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(complément Ecampus)
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A. Définition du droit constitutionnel en tant que matière. Quel est en effet ce
champ que nous allons essayer de labourer ensemble (métaphore culturale)
pendant toute l’année et quels éléments composeront notre rencontre
hebdomadaire ? Nous esquisserons d’abord une réflexion sur le droit
constitutionnel comme phénomène universel (1), puis nous expliquerons la
réduction de notre étude au droit constitutionnel dit « politique » (2), avant
d’aborder le contenu de la matière à travers une définition provisoire (3).
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comme « constitutionnel », renvoient à l’origine tout autant aux corps matériels
(d’un individu, d’un animal, d’un objet) qu’aux corps abstraits (les corps sociaux,
qui sont des constructions non plus naturelles mais artificielles, tirées de la volonté
et de l’esprit de l’homme). c) Cela signifie donc en clair que le droit
constitutionnel, de prime abord (ou, si vous préférez, avant réduction), peut être
entendu comme tout type de droit se préoccupant de la constitution de certains
êtres sociaux abstraits (pour les corps concrets et matériels, il existe d’autres
spécialistes…). En dehors de l’État, en-deçà comme au-delà de la société
politique, il existe en toute rigueur « des droits constitutionnels », c’est-à-dire des
systèmes de règles structurant les champs sociaux ainsi que des discours
susceptibles de décrire et d’analyser la manière dont s’organisent les groupements
et les normes présidant à leurs structures (selon quelles lois ils fonctionnent). *
Avant l’État et « sous » lui, si vous me permettez l’expression, on retrouve par
exemple £ une constitution de la famille, expression fréquente chez les
psychologues et les sociologues (c’est une idée déjà présente chez Aristote et
Platon, lorsqu’ils décrivent les relations entre les parents et les enfants) ; £ on
pourrait dire la même chose, pour citer un autre exemple, des sociétés
commerciales ou des associations qui, avec des présidents, des membres, des
trésoriers, des bureaux, des conseils d’administration ou des directoires, des
assemblées générales, ne font rien d’autre qu’inventer des organes et des règles
permettant aux différents groupes de se constituer puis de perdurer en
fonctionnant le mieux possible. L’analogie n’est pas un vain mot ici, et je pourrais
vous citer certains auteurs allemands ou autrichiens (Thaller) qui ont comparé le
travail des assemblées générales dans les sociétés anonymes avec le rôle des
Parlements dans les sociétés politiques. D’ailleurs, n’oubliez pas que la notion
actuelle et très en vogue de « gouvernance », qu’on applique aujourd’hui à la
gestion des affaires publiques, tire son origine de la micro-économie et du mode
de fonctionnement (la « gestion rationnelle ») des sociétés commerciales ; mieux
encore, au Moyen Age, des docteurs très savants (les juristes qu’on appelait les
civilistes ou les canonistes) font en permanence la comparaison entre
l’organisation des communes, des villes, des paroisses, et du royaume de France.
Ils vont même jusqu’à transposer certaines règles du droit romain (le mandat dans
une société commerciale confié à un individu pour agir au nom des autres) sur le
plan politique (le mandat détenu par les députés anglais ou par les représentants
aux États-généraux pour représenter le peuple ou les citoyens). La transition est
faite, car * Au-delà de l’État justement, vous pourriez trouver £ dans l’Église
catholique et dans bien d’autres sociétés religieuses (c’est ma thèse) un droit
constitutionnel dont la mise en évidence est très simple. J’ai tenté de montrer,
après Léo Moulin, que notre droit électoral contemporain était en partie hérité de
celui des ordres religieux qui, au Moyen Age, élisaient les abbés et les supérieurs.
D’autre part, lors du concile de Vatican II, dans les années 1960, les évêques
assemblés ont délibéré avec des techniques de vote aussi sophistiquées que celles
qu’on rencontre habituellement dans les Parlements laïques modernes ; enfin, il y
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a une certaine ressemblance entre la déposition du pape par le concile au XVe
siècle (pour, j’ose le dire, corruption, dilapidation des biens de l’Église,
fornication et mensonge) et la procédure de destitution (d’impeachment) dont Bill
Clinton (et bientôt quel président français ?) a/ont fait l’objet en 1998-99 et d’ici
quelques années ; il est tout de même étrange de constater que chez les Jésuites,
au XVIe siècle (longtemps avant l’adoption de la constitution américaine), un
premier collège met le supérieur général en accusation à la majorité simple s’il est
soupçonné, et le collège restreint qui l’entoure le condamne à la majorité des 2/3.
Pour mémoire, je vous précise que le droit constitutionnel américain autorise la
chambre des représentants à mettre en accusation le président des États-Unis à la
majorité simple, la condamnation ultime revenant au Sénat… à la majorité des
2/3. Troublant, non ? Je n’insiste pas davantage, car cela nous emmènerait
vraiment trop loin (dans les deux sens du terme, l’histoire et la pensée). £ Et de
surcroît, vous avez certainement entendu parler récemment du projet de Traité
établissant une constitution pour l’Europe (en 2004, voir infra), qui aurait englobé
l’ordre constitutionnel des États membres de l’Union européenne dans un
ensemble plus vaste (et qui aurait certainement eu quelques caractères communs
avec ce que vous connaissez déjà…, mais là n’est plus ou pas encore notre
propos). D’ailleurs, sur ce sujet qui permet de démontrer le lien structurel de
l’Union européenne avec nos affaires, Le livre d’Hélène Gaudin et autres consacré
aux Grands arrêts de la Cour de Justice de l’Union européenne voit son tome 1
s’intituler Droit constitutionnel et institutionnel de l’Union européenne (Dalloz,
2014) ; £ le même constat pourrait être fait si l’on partait à la découverte d’un
véritable « droit constitutionnel international » (dont rêvait l’internationaliste
Georges Scelle dans les années 30…). Tout cela pour vous redire que le droit
constitutionnel n’est pas l’apanage des États-Nations, des sociétés politiques, mais
est consubstantiel au phénomène social dans son ensemble. Ainsi, finalement,
chaque discipline a(urait) son droit constitutionnel propre.
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notre étude. b) Plus théoriquement, à l’époque contemporaine, le droit
constitutionnel politique prime tous les autres, car dans un système juridique,
l’ordonnancement est ainsi fait (nous y reviendrons à propos de la hiérarchie des
normes) que tous les autres droits constitutionnels sont « inférieurs » au droit
constitutionnel politique ou étatique ; cela parce que finalement, l’ensemble des
autres phénomènes constitutionnels susceptibles d’être appréhendés par le droit
(je ne parle évidemment pas ici des lois scientifiques) en dépend, est englobé en
lui et n’a de légitimité qu’à travers lui et par lui. Cette remarque est à relier au
mouvement général de constitutionnalisation du droit, visible depuis quarante ans
environ (sur lequel nous reviendrons, voir infra, courant du semestre 1 et du
semestre 2), et qui veut que finalement, le droit social, le droit du travail, le droit
pénal, le droit civil, celui des associations, etc., (ne) tirent leur force (que) du droit
constitutionnel étatique.
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a) L’expression « droit constitutionnel ». Elle n’est pas aussi ancienne qu’on
pourrait le croire. Elle est apparue, en France, environ 15 ans avant la Révolution
française de 1789. Elle fut alors employée dans trois sens différents : * « droit
constitutionnel » désigne tout d’abord une faculté, un droit appartenant en propre
à une personne physique ou morale (une collectivité), en vertu de la Constitution
(il s’agit d’un droit constitutionnel). C’est de cette manière qu’on a pu dire que la
faculté de refuser de payer un impôt qui n’aurait pas été décidé plus ou moins
directement par les personnes concernées (problème du consentement à l’impôt)
est « un droit constitutionnel » ; * ensuite, la formule « droit constitutionnel » a
progressivement désigné l’ensemble des normes juridiques se rattachant à la
constitution d’un pays, et c’est ainsi qu’au XVIIIe siècle, on dénonçait déjà par
exemple les décisions royales portant atteinte au « droit constitutionnel de la
Provence », donc aux règles formant la « constitution » d’une région ou d’une
province, d’un pays ; * enfin, et c’est ce qui nous intéresse ici, l’expression droit
constitutionnel est employée pour qualifier la discipline intellectuelle (d’aucuns
diraient pompeusement « la science ») ayant pour objet l’étude des règles
constitutionnelles (ainsi que nous l’avons mentionnée tout à l’heure). C’est
d’ailleurs au moment de la révolution qu’on a commencé à parler de professeurs
de droit constitutionnel, chargés d’enseigner cette nouvelle branche du droit qui
allait bientôt « surplomber » toutes les autres (on parlait alors aussi de droit
politique). b) La métamorphose historique de la discipline. * Sous l’Ancien
Régime, le droit public (np : incise sur la place du droit constitutionnel parmi les
autres disciplines du droit public : droit international public, droit administratif
[général et les spéciaux], finances publiques, etc., droit qui à l’époque renvoyait
davantage aux relations entre la monarchie administrative et les sujets…) n’est
presque pas enseigné dans les Universités françaises, où l’on approfondit surtout
le droit romain et le droit canonique (vous voyez à quoi vous avez échappé !), et
à l’exception de Strasbourg, le droit privé est de toute façon privilégié. Diderot ira
jusqu’à dénoncer cette lacune, au milieu du XVIIIe siècle, se plaignant de ce que
rien n’est dit des constitutions, de l’Etat, des droits des souverains et (important !)
de celui des sujets (pas encore citoyens). En réponse aux critiques plurielles, Louis
XV crée en 1773 une chaire de droit public au Collège de France, alors qu’autour
de lui, bien des esprits estiment qu’il est dangereux de toucher « aux mystères qui
couvrent les maximes fondamentales de la Constitution » (np : digression rapide
sur les arcana regni, les « mystères de l’État »). * On peut dire que s’affrontent
déjà deux conceptions antithétiques, qui à certains égards joueront un rôle
structurant dans le modelage du droit public français : l’une prônant le maintien
dans l’ignorance et l’obscurité constitutionnelles (obscurantisme ne convenant pas
réellement), l’autre qui voit dans cet enseignement (mais c’est classique lorsqu’on
touche les droits et les libertés) un moyen d’éclairer les citoyens ou le peuple et,
donc, de déstabiliser le régime en place. * Pendant la Révolution, en 1791 prévaut
cette idée qu’un nouveau « catéchisme constitutionnel » doit être enseigné,
inculqué aux enfants, et que tous les Français doivent comprendre au mieux ce
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qu’ils sont censés défendre. La période qui suit est agitée, mais il faut retenir que
sous le Directoire, l’enseignement du droit constitutionnel restera très limité. *
Napoléon créera 12 écoles de droit (qui deviendront des Facultés), et une loi de
1804 prévoit qu’y sera enseigné « le droit public français dans ses rapports avec
l’administration publique », étude incluant celle de la Constitution de l’An VIII
(1799). Mais à cette époque, l’enthousiasme de l’époque révolutionnaire est
retombé, et dans cette période d’instabilité politique et institutionnelle, bien des
auteurs (Challan, Gillet, etc.) craignent qu’une telle étude n’accroisse le tumulte
institutionnel. Parce que tous les systèmes sur les Constitutions politiques ont
presque toujours l’inconvénient d’attaquer celles qui existent et de jeter dans les
esprits des doutes inquiétants. * C’est finalement sous la Monarchie de Juillet que
Guizot fit créer, en 1834, une chaire de droit constitutionnel à la Faculté de droit
de Paris, confiée au grand juriste italien Pelegrino Rossi : cette création était
censée permettre une présentation favorable de la Charte de 1830 (le cours portait
en effet sur les garanties individuelles consacrées par la Charte et sur les
institutions politiques mises en place). Dans la lignée de la « monarchie
bourgeoise », cet auteur ouvert mais peu progressiste estime que l’enseignement
du droit constitutionnel devait être le contrepoison des opinions trop avancées.
C’est la première grande époque des manuels de droit constitutionnel (Macarel,
Eléments de droit politique, en 1833 ; Félix Berriat-Saint-Prix, Commentaire sur
la Charte constitutionnelle, en 1836 ; Théorie du droit constitutionnel français.
Esprit des constitutions de 1848 et de 1852, en 1853 ; Alexis de Tocqueville, De
la démocratie en Amérique, en 1835-40, merveille d’esprit sur les institutions
américaines, etc.). * L’un des grands débats, au XIXe siècle, et qui revient sous
toutes les plumes, tient à la sanction du droit constitutionnel. Tous les auteurs
reconnaissent à ce droit une place éminente, mais ils se demandent comment en
assurer le respect, comment concevoir un système de sanctions suffisamment
persuasif au cas où les pouvoirs législatif ou exécutif violeraient la constitution.
Si l’on excepte l’insurrection et le droit de résistance (pourtant célébrés par bien
des textes révolutionnaires), y a-t-il un juge qui pourra apprécier et réprimer les
violations de la constitution ? Globalement, « le droit constitutionnel est perçu
aussi comme un droit instable, exposé à de fréquents bouleversements, à la
différence des branches du droit privé codifiées sous le Consulat et le Ier empire
» (Jean-Louis Mestre). * La première partie de la IIIe République marque la
véritable consécration de l’enseignement du droit constitutionnel. Le Second
Empire avait guère moins que supprimé cette matière, vue comme « gênante » ;
les Républicains y voient au contraire un instrument de « propagande » de leurs
idées, un outil efficace devant contribuer à la « républicanisation » définitive du
régime, aux dépens des idées monarchistes et des bonapartistes. D’ailleurs, les
revues fleurissent à cette période (Revue politique et parlementaire et Revue du
droit public et de la science politique, toutes deux nées en 1894). * En revanche,
l’incertitude persiste sur ce que doit comporter exactement un cours de droit
constitutionnel, sur son contenu : certains (comme Ducrocq), estiment que l’étude
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englobe celle de la séparation des pouvoirs, de la souveraineté nationale comme
fondement du droit électoral, de quelques libertés, mais pour l’application
concrète des principes, il estime que les « lois administratives » doivent y
contribuer ; d’autres (Saint-Girons, Moreau) considèrent que l’étude des droits
individuels concrets relève également du droit constitutionnel mais ne les traitent
pas dans leurs cours ; quelques-uns, enfin (Batbie), regrettent l’indigence de
certaines lois constitutionnelles concernant les droits fondamentaux des citoyens.
Ces dernières remarques conduisent tout naturellement à s’interroger sur
l’évolution des grandes orientations dans l’étude du droit constitutionnel. Car,
autant vous le confesser tout de suite, tous les auteurs et tous les enseignants,
condamnés de toutes façons à choisir dans cette immensité, ne privilégient pas les
mêmes choses.
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démarche son excessif idéalisme, son innocence, et c’est pourquoi, à partir des
années 50, bien des auteurs, qui constataient à quel point le droit constitutionnel,
qui est aussi une pratique du pouvoir, ne saurait se réduire au(x) texte(s) qui le
fondent, critiquent cette manière de voir et cette irréalité artificielle des grandes
catégories traditionnelles de l’entendement juridique. * Après la 2 ème Guerre
mondiale, certains auteurs mettent en avant la pratique concrète du pouvoir, les
faits plus que les grandes idées. Maurice Duverger, dans les années 50, inaugure
ainsi une nouvelle manière de voir (à l’étranger, on trouve son équivalent), qui
étudie les institutions, les gouvernements et les constitutions non plus tels qu’ils
devraient fonctionner en vertu des textes, mais tels qu’ils fonctionnent en réalité.
En 1951 également, un brillant auteur comme Boris Mirkine-Guetzevitch
(professeur à New-York), considère que tous ceux qui ne voient dans le droit
constitutionnel qu’un amas de règles et un système de droit font erreur, la
technicité juridique étant largement influencée par les idées politiques et les
rapports de force politiques. Et de ce phénomène, le droit constitutionnel ne saurait
rendre compte s’il ne s’adjoint les services de la science politique. Il faut ajouter
que c’est également la grande époque intellectuelle du marxisme, qui met en avant
cette idée que les groupements sociaux (donc les relations de pouvoirs) structurent
la société à partir d’une lutte et de rapports de force. * Dès lors, et par un
mouvement pendulaire (excessif) assez classique, la plupart des auteurs de droit
constitutionnel vont être gagnés par la politomania, et, perdant leur identité de
juristes publicistes, vont intituler leurs ouvrages, leurs manuels, Droit
constitutionnel et institutions politiques. Cette nouvelle démarche conduit par
exemple à relativiser les idéaux de 1789 et à affirmer que derrière l’égalité
formelle proclamée par la belle Déclaration « bourgeoise » se cache en réalité
l’inégalité entre des hommes concrets et socialement situés. La philosophie des
droits de l’homme en prenait un coup ! Pour Georges Burdeau, sorte de converti
à la Science politique, la (vraie) vie politique et le fonctionnement des institutions
se déroulent « en marge des règles constitutionnelles » dont l’étude devient inutile
ou irréaliste. C’est à cette époque, encore (1949 plus exactement) qu’apparaît la
Revue française de Science politique et c’est de 1951 que date le gros ouvrage de
Droit constitutionnel et science politique de Maurice Duverger. * De nos jours,
les relations entre droit constitutionnel et science politique ne sont pas évidentes.
Elles sont intimes dès lors qu’il s’agit de décrire l’univers institutionnel, les
organes et surtout les partis politiques, que seule une approche sociologique et
politique peut rendre à leur véritable ampleur ; elles sont plus distantes lorsqu’il
s’agit d’étudier les règles de droit telles qu’interprétées par la jurisprudence. Or il
nous faut justement dire un mot du sursaut des juristes ces dernières décennies,
parmi les commentateurs du droit constitutionnel. c) Le retour en grâce des
juristes et la mise en exergue du contentieux constitutionnel. * Ce nouveau droit
constitutionnel prend davantage en compte la dimension jurisprudentielle,
naguère encore inexistante, et née depuis quelques décennies de l’activité
croissante des cours constitutionnelles dont se sont dotées la plupart des
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démocraties libérales (imitées par les pays d’Afrique, d’Europe de l’Est, etc.).
Désormais, au nom du respect de la Constitution (et pour le plus grand profit de
l’État de droit), il est entendu que les rapports de force entre les acteurs sont
surplombés par (et subordonnés à) la Constitution elle-même, interprétée
officiellement et authentiquement par le juge constitutionnel. La politique est bien
« saisie par le droit » (feu Louis Favoreu) et l’on renoue avec les textes et la
jurisprudence. J’attire cependant votre attention sur le fait qu’il convient de ne pas
se leurrer : lorsqu’on parle d’État de droit (tarte à la crème que tous les journalistes
manient mieux que d’Artagnan l’épée ou Lucky Luke son pistolet), n’imaginez
surtout pas qu’il s’agirait de la soumission des organes de l’État au droit, à la
Constitution tels qu’ils sont (voir infra, sur la justice constitutionnelle). Plus
sûrement, on peut affirmer, en relation avec la promotion du rôle des cours
constitutionnelles dans le monde, que cette prime aux juges n’enlève rien au fait
qu’ils interprètent, en hommes, un texte dont le sens n’est pas toujours évident
(comment, en effet, apprécier certaines pratiques relatives à la génétique ou à la
bio-éthique en référence à un texte datant de 1789 comme la Déclaration ou de
1791 comme les 10 premiers amendements à la Constitution américaine ?). On ne
se débarrasse pas ainsi de la subjectivité et de l’interprétation (j’y reviendrai). *
Reste qu’il découle de ce constat que le champ du droit constitutionnel a vocation
à s’élargir, et que la plupart des autres branches du droit sont en quelque sorte
absorbées dans le droit constitutionnel, de sorte qu’on assiste à une véritable «
constitutionnalisation des branches du droit », qui ont presque toutes un ancrage
dans le texte de la constitution (droit du travail et des travailleurs, droit des
administrés, droit des enfants, droit pénal, etc.). La transition est peu subtile mais
faite pour vous parler maintenant, avant d’évoquer l’utilité de ce cours de première
année, de la crise que traverse actuellement le droit constitutionnel (national). d)
La crise du droit constitutionnel. Depuis quelques années, le droit
constitutionnel semble avoir épuisé les charmes de son expansion, et il entre
actuellement dans une période de crise, qui a deux facettes : * d’une part,
l’internationalisation du droit, la communautarisation du droit (voir la Charte et le
Traité de Nice) et l’européanisation du droit (la jurisprudence de la Cour
européenne) contribuent à relativiser la portée du droit constitutionnel et la force
de la constitution, même si cette dernière (parfois à grands renforts de révisions
conjoncturelles, voir infra, fin du cours de 1ère année) s’arrange pour intégrer ces
évolutions et si les questions juridiques qui se posent au plus haut niveau restent
passionnantes (conflits d’ordres juridiques) ; * d’autre part et plus sournoisement,
ce droit constitutionnel, qui irriguait naguère les autres branches du droit, se trouve
aujourd’hui très menacée, par la montée en puissance du droit pénal (comme on
l’a vu et nous le verrons à propos des débats relatifs à la responsabilité des
parlementaires, des ministres et du président de la République), et par le souci, lié
à l’idéologie des droits de l’homme, de faire reculer l’exorbitance, le statut
particulier, attaché au droit public, au profit d’une lecture « de droit commun »
qui l’emporterait. Cette crise est profonde, et accompagne d’un certain point de
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vue la crise de l’espace public et de l’État ; * enfin, cette crise nous dirige
également et plus positivement vers une réflexion sur l’évolution de la
gouvernance, au niveau national, européen et international (comment,
aujourd’hui, concevoir la production légitime et collégiale de décisions liant tous
ou s’imposant à tous ?). Elle n’empêche cependant pas de considérer qu’un tel
cours présente une profonde utilité.
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administratif) dans une conception renouvelée de l’Etat de droit et de la protection
des droits fondamentaux des citoyens (de fait, ne vous leurrez pas, c’est une
matière technique !). Devant cet océan de connaissances à assimiler et de champs
à explorer, j’imagine votre effroi et vos angoisses, aussi est-il temps pour moi de
vous annoncer le plan de nos travaux, en essayant de justifier son articulation.
Justification du plan : vous l’aurez compris, notre année sera désespérément courte
(66 heures). Il me semble justement que le développement excessif de la pure
technique contentieuse du droit constitutionnel (autrement dit, sans les juges
constitutionnels, point de salut) a rétréci et desséché la discipline, et c’est la raison
pour laquelle je vous proposerai un premier temps de réflexion relatif aux grands
concepts du droit constitutionnel, aux notions fondatrices et fondamentales, dans
un mouvement incluant les idées classiques puis l’étude succincte, essentiellement
à travers certaines illustrations, des régimes étrangers, à travers ce qu’on appellera,
non sans ambition, une théorie générale du droit constitutionnel (Partie I) ; dans
un second temps, autrement dit au second semestre (si l’on parvient à bien serrer
notre calendrier), nous nous pencherons, pour illustrer notamment de manière
concrète l’acquis de la première partie, sur le « laboratoire constitutionnel français
» (Partie II), dont l’étude mêlera quant à elle l’approche historique et théorique et
l’optique positive contemporaine.
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