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UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ 2

Faculté de Sciences Juridiques et Politiques


Année académique 2020-2021
Semestre 6
Licence 3 année, Droit public et Science politique (UE
ème

complémentaire) - Droit privé (UE optionnelle)

COURS DE DROIT COMMUNAUTAIRE INSTITUTIONNEL


Alain Franklin ONDOUA
Agrégé des Facultés de Droit
Professeur Titulaire

INTRODUCTION : L’IDENTITE ET LA SPECIFICITE DE


L'INTEGRATION COMMUNAUTAIRE

Considérations préalables : Prolifération des organisations

d'intégration en Afrique

L'intégration régionale ou sous régionale en Afrique constitue

désormais un « effet de mode », matérialisé par la prolifération des

organisations dites d'intégration notamment en Afrique francophone (CEEAC,

CEMAC, CEDEAO, UEMOA, etc.)

Quelques exemples, à ce propos, d'organisations que nous

mobiliserons dans le cadre de cet enseignement :

- Afrique centrale : Communauté Économique des États de l'Afrique

Centrale (CEEAC, traité de Libreville du 18 octobre 1983, révisé dans la même

capitale le 18 décembre 2019) ; Communauté Économique et Monétaire de

l'Afrique Centrale (CEMAC, traité de N'Djamena du 16 mars 1994, révisé

principalement à Yaoundé le 25 juin 2008 puis à Libreville le 30 janvier 2009) ;

1
- Afrique de l'Ouest : Communauté Économique des États de l'Afrique

de l'Ouest (CEDEAO, traité de Lagos du 28 mai 1975, révisé à Cotonou le 23

juillet 1993) ; Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA, traité

de Dakar du 10 janvier 1994, révisé le 29 janvier 2003).

Quelques éléments sur les théories de l'intégration (à approfondir

par les étudiants, à partir notamment des grandes étapes d une intégration

économique : zone de libre-échange, union douanière, marché commun, union

économique et monétaire et, éventuellement union politique, tels que présentés

par Bela Alexander BALASSA, in The theory of economic integration (1961)).

Pour d autres références : SAURUGGER (Sabine), Théories et concepts de

l intégration européenne, Paris, Presses de Sciences Po, coll. Références.

Gouvernances, 2010, 483p ; MVELLE MINFENDA (Guy), Intégration et

coopération en Afrique : la difficile rencontre possible entre les théories et les

faits, Paris, L Harmattan, coll. Harmattan Cameroun, 2014, 158p.

- Théories de l'intégration : fédéralistes, fonctionnalistes (création

d'OI spécialisées, chacune dans une fonction globale), néo-fonctionnalistes

(réalisations concrètes créant une solidarité de fait ; processus comptant sur

l'effet de propagation dit spill over effect), supranationalité,

intergouvernementalisme ;

- Typologie et échelle des phénomènes d'intégration régionale ou

sous régionale (échelle de l'intégrationnalité ou de l'intégrationnisme) ;

2
- Distinction entre organisations de coopération et d'intégration

(transferts de compétences États vers l'OI, pouvoir normatif reconnu aux

institutions communautaires, normes s'imposant aux États membres, etc.).

Analyse à partir du traité CEMAC révisé :

- Importance attachée à la figure des « maîtres des traités » que sont

les États :

* Insistance sur la volonté unanime des États en matière de

conclusion et de révision des traités = art. 57 (révision des traités ‒ unanimité,

puis ratification par tous les États selon leurs règles constitutionnelles

respectives), art. 66 (ratification des traités), art. 58 (pouvoir de dénonciation

du traité équivalant à un retrait volontaire) ;

* Rôle central de la conférence des chefs de l'État, qui statue par

consensus (art. 16), adopte les actes les plus importants (actes additionnels par

exemple, art. 40), nonobstant le rôle de gardienne des traités et de l'intérêt

général communautaire de la Commission ainsi que son droit d'initiative en

matière normative (art. 34); Parlement communautaire, pour l'instant un « nain

politique » : certes assemblée représentative des populations de la CEMAC

(préambule ; art. 5 de la convention du 25 juin 2008 : élection au SUD), mais

rôle purement consultatif (consulté sur les projets d'actes additionnels, de

règlements et de directives ; avis obligatoire ou conforme dans certains cas,

art. 25 convention), (absence de pouvoir budgétaire par exemple : budget

3
adopté par le Conseil des ministres sur proposition de la Commission, art. 49 ‒

mais possibilité d'amendement au budget, art. 29 de la convention) et contrôle

démocratique (résolutions ou rapports ; questions orales ou écrites ; éventuelle

motion de censure), pour l'instant, inexistant (art. 47) ;

* Insistance sur le nécessaire respect des identités nationales et de la

logique des compétences d'attribution (absence de compétence de sa propre

compétence) : préambule du traité CEMAC = accent mis sur la solidarité entre

les peuples « dans le respect des identités nationales »; idée centrale

reproduite, sous une formulation identique dans les conventions régissant

l'UEAC (art. 8) et l'UMAC (art. 2) : l'Union agit dans le respect des objectifs qui

lui sont assignés par les traités et respecte l'identité nationale des États

membres ;

* Corollaires = transferts de compétences limités voire parcellaires :

affirmation de principe dans les préambules du traité CEMAC révisé (volonté

d'établir « une organisation commune dotée de compétences et d'organes

propres dans la limite des pouvoirs qui leur sont conférés par le présent

traité ») et la convention régissant l'UEAC (l'intégration des EM en une

Communauté économique et monétaire exige la mise en commun partielle et

progressive de leur souveraineté nationale au profit de la Communauté, dans le

cadre d'une volonté politique collective). Au total, la CEMAC serait encore

4
plus proche d'un phénomène de coopération intergouvernementale teinté de

communautarisation, que d'une véritable organisation d'intégration.

Section 1 ‒ L identité de la Communauté ou de l Union

Il est nécessaire, pour qualifier l identité communautaire, de situer

les organisations communautaires africaines par rapport à ce qu on considère

généralement comme les éléments constitutifs d un État, à savoir notamment la

citoyenneté, la personnalité juridique et les valeurs fondatrices. Il ne s agit

pas pour autant d assimiler une organisation d'intégration communautaire à un

État, dans la mesure où même si l on a dépassé le stade de l organisation

internationale classique et de la confédération, on n est pas encore en présence

d une entité fédérale surplombant les entités étatiques souveraines.

& 1 - La citoyenneté d'une Communauté ou d'une Union

La citoyenneté est un concept généralement employé en droit

constitutionnel, en lien notamment avec la participation aux élections. A cet

effet, il est traditionnellement couplé à la nationalité.

En droit communautaire africain, seule la CEDEAO semble avoir mis

en place un certain statut de citoyen communautaire, moins développé

cependant que la citoyenneté de l'Union européenne.

5
A) La notion de citoyen communautaire

La CEDEAO a très tôt légiféré dans le domaine de la citoyenneté à

travers le Protocole portant Code de la citoyenneté de la Communauté signé à

Cotonou le 29 mai 1982 et entré en vigueur le 10 juillet 1984. Cette

citoyenneté est étroitement dépendante de la nationalité d'un État membre,

étant entendu que le protocole précise en son préambule que « les EM

continueront à exercer leur droit souverain pour l'octroi de leur nationalité ».

Cette approche permet de cerner les contours de la notion de citoyen de la

Communauté en s'inspirant notamment du droit de l'Union européenne.

En effet, en droit de l'Union européenne comme en droit

communautaire africain, la citoyenneté est une citoyenneté de superposition

qui s ajoute à la qualité de national définie par chaque État membre. A ce

propos, le traité d Amsterdam a précautionneusement ajouté une deuxième

phrase à l art. 17 CE (ex-art. 8) aux termes de laquelle : La citoyenneté de

l Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas (art. 20, & 1er

du Traité sur le Fonctionnement de l Union Européenne - TFUE, qui remplace

le verbe complète par s ajoute). Elle apparaît donc comme une qualité

complémentaire dont la possession entraîne la jouissance de certains droits

garantis par le traité. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi pu

affirmer que : « …le statut de citoyen de l Union a vocation à être le statut

fondamental des ressortissants des EM permettant à ceux parmi ces derniers

6
qui se trouvent dans la même situation d obtenir, indépendamment de leur

nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard,

le même traitement juridique » (20 sept 2001, Rudy Grzelczyk : Rec. I-6193).

Les droits attachés à la citoyenneté communautaire sont généralement prévus

par les traités ou leurs protocoles additionnels.

B) Les droits du citoyen communautaire

En droit communautaire CEDEAO, le traité révisé précise en son

article 59 quelques droits attachés au statut de citoyen : « 1. Les citoyens de la

Communauté ont le droit d'entrée, de résidence et d'établissement et les EM

s'engagent à reconnaître ces droits aux citoyens de la Communauté sur leurs

territoires respectifs, conformément aux dispositions des protocoles y afférents.

2. Les EM s'engagent à prendre toutes les mesures appropriées en vue d'assurer

aux citoyens de la Communauté la pleine jouissance des droits visés au

paragraphe 1 du présent article... ».

Plusieurs protocoles additionnels ont été adoptés en la matière :

- Protocole du 29 mai 1979 relatif à libre circulation des personnes,

au droit de résidence et d'établissement : droit d'entrée et abolition du visa

d'entrée, période n'excédant pas 90 jours, première étape de 1980-1985 ;

institution d'un passeport CEDEAO par décision du 1er mai 2000 ;

- Protocole du 6 juillet 1985 portant code de conduite pour

l'application du protocole de 1979 : obligation pour les EM d'informer leurs

7
citoyens sur les conditions d'entrée, de séjour, de résidence et d'établissement

dans les autres EM de même que les conditions d'expulsion ;

- Protocole du 1er juillet 1986 relatif à l'exécution de la deuxième

étape (droit de résidence, 1985-1990) du Protocole de 1979 : reconnaissance

aux citoyens désirant accéder ou non à une activité salariée et à l'exercer (hors

emplois dans l'administration publique) ; mêmes droits et libertés que les

nationaux, sauf droits politiques ; institution d'une carte de résident des EM par

décision du 30 mai 1990 ;

- Protocole du 29 mai 1990 relatif à l'exécution de la troisième étape

(droit d'établissement, 1990-1995) : droit de s'installer ou de s'établir dans un

EM, d'accéder à des activités économiques, de les exercer ainsi que de

constituer et de gérer des entreprises et/ou sociétés (dans les mêmes conditions

que les nationaux et conformément à la législation de l'État d'accueil).

En droit de l'UE, dans ses dispositions relatives aux principes

démocratiques, le Traité sur l Union Européenne (TUE) (dans sa version après

le traité de Lisbonne) prévoit d une part que « dans toutes ses activités, l Union

respecte le principe de l égalité de ses citoyens… » (art. 9), et d autre part que

« tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l Union. Les

décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près possible des citoyens »

(art. 10, & 3).

8
Par ailleurs, les citoyens de l'UE bénéficient conjointement avec les

ressortissants d États tiers d'autres types de droits : la protection des droits

fondamentaux (art. 6, & 2 TUE), le droit d accès aux documents administratifs

de l Union ou encore l accès à la Cours de Justice de l Union.

Sur la base des articles 20 à 25 Traité sur le Fonctionnement de

l Union Européenne (TFUE), il existe deux catégories de droits spécifiques

attachés à la citoyenneté : ceux que l on peut considérer comme indépendants

et ceux qui sont liés au Parlement européen. Parmi les premiers, on trouve tout

d abord la liberté de circulation et de séjour sur le territoire des États

membres (art. 21 TFUE). Ce droit ne s exerce cependant que sous réserve des

limitations et des conditions prévues par le traité et les dispositions prises pour

son application. Sont exclues cependant de cette procédure les mesures

relatives aux passeports, aux cartes d identité ou de séjour, à la sécurité sociale

ou à la protection sociale.

Il faut citer ensuite le droit de vote et d éligibilité aux élections

municipales dans l État membre de résidence alors que les citoyens de

l Union ne sont pas ressortissants de cet État (art. 22, & 1 TFUE). Les

modalités d exercice de ce droit ont été arrêtées par la directive 94/80/CE du

Conseil du 19 décembre 1994. Cette directive permet par exemple à titre

dérogatoire aux États membres de réserver aux nationaux certaines fonctions

dans les exécutifs municipaux et d interdire aux élus non nationaux la

9
participation à la désignation des électeurs ou à l élection d une assemblée

parlementaire.

Dans cette première catégorie, il faut enfin mentionner le droit à la

protection des autorités diplomatiques et consulaires dans tout État tiers où

l État membre dont il est le ressortissant n est pas représenté (art. 23 TFUE).

Cette disposition a été mise en œuvre dans le cadre de la Politique Extérieure

et de Sécurité Commune (PESC) par une décision des représentants des États

membres réunis au sein du Conseil en date du 19 décembre 1995, concernant

la protection des citoyens de l Union européenne par les représentations

diplomatiques et consulaires. La protection n est pas accordée par l Union,

mais le traité crée une obligation de coopération entre États membres de telle

sorte que l un d entre eux doit assurer cette protection lorsque l État dont le

citoyen a la nationalité n est pas représenté dans l État tiers en cause. Il s agit

donc plutôt d une protection d urgence, voire humanitaire.

Dans la seconde catégorie de droits de citoyenneté (ceux liés au

Parlement européen), citons d abord le droit de vote et d éligibilité aux

élections européennes des citoyens de l Union résidant sur le territoire d un

autre État membre (art. 22, & 2 TFUE). Les modalités d exercice de ce droit

ont été fixées par la directive 93/109/CE du Conseil du 6 décembre 1993. Le

premier principe est celui de la liberté de choix de l électeur entre l État de

résidence et l État dont il est ressortissant. Le second principe est celui de

10
l égalité de traitement : les droits de vote et d éligibilité s exerçant dans les

mêmes conditions pour les nationaux et les résidents communautaires. Une

dérogation a été prévue lorsque, dans un État, la proportion de citoyens de

l Union, en âge de voter, qui y résident sans en avoir la nationalité est

supérieure à 20 % des citoyens de l Union en âge de voter (en pratique cela

concerne le Luxembourg) : possibilité d imposer un délai maximum de 5 ans

avant de pouvoir devenir électeur et un délai maximal de 10 ans avant de

pouvoir être éligible.

Ensuite et enfin, les citoyens de l Union bénéficient d un droit de

pétition devant le Parlement européen, du droit de saisir le Médiateur (art. 24

TFUE). Le Médiateur, aux termes de l art. 228 TFUE, est nommé par le

Parlement et est habilité à recevoir des plaintes relatives au mauvais

fonctionnement des institutions communautaires à l exclusion des organes

juridictionnels. L article 21 précité stipule également que les citoyens peuvent

s adresser aux institutions ou organes de l Union dans l une quelconque des

langues officielles et recevoir une réponse dans la même langue (disposition

introduite par le traité d Amsterdam).

En lien indirect avec ce qui précède, l'art. 11, & 4 TUE stipule que :

« des citoyens de l Union, au nombre d un million au moins, ressortissants d un

nombre significatif d États membres, peuvent prendre l initiative d inviter la

Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition

11
appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu un

acte juridique de l Union est nécessaire aux fins de l application des traités »

(procédures et conditions requises pour la présentation d une telle initiative,

fixées dans le futur art. 24, & 1er TFUE).

& 2 - La personnalité juridique de la Communauté ou de l'Union

Les organisations d'intégration sous régionale ont un statut juridique

fonctionnel, c est-à-dire que celui-ci a pour objet de leur permettre de remplir

sa mission. S agissant plus particulièrement de la personnalité juridique, il faut

bien reconnaître toutes les Communautés ou Union d'Afrique centrale de

l'Ouest en disposent. Ainsi, l'article 9 du traité UEMOA stipule que : « L'Union a

la personnalité juridique... » (art. 88, & 1 du traité CEDEAO révisé : « La

Communauté a la personnalité juridique internationale » ; voir aussi art. 3 du

traité CEMAC révisé).

A) La personnalité juridique interne

A propos de la personnalité juridique interne, l'article 9 du traité

UEMOA révisé stipule par exemple que : « Elle de la capacité juridique la plus

large reconnue aux personnes morales par la législation nationale. Elle est

représentée en justice par la Commission. Elle a notamment capacité pour

contracter, acquérir des biens mobiliers et immobiliers et en disposer. Sa

responsabilité contractuelle et la juridiction nationale compétente pour tout

litige y afférent sont régies par la loi applicable au contrat en cause ». Ainsi

12
dans chaque EM la Communauté agit selon les dispositions les plus favorables

prévues par les législations nationales. Même formulation que l'art. 3 du traité

révisé CEMAC.

B) La personnalité juridique internationale

Pour prendre l'exemple de la CEDEAO, l'article 83 stipule que « La

Communauté peut conclure des accords de coopération avec des pays tiers ».

L'article 8, alinéa 3 du traité CEMAC révisé prévoit quant à lui que « Des

accords de coopération et d'assistance peuvent être signés avec les États tiers

ou les organisations internationales » ; alinéa 1er : « La Communauté établit

toutes coopérations utiles avec les organisations régionales ou sous régionales

existantes ».

La Communauté dispose ainsi du pouvoir de légation internationale,

généralement représentée pour ce qui est de son exercice par la Commission.

A ce titre, la Cour de Justice de la CEMAC, dans l affaire Société Price

Waterhouse SARL rendue le 14 novembre 2013, a affirmé que : « …La

Communauté a sa propre personnalité juridique différente de celle des Etats

membres, que les accords signés entre un Etat membre et un Etat dans le cadre

de leur coopération bilatérale ne lient pas automatiquement la

Communauté… ».

Pour la Cour de justice de l'UEMOA (avis n 01/2007 du 19 octobre

2007, Demande d'avis du Président de la Commission de l'UEMOA relative à la

13
possibilité pour les EM de conclure individuellement des accords

d'investissement avec les pays tiers), « en tant que sujet de droit international,

l'UEMOA a la capacité de conclure des traités internationaux pouvant être

définis comme « tout engagement ayant force obligatoire pris par un sujet de

droit international ».

& 3 - Les valeurs fondatrices

Ces valeurs s assimilent à un « code de conduite » accepté par les

Etats fondateurs dans le fonctionnement de l Union. Elles expriment plus

précisément un consensus global sur la nature même de l entreprise commune.

On a pu ainsi parler de « code commun de valeurs fondamentales ».

A) La Communauté ou l'Union de droit

C est la CJCE qui a été la première à affirmer son existence dans un

arrêt Les Verts c/ Parlement européen du 23 avril 1986 : « Il y a lieu de

souligner d abord, à cet égard, que la CEE est une communauté de droit en ce

que ni ses EM ni ses institutions n échappent au contrôle de la conformité de

leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu est le traité . Pour une

autre référence à la notion de « communauté de droit », voir : CJCE, 14

décembre 1991, Accord sur la création de l EEE, Avis 1/91). Dans cette

conception de la communauté de droit, l accent est mis sur la soumission des

autorités publiques à des normes et l existence d un contrôle juridictionnel

permettant de garantir le respect de ces normes. Le juge doit ainsi veiller à ce

14
que le pouvoir discrétionnaire des institutions communautaires ne puisse se

transformer en arbitraire (recours à la théorie de l erreur manifeste…). Ainsi

dans l affaire Les Verts la Cour a, par sa jurisprudence, complété le traité pour

permettre aux requérants d attaquer un acte du Parlement qui, d après une

interprétation textuelle, échappait à son contrôle.

En droit communautaire africain, au-delà du fait qu'existent des

Cours de justice chargées d'interpréter et d'appliquer le droit dans le respect

des différents traités (art. 48 traité CEMAC), l'article 4 du traité CEDEAO révisé

considère notamment comme principes fondamentaux : la reconnaissance et le

respect des règles et principes juridiques de la Communauté (art. 4-i) ; la

promotion et la consolidation d'un système démocratique de gouvernement

dans chaque État membre (art. 4-j). Les hautes parties contractantes au traité

CEMAC, réaffirment quant à elles dans son préambule leur attachement au

respect notamment des principes de démocratie, de l'État de droit et de la

bonne gouvernance. A l occasion de l avis n 002/2014-15 du 29 décembre

2014, rendu sur la demande du Président de la Commission de la CEMAC, la

Cour de justice a, au détour d une incise, précisé qu elle est « garante de

l existence d une Communauté de droit… ».

B) Le respect des droits fondamentaux

Les traités communautaires contiennent des références aux droits

fondamentaux. C'est ainsi que l'article 3 du traité UEMOA stipule-t-il que

15
« L'Union respecte dans son action les droits fondamentaux énoncés dans la

DUDH de 1948 et la CADHP de 1981 ». Quant au traité CEDEAO, son article 4

sur les principes fondamentaux de la Communauté, y intègre « le respect, la

promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples conformément

aux dispositions de la CADHP ». Il convient par ailleurs de renvoyer au

Protocole CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance du 21 décembre

2001 qui, dans son article 1er, considère notamment comme principes

constitutionnels communs à tous les États membres de la Communauté la

garantie des droits reconnus par la CADHP et les instruments internationaux

relatifs aux droits de l'homme. Quant au traité CEMAC, allusion est faite aux

droits de l'homme dans le préambule L'une des politiques sectorielles de

l'UEAC porte sur la bonne gouvernance, les droits de l'homme, les questions de

genre et le dialogue social. A ce propos, l'article 47 de la convention prévoit

que le Conseil des ministres peut définir des actions, notamment : pour

promouvoir la dignité humaine, la justice sociale, le respect de la diversité au

sein des sociétés des États membres, le respect universel et la protection des

droits de l'homme et des libertés fondamentales (points a) et b) de cet article).

Quant au droit communautaire européen, les traités fondateurs

étaient silencieux sur la problématique de la protection des droits

fondamentaux. Il est vrai que certains principes comme ceux de la non-

discrimination ou de la libre prestation de services pouvaient, dans certains

16
cas, coïncider avec des dispositions relatives aux droits de l homme. Cela

n enlève rien à l absence de disposition générale relative aux droits

fondamentaux dans les traités. Ceci est principalement dû à la vocation

économique des traités de base, peu enclins selon leurs auteurs à interférer

avec la question des droits fondamentaux.

La question a été finalement résolue par la CJCE dans les premiers

arrêts rendus, dans le cadre de la CECA : la Cour refusait de prendre en

considération les droits fondamentaux protégés par les États membres (4

février 1959, aff. 1/58, Stork c/ Haute Autorité de la CECA, et 12 février 1960,

aff. 16, 17 et 18/59, Comptoirs de vente de la Ruhr c/ Haute autorité de la

CECA). Cette jurisprudence était critiquable car elle pouvait conduire à penser

que la création des Communautés se traduisait par un déficit dans la protection

des droits fondamentaux. Un certain nombre de juridictions nationales vont

réagir face à cette jurisprudence, notamment la Cour constitutionnelle

allemande qui, dans un arrêt du 23 mars 1974 dit Solange I (position déjà

annoncée dans un arrêt du 18 octobre 1967), va subordonner son acceptation

de la primauté du droit communautaire sur le droit national à l existence d une

protection satisfaisante des droits fondamentaux dans le cadre communautaire.

Attitude similaire de la part de la Cour constitutionnelle italienne (arrêts du 27

décembre 1973, Frontini et Pozzani). Notons que la CJCE n y est pas restée

insensible : dès 1969, elle reconnaissait que les droits fondamentaux faisaient

17
partie du droit communautaire en tant que PGD (12 novembre 1969, aff.

29/69, Stauder). Elle affirma par la suite dans l arrêt du 17 décembre 1970 (aff.

11/70, Internationale Handelsgesellschaft) que le respect des droits

fondamentaux faisait partie des Principes Généraux du Droit (PGD) dont elle

assurait le respect et qu il convenait de s inspirer en ce qui concerne la

définition de ces droits des traditions constitutionnelles communes aux EM.

Puis en 1974 dans l arrêt Nold (14 mars, aff. 4/74), elle affinait sa

jurisprudence en faisant référence aux instruments internationaux auxquels les

États ont coopéré ou adhéré et en particulier à la Convention Européenne des

Droits de l Homme (CEDH). Évolution des jurisprudences constitutionnelles

précitées : les réserves initiales des Cours constitutionnelles allemande et

italienne sont devenues formelles, de principe (reconnaissance du caractère

satisfaisant de la protection juridictionnelle des droits fondamentaux au niveau

communautaire) : arrêt du 22 octobre 1986, Solange II et 8 juin 1984, Granital.

Au demeurant, les traités eux-mêmes ont progressivement consacré

la nécessaire protection des droits fondamentaux. Au-delà de la déclaration

commune du Parlement européen, de la Commission et du Conseil du 5 avril

1977 et du Préambule de l AUE qui montrent l attachement des institutions à la

protection des droits fondamentaux, il faut mentionner l étape importante

marquée par le TUE qui consolide la jurisprudence de la CJCE dans l art. F & 2

(aujourd hui 6), en faisant du respect des droits fondamentaux un des PGD

18
communautaire et en reproduisant la référence à la CEDH et aux traditions

constitutionnelles communes aux EM comme sources des droits fondamentaux.

Le traité d Amsterdam approfondit cet état du droit en imposant explicitement

aux États candidats le respect des principes de l art. 6 & 1 précité, parmi

lesquels figure le respect des DH et de l État de droit. Ensuite, il instaure une

procédure de suspension des droits de vote et de droits découlant du traité

lorsqu un EM viole de manière grave et persistante les principes énoncés à

l art. 6. Enfin, la compétence de la Cour est affirmée en ce qui concerne le

respect de l art. 6 & 2, lequel impose à l Union de respecter les droits

fondamentaux dans le cadre de ses missions. On a donc pu logiquement y voir

une consécration du respect des droits fondamentaux en tant que principe

constitutionnel de l Union .

Mentionnons simplement la Charte des droits fondamentaux de

l UE. L initiative de son adoption vient du Conseil européen de Cologne en juin

1999. Les travaux ont commencé en décembre 1999, sous l égide d une

Convention, et se sont achevés en temps utile pour le Conseil européen de

Nice en décembre 2000. Les rédacteurs de la Charte ont choisi de rédiger

celle-ci dans une forme juridique de telle sorte qu elle puisse, le cas échéant,

être intégrée telle quelle dans les traités.

Précisons que l'article 6 UE est ainsi rédigé : « 1. L Union reconnaît

les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits

19
fondamentaux du 7 décembre 2000, […] laquelle a la même valeur juridique

que les traités ; […] 2. L Union adhère à la Convention de sauvegarde des

droits de l homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas

les compétences de l Union telles qu elles sont définies dans la Constitution ; 3.

Les droits fondamentaux, tels qu ils sont garantis par la Conv. EDH et tels

qu ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux EM, font partie

du droit de l Union en tant que principes généraux ». Il est indiqué dans le

protocole n 5 que l accord relatif à l adhésion de l Union à la CEDH « doit

refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l Union et

du droit de l Union », notamment les modalités particulières de l éventuelle

participation de l Union aux instances de contrôle de la Convention.

Par ailleurs, l art. 17-1 du Protocole n 14 à la CEDH prévoit

d insérer un nouveau paragraphe à l article 59 de la Convention aux termes

duquel : « L UE peut adhérer à la présente Convention ».

Section 2 ‒ La spécificité de la Communauté ou de l Union

Soutenir qu une entière communautaire est spécifique revient

notamment à mettre en valeur la nature de sa charte constitutive ainsi que la

nature de l'entité elle-même.

& 1. La nature des traités communautaires

La première qualification qui vient à l esprit est celle de chartes

constitutives d organisations internationales. On peut néanmoins s interroger

20
sur l éventuelle nature constitutionnelle des traités communautaires. S il est

vrai que ces derniers conservent un inné tiré du droit international (qu ils sont

enracinés dans le droit international), il n en reste pas moins qu eu égard à la

spécificité communautaire, on peut avec la CJCE affirmer l existence d une

« charte constitutionnelle » de la Communauté (rappeler arrêt Les Verts de

1986 et avis 1/91, EEE de 1991).

A) Les liens étroits avec le droit international

Les Communautés sont fondées sur des traités internationaux,

conclus comme pour toutes les organisations internationales, par la volonté

souveraine des États telle qu elle s est exprimée dans le cadre du droit

international public. Certes les traités contiennent des règles matériellement

constitutionnelles dans la mesure où ils définissent les objectifs, les

compétences, la structure institutionnelle et le processus décisionnel

communautaires. Mais il s agit d un trait commun à toutes les organisations

internationales. Certes, par rapport aux autres organisations internationales, les

Communautés présentent des caractères spécifiques (allusion à la notion

d organisation d intégration). Ceci ne conduirait pas pour autant à modifier

l analyse, car toutes les spécificités communautaires tirent leur origine des

traités conclus entre États souverains. Les Communautés constitueraient donc

un ensemble de droit international. Pour la plupart des spécialistes de droit

international, le fait que l Union trouve sa source dans le droit international

21
reste déterminant. Pour eux, ce que l on considère comme des spécificités du

droit communautaire (effet direct, non-réciprocité, etc.) ne sont que

l application poussée à l extrême de principes de droit international. L Union

ne serait donc qu une forme perfectionnée d organisation internationale. Voir

sur ce point, A. Pellet, « Les fondements juridiques internationaux du droit

communautaire », Recueil des Cours de l Académie de Droit Européen 1997.

B) L affirmation de la nature « constitutionnelle » des traités

communautaires

Il est vrai que la Cour a d abord été sensible à la position ci-dessus

présentée, lorsqu elle affirmait que la Communauté était un nouvel ordre

juridique de droit international… (5 février 1963, Van Gend & Loos, 26/62).

Mais le démarquage de l ordre communautaire par rapport au droit

international sera effectué l année suivante dans l arrêt Flaminio Costa c/ Enel

du 15 juillet 1964 (6/64) : « à la différence des traités internationaux ordinaires,

le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système

juridique des EM lors de l entrée en vigueur du traité et qui s impose à leurs

juridictions ». La Cour se fonde donc sur les caractéristiques propres au droit

communautaire pour asseoir l autonomie de celui-ci. La Cour de Justice de la

CEMAC évoque quant à elle, dans son arrêt du 31 mars 2011, Banque

Atlantique du Cameroun, la « nature spécifique originale » de la Communauté

et, par conséquent, de son droit.

22
De ce point de vue, la vision internationaliste permet seulement

d expliquer l origine des Communautés (l existence d un « patrimoine

génétique » de la Communauté issu de ses racines internationales, Professeur

Denys SIMON), mais n a qu un effet subsidiaire quant à l analyse de leur

fonctionnement ou de la structure de leur ordre juridique. Le mouvement qui

va du traité international vers une charte constitutionnelle a été

remarquablement relevé par la Cour dans son avis déjà cité sur l EEE : « …le

traité CEE, bien que conclu sous la forme d un accord international, n en

constitue pas moins la charte constitutionnelle d une communauté de droit ».

La Cour de Justice de l Union Européenne (CJUE) a été beaucoup

plus précise dans son avis 2/13 du 18 décembre 2014 portant sur la question

de l'adhésion de l'Union à la CEDH ; avis dans lequel on peut lire au

paragraphe 158 que : « ...L'Union est dotée d'un ordre juridique d'un genre

nouveau, ayant une nature qui lui est spécifique, un cadre constitutionnel et

des principes fondateurs qui lui sont propres, une structure institutionnelle

particulièrement élaborée ainsi qu'un ensemble complet de règles juridiques

qui en assurent le fonctionnement... »

On a pu parler à cet égard d un processus de constitutionnalisation.

Parlant de Constitution, il s agit plutôt d une constitution matérielle : un

ensemble de règles relatives à des questions qui sont ordinairement

considérées comme relevant de la matière constitutionnelle. Mais ces règles

23
n ont pas été adoptées au terme d une procédure constitutionnelle. On n est

donc pas en présence d une Constitution au sens formel, d où l expression de

charte constitutionnelle.

Compte tenu du caractère évolutif du processus d intégration

européenne, il n est pas simple de savoir à partir de quel moment on passe de

la catégorie du traité international à celle de Constitution. Il n en demeure pas

moins que l analyse du fonctionnement des institutions communautaires relève

en l état actuel beaucoup plus du droit constitutionnel que du droit

international.

Ceci est en tout état de cause davantage plausible pour ce qui

concerne la construction européenne. Voir par exemple sur cette question, la

prise de position du Conseil Constitutionnel français, dans sa décision du 19

novembre 2004 : dans son considérant n 9, il estime qu il résulte des

stipulations du « traité établissant une Constitution pour l Europe », « et

notamment celles relatives à son entrée en vigueur, à sa révision et à la

possibilité de le dénoncer, qu il conserve le caractère d un traité

international souscrit par les États signataires du TCE et du TUE ». Il ajoute au

considérant suivant que la dénomination de ce nouveau traité « est sans

incidence sur l existence de la Constitution française ». Le considérant n 11

de la même décision comporte tout de même une reconnaissance de la

spécificité de l ordre juridique de l Union. En effet, en adoptant l article 88-1

24
de la Constitution, « le constituant a ainsi consacré l existence d un OJC intégré

à l ordre juridique interne et distinct de l ordre juridique international ».

& 2. La nature juridique de la Communauté ou l Union

Il s agit ici d une question lancinante pour la doctrine de droit

communautaire alors que la seule formule institutionnelle qu ait jamais utilisée

la Cour de justice pour qualifier la Communauté est celle de « pouvoir public

commun » (14 novembre 1978, délibération 1/78, à propos de la Communauté

Economique de l Energie Atomique (CEEA)). Et pour la Cour de justice de

l'UEMOA (Avis n 002/2000 du 22 mars 1999, Demande d'avis complémentaire

du Président de la Commission de l'UEMOA relative à l'interprétation de

l'article 84 du traité de l'UEMOA), « ...l'Union constitue en droit une

organisation de durée illimitée, dotée d'institutions propres, de la personnalité

et de la capacité juridique et surtout de pouvoirs issus d'une limitation de

compétences et d'un transfert d'attributions des EM qui lui ont délibérément

concédé une partie de leurs droits souverains pour créer un ordre juridique

autonome qui lui est applicable ainsi qu'à leurs ressortissants ».

A. La Communauté ou l Union n est pas un État

Au-delà du territoire et de la population, l élément le plus

caractéristique d un État est l exercice d une autorité souveraine. La question

devient dès lors qui de l organisation d'intégration ou de ses États membres

détient actuellement la souveraineté. Il est vrai que la Communauté ou l'Union

25
ne dispose que de compétences d attribution. Le préambule du traité CEMAC

fait référence par exemple d'une « organisation commune dotée de

compétences et d'organes propres agissant dans la limite des pouvoirs qui leur

sont conférés par le présent traité ». Quant à l'UE, (Art. 1er UE : mise en place

de l Union, « à laquelle les EM attribuent des compétences pour atteindre leurs

objectifs communs » ; principe d attribution défini à l article 5, & 2 UE :

« l Union n agit que dans les limites des compétences que les EM lui ont

attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent.

Toute compétence non attribuée à l Union dans les traités appartient aux

EM »).

Mais on peut soutenir que l exercice de la souveraineté est partagé

dans les domaines dans lesquels les États ont transféré certaines de leurs

compétences souveraines. Cela étant, l organisation communautaire ne détient

pas le monopole de la contrainte physique ; son recours appartient aux États.

Elle ne dispose pas non plus de la compétence de disposer de ses propres

compétences (kompetenz ‒ kompetenz) : la révision des traités requiert l accord

de tous les EM, dès lors tout renforcement de la construction communautaire

exige l accord de tous ses membres (art. 106 UEMOA : ratification des

modifications par tous les EM selon leurs règles constitutionnelles respectives ;

art. 57 CEMAC ; art. 90-3 CEDEAO).

26
Au total, si l organisation d'intégration dispose de plus en plus de

certains attributs de l État, elle ne saurait pour l instant être analysée comme

une entité étatique. Au demeurant, le caractère étatique est davantage exclu

par la mention explicite d'un droit de dénonciation ou de retrait volontaire du

traité (107 UEMOA ; 58 CEMAC et 91 CEDEAO ; art. 50, & 1 TUE : « & 1. Tout

EM peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles de se retirer de

l Union »).

B. Le dépassement de la catégorie de l organisation internationale

On a vu que certains internationalistes considéraient toujours les

Communautés comme une organisation internationale. Pour eux, dès lors

qu'elles ne peuvent être considérées comme un État, il s agit nécessairement

d une organisation internationale. Rappelons simplement à ce sujet la

jurisprudence de la Cour de justice passant de l analyse de la Communauté

comme « un nouvel ordre juridique de droit international » (Van Gend en Loos,

1963) à une conception selon laquelle …les traités communautaires ont

institué un nouvel ordre juridique… (Costa c/ Enel, 1964 et avis EEE, 1991) ;

Cour de justice UEMOA, avis 22 mars 1999, « ordre juridique autonome ». Si

l on additionne l ensemble des spécificités de l Union (non-réciprocité, effet

direct qui est la règle, citoyenneté, etc.), on réalise que l on est en présence

d un phénomène qui ne répond plus à la notion traditionnelle d organisation

internationale.

27
C. La Communauté ou l' Union, une organisation sui generis ?

Dès les débuts de l entreprise communautaire, certains auteurs ont

adopté la notion de supranationalité : une association d États au sein de

laquelle ceux-ci mettent en commun certaines de leurs compétences, acceptent

qu un nombre important de décisions soit pris à la majorité qualifiée, que ces

décisions s insèrent dans les ordres juridiques nationaux sans formalité

particulière, et qu elles l emportent sur les normes nationales contraires. Il

s agit là néanmoins d une simple description des caractéristiques des

Communautés. Ce serait une gageure aujourd hui de vouloir faire entrer ces

dernières dans des catégories juridiques connues.

C est la raison pour laquelle, et concernant l'Union européenne, de

nombreux auteurs ont avancé la qualification empruntée à J. Delors, qui est

celle de fédération d États-nations ‒ contradiction intrinsèque de cette

expression (Alan DASHWOOD, « Ordre constitutionnel d États souverains », in

« « A Constitution order of sovereign States » in States in the European Union »,

European Law Review 1998, n 23, p. 201). L idée sous-jacente dans cette

qualification est la suivante : l exercice en commun de compétences au niveau

de l Union doit sauvegarder la diversité des États nationaux. La difficulté qu il y

a à trouver une qualification qui fasse autorité montre que l Union demeure

fondamentalement un concept original.

28
CHAPITRE I : LES SOURCES DU DROIT COMMUNAUTAIRE

Les dispositions des traités ne comportent aucune typologie explicite

des sources du droit communautaire. Par conséquent, il faut opérer une

construction du système des sources, identifiant les différentes catégories de

normes et précisant leurs rapports réciproques (coordination ou hiérarchie), à

partir des indications fournies par les traités, par la pratique des institutions et

des EM, ainsi que par la jurisprudence communautaire. On peut distinguer à

cet égard les sources écrites du droit communautaire ou les sources non

écrites, ou les sources secondaires. Mais il convient, du point de vue

pédagogique, de distinguer classiquement le droit primaire, le droit dérivé, les

sources externes et les sources non écrites. Sur cette question, voir l excellent

Que sais-je ? (n 3560, PUF, Paris, 2000), de Pierre-Yves MONJAL, Les normes

de droit communautaire.

Section I : Le droit primaire ou originaire

Le droit primaire est constitué par les traités fondateurs des

Communautés. Il s agit de traités internationaux négociés et conclus entre les

EM, ces derniers apparaissant ainsi comme les « maîtres des traités ». Il

convient tout d abord d identifier le contenu de ce droit, avant de s interroger

sur son autorité ou sa portée.

29
& 1. L identification du droit primaire

Le droit primaire s est constitué au fil des révisions successives des

traités. On est en présence d un nombre croissant d instruments

conventionnels dont le recensement et les rapports mutuels s avèrent

complexes.

A. Les traités révisés

(RAPPEL) L ensemble du droit originaire repose sur les traités

constitutifs : renvoyer à ce qui a été dit en introduction à propos des différents

traités fondateurs des Communautés ou Union envisagées, ainsi que leurs

révisions respectives.

Ces différents traités sont très souvent complétés de protocoles et

annexes qui ont la même valeur juridique que les traités eux-mêmes (cf.

notamment art. 102 UEMOA : le protocole additionnel n II définissant les

politiques sectorielles de l'Union fait partie intégrante du présent traité ; art. 51

UE : les protocoles et annexes des traités en font partie intégrante » ; 11

protocoles au TUE et au TFUE).

La jurisprudence communautaire (10 juillet 1986, Wybot, 149/85 ; 22

octobre 1987, Foto-Frost, 314/85), voire le Conseil constitutionnel français

(décision Maastricht I du 9 avril 1992, & 45, qui précise que les protocoles sont

« indissociables » des articles stipulations du TUE), a confirmé que les

dispositions des protocoles faisaient partie intégrante du droit originaire, avec

30
la même valeur juridique que les traités eux-mêmes. Cependant, les

déclarations insérées dans l acte final des traités n ont en principe aucun

caractère normatif et sont généralement considérées comme exprimant

seulement un engagement politique. On peut tout de même penser que si ces

déclarations expriment l accord unanime des EM, elles ont, en dépit de leur

forme, valeur d engagement au même titre que les protocoles.

B. Les autres actes de droit primaire

Ces autres actes conventionnels sont généralement constitués par les

protocoles additionnels qui soit viennent compléter les traités dans des

domaines bien précis (protocole CEDEAO sur la démocratie et la bonne

gouvernance par exemple), ou encore des conventions relatives soit à la mise

en place de certains organes ou institutions (Cour de justice, Parlement

communautaire, ou pour le cas spécifique de la CEMAC, conventions du 25

juin 2008 relatives d'une part à l'Union économique d'Afrique centrale (UEAC)

et d'autre part à l'Union monétaire d'Afrique centrale (UMAC). Il s'agit de

conventions ou de protocoles qui sont adoptés selon les procédures formelles

de révision des traités fondateurs et ratifiés par l'ensemble des États selon leurs

règles constitutionnelles respectives.

En droit communautaire européen, on peut par exemple citer, la

« révision autonome » opérée par l Acte du 20 septembre 1976 portant élection

des représentants à l Assemblée au SUD en vertu de l art. 190, & 4 CE (ex-

31
138), entré en vigueur le 1er juillet 1978, après adoption par les EM selon leurs

règles constitutionnelles respectives. Certaines de ses stipulations ont été

introduites dans l art. 190 précité par le traité d Amsterdam.

C. Les tentatives de simplification des traités

La multiplicité des sources du droit primaire peut conduire à

envisager un certain nombre d initiatives concernant la restructuration et la

simplification des traités, notamment en supprimant des dispositions devenues

caduques ou encore en proposant des versions consolidées des traités. Il peut

s'agir aussi de réflexions autour de la fusion des organisations elles-mêmes

entraînant fusion de leurs instruments conventionnels (travaux en cours sur le

processus de constitution d une nouvelle Communauté, par la fusion de la

CEEAC et de la CEMAC, placés sous l égide du Président de la République du

Cameroun avec pour bras opérationnel, le Comité de Pilotage de

Rationalisation des Communautés Économiques Régionales en Afrique

Centrale, dit COPIL/CER-AC).

& 2. L autorité du droit primaire

L autorité des traités résulte de leur rang, en cas de conflit avec

d autres normes ainsi que des conditions de leur révision. De ce point de vue,

les traités se situent au sommet de la hiérarchie des normes communautaires et

bénéficient à ce titre d une primauté absolue dans l OJC. Quant aux clauses

32
concernant la révision des traités, elles marquent le caractère évolutif et le

dynamisme de la construction communautaire.

A. La prééminence du droit originaire

Il s agit d une primauté hiérarchique sur les autres sources du droit

communautaire. Bien qu il ne soit pas expressément formulé par les traités, le

principe de la hiérarchie entre droit primaire et droit dérivé s impose à

l évidence. D une part, les actes pris par les institutions ne peuvent être

adoptés que dans la limite des attributions qui leur sont conférées par les

traités ; d autre part, le système juridictionnel communautaire prévoit une série

de procédures destinées à sanctionner la violation par les institutions des

dispositions du droit primaire. Les « principes régissant la hiérarchie des

normes » excluent qu un acte de droit dérivé puisse déroger à une disposition

du traité (Tribunal de Première Instance de la Communauté Européenne

(TPICE), 10 juillet 1990, Tetra Park, T-51/89). Cette supériorité du droit

primaire sur l ensemble des autres sources du droit communautaire est

corroborée par l interdiction de toute révision déguisée des traités par un acte

ou une pratique des institutions ou des EM en dehors des procédures normales

de révision.

33
B. Les rapports du droit primaire avec les autres engagements

internationaux

Concernant les accords conclus par la Communauté avec des États

tiers, le principe de primauté des traités constitutifs s impose aussi comme la

conséquence logique de leur caractère de charte constitutionnelle d une

Communauté de droit. Les risques de conflits entre les traités conclus par la

Communauté et les traités de base sont en principe résolus, en droit de l'UE,

par la procédure consultative préventive de l art. 300, & 6 CE (ex-228, art. 218,

& 11 TFUE) ; l avis négatif de la CJCE subordonnant la conclusion du traité à

une décision prise selon les formes de la révision ; par ailleurs la décision de

conclusion d un accord international en violation des traités de base est

susceptible d être annulée par la Cour (9 août 1994, France c/ Commission, C-

327/91, dans cette espèce qui concernait l incompétence de la Commission

pour conclure un accord avec les USA en matière de concurrence, l accord a

fait l objet d une nouvelle décision de conclusion prise cette fois par le Conseil,

institution compétente dans cette hypothèse pour engager la Communauté),

avec le risque d une éventuelle mise en jeu de la responsabilité internationale

de la Communauté si cette décision ne respecte pas les règles du droit

international des traités.

La question des rapports entre le droit communautaire primaire et

les traités conclus par les EM est plus complexe. Concernant les traités

34
conclus postérieurement à l entrée en vigueur des traités communautaires,

ils ne peuvent prévaloir sur le droit communautaire primaire en vertu des

règles de droit international relatives aux obligations conventionnelles

successives souscrites par les mêmes parties. On voit mal en effet comment les

EM pourraient conclure un accord dans des domaines dans lesquels ils ne sont

plus compétents. Toute interdiction de compétence parallèle des EM et de la

Communauté a en effet été fermement rappelée par la Cour dans ses avis 1/75

(11 novembre 1975, Arrangement concernant une norme pour les dépenses

locales) et 1/76 (26 avril 1977, Fonds européen d immobilisation de la

navigation intérieure) en ces termes : Admettre une telle compétence

équivaudrait en effet à reconnaître que les EM peuvent prendre, dans les

rapports avec les pays tiers, des positions divergentes de celles que la

Communauté entend assumer, et reviendrait à fausser le jeu institutionnel, à

ébranler les rapports de confiance à l intérieur de la Communauté et à

empêcher celle-ci de remplir sa tâche, dans la défense de l intérêt commun .

A l inverse, ces mêmes règles de droit international général conduisent à ce

que les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement

à l entrée en vigueur des traités communautaires entre un ou plusieurs EM

d une part, et un ou plusieurs États tiers d autre part, ne peuvent être

affectés par les dispositions des traités de Paris et de Rome, comme le confirme

l art. 351, & 1er TFUE. Tout au plus est-il prévu qu en cas d incompatibilité, les

35
EM sont supposés recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les

incompatibilités constatées . Dans cette perspective, la Cour juge que les EM

sont tenus par une véritable obligation d éliminer les incompatibilités avec le

droit communautaire primaire des engagements conclus antérieurement à

l entrée en vigueur des traités communautaires à leur égard.

Par contre, les EM, s ils restent tenus par les engagements souscrits à

l égard d États tiers, ne peuvent plus se prévaloir des droits qu ils tirent de

conventions antérieures pour se soustraire à l application des dispositions des

traités communautaires insusceptibles d affecter les droits des États tiers (27

février 1962, Commission c/ Italie, 10/61, impossibilité de faire prévaloir les

droits tirés du GATT sur les règles douanières communautaires dans les

échanges intracommunautaires). Par ailleurs, l obligation posée par l art. 307

de ne pas entraver l exécution par les EM des engagements souscrits

antérieurement à l entrée en vigueur des traités communautaires ne saurait

avoir pour effet de lier la Communauté à l égard des États tiers concernés (14

octobre 1980, Burgoa, 812/79).

La Cour de justice de l'UEMOA a considéré que :

- Avis précité du 22 mars 1999 : la politique commerciale commune

est une compétence exclusive de l'Union ; par conséquent, « les EM ne peuvent

ni individuellement, ni collectivement négocier ou conclure des accords

internationaux en matière commerciale... » ;

36
- Avis précité du 19 octobre 2007 : accords de promotion et de

protection des investissements = compétences partagées entre l'Union et les

EM ; ces derniers peuvent donc continuer de conclure des accords en la

matière, mais « en cas de contrariété de dispositions entre les accords conclus

individuellement et ceux conclus par l'Union, la priorité revient aux accords

conclus par l'Union en vertu du principe de primauté du droit communautaire

sur le droit interne... ».

C. La révision des traités

Les procédures générales de révision des traités comportent

généralement trois phases : une phase d initiative au cours de laquelle un EM

ou la Commission peut soumettre au Conseil un projet de révision ; une phase

de négociation qui débute par la décision du Conseil prise après avis du

Parlement et le cas échéant de la Commission, de convoquer une CIG chargée

de l élaboration et de l adoption, d un commun accord, des amendements au

traité ; enfin, une troisième phase purement nationale, qui correspond à la

ratification des amendements par tous les EM selon leurs règles

constitutionnelles respectives. Renvoyer aux dispositions pertinentes des traités

évoquées plus haut.

La voie de révision ouverte par les traités est-elle exclusive ? La

question a été débattue de savoir si les EM pouvaient réviser les traités en

dehors des procédures normales de révision. On a en effet soutenu que les

37
traités de base comme tous les traités internationaux pouvaient faire l objet

d une révision d un commun accord des parties contractantes, conformément

aux règles du droit international général. Cette position n est pas partagée par

la Cour de justice, qui estime dans l arrêt Defrenne du 8 avril 1976 (43/75)

« qu en effet une modification du traité ne peut résulter ‒ sans préjudice de

dispositions spécifiques ‒ que d une révision opérée en conformité avec l art.

236 ».

Existe-t-il des limites matérielles à la révision, qui excluraient la

possibilité de modifier certaines dispositions des traités fondateurs ?

Certains auteurs ont voulu voir dans la jurisprudence de la Cour l affirmation

de valeurs supra constitutionnelles auxquelles la révision ne pourrait porter

atteinte. Dans son avis 1/91 rendu à propos de la compatibilité du système

juridictionnel institué par l accord relatif à l EEE avec le traité CEE, la Cour

soulignait que l accord était incompatible avec l art. 164 du traité CEE (art. 19,

& 1er UE : elle assure le respect du droit dans l interprétation et l application

des traités). En réponse à la question de savoir s il pouvait être remédié à cette

incompatibilité par une révision de l art. 238 (possibilité de conclure des

accords d association avec un ou plusieurs États ou organisations

internationales ; art. 217 TFUE), la Cour affirmait : Toutefois, l art. 238 du

traité CEE ne fournit aucune base pour instituer un système juridictionnel qui

porte atteinte à l art. 164 de ce traité et, plus généralement, aux fondements

38
même de la Communauté. Pour les mêmes raisons, une modification de cette

disposition dans le sens indiqué par la Commission ne saurait remédier à

l incompatibilité du système juridictionnel de l accord avec le droit

communautaire (14 décembre 1991). Cette affirmation paraît accréditer

l existence de « principes méta-communautaires », de dispositions « qui ne sont

pas révisables », voire de l « ébauche d une supra constitutionnalité

communautaire ». Pour le professeur Jean-Paul JACQUÉ, la Cour a simplement

indiqué qu il n était pas possible d altérer indirectement un élément essentiel

du traité par la voie d une révision du seul art. 238. Pour qu une telle altération

intervienne, il faudrait procéder à une révision directe de l art. 164. Ceci

entraînerait peut-être, dans des cas extrêmes, une modification de la nature de

la Communauté, mais n implique en rien que la révision soit impossible.

Section II : Le droit communautaire dérivé

Par droit communautaire secondaire ou dérivé, on entendra les actes

unilatéraux adoptés par les institutions communautaires tels qu ils sont prévus

par les traités. Il s agit d un corps de règles prises en application et pour

l application des traités. Les actes de droit communautaire dérivé peuvent être

distingués selon une typologie qui repose sur le traité. Ils répondent cependant

de règles communes.

39
& 1. La typologie des actes communautaires de droit dérivé

Stricto sensu, le droit dérivé englobe les règlements, directives,

décisions, recommandations et avis (visés à l'art. 288 TFUE). En droit

communautaire africain, s'est ajoutée une catégorie originale : celle des actes

additionnels. Au-delà de l énumération des actes telle qu'elle figure dans les

traités, la pratique a conduit au développement de toute une série d actes

atypiques.

A. La typologie officielle

Aux termes de l art. 9 du traité CEDEAO, tel que modifié par le

protocole du 14 juin 2006, « Les actes de la Communauté sont dénommés

Actes additionnels, règlements, directives, décisions, recommandations et

avis ». C'est la même typologie qui est retenue par les traités européens, et par

le traité CEMAC (art. 41, sauf règlements cadres) et par traité UEMOA (art. 43).

De manière générale, les actes additionnels sont pris par la seule Conférence

des chefs d'État et de Gouvernement (art. 40, traité CEMAC) ; tous les autres

actes peuvent être adoptés ou émis par le Conseil, alors que la Commission ne

peut prendre que des décisions ou émettre des recommandations ou avis.

1. L acte additionnel

Art. 41, al. 1 CEMAC (9, al. 1 CEDEAO ; 19, al. 2 UEMOA) : « Les

actes additionnels sont annexés au traité de la CEMAC et complètent celui-ci

40
sans le modifier. Leur respect s'impose aux institutions, aux organes et aux

institutions spécialisés de la Communauté ainsi qu'aux autorités des EM ».

L'originalité de cette catégorie d'actes communautaires tient à son

hybridité ou plus clairement à son caractère à mi-chemin entre droit primaire

et dérivé. Il peut d'abord se réclamer du droit primaire : il est annexé au traité

et complète celui-ci (même nature que l'acte auquel il est annexé) ; il s'impose

aux actes pris par les institutions et organes communautaires comme par les

autorités des EM.

Il renvoie cependant clairement au droit dérivé car il est édicté par

une institution de la Communauté (fut-elle suprême) ; il ne peut modifier le

traité et n'est pas subordonné, pour son entrée en vigueur, à la ratification par

l'ensemble des EM selon leurs règles constitutionnelles respectives.

La Cour de justice de l'UEMOA, arrêt n 03/2005 du 27 avril 2005,

Eugène Yaï c/ Conférence des chefs d'État et de Gouvernement et Commission

de l'UEMOA, a considéré que « c'est un acte communautaire spécifique » et

« qu'en exigeant de l'acte additionnel de ne pas modifier le traité qu'il

complète, le législateur communautaire a entendu soumettre à la conformité à

celui-ci ». La Cour a en l'espèce conclu qu'elle est compétente pour apprécier la

légalité d'un acte additionnel à caractère individuel (nomination) ; ce qui laisse

en suspens la question du contrôle des actes additionnels à portée générale ou

41
réglementaire (ceux mettant en place ou fixant l'organisation et le

fonctionnement de certaines institutions ou organes).

Quant à la Cour de justice de la CEMAC, elle a implicitement mais

clairement réfuté l appartenance des actes additionnels au droit primaire. En

effet, à propos d une demande d avis du Président de la Commission sur

l interprétation de l article 13 de la convention régissant la Cour de justice

communautaire, la Cour a souligné que « …les conventions faisant partie du

traité, les actes additionnels ne peuvent que les compléter sans les modifier ».

Par conséquent, les articles de l acte additionnel en cause, qui modifiaient les

stipulations de l article 13 susmentionné, sont entachés d illégalité (Avis n

001/2008 du 17 avril 2008).

2. Le règlement communautaire

Le 2e alinéa de l art. 41 CEMAC stipule clairement que : « Les

règlements […] ont une portée générale. [Ils] sont obligatoires dans tous leurs

éléments et directement applicables dans tout EM » (idem, art. 43, al. 1

UEMOA).

C est l acte qui manifeste la substitution radicale de la réglementation

communautaire à la réglementation nationale ; il est considéré comme

l instrument privilégié de la fonction législative communautaire, ce d autant

plus que c est à son propos que la Cour de justice a utilisé l expression de

« pouvoir législatif de la Communauté » (17 décembre 1970, Köster, 25/70).

42
Il a une portée générale parce qu il s applique de manière abstraite à

toutes les personnes qui entrent dans son champ d application. Il s oppose

ainsi à la décision de l art. 41, al. 4 CEMAC (43, al. 3 UEMOA) qui est un acte

à caractère particulier ; d où l indication suivante de la Cour de justice : les

traits essentiels de la décision résultent de la limitation des destinataires

auxquels elle s adresse, alors que le règlement, de caractère essentiellement

normatif, est applicable non à des destinataires limités, désignés et

identifiables, mais à des catégories envisagées abstraitement et dans leur

ensemble (14 décembre 1962, Fédération nationale de la boucherie, aff.

jointes 19-22/62).

Le règlement est obligatoire dans tous ses éléments. Il est

obligatoire, ce qui permet de le distinguer des actes dépourvus d effets

juridiques contraignants (recommandations et avis qui « ne lient pas »). Il l est

dans tous ses éléments, ce qui l oppose à la directive qui ne lie que « quant au

résultat ». Il prescrit non seulement une obligation de résultat, mais peut

également imposer des obligations extrêmement détaillées. Il en résulte

l obligation d appliquer le règlement, tout le règlement et rien que le

règlement. Autrement dit, l intensité normative complète du règlement exclut

toute application partielle ou sélective, de même que toute modification ou

adjonction, voire toute édiction de règles obligatoires susceptibles d affecter le

contenu ou la portée de l acte.

43
Le règlement est directement applicable dans tout EM. Les

règlements sont donc investis de l immédiateté normative, en ce sens qu ils

produisent, dès la date de leur entrée en vigueur, leurs effets juridiques dans

les ordres juridiques nationaux sans interposition d aucune mesure nationale

de réception, de transposition, voire de publication, au risque de faire obstacle

à leur effet direct et de compromettre ainsi leur application simultanée et

uniforme dans l ensemble de la Communauté. Le règlement s adresse

directement aux sujets de droit interne des EM et il ne saurait avoir pour

destinataires exclusifs les seuls États et institutions. Autrement dit, le règlement

engendre par lui-même des droits et des obligations pour les particuliers eux-

mêmes : « en raison de sa nature même et de sa fonction dans le système des

sources de droit communautaire, il produit des effets immédiats et est, comme

tel, apte à confier aux particuliers des droits que les juridictions nationales ont

l obligation de protéger » (14 décembre 1972, Politi, 43/71). Les particuliers

peuvent faire valoir les droits et obligations créés par un règlement tant à

l égard des autorités nationales (effet direct vertical) qu à l égard d autres

particuliers (effet direct horizontal).

En droit communautaire CEMAC existe la catégorie des règlements

cadres qui ont, comme les règlements, une portée générale. A la différence

cependant des règlements, « ils ne sont directement applicables que pour

certains de leurs éléments » (41, al. 2). Quant à l'UEMOA, l'article 24 du traité

44
révisé stipule que « le Conseil peut déléguer à la Commission l'adoption des

règlements d'exécution des actes qu'il édicte. Ces règlements d'exécution ont la

même force juridique que les actes pour l'exécution desquels ils sont pris ». A

notre connaissance, cette catégorie d actes de droit communautaire dérivé n a

jamais été utilisée dans le cadre de la CEMAC.

3. La directive communautaire

Art. 41, al. 3 CEMAC : « Les directives lient tout EM destinataire

quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux autorités nationales la

compétence en ce qui concerne la forme et les moyens ». Art. 43, al. 2

UEMOA : « Les directives lient tout EM quant aux résultats à atteindre ».

A la différence du règlement, la directive est l instrument adapté aux

hypothèses dans lesquelles les EM restent titulaires de la compétence

normative, la Communauté ne disposant que d une compétence

d harmonisation des législations et réglementations nationales. Il en résulte que

la directive renvoie à une méthode législative à double détente, combinant

l adoption d un acte communautaire fixant les objectifs à atteindre et la

transposition par un acte national destiné à traduire ces objectifs dans le droit

interne de chaque EM. Il s agit sans doute de l acte de droit dérivé qui révèle le

plus nettement la contradiction entre le souci d assurer une application

uniforme des règles communautaires et la volonté de respecter l autonomie

institutionnelle et procédurale des EM.

45
Portée de la directive. Sur le plan juridique, les directives

apparaissent, à la différence des règlements, comme des actes à caractère

individuel qui ne lient que le ou les EM destinataires. La pratique conduit

néanmoins à nuancer notablement cette assertion : les directives sont le plus

souvent adressées à l ensemble des EM et sont donc destinées à produire leurs

effets sur l ensemble du territoire communautaire, au point que le juge

communautaire lui-même a pu parler d « acte de portée générale » (22 février

1984, Kloppenburg, 70/83).

Intensité normative de la directive. En principe, la directive lie les

EM quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la

compétence quant à la forme et aux moyens. Elle fixe donc seulement une

obligation de résultat. Dans la pratique, la tendance rédactionnelle de la

Commission et du Conseil s est en effet orientée, pour des raisons d uniformité

d application des règles communes, vers un degré de précision des directives

qui laisse peu de marge d appréciation aux EM quant aux moyens de mise en

œuvre.

Effet direct de la directive. Silence de l art. 41, al. 3 CEMAC

concernant cet effet direct. La doctrine estimait généralement par voie de

conséquence que la directive était dépourvue d effet direct, d autant plus que

l intervention des autorités nationales quant à la forme et aux moyens était

censée faire écran entre l acte communautaire et le justiciable, qui n était

46
directement affecté que par la mesure nationale. Il a été cependant admis que

dans certaines conditions, les dispositions des directives soient susceptibles de

créer des droits invocables en justice devant les tribunaux nationaux même si

cet effet direct, cantonné à un effet « vertical », demeure à la fois exceptionnel

et limité. Notons que la pénétration des directives dans l ordre juridique

interne n est pas subordonnée à une mesure de réception du droit national : la

directive est intégrée dans l ordre interne des EM dès sa publication au Bulletin

officiel, au même titre qu un règlement, mais elle ne déploiera son plein effet

que par l intermédiaire de la mesure nationale de transposition. De même, les

directives entrent en vigueur à la date qu elles fixent ou à défaut le vingtième

jour qui suit leur publication, et non au terme du délai imparti aux EM pour

assurer leur transposition en droit interne.

L obligation de transposer les directives. Disons d emblée que

l opération de transposition consiste dans l adoption par les autorités nationales

compétentes, dans le délai imparti, des mesures nationales nécessaires à

l application, dans l ordre juridique interne, des normes établies par la

directive. Il s agit d une obligation de faire qui peut comprendre une obligation

négative (abroger ou modifier le droit national incompatible avec le droit

communautaire) et une obligation positive (adopter les règles indispensables à

la réalisation des objectifs de la directive).

47
L existence d une pratique administrative conforme aux exigences de

la directive, voire d une interprétation juridictionnelle constante conforme aux

exigences de la directive, n exonère pas l État de son obligation de

transposition formelle. En effet, une pratique ou une jurisprudence ne

présentent pas les garanties de stabilité et de publicité nécessaires à la pleine

efficacité de la directive.

Le choix de l instrument de transposition. L art. 41, al. 3 CEMAC

reconnaît aux EM la compétence de choisir la forme et les moyens qui

conformément à leurs règles internes, sont les mieux adaptés pour assurer la

réalisation des objectifs fixés par la directive. Cette compétence est néanmoins

encadrée, afin de garantir l application effective et uniforme de la directive

dans tous les EM. La transposition doit être effectuée par un acte

« contraignant », à caractère « normatif », équivalant à celui qui aurait été pris

en droit interne pour réaliser spontanément un objectif analogue. Le recours à

la loi est indispensable dès lors que la transposition de la directive suppose

l abrogation ou la modification de dispositions législatives existantes, ou

impose l adoption de dispositions fiscales ou pénales, impliquant généralement

l intervention parlementaire. Il est concevable que soit utilisée la procédure des

ordonnances de l art. 28 de la Constitution. La transposition par voie de

circulaire ou de note de service interne à l administration s avère cependant

insuffisante pour remplir les conditions de publicité, de sécurité juridique et

48
d opposabilité aux administrés imposés par l application effective de la

directive.

Le délai de transposition. Le respect du délai de transposition fixé

par la directive est une obligation dont les EM ne peuvent s affranchir, au

risque de compromettre l applicabilité uniforme des normes communautaires. Il

est donc proscrit de laisser passer le délai sans adopter les mesures de

transposition requises. En principe, on ne peut reprocher aux EM de ne pas

avoir transposé la directive tant que le délai n est pas expiré. Cependant, il

pèse sur ces États, pendant le délai imparti pour la transposition, une exigence

de « loyauté », qui s analyse comme l obligation de « s abstenir de prendre des

dispositions de nature à compromettre sérieusement le résultat » prescrit par la

directive, obligation qui devrait être sanctionnée par les juridictions nationales

sur le terrain de l annulation des mesures de transposition non conformes

(CJCE, 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie).

L obligation de transparence. Les directives comportent

systématiquement une disposition finale imposant aux EM de transmettre à la

Commission des indications sur l État du droit national dans le domaine

considéré et sur les mesures prises en vue d assurer la transposition de la

directive. Cette transparence permet notamment à la Commission de contrôler

la transposition correcte en droit interne. Par ailleurs, le plus souvent, la

directive comporte l obligation pour les destinataires de faire mention de la

49
directive dans l acte de transposition ; ce qui implique un acte positif de

transposition.

Les exigences substantielles de transposition. Il s agit de l obligation

d assurer matériellement la compatibilité du droit national avec les objectifs

des directives communautaires.

Il en est ainsi notamment de l obligation d atteindre effectivement le

résultat prescrit par la directive. Les autorités nationales se voient interdire

d introduire des dérogations ou des exceptions non prévues par la directive, ou

de procéder à une mise en œuvre partielle ou sélective, ou de modifier le

contenu normatif de la directive. La transposition doit être intégrale, même si

la directive vise des activités inexistantes de fait dans l EM concerné.

L effet utile attaché aux directives suppose également que toutes les

autorités publiques assurent, chacune dans le cadre de sa compétence, la mise

en œuvre des dispositions de la directive. La directive communautaire diffuse

son effet obligatoire non seulement à l égard des services centraux et extérieurs

des administrations centrales, mais également auprès des autorités

déconcentrées de l État ou auprès des collectivités publiques autonomes ou

décentralisées. C est ainsi que les États fédérés des EM fédéraux, les

collectivités territoriales décentralisées, sont soumises à l obligation de

respecter les dispositions des directives communautaires, dans la mesure où il

serait inadmissible que l État fasse écran entre les institutions

50
communautaires et les collectivités territoriales (matérialisation du principe de

l unité de l État en droit communautaire).

Enfin, les contraintes imposées aux EM dans la mise en œuvre des

directives comprennent l obligation, pour les autorités de transposition comme

pour les autorités d application, de faire en sorte que les mesures prises dans le

champ de la directive respectent non seulement la directive elle-même, mais

également l ensemble du droit communautaire en vigueur.

4. La décision

L art. 43, al. 4 CEMAC stipule que : « Les décisions sont obligatoires

dans tous leurs éléments pour les destinataires qu elles désignent » (idem, art.

43, al. 3 UEMOA). (Art. 288, al. 4 TFUE : « La décision est obligatoire dans

tous ses éléments. Lorsqu elle désigne destinataires, elle n est obligatoire que

pour ceux-ci »).

Il s agit d une mesure d exécution administrative, destinée à mettre

en œuvre dans des cas individuels une compétence communautaire. C est donc

un acte à portée individuelle, dont les destinataires peuvent être soit un EM

(ex : décisions de la Commission se prononçant sur la compatibilité avec le

traité des aides publiques aux entreprises au titre des règles de concurrence

applicables aux États ; décisions relatives à l éligibilité des demandes

nationales au bénéfice des financements des fonds structurels), soit une

personne physique ou morale (ex : décisions adressées par la Commission aux

51
entreprises en vertu des pouvoirs de contrôle des ententes ou des abus de

position dominante dans le cadre des règles de concurrence applicables aux

entreprises).

L instrument de la décision peut à titre exceptionnel être utilisé, dans

les cas prévus par les traités, sous forme de décision adressée à tous les EM ; il

s agit là d une technique de législation indirecte se rapprochant dans une

certaine mesure de la directive. Cependant, à la différence de cette dernière, la

décision est obligatoire dans tous éléments, ce qui implique que les éventuelles

mesures nationales d exécution se limitent à l exercice d une compétence liée.

La décision est d effet direct à l égard de ses destinataires dans la mesure où

elle crée directement des droits et/ou des obligations dans leur patrimoine

juridique. En outre, les décisions adressées aux EM sont susceptibles, le cas

échéant, d engendrer des droits dans le chef des particuliers, c est-à-dire de

produire un effet direct analogue à celui reconnu dans certaines conditions aux

directives communautaires (effet direct vertical).

5. Les recommandations et avis

Selon l art. 41 CEMAC, in fine « Les recommandations et les avis ne

lient pas » (art. 43, al. 4 UEMOA : « Les recommandations et les avis n'ont pas

de force exécutoire ».

Il s agit là d actes non obligatoires et donc dépourvus de force

contraignante. Ce sont des instruments d orientation, invitant leur destinataire

52
à adopter une ligne de conduite déterminée. Ils peuvent intervenir dans des

domaines où la Communauté ne dispose pas de compétence normative, ou

dans les secteurs où l adoption de mesures à caractère contraignant est

subordonnée à l achèvement d une période de transition, la recommandation

ou l avis permettant alors de préparer l EM destinataire à la survenance d une

obligation formelle. L efficacité du recours à ces instruments ne doit pas être

sous-estimée, dans la mesure où ils sont dotés d une portée politique certaine,

et peuvent le cas échéant produire des effets juridiques indirects : la Cour de

justice a estimé que les juridictions nationales devaient utiliser la

recommandation comme instrument d interprétation de mesures nationales

adoptées pour leur mise en œuvre ou lorsqu elle vient à l appui d autres

mesures communautaires de caractère contraignant (13 décembre 1989,

Grimaldi).

Il convient tout de même de préciser qu'il existe plusieurs catégories

d'avis : les moins contraignants sont les avis simples ; on trouve par ailleurs

des avis obligatoires (budget de la Communauté, politiques sectorielles

communes, procédure d'élection des membres du Parlement, impôts, taxes et

tous prélèvements communautaires) et les avis conformes (adhésion de

nouveaux membres, accords d'association avec les États tiers, droit

d'établissement, libre circulation des personnes, des biens et des services), par

exemple du Parlement de la CEMAC (art. 25 convention).

53
B. Les actes atypiques et hors nomenclature

Présenter d'abord la notion et mettre en exergue la pluralité de ces

actes.

1. La notion

La nomenclature prévue par les traités n exclut pas l existence

d autres formes d actes juridiques adoptés par la Commission et le Conseil.

Dans la pratique, les institutions ont recours à divers actes qui ne sont pas

mentionnés dans cet article. Certains auteurs ont utilisé à cet égard la

qualification de sources secondaires : une série d actes relativement

hétérogènes, qui échappent à la qualité de « droit dérivé » stricto sensu, même

s ils constituent à n en point douter de véritables sources du droit

communautaire. Cela concerne notamment des actes qu on peut qualifier

d « atypiques », comprenant à la fois les actes unilatéraux « hors

nomenclature » pris par les institutions et les actes « conventionnels »

procédant de l accord entre institutions.

Cette catégorie d actes a fait l objet d une reconnaissance par le juge

communautaire en zone CEMAC, dans l arrêt du 31 mars 2011, Banque

Atlantique du Cameroun. En effet, à propos d un protocole d accord faisant

office de plan de restructuration d un établissement bancaire, la Cour a mis en

évidence que : « Attendu qu il va sans dire que le contrôle de la légalité ne se

54
limite pas aux actes communautaires figurant dans la nomenclature (prévue par

le traité), mais s étend à d autres actes communautaires innommés ».

2. La pluralité de ces actes

Nous présenterons ci-après principalement la situation existant en

droit communautaire européen.

Les accords interinstitutionnels. La pratique communautaire a mis

en place toute une série d actes exprimant des engagements réciproques des

institutions, qui présentent une assez grande diversité à la fois quant à leur

dénomination ou à leur forme, et quant à leur objet.

Sur le plan de la forme, il peut s agir tout d abord d accords non

écrits, dont la teneur résulte de la rencontre des volontés exprimées par des

déclarations concordantes émanant de deux ou plusieurs institutions, ou

encore d échanges de lettres entre les présidents des institutions : les relations

entre le Parlement et la Commission, ou entre le Parlement et le Conseil, sont

largement organisées sur la base de ce type d accords informels. On trouve

ensuite des déclarations signées conjointement par le Parlement, le Conseil et

la Commission, et publiées au JOCE, le plus souvent sous la dénomination de

« déclarations communes ». Enfin, il peut s agir de véritables accords

interinstitutionnels, désignés comme tels.

Quant à leur objet, il permet de distinguer différentes catégories. Une

première série de déclarations communes ou d accords interinstitutionnels vise

55
à organiser les rapports de coopération entre institutions communautaires en

complétant ou en précisant les mécanismes établis par les traités : accords

relatifs à la procédure budgétaire (accord interinstitutionnel du 6 mai 1999 sur

la discipline budgétaire et l amélioration de la procédure budgétaire) ou aux

processus de collaboration institutionnelle (accords interinstitutionnels du 25

octobre 1993 sur les procédures pour la mise en œuvre du principe de

subsidiarité, concernant le Médiateur, sur le déroulement des travaux du

comité de conciliation dans le cadre de la procédure de codécision), qui

peuvent engager deux institutions (code de conduite de 1990 ou de 1995 sur la

collaboration interinstitutionnelle entre le Parlement et la Commission). Une

deuxième série s attache à formaliser une position commune des institutions

sur une question jugée fondamentale, comme les déclarations communes en

matière de droits de l homme (1977, sur les droits fondamentaux ou de 1986

sur le racisme et la xénophobie ; la Charte des droits fondamentaux a été

publiée au JOCE comme accord institutionnel du Parlement européen, du

Conseil et de la Commission).

La valeur juridique des conventions interinstitutionnelles demeure

controversée. Les institutions qui ont y recours ont souvent tendance à y voir

seulement « une déclaration d intention de caractère politique qui lie les trois

institutions politiquement et moralement, entre elles-mêmes et vis-à-vis du

public, sans pour autant constituer une obligation juridique en tant que telle ».

56
Pour autant, la Cour a admis assez prudemment que de tels actes puissent

produire des effets juridiques entre institutions (12 mai 1998, RU c/ Conseil).

Même si la Cour de Luxembourg a estimé que les accords exprimant une

coordination volontaire entre institutions ne pouvaient par eux-mêmes créer

des effets juridiques obligatoires pour les tiers, et donc n étaient pas des actes

susceptibles de recours en annulation ; il faut reconnaître que la jurisprudence

fournit de nombreux exemples de référence directe par le juge communautaire

aux dispositions issues d accords interinstitutionnels. Aussi peut-on évoquer la

condamnation du Conseil pour violation de l obligation de coopération

interinstitutionnelle, telle qu elle était mise en œuvre dans un arrangement

entre le Conseil et la Commission relatif à la représentation de la Communauté

au sein des organes de la FAO (19 mars 1996, Commission c/ Conseil). On peut

parler d une pratique constante des institutions qui ne peut en aucun cas

déroger aux règles du traité et constituer un précédent contra legem.

L introduction pour la première fois d une mention des accords

interinstitutionnels dans une déclaration relative à l art. 10 CE annexée au

traité de Nice de 2001 renforce incontestablement leur portée. Cette

déclaration précise le fondement de ces accords, qui réside dans le principe de

coopération loyale. En outre, elle institue un encadrement de ces actes, en

définissant leur objectif, les trois institutions signataires ne pouvant y recourir

que dans le but de faciliter l application des traités, sans pouvoir modifier ou

57
compléter leurs dispositions. En somme, cette déclaration concilie un double

objectif : elle propose un cadre juridique précisant les fondements et les

conditions du recours à ces actes, tout en maintenant une souplesse nécessaire

à l organisation des relations interinstitutionnelles communautaires.

Il faut enfin préciser que le traité de Lisbonne de 2007 vise à

institutionnaliser les accords interinstitutionnels dans l article 295 TFUE : « Le

PE, le Conseil et la Commission procèdent à des consultations réciproques et

organisent d un commun accord les modalités de leur coopération. A cet effet,

ils peuvent, dans le respect des traités, conclure des accords

interinstitutionnels qui peuvent revêtir un caractère contraignant ».

Les communications de la Commission. Elles correspondent le plus

souvent au souci de la Commission de fixer sa « doctrine » générale dans les

domaines où elle dispose du pouvoir de prendre des mesures individuelles au

cas par cas (concurrence, aides publiques), ou de déclencher la procédure de

manquement en vue de faire constater les violations du droit communautaire

par les EM (libre circulation des marchandises, libre circulation des personnes).

Par ailleurs, la Cour de justice a admis que de tels actes étaient susceptibles de

produire des effets contraignants : 24 mars 1993, CIRFS, la « discipline »

établie par une lettre de la Commission en matière d aides publiques dans le

secteur textile, ne peut être modifiée par une décision individuelle ; TPICE, 30

avril 1998, Cityflyer Express Ltd, T-16/96 et Het Vlaamse Gewest, T-214/95, les

58
« lignes directrices » contenues dans une communication de la Commission

étaient opposables aux justiciables pour autant qu elles étaient conformes aux

dispositions des traités ; et a reconnu qu ils pouvaient faire l objet d un recours

en annulation dès lors qu ils produisaient des effets juridiques à l égard des

tiers (16 juin 1993, France c/ Commission). Cependant, de tels actes ne doivent

pas être de nature à imposer de nouvelles obligations aux EM en se substituant

à l acte contraignant qui aurait pu être adopté selon les règles du traité ; ils

seraient annulés pour incompétence (20 mars 1997, France c/ Commission).

Les actes « informels » des institutions. Il s agit d actes des

institutions non prévus par les traités, et qui sont nés de la pratique

institutionnelle et ont été qualifiés de façon extrêmement diverse :

dénominations renvoyant à une fonction programmatique (programmes

d action, livres blancs, livres verts, codes de conduite, etc.) ; celles renvoyant à

une fonction déclaratoire (résolutions, déclarations, délibérations, conclusions,

procès-verbaux, etc.). Cette extrême diversité va de pair avec une incertitude

juridique manifeste. En règle générale, ces actes ont vocation à exprimer une

position ou un engagement politique, et ne sont pas susceptibles comme tels de

produire des effets de droit (simples documents préparatoires de futurs actes

obligatoires). Pour autant, la CJCE a estimé que de tels instruments pouvaient

le cas échéant engendrer des effets juridiques, dès lors que l auteur de l acte en

manifestait clairement l intention. C est ainsi que certaines délibérations ou

59
résolutions du Conseil ont été considérées comme liant les institutions et/ou les

EM (4octobre 1979, France c/ RU). Nonobstant les critiques qui lui ont été

adressées, cette pratique persiste ; on peut d ailleurs la rapprocher de la

plupart des positions arrêtées par le Conseil européen (Conférence des chefs

d'État et de Gouvernement en droit communautaire africain), qui ne sont

traduites qu ultérieurement en actes communautaires formels.

& 2. Le régime juridique des actes communautaires de droit dérivé

Les règles communes relatives au régime juridique des actes

découlent, notamment en ce qui concerne la publicité et l entrée en vigueur,

du traité lui-même et des règlements intérieurs des institutions.

Le droit communautaire impose tout d abord le respect, à peine de

nullité, d un certain nombre d exigences formelles. Il en est ainsi d'abord de

l'obligation de motivation des actes : art. 44 UEMOA « Les règlements, les

directives et les décisions du Conseil et de la Commission sont dûment

motivés » (voir aussi, art. 42 CEMAC). Il s'agit d'une obligation générale de

motivation à la fois pour donner aux administrés les moyens de faire valoir

leurs droits et pour fournir au juge les éléments nécessaires à l exercice de son

contrôle. Le degré de précision auquel est assujettie la motivation dépend de la

nature et de la portée des mesures concernées.

Ensuite l application d un acte communautaire est subordonnée à une

publicité préalable qui conditionne son opposabilité aux administrés (CJCE, 25

60
janvier 1979, Racke). C est ainsi que l'article 43 CEMAC précise-t-il que les

actes additionnels, les règlements et les règlements cadres sont publiés au

Bulletin officiel de la Communauté, et sont également publiés aux JO des EM ;

alors que les directives et décisions sont notifiées à leurs destinataires (voir

aussi art. 45 UEMOA).

L entrée en vigueur des actes communautaires peut être soit fixée par

les auteurs de l acte, soit intervenir à défaut, en vertu de l art. 43 CEMAC

précité, le vingtième jour suivant leur publication. L entrée en vigueur et

l application différées sont souvent préférées à l entrée en vigueur immédiate

au jour de la publication, qui demeure exceptionnelle. Quant aux directives et

décisions, elles prennent effet le lendemain de leur notification à leurs

destinataires.

Le droit communautaire consacre par ailleurs le principe

d application immédiate des réglementations nouvelles, y compris aux effets

actuels et futurs des situations nées sous l empire de la réglementation

précédente, sous réserve de respecter l équilibre entre l absence de droits

acquis au maintien d une législation existante et la protection de la confiance

légitime des opérateurs économiques. Le PG de sécurité juridique exclut

normalement l application rétroactive des normes communautaires, sauf, « à

titre exceptionnel, lorsque le but à atteindre l exige et que la confiance légitime

des intéressés est dûment respectée » (respect du principe de prohibition de

61
toute rétroactivité en matière pénale : 10 juillet 1984, Kirk), et à l exception des

règles purement procédurales qui, selon une solution traditionnelle,

s appliquent aux situations juridiques antérieures à leur entrée en vigueur.

La jurisprudence communautaire a également construit un régime du

retrait et de l abrogation inspiré par les principes applicables au niveau

national : le retrait des actes créateurs de droits est licite dans un « délai

raisonnable » et exclusivement pour illégalité, et sous réserve d une

confrontation de l intérêt public et des intérêts privés en cause ; le retrait des

actes non créateurs de droits est également possible dans un délai raisonnable ;

l abrogation est licite dans les conditions prévues pour l adoption d une

réglementation nouvelle dépourvue d effets rétroactifs.

Section III : Les sources externes de la Communauté ou de l Union

Il s'agit de mettre en valeur l'activité conventionnelle de la

Communauté, et donc sa participation aux relations internationales. En effet,

différentes catégories d engagements extérieurs des Communautés constituent

des sources de droit dans l OJC, où elles s insèrent avec un rang spécifique

tout comme le droit international général.

& 1. Les accords conclus par la Communauté avec des Etats tiers

ou des organisations internationales

Font-ils partie de l OJC ? Si oui, quelle est leur place dans la

hiérarchie des normes communautaires ?

62
A. L intégration des accords dans l OJC

En droit communautaire africain, et en application de la personnalité

juridique reconnue aux Communautés, il est de principe que ces dernières

puissent conclure des accords de coopération avec des États tiers ou des

organisations internationales (art. 13, al. 2 et 84 UEMOA ; 8, al. 1 et 3 et 34,

alinéa 2 CEMAC ; 83, al. 1 CEDEAO). Mais ces traités sont très souvent

silencieux sur le processus d'insertion de ces accords dans l'ordre juridique

communautaire, hors la précision sur l'obligation de leur conclusion ou de leur

approbation par le Conseil. Par conséquent, l'on se résoudra à mettre en valeur

la situation, telle qu'elle se présente en droit communautaire européen.

Aux termes de l art. 216, & 2 TFUE : « Les accords conclus selon les

conditions fixées au présent article lient les institutions de la Communauté et

les EM ». A travers cette formule, il est clair que les accords conclus par la

Communauté avec des États tiers ou des organisations internationales

pénètrent dès leur conclusion dans l ordre juridique communautaire et

constituent des sources à part entière du droit communautaire. Ainsi la Cour a-

t-elle affirmé dans l arrêt Haegeman du 30 avril 1974 que « les dispositions de

l accord forment partie intégrante, à partir de l entrée en vigueur de celui-ci,

dans l OJC ». Cette intégration dans l OJC ne vaut que si l accord a été publié

et elle ne prend effet qu à la date d entrée en vigueur de l accord. En tout état

de cause, il faut dire que la Communauté est moniste en ceci que les accords

63
internationaux font partie de l OJC sans qu il soit besoin qu intervienne une

mesure interne de transposition ou de transformation (les étudiants devront se

remémorer, à l occasion, la distinction classique entre théories moniste et

dualiste dans les rapports entre droit international et droit interne).

On peut en dire de même de certains actes unilatéraux pris par les

organes de certains accords externes des Communautés. En effet, nombreux

sont les accords ou les conventions conclus par la Communauté avec les États

tiers qui instituent des organes de gestion et leur confèrent le pouvoir

d adopter des actes obligatoires unilatéraux, c est-à-dire qui n ont pas besoin

d une ratification ou d une approbation pour lier les parties (ex : Conseils des

accords d association ou de coopération avec les pays de la Méditerranée ;

conseil des ministres de la Convention de Cotonou, etc.). La pratique générale

consiste à reprendre systématiquement de tels actes dans des règlements

communautaires en annexe desquels ils sont publiés au JOUE. Cette pratique

des institutions a introduit quelques doutes sur leur qualité de sources

autonomes du droit communautaire. Mais, il faut bien reconnaître que le doute

n est plus de mise depuis l affirmation jurisprudentielle selon laquelle : du fait

de leur rattachement direct à l accord qu elles mettent en œuvre, les décisions

du Conseil d association font, au même titre que l accord lui-même, partie

intégrante, à partir de leur entrée en vigueur, de l OJC (20 septembre 1990,

Sevince).

64
B. La place des engagements externes dans l OJC

Comme on l a dit plus haut les accords conclus par la Communauté

doivent être considérés comme subordonnés au droit originaire. En revanche,

à partir du moment où l art. 216, & 2 TFUE précité stipule que ces accords

lient les institutions communautaires, ces engagements externes et les actes

unilatéraux pris en application occupent dans la hiérarchie des normes une

place supérieure à celle du droit dérivé. Autrement dit, le droit issu des

engagements externes s insère dans la hiérarchie de l OJC à un rang inférieur

au droit communautaire primaire, mais supérieur au droit communautaire

dérivé. Le caractère subordonné du droit dérivé aux engagements externes

implique que ce droit soit interprété conformément aux dispositions d un

accord, et peut conduire à l annulation d un acte contraire aux dispositions

d un accord, ou à l engagement de la responsabilité de la Communauté en cas

de violation des dispositions de l accord.

La Cour de justice de justice de l'UEMOA (avis n 01/2007 du 19

octobre 2007 précité) a pour sa part considéré que, si les EM et l'Union ont des

compétences partagées dans le domaine des accords de promotion et de

protection des investissements, « en cas de contrariété de dispositions entre

accords conclus individuellement et ceux conclus par l'Union, la priorité

revient aux accords conclus par l'Union en vertu du principe de la primauté du

65
droit communautaire sur le droit interne et du principe de coopération [loyale]

prévus respectivement aux articles 6 et 7 du traité ».

& 2. La succession aux accords internationaux conclus par les EM

En principe les accords conclus par les EM ne lient que ces derniers

et ne s imposent pas à la Communauté. Cette dernière a néanmoins l obligation

de ne pas entraver l exécution des engagements conclus antérieurement à

l entrée en vigueur des traités communautaires. Cette obligation ne vaut que

pour autant qu il s agisse de « permettre à l EM concerné d observer les

engagements qui lui incombent en vertu de la convention antérieure sans, pour

autant, lier la Communauté à l égard de l Etat intéressé (CJCE, 14 octobre

1980, Burgoa).

Cependant, la Cour a admis dans certaines hypothèses

exceptionnelles que la Communauté pouvait être liée par certaines obligations

conventionnelles souscrites par les EM antérieurement à la conclusion des

traités communautaires. Ainsi en est-il du GATT, dont tous les EM sont parties.

La Cour constate tout d abord que les EM n ont pas entendu se dégager des

obligations souscrites à l égard des autres parties contractantes du GATT, et

qu ils ont au contraire manifesté leur volonté de respecter les buts et les

stipulations de l Accord général (art. 351 TFUE). Le juge communautaire estime

ensuite que le transfert de compétences opéré en matière douanière au profit

de la Communauté impliquait nécessairement que cette dernière fut liée par les

66
dispositions de l Accord général (12 décembre 1972, International Fruit). Cette

solution n a plus qu un intérêt historique puisque la Communauté est devenue

partie à l accord sur l OMC qui a succédé au GATT.

En droit communautaire ouest-africain, la Cour de justice de

l'UEMOA (avis n 002/2000 du 22 mars 1999 précité) a précisé qu'en

application de l'article 84 du traité, l'Union dispose d'une compétence exclusive

en matière de politique commerciale commune tant intérieure qu'extérieure ;

que par conséquent, « sous peine de violation de l'article 7 du traité [principe

de coopération loyale], les EM ne peuvent ni individuellement, ni

collectivement négocier ou conclure des accords internationaux en matière

commerciale... ».

Par ailleurs, l'article 84 du traité CEDEAO règle la question de

l'articulation entre accords internationaux de la Communauté et engagements

internationaux des EM. En effet, son paragraphe 1 précise que les EM peuvent

conclure des accords internationaux « à condition que ces accords ne soient

pas incompatibles avec les dispositions du présent traité ». Quant au

paragraphe 2, il concerne les accords conclus antérieurement à l'entrée en

vigueur du traité ; en cas d'incompatibilité avec ce dernier, « le ou les EM

concernés prendront toutes les mesures nécessaires pour éliminer les

incompatibilités constatées ».

67
& 3. Les règles du droit international coutumier

Là aussi, la situation ne s'est pour l'instant principalement présentée

en droit communautaire européen. En effet, la Cour n avait à sa disposition

aucune clause expresse du traité CE pour reconnaître que les règles du droit

international général font partie de l OJC. Ceci étant, dans son arrêt Poulsen et

Diva Navigation du 24 novembre 1992, la Cour de Luxembourg a, pour la

première fois, imposé à la Communauté, dans l exercice de ses compétences de

pêche, le respect de conventions internationales, bien que celles-ci ne lient pas

formellement la Communauté. Cela n a cependant été possible que dans la

mesure où ces conventions « codifient des règles générales consacrées par la

coutume internationale » ou « sont considérées comme l expression du droit

international maritime coutumier ».

C est sur la base de ce principe que la Cour fait largement application

comme source du droit communautaire des règles du droit international des

traités. A cet égard, les arrêts rendus par le TPICE dans l affaire Opel Austria c/

Conseil (22 janvier 1997) et par la Cour dans l affaire Racke (16 juin 1998)

révèlent une évolution notable dans le sens de la reconnaissance de l autorité

des normes de droit international coutumier. Dans le premier cas, le Tribunal

avait reconnu, sur la base du droit international des traités, l existence d une

obligation de bonne foi pesant sur les parties contractantes entre la signature et

la conclusion d un accord (codifiée par l art. 18 des conventions de Vienne de

68
1969 et de 1986 sur le droit des traités) ; principe qui « lie la Communauté ».

Dans l espèce Racke, la Cour a reconnu explicitement le caractère obligatoire

en droit communautaire des règles coutumières internationales, en ces termes :

« les règles du droit coutumier international portant sur la cessation et la

suspension des relations conventionnelles en raison d un changement

fondamental de circonstances lient les institutions de la Communauté et font

partie de l OJC ».

De façon récente, le TPICE a pris en compte les règles supérieures du

droit international général relevant du jus cogens (droits fondamentaux des

particuliers) : 21 sept. 05, Yusuf c/ Conseil et Commission, confirmé par 12

juillet 2006, Ayadi c/ Conseil et Hassan c/ Conseil et Commission. Il en résulte

que ces règles s imposent aux institutions dans l adoption d actes de droit

dérivé, et que l incompatibilité de ces derniers avec les premières impliquerait

l annulation ou la déclaration d invalidité de l acte communautaire. Cependant,

le juge communautaire ne s est pas encore directement prononcé sur une

hypothèse de conflit entre une règle coutumière internationale et une norme de

droit communautaire primaire.

Section IV : Les sources non écrites

Parmi ces sources, la jurisprudence tient une place considérable ;

l existence par la Cour de cette mission normative se singularise spécialement

par un large recours aux PGD et par l utilisation de méthodes d interprétation

69
très dynamiques. Les développements ci-après seront fondés essentiellement

sur le droit communautaire européen ; la jurisprudence communautaire

africaine n'étant pas encore assez développée dans ce domaine.

& 1. Les principes généraux du droit communautaire

Les PGD communautaire sont des sources non écrites qui procèdent

d une « invention » jurisprudentielle, opérée par le juge à partir d un fonds

commun de valeurs. L opération de découverte de ces PG de l OJC présente

des caractéristiques propres.

A. L origine des PGD

La Cour de justice, dans son opération d identification des principes

érigés en PGD communautaire, a fait appel d une part à des principes

empruntés au droit international et au droit interne des EM, et dégagé d autre

part des principes issus de la structure du système communautaire lui-même. Il

s agit ici d une acceptation sélective destinée à éviter que la cohérence du

système juridique communautaire soit affectée.

Le juge communautaire a d abord eu recours aux PG de l ordre

international. C est ainsi que la Cour applique « les principes de droit

international », en matière de traités contradictoires (CJCE, 27 février 1962,

Commission c/ Italie) ou bien se réfère au « principe de droit international (qui)

s oppose à ce qu un État refuse à ses propres ressortissants le droit d avoir

accès à son territoire et d y séjourner » (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn).

70
Quant à la Cour de Justice de la CEMAC, elle a par exemple consacré le

principe de non-discrimination en tant que principe de droit international (arrêt

du 31 mars 2011, dame MBADIAGA MATSIENDI c/ Ecole inter-Etats des

douanes).

La Cour de justice a ensuite emprunté aux PG communs aux droits

internes des EM. Ainsi a-t-elle abondamment recours aux règles fondamentales

reconnues par les Constitutions ou les législations, voire la jurisprudence ou la

doctrine des EM (égalité devant la réglementation économique, CJCE, 21 juin

1958, Hauts Fourneaux et Aciéries belges ; principes issus des droits

constitutionnels nationaux et garantissant les droits fondamentaux, 17

décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft). Pour ce qui est de la

démarche de la Cour, il ne s agit pas pour elle de ne retenir que les principes

strictement communs à l ensemble des ordres juridiques nationaux. La Cour se

réserve, en effet, non seulement de choisir parmi les différentes solutions

offertes par les droits nationaux, mais encore d écarter les principes communs

qui seraient incompatibles avec les exigences communautaires (11 juillet 1968,

Dausin). En tout état de cause, les PG issus des droits nationaux ne seront

admis en qualité de PGD communautaire que dans la mesure où ils sont

compatibles avec « le cadre de la structure et des objectifs de la

Communauté ».

71
En droit communautaire CEMAC, l'article 28 de la Convention du 30

janvier 2009 régissant la Cour de justice communautaire précise, concernant

les litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les organes et

institutions communautaires ou par les agents de ceux-ci dans l'exercice de

leurs fonctions, que la Cour doit statuer « en tenant compte du droit positif

communautaire et des PGD qui sont communs aux EM ».

Il existe enfin un certain nombre de principes qui sont liés à la

structure institutionnelle de la Communauté. Il en va ainsi du principe de

l équilibre institutionnel ou du pouvoir d auto-organisation des institutions que

l on ne peut vraiment qualifier de PGD, car ils s appliquent au fonctionnement

institutionnel de l Union et trouvent leur source dans les dispositions

institutionnelles des traités.

B. La typologie des PGD communautaire

Il est difficile de présenter de façon systématique la richesse de la

jurisprudence de la Cour dans le domaine des PGD. Amenée à combler les

lacunes du droit communautaire, la Cour a fait preuve d une grande créativité.

En effet, les traités étaient muets sur des questions aussi essentielles que la

protection des droits fondamentaux, le régime des actes juridiques, la

procédure administrative non contentieuse, etc. Trois grandes catégories

peuvent se dégager : les droits fondamentaux, les principes découlant de la

Communauté de droit et les principes structurels.

72
1. Les droits fondamentaux de la personne

En droit communautaire CEMAC, la Cour de justice a eu à consacrer

plusieurs catégories de droits fondamentaux. A titre d exemple, il convient de

citer deux arrêts. D abord, celui du 2 juillet 2009, Société Price Waterhouse

SARL, dans lequel elle estime : « Attendu que les droits de la défense et le

principe du contradictoire ont valeur de principes de droit naturel dont le

respect s impose en matière contentieuse et disciplinaire, à toute procédure

susceptible d aboutir à une décision faisant grief, le respect de ces droits

participant à l exigence de l idéal de justice ». Ensuite, dans l affaire Banque

Atlantique du Cameroun, jugée le 31 mars 2011, elle souligne : « Attendu que

le droit au recours ou droit au juge faisant partie des droits fondamentaux qui

se trouvent au cœur de l Etat de droit, le législateur CEMAC n est pas resté en

marge de la problématique communautaire de la protection des justiciables… ».

En droit de l Union Européenne et sans revenir en détail sur ce qui a

été dit plus haut, précisons que le contenu essentiellement économique des

traités communautaires et le caractère fonctionnel des compétences attribuées

aux institutions expliquent certainement qu ils n aient pas été assortis d un

catalogue communautaire des droits fondamentaux. Pour surmonter cette

lacune, la Cour de justice va avoir recours aux PGD (« le respect des droits

fondamentaux fait partie intégrante des PGD dont la Cour assure le respect »)

et, plus précisément aux PG communs aux droits des EM (« la sauvegarde de

73
ces droits, tout en s inspirant des traditions constitutionnelles communes aux

EM doit être assurée dans le cadre de la structure et des objectifs de la

Communauté », arrêt Internationale de 1970 précité). Il s agit donc ici de

protéger l ensemble des droits de l homme et libertés publiques généralement

garantis par les droits constitutionnels nationaux et par les instruments

internationaux de protection des droits de l homme, parmi lesquels la CEDH.

Aux termes de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, ces droits

sont appréhendés, non comme des « prérogatives absolues », mais sous réserve

des « limites justifiées par les objectifs d intérêt général poursuivis par la

Communauté dès lors qu il n est pas porté atteinte à la sauvegarde de ces

droits ». Ont été notamment consacrés l ensemble des droits individuels

attachés au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la

correspondance, ou de la liberté religieuse. Certains droits sont liés à la vie

économique et sociale comme le droit de propriété, le droit au libre exercice

des activités économiques, la protection du secret des affaires, la liberté

syndicale, ou encore les libertés rattachées à la liberté d expression. Il faut par

ailleurs que l OJC tend à assurer le respect de la dignité humaine en tant que

PGD ; la protection d un tel droit fondamental constitue un intérêt légitime de

nature à justifier, en principe, une restriction à la libre prestation de services

(CJCE, 14 oct. 2004, Omega).

74
2. Les principes découlant de la Communauté de droit

Il s agit de principes inhérents à tout système juridique organisé selon

le modèle du respect du droit. Ainsi en est-il du principe de sécurité juridique

constitué lui-même de « sous-principes » qui en sont les corollaires, notamment

le principe de respect des droits acquis, le principe de prévisibilité et de clarté

des règles applicables, le principe de bonne foi, le principe de publicité des

actes, le principe de non-rétroactivité, et plus largement l ensemble des

conséquences attachées au principe dit de « confiance légitime ». Concernant

cette catégorie de principes, il ressort de l avis n 001/2016-17 du 26 octobre

2019, que : « …l impératif de sécurité juridique ou l obligation pour notre

Communauté, d assurer mais aussi de respecter la stabilité des situations

juridiques déjà existantes… ».

Cette catégorie comporte également les principes liés au droit à une

protection juridictionnelle effective et au droit à un procès équitable : ont été

ainsi affirmés le « droit au juge » et les droits de la défense dans les procédures

contentieuses. Pourraient être encore cités le principe de proportionnalité, le

principe de transparence et la consécration récente, et de façon expresse, par

le TPICE du principe de précaution comme PGD communautaire (28 janv.

2003, Les Laboratoires Servier) : « …le principe de précaution peut être défini

comme un PGD communautaire imposant aux autorités compétentes de

prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels

75
pour la santé publique, la sécurité et l environnement, en faisant prévaloir les

exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques ».

3. Les principes structurels

Ces principes sont en quelque sorte le reflet de la structure

économique et politique de la Communauté. On peut ainsi citer les principes

régulateurs qui gouvernent la répartition des compétences tels que la

subsidiarité, le principe d équilibre institutionnel, le principe de coopération

loyale, le principe d égalité et de solidarité entre États membres (7 février

1973, Commission c/ Italie).

Pour ce qui est des principes à caractère économique citons par

exemple les principes fondamentaux de la libre circulation et de la non-

discrimination, complétés par les principes de libre concurrence et d unité du

marché commun.

Précisons qu il existe des non PGD communautaire à l instar du

principe de la préférence communautaire ou encore du principe de la cohésion

économique et sociale.

C. La portée des principes généraux du droit communautaire

Deux points : l autorité jurisprudentielle de ces principes, puis

l entreprise de consolidation d une catégorie particulière, en l occurrence les

droits fondamentaux.

76
1. L autorité jurisprudentielle

Les PGD communautaire font partie intégrante de la légalité

communautaire dont la Cour assure le respect ; ils s imposent à ce titre aux

institutions dans l élaboration et l application du droit dérivé. Il faut également

préciser que ces principes s imposent aussi aux EM dès lors qu ils agissent dans

le champ du droit communautaire (CJCE, 13 juillet 1989, Wachauf). Ainsi les

mesures prises en application du droit communautaire ou « dans le cadre du

droit communautaire » sont assujetties au respect des PGD communautaire.

2. La consolidation de la protection des droits fondamentaux

La construction jurisprudentielle des PGD communautaire a été

appuyée, s agissant de la garantie des droits fondamentaux, par une prise en

compte de l importance de la protection nécessaire de la part des institutions

communautaires et des maîtres des traités . C est ainsi que les trois autres

institutions ont adopté une déclaration commune le 5 avril 1977 par laquelle

elles s engageaient à respecter les droits fondamentaux. Cette démarche a été

confortée par le préambule de l Acte Unique Européen qui fait référence aux

principes contenus dans les droits constitutionnels nationaux et dans les

instruments internationaux tels que la CEDH. Le traité de Maastricht a inséré

dans le corps des traités le principe de soumission de l Union au respect des

droits fondamentaux : valeur conventionnelle est ainsi accordée à la

jurisprudence de la Cour relative aux droits fondamentaux. Le traité

77
d Amsterdam a accompli un pas supplémentaire dans la consécration des

droits fondamentaux, en les érigeant en fondements de l Union. L art. 6, & 2

est désormais justiciable de la Cour ; ce qui renforce d autant la garantie du

respect des PGD communautaire. La consolidation ici évoquée réside

également dans le traité de Lisbonne. En effet, le respect des droits de l homme

fait partie des valeurs de l Union (art. 2 UE), et le & 3 de l art. 6 UE précise

que : « Les droits fondamentaux, tels qu ils sont garantis par la CEDH et tels

qu ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux EM, font partie

du droit de l Union en tant que principes généraux ».

& 2. La jurisprudence

Les pouvoirs conférés à la Cour de justice dans le système

communautaire, la nature largement économique du droit communautaire et

les défaillances du constituant et du législateur communautaires expliquent

l apport normatif de la jurisprudence ; apport qui apparaît très clairement dans

les méthodes d interprétation utilisées par la juridiction communautaire.

A. La fonction normative de la jurisprudence

Aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel relatif aux

organes de contrôle de l'UEMOA, « la Cour de justice veille au respect du droit

dans l'interprétation et l'application du traité de l'Union » (voir aussi art. 48, al.

1 CEMAC ; art. 9, & 1 du protocole relatif à la Cour de justice CEDEAO, qui

ajoute les « principes d'équité » ; également, art. 19, & 1 TUE). Il n est pas

78
exagéré de dire que la jurisprudence d'une Cour de justice a une valeur

normative. En effet, en droit communautaire européen, cette jurisprudence a

contribué, de façon particulièrement manifeste, à l intégration juridique de

l ordre communautaire. Ceci s explique essentiellement par l ampleur des

fonctions contentieuses et consultatives attribuées à la Cour, la nature

dynamique et évolutive du droit communautaire, etc.

B. Les méthodes d interprétation du juge communautaire

On peut parler d une grande diversité des techniques interprétatives

utilisées par la Cour. Ainsi est intensivement exploitée l interprétation textuelle,

notamment par un recours au contexte élargi à l économie des traités et par un

emploi hautement productif de l effet utile. L appel à l intention des parties est

globalisé de façon à tirer les conséquences ultimes de la volonté de construire

un système intégré. Par ailleurs, le raisonnement téléologique contribue sans

nul doute à faire prévaloir les finalités des traités. La Cour procède ainsi à une

utilisation combinée de ces différentes méthodes, procédant ainsi à une lecture

systématique des traités. Le droit communautaire est en effet interprété comme

un système autonome et cohérent : l affirmation de l irréductible spécificité du

droit communautaire, à la fois par rapport au droit international et par rapport

au droit interne des EM, se combine avec la démonstration permanente de la

cohérence du système juridique, conçu comme un tout structuré et organisé.

79
CHAPITRE II : LES RAPPORTS ENTRE LE DROIT
COMMUNAUTAIRE ET LES DROITS NATIONAUX

La question des rapports entre l OJC et les ordres juridiques

nationaux est l une des plus déterminantes de l intégration communautaire.

Elle commande l autorité dont jouira le droit communautaire dans les différents

EM. Par sa nature propre le droit communautaire possède une force spécifique

de pénétration dans l ordre juridique des EM. Aussi acquiert-il

automatiquement statut de droit positif dans les ordres juridiques nationaux ;

est-il susceptible de créer, par lui-même, des droits et des obligations pour les

particuliers ; prend-il place avec rang de priorité sur toute norme nationale. Au

vu de ce qui précède, il convient tout d abord d examiner l affirmation

théorique des principes majeurs de l OJC, avant de présenter ensuite l attitude

des juridictions nationales à l égard des effets des normes communautaires

dans les ordres juridiques nationaux.

Section I : L affirmation théorique des principes fondamentaux de

l ordre communautaire

Avant d évoquer les théories de l effet direct et de la primauté, il

apparaît important d évoquer succinctement un autre principe de base qu est

l immédiateté du droit communautaire. La nature du droit communautaire, et

notamment son autonomie par rapport aux ordres juridiques nationaux, exclut

que sa pénétration dans les droits nationaux soit subordonnée à une

quelconque formule spéciale d introduction ou de transformation. Autrement

80
dit, la spécificité du droit communautaire postule le monisme : le droit

communautaire est intégré de plein droit dans le droit interne des EM, en ce

sens que sa pénétration s effectue sans aucune « médiatisation ». Ceci vaut tout

d abord pour le droit originaire car les traités constitutifs, dès lors qu ils sont

régulièrement ratifiés, font partie de l ordonnancement juridique des EM et

doivent être appliqués par les autorités et juridictions nationales en tant que

tels.

Le même principe vaut pour l ensemble du droit dérivé (cf. art. 41

CEMAC pour les règlements), et selon la formule jurisprudentielle suivante :

« l applicabilité directe d un règlement exige que son entrée en vigueur et son

application en faveur ou à la charge des sujets de droit se réalisent sans

aucune mesure portant réception dans le droit national » (CJCE, 10 octobre

1973, Variola). Ceci vaut également pour les directives ainsi que pour les

décisions prises par les institutions, ou encore les accords internationaux liant

la Communauté, qui s imposent aux EM de façon « immédiate ». Au-delà de

cette immédiateté qui constitue le noyau irréductible concernant la pénétration

du droit communautaire dans les ordres juridiques nationaux, les rapports

entre droit communautaire et droits nationaux sont classiquement gouvernés

d une part par le principe d effet direct et d autre part par la théorie de la

primauté.

81
& 1. La théorie de l effet direct du droit communautaire

Une norme communautaire est d effet direct lorsque qu elle est

capable de créer directement des droits ou des obligations au profit des

particuliers (applicabilité directe) ; droits et obligations que ces derniers

peuvent invoquer devant le juge national (invocabilité directe). Il est vrai que le

droit international connaît également les normes d applicabilité directe ou self

executing. C est ainsi que la CPJI, dans l avis du 13 mars 1928, Compétences

des tribunaux de Dantzig a reconnu que les parties à une convention

internationale pouvaient avoir l intention de faire produire aux dispositions de

celle-ci des effets à l égard des particuliers. Mais ceci est l exception alors

qu en droit communautaire, l effet direct est la règle. Ainsi les particuliers, en

tant qu acteurs du droit communautaire, peuvent contraindre les autorités

nationales à se conformer aux exigences de l OJC.

A. L affirmation jurisprudentielle de l effet direct

La seule mention incidente de l effet direct dans les traités fondateurs

concerne les règlements communautaires ; qu'il s'agisse du droit

communautaire européen ou africain, les traités précisent en effet que le

règlement est « directement applicable dans tout EM ». Il n en demeure pas

moins que la généralisation de la théorie de l effet direct résulte d une

construction jurisprudentielle dont l arrêt fondateur date du 5 février 1963,

Van Gend en Loos La Cour était saisie de la question de l applicabilité directe à

82
un particulier de l art. 12 CE (devenu art. 25), relatif à l introduction de

nouveaux droits de douane. Le raisonnement de la Cour va se fonder sur la

nature spécifique de la Communauté et plus particulièrement de ses objectifs.

Autrement dit c est la finalité d intégration qui postule le principe de

l applicabilité directe du droit communautaire. Au centre du raisonnement de

la Cour se trouve l idée selon laquelle l objectif du traité est d instituer un

marché commun dont le fonctionnement concerne directement les particuliers.

A ce titre, le traité ne comporte pas seulement des obligations mutuelles entre

EM, il fait naître directement des droits pour les justiciables. Ceci peut prendre

appui à la fois sur le texte du préambule du traité de Rome qui s adresse aux

peuples des EM, et surtout sur le fait que les individus contribuent aux prises

de décision en participant à des organes communautaires comme le Parlement

européen ou le Comité économique et social. La Cour s appuie enfin sur un

argument tiré du renvoi préjudiciel ; mécanisme qui « confirme que les EM ont

reconnu au droit communautaire une autorité susceptible d être invoquée par

leurs ressortissants devant les juridictions nationales ».

De cette analyse, la Cour en déduit un véritable principe général aux

termes duquel : « le droit communautaire indépendant de la législation des EM,

de même qu il crée des charges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à

engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique ». Aussi,

contrairement au système internationaliste, ces droits « naissent non seulement

83
lorsqu une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison

d obligations que le traité impose d une manière bien définie, tant aux

particuliers qu aux EM et aux institutions communautaires ».

De ce point de vue, contrairement aux traités internationaux

classiques, les traités communautaires confèrent aux particuliers des droits que

les juridictions nationales doivent sauvegarder, non seulement lorsque les

dispositions en cause les visent expressément comme sujets de droit, mais

encore lorsqu elles imposent aux EM une obligation bien définie. On peut donc

parler d une présomption d effet direct découlant de la jurisprudence de la

Cour ; effet direct dont les conséquences ont été parfaitement résumées dans

l arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 : les règles du droit communautaire doivent

« déployer la plénitude de leurs effets de manière uniforme dans tous les EM » ;

elles constituent « une source de droits et d obligations pour tous ceux qu elles

concernent, qu il s agisse des EM ou des particuliers qui sont parties à des

rapports juridiques relevant du droit communautaire » ; « tout juge…saisi dans

le cadre de sa compétence, a, en tant qu organe d un EM, pour mission de

protéger les droits conférés aux particuliers par le droit communautaire ».

Quels sont les critères de l effet direct ? Ces critères ont été

synthétisés dans l arrêt de la CJCE du 5 avril 1979, Ministère public c/ Ratti :

« …dans tous les cas où des dispositions…apparaissent comme étant, du point

de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises ». Pour ce

84
qui concerne la précision de l acte, il a été jugé que la nécessité d une

clarification par la voie d une interprétation juridictionnelle ne s opposait pas à

l effet direct.

Pour autant le critère majeur de l effet direct est l inconditionnalité

des effets de l acte : l application de la norme doit pouvoir intervenir sans

qu aucune mesure ultérieure des EM ou de la Communauté ne soit nécessaire.

Cette condition est remplie non seulement lorsque la mesure est applicable par

elle-même, mais également lorsque, lors de l adoption d éventuelles mesures de

mise en œuvre, la Communauté ou les EM ne disposent d aucune marge

d appréciation. L existence d un terme mis à l entrée en vigueur de l acte n est

pas non plus susceptible d affecter l inconditionnalité. L acte ne produira

simplement d effet direct que lorsque le terme sera expiré. En somme, la

norme communautaire produit des effets directs dès lors que sa mise en œuvre

n est subordonnée à aucune appréciation discrétionnaire de la Communauté et

des EM.

(Rappel) Quant à l intensité de l effet direct, certaines dispositions

peuvent être invoquées devant les juridictions nationales, y compris dans des

litiges entre particuliers, et pleinement applicables par le juge : il s agit de

l effet direct horizontal. Par contre, d autres actes ne produisent qu un effet

direct limité, dès lors qu ils ne créent pas directement d obligations à la charge

des justiciables, mais seulement à l égard des États, et qu elles ne sont alors

85
invocables devant les tribunaux nationaux que dans les litiges opposant les

personnes privées aux autorités étatiques : on parle d effet direct vertical.

B. Les normes communautaires d effet direct

L effet direct du droit communautaire varie selon les différentes

catégories de normes communautaires.

1. Les dispositions de droit originaire

Il faut dire d emblée que c est à propos d une disposition du traité CE

que la Cour de justice a reconnu l effet direct du droit communautaire.

Effet direct horizontal. Même si l ensemble des stipulations des

traités fondateurs sont susceptibles de produire un effet direct, il faut

reconnaître que seules certaines d entre elles peuvent faire naître des droits et

obligations que les tribunaux nationaux sont conduits à sauvegarder quel que

soit le type de litige (horizontal ou vertical) en cause. Il en est ainsi des

dispositions visant explicitement les personnes privées (personnes physiques ou

morales) comme destinataires des obligations qu elles contiennent : les règles

de concurrence applicables aux entreprises, « se prêtent par leur nature même

à produire des effets directs dans les relations entre particuliers » (CJCE, 30

janvier 1974, BRT c/ Saban).

Il s agit par ailleurs de stipulations qui, sans avoir des particuliers

comme destinataires, mettent à leur charge des obligations qui leur sont

opposables de la part des bénéficiaires des droits créés directement par le droit

86
communautaire : a été admis l effet direct horizontal des règles de libre

circulation et de non-discrimination concernant les personnes ou les

marchandises, ou encore des règles relatives à la non-discrimination à raison

du sexe.

Effet direct vertical. Ce sont les plus nombreuses, et comme on l a

dit plus haut, elles créent des droits et obligations pour les particuliers à l égard

des seuls EM. Citons d abord des dispositions instituant des obligations de ne

pas faire : la prohibition des discriminations à raison de la nationalité,

l interdiction des restrictions au droit d établissement, à la libre prestation des

services ou la prohibition des discriminations fiscales.

Évoquons ensuite des stipulations instituant des obligations de faire

en l absence de pouvoir discrétionnaire des autorités communautaires ou

nationales : l aménagement des monopoles, la suppression des restrictions

tarifaires.

A l inverse ne bénéficient pas de l effet direct, les stipulations à

caractère institutionnel, ou encore les dispositions laissant soit aux institutions,

soit aux EM une marge d appréciation.

2. L'effet direct des actes additionnels

Les actes additionnels qui ont une portée réglementaire peuvent

avoir un effet direct vertical, notamment s'ils portent non pas sur les

87
institutions mais sur les politiques sectorielles, et à condition de remplir les

critères de l'effet direct.

S'agissant des actes additionnels de portée individuelle (par exemple

un acte de nomination), ils disposent en principe d'un effet direct complet.

3. L effet direct des règlements

Le règlement est la seule norme pour laquelle le traité prévoit

expressément l applicabilité directe. L applicabilité directe du règlement est

complète : il est apte à conférer des droits et des obligations aux particuliers

non seulement dans leurs relations avec les EM et les institutions

communautaires mais également dans leurs relations interindividuelles.

Ceci étant, de nombreux règlements comportent des dispositions

dont la pleine application requiert l adoption par les institutions

communautaires ou les EM de mesures d application. Dans ce cas, l effet direct

du règlement a pour conséquence de permettre aux juridictions nationales de

contrôler la conformité de ces mesures nationales avec le contenu du

règlement.

4. L effet direct des directives

Les directives étant adressées aux EM et devant faire l objet de

transposition en droit interne, elles ne produisent en principe pas d effets

directs. La création de droits et d obligations pour les particuliers ne résulte pas

de la directive elle-même, mais des mesures nationales de transposition. De ce

88
point de vue, la reconnaissance par la Cour de l effet direct des directives a

suscité de nombreuses controverses, alors que le traité attribue expressément

cet effet direct au règlement, et ne le mentionne pas à propos des directives.

Ce sont les arrêts de la CJCE SACE (17 décembre 1970 précité) et

Van Duyn (4 décembre 1974, 41/74) qui posent le principe de l effet direct des

directives. L absence en principe d effet direct de la directive n est pas

contestée par la Cour ; mais elle vise l hypothèse particulière dans laquelle

l État n a pas ou a mal transposé la directive à l expiration du délai de

transposition. Refuser l effet direct de la directive dans cette hypothèse

reviendrait à ôter tout effet utile à la directive alors qu elle est, selon le traité,

un acte obligatoire. Par ailleurs, l EM qui n a pas pris dans les délais, les

mesures d exécution imposées par la directive ne peut opposer aux particuliers

le non-accomplissement, par lui-même, des obligations qu elle comporte (CJCE,

19 janvier 1982, Becker).

L effet direct des directives ne constitue, selon la Cour, qu une

garantie minimale pour les particuliers : « Ce n est que dans des circonstances

particulières, notamment dans le cas où un EM a omis de prendre les mesures

requises, ou adopté des mesures non conformes à une directive, que la Cour a

reconnu le droit, pour les justiciables, d invoquer une directive à l encontre

d un EM défaillant. Cette garantie minimale découlant du caractère

contraignant de l obligation imposée aux EM par l effet direct des directives, en

89
vertu de l art. 189, 3e alinéa, -art. 249 nouveau ‒ ne saurait servir de

justification à un EM pour se dispenser de prendre, en temps utile, des mesures

adéquates à l objet de chaque directive » (2 mai 1996, Commission c/

Allemagne).

a) L effet direct vertical.

Les dispositions des directives qui sont inconditionnelles et

suffisamment précises disposent d un tel effet direct. Ainsi, à défaut de toute

mesure d application prise dans les délais, les dispositions d une directive qui

remplissent les conditions de l effet direct peuvent être invoquées à l encontre

de toutes dispositions nationales non conformes à la directive (invocabilité

d exclusion), ou encore en tant qu elles créent des droits que les particuliers

sont en mesure de faire valoir à l égard de l État (invocabilité de substitution).

Compte tenu de sa conception de l invocabilité des directives comme

sanction du comportement de l État défaillant, cet effet vertical est entendu par

la Cour au sens large, c est-à-dire qu une directive peut être opposée à l État

quelle que soit la qualité en laquelle il se présente, autorité publique ou simple

employeur, mais encore aux autorités décentralisées comme les communes,

ainsi qu aux entreprises publiques.

b) L absence, en principe, d effet direct horizontal.

Il est incontestable que les directives ne peuvent être invoquées à

l encontre de particuliers. Ainsi, comme l affirme la Cour elle-même dans son

90
arrêt Marshall de 1986 précité, le caractère contraignant d une directive

n existe qu à l égard de « tout EM destinataire ». Il en découle « qu une

directive ne peut pas par elle-même créer d obligations dans le chef d un

particulier et qu une disposition d une directive ne peut donc pas être invoquée

en tant que telle à l encontre d une telle personne ». Relevons tout de même

qu une telle solution empêche aussi un particulier d invoquer à l encontre d un

autre particulier (effet direct horizontal) les dispositions d une directive qui

rempliraient cependant les conditions de l effet direct.

Nonobstant le fait que cette position prive les particuliers d une

possibilité de défendre leurs droits, la Cour a nettement réitéré son refus de

consacrer l effet direct horizontal des directives, qui remettrait en cause le

système des sources du droit communautaire, puisqu il « reviendrait à

reconnaître à la Communauté le pouvoir d édicter avec effet immédiat des

obligations à la charge des particuliers, alors qu elle ne détient cette

compétence que là où lui est attribué le pouvoir d adopter des règlements »

(CJCE, 14 juillet 1994, Faccini Dori).

Ceci n exclut pas que les dispositions d une directive puissent

produire certains effets dans les litiges entre particuliers. Il est ainsi admis

qu un distributeur pharmaceutique soit habilité à obtenir l annulation d une

autorisation administrative accordée à un de ses concurrents en violation d une

directive (CJCE, 12 novembre 1996, Smith & Nephew Pharmaceuticals Ltd). De

91
plus l obligation d interprétation conforme du droit national est généralement

considérée comme un palliatif notable à l absence d effet direct horizontal des

directives, car elle s applique même dans les litiges opposant deux particuliers

(CJCE, 13 novembre 1990, Marleasing).

5. L effet direct des décisions

Il faut ici distinguer les décisions adressées à des particuliers de

celles adressées à des EM. L effet direct des décisions adressées à une

personne privée. Le destinataire peut être une personne physique ou morale ;

une décision communautaire produit à son égard un effet direct complet : elle

crée des droits et/ou obligations au profit de son destinataire ; celui-ci pouvant

s en prévaloir devant les juridictions nationales. Elle crée aussi des droits pour

les tiers, qui peuvent invoquer la décision à l encontre de l entreprise à laquelle

elle était adressée (effet horizontal).

L effet direct des décisions adressées aux EM. Elles créent des

obligations à la charge des seuls EM destinataires, mais peuvent par ricochet

créer des droits au profit des particuliers qui peuvent s en prévaloir devant les

tribunaux nationaux. Il s agit d un effet direct vertical qui peut concerner les

dispositions combinées du traité, d une décision et d une directive, d une

décision seule, ou encore d une décision prise par un organe créé par une

convention conclue par la Communauté avec des États tiers.

92
6. L effet direct des engagements internationaux de la

Communauté

Comme en droit international classique, l effet direct n est pas la

règle. Il en résulte que les normes issues des engagements externes de la

Communauté ne bénéficient pas de la présomption d effet direct. Mais la Cour

a souligné que les critères de l effet direct doivent être ici utilisés eu égard à

l objet et à la nature de l accord : « une disposition d un accord conclu par la

Communauté avec des pays tiers doit être considérée comme étant

d application directe lorsque, eu égard à ses termes, ainsi qu à l objet et la

nature de l accord, elle comporte une obligation claire et précise, qui n est

subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l intervention d aucun

acte extérieur » (CJCE, 7 juin 1987, Demirel).

La question la plus délicate à cet égard fut celle de l effet direct du

GATT puis des règles de l OMC. La Cour de justice a refusé de reconnaître un

effet direct aux règles du GATT en raison de leur souplesse et du caractère

incomplet du système de règlement des différends (CJCE, 12 décembre 1972,

International Fruit Company). Nonobstant les novations contenues dans les

règles de l OMC depuis les accords de Marrakech, la Cour de justice exclut un

effet direct de ces règles (23 novembre 1999, Portugal c/ Conseil). Cependant

la légalité d un acte communautaire au regard de l OMC peut être contrôlée

lorsque cet acte vise à exécuter une disposition particulière des accords ou

93
renvoie à des dispositions précises de ceux-ci (22 juin 1989, Fediol, 70/87 et 7

mai 1991, Nakajima). Par ailleurs, n est pas exclue la reconnaissance d une

forme d invocabilité minimale, notamment l obligation pour le juge

communautaire comme pour le juge national de procéder à une interprétation

conforme du droit communautaire à la lumière des dispositions des accords

OMC. Ces principes, dégagés à propos de l OMC, sont applicables à l ensemble

des accords conclus par la Communauté.

& 2. La théorie de la primauté du droit communautaire

Contrairement au droit communautaire européen, en droit

communautaire africain, des traités posent, de façon explicite, le principe de

primauté du droit communautaire.

A. La consécration de la primauté

C est dans le célèbre arrêt Costa c/ ENEL (15 juillet 1964), que la

Cour de justice a solennellement affirmé le principe de la primauté du droit

communautaire, à propos d un conflit entre le traité et la loi italienne de

nationalisation de l électricité de 1962. En droit communautaire dans les

espaces africains, la primauté est d abord et surtout consacrée dans les traités.

1. La consécration principalement textuelle de la primauté

C'est ainsi que l'article 44 CEMAC stipule que : « ...Les actes

adoptés par les institutions, organes et institutions spécialisées de la

Communauté pour la réalisation des objectifs du présent traité sont appliqués

94
dans chaque EM nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou

postérieure ». Stipulation à rapprocher de l'art. 41, al. 1, selon laquelle le

respect des actes additionnels « s'impose aux institutions, aux organes et aux

institutions spécialisées de la Communauté ainsi qu'aux autorités des EM ».

Quant à l'article 6 UEMOA, il prévoit que « Les arrêtés par les organes de

l'Union pour la réalisation des objectifs du présent traité et conformément aux

règles et procédures instituées par celui-ci, sont appliquées dans chaque EM

nonobstant toute législation contraire, antérieure ou postérieure ». Ce qui vaut

pour les actes de droit privé s'impose a fortiori pour le droit primaire.

Cette primauté, conventionnellement posée, a été par ailleurs reconnue

par la Cour de justice de l'UEMOA, dans l'avis n 001/2003 du 18 mars 2003,

Demande d'avis de la Commission de l'UEMOA relative à la création d'une

Cour des comptes au Mali, dans les termes suivants : « La primauté du droit

communautaire bénéficie à toutes les normes communautaires, primaires

comme dérivées, immédiatement applicables ou non, et s'exerce à l'encontre

de toutes les normes nationales administratives, législatives, juridictionnelles et

même constitutionnelles parce que l'ordre juridique communautaire

l'emporte dans son intégralité sur les ordres juridiques nationaux. Les États

ont le devoir de veiller à ce qu'une norme de droit national incompatible avec

une norme de droit communautaire qui répond aux engagements qu'ils ont

pris, ne puisse pas être valablement opposée à celui-ci. Cette obligation est le

95
corollaire de la supériorité de la norme communautaire sur la norme nationale.

Ainsi, le juge national, en présence d'une contrariété entre le droit

communautaire et une règle de droit interne, devra faire prévaloir le premier

sur la seconde en appliquant l'un et en écartant l'autre ». Cette position a été

confirmée par un arrêt récent, du 8 juillet 2020, Commission de l UEMOA c/

Décision n 19/287 du 22 août 2019 de la Cour constitutionnelle du Bénin,

dans lequel la même Cour affirme dans son dispositif : « La primauté de l ordre

juridique de l Union dans son intégralité sur les ordres juridiques nationaux

implique qu aucune disposition juridique administrative, législative,

juridictionnelle et même de niveau constitutionnel interne ne saurait être

utilisée pour mettre en échec le droit communautaire ».

Elle a été également consacrée par la Cour de justice CEMAC, 13

novembre 2009, aff. Sielenou Christophe et a. c/ Décision COBAC, Amity Bank

Cameroun : « ...une restructuration assise sur le cadre légal national ne saurait

se superposer à une restructuration décidée sur la base des textes

communautaires, en raison du principe de la hiérarchie des normes

juridiques qui veut que les textes communautaires priment sur les lois

nationales ». Cette position a été confirmée et prolongée dans l arrêt du 31

mars 2011, Banque Atlantique du Cameroun, d où il résulte : « Qu il importe de

noter, (…), que le principe de primauté permet de faire prévaloir la norme

96
communautaire sur la norme nationale, d écarter l application de la norme

nationale contraire au droit communautaire ;

Attendu que la primauté évoquée est « une condition

existentielle » du droit communautaire qui, en raison de sa nature spécifique

originale, ne peut se voir opposer tout texte interne quel qu il soit, sans perdre

son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique

de la Communauté elle-même ;

Que la norme interne incompatible est donc inapplicable, et de

plein droit ; que selon la doctrine établie et la jurisprudence constante, tout

juge de l application du droit communautaire, toute autorité nationale ou

communautaire a l obligation absolue de la laisser inapplicable… ».

Quant au droit communautaire européen, les traités fondateurs

ne contiennent pas une clause expresse affirmant la primauté du droit

communautaire sur le droit national. Il est donc revenu à la Cour de justice de

consacrer le « principe fondamental de la primauté de l OJC » (CJCE, 10

octobre 1973, Variola). La primauté du droit communautaire est donc une

construction jurisprudentielle conçue comme une exigence logique eu égard à

certaines caractéristiques particulières de l intégration européenne.

Dans le traité de Lisbonne, la primauté est néanmoins évoquée

dans la Déclaration n 17 dans laquelle il est rappelé que « selon une

jurisprudence constante de la Cour de justice de l UE, les traités et le droit

97
adopté par l Union sur la base des traités priment le droit des EM, dans les

conditions définies par ladite jurisprudence ». Est adjoint à cette Déclaration un

Avis du Service juridique du Conseil du 22 juin 2007, pour lequel : « il découle

de la jurisprudence de la Cour de justice que la primauté du droit

communautaire est un principe fondamental dudit droit. [Principe inhérent

selon la Cour à la nature particulière de la CE]. Le fait que le principe de

primauté ne soit pas inscrit dans le futur traité ne modifiera en rien l existence

de ce principe ni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice ». Il

convient malgré tout de mettre en valeur l'évolution de la question en droit

communautaire européen.

2. Fondement : l autonomie de l ordre juridique communautaire

Il était possible de soutenir que les rapports entre droit

communautaire et droits nationaux étaient régis par les formules monistes ou

dualistes retenues par les règles constitutionnelles nationales. Ce n est pas la

position retenue par la Cour de justice ; pour elle en effet, les relations entre

OJC et ordres juridiques des EM ne peuvent en aucun cas s apprécier à la

lumière des solutions diverses prévues par les droits constitutionnels nationaux.

Ainsi, le fondement de la primauté doit être recherché dans l autonomie du

droit communautaire lui-même : « issu d une source autonome, le droit né du

traité ne peut se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu il soit

sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la

98
base juridique de la Communauté elle-même » (arrêt Costa). Comme l a affirmé

dans les années 1970, Pierre PESCATORE (ancien juge luxembourgeois à la

CJCE), « le droit communautaire porte en lui une exigence « existentielle » de

primauté : s il n est pas capable de l emporter en toutes circonstances sur le

droit national, il est inefficace, et donc, pour autant, inexistant. L idée même

d un ordre commun serait battue en brèche ».

3. Justification : l uniformité d application du droit communautaire

Nonobstant les indices textuels de primauté (art. 189 CE, devenu 249

et 5-2 CE, devenu 10), il faut soutenir que la véritable justification de la

doctrine de la primauté réside, autant sur la nature propre de l OJC, que sur la

nécessaire application uniforme de ce droit de l intégration. La volonté des

États de construire un marché commun, puis par la suite un marché unique,

implique juridiquement l uniformité du droit communautaire. Cette uniformité

suppose que le droit interne d un EM ne puisse faire obstacle à la mise en

œuvre des règles communes. Cette exigence fondamentale de l OJC impose en

effet que toutes les normes communautaires disposent dans tous les EM de la

même signification, de la même force obligatoire et du même contenu. Trois

passages significatifs de l arrêt Costa traduisent de façon remarquable une telle

position :

99
« …la force exécutoire du droit communautaire ne saurait, en effet,

varier d un État à l autre à la faveur des législations internes ultérieures, sans

mettre en péril la réalisation des buts du traité… Invariabilité

« les obligations contractées dans le traité instituant la Communauté

ne seraient pas inconditionnelles mais seulement éventuelles, si elles pouvaient

être mises en cause par les actes législatifs futurs des signataires ; Même force

obligatoire

« …le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au

profit de l OJC des droits et d obligations correspondant aux dispositions du

traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre

laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la

notion de Communauté ».

4. Portée : une primauté générale et absolue

Voir, à titre de rappel, les positions mises en évidence plus haut, de

la Cour de justice de l UEMOA, respectivement en mars 2003 et juillet 2020.

L OJC l emporte dans son intégralité sur les ordres juridiques

nationaux. En effet, la Cour a elle-même affirmé dans son arrêt Costa que le

droit communautaire ne pouvait se voir opposer un texte interne quel qu il soit.

On est donc en présence d une primauté inconditionnelle de tout le droit

communautaire sur tout le droit national. Cette vision englobante postule que

les normes communautaires, y compris certains éléments tirés de la

100
jurisprudence communautaire, sont considérées comme étant supérieures à

toutes les règles des ordres juridiques nationaux. Tout d abord l ensemble des

sources communautaires sont concernées par cette primauté : le droit primaire

et le droit dérivé, les engagements internationaux de la Communauté ou les

principes généraux du droit.

Il faut dire ensuite que la primauté du droit communautaire concerne

l ensemble du droit national. Le droit communautaire s impose aussi bien aux

normes des autorités étatiques qu à celles découlant des collectivités

infranationales. Il est clair également que cette obligation s impose au

législateur (cf. arrêt Costa). On pouvait s interroger sur l applicabilité de cette

problématique aux relations délicates entre droit communautaire et

constitutions nationales ; et notamment sur la portée de l expression « tout

texte interne quel qu il soit » (arrêt Costa). Cette expression a été précisée par

l arrêt Internationale H. de 1970, en ces termes : « l invocation d atteintes

portées soit aux droits fondamentaux tels qu ils sont formulés par la

Constitution d un EM soit aux principes d une structure constitutionnelle

nationale ne saurait affecter la validité d un acte de la Communauté ou son

effet sur le territoire de cet État ». Les normes constitutionnelles ne donc pas

opposables au droit communautaire originaire, comme l ont confirmé deux

arrêts de la Cour de justice du 2 juillet 1996, Commission c/ Luxembourg et

Commission c/ Grèce. La Cour y suivra les conclusions de son avocat général

101
Ph. Léger pour qui, il suffisait « de rappeler que, selon une jurisprudence bien

établie, la primauté du droit communautaire existe à l égard de toute norme

nationale, même d ordre constitutionnel ». Le droit constitutionnel des États se

trouve également subordonné au droit communautaire dérivé (notamment aux

règlements et directives communautaires). En effet, dans l arrêt Commission c/

Italie du 8 févr. 1973, la Cour a indiqué qu un « EM ne saurait exciper de

dispositions ou pratiques de son ordre interne pour justifier le non-respect des

obligations et délais résultant des règlements communautaires ». On retrouve la

même logique pour ce qui concerne les directives communautaires (9 juill.

1998, Comm. c/ Belgique). Pour une confirmation récente : 11 janv. 2000,

Tanja Kreil (La Cour y a interprété la directive sur l égalité de traitement entre

hommes et femmes comme s opposant à l application de l art. 12a de la LF all.

qui excluait de manière générale les femmes des emplois militaires comportant

l utilisation d armes).

Voir en dernier lieu, CJUE, aff. C-999/11, 26 février 2013, Stefano

Melloni c/ Ministerio fiscal, & 59 : « Il est ,..., de jurisprudence bien établie

qu'en vertu du principe de primauté du droit de l'Union, qui est une

caractéristique essentielle de l'ordre juridique de l'Union […], le fait pour un

EM d'invoquer des dispositions de droit national, fussent-elles d'ordre

constitutionnel, ne saurait affecter l'effet du droit de l'Union sur le territoire de

cet État ».

102
B. Les conséquences de la primauté

C est principalement à ce niveau que l on mesure encore un peu plus

la spécificité du droit communautaire. En effet la primauté implique que la

compatibilité du droit national avec le droit communautaire soit assurée de

façon uniforme et effective, mais aussi directe et immédiate.

1. L encadrement de l autonomie procédurale des États

membres

Si le droit communautaire prévaut sur le droit national, cela ne veut

pas dire que la Cour de justice détienne le pouvoir d annuler la norme

nationale illicite. Cette tâche revient aux juridictions nationales car il incombe

au droit interne, conformément à ses propres procédures, de garantir

l effectivité du respect du droit communautaire. C est l expression du principe

d autonomie procédurale des droit nationaux, reconnu en ces termes par la

Cour : le droit communautaire « ne limite…pas le pouvoir des juridictions

nationales compétentes d appliquer, parmi les divers procédés de l ordre

juridique interne, ceux qui sont appropriés pour sauvegarder les droits

individuels conférés par le droit communautaire » (CJCE, 3 avr. 1968, Molkerei

Zentrale). Cependant le respect absolu de ce principe d autonomie procédurale

est porteur de dangers pour l uniformité d application du droit

communautaire ; d où l encadrement progressif par la Cour de cette autonomie

procédurale reconnue au droit national.

103
Cette autonomie procédurale est en effet subordonnée à l obligation

pour les juges nationaux de considérer comme étant inopposables ou d écarter

l application de la norme nationale incompatible. La portée de cette exigence a

été mise en valeur par la Cour lorsqu elle affirme que l effectivité du droit

communautaire implique « pour les autorités nationales compétentes

prohibition de plein droit d appliquer une prescription nationale reconnue

incompatible avec le traité, et le cas échéant, obligation de prendre toutes

dispositions pour faciliter la réalisation du plein effet du droit

communautaire » (CJCE, 13 juill. 1972, Comm. c/ Italie : Rec. 529). Deux effets

sont ainsi reconnus au droit communautaire : un effet abrogatoire rendant

inapplicable de plein droit les normes nationales antérieures incompatibles ; un

effet bloquant ou neutralisant empêchant la formation valable de normes

nationales postérieures.

Ainsi que l affirme la Cour dans son arrêt Simmenthal du 9 mars

1978 : « le juge national chargé d appliquer, dans le cadre de sa compétence,

les dispositions du droit communautaire, a l obligation d assurer le plein effet

de ces normes, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute

disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu il

ait à demander ou à attendre l élimination préalable de celle-ci par voie

législative ou par tout autre procédé constitutionnel ».

104
Conclusion empruntée au Professeur Denys SIMON : La spécificité

de la prévalence du droit communautaire sur le droit national par rapport aux

rapports classiques du droit international et du droit interne apparaît ainsi très

clairement : l affirmation de la « primauté internationale » est complétée par la

« communautarisation » de la « primauté interne », c est-à-dire par

l encadrement communautaire de la mission du juge interne en sa qualité de

juge communautaire de droit commun.

2. La protection juridictionnelle des particuliers

Au-delà de la possibilité d écarter les normes nationales contraires au

droit communautaire, l application uniforme et effective de ce droit implique

également que soit prévu un contrôle juridictionnel réel de la part des

juridictions nationales sur toutes les atteintes éventuelles au droit

communautaire, et que soient éliminées les conséquences dommageables de

ces atteintes.

a) Le droit au juge

Cette expression est assimilable à l exigence d un contrôle

juridictionnel effectif dans l objectif d assurer la garantie des droits issus du

droit communautaire. En effet, les justiciables ne sauraient être privés, par

l effet du droit processuel interne, du droit de faire valoir par la voie

contentieuse les droits qu ils tirent du droit communautaire. Ce principe assure

que toute violation du droit communautaire par les autorités nationales fera

105
l objet d un contrôle juridictionnel. La CJCE le considère à la fois comme une

exigence inhérente à la primauté du droit communautaire et comme une

obligation découlant d un PGD (au juge) consacré par les traditions

constitutionnelles communes aux EM et par les textes conventionnels. C est

ainsi par exemple qu a été condamnée l impossibilité résultant des règles

procédurales nationales, de soumettre à un tribunal l appréciation d une

éventuelle discrimination à raison de la nationalité (CJCE, 15 oct. 1987,

Heylens).

Cette exigence d un contrôle juridictionnel effectif est susceptible

d engendrer des modifications sensibles des procédures nationales, par

exemple en imposant un recours juridictionnel à l encontre d actes qui en vertu

du droit national n ont qu une portée consultative. Notons par ailleurs que le

droit à une protection juridictionnelle a pu faire l objet d une concrétisation

spécifique à travers des obligations insérées dans des actes de droit dérivé. Il

faut d ailleurs observer que la Cour de justice a récemment précisé que les

juridictions nationales ont l obligation d interpréter le droit national à la

lumière de la disposition d une directive garantissant le droit à un recours

juridictionnel, et le cas échéant, d écarter une disposition nationale faisant

obstacle à la compétence du juge administratif, fût-elle une disposition

constitutionnelle (CJCE, 22 mai 2003, Connect Austria Gesellschaft).

106
b) Le principe d équivalence du traitement juridictionnel

La primauté du droit communautaire implique par ailleurs un droit à

l égal accès à la protection juridictionnelle. La garantie des droits tirés du droit

communautaire doit être assurée dans les mêmes conditions qu aux nationaux

à tous les justiciables. Ce principe d égalité de traitement juridictionnel a été

déduit, par la Cour, directement de l art. 12 CE (ex-6, principe de non-

discrimination), impliquant ainsi que les EM puissent accorder aux citoyens de

l Union les mêmes droits et facilités linguistiques que ceux reconnus à leurs

nationaux. Un tel principe doit dès lors être considéré comme une condition

nécessaire à la garantie effective des droits attribués aux justiciables par le

droit communautaire.

c) Le droit à une protection provisoire

La Cour de justice a également consacré la « protection au

provisoire » des droits issus du droit communautaire. En effet, elle a jugé dans

le prolongement de l arrêt Simmenthal qu il incombe aux tribunaux nationaux

d écarter toute règle procédurale nationale qui pourrait avoir pour effet de

priver les justiciables d une protection immédiate et effective de leurs droits,

fût-ce à titre temporaire, dans l attente du jugement définitif sur l existence de

la violation du droit communautaire : « la pleine efficacité du droit

communautaire serait diminuée si une règle du droit national pouvait

empêcher le juge saisi d un litige régi par le droit communautaire d accorder

107
des mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision

juridictionnelle à intervenir sur la base des droits invoqués en application du

droit communautaire » (CJCE, 19 juin 1990, Factortame). Cette jurisprudence a

été confirmée et précisée dans la mesure où le juge communautaire a admis la

possibilité de prononcer un sursis à exécution dans le cas d actes nationaux

conditionnant l application du droit communautaire (CJCE, 21 févr. 1991,

Zuckerfabrik).

d) Le relevé d office des moyens tirés du droit communautaire

Cela correspond à la faculté et/ou l obligation, pour les juridictions

nationales, de soulever d office un moyen tiré de la violation du droit

communautaire. A cet égard, la Cour a d abord jugé que le droit

communautaire ne s opposait pas à ce qu un juge national décide d apprécier

d office la compatibilité d une réglementation nationale avec le droit

communautaire, ou d interpréter le droit national en conformité avec le droit

communautaire (CJCE 11 juill. 1991, Verholen).

Le juge communautaire européen a tenu par la suite à respecter le

droit procédural national, en admettant que chaque fois que le droit interne

oblige à relever un moyen d office, la même obligation s impose s agissant des

moyens tirés des règles contraignantes du droit communautaire. Il admet

néanmoins que, dès lors que le droit processuel national interdit au juge de

soulever d office un moyen, le droit communautaire n impose pas au juge

108
interne de relever d office les moyens tirés du droit communautaire (CJCE, 14

déc. 1995, Van Schijndel). Cette dernière solution doit cependant être

nuancée : certains arrêts de la Cour de justice poussent à penser que le juge

communautaire tient à limiter l obligation pour le juge national de relever

d office l application des règles communautaires aux seules hypothèses où

seraient en cause des dispositions fondamentales du droit communautaire

(CJCE, 1er juin 1999, Eco Swiss).

3. La responsabilité de l État du fait de la violation du droit


communautaire
Cette question n'a pour l'instant pas connu de développements
significatifs en droit communautaire africain.
En droit communautaire européen, l idée selon laquelle la violation

du droit communautaire par les autorités nationales est de nature à engager la

responsabilité de la puissance publique a été solennellement consacrée par

l arrêt Francovich et Bonifaci du 19 nov. 1991 : « les EM sont obligés de

réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit

communautaire qui lui sont imputables ». En l espèce, le défaut de

transposition par l Italie d une directive constituait le fait générateur de la

responsabilité.

Le raisonnement de la Cour est en substance le suivant : le principe

de la responsabilité de l État pour les dommages causés aux particuliers par des

violations de la législation communautaire qui lui sont imputables est

109
« inhérent au système du traité » ; et le droit à réparation « trouve directement

son fondement dans le droit communautaire ».

Un autre principe a été également mis en exergue, accentuant ainsi

l emprise des contraintes du droit communautaire sur l autonomie des régimes

nationaux de responsabilité. La Cour a ainsi affirmé que le principe du droit à

réparation en cas de violation du droit communautaire « est valable pour toute

hypothèse de violation du droit communautaire par un EM, et quel que soit

l organe de l EM dont l action ou l omission est à l origine du manquement »

(CJCE, 3 mars 1996, Brasserie du Pêcheur et Factortame). C est dans le

prolongement de ce principe qu il a été récemment considéré que la

responsabilité pouvait être engagée du fait de la violation du droit

communautaire par une juridiction suprême. En effet, il découle de l arrêt de la

CJCE, 30 septembre 2003, Köbler c/ Autriche, que : « Le principe selon lequel

les EM sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les

violations du droit communautaire qui leur sont imputables est également

applicable lorsque la violation en cause découle d une décision d une

juridiction statuant en dernier ressort… ».

Cet arrêt vient d être confirmé par la Cour (13 juin 2006, Traghetti

del Mediterraneo c/ Italie) : cette responsabilité ne peut être limitée aux seuls

cas du dol et de la faute grave du juge si une telle limitation conduisait à

exclure l engagement de cette responsabilité dans les cas où une

110
méconnaissance manifeste du droit communautaire a été commise. Elle peut

être engagée lorsque la violation manifeste du droit communautaire résulte

d une interprétation des règles de droit ou d une appréciation des faits et des

preuves.

Les conditions d engagement de la responsabilité.

La responsabilité de l État est engagée dès lors que trois conditions

sont remplies : le résultat prescrit par la norme communautaire doit comporter

l attribution de droits au profit des particuliers, la violation doit être

suffisamment caractérisée, et il doit exister un lien de causalité entre la

violation de l obligation qui incombe à l État et le dommage subi par la victime

de la violation.

Si les première et troisième conditions sont aisément

compréhensibles, il n en est pas de même de celle qui a trait à l exigence d une

violation suffisamment caractérisée. Dans l arrêt Brasserie du Pêcheur et

Factortame, la Cour la définit comme « une méconnaissance manifeste et grave

par un EM ou par une institution communautaire des limites qui s imposent à

son pouvoir d appréciation ». La violation est sans nul doute toujours

caractérisée en cas de non ‒transposition d une directive (8 oct. 1996,

Dillenkoffer) ; hypothèse qui se distingue de la transposition incorrecte qui doit

donner lieu à une appréciation de la marge d appréciation laissée à l État. Ce

111
n est que lorsque le texte communautaire laisse à l EM une certaine marge

d appréciation que la Cour exige une violation caractérisée.

Dans l arrêt Köbler de 2003, la Cour considère qu afin de déterminer

si la violation est suffisamment caractérisée lorsque la violation en cause

découle d une décision d une juridiction suprême, « le juge national compétent

doit, en tenant compte de la spécificité de la fonction juridictionnelle,

rechercher si cette violation présente un caractère manifeste ».

La réparation s effectue dans le cadre du droit national. En effet, le

principe d équivalence impose aux États de traiter les réclamations dans ce

domaine de la même manière que les réclamations fondées sur la violation du

droit interne. Cependant, le principe d effectivité leur impose d écarter toute

règle nationale qui rendrait l obtention de la réparation impossible voire

excessivement difficile.

Cas de la prise en compte de cette jurisprudence par les

juridictions françaises. Le CE avait à l'origine opté pour l application du

régime général de la responsabilité administrative (ass., 28 févr. 1992, Arizona

Tobacco Products et SA Philip Morris France), mais avait semblé éprouver plus

de difficulté à reconnaître sans équivoque la responsabilité du législateur

(notamment la seule base de la violation du droit communautaire) (Aff. des

tabacs : responsabilité de l État engagée à l égard de sociétés importatrices de

tabacs, en raison du préjudice que leur a causé l application d un décret du 31

112
déc. 1976, fixant les prix de vente des tabacs selon des modalités

incompatibles avec les objectifs d une directive du 19 déc. 1972 ; or l illégalité

de ce décret était la conséquence de l incompatibilité avec la directive de la loi

en application de laquelle il avait été pris). La même perspective se retrouve

dans un jugement récent du TA Paris, 7 mai 2004, Assoc. France Nature

Environnement, dans lequel le juge accepte d engager la responsabilité de

l État pour la non compatibilité des arrêtés ministériels ou préfectoraux fixant

les dates d ouverture et de fermeture de la chasse avec les objectifs de la

directive de 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages ; et refuse de

l engager pour l incompatibilité avec le même texte de la loi du 3 juillet 1998

sur la chasse : « il n appartient pas au juge administratif d engager la

responsabilité de l État sur le fondement d une faute du législateur du fait de

l adoption de lois qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs d une

directive communautaire ».

Il faut dire cependant que la CAA Paris a été plus audacieuse en

reconnaissant la responsabilité de l État (1er juill. 1992, Sté Jacques Dangeville,

s il évite le terme de faute, l arrêt déclare l État responsable en raison du

caractère illicite de la situation créée par la non-adaptation d une loi fiscale

aux objectifs d une directive) ; mais le CE a soigneusement évité de se

prononcer sur le bien-fondé de cette solution en cassant l arrêt d appel pour

des raisons procédurales (30 oct. 1996, Dangeville). Soulignons que la France a

113
été récemment condamnée dans cette affaire par la Cour EDH, se fondant sur

l absence d un recours effectif devant le juge français. La Cour a jugé que la

directive non transposée étant d effet direct, devait servir de fondement à

l action en responsabilité engagée par la société requérante. Elle contribue

ainsi à une application effective du droit communautaire (Cour EDH, 16 avr.

2002, SA Dangeville c/ France).

Le TA de Clermont-Ferrand s est montré quant à lui beaucoup plus

audacieux en n hésitant pas à établir la responsabilité de l État « sur le

fondement d une faute du pouvoir législatif » du fait de la violation du droit

communautaire (23 sept. 2004, SA Fontanille). Ce n est cependant pas cette

voie qu a récemment empruntée le CE.

La haute juridiction administrative a plutôt opté pour un régime de

responsabilité sui generis, de type objectif dans son arrêt d ass., 8 février 2007,

M. Gardedieu : RFDA 2007, p. 361 : « Considérant que la responsabilité de

l'État du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le

fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer

la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette

loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est

demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors,

être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés,

d'autre part, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le

114
respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour

réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi

adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ».

En dernier lieu, le CE français s est rapproché de la logique de la

jurisprudence Köbler dans son arrêt du 18 juin 2008, Gestas : « En vertu des

principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une

faute lourde commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle par une

juridiction administrative est susceptible d'ouvrir droit à indemnité. Si l'autorité

qui s'attache à la chose jugée s'oppose à la mise en jeu de cette responsabilité

dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la

décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la

responsabilité de l'État peut cependant être engagée dans le cas où le

contenu de la décision juridictionnelle est entaché d'une violation manifeste

du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux

particuliers ».

Section 2 - La mise en articulation du droit national avec le droit

communautaire

L objectif dans cette section est de mettre en valeur ce qu il convient

de qualifier avec le Professeur Joël RIDEAU de « dimension étatique » de la

construction communautaire. La mise en articulation ici postulée permet de

faire l esquisse d'un droit national de l'intégration communautaire en Afrique

115
francophone ; droit national qui constitue à la fois l'expression d'une liberté et

la traduction d'un engagement. Dans cette mesure, l'on peut identifier un

ensemble de dispositifs normatifs et institutionnels organisant les relations de

ces États avec les systèmes juridiques mis en place au niveau communautaire.

Il y aurait ainsi d'une part des dispositifs normatifs d'habilitation de la

participation de l'État à la construction communautaire (droit national

d'habilitation de l'engagement communautaire de l'État) et, d'autre part, des

mécanismes normatifs et institutionnels de mise en œuvre du droit

communautaire dans l'ordre juridique interne (droit national d'exécution du

droit communautaire).

& 1. Le droit national d'habilitation du droit communautaire

Il s agit ici de rechercher quels sont les fondements de la

participation de l État à la construction communautaire. On retrouve à ce stade

les considérations tenant à la légitimation constitutionnelle de l engagement

communautaire de l État. De ce point de vue, on note d une part la prégnance

de la volonté de l État, qui déteint d autre part sur l appréhension

constitutionnelle banalisée ou singulière de l engagement communautaire de

l État.

A) Une expression de la volonté de l État

En droit des relations extérieures comme en droit communautaire, la

volonté de l État légitime son engagement dans l ordre externe. Elle se traduit

116
généralement par l'expression formelle des autorités habilitées au sein de l'État

à nouer, notamment par conventions, des relations avec d'autres entités

étatiques ; processus que le doyen Maurice KAMTO traduit par les

consentements d'attestation et d'engagement (« La volonté de l Etat en droit

international », Recueil des Cours de l Académie de Droit International (RCADI)

2004, vol. 310). Cette considération ne constitue, en d'autres termes, que la

manifestation de l'affirmation selon laquelle, et comme l a souligné la CPJI

dans son arrêt de 1923, affaire du Vapeur Wimbledon, « la faculté de

contracter des engagements internationaux est précisément un attribut de la

souveraineté de l État ». Par conséquent, et en empruntant à la formule du

Tribunal constitutionnel allemand, les États demeurent les « maîtres des

traités ». Cette approche consensualiste peut se vérifier à un double point de

vue.

Elle est d'abord perceptible dans le fait que l'engagement

communautaire de l'État, dans la plupart des pays d'Afrique noire francophone,

a pour principal vecteur les dispositions constitutionnelles relatives aux traités

et accords internationaux. Il s'agit là d'une constante du « droit constitutionnel

international » de ces États, qui est révélatrice de l'incontestable « classicisme

des procédures... » en matière de répartition des compétences internationales.

Sans avoir à trop insister, l'observation générale de la plupart de ces

Constitutions montre que c'est le Président de la République qui est la

117
principale autorité habilitée à engager l'État au plan international, et donc dans

le cadre de la construction communautaire. C'est ainsi par exemple que lui est

reconnue la mission générale de garant du respect des traités et accords

internationaux, ou encore que lui revient la compétence de négocier et de

ratifier les traités, y compris communautaires.

Pour ce qui concerne en particulier les traités instituant les

Communautés économiques régionales, la compétence présidentielle de

ratification ou d'approbation des engagements internationaux est subordonnée

à l'autorisation préalable du Parlement. En effet, ces engagements peuvent être

qualifiés de « traités relatifs à l'organisation internationale » et ressortissant de

ce fait à la prérogative constitutionnelle reconnue au Parlement. Il apparaît

significatif dans cette mesure de mettre en valeur la considération selon

laquelle la volonté de l'État contraint le droit national d'habilitation de

l'engagement communautaire à emprunter la même porte d'entrée

constitutionnelle que les engagements internationaux classiques.

Il faut ensuite préciser que cette même volonté de l'État est prégnante

dans le processus d'adoption et de révision des traités communautaires. En

effet, à l'exception notable du traité CEDEAO révisé1, tous les autres

engagements communautaires font une place exclusive au consensus voire à

1
L'article 89 du traité CEDEAO révisé à Cotonou en 1993 et l'article 4 du protocole additionnel du 11 juin 2006
portant amendement de ce traité subordonnent l'entrée en vigueur à l'accomplissement des formalités appropriées
en la matière par 9 États membres.

118
l'unanimité. C'est ainsi qu'ils doivent être signés ou révisés par l'ensemble des

États membres, et que leur entrée en vigueur est subordonnée à la ratification

par les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives. A ce

sujet, le traité révisé CEMAC de juin 2008 prévoit respectivement que : les

modifications des traités ou des conventions subséquentes « entrent en vigueur

après avoir été ratifiées par tous les États membres en conformité avec leurs

règles constitutionnelles respectives » (article 57, alinéa 3) ; « Le présent traité

sera ratifié à l'initiative des Hautes parties contractantes, en conformité avec

leurs règles constitutionnelles respectives » (article 66). L'autonomie

constitutionnelle des États membres, et au final leur liberté souveraine, est

ainsi sauvegardée. Ce diagnostic est conforté par la possibilité qui est ouverte à

tout État membre de dénoncer ou de se retirer volontairement du traité

communautaire2.

L'horizon du droit national d'habilitation demeure donc rivé, sous

l'influence de la volonté de l'État, vers les règles classiques du droit des traités.

Nonobstant ses contours quasi indépassables, cet horizon peut composer,

s agissant de l engagement communautaire, avec l existence d un fondement

constitutionnel, plus ou moins en adéquation avec la spécificité du droit de

l intégration.

2
Articles 107 du traité UEMOA révisé, 91 du traité CEDEAO révisé, 91, paragraphes 1 à 3 du traité CEEAC et 58
du traité CEMAC révisé.

119
B) Le droit national d habilitation, entre banalisation et

singularisation

La question qui se pose en l espèce est celle de l existence ou non de

clauses constitutionnelles d intégration. Autrement dit, existe-t-il des

dispositions constitutionnelles habilitant, de façon spécifique, l État à conclure

des traités communautaires ? Cette question est d'autant plus essentielle que

« les organes compétents, les procédures à utiliser pour la mise en œuvre du

droit communautaire sont déterminés par les prescriptions constitutionnelles

étatiques ». De plus, envisager ici d'évoquer ces normes constitutionnelles

d'habilitation de l'engagement communautaire des États c'est postuler qu'elles

conduisent à « renforce[r] à la fois l'ancrage juridique et la légitimité politique

de [leur] participation [à l'intégration communautaire] ». A ce propos, deux

catégories d habilitation peuvent être dégagées de la mobilisation des

Constitutions des États d Afrique noire francophone ; les unes emportant

relative singularisation des processus d'intégration et les autres valant

banalisation de l'intégration communautaire.

La première approche est la plus dominante, celle qui accorde une

place relativement singulière à l'intégration communautaire. A cet égard, les

préambules de plusieurs Constitutions, notamment d'Afrique de l'Ouest (Bénin,

Niger ou Sénégal) réaffirment l'attachement à l'unité africaine et s'engagent « à

tout mettre en œuvre pour réaliser l'intégration régionale et sous régionale ».

120
Dans le prolongement de ces proclamations préambulaires, les constituants

concernés ont prévu des clauses d'intégration rédigées ainsi qu'il suit : « La

République du Sénégal peut conclure avec tout État africain des accords

d'association ou de communauté comprenant abandon partiel ou total de

souveraineté en vue de réaliser l'unité africaine »3, ou encore « La République

du Bénin, soucieuse de réaliser l'unité africaine peut conclure tout accord

d'intégration sous régionale ou régionale... »4.

Cette clause constitutionnelle d'intégration a fait l'objet d'une

interprétation souple visant à juger compatible avec la souveraineté

internationale de l'État la participation du Bénin aux différentes entreprises

d'intégration régionale ou sous régionale.

En effet, saisi par le Président de la République du traité OHADA

signé à Port-Louis le 17 octobre 1993, la Cour constitutionnelle du Bénin a

considéré que ce traité d'intégration ne contenait aucune clause contraire à la

Constitution, se fondant sur une approche souple de la souveraineté de l'État5.

En effet, si elle reconnaît que certaines stipulations (compétences reconnues à

la Cour commune de justice et d'arbitrage, dessaisissement de certaines

institutions nationales, etc.) constituent un abandon partiel de souveraineté, la

3
Article 96, alinéa 3 de la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001 révisée ; voir aussi l'article 172 de la
Constitution de la VIIème République du Niger en date du 25 novembre 2010.
4
Article 149 de la Constitution du Bénin du 11 décembre 1990 modifiée.
5
Décision DCC 19-94 du 30 juin 1994, Président de la République.

121
Cour affirme d'une part « qu'il n'en résulte pas cependant changement de statut

international du Bénin en tant qu'État souverain et indépendant » (considérant

8) et considère d'autre part ‒ suite à une interprétation combinée du préambule

et de l'article 149 - « que la réalisation de l'Unité africaine implique

nécessairement un abandon et à tout le moins une limitation de souveraineté ;

qu'une telle limitation ou un tel abandon partiel de souveraineté a un

fondement constitutionnel... » (considérant 10).

Soulignons au demeurant que la position de la Cour constitutionnelle

rejoint, à certains égards, celles adoptées d'une part par le Conseil

constitutionnel sénégalais et d'autre part par la Cour suprême de justice de

République démocratique du Congo. Pour le premier, le préambule de la

Constitution fonde d'éventuels abandons de souveraineté, et en tout état de

cause le traité OHADA s'assimile « non pas à un abandon de souveraineté, mais

[à] une limitation de compétences qu'implique tout engagement unilatéral »6.

Quant à la seconde, elle a jugé ‒ se fondant sur l'article 217 de la Constitution7

‒ que les stipulations conventionnelles incriminées doivent être analysées

comme « des clauses de transfert de compétences et de limitation de

6
Conseil constitutionnel sénégalais, 16 décembre 1993 : Recueil Pénant, n° 827, mai-août 1998, pp. 225-234,
note A. Sall.
7
Aux termes de l'article 217 de la Constitution de 2006 : « La RDC peut conclure des traités ou accords
d'association ou de communauté comportant un abandon partiel de souveraineté en vue de promouvoir l'Unité
africaine ».

122
souveraineté des États membres au profit de l'OHADA »8. Au vu de ces

décisions, il ne fait pas de doute que le constituant béninois a, comme certains

autres en Afrique francophone, « préparé un terrain juridique propice à

l'intégration ».

Sous une forme moins offensive, plusieurs États membres de la

CEMAC prévoient dans leurs Constitutions la possibilité de conclure des

accords d'association, de coopération ou d'intégration. C'est ainsi que l'article

115 de la Constitution gabonaise de 1991 révisée dispose que : « La République

conclut souverainement les accords de coopération ou d'association avec

d'autres États. Elle accepte de créer avec eux des organismes internationaux de

gestion commune, de coordination ou de libre coopération »9. Sur cette base, la

Cour constitutionnelle gabonaise a pu exercer un contrôle peu approfondi de

l'Acte Constitutif de l'Union africaine, en déclarant que : « Considérant qu'il

résulte de l'examen du texte de l'Acte constitutif de l'Union africaine, d'une

part, que celui-ci constitue un traité ou accord au sens des articles 113 à 115

de la Constitution et, d'autre part, que ledit texte ne comporte aucune clause

contraire à la Constitution »10 ; sans aucun éclairage quant aux motifs

8
Cour suprême de justice de RDC, décision n° R.CONST.112/TSR, 5 février 2010, comm. Marcel
WETSH'OKONDA KOSO, www.la-constitution-en-afrique.org/8-categorie-10195444.html
9
Voir, pour des formules proches, les articles 218 de la Constitution tchadienne de 1996 révisée et 182 de la
Constitution congolaise du 20 janvier 2002.
10
Décision n° 009/CC du 13 juin 2001 relative à la loi n° 003/2001 autorisant la ratification de l'Acte constitutif de
l'Union africaine. Voir de manière générale.

123
conduisant à cette déclaration de non contrariété. Ce qui incline à penser que

la Cour considère la clause de l'article 115 comme habilitant l'État à conclure

des traités instituant des organisations d'intégration régionale ou sous

régionale.

La seconde catégorie se rapporte aux États qui ne prévoient dans

leurs Constitutions aucune clause d'intégration. De ce point de vue, l'on a pu

considérer que les formules figurant dans les préambules pouvaient servir de

fondement implicite à l'engagement communautaire. Il en est notamment ainsi

du préambule de la Constitution togolaise de 1992 révisée qui proclame que le

Peuple togolais s'engage « à défendre la cause de l'unité nationale, de l'unité

africaine et à œuvrer à la réalisation de l'intégration sous régionale et

régionale ». Moins expressif à l'égard de l'entreprise d'intégration

communautaire est la Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 révisée.

En effet, il faut souligner que l'option assimilationniste du constituant

camerounais transparaît clairement de certains énoncés du préambule. Il en est

ainsi du passage suivant : « ...convaincu que le salut de l'Afrique se trouve dans

la réalisation d'une solidarité de plus en plus étroite entre les peuples africains,

[le Peuple camerounais] affirme sa volonté d'œuvrer à la construction d'une

Afrique unie et libre, tout en entretenant avec les autres nations du monde des

relations pacifiques et fraternelles conformément aux principes formulés par la

Charte des Nations Unies ». S'il s'agit là incontestablement d'un marqueur

124
international de la Constitution camerounaise, il n'en demeure pas moins ‒

ainsi que l'ont montré certains auteurs ‒ que nous sommes en présence d'une

forme de « profession de foi internationaliste » ou encore de « ...la

sanctification de la coopération à l'échelle africaine ».

Un tel énoncé constitutionnel peut certes servir de fondement

implicite à l'engagement communautaire du Cameroun, mais il ne peut

constituer une véritable clause constitutionnelle d'intégration. Il a pu être à cet

égard soutenu que dans le texte constitutionnel camerounais, « aucune

référence n'est faite à l'intégration régionale ou la mise en place d'organismes

intergouvernementaux », ou encore que cette loi fondamentale est « ...muette

sur la question et ne consacre spécifiquement aucun titre, chapitre ou article

aux conventions d'association ou d'intégration ».

Dans la mesure où les clauses d'intégration permettent de mesurer le

« degré d'ouverture des Constitutions nationales au phénomène

communautaire... », il n'est pas exagéré de penser que l'option assimilationniste

sus-évoquée tient vraisemblablement à la culture principalement

internationaliste des « rédacteurs » de la Constitution camerounaise. Une mise

en adéquation de cette dernière avec les processus d'intégration

communautaire apparaît de ce point de vue nécessaire. En effet, et

paraphrasant les termes d'un rapport parlementaire concernant la situation de

la France avant la révision constitutionnelle de 1992, « il semble paradoxal […]

125
qu'en dépit de l'ancienneté de l'engagement [camerounais] dans la construction

communautaire, et des incidences chaque jour croissantes que celle-ci entraîne

dans l'ordre juridique interne, le système communautaire ne tire finalement sa

force en droit interne que des dispositions très générales de la Constitution en

matière de traités internationaux ».

En tout état de cause, l existence du droit national d habilitation de

l engagement communautaire de l État est donc indéniable, même si l on peut

considérer qu il est à géométrie variable. La prégnance de la volonté de l État

soulignée plus haut peut, à certains égards, se retrouver dans le processus de

fabrique du droit communautaire dérivé ; où l on peut déceler une dose de

présence étatique (rôle moteur de la Conférence des chefs d État et de

gouvernement ; place centrale des Conseils des ministres ou Comités

ministériels dans le processus décisionnel communautaire). Tout ceci

questionne, en tout état de cause, la figure de l État comme autorité de mise en

œuvre du droit communautaire.

& 2. Le droit national d'exécution du droit communautaire

Le droit national d exécution du droit communautaire se rapporte à

la question de la mise en œuvre de ce droit de l intégration. Il s agit, à ce titre,

de prendre la mesure des implications du statut de l État membre d une

Communauté sous régionale. Cela renvoie en d autres termes à la fonction

d exécution du droit communautaire, « qui désigne l ensemble des actes

126
juridiques et matériels par lesquels les organes étatiques concourent à

l « exécution » du droit communautaire » ; exécution qui traditionnellement

recourt à des moyens normatifs (A) ainsi qu à l activité juridictionnelle (B),

étant entendu que les premiers s avèrent timorés et la seconde apparaît

retenue.

A) Les difficultés tenant à l'exécution normative

La question de l exécution normative, et a fortiori administrative, du

droit communautaire traduit quelques figures théoriques mises en valeur par la

doctrine, avec pour entrée la théorie du dédoublement fonctionnel soutenue

par G. Scelle aux termes de laquelle « les agents dotés d une compétence

institutionnelle ou investis par un ordre juridique utilisent leur capacité

fonctionnelle telle qu elle est organisée dans l ordre juridique qui les a

instituées mais pour assurer l efficacité des normes d un autre ordre juridique

privé des organes nécessaires à sa réalisation ». Par la suite a été privilégié le

principe d administration indirecte qui implique que la mise en œuvre

normative du droit communautaire revient aux États membres conformément à

leurs règles procédurales. On répond ainsi à un impératif démocratique et de

subsidiarité, car « le recours aux « moyens étatiques » aux fins de mise en

application du droit communautaire […] présente un avantage indéniable qui

garantit leur efficacité : le droit [communautaire] est ainsi mis en œuvre « le

plus près possible du citoyen » par des moyens conformes aux exigences de

127
l État de droit ». On ne peut à ce stade qu en déduire que, pour ce qui est de

l exécution normative, la recherche d articulation entre les exigences tirées du

principe de coopération loyale et le nécessaire respect de l autonomie

constitutionnelle et procédurale des États membres est centrale.

L autonomie institutionnelle et procédurale des États membres

s impose d autant plus que les Communautés économiques régionales, y

compris en Afrique noire francophone, ne disposent pas de moyens leur

permettant de faire appliquer en droit interne le droit élaboré par les

institutions communautaires. De ce point de vue, ce principe « signifie que,

lorsque des mesures de mise en œuvre du droit [communautaire] doivent être

arrêtées par les États membres, ceux-ci se conforment aux règles qui découlent

de leur droit interne et notamment de leur droit constitutionnel, pour ce qui

concerne la détermination des organes compétents et des procédures à

utiliser ». Les États membres sont ainsi libres de recourir à l instrument

juridique de leur souhait pour mettre en œuvre le droit communautaire ; ce

dernier étant indifférent à la distinction classique en droit interne entre la loi et

le règlement.

Cependant, cette autonomie procédurale doit être conciliée avec

l exigence de coopération loyale ; ce que donne à voir par exemple l article 5,

paragraphe 2 du traité CEDEAO révisé qui stipule que « Chaque État membre

s engage à prendre toutes les mesures appropriées, conformément à ses

128
procédures constitutionnelles, pour assurer la promulgation et la diffusion des

textes législatifs et réglementaires nécessaires à l application du présent traité ».

Le principe de loyauté communautaire est par ailleurs décliné à l article 4 traité

CEMAC révisé dans les termes suivants : « Les États membres apportent leur

concours à la réalisation des objectifs de la Communauté en adoptant toutes

mesures générales ou particulières propres à assurer l exécution des obligations

découlant du présent traité. A cet effet, ils s abstiennent de prendre toute

mesure susceptible de faire obstacle à l application du présent traité et des

actes pris pour son application »11. Ainsi formulé, le principe de coopération

loyale, comme l a mis en exergue le professeur Anne LEVADE, implique une

double obligation : « positive à la charge des États membres […] qui se traduit

par un pouvoir général d exécution du droit communautaire… », et « négative

qui les oblige à s abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la

réalisation des buts du traité ».

Tout ceci impose aux États membres d une Communauté d adapter

leurs systèmes normatifs et institutionnels, à commencer par les structures

gouvernementales qui doivent traduire leur engagement communautaire. Cette

approche a été par exemple retenue par l Acte additionnel n 18/CEMAC-CCE-

O9 du 25 juin 2008 portant adoption du principe de la mise en place

11
Ce principe de loyauté communautaire a été précisé par la Cour de justice des Communautés européennes, 22
octobre 1998, Kellinghusen, aff. C-36/97 et C-37/97, Rec. I-6337 : « Selon une jurisprudence de la Cour, les
relations entre les États membres et les institutions communautaires sont régies […] par un principe de
coopération loyale. Ce principe oblige […] les États membres à prendre toutes les mesures propres à garantir la
portée et l’efficacité du droit communautaire ».

129
généralisée des ministères chargés de l intégration régionale au sein des

gouvernements des États membres de la CEMAC ; texte qui invite les États

membres à mettre en place une structure nationale chargée des questions

d intégration, au sein de laquelle serait prévue une Cellule interministérielle

dédiée au suivi des questions d intégration. A ce propos, et concernant de

manière générale les structures gouvernementales des États d Afrique noire

francophone, il faut reconnaître qu une telle recommandation est assez

largement prise en compte. De façon plus précise, les questions d intégration

régionale ou africaine sont souvent rattachées au ministère des affaires

étrangères (Gabon, Tchad, Niger notamment).

Pour le reste, l adaptation institutionnelle et normative des ordres

juridiques nationaux semble encore timorée. En effet, la « face institutionnelle

du droit [national] de l intégration » comme « l adaptation de l État à son statut

d État membre » ne sont pas encore assez visibles. Cela implique de mettre en

place : des organes de suivi, de veille et d analyse juridico-politique (adaptation

de l administration centrale, commissions parlementaires chargées

spécialement des questions d intégration), des organes spécifiques de

projection (assurant la représentation des intérêts étatiques dans les

mécanismes complexes de prise de décision et de mise en œuvre du droit

communautaire), d un Secrétariat général chargé des questions d intégration

130
(assurant principalement la coordination interministérielle dans le processus

d élaboration et d exécution du droit communautaire).

En matière d exécution normative et administrative, on est loin

d assister ‒ hors certains domaines de l intégration ‒ à un véritable réflexe

communautaire dans l élaboration des législations et réglementations

nationales. Ceci est notamment dû à une insuffisante culture de l intégration

voire à une absence de volonté politique des États. Est significative à cet égard

la non-application par certains États de l Acte additionnel n 01/13-CEMAC-

070U-CCE-SE du 25 juin 2013 portant suppression du visa pour tous les

ressortissants de la CEMAC circulant dans l espace communautaire, à partir du

1er janvier 2014. Il n est donc pas aisé à l heure actuelle de mesurer le taux

comme la qualité de la mise en œuvre du droit communautaire par les États

d Afrique francophone. En effet, on peine à voir la traduction concrète des

principes d équivalence (les mêmes règles doivent être applicables en matière

d application du droit communautaire qu en matière d application du droit

national) et d effectivité (les mesures nationales ne rendent pas impossible ou

particulièrement difficile l exercice des droits issus du droit communautaire).

L impression qui prédomine alterne entre la piètre discipline communautaire

des États et l existence, certes réelle, d un droit national de l exécution du droit

communautaire, mais encore largement « souterrain ». En tout état de cause, ce

rôle communautaire des EM est central dans l effectivité et l application

131
uniforme du droit de l intégration ; une telle considération n est pas étrangère à

l office du juge national.

B) Les limites de l'exécution juridictionnelle

Les juges nationaux au contact du droit communautaire n exercent

plus seulement un office de pur droit interne. On parle dans cette mesure de

juridictions nationales, juges de droit commun du droit communautaire. Ce

rôle a par exemple été remarquablement mis en exergue par le juge

communautaire européen dans son arrêt Administration des douanes de l État

c/ SA Simmenthal du 9 mars 1978 : « Tout juge saisi, dans le cadre de sa

compétence, a, en tant qu organe d un EM, pour mission de protéger les droits

conférés aux particuliers par le droit communautaire ». Cette affirmation

communautaire a été par ailleurs reprise par certains juges européens, à l'instar

du Conseil d'État français qui considère que la juridiction administrative est

« ...juge de droit commun de l'application du droit communautaire... »12.

A ce propos, l'on peut formuler l'hypothèse qu'en Afrique noire

francophone, « le rôle communautaire des juridictions nationales » n'a pas

encore été appréhendé à sa juste mesure ; alors même qu'il est impliqué par

l'affirmation du principe de primauté du droit communautaire présenté plus

haut (art. 44 CEMAC, 6 UEMOA et avis de la Cour de justice de l'UEMOA n

001/2003 du 18 mars 2003). Or, nos investigations ne nous ont pas permis

12
Conseil d'Etat français, ass., 30 octobre 2009, Mme Perreux.

132
d'identifier des prises de position de juridictions nationales reconnaissant la

primauté du droit communautaire, notamment sur le fondement de l'autonomie

de cet ordre juridique d'intégration. Une telle situation est peut-être inhérente

au tropisme national de la plupart des juridictions concernées, qui ont du mal à

rendre inapplicables une norme législative ou réglementaire nationale pour

cause de contrariété avec le droit communautaire. Autrement dit, l instrument

du contrôle de « communautarité » n est pas encore suffisamment utilisé,

excluant par conséquent l'existence d'un contentieux spécifique des actes

nationaux d'exécution du droit communautaire.

Quelques solutions du juge judiciaire camerounais peuvent tout de

même être relevées :

- TPI de Yaoundé, ordonnance de référé n 200/c du 30 novembre

2000 : « Tout juge national saisi dans le cadre de sa compétence a l'obligation

d'appliquer intégralement le droit communautaire et de protéger les droits que

celui-ci confère aux particuliers en laissant inappliquée toute disposition

éventuellement contraire de la loi nationale, qu'elle soit antérieure ou

postérieure » ;

- Cour suprême, 15 juillet 2010, arrêt n 21/civ., Michel Zouhair

Fadoul c/ Omaïs Kassim Selecta SARL : « Attendu qu'il ressort de cette

disposition constitutionnelle [article 45] une hiérarchie des normes qui

consacre la primauté des conventions internationales ratifiées par le Cameroun

133
sur la norme interne ; que le juge national en tire son investiture à exercer le

contrôle de la conventionnalité des dispositions de la loi interne pour faire

prévaloir le traité sur celles-ci au cas où elles lui sont contraires ; qu'ainsi, en

cas de conflit entre une convention internationale et une norme interne

contraire, la seconde est écartée du champ de contentieux de l'espèce » ;

- Cour suprême, ordonnance n 498 du 5 novembre 2013, Dame

Veuve Yamsi c/ Dame Gomdjim : « qu'en vertu de l'article 45 de la

Constitution, les traités régulièrement ratifiés et entrés en vigueur prennent

place dans la hiérarchie des normes juridiques à côté de la Constitution et au-

dessus des lois... ».

Cette retenue des juridictions des États d'Afrique noire francophone,

dans l'exercice de leur office de juge communautaire de droit commun,

s'observe aussi dans le recours au renvoi préjudiciel. En effet, cette voie de

droit permet au juge national de saisir la juridiction communautaire d'une

question préjudicielle d'interprétation ou d'appréciation de validité du droit

communautaire. Et il a été démontré que le renvoi préjudiciel contribue à

« ...assurer une interprétation et une application uniformes du droit

communautaire sur l'ensemble du territoire de la Communauté ; ensuite

faciliter l'intégration de ce droit dans les systèmes juridiques nationaux... ». Là

encore, et à notre connaissance, les juridictions nationales y ont très peu

recours, et lorsque tel est le cas, elles ne le font nullement dans la logique du

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dialogue des juges. Ainsi, la Cour de justice de l'UEMOA a-t-elle dû se déclarer

incompétente, dans son arrêt n 02/2005 du 12 janvier 2005, Cie Air France et

Syndicat des agents de voyage et de Tourisme du Sénégal, à désigner la

juridiction nationale devant connaître d'un pourvoi ainsi que le lui demandait

le Conseil d'État sénégalais, car « la compétence que le traité de l'UEMOA

attribue à la Cour de justice dans le cadre de la procédure de renvoi est

expressément celle de statuer « à titre préjudiciel ». En outre, dans un arrêt du

25 novembre 2010, École inter-Etats des douanes c/ Djeukam Michel, la Cour

de justice CEMAC a été contrainte d'affirmer que : « ...le « contentieux

préjudiciel n étant que l archétype d une justice dialogique » la Cour d appel de

Bangui qui ne dit pas en quoi la légalité de la décision n 23/CEMAC/EIED

concernée est contestée, ne met pas la Cour en l état d apprécier la validité de

cette décision. Il incombait aux juridictions centrafricaines, à partir des

indications factuelles du litige, de constater leur incompétence ratione materiae

pour connaître d un recours entrepris par un fonctionnaire de la CEMAC

contre une de ses Institutions spécialisées, et portant sur le paiement d une

indemnité de fonction ».

Au vu de ce qui précède, il est indéniable que les juridictions

nationales d'Afrique centrale et de l'Ouest peinent à maîtriser la systématique

des voies de droit communautaire. D'où les considérations en guise de

recommandations formulées par deux juges de la chambre judiciaire de la Cour

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de justice CEMAC : pour l'un, « ...une connaissance générale des principes du

droit communautaire et de son champ d'application est seule à même de

conférer au juge national, quel qu il soit, le « réflexe communautaire » sans

lequel l'application uniforme du droit communautaire ne serait qu'une vaine

exigence théorique » (juge Taty), et pour l'autre, « ...au travers de la

vulgarisation soutenue et continue des normes communautaires et du rôle de la

Cour, elle devrait parvenir à renforcer la capacité du juge national de

sauvegarder et de protéger par ses décisions les droits individuels engendrés

par des dispositions communautaires... » (juge Elenga-Ngapovo). En tout état de

cause, et comme on l a dit, la question de l existence d un droit national de

l intégration communautaire couve celle plus générale de la banalisation ou de

la spécificité du droit de l intégration communautaire. Dans le prolongement de

celle-ci, elle permet de mesurer le degré de communautarisation des droits

nationaux des pays d Afrique noire francophone. A ce dernier propos, et de

façon tout à fait réaliste, il est difficile en l'état actuel du degré d'appréhension,

par les pays d'Afrique noire francophone, de la qualité d'État membre d'une

organisation d'intégration de formuler « ...le constat de l'émergence d'un corps

de règles nationales propres aux relations organiques et normatives avec [les

Communautés dont ils sont membres] ». Que de « chemin communautaire »

restant à parcourir pour lesdits États membres, en tant que cela conditionne le

processus d'approfondissement des entreprises communautaires.

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