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La crise économique en Tunisie : une crise de régulation

Hassine Dimassi
Dans Monde Arabe 1984/1 (N° 103), pages 57 à 69
Éditions La Documentation française
ISSN 1241-5294
DOI 10.3917/machr1.103.0057
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LA CRISE ÉCONOMIQUE EN TUNISIE: UNE CRISE DE RÉGULATION 57

La crise économique en Tunisie:


une crise de régulation

La crise de régulation que connaît aujourd'hui le capitalisme dépendant


en Tunisie a peu de ressemblance avec la crise de restructuration qui
sévit depuis le début des années 70 dans les pays capitalistes dominants.
Cela tient à la différence de nature entre ces deux types de capitalisme.
En Tunisie, les secteurs capitalistes ne maîtrisent presqu'en rien le procès
de travail, et en particulier deux de ses trois composantes, à savoir les
équipements et les matières à transformer. Ceux-ci, pour l'essentiel
importés, donc subis, ne sont maîtrisés ni techniquement ni économique-
ment. De ce fait, la hausse, parfois vertigineuse, de leur prix d' acquisition
n'est que partiellement compensée par un gain de productivité. Plaqués
sur un environnement qui leur est peu favorable, et souvent fortement
sous-utilisés, ils donnent donc rarement leur plein effet sur la production,
et par là sur la productivité ( 1 ). Dans ce cas, la préservation et/ou la con-
solidation par les capitalistes de leur taux de profit peuvent être difficile-
ment assurées par des gains de productivité. Elles ne peuvent l'être qu'à
travers des artifices tels que la minimisation du coût salaria l, la fraude ou
l'exonération fiscale, le gonflement artificiel des prix, etc ... Ces méca-
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nismes, nécessaires en général pour assurer un certain taux de profit au
capital , deviennent indispensables lorsque celui-ci, contraint d'exporter le
maximum possible pour se reproduire, doit subir la concurrence
étrangère.
La politique de régulation d'un tel processus d' accumulation nécessite le
soutien et l'intervention permanente et de plus en plus massive de l'État.
Celui-ci, devenant progressivement un pivot central de l'activité écono-
mique, ne peut pratiquer cette politique de régulation qu'à travers des
transferts de valeur entre classes ou fractions de classes, délaissant les
unes et favorisant les autres, en fonction de la conjoncture à la fois poli-
tique, économique et sociale. C'est dire que la politique de régulation
exige de la part de l'État non seulement des moyens matériels, mais aussi
et surtout la capacité de maint~nir un minimum de cohésion sociale.
Or, depuis quelques années, l'État tunisien éprouve de plus en plus de dif-
ficultés à concilier ces deux exigences: poursuivre la régulation du pro-
cessus d'accumulation, tout en évitant de susciter de graves déséqui-
libres économiques et/ou sociaux. C'est pourquoi nous pouvons parler
aujourd 'hui d'une crise de régulation en Tunisie. Cependant, pour mieux
saisir la genèse de cette crise, on doit procéder à une brève analyse
rétrospective de la politique de régulation pratiquée par l'État depuis l'in-
dépendance. Ce qui nous permettra de mieux comprendre pourquoi,
aujourd'hui, celui-ci se trouve dans une impasse.
58 ÉTUDES

Les années soixante, ou l'action par les prix en vue


de minimiser le coût salarial.

Au cours des années 60, en vue de maximiser le taux de profit, l'État a agi
essentiellement par le blocage presque systématique des salaires nomi-
naux à un niveau relativement bas. Par exemple, le SMIG , se situant à un
niveau de subsistance vitale et déterminant plus ou moins l'évolution des
autres salaires, n' a été révisé, dans toute la période, qu'une seule fois
(1966). Deux données ont favorisé ce blocage durable des salaires nomi-
naux. L'une est objective, à savoir la maîtrise relative des prix des princi-
paux produits de consommation. L'autre est subjective, à savoir la faible
combativité de la classe ouvrière.
Durant cette décennie, les prix à la consommation ont augmenté à un
taux de l'ordre de 3,5% en moyenne par an. Cette hausse globale, en soit
relativement faible, était différenciée selon les groupes ou sous-groupes
de produits. Par exemple, les prix à la consommation des produits dérivés
des céréales, qui, à l'époque, constituaient encore l'une des bases de l'ali-
mentation ouvrière, n'ont augmenté qu'à un taux très faible: 1,6% en
moyenne par an (voir tableaux 1 et 2). Cette maîtrise relative des prix à la
consommation, permettant de contenir leur hausse dans une limite sup-
portable, a pu se réaliser grâce surtout:
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• au blocage presque systématique des prix à la production (2) des prin-
cipales denrées alimentaires produites localement, et en particulier ceux
des céréales. En effet, les prix à la production des céréales n'ont été révi-
sés qu'une seule fois (1966). Ce blocage des prix à la production des
principaux produits agricoles a été favorisé par l'absence d'organisation
des agriculteurs, la possibilité d'importer à très bon marché certains pro-
duits alimentaires, et la relative stabilité des coûts de production
agricoles.
• à la conjoncture internationale favorable qui a permis au pays de s'ap-
provisionner à bas prix en certains produits dont il est déficitaire.
• à l'apport américain -sous forme de dons- en certains produits ali-
mentaires de base (blé tendre, mais, huile de soja, etc ... ), dans le cadre de
la Public Law 480.

TABLEAU 1. - TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DES PRIX


A LA CONSOMMATION : 1962-70

Alimentation 3,8%
Habillement 3,4%
Habitation 2,5%
Hygiène 3,5%
Transport 5,3 %
Loisirs 2,8 %

Ensemble 3,5 %

Source: Institut national de statistiques (IN S).


LA CRISE ÉCONOMIQUE EN TUNISIE : UNE CRISE DE RÉGULATION 59

TABLEAU 2. - TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DES PRIX


A LA CONSOMMATION DES PRINCIPAUX PRODUITS ALIMENTAIRES : 1962-70

Pains (670 g) 1,2%


Semoule fine 2,3%
Pâte alimentaire 1,3%
Pomme de terre 6,5%
Huile de mélange - 1,5%
Lait frais 1.4%
Sucre en poudre -0,7%
Viande de bœuf B,6%
Poulet vif 3,5%
Poisson (mulet) 6,3%
Œufs 7,0%

Source : INS.

TABLEAU 3. - INDICE DES PRIX RÉELS


A LA PRODUCTION DES CÉRÉALES 1962-1970

(base 100 en 1962)

1962 1963 1964 19&5 1966 1967 1968 1969 1970


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Blé dur 100 B1 73 68 65 72 70 68 66
Blé tendre 100 95 86 80 77 92 90 88 85

Source : INS.

• à l'assainissement relatif des circuits de distribution, grâce à la consti-


tution d'OffiCes d'État et à la création de coopératives de consommation .
Cè qui a permis d'enrayer en grande partie la spéculation.
Ces conditions objectives, qui, au cours de cette période, ont permis de
maîtriser les prix à la consommation , et par là les salaires, ont été conso-
lidées par une condition subjective: la faible combativité de la classe
ouvrière. Celle-ci. de par ses faiblesses intrinsèques (faible niveau de
conscience, importance de la réserve de main- d'œuvre, louvoiements de
la direction syndicale) a été facilement contrôlée, et ce surtout après
1965. En effet, à partir de cette date, l' Union générale des travailleurs
tunisiens (UGTT), unique centrale syndicale ouvrière du pays, a été déca-
pitée et ses structures complètement démantelées. De ce fait, elle est
devenue non pas le défenseur des intérêts de ses adhérents auprès du
pouvoir, mais le défenseur de celui-ci auprès de ses adhérents.
Au cours des années 60 donc, la régulation du processus d'accumulation
a pu se faire grâce surtout à la maîtrise du couple prix-salaires. Le coût de
cette régulation a été supporté principalement par trois fractions
sociales : la paysannerie, la fraction agraire de la bourgeoisie et, dans une
moindre mesure, les salariés. Le coût supporté par la paysannerie et la
bourgeoisie agraire se reflète à travers la détérioration des te rmes de
l'échange des principales denrées agricoles produites localement. Pa r
60 ÉTUDES

exemple, l'indice du prix réel à la production (3) du blé dur, l'une des prin-
cipales cultures du pays, est passé de 100 en 1962 à 66 seulement en
1970 (voir tableau 3). Quant aux salariés, la détérioration de leur pouvoir
d' achat s'exprime par la baisse du niveau des salaires réels. Les indices
du SMIG et du salaire moyen réels (4) sont passés de 100 en 1962 à res-
pectivement 84 et 80 en 1970 (voir tableau 4).

TABLEAU 4. - INDICE DES SALAIRES RÉELS 1962-1970

(base 100 en 1962)

1962 1963 1964 19&5 1966 1967 1968 1969 1970

SMIG 100 97 93 87 93 91 88 84 4
Salaire moyen 100 99 100 90 89 91 86 83 80

Source : Journal Officiel de la République tunisienne (JORT)


Recensements des Activités industrielles. INS.

Les années soixante-dix, ou l'action par le budget


grâce à la rente pétrolière.
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Par rapport aux années 60, la décennie suivante a été marquée par trois
principales nouveautés, qui vont déterminer une nouvelle forme de régu-
lation du processus d'accumulation. Il s'agit: du retournement de la con-
joncture internationale, caractérisé, entre autres, par un fort renchérisse-
ment des prix à l'importation des produits de consommation ; du change-
ment des rapports de force entre fractions dominantes, et entre classe
dominante et classe dominée, caractérisé en particu lier par la montée tte
la combativité ouvrière; de la nécessité de maximiser les exportations en
vue non seulement de faire face au déficit croissant de la balance com-
merciale, mais aussi et surtout de débloquer le processus d'accumulation
au niveau des entreprises (5). Ce qui à son tour exige plus que jamais la
minimisation des sala ires en tant que coût de production.

TABLEAU 5. - ÉVOLUTION DES PRIX A L'IMPORTATION


DES PRINCIPAUX PROD UITS ALIMENTAIRES. (EN DINARS ''/TONNE)

1970 1980 Rapport


(1) (2) (21/(1 1

Sucre 45,3 206,3 4,6


Céréales 39,3 91,0 2 ,3
Produits laitiers 248,3 381 ,2 1,5
Source : StatistiQues financières de la Banquêëëntrài-e-,d-e-=r-un..,.is"'"ie-
.- --···~- ·- - - - --
,. 1 dinar tunisien: 1 1,50 FF.
LA CRISE ÉCONOMIQUE EN TUNISIE: UNE CRISE DE RÉGULATION 61

On a vu se produire un renversement brutal de la conjoncture internatio-


nale, entraînant, entre autres, une hausse parfois vertigineuse des prix
des produits importés, en particu:ier des produits alimentaires: + 355%
pour le sucre, + 131 % pour les céréales et + 54% pour les produits lai-
tiers (voir tableau 5). Cette forte augmentation a été aggravée par la
demande croissante de ces produits: les quantités importées en céréales
ont plus ou moins doublé, et celles de sucre ont augmenté de moitié, au
cours de la période.
En même temps, on a assisté à une révision à la hausse plus fréquente
. des prix à la production des denrées ·alimentaires produites localement.
Celui des céréales, en particulier, a augmenté à un taux annuel moyen de
7 %, contre un taux d'environ 2% seulement au cours de la période pré-
cédente. Cette revalorisation des prix à la production a été imposée par le
fort renchérissement des coûts de production. Elle découle aussi de la
redéfinition des alliances interfractions dominantes, concrétisée entre
autres par le renforcement relatif de la position de la fraction agraire de la
bourgeoisie (6).
Cette nouvelle situation, caractérisée par un fort renchérissement des prix
aussi bien à l'importation qu'à la production des biens de consommation,
et en particulier ceux des produits alimentaires, plaçait à l'époque les res-
ponsables politiques devant trois options possibles:

• soit libérer les prix à la consommation, tout en augmentant les salaires


nominaux. Ce qui risquait non seulement d'altérer les profits, mais aussi
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et surtout de rendre les exportations tunisiennes peu compétitives, le
niveau relativement faible des salaires étant le seul avantage comparatif
dont disposait le capital local. Cette solution entrait donc en contradiction
avec l'exigence principale du moment, à savoir le déblocage du processus
d'accumulation au niveau de sa sphère de réalisation.
• soit libérer les prix à la consommation tout en bloquant les salaires
nominaux. Ce qui risquait de se traduire par une forte détérioration du
pouvoir d'achat des salariés, et de provoquer par conséquent de graves
perturbations sociales. Face à une classe ouvrière plus combative
qu'auparavant(7). cette solution risquait donc de .porter gravement
atteinte à la cohésion sociale.
• soit comprimer artificiellement les prix à la consommation, ce qui per-
mettait de contenir au maximum la hausse des salaires nominaux, tout en
sauvegardant le pouvoir d'achat des salariés et en assurant aux exporta-
tions tunisiennes un minimum de compétitivité. Cette solution, qui sera
finalement adoptée, car elle seule permettait de préserver momentané-
ment un minimum d'équilibre socio-économique, exigeait une interven-
tion massive de la part de l'État, la compression artificielle des prix à la
consommation ne pouvant se faire qu'à coups de subventions étatiques.
En effet, au cours des années 70, le taux de croissance annuel moyen des
prix à la consommation a été de l'ordre de 7 %, soit le double de la
période précédente. Cependant, ce taux aurait été beaucoup plus élevé
sans la compression artificielle opérée par l'Etat, et ce, à travers deux ins-
truments principaux: la Caisse générale de compensation (CGC). et les
subventions étatiques aux entreprises et aux organismes publics.
De négligeables au début de la décennie ( 2,7 millions de dinars en
1971). les dépenses de cette Caisse ont connu une véritable escalade,
62 ÉTUDES

surtout à partir de 197 4, date de retournement de la conjoncture interna-


t ionale. Entre 1971 et 1980, le total de ses dépenses s'est élevé à
472 millions de dinars (8), soit l'é!1uivalent en moyenne de 15,5% des
dépenses de fonctionnement de l' État, et 20% de ses dépenses en capi-
tal. Ces dépenses de la CGC ont servi pour l'essentiel à subventionner les
prix de trois produits alimentaires (céréales, huile mélangée et sucre). et
de deux procjuits non alimentaires (engrais et carburants) servant comme
intrants dans l'agricu lture, l'industrie ou les services; ce qui revient direc-
tement ou indirectement à subventionner les prix à la consommation.
Quant aux subventions étatiques accordées aux organismes et aux entre-
prises publi cs, ell es ont totalisé au cours de la même décennie la somme
de 1 085 m illions de dinars (9 ). soit en moyenne 17% des dépenses
t ota les de l'État. Ce taux a plus que doublé entre 1971 ( 8,8% ) et 1980
(1 8,2 %). Ces subventions étatiques ont servi en grande partie à contenir
directement ou indirectement les prix à la consommation de certains pro-
duits et services strat égiques ( produits agricoles, habitat, eau, électricité,
médicaments, t ransport, etc ...).
A l' époque, le moyen essentiel qui a perm is à l'État de faire face à cet
engagement massif à travers des subventions multiformes, a ~té la rente
pétro lière. Ca r, au nivea u de ses recettes fisca les courantes, l'Etat a eu au
contraire à subir d'im portants manques à gagner. Visant, en effet, à main-
t enir le ta ux des profi ts et surtout à encourager l'exportation, il a été
amené à octroyer au capita l d'importantes bon if ications fi nancières et
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des exonératio ns f iscales( 10 ).
Les revenus de l' Ét at provenant de l'activité pétroli ère représenta ient à
peine une trentaine de m illions de dinars en 1971 ; ils ont atteint en 1981
l'app réci able tot al de 370 m illions de dinars, ayant ainsi plus que décuplé
en dix ans. Pour toute la décennie 72- 81 , cette rent e pétrolière s'est
élevée à 843 millions de dinars, contre 5 1 seu lement pour la décennie
62-7.1 ; eije a représenté en moyenne 16% du ·total des recettes propres
de l'Et at . Nous rema rqu ons donc qu'en l' absence de cette rente pétro-
li ère, la rég ul ati on du processus d'accum ul ation, te ll e qu'ell e a été prati-
q uée au cours de cette péri ode, aurait été impossible. Par aill eurs, cette
impo rtance croi ssa nte pri se pa r la rente pétrolière a perm is d'amortir le
coût de rég ul ation suppo rté pa r les f ractions socia les antérieu rement
sacrifi ées, à savoir la paysa nneri e, la fraction ag raire de la bou rgeoisie et
la classe ouvrière. En effet , la paysa nnerie et la bourgeoisie agra ire ont
co ntinu é à subir une dét éri oration de leur revenu réel, ma is à un rythme
bea uco up moindre que ce lui des ann ées 60. Qua nt aux sa lari és, ils ont pu
améli orer appréciabl ement leur pouvoir d'achat , surtout à pa rtir de 1975-
7 6, grâce à leurs luttes, et à la marge de manœuvre dont disposa it l' Ét at
pour contenir les prix à la con som m ation, marge favori sée ju ste ment pa r
l'exist ence de la rente p(ltroli ère(11) (voir tablea ux 6 et 7 ).
En so mm e, on peut dire qu'au cours de cett e déce nni e, le coût social de
la régul ation du processus d' accumul ation a ét é moins élevé que celui
des a nn ée~ 60, et ce grâce à la très im po rtante rente pétroli ère dont a pu
dispose r l' Et at . Autrement dit, pour mieux prése rver son présent, c' est-à-
dire pour ne· pas trop aigui se r ses déséq uilibres socio-écono miques, le
pays a été am ené à hypothéq uer son ave nir, pui squ e la rente pétro li ère
n' a se rvi en fin de co mpte, et pour l' esse nt iel, qu' à so utenir un processus
d' accumulation de plu s en plu s artificiel, extraverti et co ntradi ct oire. Les
LA CRISE ÉCO NOMIQUE EN TUNISIE : UNE CRISE DE RÉGULATION 63

tares de cette politique se révéleront en plein jour, lorsqu'au début des


années 80, la croissance de la rente pétrolière se ralentira.

TABLEAU 6. - ÉVOLUTION DE L'INDICE DES PRIX RÉELS


A LA PRODUCTION DU BLÉ DUR

BaN 100 en 1962 BBM100 en 1972

Années Indice Années Indice

62 100 72 100
63 B1 73 95
64 73 74 94
65 68 75 93
66 65 76 91
67 72 77 94
68 70 78 95
69 68 79 91
70 66 BO 93
71 61 81 92

Source : Annuaires statistiques de la Tunisie.


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TABLEAU 7. - ÉVOLUTION DE L'INDICE DU SMIG RÉEL

Base100 en 1962 BaN 100 en 1972

Années Indice Années Indice

62 100 72 100
63 97 73 96
64 93 74 115
65 87 75 11 1
66 93 76 11 1
67 91 77 136
68 88 78 140
69 84 79 143
70 84 80 147
71 91 81 158

Source :J ORT.
Annuaires statistiques de la Tunisie.
64 ÉTUDES

Les années 80: la recherche d'une nouvelle forme


de régulation ou la fin d'une logique.

On constate, depuis le début des années 80, que les contraintes socio-
économiques qui ont déterminé la forme de régulation des années 70
persistent, et même s'accentuent. Le renchérissement des prix des princi-
paux produits alimentaires importés continue sur sa lancée. Par exemple,
entre la triennie 77-79 et 80-82, la hausse des prix à l'importation a été
en moyenne de 90 % pour le sucre, 65 % pour le blé tendre, 51 % pour le
maïs, 49 % pour le blé dur et les produits laitiers. Seul, le prix de l'huile de
soja a connu une légère régression. De leur côté , les prix à la production
des principales denrées alimentaires produites localement ont connu
aussi une hausse appréciable. Entre les triennies 77 - 79 et 80-82, celle-ci
a été de 44 % pour l'huile d'olive, 31 % pour le blé dur et l'orge, et 28 %
pour le blé tendre (12).
Il est évident que, face à cette hausse des prix à l'importation et à la pro-
duction des principaux produits alimentaires, et en l'absence d'une aug-
mentation proportionnelle de leur prix à la consommation, la Caisse de
compensation a eu à débourser des sommes de plus en plus lourdes:
77 millions de dinars en 1980, 146 en 1 981, 168 en 1982 et 183 en
1983, soit une augmentation de 137 % en trois ans. Or, il se trouve que
dans le même temps, la rente pétrolière, qu i jusque là avait permis à
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l'État de comprimer artif iciellement, sur une large échelle, les prix à la
consommation, a commencé à marquer le pas. La régression de la pro-
duction de pétrole, et la tendance à la stagnation et même à la régression
de ses prix sur le marché mondial en sont les principales causes( 13).
Face à ces contradictions inextricables dans lesquelles il s'est enlisé,
l'État, agissant en tant que tel ( 14). a tenté de faire supporter une partie
du coût de la régulation aux cat égories privilégiées de la population. Cer-
taines dispositions de la loi de finances pour 1983 s'inscrivaient dans
cette perspective. Ces disposit ions visaient à améliorer les recettes cou-
rantes de l' État par un contrôle fiscal plus serré sur les catégories sociales
qui fraudent le plus le fisc, et en particulier les industriels et les commer-
çants. Ces mesures ont été d'autant plus mal acceptées, qu 'elles coïnci-
daient avec une intense offensive revendicatrice de la part des
syndicats (15), et avec une campagne de contrôle de fixation des prix à la
production ( 16). Pour la première fois, les capitalistes sentaient que les
moyens classiques qu'ils utilisaient pour préserver et accroître leur profit,
à savoir la fraude fiscale et l'exploitation du salarié et du consommateur,
risquaient de leur échapper simultanément. Pour desserrer cet étau, ils
n'ont pas tardé à réagir en usant de chantage. Ils ont procédé à des licen-
ciements abusifs, et même à des fermetures d' usines. Ils ont refusé l'ap-
plication de certaines conventions collectives, pourtant signées par eux,
avant la fixation des normes minimales de productivité (17). Plus même,
ils sont allés jusqu'à ralentir et même cesser tout nouvel
investissement (18).
Devant cette c9ntre-offensive de la part de ceux qui détiennent le pouvoir
économique, l'Etat a fini par capituler. En effet, en juin 1983, le Premier
ministre a réuni les patrons et les a assurés que le gouvernement était
prêt à revenir su r toute mesure qui risquait de porter atteinte à leurs
LA CRISE ÉCONOMIQUE EN TUNISIE : UNE CRISE DE RÉGULATION 65

intérêts ( 19). Et ce qui fut dit fut fait. La campagne de contrôle des prix
industriels, engagée à grand bruit quelques mois auparavant, a été relé-
guée aux oubliettes. Par ailleurs, la loi de finances complémentaire du
30 juillet 1983 est venue abroger l'essentiel des dispositions de la loi de
finances 1983 visant à réduire la fraude fiscale et à faire payer un peu
plus aux nantis (20). Mais, en cédant aux pressions des capitalistes, l'Etat
s'est placé de nouveau devant des «choix» difficiles. Ceux-ci se réduisent
pratiquement à deux: soit revenir à la vérité des prix et des salaires, en
supprimant tout moyen de compression artificielle des prix à la consom-
mation et en augmentant en conséquence les salaires nominaux (mais
cette «solution» entre en contradiction avec la nécessité de maximiser les
exportations, exigence fondamentale pour la poursuite du processus
d'accumulation); soit libérer les prix à la consommation tout en bloquant,
ou en n'augmentant que faiblement les salaires.
Depuis un certain temps, plusieurs signes précurseurs prouvent que l'État
s'oriente progressivement vers cette dernière «solution». On peut relever
par exemple:
- La décision de rendre payants certains services publics, fournis aupa-
ravant gratuitement à des catégories défavorisées de la population. C'est
le cas des soins dans les hôpitaux publics, devenus payants à partir de
janvier 1983. Le Vl 8 plan 82-86 prévoit même de rendre pâyants certains
services de l'éducation.
- En ce qui concerne la fixation des prix, le passage, pour de nombreuses
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catégories de produits industriels, de l'homologation à l'auto-
homologation (novembre 1982) (21 ).
- La forte augmentation, depuis quelques mois, des prix à la consomma-
tion de certains produits ou services fournis par les entreprises publiques
(eau, électricité, médicaments, transports, etc ...). Par exemple, en octobre
1983, les prix des transports publics ont accusé d'un seul coup une
hausse moyenne de 16 %. Ces mesures visent à réduire au maximum les
subventions étatiques aux entreprises publiques.
- La tendance à la privatisation, du moins partielle, de certaines activités
stratégiques pour le consommateur, par exemple, dans le domaine des
transports (décidée en octobre 1983). L'État cherche à se décharger ainsi
du déficit chronique des entreprises publiques de ce secteur.
- La décision prise par le gouvernement en octobre 1983 de supprimer
la compensation en faveur des céréales et de leurs dérivées à partir du
début de 1984, ce qui se traduira d'un seul coup par au moins un double-
ment de leur prix à la consommation. Cette mesure représentera pour
l'État une économie des deux-tiers au moins de ses charges de
compensation (22).
Toutes ces mesures, se succédant à un rythme de plus en plus rapide,
laissent penser qu'au cours des années 80, c'est essentiellement la
classe ouvrière qui supportera le coût de régulation du processus d'accu-
mulation. Dès lors, la grande question qui se pose est la suivante: la
classe ouvrière, qui depuis quelques années, a fait preuve de beaucoup
d'endurance et de persévérance, acceptera-t-elle dans les années à venir
de supporter à elle seule tous ces sacrifices? La réponse dépend bien sûr
des rapports de force qui s'établiront entre les classes ou fractions de
classe en présence. Mais, en tout cas, les années 80 s'annoncent
66 ËTUDES

chaudes en termes de conflits sociaux. Car, lorsque la régulation par


l'économique atteint ses limites, c'est la régulation par le politique, c'est-
à-dire par une répression accentuée de classes dominées, qui prend en
général la relève.

30 novembre 1983
Hassine DIMASSI

NOTES

(1) Les difficultés que rencontrent les capitalistes tunisiens pour améliorer la
productivité de leurs entreprises ressortent bien de cet extrait d'un éditorial de
La Tunisie économique, revue publiée par l'organisation patronale, I'UTICA:
«Pour le moment, les obstacles sont nombreux qui entravent l'action des entre-
prises tunisiennes... Il est cependant une question dont la solution présente un
caractère d'urgence, tant il est vrai qu'elle est à l'origine de la plupart des maux
dont souffre actuellement l'entreprise tunisienne: la faible productivité ... C'est
grâce à une productivité élevée que les nouveaux pays industriels, tels que la
Corée du Sud, Taiwan, Singapour, Hong-Kong, ont pu imposer leurs produits sur
tous les marchés. Vu les charges qu'elle supporte- et qui sont trois à quatre fois
plus élevées que celles qui sont supportées dans les pays susmentionnés- il est
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évident que l'entreprise tunisienne ne pourra jamais leur opposer une
concurrence sérieuse, quand bien même les autres obstacles seraient écartés»
(voir numéro de décembre 1980). Remarquons, d' après cet extrait, que les capi-
talistes tunisiens confondent, consciemment ou inconsciemment, maîtrise du
procès de travail et accélération des cadences de la main-d'œuvre. Car, en se
comparant aux capitalistes de pays tels que la Corée du Sud , Taïwan, etc ... , ils
oublient que, dans ces contrées, l'appréciable amélioration de la productivité
n'est pas, pour l'essentiel, le fruit d'une meilleure maîtrise du procès de travail,
mais plutôt d'une accélération des cadences ouvrières selon un rythme rarement
atteint ailleurs. au prix bien sûr d'une dure répression de la classe ouvrière. Ce
que souhaitent d'ailleurs les capitalistes tunisiens en réclamant depuis quelques
années la fixation de normes de productivité, c' est-à-dire le retour au travail à la
tâche.
(2) Les prix à la production sont ceux payés aux producteurs.
(3) L'indice du prix réel à la production est obtenu en déflatant l'indice du prix
nominal à la production par l'indice des prix de gros de l'ensemble des produits.
(4) L'indice du salaire réel est obtenu en déflatant l'indice du salaire nominal par
l'indice des prix à la consommation.
(5) Le processus d'accumulation était basé , au cours des années 60, sur ce
qu'on appelle les industries de substitution des importations, destinées à satis-
fa ire la demande locale en produits auparavant importés. Or, cette demande
locale s'est réduite -essentiellement du fait de la détérioration du pouvoir
d'achat des paysans et des salariés dont on a parlé plus haut-, et le processus
d'accumulation s'est trouvé bloqué. Parlant de cette nécessité vitale de maximi-
ser les exportations, l'ex-Premier ministre, H. Nouira, déclarait: «Nous devons
examiner notre développement en relation avec le reste du monde extérieur et
l'ensemble du marché international. La dimension nouvelle de notre développe-
ment industriel pendant la décennie 70-80 doit être l'exportation ... L'exportation
doit donc être l'axe principal de notre développement industriel »(discours du
6 décembre 1976 ).
(6) Par exemple, entre 1971 et 1980, les coûts de production des céréales et
de l'huile ont augmenté respectivement de 10,6% à 9,8% en moyenne par an,
LA CRISE ÉCONOMIQUE EN TUNISIE: UNE CRISE DE RÉGULATION 67

ce qui, malgré les -révisions à la hausse des pdx à la production, s'est traduit par
une détérioration des termes d'échange de ces denrées. Cependant, cette der-
nière a été moins importante qu'au cours des années 60. C'est pourquoi noùs
parlons d'un renforcement relatif de la position de la bourgeoisie agraire.
(7) Au cours des années 70, la montée de la combativité ouvrière s'est concré-
tisée par une nette poussée des luttes revendicatives, sous l'effet de la nouvelle
dynamique apparue au sein de la classe ouvrière. En effet, pendant la première
moitié de la décennie, les salaires réels ont eu tendance à stagner et même par-
fois à régresser. ( 1973, 1975, 1976 ). Les luttes engagées par les salariés
avaient alors pour principal but la sauvegarde de leur pouvoir d'achat. Mais,
dans le feu de ces luttes, la classe ouvrière, rajeunie et moins résignée qu'aupa-
ravant, a déc'ouv.ert dans le combat collectif et organisé un moyen efficace lu.i
permettànt d'obtenir souvent gain de cause. De ce fait, elle a progressivement
pris conscience de sa force. Cette prise de conscience a été d'autant plus rapide
que la situation matérielle relative des salariés n'a cessé de se détériorer. Par.
exemple, de 41 ,3 % en 1971, la part des salaires dans le Pl B a chuté à 36.4%
en 1976, et à 33,5% seùlement en 1981. C'est pourquoi, dans la seconde moi-
tié de la décennie, les salariés ont commenèé à réclamer non seulement la sau.:
vegarde de leur pouvoir d'achat, mais aussi leur part dans les fruits de la
croissance. , ·
(8) Dont 347 MD déboursés par la Caisse; èt 125. 1ViD d:impayés cumulés. En
principe la C(3E est alimentée par des taxes parafiscales qui frappent essentielle-
ment les boissons alcoolisées et les carburants. Entre 1978 et 1980 avait été
instaurée en plus une taxe spéciale de compensation, qui frappait un très grand .
nombre de produits importés. En principe, lorsque les dépenses de la Cais~e
dépassent- les recettes, l'Etat èomble le . déficit par des dotations budgétaires
( 5 MD en 1970, 15 MD en 1975 ). A partir de 1977, le déficit n'a pas été corn..:
blé, et la Caisse a cumulé les impayés.
- · · · ·
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' ' .
(9) Il s'agit des subventions d'équilibre, ·d'exploitation et d'équipement.
(10) La loi d'avril 1972 et celle d'aoOt 1974 constituent les principaux textes
qui accordent ces -avantages au capital. .
(11) Rappelons que, si la situation matérielle des salariés s'est améliorée dans
l'absolu au cours des années 70, elle n'a cessé de se dégrader relativement: la
part. des salaires dans le Pl B est passée de 41 ,3 % en 1971 à 33,5 % en ·1981 .
..C'est cette divergence entre l'amélioration absolue et la détérioration relative du ·
niveau des revenus des salariés qui, à notre sens, explique en grande partie les
affrontements sanglants entre I'UGTI et le pouvoir en janvier 1978. C'est cette
divergence aussi qui explique la persévérance des luttes ouvrières au cours des
aimées 80.
(12) Si on tient compte de la dernière mesure prise par le Conseil des ministres·,
le 3 novembre 1983, le prix à la production des céréales (en dinars/quintal) est
passé entre 1977 .et 198·3, de 7,135 à 14 pour le blé dur, de 6;535 à 14 pour le
bi tendre, et de 5,035 à 10 pour l'orge, soit plus ou moins un doublement en six
ans; auparavant les prix à la production des céréales avaient mis environ vingt
ans pour doubler. Cette haùsse vertigineuse des prix à la production des céréales
ne s'arrêtera pas tant que l'agriculture tunisienne restera dépendante de l'exté-
rieur pour l'essentiel de ses intrants (machines, engrais, en particulier engrais
azotés, insecticides,, etc ... ). Or, dans l'esprit des dirigeants, il suffit de valoriser
les prix à la production de.s produits agricoles pour éviter à !:agriculture une
déchéance totale. Plus même, pour éloigner cette évent4alité, l'Etat a été ,obligé
ces dernières'années de prendre un ensemble de mesures e~ faveur.des agricul-
teurs. On peut citer la création d'une Agence de promotion des investissements
agricoles (APIA). destinée à agréer des projets agricoles bénéficiant de bonifica- .
tions financières et d'exonérations fiscales au même titre que les projets indus-
triels ou touristiques. Ce qui ne manquera pas d'alourdir les charges ou les
manques à gagner supportés par l'État, sàns résoudre en rien le problème des
prix agricoles.
(13) En effet, après avoir atteint son maximum en 1980 avec 5,6 millions de
tonnes, la production de pétrole a baissé à 5.4 en 1981 et 5,1 en 1982. Quant
68 ÉTUDES

aux prix à l'exportation du pétrole, ils ont augmenté entre 1977-80 à un taux
annuel moyen de 36 % contre un taux de 16 % seulement en 1980-82 . En
1983, on s'attend même à une baisse de ces prix.
(14) Nous disons «agissant en tant que tel», car l'État peut conjoncturellement
sacrifier certains intérêts immédiats -de la classe dominante en vue de lui assurer
ses intérêts à long terme. Ce que l'État tunisien a tenté de faire au début des
années 80, sans grand succès d'ailleurs.
(15) En effet, les années 82 -83 ont été les années de révision des conventions
collectives, gelées depuis 1973- 74. Cette révision a permis aux salariés de con-
solider parfois de manière appréciable certains avantages acquis. Par ailleurs,
depuis 1980, suite à la reconstitution de I'UGTT après son démantèlement en
1978, les salariés ont réussi à arracher des augmentations salariales non négli-
geables. Par exemple, le SMIG nominal est passé de 239 millions/heure en jan-
vier 1980 à 457 en juin 1983, soit une augmentation de 91 %en moins de trois
ans.
( 16) En novembre ) 982, 140 contrôleurs, groupés en brigades, ont été chargés
par le ministre de l'Economie de procéder à une vérification des prix fixés par les
industriels; ainsi que de la qualité de leurs produits. Ces opérations ont révélé
d'énormes abus et ont entraîné la fermeture de quelques entreprises. La revue
du Parti socialiste destourien, Dialogue écrivait dans son numéro du 3 janvier
1983: «Les coups de filets réussis par les brigades de contrôle économique ont
démontré, par l'ampleur des infractions et le nombre de contraventions, que
l'abus et la spéculation risquaient sérieusement d'affecter les mœurs commer-
ciales et industrielles du pays».
(17 ) . Ces abus des capitalistes ont été vigoureusement dénoncés par la centrale
synpicale ouvrière. Dans la motion émanant' de sa Commission administrative
réunie les 29-30 juillet 1983, I'UGTT «dénonce la non application de certaines
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conventions collectives, de certains statuts, de la part d'un certain nombre de
patrons et d'établissements; dénonce avec fermeté l'attitude de certains patrons
et de responsables d'établissements publics devant le mépris qu'ils affichent à
l'égard des droits des travailleurs, allant jusqu'à décider la fermeture de leurs
établissements, des licenciements abusifs et une diminution des heures de
travail ».
(18) En effet, les statistiques de l'Agence de promotion des investissements
révèlent qu'au cours du 1•• semestre 1983, on a assisté à une baisse aussi bien
du nombre d'agréments de projets que du niveau de l'investissement et de
l'emploi.
( 19) Commentant cette réunion, l'éditorialiste de Dialogue écrivait: «Les
hommes d'affaires, hommes d'entreprise et de terrain, n'ont pas raison d'avoir
peur ni de se laisser miner par le doute. Si la conjoncture internationale de crise
économ ique sévit durablement, ce n'est pas une raison suffisante pour juger que
la Tunisie doive, sur le terrain de l'économie, capituler, quand tout laisse entre-
voir des moyens certains de relance et de redressement» (n° 456 , juillet 1983).
(20) Pour marquer sa désapprobation à l'égard de cette capitulation de l'État
devant les nantis, la Commission administrative de I'UGTT; dans sa réunion des
29-30 juillet 1983, «rappelle à la suite des nouveaux amendements apportés à
la loi des finances, qu'elle a toujours réclamé l'adoption d'une politique fiscale
servant les intérêts des classes fa ibles, et des salpriés en particulier». Notons,
par aill eurs, que ce n'est pas la première fois que l'Etat cède sous la pression des
nantis. La loi de finances pour 1977, visant aussi à resserrer le contrôle fiscpl a
connu le même sort que celle de 1983. Ces capitu lations successives de l'Etat
prouvent qu 'il est de moins en moins capable de jouer son rôle en tant que
garant d'un minimum de cohésion sociale.
(2 1) Dans le régime de l'homologation, c'est l'État qui fixe le coût du produit et
la marge bénéficia ire qui lui est applicable. Dans le régime de l'auto-
homologation, c'est l'entreprise elle-même qui détermine son coût et lui
applique la ma rge bénéficiaire.
(22 ) Voi là en quels termes a été annoncée cette décision prise par le Consei l
LA CRISE ÉCONOMIQUE EN TUNISIE : UNE CRISE DE RÉGULATION 69

des ministres lors de sa réunion du 24 octobre 1 ~83 : «le Conseil a entendu , au


début de ses travaux, un exposé du ministre de l'Economie nationale sur l'évolu-
tion des dépenses de la Caisse générale de compensation au cours des dernières
années, et les estimations des charges pour l'année 1984. Le ministre a souli-
gné que la CGC, qui a été créée pour faire face à des difficultés conjoncturelles,
a vu ses interventions prendre une forme structurelle impliquant des charges
financières de plus en plus lourdes du fait notamment de la hausse des cours
mondiaux ... Le déficit cumulé de la CGC dépasserait 100 millions de dinars en
1984. En raison de l'évolution croissante des charges de la CGC, et dans un
souci d'alléger les charges du budget et d'assurer une meilleure utilisation des
ressources publiques, il est devenu nécessaire de rédu ire l'intervention de cette
Caisse».
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