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Pascal GLEMAIN
LiRIS, EA 7481
Université Rennes 2 et CERMi
pascal.glemain@univ-rennes2.fr
Nadine RICHEZ-BATTESTI
Aix Marseille Université et LEST-Cnrs
nadine.richez-battesti@univ-amu.fr
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vocable anglais Social business peut s’en démarquer, privilégiant l’objectif
social au détriment de la caractérisation des formes organisationnelles qui
le supportent et de l’objectif de profit limité. En ce sens, le Social
Business est parfois perçu comme une nouvelle déclinaison de
l’entreprise capitaliste, une entreprise à finalité sociale, mais qui
n’interroge ni la nature du projet collectif, ni les arrangements
organisationnels relatifs à propriété du capital, ni la gouvernance
démocratique (Fraisse et al., 2016). De fait l’entreprise sociale est un
terme valise dont les contours restent le plus souvent flous.
La Commission des communautés européennes lève pour partie
l’ambiguïté en considérant dès 2011, que l’entreprise sociale est un
opérateur de l’Economie sociale dont le principal objectif est d’avoir un
impact social, plus que de faire du profit pour ses parties prenantes ou
pour ses actionnaires. La Commission utilise le terme entreprise sociale
pour couvrir plusieurs types d’activité : celles dont la finalité sociale est la
raison de l’activité commerciale, généralement avec un fort niveau
d’innovation sociale, celles dont les profits sont majoritairement
réinvestis pour réaliser l’objectif social, et celles dont l’organisation ou la
propriété est en lien avec une gouvernance démocratique ou
participative.
Plus récemment, la Commission européenne a souhaité évaluer ce que
représentait l’entreprise sociale dans un certain nombre de pays
européens. Une première vague d’évaluation avait été réalisée en 2014 de
façon imparfaite. La France avait ainsi souligné que la place des
entreprises sociales y était sous-estimée. La France a donc fait partie
d’une seconde vague (2016) qui concerne 7 pays au total (Belgique,
Espagne, France, Irlande, Italie Pologne et Slovaquie). Trois dimensions
ont ainsi été prescrites à l’échelle européenne pour aborder le périmètre
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ressources non marchandes et non monétaires dans le champ des
entreprises sociales ? Ces questions se sont posées particulièrement en
France illustrant ainsi la difficulté de s’accorder sur des critères et
l’importance de la mise en débat dans chacun des pays. On le voit
chercher à définir l’entreprise sociale par des critères ouvre autant de
questions qu’elle n’en résout.
La place qu’occupe l’entreprise sociale prend des formes différentes
selon les pays (Borzaga, Galera, 2016) relativement à la nature des
régimes d’Etat-providence et des degrés d’engagement de la société civile
propres à chacun des pays, selon le degré d’acceptation de l’Economie
sociale dans chacun des pays et la nature des relations entre pouvoirs
publics et opérateurs de services privés dont les orientations sociales sont
fortes. Dans tous les cas, l’analyse nationale du périmètre de l’entreprise
sociale permet de révéler des tensions qui pour certaines sont spécifiques
aux contextes nationaux, pour d’autres sont transversales et qui pour
l’essentiel ne sont pas évoquées dans les rapports internationaux. Nous
ne pouvons dès lors que souligner l’ambiguïté des comparaisons
internationales fondées sur la recherche de points communs plus que sur
la compréhension des effets de contextes nationaux et l’identification des
tensions générées par les évolutions en cours. En ce sens, on mesure tout
l’enjeu de l’articulation entre le niveau méso, celui des organisations, et le
niveau macro, celui de l’échelon national, voir des dynamiques
internationales, pour aborder des dynamiques organisationnelles en voie
d’institutionnalisation.
Dans tous les cas, l’intérêt porté à l’entreprise sociale exprime un
tournant entrepreneurial d’une partie des acteurs de l’Economie sociale
et solidaire en France. Il s’accompagne le plus souvent de l’introduction
de pratiques managériales issues des entreprises capitalistes, qui pour
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souhaitons illustrer quelques-unes des dynamiques en cours, et les
tensions qui les traversent. Ce numéro de Marché et Organisations est
articulé en 2 parties. La première privilégie l’entrée Entreprendre et à
travers elles le développement de formes d’organisations et de secteurs
professionnels originaux. La seconde est plus orientée sur le
financement.
Le premier article de Sylvain Celle et Anne Fretel, partant des débats
actuels sur la finalité et le potentiel de régulation de l’entreprise sociale
comme voie possible pour réinventer l’entreprise et répondre aux limites
de sa forme actionnariale et de ses dérives, questionne les conditions
dans lesquelles l’entreprise coopérative serait à même d’être porteuse
d’un potentiel de transformation sociale. A partir d’un retour historique
vers des générations d’auteurs ayant porté un modèle d’entreprise
coopérative entre la première révolution industrielle et la crise dans
l’entre-deux-guerres, l’article questionne tout d’abord le potentiel de
transformation économique sous-jacent aux théories en soulignant que
dans les conceptualisations passées, l'entreprise coopérative s’inscrit
majoritairement dans un référentiel libéral ou un référentiel socialiste. En
effet, chez ces différents auteurs, l’entreprise coopérative, d’un point de
vue économique, n’est pas une organisation porteuse d’une dynamique
totalement autonome, mais s’inscrit dans des référentiels déjà existants
dont la promotion doit être source d’amélioration économique et sociale.
Pour autant, l’article montre dans un second temps, que les modèles de
réformes proposés, au-delà de leur diversité, ne sont soutenables que si
l’entreprise coopérative est ancrée dans un référentiel politique ou moral
qui l’autonomise d’un certain point de vue de la sphère économique, et
qui l’ancre dans une référence extérieure. L’article questionne alors en
conclusion, à partir de ce détour historique, la façon dont les entreprises
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visant à s’émanciper de l’hybridité. D’une part elle redéfinit les
fondements discursifs sur lesquels reposent les CAE en privilégiant
l’objectif de transformation sociale. D’autre part, elle poursuit
l’expérimentation via le redéploiement des partenariats avec d’autres
acteurs alternatifs afin de renforcer la dimension politique du dispositif
pour réinventer l’exercice du travail.
C’est une autre perspective qui est retenue par Nadine Richez-Battesti
et Delphine Vallade. A partir d’une étude de cas longitudinale, menée sur
le premier incubateur régional d’innovation sociale en France créé en
Languedoc-Roussillon il y a 10 ans, l'article montre d'une part le
processus de construction d'un ensemble de dispositifs territorialisés
pour développer les entreprises sociales fondé sur des partenariats
multiples, les tâtonnements qui l’ont accompagné et les effets produits.
D’autre part, il illustre comment les interactions entre l’échelon infra
régional, national et international sous-tendent le développement et la
légitimité du dispositif et contribuent à construire une nouvelle catégorie
de l'action publique. Dans le cadre d'une analyse en termes de travail
institutionnel, il questionne les compromis passés à ces différentes
échelles : si l'incubateur contribue à faire bouger les lignes, et à
sensibiliser à la question coopérative, les compromis autour de
l'innovation sociale entrepreneuriale matérialisée dans l’entreprise sociale
restent instables. 10 ans plus tard, plus que de privilégier une vision
multidimensionnelle de l’innovation sociale, l’incubateur tend à
survaloriser la finalité sociale et le modèle économique au détriment
d’une gouvernance coopérative pourtant essentielle en ESS.
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L’article souligne le rôle central de la régulation publique dans la
transformation du secteur et sa contribution au développement d’un
processus de course à la taille et de managérialisation.
Enfin pour clore cette première partie et assurer la transition avec la
seconde, l’article d’Isabelle Guérin, Magdalena Isaurralde et Mariam
Sangare interroge le fait de faire du business pour le social ou par le
social, en appuyant leur analyse sur les dispositifs d’inclusion financière.
Utilisant des données récentes à l’échelle globale ainsi qu’une
monographie argentine, cet article décortique la construction des
marchés émergents de l’inclusion financière. Du côté de l’offre, les
évolutions récentes du paysage de l’inclusion financière et son
articulation au business social mettent en évidence son dynamisme, sa
capacité de renouvellement et de diversification, notamment dans l’accès
aux services de base, mais aussi l’importance grandissante des logiques
capitaliste et marchande. Or la demande est beaucoup plus limitée que ce
qu’imaginent les promoteurs, ou décalée par rapport aux services
proposés. L’ajustement entre offre et demande, loin d’être spontané,
repose dans certains cas sur le rôle clef de certaines entités locales –
individus (souvent de sexe féminin), groupements plus ou moins
institués, organisations non gouvernementales (ONG) – dans la
construction de la confiance indispensable à la création puis au bon
fonctionnement de ces marchés. Ce rôle est ambigu, peu visible, mal
rémunéré et encore moins reconnu, fréquemment assumé par des
femmes : il interroge sur la manière dont le capitalisme, à travers les
organisations de microcrédit et ses financeurs, renouvelle les modalités
d’appropriation d’une certaine forme de travail gratuit.
Si les organisations d’ESS (entreprises, institutions) se trouvent
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financement par la foule ou « financement participatif ». En France, de
nombreuses plateformes de crowdfunding ont vu le jour depuis 2010 pour
répondre aux difficultés de financement de projets innovants. Ces
nouveaux acteurs interpellent les dispositifs existants dans l’aide à la
création, au développement et à l’accompagnement d’entreprises
innovantes dans les territoires. Il s’agit d’une part de s’interroger sur la
façon d’envisager la coopération dans les décisions de financement entre
les différents acteurs de l’écosystème entrepreneurial sur un territoire, et,
d’autre part, d’imaginer comment passer d’une communauté virtuelle à
une communauté territorialisée par la révolution numérique dans des
territoires géographiquement délimités.
J-L. Viviani nous offre, lui, une approche financière de l’impact social
en discutant la justification de l’existence de l’investissement à impact
social en se fondant sur une vision élargie de la création de valeur. Selon
ce point de vue, l’investissement à impact social, résumé à
l’investissement dans des entreprises ayant un double objectif, à la fois
social et financer, ne se justifie que si ces entreprises sont capables de
faire mieux qu’une simple diversification de portefeuille (investissement
séparé dans les deux types d’activités). Nous discutons de la façon dont
ces entreprises sont capables de dégager cette surperformance (que nous
appelons création de valeur). Nous proposons également une méthode
pour mesurer la création de valeur multidimensionnelle. Finalement nous
montrons, en nous appuyant sur les approches de la réciprocité,
pourquoi l’alignement des intérêts entre les principaux acteurs de
l’investissement à impact social (investisseurs, entreprises intermédiaires
financiers) constitue bien une source de création de valeur.
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