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Droits de la personnalité et protection des données

personnelles face aux médias et à leurs usages


Emmanuel Derieux
Dans LEGICOM 2009/2 (N° 43) , pages 123 à 138
Éditions Victoires éditions
ISSN 1244-9288
ISBN 9782351130513
DOI 10.3917/legi.043.0123
© Victoires éditions | Téléchargé le 03/07/2023 sur www.cairn.info via CNRST Rabat (IP: 196.200.131.44)

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Droits de la personnalité
et protection des données
personnelles face aux
médias et à leurs usages

L
Emmanuel Derieux
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
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’évolution des techniques, notam- sonnelles sur ou du fait de l’usage de l’Inter-
ment l’Internet, multiplie les risquesnet, la vie privée et les droits de la personna-
d’atteintes aux droits de la personna-lité peuvent être ou paraître menacés.
lité. La protection accordée à la vie privée et
D’autres voient dans leur protection une
aux données personnelles s’avère parfois atteinte à la liberté d’expression et de créa-
fort délicate. Un juste équilibre doit être éta-
tion. La diversité des points de vue (1), la
bli entre ces droits et la liberté d’expression
complexité des techniques, la dimension
et de création. Cependant, des données per- internationale de la diffusion, les incertitudes
sonnelles dites de communication, collec- relatives à la définition des notions de vie pri-
tées et transmises par l’usage de certains vée et de données personnelles et à la nature
médias, permettent d’identifier ceux qui en des droits en cause rendent toute réponse juri-
font une utilisation illégale. Elles peuvent dique délicate et l’exposent à la contestation.
ainsi servir à la protection des droits d’au- La garantie des droits des uns ne doit pas
trui. Dans tous les cas, s’ajoutent à cela, menacer la liberté des autres. Ce ne sont pour-
pour accroître les difficultés, les consé- tant pas des problèmes jusque-là inconnus. La
quences de la dimension internationale de la référence faite aux principes fondamentaux
diffusion des messages et de la nécessaire (liberté, responsabilité, équilibre des droits…)
prise en compte du droit européen. du droit des médias, auxquels les «nouveaux
De la «peopolisation», à la collecte et l’ex- médias», qui ne nécessitent en rien l’élabora-
ploitation d’informations ou de données per- tion d’un droit spécifique (2), ne devraient pas

1. Hassler, Th., « Droits de la personnalité appli- d’informer dans le cadre de la vie privée : la ten- Université Panthéon-Assas, Clés pour le siècle,
qués à la presse. Octobre 2006–novembre 2007 », tation de l’arbitraire », Légipresse, janvier-février Dalloz, 2000, p. 493-506.
Légipresse, janvier-février 2008, n° 248-II, p. 20- 2004, n° 208-II, p. 1-7.
25 ; Sergeant, P., « Les limites posées à la liberté 2. Derieux, E., « L’avenir du droit des médias »,

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LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA VIE PRIVÉE

échapper, même s’ils obligent à quelques tant être à jamais privés d’un droit de repentir
adaptations, doit permettre d’y répondre dans ou à l’oubli?
des conditions à peu près satisfaisantes pour
En 1978, face aux risques liés au développe-
tous. Plus peut-être que de l’état des tech-
ment de l’informatique, permettant la col-
niques, le défi auquel il doit être répondu est
lecte et le recoupement de données nomina-
celui de la diffusion internationale des mes-
tives, a été adoptée la loi dite « Informatique
sages et donc, en opposition, alors que le droit
et Libertés » (3), complétée en août 2004 (4).
demeure encore essentiellement national, des
droits applicables… expressions de concep- L’usage de l’Internet fait que, par ce moyen,
tions, de sensibilités et de cultures différentes. chacun peut épier les autres et, par incons-
Dans le cadre européen, une certaine harmo- cience des renseignements que, plus ou
nisation des législations nationales est assurée moins volontairement ou consciemment, il
par la jurisprudence CEDH, mais dans un sens communique sur lui-même (5), être sur-
que d’aucuns peuvent ne pas approuver. Sub- veillé, à tout instant, à de multiples fins et
sistent les difficultés de détermination de la usages (6). Dans le même temps, cependant,
juridiction compétente et de la loi applicable. les traces ou informations personnelles lais-
sées à l’occasion de l’utilisation de ces
En France, dès 1970, les abus de certains moyens informatiques, qualifiées de « don-
médias ont conduit à l’adoption des disposi- nées de connexion » ou « de communica-
tions civiles et pénales relatives à la protec- tion », permettent aussi d’identifier les
tion de la vie privée. Les premières servent auteurs des abus et peuvent, de la sorte,
également de fondement à la préservation du contribuer à leur répression ou sanction.
droit à l’image. Quoi qu’en disent certains, il
n’est pas évident qu’il en soit fait une appli- La principale difficulté à laquelle se heurte
cation rigoureuse et que l’attitude des moyens le respect des droits tient au fait que les
atteintes ne sont évidemment pas une spéci-
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de communication en ait été fondamentale-
ment changée et en soit particulièrement ficité française (7) et à la dimension interna-
gênée. Du fait de certains d’entre eux qui, au- tionale des réseaux de communication. Les
delà de l’exercice légitime de la liberté d’ex- actes peuvent être commis à peu près n’im-
pression et de création, font surtout commerce porte où et produire leurs effets dans un
de ces révélations et indiscrétions (et qui ne quelconque autre pays, quelle que soit la
devraient donc pas s’étonner que d’autres leur nationalité des personnes en cause, auteurs
opposent aussi des préoccupations d’ordre ou victimes. Le droit demeure pourtant
patrimonial), elle s’est même probablement encore essentiellement national. Se pose
accentuée et diversifiée dans les atteintes por- alors la très délicate question de la loi appli-
tées aux droits des personnes. Parfois, il est cable, de la juridiction ou autorité adminis-
vrai, des individus en quête de notoriété s’y trative compétente pour en connaître et de
montrent, au moins pour un temps, consen- l’exécution des condamnations prononcées.
tants lorsque même ils ne sont pas deman- Seules des conventions internationales ou
deurs ou complices d’indiscrétions les des instruments juridiques européens peu-
concernant! Sans doute est-il justifié de tenir vent atténuer l’impact des difficultés liées à
compte de pareille attitude. Doivent-ils pour- la disparité des droits nationaux.

3. « Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’in- écrite et audiovisuelle », Légipresse, avril 2006, tembre par Google inquiète les autorités », Le
formatique, aux fichiers et aux libertés », in n° 230-II, p. 31-36. Monde, 10 septembre 2008, p. 27 ; Rossignol, L.,
Derieux, E. et Granchet, A., Droit de la communi- 5. Jurgensen, G., « Reunion.com », La Croix, 20- « L’Allemagne cherche à lutter contre le trafic de
cation. Lois et règlements. Recueil de textes, Vic- 21 septembre 2008, p. 5. données. Internet. Les associations de défense des
toires Éditions, 7e éd., 2008, p. 221-228 (ci-des- 6. Schwartz, A., « La vie connectée de l’Homo consommateurs mettent en garde les internautes
sous : Derieux, E. et Granchet, A., Lois et communicans », La Croix, 5 août 2008. contre la “mafia” du Web », Le Monde, 21-22 sep-
règlements, Victoires Éditions). 7. Girard, L., « Chrome suscite des craintes sur la tembre 2008, p. 25 ; Vergès, M., « Un trafic de
4. Frayssinet, J., « La loi Informatique, fichiers et confidentialité des données. Internet. En Alle- données confidentielles fait scandale en Alle-
libertés modifiée et les organismes de presse magne, le nouveau navigateur Web lancé le 2 sep- magne », Le Monde, 22 août 2008…

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Rapport de synthèse

L’influence désormais déterminante du droit laissées, identifiées comme étant des infor-
européen, et notamment de la jurisprudence mations de communication (2) ou données
– pas toujours aussi « prévisible » que ce de connexion.
qu’elle exige du droit de chacun des États ! –
de la Cour européenne des droits de
l’homme (8) (CEDH), interprétée différem-
ment par les uns ou par les autres qui, selon
1. Informations communiquées
les cas, y voient une protection excessive ou Les atteintes aux droits des personnes du
insuffisante de la liberté d’expression par
fait des informations collectées et communi-
rapport à d’autres droits, peut paraître être
quées par les médias constituent le volet le
cause d’incertitudes supplémentaires ou,
plus classique du problème. Les facilités de
tout au moins, ne pas toujours recevoir la
même approbation (9). Il devrait ainsi être communication publique, désormais prati-
contribué à l’harmonisation des droits natio- quement offertes à tous, en multiplient les
naux et, par là, cherché autant à faciliter la risques. L’usage de réseaux de communica-
libre circulation des messages, d’où qu’ils tion de dimension internationale en étend la
viennent, qu’à garantir les droits des per- portée. Bien que, si ce n’est sur ce dernier
sonnes mises en cause, où qu’elles soient. aspect, le plus délicat, ne soulevant pas de
questions ou de difficultés particulières, le
Pour tenter de dégager quelques aspects de thème, en raison de son importance, méritait
ces riches et délicates questions, telles attention. Pour autant que, de préférence à
qu’évoquées à l’occasion de ce forum Légi-
des lois étrangères ou parce que contestées
presse, on s’efforcera de mettre l’accent sur
dans leur conformité aux exigences euro-
certains points (10) en considérant d’abord
péennes, elles soient applicables, il convient
les éléments constitutifs d’atteintes aux
droits des personnes (I), puis les moyens de faire rappel des principales dispositions
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juridiques de protection des droits des per- françaises applicables. Certaines atteintes
sonnes (II). sont susceptibles d’être portées aux droits
des personnes (a). D’autres, de nature plus
spécifique, sont relatives à ce qui est quali-
fié de données personnelles (b).

a) Droits des personnes


I. ATTEINTES AUX DROITS
DES PERSONNES

Les atteintes aux droits des personnes pro- Les atteintes (11) portées aux droits des per-
viennent des informations collectées et sonnes le sont sur leur image ou la percep-
transmises par les médias, et que l’on quali- tion que le public peut avoir d’elles.
fiera d’informations communiquées (1). De D’autres, assez distinctes dans leur contenu
manière plus nouvelle, elles trouvent aussi et leurs effets mais qui y sont indirectement
leur origine dans celles qui le sont par rattachées, sont relatives aux droits des per-
l’usage même des médias et les traces ainsi sonnes sur l’image de leurs biens.

8. Derieux, E. et Granchet, A., « Droit européen et n° 30, 2004/1, 145 p. sur la presse, Victoires Éditions, 2004, 214 p. ;
international de la responsabilité des médias », 10. On renvoie évidemment aux pages qui précè- Bilger, Ph., Le Droit de la presse, PUF, 2003,
Droit des médias. Droit français, européen et dent et au compte rendu de cette journée : Gran- 127 p. ; Derieux, E. et Granchet, A., « Droit de la
international, LGDJ, 5e éd., 2008, p. 912-975 ; chet, A., « Les nouvelles frontières de la vi pri- responsabilité », Droit des médias. Droit français,
Derieux, E., Droit de la communication. Droit vée », Légipresse, novembre 2008, n° 256-II, européen et international, LGDJ, 5e éd., 2008,
européen et international. Recueil de textes, Vic- p. 161 et s. p. 435-655 ; Derieux, E., « Droit de la responsabi-
toires Éditions, 2e éd., 2006, 315 p. 11. Soumises à un droit bien connu et sur lequel lité des médias », Droit des médias, Dalloz, coll.
9. « Le droit de la communication à l’épreuve de on ne s’étendra ou ne s’attardera donc pas ici… Connaissance du droit, 3e éd., 2005, p. 95-119 ;
l’Europe : construction et résistance », Actes du même s’il est, à certains égards, contestable ! Voir Dreyer, E., Droit de l’information. Responsabilité
Forum Légipresse, 2 octobre 2003, Légicom, notamment : Bigot, Ch., Connaître la loi de 1881 pénale des médias, Litec, 2002, 454 p.

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LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA VIE PRIVÉE

– Images des personnes mineurs… Divers articles du Code pénal se


réfèrent aux « atteintes à la personnalité »
L’image des personnes, au sens qui, comme (13) (« atteinte à la vie privée » ou « à la
l’a relevé le Professeur J.-M. Bruguière, représentation de la personne ») ou aux
englobe, au-delà de la seule représentation « atteintes aux mineurs » (14). La protection
de leurs traits physiques, la perception que civile des personnes, contre les excès de cer-
le public peut avoir d’elles, leur vie privée et tains médias, est, au moins théoriquement,
leur personnalité sont susceptibles de subir assurée par les dispositions spécifiques des
de multiples attaques. Ainsi que l’a souligné articles 9 (consacrant le droit de chacun « au
M. C. Weil, directeur de la rédaction du respect de sa vie privée » et qui sert égale-
Nouvel Observateur, tout en prétendant ne ment de fondement à la protection du droit à
pas s’intéresser aux indiscrétions relatives à l’image) et 9-1 (posant le principe du « droit
la vie privée de tous ceux qui entrent dans la au respect de la présomption d’innocence »).
catégorie des people, le public en est en réa- Elle peut ou devrait également l’être sur le
lité très curieux. Les chiffres d’audience et fondement du régime général de responsabi-
de diffusion, comme des connexions sur lité (15) de l’article 1382 du Code civil. Rele-
l’Internet le montrent. Les frontières entre la vant, à l’origine, des droits de la personnalité,
presse dite « à scandale » ou « de caniveau » l’image acquiert aujourd’hui une valeur
et la presse d’information générale, sérieuse patrimoniale et peut être l’objet d’une exploi-
ou « de qualité » se brouillent. Par une sorte tation commerciale et, pour cela, protégée.
de « contamination », celle-ci subit l’in-
fluence de la première. La mauvaise presse
chasse la bonne… – Image des biens
En droit français, le principe de liberté d’ex- La prise en compte de cette nature patrimo-
pression ayant une valeur fondamentale,
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niale se retrouve à propos de l’image des
diverses dispositions assurent la définition biens. Si ce n’est au titre des droits de la per-
des éléments constitutifs d’abus et détermi- sonnalité ou du seul droit de propriété, l’at-
nent ainsi, dans le même esprit ou la même
teinte portée aux droits des personnes sur
logique (12), les conditions et les modalités
l’image de leurs biens (16) peut également
de la nécessaire conciliation de ces droits et
être sanctionnée dès lors, du moins, qu’en
intérêts, d’égale importance, qui, dans une
découle un préjudice particulier.
société démocratique, ne sont sans doute
qu’apparemment opposés. Dans la loi du
29 juillet 1881, sont ainsi considérés : les dif- b) Données personnelles
famations, les injures, les écrits et propos de
caractère raciste, xénophobe et homophobe, Les atteintes aux données personnelles, qui ne
certaines informations relatives à des indivi- menacent pas toute la vie privée, sont, en droit
dus impliqués dans des enquêtes policières et français, l’objet d’un régime spécifique déter-
des procédures judiciaires ou concernant des miné par la loi du 6 janvier 1978. Il a vocation

12. « La libre communication des pensées et des tifs d’infraction à la loi du 29 juillet 1881 », matière de presse depuis les arrêts de l’Assemblée
opinions est un des droits les plus précieux de Comm. Comm. électr., février 2006, p. 14-20 ; plénière de la Cour de cassation du 12 juillet
l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, Dreyer, E., « Disparition de la responsabilité 2000. Approche critique », Légipresse, juin 2003,
imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de civile en matière de presse », Dalloz, 2006, chron. n° 202-II, p. 71-77 et juillet 2003, n° 203-II, p. 89-
cette liberté dans les cas déterminés par la loi » 1337 ; Louvet, M.-N., « La loi de 1881 et la pos- 94.
(article 11 DDHC, de 1789). sible incompétence de la juridiction civile », Légi- 16. Bruguière, J.-M., L’exploitation de l’image
13. Articles 226-1 à 226-9 CP. presse, mai 1998, n° 151-II, p. 57-58 ; Mallet- des biens, Victoires Éditions, 2005, 205 p. ;
14. Articles 227-18 à 227-28-1 CP. Poujol, N., « De la “cohabitation” entre la loi du Dreyer, E., « Image des biens », J. Cl. Communi-
15. Carbonnier, J., « Le silence et la gloire », Dal- 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l’ar- cation, fasc. 3751 ; Kayser, P., « L’image des
loz 1951, chron. 119 ; Derieux, E., « Responsabi- ticle 1382 du Code civil », Légipresse, septembre biens », Dalloz 1995, chron. 291 ; Ravanas, J.,
lité civile des médias. Exclusion de l’application 2006, n° 234-II, p. 93-100 ; Martin-Valente, S., « L’image d’un bien saisie par le droit », Dalloz
de l’article 1382 du Code civil aux faits constitu- « La place de l’article 1382 du Code civil en 2000, chron.19.

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Rapport de synthèse

à s’appliquer à la collecte et à la diffusion de mesures de sûreté » est réglementée. Elle


ces informations ou données par les médias… est, en principe, réservée aux juridictions et
seules considérées ici. De semblables élé- à quelques autres institutions spécialement
ments existent également en droit européen. autorisées.
L’article 67 de la même loi détermine, pour
– Droit interne les médias, un régime de faveur, exposé par
Madame N. Mallet-Poujol, directeur de
L’article 1er de la loi de janvier 1978 pose recherches au CNRS. Afin de garantir la
que l’informatique « ne doit porter atteinte liberté d’information, un certain nombre de
ni à l’identité humaine, ni aux droits de dispositions « ne s’appliquent pas aux traite-
l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés ments de données à caractère personnel mis
individuelles ou publiques ». en œuvre aux seules fins : 1° d’expression lit-
téraire ou artistique ; 2° d’exercice, à titre
Aux termes de son article 2, il est précisé que professionnel » (à l’exclusion donc des
cette « loi s’applique aux traitements auto- « amateurs » (17) mais ni l’une ni l’autre de
matisés de données à caractère personnel, ces conditions n’est exactement définie et le
ainsi qu’aux traitements non automatisés de partage pourrait s’avérer délicat et, compte
données à caractère personnel contenues ou tenu des pratiques actuelles, de plus en plus
appelées à figurer dans des fichiers ». incertain !) « de l’activité de journaliste, dans
L’article 6 dispose qu’« un traitement ne le respect des règles déontologiques de cette
peut porter que sur des données à caractère profession »… sur l’existence desquelles il y
personnel qui satisfont aux conditions sui- aurait lieu de s’interroger ! L’évolution des
vantes : 1° les données sont collectées et techniques et de leurs usages brouille les
traitées de manière loyale et licite ; 2° elles frontières entre professionnels et amateurs.
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sont collectées pour des finalités détermi- Elle rend incertaine la qualification des fonc-
nées, explicites et légitimes (…) 3° elles sont tions et des genres, entre activité journalis-
adéquates, pertinentes et non excessives au tique ou création littéraire et artistique, consi-
regard des finalités pour lesquelles elles dérée, à propos des atteintes à la vie privée,
sont collectées et de leurs traitements ulté- par M. N. Bonnal. Les organes d’information
rieurs ; 4° elles sont exactes, complètes et, si se transforment en gigantesques fichiers…
nécessaire, mises à jour ». Tout manque- Le champ d’application de ce régime déroga-
ment à ces obligations constitue une atteinte toire apparaît imprécis ou pourrait, de ce fait,
aux droits des personnes. se trouver remis en cause.

Selon l’article 8, « il est interdit de collecter


ou de traiter des données à caractère per- – Droit européen
sonnel qui font apparaître (…) les origines
raciales ou ethniques, les opinions poli- Divers textes européens énoncent un tel prin-
cipe de protection des droits des personnes et
tiques, philosophiques ou religieuses ou
des données personnelles. Dans le cadre du
l’appartenance syndicale des personnes, ou
Conseil de l’Europe, la Convention de sauve-
qui sont relatives à la santé ou à la vie
garde des droits de l’homme, du 4 novembre
sexuelle de celles-ci ».
1950, consacre, en son article 8, le principe
Par l’article 9, la mise en œuvre de « traite- selon lequel « toute personne a droit au res-
ments de données à caractère personnel pect de sa vie privée ». Le 28 janvier 1981, a
relatives aux infractions, condamnations et été adoptée une Convention pour la protec-

17. Granchet, A., « Les amateurs. Création et par- du 4 octobre 2007 », Légipresse, novembre 2007, juridiques. Actes du Forum Légipresse du
tage de contenus sur Internet : Nouveaux défis n° 246-II, p. 150-155 ; « Les amateurs. Création et 4 octobre 2007 », Légicom, n° 41, 2008/1, 136 p.
juridiques. Compte rendu du Forum Légipresse partage de contenus sur Internet : nouveaux défis

LÉGICOM No 43 – 2009/2 – 127


LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA VIE PRIVÉE

tion des personnes à l’égard du traitement l’harmonisation des droits nationaux,


automatisé des données à caractère person- s’agissant de la détermination des atteintes
nel. Au sein de l’Union européenne, outre les aux droits des personnes, est, dans le cadre
principes énoncés par la Charte des droits européen, assurée par les conventions et
fondamentaux de décembre 2000, ont notam- directives évoquées ci-dessus.
ment été élaborées deux directives : l’une du
Les principales atteintes aux droits des per-
24 octobre 1995 sur la protection des don-
sonnes, vie privée et données personnelles,
nées personnelles et l’autre du 12 juillet 2002
étant ainsi identifiées, il convient d’envisa-
dite « Vie privée et communications électro-
ger les moyens par lesquels leur protection
niques » (18).
pourrait être assurée.

2. Informations
de communication II. PROTECTION DES DROITS
Outre les informations susceptibles de porter DES PERSONNES
atteinte aux droits des personnes, contenues
dans les messages diffusés par les médias, Compte tenu des attaques dont les droits des
l’usage de ceux-ci et particulièrement les personnes peuvent être l’objet, il est néces-
connexions à l’Internet offrent aux opérateurs saire d’en assurer la protection sur les infor-
la possibilité de collecter, sur leurs utilisateurs mations collectées et communiquées (1) par
et le plus souvent à l’insu de ces derniers, toute les médias, mais également d’envisager la
une série d’informations personnelles (19) que façon dont les informations de communica-
l’on qualifie «de communication». tion (2) ou données de connexion, relevées
et transmises par l’usage des médias, peu-
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L’article 3 de la loi du 30 septembre 1986 vent être utilisées dans la lutte contre les
(20) pose que « le secret des choix faits par atteintes portées aux droits d’autrui. Il ne
les personnes parmi les services de commu- suffit pas de consacrer des droits ou d’iden-
nications électroniques et parmi les pro- tifier des atteintes. Il faut considérer l’appli-
grammes offerts par ceux-ci ne peut être cation qui est faite des textes et la façon
levé sans leur accord ». dont la protection des droits des uns ou des
À ces techniques de collecte et de traitement autres est effectivement assurée.
des données à caractère personnel s’appli-
quent les diverses dispositions des
articles 6, 7 et 8, précédemment mention-
nées, de la loi de janvier 1978. Bien des
1. Informations communiquées
traces relevées et conservées, et, en tout cas, La protection des droits des personnes (au
l’utilisation qui en serait faite, de la naviga- respect de l’honneur, de la vie privée, de la
tion sur l’Internet pourraient paraître présomption d’innocence…) à l’égard des
contraires à ces dispositions. À cet égard, informations communiquées par les médias

18. « Directive 2002/58/CE du Parlement euro- annuel 1996, La documentation française, 1997 tique, aux fichiers et aux libertés », Légipresse,
péen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant (www.cnil.fr/thematics/tdoss2.htm) ; CNIL, « La novembre 2004, n° 216-II, p. 119-123 ; Frayssinet,
le traitement des données à caractère personnel et protection des données personnelles à l’heure d’In- J., « Attention, en cas d’abus le SELL peut être dan-
la protection de la vie privée dans le secteur des ternet », 18e Rapport annuel 1997, La documenta- gereux pour la contrefaçon de logiciels de jeux »,
communications électroniques », Légipresse, tion française, 1998 ; Derieux, E., « Internet et pro- Légipresse, mai 2005, n° 221-I, p. 75-78 ; Mallet-
octobre 2002, n° 195-IV, p. 87-97. tection des données personnelles », RLDI, mai 2008, Poujol, N., « Le dispositif “Informatique et Liber-
19. Andrieu, E., « Internet et la protection des p. 75-85 ; Frayssinet, J., « L’accouplement du droit tés” à l’épreuve de l’Internet », Légipresse, avril
données personnelles », Légicom, n° 21-22, de la protection des données personnelles avec le 2001, n° 180-II, p. 35-41.
p. 155 ; CNIL, « La nécessaire protection des don- droit d’auteur : la naissance d’un avorton, l’ar- 20. Voir in Derieux, E. et Granchet, A., Lois et
nées personnelles sur Internet », 17e Rapport ticle 9-4° de la loi modifiée relative à l’informa- règlements, Victoires Éditions.

128 – LÉGICOM No 43 – 2009/2


Rapport de synthèse

constitue une illustration du régime de res- et pose, lorsque ceux-ci portent atteinte aux
ponsabilité et des difficultés alors rencon- droits des personnes, la très délicate ques-
trées. Outre celles qui sont liées aux particu- tion de la détermination de la (ou des) juri-
larités de procédure (21) de la loi de 1881, diction(s) compétente(s) (22) et de la (ou
sur lesquelles on ne reviendra pas ici, il des) loi(s) applicable(s), exposée par le Pro-
convient d’évoquer, parce qu’elles sont plus fesseur J.-S. Bergé, évoquant l’« âge de
nouvelles ou d’une intensité accrue, celles pierre du droit international privé » ! En
qui conditionnent l’engagement de l’action l’absence d’accords internationaux, chaque
(a), et qui tiennent notamment à la détermi- État tente de résoudre ce problème à sa
nation de la loi applicable et des personnes façon. Rien ne lui assure l’exécution, à
responsables, et celles qui, touchant davan- l’étranger, de condamnations prononcées.
tage à des questions de fond, sont relatives à
l’issue de l’action (b), s’agissant, en fonction La première difficulté est relative à la déter-
notamment de l’identité des individus, mination de la juridiction territorialement
auteurs comme mis en cause, de l’apprécia- compétente. Quel tribunal retenir ? Celui du
tion de l’abus de la liberté d’expression et de lieu du défendeur, du fait générateur, de la
son mode de sanction. réalisation du dommage… ? La question a
été partiellement résolue ou des pistes au
moins sont offertes, en Europe, par quelques
a) Engagement de l’action accords.
L’engagement de l’action en justice visant à Dans le cadre communautaire, cela a
assurer la protection des droits des per- d’abord été, s’agissant de la mise en jeu de
sonnes sur les informations communiquées la responsabilité civile, l’objet d’une
Convention de Bruxelles, du 27 septembre
par les médias se heurte, du fait de l’Internet
1968, reprise dans un Règlement (23) du
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notamment, à deux grandes difficultés.
Celles-ci tiennent à la détermination des lois22 décembre 2000. En son article 2, celui-ci
applicables et des juridictions compétentes, pose que : « sous réserve des dispositions du
d’une part, et des personnes responsables, présent règlement, les personnes domici-
d’autre part. liées sur le territoire d’un État membre sont
attraites, quelle que soit leur nationalité,
devant les juridictions de cet État ». Mais,
– Lois applicables et juridictions définissant des compétences spéciales, l’ar-
compétentes ticle 5 dispose qu’« une personne domiciliée
La communication au public en ligne, cause sur le territoire d’un État membre peut être
d’« ubiquité du délit », accroît la dimension attraite, dans un autre État membre (…) 3)
internationale de la diffusion des messages en matière délictuelle ou quasi délictuelle,

21. Ader, B., «La procédure de presse. Novembre tribunaux français », Légipresse, janvier 2007, ternet », Petites affiches, 13 novembre 2001, p. 4-
2005-Janvier 2007», Légipresse, mai 2007, n° 240- n° 238-II, p. 1-7 ; Bergé, J.-S., « L’internationali- 15 ; Hugot, J.-Ph., « La compétence universelle
II, p. 43-47; Bigot, Ch., «Les règles de procédure sation croissante des litiges : les réponses appor- des juridictions françaises en matière délictuelle :
relatives aux infractions prévues par la loi sur la tées en matière de presse et de droit d’auteur par vers des “enfers numériques” », Légipresse,
presse», Connaître la loi de 1881, Victoires Édi- les propositions de règlement communautaire octobre 2001, n° 185-II, p. 119-123 ; Lantz, P., « À
tions, 2004, p. 149-168; Bigot, Ch., «Un an de droit “Rome II” », Légicom, n° 30, 2004/1, p. 117-125 ; propos de “Rome II” », Légipresse, septembre
processuel sur la presse», Comm. Comm. électr., Caron, Ch., « Le juge et le site Internet étranger », 2003, n° 204-I, p. 127-128 ; Lucas, A., Rapport de
février 2006, p. 8-13 et mars 2007, p. 20-25; Comm. Comm. électr., septembre 2007, p. 1 ; la Commission spécialisée portant sur la loi
Derieux, E. et Granchet, A., «Régime général de Derieux, E. et Granchet, A., « Lois applicables et applicable en matière de propriété littéraire et
responsabilité», Droit des médias. Droit français, juridictions compétentes », Droit des médias. artistique, CSPLA, décembre 2003 ; Pech, L.,
européen et international, LGDJ, 5e éd., 2008, Droit français, européen et international, LGDJ, 5e « Conflit de lois et compétence internationale des
p. 439-470; Granchet, A., «Le droit de la presse: éd., 2008, p. 913-939 ; Gautier, P.-Y., « Du droit juridictions françaises », J. Cl. Comm., fasc. 3000.
une spécialité légitime ou dépassée?», Légipresse, applicable dans le “village planétaire” au titre de 23. « Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du
novembre 2005, n° 226-II, p. 121-127. l’usage immatériel des œuvres », Dalloz, 1996, 22 décembre 2000 concernant la compétence
22. Sur ces questions, voir notamment : Albrieux, chron. 131 ; Haas, Ch., « L’omnipotence du juge judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des
S., « Internet et la compétence extraterritoriale des français de la propriété intellectuelle face à l’In- décisions en matière civile et commerciale ».

LÉGICOM No 43 – 2009/2 – 129


LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA VIE PRIVÉE

devant le tribunal du lieu où le fait domma- tuelles ». Il avait été envisagé de consacrer
geable s’est produit ou risque de se pro- – y compris à l’encontre des médias mais
duire ; 4) s’il s’agit d’une action en répara- leurs représentants sont intervenus pour
tion de dommage ou d’une action en l’empêcher – un principe jurisprudentiel
restitution fondée sur une infraction, devant dégagé par la CJCE en matière de détermina-
le tribunal saisi de l’action publique ». tion de la juridiction nationale compétente
En matière de responsabilité civile, exclusi- et de la loi applicable. La loi du pays
vement envisagée alors par l’ensemble des d’émission ou d’origine du message aurait
orateurs, même si le programme du dû servir de fondement à la réparation de
« Forum » n’était pas nécessairement aussi l’intégralité du dommage, tandis que les lois
limitatif, l’article 42 de notre Code de pro- des différents pays de réception seraient
cédure civile pose pour principe que « la retenues pour assurer la réparation des pré-
juridiction territorialement compétente est, judices soufferts dans chacun d’entre eux.
sauf disposition contraire, celle du lieu où Le problème aurait ainsi été résolu mais, tel
demeure le défendeur », c’est-à-dire du qu’adopté le 11 juillet 2007, le Règlement
siège du média à l’encontre duquel l’action (26) pose, en son article 1er, que « sont
est engagée. L’article 46 ajoute cependant exclues » de « son champ d’application (…)
que « le demandeur peut saisir, à son choix, les obligations non contractuelles découlant
outre la juridiction du lieu où demeure le d’atteintes à la vie privée et aux droits de la
défendeur (…) la juridiction du lieu du fait personnalité, y compris la diffamation ».
dommageable ou celle dans le ressort L’article 30 indique cependant que, « au
duquel le dommage a été subi ». Le juge plus tard le 31 décembre 2008, la Commis-
français a ainsi tendance à se reconnaître sion présente (…) une étude relative à la loi
compétent dès lors qu’un effet domma- applicable aux obligations non contrac-
geable est subi sur le territoire national. tuelles découlant des atteintes à la vie pri-
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vée et aux droits de la personnalité, en pre-
S’agissant de responsabilité pénale, l’ar- nant en compte les règles applicables à la
ticle 689 NCPC pose que «les auteurs ou com- liberté de la presse ainsi qu’à la liberté
plices d’infractions commises hors du terri- d’expression dans les médias ». En atten-
toire de la République peuvent être poursuivis dant, faute d’accord ou de règle supranatio-
et jugés par les juridictions françaises, soit nale applicable, chaque État résout cette
lorsque (…) la loi française est applicable, question à sa façon.
soit lorsqu’une convention internationale
donne compétence aux juridictions françaises L’article 113-2 du Code pénal pose que « la
pour connaître de l’infraction». loi pénale française est applicable aux
infractions commises sur le territoire de la
La détermination de la juridiction nationale République ». Il ajoute que l’infraction y est
compétente n’entraîne pas nécessairement réputée commise « dès lors qu’un de ses
celle de la loi applicable. Le juge saisi peut faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ».
avoir à faire application de la loi étrangère. Par ailleurs, le même Code dispose, en son
Quelques principes du droit européen
article 113-5, que « la loi pénale française
devraient contribuer à une certaine harmoni-
est applicable à quiconque s’est rendu cou-
sation des pratiques nationales en la matière.
pable sur le territoire de la République,
Un projet de Règlement européen dit comme complice, d’un crime ou d’un délit
« Rome II » (24) visait à déterminer la « loi commis à l’étranger ». Le même article
applicable aux obligations non contrac- ajoute que la loi pénale française « est appli-

24. Lantz, P., « À propos de Rome II », Légi- munication. Droit européen et international. européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la
presse, septembre 2003, n° 204-I, p. 127-128. Recueil de textes, Victoires Éditions, 2e éd., 2006, loi applicable aux obligations non contractuelles.
25. CJCE, 7 mars 1995, F. Shevill et autres c/ Sté p. 144-146.
Presse Alliance, in Derieux, E., Droit de la com- 26. Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement

130 – LÉGICOM No 43 – 2009/2


Rapport de synthèse

cable aux délits commis par des Français ou distinction n’est pas toujours clairement
hors du territoire de la République si les établie. Cela a donné lieu à une jurispru-
faits sont punis par la législation du pays où dence contradictoire. Ayant la maîtrise des
ils ont été commis ». L’article 113-6 dispose contenus des messages rendus accessibles,
enfin que « la loi pénale française est appli- les éditeurs de services en assument la res-
cable à tout crime, ainsi qu’à tout délit puni ponsabilité. Aux termes de l’article 6-III de
d’emprisonnement ». Il s’agit là d’une sanc- la loi du 21 juin 2004 (28), ils doivent, au
tion que la loi du 15 juin 2000 a pratique- moins s’ils sont installés en France, pour
ment supprimée de la loi de 1881 mais qui, cela, fournir, sur eux-mêmes, un certain
même s’il n’en est pas (fréquemment) fait nombre d’éléments d’identification. Ceux-ci
application, subsiste dans les dispositions sont très différents selon qu’il s’agit d’édi-
du Code pénal relatives aux atteintes à la vie teurs professionnels ou non profession-
privée (articles 226-1 et suivants) ou à la nels… alors que le partage entre les deux
mise en péril de mineurs (articles 227-18 et peut s’avérer délicat ! Quelle qu’en soit la
suivants) « commis par un Français ou par nature, ces services comportent normale-
un étranger hors du territoire de la Répu- ment un directeur de la publication pénale-
blique lorsque la victime est de nationalité ment responsable, dans le cadre de la mise
française ». Tout cela apparaît fort complexe en jeu de la responsabilité dite « en cas-
et ne garantit pas l’exécution, à l’étranger, cade », au sens de l’article 93-2 de la loi du
des condamnations ainsi prononcées, par les 29 juillet 1982 (29), pour celles des infrac-
juridictions considérées comme compé- tions pour lesquelles ce régime est prévu.
tentes, en application des lois retenues
comme applicables. L’harmonisation des L’article 6-I de la même loi de juin 2004
droits nationaux, sous l’influence notam- détermine les conditions de la responsabilité
ment de la CEDH, mais d’une manière qui limitée des prestataires techniques : fournis-
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peut cependant être diversement appréciée, seurs d’accès et d’hébergement. Les fournis-
en atténue les effets et les risques. seurs d’hébergement ne peuvent pas voir leur
responsabilité mise en jeu s’ils n’avaient pas
effectivement connaissance du caractère illi-
– Personnes responsables cite des informations ou si, « dès le moment
où (ils) ont eu cette connaissance, (ils) ont
La détermination des personnes civilement agi promptement pour retirer ces informa-
et pénalement responsables est, en droit tions ou en rendre l’accès impossible ». L’ar-
français, à peu près clairement résolue ticle 6-I-4 ajoute que les fournisseurs d’accès
s’agissant des messages diffusés par la voie et les fournisseurs d’hébergement « ne sont
de la presse écrite. Elle est un peu plus pas des producteurs au sens de l’article 93-2
incertaine et complexe à l’égard de la radio de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la
et de la télévision. Elle soulève une diffi- communication audiovisuelle ». De ce fait, ils
culté nouvelle pour ce qui est des contenus ne peuvent pas voir non plus leur responsabi-
accessibles par les services de communica- lité pénale engagée au titre de la « cascade ».
tion au public en ligne (27). La question n’a
L’article 6-I-7 indique encore qu’ils ne sont
pas été abordée au cours de cette journée.
pas soumis « à une obligation générale de
Elle mérite cependant d’être évoquée.
surveiller les informations qu’(ils) transmet-
Pour l’Internet, il convient de distinguer la tent ou stockent, ni (…) de rechercher des
responsabilité des éditeurs de services et faits ou des circonstances révélant des activi-
celle des prestataires techniques. La fonction tés illicites ».

27. Derieux, E., « Internet et responsabilité. 11 juillet 2008, p. 7-19. 29. Voir in Derieux, E. et Granchet, A., Lois et
Détermination des personnes responsables. Élé- 28. Voir in Derieux, E. et Granchet, A., Lois et règlement, Victoires Éditions.
ments de jurisprudence récente », Petites affiches, règlement, Victoires Éditions.

LÉGICOM No 43 – 2009/2 – 131


LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA VIE PRIVÉE

Toutes ces restrictions ne risquent-elles pas moyens financiers, ne sont-ils pas, de fait,
de limiter la possibilité de sanctionner les moins sévèrement condamnés?
atteintes aux droits de la personnalité, au
À l’identité des auteurs, on peut rattacher un
détriment de l’ordre social et des personnes
élément ou critère de distinction concernant
injustement mises en cause ? À cela s’ajoute
leur statut (journalistes traitant de faits réels
ce que l’on peut constater de ce qu’est la
ou créateurs faisant œuvre d’imagination) et,
décision rendue à l’issue de l’action.
en conséquence, le « genre » de la création
(information d’actualité ou œuvres de fiction
b) Issue de l’action empruntant partiellement à des faits et per-
sonnages réels) exploitant des éléments de la
Les difficultés de procédure franchies, il personnalité des individus en cause.
reste encore, du point de vue du fond, à tenir
C’est des «conflits entre les droits de la per-
compte, s’agissant de la protection des
sonnalité et la liberté de création et d’illustra-
droits des personnes sur les informations
tion» qu’a traité M. N. Bonnal, président de la
collectées et transmises par les médias, des
chambre de la presse du TGI de Paris. La
principes posés par les textes et de leur
liberté de création (31) permet sans doute que
application ou interprétation jurispruden-
des emprunts soient faits aux droits des per-
tielle, pour autant qu’il soit possible d’en
sonnes, mais cela ne peut pas être sans
faire une quelconque synthèse, tant en droit
limites. Il en résulte une confusion entre la
interne qu’en droit européen.
fiction et la réalité, le vrai et le faux. Dans ces
créations prenant la forme de « docu-fic-
– En droit interne tions», d’«actu-fictions», de «romanquêtes»
ou de «romans de non-fiction»… dans les-
En droit français, la conciliation entre quels toute ressemblance avec une personne
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liberté d’expression ou de création et protec- existante ou ayant existé n’est pas fortuite,
tion des droits des personnes peut paraître est-ce, comme l’a indiqué M. Bonnal, «l’ima-
dépendre, en partie, de l’identité des auteurs ginaire» qui est «contaminé par le réel» ou,
et de celle des personnes mises en cause. bien davantage et de façon beaucoup plus pré-
judiciable pour les individus concernés et
L’identité des auteurs des fautes ou des infrac-
pour le public, le réel qui l’est par l’imagi-
tions poursuivies est-elle prise en compte
naire? Pour qu’il ne soit pas porté atteinte aux
dans l’appréciation de leur responsabilité?
droits de ces personnes, il conviendrait assu-
Maître B. Ader a relevé que, dans les déci-
rément que l’auteur mette chacun à même de
sions rendues, la nature de la publication (dite
distinguer clairement ce qui relève de la fic-
«sérieuse» ou «people») n’est pas expressé-
tion et ce qui est réel. La solution sera trouvée
ment retenue. Professionnels des médias ou
dans la recherche et la prise en compte de l’in-
amateurs sont, en principe, susceptibles d’être
térêt le plus légitime: les droits du créateur, du
l’objet des mêmes sanctions. Pourtant, les
public et/ou des personnes impliquées dans
juges ne font-ils pas preuve d’une moindre
les faits ainsi exploités.
rigueur à l’égard des amateurs (30)? N’ad-
met-on pas qu’ils aient une moins bonne L’identité des personnes se prétendant
connaissance des textes et conscience de leurs atteintes dans leurs droits et leur attitude
obligations ou limites? N’accepte-t-on pas passée est également prise en compte pour
qu’ils n’aient pas toujours pris les mêmes pré- apprécier la gravité de la faute et détermi-
cautions ? Ne disposant pas des mêmes ner, en conséquence, la nature de la

30. TGI Paris, 17e ch., 17 mars 2006, Commune de 2008/1, p. 17-34, note E. Dreyer. Banier, Légipresse, novembre 2007, n° 246-III,
Puteaux c/ M. Grebert, Légipresse, juillet-août 31. TGI de Paris, 17e ch., I. Chastenet de Puysegur p. 234-240, note A. Fourlon.
2006, n° 233-III, p. 138-143, note B. Sarfati ; Dal- c/ Sté Éditions Gallimard et TGI de Paris, 17e ch.,
loz 2006, J.147, note A. Lepage ; Légicom, n° 41, 25 juin 2007, Ass. Espace Tutelles c/ F.-M.

132 – LÉGICOM No 43 – 2009/2


Rapport de synthèse

condamnation et le montant de la réparation La « patrimonialisation » du droit à l’image


due. Ayant préalablement cherché une cer- (33), évoquée par le Professeur J.-M. Bru-
taine notoriété, accepté sinon suscité révéla- guière, permet aux individus (vedettes du
tions et indiscrétions, ces supposées vic- spectacle, sportifs, mannequins…) qui, de
times éprouveront sans doute davantage de par leur profession, font exploitation com-
difficultés à obtenir, des juges, la protection merciale de celle-ci, alors que la personne
de leurs droits. Comme l’a indiqué Maître elle-même est hors commerce, d’obtenir, y
B. Ader, l’exercice de fonctions publiques compris en référé, sous forme de provision
(32) justifie sans doute que ceux qui les dont l’attribution ne présente cependant pro-
assument fassent l’objet, en dehors même bablement pas le même caractère d’urgence,
de toute forme de « peopolisation », d’une des réparations plus conséquentes des
surveillance attentive de la part des médias atteintes qui y sont portées, par des utilisa-
et qu’ils soient plus vivement critiqués. Cela tions non autorisées, que celles qui sont
n’autorise cependant pas que des atteintes allouées à d’autres (34) qui n’ont pas pour
soient portées à leur droit à l’image ou à leur habitude de faire de celle-ci un objet de
vie privée, dès lors que celle-ci n’a aucune commerce dont ils tirent des revenus. Une
incidence sur leurs activités publiques. Leur telle « patrimonialisation » des droits de la
attitude passée, acceptant, tolérant sinon personnalité continue d’être cause d’interro-
souhaitant de telles indiscrétions, et ayant gations. Mais sans doute convient-il de dis-
ainsi, en quelque sorte, « déprivatisé » l’in- tinguer la personne et son image. En per-
formation, ne peut cependant les faire mettant la représentation, elle s’en détache.
échapper à la protection du droit. Que les Susceptible de causer un préjudice à un
faits en cause aient déjà été révélés et soient individu et d’entraîner, pour lui, un manque
largement connus devrait être sans inci- à gagner dont il est normal qu’il soit dû
dence sur l’application du principe, énoncé réparation, l’exploitation fautive de l’image
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par l’article 9 du Code civil, selon lequel n’atteint pas directement la personne. Ce
« chacun a droit au respect de sa vie pri- n’est pas elle qui est ainsi l’objet d’un com-
vée », sinon sur la détermination du mode merce qui serait impensable ou interdit,
de réparation le mieux adapté. Sera pris en comme il en est de son corps et de son iden-
compte le caractère utile, pertinent, néces- tité, mais seulement sa représentation qui se
saire… de l’information litigieuse. La Cour détache d’elle. La protection et la patrimo-
de cassation considère les « nécessités de nialisation de l’image ne sont pas très diffé-
l’actualité », tandis que la CEDH s’attache rentes de celles dont bénéficient les artistes
au caractère d’« intérêt général de l’infor- interprètes sur leurs prestations.
mation ». Pour ce qui concerne le montant
de la condamnation, a été citée la formule Le droit français fut évoqué encore par le
de président du TGI de Versailles, M. J.-Y. Professeur J. Frayssinet dans l’analyse qu’il
Monfort, selon lequel une condamnation à fit de la situation des sites de notation, pre-
1 euro de dommages-intérêts équivaudrait à nant l’exemple de Note2be.com. Aux sanc-
une « condamnation avec les félicitations tions susceptibles d’être prononcées par la
du tribunal » ! CNIL, pour faits de non respect des disposi-

32. Amson, D., « Publication d’informations Jean Lavigne c/ Sté Universal Music), Légipresse, l’image », Légipresse, octobre 2007, n° 245-II,
d’ordre patrimonial et respect de la vie privée », juin 2006, n° 232-III, p. 109-115 ; Bruguière, J.-M., p. 123-132 ; Higueras, I., « La “patrimonialisa-
Légipresse, mars 2001, n° 179-II, p. 26-30 ; Bigot, « Le droit à l’image patrimonialisé » (note sous tion” des droits de la personnalité », Légipresse,
Ch., « La protection de la vie privée des person- TGI Paris, 28 septembre 2006, E. Thomas c/ décembre 1999, n° 167-II, p. 159-160.
nalités politiques à la lumière de la jurisprudence Réservoir Prod », Légipresse, mars 2007, n° 239- 34. TGI Paris, réf., 5 février 2008, N. Sarkozy c/
récente », Légipresse, novembre 2007, n° 246-II, III, p. 54-57 ; Castaldi, C., L’exploitation commer- Sté Ryanair et C. Bruni-Tedeschi c/ Sté Ryanair,
p. 143-149. ciale de l’image des personnes physiques, Bruy- Légipresse, avril 2008, n° 250-III, p. 66-70, note
33. Bruguière, J.-M., « Le droit à l’image, pos- lant, 2008, 122 p. ; Hassler, Th., « Quelle A. Hazan ; JCP G 2008.Actualités.117, note
sible objet de contrat » (note sous Cour d’appel de patrimonialisation pour le droit à l’image des per- E. Derieux.
Versailles, 22 septembre 2005, SAS Calendrier sonnes ? Pour une recomposition du droit à

LÉGICOM No 43 – 2009/2 – 133


LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA VIE PRIVÉE

tions de la loi de janvier 1978, se greffent, de la Conv. EDH, la CEDH assure cette conci-
dans un partage de compétences qui n’est liation entre liberté d’expression et protection
pas toujours très clair et rigoureux, celles des droits des personnes. Il a rappelé les trois
qui peuvent être ordonnées par les juges. méthodes de contrôle qui sont alors les
Aux possibles cumuls de condamnations siennes, en vérifiant: que l’ingérence des
s’ajoutent, d’une manière qui n’est guère autorités nationales dans l’exercice de la
davantage satisfaisante, des risques de liberté d’expression était prévue par la loi;
contradictions dans les décisions prises par qu’elle répondait à un but légitime; et qu’elle
les différentes autorités administratives ou était nécessaire dans une société démocra-
judiciaires, selon que prévaut le souci de tique. Son appréciation, selon laquelle la
protéger les droits des personnes en cause liberté d’expression serait «la grande per-
ou de garantir la liberté d’information. dante dans la mise en œuvre du “balancing
Les grandes lignes du droit américain, par test”», peut ne pas être partagée par tous et
comparaison avec le droit européen, tel qu’il surtout paraître contredite par la formule, uti-
se dégage notamment de la jurisprudence lisée par la Cour, dans certains de ses arrêts,
CEDH, ont été exposées par M. D. Korzenik, selon laquelle: «elle ne se trouve pas devant
professeur et avocat à New-York. Globale- un choix entre deux principes antinomiques,
ment, la presse américaine profite du prin- mais devant un principe – la liberté d’expres-
cipe de liberté d’expression, tel que consacré sion – assorti d’exceptions qui appellent une
par le 1er amendement à la Constitution, qui, interprétation étroite». La jurisprudence de la
dès lors que l’information est « newswor- CEDH n’atteint pas toujours le degré de prévi-
thy », de valeur sociale ou d’intérêt général sibilité qu’elle exige des droits nationaux!
(à ne pas confondre avec la simple curiosité
d’un certain public !), prévaut normalement
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sur la protection des droits de la personne.
Cela dépend cependant du droit de chacun
2. Informations

des États. La vie privée est protégée et des


de communication

réparations sont dues notamment en cas De nature à attenter aux droits des per-
d’intrusion physique dans un lieu privé, de sonnes, qui doivent pouvoir en obtenir la
divulgation publique de faits privés dont la protection, les informations de communica-
révélation paraît choquante, de présentation tion, collectées et transmises à l’occasion
de la personne sous un jour défavorable, ou par l’usage des médias, et très particu-
d’exploitation du nom ou de l’image à des lièrement de l’Internet, sont aussi suscep-
fins commerciales. Mais ces garanties de la tibles de contribuer, notamment par l’iden-
liberté d’expression données par le droit tification des auteurs d’infractions, à la
américain ne valent plus dans le cas, de plus protection des droits des tiers ainsi atteints.
en plus fréquent, d’une diffusion internatio- Les internautes (a) trouveront là certaines
nale entraînant l’application de lois étran- limites à la garantie de leurs droits ou justi-
gères. fications des restrictions qui paraissent ainsi
y être portées au nom des droits d’autrui (b).

– En droit européen
a) Droits des internautes
En droit européen, les risques et difficultés
sont atténués par l’harmonisation des droits La protection des droits des internautes, à
nationaux, telle qu’opérée par la CEDH… l’égard de la collecte et de l’exploitation
mais d’une manière qui est diversement d’informations personnelles les concernant,
appréciée. À partir d’une jurisprudence relati- du fait de l’usage de services de communi-
vement récente et encore assez peu abondante cation au public en ligne, peut, en applica-
en la matière, Maître C. Bigot a exposé la tion de la loi du 6 janvier 1978, être assurée,
façon dont, se fondant sur les articles 8 et 10 dans des conditions qui ne permettent pas

134 – LÉGICOM No 43 – 2009/2


Rapport de synthèse

une claire et rigoureuse séparation des pou- sonne physique malgré l’opposition de cette
voirs ou qui comportent des risques de personne, lorsque ce traitement répond à
cumul des peines, par l’instance de régula- des fins de prospection, notamment com-
tion spécialisée ou par l’autorité judiciaire. merciale »… Toutes ces pratiques peuvent
notamment être relatives à des informations
de communication, collectées et transmises,
– Instance de régulation à l’insu des personnes concernées ou sans
L’action de la CNIL en faveur du respect des leur accord, par l’usage des médias et
dispositions relatives aux données person- notamment l’Internet.
nelles collectées lors de l’usage des médias et
qui servent notamment à des publicités b) Droits d’autrui
ciblées a été exposée par Madame S. Ner-
bonne. L’instance spécialisée agit d’abord Ces données de connexion peuvent cepen-
par la voie de la pédagogie et de la sensibili- dant servir à identifier les auteurs d’infrac-
sation, en fournissant des conseils pratiques tions et contribuer ainsi au respect des droits
aux internautes et en contribuant, par d’autrui. Entrant en conflit avec ces derniers
exemple, à l’élaboration de codes de déonto- droits, leur protection est pour cela res-
logie du marketing électronique. La protec- treinte, tant en droit français qu’en droit
tion des droits passe par l’information sur européen. Un juste équilibre doit être
l’existence de fichiers, la finalité des traite- recherché.
ments, les transferts de données et l’exercice
du droit de s’y opposer. L’instauration, au
sein des diverses entreprises, d’un « Corres- – Droit français
pondant informatique et liberté » doit contri-
buer au renforcement du respect des droits C’est dans le but d’assurer la protection des
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des personnes concernées. Depuis 2004, la droits d’autrui, du fait du contenu des mes-
CNIL est investie d’un pouvoir de sanction. sages qui circulent sur l’Internet, que l’ar-
ticle 6-II de la loi du 21 juin 2004 pose que
les fournisseurs d’accès et d’hébergement
– Autorité judiciaire « détiennent et conservent les données de
nature à permettre l’identification de qui-
Le chapitre 8 de la loi de 1978 est consacré conque a contribué à la création du contenu
aux « dispositions pénales ». Aux termes de ou de l’un des contenus des services dont
l’article 50, les infractions « sont prévues et (ils) sont prestataires » et que « l’autorité
réprimées par les articles 226-16 à 226-24 judiciaire peut requérir communication » de
du Code pénal ». L’article 226-16 du Code ces données personnelles (35).
pénal sanctionne « le fait, y compris par
négligence, de procéder ou de faire procé- M. A. Menais a exposé, à partir de l’expé-
der à des traitements de données à carac- rience de eBay, les problèmes de concilia-
tère personnel sans qu’aient été respectées tion entre la protection des données person-
les formalités préalables à leur mise en nelles et la lutte contre les fraudes de toutes
œuvre ». L’article 226-18 vise « le fait de sortes. Il convient, pour l’opérateur, de res-
collecter des données à caractère personnel ponsabiliser les internautes, de détecter les
par un moyen frauduleux, déloyal ou illi- activités illégales et éventuellement de
cite ». L’article 226-18-1 réprime « le fait de coopérer avec les autorités judiciaires. Des
procéder à un traitement de données à collaborateurs en nombre ont pour charge
caractère personnel concernant une per- de détecter les comportements fautifs (ce

35. Jannet, Ph. et Pouyat, M., « Big Brother 2.0 ou internautes », Légipresse, janvier-février 2008,
l’obstination du gouvernement à surveiller les n° 248-I, p. 1-2.

LÉGICOM No 43 – 2009/2 – 135


LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA VIE PRIVÉE

que la loi n’impose pas !). Le service reste tives offertes par le projet de loi sur le droit
cependant attaché au respect de l’anonymat d’auteur.
des utilisateurs et à la possibilité de faire
C’est évidemment un point de vue critique à
usage d’un pseudonyme. À la réglementa-
l’égard de telles possibilités, et des charges
tion, il préfère la souplesse de la déontologie
et responsabilités qui pèseraient alors sur les
et des codes de bonne conduite (dont l’exis-
intermédiaires techniques, qui fut exprimé
tence n’est pas garantie !), de façon à ne pas
par M. N. d’Arcy, au nom de l’Association
entraver le développement des activités.
des fournisseurs d’accès (AFA) : « en multi-
La lutte contre la contrefaçon, du fait du télé- pliant les charges, les pouvoirs publics pren-
chargement non autorisé dans le cadre de sys- nent le risque d’affaiblir la capacité des
tèmes d’échanges peer to peer (« P2P »), acteurs de ce secteur à investir dans des pro-
constitue une illustration de la délicate conci- jets d’équipements numériques essentiels
liation entre la protection des données person- qui rendront la France innovante et compé-
nelles, s’agissant des informations de com- titive ». Il fit notamment mention d’un amen-
munication ainsi collectées, et la protection dement voté, la veille, au Parlement euro-
des droits d’autrui, en l’espèce, des droits péen, contre la « riposte graduée »,
d’auteur et des artistes interprètes. considérant que les restrictions aux droits et
Chargé de mission au Forum des droits sur libertés des internautes ne peuvent relever
l’Internet, M. S. Grégoire a exposé le statut que des décisions des autorités judiciaires et
des adresses IP, en évoquant d’abord les non d’une autorité administrative (39).
incertitudes liées au fait que, selon les déci- Des interventions relatives à ce thème de la
sions contradictoires rendues par différentes lutte contre le piratage et l’utilisation des
juridictions (36), elles sont considérées données personnelles, conduisant à la
comme constituant, ou non, des données recherche d’un point d’équilibre entre la
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personnelles, soumises, ou non, au régime protection de la vie privée et des droits d’au-
de protection particulier qui s’applique à teur, on retiendra que, réservant, en prin-
elles. Il a ensuite envisagé la question dans cipe, aux autorités publiques, et particulière-
la perspective du rapport de la mission Oli- ment judiciaires, la possibilité de procéder à
vennes, des accords qui s’en sont suivis et des « traitements de données à caractère
du projet de loi dit « Création et Internet ». personnel relatives aux infractions,
C’est cette même thématique de la condamnations et mesures de sûreté », l’ar-
recherche, dans la lutte contre la contrefa- ticle 9 de la loi de janvier 1978, par renvoi
çon, d’un équilibre entre la protection des au CPI, en accorde pourtant désormais l’au-
droits des internautes et des auteurs, titu- torisation aux « sociétés de perception et de
laires de droits, que Maître J.-A. Benazeraf a répartition des droits d’auteur » et des
abordée. Évoquant les mêmes interrogations droits voisins et aux « organismes de
et incertitudes, elle a rappelé les conditions défense professionnelle » (40). Dans sa déci-
dans lesquelles les sociétés de gestion col- sion du 29 juillet 2004, préalable à la pro-
lective, après que cela leur ait été refusé (37), mulgation de cette version modifiée du
ont finalement été autorisées (38) à relever texte, le Conseil constitutionnel a cependant
et exploiter de semblables données de posé comme condition que « les données
connexion. Elle fit enfin état des perspec- ainsi recueillies ne pourront (…) acquérir

36. Cour d’appel de Paris, 27 avril 2007 ; TGI 2007, n° 243-III, p. 141-146, note J. Frayssinet. protection des données personnelles avec le droit
Saint-Brieuc, 6 septembre 2007. 39. Vulser, N., « Désaccords européens sur la d’auteur. La naissance d’un avorton, l’article 9-4°
37. Par décisions de la CNIL en date du 18 octobre future loi Internet. Christine Albanel défend la de la loi modifiée relative à l’informatique, aux
2005. riposte graduée », Le Monde, 27 septembre 2008, fichiers et aux libertés », Légipresse, novembre
38. Suite à l’arrêt du Conseil d’État du 23 mai p. 23. 2004, n° 216-II, p. 119-123.
2007, SACEM et autres, Légipresse, juillet-août 40. Frayssinet, J., « L’accouplement du droit de la

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Rapport de synthèse

un caractère nominatif que dans le cadre adresse IP est ou non une donnée person-
d’une procédure judiciaire ». nelle, il en appelle à une intervention légis-
lative pour clarifier ce point…
Dans une note explicative d’octobre 2004,
la CNIL précisait qu’est ainsi accordée, aux Le projet de loi relatif à la Haute autorité
organismes de défense des intérêts des pour la diffusion des œuvres et la protection
auteurs, la possibilité de recourir à des des droits sur Internet (HADOPI), dit aussi
« traitements ayant pour finalité la consta- « Création et Internet », envisage d’intro-
tation des infractions », visant particulière- duire dans le CPI des dispositions autorisant
ment « à recenser les actes de contrefaçon « la création, par la Haute autorité, d’un
sur Internet et à engager des poursuites »… traitement automatisé de données à carac-
mais pas, ce qui pourrait pourtant apparaître tère personnel portant sur les personnes
moins grave, à « adresser aux internautes responsables » d’actes de piratage en ligne.
concernés des messages de prévention sur Il est prévu qu’« un décret en Conseil d’État
les conséquences économiques de la contre- (…) précise notamment : les catégories de
façon, ainsi que sur les sanctions encou- données enregistrées et leur durée de
rues ». Le 18 octobre 2005, la CNIL avait conservation ; les destinataires habilités à
« refusé d’autoriser quatre sociétés d’au- recevoir communication de ces données,
teurs et de producteurs de musique à mettre notamment les personnes dont l’activité est
en œuvre des dispositifs permettant la détec- d’offrir un accès à des services de commu-
tion automatisée d’infractions » au CPI, du nication au public en ligne ».
fait du téléchargement par le système P2P,
« et l’envoi de messages de sensibilisation
aux internautes ». Par un arrêt du 23 mai – Droit européen
2007, le Conseil d’État a annulé cette déci-
Bien que cela n’ait pas été évoqué au cours
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sion (41). En conséquence, les 8 et
de la journée, il convient de mentionner que
22 novembre 2007, la CNIL a permis à ces
la question de la conciliation entre la pro-
sociétés de gestion collective de « mettre en
tection des données personnelles et la lutte
œuvre des traitements ayant pour objet la
contre le téléchargement illégal a été exami-
recherche d’infraction », mais non l’envoi
née au regard du droit européen. Réglemen-
de messages pédagogiques. En décembre,
tant les conditions de conservation des don-
elle s’interrogeait « sur la manière dont ces
nées personnelles, la loi espagnole dispose
dispositifs vont s’articuler avec les recom-
que « les données seront conservées en vue
mandations émises par la “mission Oli-
de leur utilisation dans le cadre d’une
vennes” ».
enquête pénale ». Dans une procédure enga-
Dans son rapport (42), le groupe de travail gée par un organisme représentant des titu-
présidé par M. Olivennes estime que l’ap- laires de droits d’auteurs, le juge national a
plication des mesures de contrôle et de sanc- saisi la CJCE de la question de savoir si le
tion « suppose une interprétation ouverte » droit communautaire permet aux États
de la loi quant à la possibilité, pour les membres de limiter à une enquête pénale,
sociétés d’auteurs, « de mettre en place des « à l’exclusion des procédures civiles,
dispositifs de recherche d’infractions ». Il l’obligation (...) de conserver et de mettre à
exclut l’instauration d’une « justice privée, disposition les données de connexion et de
dans les mains des ayants droit ou des pres- trafic ». Dans un arrêt du 29 janvier 2008, la
tataires de services ». Relevant qu’il y a CJCE, se réfère, tant à des directives relatives
débat sur la question de savoir si une au droit d’auteur, qu’à celles concernant la

41. CE, 23 mai 2007, SACEM et autres, Légipresse, J. Frayssinet. culturelles sur les nouveaux réseaux, novembre
juillet-août 2007, n° 243-III, p. 141-146, note 42. Le développement et la protection des œuvres 2007.

LÉGICOM No 43 – 2009/2 – 137


LES NOUVELLES FRONTIÈRES DE LA VIE PRIVÉE

protection des données personnelles. Elle médias est source de grandes difficultés. Elle
conclut que ces textes « n’imposent pas aux rend incertaines la détermination de la loi
États membres de prévoir l’obligation de applicable et de la juridiction compétente et
communiquer des données à caractère per- l’exécution des condamnations prononcées.
sonnel en vue d’assurer la protection effec- Diverses conventions internationales et, bien
tive du droit d’auteur dans le cadre d’une davantage, le droit européen atténuent ces
procédure civile », mais que « le droit com- risques par l’harmonisation des droits natio-
munautaire exige des États (…) d’assurer naux… mais d’une manière que l’on peut ne
un juste équilibre entre les différents droits pas totalement approuver ! La seule issue
fondamentaux protégés » (43).
serait-elle dans l’attitude, sorte de résistance
passive, et dont il n’est pas certain que cha-
cun ait encore la capacité ou la force morale
La recherche de l’équilibre entre liberté
d’expression et droits de la personnalité, ni même la possibilité matérielle, consistant
dont les données personnelles sont une des à se déconnecter de ces réseaux de commu-
composantes, n’est pas nouvelle. Elle consti- nication (44) et à revendiquer un droit à la
tue, ou du moins devrait-il en être ainsi, un non-information ? Il convient, tout au moins,
des objectifs essentiels du droit des médias de demeurer attentif et de continuer à agir en
dans son ensemble. L’évolution des tech- faveur d’un juste équilibre des droits et des
niques de communication et de leurs usages libertés… d’expression et de la personnalité.
multiplie les occasions de conflits apparents.
Liée notamment à l’usage de l’Internet, la
dimension internationale de la diffusion des E. D.
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43. CJCE, 29 janvier 2008, Promusicae c/ Telefo- est en cause, mais ce que les hommes en font, necter, pour retrouver le temps de penser »
nica de Espana, JCP G 2008.II.10099, note pour le meilleur ou pour le pire (…) Pour peu que (Schwartz, A., « La vie connectée de l’“Homo
E. Derieux. l’esprit critique reste intact, la liberté ultime de communicans” », La Croix, 5 août 2008).
44. « Comme souvent, ce n’est pas le progrès qui l’“Homo communicans” consistera à se décon-

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