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Françoise Acker
Dans Mouvements 2004/2 (n° 32), pages 60 à 66
Éditions La Découverte
ISSN 1291-6412
ISBN 2-7071-4271-9
DOI 10.3917/mouv.032.0060
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D
epuis des mois, si ce n’est plus, tous les médias se font l’écho de
difficultés de fonctionnement des hôpitaux, de personnels soi-
gnants débordés aux urgences, d’un malaise, d’une crise des
infirmières, voire de l’ensemble des professions de santé 1. Les infirmières
semblent être au « bout du rouleau ». Pourquoi ? Cette « crise », si crise il y
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remise en cause de leur niveau de formation professionnelle, une forme 2. D. KERGOAT et alii,
de mépris pour leurs compétences. La première fonction de ce mouve- Les Infirmières et leur
coordination, 1988-
ment a sans doute été de leur permettre de se retrouver en tant que per- 1999, Éditions
sonnes appartenant à une même profession et ayant des aspirations et des Lamarre, 1992.
difficultés communes, au-delà d’un cloisonnement et d’un éclatement en 3. F. ACKER et A. –M.
fonction de la variété des lieux de travail. « Nous sommes dans la rue pour ARBORIO, « Infirmière
le statut ! ». D. Kergoat et ses collègues2 considèrent que ce mouvement, et aide-soignante »
in D. LECOURT (sous
qui a été animé et représenté par la « coordination infirmière », a eu pour la direction de),
objet d’inscrire la profession infirmière dans un rapport salarial. (Ce rap- Dictionnaire de
port salarial était déjà présent au début du XXe siècle lorsque l’infirmière la pensée médicale,
PUF, 2004.
symbolisait, avec l’institutrice et quelques autres figures, l’accès des
femmes à un métier salarié 3). Mais ce positionnement était encore néces-
saire en 1988 pour passer des « qualités », individuelles et féminines sou-
vent mises en avant, à une « qualification » renvoyant d’emblée au collectif
et qui est formalisée dans les conventions collectives et statuts. Les infir-
mières auraient procédé à une double affirmation : d’une part « le travail
infirmier est un travail comme un autre »,
d’autre part, et simultanément, « cette profes- Un clivage pourrait aussi
sion [est] différente des autres », sa spécificité
se rattachant à la fonction sociale de l’infir- se dessiner entre des
mière. Mais en se comparant à d’autres pro-
fessions : enseignants ou techniciens, les infir-
« techniciennes » (inscrites
mières ont aussi affirmé leur appartenance à dans la dimension
une catégorie sociale, celle des professions
intermédiaires dont elles partagent les insatis- instrumentale de
factions. En quoi la situation des infirmières
la médecine) et des
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veurs. Ceci se traduit d’une part par des activités supplémentaires à assu-
rer (remplissage de documents de traçabilité par exemple), de l’autre par
des tensions liées à la coexistence de références différentes, voire contra-
dictoires. Cette multiplication des points de vue s’accompagne de négo-
ciations sur les modes de définition du travail et des responsabilités. La
démarche d’accréditation, pilotée par l’ANAES, entraîne un énorme travail
de mise à plat des activités, de leur organisation et de leur articulation. Le
travail de formalisation et d’écriture de protocoles et procédures appelle
l’acquisition de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs sur l’action.
Le problème est que ceci se déploie dans un contexte de montée de la
charge de travail des personnels de soins.
La mise en place des trente-cinq heures soulève de réels problèmes d’or-
ganisation du travail et d’effectifs pour assurer la continuité et la sécurité
des soins. Appliquée dès 2000 dans les établissements privés, puis ensuite
dans le secteur public, cette mesure a entraîné une diversification des
horaires de travail, une modification des rapports entre services de soins
et les services administratifs et logistiques, eux-mêmes remaniés (horaires,
sous-traitance accrue). Cette nouvelle réglementation de la durée de tra-
vail a surtout entraîné un besoin de personnels supplémentaires pour assu-
rer la continuité du travail. Or, même s’il n’existe aujourd’hui pas de don-
nées nationales pour chiffrer la pénurie d’infirmières, il est certain que
dans certains bassins d’emploi des établissements semblent avoir des dif-
ficultés à recruter du personnel de soins (tout comme du personnel médi-
cal, des sages-femmes…). En France, les premières mesures prises pour
lutter contre le manque d’infirmières se sont traduites par un relèvement,
en 2000, des quotas régulant les entrées en Institut de formations en soins
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