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LA VÉRITABLE HISTOIRE DE LA CRISE FINANCIÈRE 2008 –

Marie-Claude Esposito

L’Esprit du temps | « Outre-Terre »

2013/3 N° 37 | pages 127 à 158


ISSN 1636-3671
ISBN 9782847952490
DOI 10.3917/oute1.037.0127
Article disponible en ligne à l'adresse :
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La véritable histoire de la crise
financière 2008 –
Marie-Claude Esposito1

Les crises financières ne sont pas nouvelles. Elles ont précédé l’apparition des
marchés financiers. Mais depuis 1973, date où le système monétaire internatio-
nal (SMI) reconstruit après la Seconde Guerre mondiale – système dit de Bretton
Woods – vola en éclats pour devenir un système de parités flottantes, la fréquence
des crises financières s’est accélérée et leur nature s’est modifiée. Depuis une ving-
taine d’années, elles paraissent liées au processus de globalisation financière qui a
complètement modifié l’ordre financier international. La crise qui débuta en 2007
n’échappe pas à cette règle. Trouvant son origine dans la bulle immobilière améri-
caine et le marché des crédits hypothécaires risqués (crédits subprimes), cette crise
toucha ensuite les institutions financières américaines, puis les européennes et les
asiatiques, puis les marchés boursiers, aucun compartiment du marché financier in-
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ternational n’y échappant, avant d’avoir des conséquences sur les économies réelles
de la planète. Sa diffusion à l’ensemble du système financier mondial fut rendue pos-
sible grâce à l’interaction de différents éléments, les innovations financières récentes
n’étant que l’un d’entre eux.

Ce qui est frappant avec cette crise, ce sont son ampleur, sa durée et ses effets,
qui font que deux spécialistes des crises financières l’ont appelée la « seconde grande
contraction » (the second great contraction)2 la crise de 1929 étant la première. En
effet, cette crise est, dans la série des crises bancaires et financières depuis la Seconde
Guerre mondiale, la première ayant une envergure mondiale. Les facteurs propices
au déclenchement de cette crise seront analysés dans une première partie. Puis, dans
une deuxième partie, nous nous intéresserons à son déroulement, avant d’analyser
les mesures prises par les banques centrales et les États pour tenter de l’endiguer à
court terme et d’éviter l’effondrement de l’économie mondiale.

1 Professeur à Paris 3 Sorbonne Nouvelle


2 Kenneth S. Rogoff est professeur à Harvard depuis 1999. Il occupa le poste d’économiste en chef au FMI de 2001 à
2003. Il publia, en 2009, avec Carmen M. Reinhart, professeur à l’université du Maryland, un ouvrage qui fait autorité sur
l’analyse des crises : This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly. Princeton, Princeton University Press, 2009 ;
traduction française : Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Paris, Pearson, 2010, 467 p.
128 Marie-Claude Esposito

LES FAITS ANNONCIATEURS

Deux grands types d’explication3 sont avancées pour expliquer l’origine de la


crise : les causes macroéconomiques d’une part (politique monétaire américaine trop
accommodante et déséquilibres mondiaux) et les causes microéconomiques d’autre
part (conditions d’attribution des prêts hypothécaires, innovations financières fa-
vorisant des prises de risque excessif dans le système financier américain, régulation
financière inadaptée).

DES ÉVOLUTIONS MACROÉCONOMIQUES DÉSTABILISANTES

Au plan macroéconomique, l’économie mondiale bénéficia, durant la décennie


qui précéda la crise, de taux d’intérêt très faibles, d’une croissance relativement sou-
tenue et pourtant peu inflationniste, en dépit de la forte hausse du prix des matières
premières – ce qui accrédita l’idée que les politiques des banques centrales étaient
devenues efficaces – et également mieux répartie géographiquement en raison de
l’arrivée des pays émergents, notamment la Chine, l’Inde et autres BRIC(S)4. Dans
ce contexte favorable, les problèmes sont venus de la politique monétaire améri-
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caine et des déséquilibres des balances courantes, et plus largement des balances des
paiements, et des flux financiers qui se déplacent d’une place financière à l’autre
en fonction des écarts de taux d’intérêt et contribuent à augmenter l’instabilité du
système financier international.

UNE POLITIQUE MONÉTAIRE TROP ACCOMMODANTE AUX ÉTATS-UNIS

Pour favoriser la croissance de l’économie américaine, les autorités monétai-


res ont mené une politique monétaire extrêmement accommodante se traduisant
par des taux d’intérêt très faibles depuis le début des années 1990. Une série de
travaux5 considèrent que la banque centrale américaine – la Réserve fédérale (la
Fed) – a/aurait ainsi créé les conditions propices au développement de la bulle de
l’immobilier de 2006-2007 et de l’endettement du système financier, après avoir été
largement à la source de la bulle internet des années 2000-2001. Après l’explosion de
cette dernière, en 2001, le taux directeur de la Fed fut abaissé à 1 %, niveau auquel
il fut maintenu jusqu’en 2006, afin d’éviter une récession de l’économie américaine.

3 Cf. Patrick Artus et al., De la crise des subprimes à la crise mondiale, Paris, La documentation Française, 2009, 167 p.
4 Les BRIC(S) regroupent les pays émergents suivants : Brésil, Russie, Inde et Chine (rejoints par l’Afrique du Sud).
5 Cf. John B. Taylor, Getting Off Track: How Government Actions and Interventions Caused, Prolonged, and Worsened
the Financial Crisis, Stanford, Hoover Institution Press, 2009, 92 p. ; Rajan Raghuram, Fault Lines, Harper Collins, 2010,
288 p. ; William R. White, « Is Price Stability Enough? », BIS Working Paper, n° 205, avril 2006, 22 p.
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 129

Durant cinq années, les banques américaines purent ainsi se refinancer à très bon
compte et prêter toujours davantage. D’où une création monétaire excessive qui
alimenta la spéculation sur le marché de l’immobilier américain, la faiblesse des
taux d’intérêt poussant les agents économiques à s’endetter toujours davantage pour
bénéficier d’effets de levier importants. Ce processus perdura jusqu’au moment où
la Fed décida, entre 2004 et 2006, de faire remonter son taux directeur jusqu’à 5 %
pour lutter contre l’inflation. C’est cette décision qui a/aurait été le déclencheur de
la crise de 2007.

L’AUGMENTATION DES DÉSÉQUILIBRES FINANCIERS AU PLAN INTERNATIONAL

Sans nier le rôle joué par la politique monétaire américaine, d’autres économis-
tes privilégient les déséquilibres mondiaux comme principal facteur explicatif de
la crise6. Au cours des deux dernières décennies, la géo-économie du monde s’est
profondément modifiée. L’arrivée de nouveaux acteurs sur la scène mondiale – la
Chine, l’Inde et d’autres économies émergentes, notamment les BRIC(S) – a provo-
qué un changement structurel de l’économie mondiale sans précédent : la Chine et
l’Inde représentant pas moins de deux fois et demie la population des pays avancés,
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la population active intégrée dans l’économie mondiale connaît une croissance verti-
gineuse depuis vingt ans (elle aurait été multipliée par quatre selon certaines analyses
et devrait encore s’accroître de 40 % selon les prévisions de l’ONU d’ici à 20507).
Dans le même temps, en raison de la globalisation financière, les flux financiers
mondiaux ont beaucoup augmenté, leur montant passant de moins de 5 % du PIB
mondial durant les décennies 1980 et 1990 à environ 20 % en 20078 ; de plus, les
flux de capitaux ne se sont pas dirigés des pays riches vers les pays pauvres, comme
on aurait pu s’y attendre, mais se sont au contraire orientés en sens inverse.

Le creusement des déséquilibres financiers internationaux, qu’il est possible de


mesurer par l’augmentation des déficits et des excédents des balances courantes,
même si cet indicateur est un peu grossier, est considéré comme l’une des causes
principales de la crise, car il a permis d’alimenter l’énorme gonflement des crédits
aux États-Unis. À la base des déséquilibres des balances courantes (celles-ci représen-
tent la somme des flux d’emprunts publics et privés à l’étranger) se trouvent des dif-
férences très marquées en termes d’épargne, de dépenses et d’endettement entre les
grandes économies mondiales. Depuis la fin des années 1990, en effet, les excédents

6 Cf. par exemple Ricardo J. Caballero, Arvind Krishnamurthy, « Global Imbalances and Financial fragility », American
Economic Review, vol. 99, n° 2, 2009, p. 584-588 ; Anton Brender, Florence Pisani, Les déséquilibres financiers interna-
tionaux, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2007, 121 p.
7 Voir FMI, Perspectives de l’économie mondiale, avril 2007, p. 197.
8 IMF, IMF Adopts Institutional View on Capital Flows, 3 décembre 2012, <www.imf.org/external/pubs/ft/survey/
so/2012/POL120312A.htm> [3 mars 2013].
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des pays émergents d’Asie et des pays exportateurs de pétrole n’ont cessé d’augmen-
ter, car ces pays ont des capacités d’absorption limitées, pendant que les déficits des
pays développés se creusaient. Une analyse plus détaillée des excédents et des déficits
courants, exprimés en millièmes du PIB mondial, dont l’ampleur s’est considéra-
blement accrue entre 1990 et 2007, montre le creusement des déficits, essentielle-
ment celui des États-Unis, mais également du Portugal, de l’Italie, de la Grèce et de
l’Espagne (PIGS) et l’augmentation des excédents, notamment pour les BRIC(S),
l’Allemagne et le Japon. L’exemple de la Chine est particulièrement intéressant. Le
niveau très élevé de l’épargne des ménages dans ce pays s’explique pour l’essentiel
par le faible développement des systèmes de protection sociale et de retraite, qui ren-
dent nécessaire une épargne de précaution. Celle-ci se place principalement dans des
dépôts bancaires peu risqués mais peu rémunérateurs. Quant à la banque centrale
chinoise, elle accumule, tout comme les pays exportateurs de pétrole, les réserves de
change tirées des exportations, ce qui contribue à une très forte augmentation de
la liquidité au plan mondial déjà nourrie par l’expansion du crédit, qui elle-même
est favorisée par le niveau très bas des taux d’intérêt. Jusqu’en 2004, les autorités
chinoises pratiquèrent une politique de change qui visait à maintenir le renminbi à
une valeur fixe, mais sous-évaluée par rapport au dollar, afin de soutenir les secteurs
exportateurs de produits bas de gamme. Puis, entre juillet 2005 et l’été 2008, la ban-
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que centrale chinoise modifia sa politique de change, afin de calmer la surchauffe de
son économie : elle laissa le renminbi s’apprécier par rapport au dollar et la hausse
avoisina les 20 %. Mais devant les problèmes rencontrés par les industries exportatri-
ces, en raison de la crise, la banque centrale chinoise mit fin à l’expérience au cours
de l’été 2008. Il est intéressant de noter que l’appréciation du renminbi ne modifia
pas vraiment les grandes caractéristiques de l’économie chinoise (croissance forte et
soutenue et augmentation des excédents de la balance courante), puisque l’excédent
de la balance courante chinoise connut une envolée spectaculaire, entre 2004 et
2007, passant de 3,6 % du PIB en 2004, à 7,2 % en 2005 et 11 % en 20079.

Pendant que des pays accumulaient des excédents – notamment la Chine dont
l’excédent de la balance courante représentait la moitié des excédents des économies
asiatiques en 2000 et la totalité en 2005 – le déficit extérieur américain s’envolait,
en raison de la très forte croissance de l’endettement des ménages américains avant
la crise, si bien que les États-Unis devinrent le plus gros emprunteur net au plan
mondial. Leur déficit atteignit 4,8 % du PIB en 2003 et 6 % en 200610, alors qu’il
n’avait pas dépassé 1,5 % du PIB durant les mandats de Ronald Reagan11. Si celui-ci
avait été essentiellement financé par des capitaux privés jusqu’au milieu des années

9 Cf. Maurice Obstfeld, Kenneth S. Rogoff, « The US Current Account and the Global Financial Crisis », Federal Reserve
Bank of San Francisco Asia Economic Policy Conference, Santa Barbara, CA, 18-20 octobre 2009, novembre 2009, p. 17-18.
10 Ibid, p. 5.
11 Ronald Reagan fut Président des États-Unis de 1981 à 1989.
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 131

2000, les investisseurs achetant surtout des produits financiers liés à l’immobilier, il
fut ensuite financé par les grandes banques centrales de la planète. Ceci allait avoir
une conséquence très importante dans la mesure où, à la différence des investisseurs
privés, les banques centrales créent de la monnaie lorsqu’elles achètent des actifs en
dollars. C’est ainsi que le financement du déficit américain par les banques centrales
a, lui aussi, été une machine à fabriquer de la liquidité mondiale.

Aux réunions du G7 (Dubai, 2003 et Boca Raton, Floride, février 2004), des
voix s’élevèrent pour considérer les déséquilibres des balances courantes comme un
risque majeur pour l’économie mondiale auquel il fallait remédier sur le moyen
terme. La Banque centrale européenne attira également l’attention sur le fait que
l’énorme déficit de la balance courante américaine faisait peser un risque majeur sur
l’économie mondiale12. Mais les autorités américaines restèrent sourdes à ces appels
et poursuivirent leur politique de « douce négligence » (begnin neglect). Pour Alan
Greenspan, président de la Fed d’août 1987 à février 2006, pas plus le déficit de la
balance courante américaine que la très forte hausse des prix de l’immobilier et de
l’endettement des ménages américains n’étaient des facteurs de risque, la flexibilité
de l’économie américaine pouvant permettre un atterrissage en douceur. C’est du
moins ce qu’il expliqua dans son article de 2005 et dans l’ouvrage qu’il publia en
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200713. D’après The Economist, le secrétaire au Trésor américain, Paul O’Neil14, allait
même jusqu’à affirmer que la balance courante était un concept dépourvu de sens
(meaningless concept), son déficit ne faisant que refléter le (étant le pendant du) désir
des investisseurs privés de vouloir investir aux États-Unis où les rendements étaient
plus élevés, ce qui provoquait des entrées de capitaux sur le sol américain15. Quant
à Ben Bernanke16, il jugeait, peu de temps avant sa nomination à la tête de la Fed,
que l’énorme déficit américain s’expliquait pour l’essentiel par des facteurs externes
à l’économie américaine, autrement dit par des facteurs sur lesquels les autorités
américaines n’avaient pas de prise (excédents d’épargne en Allemagne et au Japon
pour faire face au vieillissement de leurs populations, capacité d’absorption des pays
émergents insuffisante, systèmes financiers des pays émergents peu développés). Il
était donc normal que les énormes réserves d’épargne mondiale cherchent à se placer
aux États-Unis qui bénéficiaient d’un système financier sophistiqué, car les investis-
seurs voulaient acheter des actifs qu’ils considéraient comme sûrs (bons du Trésor

12 European Central Bank, Financial Stability Review, décembre 2004.


13 Cf. Alan Greenspan, « Remarks by Chairman Alan Greenspan: Current Account », Speech at Advancing Enterpri-
se 2005 Conference, Londres, 4 février 2005, <www.federalreserve.gov/boarddocs/speeches/2005/20050204/default.
htm> ; Alan Greenspan, The Age of Turbulence, Londres et New York, Penguin, 2007, traduction française : Le temps des
turbulences, Paris, Jean-Claude Lattès, 2007, 677 p.
14 Paul O’Neil fut secrétaire au Trésor américain de 2001 à 2002 sous le premier mandat de George W. Bush.
15 « The O’Neil Doctrine », The Economist, 25 avril 2002, <www.economist.com/node/1098936> [27 février 2013].
16 Professeur d’économie, spécialiste des questions monétaires, Ben Bernanke fut membre du conseil des gouver-
neurs de la Réserve fédérale à partir de 2002. Il fut nommé par le Président George W. Bush à la tête de cette institution
en octobre 2005 et a pris ses fonctions le 1er février 2006.
132 Marie-Claude Esposito

américain). Et Ben Bernanke de conclure que la solution au problème des déséqui-


libres des balances courantes et du déficit américain n’était pas à chercher dans un
changement de politique économique aux États-Unis, mais dans des mesures qui
permettraient aux pays émergents de redevenir des emprunteurs17.

Cette vision des dirigeants américains était soutenue par des travaux académi-
ques de chercheurs américains spécialistes du système monétaire international qui
présentaient les déséquilibres financiers mondiaux comme un phénomène gagnant-
gagnant, en particulier ceux de Richard Cooper (Harvard), Michael P. Dooley (uni-
versité de Santa Cruz) qui fut membre du Comité des gouverneur de la Fed pen-
dant près de vingt ans, de David Folkerts-Landau, membre du National Bureau of
Economic Research (NBER) et économiste à la Deutsche Bank, et de Peter Garber,
professeur à l’université Brown. D’autres économistes attiraient au contraire l’atten-
tion sur la question de la soutenabilité du déficit américain, en d’autres termes sur
la question de l’acceptation de détenir des actifs libellés en dollars US par le reste du
monde, sans que la monnaie américaine s’effondre, et sur les risques que le déficit
faisait courir à l’économie mondiale (Obstfeld et Rogoff ; Nouriel Roubini et Brad
Setser ; Paul Krugman18). Certains d’entre eux allaient même jusqu’à soulever la
question de l’avenir du dollar, avançant l’idée que celui-ci pouvait perdre son statut
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de première monnaie de réserve internationale.

Trait remarquable de la période : l’excès de liquidité au plan mondial ne s’est


pas traduit par une forte inflation. C’est même le phénomène inverse qui s’est pro-
duit, l’inflation mondiale étant passée de 30 % à 4 % en moyenne sur la période
1993-200319. Pour Rogoff, l’interaction des effets positifs de la mondialisation, de la
déréglementation et de la moins grande intervention des États dans l’économie ont
rendu possible une plus grande concurrence sur les marchés des biens et des services
et les marchés du travail, laquelle a fait pression sur les prix des produits manufac-
turés et permis une plus grande flexibilité des salaires20. À partir du moment où les
prix sont devenus plus flexibles, les effets de la politique monétaire sur l’économie
réelle sont devenus moins puissants, mais l’engagement des autorités monétaires à
réduire l’inflation n’en est devenu, lui, que plus crédible, même si d’autres facteurs
peuvent avoir également contribué à la diminution de l’inflation21. Les marchés pre-

17 Cf. Ben S. Bernbanke, The Global Saving Glut and the US Current Account Deficit, <www.federalreserve.gov/board-
docs/speeches/2005/200503102/default.htm> [27 février 2013].
18 Pour une présentation de la littérature sur la question du déficit américain, cf. Maurice Obstfeld, Kenneth S. Rogoff,
« The US Current Account », op. cit.
19 Cf. Kenneth S. Rogoff, « Globalization and Global Disinflation », septembre 2003, pp. 2,4, <www.kc.frb.org/publicat/
sympos/2003/pdf/rogoff.0910.2003.pdf> [20 février 2013]. Dans les pays développés, l’inflation est passée de 9 % à 2 %
en moyenne entre le début des années 1980 et le début des années 2000. Mais c’est dans les pays en développement
que la baisse a été la plus spectaculaire puisque l’inflation est passée de 31 % à 6 % en moyenne sur la période 1980-84
à 2000-2003.
20 Ibid., p. 17-21.
21 Ibid., p. 20.
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 133

nant en compte l’efficacité des politiques monétaires anti-inflationnistes des banques


centrales, l’aversion pour le risque a fortement chuté, les primes de risque et les taux
d’intérêt à long terme ont alors diminué, la baisse des taux d’intérêt se poursuivant
même quand la politique monétaire américaine est devenue plus restrictive. C’est
cette forte diminution des taux d’intérêt qui a alors entraîné une importante aug-
mentation du crédit ; celle-ci a permis une augmentation du prix des actifs, notam-
ment de celui des actifs immobiliers qui a poussé à la hausse le montant des crédits
hypothécaires puisque ceux-ci sont gagés sur la valeur des actifs immobiliers22.

DES ÉVOLUTIONS MICROÉCONOMIQUES AUX EFFETS PERVERS

Les évolutions macroéconomiques décrites précédemment ne sont qu’une partie


du problème. Le déclenchement de la crise fut également le résultat de changements
microéconomiques, eux-mêmes souvent liés à une très forte exigence de rentabilité
qui conduisit les banques et d’autres institutions financières à prendre davantage de
risques.
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ASSOUPLISSEMENT DES CONDITIONS D’ATTRIBUTION DE PRÊTS IMMOBILIERS AUX
ÉTATS-UNIS

La forte croissance des prêts hypothécaires aux États-Unis s’explique essentielle-


ment par l’octroi de prêts (crédits subprimes) à des ménages à risque dont la situation
financière ne leur permettait pas d’obtenir des crédits primes. Ce mouvement fut en-
couragé par l’Administration américaine qui menait une politique d’accès à la pro-
priété. Les bénéficiaires de crédits, qui ne représentaient que 10 % des détenteurs de
crédits immobiliers en 2000, atteignirent les 20 % en 200623. Les crédits subprimes
se caractérisaient par un taux d’intérêt très faible durant les premières années du prêt,
taux qui augmentait ensuite pour rémunérer le risque pris par le créancier et qui était
indexé sur les taux directeurs de la Fed. En cas de défaut de paiement, qui entraînait
la saisie du bien immobilier, le créancier pouvait espérer limiter sa perte, puisque la
hausse continue du marché de l’immobilier américain laissait espérer une revente du
bien immobilier saisi à bon prix. En d’autres termes, malgré un risque de solvabilité
important du côté des emprunteurs, ces crédits ne semblaient pas risqués pour les
banques. Ceci explique que les crédits subprimes aient connu un succès grandissant :
le montant de leurs encours est ainsi passé de 94 milliards de dollars en 2001 à 685
milliards en 2006, ce qui représentait 23 % du montant total des prêts immobiliers

22 Cf. Patrick Artus et al., De la crise des subprimes, op.cit, p. 13-19.


23 Ibid, p. 21.
134 Marie-Claude Esposito

souscrits aux États-Unis en 200624. Notons enfin que ces crédits n’ont pas été accor-
dés directement par les banques mais par des courtiers payés à la commission, qui
n’étaient pas soumis aux mêmes règles que les banques, et qui bénéficiaient d’une
réglementation beaucoup moins contraignante.

LE DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS DE TITRISATION DES CRÉANCES BANCAIRES

Si l’origine de la crise se trouve bien sur le marché des subprimes, c’est-à-dire dans
un sous-compartiment du marché des crédits hypothécaires américains à taux varia-
bles, cette crise s’est ensuite diffusée très rapidement aux banques de la planète en
prenant la forme d’une crise de liquidité. La propagation de cette crise s’est opérée
grâce au mécanisme de la titrisation, qui donne la possibilité aux établissements de
crédit de transformer leurs créances peu liquides comptabilisées dans leurs bilans
(prêts immobiliers, prêts à la consommation) en titres négociables beaucoup plus
liquides qui sortent du bilan des banques et sont placés sur le marché financier.

Lors d’une opération de titrisation, les créances cédées par les banques sont
achetées par un fonds commun de créances, FCC (special purpose vehicle, SVP)
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qui les finance en émettant des titres négociables dont les caractéristiques sont
différentes de celles des actifs sous-jacents. Le FCC reçoit les flux de trésorerie
générés par les actifs sous-jacents qui lui permettent de rémunérer les investisseurs
qui ont acheté les titres négociables. La titrisation fait donc passer une partie des
actifs financiers, qui jusque-là étaient soumis aux règles de l’intermédiation ban-
caire, dans le champ des marchés financiers où cette réglementation n’existe pas.
En faisant de la place dans le bilan des banques, elle améliore la structure de leur
bilan, leur permet de diminuer leurs obligations en termes de ratio de solvabilité
et leur donne également la possibilité d’accorder de nouveaux prêts qui pour-
ront également être titrisés. Ce faisant la titrisation, qui permet aux banques de
transférer une partie de leur risque de crédit à des investisseurs tels que les fonds
spéculatifs (hedge funds),
s les fonds de private equity, est censée améliorer l’effi-
cience du système financier global. Mais d’après certaines études, la titrisation des
crédits subprimes, qui donna naissance à des produits financiers de plus en plus
complexes, aurait eu des effets pervers en incitant les banques à prendre encore
davantage de risques25. De plus, elle favorisa l’apparition d’un système bancaire
parallèle (shadow banking system) permettant de mener des activités de crédit non
bancaire, qui échappent à toute réglementation prudentielle et menacent la sta-
bilité financière.

24 Ibid.
25 Voir l’article de Gunter Franke, Jan Peter Krahnen « Default Risk Sharing between Banks and markets : The contribu-
tion of Collaterized Debt Obligations », Center for Financial Studies Working Paper Series, n° 2005/06, <www.ifk-cfs.de/
fileadmin/downloads/publications/wp/05_06.pdf> [13 février 2013].
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 135

Née aux États-Unis, au début des années 1970, la titrisation fut d’abord le fait
de trois institutions spécialisées dans les crédits hypothécaires : la Federal National
Mortgage Association (Fannie Mae), créée en 1938, et la Federal Home Loan Mortgage
Corporation (Freddie Mac) créée en 1970 – deux agences privées bénéficiant d’une
garantie de l’État (government-sponsored enterprises) – ainsi que la Government Na-
tional Mortgage Association (Ginnie Mae), entreprise publique intégrée du ministère
du Logement et de l’Urbanisme qui vit le jour lors de la scission de Fannie Mae en
1968 en deux entités, une entreprise privée qui continua de s’appeler Fannie Mae
et une entreprise publique, Ginnie Mae. À cette époque, la titrisation des crédits
immobiliers donna naissance à des titres financiers adossés à ces crédits (mortgaged-
backed securities, MBS). À partir du milieu des années 1990, la titrisation concerna
d’autres types de crédit et donna naissance à de nouveaux produits financiers (asset-
backed securities, ASB), dont les caractéristiques étaient liées aux actifs sous-jacents
(crédits étudiants, crédits auto, crédits à la consommation etc.). Puis, de nouveaux
produits encore plus sophistiqués ont vu le jour, tels que les collaterized debt obliga-
tions (CDO) adossés à des instruments financiers négociables comme les obligations,
les dérivés de crédits, etc. Tous ces produits de plus en plus complexes firent l’objet
d’une notation par les grandes agences de notation, qui les classaient suivant leur ni-
veau de risque, la tranche la moins risquée et la moins rémunératrice (tranche super
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senior) étant notée AAA, la tranche mezzanine, plus risquée mais mieux rémunérée
étant généralement notée de AA à BB, et ce jusqu’à la tranche equity très risquée
mais non notée26. Comme il était possible d’émettre plusieurs tranches de titres avec
des niveaux de risques différents, l’émission d’une tranche d’equity, qui absorbait la
plus grande partie du risque du sous-jacent, améliorait la notation des autres tran-
ches. Mais le risque ne disparaissait pas. Compte tenu du rôle central joué par les
agences de notation sur le marché des produits titrisés, celles-ci allaient être tenues
responsables, au moins en partie, de la crise, lorsque celle-ci révéla les dysfonction-
nements en matière d’évaluation du risque.

La titrisation se développa à une allure vertigineuse aux États-Unis, le montant


total des encours avoisinant les 900 milliards d’euros à la fin de 2006, alors qu’il
n’atteignait que 452 milliards d’euros dans l’Union européenne. Le Royaume-Uni,
dont l’encours de créances titrisées se montait à 192,2 milliards d’euros, soit 52 %
de l’encours total, dominait très largement le marché ; venaient ensuite l’Espagne
(44 milliards d’euros), l’Allemagne (37,7 milliards), les Pays-Bas (28,6 milliards) et
la France (7,7 milliards)27.

26 Cf. Adrian Blundell-Wignall, « Structured Products : Implications for Financial Markets », Financial Market Trends, vol.
2, n° 93, 2007, p. 31.
27 Association Française des Investisseurs en Capital (AFIC), Fiche thématique 36, septembre 2007, <www.afic.asso.fr/
Images/Upload/Partenariats/ft36_0907.pdf> [20 mars 2013].
136 Marie-Claude Esposito

LE DÉROULEMENT DE LA CRISE

Le système fonctionna sans heurt et attira beaucoup d’investisseurs tant que la


hausse du marché immobilier américain se prolongea et que les taux d’intérêt direc-
teurs aux États-Unis restèrent à un niveau peu élevé. Si l’on situe la bulle immobi-
lière américaine dans une perspective historique, aucune augmentation du prix des
logements, depuis 1891, n’a atteint le niveau record affiché par le marché américain
en 2006, la hausse cumulée des prix réels de l’immobilier se montant à 92 %, entre
1996 et 2006, alors qu’elle n’avait été que de 27 % entre 1890 et 199628. Pourtant,
l’ampleur de la bulle immobilière n’alerta pas les autorités monétaires américaines.
Bien plus, Alan Greenspan et Ben Bernanke pensaient qu’il ne fallait pas lui accor-
der trop d’importance, puisque les innovations financières rendaient plus faciles les
emprunts gagés sur l’immobilier et que l’augmentation du prix des logements ne
mettait pas en péril la politique monétaire de lutte contre l’inflation29. La forte mon-
tée de l’endettement des ménages américains en pourcentage du PIB ne les alerta pas
davantage, bien que ce ratio, qui avoisinait 80 % jusqu’en 1993, fût passé à 120 %
en 2003, puis à 130 % en 200430.
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L’EXPLOSION DE LA BULLE IMMOBILIÈRE

Lorsque la Fed craignit une reprise de l’inflation (1 % en 2004 et 5,25 % en


2006), elle modifia sa politique monétaire très accommodante et fit passer son taux
directeur de 1 % à 5 %. La hausse des taux d’intérêt qui s’ensuivit mit fin à l’euphorie
et précipita le dégonflement de la bulle immobilière et la crise. La montée des taux
d’intérêt sur les crédits subprimes fit augmenter les défauts de paiement et les saisies
de manière vertigineuse, même si l’Administration Bush demanda aux institutions
financières de renégocier les prêts plutôt que de saisir les biens immobiliers. Le coût
social et économique très élevé ne se limita pas aux ménages insolvables, mais toucha
également les municipalités où ils résidaient, avant d’atteindre les institutions finan-
cières. La diminution de la demande sur le marché immobilier américain entraîna la
baisse des prix sur ce marché, si bien que les créanciers ne purent récupérer la totalité
de leurs prêts et essuyèrent des pertes considérables en revendant les biens immobi-
liers saisis, ce qui provoqua l’explosion de la bulle immobilière américaine.

28 Cf. Kenneth S. Rogoff , Carmen M. Reinhardt, This Time, op. cit., p. 229.
29 Cf. Ben S. Bernanke, Mark Gertler, « Should Central Banks Respond to Movements in Asset Prices ? », American
Economic Review, 91, 2, 2001, p. 253-257.
30 Cf. Kenneth S. Rogoff , Carmen M. Reinhardt, This Time, op. cit., p. 234.
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 137

L’ASSÈCHEMENT DE LA LIQUIDITÉ ET LA CRISE BANCAIRE

Très rapidement, la crise, qui se propagea à l’ensemble des systèmes bancaires


et des marchés financiers mondiaux, prit l’allure d’une crise systémique, car les
produits structurés contenant des subprimes se négociaient partout dans le monde.
Lorsque les risques devinrent patents, ces produits, dont les sous-jacents étaient des
crédits hypothécaires, virent leur valeur décroître. Leur notation diminua, ce qui les
rendit encore moins attractifs et poussa encore leur valeur à la baisse. Tous les éta-
blissements bancaires, américains et étrangers, qui avaient investi dans ces produits
se trouvèrent en difficulté et contraints de provisionner leurs dépréciations d’actifs,
ce qui vint peser sur leur ratio de solvabilité, ces dépréciations diminuant leurs fonds
propres (cf. tableau 1 infra). Les banques furent du coup contraintes de se recapi-
taliser et les fonds souverains des pays émergents entrèrent alors dans le capital des
grandes banques (cf. tableau 2 infra).

Tableau 1 : Classement des plus fortes dépréciations d’actifs liées aux


subprimes par institutions financières
Montant des Montant des
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Institutions dépréciations Institutions dépréciations
(en mds USD) (en mds USD)
Wachovia Coorporation 96,5 IKB Deutsche 12,8
Citygroup Tnc. 68,1 Deutsche Bank AG 11,6
Merrill Lynch 55,9 ING Groep N.V. 9,3
UBS AG 48,6 HBOS Plc 9,3
Washington Mutual 45,6 Fortis 8,2
HSBC Holding 33,1 Crédit agricole 7,7
Bank of America 27,4 Société générale 7,5
National City Corp. 26,2 Barclays 6,5
JPMorgan Chase 20,5 Bayerische Landes 6,1
Wells Fargo 17,7 BNP Paribas 5,3
Morgan Stanley 15,7 Hypo Real Estate 5
Royal Bank of Scotland 15,1 Goldman Sachs 4,9
Lehman Brothers 13,8 Dresdner Bank 4,5
Crédit Suisse 13,3 NATIXIS 4,3
Source : Patrick Arthus et alii, De la crise des subprimes à la crise mondiale, La documentation Française,
Paris, 2009, p. 55. D’après Bloomberg et Presse. Classement réalisé au deuxième trimestre 2009.
138 Marie-Claude Esposito

Tableau 2 : Prises de participations des pays émergents dans les institutions


financières occidentales

Montant en mds
Montant des dépréciations USD
Institutions
(en mds USD) (participation
en %)
Abu Dhabi Investment Authority 7,5 (4,9 %)
Citygroup Goverment of Singapore Investment Corp. 6,8 (3,7 %)
Kuweit Investment Authority 3,0 (1,6 %)
Kuweit Investment Authority 2,0 (3,0 %)
Merrill Lynch Korean Investment Corporation 2,0 (3,0 %)
Temasek Holdings 4,4 (9,4 %)
Goverment of Singapore Investment Corp. 9,7 (10 %)
UBS
Fonds saoudiens 1,8 (2,0 %)
Morgan Stanley China Investment Company Ltd 5,0 (9,9 %)
China Development Bank 2,2 (3,1 %)
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Barclays
Temasek Holdings 1,4 (2,1 %)
Blackstone China Investment Company Ltd 3,0
Fortis Ping An (Chine) 2,1 (4,2 %)
Citic Securities
1,0 (6,0 %)
Bear Stearns Activités à Hong Kong et Macao de Bank of
1,2
America
Source : Patrick Arthus et alii, De la crise des subprimes à la crise mondiale, La documentation Française,
Paris, 2009, p. 56. D’après : <www.swfinstitute.org> et presse (26 janvier 2008).

Le 9 août 2007, BNP-Paribas annonça qu’elle était dans l’impossibilité d’estimer


la valeur de trois de ses fonds qui contenaient des titres adossés à des créances hypo-
thécaires (MBS). Ce fut sans doute l’étincelle qui mit le feu aux poudres. La nouvelle
déclencha un vent de panique qui provoqua une montée des taux interbancaires. Les
banques internationales devinrent alors très méfiantes vis-à-vis de leurs consœurs,
en raison de l’incertitude que faisaient peser les produits structurés. La perte de
confiance entraîna l’assèchement du marché interbancaire, les banques qui dispo-
saient d’excédents de liquidités refusant de prêter à celles qui avaient des besoins de
financement. Pour se financer, les banques furent alors contraintes de vendre leurs
actifs, ce qui provoqua une très forte baisse de leurs prix, et les bourses, qui avaient
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 139

fortement chuté en juillet à la suite de la publication de mauvais indices sur la santé


de l’économie américaine repartirent à la baisse.

Les banques centrales durent alors intervenir pour apporter des liquidités au mar-
ché interbancaire, en reprenant les créances des banques. La BCE injecta 95 milliards
d’euros sur le marché monétaire au jour le jour le 9 août 2007 selon la procédure
du « guichet ouvert » (prêts à taux fixe pour un montant illimité), pendant que la
Fed injectait 24 milliards de dollars, puis 38 milliards le lendemain. Elles furent
suivies par la Banque centrale du Japon qui injecta, les 16 et 17 août, 1 600 milliards
de yens (10,7 milliards d’euros) et la Banque centrale australienne qui apporta au
marché 3,87 milliards de dollars australiens (2,25 milliards d’euros)31. Elles renou-
velèrent l’expérience à plusieurs reprises au cours du mois d’août et dans les trois
mois suivants. Le 12 décembre 2007, la BCE, la Banque d’Angleterre et les banques
centrales du Canada et de Suisse menèrent une action concertée sous l’égide de la
Fed pour une adjudication en dollars (Term Auction Facility, TAF). Le 18 décembre,
la BCE n’apporta pas moins de 348 milliards d’euros au marché, toujours selon la
procédure du « guichet ouvert ». Jamais les interventions de la BCE n’avaient atteint
de tels montants.
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Les actions des banques centrales eurent un effet positif à très court terme, mais la
diminution des tensions sur le marché monétaire ne fut, à chaque fois, que de bien
courte durée. La crise de l’immobilier américain continua de s’aggraver et les saisies
se poursuivirent. Le marché immobilier de plusieurs pays européens se dégrada éga-
lement, notamment en Espagne où les stocks d’appartements invendus gonflèrent,
pendant que les cours du pétrole, de certaines matières premières et des produits
alimentaires flambaient et que le dollar chutait.

Au début de l’année 2008, les grandes banques de la planète publièrent, les unes
après les autres, leurs résultats pour l’année écoulée, qui révélaient des pertes énor-
mes et exigeaient des restructurations douloureuses. Les vagues de licenciements
se succédaient dans toutes les institutions financières américaines (près de 52 000
suppressions de postes chez Citygroup, la première banque mondiale, 9 200 chez
JP Morgan 1 000, chez Morgan Stanley, 5 à 10 % des effectifs chez Merrill Lynch, 2
400 chez Indymac Bancorp), mais également dans les banques européennes (4 000
suppressions de postes dans le réseau des Caisses d’Épargne l’Écureuil). Les places
boursières asiatiques et européennes chutaient très fortement le 21 janvier 2008, le
Dow Jones ne cédant, lui, que 0,49 % et le Nasdaq 0,29 % (- 7,41 % pour la Bourse
de Bombay ;- 5,14 % pour la Bourse de Shanghai ; - 3,86 % pour la Bourse de To-
kyo ; - 2,95 % pour celle de Séoul ;- 4,40 % pour le CAC 40 ; - 4,04 % pour le DAX
de Frankfort ; - 2, 61 % pour le Footsie de Londres).
31 « La Chute des Bourses asiatiques s’accélère », LesEchos.fr, 17 août 2007, <www.lesechos.fr/17/08/2007/lesechos.
fr/300195391_la-chute-des-bourses-asiatiques-s-accelere.htm> [16 mars 2013].
140 Marie-Claude Esposito

Les perspectives de croissance des États-Unis, de l’Union européenne et des pays


émergents furent toutes revues à la baisse. Il devint alors évident que la crise avait
touché l’économie réelle et que la récession gagnait du terrain au plan mondial.
L’économie américaine entra en récession à la fin de 2007, les pays européens et
le Japon lui emboîtèrent le pas un semestre plus tard. La Chine, dont la croissance
avoisinait encore les 12 % au début de 2007, sut qu’elle devrait se contenter d’un
taux de 7,5 % en 2009, en raison d’un très net ralentissement de ses exportations et
d’une diminution des investissements directs à l’étranger (IDE) sur son sol. Quant
aux autres pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, qui semblaient avoir été jus-
que-là épargnés par la crise, ils commencèrent également à enregistrer des pertes de
production à des degrés divers.

LES AUTORITÉS AMÉRICAINES AU SECOURS DES GRANDES INSTITUTIONS


FINANCIÈRES AMÉRICAINES

La réaction des autorités américaines se fit d’abord au coup par coup, pour tenter
d’empêcher la faillite des grandes institutions financières américaines, de nouveau
prises dans la tourmente au printemps 2008, et de prévenir les effets de contagion à
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l’ensemble du système.

BEAR STEARNS

Cinquième banque d’investissement sur la place de Wall Street, qui avait créé
un énorme volume de MBS et qui était très engagée dans le financement de hedge
funds, Bear Stearns connut une crise de liquidité très grave et se trouva au bord de
la faillite le 11 mars 2008. Craignant des répercussions en chaîne, autrement dit, le
phénomène de contagion, si Bear Stearns faisait faillite, la Réserve fédérale organisa,
le 14 mars, une opération de sauvetage pour lui apporter des financements à 28 jours
par l’intermédiaire de JP Morgan Chase, banque de dépôts qui avait accès au guichet
de l’escompte de la banque centrale américaine. Le plan de sauvetage prévoyait que
le risque serait supporté par la Fed, si Bear Stearns ne remboursait pas son prêt. Pour
obtenir les fonds, JP Morgan Chase devait déposer auprès de la Fed un portefeuille
de MBS que lui aurait confié Bear Stearns32. Mais cette solution fut rejetée deux
jours plus tard et la Fed annonça le rachat de Bear Stearns par JP Morgan au prix de
236 millions (soit 10 dollars par action, alors que celle-ci valait 170 dollars début
2007), la Fed acceptant de garantir les fonds les moins liquides de Bear Stearns pour

32 « JP Morgan rachète Bear Stearns à très bas prix », lefigaro.fr, 17 mars 2008, <www.lefigaro.fr/societes-
etrangeres/2008/03/17/04011-20080317ARTFIG00466 jpmorgan-rachete-bear-stearns-a-tres-bas-prix-.php> [13 février
2013].
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 141

un montant de 29 milliards de dollars afin que le rachat puisse avoir lieu33. Ce sau-
vetage in extremis de Bear Stearns était le premier exemple d’une nationalisation qui
ne voulait pas dire son nom, les apparences étant sauves puisque Bear Stearns était
rachetée par une banque privée pour un montant dérisoire (239 millions d’euros),
pendant que les 29 milliards seraient financés par le contribuable ! Mais la presse
financière américaine ne s’y trompa pas. Deux jours après le rachat de Bear Stearns
par JP Morgan Chase, soit le 18 mars, une lettre ouverte à Ben Bernanke, rédigée par
le banquier Andy Beal, fut publiée dans le Wall Street Journal, pour demander de
ne pas engranger d’ordures dans la Réserve fédérale, le portefeuille de titres de Bear
Stearns ne valant plus rien34. Plus tard, certains commentateurs laissèrent entendre
que ce n’était pas Bear Stearns mais plutôt JP Morgan Chase qui avait été sauvée
du désastre le 16 mars 2008, car, dans la mesure où elle était très engagée dans la
garantie de credit default swap (contrat d’échange sur risque de crédit). elle aurait
également plongé si Bear Stearns avait fait faillite35. Toujours est-il que l’opération
qui venait d’avoir lieu montrait que Ben Bernanke était prêt à utiliser de grands
moyens pour sauver les banques américaines qui répondaient au critère du too big too
fail (« trop grosse pour faire faillite »). Mais, ce faisant, les autorités monétaires, en
venant au secours d’une institution dont les très grandes difficultés provenaient de
son comportement en matière de prise de risques (inconsidérés sur des marchés très
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rémunérateurs, mais très risqués), contribuaient selon certains à renforcer le moral
hazard (l’aléa moral) puisqu’elles envoyaient aux grandes institutions financières le
signal qu’on se porterait à leur secours pour éviter une crise systémique.

FREDDIE MAC ET FANNIE MAE

Quelques mois plus tard, au cours de l’été 2008, la situation des goverment-sponse-
red entities (GSE) devint alarmante, alors qu’elles détenaient ou garantissaient 45 %
de l’encours des prêts immobiliers, soit 5 000 milliards de dollars. Tous les établisse-
ments privés de crédits immobiliers (mortgage banks) de petite taille avaient été em-
portés par la crise de l’immobilier dès la fin 2006, ceux de taille moyenne durant les
six premiers mois de 2007, de même que la première banque du secteur Countrywide
qui avait dû être rachetée, en janvier 2008, par la grande banque commerciale Bank
of America. Si le directeur de l’organisme de tutelle des GSE, James Lockhardt, et le
secrétaire au Trésor américain, Henry Paulson, ancien président de Goldman Sachs,
avaient encore déclaré le 18 mars pour le premier36 et le 10 juillet 2008 pour le

33 Cf. Paul Jorion, La crise : des subprimes au séisme financier planétaire, Paris, Fayard, 2008, p. 40-41.
34 « To M. Ben Bernanke. Please, don’t put garbage in the Federal Reserve », Ibid, p. 42-43.
35 Ibid, p. 45.
36 « As Crisis Grew, a Few Options Shrank to One », The New York Times, 7 septembre 2008, <www.nytimes.
com/2008/09/08/business/08takeover.html?ref=business>.
142 Marie-Claude Esposito

second, que la solvabilité des deux GSE n’était en rien menacée37, trois jours plus
tard, soit le 13 juillet, la Fed et le Trésor américain annonçaient que des mesures
importantes allaient être prises pour soutenir les deux géants, l’action de Freddie
Mac ayant perdu 47 % de sa valeur et celle de Fannie Mae 45 % au cours de la se-
maine du 7 au 12 juillet 200838. Là encore, les autorités voulaient éviter le risque de
contagion, car la faillite de ces deux institutions n’aurait pas manqué de dégénérer en
crise systémique, dans la mesure où les plus gros pourvoyeurs de fonds de ces deux
agences étaient la Chine à hauteur de 395,9 milliards de dollars, le Japon à hauteur
de 228,2 millions de dollars, la Russie à hauteur 75,3 milliards, la Corée du Sud à
hauteur de 63 milliards et Taiwan à hauteur de 54,9 milliards39. Une loi, votée le 30
juillet, permit au département du Trésor américain d’accorder des prêts d’urgence
aux deux GSE et de prendre des participations dans leur capital durant une période
de dix-huit mois. Mais au milieu du mois d’août, très précisément le 18 août, la
valeur des titres des deux GSE diminua de nouveau très fortement (-22,25 % pour
Fannie Mae et -24,96 % pour Freddie Mac), si bien que les pertes cumulées depuis
le début de l’année 2008 se montaient respectivement à 85 % pour Fannie Mae et
87 % pour Freddie Mac40. La chute des titres ne s’arrêta pas là. Le 7 septembre 2008,
les deux GSE furent nationalisées pour une durée indéterminée, le département
du Trésor américain acquérant une participation de 79,9 % dans le capital de cha-
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cune des deux institutions41. En même temps, il annonça qu’il interviendrait sur les
marchés pour se porter acquéreur des MBS émises par Fannie Mae et Freddie Mac,
afin de soutenir leurs cours. Les autorités américaines avaient donc une nouvelle
fois appliqué le principe du too big too fail. Compte tenu du montant des MBS des
deux GSE détenus par les banques centrales étrangères, on comprend aisément que
la nouvelle de la nationalisation des deux GSE et de celle du soutien apporté à leurs
titres ait ravi les investisseurs internationaux : à Londres, le Footsie bondit de 3,92 %
en une seule journée ; à Paris, le CAC 40 augmenta de 3,42 % ; à Wall Street, le Dow
Jones afficha une hausse de 2,58 %.

37 Paul Jorion, La crise, op. cit., p. 80.


38 Lexinter.net, « Fannie Mae et Freddie Mac », <www.lexinter.net/JF/fannie_mae_et_freddie_mac.htm> [3 mars
2013].
39 Cf. Martine Bulard, « Freddie Mac, Fannie Mae, la Chine et les contribuables américains », Le Monde diplomatique,
16 septembre 2008, <blog.mondediplo.net/2008-09-16-Freddie-Mac-Fannie-Mae-la-Chine-et-les> [3 mars 2013]. Les chif-
fres donnés par Paul Jorion, La crise, op. cit, p. 95, sont un peu différents : 422 milliards de dollars détenus par la Chine,
représentant 10 % de son PIB ; 90 milliards pour la Russie, soit l’équivalent de 10 % de son PIB également.
40 Paul Jorion, La crise, op. cit., p. 85.
41 Celle-ci se fit grâce à l’émission d’actions privilégiées avec droits prioritaires (preferred shares) pour le compte du
Trésor américain, les actionnaires se retrouvant au dernier rang des priorités.
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 143

MERRILL LYNCH

Les GSE n’étaient pas les seules à se débattre dans de graves difficultés. Mer-
rill Lynch avait été, dès le 24 octobre 2007, la première grande banque à annon-
cer des dépréciations importantes sur le segment du subprime pour un montant
de 7,9 milliards de dollars. Le 30 juillet 2008, elle avait fait savoir qu’elle allait
vendre la partie la plus risquée de son portefeuille de CDO, celle qui n’était
pas protégée par une assurance, et qu’elle allait procéder à une augmentation
de capital de 8,5 milliards de dollars. Le fond souverain de Singapour Temasek,
qui avait déjà injecté dans Merrill Lynch 5 milliards de dollars en deux fois
(décembre 2007 et mars 2008), allait se portait acquéreur pour 3,4 milliards de
dollars. Mais comme l’action de Merrill Lynch avait perdu près de la moitié de
sa valeur depuis les deux premières injections d’argent frais, Temasek n’avait plus
en fait qu’à injecter un milliard de dollars (au lieu de 3,4 milliards), en vertu
d’un accord entre les deux institutions qui stipulait que si le cours de l’action de
Merrill Lynch baissait, l’institution de Wall Street devrait rembourser le fonds
souverain. Le 14 septembre, on apprenait que Merill Lynch était rachetée par
Bank of America42.
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LEHMAN BROTHERS

Pendant que les autorités américaines se transformaient en pompiers auprès des


GSE, un autre incendie se déclara du côté de Lehman Brothers, qui avait accédé au
rang de quatrième banque d’investissement américaine depuis le rachat de Bearn
Stearns par JP Morgan Chase. Créée en 1850 par un immigré allemand du nom
d’Henry Lehman et ses frères, cette banque avait su surmonter toutes les crises qui
avaient ponctué le développement de l’économie américaine : celle des chemins de
fer à la fin du XIXe siècle, la crise de 1929, et, plus récemment, l’effondrement du
fonds d’investissement spéculatif (hedge fund) LTCM au début de l’année 2000. En
2003-2004, alors que le marché immobilier américain était en forte croissance, elle
avait racheté cinq sociétés de prêts hypothécaires spécialisées dans des prêts Alt-A,
c’est-à-dire des prêts dont le profil de risque était situé entre le taux de base (prime)
et le taux à risque (subprime), ce qui lui permettait d’afficher un taux de croissance
de ses revenus bien supérieurs à celui des autres banques d’investissement ou de
gestion d’actifs (+ 56 % entre 2004 et 2006) ; la banque comptait 146 milliards de
prêts hypothécaires en 2006, de même qu’elle affichait un chiffre d’affaires de 19,3
milliards de dollars et un résultat net de 4,2 milliards43. En février 2007, la valeur de

42 Paul Jorion, La crise, op. cit., p. 59-63.


43 « Étude de cas : La chute de Lehman Brothers », Café de la Bourse, 26 juin 2009, <www.cafedelabourse.com/dos-
siers/article/etude-de-cas-la-chute-de-lehman-brothers/>.
144 Marie-Claude Esposito

l’action Lehman Brothers atteignit le chiffre record de 86,18 milliards dollars, ce qui
portait sa capitalisation boursière à près de 60 milliards de dollars44. Mais, ce géant
était un colosse aux pieds d’argile, son énorme portefeuille de titres hypothécaires
le rendant très vulnérable. L’explosion de la bulle immobilière, début 2007, et les
premiers défauts de paiement allaient provoquer sa chute. En août 2007, Lehman
Brothers se vit contrainte de supprimer 2 500 emplois et de fermer des agences liées
à son activité hypothécaire. Ses pertes devinrent manifestes et des rumeurs sur son
insolvabilité se propagèrent dans Wall Street. En avril 2008, elle procéda à une aug-
mentation de capital de 4 milliards de dollars, qui ne parvint pas à enrayer l’effon-
drement de son titre, opération qu’elle renouvela en juin (6 milliards de dollars)45.
Dans le même temps, elle essaya de réduire son exposition sur le marché des crédits
hypothécaires. Mais rien n’y fit, et les investisseurs refusèrent de lui prêter des fonds.
Le 9 septembre 2008, au moment où les autorités monétaires américaines étaient au
chevet des GSE, la situation de Lehman Brothers, qui n’avait pratiquement plus de
liquidités, était désespérée. Le 9 septembre, la presse faisait savoir que l’autorité de
tutelle coréenne interdisait au fonds souverain Korea Development Bank (KDB) de
prendre une participation dans le capital de Lehman Brothers, ce qui fit chuter son
action de près de 45 %46. Trois jours plus tard, le vendredi 12 septembre, les régu-
lateurs américains tentaient d’organiser le sauvetage de Lehman Brothers, en convo-
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quant les principaux acteurs financiers de la place de New York et avec l’idée de
séparer les bons actifs de ses actifs toxiques, les premiers ayant vocation à constituer
une « bonne banque » et les seconds une « mauvaise banque » (bad bank ou structure
de défaisance)47. S’il y eut, dans un premier temps, des candidats pour se porter
acquéreur de la « bonne banque » (Bank of America, la Barclays et HSBC), aucune
institution ne se montra prête à investir dans la « mauvaise », considérant qu’il reve-
nait aux autorités monétaires de s’en charger, ce que celles-ci n’étaient pas disposées
à faire. Finalement, même la « bonne banque » ne trouva pas d’acheteur, Bank of
America préférant racheter la troisième banque d’investissement, Merill Lynch, qui,
elle aussi, avait essuyé des pertes considérables. À la suite du refus des deux banques
de secourir Lehman Brothers, Henry Paulson annonça que le Trésor américain ne se
porterait pas au secours de Lehman Brothers. Le lundi 15 septembre, cette banque
était déclarée en faillite, annonce qui allait précipiter la planète dans le plus grand
séisme financier depuis le krach de 1929.

Cette fois, les autorités monétaires américaines étaient restées sourdes au too big to
fail. Qu’est-ce qui justifiait une telle attitude aussi lourde de conséquences ? Pour de
très nombreux commentateurs, la succession de sauvetages depuis mars 2008 n’avait

44 Ibid.
45 Ibid.
46 Paul Jorion, La crise, op. cit., p. 56.
47 Ibid, p. 57-58.
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 145

fait que renforcer l’aléa moral ; la Fed et le secrétaire au Trésor américain voulaient
donc envoyer un signal fort aux marchés, en sanctionnant les prises de risques ex-
cessives et la recherche d’une rentabilité maximale. Un tel argument qui signifie que
l’irresponsabilité des acteurs est, à court terme, plus grande que le risque systémique
ne paraît pas très convaincant, dans la mesure où on peut raisonnablement penser
que le directeur du Trésor et le directeur de la Fed savaient bien qu’il n’était pas
corroboré par l’histoire des crises financières. Du reste, le sauvetage de Bear Stearns
et des GSE montrait qu’Henry Paulson et Ben Bernanke avaient cherché jusqu’ici
à éviter à tout prix le phénomène de contagion. D’autres analystes avançaient des
considérations politiciennes qui, en pleine campagne électorale, les auraient poussés
à renouer avec un libéralisme pur et dur pour remobiliser la droite du parti répu-
blicain, hypothèse qui, a posteriori, fait frémir, quand on en connaît les conséquen-
ces. D’autres enfin se demandaient si Henry Paulson, ancien directeur de Goldman
Sachs, n’avait pas voulu montrer qu’il ne faisait pas passer les intérêts de la finance et
de ses amis avant ses responsabilités gouvernementales. Il faudra attendre l’ouverture
des archives pour que le voile se lève sur la décision qui précipita le monde dans le
« seconde grande contraction ».

Le lendemain de la faillite de Lehman Brothers, AIG, le plus gros assureur mon-


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dial, directement touché par cette faillite, était nationalisé par la Fed, le Trésor amé-
ricain entrant dans son capital à hauteur de 80 %.

GOLDMAN SACHS ET MORGAN STANLEY

Trois mastodontes venaient de disparaître de Wall Street, Goldman Sachs et Mor-


gan Stanley étant les seules banques d’investissement qui restaient sur le marché.
Mais à la fin du mois de septembre 2008, elles demandaient à changer de statut pour
devenir des banques commerciales (Bank Holding Companies), afin de pouvoir béné-
ficier des aides du plan Paulson48, ce qui fut accepté par la Fed le 22 septembre 2008.
Le même jour, la banque japonaise Mitsubishi entrait dans le capital de Morgan
Stanley à hauteur de 20 % et, le jour suivant, Goldman Sachs annonçait que Warren
Buffet, le richissime investisseur américain grand ami de Bill Gates, lui apportait 5
milliards de capital49. La crise était donc venue à bout du modèle américain de la
banque d’investissement, fleuron du capitalisme financier débridé.

48 Voir infra.
49 Paul Jorion, La crise, op. cit., p. 63-64.
146 Marie-Claude Esposito

LES BANQUES COMMERCIALES AMÉRICAINES

Les banques d’investissement ne furent pas toutefois les seules victimes de la


crise. Les banques commerciales américaines avaient essuyé des pertes considé-
rables depuis février 2007, qui se montaient à 255 milliards fin août 2008 ; elles
s’étaient recapitalisées à concurrence de 180 milliards durant la même période50,
ce qui était loin de compenser les pertes, et les chiffres allaient devoir être revus
à la hausse après la faillite de Lehman Brothers. Plusieurs d’entre elles, au bord
de la faillite, furent rachetées par d’autres banques fin septembre 2008, telles
Washington Mutual rachetée par JP Morgan Chase et Wachovia par Wells Fargo.
Au total, 25 banques commerciales régionales disparurent en 2008 et près de
150 en 2009, chiffre considérable, même si on était encore loin du nombre
de faillites enregistré durant la crise des caisses d’épargne à la fin des années
198051.

LE PLAN DU SECRÉTAIRE AU TRÉSOR AMÉRICAIN PAULSON


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La situation avait atteint un tel degré de gravité, qu’il n’était plus question de
penser pouvoir régler les problèmes au cas par cas, si tant est que cette stratégie
n’eût jamais été adaptée. Quatre jours après la faillite de Lehman Brothers, soit le
19 septembre 2008, le secrétaire au Trésor américain Henry Paulson fit connaître
un plan de sauvetage des banques que la Chambre des représentants rejeta dix jours
plus tard, ce qui provoqua un assèchement du marché interbancaire partout dans
le monde, encore plus important qu’en 2007, et précipita le système financier et
l’économie mondiale au bord du chaos. Malgré les injections massives de liquidités
par les banques centrales, la crise de liquidité continua de s’amplifier sur les marchés
américains, européens et asiatiques, ne se limitant pas aux banques, mais touchant
également les grandes compagnies d’assurance et les autres institutions financières,
avant de faire sentir ses effets sur les bourses de valeurs, les entreprises américaines
et certains États américains qui, tout d’un coup, ne disposaient plus de facilités de
crédit à court terme, les banques n’étant plus en mesure de renouveler leurs lignes de
crédit. L’économie américaine était au bord de l’asphyxie et les économies des pays
occidentaux semblaient également très fortement touchées.

L’effet boule de neige s’intensifia jusqu’au vendredi 3 octobre 2008, jour de


l’adoption d’une version révisée de ce plan par la Chambre des représentants (263
voix pour, 171 voix contre) venant à la suite du vote positif du Sénat (74 voix pour,

50 Ibid, p. 64.
51 Cf. Patrick Artus et al., De la crise des subprimes, op. cit., p. 63.
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 147

25 voix contre). L’Emergency Economic Stabilization Act, 2008 fut signé par le Prési-
dent George W. Bush le jour même, soit un mois avant l’élection présidentielle du 4
novembre. 700 milliards de dollars (500 milliards d’euros) allaient être débloqués en
trois tranches (Troubled Asset Relief Program, TARP), grâce à des émissions de bons
du Trésor, pour racheter aux banques américaines, aux banques étrangères instal-
lées sur le sol américain, aux fonds de pension et aux collectivités locales, les titres
hypothécaires toxiques qui grevaient leurs bilans et les empêchaient d’accorder des
prêts aux agents économiques. Ceux-ci seraient gérés par des gestionnaires privés.
Les fonds spéculatifs n’étaient pas éligibles. Il était prévu que soit créée une caisse
de garantie mutuelle des banques, et que l’État entre dans le capital des banques
qui bénéficieraient de son aide, afin de pouvoir récupérer une partie des fonds, si la
situation des établissements financiers s’améliorait. Le plan devait durer jusqu’à la
fin de l’année 2009, avec une possibilité de prolongation de deux ans après vote du
Congrès.

En dépit de son ampleur, ce plan, qui suscita beaucoup de critiques tant dans
les cercles politiques qu’académiques52, ne fut pas bien accueilli par les marchés.
D’aucuns se demandaient s’il n’arrivait pas trop tard.
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Après l’élection du Président Obama, Timothy Geithner remplaça Henry Paul-
son à la tête du Trésor américain. C’est à lui qu’il revint d’affecter la deuxième tran-
che du plan mis en place par son prédécesseur. En raison du montant des créances
toxiques détenues par les banques (1 milliard de dollars soit 733 milliards d’euros
au total), il proposa, en mars 2009, de mettre en place un dispositif associant les
pouvoirs publics et les fonds d’investissement (fonds d’épargne retraite, fonds spé-
culatifs, etc.) pour nettoyer le bilan des banques. Les fonds d’investissement, qui
rachèteraient les actifs toxiques des banques, recevraient une aide de l’État apportée
par le régulateur du système bancaire américain, la Commission fédérale d’assurance
des dépôts bancaires (FDIC). Dans le cas de titres adossés à des actifs immobiliers,
il était prévu que les investisseurs bénéficient de la Term Asset-Backed Securities Loan
Facility (TALF) mise en place par la Réserve fédérale, à condition que la notation de
ces titres soit la plus haute possible.

UNE CRISE SYSTÉMIQUE : L’INTERVENTION DES BANQUES CENTRALES


ET DES ÉTATS

Depuis la faillite de Lehman Brothers, la crise était entrée dans une nouvelle
phase ; elle s’autoalimentait. L’effondrement des bourses (la capitalisation boursière
52 Cf. Jacques Sapir, « Trop peu, trop tard? Les aventures du plan Paulson », <www.arhv.lhivic.org/index.
php/2008/10/06/833-trop-peu-trop-tard> [18 mars 2013].
148 Marie-Claude Esposito

mondiale perdit près de 35 % en moins d’un mois) provoquait de nouvelles per-


tes pour les banques, menaçait leur solvabilité et se diffusait peu à peu au secteur
non bancaire. De nombreux établissements financiers, partout dans le monde, se
trouvaient au bord de la faillite. La crise avait vraiment pris une allure systémique,
contraignant les banques centrales et les États à intervenir massivement pour, d’une
part, éviter l’effondrement du système financier mondial et restaurer la confiance,
et, d’autre part, se porter au secours des économies réelles, dont la contraction au
dernier trimestre de l’année 2008 et au début de l’année suivante se révélerait bien
supérieure à celle qui avait eu lieu un an auparavant. En 2009, la zone euro dans
son ensemble allait perdre 4 points de croissance. L’Allemagne, étant plus durement
touchée que la France (- 3 points), en perdit 5, tout comme le Japon, et les États-
Unis près de 4.

LE RECOURS À DES POLITIQUES MONÉTAIRES NON CONVENTIONNELLES

Les banques centrales mirent alors en place des politiques monétaires très accom-
modantes (monetary easing), afin de garantir la stabilité financière très menacée et
éviter l’apparition d’une spirale déflationniste.
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POLITIQUE D’ASSOUPLISSEMENT QUANTITATIF (QUANTITATIVE EASING)

Le 8 octobre 2008, plusieurs banques centrales (la Federal Reserve, la Banque du


Canada, la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne (BCE) pour la zone
euro, la Banque nationale suisse et la Banque centrale de Suède) décidèrent conjoin-
tement de diminuer leur principal taux directeur de 50 points de base. La Fed pour-
suivit cette politique de baisse des taux à court terme, si bien que les taux des fonds
fédéraux s’établirent entre 0 et 25 points de base en décembre 2008 – soit un niveau
jamais atteint depuis la création de la banque centrale américaine en décembre 1913
-, une mesure qui provoqua une forte chute du dollar par rapport à toutes les autres
grandes devises. La BCE l’imita et abaissa, par paliers, son principal taux directeur
jusqu’au niveau inédit de 1 % (mai 2009). La Banque d’Angleterre poursuivit la
politique de baisse de son taux directeur d’une façon encore plus agressive, puisque
celui-ci fut réduit de 375 points de base entre octobre 2008 et janvier 2009 pour
atteindre, lui aussi, le niveau jamais atteint de 1 %.

POLITIQUE D’ASSOUPLISSEMENT QUALITATIF (QUALITATIVE EASING)

La Fed, la Banque d’Angleterre et la BCE jouèrent le rôle d’« acheteur en dernier


ressort », afin de stabiliser le prix de certains actifs financiers, d’augmenter la liqui-
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 149

dité des banques et de les pousser à augmenter leur offre de crédit. Les mesures mises
en place tinrent compte du cadre institutionnel de la politique monétaire de chaque
pays ou zone monétaire – la Fed et la Banque d’Angleterre devant se préoccuper à
la fois de la stabilité des prix et de la croissance de l’économie, alors que le mandat
donné à la BCE est uniquement de garantir la stabilité des prix – et des structures de
financement différentes suivant les pays – le financement du secteur privé est assuré
à 70 % par le secteur bancaire dans la zone euro, alors qu’il est assuré par les marchés
financiers à hauteur de 60 % à 80 % dans les pays anglo-saxons où le comportement
des agents économiques dépend davantage du prix des actifs que dans la zone euro.

Les banques centrales fournirent des liquidités aux banques et aux autres insti-
tutions financières en prenant dans leurs portefeuilles des actifs de plus en plus ris-
qués, d’où leur appellation d’« actifs non conventionnels » en comparaison avec les
actifs peu risqués détenus habituellement par les banques (« actifs conventionnels »,
comme les bons du Trésor). La BCE cibla ses aides sur les banques, afin de diminuer
leur coût de refinancement, pendant que la Fed et la Banque d’Angleterre décidaient
de venir également en aide à d’autres acteurs financiers pour rétablir la liquidité
sur les marchés d’actifs financiers. En même temps, la Fed et la Banque d’Angle-
terre pratiquèrent une politique d’achat de titres à long terme auprès du secteur
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privé (aux États-Unis : le mécanisme TALF mis en place en novembre 2008 ensuite
étendu aux Commercial Mortgaged-Backed Securities ; au Royaume-Uni : l’extension
de l’Asset Purchase Facility autorisant la Banque d’Angleterre à acheter des titres pu-
blics – gilts : obligations du Treasury et privés : commercial paper et obligations d’en-
treprises – pour un montant maximal de 150 milliards de livres sterling, ouvrant la
voie à la politique de quantitative easing (politique d’assouplissement quantitatif non
conventionnelle) qu’elle allait ensuite mener pour orienter positivement les condi-
tions de financement du secteur privé et amorcer la reprise de l’économie53. La BCE
modifia également ses modes d’intervention et se lança dans des actions non conven-
tionnelles, mais différentes de celles utilisées par la Fed et la Banque d’Angleterre ;
elle allongea la liste des actifs financiers qu’elle était prête à accepter en pension et
porta la durée de ses opérations de refinancement à 12 mois ; elle mit en place un
programme de rachat d’obligations garanties (covered bonds) pour un montant de
60 milliards d’euros, et des accords de swaps avec la Fed, la Banque d’Angleterre, la
banque centrale du Danemark et la Banque nationale suisse.

Ces actions menées par les banques centrales eurent des effets positifs, au moins
à court terme, puisque les taux d’intérêt diminuèrent sur les titres d’État aux États-
Unis et au Royaume-Uni, et que les spreads (écarts) sur les covered bonds se rédui-

53 Pour plus de détails, voir l’excellent article de Naïm Cordemans, Stefaan Ide, « La politique monétaire aux États-Unis
et dans la zone euro durant la crise », BNB Revue Economique, juin 2012, p. 39-64, <www.nbb.be/doc/ts/publications/
EconomicReview/2012/revecoI2012_H3.pdf>.
150 Marie-Claude Esposito

sirent dans la zone euro. Mais, compte tenu des montants engagés, ces banques
centrales n’ont plus été en mesure de stériliser l’intégralité de leurs concours, ce
qui provoqua un gonflement de la taille de leurs bilans et un changement dans leur
composition. C’est ainsi que le bilan de la Fed passa de 800 millions de dollars en
août 2008 à 2 300 milliards à la fin 2008, avant de redescendre sous la barre des 2
100 milliards au début de l’été 2009, pendant que celui de la BCE augmentait de 1
450 milliards à près de 1 900 milliards durant la même période54. Si techniquement
l’augmentation du bilan des banques centrales ne pose pas de problème, on peut se
demander si, dans un second temps, elle ne risque pas de menacer la crédibilité des
politiques monétaires.

LES ÉTATS EUROPÉENS VIENNENT DIRECTEMENT AU SECOURS DES BANQUES

Si, dans l’Union européenne, les banques, qualifiées d’universelles, paraissaient


avoir mieux résisté dans la tourmente depuis le début de la crise, plusieurs d’en-
tre elles durent néanmoins être renflouées par les États ou nationalisées en octobre
2008.
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Le président français Nicolas Sarkozy, qui assumait également à l’époque la prési-
dence de l’UE, convoqua dans l’urgence, le 4 octobre 2008, non pas le Conseil euro-
péen, mais un mini sommet regroupant les quatre pays européens membres du G8 :
l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. José Manuel Barroso, président
de la Commission européenne, Jean-Claude Trichet, président de la Banque cen-
trale européenne, Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe étaient également
conviés à cette réunion dont la préparation avait révélé des divergences profondes
entre les deux plus grands pays de l’UE, l’Allemagne ne voulant pas entendre parler
de l’idée française de créer un fonds européen de sauvetage des banques. Toutefois,
on parvint à trouver un accord sur les points suivants. 1) afin de restaurer la confian-
ce et de garantir l’épargne des citoyens européens, les quatre pays s’engageaient à
soutenir les institutions financières européennes en difficulté avec les mesures na-
tionales qu’ils jugeraient utiles, mais de manière coordonnée avec les autres pays
pour que soient respectées les règles de concurrence entre les banques européennes55,
en contrepartie de sanctions contre des dirigeants qui auraient commis des fautes
de gestion. 2) compte tenu des circonstances exceptionnelles créées par la crise, ils
demandaient aux instances européennes d’assouplir temporairement l’application
du Pacte de stabilité et de croissance, en dépit des mises en garde du président de

54 Ibid, p. 47-48.
55 En ligne de mire, l’Irlande qui avait décidé d’accorder, sans concertation aucune, une garantie illimitée sur tous les
dépôts dans ses six banques nationales, ce qui n’avait pas manqué d’irriter ses partenaires et plus particulièrement les
Britanniques, dans la mesure où leurs banques installées en Irlande étaient pénalisées.
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 151

l’Eurogroupe sur ce point, et des règles concernant les aides que les États pouvaient
apporter aux entreprises. 3) ils appelaient à l’organisation, dans les meilleurs délais,
d’un sommet international, afin que soient revues l’ensemble des règles qui régis-
saient le capitalisme financier.

Les résultats de ce sommet furent diversement interprétés par la presse dès le


lendemain. Pendant que certains journaux mettaient l’accent sur le fait que la crise
était moins forte en Europe qu’aux États-Unis, d’autres attiraient l’attention sur les
risques de désunion de l’Europe. En Espagne, le grand pays qui n’avait pas participé
au sommet, la presse était particulièrement critique et le grand quotidien El País
soulignait, d’une manière prémonitoire, que si la crise était plus forte aux États-Unis
que dans l’Union européenne, elle risquait d’avoir des effets plus dévastateurs en
raison d’une volonté politique et d’une architecture institutionnelle défaillantes56.
Les plans de sauvetage mis en place par les États-membres ont comporté trois
grands types de mesures : ils ont cherché à faciliter le refinancement des banques ; ils
ont utilisé des fonds publics pour les recapitaliser lorsque la situation l’exigeait ; ils
ont créé des structures de défaisance (bad banks) pour les débarrasser de leurs actifs
toxiques.
Quant aux marchés européens, ils furent peu impressionnés par cet accord :
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le volume des transactions resta faible, le taux du LIBOR57 pour les prêts au jour le
jour et celui de l’EURIBOR58 pour les prêts à 3 mois accusèrent une forte hausse, ce
qui signifiait que le phénomène de thésaurisation des liquidités se poursuivait.

LE PLAN DE SAUVETAGE DES BANQUES BRITANNIQUES

Les pertes des grandes banques britanniques furent énormes. La première


grande institution financière victime de la crise avait été la banque britannique
du Nord-Est de l’Angleterre, Northern Rock, qui finançait ses prêts immobiliers
non pas avec les dépôts de ses clients, mais grâce à l’argent qu’elle empruntait à
court terme sur le marché interbancaire. Elle dut faire face, en septembre 2007,
à une ruée de ses clients qui venaient faire la queue devant ses guichets pour
retirer leurs dépôts, les autorités britanniques (Banque d’Angleterre, Treasuryy et
Financial Services Authority)y ayant tergiversé pendant plusieurs semaines avant

56 Voir « La presse européenne est partagée au lendemain du sommet du G4 », Le Nouvel Observateur, <tempsreel.
nouvelobs.com/la-crise-financiere/20081005.OBS4314/la-presse-europeenne-partagee-apres-le-mini-sommet-europeen.
html> [16 mars 2013].
57 Taux de référence du marché interbancaire londonien constatés chaque jour à 11 h (heure locale) qui font l’objet d’une
publication par la British Banker’s Association ; ils équivalent à la moyenne arithmétique des taux d’intérêt auxquels de
grandes banques londoniennes prêtent à d’autres banques dans un certain nombre de devises : dollar, livre sterling, yen,
euro, franc suisse, dollar canadien, australien ou néo-zélandais.
58 Taux de référence de la zone euro ; il s’agit d’un taux interbancaire moyen auquel les 43 banques représentatives de
la zone euro prêtent à d’autres grandes banques à une échéance donnée.
152 Marie-Claude Esposito

que, le 13 septembre 2007, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Sir Mer-


vyn King, décide de recourir à la procédure de prêteur en dernier ressort en
faveur de la banque. Mais malgré les 25 milliards de livres sterling qui furent
injectés par le gouvernement New Labour pendant les cinq mois qui suivirent et
les négociations menées pour lui trouver un repreneur, le gouvernement dut se
résoudre à nationaliser Northern Rock le 17 février 2008, les règles européennes
de la concurrence ne permettant pas à un État de financer à fonds perdu une
entreprise privée au-delà de six mois59.

Le 28 septembre 2008, la banque Bradford & Bingley, spécialisée dans le


financement de l’immobilier, fut également nationalisée.

Après la faillite de Lehman Brothers, le Premier ministre travailliste Gordon


Brown mit en place, en octobre 2008, un plan de sauvetage du système bancaire
britannique qui générait près de 10 % du PIB britannique et venait d’enregis-
trer des pertes énormes. À côté des injections de liquidités à court terme de la
Banque d’Angleterre mentionnées précédemment, il revint au Treasury de reca-
pitaliser certaines institutions et de garantir les prêts que se faisaient les banques
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entre elles, le gouvernement espérant que cela contribuerait à refaire fonctionner
le marché interbancaire puisque les prêteurs seraient assurés de récupérer leur
argent quoi qu’il arrive. Le Treasury était prêt à accorder des garanties de prêts
aux banques pour un montant global de 250 milliards de livres, moyennant
leur engagement d’accorder des prêts aux entreprises et aux particuliers. Cette
caution ne coûtait rien à l’État tant que l’institution emprunteuse ne faisait pas
défaut. Le gouvernement se réservait également la possibilité d’exercer un droit
de regard sur la politique de rémunération des dirigeants et de distribution des
dividendes. Sept banques acceptèrent le plan : la Barclays, le Lloyds Banking
Group, la Halifax-Bank of Scotland (HBOS), la Royal Bank of Scotland (RBS),
Standard Chartered, Nationwide et Abbey, ce qui n’empêcha pas la City de réa-
gir violemment lorsque le gouvernement introduisit, pour l’année budgétaire
2009-2010, une taxe de 50 % sur les bonus versés aux traders supérieurs à 25
000 livres (27 000 euros). Au titre des recapitalisations, le Treasury dut investir
50 milliards de livres dans le capital de HBOS soit la Halifax-Bank of Scotland,
née de la fusion en 2001 de la première banque britannique de crédit immobi-
lier – Halifax – et de Bank of Scotland. Un deuxième plan de sauvetage des ban-
ques fut mis en place en janvier 2009. L’État britannique entra dans le capital
du nouveau groupe bancaire né de la fusion, en novembre 2008, de Lloyds TSB
et d’HBOS et en devint le plus gros actionnaire, les augmentations de capital

59 Northern Rock fut revendue à perte par l’État britannique au groupe de Richard Branson en novembre 2011. Le coût
pour les contribuables britanniques a été estimé à 400 millions de livres (467 millions d’euros).
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 153

lancées auprès de leurs actionnaires s’étant soldées par un échec. Il augmenta


également sa participation dans le capital de Royal Bank of Scotland (RBS) à
la suite de l’effondrement de son titre en bourse égal à 66,57 % en raison des
pertes énormes enregistrées par cet établissement en 2008.

LE PLAN DE SAUVETAGE DES BANQUES FRANÇAISES

Une enveloppe de 40 milliards d’euros fut prévue pour recapitaliser tempo-


rairement des banques, lorsque la situation l’exigerait. La Société des Participa-
tions Publiques de l’État (SPPE) fut créée à cet effet. Par ailleurs, le gouverne-
ment français décida de créer une structure spécifique de droit privé, qui eut
pour mission d’emprunter de l’argent sur les marchés financiers, à un taux très
avantageux puisqu’elle bénéficiait de la garantie de l’État, et de prêter du cash
aux banques, lorsqu’elles en auraient besoin, en échange d’une commission.
Un plafond de 320 milliards d’euros fut fixé à ce dispositif qui, à la différence
du plan britannique, ne cherchait pas à réactiver le marché interbancaire, mais
visait à redonner aux banques la capacité d’accorder des prêts au secteur privé.
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LE PLAN DE SAUVETAGE DES BANQUES ALLEMANDES

Au début d’octobre, le gouvernement allemand fut confronté au problème


créé par l’échec du plan de sauvetage de la quatrième institution financière al-
lemande, la banque Hypo Real Estate, spécialisée dans le crédit immobilier et
frappée de plein fouet par la crise des subprimes. Ce plan, d’un montant de 35
milliards d’euros, associait l’État allemand à un consortium de 25 banques ;
mais le consortium décida de se retirer du projet devant l’ampleur des nouveaux
besoins de financement annoncés par la Deutsche Bank pour renflouer Hypo
Real Estate. Pour éviter la panique des petits déposants, la chancelière Angela
Merkel dut annoncer immédiatement que l’État allait fournir une garantie illi-
mitée aux dépôts des épargnants. En dépit des 175 milliards d’aides apportées
à Hypo Real Estate, celle-ci dut être nationalisée au cours de l’été de l’année
suivante.

Le 20 octobre, le gouvernement d’Angela Merkel parvint à faire voter un


plan de sauvetage des banques allemandes de 480 milliards d’euros, se décom-
posant en une enveloppe de 400 milliards d’euros pour financer une garantie de
l’État pour tout les dépôts bancaires et une enveloppe de 80 milliards pour des
154 Marie-Claude Esposito

recapitalisations, la contrepartie étant que l’État se réservait un droit de regard


sur la politique de crédit, de rémunération des dirigeants et de distribution de
dividendes aux actionnaires.

LES GOUVERNEMENTS DU BENELUX ET LE SAUVETAGE DE FORTIS60

Fortis, le groupe bancaire belgo-néerlandais, qui s’était lancé dans l’acquisi-


tion imprudente de la banque néerlandaise ABN Amro en 2007 pour un mon-
tant de 20 milliards d’euros, se trouva en panne de liquidité à la fin septembre
2008 et dans l’obligation de vendre en urgence plus de 5 milliards d’actifs en
pleine crise financière, ce qui provoqua l’effondrement de son cours. Première
victime européenne de la crise financière, il fut partiellement nationalisé le 28
septembre 2008. Il recevait 11,2 milliards d’euros des gouvernements belge,
luxembourgeois et néerlandais, qui décidaient de ne pas donner suite à une pro-
position de rachat partiel du groupe par BNP-Paribas. Le premier apportait 4,7
milliards en échange d’une prise de participation de 49 % dans la filiale belge
du groupe, le second 2,5 milliards contre une prise de participation équivalente
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dans le capital de la banque Fortis installée au Luxembourg, et le troisième 4
milliards d’euros en échange d’une prise de participation de 49 % dans le capital
de Fortis Holding Netherlands. Les administrateurs tenus pour responsables de la
débâcle étaient remerciés. Si la chute du cours de l’action fut enrayée, la natio-
nalisation partielle ne parvint pas à restaurer la confiance et les déposants conti-
nuèrent de retirer leurs dépôts. D’où un nouveau montage financier qui sera
rendu public au cours du week-end des 4 et 5 octobre, au terme duquel l’État
néerlandais nationalisa la totalité des activités de Fortis aux Pays-Bas et la majeu-
re partie d’ABN Amro, pendant que la Belgique négociait un nouvel accord avec
BNP-Paribas : l’État belge rachetait les 51 % restant de la filiale belge de Fortis
pour 4,7 milliards d’euros et revendait 75 % du capital acquis à BNP-Parisbas ;
Fortis Assurance Belgique passait dans les mains de BNP-Paribas pour un prix
de 5,73 milliards d’euros ; les actifs toxiques de Fortis étaient placés dans une
structure de cantonnement où Fortis Holding serait actionnaire à concurrence
de 66 %, l’État belge à hauteur de 24 % et BNP Paribas de 10 %. Si les me-
sures prévues par le gouvernement belge furent approuvées par la Commission
européenne, elles n’en déclenchèrent pas moins un scandale, l’État belge s’étant
comporté tout au long des transactions comme un administrateur du groupe
Fortis, sans se préoccuper des actionnaires. D’où des actions en référé menées
par les associations d’actionnaires de la banque pour obtenir la suspension des

60 Cf. Yves Melin, Philippe Billiet, « Le scandale Fortis, une histoire belge », La Revue, 6 janvier 2009, <larevue.ssd.com/
Le-scandale-Fortis-une-histoire-belge_a815.html> [23 mars 2013].
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 155

accords négociés avec le gouvernement néerlandais et BNP-Paribas. Tous les


recours furent rejetés, à l’exception de celui qui fut introduit le 24 novembre
devant la Cour d’appel de Bruxelles qui suspendit les accords et exigea la convo-
cation d’une assemblée générale des actionnaires qui devrait se prononcer sur les
ventes d’actifs. Mais l’affaire ne n’arrêta pas là et prit un tour très politique qui,
de scandale en scandale, aboutit à la chute du gouvernement du Premier mi-
nistre Yves Leterme. Finalement, à la fin du mois d’avril 2009, les actionnaires
donnèrent le feu vert aux opérations après que l’État belge, BNP Paribas et Fortis
aient apporté certaines modifications aux accords d’octobre 2008, notamment
le maintien pour Fortis d’une activité d’assurance en Belgique.

LES POLITIQUES DE RELANCE BUDGÉTAIRE

Alors qu’elles avaient été largement abandonnées au cours des trente dernières
années en raison de leurs effets pervers, les politiques de relance keynésiennes furent
remises à l’honneur aux quatre coins du monde, sauf dans les pays où la crise s’était
déclarée de manière très précoce et très violente, comme en Islande et en Irlande, ces
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deux pays ayant été contraints de mettre en place, dès 2007, des politiques d’austé-
rité en raison du délabrement de leurs finances publiques. Les politiques keynésien-
nes, source d’inflation, avaient en effet très peu, voire n’avaient pas du tout, créé de
croissance, mais avaient en revanche fait gonfler les déficits publics.

Compte tenu de la gravité de la situation économique provoquée par la crise


financière, l’heure n’était plus au débat sur le bien-fondé ou non de ces politiques.
Hantés par le spectre de la Grande Dépression, qui avait suivi le krach de Wall Street
en 1929, les gouvernements ne voulaient plus commettre les mêmes erreurs : ils
savaient que les États devaient intervenir massivement pour éviter l’effondrement de
l’économie mondiale, la déflation et des millions de chômeurs. Des plans de relance
furent donc mis en œuvre aux États-Unis, dans certains pays de l’Union européenne
et en Chine.

Les États-Unis ayant été les premiers – entrés en récession dès décembre
2007 – touchés par la crise, des actions de relance (mesures fiscales et rachat de prêts
hypothécaires) avaient été votées par le Congrès, le 7 février 2008, pour un montant
estimé à 158 milliards de dollars, soit 1 % du PIB américain61. La crise économique
s’amplifia brutalement, le taux de chômage passant de 4,8 % à 8,1 % entre février
2008 et février 2009 et les destructions d’emplois étant particulièrement impor-

61 Cf. Patrick Artus et al., De la crise des subprimes, op cit, p. 113.


156 Marie-Claude Esposito

tantes entre novembre 2008 et février 2009. Le Président Barack Obama parvint
à faire voter par les deux chambres, le 13 février 2009, un plan de relance d’une
ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, l’American Recovery
and Reinvestment Act (ARRA) dont le coût estimé par le Congressional Budget Office
(CBO) se montait à 787 milliards de dollars, soit 5,5 % du PIB, sur une dizaine
d’années, mais qui ne représentait que le tiers des dépenses engagées précédemment
pour sauver les grandes institutions financières de la faillite62. Les dépenses publiques
(notamment les aides aux chômeurs et les aides aux personnes les plus vulnérables,
et, à un moindre degré, des dépenses pour l’éducation et les infrastructures) en re-
présentaient les deux tiers, et les baisses d’impôts le dernier tiers.

Début novembre 2008, la Chine, qui connaissait un très fort ralentissement de


ses exportations provoquant des fermetures d’usines dans le Sud du pays et, par voie
de conséquence, une montée du chômage, fit connaître son plan de relance pour
deux années. Celui-ci privilégiait les dépenses d’infrastructure et les aides aux petites
et moyennes entreprises, afin de stimuler la demande intérieure (en particulier les
aides aux PME-PMI, au secteur de la construction, de grands travaux d’infrastructu-
res dans le secteur des transports et pour reconstruire la région du Sichuan qui avait
été dévastée par un tremblement de terre d’une très grande violence en mai 2008).
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D’un montant de 586 millions de dollars (450 milliards d’euros), il était en fait le
plus important du monde puisqu’il était équivalent à 15 % du PIB chinois.

Le Japon annonça dès la fin octobre 2008 un plan de relance d’un montant équi-
valent à 400 milliards d’euros (7,7 % du PIB) et qui comprenait des mesures très
diverses, telles que des diminutions d’impôts et des aides directes aux ménages et aux
personnes en situation précaire, afin de soutenir la consommation, et des mesures
destinées aux entreprises, notamment aux PME-PMI, afin de leur faciliter l’accès au
crédit. La première injection de dépenses budgétaires supplémentaires se monta à 40
milliards (1,4 % du PIB). En décembre, une rallonge budgétaire de 194 milliards
d’euros fut injectée dans l’économie, suivie d’une nouvelle rallonge de 200 milliards
en janvier 2009, dont une partie était destinée à financer des grands travaux (aéro-
ports, ports, autoroutes).

Dans l’Union européenne, la Commission proposa le 27 novembre 2008 un pa-


quet de mesures à court et moyen terme destiné à soutenir la croissance et l’emploi,
pour un montant de 200 milliards d’euros, soit 1,5 % du PIB de l’UE. Ce montant
correspondait en fait à la somme des plans de relance nationaux, les critères en ma-
tière de déficits publics étant mis de côté pour un temps. Les mesures envisagées au
niveau européen prévoyaient de donner un rôle plus important à la Banque européen-
62 Pour les détails, cf. Gilles Raveaud, Catherine Sauviat, « Le plan de relance américain : un New Deal ? », Chronique
internationale de l’IRES, n° 117, mars 2009, p. 3-13. <www.politiquessociales.net/IMG/pdf/C117-1.pdf> [16 mars 2013].
La véritable histoire de la crise financière 2008 – 157

ne d’investissement (BEI), afin qu’elle soutienne des projets d’investissements dans


les infrastructures, les énergies nouvelles, les technologies « vertes » et innovantes,
l’objectif étant d’accélérer la transition de l’UE vers une société de la connaissance
pauvre en carbone63. Elles furent annoncées après que plusieurs pays de l’UE aient
fait connaître leurs propres plans de relance 64. La France avait ouvert le ban, en oc-
tobre, avec des mesures (26 milliards d’euros, soit 1,3 % du PIB) qui privilégiaient le
soutien à l’investissement public (10,5 milliards d’euros) et à la trésorerie des entre-
prises (11,4 milliards d’euros), mais qui apportaient également une aide au secteur
automobile et au logement (2 milliards d’euros), aux politiques actives en matière
d’emploi et d’incitation à l’embauche dans les entreprises de moins de 10 salariés
(1,2 milliards d’euros) et une aide supplémentaire aux futurs bénéficiaires du revenu
de solidarité active, RSA (800 millions). Le plan créait également un fonds souverain
(« Fonds stratégique d’investissement ») doté de 22 milliards d’euros.

Le 5 novembre, l’Allemagne annonça, elle, des mesures d’aides aux PME pour un
montant de 17,3 milliards (0,7 point de PIB) et à l’investissement public pour 7,2
milliards (0,3 point de PIB). Celles-ci venaient s’ajouter aux diminutions des coti-
sations chômage et à l’augmentation de l’allocation pour enfant à charge décidées le
mois précédent (20 milliards d’euros en 2009-2010, soit 0,8 % du PIB).
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L’Espagne, dont l’économie s’était le plus fortement ralentie dans la zone euro
depuis le début de la crise, en raison de l’éclatement de la bulle immobilière et de la
généralisation de la crise bancaire, annonça, à la fin novembre, un troisième plan de
relance de 11 milliards d’euros, soit 1 % du PIB, dont 8 milliards étaient destinés
à financer des travaux publics et les 3 milliards restants à aider des secteurs en diffi-
culté, comme l’automobile, l’innovation et la dépendance.

Le Royaume-Uni privilégia, quant à lui, les diminutions d’impôts, la principale


mesure étant une baisse temporaire de 2,5 points du taux de TVA, à partir du 1er dé-
cembre 2008 et jusqu’au 1er janvier 2010, celui-ci passant de 17,5 % à 15 %. À cela
s’ajoutait l’exonération de la taxation des dividendes pour les investisseurs étrangers,
afin d’encourager les grandes multinationales à rester au Royaume-Uni.

En comparaison avec le montant des mesures de soutien à l’activité adoptées aux


États-Unis, en Chine et au Japon, les mesures de relance prises en ordre dispersé
dans différents pays de l’UE faisaient pâle figure, même si on pouvait espérer, dans
ces pays, une impulsion budgétaire supplémentaire grâce au seul jeu des stabili-

63 Commission européenne, « Un plan européen pour la relance économique », COM (2008) 800 final, <eur-lex.europa.
eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:52008DC0800:FR:NOT> [16 mars 2008].
64 OFCE, Annexe Lettre de l’OFCE, n° 305, 2 décembre 2008, <www.ofce.sciences-po.fr/pdf/lettres/plans_de_
relance_12_2008.pdf> [16 mars 2008].
158 Marie-Claude Esposito

sateurs automatiques, dont le rôle contra-cyclique est bien plus important qu’aux
États-Unis, en Chine et au Japon où les dépenses de transferts et la progressivité des
impôts sont moins fortes. Plus préoccupante, nous semble-t-il, était l’absence de
coordination budgétaire entre les différents pays en temps de crise.

Pour répondre à la crise de 2007-2008 et éviter les erreurs commises lors de la


Grande Dépression, les pays ont mis en place des politiques combinant le sauve-
tage de leurs systèmes bancaires à des politiques de relance budgétaire. On peut
raisonnablement penser que celles-ci ont permis de prévenir le pire. Mais elles se
sont révélées incapables de mettre fin aux déséquilibres mondiaux, pas plus qu’elles
n’ont permis de dégager une croissance économique durable. Les politiques moné-
taires non conventionnelles ne sont pas sans danger à moyen terme (formation de
bulles, flux de capitaux trop importants et déstabilisants vers les pays émergents,
etc.). Les États-Unis affichent un endettement record. L’UE traverse une période
difficile en raison d’une crise des dettes souveraines au sein de la zone euro, d’une
crise bancaire dans certains États (Grèce, Espagne, Portugal, Slovénie, sans parler de
Chypre), d’une compétitivité insuffisante (France et pays de l’Europe du Sud) et de
dissensions fortes quant à la gouvernance politique et économique à instaurer. Seuls
les pays émergents sont sortis renforcés de la crise, mais ils doivent faire face à de
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nombreux défis dans un monde en pleine mutation.

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