la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des
projets de loi de financement de la sécurité sociale porte, en première lecture devant la première assemblée saisie,
sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l'autre assemblée.
La discussion en séance, en première lecture, d'un projet ou d'une proposition de loi ne peut intervenir, devant la
première assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de six semaines après son dépôt. Elle ne peut intervenir,
devant la seconde assemblée saisie, qu'à l'expiration d'un délai de quatre semaines à compter de sa transmission.
L'alinéa précédent ne s'applique pas si la procédure accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l'article
45. Il ne s'applique pas non plus aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité
sociale et aux projets relatifs aux états de crise.

Cette révision introduit deux nouveautés importantes selon Bastien François :


- la discussion en séance publique des projets de loi portera sur le texte adopté – et généralement
amendé – par la commission parlementaire, et non plus sur le texte initial du gouvernement
(sauf pour les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale et les projets de
révision constitutionnelle) ;
- la discussion en séance publique d’un texte législatif ne pourra, sauf exceptions, avoir lieu
avant un délai minimal de six semaines après son dépôt auprès de la première chambre saisie
(puis quatre semaines après sa transmission à la seconde chambre).

La discussion en séance publique sur le texte adopté par la commission rompt avec l’un des
outils majeurs du parlementarisme rationalisé pratiqué en 1958, qui ravalait les commissions,
lorsqu’elles étaient saisies d’un projet d’origine gouvernementale, au rang d’auteurs
d’amendements parmi d’autres. Le travail en commission, auquel on reconnaît généralement
une meilleure qualité « technique » qu’à celui pratiqué dans l’hémicycle, constituera désormais
une étape déterminante de l’élaboration de la loi.
L’intérêt de la discussion en séance publique, « débarrassée » des aspects purement
techniques ou rédactionnels, devrait y gagner.

La mise en œuvre de cette réforme – l’une des plus audacieuses du projet de révision – devra
néanmoins déjouer certains effets pervers potentiels : par exemple, contrairement à la pratique
actuelle (mais comme il en a réglementairement le droit depuis 1994), le gouvernement sera
présent en commission pour défendre son texte et pourra donc être tenté de chercher à
« verrouiller » la discussion plus en amont qu’aujourd’hui, diminuant d’autant l’intérêt du débat
en séance publique .

L’instauration d’un délai minimal entre le dépôt du texte et son examen parlementaire est
inséparable de l’innovation précédente – sauf à la vider de son contenu, faute de temps donné
à la commission pour examiner sérieusement le projet dont elle est saisie.

Un texte de loi peut être frappé d’irrecevabilité financière et réglementaire (article 40


et 41).

Document n°60
L’article 40 de la Constitution précise que “les propositions et amendements formulés par les
membres du parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence,

106
soit une diminution des ressources publiques soit la création ou l’aggravation d’une charge
publique”42
Document n°61
ARTICLE 41. [dispositions en vigueur] S'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un
amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le
Gouvernement peut opposer l'irrecevabilité.
En cas de désaccord entre le Gouvernement et le président de l'assemblée intéressée, le Conseil
constitutionnel, à la demande de l'un ou de l'autre, statue dans un délai de huit jours.
ARTICLE 41. [entrée en vigueur le 1er mars 2009] S'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une
proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu
de l'article 38, le Gouvernement ou le président de l'assemblée saisie peut opposer l'irrecevabilité.
En cas de désaccord entre le Gouvernement et le président de l'assemblée intéressée, le Conseil constitutionnel, à
la demande de l'un ou de l'autre, statue dans un délai de huit jours.

Cet article 41 a donc été légèrement modifié en 2008 en confiant un rôle au président de
l'assemblée saisie en matière d'exception réglementaire. Selon Bastien François, l’intention
peut sembler louable : permettre de lutter contre l’inflation législative en favorisant un meilleur
respect du partage entre domaine de la loi et domaine du règlement. Elle est en fait totalement
hypocrite : chacun sait que si le domaine de la loi n’est pas respecté c’est en raison de la
connivence (naturelle) entre le gouvernement et sa majorité, qui conduit à ce que le
gouvernement n’oppose pas l’irrecevabilité à un amendement de son camp qui intervient dans
une matière non législative. Sous couvert de donner de nouveaux pouvoirs au Parlement, on se
contente de lui donner des pouvoirs de police sur lui-même alors qu’il est incité le plus souvent
par le gouvernement à ne pas respecter le domaine de la loi. Si le gouvernement veut lutter
contre l’obstruction de l’opposition, il dispose déjà de tous les moyens nécessaires.

Document n°62

42
Cet article trouve son application à travers le règlement des assemblées: l’article 81-3 du règlement de
l’assemblée nationale précise que “les propositions de loi présentées par les députés sont transmises au bureau de
l’assemblée ou à certains de ses membres délégués par lui à cet effet. Lorsque leur irrecevabilité au sens de l’article
40 de la Constitution est évidente, le dépôt en est refusé ...”; l’article 92 du règlement de l’assemblée précise
encore une fois que “les dispositions de l’article 40 de la constitution peuvent être opposées à tout moment aux
propositions, rapports et amendements, par le gouvernement ou par tout député. Pour les propositions ou rapports,
l’irrecevabilité est approuvée par le bureau de la commission des finances, de l’économie générale et du plan.
Celui-ci peut également à tout moment opposer de sa propre initiative cette irrecevabilité...” . Au Sénat, l’article
24 du règlement précise que “les propositions de loi ont trait aux matières déterminées par la Constitution et les
lois organiques. Si elles sont présentées par les sénateurs, elles ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait
pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge
publique ...”.

107
Pourquoi nous demandons la démission du président de l’Assemblée nationale Le
président de l'Assemblée nationale occupe une place à part dans notre République. Issu de la majorité,
il devient, dès son élection, le garant du bon fonctionnement de l'Assemblée.
A ce titre, il a pour premier devoir de veiller au respect des droits de tous les députés, qu'ils soient issus
de la majorité ou de l'opposition. Son impartialité fonde son autorité. Son intégrité est d'autant plus
indispensable qu'il n'existe pas, en France, de juge compétent pour veiller au respect du règlement de
l'Assemblée.

Mercredi 15 septembre, à l'occasion du débat sur les retraites, Bernard Accoyer a failli à cet
impératif. Sur les soixante-quatre heures réservées à ce texte, les députés socialistes se sont exprimés
vingt heures, les députés de la Gauche démocratique et républicaine (GDR, qui rassemble les députés
Verts, communistes et du Parti de gauche) n'ont disposé que de huit heures et trente-cinq minutes. Nos
oratrices et orateurs ont utilisé ce temps pour exposer leurs amendements et formuler leurs propositions
alternatives.

Devant l'enjeu que représentait un tel débat, jamais ils n'ont cédé à la facilité de la caricature. A l'issue
du "temps guillotine", ils ont été interdits de parole, alors que ni la question cruciale de la retraite des
femmes ni les articles concernant le travail des seniors n'avaient pu être abordés sérieusement. Ils ont
alors demandé à bénéficier d'une explication de vote individuelle, prévue par l'article 49.13 du
règlement. Ce droit n'est assorti d'aucune condition. Il résulte, d'une part, du nouvel article 51-1 de la
Constitution et, d'autre part, du fait que chaque député est, en dehors de son appartenance à un groupe,
un élu de la nation. Aucun parlementaire ne peut recevoir de mandat impératif et, de ce fait, nul ne peut
préjuger de son expression. En refusant ce droit aux parlementaires, Bernard Accoyer a pris la grave
décision de violer le règlement de l'Assemblée qu'il préside.

Pire encore, les justifications données a posteriori par Bernard Accoyer confinent à la manipulation de
l'opinion publique. Comment peut-on sérieusement accuser l'opposition d'une "obstruction" qui est
juridiquement devenue impossible depuis la réforme constitutionnelle. L'usage de l'article 49.13 aurait
eu pour seul effet de repousser le vote de… quelques heures.

S'agissant d'une réforme de cette importance, qui peut honnêtement plaider que c'était trop ? Le
gouvernement y était, semble-t-il, disposé. L'Elysée a préféré le coup de force. L'honneur du président
de l'Assemblée nationale aurait dû être de faire respecter le Parlement plutôt que d'imposer l'arbitraire.
Une fois encore, une fois de plus, une fois de trop.

Chacun a encore en mémoire les affaires sensibles des sondages de l'Elysée et des suicides à France
Télécom. C'était il y a un an et l'opposition avait tenté, en vain, de faire usage de son "droit de tirage"
pour obtenir la création de commissions d'enquête. C'était une des promesses de Bernard Accoyer à
l'été 2008 : le droit pour les groupes d'opposition d'obtenir la création d'une commission d'enquête une
fois par session ! Au final, ce "droit d'obtenir" s'est transformé en "droit de demander" la création d'une
commission d'enquête, la majorité se réservant la possibilité de la vider de son contenu ou de la déclarer
irrecevable.

Le sort réservé aux séances consacrées aux propositions de loi de l'opposition n'est pas plus brillant.
Les débats sont à chaque fois repoussés en fin de semaine dans un Hémicycle déserté par les députés
de la majorité, encouragés à l'absentéisme par l'usage du vote bloqué.

La contrepartie du "temps guillotine" devait être la revalorisation des travaux en commission. Là encore,
le fossé est immense entre les intentions affichées et la pratique constatée. Les débats y sont souvent
bâclés, corsetés dans des délais irréalistes. La séance à huis clos du mois de juillet sur les retraites fut
l'exemple achevé de ce refus de renouveler le débat parlementaire.

Le Parlement travaille de plus dans l'urgence et, de ce fait, de plus en plus mal. L'usage quasi
systématique de la procédure accélérée – c'est-à-dire avec une seule lecture avant l'adoption définitive
– ne permet plus de débattre sereinement des sujets essentiels qui engagent l'avenir de la nation. Alors
que les présidents des deux Assemblées ont le pouvoir de s'opposer à cette accélération des débats
en garantissant un rythme plus adapté à l'élaboration de lois de qualité, ils laissent se dégrader les
conditions de travail d'un Parlement où se multiplient les lois sur les mêmes sujets au rythme des faits

108
divers. C'est si vrai que le président de la République a dû annoncer que la fin de la législature serait
consacrée à "délégiférer", c'est-à-dire à corriger les incohérences des textes votés, en supprimant les
mesures inapplicables ou contradictoires.

En fin de compte, notre Assemblée est plus que jamais réduite à une Chambre d'enregistrement des
exigences présidentielles. La majorité parlementaire est invitée à faire vite, harcelée par un exécutif qui
considère les débats au Parlement comme une perte de temps. Nos débats sont bridés alors qu'ils
devraient être au cœur de la délibération démocratique.

Cette évolution du travail à l'Assemblée aboutit à un paradoxe institutionnel : c'est le Sénat qui s'impose
désormais comme la Chambre des débats et l'Assemblée nationale, seule élue au suffrage universel
direct, est priée de se taire.

Parce que M. Accoyer n'a pas su, pas pu, ou pas voulu s'opposer à cette dérive, parce que, dans le
débat sur les retraites, il a préféré complaire au président de la République plutôt que protéger une
institution dont il est le garant, il n'est plus digne à nos yeux de présider notre Assemblée.

Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste, radical et citoyen ; Yves Cochet, député Vert et
président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) ; Roland Muzeau, porte-parole
des député(e)s communistes, républicains et citoyens ; Gérard Charasse, responsable des députés
radicaux de gauche ; Martine Billard, députée du Parti de gauche ; et l'ensemble des député(e)s
socialistes, radicaux et citoyen, communistes, Verts et apparentés.

Article paru dans l'édition du Monde du 29.09.10.

Point de vue
Opposition parlementaire et "contre-démocratie"

Béligh Nabli, maître de conférences en droit public à l'université Paris-Est Créteil

L'image est inédite et marquera certainement l'histoire de la Ve République : le président de l'Assemblée


nationale poursuivi dans les couloirs du Palais Bourbon par des députés de l'opposition en furie,
n'hésitant pas à le qualifier de "putschiste" ! La scène vient ponctuer une série d'incidents qui ont émaillé
le débat parlementaire sur le projet de loi portant réforme des régimes de retraite. L'affrontement
politique prit une tournure "quasi insurrectionnelle" quand M. Bernard Accoyer a décidé de suspendre
le débat, afin de ne pas retarder le vote solennel sur le texte du gouvernement.

Si la question de l'interprétation du règlement de l'Assemblée nationale mérite d'être posée, l'épisode


tragi-comique auquel on vient d'assister illustre à nouveau la "bataille du temps" que se livre la majorité
gouvernementale et l'opposition parlementaire. Ainsi, faut-il rappeler les tensions suscitées déjà par
l'institution de la technique du "crédit-temps" ou du "temps global" qui visait précisément à combattre la
"flibusterie parlementaire". La loi organique de réforme de la procédure législative mettant en œuvre la
loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 avait été adoptée pour encadrer la procédure
législative et accélérer les débats parlementaires en attribuant aux groupes parlementaires un "temps
global" de parole lors des débats importants, afin de limiter les possibilités d'obstruction de l'opposition.
Celle-ci y avait vu une procédure couperet – ou "temps guillotine" – portant atteinte au droit
d'amendement et une manière de "bâillonner" l'opposition. Afin d'exprimer leur hostilité à la réforme de
la procédure législative et à la manière dont les débats étaient conduits sur le projet de loi organique,
dans la nuit du 20 au 21 janvier 2009, des députés de l'opposition s'étaient massés au pied de la tribune
de l'Assemblée nationale pour réclamer la démission de son président. Ils avaient alors entonné l'hymne
national avant de déserter l'hémicycle. Dans la continuité, le principal groupe parlementaire de
l'opposition n'avait pas assisté à la séance de questions au gouvernement. Le projet de loi organique
avait finalement été adopté quelques jours plus tard, toujours en l'absence des députés du groupe
socialiste, l'hémicycle n'étant alors habité que par le couple formé par le gouvernement et sa majorité.
Mais si la question du temps de parole est un enjeu de pouvoir, elle interroge plus fondamentalement
le sens de la fonction démocratique de l'opposition parlementaire. La démocratie comprend
nécessairement une dimension de défiance et de contestation que Pierre Rosanvallon qualifie de

109
"contre-démocratie". Celle-ci ne correspond pas au contraire de la démocratie, elle en constitue son
pendant et résulte d'une relecture de la démocratie combinant l'étude des pouvoirs et contre-pouvoirs,
concomitamment à deux faces de la démocratie : le parlementarisme d'un côté, l'activisme protestataire
de l'autre.

Or, ces deux versants de la vie démocratique peuvent se manifester au sein même des hémicycles.
L'opposition parlementaire peut même revêtir une forme radicale. Le sentiment d'impuissance suscité
par le rapport inégalitaire et déséquilibré qui structure ses rapports avec la majorité parlementaire ou
gouvernementale peut être à l'origine de crispations, de tensions et de "pratiques pathologiques". Si
l'obstruction parlementaire et la provocation d'incidents de séance mettent à mal le bon fonctionnement
des institutions, François Mitterrand, l'opposant et non le président de la République, considérait qu' "[i]l
n'y a d'opposition qu'inconditionnelle dès lors qu'il s'agit de substituer un système de gouvernement à
un autre. Retoucher, aménager le pouvoir absolu, c'est déjà composer avec lui" (Le coup d'Etat
permanent).

LA LÉGITIMITÉ DE L'OBSTRUCTION

Le juriste Hans Kelsen distinguait lui-même deux formes d'obstruction : la première de nature
"technique", qui est l'usage abusif par la minorité des règles de la procédure parlementaire ; la seconde,
de nature "physique ! ", correspond aux procédés de violence, directe ou indirecte. Elles ont pour objectif
commun d'"empêcher absolument le Parlement de statuer". Cependant, Kelsen admet qu'on ne peut
rejeter l'obstruction technique "purement et simplement comme incompatible avec le principe
majoritaire, que si l'on identifiait celui-ci avec la souveraineté de la majorité, ce qu'il ne convient pas de
faire. De fait, l'obstruction a servi souvent (…) à orienter finalement la décision dans le sens d'un
compromis entre majorité et minorité".

La légitimité de l'obstruction (technique) se pose avec d'autant plus d'acuité qu'elle met en lumière la
faible capacité de l'opposition de faire valoir ses positions dans le cadre d'un
parlementarisme rationalisé qui contribue efficacement à neutraliser la fonction de contrôle de l'action
gouvernementale. En cela, l'obstruction pose la question des moyens dont l'opposition parlementaire
dispose pour exercer sa fonction de contre-pouvoir. Sur ce point, si la loi constitutionnelle du 23 juillet
2008 de modernisation des institutions de la Ve République a permis la reconnaissance de droits
spécifiques aux parlementaires de l'opposition, elle ne garantit pas l'instauration d'une "démocratie
apaisée".

Béligh Nabli, maître de conférences en droit public à l'université Paris-Est Créteil

C’est là une série d’exemples de la rationalisation du parlement et de la limitation


de son rôle en 1958. Mais on retrouve ce double aspect dans l’exercice des trois fonctions
législatives que sont le vote de la loi, la mise en responsabilité de l’exécutif et le droit
d’information.

110
B) L’exercice par le parlement de ses trois prérogatives que sont le vote de la loi, la mise
en oeuvre de la responsabilité ministérielle et le droit d’information.

---> Le vote de la loi


---> La mise en oeuvre de la responsabilité ministérielle
---> Le droit d’information

1°) Le vote de la loi

---> Un domaine de la loi limité


---> L’exécutif concourt à l’élaboration de la loi grâce à des procédures distinctes de la
procédure législative de droit commun.
---> D’une façon générale, c’est l’exécutif qui a là aussi les moyens de diriger la procédure
législative.

a) Un domaine de la loi limité

Le vote de la loi est soumis à quelques restrictions, puisque l’article 34 assigne un


domaine au législateur; en dehors des matières énumérées (droits civiques, garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, nationalité,
assiette de l’impôt, libre administration des collectivités locales, droit au travail, etc ...), il n’a
pas compétence pour intervenir et doit laisser la place au pouvoir exécutif par voie de règlement.

Document n°63

Article 34 : un domaine de la loi limité

« La loi fixe les règles concernant :

 les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens


pour l'exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et
l'indépendance des médias ; les sujétions imposées par la défense nationale
aux citoyens en leur personne et en leurs biens ;
 la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux,
les successions et libéralités ;

111
 la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont
applicables ; la procédure pénale ; l'amnistie ; la création de nouveaux
ordres de juridiction et le statut des magistrats ;
 l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de
toutes natures ; le régime d'émission de la monnaie.

La loi fixe également les règles concernant :

 le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales


et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi
que les conditions d'exercice des mandats électoraux et des fonctions
électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités
territoriales ;
 la création de catégories d'établissements publics ;
 les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et
militaires de l'État ;
 les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises
du secteur public au secteur privé.

La loi détermine les principes fondamentaux :

 de l'organisation générale de la défense nationale ;


 de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs
compétences et de leurs ressources ;
 de l'enseignement ;
 de la préservation de l'environnement ;
 du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et
commerciales ;
 du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale.

Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les
conditions et sous les réserves prévues par une loi organique.

Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales


de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent
ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une
loi organique.

Des lois de programmation déterminent les objectifs de l'action de l'État.

Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de
programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des
administrations publiques.

Les dispositions du présent article pourront être précisées et complétées par une
loi organique. »

Document n°64
article 37 alinéa 1 de la Constitution :“les matières autres que celles qui sont du domaine de la
loi ont un caractère réglementaire”).

112
Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris
après avis du Conseil d'État. Ceux de ces textes qui interviendraient après l'entrée en vigueur
de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le Conseil Constitutionnel
a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire en vertu de l'alinéa précédent. »

Document n°65

La définition du pouvoir réglementaire dans la Constitution de 1958 (art 37)

Jusqu’alors, le pouvoir réglementaire n’était qu’un pouvoir second, c’est à dire un pouvoir destiné “à
exécuter”, à mettre en oeuvre la volonté du législateur ; il était donc obligatoirement subordonné et n’avait pas de
domaine propre.
ème
Les institutions de la V République instaurent en fait trois sortes de règlements :
- elles maintiennent les règlements d’exécution qui ont toujours existé ; destinés à mettre en oeuvre les lois. Dès
lors qu’une loi est votée, le gouvernement va devoir l’appliquer et prendre, à cet effet; des règlements d’application
qui ne devront pas contredire la loi. Ce pouvoir réglementaire classique est obligatoirement second et subordonné
- Elles créent des règlements autonomes ; qui interviennent dans les matières qui ne sont pas législatives. Ils ne
sont plus seconds, ne sont plus subordonnés au législateur qui intervient préalablement. Après avis du Conseil
d’Etat, le Premier ministre peut réglementer en toute indépendance sur toutes les matières qui ne sont pas réservées
à la loi ; son domaine d’intervention est garanti par l’article 41 qui lui donne la possibilité de s’opposer à ce que
le Parlement s’immisce dans le domaine réglementaire. Cependant, il existe deux limites à la gestion de cette
autonomie. Le règlement “autonome” ne peut contredire une loi bien que, sous la forme d’un décret pris en Conseil
d’Etat, le Premier ministre puisse modifier une loi antérieure rabaissée par l’effet de l’article 37 au rang de
règlement. Le règlement “autonome” reste un acte administratif et, à ce titre, peut faire l’objet, comme tout acte
administratif, d’un recours et d’un contrôle juridictionnel.
- Elles institutionnalisent des règlements délégués (art 38), c’est la procédure des ordonnances qui correspond à
la pratique des décrets-lois des deux précédentes républiques.
E. Le Masson, J.P. Oppenheim, « Institutions politiques. Droit constitutionnel », Ed Foucher.

Selon Bastien François, quelques remarques s'imposent à la lecture de l'article 34 de la


Constitution :
Sous les Républiques précédentes, tout acte passé en forme de loi donnait à la matière concernée
un caractère législatif, quelle que soit sa nature, réduisant ainsi le domaine d’action du pouvoir
réglementaire. N’étaient réglementaires que les sujets sur lesquels le parlement n’avait pas cru
bon devoir légiférer. L’assignation d’un domaine réservé à la loi avait pour objectif d’accroître
l’efficacité de la structure institutionnelle par la réduction du nombre de lois votées chaque
année et par la plus grande autonomie du pouvoir exécutif.
La différence de terminologie entre lois qui fixent les règles et celles qui déterminent les
principes fondamentaux pouvait laisser supposer que le fait de fixer les “règles” permettait au
Parlement de préciser les détails de la mise en oeuvre par opposition au fait de fixer les
“principes fondamentaux” où le gouvernement aurait été moins lié. La jurisprudence a démenti
cette interprétation, le gouvernement, dans les deux cas, a la maîtrise de la “mise en oeuvre” :
cette distinction s’avère donc inutile. Cependant, le Conseil constitutionnel, dont l'une des
principales tâches, dans l'esprit du constituant, devait être de contenir le Parlement dans le
domaine de la loi, a fini par accepter les interventions de la loi dans le domaine règlementaire.
Il estime ainsi depuis sa décision « Blocage des prix et des revenus » du 30 juillet 1982 que « la
Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalité une disposition de nature
réglementaire contenue dans une loi ». En effet, la présence de dispositions à caractère

113
réglementaire dans un texte de loi examiné par le Parlement n'empêche pas le pouvoir exécutif
d'exercer ses prérogatives : il peut opposer l'irrecevabilité (article 41) ou obtenir plus tard le
déclassement des dispositions concernées (article 37, alinéa 2). Le Conseil constitutionnel
estime donc que de telles dispositions peuvent demeurer dans le texte de loi.

Document n°66
Extrait de la décision du Conseil Constitutionnel du 30 juillet 1982

« Considérant, sur le second point, que, si les articles 34 et 37, alinéa 1er, de la Constitution
établissent une séparation entre le domaine de la loi et celui du règlement, la portée de ces
dispositions doit être appréciée en tenant compte de celles des articles 37, alinéa 2, et 41 ; que
la procédure de l'article 41 permet au Gouvernement de s'opposer au cours de la procédure
parlementaire et par la voie d'une irrecevabilité à l'insertion d'une disposition réglementaire
dans une loi, tandis que celle de l'article 37, alinéa 2, a pour effet, après la promulgation de la
loi et par la voie d'un déclassement, de restituer l'exercice de son pouvoir réglementaire au
Gouvernement et de donner à celui-ci le droit de modifier une telle disposition par décret ; que
l'une et l'autre de ces procédures ont un caractère facultatif ; qu'il apparaît ainsi que, par les
articles 34 et 37, alinéa 1er, la Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalité une
disposition de nature réglementaire contenue dans une loi, mais a voulu, à côté du domaine
réservé à la loi, reconnaître à l'autorité réglementaire un domaine propre et conférer au
Gouvernement, par la mise en oeuvre des procédures spécifiques des articles 37, alinéa 2, et
41, le pouvoir d'en assurer la protection contre d'éventuels empiétements de la loi ; que, dans
ces conditions, les députés auteurs de la saisine ne sauraient se prévaloir de ce que le
législateur est intervenu dans le domaine réglementaire pour soutenir que la disposition
critiquée serait contraire à la Constitution ».

Si le Parlement peut donc exercer des pouvoirs réglementaires qui relèvent normalement du
Gouvernement, celui-ci en revanche ne peut se servir de son pouvoir réglementaire pour
encadrer des éléments relevant du domaine de la Loi et donc du Parlement. À ce propos, il y a
« incompétence négative du législateur » lorsque les parlementaires délèguent de facto, à
travers une Loi, leur pouvoir décisionnel portant sur un élément relevant de l'article 34 à une
instance réglementaire. Une telle disposition législative peut alors être censurée par le Conseil
constitutionnel.
La séparation entre le domaine de la loi et le domaine du règlement n'est donc pas si tranchée
qu'on l'a cru dans les premiers temps de la Cinquième République. Elle est toutefois rappelée
par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 avril 2005 sur la loi d'orientation et de
programme pour l'avenir de l'école[4] : dans cette décision, il déclare que certains articles de la
loi relèvent du domaine réglementaire, ce qui permettrait au Gouvernement de les modifier sans
nécessité de recourir à la procédure prévue par l'article 37, alinéa 2.

Document n°67
Extrait de la décision du Conseil Constitutionnel du 21 avril 2005
« Considérant que les articles 19, 22, 33 et 34 de la loi déférée se bornent respectivement à
instituer dans chaque académie une commission sur l'enseignement des langues vivantes
étrangères, à modifier la terminologie relative à un organisme déjà existant, à prévoir la création
et les conditions d'attribution d'un label de " lycée des métiers ", à définir le " projet d'école ou
d'établissement " et le règlement intérieur que doivent adopter les écoles et établissements
d'enseignement scolaire public ; qu'ils ne mettent en cause ni " les principes fondamentaux... de

114
l'enseignement ", qui relèvent de la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution, ni aucun autre
principe ou règle que la Constitution place dans le domaine de la loi ; que ces dispositions ont,
à l'évidence, le caractère réglementaire. ».

Relevons qu'en raison des spécificités du droit de l'Union européenne et du fait que les
Etats membres sont les premiers exécutants de ce droit, le pouvoir réglementaire a obligation
de faire usage des dispositions de l'article 37-2 pour prendre un règlement abrogeant des
dispositions législatives empiétant sur le domaine réglementaire et violant le droit européen
(Conseil d'État, 1999, Association ornithologique et mammologique de Saône-et-Loire)[

- Le fait que le domaine de la loi peut être étendu et non restreint en vertu du dernier
alinéa, comme cela fût fait pour les lois de financement de la sécurité sociale en 1996.
En 2008, le constituant a expressément étendu le domaine de la loi. Ainsi, l’ article 1er de la
Constitution permet désormais à la loi de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes non
seulement aux mandats électoraux et fonctions électives, mais aussi aux responsabilités
professionnelles et sociales. L’article 4 prévoit que la loi garantit les expressions pluralistes des
opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique
de la Nation. En vertu de l’ article 51-2, la loi détermine les règles d’organisation et de
fonctionnement des commissions d’enquête. À l’ article 34, ont été ajoutés :
- - la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ;
- - le régime électoral des instances représentatives des Français établis hors de France ;
- - les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des
membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ;
- - les orientations pluriannuelles des finances publiques.
Le domaine de la loi a été étendu concomitamment à la création de nouvelles procédures. Il
appartient ainsi au législateur :
- - de déterminer les emplois ou fonctions pour lesquels, en raison de leur importance
pour les droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de
nomination du Président de la République s’exerce après avis de la commission
permanente compétente de chaque assemblée ( article 13 de la Constitution) ;
- - de fixer la composition, l’organisation et le fonctionnement de la commission
indépendante chargée de rendre un avis sur les projets délimitant les circonscriptions
pour l’élection des députés ou modifiant la répartition des sièges de députés ou de
sénateurs ( article 25).

Lors de la révision de 2008 a été rajouté un élément supplémentaire, l’article 34 .1 sur


les résolutions parlementaires.

Document n°68
ARTICLE 34-1. [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur
application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008)] Les assemblées peuvent voter
des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique.
Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l'ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement
estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu'elles contiennent
des injonctions à son égard.

Selon Bastien François, la jurisprudence du Conseil constitutionnel (notamment sa décision


59-2 DC des 17, 18 et 24 juin 1959) faisait que les chambres ne pouvaient voter de résolutions

115
que dans les domaines prévus par la Constitution, soit en pratique un nombre de cas très limité :
modification du règlement de l’assemblée, levée de l’immunité de l’un de ses membres, mise
en accusation du président de la République ou, depuis 1992, déclaration sur un projet d’acte
de l’Union européenne.
La révision permett à chaque chambre de voter des résolutions sur tout sujet prévu dans son
règlement. Chaque chambre peut par exemple prendre position sur des questions internationales
(lorsqu’il présidait la commission des affaires étrangères, Édouard Balladur avait regretté de ne
pouvoir organiser un vote de l’Assemblée nationale sur l’adhésion de la Turquie à l’Union
européenne). Le vote de résolutions serait également une sorte de palliatif à la récente
jurisprudence constitutionnelle (décision 2005-512 DC du 21 avril 2005) qui interdit de faire
figurer dans la loi des dispositions plus déclaratives que normatives (dans le but d'éviter des
lois « bavardes »).
A priori louable, il reste que cette extension des résolutions risque de détourner le Parlement de
ses missions essentielles au profit de l’exercice d’une fonction « tribunicienne », qui se
matérialisera concrètement par des heures passées à la recherche d’un accord, au mot près, sur
des déclarations d’intention ou de principe au contenu plus ou moins vaporeux et totalement
dépourvu d’effet juridique.

Document n°69
Exemple d'une proposition de résolution, 14 novembre 2014.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,

Le 26 novembre 1974, Simone Veil, ministre de la santé du Gouvernement de Jacques Chirac,


sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, ouvrait les débats parlementaires à l’issue
desquels la France reconnaissait dans son droit l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Quarante ans plus tard, le droit à l’avortement, souvent contesté, reste fragile. Les récentes
remises en cause en Europe rappellent l’importance de la mobilisation pour le droit à la santé,
pour les droits des femmes à disposer librement de leurs corps et pour l’accès universel à la
planification familiale.

Dans de nombreux pays encore, la situation en matière d’avortement est telle que la décrivait
Simone Veil le 26 novembre 1974 : « la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu’elle
est déplorable et dramatique ». Les femmes, sans risquer leur propre vie, doivent pouvoir
décider si elles veulent, et quand elles veulent, avoir un enfant.

Les droits de disposer de son corps, et de prendre librement des décisions autonomes sur sa
santé, sans crainte de discriminations, de violences, de coercitions, sont des droits
fondamentaux. Ils impliquent en particulier l’accès aux services de santé ; à une information
accessible de qualité ; aux méthodes modernes de contraception ; et à un avortement sûr et légal.
Ils ont un impact positif sur l’éducation, l’émancipation et l’autonomie financière des femmes,
l’égalité femmes-hommes, la santé, et le développement économique et social. Par cette
résolution, la France réaffirme son engagement à défendre et promouvoir l’accès sûr et légal à

116
l’avortement, et à faire progresser les droits des femmes dans l’ensemble de nos sociétés, en
France, en Europe et dans le monde.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975, dite loi Veil, relative à l’interruption volontaire de
grossesse ;

Vu la loi du 31 décembre 1979, dite loi Pelletier, reconduisant définitivement la loi Veil du
17 janvier 1975 ;

Vu la convention pour l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes (CEDAW),


adoptée en assemblée générale des Nations Unies en 1979 et ratifiée en 1983 par la France, et
spécifiquement son article 12 qui stipule que « les États parties prennent toutes les mesures
appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de
santé en vue de leur assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les moyens
d’accéder aux services médicaux, y compris ceux qui concernent la planification de la
famille » ;

Vu la loi n° 82-1172 du 31 décembre 1982, dite loi Roudy, qui autorise le remboursement de
l’interruption volontaire de grossesse et instaure la prise en charge par l’État ;

Vu la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, dite « loi
Neiertz », créant le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse ;

Vu le programme d’action de la conférence internationale du Caire sur la population et le


développement (CIPD) de septembre 1994 qui rappelle que les moyens de maîtriser la fécondité
des femmes sont des éléments capitaux des programmes relatifs à la population et au
développement ;

Vu le programme d’action de Pékin, adopté en septembre 1995 lors de la quatrième conférence


mondiale sur les femmes, qui rappelle « la liberté et la possibilité de décider si et quand on veut
avoir des enfants. Cela implique qu’hommes et femmes ont le droit d’être informés sur les

117
méthodes sûres, efficaces, abordables et acceptables de planification familiale » (alinéa 94 du
programme d’action) ;

Vu la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la


contraception, qui modernise la loi de 1975 ;

Vu la résolution 1607 adoptée par le Conseil de l’Europe en avril 2008 promouvant un accès à
un avortement sans risque et légal en Europe ;

Vu la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui
supprime la notion de détresse et élargit le délit d’entrave à l’interruption volontaire de
grossesse ;

Réaffirme l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse pour


toutes les femmes, en France, en Europe et dans le monde ;

Rappelle que le droit universel des femmes à disposer librement de leur corps est une condition
indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, et d’une
société de progrès ;

Affirme le rôle majeur de la prévention, et de l’éducation à la sexualité, en direction des jeunes ;

Affirme la nécessité de garantir l’accès des femmes à une information de qualité, à une
contraception adaptée, et à l’avortement sûr et légal ;

Souhaite que la France poursuive son engagement au niveau européen, comme international,
en faveur d’un accès universel à la planification familiale.

Enfin, relevons qu’il existe par ailleurs, des contraintes qui pèsent sur le législateur dans
l’exercice du domaine de la loi :

- La jurisprudence du Conseil Constitutionnel a énoncé un certain nombre de principes


ayant valeur constitutionnelle et qui s’imposent au législateur. Ils constituent le “bloc
de constitutionnalité” qui se compose du Préambule de 1946 qui complète la
Déclaration de 1789 et forment le Préambule de 1958. Il s’agit aussi d’un certain nombre
de “principes à valeur constitutionnelle” pour lesquels le Conseil n’attribue pas de texte
de référence : par exemple le principe de l’indivisibilité de la République ou de « non
rétroactivité des Lois ».

- La France signe un certain nombre de traités et accords internationaux qui s’imposent à


l’activité législative du Parlement français dès lors qu’ils ont été ratifiés : l’article 55
stipule qu’ils ont “une autorité supérieure à celle des lois”, ce qui signifie qu’il y a une

118
hiérarchie entre les traités et les lois.

Enfin, la France fait partie de l’Union Européenne. Un titre entier de la Constitution (Titre XV
“De l’Union Européenne”) est consacré aux implications de cette appartenance.

Document n°70

nouvelle rédaction du Titre XV, se substituant à la rédaction actuelle


à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité
instituant la Communauté européenne, signé le 13 décembre 2007]
Titre XV
DE L'UNION EUROPEENNE
ARTICLE 88-1. La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement
d’exercer en commun certaines de leurs compétences en
vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils
résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.
ARTICLE 88-2. La loi fixe les règles relatives au mandat d’arrêt européen en application des actes pris par les
institutions de l’Union européenne.
ARTICLE 88-3. Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne
signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls
citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni
participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans
les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article.
Article 88-4. Le Gouvernement soumet à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de
l'Union européenne, les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de
l’Union européenne.
Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent être
adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions mentionnés au premier alinéa,
ainsi que sur tout document émanant d'une institution de l'Union européenne.
Au sein de chaque assemblée parlementaire est instituée une commission chargée des affaires européennes.
ARTICLE 88-5. Tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité relatif à l'adhésion d'un État à l'Union
européenne est soumis au référendum par le Président de la République.
Toutefois, par le vote d'une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois
cinquièmes, le Parlement peut autoriser l'adoption du projet de loi selon la procédure prévue au troisième alinéa
de l'article 89.
[cet article n’est pas applicable aux adhésions faisant suite à une conférence intergouvernementale dont la
convocation a été décidée par le Conseil européen avant le 1er juillet 2004]
Article 88-6. L’Assemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur la conformité d’un projet
d’acte législatif européen au principe de subsidiarité. L’avis est adressé par le président de l’assemblée concernée
aux présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne. Le Gouvernement en est
informé.
Chaque assemblée peut former un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne contre un acte
législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Ce recours est transmis à la Cour de justice de
l’Union européenne par le Gouvernement.
À cette fin, des résolutions peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, selon des modalités
d’initiative et de discussion fixées par le règlement de chaque assemblée. À la demande de soixante députés ou de
soixante sénateurs, le recours est de droit.
Article 88-7. Par le vote d’une motion adoptée en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, le
Parlement peut s’opposer à une modification des règles d’adoption d’actes de l’Union européenne dans les cas
prévus, au titre de la révision simplifiée des traités ou de la coopération judiciaire civile, par le traité sur l’Union
européenne et le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne
le 13 décembre 2007.

Il en résulte que l’Union est habilitée à produire nombre de règlements et directives qui
touchent à des matières qui relèvent du domaine de la loi défini par l’article 34 et dont le contenu
s’impose de fait au Parlement qui s’en trouve ainsi dépossédé au profit des institutions
européennes.
Se pose donc ici la question de l'européanisation de notre Constitution.

119
Selon Bastien François, européaniser la Constitution de la Ve République est un immense –
et nécessaire – chantier. Dans le cadre de cette réforme, et à s’en tenir à l’article 88-4 de la
Constitution, il serait possible d’aller bien plus loin :

- prévoir, d’une part, que lorsque les résolutions sont votées en séance publique (elles
sont généralement adoptées en commission, ce qui est bien moins contraignant) par
l’Assemblée nationale (chambre devant laquelle le gouvernement est responsable), elles
ont alors le caractère d’un mandat impératif donné au gouvernement, qui devra donc
défendre la position de la majorité lors des délibérations bruxelloises.

- Prévoir, d’autre part, un contrôle parlementaire de la transposition des directives


européennes. La procédure des ordonnances servant surtout, de nos jours, à transposer
en droit interne des directives européennes, sans véritable contrôle parlementaire, cette
possibilité doit être fortement restreinte. A cette effet on pourrait établir par exemple
que dès lors que les parlementaires auront voté, sur le fondement de l’article 88-4, une
résolution sur un projet d’acte européen comportant des dispositions de nature
législative, leur transposition en droit interne ne pourra se faire que par la voie
législative normale afin que les parlementaires puissent exercer un véritable contrôle.

Du point de vue de l’article 88.5, désormais, une loi autorisant la ratification d’un traité
élargissant l’Union européenne pourra être adoptée selon deux voies : après un vote en termes
identiques des deux chambres, elle sera soit soumise à référendum, soit soumise au Parlement
réuni en Congrès (avec la nécessité d’obtenir la majorité des 3/5ème des suffrages exprimés).

Il s’agit ici de revenir sur la disposition « anti-turque » qui avait été introduite dans la
Constitution en 2005 à l’initiative de Jacques Chirac.

Réelle avancée ou hypocrisie ? Petite hypocrisie sans doute : on savait que Nicolas Sarkozy
était (est !?) totalement opposé à l’entrée de la Turquie dans l’UE et qu’il a été à la tête de ceux
qui ont imposé à Jacques Chirac cet aspect de la réforme constitutionnelle de 2005 (et qu’il a
« récidivé », en quelque sorte, en faisant inscrire une nouvelle fois l’exigence d’un référendum
obligatoire dans la révision constitutionnelle de février 2008 préalable à la ratification du traité
de Lisbonne) qu’il s’agit aujourd’hui de corriger. Réelle avancée assurément : les frontières de
l’Union européenne ne seront plus soumises obligatoirement aux contraintes très particulières
du vote référendaire (où l’on vote souvent sur d’autres questions que celle qui est soumise à
l’électorat) mais feront quand même l’objet d’une procédure de vote très contraignante (la
nécessité d’atteindre une majorité qualifiée). Cela n’empêchera bien sûr pas le président de la
République d’organiser un référendum sur ce sujet s’il le souhaite…

Reste que le Sénat dispose une nouvelle fois ici d’un droit de veto implicite.

120
b) L’Union Européenne : quelle mode de gouvernance ?

 La gouvernance européenne : un régime à pluralisme limité ?

En suivant les analyses de Guy Hermet, parues dans la Revue Française de Science Politique
en 2004, dans un article intitulé « Un régime à pluralisme limité , à propos de la gouvernance
démocratique. », il convient de s’interroger sur le modèle de gouvernance démocratique qui se
dessine dans l’Union Européenne en la resituant dans « (…) le procédé en vertu duquel des
acteurs dominants ou en passe de le devenir ont constamment esquivé de diverses manières le
risque d’une participation durable à l’exercice de l’autorité de ceux des acteurs concurrents
qu’ils n’étaient pas disposés à coopter, par exemple ceux qui envisageaient une expression
moins strictement symbolique de la souveraineté populaire ».

Pour le dire toujours dans ses mots, ne s’agit-il pas de mettre en œuvre un nouveau « procédé
d’endiguement de la souveraineté du peuple », « d’évitement d’une expression politique
populaire trop pressante » ?
Dans cette perspective, G. Hermet émet l’hypothèse d’une parenté entre gouvernance
démocratique et « régime à pluralisme limité » qui caractérisait les régimes de Franco ou de
Pinochet. Plus précisément, il relève deux points communs quant à leur mode de légitimation
et quant au but poursuivi par l’action publique :
– « Dans la gouvernance, de manière pas toujours explicite il est vrai, l’autorité à tout le
moins arbitrale représentant sous une forme ou une autre la puissance publique tire sa
légitimité non pas tant de son input clairement démocratique (le mandat électif) que de son
input issu de la cooptation (des intérêts, de l’élastique société civile) et, davantage encore
probablement, de ses outputs. (…) De leur côté, si les régimes autoritaires ou conservateurs
ont tiré leur légitimité initiale de leur rôle de rempart contre la révolution sociale ou la
subversion communiste, ils ont en revanche recouru de plus en plus, à partir des années 1960,
à l’argument de la « performance économique »(…) ».
– « (…) la gouvernance partage avec les régimes à pluralisme limité, tels que définis par
Juan Linz : la prévention du risque plutôt que la réalisation du projet d’avenir comme finalité
de l’action publique ».

Toutefois, il relève une différence :la nature de ce pluralisme limité diverge, celui-ci « se
trouvait circonscrit à des fins principalement idéologiques ou macro-politiques dans les
dictatures « libérales », tandis qu’il l’est dans un but fonctionnel ou technique dans le
modèle proche de la gouvernance européenne.
Par ailleurs, il souligne le fait que la notion de gouvernance connaît une utilisation dans
« cinq sites principaux » : l’entreprise autour des thèses de la corporate governance, la
ville autour de la notion de gouvernance urbaine, les politiques de développement, les
régimes internationaux autour de la notion de gouvernance mondiale et surtout l’Union
Européenne.

Pour Guy Hermet, la notion de gouvernance trouve là une substance « beaucoup plus
solide que dans les cas précédents ». « A tout considérer, l’Union européenne est même
l’unique site où s’observe une gouvernance autre que déclarative, incantatoire,
imaginaire, à usage d’intimidation purement théorique ou analytique, ou encore
vaguement bricolée ; une gouvernance, au contraire, d’ores et déjà en état de marche et
en situation d’invention permanente ».

121
De ce point de vue, il relève l’émergence en réalité d’un « modèle techno-libéral » visant
à annihiler la dimension proprement politique des institutions repérables dans le
changement des termes utilisés, on serait passé « de la démocratie politique, comme
gouvernement, compromis, peuple souverain, représentation, négociation collective,
égalité, délégation » à un « lexique d’origine principalement économique : dialogue
social, partenaires sociaux, mouvement social européen, subsidiarité, transparence,
flexibilité, code éthique, critères de convergence, levée d’obstacles ou de contrainte ». La
gouvernance démocratique dans l’Union serait marquée par :
– « la dé-hiérarchisation relative du mode de gestion politico-économique, allant de pair
avec le non moins relatif repositionnement à l’horizontale de ce même mode de gestion dans la
perspective d’une concertation entre des acteurs de toutes espèces et des acteurs privés non
moins divers » ;
– « le dépaysement, c’est-à-dire l’articulation ou la désarticulation des institutions et des
processus entre de multiples sites topographiques ou géographiques « multi-niveaux »
(régions, Etats, « Bruxelles » des « eurocrates » et des représentants nationaux ; Bruxelles,
Strasbourg, Luxembourg, Francfort, en attendant mieux …) ;
– l’idée d’auto-ajustement, d’équilibrage automatique des phénomènes, empruntée à la
cybernétique aussi bien qu’à la conception d’un marché autorégulé dans le cadre de relations
triangulaires entre des acteurs publics de tous niveaux, des acteurs de la société civile (en clair
des organisations privées non économiques) et des acteurs économiques du marché
véritable » ;
– « la primauté de la norme négociée sur la loi démocratiquement votée et avec celle-ci,
la supériorité du pouvoir des juges par rapport à celui du législateur (au moins le législateur
national), refoulé, pour sa part, selon les vœux de certains, dans une sorte de « corps
d’extinction » ».

 L’Union européenne : un fédéralisme interétatique sans citoyenneté sociale

Pour B. Théret (article : « Les politiques conduites en Europe. L’Europe sociale, condition de
l’Europe politique ». IRIS/ Université Paris Dauphine), les perspectives de démocratisation de
l’Union européenne se heurtent certes à des questions d’ordre institutionnel mais également à
l’absence d’une véritable citoyenneté sociale articulée à une conception non plus purement
nationale des systèmes de protection sociale.
Pour cet auteur, la « citoyenneté sociale européenne est en effet la seule base possible de
développement d’un sentiment européen d’appartenance dans la mesure où l’Union
européenne est condamnée à être une forme fédérale de type interétatique, c’est-à-dire
combinant de manière permanente intergouvernementalisme et supranationalisme ».
Pour lui, l’Union en gestation « correspond à une situation où les entités territoriales qui
s’unissent sont fortement hétérogènes du point de vue culturel (par exemple en raison de leur
diversité linguistique) et sont peu enclines à abandonner leur souveraineté. En outre, le
pouvoir fédéral n’y dispose pas du transfert de légitimité associé à la codécision au sein du
Parlement entre la Chambre des députés (qui est l’expression de la relation tissée par l’Etat
fédéral avec chaque citoyen) et le Sénat ou Bundesradt (chambre des représentants des
intérêts des territoires en tant que tels et non des individus) propre au fédéralisme
intraétatique ». Cette analyse reste juste dans le cadre du nouveau Traité dans la mesure où il
est pour le moins difficile de comparer le Conseil avec le Sénat ou le Bundesradt, et, dans une
moindre mesure, le Parlement européen avec la Chambre des représentants des Etats-Unis ou
le Bundestag.

122
B. Theret rajoute que ce fédéralisme interétatique est marqué par « une pluralité des
processus d’identification politique », qu’il est « fondé sur la permanence de la distinction
entre deux dimensions identitaires qui se recouvrent dans l’Etat unitaire, à savoir la
dimension « fonctionnelle » qui renvoie à une structuration sociale des intérêts sur la base
des rapports socio-économiques, et la dimension territoriale qui renvoie à une structuration
des intérêts sur la base de l’appartenance à des communautés localisées, liées à un espace
géographique donné ».
Il relève plus exactement que dans le fédéralisme interétatique, « les modalités de
représentation des intérêts fonctionnels ne l’emportent pas sur celles des intérêts territoriaux,
les organes de représentation et les acteurs collectifs (les partis politiques par exemple)
pouvant se définir prioritairement en tant qu’acteurs régionaux plutôt que socialement
constitués à partir d’une position économique, ce qui n’est pas le cas dans les Etats unitaires
(…) ».

Pour le dire autrement, la logique de défense des intérêts des Etats membres reste très forte
dans ce type de fédéralisme, ce qui peut constituer une source de blocage dans la nécessaire
émergence d’un sentiment d’appartenance à l’Union, base essentielle au développement d’une
démocratie fédérale. Sentiment d’appartenance qui, selon cet auteur, peut être activé par le
biais du développement d’une véritable citoyenneté sociale.

c) L’exécutif concourt à l’élaboration de la loi grâce à des procédures distinctes de la procédure


législative de droit commun.
Trois procédures sont prévues:
- Les ordonnances, article 3843: le gouvernement peut pour l’exécution de son
programme demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnance pendant
un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Les étapes sont
les suivantes: vote de la loi d’habilitation par le parlement (possibilité de recourir à
l’article 49-3) qui définit le champ de leur intervention et la durée de l’habilitation; les
ordonnances sont prises en Conseil des ministres; elles peuvent modifier des lois ou
édicter des dispositions relevant normalement de la compétence des parlements; un
projet de loi de ratification est déposé devant le parlement44.

43 Document n°71
Article 38 : « Le gouvernement peut pour l’exécution de son programme, demander au Parlement
l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du
domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat. Elles entrent en
vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant
le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
A l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du premier, les ordonnances ne peuvent plus être
modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif.
44
A cet article 38, s'ajoutent les articles 47 et 47.1 sur la possibilité d'agir par voie d'ordonnance
concernant les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, et également l'article 74.1 : « Dans les
collectivités d'outre-mer visées à l'article 74 et en Nouvelle- Calédonie, le Gouvernement
peut, par ordonnances, dans les matières qui demeurent de la compétence de l'État, étendre,
avec les adaptations nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en

123
Cet article 38 trouve son origine dans les pratiques précédentes sous la IIIème et IVème
République.

Selon Valérie Martel (Faculté de droit de Lyon)« Sous la IIIème République s’était développée
la pratique des décrets-lois bien que les lois constitutionnelles n’y fassent pas référence. Le
Parlement habilitait le gouvernement à prendre par décrets des mesures qui pouvaient modifier
les lois en vigueur.
Cette pratique a été condamnée par la Constitution du 27 octobre 1946 qui entendait assurer
une séparation des pouvoirs effective en vertu de son article 13 : « L’Assemblée nationale vote
seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit ».

Cependant très rapidement cette disposition a été battue en brèche. Une loi du 17 août 1948
dresse une liste de domaines dans lesquels le pouvoir réglementaire peut intervenir pour
abroger, modifier ou remplacer les lois en vigueur. Le législateur décide donc de réduire le
domaine de la loi. C’est une délégalisation par matière et non pas une autorisation donnée à
l’exécutif d’intervenir dans le domaine de la loi. Le législateur a la possibilité de récupérer sa
compétence.

La pratique des décrets-lois présente différents avantages :


− la prise de décision est rapide puisqu’il n’est pas nécessaire d’organiser de débats au
Parlement.
− des textes techniques, dont l’objet spécifique relève de l’expertise et échappe donc aux
connaissances de la plupart des parlementaires, peuvent être adoptés.

Ces deux caractéristiques expliquent d’ailleurs pourquoi cette pratique s’est développée en
même temps que l’Etat Providence apparaissait.
Avec l’intervention croissante de l’Etat dans le domaine économique et social, la procédure
législative relativement lourde et lente a paru peu adaptée pour prendre des mesures dans ces
domaines.
Par contre, elle présente un inconvénient majeur qui explique son interdiction par la
Constitution de 1946 : elle constitue un moyen pour le Parlement de se décharger de la
responsabilité d’adopter un texte dans un domaine sensible. Libre à lui par la suite de
renverser le gouvernement en lui reprochant l’adoption de ce texte.
Conscients des avantages de cette pratique comme de ses limites, le constituant en 1958 a
décidé de la constitutionnaliser en l’encadrant dans une procédure stricte ».

Plus précisément, les ordonnances permettent donc au Gouvernement d'intervenir dans


des domaines qui sont normalement réservés au pouvoir législatif, détenu en France par le

métropole ou adapter les dispositions de nature législative en vigueur à l'organisation


particulière de la collectivité concernée, sous réserve que la loi n'ait pas expressément exclu,
pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure. Les ordonnances sont prises en
conseil des ministres après avis des assemblées délibérantes intéressées et du Conseil d'Etat.
Elles entrent en vigueur dès leur publication. Elles deviennent caduques en l'absence de
ratification par le Parlement dans le délai de dix-huit mois suivant cette publication.

124
Parlement et dont l'étendue est fixée par l'article 34.
Des conditions strictes sont imposées sur le plan procédural. En effet, le Gouvernement doit
déposer sur le bureau des Assemblées un projet de loi d'habilitation qui vaudra autorisation de
légiférer une fois adopté. Doivent figurer les motifs ayant conduit à l'utilisation des
ordonnances, le programme envisagé ainsi que deux délais. Le premier est dit « délai
d'habilitation » : il fixe les bornes de la période pendant laquelle le pouvoir exécutif va pouvoir
édicter des ordonnances. La Constitution n'impose aucune limite mais indique tout de même
qu'il doit être « raisonnable ». En pratique, il est en général de trois à six mois. Le second délai
définit la période au cours de laquelle devra intervenir le dépôt d'un projet de loi de ratification
par le Gouvernement auprès du bureau des Assemblées. La ratification aura lieu lorsque le
Parlement adoptera ce projet de loi ou tout autre texte prévoyant expressément la ratification de
l'ordonnance.
Les projets d'ordonnances sont délibérés en Conseil des Ministres et ils sont soumis au contrôle
du Conseil d'État agissant ici en tant que conseiller juridique du Gouvernement. La conformité
de l'ordonnance par rapport à la loi d'habilitation, aux conventions internationales et à la
Constitution est ainsi vérifiée. Une fois l'ordonnance signée de la main du Premier ministre et
du président de la République, elle acquiert une valeur règlementaire et peut donc, par
conséquent, être attaquée devant le Conseil d'État par un recours pour excès de pouvoir. Lors
de la première cohabitation entre 1986 et 1988, le président de la République François
Mitterrand avait estimé qu'il était en droit de refuser de signer une ordonnance. Ce droit ne lui
avait pas été contesté par le gouvernement de Jacques Chirac, qui avait fait adopter le texte en
urgence par le Parlement conformément à la procédure législative normale.

Il existe plusieurs types d'ordonnances


 Les ordonnances dont le projet de loi de ratification a été déposé dans le délai prévu,
mais qui n'ont pas été ratifiées ont une valeur règlementaire.
 Les ordonnances ratifiées acquièrent une valeur législative.
 Les ordonnances dont le projet de loi de ratification n'a pas été déposé ou alors l'a été
mais en dehors des délais, sont caduques.
 Les ordonnances dont la loi de ratification est rejetée par le Parlement sont également
caduques.

Concernant la modification des ordonnances :

Les ordonnances ratifiées intervenant dans un domaine qui relève normalement du pouvoir
législatif, elles ne peuvent être modifiées que par une loi, par le Parlement.

Le Gouvernement peut également modifier certaines dispositions si elles sont de nature


réglementaires. C'est le Conseil Constitutionnel qui apprécie cette nature a priori,

125
comme l'indique l'article 37, alinéa 2, de la Constitution.

Si l'ordonnance à modifier n'a pas été ratifiée, un décret suffit à apporter les changements
désirés. Cependant, la procédure à suivre est la même que pour les ordonnances ce qui
implique donc un avis du Conseil d'État puis une délibération en Conseil des Ministres.

Pour être plus clair en matière de régime juridique des ordonnances. Le régime juridique varie
en fonction des deux délais prévus : celui pendant lequel le Gouvernement peut prendre les
ordonnances (premier délai) et celui qui fixe la date limite avant laquelle le projet de loi de
ratification doit être déposé (second délai).

Jusqu’à l’expiration du premier délai, les ordonnances ont valeur réglementaire bien
qu’elles interviennent dans des domaines législatifs. Elles sont donc susceptibles de recours
comme tous les actes réglementaires et peuvent être annulées par le juge administratif
(CE 24/11/1961 « Fédération Nationale des Syndicats de Police »). En outre, le Gouvernement
peut les modifier mais le Parlement ne peut légiférer sur le domaine prévu par l’habilitation.

Entre la fin du premier délai et la fin du second délai, les ordonnances qui ont été publiées
conservent leur valeur réglementaire mais le Gouvernement ne peut plus les modifier. Le
Parlement retrouve sa compétence législative sur le domaine concerné et peut donc modifier
les ordonnances -> ce sont alors des actes réglementaires annulables par le juge
administratif mais modifiables uniquement par la loi.

Après l’expiration du second délai, si aucun projet de loi de ratification n’a été déposé, les
ordonnances deviennent caduques.

En revanche, si un projet de loi de ratification a été déposé, plusieurs options sont ouvertes. Si
le Parlement ne se prononce jamais sur le texte, les ordonnances demeurent alors des
textes réglementaires qui peuvent être annulés par le juge administratif mais qui ne
peuvent être modifiés que par une loi. Si le Parlement rejette le projet de loi, les ordonnances
deviennent alors caduques. Enfin si le Parlement ratifie les ordonnances, elles acquièrent
alors valeur législative.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008, seule la ratification expresse est admise


(insertion à l’alinéa 2 de l’article 38). Avant celle-ci, il pouvait y avoir une ratification implicite

126
: on considérait que si le Parlement modifiait une disposition d’une ordonnance, il la ratifiait
implicitement.

Document n°72

Les ordonnances prises sur le fondement l'article 38 de la Constitution

INTRODUCTION

La présente étude concerne les ordonnances prises sur le fondement l'article 38 de la


Constitution, c'est-à-dire les ordonnances résultant d'une habilitation législative donnée au
Gouvernement pour la mise en oeuvre de son programme.

L'article 38 constitue, avec l'article 74-1 de la Constitution, une des deux procédures qui
permettent aujourd'hui de légiférer par voie d'ordonnance hors situation exceptionnelle.

Pour mémoire, les articles 47 et 47-1 de la Constitution, restés inutilisés à ce jour, autorisent la
mise en vigueur, par voie d'ordonnance, du projet de loi de finances et du projet de loi de
financement pour la sécurité sociale en cas de non adoption de ces textes par le Parlement dans
)
les délais constitutionnels. Par ailleurs, l'article 92 de la Constitution, aujourd'hui abrogé1(* , a
permis l'adoption d'ordonnances organiques en vue de la mise en place des institutions de la Ve
République.

LE RECOURS À L'ARTICLE 38 S'EST NETTEMENT INTENSIFIÉ DEPUIS 2003

L'article 38 de la Constitution, qui tire les conséquences des pratiques des décrets lois qui
s'étaient imposés sous la IIIe et IVe République, a été utilisé pour la première fois en 1960 afin
de justifier l'habilitation accordée au Gouvernement pour prendre certaines mesures relatives
au maintien de l'ordre, à la sauvegarde de l'État, à la pacification et à l'administration de
l'Algérie.

Au cours des trente premières années de la procédure de l'article 38 (1960-1990), quelques 25


lois d'habilitation ont été adoptées sur le fondement desquelles 158 ordonnances ont été prises
dans des domaines très divers tels que l'outre-mer, la fiscalité ou la législation sociale ; une
trentaine seulement ont été expressément ratifiées.

À partir des années 90, on observe une augmentation du recours aux ordonnances de l'article
38, afin d'actualiser, notamment, le droit ultra-marin. Cette tendance s'intensifie nettement à
partir de 2003. Ainsi, entre 2004 et 2013 (10 années), 357 ordonnances ont été publiées sur

127
le fondement de l'article 38, soit 2,3 fois plus que le nombre d'ordonnances publiées entre
1984 et 2003 (20 années).

La procédure de l'article 38 de la Constitution en chiffres

Année Nombre de lois contenant Nombre Nombre d'ordonnances


des mesures d'habilitation d'ordonnances expressément ratifiées
publiées

1984 0 2 8

1985 1 9 0

1986 2 8 0

1987 0 0 0

1988 0 0 0

1989 1 0 0

1990 0 2 0

1991 1 5 7

1992 1 22 22

1993 0 0 0

1994 0 0 0

1995 1 0 0

1996 3 9 2

1997 0 0 1

1998 1 20 1

1999 2 0 20

2000 1 29 0

2001 3 19 2

128
2002 5 12 4

2003 7 18 31

1984- 29 155 98
2003

2004 9 52 62

2005 10 83 8

2006 9 24 20

2007 12 15 43

2008 11 27 9

2009 9 41 68

2010 11 25 29

2011 8 37 14

2012 8 32 28

2013 11 21 23

2004- 98 357 304


2013

UNE PORTÉE ENCORE RELATIVE DE L'ARTICLE 74-1 PAR RAPPORT À LA


PROCÉDURE DE L'ARTICLE 38

Entre 1990 et 2002, 70 % des ordonnances publiées ont concerné les outre-mer. Cette situation
a conduit le constituant à prévoir, lors de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, une
procédure spéciale d'habilitation pour le droit applicable aux outre-mer avec l'adoption
de l'article 74-1 de la Constitution.

Contrairement à l'article 38, le Gouvernement n'a pas besoin de demander une habilitation
spécifique. Il dispose d'une habilitation permanente pour prendre des ordonnances, dans les
matières qui demeurent de la compétence de l'État, en vue d'étendre, avec les adaptations

129
nécessaires, les dispositions de nature législative en vigueur en métropole ou d'adapter les
dispositions de nature législative en vigueur à l'organisation particulière des collectivités
d'outre-mer et en Nouvelle Calédonie. L'article 74-1 peut être utilisé sous réserve que la loi n'ait
pas expressément exclu, pour les dispositions en cause, le recours à cette procédure. Les
ordonnances, prises en conseil des ministres après avis des assemblées différentes et du Conseil
d'État doivent impérativement être ratifiées dans un délai de dix-huit mois suivant leur
publication sous peine de caducité.

À ce jour, 28 ordonnances ont été publiées sur le fondement de l'article 74-1 entre 2005 et
2013 (cf. Annexe 4), 26 ont été ratifiées dans les délais et 2 n'ont pas été ratifiées dans les
délais.

L'actualisation du droit applicable aux outre-mer est un domaine de prédilection de la législation


par voie d'ordonnances. En 2012, près de la moitié des ordonnances publiées sur le fondement
)
de l'article 38 de la Constitution ont concerné l'outre-mer2(* . Il est encore délicat d'apprécier
la portée de l'article 74-1 par rapport à l'article 38 de la Constitution, ce dernier servant
encore majoritairement de fondement juridique aux ordonnances publiées et applicables
dans les collectivités d'outre-mer et en Nouvelle Calédonie. À ce jour, il n'y a pas une
accélération du nombre d'ordonnances publiées sur le fondement de l'article 74-1 de la
Constitution.

Ainsi, sur la période 2007-2013, pour ce qui est du droit applicable aux outre-mer, 71
)
ordonnances ont été publiées sur le fondement de l'article 38 de la Constitution contre 223(*
sur le fondement de l'article 74-1.

Répartition des ordonnances applicables à l'outre-mer

***

Organisée autour des trois temps de la procédure de l'article 38, la présente étude dresse un
panorama de l'utilisation de cet article depuis 1984 et fait le point sur le régime juridique
applicable et ses difficultés.

LÉGISLATION PAR VOIE D'ORDONNANCES -


ARTICLE 38 DE LA CONSTITUTION

130
I. Loi ou article Délai « limité» pour
d'habilitation publier l'ordonnance,
prévu par l'habilitation
- projet de loi (PJL) ou
article initial du projet de
loi

- article issu d'un


amendement déposé par le
Gouvernement

Valeur II. Publication de Délai pour déposer le


réglementaire l'ordonnance PJL de ratification, prévu
par l'habilitation
des dispositions
de l'ordonnance III. Ratification Pas de délai

Recours devant A. Dépôt du projet de loi


le juge de ratification de
administratif l'ordonnance

Sur le bureau d'une des


deux Assemblées

CADUCITÉ de
l'ordonnance si le projet de
loi de ratification n'est pas
déposé dans le délai prévu
par la loi

Valeur B. Ratification de
législative l'ordonnance
par le Parlement
des dispositions
de l'ordonnance - sans modification

Recours devant - avec modifications


le juge
constitutionnel -

Question
prioritaire de

constitutionnalit
é

(QCP)

131
I. L'HABILITATION À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCES

A. LE RÉGIME JURIDIQUE

1. Les conditions relatives à la définition du périmètre de l'habilitation

a) L'exécution justifiée du programme du Gouvernement

Aux termes de l'article 38 de la Constitution, l'habilitation pour légiférer par ordonnances


est donnée au Gouvernement « pour l'exécution de son programme ».

Cependant, la notion de « programme » inscrite à l'article 38 n'est pas équivalente à celle


figurant à l'article 49 relatif à l'engagement de la responsabilité du Gouvernement devant
l'Assemblée nationale. L'expression susvisée signifie que le Gouvernement doit justifier la
demande d'habilitation en indiquant la finalité des mesures qu'il entend prendre par voie
d'ordonnance. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont été conduits à définir la portée
de cette exigence constitutionnelle.

Après avoir rappelé la lettre de la Constitution, le Conseil constitutionnel, dans sa décision


n° 76-72 DC du 12 janvier 1977, affirme que « ce texte doit être entendu comme faisant
obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, lors du dépôt d'un projet
de loi d'habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité
)
des mesures qu'il se propose de prendre 4(* ». Le juge constitutionnel a réitéré à plusieurs
reprises cette obligation faite au Gouvernement de « définir avec précision les finalités de
l'habilitation » et d'indiquer précisément le « domaine d'intervention des mesures qu'il se
)
propose de prendre par voie d'ordonnance. 5(* »

Le Conseil constitutionnel vérifie que « les précisions requises, en vertu de l'alinéa premier de
l'article 38 de la Constitution, ont été dûment fournies par le Gouvernement au soutien de sa
demande d'habilitation » (décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977).

Il a ainsi considéré que « l'urgence est au nombre des justifications que le Gouvernement peut
invoquer pour recourir à l'article 38 de la Constitution » (décision n° 99-421 DC du
16 décembre 1999) et qu'elle peut résulter de la nécessité de surmonter « l'encombrement de
l'ordre du jour parlementaire », dans la mesure où cet encombrement « fait obstacle à la
réalisation, dans des délais raisonnables, du programme du Gouvernement tendant à simplifier
le droit et à poursuivre sa codification », « double finalité [qui] répond à l'objectif de valeur
constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi » (décision n° 2004-506 DC du

132
2 décembre 2004).

Compte tenu des contraintes que font peser les élections municipales et européennes sur le
calendrier parlementaire de l'année 2014, M. François Hollande, président de la République, a
)
ainsi justifié le recours accru aux ordonnances afin « de faire avancer les dossiers ». 6(*

L'urgence et la technicité de certains textes constituent pour les parlementaires les deux
principaux critères pour apprécier l'opportunité du recours à l'article 38. Lors de l'examen
)
au Sénat du projet de loi de régulation bancaire et financière7(* , M. Philippe Marini a ainsi
répondu à M. Bernard Vera qui s'opposait à la procédure de l'article 38 s'agissant de la
transposition de la directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16
septembre 2009, concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique et
son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements : « Les conditions de
technicité et d'urgence étant remplies, la commission considère que la procédure d'habilitation
se justifie. Au demeurant, nous rappelons que l'habilitation est suivie par la mise au point de
l'ordonnance, par sa publication, puis par sa ratification, ce qui permet au Parlement, s'il le
souhaite, d'intervenir à nouveau sur le texte et d'opérer les modifications qui lui semblent
)
nécessaires. 8(* »

L'appréciation de l'urgence peut toutefois donner lieu à débat comme l'illustrent les prises de
paroles de certains parlementaires ultra-marins à l'Assemblée nationale lors de la deuxième
séance du 29 juin 2011 où était examiné le projet de loi sur les collectivités territoriales de
)
Guyane et de Martinique9(* . L'article 10 de ce projet proposait d'habiliter le Gouvernement, en
vue de la création des collectivités territoriales précitées, à prendre plusieurs ordonnances pour
déterminer un certain nombre de règles importantes telles que les règles budgétaires, financières
et comptables.

Mme Christiane Taubira, alors député de Guyane, a ainsi estimé que si cet article se justifiait
initialement par le calendrier qui avait été retenu pour l'installation de ces nouvelles
collectivités, il n'en allait plus de même depuis que cette installation avait été reportée de juillet
2012 au premier trimestre 2014 : « Lorsque le calendrier était fixé par le Gouvernement à
juillet 2012, puis par le Conseil d'État à décembre 2012, nous pouvions considérer qu'il y avait
intérêt à régler ces questions particulières le plus vite possible pour permettre des conditions
optimales de fusion des deux collectivités, et donc d'installation de la collectivité unique. Mais
depuis le calendrier a changé, et cette installation est renvoyée au premier trimestre 2014. Par
conséquent, le Parlement a le temps de faire son travail en toute sérénité, et il n'y a pas de
raison qu'il se dessaisisse en faveur du Gouvernement en le laissant régler ces questions par
ordonnance. Voilà pourquoi ces amendements sont totalement fondés : nous demandons au

133
Gouvernement, plutôt que de se surcharger de travail, d'accepter que le Parlement fasse le
sien. »

La technicité des textes permet également de justifier la position du Parlement sur les demandes
d'habilitation. Ainsi, le 1er juillet 2008, M. Laurent Béteille, alors rapporteur du projet de loi de
)
modernisation de l'économie au Sénat10(* , a présenté un amendement limitant la portée de
l'habilitation en matière de fiducie à ses aspects les plus techniques : « Animée par le souci
d'apporter une réponse plus circonstanciée qu'une habilitation générale, la commission
spéciale propose de légiférer par des mesures d'application directe sur une partie de ce
dispositif. (...) Pour autant, la commission estime qu'il n'est pas nécessaire de procéder par la
voie d'une habilitation générale. Elle préfère réserver cette voie, d'une part, à des domaines
relativement techniques, comme les règles juridiques de l'imposition des biens des personnes
physiques transférés dans le cadre d'un patrimoine fiduciaire, et, d'autre part, aux très
nombreuses coordinations qui s'avéreront nécessaires dans le droit des successions et dans
celui des majeurs protégés pour mettre en oeuvre ce nouveau dispositif. »

b) Des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi

Les mesures prises par les ordonnances relèvent normalement du domaine de la loi, celui-ci
étant notamment précisé à l'article 34 de la Constitution.

Dans sa décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 concernant la loi relative à la commission


prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés, le Conseil Constitutionnel a
ainsi considéré : « qu'au nombre des matières ressortissant à la compétence du législateur en
vertu de l'article 34 de la Constitution figure la fixation des règles concernant le régime
électoral des assemblées parlementaires ; que la répartition des sièges de députés, dans la
limite fixée par l'article L.O. 119 du code électoral, tel qu'il résulte de la loi organique adoptée
le 11 décembre 2008, est une composante de ce régime. » Le découpage électoral relève du
domaine de la loi et peut à cet égard faire l'objet de la procédure prévue à l'article 38 de la
Constitution.

Le Conseil constitutionnel apprécie la portée de l'habilitation qui doit être suffisamment


)
circonscrite11(* .

Il vérifie par ailleurs que l'habilitation n'intervient pas dans les domaines réservés par la
Constitution à la loi organique, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité
)
sociale12(* .

134
Si le Gouvernement doit définir avec précision les finalités de l'habilitation demandée, « il n'est
pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette
habilitation » et il « ne lui est pas interdit de faire dépendre cette teneur des résultats de travaux
et d'études dont il ne connaîtra que plus tard les conclusions » (décision n° 86-207 DC
susvisée). Dans sa décision n° 2006-534 DC du 16 mars 2006 sur la loi sur le retour à l'emploi
et sur les droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, le Conseil constitutionnel a de
nouveau confirmé sa jurisprudence antérieure sur la précision de l'habilitation demandée, en
rappelant que « l'article 38 de la Constitution fait obligation au Gouvernement d'indiquer avec
précision au Parlement, afin de justifier la demande qu'il présente, la finalité des mesures qu'il
se propose de prendre par ordonnances ainsi que leur domaine d'intervention », mais qu'« il
ne lui impose pas pour autant de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu'il
prendra en vertu de cette habilitation ». Cependant, dans la pratique, le Gouvernement
communique parfois au rapporteur du projet de loi d'habilitation, pour sa bonne information,
les avant-projets d'ordonnances.

Si l'exigence est stricte, ses modalités de mise en oeuvre sont souples : le Gouvernement
peut apporter les justifications nécessaires tant dans l'exposé des motifs du projet de loi
d'habilitation que dans le dispositif lui-même ou encore dans les déclarations faites devant
chaque assemblée pour présenter le projet de loi. Ainsi, dans sa décision n° 86-207 DC susvisée,
le Conseil constitutionnel se réfère non seulement à l'article de la loi définissant le champ de
l'habilitation demandée, mais également aux travaux préparatoires et, notamment, aux
déclarations du Gouvernement devant le Parlement.

Le Conseil constitutionnel a confirmé cette jurisprudence dans sa décision n° 2005-521 DC du


22 juillet 2005 sur la loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures
d'urgence pour l'emploi, considérant que « la finalité de l'autorisation délivrée au
Gouvernement (...) et le domaine dans lequel l'ordonnance pourra intervenir, sont définis avec
une précision suffisante pour satisfaire aux exigences de l'article 38 de la Constitution. »

c) Le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle

Le Conseil constitutionnel a cependant considéré que l'habilitation ne saurait avoir ni pour


objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont
conférés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de
valeur constitutionnelle ou conventionnelle.

135
Dans sa décision n° 2008-573 du 8 janvier 2009 précitée, il a ainsi considéré que « sans qu'il
en résulte une atteinte à l'article 4 de la Constitution, l'article 38 de la Constitution permet au
législateur d'autoriser le Gouvernement à procéder par ordonnances à la fixation du nombre
de députés élus par les Français établis hors de France et à la répartition des députés entre les
départements, les collectivités d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et les circonscriptions
législatives des Français établis hors de France ». Les requérants avaient notamment fait valoir
que la tradition républicaine, selon laquelle seule la loi déterminerait le découpage électoral, et
l'article 4 de la Constitution interdisaient au Gouvernement d'utiliser la procédure de l'article 38
pour procéder audit découpage. Selon le Conseil, « la tradition républicaine ne saurait être
utilement invoquée pour soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la
Constitution qu'autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe fondamental
reconnu par les lois de la République au sens de l'alinéa 1er du Préambule de la Constitution
du 27 octobre 1946 ; que le principe invoqué par les requérants, qui ne résulte d'aucune
disposition législative antérieure à la Constitution de 1946, est, en tout état de cause,
expressément contredit par la Constitution du 4 octobre 1958. »

Le Conseil constitutionnel a également, sous la forme de réserves d'interprétation insérées dans


deux décisions de 2007, considéré que certaines procédures particulières d'adaptation du droit
applicable à l'outre-mer ne pouvaient donner lieu à des ordonnances prises sur le fondement de
l'article 38 de la Constitution.

D'une part, s'agissant de la possibilité d'adaptation locale des lois et règlements applicables dans
les départements et régions d'outre-mer, prévue par la loi organique n° 2007-223 du 21 février
2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, en application
de l'article 73 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a considéré que l'habilitation de
ces collectivités à adapter localement les lois et règlements, ou à fixer elles-mêmes les règles
applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières relevant du domaine de la loi,
ne pouvait être délivrée que par la loi elle-même, à l'exclusion des ordonnances prises sur
le fondement de l'article 38 de la Constitution. Selon les « Cahiers du Conseil
constitutionnel », « habilitation sur habilitation ne vaut ».

De même, à propos des dispositions de la loi organique précitée étendant aux collectivités de
Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon cette possibilité
d'adaptation locale des lois et règlements en vigueur, le Conseil constitutionnel a émis la même
réserve d'interprétation, selon laquelle l'habilitation doit être directement donnée par le
Parlement et ne saurait donc faire l'objet d'ordonnances prises en vertu de l'article 38 de la
Constitution. D'autre part, le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d'interprétation
analogue à propos d'une disposition de la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007
tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie

136
française, selon laquelle les décrets approuvant un projet ou une proposition de « loi du pays »
intervenant dans une matière où la Polynésie française est seulement autorisée à participer à
l'exercice des compétences de l'État ne peuvent entrer en vigueur avant leur ratification par la
loi. Il a en effet considéré que le législateur organique n'avait entendu autoriser que cette
dernière à délivrer l'habilitation, en excluant les ordonnances prises sur le fondement de
)
l'article 38 de la Constitution13(* . Ainsi que le notent les « Cahiers du Conseil
constitutionnel », cette jurisprudence s'inscrit d'ailleurs dans la continuité de la précédente
décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004 sur la loi organique n° 2004-192 du 27 février
2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, par laquelle le Conseil constitutionnel
avait précisé, dans une réserve d'interprétation, que la disposition de la loi organique prévoyant
que les décrets d'approbation des « lois du pays » « deviennent caducs s'ils n'ont pas été ratifiés
par la loi », devait s'entendre « comme interdisant l'entrée en vigueur de l'acte dénommé "loi
du pays", intervenant dans le domaine législatif de l'État, tant que le décret d'approbation totale
ou partielle de ce texte n'a pas été ratifié par le Parlement ».

Saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance ou amené à statuer sur la
légalité d'une ordonnance par voie d'exception, le juge administratif, et en particulier le Conseil
d'État, a parfois été conduit à exercer indirectement un contrôle de la conformité à la
Constitution de la finalité de l'autorisation demandée au Parlement, inscrite dans la loi
d'habilitation.

Il en fut ainsi pour l'objectif de maîtrise des dépenses de santé figurant à l'article 1er de la loi
n° 95-1348 du 30 décembre 1995 autorisant le Gouvernement, par application de l'article 38 de
la Constitution, à réformer la protection sociale, objectif décliné dans l'ordonnance n° 96-345
du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins qui a instauré un
objectif prévisionnel d'évolution des dépenses médicales.

Le Conseil d'État a jugé que « l'instauration d'un objectif prévisionnel d'évolution des dépenses
médicales n'[était] pas, en elle-même, contraire au principe de protection de la santé garanti
par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le Préambule de la
Constitution du 4 octobre 1958, qui [impliquait] toutefois que l'objectif soit fixé à un niveau
)
compatible avec la couverture des besoins sanitaires de la population ».14(*

2. Les conditions de délai

L'article 38 de la Constitution prévoit deux délais, tous deux déterminés par la loi
d'habilitation :

- celui pendant lequel le Gouvernement est autorisé à prendre, par ordonnance, des mesures qui

137
relèvent normalement du domaine de la loi ;

- et le délai au cours duquel, les ordonnances ayant été publiées, le Gouvernement doit déposer
devant le Parlement un projet de loi de ratification afin d'éviter que celles-ci ne deviennent
caduques.

En vertu de l'article 38 précité, le premier délai, soit celui pendant lequel peuvent intervenir les
ordonnances, est « limité ». Le plus souvent comprise entre trois et dix-huit mois, la durée du
délai d'habilitation a eu tendance à s'allonger au cours des dernières années.

Il semble que le caractère limité du délai considéré doive être apprécié au regard de la finalité
justifiant l'habilitation et de l'étendue du champ couvert par celle-ci. La jurisprudence n'a
cependant pas été conduite à préciser la notion de « délai limité ».

Pendant ce premier délai dit « d'habilitation », le Parlement se trouve dessaisi : la capacité


de légiférer dans les matières visées par la loi d'habilitation en vue d'atteindre l'objectif fixé est
transférée au Gouvernement jusqu'à la fin du délai d'habilitation. Ainsi, comme le précise le
troisième alinéa de l'article 38 de la Constitution, les ordonnances publiées avant la fin du délai
d'habilitation peuvent être modifiées par le Gouvernement jusqu'à la fin de l'habilitation et
uniquement par ce dernier qui peut s'opposer à toute tentative parlementaire contrevenant à la
délégation donnée : le premier alinéa de l'article 41 de la Constitution dispose en effet que « s'il
apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement [...] est
contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le Gouvernement peut opposer
l'irrecevabilité ».

Si cette disposition contraint l'initiative parlementaire pendant le délai d'habilitation, c'est-à-


dire tend à prévenir toute immixtion dans le domaine délégué, et permet en conséquence au
Gouvernement de faire respecter les frontières de l'habilitation, on peut s'interroger sur la
possibilité pour le Parlement de modifier le champ de la délégation précédemment accordée.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas l'intervention du législateur dans un
domaine ayant fait l'objet d'une habilitation, dès lors que le Gouvernement n'a pas eu recours à
la procédure d'irrecevabilité prévue à l'article 41 de la Constitution au cours du débat
)
parlementaire15(* .

À l'expiration du délai d'habilitation, le Gouvernement ne peut plus prendre d'ordonnance :


toute ordonnance dont la date de signature est postérieure à la date d'expiration du délai serait
entachée d'illégalité comme émanant d'une autorité incompétente.

138
Le second délai visé par l'article 38 de la Constitution est celui imparti par la loi
d'habilitation au Gouvernement pour déposer devant le Parlement, à peine de caducité
des ordonnances prises, un projet de loi de ratification. Ce délai est usuellement de quelques
mois soit à compter de l'entrée en vigueur de la loi d'habilitation elle-même, soit, de plus en
plus souvent, à compter de celle des ordonnances concernées.

Le Conseil d'État a déjà été conduit à constater la caducité d'une ordonnance. Saisi d'un recours
pour excès de pouvoir contre l'ordonnance n° 2002-327 du 7 mars 2002 portant adaptation de
la législation aux transports intérieurs dans les départements de Guadeloupe, de Guyane et de
Martinique et création d'agences des transports publics de personnes dans ces départements, il
a déclaré le recours devenu sans objet dans la mesure où l'ordonnance était frappée de caducité
du fait de l'absence de dépôt d'un projet de loi de ratification avant la date butoir du 30 juin
2002.

La caducité conduit à la disparition de l'ordonnance de l'ordonnancement juridique et au


)
rétablissement de l'état du droit qui avait cours avant l'entrée en vigueur de celle-ci16(* .

3. L'origine de la demande d'habilitation

a) La demande d'habilitation ne peut être faite que par le Gouvernement

Bien qu'il existe plusieurs précédents de mesures d'habilitation d'initiative parlementaire (cf.
infra), le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision n° 2004-510 DC du 20 janvier
2005 sur la loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et
du tribunal de grande instance, qu'il résultait des termes mêmes du premier alinéa de
l'article 38 de la Constitution que « seul le Gouvernement peut demander au Parlement
l'autorisation de prendre [des] ordonnances » en application de cet article. Il a, à cette
occasion, censuré une mesure d'habilitation qui figurait dans le texte initial de la proposition de
loi à l'origine de la loi soumise à son examen.

b) La demande d'habilitation peut résulter de l'adoption d'un amendement


gouvernemental

Le Conseil constitutionnel a cependant précisé par la suite, dans sa décision précitée n° 2006-
534 DC du 16 mars 2006 sur la loi pour le retour à l'emploi et sur les droits et devoirs des
bénéficiaires de minima sociaux, que si le Gouvernement pouvait seul avoir l'initiative d'une
demande d'habilitation, il avait la faculté de faire cette demande en déposant « soit un projet de

139
loi, soit un amendement à un texte en cours d'examen ». Après avoir rappelé, conformément à
sa jurisprudence habituelle, que le droit d'amendement doit pouvoir s'exercer pleinement au
cours de la première lecture des projets ou propositions de loi par chacune des deux assemblées
et qu'il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté
et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité
pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le
bureau de la première assemblée saisie (ce qui était le cas en l'espèce), le Conseil constitutionnel
en a déduit dans cette même décision qu'« il ne résulte ni de l'article 38 de la Constitution ni
d'aucune autre de ces dispositions qu'un amendement autorisant le Gouvernement à prendre
par voie d'ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ne puisse être
déposé devant la seconde assemblée saisie, fût-ce immédiatement avant la réunion de la
commission mixte paritaire ».

Si l'habilitation peut donc provenir d'un amendement du Gouvernement, encore faut-il que cet
amendement respecte les conditions de recevabilité de droit commun et qu'il ne soit pas
dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie.

Le Conseil constitutionnel a ainsi été amené, dans une décision du 25 janvier 2007 (n° 2007-
546 DC), à censurer une mesure d'habilitation qu'il a jugée dépourvue de tout lien avec l'objet
initial du texte. Il s'agissait d'une habilitation du Gouvernement à modifier par ordonnance les
dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement, qui avait été introduite par
amendement du Gouvernement dans le projet de loi de ratification de l'ordonnance n° 2005-
1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression
de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions. Conformément à sa
jurisprudence antérieure, le Conseil constitutionnel a rappelé à cette occasion que le
complément ajouté à l'intitulé initial du projet de loi afin de faire référence à l'habilitation ainsi
insérée était sans effet sur la régularité de l'adoption de ce « cavalier ». En conséquence, il a
d'ailleurs lui-même rectifié l'intitulé du texte pour supprimer la référence à la mesure
d'habilitation annulée.

Dans sa décision n° 2007-552 DC du 1er mars 2007, le Conseil constitutionnel a de nouveau


censuré une mesure d'habilitation, qui tendait à autoriser le Gouvernement à prendre par
ordonnance des mesures relatives au recours à l'arbitrage par les personnes morales de droit
public. En effet, il a considéré cette habilitation comme dépourvue de tout lien avec l'objet du
projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs, au sein duquel elle avait été
insérée par un amendement du Gouvernement.

140
De même, dans sa décision n° 2012-649 DC du 15 mars 2012, le Conseil constitutionnel a
censuré deux mesures d'habilitation ajoutées en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale car
« ces adjonctions, n'étaient pas à ce stade de la procédure, en relation directe avec une
disposition restant en discussion [et] qu'elles n'étaient pas non plus destinées à assurer le
respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à
corriger une erreur matérielle. »

4. Le caractère impersonnel de la loi d'habilitation

Un arrêt du Conseil d'État en date du 5 mai 2006, à propos d'une ordonnance n° 2005-647 du
6 juin 2005 modifiant le code des juridictions financières prise sur le fondement de l'article 64
de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, a permis de préciser le
caractère impersonnel des lois d'habilitation.

S'agissant d'une ordonnance prise par le Gouvernement de M. Dominique de Villepin sur le


fondement d'une habilitation demandée et obtenue par le Gouvernement précédent, dirigé par
M. Jean-Pierre Raffarin, la question posée était de savoir si l'article 38 de la Constitution
réservait au seul Gouvernement en fonction au moment du vote de la loi d'habilitation le pouvoir
de prendre des ordonnances.

Après avoir rappelé les termes du premier alinéa de l'article 38 de la Constitution, le Conseil
d'État a affirmé, dans un considérant de principe, que « sous réserve de précisions contraires
apportées par la loi d'habilitation prise sur le fondement de ces dispositions, l'autorisation
donnée par le Parlement produit effet jusqu'au terme prévu par cette loi, sauf si une loi
ultérieure en dispose autrement, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le Gouvernement
en fonction à la date de l'entrée en vigueur de la loi d'habilitation diffère de celui en fonction à
la date de signature d'une ordonnance ». Constatant en l'espèce, d'une part, que le délai
d'habilitation n'était pas expiré et, d'autre part, qu'il ne ressortait pas des termes de la loi
d'habilitation que le législateur ait habilité le seul Gouvernement en fonction à la date de son
entrée en vigueur, le Conseil d'État a conclu à la légalité de l'ordonnance contestée. En statuant
par cet arrêt de principe sur une question non tranchée jusque là par la jurisprudence, le Conseil
d'État a consacré un usage constant sous la Ve République, la pratique montrant que de
nombreuses lois d'habilitation ont été utilisées par un autre Gouvernement que celui investi
initialement de l'autorisation. Ainsi, les ordonnances publiées entre la date de prise de fonctions
de François Hollande, président de la République, le 15 mai 2012 et le 13 février 2013
s'appuient sur des articles d'habilitation accordées au Gouvernement précédent.

B. LA PRATIQUE

Le nombre annuel de lois comportant une ou plusieurs mesures d'habilitation varie entre zéro

141
et douze, pour un total de 126 en trente ans (1984-2013). Plus de la moitié de ces lois a été
adoptée ces sept dernières années.

Année Nombre de lois contenant des mesures


Nombre d'habilitations
d'habilitation

1984-2000 14 14

2001 3 7

2002 5 5

2003 7 37

2004 9 82

2005 10 14

2006 9 18

2007 12 16

2008 10 21

2009 9 25

2010 11 24

2011 8 22

2012 8 20

2013 11 24

2001-2013 112 315

Total 126 329

5. La période la plus récente a consacré de nouvelles pratiques en ce qui concerne le support ainsi que
l'origine de la demande d'habilitation

a) Des projets d'habilitation aux articles d'habilitation

De 1984 à l'été 2001, les habilitations accordées, à l'exception d'une seule, ont pour origine des

142
projets de loi ayant pour objet exclusif d'autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance.
L'exception concerne, en 1985, la Nouvelle-Calédonie : l'habilitation résultait de l'article 27 de
la loi n° 85-892 du 23 août 1985 qui avait un objet plus étendu puisqu'elle était relative à
l'évolution de cette collectivité. Ainsi, entre 1984 et 2000, il y a eu 22 articles d'habilitations
correspondant à 22 lois d'habilitation.

Depuis la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, les habilitations résultent
généralement d'un ou de plusieurs articles d'une loi ayant un objet plus large : entre 2001 et
2013, 315 habilitations ont été accordées par le Parlement par l'intermédiaire de 112 lois.

La quasi-totalité des habilitations ainsi consenties ces douze dernières années résultent non de
lois d'habilitation proprement dites mais de dispositions de textes ayant un champ d'application
plus large, à l'exception de :

- la loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance,


des mesures d'urgence pour l'emploi ;

- la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations


entre l'administration et les citoyens ;

- la loi n° 2013-569 du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de
nature législative pour accélérer les projets de construction.

En 2012, le Parlement a adopté 20 habilitations en examinant huit textes, et en 2013, 24


habilitations ont été consenties dans 11 textes différents.

L'actualisation du droit applicable à l'outre-mer ainsi que la démarche engagée de


simplification du droit sont les deux principaux facteurs explicatifs de cette évolution.

Une prise de conscience nouvelle de la nécessité d'actualiser le droit applicable outre-mer a


conduit à l'adoption de nombreuses mesures d'habilitation entre 2002 et 2013 :

- en 2002 et 2003, sur 12 lois contenant des mesures d'habilitation, 11 ont concerné l'extension
à l'outre-mer des dispositions législatives adoptées pour la métropole ;

- en 2005 et en 2010, la moitié, ou plus, des articles d'habilitation ont été pris en vue de
l'actualisation du droit applicable outre-mer ;

143
- en 2007, sept des dix lois publiées comportant des mesures d'habilitation ont concerné
spécifiquement l'adaptation du droit applicable outre-mer.

- en 2010, la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 du 7 décembre 2010 relative au Département


de Mayotte a accordé deux habilitations dont une au périmètre très large puisqu'il s'est agi
d'étendre ou d'adapter à Mayotte le contenu de pas moins 26 législations dans une mesure et
selon une progressivité adaptées aux caractéristiques et contraintes particulières de ce
département. 17 ordonnances publiées sur le fondement de ces articles. L'adoption de cinq
lois de simplification du droit depuis 2003 a également contribué à la déconnection entre
le nombre d'articles d'habilitation et le nombre de lois comportant un article
d'habilitation.

Loi Articles Nombre


d'habilitat d'ordonnances
ion publiées

Loi n° 2003-591 du 2 juillet 30 40


2003 habilitant le
Gouvernement à simplifier le
droit

Loi n° 2004-1343 du 9 60 69
décembre 2004 de
simplification du droit

Loi n° 2007-1787 du 20 2 2
décembre 2007 relative à la
simplification du droit

Loi n° 2009-526 du 12 mai 9 23


2009 de simplification et de
clarification du droit et
d'allègement des procédures

Loi n° 2011-525 du 17 mai 3 1


2011 de simplification et
d'amélioration de la qualité du
droit

Les lois n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit et


n° 2004-1343 du décembre 2004 de simplification du droit comportaient à elles seules 90
articles d'habilitation, soit un tiers des articles d'habilitation adoptés entre 2001 et 2011.

Par ces deux lois, les années 2003 et 2004 marquent un tournant dans l'utilisation de l'article 38

144
de la Constitution : le champ des habilitations est désormais très vaste et les domaines juridiques
concernés sont très divers. Ainsi en 2004, le Gouvernement a été autorisé à légiférer par
ordonnance dans des domaines aussi divers que les relations des usagers avec les
administrations, le droit des sociétés, la santé et la protection sociale, la filiation, le droit de
l'urbanisme et de la construction, le droit de la concurrence, l'agriculture ou encore le droit de
l'environnement. 109 ordonnances ont été publiées entre le 1er aout 2003 et le 9 juin 2006 sur
le fondement de ces habilitations.

Les lois de simplification adoptées entre 2007 et 2011 reviennent à un usage plus modéré de la
législation par voie d'ordonnance, ne comprenant à elles trois « que » quatorze articles
d'habilitation.

b) Des articles d'habilitation souvent introduits par voie d'amendement

(1) La censure de l'initiative parlementaire en 2005

L'article 93 de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration,


au séjour des étrangers en France et à la nationalité a été introduit par voie d'amendement
)
parlementaire17(* , alors même que l'article 38 de la Constitution désigne le seul Gouvernement
comme titulaire du droit d'initiative. Saisi de cette loi, le Conseil constitutionnel n'a pas relevé
ce point de procédure dans sa décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, qu'il conclut par
la mention selon laquelle « il n'y a lieu, [...] de soulever d'office aucune autre question de
conformité à la Constitution ».

Le Conseil constitutionnel n'avait pas davantage émis d'observation sur ce point dans sa
décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003 sur la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le
droit, alors que cinq des trente-sept articles de ce texte ayant pour objet une habilitation avaient
)
pour origine un amendement parlementaire18(* . L'année 2004 a fourni cinq nouveaux
exemples d'insertion de mesures d'habilitation sur initiative parlementaire : l'un figure à
l'article 3 de la loi n° 2004-237 du 18 mars 2004 portant habilitation du Gouvernement à
transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines
dispositions du droit communautaire ; les quatre autres résultent des articles 34, 35, 54 et 81 de
)
la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit19(* .

Notons qu'une nouvelle fois le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2004-506 du


2 décembre 2004 sur cette dernière loi de simplification du droit, n'a fait aucune observation
sur ce point.

En revanche, alors qu'il n'était saisi de cette question ni par les députés, ni par les sénateurs, le

145
Conseil constitutionnel a censuré l'article 10 de la loi relative aux compétences du tribunal
d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, qui avait pour objet
d'autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures permettant de rendre
applicables cette loi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et à
Mayotte (décision n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005). Il a ainsi affirmé qu'il résultait du
premier alinéa de l'article 38 de la Constitution que « seul le Gouvernement [pouvait] demander
au Parlement l'autorisation de prendre de telles ordonnances » et, après avoir observé que
« l'article 10 figurait dans le texte initial de la proposition de loi », il a estimé « qu'en l'absence
de demande du Gouvernement » cette disposition devait être déclarée contraire à la
Constitution.

En dépit de cette jurisprudence, on peut encore dénombrer en 2005 trois mesures


d'habilitation d'initiative parlementaire.

La première concerne l'adaptation outre-mer de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 relative à la


situation des maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat, issue d'une
proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale et non déférée au Conseil constitutionnel ;
figurant à l'article 6 de la loi, la mesure d'habilitation résulte du texte de la proposition de loi
soumis au vote de l'Assemblée nationale par la commission des affaires culturelles, familiales
et sociales, saisie au fond.

La deuxième autorise le Gouvernement à procéder par ordonnance à la création de la partie


législative du code de l'énergie ; inscrite à l'article 109 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005
de programme fixant les orientations de la politique énergétique, elle a pour origine un
amendement adopté par le Sénat en première lecture, le 10 juin 2004, sur proposition de la
commission des affaires économiques, saisie au fond, avec l'avis favorable du Gouvernement ;
toutefois dans un souci de sécurité juridique, afin d'éviter une éventuelle censure, l'article
contenant la mesure d'habilitation a été entièrement réécrit par un amendement du
Gouvernement adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, le 29 mars 2005. Dans sa
décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005 sur cette loi de programme, le Conseil
constitutionnel n'a formulé aucune observation sur cette mesure d'habilitation.

La troisième a pour objet de permettre l'adaptation à Saint-Pierre-et-Miquelon de la loi n° 2005-


82 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises ; elle est prévue par l'article 102
de cette loi qui résulte du texte de la commission mixte paritaire ; cependant, le Conseil
constitutionnel, dans sa décision n° 2005-523 DC du 29 juillet 2005, n'a pas soulevé d'office la
question de la conformité à la Constitution de cette nouvelle mesure d'habilitation d'initiative

146
parlementaire.

En revanche, d'autres nouvelles tentatives d'habilitation d'initiative parlementaire n'ont pas


abouti. Par exemple, au cours de la discussion au Sénat du projet de loi d'orientation agricole,
le 3 novembre 2005, M. Charles Revet a retiré un amendement tendant à habiliter le
Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code général des collectivités
territoriales relatives aux sections de commune, le rapporteur de la commission des affaires
économiques ayant fait valoir, avec l'approbation du ministre, que cet amendement était
contraire à la Constitution, se référant à la décision précitée du Conseil constitutionnel du
)
20 janvier 2005 sur la loi relative aux juges de proximité20(* .

Par ailleurs, au cours de cette même séance du 3 novembre 2005 au Sénat, la discussion de
l'article 3 du projet de loi d'orientation agricole, par lequel le Gouvernement demandait une
habilitation pour modifier par ordonnance les dispositions du code rural relatives au statut du
fermage, a donné lieu à un débat sur l'opportunité du recours aux ordonnances. Plusieurs
sénateurs de l'opposition ont en effet dénoncé ce « déni du rôle du Parlement », selon
l'expression de Mme Yolande Boyer. En particulier, M. Paul Raoult a déploré que le recours
accru aux ordonnances conduise à « réduire le pouvoir des législateurs "comme une peau de
chagrin" ».

Pour apaiser les inquiétudes des parlementaires, et en réponse aux demandes de précision du
rapporteur, M. Gérard César, qui s'était également déclaré « un peu allergique aux
ordonnances » tout en les jugeant « parfois nécessaires », M. Dominique Bussereau, ministre
de l'agriculture, a fait distribuer en séance le projet d'ordonnance mis en cause afin d'éclairer le
Sénat sur son contenu.

À partir de 2006, on ne relève plus d'articles d'habilitation d'origine parlementaire.

(2) L'augmentation sensible des amendements gouvernementaux

Pour les douze lois des années 2002 et 2003 comportant des mesures d'habilitation isolées,
l'article d'habilitation figurait généralement dans le projet de loi initial. Dans trois cas
cependant, il en va différemment :

- il en est ainsi pour l'article 6 de la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la


responsabilité médicale qui résulte d'un amendement gouvernemental présenté au cours de la
première lecture d'une proposition de loi devant le Sénat ;

147
- de même, l'article 46 de la loi d'orientation et de programmation n° 2003-710 du 1er août 2003
pour la ville et la rénovation urbaine est issu d'un amendement du Gouvernement présenté sur
le projet de loi en première lecture à l'Assemblée nationale ;

- l'article 93 de la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 (cf. supra).

Le Gouvernement utilise ainsi le droit, qui lui a été expressément reconnu par le Conseil
)
constitutionnel dans sa décision n° 2006-534 DC du 16 mars 200621(* , de demander au
Parlement l'autorisation de prendre des ordonnances en application de l'article 38 de la
Constitution, non seulement par le dépôt d'un projet de loi, mais également par voie
d'amendement à un texte en cours d'examen.

En effet, sur les dix-huit articles d'habilitation figurant dans les lois promulguées en 2006,
cinq résultent d'un amendement présenté par le Gouvernement au cours de la discussion
du texte, et un d'un sous-amendement gouvernemental à un amendement d'initiative
sénatoriale.

Le Conseil constitutionnel a précisé, dans cette même décision du 16 mars 2006, qu'aucune
disposition constitutionnelle n'interdisait au Gouvernement de déposer un amendement
l'autorisant à prendre des ordonnances devant la seconde assemblée saisie, « fût-ce
immédiatement avant la réunion de la commission mixte paritaire ». Tel a en particulier été le
cas de l'article 32 de la loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 relative au retour à l'emploi et sur les
droits et les devoirs des bénéficiaires des minima sociaux, tendant à habiliter le Gouvernement
à instituer à titre expérimental un contrat de transition professionnelle, qui résulte d'un
amendement adopté au cours de la discussion au Sénat.

Entre 2007 et 2011, la proportion d'ordonnances publiées sur la base d'un article d'habilitation
adopté par voie d'amendement est significative malgré des variations importantes d'une année
sur l'autre :

− en 2007, 7 ordonnances sur 13 se fondent sur un article d'habilitation adopté par voie
d'amendement gouvernemental ;

- en 2008, 6 des 27 des ordonnances publiées résultent d'un article d'habilitation ajouté en cours
de navette ;

- en 2009, 13 ordonnances sur 41 se fondent sur un article d'habilitation adopté par voie
d'amendement ;

148
- en 2010, cette proportion est de 52 %, soit 13 des 25 ordonnances publiées ;

- en 2011, 15 des 37 ordonnances publiées résultent d'un article d'habilitation adopté par voie
d'amendement, soit dans un projet de loi (pour six d'entre elles), soit dans une proposition de
loi (pour neuf d'entre elles).

Au total, entre 2007 et 2011, 37 % des 145 ordonnances publiées se fondent sur une
habilitation consentie après adoption d'un amendement du Gouvernement. Il convient de
noter que les amendements insérant des mesures d'habilitation sont en général proposés par le
Gouvernement lors de la première lecture de la première assemblée saisie.

En 2012 et 2013, la proportion d'ordonnances publiées sur la base d'une habilitation


adoptée par voie d'amendement diminue considérablement puisque seules 6 ordonnances
répondent à cette hypothèse sur les 53 ordonnances publiées ces deux années. Ceci s'explique
notamment par le nombre important d'ordonnances relatives aux outre-mer dont les articles
)
d'habilitation étaient prévus dès le dépôt des projets de loi22(* .

(3) L'examen des articles d'habilitation

Sur une période de vingt ans (1984-2003), les deux tiers des projets de texte contenant des
mesures d'habilitation ont été déposés et discutés en premier lieu devant l'Assemblée
nationale.

Toutefois, la fréquence du dépôt en priorité devant le Sénat s'est nettement accrue à partir de
1999 puisque sur la dizaine de textes déposés sur son bureau au cours des vingt années
considérées, sept l'ont été depuis cette date. En 2004, cinq des neuf lois contenant des mesures
d'habilitation ont fait l'objet d'un examen en priorité par le Sénat. En 2005, quatre des dix lois
comprenant des articles d'habilitation ont été examinées en premier lieu au Sénat ; cependant,
le seul projet de loi ayant exclusivement pour objet une habilitation, relatif aux mesures
d'urgence pour l'emploi, a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. En 2006, parmi
les cinq lois qui comportaient dans le texte du projet de loi initial des mesures d'habilitation,
deux ont été déposées en premier lieu au Sénat et trois à l'Assemblée nationale.

En 2007, on dénombre six lois qui prévoyaient des mesures d'habilitation dès le stade du projet
de loi initial, dont la moitié avait été déposée sur le bureau du Sénat et l'autre moitié sur le
bureau de l'Assemblée nationale.

Pour les années 2008 à 2011, le tableau ci-dessous indique la première assemblée saisie de
l'article d'habilitation à l'origine des ordonnances publiées pendant ces quatre années.

149
Ordonn Articles Articles
ances d'habilitation d'habilitation
publiée présents dans les résultant d'un
s sur le projets de loi amendement du
fondem initiaux Gouvernement
ent de
l'art. 38

Pre Asse S Asse S


mièr mblé é mblé é
e e n e n
asse natio a natio at
mblé nale t nale
e
saisi
e

2008 27 10 1 4 2
1

2009 41 28 0 10 3

2010 25 7 5 13 0

2011 37 5 1 10 5
7

Tota 130 50 3 37 1
l 3 0

Sur les 130 ordonnances publiées entre 2008 et 2011, 87 ordonnances résultent d'un article
d'habilitation d'abord examiné à l'Assemblée nationale. Sur ces 87 ordonnances, 37 sont issues
d'un amendement déposé à l'Assemblée nationale par le Gouvernement. Sur cette période, le
Sénat aura discuté en premier lieu de l'habilitation de 46 % des ordonnances publiées,
majoritairement dans le cadre d'articles d'habilitation proposés dès le dépôt de projets de loi.

6. Les délais d'habilitation se sont sensiblement allongés au cours des dernières années et l'habilitation a
parfois dû être renouvelée ou prorogée

a) Des délais hétérogènes

Les délais d'habilitation consentis par le Parlement au Gouvernement pour prendre des
ordonnances se sont sensiblement allongés au cours de la période la plus récente : jusqu'en
2001, le délai n'était qu'exceptionnellement d'un an ou davantage, tandis qu'à partir de 2002

150
une année a constitué la norme.

S'agissant des habilitations concernant les outre-mer, le délai est le plus souvent supérieur à
celui prévu pour l'adoption des autres ordonnances, ce qui s'explique par la double nécessité de
prévoir des adaptations tenant compte des spécificités locales et de consulter les assemblées
délibérantes. En 2003, la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer
prévoit même, selon les domaines de l'habilitation, des délais de dix-huit, vingt-quatre ou trente
mois.

Entre 1984 et 2001, le délai imparti oscille en général entre trois et neuf mois. Il a cependant
été une fois inférieur à deux mois et une autre fois de plus de dix-huit mois.

En 2004, les délais impartis pour prendre les ordonnances sont de six, neuf, douze, quinze, dix-
huit ou vingt-quatre mois. Seule la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du
droit prévoit certains délais inférieurs à un an ; dans tous les autres cas, le délai est au minimum
fixé à douze mois, ce qui confirme la tendance à l'allongement.

En 2005, les délais d'habilitation fixés sont allés de deux mois, s'agissant des mesures d'urgence
pour l'emploi prévues par la loi d'habilitation n° 2005-846 du 26 juillet 2005, à trente-six mois
pour le code de l'énergie et le code des mines prévus par l'article 109 de la loi n° 2005-781 du
13 juillet 2005, le délai le plus fréquemment choisi étant de douze mois.

En 2006, les délais d'habilitation ont été fixés entre deux mois (pour l'expérimentation du
contrat de transition professionnelle prévu par la loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 et pour
l'ordonnance relative aux sociétés anonymes de crédit immobilier prévue par l'article 51 de la
loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006) et dix-huit mois (pour trois mesures d'adaptation du droit
applicable outre-mer).

Entre 2007 et 2013, 56 % des délais d'habilitation sont compris entre 12 et 18 mois, et près
d'un tiers varie entre 6 et 9 mois. Le délai le plus couramment usité est de 12 mois.

Sur l'ensemble de la période 2007-2013, les délais s'échelonnent de 2 mois à 36 mois. Quelques
cas particuliers sont ainsi à noter :

- entre 2007 et 2013, seuls cinq habilitations sur 151 avaient des délais inférieurs à 6 mois (un
de 3 mois, trois de 4 mois et un de 5 mois) ;

− en 2007, deux articles d'habilitation ont fixé une date limite à laquelle l'ordonnance

151
devait avoir été publiée. L'ordonnance prise pour adapter ou rendre applicables dans
certains territoires d'outre-mer les dispositions de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007
portant réforme de la protection juridique des majeurs devait être, aux termes de l'article
43 de la dite loi, publiée avant le 1er janvier 2009, soit un délai de près de 20 mois. De
même, l'adoption par voie d'ordonnance de la partie législative du code des transports
devait être réalisée avant le 31 décembre 2008 selon l'article 28 de la loi n° 2007-1787
du 17 décembre 2007 relative à la simplification du droit, soit un délai d'un peu plus
)
d'un an. De même en 2013, trois ordonnances23(* ont été publiées avant une date
expressément fixée par les deux articles d'habilitation présents au sein des lois n° 2012-
1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme et
n° 2012-1460 du 28 décembre 2012 relative à la mise en oeuvre du principe de
participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement ;

- en 2009, l'article 92 de la loi n° 2009-526 de simplification et de clarification du droit et de


l'allègement des procédures administratives a accordé au Gouvernement un délai de 24 mois
pour créer les parties législatives du code des transports, du code minier et du code de l'énergie
et codifier un certain nombre de dispositions dans le code de l'environnement et le code de la
défense ;

- certaines habilitations relatives à l'outre-mer sont à « double détente » dans la mesure où


le délai ne commence à courir qu'à compter de la date de publication de l'ordonnance applicable
sur le territoire métropolitain et dont le délai de publication est généralement fixé à un autre
article d'habilitation. Par exemple, l'article 91 de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de
régulation bancaire et financière prévoit des ordonnances pour adapter ou rendre applicables
outre-mer les ordonnances prises pour la métropole sur le fondement d'autres articles
d'habilitation de la même loi. Le délai est de six mois à compter de la publication des
ordonnances pour la métropole, ces dernières devant elles-mêmes être publiées dans les 12 mois
qui suivent la publication de la loi précitée ;

- en 2012, le III de l'article 51 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification


du droit et à l'allégement des démarches administratives a accordé un délai de 36 mois pour la
publication d'une ordonnance relative aux mesures complémentaires nécessaires pour adopter
une définition unique des éléments pris en compte pour le calcul des cotisations de sécurité
sociale et contributions sociales et des droits à prestations en espèces. Un tel délai est
exceptionnel en ce qu'il constitue un dessaisissement particulièrement long du Parlement.

152
b) Le renouvellement des habilitations

Certaines habilitations sont renouvelées. En 2004, la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004


de simplification du droit a renouvelé, pour des délais variables allant de 6 à 18 mois, certaines
habilitations non utilisées de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à
simplifier le droit, les ordonnances prévues n'ayant pu être finalisées dans les délais initialement
fixés. Ces habilitations concernaient :

- le code de l'organisation judiciaire (habilitation prévue au 4° de l'article 33 de la loi du 2 juillet


2003 et renouvelée à l'article 86 de la loi du 9 décembre 2004, ce qui a finalement abouti à
l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006 portant refonte du code de l'organisation judiciaire et
modifiant le code de commerce, le code rural et le code de procédure pénale) ;

- le code de l'artisanat, le code des propriétés publiques et le code monétaire et financier


(habilitation prévue aux 1°, 2° et 4° de l'article 34 de la loi du 2 juillet 2003 et renouvelée aux
articles 89 et 90 de la loi du 9 décembre 2004, ce qui a donné lieu à la publication de
l'ordonnance n° 2005-429 du 6 mai 2005 modifiant le code monétaire et financier) ;

- les marchés publics (habilitation prévue à l'article 5 de la loi du 2 juillet 2003 et renouvelée à
l'article 65 de la loi du 9 décembre 2004, ce qui a permis la publication des ordonnances
n° 2005-645 du 6 juin 2005 relative aux procédures de passation des marchés publics des
collectivités territoriales et n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines
personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics) ;

- la substitution de régimes de déclaration à certains régimes d'autorisation préalable pour les


entreprises (habilitation prévue à l'article 22 de la loi du 2 juillet 2003 et renouvelée à l'article
27 de la loi du 9 décembre 2004) ;

- le régime social des travailleurs indépendants (habilitation prévue au 5° de l'article 24 de la


loi du 2 juillet 2003 et renouvelée au 12° de l'article 71 de la loi du 9 décembre 2004, ce qui a
permis la publication des ordonnances n° 2005-299 du 31 mars 2005 relative à la création à titre
provisoire d'institutions communes aux régimes de sécurité sociale des travailleurs
indépendants, n° 2005-1528 du 8 décembre 2005 relative à la création du régime social des
indépendants et n° 2005-1529 du 8 décembre 2005 instituant un interlocuteur social unique
pour les indépendants) ;

- et l'exercice des activités relatives à l'organisation et à la vente de séjours ou de voyages


(habilitation prévue à l'article 27 de la loi du 2 juillet 2003 et renouvelée à l'article 88 de la loi
du 9 décembre 2004, ce qui a donné lieu à la publication de l'ordonnance n° 2005-171 du 24
février 2005 relative à l'organisation et à la vente de voyages et de séjours).

153
? De même, en 2005, dans deux cas, les habilitations ont consisté en réalité à renouveler des
habilitations précédemment accordées par le Parlement, concernant le domaine public et privé
des personnes publiques et le régime juridique des organismes de placement collectif dans
l'immobilier (OPCI) (articles 48 et 50 de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance
et la modernisation de l'économie) :

- En ce qui concerne le droit du domaine public et privé, une première habilitation résultant de
l'article 34 de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003 précitée avait autorisé le Gouvernement à
prendre par ordonnance des mesures d'ordre législatif dans ce domaine, avec pour perspective
la rédaction d'un code des propriétés publiques, le délai d'habilitation, fixé à dix-huit mois,
courant jusqu'au 3 janvier 2005.

Dans ce délai, le Gouvernement avait pris une ordonnance (n° 2004-825 du 19 août 2004
relative au statut des immeubles à usage de bureaux et des immeubles dans lesquels est effectué
le contrôle technique des véhicules et modifiant le code du domaine de l'État), mais n'avait pas
épuisé le champ de l'habilitation.

Aussi, lors de la discussion de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 précitée, le


Gouvernement a-t-il demandé la prorogation de l'habilitation à rédiger un code des propriétés
publiques, ce qui a donné lieu à l'adoption de l'article 89 de ladite loi, résultant d'un amendement
gouvernemental reprenant les termes exacts de la précédente habilitation en prolongeant sa
durée pour six mois, c'est-à-dire jusqu'au 10 juin 2005.

L'article 48 de la loi du 26 juillet 2005, qui figurait dans le projet de loi initial, a renouvelé cette
même habilitation pour neuf mois supplémentaires, ce qui a permis la publication de
l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la
propriété des personnes publiques ;

- En ce qui concerne le régime juridique des OPCI, une première habilitation du Gouvernement
à prendre une ordonnance dans ce domaine avait été accordée par l'article 81 de la loi n° 2004-
1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, pour une durée de six mois. L'ordonnance
n'ayant pu être finalisée dans ce délai, une nouvelle habilitation a été accordée, pour un délai
de trois mois, par l'article 50 de la loi du 26 juillet 2005, résultant de l'adoption d'un
amendement gouvernemental adopté par le Sénat en première lecture. Il est à noter que
l'initiative de ce renouvellement avait en fait été prise par la commission des finances du Sénat,
qui a en séance retiré son amendement au profit d'un amendement identique du Gouvernement.
Cette nouvelle habilitation a permis la publication de l'ordonnance n° 2005-1278 du 13 octobre
2005 définissant le régime juridique des organismes de placement collectif immobilier et les
modalités de transformation des sociétés civiles de placement immobilier en organismes de

154
placement collectif immobilier.

En outre, une autre prorogation de délai d'habilitation a été effectuée par une modification de
l'article d'habilitation initial. L'article 10 de la loi n° 2005-809 du 20 juillet 2005 relative aux
concessions d'aménagement a en effet prorogé de six mois le délai accordé au Gouvernement
par l'article 92 de la loi du 9 décembre 2004 pour réformer par ordonnance les différents
régimes d'enquêtes publiques, en se contentant de modifier la date limite de prise des
ordonnances figurant dans l'habilitation initiale.

Le délai initialement envisagé par le Gouvernement pour prendre cette ordonnance était de dix-
huit mois à compter de la promulgation de la loi, mais le Parlement avait préféré le réduire à un
an.

Ce délai n'ayant pas suffi pour achever l'élaboration de cette ordonnance, il a été porté sur
proposition du Gouvernement, en première lecture du projet de loi relatif aux concessions
d'aménagement à l'Assemblée nationale, à dix-huit mois. En dépit de cette prorogation,
l'ordonnance n'a cependant pas été prise dans le délai imparti.

? En 2006, à nouveau deux habilitations ont eu pour objet de renouveler des habilitations
précédemment consenties pour des travaux de codification non achevés dans les délais prévus.

D'une part, l'article 55 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au


développement des transports a prorogé de six mois, par une simple modification de références,
le délai accordé au Gouvernement par l'article 92 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004
pour procéder par ordonnance à l'adoption de la partie législative du code des transports,
initialement fixé à dix-huit mois à compter de la publication de cette dernière loi. Cependant,
nonobstant de cette prorogation, l'habilitation n'a pu être utilisée dans le délai imparti qui a
expiré le 10 décembre 2006.

D'autre part, les travaux de réécriture du code du travail n'ayant pu être menés à bien dans les
délais initialement fixés, l'article 57 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le
développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions
d'ordre économique et social a renouvelé pour une durée de neuf mois l'habilitation qui avait
été donnée au Gouvernement par l'article 84 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 pour
procéder à l'« adaptation » de la partie législative du code du travail afin d'y inclure les
dispositions de nature législative non encore codifiées ou de remédier aux éventuelles erreurs
ou insuffisances de codification, la nouvelle habilitation précisant explicitement que cette
adaptation devait être effectuée « à droit constant ». Cette habilitation a finalement donné lieu
à la publication de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail.

155
Par ailleurs, sur l'initiative de la commission des finances de l'Assemblée nationale, l'article 27
de la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition a procédé à
la correction d'une erreur matérielle qui s'était glissée dans la rédaction de l'article 48 de la
loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie, qui avait
renouvelé, pour une durée de neuf mois à compter de sa publication, l'habilitation du
Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures législatives tendant à modifier et à
compléter le droit du domaine des personnes morales de droit public. Cette erreur matérielle a
ainsi pu être corrigée moins d'un mois avant l'expiration du délai fixé pour l'habilitation.

Celle-ci a finalement donné lieu à la publication de l'ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006,


qui comporte dans ses visas la référence à la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance
et la modernisation de l'économie, modifiée par la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative
aux offres publiques d'acquisition, notamment son article 48.

Il est à noter que l'amendement de la commission des finances de l'Assemblée nationale s'étant
limité à la simple correction d'une erreur matérielle, il peut ne pas être considéré comme une
habilitation d'initiative parlementaire, qui aurait été contraire à la jurisprudence du Conseil
constitutionnel résultant de la décision précitée n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005. La loi
n° 2006-387 du 31 mars 2006 n'ayant pas été déférée au Conseil constitutionnel, celui-ci n'a
cependant pas été appelé à se prononcer sur ce point.

? En 2007, trois habilitations ont à nouveau consisté en réalité à renouveler des habilitations
déjà consenties précédemment. Dans deux cas sur trois, il s'agissait de permettre l'achèvement
de travaux de codification n'ayant pu être menés à bien dans les délais prévus.

Premièrement, l'habilitation prévue par la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de


simplification du droit pour procéder à l'adoption de la partie législative du code général de la
fonction publique n'ayant pu être utilisée dans le délai imparti de 18 mois, elle a été reprise à
l'article 56 de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique,
qui laisse au Gouvernement un nouveau délai de 18 mois pour réaliser cette codification.

Deuxièmement, le Gouvernement s'est trouvé dans l'impossibilité de respecter le délai de 18


mois prévu par l'article 5 de la loi n° 2005-811 du 20 juillet 2005 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers pour prendre par
ordonnance les mesures législatives de transposition de la directive 2004/39/CE du 21 avril
2004 concernant les marchés d'instruments financiers (dite directive MIF). En effet, les
négociations concernant la directive et le règlement d'application ont été particulièrement
longues et la transposition impliquait d'importantes modifications de la partie législative du
code monétaire et financier, ainsi que de nombreuses mesures réglementaires. Aussi le

156
Gouvernement a-t-il sollicité une nouvelle habilitation jusqu'au 1er novembre 2007, date
d'entrée en vigueur de la directive, qui lui a été accordée par l'article 9 de la loi n° 2007-212 du
20 février 2007 portant diverses dispositions intéressant la Banque de France. Cette nouvelle
habilitation a permis la publication de l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007, relative aux
marchés financiers.

Troisièmement, l'habilitation prévue par l'article 84 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004


de simplification du droit pour procéder à l'adoption de la partie législative du code des
transports, qui n'avait pu être utilisée dans le délai imparti, malgré une première prorogation de
six mois, a été renouvelée, jusqu'au 31 décembre 2008, par l'article 28 de la loi n° 2007-1787
du 20 décembre 2007 de simplification du droit.

? En 2012, l'article 114 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi
titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction
publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la
fonction publique a accordé une habilitation au Gouvernement afin de permettre l'adoption de
la partie législative du code de la fonction publique. Si l'article 114 précité se présente sous la
forme d'une nouvelle habilitation, il s'agissait initialement de prolonger de six mois
l'habilitation donnée par l'article 43 de la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 relative à la
rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction
publique qui a expiré le 6 janvier 2012.

7. Une situation nouvelle apparue depuis 2002 : l'habilitation non utilisée

a) Au cours des vingt années 1984-2003, l'habilitation demandée a toujours été utilisée, à deux
exceptions près

En 2002, deux mesures d'habilitation sont restées non appliquées, toutes deux concernant
l'actualisation du droit applicable outre-mer :

- la première, résultant de l'article 8 de la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de


programmation pour la sécurité intérieure, avait pour objet d'étendre par ordonnance, dans un
délai de neuf mois, deux dispositions de cette loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie
française, aux îles Wallis et Futuna, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon ;

- la seconde, résultant de l'article 6 de la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la


responsabilité médicale, tendait à rendre applicable cette loi ainsi que les dispositions relatives
à la réparation des conséquences des risques sanitaires instituées par la loi n° 2002-303 du

157
4 mars 2002 aux collectivités susvisées ainsi qu'au territoire des Terres australes et antarctiques
françaises ;

De même, en 2003, un certain nombre d'habilitations prévues par la loi n° 2003-591 du 2 juillet
2003 n'ont pas été utilisées par le Gouvernement. Hormis les habilitations renouvelées par la
)
loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, deux autres habilitations24(*
figurant dans la loi du 2 juillet 2003 ont finalement fait l'objet, non d'ordonnances, mais de
dispositions législatives spécifiques.

En revanche, l'habilitation prévue à l'article 11 de la loi du 2 juillet 2003, autorisant le


Gouvernement à prendre des mesures destinées à préciser les conditions d'établissement de la
possession d'état de Français, est restée inutilisée et aucune mesure législative n'a été adoptée
en ce domaine.

b) À partir de 2004, le nombre d'habilitations non utilisées augmente

À partir de l'année 2004, le nombre d'habilitations non utilisées augmente.

Ainsi en est-il :

- de l'habilitation prévue par l'article 75 de la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le


statut de certaines professions judiciaires et juridiques, des experts judiciaires, des conseils en
propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques, en vue de l'extension de
)
cette loi à l'outre-mer n'a pas été utilisée dans les délais fixés25(* ;

- de certaines habilitations prévues par la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de


simplification du droit. Si deux d'entre elles, concernant respectivement le code des propriétés
publiques et le régime juridique des organismes de placement collectif dans l'immobilier
(OPCI) ont fait l'objet d'un renouvellement en 2005, 12 autres habilitations de la loi du 9
)
décembre 2004, inutilisées dans les délais fixés, n'ont fait l'objet d'aucun renouvellement26(* ;

- de l'habilitation prévue à l'article 60 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 pour


simplifier et harmoniser les règles relatives aux enquêtes publiques, qui n'a pas donné lieu à une
ordonnance, en dépit de la prorogation du délai d'habilitation opérée par l'article 10 de la loi
n° 2005-809 du 20 juillet 2005 relatives aux concessions d'aménagement ;

- de l'habilitation du Gouvernement à élaborer par ordonnance un code des métiers et de


l'artisanat, initialement prévue par l'article 34 de la loi du 2 juillet 2003, puis renouvelée à
l'article 90 de la loi du 9 décembre 2004, et finalement restée inutilisée ; la rédaction du projet

158
d'ordonnance n'ayant pu être menée à bien dans les délais impartis en dépit du renouvellement
de l'habilitation, ce qu'a déploré la commission des affaires économiques du Sénat dans le cadre
de son contrôle de l'application des lois ;

− de l'élaboration des parties législatives du code de l'administration, du code de la


commande publique, du code général de la fonction publique et du code des
)
transports27(* . La publication des ordonnances n'a pas non plus pu être réalisée dans le
délai de 18 mois fixé par l'article 84 de la loi du 9 décembre 2004.

Il en a été de même de l'adaptation des parties législatives des codes de l'action sociale et des
)
familles, de la santé publique, de la sécurité sociale et du travail28(* , ainsi que de la
modification du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, pour lesquels les articles
84 et 85 de la loi du 9 décembre 2004 avaient fixé un délai d'habilitation de dix-huit mois ;

- de l'habilitation figurant à l'article 66 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de


financement de la sécurité sociale pour 2007, qui devait permettre au Gouvernement de prendre,
avant le 30 avril 2007, des mesures destinées à limiter les conséquences de la mise en jeu de la
responsabilité civile médicale et à maîtriser les charges en résultant pour les médecins
concernés, est restée inutilisée, les négociations engagées avec les professionnels sur ce sujet
n'ayant pu aboutir dans ce bref délai.

De même, diverses mesures d'habilitation à adapter par ordonnances le droit applicable outre-
mer, prévues par des lois adoptées en 2004, 2005 et 2006, sont restées inutilisées, aucune
)
ordonnance n'ayant été publiée dans le délai d'habilitation29(* .

Il est à noter qu'en 2007, nonobstant les dispositions de l'article 38 de la Constitution prévoyant
le dépôt d'un projet de loi de ratification « avant la date fixée par la loi d'habilitation », une
mesure d'habilitation n'a prévu aucun délai pour le dépôt du projet de loi de ratification : il s'agit
de l'article 14 de la loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier, qui habilite le
Gouvernement à étendre les dispositions de cette loi dans les collectivités d'outre-mer et en
Nouvelle-Calédonie. D'après les travaux préparatoires de ce texte, il semble avoir été considéré
que le délai d'un an à compter de la promulgation de la loi, fixé pour l'habilitation, s'appliquerait
)
également pour le dépôt du projet de loi de ratification30(* . En 2008, deux habilitations n'ont
pas été utilisées. Il s'agit d'une part, de l'extension et de l'adaptation à Mayotte de la loi n° 2008-
596 portant modernisation du marché du travail (article 10 de ladite loi) et d'autre part, de
l'extension et de l'adaptation à certains territoires d'outre-mer de la loi n° 2007-248 du 26 février
2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du

159
médicament (article 3 de la loi n° 2008-337 du 15 avril 2008 ratifiant l'ordonnance n° 2007-613
du 26 avril 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le
)
domaine du médicament). En outre, un article d'habilitation a été abrogé31(* . En 2009, n'a pas
été employée l'habilitation donnée par l'article 78 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 au
Gouvernement pour modifier la partie législative du code de la sécurité sociale et du code rural
afin de tenir compte, dans le cadre de la fusion des services de l'inspection du travail, de la
réorganisation des missions dans ces matières.

En 2010, huit habilitations n'ont pas donné lieu à la publication d'ordonnances. Il s'agit :

- des deux articles d'habilitation de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des
collectivités territoriales qui permettaient d'adapter aux départements et régions d'outre-mer
certaines dispositions de la loi ;

- d'un article d'habilitation de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation financière


relatif à la transposition de la directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil, du
16 septembre 2009, concernant l'accès à l'activité des établissements de monnaie électronique
et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements ;

- de deux articles d'habilitation de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement


national pour l'environnement, relatifs au droit applicable en Nouvelle Calédonie et à la
recodification du livre Ier du code de l'urbanisme. Cette dernière ordonnance n'a pu être publiée
avant l'expiration du délai « pour des raisons tenant à la gestion difficile du calendrier des
ordonnances durant le dernier trimestre de l'année 2011 et le premier trimestre de l'année
)
201232(* .» ;

- d'un article d'habilitation de la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du


dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique concernant
l'adoption de la partie législative du code général de la fonction publique. Cette habilitation a
expiré en janvier 2012 alors même que les travaux de la Commission supérieure de codification
étaient bien avancés puisque celle-ci a terminé en septembre 2011 l'examen de l'ensemble de la
partie législative dudit code. La nouvelle habilitation donnée au Gouvernement par l'article 114
de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 devrait permettre d'envisager la publication de
l'ordonnance d'ici à la fin de l'année et, ainsi, mettre fin à une entreprise de longue haleine : la
décision de principe de rassembler dans un code les textes intéressant la fonction publique a été
prise au mois de décembre 1995 et une première esquisse du plan et du périmètre du code a été
soumise à la Commission en décembre 1997 ;

− de deux articles d'habilitation de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme

160
du crédit à la consommation relatifs d'une part, à la refonte du code de la consommation
et, d'autre part, à la généralisation et au renforcement des contrôles et des sanctions en
matière de respect des obligations à l'égard de la clientèle dans les domaines des produits
et services financiers et d'assurance, des opérations de crédit, de la mise à disposition
de moyens de paiements et de la fourniture d'autres services bancaires.

S'agissant de la refonte du code de la consommation, qui a été décidée en 2008, les travaux de
la Commission supérieure de codification ont été interrompus compte tenu de la nécessité
d'intégrer les innovations portées par le projet de loi renforçant les droits, la protection et
)
l'information des consommateurs en cours de navette parlementaire33(* .

Par ailleurs, ont expiré plusieurs délais d'habilitations accordées en 2011. Ainsi en est-il :

- de l'habilitation donnée au Gouvernement par l'article 28 de la loi n° 2011-412 du 14 avril


2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence
financière de la vie politique pour adopter les dispositions de la partie législative du code
électoral, dont l'examen a pourtant été achevé par la Commission supérieure de codification à
la fin de l'année 2010 ;

- de l'habilitation consentie par l'article 11 de la loi n° 2011-302 du 22 mars 2011 portant


diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière de
santé, de travail et de communications électroniques, afin de prendre les mesures d'adaptation
liée à l'application du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du
30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, y compris celles nécessaires à leur
extension et à leur adaptation dans certains territoires d'outre-mer ;

- de l'habilitation accordée par l'article 197 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de


simplification et d'amélioration de la qualité du droit concernant la modification du code de
l'expropriation pour cause d'utilité publique afin d'y inclure des dispositions de nature
législative qui n'ont pas été codifiées, d'améliorer le plan du code et de donner compétence en
appel à la juridiction de droit commun.

En 2012, trois habilitations n'ont pas donné lieu à la publication d'une ordonnance. Il s'agit :

- de l'habilitation accordée par l'article 114 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à
l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels
dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions
relatives à la fonction publique prévoyant l'adoption de la partie législative du code de la
fonction publique ;

161
− de l'habilitation accordée par l'article 62 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative
à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives, concernant
l'adoption des mesures préparatoires nécessaires à la création d'une armoire numérique
sécurisée facilitant les démarches administratives des entreprises ;

- de l'habilitation accordée par l'article 28 de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative


à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer,
concernant l'extension ou l'adaptation à la Nouvelle-Calédonie les dispositions législatives
relatives aux compétences énumérées au 4° du III de l'article 21 de la loi organique n° 99-209
du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

* 1 Abrogé par la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995.

* 2 15 ordonnances sur 32 ont concerné l'outre-mer. Parmi les 15, deux-tiers ont modifié le
droit applicable à Mayotte.

* 3 Ce nombre prend en compte les deux ordonnances publiées mais devenues caduques faute
de ratification dans les délais.

* 4 Décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977 sur la loi autorisant le Gouvernement à modifier


par ordonnances les circonscriptions pour l'élection des membres de la chambre des députés
du territoire français des Afars et des Issas.

* 5 Décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 sur la loi autorisant le Gouvernement à


prendre diverses mesures d'ordre économique et social et décision n° 99-421 DC du
16 décembre 1999 sur la loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par
ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes.

* 6 Point presse de Mme Vallaud-Belkacem, porte-parole, du 3 janvier 2014

* 7 Projet n° 555 (2009-2010) transmis au Sénat le 11 juin 2010.

* 8 Séance du 1er octobre 2010, article 7 bis B.

* 9 Projet de loi n° 265 (2010-2011) déposé au Sénat le 26 janvier 2011.

* 10 Projet de loi n° 842 (2007-2008) déposé à l'Assemblée nationale le 28 avril 2008.

* 11 Décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, précitée : le fait de permettre au

162
Gouvernement de définir « un nouveau droit de la concurrence » et de conférer « une plus
grande liberté de gestion aux entreprises » « n'autorise pas pour autant le Gouvernement à
modifier ou à abroger l'ensemble des règles de droit civil, commercial, pénal, administratif ou
social intéressant la vie économique ».

* 12 Décision n° 81-134 DC du 5 janvier 1982 sur la loi d'orientation autorisant le


Gouvernement par application de l'article 38 de la Constitution à prendre des mesures d'ordre
social et décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 susvisée.

* 13 Décision n° 2007-559 DC du 6 décembre 2007.

* 14 Arrêt du Conseil d'État du 30 avril 1997, Association nationale pour l'éthique de la


médecine libérale ; arrêt du Conseil d'État du 27 avril 1998, Confédération des syndicats
médicaux français.

* 15 Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 sr la loi transférant à la juridiction judiciaire


le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, qui modifiait les dispositions d'une
ordonnance avant l'expiration du délai d'habilitation.

* 16 Décision du Conseil constitutionnel n° 86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986 sur la loi relative
à l'élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnance les
circonscriptions électorales.

* 17 Première lecture du projet de loi au Sénat, séance du 16 octobre 2003, amendement n° 121
présenté par M. Gélard et les membres du groupe de l'Union pour un mouvement populaire
tendant à insérer un article additionnel après l'article 44 ter.

* 18 Première lecture du projet de loi à l'Assemblée nationale, séance du 9 avril 2003 :


amendements n° 52 et n° 53 présentés par MM. Woerth et Philippe-Armand Martin pour le
premier et par M. Woerth pour le second, tendant respectivement à insérer un article
additionnel après l'article 6 ; amendement n° 104 présenté par M. Jean-Louis Léonard tendant
à insérer un article additionnel après l'article 22. Première lecture du projet de loi au Sénat,
séances des 6 et 7 mai 2003 : amendement n° 105 présenté par M. Sueur tendant à insérer un
article additionnel après l'article 1er et amendement n° 133 présenté par MM. Cointat, Del
Picchia et l'ensemble des membres du groupe de l'Union pour un mouvement populaire tendant
à insérer un article additionnel après l'article 12.

* 19 Origine de l'article 3 de la loi n° 2004-237 : amendement n° 2 présenté par M. Texier au


nom de la commission des affaires économiques en première lecture du projet de loi au Sénat
le 12 février 2004. Origine des articles 34, 35, 81 et 54 de la loi n° 2004-1343 : respectivement

163
les amendements n° 75, 76 et 85 présentés par M. Marini au nom de la commission des finances
en première lecture du projet de loi au Sénat le 14 octobre 2004 et l'amendement n° 56 rect.
présenté par M. Blanc au nom de la commission des lois en première lecture du projet de loi à
l'Assemblée nationale le 10 juin 2004.

* 20 Cf. amendement n° 732 rectifié présenté par M. Blanc et plusieurs de ses collègues, tendant
à insérer un article additionnel après l'article 3.

* 21 Cf. décision n° 2006-534 DC du 16 mars 2006 sur la loi pour le retour à l'emploi et sur
les droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux.

* 22 cf. en particulier l'article 30 de la loi n° 2010-1487 du 7 décembre 2010 relative au


département de Mayotte.

* 23 Ordonnances n°s 2013-518, 2013-519 et 2013-714.

* 24 Il s'agit des habilitations concernant d'une part, le nantissement des fonds de commerce
(habilitation prévue par le 1° de l'article 26), qui a fait l'objet des dispositions de l'article 3 de
la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 sur l'initiative économique et d'autre part, la simplification
des procédures de contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales (habilitation
prévue par l'article 28), qui a fait l'objet des dispositions de l'article 139 de la loi n° 2004-809
du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

* 25 Cependant, le Gouvernement a conservé la faculté de procéder à cette extension par


ordonnance dans le cadre de l'habilitation permanente que lui confère désormais l'article 74-
1 de la Constitution pour l'actualisation du droit applicable outre-mer, ce qu'il a fait en publiant
l'ordonnance n° 2006-639 du 1er juin 2006 portant extension et adaptation outre-mer de
dispositions réformant le statut des avocats, des notaires, des experts judiciaires, des conseils
en propriété industrielle et des administrateurs judiciaires, qui a été ratifiée par la loi n° 2007-
224 du 21 février 2007, dans le délai de dix-huit mois prévu par la Constitution

 26 Il s'agit des habilitations prévues à l'article 2 (harmonisation des règles de retrait


des actes administratifs) ; à l'article 22 (harmonisation de la définition des surfaces
bâties prises en compte pour l'application des législations de l'urbanisme, de l'habitat
et de la construction), à l'article 27 (substitution de régimes déclaratifs à certains
régimes d'autorisation administrative préalable pour les entreprises), à l'article 32
(simplification de certaines procédures effectuées par les juges d'instance), à l'article
59 (régime budgétaire et comptable applicable aux établissements publics à caractère
scientifique et technique), à l'article 56 (harmonisation du cadre législatif des
groupements d'intérêt public) et aux 2°, 3°, 7°, 9°, 13° et 15° de l'article 71 (dispositions

164
diverses en matière de sécurité sociale).

* 27 En dépit de la prorogation du délai d'habilitation de six mois réalisée par l'article 55 de


la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports.

* 28 Pour ce qui concerne le code du travail, l'habilitation a été renouvelée pour 9 mois par
l'article 57 de la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la
participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et
social, et a donné lieu à la publication de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007.
L'habilitation relative au code général de la fonction publique a également été renouvelée, pour
18 mois, par l'article 56 de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction
publique. Enfin, en ce qui concerne le code des transports, l'habilitation a été renouvelée,
jusqu'au 31 décembre 2008, par l'article 28 de la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007
relative à la simplification du droit.

* 29 Il s'agit des habilitations suivantes :

- article 12 de la loi n° 2004-237 (transposition de directives communautaires) ;

- article 39 de la loi n° 2004-800 (bioéthique) ;

- article 92 de la loi n° 2005-102 (handicapés) ;

- article 239 de la loi n° 2005-157 (développement des territoires ruraux) ;

- article 102 de la loi n° 2005-882 (petites et moyennes entreprises) ;

- article 21 de la loi n° 2005-1564 (assurances) ;

- article 102 de la loi n° 2006-11 (orientation agricole) ;

- article 18 de la loi n° 2006-586 (volontariat associatif).

* 30 Aux termes de l'article 14 de la loi n° 2007-1774, « le Gouvernement est autorisé à prendre


par voie d'ordonnance, dans un délai expirant le dernier jour du douzième mois suivant la
publication de la présente loi, les mesures permettant (...) ». Selon le rapport n° 11 (2007-2008)
présenté par M. Philippe Marini, au nom de la commission des finances du Sénat, « le
Gouvernement devra dans le même délai déposer devant le Parlement un projet de loi tendant
à la ratification des mesures ainsi adoptées, à peine de leur caducité ».

165
* 31 Article 35 de la loi n°2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence
au service des consommateurs.

* 32 Rapport annuel 2011, Commission supérieure de codification.

* 33 Le projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture en octobre
2011, modifié par le Sénat en première lecture au mois de décembre de la même année et en
attente d'une deuxième lecture à l'Assemblée nationale.

Source : Sénat, Web

Document n°74

Les ordonnances de l'article 38 ou les fluctuations contrôlées de la répartition des compétences


entre la loi et le règlement Michel VERPEAUX - Cahiers du Conseil constitutionnel n° 19 (Dossier : Loi et
réglements) - janvier 2006 Professeur à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris-I)
Directeur du Centre de recherches de droit constitutionnel

Les ordonnances, sous la Ve République, sont un moyen volontaire de méconnaître la


répartition des compétences normatives entre la loi et le règlement, même si elles constituent
une constitutionnalisation de la pratique des décrets-lois des Républiques précédentes, tout en
portant une dénomination bien monarchique, qui avait été oubliée depuis la Restauration et la
monarchie de Juillet.

L'actualité de l'été 2005 a suscité un regain d'intérêt politique pour les ordonnances, le pouvoir
exécutif ayant fait adopter la loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le Gouvernement à
prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi. L'hostilité de l'opposition a
conduit cette dernière à saisir le Conseil constitutionnel qui a, pour l'essentiel, confirmé sa
jurisprudence en matière d'ordonnances dans la décision 2005-521 DC du 22 juillet 2005.

Comme on le sait, les ordonnances sont multiples dans le texte de 1958, et elles sont
mentionnées aux articles 38, 47, 47-1 et 92. Il est remarquable que la loi constitutionnelle n°
2003-276 du 28 mars 2003 ait cru utile d'ajouter une catégorie à la longue liste des types
d'ordonnances, en insérant un article 74-1 nouveau qui autorise le Gouvernement à prendre,
pour les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie, des ordonnances pour étendre les
dispositions de nature législative en vigueur en métropole.

Les ordonnances ont en commun de posséder, dans un premier temps, une valeur réglementaire

166
puis, le cas échéant, une valeur législative, si l'on met à part les anciennes ordonnances prévues
par l'article 92, aujourd'hui abrogé par la loi constitutionnelle n° 95-880 du 4 août 1995, et qui
avaient, selon cet article " force de loi ".

S'agissant des ordonnances de l'article 38, qui retiendront seules l'attention dans ces lignes, elles
sont prises par le Gouvernement mais lors d'une délibération du Conseil des ministres. Elles
doivent donc être signées par le président de la République, par application de l'article 13 C.
L'autorisation, ou habilitation, est accordée par le Parlement, au Gouvernement, à la demande
de ce dernier. Le Parlement ne peut qu'accepter, refuser, ou, éventuellement, limiter la durée ou
la portée de l'habilitation demandée. Cette dernière est accordée pour une durée limitée, dans la
pratique, d'un mois à plus de trois ans et cette même loi doit également mentionner la date à
laquelle le projet de loi de ratification devra être déposé.

Alors que la répartition des compétences semblait avoir été opérée, dans la Constitution, au
profit du pouvoir réglementaire, selon les interprétations dominantes de la doctrine des débuts
de la Ve République, le constituant a cru nécessaire de donner, de manière supplémentaire, au
Gouvernement et, plus largement, au pouvoir exécutif, la compétence pour intervenir à la place
du Parlement. Les ordonnances constituent donc un moyen de modifier, de manière temporaire,
les limites entre le domaine de la loi et celui du règlement. La frontière entre les matières
législatives et réglementaires devient mobile, au gré des habilitations, mais aussi des
ratifications qui peuvent intervenir de manière tardive. Pour l'essentiel, le Gouvernement
maîtrise donc la procédure des ordonnances de l'article 38 et il détermine leur valeur juridique.
Il importe alors que ce déplacement de la frontière entre la loi et le règlement soit surveillé.

Le contrôle sur les ordonnances est opéré à plusieurs étapes, soit par le Conseil constitutionnel,
soit par le Conseil d'État, en fonction de la qualité, administrative ou législative, de l'acte déféré.
La loi d'habilitation comme la loi de ratification sont susceptibles d'être contrôlées par le juge
constitutionnel. S'agissant de cette dernière, le Conseil procède aussi au contrôle de la validité
des ordonnances ratifiées (déc. 156 DC du 28 mai 1983 et 84-170 DC du 4 juin 1984) et il a
admis très tôt que la ratification des ordonnances pouvait être implicite (déc. 72-73 L du 29
févr. 1972) et même " impliquée " selon l'expression de Louis Favoreu (déc. 86-224 DC du 23
janv. 1987).

Dans le cadre ici imparti, il a semblé intéressant de ne mettre l'accent que sur le contrôle de la
loi d'habilitation, opéré de manière préventive et prospective sur des dispositions dont l'essentiel
du contenu est à venir.

Deux points peuvent retenir l'attention: l'habilitation conditionne tout d'abord la liberté du
pouvoir réglementaire pour intervenir à la place du Parlement, ce qui interdit une habilitation

167
trop large. La loi est également soumise au respect de la Constitution que le juge constitutionnel
interprète de manière extensive. Ainsi est encadrée la plus ou moins grande liberté du
Gouvernement d'agir à la place du Parlement et de déplacer la frontière entre la loi et le
règlement.

I. Une habilitation délimitée

L'article 38 est relativement laconique quant aux conditions de son utilisation car il se contente
de disposer que " le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au
Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui
sont normalement du domaine de la loi ". Le Conseil constitutionnel a donc été amené à
l'interpréter pour mieux encadrer le processus d'habilitation, ce qui peut contribuer à limiter le
recours aux ordonnances, car une interprétation littérale de l'article 38 aurait pu conduire à une
utilisation plus abusive encore de la pratique des ordonnances. Le dernier espoir des opposants
est alors placé dans le Conseil constitutionnel dont on attend qu'il censure le recours trop
fréquent aux ordonnances. Cet espoir est souvent déçu même si le Conseil fait preuve d'une
certaine audace dans le contrôle des lois d'habilitation, en encadrant de manière précise
l'utilisation de cet " article clé de la Constitution de la Ve République ".

L'habilitation à recourir aux ordonnances concerne les matières législatives, mais pas toutes, et
elle doit guider avec une précision suffisante les ordonnances prises par le Gouvernement.

A. Une loi qui délimite temporairement une nouvelle frontière entre la loi et le règlement

Si le vote de la loi d'habilitation ne présente a priori aucune particularité quant au respect des
règles de procédure, son éventuel contrôle par le Conseil constitutionnel est nécessairement
spécifique car il porte sur une loi qui se contente d'autoriser l'édiction d'actes qui ne sont connus
que de manière trop imprécise et incomplète. L'article 38 ne prévoit aucune interdiction quant
au domaine dans lequel les ordonnances peuvent intervenir, sous réserve qu'il s'agisse de
matières relevant du domaine de la loi. Il s'agit des matières législatives qui sont, pour
l'essentiel, énumérées dans l'article 34 et auxquelles l'article 38 permet précisément de déroger,
puisqu'il mentionne " les mesures qui sont normalement du domaine de la loi ". La jurisprudence
est parfois fluctuante sur la délimitation du domaine qui peut faire l'objet d'ordonnances: tantôt
il s'agit des matières comprises dans l'article 34, tantôt des matières qui sont du domaine de la
loi, sans autre précision.

La distinction n'est pas seulement académique car les deux définitions ne se recoupent pas
intégralement. C'est ainsi que des dispositions fiscales peuvent faire l'objet d'une loi
d'habilitation, sans que l'article 14 de la Déclaration des droits s'y oppose, alors qu'il proclame

168
le principe du consentement à l'impôt, directement ou par l'intermédiaire de représentants. Cette
possibilité est justifiée, en outre, s'agissant de la matière fiscale, par l'article 34 qui la confie
précisément à la loi (déc. 95-370 du 30 déc. 1995, cons. 18 et s.). Mais la Constitution réserve
des matières précises à un certain type de lois et il ne peut exister pour celles-ci de lois
d'habilitation. Il s'agit des lois organiques, des lois de finances et des lois de financement de la
sécurité sociale. Pour les premières (déc. 81-134 DC du 5 janv., solution à peine implicite au
cons. 4), ce sont les garanties particulières qui les entourent qui justifient l'interdiction du
recours aux ordonnances, tels que le droit de veto du Sénat et le contrôle obligatoire du Conseil
constitutionnel. Les lois organiques concernées sont celles visées aux articles 46, 74 et 77 selon
la décision 99-421 DC du 16 décembre 1999. Parce que le domaine des lois organiques est
circonscrit par la Constitution, ce serait méconnaître la répartition opérée par la Constitution
que de ne pas faire adopter par une loi organique les dispositions qui doivent l'être. Il faut y
ajouter les lois organiques prévues par la Constitution depuis 1999, notamment celles insérées
par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

En ce qui concerne les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, dont
l'interdiction est mentionnée dans la décision 99-421 DC précitée (cons. 15), outre les raisons
justifiant l'exclusion des lois organiques, car les lois de finances et de financement connaissent
elles aussi des règles procédurales particulières, c'est l'existence d'autres mécanismes
d'ordonnances, prévus aux alinéas 3 de chacun de ces articles, qui peut expliquer l'interdiction
de la délégation. Dans ce dernier cas, comme dans la décision 506 DC (cons. 6) les interdictions
sont édictées de manière très explicite et plus aucun doute n'est permis. Ce rappel ne figure en
revanche pas dans la décision 521 DC.

Mais il ne suffit pas que la matière pour laquelle le Gouvernement a reçu une habilitation soit
une matière législative. De manière plus précise, la loi d'habilitation doit indiquer les
dispositions d'ordre législatif sur lesquelles le Gouvernement pourra intervenir et elle ne peut
se contenter de renvoyer de manière générale aux rubriques de l'article 34. L'autorisation doit
être adaptée au cas par cas.

B. Une loi suffisamment précise par son contenu

C'est dans la décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977 que le Conseil a affirmé, pour la première
fois mais de manière implicite et de façon quasi évidente, sa compétence pour contrôler les lois
d'habilitation par rapport à la Constitution, à commencer par l'article 38. Celui-ci affirme ainsi
que le Gouvernement ne peut agir que pour l'exécution de son " programme ". La référence à
ce dernier aurait pu faire écho à la notion de programme prévue à l'article 49, alinéa 1, qui
intéresse la mise jeu de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement. Si tel devait
être le cas, lorsque le Premier ministre n'a pas engagé sa responsabilité dans les conditions

169
prévues à l'article 49, l'habilitation ne pourrait être ni demandée ni obtenue. Ces conditions étant
réunies en 1976, le Conseil a néanmoins estimé que les deux notions de " programme " n'étaient
pas synonymes car cela conduirait à donner à la procédure de l'habilitation un champ
d'application illimité, ce qui se serait retourné contre les intentions des auteurs de la saisine
(cons. 3).

Le Conseil a profité de cette saisine pour préciser que l'article 38 faisait obligation au
Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement " lors du dépôt d'un projet de loi
d'habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des
mesures qu'il se propose de prendre " (cons. 2). Ainsi, si le " programme " n'est pas celui entendu
au sens général de l'article 49, il doit être celui du Gouvernement au moment où il sollicite une
loi d'habilitation. En lui imposant de préciser au Parlement les matières pour lesquelles il
sollicitait une habilitation, le Conseil restreint la notion de programme.

Mais le Conseil a indiqué ensuite que l'article 38 n'impose pas pour autant de " faire connaître
au Parlement la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette habilitation " (déc. 86-
207 DC 25-26 juin 1986, cons. 14 et 15, 86-208 DC des 1er et 2 juill. 1986 et déc. n° 99-421
DC du 16 déc. 1999, cons. 12, déc. 2003-473 DC du 26 juin 2003, cons. 4, déc. 2004-506 DC,
cons. 4, déc. 2005-521 DC, cons. 4). Une solution inverse conduirait en effet à nier l'intérêt
pour le Gouvernement de recourir aux ordonnances, si le détail de chaque texte devait être
connu dès le vote de la loi d'habilitation. Mais la jurisprudence du Conseil constitutionnel a
contribué à ce que l'autorisation parlementaire encadre strictement les compétences du
Gouvernement.

Cette jurisprudence est constamment réaffirmée, avec plus ou moins de nuances, le Conseil
exigeant désormais, non seulement que les finalités de l'habilitation soient précisées par la loi,
mais aussi que celle-ci détermine le domaine d'intervention des ordonnances (pour des
exemples récents, déc. 473 DC, cons. 4, déc. 506 DC, cons. 4, déc. 521 DC, cons. 5). Dans la
décision 99-421 DC, le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que l'ampleur des délégations
autorisées par le législateur n'était pas en soi contraire à l'exigence de précision de l'habilitation
législative. Mais dans le cadre de la loi du 16 décembre 1999, les délégations alors accordées
autorisaient seulement le Gouvernement à procéder à une codification à droit constant, c'est-à-
dire que les parlementaires étaient en mesure de connaître le contenu des futurs codes, bien
qu'éparpillé dans de nombreuses lois.

Or, dans la loi de simplification du droit du 2 juillet 2003, il n'était pas seulement question de
codification à droit constant, mais aussi plus généralement de simplification du droit (déc. 473
DC). Le Conseil a semblé considérer que la simplification du droit n'emportait pas plus de
dessaisissement du Parlement que la codification. Le Conseil constitutionnel avait déjà reconnu

170
conformes à la Constitution des lois d'habilitation opérant des délégations encore plus larges et
encore moins encadrées que celle qui était ici soumise à son contrôle (déc. n° 81-134 DC du 5
janv. 1982). L'ampleur des domaines d'intervention n'est pas en soi contraire à l'exigence de
précision de l'habilitation législative.

De manière équilibrée, c'est-à-dire de nature à ne pas empêcher le Gouvernement d'agir, mais


peut-être insatisfaisante par sa généralité, le Conseil se contente de relever, dans sa
jurisprudence la plus récente, que " les articles d'habilitation figurant dans la loi déférée
définissent le domaine d'intervention et les finalités des ordonnances avec une précision
suffisante au regard des exigences de l'article 38 de la Constitution ", sans explication
supplémentaire, alors même que les domaines d'intervention sont particulièrement nombreux
(déc. 2004-506 DC, cons. 4 et déc. 2005-521 DC, cons. 14). Dans la décision 2003-473 DC
(cons. 6 et s.), le Conseil constitutionnel avait vérifié en revanche plus concrètement le respect
de la Constitution par les articles de la loi soumise à son contrôle. Pour chacune des dispositions,
il a considéré que la finalité des autorisations délivrées au Gouvernement et les domaines dans
lesquels les ordonnances pouvaient intervenir étaient définis avec suffisamment de précision
pour satisfaire aux exigences de l'article 38 de la Constitution.

En procédant à un tel contrôle, le Conseil constitutionnel examine si la loi d'habilitation


correspond bien à la logique même de l'article 38, qui n'autorise pas une habilitation sans limite
du Gouvernement. De cette manière, il opère évidemment un contrôle de constitutionnalité,
comme lorsqu'il soumet cette même loi au respect de la Constitution dans son ensemble.

II. Une habilitation conditionnée

La banalisation du recours aux ordonnances est en effet souvent dénoncée par les auteurs des
saisines des lois d'habilitation, comme autant d'atteintes aux prérogatives du Parlement. On
trouve cette " irritation " exprimée dans la saisine relative à la loi habilitant le Gouvernement à
simplifier le droit et dans celle visée dans la décision 506 DC du 2 décembre 2004 dans laquelle
était dénoncé " le jeu des jeux des lois d'habilitations multiples " qui " pose un problème grave
au regard de l'esprit de l'article 38 de la Constitution et de l'objectif d'accessibilité et
d'intelligibilité de la loi " (opinion citée dans le cons. 2).

On retrouve la même argumentation dans la saisine visée dans la décision 2005-521 DC 22


juillet 2005, loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence
pour l'emploi.

A. Le respect des normes de valeur supérieure

En contrôlant les lois d'habilitation, le juge constitutionnel interprète à la fois la Constitution et

171
la loi d'habilitation en précisant ce que le Gouvernement peut faire et ne peut pas faire afin de
respecter et la Constitution et la loi d'habilitation. Il a en effet affirmé, depuis la décision 81-
134 DC, que le Gouvernement n'était pas dispensé, dans l'édiction des ordonnances, " du respect
des principes constitutionnels " (cons. 6), ce qui conduit le juge à vérifier la loi d'habilitation et
à la déclarer conforme " sous l'expresse condition qu'elle soit interprétée et appliquée dans le
strict respect de la Constitution " (déc. 207 DC, cons. 15). Le rappel de ce respect de la
Constitution est une constante dans la jurisprudence du Conseil, sous la réserve que la
Constitution est devenue " les règles et principes de valeur constitutionnelle ", ce qui renvoie à
la Constitution comprise dans son ensemble (déc. 207 DC, cons. 14, déc. 208 DC, cons. 8, déc.
421 DC, cons. 24, déc. 473 DC, cons. 10 et 24, déc. 506 DC, cons. 7, déc. 521 DC, cons. 7).
Les décisions 473 DC (cons. 10) et 521 DC (cons. 7) comprennent d'ailleurs une précision
importante en associant au respect de la Constitution celui des " normes internationales ou
européennes applicables ". On aurait pu voir, dans cette mention, l'apport de la jurisprudence
inaugurée par la décision 2004-496 DC du 10 juin 2004, si elle n'avait figuré que dans la
décision de 2005. Sa présence dans la décision 2003-473 DC prouve qu'il n'en est rien, sauf à
rappeler que ces normes s'imposent à la loi par application de l'article 55 C. À proprement
parler, cette obligation s'impose certes au Gouvernement et non au législateur. Mais il aurait été
paradoxal d'imposer à la loi d'habilitation le respect de la Constitution, tout en laissant libre le
Gouvernement de la méconnaître. Pour autant, ces ordonnances n'existent pas au moment où le
Conseil constitutionnel statue et, en tout état de cause, il n'est pas compétent pour en connaître.
Son contrôle s'effectue donc sur la loi d'habilitation et, indirectement, sur les ordonnances, ce
qui explique la formulation de ce considérant de principe selon lequel la loi d'habilitation ne
saurait avoir " ni pour objet ni pour effet " de dispenser le Gouvernement du respect de la
Constitution. Dans la décision 521 DC, le Conseil opère un contrôle détaillé de la violation
alléguée, pour rejeter le grief, des huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution
de 1946, ainsi que du principe d'égalité.

Par ce contrôle, le Conseil se situe dans une logique prospective, qui le conduit à anticiper le
contenu des futures ordonnances par rapport aux dispositions de la loi d'habilitation, parce qu'il
peut seulement " supposer " une future inconstitutionnalité.

Il y a donc aussi une dimension préventive dans le contrôle effectué. Dans les trois dernières
décisions relatives à des lois d'habilitation (473 DC, 506 DC, 521 DC), le Conseil n'a exprimé
des réserves d'interprétation que dans la première d'entre elles à propos des contrats de
partenariat (cons. 13 et s.).

B. Le respect de conditions jurisprudentielles

L'article 38 est un texte essentiellement procédural et qui s'intéresse surtout à la valeur

172
normative, qui est évolutive, des ordonnances. Il ne prévoit aucune condition de fond pour
justifier le recours aux ordonnances, si ce n'est la référence à la notion de " programme " déjà
examinée. Le Conseil constitutionnel rappelle d'ailleurs que " la Constitution ne soumet le
recours à cette procédure à aucune autre condition que celles énoncées à l'article 38... " (déc.
86-207 DC, cons. 3 et déc. 86-208, cons. 8).

Cet article 38 n'impose nullement l'urgence comme justificatif du recours aux ordonnances. Or,
il semble bien que celle-là soit considérée comme l'une des conditions fondant un tel recours,
au point, peut-être, d'en devenir la condition essentielle. Plus globalement, ce sont les obstacles
qui peuvent se dresser sur la route du Gouvernement qui justifient l'utilisation de l'article 38.

La référence à l'urgence à propos des ordonnances était apparue, incidemment, dans la décision
76-72 DC, dans laquelle le Conseil avait refusé l'amalgame entre les deux " programmes " des
articles 38 et 49, parce que l'idée d'urgence est étrangère à l'article 49, alinéa 1. L'assimilation
n'aurait en effet fait aucune place " pour une éventuelle justification de recours aux dispositions
de l'article 38, aux notions de circonstances imprévues ou de situation requérant des mesures
d'urgence " (cons. 3). Le Conseil laissait ainsi entendre que l'urgence pouvait être l'un des motifs
pouvant justifier le recours aux ordonnances. Il a pourtant apporté un bémol à cette idée dans
la décision 86-208 DC en précisant que l'utilisation de la procédure de l'article 38, prévue par
la Constitution, ne pouvait être restreinte " à l'intervention de mesures urgentes " (cons. 8).

Cette question est néanmoins apparue de manière criante avec le recours massif et répété aux
ordonnances, à partir de la décision 99-421 DC du 16 décembre 1999. Cette loi était une loi de
circonstance permettant au Gouvernement de sortir de " l'impasse parlementaire " dans le
domaine de la codification. Les auteurs de la saisine soutenaient que la seule mention du retard
enregistré dans la procédure de codification ne pouvait pas être une condition suffisante pour
justifier l'utilisation de la procédure de l'article 38, le Parlement n'étant pas informé du contenu
précis des différents codes, sauf à propos de quelques éléments épars.

Le Conseil a considéré cependant que l'urgence était en soi une des justifications susceptibles
d'être invoquée par le Gouvernement, l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire faisant
obstacle à l'achèvement de ces codes que l'intérêt général commandait pourtant de promulguer.
En outre, le périmètre des ordonnances était délimité par l'article 1er de la loi qui énonçait les
neuf codes qui devaient être adoptés sous forme d'ordonnances. La codification se faisant " à
droit constant ", le Parlement connaissait déjà le contenu des futurs codes, qui correspondait à
l'ensemble des dispositions législatives en vigueur au moment de la publication des
ordonnances. Le dessein du Gouvernement de simplifier le droit et de poursuivre sa codification
n'aurait pu être réalisé dans les meilleurs délais s'il avait été laissé aux bons soins du législateur
lui-même.

173
La décision 506 DC affirme ainsi que " l'urgence est au nombre des justifications que le
Gouvernement peut invoquer pour recourir à l'article 38 de la Constitution ", le Gouvernement
voulant " surmonter l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire " (cons. 5). Le Conseil
opère donc un contrôle de la constitutionnalité de cette condition en vérifiant désormais que
l'urgence est bien présente. Cela a comme conséquence qu'un Gouvernement ne peut plus
demander une telle habilitation sans se prévaloir d'une quelconque urgence. Alors qu'il s'agit
d'une condition ajoutée de manière jurisprudentielle, elle devient un élément du recours aux lois
d'habilitation. Le Conseil a ajouté, dans la décision 473 DC, que l'entreprise gouvernementale
de simplification du droit répondait à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et
d'intelligibilité de la loi. Ce rattachement de l'entreprise de simplification du droit à cet objectif
n'était pas nécessaire pour reconnaître la valeur constitutionnelle de l'habilitation législative
contestée; la seule exigence d'un caractère d'urgence aurait suffi en effet pour rendre conforme
à la Constitution le recours aux ordonnances.

Le Conseil a considéré, dans la décision 506 DC comme il l'avait fait dans sa décision 2003-
473DC, que la simplification et la codification du droit répondaient à l'objectif de valeur
constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et justifiaient à ce titre le recours à
l'article 38. Cette deuxième condition vient, d'une certaine manière, s'ajouter à celle de l'urgence
sans que l'on puisse clairement, dans ces deux cas, distinguer ce qui relève de l'urgence ou de
la satisfaction des objectifs constitutionnels, en tant que justification du recours aux
ordonnances.

Dans la décision 421 DC, le Conseil avait cru nécessaire de préciser que la codification à droit
constant répondait à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la
loi, en plus de l'urgence, un peu comme si cette dernière ne pouvait justifier à elle seule un tel
recours. Il en était de même dans la décision 473 DC.

Et dans la décision 506 DC, tout en reprenant ce qui est désormais un considérant de principe,
la similitude était facilitée par l'objet de ces différentes lois qui sont, notamment, des lois de
codification.

La décision 521 DC présente, sur ce plan, une originalité en ce qu'elle concerne une loi "
habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi ".
L'urgence est donc l'élément central de la loi elle-même, ce qui peut constituer la justification
du recours aux ordonnances.

En cherchant à ne pas priver d'effectivité un article 38 voulu par le constituant, le Conseil est
confronté à un délicat exercice d'équilibre entre le respect de celui-là avec les autres normes
constitutionnelles.

174
Source : Michel VERPEAUX - Cahiers du Conseil constitutionnel n° 19 (Dossier : Loi et
réglements) - janvier 2006

- Le référendum (article 11) qui peut court-circuiter le parlement et ce d’autant plus


depuis la révision du 31 juillet 1995, puisque le référendum peut porter sur “des
réformes relatives à la politique économique et sociale, et des services publics qui y
concourent” et depuis 2008 sur des questions environnementales. Ainsi, c’est sur une
grande partie du champ d’action traditionnel du gouvernement et du parlement, celui
des lois ordinaires, que le président de la république pourra désormais intervenir, en
faisant directement appel au peuple.
- L’article 16, article qui est potentiellement dangereux pour le maintien des libertés
individuelles et publiques en cas de victoire des « ennemis de la liberté ».

c) D’une façon générale, c’est l’exécutif qui a là aussi les moyens de diriger la procédure
législative.

Les propositions d’amendement à un texte de loi peuvent toujours être bloquées, malgré
la révision de 2008 .

Document n°75
ARTICLE 44. [dispositions en vigueur] Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit
d'amendement.
Après l'ouverture du débat, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été
antérieurement soumis à la commission
Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en
discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement.

ARTICLE 44. [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur
application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008)] Les membres du Parlement
et le Gouvernement ont le droit d'amendement. Ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions
fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique.
Après l'ouverture du débat, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été
antérieurement soumis à la commission
Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en
discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement.
En cas de désaccord entre l’assemblée nationale et le Sénat, le gouvernement peut faire
trancher cette dernière (article 45, alinéa 4). Le vote de la loi de finances obéit à une procédure
encore plus favorable au gouvernement selon l’article 47 de la Constitution.

Document n°76
ARTICLE 47. Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par une loi organique.
Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de quarante jours après le dépôt
d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé
dans les conditions prévues à l'article 45.

175
Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent
être mises en vigueur par ordonnance.
Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour
être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation
de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés.
Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n'est pas en session.
ARTICLE 47-1. Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions
prévues par une loi organique.
Si l'Assemblée nationale ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt
d'un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. Il est ensuite procédé
dans les conditions prévues à l'article 45.
Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être
mises en oeuvre par ordonnance.
Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n'est pas en session et, pour chaque
assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance, conformément au deuxième alinéa de
l'article 28.
ARTICLE 47-2. La Cour des comptes assiste le Parlement dans le contrôle de l'action du Gouvernement. Elle
assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des
lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques. Par ses rapports
publics, elle contribue à l'information des citoyens. Les comptes des administrations publiques sont réguliers et
sincères. Ils donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière.

Le budget doit être voté au terme d’un certain délai: si celui-ci n’est pas respecté, le budget peut
être mis en vigueur par ordonnances. Or, sous la IV° République, le refus de consentir un budget
à un gouvernement était une tactique parlementaire très connue qui le contraignait à se retirer,
faute de moyens, sans avoir été formellement renversé.

L’article 49-3 permet au gouvernement de faire adopter un projet de loi sans que le
Parlement ait pu le discuter. Il n’y avait pas de limite dans le recours à l’article 49-3:
jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Depuis 2008, cet article a été remanié afin de
restreindre le champ de son application.

Document n°77
ARTICLE 49. [dispositions en vigueur] Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage
devant l'Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une
déclaration de politique générale.
L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d'une motion de censure.
Une telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée
nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes
favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée.
Sauf dans le cas prévu à l'alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure
au cours d'une même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire.
Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du
Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme
adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les
conditions prévues à l'alinéa précédent.
Le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale.
ARTICLE 49. [entrée en vigueur le 1er mars 2009]
Le Premier ministre, après délibération du conseil des ministres, engage devant l'Assemblée nationale la
responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale.
L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d'une motion de censure. Une
telle motion n'est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée nationale.

176
Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la
motion de censure qui ne peut être adoptée qu'à la majorité des membres composant l'Assemblée. Sauf dans le cas
prévu à l'alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d'une
même session ordinaire et de plus d'une au cours d'une même session extraordinaire.
Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement
devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.
Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre
heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre,
recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session.
Le Premier ministre a la faculté de demander au Sénat l'approbation d'une déclaration de politique générale.

Selon Bastien François, la révision de 2008 semble tirer les conséquences de l’existence du
« fait majoritaire » en limitant les usages possibles de l’article 49/3, qui ne peut plus être utilisé
que pour les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale. Mais, et c’est là
que le bât blesse, le texte précise, dans le même mouvement, qu’ « en outre » le Premier
ministre peut recourir à cette procédure pour un autre texte par session . De deux choses l’une :
soit l’on considère que l’article 49/3 demeure utile en cas de majorité « relative » ou « instable »
(et on peut penser ici à la situation de Michel Rocard qui, entre 1988 et 1991, a utilisé 28 fois
cette procédure, pour faire adopter 12 textes, et a affronté alors 5 motions de censure) et alors
il ne faut absolument pas restreindre les utilisations de cet article ; soit on considère que le texte
est inutile compte tenu de la « majoritarisation » du système politique, que gouverner c’est aussi
convaincre sa propre majorité ou en constituer une autour de soi, et alors il faut effectivement
restreindre très fortement les utilisations possibles de l’article 49/3. La voie médiane n’a aucun
sens parce qu’elle ne limite rien : depuis 10 ans, cet article n’a été utilisé :
− que 3 fois (par Jean-Pierre Raffarin en février 2003 sur le mode d’élection des députés
européens et des conseillers régionaux, puis en juillet 2004 sur la loi relative aux
responsabilités locales ;
− par Dominique de Villepin en janvier 2006 sur la loi relative à l’égalité des chances) par
des gouvernements assurés d’une majorité totalement hégémonique à l’Assemblée
nationale. Autrement dit, dans sa formulation actuelle, la réforme ne change rien. A ce
jour, le gouvernement de Manuel Valls n'a utilisé le 49,3 qu'une seule fois en 2015 pour
la l'adoption de la loi Macron.

Ces mécanismes permettaient au gouvernement de faire passer sans trop d’encombres


ses projets de loi lorsque sa majorité était récalcitrante (gouvernement Barre de 1979 à 1981)
et surtout lorsqu’il ne dispose que d’une majorité relative (gouvernement Rocard de 1988 à
1991).
Mais c’est surtout l’existence d’une majorité qui permettait cette maîtrise. Depuis 1958,
à la différence de la IV° République, les gouvernements peuvent s’appuyer sur des majorités
loyales et cohérentes en règle générale. Les mécanismes du parlementarisme rationalisé étant
ce qu’ils sont, il suffisait que le gouvernement n’ait pas de majorité contre lui pour conduire la
procédure législative. Au fond le parlement avait une initiative restreinte, qu’il compensait par

177
son pouvoir d’amendements.

2°) Les trois scénari de la responsabilité ministérielle

Dans les institutions de la Vème République, il faut décider de renverser le


gouvernement, construire ce renversement et qu’une majorité absolue adhère à cette initiative.
Il en résulte que les abstentions ne sont plus comptabilisées au détriment du
gouvernement mais en sa faveur : qui n’est pas contre est considéré comme favorable au
maintien du gouvernement. Les députés sont obligés de prendre leur responsabilité ;
l’abstention dérobade ne peut plus contribuer à mettre en minorité un gouvernement.
Il en a résulté une très grande stabilité des gouvernements45.

a) Premier scénario : le Premier Ministre décide d’engager la responsabilité du gouvernement


sur son programme ou sur une “déclaration de politique générale”

Ce premier scénario(art 49, al 146) renvoie à la question de confiance classique, il y a


obligatoirement vote et la majorité requise pour obtenir la confiance est la majorité simple des
suffrages exprimés. C’est la procédure la plus risquée pour le gouvernement et comme le
Premier Ministre n’est pas obligé d’y avoir recours, elle a été peu utilisée par les chefs de
gouvernement successifs en cours de mandat.
Toutefois, une pratique s'est imposée, celle d'engager la responsabilité pour tout nouveaux
Premier ministre et gouvernement.

b) Second scénario : le Premier Ministre décide d’engager la responsabilité du gouvernement


sur le simple vote d’un texte

Lorsque le Premier ministre décide d’engager la responsabilité du gouvernement sur le simple


vote d’un texte (art 49, al 3), il provoque la réaction des députés et deux cas de figure se
présentent, lequel texte, aujourd’hui connaît comme nous venons de l'évoquer une limitation de
son champ du fait de la révision de 2008:
- ou ceux-ci décident de censurer le gouvernement et donc de mettre en oeuvre la
procédure de la motion de censure. Ils ont alors 24 heures pour le faire. On parle à ce
propos de motion de censure provoquée.
- Ou rien ne se passe ; auquel cas, la confiance est de facto accordée, le texte est considéré
comme adopté sans qu’il y ait eu besoin de recourir à un vote.
Cet article dans son alinéa 3 a été modifié – comme nous l'avons vu - en 2008
Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement
devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.
Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre

45
Un seul gouvernement a été renversé par une motion de censure, celui de Georges Pompidou en 1962, à
la suite de l’initiative du Président de la République de soumettre directement au référendum (art 11) un projet de
révision constitutionnelle qui relevait, selon la majorité des parlementaires de la procédure de l’article 89.
Gouvernement qui est resté en place en raison de l’exercice de son droit de dissolution de l’Assemblée nationale
par le général De Gaulle.

46 Document n°78
L’article 49 al 1 : “Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage
devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur
une déclaration de politique générale”.

178
heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre,
recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session

.Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée
dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa
précédent.

c) Troisième scénario : la motion de censure

Dans ce cas, c’est l’Assemblée Nationale qui met en cause la responsabilité du


gouvernement (art 49, al 247).
L’initiative doit donc venir des députés. On parle à ce propos de motion de censure
spontanée.

- Pour être recevable, une motion de censure doit être signée par un 1/10ème des membres de
l’Assemblée Nationale.

- Un même député ne peut signer plus de trois motions de censure au cours de la même session
ordinaire et plus d’une au cours d’une même session extraordinaire (non comptabilisés les
motions de censure provoqués par l’usage de l’article 49, al 3).
- Le vote ne peut avoir lieu que 48 heures après le dépôt de la motion.
Pour être adoptée, la censure doit avoir recueillie la majorité absolue des membres composant
l’Assemblée nationale. Ce qui signifie que seuls les votes favorables à la motion et donc hostiles
au gouvernement sont recensés, les abstentions n’étant donc pas hostiles.

3°) Le droit d’information

Tout parlement exerce à coté de ses missions législatives et de la responsabilité


ministérielle, des fonctions d’enquête. Elles sont très importantes aux Etats-Unis avec les
commissions qui peuvent citer à comparaître, sous peine de sanctions pénales. Il y a également
la pratique des “questions au gouvernement”, qui assure l’information des parlementaires et
qui connaît un grand succès au parlement britannique parce qu’elle s’y déroule de manière
impromptue. Par rapport à ces deux exemples, l’action du parlement français est plutôt en
retrait: les commissions ne doivent pas être crées ou maintenues sur des faits donnant lieu à
l’ouverture d’une information judiciaire et, pour éviter de revenir à la pratique de

47 Document n°79
L’article 49 al 2 : "L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le
vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au
moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son
dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la
majorité des membres composant l’Assemblée. (L. const. n° 95-880 du 4 août 1995) Sauf dans le cas prévu
à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure et de plus d’une
au cours d’une même session extraordinaire".

179
l’interpellation qui faisait tomber un gouvernement sous la III° et IV° République au terme d’un
débat anodin, il a été prévu que les questions orales avec débat ne pourraient pas être
sanctionnées par un vote.

Par ailleurs, après l’article 51 de la Constitution, il est ajouté un article 51-1 ainsi rédigé :
« Art. 51-1. - Le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes
parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes
d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires.

Il s’agit d’un article qui peut être très important. En effet, dans un régime majoritaire comme
le nôtre, seule l’opposition parlementaire a véritablement intérêt à exercer un contrôle
approfondi du gouvernement. Autrement dit, renforcer le Parlement c’est renforcer l’opposition
parlementaire. Mais, encore faut-il lui en donner les moyens. Et là, la réforme est pour le moins
silencieuse ; le fait d’en passer uniquement par le règlement de chaque assemblée est
problématique.
Par construction, le règlement auquel renvoie l’article pour définir concrètement les droits
respectifs de la majorité et de l’opposition ne pourra être adopté sans l’accord de la majorité
parlementaire. Le risque est réel, en pratique, de voir ces droits spécifiques réduits à la portion
congrue.

Enfin, on peut relever qu’est crée un défenseur des droits du citoyen.

Document n°80
Titre XI BIS
LE DÉFENSEUR DES DROITS
ARTICLE 71-1. [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur
application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008)] Le Défenseur des droits veille
au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements
publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique
lui attribue des compétences.
Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s'estimant lésée par le
fonctionnement d'un service public ou d'un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d'office.
La loi organique définit les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits. Elle détermine les
conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions.
Le Défenseur des droits est nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans non renouvelable,
après application de la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13. Ses fonctions sont incompatibles avec
celles de membre du Gouvernement et de membre du Parlement. Les autres incompatibilités sont fixées par la loi
organique.
Le Défenseur des droits rend compte de son activité au Président de la République et au Parlement.

Le Défenseur des droits, Jacques Toubon en 2015, appuyée sur une administration établit des
rapports notamment sur les inégalités salariales entre hommes et femmes dans la fonction
publique, les discriminations à l'emploi, la prise en charge des handicapés ….
Selon Bastien François, la focalisation de la réforme sur le Défenseur des droits des citoyens
fait apparaître, par contraste, les manques criants de la réforme, s’agissant par exemple de la
garantie constitutionnelle du pluralisme, en particulier dans les médias (s’agissant notamment
du rôle du CSA).

180
SECTION III: Le contrôle de constitutionnalité

Le conseil constitutionnel est l’institution la plus originale de la Vème République.


L’idée d’un contrôle de conformité des lois à la Constitution ne répondait pas en effet à la
tradition française. Car un tel contrôle est contraire à la primauté de la loi dans la tradition
républicaine française “en tant qu’expression de la volonté générale” (art 6 de la DDH) et,
depuis l’expérience des parlements d’Ancien Régime, au refus du gouvernement des juges.
Relevons que le général de Gaulle avait pour souci d'éviter ce qu'il considérait comme une
dérive américaine aboutissant à une forme de « gouvernement des juges » : pour lui, « la [seule]
cour suprême, c'est le peuple», mais Michel Debré précisait le but originel: « Ce qu'il nous faut,
c'est une arme contre la déviation du régime parlementaire ».

Au départ, le conseil constitutionnel a le rôle de gardien de la constitution conféré au Sénat dans


les deux constitutions d’inspiration bonapartiste, Sénat qui était destiné à garantir un pouvoir
autoritaire contre tout risque peu vraisemblable de débordement du législatif.

Mais avec des attributions qui dépassent celles du comité constitutionnel de la IVème
République dont le rôle était trop limité par les textes illustrant plus l’incompatibilité bien
française entre contrôle de constitutionnalité des lois et principes républicains que les prémisses
d’une véritable cour constitutionnelle.

Il reste que la place et le rôle du Conseil constitutionnel dans nos institutions se trouve
plus dans l’observation de la pratique constitutionnelle de cette institution que dans l’analyse
de la volonté des constituants de 1958. En effet, il était initialement conçu comme un organe de
régulation technique des pouvoirs publics constitutionnels au service, pour l’essentiel, du
gouvernement, c’est par sa jurisprudence qu’il s’est progressivement affranchi de ce rôle pour
devenir un juge constitutionnel à part entière. Toutefois, le Conseil Constitutionnel n’apparaît
pas comme une véritable juridiction car sa composition s’élabore sur des critères largement
politiques : ce sont là des caractéristiques qui en font un mécanisme institutionnel de la
procédure législative plus qu’un tribunal qui juge.

A) Organisation et attributions du Conseil constitutionnel (Titre VII de la Constitution)

1°) Composition et statut des membres du Conseil constitutionnel

Selon l’article 56, Le Conseil constitutionnel se compose de 9 membres choisis et


nommés : trois par le Président de la République, trois par le président de l’Assemblée nationale
et trois par le président du Sénat. La présidence du Conseil est assurée par l’un des membres,

181
désigné par le Président de la République. Désignés pour neuf ans, ils sont renouvelables par
tiers tous les trois ans. Ils ne sont pas révocables.
A ces membres nommés, peuvent s’ajouter les membres de droit, que sont les anciens
présidents de la République. M. Valéry Giscard d’Estaing y siège que depuis 2004, Jacques
Chirac n'y siège plus depuis mars 2011 et Nicolas Sarkozy n'y siège plus depuis juillet 2013.

Cet article 56 a été légèrement modifié en 2008, comme nous l’avions noté. « La procédure
prévue au dernier alinéa de l’article 13 est applicable à ces nominations. » Suite à la Loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008, les désignations des membres du Conseil constitutionnel
peuvent faire l'objet d'un veto des commissions permanentes, et compétentes en matière de
nomination des deux chambres parlementaires. L'addition des votes négatifs doit représenter au
moins 3/5e des suffrages exprimés. Cette procédure a été mise en place par la loi organique du
23 juillet 2010. Dans les autres pays d'Europe, les assemblées parlementaires effectuent la
désignation des membres des cours constitutionnelles par un vote, le plus souvent à la majorité
qualifiée. Cette majorité est de 2/3 des voix en Allemagne, de 3/5 en Espagne et de 2/3 ou de
3/5 en Italie.
Jack Lang, entre autres personnalités, a développé l'idée que le Conseil constitutionnel devrait
disposer d'« un véritable statut de cour suprême », s'accompagnant d'un changement du mode
de nomination des conseillers, qui seraient directement « élus par le Parlement à une majorité
des trois cinquièmes » et parmi lesquels ne siègeraient plus de droit les anciens présidents de la
République, disposition dans laquelle il voit « une survivance du passé ».

Document n°82

Composition actuelle du Conseil


Nom Mandat Nommé par
Jean-Louis Debré
2007-2016 Jacques Chirac
(président)
Valéry Giscard d'Estaing 1981-à vie Membre de droit, il ne siège que depuis 2004.
Membre de droit, il ne siège plus depuis mars
Jacques Chirac 2007-à vie
2011
Membre de droit, il ne siège plus depuis juillet
Nicolas Sarkozy 2012-à vie
2013
Guy Canivet 2007-2016 Jean-Louis Debré
Renaud Denoix de Saint
2007-2016 Christian Poncelet
Marc

182
Nom Mandat Nommé par
Michel Charasse 2010-2019 Nicolas Sarkozy
Hubert Haenel 2010-2019 Gérard Larcher
Claire Bazy-Malaurie 2010-2022 Bernard Accoyer, Claude Bartolone
Nicole Maestracci 2013-2022 François Hollande
Nicole Belloubet 2013-2022 Jean-Pierre Bel
Lionel Jospin 2015-2019 Claude Bartolone

Aucune qualification d'âge ou de profession n'est requise pour devenir membre du Conseil
constitutionnel. Cependant, la fonction de conseiller est incompatible avec celles de membre
du gouvernement ou du Conseil économique et social, ainsi qu'avec tout mandat électif. Pendant
la durée de leurs fonctions, les membres du Conseil ne peuvent être nommés à un emploi public,
ni recevoir de promotion au choix s'ils sont fonctionnaires.

En cas de nomination en remplacement d'un membre empêché de finir son mandat, le mandat
du remplaçant peut être prolongé de la durée d'un mandat complet si, à l'expiration du mandat
du conseiller remplacé, le remplaçant n'a pas occupé cette fonction pendant plus de trois ans,
comme c'est le cas pour Claire Bazy-Malaurie qui a remplacé Jean-Louis Pezant en septembre
2010 et a vu son mandat être prolongé en 2013 jusque 2022. Les membres du Conseil
constitutionnel peuvent choisir de cesser leurs fonctions. Ils peuvent être déclarés
démissionnaires d'office en cas d'incompatibilité, d'atteinte à l'indépendance et la dignité de la
fonction ou d'incapacité physique permanente constatées par le Conseil constitutionnel.

Du point de vue de l'organisation, les services administratifs du Conseil constitutionnel sont


dirigés par le secrétaire général, nommé par décret du Président de la République. Ces services
emploient 55 personnes, tous services confondus et comprennent un service juridique composé
d'administrateurs des assemblées parlementaires, de magistrats de l'ordre judiciaire ou
administratif, ou d'universitaires, un service administratif et financier, un service de la
bibliothèque, de la documentation et de l'informatique, et un service de presse. Les services du
Conseil emploient également un chargé de mission et un ou deux stagiaires. Le Conseil
comprend un greffe créé par Olivier Schrameck, et le secrétariat se voit adjoindre une dizaine
de rapporteurs issus du Conseil d'État et de la Cour des comptes lorsqu'il statue en matière
électorale. Le Conseil constitutionnel jouit de l'autonomie financière ; son président en fixe le
budget dont la dotation est inscrite dans le projet de loi de finances au titre de la mission
« Pouvoirs publics ».

183
2°) La saisine du Conseil Constitutionnel

Il n’existe pas de saisine populaire.


Le citoyen ne pouvait pas saisir directement le Conseil jusqu'en 2008. A la différence de ce qui
se passe dans d’autres pays, comme en Italie par exemple, la saisine était donc réservée aux
instances politiques. Par ailleurs, il n’existe pas de procédure d’auto-saisine. Le Conseil ne peut
se saisir lui-même et s’ériger ainsi en gardien de la Constitution.

Il existe donc trois procédures permettant le contrôle du Conseil constitutionnel :

− un cas de saisine automatique et obligatoire, précisé à l’article 61 al1 : « les lois


organiques avant leur promulgation et les règlements des assemblées parlementaires,
avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel » et dans
l'article 46 : « Les lois auxquelles la Constitution confère le caractère de lois organiques
sont votées et modifiées dans les conditions suivantes : Le projet ou la proposition ne
peut, en première lecture, être soumis à la délibération et au vote des assemblées qu'à
l'expiration des délais fixés au troisième alinéa de l'article 42. Toutefois, si la procédure
accélérée a été engagée dans les conditions prévues à l'article 45, le projet ou la
proposition ne peut être soumis à la délibération de la première assemblée saisie avant
l'expiration d'un délai de quinze jours après son dépôt. La procédure de l'article 45 est
applicable. Toutefois, faute d'accord entre les deux assemblées, le texte ne peut être
adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture qu'à la majorité absolue de ses
membres. Les lois organiques relatives au Sénat doivent être votées dans les mêmes
termes par les deux assemblées. Les lois organiques ne peuvent être promulguées
qu'après déclaration par le Conseil constitutionnel de leur conformité à la
Constitution ».
Il n'a également pas besoin d'être saisi dans le cas d'un référendum d'origine parlemento-
populaire prévu par l'article 11.

-Dans tous les autres cas, la saisine est facultative et elle appartient :
- au Président de la République ;
- au Premier Ministre ;
- aux Présidents des deux chambres législatives ;
- et, depuis la réforme du 29 octobre 1974, à 60 députés ou 60 sénateurs (une minorité
parlementaire peut par conséquent saisir le Conseil).

Depuis 2008, une nouvelle saisine est rendu possible lors d’une procédure judiciaire.

Document n°83
ARTICLE 61-1. [Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur
application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008)] Lorsque, à l'occasion d'une
instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du
Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article.

184
Cette procédure, dite « question prioritaire de constitutionnalité », est encadrée par une loi
organique, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er mars 2010.

On offre aux justiciables la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel afin que ce


dernier apprécie la conformité des lois qui leur sont appliquées aux droits fondamentaux
reconnus par la Constitution.

L'objectif de cette QPC est d'ouvrir à toute personne la possibilité de contester, par voie
d'exception à l'occasion d'une procédure juridictionnelle, la constitutionnalité de dispositions
de lois, dès lors que ces dispositions porteraient atteinte à ses droits fondamentaux, entraînant
la possible annulation de lois déclarées inconstitutionnelles a posteriori.

La question prioritaire de constitutionnalité remplit un triple objectif :

 purger l'ordre juridique des dispositions inconstitutionnelles


 permettre aux citoyens de faire valoir les droits qu'ils tiennent de la Constitution, et
surtout de son préambule
 assurer la prééminence de la Constitution dans l'ordre juridique interne

La réforme, initiée par Robert Badinter en 1990, semble faire aujourd’hui une relative
unanimité, tout en mesurant les bouleversements qu’elle entraîne dans l’ordre juridique
français.

Document n°84

La saisine du Conseil constitutionnel sous certaines


conditions
LEMONDE.FR avec AFP | 22.06.10 | 16h19

La saisine du Conseil constitutionnel par un justiciable en France, tel que le permet


depuis le 1er mars une loi dans le pays, est compatible avec le droit communautaire
européen, à certaines conditions, a estimé, mardi 22 juin, la Cour européenne de justice
(CEJ).

185
La CEJ a souligné dans un arrêt qu'il faut que les juges français soient libres, "à tout
moment de la procédure" et "même à l'issue d'une procédure incidente de contrôle de
constitutionnalité", de saisir la justice européenne s'ils l'estiment nécessaire.

Depuis l'introduction, le 1er mars, de la "question prioritaire de constitutionnalité"


(QPC), un citoyen peut contester une loi ou disposition législative en saisissant
indirectement le Conseil constitutionnel, via une procédure qui comporte plusieurs
"filtres".

Les juges administratifs et judiciaires de première instance transmettent la demande du


justiciable au Conseil d'Etat ou à la Cour de Cassation qui examinent de leur côté s'il y a
lieu de saisir les 11 sages.

Mais, à l'occasion de l'examen d'une QPC d'un ressortissant algérien, en situation


irrégulière en France et arrêté en Belgique par la police française, la Cour de cassation
avait préféré transmettre le dossier à la CEJ plutôt que devant le Conseil constitutionnel.

La Cour de cassation demandait notamment à la CEJ de se prononcer sur la conformité


au droit européen de la réforme instaurant la QPC. Elle avançait que les décisions du
Conseil constitutionnel n'étant susceptibles d'aucun recours cela empêcherait, le cas
échéant, de saisir la Cour européenne de justice. Cette interprétation était contestée par
des juristes et certains législateurs. "Il appartient à la juridiction de renvoi (en
l'occurrence la Cour de cassation) de vérifier si la législation nationale peut être
interprétée conformément aux exigences du droit de l'Union", a affirmé la CEJ dans son
arrêt.

Le 12 mai, à l'occasion de la décision rendue sur la loi relative aux jeux d'argent et de
hasard en ligne, le Conseil constitutionnel avait expliqué que son rôle se limitait au
contrôle de la conformité des lois à la Constitution et qu'il ne lui revenait pas de contrôler
la compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux et européens.

La guerre des juges aura bien lieu


LEMONDE.FR | 22.06.10 | 09h18 • Mis à jour le 22.06.10 | 18h47

Philippe Blacher et Florence Chaltiel, professeurs de droit public

La Cour de cassation a déclaré la guerre au Conseil constitutionnel. Elle a en effet défrayé


la chronique le 16 avril, en décidant, à l'occasion d'une "question prioritaire de
constitutionnalité" (QPC), de saisir d'abord – et c'est le d'abord qui compte – la Cour de

186
justice européenne. Son argument tient dans l'autorité qui s'attache aux décisions du juge
constitutionnel. Selon elle, ce dernier jugeant conforme à la Constitution la loi contestée,
l'impossibilité de saisir la cour de justice européenne s'ensuivrait. Cette décision, qui ne
respecte peut-être pas la lettre des dispositions sur la QPC, n'en avait pas moins le mérite
de soulever l'incongruité de la distinction entre contrôle de constitutionnalité et contrôle
de conventionnalité. Comment en effet comprendre que deux types de juges doivent se
prononcer, à des moments différents, sur des droits fondamentaux qui sont souvent les
mêmes, selon qu'ils figurent dans la Constitution ou dans un traité ? C'est sans doute ce
qu'a voulu dire la cour de cassation en décidant, d'autorité, de saisir d'abord le juge
européen.

Pourtant le juge constitutionnel décide de risposter. A l'occasion de son contrôle de la loi


sur les jeux d'argent, il décide de lui apporter une réponse cinglante. La leçon faite par le
juge de la rue Montpensier au juge du quai de l'Horloge n'emporte cependant pas la
conviction. Elle donne, au mieux, l'impression d'une réplique dans un dialogue qui
pourrait être constructif, au pire, l'image d'un Conseil constitutionnel arc-bouté sur des
principes surannés. Qu'on en juge. Le Conseil constitutionnel estime que l'article 55 de la
Constitution, qui pose le principe de la supériorité des traités sur les lois, ne doit pas le
conduire à contrôler les lois par rapport au traité. Cela est déjà contestable, mais soit !
Les juges ordinaires en ont pris leur parti et contrôlent la conventionnalité des lois. La
question prioritaire de constitutionnalité, qui est en vigueur depuis le 1er mars 2010, vient
renforcer cette distinction entre les deux types de contrôle, celui de constitutionnalité et
celui de conventionnalité. Elle prévoit que le premier contrôle est prioritaire, le deuxième
ne devant intervenir que dans un second temps. Aussi, le juge constitutionnel estime-t-il
bon de faire la leçon de droit à la Cour de cassation, lui expliquant qu'elle pourra saisir le
juge européen d'une question préjudicielle même si lui-même a déjà validé une loi. Soit
encore.

Mais ne serait-il pas plus logique, et en tout cas plus lisible pour le citoyen, que tel de ses
droits invoqué lors d'un procès, soit protégé par le juge constitutionnel. La Constitution
impose bien le respect des traités par la loi. C'est donc une exigence constitutionnelle que
de respecter les traités. Cette évidence est renforcée par les inscriptions successives du
droit européen dans la Constitution, érigeant le premier au rang de norme équivalant à la
seconde.

UN DIALOGUE VIGOUREUX

En effet, depuis 1975, date de cette interprétation pour le moins restrictive du droit
international, le droit européen se trouve consacré par la Constitution, dans le titre XV.
D'ailleurs, n'est-ce pas le juge constitutionnel qui, dès 1998, contrôle la conformité d'une
loi française non seulement aux traités mais aussi à la directive qu'elle transpose, sur le
droit de vote des Européens aux élections locales. N'est-ce pas aussi lui qui affirme que la

187
transposition des directives est une exigence constitutionnelle ? Il le rappelle encore dans
sa décision du 12 mai. Mais comme pour minorer quelque peu cette exigence, il précise
que seule une incompatibilité manifeste avec une directive pourra être sanctionnée par
ses soins ! Cela signifie donc que le juge constitutionnel jugera conforme à la Constitution
une loi contraire au droit européen, sauf si l'incompatibilité est manifeste. A charge pour
le juge ordinaire, dont la saisine sera aussi hypothétique que lointaine, d'écarter la loi
contraire à la directive. En somme, il faudra distinguer la loi manifestement contraire à la
directive – censurée par le juge constitutionnel – et la loi, simplement mais pas
manifestement, contraire à la directive. Les choses ne seraient-elles pas plus simples et
plus conformes à la protection des justiciables si l'on prenait enfin acte du standard
européen des droits fondamentaux fondé aussi bien sur les Constitutions nationales que
sur les instruments européens ?

Le juge surprend au plus haut point en affirmant, dans sa décision du 12 mai, que le
respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives ne relève pas des
"droits et libertés que la Constitution garantit" et ne saurait, par suite, être invoqué dans
le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. Au nom de quoi les droits et
libertés qui sont contenus dans les textes européens – dont la transposition est selon le
juge constitutionnel lui-même une exigence constitutionelle ! – ne mériteraient-ils pas
d'être contrôlés dans le cadre de la QPC. Y aurait-il une hiérarchie entre les droits
fondamentaux ?

On peut estimer à bon droit que le juge qui a dégagé le principe constitutionnel
d'intelligibilité du droit serait bien inspiré de se l'appliquer. On objectera que la loi
organique – d'ailleurs validée par le juge constitutionnel – pose bien le caractère
prioritaire de la question de constitutionnalité. Certes, mais cela n'empêche pas le
Conseil constitutionnel de tenir pleinement compte de ce que le constituant a
souverainement inscrit l'appartenance française à l'Europe et que, partant, nos droits ont
à la fois un fondement constitutionnel et un fondement européen.

En somme, le Conseil constitutionnel devrait, selon l'Etat de droit aujourd'hui, contrôler


la conformité des lois à la Constitution, dans son génie national, mais aussi dans ses
dimensions européennes, les juges ordinaires conservant entièrement leur office de juge
européen de droit commun, en opérant des renvois préjudiciels quand nécessaire à la
Cour de justice européenne, en écartant, si cela n'a pas été fait auparavant, la loi contraire
au droit international. La réplique du juge constitutionnel à la Cour de cassation ne peut
laisser indifférent, le Conseil d'Etat a commencé à apporter sa pierre en réaffirmant
pleinement son office de juge européen pouvant saisir "à tout instant la Cour de justice
européenne", le dialogue des juges a toutes les chances de se poursuivre avec vigueur.

Philippe Blacher et Florence Chaltiel, professeurs de droit public


La question prioritaire de constitutionnalité

188
LEMONDE.FR | 12.07.10 | 11h19

Emmanuel Rosenfeld, avocat

Lorsqu'en 1971 le conseil constitutionnel, simple surveillant général des rites


parlementaires, s'est lancé dans le contrôle au fond des lois, il a engagé une révolution
dont la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est l'aboutissement mais non le
point d'orgue : elle aura nécessairement des incidences structurelles sur notre système
judiciaire.

La première est l'atrophie du contrôle a priori de constitutionnalité.

En 1958 le contrôle de constitutionnalité avait été placé avant promulgation pour


l'interdire aux justiciables et conserver sa majesté à la loi une fois "bonne pour le
service". Dès lors aujourd'hui que le contrôle peut se faire ex post, il est d'autant moins de
raison de l'anticiper que le contrôle a priori est le plus politiquement invasif.

Mais le principal vice du contrôle a priori n'est pas dans le choc des pouvoirs ; il est dans
le penchant qui amène inévitablement un contrôleur a priori à légiférer, à tout le moins à
philosopher. C'est en situation que l'on mesure les difficultés posées par un texte. Statuer
a priori, c'est se condamner à ces discours filandreux où l'on tente d'additionner tout et
son contraire. C'est se prononcer, par des décisions d'autant plus dangereuses qu'elles
sont élaborées en laboratoire, et c'est pire lorsque le conseil constitutionnel, allant au-
delà de sa saisine, se livre à un survol général du texte déféré, qui débouche alors, quoi
qu'il en ait, sur des brevets flous de constitutionnalité.

La statistique va nécessairement faire de la QPC la voie royale et, avec le contrôle a priori,
l'examen des textes par delà la saisine, anomalie désormais inutile, dépérira. La
composition du conseil constitutionnel en sera elle aussi affectée car les non juristes,
confrontés à de véritables procès, y trouveront moins leur place.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL NE SERA PAS LE SEUL TOUCHÉ

La coexistence des cours suprêmes est gérable tant qu'elles peuvent s'ignorer. C'était le
cas tant que la cour de cassation et le conseil d'Etat n'avaient qu'à appliquer la chose
jugée par le conseil constitutionnel sur des textes par définition inédits. Obéir à cette
chose jugée, c'était encore obéir à la loi. La situation change lorsque le juge
constitutionnel peut sembler déjuger la cour de cassation ou le conseil d'Etat sur des
textes qu'ils ont déjà mille fois interprétés. Ne faut-il pas surtout que le juge
constitutionnel contrôle la loi telle que son interprète autorisé, cour de cassation ou
conseil d'Etat, en a lui-même unifié l'application ? Nos deux cours suprêmes, répudiant la
tradition qui dénie toute existence à la jurisprudence, reconnaissent aujourd'hui qu'on
doit la traiter à l'instar de la loi (ainsi s'agissant de sa rétroactivité). Quelle serait donc la
logique d'un système dans lequel la loi écrite par le législateur serait justiciable de la

189
paille de fer constitutionnelle tandis que la loi réécrite, voire faussée par la jurisprudence,
en serait exempte ?

Pourtant la cour de cassation a refusé le 19 mai de transmettre des QPC au motif qu'elles
critiquaient sa jurisprudence et non la loi. La cour n'admet pas qu'on corrige sa copie.
Dans un pays à cour suprême unique (les Etats-Unis) le problème ne peut se poser : le
juge qui interprète la loi est aussi celui qui en contrôle la constitutionnalité : aucune
schizophrénie n'est possible. Dans notre architecture judiciaire la pluralité des cours
suprêmes génère un angle mort, celui d'un arbitraire jurisprudentiel immunisé de tout
contrôle constitutionnel.

Faux problème dira-t-on car, après tout, c'est la définition même d'une cour suprême que
de pouvoir se tromper sans contrôle et peu importe que celui qui se trompe en dernier
ressort s'appelle cour de cassation ou conseil constitutionnel. Le contrôle juridictionnel
n'est pas une suite ad infinitum de bonshommes Ripolin se surveillant les uns les autres.

Cette réponse est inexacte, ne serait-ce que parce que les juges judiciaires, qu'il s'agisse
de légalité des règlements ou de constitutionnalité des lois, n'ont aucune tradition du
contrôle de la norme. Elle serait surtout politiquement inadmissible dès lors qu'on a
voulu généraliser le contrôle de constitutionnalité. Comment les justiciables
admettraient-ils, comme le fait implicitement la cour, que, sa jurisprudence bénéficie
d'une présomption irréfragable de constitutionnalité ?

"C'est ma doctrine et non la loi que vous attaquez" dit la cour de cassation. "Elle n'existe
pas : je ne peux donc la soumettre au juge constitutionnel". Et d'ajouter : "le juge
constitutionnel ne la censure pas : je continue donc à vous l'appliquer avec force de loi".
Le raisonnement est parfait mais témoigne peu de considération pour les justiciables.
Eliminer l'angle mort suppose une cour suprême unique.

Emmanuel Rosenfeld, avocat

Guy Carcassonne, Olivier Duhamel, Henri Leclerc, Didier Rebut, Daniel Soulez-Larivière et
Jean Veil

Dans un très large consensus, le Parlement français a voté la mise en place de la question
prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette réforme est un considérable progrès de
l'Etat de droit. Elle permet à tout justiciable de contester la conformité à la Constitution
de la loi qui lui est appliquée.

Les premières décisions du Conseil constitutionnel ont confirmé l'intérêt de la QPC :


décristallisation des pensions réparant l'injustice faite aux soldats de nos ex-colonies qui
avaient servi la France ; réparation de tous les chefs de préjudice en cas de faute
inexcusable de l'employeur ; censure des peines automatiques ; fin de la composition de

190
tribunaux maritimes prononçant des peines de prison avec des fonctionnaires à la place
des juges…

La Cour de cassation entrave cette réforme. Elle se flatte de renvoyer des questions au
Conseil constitutionnel. C'est bien le moins, mais, dans le même temps, elle n'hésite pas à
se substituer à lui sur la loi Gayssot – qui tend à réprimer tout propos raciste, antisémite
ou xénophobe –, refuse tout contrôle lorsque ses propres interprétations pourraient être
en cause, écarte résolument le caractère prioritaire de cette procédure.

Tout cela, elle ne peut prétendre le faire au nom du justiciable puisque la QPC lui offre un
nouveau droit sans le priver d'aucun de ceux qu'il détenait déjà.

Elle ne peut prétendre le faire au nom de l'Europe puisque la Cour de Luxembourg a jugé
que la QPC était conforme au droit de l'Union, ce que, d'ailleurs, le Conseil d'Etat avait
déjà compris tout seul. Alors au nom de quoi, de qui, la Cour de cassation s'oppose-t-elle
? Aucune des réponses envisageables n'est satisfaisante.

Quoi qu'il en soit, son refus d'un progrès de l'Etat de droit au profit de nos concitoyens
est bien sûr inacceptable. La QPC doit prendre la place que le constituant a voulue qu'elle
ait. Dans tous ces cas, la Constitution a donné aux justiciables un droit à ce que le
nouveau recours leur soit ouvert. Ce droit doit être respecté. Quoi que paraissent en
penser certains de ses membres, il n'est en rien dirigé contre la Cour de cassation et en
tout conforme aux exigences de l'Etat de droit, comme nos voisins l'ont démontré depuis
longtemps.

Face à ce blocage, une modification de la loi organique du 10 décembre 2009 est


nécessaire. Elle peut n'être pas suffisante si la Cour de cassation prétend y voir alors une
ingérence des politiques, bien qu'il appartienne évidemment au Parlement d'ajuster sa
réforme pour que celle-ci produise les effets désirés. La Cour de cassation est en train de
rater la réforme de la QPC.

Tel n'a été le cas ni du pouvoir exécutif, ni des assemblées, ni du Conseil constitutionnel,
ni du Conseil d'Etat, ni de la Cour de Luxembourg, ni des juges de première instance et
d'appel, ni des avocats, ni des universitaires. Tous ceux qui ont en partage l'idéal d'une
société régulée par le droit voient bien que c'est une grande réforme de liberté.

Si la Cour de cassation persistait à ne pas le voir, il ne resterait plus qu'à modifier de


nouveau la Constitution pour mettre un terme à cette obstruction. Ce serait navrant.

Guy Carcassone, juriste spécialiste du droit constitutionnel ;


Olivier Duhamel, juriste et politologue spécialiste du droit constitutionnel ;
Henri Leclerc, avocat ;
Didier Rebut, professeur de droit à l'université Paris-II ;

191
Daniel Soulez-Larivière, avocat à la cour ;
Jean Veil, avocat d'affaires et pénaliste.

Le Monde 15 juillet 2010

Depuis 2010 et l'instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, il est


permis à tout citoyen et à son avocat d'assister à une séance de plaidoirie devant le Conseil.
Cela a entraîné une médiatisation nécessaire des séances du Conseil, le président Debré ayant
décidé d'installer deux caméras dans la salle (une filmant « les avocats des requérants et les
hauts fonctionnaires du secrétariat général du gouvernement qui prennent tour à tour la parole
pendant l'audience. La seconde est braquée sur les membres du Conseil » ; néanmoins, les
délibérations restent confidentielles. Au rez-de-chaussée, une salle de 49 places retransmet au
public présent la séance par le biais d'un écran ; certaines, considérées comme importantes à
la connaissance des citoyens, sont mises en ligne sur le site Internet du Conseil
constitutionnel.

3°) Procédure du contrôle

Le contrôle du Conseil constitutionnel est réservé aux normes qui relèvent d’une
intervention parlementaire : outre les lois organiques déjà signalées, il s’agit uniquement des
lois ordinaires et des traités internationaux.
Le Conseil doit être saisi avant la promulgation de la loi ou la ratification du traité. Il a
un mois pour statuer, sauf procédure d’urgence, à la demande du gouvernement, qui réduit à 8
jours ce délai (art 61, al 3). Le recours est suspensif, ses décisions ne sont, par contre,
susceptibles d’aucun recours en vertu de l’article 62.
Plus précisément, la saisine (art. 61) du Conseil suspend le délai de promulgation d'une
loi votée (dernier alinéa de l'article 61). Les décisions de non-conformité conduisent à la censure
totale ou partielle de la loi mais non à son annulation puisqu'elles sont prononcées avant la
promulgation, acte juridique qui en assure l'application.

Une loi déclarée contraire à la Constitution par le Conseil peut soit être promulguée si les
dispositions inconstitutionnelles ont été déclarées divisibles du reste de la loi, soit être
abandonnée. Le Président de la République peut enfin demander une nouvelle délibération sur
la loi (art 10c).
Les décisions s'imposent (ou doivent s'imposer) erga omnes aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles. Elles sont insusceptibles de recours (article 62c).
« L'autorité absolue de la chose jugée » implique que le Conseil ne puisse statuer deux fois sur
un même texte, ni (au moins en théorie) que les « pouvoirs publics et les autorités
administratives et juridictionnelles » puissent contredire les décisions. Cette autorité ne
s'attache pas seulement au dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire
(décision 1962-18 L du 16 janvier 1962), et s'applique également dans le cadre du contrôle des
traités (décision du 2 septembre 1992, 312 DC. Dans ce dernier cas, deux hypothèses permettent
une nouvelle procédure de contrôle : d'une part « s'il apparaît que la Constitution, une fois
révisée, demeure contraire à une ou plusieurs stipulations du traité », d'autre part « s'il est inséré

192
dans la Constitution une disposition nouvelle qui a pour effet de créer une incompatibilité avec
une ou plusieurs stipulations du traité dont s'agit ».

Concernant les traités internationaux, le titre VI de la Constitution de 1958 intitulé Des traités
et accords internationaux précise en son article 54 que « si le Conseil constitutionnel, saisi par
[les autorités habilitées à ce titre] a déclaré qu'un engagement international comporte une clause
contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international
en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ». Cet article, modifié en 1992
(loi constitutionnelle no 1992-554), permet au Conseil constitutionnel d'examiner si les
dispositions d'un engagement de droit international ou de droit communautaire imposent, avant
son intégration dans l'ordre juridique français, une modification de la Constitution. Le Conseil
ne statue donc pas sur la loi de ratification, mais sur le traité lui-même.
Dans sa décision n° 1992-308 DC du 9 avril 1992 dite « Maastricht I », le Conseil décide que
« le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que [...] la France puisse
conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux en vue de participer à la
création ou au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la
personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de
compétences consentis par les États membres ; [...] Toutefois au cas où des engagements
internationaux souscrits à cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution ou portant
atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les
ratifier appelle une révision constitutionnelle ». Il juge ici que l'institution de la monnaie unique,
la création d'une citoyenneté européenne imposent une révision de la Constitution. Un contrôle
similaire interviendra pour la ratification du traité d'Amsterdam, comme pour celle du Traité
établissant une Constitution pour l'Europe. Pour exemple, la décision 2004-505 DC sera ainsi à
l'origine de la révision constitutionnelle du 1er mars 2005. Dans la décision dite Interruption
volontaire de grossesse (IVG), le Conseil ne s'estime pas compétent, au titre de l'article 61c,
pour contrôler la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international
(décision no 1975-54 du 15 janvier 1975). Il justifie cette position par une différence de nature
entre le contrôle de constitutionnalité des lois (art 61c), qui lui revient, et le contrôle de
conventionalité des lois (art. 55c) qui est « relatif et contingent » (champ d'application limité
du traité, exigence de réciprocité dans l'exécution de l'engagement). Pour le Conseil en 1975,
« une loi contraire à un traité ne serait pas, pour autant, contraire à la Constitution ».

Il a ainsi implicitement puis explicitement (en 1986) habilité les juridictions dites ordinaires à
connaître de la conventionalité des lois (conformité des lois aux engagements internationaux) :
arrêt Jacques Vabre de la Cour de cassation (1975), arrêt Nicolo du Conseil d'État (1989).

En matière de droit communautaire, relevons que dans sa décision du 9 avril 1992, le Conseil
précise que l'ordre juridique communautaire est un ordre juridique propre, qui n'appartient pas
à l'ordre institutionnel de la République française. Fidèle à sa jurisprudence du 30 décembre
1976, il dénie toute spécificité au droit communautaire, contrairement à la position tranchée de
la Cour de Justice des Communautés européennes (Van Gend en Loos 1963, Costa 1964),
affirmant le principe de primauté et la spécificité du droit communautaire.

193
La question de savoir si le Conseil constitutionnel contrôle ou non la constitutionnalité du droit
communautaire dérivé est majeure, car 60 % à 70 % des textes de lois nouveaux
correspondraient à l'application d'une disposition communautaire. Dans sa décision 2004-496
DC du 10 juin 2004, portant sur la loi sur la confiance dans l'économie numérique, le Conseil
se déclare incompétent pour contrôler la constitutionnalité des dispositions des lois qui sont la
transposition de dispositions inconditionnelles et précises de directives, sauf lorsque cette
transposition se heurte à une disposition expresse de la Constitution. Il fonde cette
incompétence et l'obligation de transposition sur l'article 88-1 de la Constitution, qui précise
que « la République participe aux Communautés Européennes et à l'Union Européenne,
constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer
en commun certaines de leurs compétences ». Sous les réserves précitées (directive
inconditionnelle et précise et absence de disposition constitutionnelle expresse contraire), la
directive fait, en quelque sorte, écran entre la loi et la Constitution, ou encore la loi est le miroir
de la directive. Le Conseil apprécierait sinon la constitutionnalité des directives elles-mêmes,
et pourrait mettre ainsi en cause l'obligation de transposition. La décision 2004-505 DC du 19
novembre 2004, Traité établissant une Constitution pour l'Europe (non ratifié), est majeure à
plus d'un titre :

1. le transfert, par le traité, de nouvelles compétences à l'Union Européenne nécessite une


réforme constitutionnelle (clauses-passerelles, principe de subsidiarité, etc.) ;
2. l'extension des prérogatives du Parlement français, nécessitait également une révision :
la Constitution prévoit des cas précis de vote décisionnel du Parlement, et ces nouvelles
prérogatives limitent la portée des attributions de l'exécutif français, traditionnellement
chargé des affaires internationales.

La décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006, portant sur la loi DADVSI, apporte
sur un point une nouvelle nuance dans l'objectif d'étendre le domaine de son contrôle, sans pour
autant le déclarer compétent par principe pour la vérification de la compatibilité des lois
nationales avec les traités communautaires. Ainsi, il découle de cette décision qu'en vertu de
l'article 88-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel n'est pas compétent pour contrôler
une loi de transposition reprenant une directive communautaire. Néanmoins, il est également
précisé que le droit communautaire ne prime sur le droit national que dans la mesure où il n'est
pas contraire à un « principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France » (ce qui semble
rappeler les « dispositions expresses » de la décision de 2004 Économie numérique), et ce par
référence à l'article 1-5 du projet de Traité de Constitution européenne.

Cette décision semble contraire à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés


européennes.

194
Le Conseil peut aussi être saisi dans le cadre de l’article 40 qui prévoit que le
gouvernement puisse écarter au cours du débat parlementaire une proposition ou un
amendement qu’il estime du domaine du règlement.

Enfin, l’article 37 al 2 offre aussi au gouvernement la possibilité d’obtenir du Conseil


constitutionnel, l’autorisation de modifier par décret une loi, intervenue après l’entrée en
vigueur de la Constitution de 1958, si le Conseil lui reconnaît un caractère réglementaire.

Le Conseil refuse d'effectuer un contrôle de constitutionnalité :


 des lois référendaires (Décision no 62-20 DC - 6 novembre 1962 - Loi relative à
l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le
référendum du 28 octobre 1962) à l'exception des propositions de loi mentionnées à
l'article 11, dont le contrôle est obligatoire ;
 des lois constitutionnelles (Décision no 2003-469 DC - 26 mars 2003 - Révision
constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République) : le Conseil
refuse d'employer dans sa jurisprudence le terme de « loi constitutionnelle » (terme
doctrinal), mais emploie plutôt le terme de « révision constitutionnelle », qui ne sont pas
soumises à un contrôle de constitutionnalité par la Constitution ;
 des ordonnances de l'ancien article 92 (dispositions transitoires visant à mettre en place
le nouveau régime), et notamment les ordonnances organiques de 1958-1959, car la
compétence du Conseil constitutionnel sur ces textes n'était pas prévue ;

 et auparavant, des lois déjà promulguées, mais le Conseil a atténué cette impossibilité
en acceptant de contrôler une loi déjà promulguée à l'occasion d'un contrôle a priori fait
sur une loi nouvelle qui modifie la loi promulguée (85-187DC 25 janvier 1985, état
d'urgence en Nouvelle-Calédonie). De plus, l'article 61-1 ajouté par la loi
constitutionnelle de modernisation des institutions du 23 juillet 2008[50] institue un
contrôle a posteriori des lois soupçonnées de porter « atteinte aux droits et libertés que
la Constitution garantit » : c'est la procédure de la question prioritaire de
constitutionnalité pouvant être déclenchée « à l'occasion d'une instance en cours devant
une juridiction », « sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de Cassation

4°) Les attributions autres que le contrôle de constitutionnalité

Le Conseil constitutionnel a d’autres fonctions que le contrôle de la constitutionnalité.


- Dans le cadre du recours à l’article 16, il est consulté par le Président de la République
sur les conditions exigées pour son entrée en vigueur.

195
- Il peut être amené à constater que le Président de la République est empêché (art 7).
- Enfin, le Conseil constitutionnel a des prérogatives dans le domaine électoral puisqu’il
statue sur la régularité des élections présidentielles (art 58) et parlementaires (art 59)
ainsi que des référendums (art 60).En matière électorale, le Conseil constitutionnel
admet les recours en rectification d'erreur matérielle. L'effet des décisions en matière de
contentieux électoral varie, allant de l'annulation de bulletins à celle des opérations
électorales elles-mêmes, et peut comporter la déclaration d'inéligibilité d'un candidat
et/ou la démission d'office d'un élu.

B) Un affranchissement progressif de son rôle de régulateur au service du pouvoir


exécutif.

1°) Une volonté des constituants de remettre en cause la toute puissance de l’assemblée
législative confirmée par la pratique durant la période gaullienne.
La remise en cause de la toute puissance du Parlement peut se lire à travers le pouvoir
de juge électoral des élections législatives qui a été ôté à l’Assemblée nationale et confié au
Conseil Constitutionnel. Surtout, ce dernier contrôle le règlement des assemblées (article 61-
1), la conformité des lois organiques à la constitution (article 46 et 61-1), le caractère législatif
des propositions de lois et amendements en cours de procédure législative (article 41), la
conformité de la loi à la constitution (article 61-2).
Par ailleurs, les premières années de son fonctionnement ont été marquées par une
relative docilité ou complaisance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Ainsi, le Conseil constitutionnel
s’est refusé :
- à prendre position sur la décision du général De Gaulle refusant en mars 1960 de
convoquer le parlement en session extraordinaire ;
- d’apprécier la recevabilité d’une motion de censure en période d’utilisation de l’article
16 ;
- de vérifier la conformité de la loi référendaire à la constitution (décision du 6/11/1962)48.

2°) Un Conseil constitutionnel qu tend à devenir un juge constitutionnel à part entière

Il convient de relever ici que le Conseil constitutionnel a élargi le champ du législateur

48
« Le Conseil ne protège pas toute la Constitution, car il n’a reçu qu’une compétence d’attribution. Il ne
tranche pas les litiges d’interprétation des règles constitutionnelles, par exemple entre le chef de l’Etat et le Premier
ministre pour la signature des ordonnances, ou entre le Chef de l’Etat et la majorité des députés pour les conditions
de convocation du Parlement en session extraordinaire, ou la recevabilité d’une motion de censure durant la mise
en œuvre de l’article 16. Il ne contrôle pas les actes administratifs et, par conséquent, les ordonnances avant
ratification, tâche dévolue au Conseil d’Etat. Il a refusé de vérifier la conformité à la Constitution des lois adoptées
par référendum, s’en tenant ainsi à une conception prudemment restrictive de l’article 61 de la Constitution. Il ne
confronte pas non plus les lois dont il est saisi aux traités, laissant aux tribunaux le soin d’écarter une loi contraire
à un traité. Mais s’il est saisi, il contrôle la conformité d’un traité à la Constitution » in O. Duhamel, « Droit
constitutionnel. Le pouvoir politique en France », tome 1, Ed Seuil, 1999, p.340.

196
face au pouvoir réglementaire, lors de la mise en œuvre du blocage des prix et des salaires en
1982 . Plus précisément, le caractère anti-constitutionnel au motif que le législateur a opéré une
incursion dans le domaine réglementaire n’est plus recevable. « (…) si les articles 34 et 3749,
alinéa 1er , de la Constitution établissent une séparation entre le domaine de la loi et celui du
règlement, la portée de ces dispositions doit être appréciée en tenant compte de celles des
articles 37, alinéa 2, et 4150 ; (…) la procédure de l’article 41 permet au gouvernement de
s’opposer, au cours de la procédure parlementaire et par la voie d’une irrecevabilité, à
l’insertion d’une disposition réglementaire dans une loi, tandis que celle de l’article 37, alinéa
2, a pour effet, après la promulgation de la loi par la voie d’un déclassement, de restituer
l’exercice de son pouvoir réglementaire au Gouvernement et de donner à celui-ci le pouvoir de
modifier une telle disposition par décret ; (…) l’une et l’autre de ces procédures ont un caractère
facultatif ; (…) il apparaît ainsi que, par les articles 34 et 37, alinéa 1er, la Constitution n’a pas
entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans
une loi, mais, a voulu, à coté du domaine réservé à la loi, reconnaître à l’autorité réglementaire
un domaine propre et conférer au gouvernement, par la mise en œuvre des procédures
spécifiques des articles 37, alinéa 2, et 41, le pouvoir d’en assurer la protection contre
d’éventuels empiètements de la loi ; que, dans ces conditions, les députés auteurs de la saisine
ne sauraient se prévaloir de ce que le législateur est intervenu dans le domaine réglementaire
pour soutenir que la disposition critiquée serait contraire à la Constitution ».
Par sa jurisprudence tendant à constitutionnaliser les grandes libertés publiques, le
conseil constitutionnel a renforcé le caractère libéral et démocratique de la Vème République
et les mécanismes de protection de l’Etat de droit ont été étendus.
En effet, sa décision du 16 juillet 1971, prise sur saisine du Président du Sénat, a été le point de
départ d’une jurisprudence libérale. Elle comporte deux aspects par rapport à ses décisions
antérieures qui seront confirmées de manière constante:
- le conseil constitutionnel déclare qu’une loi est non conforme à la constitution pour des
raisons de fond;-
- le contrôle est exercé non seulement par rapport au texte de la constitution de 1958 mais
aussi par rapport à son préambule, fondant un véritable « bloc de constitutionnalité »
intégrant la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le préambule de

49
Article 37 : Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire.
Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris après
avis du Conseil d’Etat. Ceux de ces textes qui interviendraient après l’entrée en vigueur de la présente
Constitution ne pourront être modifiés par décrets que si le Conseil constitutionnel a déclaré qu’ils ont un
caractère réglementaire en vertu de l’alinéa précédent ».
Article 37-1 : (Loi constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 : « La loi et le règlement peuvent
comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental »
50
L’article 41 stipule que “s’il apparaît au cours de la procédure législative qu’une proposition ou un
amendement n’est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l’article 38,
le gouvernement peut opposer l’irrecevabilité. En cas de désaccord entre le gouvernement et le président de
l’assemblée intéressée, le conseil constitutionnel, à la demande de l’un ou de l’autre, statue dans un délai de huit
jours”

197
la Constitution de 1946 intégré dans le droit positif.
-
Document n°85

La décision du 16 juillet 1971


« Le gouvernement avait tenté d’empêcher la constitution d’une « Association des Amis de la cause du
peuple », animée en particulier par Simone de Beauvoir. Le tribunal administratif saisi de l’affaire avait donné
tort au gouvernement. Celui-ci décida donc de faire modifier la loi de 1901 sur les associations pour obtenir
les moyens de s’opposer à la création d’associations qui lui déplaisaient. A son initiative, le Parlement vota
une loi que le président du Sénat déféra au Conseil constitutionnel. Celui-ci, et c’est l’innovation capitale, dès
le début de sa décision –dans les visas- se référa au Préambule : « Vu la Constitution, et notamment son
préambule » et, relevant ensuite que le Préambule réaffirmait solennellement « les principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République » (en réalité indirectement à travers la référence au Préambule de 1946)
estima que la liberté d’association figurait au nombre de ces principes et que les conditions mises par la loi à
l’exercice de ce droit supprimaient le principe de la libre constitution des associations, et étaient donc
inconstitutionnelles »
Ph. Ardant, "Les institutions de la Ve République", Ed Hachette (7e ed, 2001)

Cette jurisprudence a eu en effet pour conséquence de protéger davantage le corps social contre
les excès des majorités ou plutôt de leur représentation.
Celles-ci ne peuvent plus désormais porter atteinte à certaines libertés ou certains principes:
- Droit à l’avortement (15/01/197551) ;
- liberté d’aller et de venir (décision 12/07/1979);
- liberté de conscience, de l’enseignement (23/07/1977);
- droit de grève (22/07/1980);
- droit de propriété, liberté d’entreprendre (16/01/198252) ;
- égalité des étrangers devant la loi par la décision du 22 janvier 199053 ;

Le conseil constitutionnel apparaît donc comme un défenseur plus efficace que le

51
« La loi relative à l’interruption volontaire de grossesse respecte la liberté des personnes appelées à
recourir ou à participer à une interruption de grossesse, qu’il s’agisse d’une situation de détresse ou d’un motif
thérapeutique ; que dès lors, elle ne porte pas atteinte au principe de liberté posé à l’article 2 de la Déclaration
des droits de l’homme et du citoyen », décision du 15 janvier 1975, in O Duhamel, « Droit constitutionnel. Le
pouvoir politique en France », tome 1, Ed Seuil, 1999, p.364.
52
« (…) la liberté, qui, aux termes de l’article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne
nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à
la liberté d’entreprendre », décision du 16 janvier 1982 à propos des lois de nationalisation. O Duhamel, « Droit
constitutionnel. Le pouvoir politique en France », tome 1, Ed Seuil, 1999, p.364.
53
« Considérant que le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques à la
condition de respecter (…) les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux
qui résident sur le territoire de la République ». Cette décision est relative au minimum vital pour les personnes
âgées.
In O Duhamel, « Droit constitutionnel. Le pouvoir politique en France », tome 1, Ed Seuil, 1999, p.360.

198
parlement des libertés, car il donne à celles-ci une garantie constitutionnelle.

Par ailleurs les mécanismes de l’Etat de droit ont été étendus, ainsi la réforme de 1974
a élargi la saisine du Conseil Constitutionnel à 60 parlementaires et a donc renforcé les moyens
de contrôle de l’opposition parlementaire sur le gouvernement. Le gouvernement, dans le cadre
de la préparation de ses projets de loi, est désormais contraint de prendre en compte le risque
d’une déclaration d’inconstitutionnalité par le conseil constitutionnel. Aussi tient-il davantage
compte encore des avis du conseil d’Etat sur ce point, et plus que par le passé est-il contraint
de respecter la hiérarchie des normes et les principes constitutionnels.
Il reste que toutes les lois votées ne sont pas examinées par le conseil constitutionnel, or, , une
fois celles-ci promulguées elles s’imposent à l’administration comme aux citoyens même si elle
sont inconstitutionnelles54. Cette faille dans notre Etat de droit est à l’origine d’une proposition
de révision de la Constitution à l’initiative de F. Mitterrand et de R. Badinter en 1990 sur
l’introduction du principe d’exception d’inconstitutionnalité.
Relevons enfin, que pour O. Duhamel, le principe qui prévoit que les anciens présidents
de la République puissent être membres de droit de cette institution devrait être supprimé, afin
qu’elle garde un caractère non partisan.

Document n°86

L'exception française de trop


La nomination à vie des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel devient
une aberration

Le départ de Nicolas Sarkozy de l'Elysée et sa volonté proclamée de siéger au Conseil


constitutionnel mettent à nouveau en lumière l'insoutenable paradoxe de la présence à vie des
anciens présidents de la République dans cette institution.

Rappelons d'abord que, seule de toutes les démocraties occidentales, la République française
fait de ses ex-présidents des membres perpétuels d'une juridiction constitutionnelle. En Italie, par
exemple, les présidents de la République au terme de leurs fonctions sont nommés sénateurs à
vie. Mais dans une instance juridictionnelle dont la mission première est de juger en droit si des
lois votées sont conformes à la Constitution, en quoi la présence à vie des anciens présidents
est-elle requise ?

Seule l'histoire explique cette exception, cette bizarrerie française. En 1958, tandis que sous
l'autorité du général de Gaulle et la férule de Michel Debré s'élaborait la Constitution de la Ve
République, se posa la question très secondaire de la condition faite aux ex-présidents de la
République. Le général de Gaulle entendait que le président René Coty, qui l'avait appelé à
revenir au pouvoir, bénéficiât d'une condition convenable sous la Ve République. Or la IVe

54
Relevons au passage que les lois d’avant 1958, ne peuvent être bien évidemment soumises à un
contrôle de constitutionnalité.

199
République traitait avec pingrerie ses anciens présidents. Au terme de leur mandat, ils
bénéficiaient d'une retraite équivalente à celle d'un conseiller d'Etat.

Pareil traitement parut mesquin au général de Gaulle, par ailleurs pour lui-même totalement
désintéressé. Il considérait qu'il y avait là pour le président Coty et pour son prédécesseur,
Vincent Auriol, une forme d'ingratitude de la République à laquelle il convenait de remédier. Le
Comité consultatif constitutionnel proposa donc de nommer les anciens présidents membres à
vie du Conseil constitutionnel nouvellement créé.

Ainsi, les anciens présidents bénéficieraient d'une fonction très honorable, convenablement
rémunérée, et qui ne requerrait qu'une faible activité de leur part, puisque, outre le contentieux
des élections nationales, le Conseil constitutionnel ne statuait sur la constitutionnalité des lois
que lorsqu'il était saisi par les plus hautes autorités de l'Etat, le président de la République, le
président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, le premier ministre. Dans la conjoncture
politique de l'époque, ces saisines n'avaient rien d'accablant : de 1958 à 1975, le Conseil
constitutionnel connut soixante saisines, soit entre trois et quatre par an en moyenne...

Cette solution parut élégante à tous égards. Le président Coty s'en trouva bien, qui siégea
jusqu'à sa mort, en 1962, au Conseil constitutionnel. En revanche, le président Auriol refusa de
siéger après 1960, manifestant son opposition à la pratique des institutions de la Ve République
voulue par le général de Gaulle.

Les décennies ont passé, et la situation d'origine s'est transformée. En premier lieu, la condition
matérielle des anciens présidents de la République s'est améliorée au fil des présidences. Leur
donner une rémunération complémentaire comme membre du Conseil constitutionnel ne paraît
plus nécessaire, contrairement à ce qui était le cas en 1958. Mais c'est au regard du Conseil
constitutionnel lui-même que la présence à vie des anciens présidents s'avère comme une
aberration institutionnelle.

Le Conseil constitutionnel comprend neuf membres nommés pour neuf ans, renouvelables par
tiers tous les trois ans. Il revient au président de la République, au président de l'Assemblée
nationale et à celui du Sénat d'en nommer les membres, après avis d'une commission
parlementaire qui peut s'y opposer par un vote négatif des trois cinquièmes des suffrages
exprimés.

Ainsi ces membres jouissent-ils d'une double légitimité : celle de la désignation par l'une des plus
hautes autorités de l'Etat, et celle d'un contrôle - limité - d'une commission parlementaire.

Rien de tel dans le cas des anciens présidents. Ils font de droit partie du Conseil constitutionnel à
l'expiration de leur mandat en application de l'article 56-2 de la Constitution. Ils ne prêtent pas
serment comme les membres nommés du Conseil lors de leur prise de fonctions devant le
président de la République. De ce fait, a déclaré Valéry Giscard d'Estaing, ils ne sont pas tenus
de respecter toutes les obligations qui pèsent sur les membres du Conseil, notamment celle de
ne pas intervenir publiquement dans les débats politiques. Ils ne sont pas soumis au régime
disciplinaire qui pèse sur les autres membres du Conseil. Qu'ils fassent l'objet de condamnations
pénales ne les expose à aucune mesure de suspension, voire de révocation de leurs fonctions.
Ainsi, un ancien président de la République condamné en justice peut en toute légalité demeurer
sa vie durant membre du Conseil constitutionnel.

Surtout, le Conseil constitutionnel a connu depuis 1958 une véritable révolution institutionnelle.
Depuis 1974, grâce à la réforme conduite par le président Giscard d'Estaing, soixante députés ou

200
soixante sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour décider de l'inconstitutionnalité
éventuelle d'une loi votée par la majorité parlementaire.

Le rôle du Conseil constitutionnel s'est trouvé transformé par cette réforme. D'organe régulateur
de la Constitution, il est devenu en fait une véritable Cour constitutionnelle saisie par l'opposition
de toutes les lois importantes votées par la majorité pour apprécier leur constitutionnalité. Il est
l'auteur d'un véritable " corpus " de jurisprudence constitutionnelle. Il est considéré comme une
véritable Cour constitutionnelle par les autres juridictions constitutionnelles, notamment en
Europe.

Restait à ouvrir aux justiciables la porte du Conseil constitutionnel. En 1989, je proposai que soit
reconnu aux justiciables français le droit de demander qu'une loi invoquée contre eux en justice
puisse être déclarée inconstitutionnelle par le Conseil. Le président François Mitterrand donna
son accord à cette nouvelle garantie des droits fondamentaux en France. L'Assemblée nationale,
à majorité de gauche, adopta le projet de loi constitutionnelle en 1990. Le Sénat, à majorité de
droite, s'y opposa.

En 1993, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Georges
Vedel, puis, en 2007, la commission Balladur proposèrent à nouveau la création de cette
exception d'inconstitutionnalité. Il est à l'honneur du président Nicolas Sarkozy de l'avoir incluse
dans la révision de 2008 sous la dénomination de " Question prioritaire de constitutionnalité "
(QPC).

Dès sa mise en oeuvre, réalisée au Conseil constitutionnel sous la présidence de Jean-Louis


Debré, cette réforme a répondu aux espérances de ses partisans. La QPC a achevé de
transformer le Conseil constitutionnel en instance juridictionnelle. Se pose dès lors avec plus
d'acuité encore la question de sa composition : pourquoi appeler les ex-présidents de la
République à siéger à vie dans une juridiction constitutionnelle ? Le président Giscard d'Estaing a
considéré qu'étant adversaire de la QPC, il ne siégerait pas dans les séances du Conseil
consacrées à leur examen. Pareille attitude souveraine illustre l'anachronisme de la présence
des anciens présidents au sein du Conseil. Quelle instance juridictionnelle peut s'en remettre au
bon plaisir de ses membres pour déterminer l'étendue de leurs fonctions ?

Surtout, l'arrivée du président Sarkozy au Conseil constitutionnel met en lumière le risque de


déstabilisation et la composition de l'institution dans l'avenir. En 1958, le mandat présidentiel était
de sept ans. Il est aujourd'hui de cinq ans, renouvelable une fois. Le président Sarkozy est dans
la force de l'âge, comme le président Hollande. La durée de vie s'allongeant, on verra d'anciens
présidents, toujours plus nombreux, siéger pendant des décennies en sus des membres nommés
pour neuf ans.

J'évoquerai à ce sujet la réaction que suscita un jour aux Etats Unis, où je présentai à des
juristes américains le Conseil constitutionnel, cette composition mixte de l'institution. L'un des
intervenants fit remarquer qu'à imiter la France, la Cour suprême des Etats-Unis - dont les
membres sont nommés à vie après une procédure rigoureuse et publique - compterait comme
membres les présidents Jimmy Carter, George Bush, Bill Clinton et George W. Bush ! A cette
évocation, une hilarité générale secoua la salle, et j'eus le sentiment que, depuis Montesquieu, la
raison constitutionnelle française avait perdu de son éclat chez nos amis américains !

Il n'est que temps d'en finir avec cette aberration institutionnelle. En 2008, lors de la révision
constitutionnelle, le Sénat, à une large majorité, avait voté la suppression de la présence des
anciens présidents au sein du Conseil, comme le proposait le comité Balladur. La majorité de
l'Assemblée nationale revint sur ce vote. Un collègue influent de la majorité me confia que
l'Elysée n'avait pas été étranger à ce choix...

Nous attendons donc du président Hollande qu'à l'occasion de la révision annoncée du statut du
président de la République, il soit mis un terme à cette insoutenable exception française. Si la

201
passion de juger de la constitutionnalité des lois anime d'anciens présidents, ils pourront toujours
être nommés membres du Conseil constitutionnel pour neuf ans par l'un de leurs successeurs ou
le président de l'une ou l'autre des assemblées.

Ainsi pourront-ils exercer la fonction de juger au sein du Conseil constitutionnel dans les mêmes
conditions et avec le même statut que les autres membres. Le Conseil constitutionnel et l'Etat de
droit n'auront donc rien à perdre à cette réforme et la crédibilité de l'institution et sa renommée
internationale ne manqueront pas d'y gagner.

Robert Badinter

Le Monde 20 mai 2012

daté du 4 janvier 2013

Les Sages en font-ils trop ?

Au-delà même de " la taxe à 75 % ", l'impressionnante liste des mesures fiscales censurées par
le Conseil constitutionnel, le 29 décembre 2012, a suscité d'abondants commentaires.

En revanche, le raisonnement déployé par la juridiction pour aboutir à un tel résultat a peu retenu
l'attention. C'est pourtant sur ce terrain technique que la décision apparaît la plus novatrice et,
surtout, la plus préoccupante : jamais auparavant le Conseil ne s'était aventuré si loin dans la
mise en cause du pouvoir d'appréciation politique du Parlement. Jusqu'à présent, le juge
constitutionnel affirmait régulièrement ne pas détenir " un pouvoir général d'appréciation et de
décision de même nature que celui du Parlement ", et en tirait deux conséquences principales.

En premier lieu, il contrôlait avec beaucoup de retenue les taux d'imposition fixés par la loi. Et
pour cause : ce contrôle se fonde sur la Déclaration du 26 août 1789 qui affirme simplement que
l'impôt " doit être également réparti entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ".

En estimant, dans sa décision du 29 décembre, qu'imposer certains revenus (ceux tirés des "
retraites chapeaux ", en l'occurrence) à hauteur de 75,34 % violait ce principe, alors que le
maintien d'un taux de 68,34 % restait admissible, le Conseil opère un tour de force interprétatif
sans précédent.

Dérives démagogiques

Et l'opération surprend d'autant plus qu'elle conduit le juge à rogner le pouvoir du Parlement sur
une question somme toute secondaire, et économiquement peu significative : celle des taux
marginaux d'imposition (le taux maximal qui peut frapper la part la plus élevée d'un revenu) plutôt
que celle des taux moyens (indiquant la part du revenu effectivement consacrée au paiement de
l'impôt). Se focaliser ainsi sur les taux marginaux d'imposition revient à mesurer la vitesse des
coureurs du Tour de France en ne prenant en compte que les descentes.

En second lieu, le Conseil constitutionnel évitait jusqu'alors de se prononcer sur la pertinence des
motifs politiques guidant les textes fiscaux. Tout juste annulait-il - au terme d'une jurisprudence
déjà audacieuse - les mécanismes jugés incohérents au regard du but que la loi leur assignait.
C'est ce qui explique le sort funeste réservé en 2009 au projet de " taxe carbone " : tout en
affichant un objectif de réduction des émissions de CO2, le projet exonérait en pratique la
majorité des industries polluantes.

202
Dans sa décision du 29 décembre, le juge va bien au-delà d'un tel contrôle de cohérence : il
n'hésite pas à substituer sa propre vision de l'intérêt général à celle retenue par le Parlement. En
annulant la prorogation d'une niche fiscale bénéficiant aux successions ouvertes en Corse, au
motif qu'elle ne reposait sur aucun " motif légitime ", il s'octroie le pouvoir de trancher une
question politique : celle de l'opportunité de maintenir un avantage fiscal. Ce faisant, il conteste
aux élus de la nation le monopole de la définition de ce qui est politiquement légitime.

Sans doute cette décision constitutionnelle permettra-t-elle de prévenir, à l'avenir, certaines


dérives démagogiques. Mais la conception de la démocratie qu'elle suggère mérite tout de même
d'être interrogée. Gouvernement des juges, dites-vous ?

Martin Collet

Professeur de droit public

à l'Université Panthéon-Assas (Paris-II)

Le Conseil constitutionnel, gardien de l'Etat plus que des libertés

Le Conseil constitutionnel a, sans surprise, validé, le 23 juillet, l'essentiel de la loi sur le


renseignement. Sans surprise, parce que le Conseil ne s'est pas caractérisé, depuis des années,
par une conception extensive des libertés fondamentales et raisonne, avec une cohérence de fer,
sur la seule conformité à sa jurisprudence. Or, les membres du Conseil ont, pour la plupart,
exercé d'importantes responsabilités politiques et ont, d'abord, chevillé au corps, un profond
sens de l'Etat. Ils ont fait du Conseil une institution certes vigilante sur les égarements du
législateur, mais finalement conservatrice et profondément respectueuse des prérogatives de
l'Etat.

La décision sur la loi relative au renseignement est à cet égard exemplaire : juridiquement
impeccable, elle préfigure la marginalisation du Conseil au regard de la jurisprudence
internationale. Ce n'est pas faute d'avoir été prévenu : le Comité des droits de l'homme des
Nations unies s'était montré " préoccupé ", deux jours avant la décision du Conseil, le 21 juillet,
par une loi qui octroie des " pouvoirs excessivement larges de surveillance très intrusive aux
services de renseignement sur la base d'objectifs vastes et peu définis, sans autorisation d'un
juge et sans mécanisme de contrôle adéquat et indépendant ".

La faute en revient à la gauche au pouvoir, à la fois fascinée par les services de renseignement
et soucieuse de faire face au défi terroriste. Il fallait incontestablement écrire une loi. Fallait-il
pour autant légaliser toutes les pratiques d'espionnage, dans un vaste mouvement de "
blanchiment législatif " ? La démarche n'a pas choqué le Conseil constitutionnel, qui n'a censuré
que trois dispositions – et donné raison au grand juriste Jean Rivero, qui soupçonnait, en 1981,
l'institution de " filtrer le moustique et de laisser passer le chameau ".

203
Il a censuré, non sans raison, la procédure " d'urgence opérationnelle ", mais validé " l'urgence
absolue ", qui se dispense de l'avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de
renseignement (CNTCR). Il a encore écarté le très extraordinaire article sur la surveillance
internationale, qui obéit, convient le Conseil, " à des règles totalement dérogatoires ", et
entretenait un flou certain sur les communications internationales. Enfin, le Conseil conteste
l'affectation du budget de la CNTCR, ce qui n'était pas de nature à faire descendre les gens dans
la rue.

erreur d'appréciation

Tout le reste serait conforme à la Constitution. La surveillance de masse, l'espionnage de "


l'entourage " d'un suspect, le siphonnage des disques durs, les algorithmes sur les réseaux, les
durées de conservation des données… Le Conseil devait s'assurer que la loi était conforme à
trois exigences constitutionnelles : droit au respect de la vie privée, liberté de communication
et droit à un recours juridictionnel effectif. C'est décevant dans les trois cas.

Le respect de la vie privée s'appuie sur une erreur d'appréciation du Conseil : il dit qu'il faut
faire une distinction entre le contenu des correspondances et les données techniques, " dont le
recueil est en principe moins intrusif ". L'inverse est vrai : les données de connexion " sont
susceptibles de permettre de tirer des conclusions très précises concernant la vie privée des
personnes ", a jugé, en 2014, la Cour de justice de l'Union européenne.

La liberté de communication, théoriquement, et depuis 1789, " l'un des droits les plus précieux
de l'homme ", est prise par le Conseil dans sa dimension la plus étroite. Celui-ci assure sans
faiblir dans une question prioritaire de constitutionnalité, tranchée le 24 juillet, qu'" aucune
disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et
correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes ".

Quant au droit à un recours juridictionnel effectif, les embûches placées sur la route de la
CNTCR devraient tranquilliser les services, et le recours devant le Conseil d'Etat est organisé
de telle façon qu'il soit objectivement inopérant pour les particuliers.

A quoi sert alors le Conseil ? A graver dans le marbre des lois qui ne sont cohérentes que sur le
papier ? Contre-pouvoir nécessaire, il bute cependant sur ses propres limites, pour trois raisons.

Il s'est, d'abord, éloigné du citoyen et statue dans une sphère éthérée : le Conseil a certes
consacré le principe " d'intelligibilité " de la loi, mais rend des décisions d'une obscurité telle
qu'il est obligé de publier un commentaire explicatif. Il est, ensuite, prisonnier d'une
jurisprudence byzantine, notamment sur le partage entre l'autorité judiciaire et l'autorité
administrative. Enfin, avec, depuis 2008, l'irruption de la question prioritaire de

204
constitutionnalité, qui permet de contester sur un cas concret la conformité à la Constitution, le
contrôle a priori de la loi n'a plus grand sens – une loi se mesure d'abord à ses effets.

Le Conseil se limite ainsi à un juridisme pointilleux, quand la Cour de cassation et le Conseil


d'Etat rivalisent de zèle pour se conformer à la jurisprudence européenne, infiniment plus
progressiste. Il va perdre à terme la course à l'échalote du contrôle de conventionnalité, c'est-à-
dire la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme – sauf à s'en saisir enfin,
et devenir une Cour suprême. Il ne donne pas le sentiment d'y être prêt.

Franck Johannès

Le Monde 21 août 2015

Document n°87

Les Conseils

Depuis la réforme constitutionnelle du 27 juillet 1993, et au delà du Conseil constitutionnel déjà étudié,
ils sont au nombre de quatre cités dans la Constitution ; on peut les classer en deux grandes catégories :
- d’une part ceux qui peuvent être considérés comme des organes juridictionnels -, la Haute Cour de Justice et la
Cour de Justice de la République (le Conseil Constitutionnel est à classer dans ces organes juridictionnels)- ;
− et d’autre part, ceux qui, ne pouvant que formuler des avis, jouent un rôle éventuellement consultatif dans
le fonctionnement des institutions politiques : il s’agit du conseil supérieur de la magistrature et du conseil
économique et social.

1°) Les organes juridictionnels

a) La Haute Cour de Justice

C’est un organe de circonstance puisqu’elle n’est créée que pour juger le Président de la République dans
le cas de haute trahison.
Elle est composée de 24 juges titulaires et 24 suppléants élus par chaque assemblée parmi ses membres.
Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un
vote identique, au scrutin public, et à la majorité absolue des parlementaires.

b) La Cour de Justice de la République

Mise en place par la réforme constitutionnelle du 27 juillet 1993, elle prend en charge la responsabilité
pénale des membres du gouvernement.

Elle comprend quinze juges dont douze parlementaires (six députés, six sénateurs) et trois magistrats
désignés par la Cour de Cassation.

2°) Les organes consultatifs

a) Le Conseil Supérieur de la Magistrature

Il est chargé d’assister le Président de la République en tant que garant de l’indépendance de l’autorité
judiciaire.
Il formule des avis en ce qui concerne les nominations et l’avancement des magistrats.
Il est composé de deux formations :

205
- l’une compétente à l’égard des magistrats de siège ;
- l’autre à l’égard des magistrats de droit.
Le Président de la République le préside, le ministre de la justice en assure la vice-présidence de droit.

b) Le Conseil Economique et Social

ème
L’objectif du Conseil Economique et Social, qui a été au début du XX siècle, une revendication
institutionnelle des syndicats de travailleurs, est d’assurer un mode de représentation de la population autre que
celui de la citoyenneté. Il s’agit de permettre aux forces vives de la Nation et aux acteurs économiques et sociaux,
d’apporter, par leur compétence et leur expérience, une vision différente des enjeux concrêts du pays. Le général
de Gaulle, dans le référendum du 27 avril 1969, qui a été rejeté, avait prévu, pour régénérer le bicamérisme, de
fusionner le Conseil Economique et Social avec le Sénat. Les 231 membres du Conseil Economique et Social sont
désignés et non élus pour 5 ans. Les représentants des salariés et des entreprises le sont par les organisations
professionnelles les plus représentatives. Les autres, dont une quarantaine de personnalités qualifiées dans le
domaine économique, social, scientifique et culturel, sont nommées par décret. Organe purement délibératif, le
Conseil Economique et Social formule des avis, notamment dans le cadre de l’élaboration du Plan et fournit des
rapports et des études, soit à la demande du gouvernement, soit de sa propre initiative.

Conclusion générale
Document n°88

Principales caractéristiques et innovations de la V èmeRépublique

Il est classique de réduire les caractéristiques du nouveau système constitutionnel au


renforcement des pouvoirs du Président, à la rationalisation du travail parlementaire et à
l’instauration d’un contrôle de la constitutionnalité par un conseil constitutionnel.
A la lumière des quarante années de pratique, le trait le plus marquant de la Vème
République est cependant le déséquilibre flagrant que la constitution organise au profit de
l’exécutif et au détriment du législatif .
Ce déséquilibre a encore été accentué par la réforme constitutionnelle de 1962 qui instaure
l’éléction du Président de la République au suffrage universel direct et fait perdre à l’Assemblée
nationale le monopole de la légitimité populaire.
On est en droit de se demander dans quelle mesure ces institutions n’attribuent pas aux
deux pôles de l’exécutif, Président et gouvernement, l’exclusivité du champ décisionnel,
réduisant le législatif en instance délibérative et l’enfermant dans une fonction de contrôle
amputée de l’essentiel du pouvoir de sanction.
La constitution de 1958, composée d’un court préambule, de 89 articles répartis
aujourd’hui en 16 titres, bâtit un système de séparation des pouvoirs à partir d’une logique à
dominante parlementaire.

Un exécutif bicéphale, avec un Président irresponsable, élu au début par un collège de


grands électeurs pour un mandat long de 7 ans et qui peut dissoudre l’Assemblée nationale.
A coté un gouvernement, émanant obligatoirement de la majorité parlementaire puisque
responsable devant l’Assemblée nationale.
En face, un législatif bicaméral dont la chambre basse peut censurer le gouvernement
mais qui est exposée à l’arme de la dissolution. L’essentiel de la logique d’un régime
parlementaire est respectée et reste en place, même si sa conception tend vers un régime de type
orléaniste compte tenu de la place du Président.
En effet, l’innovation essentielle dans l’organisation de cet exécutif bicéphale réside
dans le statut du Président dont le rôle a été taillé en fonction de la place que de Gaulle entendait
se donner : il dispose de pouvoirs propres qu’il exerce sans contreseing ministériel.
La constitution ne précise pas de façon claire le type de rapports entre Président et Premier

206
ministre qui en résulte : ce sera la pratique qui définira les attributions respectives, d’une façon
très fluctuante selon les jeux des majorités à partir du moment où le Président sera issu du
suffrage universel.
On peut logiquement s’interroger sur la compatibilité qui peut exister entre des pouvoirs
propres au Président et l’article 20 de la Constitution qui stipule que “le gouvernement
détermine et conduit la politique de la nation””. Il devient évident que, selon que Président et
gouvernement seront de même tendance politique ou pas, selon qu’il y aura, ce qu’on appelle
aujourd’hui, cohabitation ou pas, le rapport de force entre les deux pôles de l’exécutif n’est pas
le même :
- si les tendances politiques sont les mêmes, si les majorités parlementaires, gouvernementales
et présidentielles sont identiques et donc compatibles, les pouvoirs du Président lui donnent
autorité pour diriger l’ensemble ; l’article 20 dans la pratique fait alors que le gouvernement
détermine la politique de la nation sous l’autorité du Président et qu’il ne la conduit qu’assisté.
- En revanche, lorsque les majorités sont différentes et donc opposées, les pouvoirs propres du
Président viennent se heurter à toute la force contenue dans l’article 20 qui permet au Premier
Ministre, s’appuyant sur sa majorité parlementaire, non seulement de conduire la politique de
la nation mais aussi de la déterminer.
On peut donc conclure que la principale caractéristique et particularité des institutions
de la Vème République est d’avoir déplacé la confrontation essentielle que devrait générer la
séparation des pouvoirs entre législatif et exécutif à l’intérieur même de l’exécutif, ce qui
aboutit à transformer l’affaiblissement du Parlement voulu initialement par les promoteurs de
la constitution en une vraie marginalisation qui n’existe ni dans un système parlementaire, ni
dans un régime présidentiel.
J.P. Oppenheim, E. Le Masson, « Institutions Politiques », op-cit.

Document n°89: Bernard Cassen, art : “Remettre en jeu les Parlements”, in “Le Monde
Dplomatique”, mai 1997.
“La Constitution de la Vème République a assigné une place subalterne au Parlement dans le
fonctionnement des institutions en privilégiant la stabilité de l’exécutif, notamment par l’article
49-3 et en affirmant la préeminence présidentielle, en particulier par le pouvoir de dissolution
dont M. Chirac vient de faire usage pour convenance personnelle. Quand majorité présidentielle
et majorité parlementaire coïncident (1958-1986, 1988-1993, 1995-1997), il est attendu de la
majorité des élus, même s’ils renâclent occasionnellement, qu’ils se comportent en “godillots”
du président. En période de cohabitation (1986-1988 et 1993-1995), l’existence de deux pôles
de pouvoir concurrents - celui du président et celui du premier ministre - interdit que s’en crée
un troisième. La majorité de la représentation nationale est alors au service exclusif du chef du
gouvernement, au succès duquel son sort est lié, puisque l’Elysée se tient en embuscade pour
la renvoyer devant les électeurs à la première occasion.
Deux situations de subordination ... Dans un tel système, les marges de manoeuvre pour une
revalorisation du Parlement sont donc faibles, mais elles existent”.

Document n°90 : “Rendre un espace au Parlement”.


“Le Parlement n’a presque plus de place dans le jeu politique parce que cette place est prise par
d’autres. Laissons de coté tout ce qui a pu lui être enlevé par la communication médiatique, qui
fait que beaucoup des débats politiques sont transportés du Palais-Bourbon aux écrans de
télévision. Mais surtout il faut bien voir que le système de la Constitution de 1958 avec
l’élection du président de la République au suffrage universel depuis 1962 aboutit à cumuler
dans les mains du Président, soit personnellement, soit par personnes interposées, les pouvoirs
et le statut à la fois d’un président des Etats-Unis et d’un chef de gouvernement parlementaire.

207
Comme le président des Etats-Unis, il a l’investiture populaire, la durée fixe du mandat, le choix
de son gouvernement et de la décision en dernier ressort. Mais, en même temps, notre
Constitution lui donne toutes les armes du régime parlementaire rationalisé, c’est-à-dire le
leadership gouvernemental sur le Parlement, grâce à toutes ces prérogatives que sont le quasi-
monopole de l’initiative législative, la limitation du pouvoir d’initiative financière du
Parlement, et surtout la fameux article 49 paragraphe 3. (...) La véritable solution consisterait à
enlever au président les armes qu’il tient du régime parlementaire et à lui restituer ce qui est
l’essence de son rôle : un exécutif responsable devant le peuple mais en contrepartie sans
prérogatives telles que la possibilité de dissolution, l’article 49 paragraphe 3 ou ses substituts.
(...) En réalité, dans cette optique, la seule vraie réforme, et je souhaite bien du plaisir à ceux
qui voudraient l’entreprendre, ce serait de supprimer l’élection du président de la République
au suffrage universel. Alors là, vous pourriez raisonner de nouveau sur un régime parlementaire.
Mais vous ne pouvez pas faire cohabiter un président investi de cette super-légitimité qu’est
l’élection au suffrage universel direct et en même temps un système dans lequel son rôle serait
de gérer une crise ministérielle tous les six mois comme Vincent Auriol”. Par ailleurs, “on parle
d’accroître les pouvoirs de contrôle et d’enquête du Parlement. Seul un Parlement qui n’est pas
lié à l’exécutif par le fait que ce sont des représentants de la majorité qui sont au gouvernement
exerce un vrai contrôle. Au contraire, dans le système français, le contrôleur, à savoir la majorité
parlementaire, est solidaire du contrôlé, le gouvernement, et ne peut que noyer le poisson dans
ses enquêtes”.
G. Vedel, interview de J.M. Colombani, le 5 décembre 1991, in “Le monde”.

Le rapport Jospin prône un big bang politique


Mandatée par François Hollande, la commission présidée par l'ancien premier
ministre propose un cadre institutionnel profondément renouvelé Cumul des
mandats, proportionnelle, parrainages... tout pourrait changer

Pour un renouveau démocratique ". C'est le titre du rapport que Lionel Jospin, entouré
des treize autres membres de la commission de rénovation et de déontologie de la vie
publique (CRDVP), remettait, vendredi 9 novembre, à François Hollande. Sous la sobre
jaquette, ce document de 130 pages, assorti de 35 propositions, a toutes les chances
d'être un pavé dans la mare tant il est porteur d'une profonde évolution des
comportements publics.

" La commission a placé les citoyens au coeur de son propos ", indique le rapport dans
son introduction. Cette volonté de dépasser la " crise de confiance " entre les citoyens et
les institutions politiques est en quelque sorte le " fil rouge " de ses propositions. Au-delà
des chantiers de rénovation qu'il ouvre, c'est aussi le caractère innovant des solutions
proposées qu'il faut retenir.

S'il fallait en administrer la preuve, la partie consacrée au scrutin présidentiel et aux


élections législatives et sénatoriales recèle, à cet égard, des propositions inédites dans
notre Ve République. Le parrainage citoyen pour les candidats à l'élection présidentielle,
l'introduction d'une dose de proportionnelle aux législatives avec un système de double
vote pour chaque électeur, la refonte du collège électoral sénatorial avec un mécanisme

208
de pondération des votes pour équilibrer la représentation démographique. Ces pistes de
réformes n'avaient jamais, jusqu'à présent, fait l'objet d'une réflexion aussi poussée.

La commission Jospin veut être celle qui aura précédé le passage à l'acte pour le non-
cumul des mandats. L'ancien premier ministre sait, pour y avoir été confronté, à quels
conservatismes cette volonté de rénovation se heurte.

La première partie du rapport est consacrée à la rénovation de la représentation politique.


En commençant par le scrutin présidentiel.. La commission Jospin ne touche pas au mode
d'élection du président de la République, mais elle propose de " repenser le dispositif de
qualification préalable des candidats ", en particulier le système des 500 signatures d'élus
nécessaires pour pouvoir concourir. " Un filtre doit être maintenu ", estime-t-elle, mais le
dispositif actuel est à la fois source d'inégalités entre les candidats, obsolète et
contestable sur le plan de la légitimité..

Au parrainage des élus, elle propose de substituer un parrainage citoyen, en fixant à 150
000 le nombre de signatures nécessaire pour pouvoir concourir. Ce seuil (environ 0,33 %
des électeurs inscrits) est conforme à la moyenne observée dans les Etats de l'Union
européenne ayant adopté un mécanisme de parrainage citoyen. Les signatures devraient
émaner d'au moins 50 départements ou collectivités d'outre-mer, sans que l'un ou l'autre
ne puisse fournir plus de 5 % des parrainages, soit 7 500 signatures. Chaque électeur
recevrait un formulaire de parrainage. Le dépouillement et le contrôle relèveraient des
préfectures avant d'être validés par le Conseil constitutionnel. Les parrainages ne seraient
pas publics. La commission se prononce aussi pour une modification des modalités de
remboursement des dépenses électorales des candidats. Actuellement, ceux qui
obtiennent moins de 5 % des suffrages ne peuvent prétendre qu'à 4,75 % du plafond de
dépenses, qui s'élève à 16,8 millions d'euros, et ceux qui franchissent cette barre à 47,5
%, dix fois plus.. Jugeant cet effet de seuil trop important, elle propose une série de
tranches espacées de 2 points, de 0 % à plus de 20 %, avec un taux de remboursement
variant de 6 % à 46 % du plafond.

La commission se prononce également sur le calendrier électoral qui prévoit, depuis 2002,
l'organisation des élections législatives après l'élection présidentielle. Un calendrier
qu'avait fait adopter Lionel Jospin, premier ministre, en mai 2001, et que la commission
qu'il préside propose de maintenir, avec deux aménagements " limités ". Ces échéances
électorales seraient avancées de deux mois. La fin du mandat présidentiel serait ainsi
fixée au deuxième dimanche de mars. Le délai entre les deux élections serait réduit d'une
ou deux semaines. Le nouveau gouvernement pourrait ainsi engager ses premières
réformes plus rapidement.

La commission Jospin était attendue sur le mode de scrutin législatif. Quelle dose de
proportionnelle ? Sa réponse est sans ambiguïté. Elle ne souhaite pas " remettre en cause
les acquis du fait majoritaire " : " Favoriser la constitution d'une majorité claire, afin
d'assurer la stabilité gouvernementale, tel est le premier objectif qui doit être assigné au
mode de scrutin " pour les élections législatives. Maintien, donc, du scrutin uninominal
majoritaire à deux tours pour l'essentiel des députés et, sans augmentation de leur
nombre (577), un nombre limité - " 10 % au plus, soit 58 députés " - élus à la
proportionnel. Pour garder inchangé le nombre de députés, un redécoupage des
circonscriptions sera nécessaire. La commission envisage une méthode de répartition "
plus équitable sur le plan démographique ".

Pour ces élus à la proportionnelle, l'élection aurait lieu à un tour de scrutin, dans une
circonscription nationale unique, sans exigence de seuil. Chaque électeur disposerait de

209
deux voix, l'une pour le scrutin majoritaire, l'autre pour le scrutin proportionnel, les deux
votes étant indépendants.

Enfin, la commission propose un véritable " lifting " du Sénat, où le mode d'élection et la
composition du collège électoral " favorisent à l'excès " la représentation des petites
communes rurales et des communes par rapport aux départements et aux régions. Une
anomalie que la commission entend corriger en rééquilibrant le poids des départements et
des régions et celui des communes en fonction de leur population. Elle souhaite en outre
rétablir le scrutin proportionnel dans les départements élisant trois sénateurs.

Elle complète aussi, en la renforçant, la modulation des aides financières aux partis
politiques en fonction du respect de la parité.

Les propositions formulées par la commission sont précises, détaillées et, chaque fois que
nécessaire, accompagnées d'une note technique indiquant si elles appellent loi
constitutionnelle, loi organique, loi ordinaire ou décret. Au gouvernement et au
Parlement, à présent, d'en faire leur profit.

Patrick Roger

Le Monde 12 novembre 2012

Il faut cumuler les mandats politiques !


Seuls contrepoids au pouvoir de l'exécutif

Supprimer le cumul des mandats, la clameur monte des rangs socialistes, d'un parti composé
d'élus, mais aussi d'aspirants à être élus qui attendent de la réforme plus de places en partage.
Evidemment cette mesure est populaire dans l'opinion. Elle l'est moins chez certains
parlementaires qui semblent faire de la résistance. Et s'ils avaient raison ?

Car la principale conséquence de l'interdiction faite aux parlementaires de cumuler des mandats
exécutifs locaux serait de renforcer encore les pouvoirs du président de la République.

Il n'existe aucune autre grande démocratie dans laquelle un chef de l'exécutif a autant de
pouvoirs que le président de la Ve République. Elu, il est inamovible pour la durée de son
mandat. Il a en revanche le dro it de dissoudre l'Assemblée nationale. Il nomme aux plus hautes
fonctions de l'Etat. Il a, par l'intermédiaire du gouvernement, l'initiative de la plupart des lois et
d'irrésistibles moyens de pression pour les faire voter au cas où le Parlement résisterait à les
adopter.

Jusqu'en 2000, cependant, le président vivait dans une certaine incertitude. Ses pouvoirs
pouvaient se trouver subitement réduits si les citoyens français élisaient à l'Assemblée nationale
une majorité qui ne partageait pas ses options politiques. A trois reprises, en 1986-1988, puis
1993-1995, mais surtout entre 1997 et 2002 avec Lionel Jospin, les Français ont expérimenté
avec la cohabitation combien la Ve République pouvait être aussi parlementaire et fonctionner
autour d'un premier ministre dirigeant un travail d'équipe, en la présence vigilante d'un président
de bord opposé.

Hélas, à l'initiative de Lionel Jospin lui-même, les durées des mandats du président et des
députés ont été alignées à cinq ans, et l'ordre des élections inversé, afin que l'élection
présidentielle intervienne avant l'élection des députés. L'objectif était de réduire - voire de
supprimer - le risque, insupportable pour les responsables des partis, de nouvelles cohabitations.

210
Le principal résultat a été d'accentuer encore la concentration et la confusion des pouvoirs entre
les mains du chef de l'Etat.

Les députés de la majorité, dorénavant élus dans la foulée du président, sur son programme et
pour la durée de son mandat, sont rééligibles avec lui et plus que jamais auparavant dans sa
directe dépendance.

Parmi ces députés, cependant, certains sont maires, présidents de conseils général ou régional.
Ils représentent un atout pour leur commune, leur département ou leur région dans la mesure où
ils peuvent mieux plaider leur cause à Paris. Mais ils sont aussi un atout pour notre démocratie.
Leur statut d'élu ne dépend pas en effet que du seul mandat parlementaire. Face au pouvoir
exécutif, ils sont donc plus puissants et plus indépendants que ceux de leurs collègues qui ne
sont " que " parlementaires.

L'exception française du cumul des mandats est donc une réponse, imparfaite certes, mais un
incontestable contrepoids à l'exception française du cumul des pouvoirs, de la concentration
extrême des pouvoirs entre les mains du président de la République. Il ne faut donc pas interdire
le cumul des mandats sans réduire en parallèle les pouvoirs du président et rééquilibrer nos
institutions.

On pourrait restreindre drastiquement le droit de dissolution et ne le réserver qu'aux situations où


aucun gouvernement ne trouve de majorité à l'Assemblée nationale, supprimer la possibilité pour
le gouvernement d'engager sa responsabilité pour forcer l'adoption d'une loi. On pourrait imposer
aux partis politiques, dorénavant financés principalement par l'argent des électeurs, transparence
et intégrité dans la désignation de leurs dirigeants et de leurs candidats aux élections. On devrait
aussi recréer un décalage entre durée des mandats présidentiel et parlementaire comme cela
existe partout ailleurs, soit que le mandat des députés redevienne plus court que celui du
président, soit, à l'inverse, que le mandat du président soit plus court que celui des députés.

Enfin, on pourrait se demander si, pour une ville grande ou moyenne, le danger n'est pas moins
le cumul des mandats que la possibilité illimitée de se représenter vingt ans, trente ans, quarante
ans et de vieillir avec sa ville jusqu'à la faire mourir.

Mais, puisque, en fin de compte, il n'est proposé, avec la seule interdiction du cumul des
mandats, que d'augmenter encore les pouvoirs du président de la République, les parlementaires
qui s'opposent à cette interdiction ont raison. Dans une République qui n'est plus structurée
qu'autour de chefs, il vaut mieux en avoir plusieurs, un chef national et de vrais chefs locaux ou
régionaux, capables de lui résister et de l'affronter, plutôt qu'un seul qui, de Paris, régnerait sur
une France arasée.

En attendant une vraie réforme de nos institutions, il faut donc conserver le cumul des mandats.

Patrick Weil

Historien et politologue,

directeur de recherche au CNRS

Le Monde 20 février 2013

daté du 21 avril 2013

211
AFP

La méfiance, une vertu citoyenne

Par temps de crise, les mesures de moralisation de la vie publique ne relèvent ni du voyeurisme ni
du rigorisme, mais de l'exigencerépublicaine

L'affaire Cahuzac a produit un débordement de jugements moraux sur les personnes au pouvoir,
sans vraiment poser clairement la question de ce que devrait être aujourd'hui la vertu républicaine
des gouvernants et des gouvernés. A-t-on vraiment posé la question de ce qui a miné cette vertu
et de ce qui la rendrait possible ? La proposition immédiate de rendre transparents les comptes
privés des ministres est-elle pertinente ou est-elle déjà un excès de rigorisme de la vertu désormais
demandée ? Est-ce une manière de livrer en pâture des responsables politiques ?

La vertu publique, c'est avant tout un sens du bien commun, de l'intérêt général, de la justice, de
l'équité et de la légalité à respecter. C'est d'abord comme citoyen puis comme élu et comme
membre de l'exécutif que Jérôme Cahuzac l'a bafouée. Or, effectivement, celui qui représente le
souverain depuis au moins la Révolution française se doit d'être plus vertueux, car il incarne le tout
de la communauté et parce que, s'il faillit, c'est l'ensemble de l'édifice républicain qui est ébranlé ;
ce qui se perd alors, c'est la confiance publique.

Face à tant " d'insolence ", aurait dit Saint-Just, pourquoi l'idée que la vertu est trop rigoureuse
réapparaît-elle dans l'opinion pour défendre la part d'ombre d'un homme qui a décidé en
conscience de ne pas vivre cette responsabilité citoyenne et gouvernementale ? La crainte, dit-on,
est celle d'un nouveau terrorisme, d'un nouveau voyeurisme, d'une perte de liberté individuelle.

Or on retrouve ici un débat déjà ancien, celui qui a conduit à retourner la figure républicaine de
l'incorruptible Robespierre en figure exécrable du tyran puritain.

Cette longue histoire est celle de la confusion entre morale publique et ordre moral. L'ordre moral
donne des règles immuables aux formes de la vie privée et publique, quand la morale publique doit
étayer la réalisation des droits de l'homme et du citoyen dans la société, étayer la souveraineté de
la loi. Or si la morale publique relève malgré tout de la contrainte sur soi, cette contrainte est
articulée à ce que les républicains nomment justement " amour des lois " et de la justice. La morale
publique est alors sauvegarde de la volonté générale, car c'est elle qui conduit chaque être humain
trop humain, doué aussi de sa part d'ombre, à préférer l'intérêt général à son intérêt particulier et
pour ce faire effectivement donner non seulement force à la loi mais reconnaître le rôle de
surveillance des institutions civiles.

Ces institutions, celles des Fragments sur les institutions républicaines de Saint-Just, ont pour visée
de " mettre dans les citoyens (...) une résistance facile et légale à l'injustice, de forcer les magistrats
(...) à la vertu, de rendre les hommes justes et sensibles et de les lier par des rapports généreux, en
soumettant le moins possible aux lois de l'autorité les rapports domestiques et la vie privée du peuple
". Il ne s'agit donc nullement d'ordre moral, qui supposerait de confondre la sphère publique et
privée, mais de réfléchir à ce qui dans l'éducation commune est malgré tout nécessaire pour étayer
cette morale publique.

Se défier des pouvoirs

212
Est-il " terroriste " de surveiller les élus ou est-ce une manière de les aider à réguler leurs passions
? Est-ce être dans la vindicte que de dénoncer la prévarication ? Est-ce nourrir la vindicte que de
vouloir la prévenir par l'opprobre et même la dénonciation publique dans la presse ? Pour un
Robespierre, dès 1790, bien au contraire : " Dans tout Etat, le seul frein efficace des abus de l'autorité,
c'est l'opinion publique, et par une suite nécessaire, la liberté de manifester son opinion individuelle
sur la conduite des fonctionnaires publics, sur le bon et mauvais usage qu'ils font de l'autorité que les
citoyens leur ont confiée. "

C'est pourquoi la vertu populaire n'est pas de faire confiance mais de se méfier (et même défier)
de tous les pouvoirs exécutifs. La défiance est le sentiment qui maintiendrait la possibilité, la
potentialité de la conflictualité politique à l'égard de l'exécutif : " La défiance est au sentiment intime
de la liberté ce que la jalousie est à l'amour ", disait Robespierre. Pourquoi craindre alors la vindicte
populaire ? D'abord parce que les puissants savent qu'ils peuvent provoquer cette vindicte.
Machiavel déjà affirmait : " Le plus souvent les troubles sont causés par les possédants, parce que la
peur de perdre engendre chez eux la même envie que chez ceux qui désirent acquérir. " Mais, ajoute
Machiavel, " il y a plus : leur comportement incorrect et ambitieux allume, dans le coeur de ceux qui
n'ont rien, l'envie de posséder, soit pour se venger d'eux en les dépouillant, soit pour pouvoir eux aussi
atteindre aux richesses et aux charges dont ils voient faire un mauvais usage ".

Les institutions de régulations des passions et de leur cruauté sont aujourd'hui manquantes.
L'éducation nationale hésite à devenir une simple instruction professionnalisante, les sociétés
politiques d'aujourd'hui, les partis sont pleins de simples professionnels, il n'y a plus de lieux où se
réunir. La novation civique existe mais tarde à se généraliser. De ce fait, comme hier la vertu civique
et publique, l'intérêt général même semble être devenu une notion désuète.

Si à cet égard nos institutions de transparence, presse et justice, semblent avoir en fait bien
fonctionné, c'est en réaffirmant un pouvoir de dénonciation pour répondre au sentiment qu'il faut
rétablir l'équité face à la crise. Non pas moraliser les individus, mais la situation.

La vertu démagogique - du " tous pourris " - refuse d'entendre que la vertu et les talents peuvent
être ceux de gens riches, savants, et qu'ils peuvent parfaitement se hisser à la hauteur d'une tenue
républicaine pourvu qu'on dispose d'institutions vertueuses. Ce qui est totalitaire, c'est l'absence
totale de jeu, soit par une démesure des règles, soit par l'absence de règles ; ce qui est républicain,
ce sont des règles du jeu claires.

La question est maintenant de savoir si la feuille d'impôt rendue publique produit cette vertu
publique ou n'est qu'un système voyeur de production de boucs émissaires. Sans doute qu'en
période de prospérité la question se poserait autrement. Mais, quand la crise impose des
restrictions aux plus démunis, l'indécence des écarts démesurés de fortune mérite d'être rendue
publique. Non pour interdire d'être riche, mais pour affirmer la nécessité de donner des gages
quand on est riche.

Les riches Athéniens du Ve siècle redistribuaient leur richesse sous forme de financement des
stratégies et des chorégies, pour la défense publique, les arts et l'éducation. Mais quels seraient ces
gages aujourd'hui ? L'étiquette avait en son temps permis aux rois et aux reines de fabriquer le
spectacle de la transparence, mais en mettant au secret la vérité même des subjectivités. Qu'est-ce
qui sera mis au secret par cette nouvelle transparence, sinon notre nécessité d'inventer nos
institutions républicaines ?

Sophie Wahnich

213
Historienne, directrice de recherche CNRS

à l'Institut interdisciplinaire d'anthropologie

du contemporain (équipe Tram, transformations radicales des mondes contemporains), spécialiste de


la Révolution française. Elle est l'auteure de nombreux ouvrages c onsacrés à la période, parmi lesquels

" La Longue Patience du peuple, 1792, naissance

de la République " (Payot, 2008)

et " L'Intelligence politique de la Révolution française " (Textuel, 144 p., 16 €).

La Cour des comptes, décideur politique ?

Ses orientations ultralibérales la font sortir de son rôle

La Cour des comptes exige des coupes d'urgence dans les dépenses sociales ", titrait Le Monde du
28 juin, qui redoublait en pages intérieures par cette précision : " La Cour des comptes exige des
mesures d'urgence ". Ces titres résument parfaitement le problème posé actuellement par l'activité
de la Cour : elle " exige " la mise en oeuvre d'un certain type de politiques publiques. Est-elle dans
son rôle ?

La Cour des comptes est une juridiction financière d'ordre administratif. C'est l'article 15 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui définit sa mission : " La société a le droit de
demander compte à tout agent public de son administration. " C'est là sa charte fondamentale,
inscrite au fronton de sa " grand-chambre ". Certes, depuis lors, ses missions ont été élargies ; tout
récemment encore, en 2008, une réforme constitutionnelle est venue lui donner une mission
nouvelle. Désormais, selon l'article 47-2 de la Constitution, " la Cour assiste le Parlement et le
gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances et de l'application des lois de
financement de la Sécurité sociale ainsi que l'évaluation des politiques publiques ".

Son rôle était historiquement clair et il le demeure : jugement et certification des comptes, contrôle
de la bonne exécution des lois votées par le Parlement, évaluation a posteriori des politiques
publiques. Elle doit s'en tenir à examiner les politiques publiques, à juger si elles ont été conduites
selon les règles du droit et si elles ont été efficaces par rapport à leurs objectifs. En aucun cas, la
Cour ne peut prescrire des politiques publiques, qui relèvent du seul débat démocratique et de la
décision politique.

Or, depuis quelques années, la Cour tend à outrepasser son rôle, évolution qui s'est encore
aggravée depuis la nomination de Didier Migaud à sa tête, et les rapports se multiplient qui
promeuvent une orientation politique ultralibérale. Le dernier en date, " Situation et perspectives
des finances publiques 2013 ", n'y échappe pas. On y retrouve tous les poncifs concernant les
dépenses publiques. Ainsi le niveau des prélèvements obligatoires serait trop élevé, affirmation
dépourvue de sens si on n'indique pas quels sont les services fournis en contrepartie, très différents
suivant les pays, ni que ce niveau reflète simplement le degré de socialisation d'un certain nombre

214
de dépenses qui seraient sinon effectuées de façon privée mais n'en resteraient pas moins "
obligatoires ". Les recommandations, qui ressemblent comme deux gouttes d'eau aux plans
d'ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) ou aux mémorandums de la " troïka
", sont à l'avenant : réduction des dépenses d'intervention de l'Etat, baisse du nombre de
fonctionnaires et de leurs salaires avec le gel du point d'indice et le ralentissement des
déroulements de carrière, désindexation des retraites, des allocations chômage et de la plupart des
prestations sociales par rapport à l'inflation...

Le paradoxe de ces recommandations est que leur mise en oeuvre aurait un effet contraire à
l'objectif affiché par la Cour des comptes : réduire les déficits publics. Ainsi Didier Migaud, dans son
interview au Monde, note que " les incertitudes sont grandes sur le rendement de certains impôts,
l'impôt sur les sociétés mais aussi, cette année, la TVA ". Cette " incertitude ", formule allusive pour
indiquer que les recettes fiscales sont en train de s'affaisser, n'a-t-elle rien à voir avec la récession
qui s'installe en France et en Europe ? Et cette dernière est-elle sans rapport avec les politiques que
la Cour préconise depuis des années et que les différents gouvernements ont peu ou prou mises
en oeuvre ? Ainsi, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), dans une étude
récente, note que les restrictions budgétaires en 2011 et 2012 se traduisent par une " impulsion
budgétaire cumulée " de - 3,2 points de PIB.

C'est cette politique récessive que la Cour préconise aujourd'hui d'accentuer, sans se demander,
au-delà même des conséquences sociales dont elle semble peu se préoccuper, si elle sera efficace
pour réaliser l'objectif affiché de réduction des déficits. Or, alors que la France est déjà en récession,
chacun sait - même les économistes du FMI ! - que baisser le pouvoir d'achat des fonctionnaires,
des retraités, des chômeurs, et plus généralement d'une majorité de la population, ne peut avoir
pour conséquence que d'aggraver la situation économique, de réduire encore les recettes fiscales...
et donc d'empêcher la réduction des déficits.

Si la baisse des dépenses publiques ne peut être aujourd'hui un moyen pour réduire les déficits,
pourquoi la Cour des comptes - avec l'ensemble des institutions et gouvernements européens -
s'acharne-t-elle de façon obsessionnelle dans cette direction ? Il nous semble évident que, au
prétexte de la réduction des déficits et de la dette publique, on cherche surtout à démanteler notre
" modèle social " supposé handicaper le capitalisme français et européen dans la concurrence
mondialisée. Fût-ce au prix d'une dépression, dommage collatéral à peine regretté. La Cour est
institutionnellement chargée d'examiner les comptes publics et d'évaluer les politiques. N'aurions-
nous pas besoin d'un organisme chargé d'évaluer les recommandations et les intentions de
l'évaluateur ?

Thomas Coutrot, Pierre Khalfa, Jean Loye

Membres d'Attac

Thomas Coutrot,

Pierre Khalfa,

Jean Loye

sont également membres

de la Fondation Copernic

215
Le Monde 26 juillet 2013

Crise de régime ? Régime en crise


Pour nombre d'observateurs, la Constitution de 1958 donne encore au pouvoir exécutif les moyens
de gouverner. Mais jusqu'à quel point le crédit et l'autorité des responsables politiques peuvent-ils
s'affaisser sans ébranler l'Etat ?

En cette rentrée fiévreuse, l'expression fait florès, dramatique à souhait. " La France
n'est pas loin de la crise de régime ", s'alarme François Bayrou, président du MoDem."
Je me demande si nous n'allons pas vers une crise de régime ", confirme le député
UMP Henri Guaino. La présidente du Front national, Marine Le Pen, évoque " une
terrible crise politique, une crise de régime même ". Quant au premier secrétaire du
Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, il accuse les amis de Nicolas Sarkozy
de" jouer la crise de régime " pour faire de leur champion un ultime recours. Et quand
ils n'emploient pas ces trois mots fatidiques - crise de régime -, des caciques de la
droite, tel l'ancien premier ministre François Fillon, invitent le président de la
République à démissionner, ce qui revient au même.

A ces jugements solennels, autant que tactiques, il faut ajouter les plaidoyers des avocats d'une
VIe République, convaincus que la Ve est obsolète, mais aussi le sentiment insistant qu'un
président aussi affaibli, un gouvernement aussi chahuté et une majorité aussi perturbée ne
pourront continuer leur chemin jusqu'en 2017 sans accident majeur, et vous obtenez un de ces
cocktails dont raffole le pays, entre dépression et défiance, entre fronde et désenchantement.

Cette dramatisation est-elle fondée ? A première vue, nullement. En dépit des fortes turbulences
actuelles, le président préside, arbitre, engage la France. Le gouvernement met la dernière main
au projet de budget. Le Parlement est réuni en session extraordinaire et travaille. Bref, la France
de 2014 n'est pas celle de 1940, lorsque la IIIe République s'effondra sous le choc de la défaite.
Pas davantage celle de 1958, lorsque la IVe République, paralysée par le conflit algérien, céda
en quelques semaines le pouvoir au général de Gaulle.

C'est précisément pour faire face à de telles crises, existentielles pour le coup, que le fondateur de
la Ve République a rebâti de fond en comble les institutions, imposé la prééminence du chef de
l'Etat (plus encore après la réforme de 1962 instaurant son élection au suffrage universel), placé
le gouvernement sous son autorité et étroitement encadré les pouvoirs du Parlement. A ses yeux,
il fallait donner au pouvoir exécutif la durée et la stabilité pour gouverner le pays, à l'abri des
soubresauts parlementaires. Et, par-dessus tout, protéger le président, élu de la nation : il est

216
irresponsable devant l'Assemblée nationale et rien ne peut le contraindre à quitter ses fonctions,
sauf son choix souverain comme de Gaulle en fit la démonstration en 1969, au lendemain d'un
référendum perdu.

De fait, ce bouclier institutionnel a résisté à toutes les crises, et elles n'ont pas manqué : l'épreuve
algérienne jusqu'en 1962 ; la tornade de Mai 68 ; la mort du président en exercice, Georges
Pompidou, en 1974 ; le divorce brutal du couple exécutif Giscard-Chirac en 1976 ; le défi de
l'alternance en 1981 ; le pari des cohabitations en 1986, 1993 et 1997, sans parler des soudaines
éruptions de la jeunesse ou des profondes crispations sociales de 1984 sur l'école ou de 1995 sur
la protection sociale. Dans tous les cas, la Ve République s'est montrée assez résistante et assez
souple pour encaisser les chocs et s'adapter aux circonstances. François Hollande peut donc
remercier le général de Gaulle. Les institutions le protègent contre les secousses les plus violentes
et les mises en cause les plus virulentes. Elles lui permettent, en principe, d'exercer le mandat que
les Français lui ont confié pour cinq ans. A ceux qui en douteraient, il a d'ailleurs répliqué, le
5 septembre : " J'agis et j'agirai jusqu'au bout. "

Pour l'heure, rien ne l'en empêche formellement. La crise gouvernementale provoquée par les
critiques intempestives de l'ex-ministre de l'économie, Arnaud Montebourg, contre la politique du
gouvernement ?

Elle a été réglée en deux jours par le départ et le remplacement de l'intéressé et de deux collègues
solidaires. D'autres gouvernements, de gauche comme de droite, ont connu semblable péripétie
sans plus de dommage. De même, le départ du gouvernement, en avril, des ministres écologistes
a réduit l'assise de la majorité, mais elle n'a pas ébranlé son socle puisque les socialistes et leurs
alliés radicaux de gauche disposent encore d'une majorité de 307 députés sur 577.

Reste la fronde engagée depuis plusieurs mois par trente à quarante députés socialistes contre
les choix économiques du gouvernement. Sans doute celui-ci a-t-il dû batailler, négocier, voire
forcer la main des récalcitrants, mais, au total, tous les textes soumis au Parlement ont été adoptés
sans difficulté majeure.

D'ailleurs, comme le rappelle Jean-Claude Casanova, président de la Fondation des sciences


politiques, " Raymond Barre a bien gouverné pendant cinq ans, entre 1976 et 1981, sans véritable
majorité parlementaire, en butte à une guérilla incessante des gaullistes. Et Michel Rocard a fait
de même entre 1988 et 1991, sans majorité absolue à l'Assemblée. " L'on sait que le pouvoir
exécutif dispose de sérieux moyens pour faire rentrer dans le rang une majorité rétive : vote bloqué,
ordonnances, article 49-3 de la Constitution même si, contrairement à MM. Barre ou Rocard,
Manuel Valls ne peut plus faire un usage incessant de cette arme de dissuasion massive depuis
la réforme constitutionnelle de 2008, qui en a limité le recours au vote du budget, de la loi de

217
financement de la Sécurité sociale et d'un texte par session.

Jusqu'à présent, quelles que soient les supputations avant le vote de confiance demandé par le
premier ministre le 16 septembre à l'Assemblée nationale, rien ne permet donc de penser que les
" frondeurs " socialistes sont prêts à pousser l'indiscipline jusqu'à la rupture de la discipline
majoritaire : cela supposerait soit qu'ils soient beaucoup plus nombreux à s'abstenir (de l'ordre de
80 au moins), soit, pire encore, qu'ils joignent leurs voix à celles de l'opposition.

Ce scénario catastrophe ne s'est produit qu'une seule fois, contre le premier gouvernement
Pompidou en octobre 1962. Nul doute qu'il ouvrirait, aujourd'hui comme hier, une crise politique
majeure : le gouvernement serait obligé de démissionner et, même s'il n'y est pas contraint, le
président de la République n'aurait guère d'autre solution que de dissoudre l'Assemblée et
convoquer des législatives. L'on imagine aisément que la majorité socialiste sortirait laminée d'une
telle confrontation électorale. François Hollande n'aurait plus, alors, que deux solutions. Il pourrait,
comme Jacques Chirac en 1997 après sa dissolution ratée, tenter de cohabiter avec un premier
ministre du camp adverse (d'ailleurs bien incertain, compte tenu de l'état de désorganisation
actuelle de l'UMP...). Mais, après le désaveu de sa majorité et l'échec de son camp, le chef de
l'Etat serait en position d'extrême faiblesse et il pourrait être conduit à démissionner.

Bref, comme le résume Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po Paris, " pour qu'il y ait crise
de régime, il faudrait une rupture entre la majorité parlementaire et le président ". Nous n'en
sommes pas là mais attention, prévient-il : " L'affaiblissement du pouvoir exécutif est
impressionnant. On assiste, en direct, à un phénomène de déconstruction dont il est difficile
d'imaginer ce qui peut en sortir. "" Sauf explosion populaire, estime pour sa part l'historien Jean-
Noël Jeanneney, on ne voit pas la solidité des institutions menacée. " Mais il ajoute prudemment
: " Pour l'instant, ça tient encore. " La formule résume bien les interrogations du moment : jusqu'à
quel point le crédit et l'autorité des principaux acteurs publics peuvent-ils s'affaisser sans ébranler
le système politique lui-même ? Jusqu'où la défiance ou l'exaspération du pays peuvent-elles enfler
sans provoquer une crispation majeure, imprévisible ?

Professeur à Paris-I Panthéon-Sorbonne, Dominique Rousseau est beaucoup plus tranché. " On
invoque toujours le bouclier institutionnel. Mais il risque de ne plus fonctionner, menacé par
plusieurs crises - économique, sociale, morale et politique - qui se cumulent et ont creusé une
fracture profonde entre gouvernants et gouvernés. La panne de l'ordre institutionnel, la
décomposition du système politique sont les symptômes de cette crise générale de l'ordre social.
" De fait, la vertu première de la Constitution de 1958 était de donner au pouvoir exécutif les
moyens de gouverner efficacement le pays et d'affronter courageusement les défis de l'époque. Or
chacun constate l'impuissance du pouvoir face à la crise économique, la plus grave depuis un
siècle, qui mine la France.

218
La croissance a à peine retrouvé son niveau de 2008, avant la crise financière mondiale ; le cancer
du chômage de masse ne cesse de progresser ; la dette nationale se creuse dangereusement ; et
ni la droite jusqu'en 2012 ni la gauche depuis n'ont été capables de proposer aux Français des
remèdes pertinents et convaincants. " Cette impuissance radicale du politique est aussi corrosive
que celle de l'Etat face à la guerre, mondiale en 1940, coloniale en 1958 ", juge Pascal Perrineau.
Et Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques, poursuit la comparaison : " L'événement
traumatique pour la Ve République, ce n'est plus la guerre, mais la crise économique et l'"étrange
défaite" qu'elle inflige au pouvoir. "

S'y ajoute une crise morale qui menace, tout autant, le contrat de confiance entre gouvernés et
gouvernants. Ainsi, selon des enquêtes constantes, les deux tiers des Français considèrent que "
la plupart " des responsables politiques sont " corrompus ". Comment pourrait-il en être autrement,
si l'on se rappelle l'incessante litanie des scandales politico-financiers qui, depuis plus de vingt ans,
n'ont cessé d'éclabousser droite et gauche ? En dépit de plusieurs lois dites de moralisation de la
vie publique, rien n'y fait. En 2013, c'était la terrible affaire Cahuzac, ce ministre du budget qui
fraudait le fisc. Aujourd'hui, c'est la lamentable affaire de l'éphémère secrétaire d'Etat Thevenoud,
qui évitait de payer impôts et loyers.

L'UMP n'est pas en reste, avec le scandale Bygmalion et le financement aussi extravagant
qu'illégal de la campagne présidentielle de M. Sarkozy en 2012. De telles malhonnêtetés, une telle
irresponsabilité, individuelle ou collective, ne peuvent que saper les valeurs républicaines
élémentaires, discréditer l'ensemble de la classe politique - élus et partis politiques - et nourrir la
vieille antienne de l'extrême droite " Tous pourris ! ".

Depuis deux ans dans les sondages, depuis six mois dans les urnes, François Hollande paye ces
échecs et ces turpitudes au prix fort : impopularité présidentielle sans précédent et déroute des
socialistes aux municipales de mars et aux européennes de mai. Sauf de Gaulle en Mai 68, jamais
un président de la Ve République ne s'était retrouvé dans une telle position de faiblesse. Parce
que le chef de l'Etat est doté de pouvoirs considérables, il est tenu pour responsable de tout, sans
être constitutionnellement responsable devant l'Assemblée (c'est le premier ministre qui l'est), ni
même devant le peuple durant son mandat, sauf à recourir au référendum comme l'a fait
régulièrement le général de Gaulle.

Destiné à le protéger, ce dispositif devient un piège périlleux lorsque le président est affaibli comme
aujourd'hui. Pour peu qu'il donne en plus le sentiment aux Français, comme c'est le cas depuis
deux ans, de ne pas habiter pleinement la fonction et de ne pas en incarner clairement la gravité,
il devient la cible d'un rejet redoutable. Et quand, de surcroît, il voit comme aujourd'hui sa vie privée
étalée de façon indécente sur la place publique par son ancienne compagne, ce n'est plus
seulement son autorité mais la dignité même de la fonction qui est atteinte : le roi est nu. Comme

219
le note cruellement Laurent Bouvet, " les institutions peuvent protéger la fonction présidentielle,
mais pas un homme qui l'exerce sans en avoir les qualités ".

On le voit, les institutions elles-mêmes ont leur part dans l'impasse actuelle. Pour Marie-Anne
Cohendet, professeur de droit constitutionnel à Paris-I Panthéon-Sorbonne et partisane d'une
VIe République, " ce qui est en crise, aujourd'hui, c'est la pratique présidentialiste à l'œuvre depuis
1958, fondée sur la soumission du Parlement et qui rompt l'équilibre nécessaire entre pouvoir,
légitimité et responsabilité ". A ses yeux, rien n'interdit de sortir de cette " crise d'adolescence " de
la Ve République, en revenant à la lettre même de la Constitution : un président élu au suffrage
universel, mais un gouvernement qui, effectivement, " détermine et conduit la politique de la nation
". Et elle note que cela n'a pas mal fonctionné durant les périodes de cohabitation et que c'est la
norme dans la moitié des vingt-huit pays de l'Union européenne.

Dominique Rousseau confirme : " Il n'y a pas d'incompatibilité entre un président élu et un système
parlementaire, dès lors que le président ne gouverne pas. En revanche, il y a incompatibilité si le
président gouverne ;

c'est cette contradiction qu'il faut aujourd'hui dépasser. " Et il ajoute : " La Ve République était la
solution en 1958. Elle est aujourd'hui devenue un problème. " Avant de jouer à se faire peur ou à
faire peur en invoquant une crise de régime, les principaux responsables politiques seraient donc
bien inspirés de réfléchir et débattre, sans tabou, des défauts de fabrication d'un régime en crise.
Avant que la situation actuelle n'empire et ne bascule, pour le coup, dans une crise de régime.

Gérard Courtois, Gérard Courtois

Le Monde 13 septembre 2014

Changer la Constitution ne résoudrait pas les problèmes rencontrés par notre pays

De nombreux juristes et politiques proposent une révision constitutionnelle pour dépasser les
difficultés actuelles. Les institutions en place permettent pourtant aux responsables politiques
d'accomplir leur mission, pour peu qu'ils en aient le courage

La France a connu quinze Constitutions depuis 1791. Leur nombre s'explique sans doute assez
facilement par les convulsions post-révolutionnaires et impériales, les défaites de 1870 et 1940,
le traumatisme de l'Occupation et les convulsions de la décolonisation. Une pléthore de textes
constitutionnels, comme s'il s'agissait de conjurer les tragédies passées et à venir.

A la différence de la Constitution américaine, qui s'est stabilisée dès l'origine malgré le séisme

220
de la guerre de Sécession et qui n'a fait l'objet que d'amendements. Différence aussi avec la
Grande-Bretagne, qui n'a pas de Constitution écrite mais qui, depuis l'exécution de Charles 1er
et la parenthèse bonapartiste de Cromwell, est restée stabilisée dans un système évolutif fait
d'ajustements empiriques et non de postures principielles répétées.

Alors, bien sûr, on peut faire le procès des Constitutions, en démontrant que celle d e la
IIIe République a permis aux deux Assemblées de se jeter dans la collaboration en votant les
lois constitutionnelles du 10 juillet 1940 et de donner tous les pouvoirs à Philippe Pétain. Et
que la IVe a explosé à cause d'un parlementarisme exacerbé à un moment où la guerre d'Algérie
aurait nécessité de restaurer le pouvoir de l'Etat, c'est-à-dire sa capacité de décider et d'appliquer
les décisions dans les tourmentes. Le système stable de la Ve depuis cinquante-six ans offre un
cadre de travail équilibré bien que toujours critiquable et critiqué.

Méconnaissance

Toutes ces secousses ont eu pour conséquence d'introduire dans l'esprit du public et la culture
des juristes une survalorisation des défauts constitutionnels des textes et une sous-estimation de
la vertu de leur stabilité et de la qualité de leur mise en oeuvre.

Que la France ait été jusqu'à introduire le " principe de précaution " dans la Co nstitution signe
bien le fait que l'évolution des moeurs la fait virevolter comme une sorte de drapeau au gré des
vents du moment, comme le disait Marcello Mastroianni des acteurs. Nous, les Français,
méconnaîtrions-nous à ce point le sens et la signification d'une Constitution ? Aujourd'hui, sans
grande raison véritable, nombre de politiques et de juristes engagés remettent frénétiquement
tout en cause. Le rôle du Sénat, dont on voit pourtant la qualité des travaux (malgré une base
électorale un peu obsolète), le rôle du premier -ministre, qui devrait présider le conseil des
ministres, et puis, pourquoi pas, le rôle du président de la République, qui pourrait se limiter à
un rôle de président non exécutif, type IIIe ou IVe.

Le dernier exemple de l'inconvénient de notre manie de réformer la loi suprême en est


certainement la suppression du septennat au profit du quinquennat. La commission Vedel avait
été chargée en 1992 de répondre à la question formulée par François Mitterrand quant au
maintien ou non du septennat. Avec quinze membres, de générations, d'expérie nces et
d'origines professionnelles différentes, la commission Vedel a clairement répondu : " Oui au
septennat non renouvelable, non au quinquennat renouvelable ", refusant de céder à la mode de
l'époque qui régnait chez les publicistes en faveur du quinquennat.

Cela n'a pas empêché Jacques Chirac de lancer sans conviction sept ans plus tard le référendum

221
sur le quinquennat renouvelable, qui fut voté sans enthousiasme, avec près de 70 %
d'abstention, le 24 septembre 2000. Depuis quatorze ans, nous en sommes là. La période n'a
pas été la plus grande de la Ve République. La personnalité des présidents, les problèmes du
pays sur le plan économique, budgétaire, social et militaire, sa place compromise en Europe et
dans le monde, tout cela change la donne.

Que recherchons-nous ? Plus de fermeté et de continuité ou plus de souplesse et de réactivité ?


Comment nous ferons-nous mieux entendre et comprendre dans le monde ? Et réglerons-nous
mieux nos problèmes nationaux ? Le statu t de notre président compte beaucoup dans la
représentation que l'on se fait de nous et que nous nous faisons de nous-mêmes. Alors, cinq ans
ou sept ans ? Les cinq ans renouvelables, contrairement à ce qui en était attendu, ont diminué
les pouvoirs de chaque tête de l'exécutif. Plutôt que de renforcer l'un au profit de l'autre, elle a
stimulé la tentation de supprimer l'un au profit de l'autre en les abaissant tous les deux.

Ainsi que le professeur Pierre Avril l'a expliqué très clairement au Monde (19 septembre), " le
quinquennat a brouillé la distinction entre la fonction de chef de l'Etat et la fonction de premier
ministre ".

On a souvent dit que le général de Gaulle avait hésité entre les fonctions de premier ministre et
celles de président. Eût-il choisi celles de premier ministre que les institutions auraient évolué
différemment. Contrairement à ce que beaucoup imaginent, il était respectueux de la fonction
constitutionnelle du premier ministre, qui " détermine et condu it la politique de la nation ".
Ainsi, après que son premier ministre, Georges Pompidou, en a fait reproche à Etienne Burin
des Roziers, son secrétaire général, a-t-il mis fin à la pratique de l'Elysée d'appeler directement
ministres et secrétaires d'Etat.

Érosion de l'autorité

Sans doute la différence de deux ans dans le mandat rendait-elle paradoxalement plus facile la
coopération entre président et premier ministre. Sans doute aussi le septennat entraîne-t-il un
risque de cohabitation dès lors qu'un échec électoral au Parlement n'a pas entraîné la démission
du président. Dans le quinquennat, on voit que le risque existe tout autant. Parfois même,
comme aujourd'hui, à l'intérieur même de la majorité, du fait notamment de l'érosion de
l'autorité du président de la République par les circonstances, par lui-même mais aussi parce
qu'elle rapproche de deux ans le spectre pour certains et l'espoir pour d'autres d'une nouvelle
campagne électorale.

Alors faudrait-il réviser une nouvelle fois la Constitution et revenir au septennat, cette fois-ci
non renouvelable, comme conseillé par la commission Vedel ?

222
A rouvrir ce chantier, on court le risque d'en faire surgir un plus gros encore, celui d'une
VIe République, fantasme dangereux mais grisant pour l'esprit français collectionneur de
Constitutions. Ce n'est vraiment pas le moment. Les problèmes que la France traverse, sur le
plan moral, politique et économique, ne seraient pas résolus par un grand débat constitutionnel
forcément biaisé par les urgences. Même imparfaits et détériorés, les instruments
constitutionnels permettent aux politiques qui les mettent en oeuvre d'accomplir leurs tâches
s'ils en ont le courage.

Le seul intérêt du débat actuel sur la durée du mandat est de mettre en lumière que la disparition
du septennat a eu des effets délétères sur le fonctionnement et le jeu des pouvoirs publics. En
prendre conscience devrait déjà permettre de co rriger un peu l'erreur que fut ce référendum du
24 septembre 2000 proposé dans l'indifférence, noyé sous les abstentions, et d'essayer d'en -
corriger les effets dommageables dans la pratique.

Mais soyons prêts à réagir si venait à se -réveiller dans des circonstances imprévues cette
question de la durée du mandat -présidentiel.

par Marceau Long et Daniel Soulez Larivière

Marceau Long est ancien vice-président du Conseil d'Etat. Daniel Soulez Larivière est avocat.
Les deux auteurs sont anciens membres de la commission Vedel sur la réforme de la
Constitution (1992-1993).

Le Monde 23 novembre 2014

Wanda Mastor : " Il faut en finir avec les membres de droit "

Pour la professeure de droit public, le Conseil constitutionnel doit encore évoluer pour faire taire
les critiques sur son excès de politisation

Wanda Mastor est professeur de droit public à l'université Toulouse-I Capitole et directrice de
l'Ecole européenne de droit.

Diriez-vous, comme Jean-Louis Debré, que la question prioritaire de constitutionnalité


(QPC) constitue une " révolution " ?

Oui, le mot n'est pas galvaudé. Pour le Conseil constitutionnel, on peut parler d'une troisième
naissance, d'une troisième étape fondamentale après la décision du 16 juillet 1971 sur le droit des
associations, qui pose les fondements du " bloc de constitutionnalité ", et la révision

223
constitutionnelle de 1974 qui ouvre aux parlementaires le droit de saisir le Conseil constitutionnel.
Sur ce point, je suis tout à fait d'accord avec M. Debré.

M. Debré estime que le Conseil devrait se saisir du contrôle de conventionnalité, c'est-à-


dire de la conformité d'une loi avec les traités internationaux liant la France. Partagez-vous
cet avis ?

Je pense qu'il n'y a plus de raison valable de l'en empêcher. Avec la place incontestable et
grandissante que prennent les droits conventionnels et la connaissance qu'a le citoyen de la Cour
européenne des droits de l'homme et des droits proclamés par la Convention européenne, il y
aurait une logique à ce que le Conseil constitutionnel ne se prive plus d'opérer un contrôle de
conventionnalité quand il est saisi.

Quelles évolutions du Conseil constitutionnel vous semblent souhaitables ?

Plusieurs points me semblent très problématiques et font que le Conseil constitutionnel fait figure
d'exception dans le paysage des cours constitutionnelles en Europe, malgré le chemin parcouru
depuis 1958. Il faut saluer les progrès, les avancées, les révolutions. Mais pourquoi s'interdirait-on
d'en envisager d'autres et d'aller plus loin ? Premièrement, il faut vraiment en finir avec la catégorie
des membres de droit, c'est-à-dire les anciens présidents de la République. Cela n'existe nulle part
ailleurs dans le monde. L'image du Conseil constitutionnel en est considérablement obscurcie,
notamment à l'étranger.

Deuxièmement, si on veut faire taire les critiques relatives à l'excès de politisation du Conseil
constitutionnel, il faut revoir les modes de nomination de ses membres. Ou plutôt les critères de
nomination. La France est un des très rares pays au monde à n'exiger aucune condition de
qualification. Il me semble que la qualification de juriste est indispensable. Ce n'est pas parce que
tel ou tel homme politique a pu faire, dans le passé, un peu de droit ou être magistrat pendant
quelques mois que ça fait de lui un grand juriste. Or, pour être juge, il faut être juriste.

Troisièmement, je suis pour la divulgation des opinions séparées, c'est-à-dire la faculté pour un
juge constitutionnel d'exprimer les raisons de son désaccord avec la décision du collège. Interrogé
là-dessus, Laurent Fabius a redit qu'il était contre parce que le secret des délibérés était une
tradition française. Mais le Conseil constitutionnel n'était pas non plus dans la tradition en 1958,
la QPC n'était pas dans la tradition, mais heureusement qu'on s'y est mis !

Considérez-vous que le Conseil constitutionnel est en passe d'évoluer vers une cour
suprême ?

224
M. Debré aime bien dire que, grâce à la QPC, le Conseil constitutionnel est devenu une sorte de
cour suprême. Je réfute cette assertion. Il n'y a que deux cours suprêmes en France, chacune au
sommet de leur ordre juridique : le Conseil d'Etat pour l'ordre administratif et la Cour de cassation
dans l'ordre judiciaire. Le Conseil constitutionnel est à leurs côtés. C'est une cour constitutionnelle
mais ce n'est pas une cour suprême. Il ne peut prendre une décision de QPC que lorsque le Conseil
d'Etat ou la Cour de cassation la lui ont transmise. Il ne peut-être saisi directement ni s'autosaisir.
Et les choses fonctionnent plutôt bien ainsi.

Propos recueillis par P. Rr

Le Monde 4 mars 2016

Exemples de questions de cours (Liste non exhaustive)

1°) Quels sont les éléments constitutifs d’un Etat et leur nature ?
2°) Quelles distinctions peut-on opérer entre Etat fédéral, confédération et Etat unitaire ?
3°) Quelles formes peut prendre un Etat unitaire ( concentration, centralisation,
,déconcentration, décentralisation) ?
4°) Quelles sont les caractéristiques d’une démocratie pluraliste selon J.L. Quermonne ?
5°) Quelle est la conception de la citoyenneté selon les révolutionnaires (citoyenneté
abstraite?)
6°) Quelle modèle de démocratie se dessine selon les révolutionnaires de 1789 en matière de
rapport Etat/société civile, en matière de conception de la citoyenneté ?
7°) En quoi la (les) révolution (s) de 1848 marque une rupture dans le saisissement de la
question sociale, une rupture vis-à-vis du modèle libéral ?
8°) En quoi le modèle républicain (loi de 1884, de 1901 et de 1905) manifeste t-il une avancée
dans la reconnaissance du « droit à la différence » vis-à-vis de celui défini en 1789 ?
9°) En quoi le modèle républicain de la fin du XIXème siècle est trop souvent entendu comme
négation des différences et non comme acceptation de celles-ci ?
10°) Quelles sont les caractéristiques essentielles d’un régime présidentiel ?
11°) Quelles sont les caractéristiques essentielles d’un régime parlementaire ?
12°) Quelle distinctions peut-on opérer entre présidentialisme et régime présidentiel ?
13°) Quelles sont les causes institutionnelles de l’instabilité gouvernementale sous la IVème
République ?
14°) Relevez les éléments institutionnels qui font de la Vème République un régime mixte, ni
tout à fait parlementaire, ni tout à fait présidentiel.
15°) Quels sont les prérogatives exercées sans contreseing par le Chef de l’Etat sous la Vème
République ?
16°) Présentez l’évolution et la nature du mode d’élection du chef de l’Etat sous la Vème
République
17°) Quels sont les avantages et les inconvénients de l’adoption du quinquennat ?

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18°) Quelles sont les grandes évolutions de la conception du rôle du chef de l’Etat, du général
de Gaulle à J. Chirac ?
19°) Quelles sont les fonctions essentielles du Premier ministre et du gouvernement sous la
Vème République ?
20°) Pourquoi le parlement français, dans sa double composante, est, dans sa représentation
très loin de réaliser l’objectif de parité, quelle sont les solutions envisageables ?
21°) En quoi le Sénat apparaît-il comme une « anomalie démocratique » ?
22°) En quoi a consisté la loi constitutionnelle de 1995 portant sur le régime des sessions et
l’ordre du jour du Parlement ?
23°) Quelles sont les trois procédures de mise en responsabilité du gouvernement sous la
Vème République ?
24°) En quoi, le Parlement voit sa fonction essentielle d’adoption des lois, largement limitée
et encadrée ?
25°) Comment est organisée la saisine du Conseil constitutionnel sous la Vème République ?
26°) Qu’est-ce-que le bloc de constitutionnalité ?
27°) En quoi l’Union européenne est le résultat d’une adoption successive de traités et d’un
processus d’élargissement ?
28°) En quoi la séparation des pouvoirs est encore mal assurée dans le cadre du Traité
instituant une Constitution pour l’Europe ?
29°) Quel nouveau partage des compétences prévoit le Traité instituant une Constitution pour
l’Europe ?
29°) En quoi le Traité instituant une Constitution pour l’Europe n’institue pas vraiment un
fédéralisme classique ?
30°) Quelles sont les nouvelles dispositions en matière de Politique Etrangère et de Sécurité
Commune prévues par le Traité instituant une Constitution pour l’Europe ?
31°) En quoi la commission est-elle responsable politique ?
32°) Quelles critiques peut-on adresser à l’égard de la « Charte des droits fondamentaux » ?

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